Démarche Intégrative de La Grammaire

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Compte rendu d expériences pédagogiques

Démarche intégrative de la grammaire en français sur objectif de


l’art culinaire : l’exemple d’En cuisine !

TSAI Chien-Wen
(Université Nationale d’Hôtellerie et de Tourisme de Kaohsiung)

Résumé
La démarche intégrative de la grammaire en français sur objectif spécifique (FOS)
présente les activités grammaticales en lien avec le milieu professionnel. À l’aide de l’analyse
des discours spécialisés, nous pouvons enseigner une grammaire « de sens » dans un
programme du FOS pour que les apprenants puissent interagir en contexte professionnel et
comprendre les documents en référence. Le but de cet article est d’examiner ses applications au
français sur objectif de l’art culinaire (FOAC) à partir des contenus d’un manuel spécialisé.
Après une présentation des points grammaticaux, nous proposerons quelques adaptations en
classe pour les apprenants taïwanais.

In the field of French for specific purpose (FOS in French), the integrative approach of
grammar present grammatical activities in connection with workplace. By means of specialized
discourse analysis, we could teach ‘‘grammar of the sense’’ in a FOS program. The aim of this
paper is to examine the applications of integrative grammar teaching for French for culinary
arts (FOAC in French) from a specialized textbook. After an overview of grammatical points,
we will suggest some in-class accomodations for Taiwanese students.

Mots-clés
Grammaire française, français sur objectif spécifique, français pour les arts culinaires.
French grammar, French for specific purpose, French for culinary arts.

1 Introduction
Une formation en français sur objectifs spécifiques (désormais FOS) s’adresse à un
public réuni autour d’un objectif professionnel ou académique précis, qu’il doit
atteindre dans une durée limitée. Ce public a besoin d’un programme d’enseignement
différent de celui qui se déroule dans un enseignement FLE généraliste. Le programme
devrait comprendre des composantes linguistiques et extralinguistiques recensées à

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partir des discours spécialisés. Parmi les premières, le lexique spécialisé occupe depuis
longtemps une place fondamentale. Celle de la grammaire reste plus marginale
(Mourlhon-Dallies, 2008 : 238-239). Le traitement grammatical en FOS est souvent
décontextualisé et ne tient pas compte de la spécificité de communication
professionnelle.
Cependant, on peut remarquer des particularités grammaticales dans les discours
spécialisés telles que les structures syntaxiques récurrentes, certaines composantes très
restreintes par rapport aux discours non spécialisés et ainsi de suite. La progression des
compétences grammaticales en FOS devrait être différente du rythme d’introduction des
notions grammaticales dans un programme FLE généraliste. Mangiante (2015 : 96-97)
propose ainsi une grammaire « du sens » en FOS, en relation avec la découverte de
l’analyse de discours spécialisés. Autrement dit, c’est une démarche intégrative de la
grammaire liée à l’enjeu de communication des situations ciblées.
En ce qui concerne le français sur objectif de l’art culinaire (désormais FOAC),
domaine dans lequel la connaissance du français est très importante et la contrainte
temporelle est souvent considérable, les notions grammaticales devraient être présentées
plus efficacement, en lien avec le contexte professionnel des apprenants. L’objectif de
cet article est de montrer comment on peut enseigner la grammaire en FOAC dans une
démarche intégrative. Est-il possible d’aborder le programme de FOAC à un niveau
débutant ? Nous allons essayer de répondre à cette question à l’aide de l’analyse des
contenus grammaticaux d’En cuisine !, un des premiers manuels de français de la
restauration et de la gastronomie.
Cet article s’appuie sur une application de la démarche intégrative au FOAC, un
domaine du FOS relativement récent. Dans un premier temps, nous allons présenter la
place de la grammaire en FOS et la situation générale du FOAC. Pourquoi et comment
appliquer une démarche intégrative dans un cours de FOS ? Quels sont les objectifs
d’apprentissage en FOAC ? Ensuite, afin d’élucider le lien entre les contenus
grammaticaux et le contexte professionnel, nous allons essayer d’examiner quelques
points grammaticaux du manuel En cuisine! et de faire un bref bilan. Nous allons
proposer enfin quelques adaptations en classe. Pour conclure, nous évoquerons quelques
pistes de réflexion pour améliorer l’enseignement de la grammaire en FOAC.

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2 Démarche intégrative de la grammaire en FOS et présentation du FOAC


2.1 Démarche intégrative de la grammaire en FOS
Dans l’évolution des formations linguistiques destinées à des publics spécifiques,
l’enseignement se focalise souvent sur le lexique spécialisé. Celui de la grammaire se
révèle moins évident. Dans la plupart des manuels en français de spécialité, « la
grammaire » est souvent l’occasion d’apprendre ou de réviser des éléments de français
général, détachés du contexte, au lieu des formes grammaticales récurrentes recensées
dans le domaine ou le métier ciblé. Il n’y a pas de lien avec un scénario de
communication professionnelle.
La compétence grammaticale est la capacité de comprendre et d’exprimer du sens.
Elle sert à bien communiquer avec son interlocuteur. Comme les activités
grammaticales sont indispensables dans l’enseignement / apprentissage du français, y
compris celui du FOS, il est préférable de les concevoir en lien avec l’analyse des
discours professionnels et en cohérence avec les besoins des apprenants.
Comment appliquer une démarche intégrative de la grammaire au FOS ? Mangiante
(2015) parle tout d’abord de trois approches de l’enseignement de la grammaire du
système éducatif en France : la grammaire de phrases, de textes et de discours1. On
commence par la troisième qui apparaît très importante dans la conception d’un
programme de FOS. Elle est « fondée sur l’analyse des discours authentiques et
contextualisés, collectés sur le terrain, tenant compte des différents paramètres de
l’énonciation repérables dans les tâches professionnelles » (Ibid. : 98). C’est une
pratique grammaticale conçue sur le sens et la pragmatique du métier. La seconde
définissant « les conditions de cohérence et de cohésion du texte » (Ibid.), a également
sa place dans un programme de FOS. Quant à la première, celle de la phrase qui est liée
« à la fonction des constituants ou des unités phrastiques », il est convenable de
l’inscrire dans une analyse de discours spécialisé et de la présenter « aux moments bien
précis et dans des proportions moindres » (Ibid. : 99).
Nous pouvons élucider la démarche ci-dessus à l’aide de l’exemple suivant, prélevé
d’une fiche pédagogique (Fiche 7- niveau B1) dans l’ouvrage de Carras et al. (2007 :
106-117). Elle permet de travailler sur les deux compétences : compétence langagière
mais aussi compétence technique professionnelle (pour les futurs sommeliers). Tout
d’abord, elle présente un document spécialisé intitulé « Accords des mets et des vins :

1
Citées d’un article de Vargas (2009).

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les grands principes », rédigé à partir des différents ouvrages. Ensuite, elle propose
quatre activités pédagogiques à l’écrit et à l’oral. À l’aide du document précédent et
d’une liste de formules que l’on emploie habituellement en milieu professionnel, les
apprenants pourraient travailler « en situation » un point grammatical tel que l’article
devant les noms de vins comme le suivant (p. 111) :

Extrait de l’Activité 1-C.


Dans ces phrases, échangées au restaurant entre un serveur et ses clients, il manque les articles.
Retrouvez-les2.
1. Avec une quiche lorraine, ____ blanc sec, comme ____ Sylvaner, convient très bien.
2. En rosé, nous avons ____ Beaujolais ou ____ rosé d’Anjou.

Par conséquent, le point grammatical est inséré et contextualisé dans le traitement


pédagogique du document précédent. Au sein d’une séquence didactique en FOS, la
place de la grammaire pourrait être mise en relation avec l’analyse des discours
professionnels et s’attacher au reste des activités pédagogiques proposées aux
apprenants.
2.2 Présentation du FOAC
Les apprenants en FOAC ont un objectif d’apprentissage précis, la maîtrise d’une
gamme de compétences linguistiques en lien étroit avec les techniques culinaires et le
travail en groupe du secteur de la restauration. Dans une cuisine professionnelle,
l’organisation du personnel est hiérarchique. Certaines structures grammaticales sont
très fréquentes telles que l’impératif et pronom complément, l’interrogation et la
réponse, l’infinitif et ainsi de suite. C’est un travail en groupe. Les interactions orales
sont particulièrement importantes. En considération de la durée limitée de
l’apprentissage, l’acquisition de compétences orales est prioritaire dans un premier
temps. Nous pouvons dégager les activités communicatives dans une cuisine
professionnelle comme le suivant :

Réception / compréhension orale Ordres de la préparation culinaire


Réception écrite Feuille de marché, fiche technique de
fabrication3, etc.

2
Corrigés : 1. un-un. 2. du-du.
3
C’est un document professionnel de base. En général, elle contient deux parties : les ingrédients et la
préparation culinaire.

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Production / expression orale Demande d’une précision ou d’une


explication
Interaction orale Echange avec d’autres cuisiniers (sous forme
de questions-réponses, d’impératif, etc.)
Tableau 1 : Les activités communicatives dans une cuisine professionnelle4

Concernant les niveaux de compétence, les communications dans la cuisine


professionnelle se situent entre A2 (intermédiaire ou de survie) et B1 (niveau seuil). Il
faut noter que l’examen du Certificat de français du tourisme, de l’hôtellerie et de la
restauration est positionné au B1 (Mourlhon-Dallies, 2007 : 307-310).
Il est tout à fait possible de prévoir une formation en FOAC pour les débutants.
Dans le secteur de la restauration, la situation sur le plan du langage est considérée
comme moins exigeante par rapport aux autres domaines académiques. Les cuisiniers
ont certes besoin de maîtriser la langue pour faire face aux échanges professionnels,
mais ils ont aussi et surtout à agir dans les réalisations culinaires.
Le FOAC est relativement neuf pour la didactique du FOS dans la mesure où les
manuels spécialisés précédents n’abordaient pas ce type d’activité. En réalité, les
publications existantes sur le marché, les soi-disant méthodes « de la table / gastronomie
française », ne sont pas rares. Mais elles sont plutôt destinées aux amateurs de la cuisine
française, non pas pour les professionnels de la restauration.
En raison de l’expansion de la mobilité internationale des professionnels et
étudiants, les demandes de formation linguistique dans le secteur de la cuisine française
sont de plus en plus nombreuses. Un manuel spécialisé de la restauration et de la
gastronomie pour le débutant (A1-A2) En cuisine ! est sortie en 2014 chez CLE
international5. Il est né d’un projet en FOS lancé à l’Alliance Française de Lima en 2011
et conçu dans le but de répondre aux besoins des apprenants futurs cuisiniers
professionnels.
Quelle place accordée à la grammaire dans ce manuel ? Comment les activités
grammaticales sont conçues tout au long de la formation ? Suivent-elles une démarche
intégrative ? Afin de répondre à ces questions, nous allons essayer de présenter et
d’analyser les contenus grammaticaux d’En cuisine ! dans la partie suivante.

4
À partir des descriptions de Rosen & Reinhardt (2010 : 46).
5
Cholvy, 2014 (CLE International). Le niveau intermédiaire En cuisine et en salle (B1-B2) est sorti en
2015, destiné à un public plus élargi.

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3 Démarche grammaticale d’En cuisine !


3.1 Contenus grammaticaux et objectifs professionnels
En cuisine ! est divisé en 10 unités construites autour de thèmes fondamentaux et
d’objectifs professionnels à atteindre dans le secteur de la restauration. Elles se
composent chacune de cinq parties : 3 leçons courtes (3 pages) qui présentent des outils
linguistiques, une page « Zoom sur... » qui se concentre sur des produits alimentaires en
relation avec le thème de l’unité, une double page « En cuisine » qui comprend des
fiches de fabrication de la cuisine française et des projets à mener en commun et en
autonomie par les apprenants à l’aide de l’ensemble des outils linguistiques et des
compétences langagières précédemment travaillées, une double page toutes les deux
unités « Culture gastronomique » qui fait découvrir aux apprenants les spécialités
culinaires françaises et une page « Bilan » qui permet à l’apprenant de faire le point sur
les acquis. Il n’y a pas de dialogue « déclencheur » comme dans la plupart des manuels
de FLE. D’une manière générale, les leçons débutent presque toujours par l’introduction
d’une liste illustrée de lexique spécialisé lié à la thématique de l’unité.
Les points grammaticaux sont montrés en encadrés d’une manière précise et
compacte. Un ou deux exercices d’application sont proposés. Les contenus abordés
correspondent grosso modo à ceux d’un manuel FLE généraliste en A1 / A2, mais selon
une progression adaptée aux besoins langagiers immédiats et aux objectifs
professionnels des apprenants. Nous ne présentons que les unités dont les points
grammaticaux seront analysés dans les sections suivantes :

Titre de Points grammaticaux Objectifs professionnels


l’unité
Unité 1 : Tu et vous Saluer, prendre congé
Bienvenue ! Les pronoms personnels Compter
sujets Identifier le personnel de la brigade de
Le verbe s’appeler cuisine
Les verbes être et avoir Se présenter
Les articles définis et Découvrir les légumes
indéfinis Compléter une feuille de marché
Unité 2 : L’article contracté Situer dans l’espace
Cuisine et L’article partitif Se repérer dans un restaurant
restaurant Les verbes aller et prendre Se repérer dans la cuisine
Le présent de l’indicatif des Découvrir les équipements
verbes en –er et –yer Connaître les repas quotidiens
Le présentatif Comprendre un planning
Unité 3 : L’interrogation Connaître les parties du corps

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Dans les L’adjectif possessif Interroger


règles L’adjectif démonstratif Parler de la tenue professionnelle
L’impératif Comprendre et respecter des règles
Le verbe pouvoir Comprendre et donner un ordre
Le présent de l’indicatif des Découvrir les fruits
verbes en –ir et -re
Unité 6 : Le verbe cuire Découvrir le matériel de cuisson
Aux L’infinitif et impératif Maîtriser les cuissons
fourneaux ! négatif Comprendre les caractéristiques
Interroger et répondre techniques d’un appareil
Le comparatif Comprendre et suivre une fiche
Exprimer de la durée technique de fabrication
Unité 10 : Le conditionnel Comprendre et composer une carte
À la carte L’impératif et le pronom Comprendre des notions de diététique
complément Exprimer le temps
Communiquer avec la brigade de
restaurant
Passer une commander à un fournisseur
Tableau 2 : Points grammaticaux et objectifs professionnels d’En cuisine !

Afin d’examiner le lien entre les points grammaticaux et leurs traitements


pédagogiques dans En cuisine !, nous allons analyser les présentations des points
fondamentaux suivants : les pronoms personnels sujets et les verbes « être » et « avoir »
(unité 1), les articles (unités 1 et 2), l’impératif (U 3/6/10) ainsi que l’infinitif (U 6). Ils
sont marqués en gras dans le tableau 2.
3.2 Les pronoms personnels sujets et les verbes « être » et « avoir »
La première unité commence par les salutations et les présentations (noms,
nationalité, profession, etc.) comme dans la plupart de programmes en FLE généraliste.
Mais elles sont intégrées dans le cadre des activités professionnelles. Les salutations se
déroulent entre collègues et les présentations sur soi et sur les autres se développent
autour du métier de la restauration (« les différentes fonctions de la brigade », p. 9).
Le premier point grammatical abordé est la distinction entre le tutoiement et le
vouvoiement en fonction des relations formelles / informelles, au lieu de celle entre je et
tu / vous. Les conjugaisons au présent de l’indicatif des verbes « être » et « avoir », les
plus utilisés en français, sont présentées ensemble avec les neuf pronoms personnels
sujets6 (leçon 3 « Présentations » de l’unité 1, p. 10). Les exercices proposés sont liés à
la description d’une fiche de renseignement professionnelle. Avec le verbe « être » et les

6
Je, tu, il / elle / on, nous, vous, ils / elles.

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pronoms personnels sujets, les apprenants peuvent exprimer la nationalité, les diverses
fonctions en cuisine, etc. Avec le verbe « avoir », ils parlent de leur âge, leurs situations
familiales, etc. Ces activités grammaticales facilitent surtout l’interaction en contexte
professionnel.
3.3 Les articles définis, indéfinis, contractés et partitifs
Le champ professionnel de la cuisine se caractérise par un lexique de spécialité
abondant, classé en trois catégories : les ingrédients, les ustensiles et les techniques.
Chaque catégorie peut comprendre plusieurs sous-catégories. Les deux premières sont
constituées quasi exclusivement de noms.
Les noms communs français sont presque toujours précédés d’un article qui indique
le genre masculin / féminin et le nombre singulier / pluriel. En considération de
l’importance de lexique spécialisé en cuisine, les articles définis / indéfinis sont
présentés en encadré dans le « Zoom sur... » de la première unité d’En cuisine ! (trois
formes des articles indéfinis et quatre des articles définis, p. 11), à la suite d’une liste
des noms de légumes ordinaires (par exemple, le concombre, la courgette, l’artichaut et
les petits pois). Un exercice qui associe un travail de discrimination auditive (des paires
le / l’, le / les et les / des) à un travail sur l’emploi des déterminants pour les légumes,
est proposé à côté.
Les articles contractés sont utilisés pour la découverte de l’environnement
professionnel dans la leçon 1 de l’unité 2. Les formes non décontractées (à la / à l’ / de
la / de l’) sont présentées dans l’exercice. Notons qu’ils sont aussi très fréquents dans
les menus de restaurant et les fiches de cuisine. La maîtrise des articles partitifs,
présentés dans la leçon 2 « Les repas » de l’unité 2 (p. 17), est primordiale dans le
domaine de la restauration. Il est employé avec des noms non comptables, devant une
quantité massive ou des produits alimentaires ne pouvant être dénombrés
singulièrement (par exemple, de la farine, de l’huile, du jus d’orange, des céréales, etc.).
Un exercice sur divers aliments est présenté.
3.4 L’impératif et l’infinitif
Dans la cuisine professionnelle, la brigade peut s’apparenter à une organisation
militaire. Tout est hiérarchisé, en particulier dans les grands restaurants étoilés. Il faut
donc comprendre et suivre des ordres de son supérieur ou donner des ordres à ses
commis. Par ailleurs, les consignes (sous forme orale, écrite ou iconique) et les
règlements y sont omniprésents. En conséquence, le mode impératif est particulièrement
fréquent dans le milieu de la restauration.

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Le mode impératif est utilisé pour communiquer avec une ou plusieurs personnes.
Il donne un conseil, un ordre, une interdiction, une demande ou un souhait en fonction
du contexte. Trois emplois de l’impératif sont répartis dans la leçon 3 « Suivez les
consignes » de l’unité 3 (l’impératif), la leçon 2 « Les cuissons » de l’unité 6
(l’impératif négatif) et la leçon 3 « Dans les temps » de l’unité 10 (l’impératif et le
pronom complément) selon la complexité de la structure. Dans l’unité 3 (p. 28), on
présente les conjugaisons de l’impératif ainsi que les règles de base (pas de pronom
personnel sujet et seulement 3 personnes), accompagnées d’un exercice de
compréhension orale. La forme négative se trouve dans l’unité 6.
Dans les échanges en cuisine, l’impératif et le pronom complément sont très
souvent associés 7 . Ils sont présentés dans la dernière unité (p. 90). L’infinitif et
l’impératif sont très employés dans les documents de préparations culinaires (fiches
techniques de fabrication, fiches de cuisine, recettes, etc.). En règle générale, une fiche
de fabrication se compose de deux parties, l’une concernant les ingrédients et l’autre les
techniques de réalisation. Dans la deuxième partie, les instructions à suivre sont
généralement rédigées à l’infinitif. Par contre, l’emploi de l’impératif se trouve plutôt
dans les documents informels tels qu’un livre de recettes familiales. L’infinitif est
présenté dans la leçon 2 « Les cuissons » de l’unité 6 (p. 53) à côté de l’impératif
négatif.

Bilan
À partir de nos analyses précédentes sur les points grammaticaux d’En cuisine !, ils
sont traités en relation avec l’analyse de discours professionnel de la restauration. Ils
sont abordés comme ce que l’on a cité précédemment « en partant du discours pour aller
vers la phrase » (Mangiante, Ibid. : 99). À partir du repérage et de l’analyse de
macrostructure de discours en lien avec les situations de communication et le contexte
professionnel, nous pouvons dégager ses particularités grammaticales et concevoir par
conséquent les activités pédagogiques qui favoriseraient la pratique professionnelle.
Dans la partie suivante, nous souhaitons proposer quelques adaptations en classe
pour l’enseignement de la grammaire.

7
Un exemple issu de la transcription de l’enregistrement (p. 112, Leçon 3, activité 5, soulignés par
l’auteur) :
Conversation 2 :
Commis : Chef, je réclame une salade de crevettes au gingembre pour la table 4.
Chef : Demande-la au garde-manger !

213

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4. Les adaptations en classe pour les apprenants sinophones à Taïwan


Nous avons adopté En cuisine ! pour une classe de FOAC8 depuis septembre 2015.
En ce qui concerne les contenus grammaticaux, il est nécessaire de procéder à certaines
adaptations pour les apprenants sinophones taïwanais.
En cuisine ! est né d’un projet en FOS destiné aux apprenants hispanophones au
Pérou. Leur langue maternelle est proche du français. La plupart des notions
grammaticales sont communes entre ces deux langues. La distance linguistique entre
langue source et langue cible joue un rôle important en didactique des langues (Robert,
2009 : 37). Par rapport aux autres langues romanes (l’espagnol, l’italien, etc.), le chinois
est considéré comme une langue très éloignée du français. La langue française est dotée
des structures morphologiques et syntaxiques assez lourdes, tandis que le chinois
mandarin est une langue aux formes invariables. Enseigner le français sans la moindre
référence à la grammaire, en d’autres termes les règles morphologiques et syntaxiques,
semble peu vraisemblable (Vigner, 2004 : 9). Pour apprendre le français, un apprenant
sinophone devrait se familiariser avec une écriture phonétique et des notions
grammaticales qui n’existent pas dans sa langue maternelle et scolaire. Les points
grammaticaux constituent une des principales difficultés d’apprentissage pour les
apprenants sinophones taiwanais9.
Robert (Ibid. : 150) propose ainsi quelques adaptations en FLE pour un public de
langues éloignées :
« -ne pas mésestimer les difficultés linguistiques et s’appuyer sur les stratégies d’acquisition de
ce public ;
- privilégier une approche progressive ;
- donner les informations grammaticales dont les apprenants ont besoin, ce qui suppose un
recours à la grammaire explicite. »

Elles sont aussi valables en FOS. D’après notre expérience passée, les apprenants
ont besoin d’une explication explicite et détaillée en langue source (le chinois
mandarin) pour les points grammaticaux. Cela ralentit forcément la progression du
cours. En réalité, ils ont déjà appris l’anglais, la première langue étrangère à Taïwan,

8
Il s’agit d’un cours intitulé « Français de l’art culinaire » à l’Université nationale d’hôtellerie et de
tourisme de Kaohsiung, deux heures par semaine de septembre 2015 à juin 2016, avec 15 étudiants en
quatrième année.

214

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mais il n’appartient pas non plus à la même famille linguistique que le français. Les
notions grammaticales ne sont pas communes. Afin d’améliorer leur compréhension,
une autre possibilité est de sensibiliser les apprenants aux différences grammaticales
entre leur langue maternelle et le français.
En outre, une fiche cuisine complète, accompagnée d’un projet à mener en groupe
dès la première unité, nous paraît irréalisable dans cette phase d’apprentissage pour les
apprenants sinophones taïwanais. Le même problème concerne la double page « Culture
gastronomique ». Les contenus sont intéressants et bien développés. Mais à part le texte
explicatif sous la photo, les autres textes et les activités proposées sont encore trop
difficiles par manque d’une compétence grammaticale suffisante. Il convient de les
remettre à plus tard.

5 Perspectives conclusives
La connaissance grammaticale est incontournable pour apprendre à bien
communiquer. L’enseignement / apprentissage de la grammaire en FOAC devrait en
plus répondre à la logique d’exercice de la profession. Les points grammaticaux d’En
cuisine ! sont présentés en fonction des besoins communicatifs professionnels dans une
démarche intégrative liée au métier de la restauration. Elle permettrait aux apprenants
de maîtriser simultanément les règles d’usage et celles d’emploi dans une cuisine
professionnelle.
À l’heure actuelle, les cours de français sont systématiquement présentés dans la
plupart des établissements scolaires de l’hôtellerie-restauration-tourisme à Taïwan. De
plus en plus d’étudiants et de professionnels du secteur de la gastronomie souhaitent
parfaire leurs techniques culinaires et approfondir leur connaissance gastronomique en
France. Les demandes de formation linguistique ne cessent de croître. Il convient de
proposer un programme en FOAC qui a pour but d’aider dès le niveau débutant les
étudiants-futurs professionnels de l’art culinaire français à maîtriser une gamme de
compétences langagières en relation étroite avec les pratiques professionnelles. Cela
aurait des effets très positifs pour ce public, si l’on tient compte de la distance
linguistique entre langue source des apprenants et langue française en ajustant les
manières d’enseigner.

9
Tsai (2012).

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Références
Carras C. et al. (2007). Le français sur objectif spécifiques et la classe de langue. Paris :
CLE International.
Mangiante J.-M. (2015). Une démarche de référentialisation en français des professions.
In Goes J. & Sfar I. (éds), Le français dans le monde. Recherches et applications
57. Paris : CLE International, 96-107.
Mourlhon-Dallies F. (2008). Enseigner une langue à des fins professionnelles. Paris :
Didier.
Robert J.-M. (2009). Manières d’apprendre. Pour des stratégies d’apprentissage
différenciées. Paris : Hachette Livre.
Rosen E. & Reinhardt C. (2010). Le point sur le Cadre européen commun de référence
pour les langues. Paris : CLE International.
Tsai C.-W. (2012). (Publication en chinois) French for specific purposes : learning
needs and teaching materials for students in Western Culinary Arts. Foreign
Language Studies (16), 73-94.
Vargas C. (2009). Peut-on inventer une grammaire pour la réussite scolaire ?. In
Brissaud C. & Grossmann F. (dir.), Repères 39, 17-39.
Vigner G. (2004). La grammaire en FLE. Paris : Hachette Livre.

Méthodes
En cuisine. Cholvy J. (2014). Paris : CLE International.
En cuisine et en salle. Bencini V. et al. (2015). Paris : CLE International.

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