Texte Entrainement n2 Koyre

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FAIRE CROIRE

SUJET DE RÉSUMÉ DE TYPE CCINP


Koyré, Réflexions sur le mensonge, 1943.

Contractez le texte suivant en 100 mots ± 10 %.

On n’a jamais menti autant que de nos jours. Ni menti d’une manière aussi éhontée, systématique et
constante.
On nous dira peut-être qu’il n’en est rien, que le mensonge est aussi vieux que le monde, ou, du moins,
que l’homme, mendax ab initio ; que le mensonge politique est né avec la cité même, ainsi que,
surabondamment, nous l’enseigne l’histoire ; enfin, sans remonter le cours des âges, que le bourrage de
crâne de la Première Guerre mondiale et le mensonge électoral de l’époque qui l’a suivie ont atteint des
niveaux et établi des records qu’il sera bien difficile de dépasser.
Tout cela est vrai, sans doute. Ou presque. Il est certain que l’homme se définit par la parole, que
celle-ci entraîne la possibilité du mensonge et que – n’en déplaise à Porphyre – le mentir, beaucoup plus que
le rire, est le propre de l’homme. Il est certain également que le mensonge politique est de tous temps, que
les règles et la technique de ce que jadis on appelait « démagogie » et de nos jours « propagande » ont été
systématisées et codifiées il y a des milliers d’années ; et que les produits de ces techniques, la propagande
des empires oubliés et tombés en poussière nous parlent, aujourd’hui encore, du haut des murs de Karnak et
des rochers d’Ankara.
Il est incontestable que l’homme a toujours menti. Menti à lui-même. Et aux autres. Menti pour son
plaisir – le plaisir d’exercer cette faculté étonnante de « dire ce qui n’est pas » et de créer, par sa parole, un
monde dont il est seul responsable et auteur. Menti aussi pour sa défense : le mensonge est une arme.
L’arme préférée de l’inférieur et du faible qui, en trompant l’adversaire s’affirme et se venge de lui.
Mais nous n’allons pas procéder ici à l’analyse phénoménologique du mensonge, à l’étude de la place
qu’il occupe dans la structure de l’être humaine : ceci remplirait un volume. C’est au mensonge moderne, et
même plus étroitement, au mensonge politique moderne surtout, que nous voudrions consacrer quelques
réflexions. Car, malgré les critiques que l’on nous fera, et celles que nous nous faisons à nous-mêmes [ sic],
nous restons convaincu que, dans ce domaine, quo nihil antiquius, l’époque actuelle, ou plus exactement les
régimes totalitaires, ont puissamment innové.
[…]

On n’a jamais menti autant… en effet, jour par jour, heure par heure, minute par minute, des flots de
mensonges se déversent sur le monde. La parole, l’écrit, le journal, la radio… tout le progrès technique est
mis au service du mensonge. L’homme moderne – là encore, c’est à l’homme totalitaire que nous pensons –
baigne dans le mensonge, respire le mensonge, est soumis au mensonge à tous les instants de sa vie.
Quant à la qualité – nous voulons parler de la qualité intellectuelle – du mensonge moderne, elle a
évolué en sens inverse de son volume. Cela se comprend, du reste. Le mensonge moderne – c’est là sa
qualité distinctive – est fabriqué en masse et s’adresse à la masse. Or, toute production de masse, toute
production – toute production intellectuelle surtout – destinée à la masse, est obligée d’abaisser ses
standards. Aussi, si rien n’est plus raffiné que la technique de la propagande moderne, rien n’est plus
grossier que le contenu de ses assertions, qui révèlent un mépris absolu et total de la vérité. Et même de la
simple vraisemblance. Mépris qui n’est égalé que par celui – qu’il implique – des facultés mentales de ceux
à qui elle s’adresse.

On pourrait même se demander – et l’on s’est demandé effectivement – si l’on avait encore le droit de
parler ici de « mensonge ». En effet, la notion de « mensonge » présuppose celle de la véracité, dont elle est
l’opposé et la négation, de même que la notion du faux présuppose celle du vrai. Or, les philosophies
officielles des régimes totalitaires proclament unanimement que la conception de la vérité objective, une
pour tous, n’a aucun sens ; et que le critère de la « Vérité » n’est pas sa valeur universelle, mais sa
conformité à l’esprit de la race, de la nation ou de la classe, son utilité raciale, nationale ou sociale.
Prolongeant et poussant jusqu’au bout les théories biologistes, pragmatistes, activistes, de la vérité, et
consommant ainsi ce que l’on a très bien nommé « la trahison des clercs », les philosophies officielles des
régimes totalitaires nient la valeur propre de la pensée qui, pour eux, n’est pas une lumière, mais une arme ;
son but, sa fonction, nous disent-ils, n’est pas de nous révéler le réel, c’est-à-dire, ce qui est, mais de nous
aider à le modifier, à le transformer en nous guidant vers ce qui n’est pas. Or, pour cela, ainsi qu’on l’a
reconnu depuis bien longtemps, le mythe est souvent préférable à la science, et la rhétorique qui s’adresse
aux passions, à la démonstration qui s’adresse à l’intelligence.
Aussi dans leurs publications (même dans celles qui se disent scientifiques), dans leurs discours et,
bien entendu, dans leur propagande, les représentants des régimes totalitaires s’embarrassent-ils très peu de
la vérité objective. Plus forts que Dieu tout puissant [sic] lui-même, ils transforment à leur guise le présent,
et même le passé. On pourrait en conclure – et on l’a fait parfois – que les régimes totalitaires sont au-delà
de la vérité et du mensonge.
Nous croyons, pour notre part, qu’il n’en est rien. La distinction entre la vérité et le mensonge,
l’imaginaire et le réel, reste bien valable à l’intérieur même des conceptions et des régimes totalitaires. C’est
leur place et leur rôle seulement qui sont, en quelque sorte, intervertis : les régimes totalitaires sont fondés
sur la primauté du mensonge.

Alexandre Koyré, Réflexions sur le mensonge (1943), Allia, Paris, 2016, p. 7-13.
Corrigé en 110 mots :
Notre époque est celle du mensonge cynique et généralisé. Car si mentir est inhérent à la politique et à
l’homo loquens, qui aime s’illusionner et tromper, le mensonge totalitaire nous paraît inédit. Omniprésent
grâce aux avancées techniques, il est massivement diffusé par une propagande aussi subtile que triviale / 50,
dédaignant objectivité et intelligence.
Mais est-ce encore un « mensonge » quand toute vérité autre qu’idéologique est niée et la pensée réduite
à un pragmatisme évidemment mieux soutenu par le muthos que par le logos ? Remaniant présent et passé
au mépris des faits, les totalitarismes ne transcendent pas le vrai / 100 et le faux : le mensonge y prévaut sur la
vérité.

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