Non-pouvoirs de La Parole Dans Les Fables

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Les (non-)pouvoirs de la parole


dans les Fables LA FONTAINE

Table des matières


I, 10 - LE LOUP ET L'AGNEAU .................................................................................................... 1
IV, 7 - LE SINGE ET LE DAUPHIN ............................................................................................... 2
VIII, 3 - LE LION, LE LOUP, ET LE RENARD ................................................................................ 3
IX, 18 - LE MILAN ET LE ROSSIGNOL ......................................................................................... 4
X, 1 - L'HOMME ET LA COULEUVRE .......................................................................................... 4

I, 10 - LE LOUP ET L'AGNEAU

La raison du plus fort est toujours la meilleure ;


Nous l'allons montrer tout à l'heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage ;
Tu seras châtié de ta témérité.
ô Sire, répond l'Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
A Plus de vingt pas au-dessous d'Elle,
Et que par conséquent en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
- Comment l'aurais-je fait, si je n'étais pas né ?
Reprit l'Agneau ; je tette encore ma mère.
- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
- Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens :
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos Bergers, et vos Chiens.
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On me l'a dit : il faut que je me venge.


Là-dessus au fond des forêts
Le Loup l'emporte, et puis le mange
Sans autre forme de procès.

IV, 7 - LE SINGE ET LE DAUPHIN

[Ésope]
C'était chez les Grecs un usage
Que sur la mer tous voyageurs
Menaient avec eux en voyage
Singes et chiens de bateleurs.
Un navire en cet équipage
Non loin d'Athènes fit naufrage.
Sans les dauphins tout eût péri.
Cet animal est fort ami
De notre espèce : en son histoire
Pline le dit ; il le faut croire.
Il sauva donc tout ce qu'il put.
Même un Singe en cette occurrence,
Profitant de la ressemblance,
Lui pensa devoir son salut :
Un Dauphin le prit pour un homme,
Et sur son dos le fit asseoir
Si gravement qu'on eût cru voir
Ce chanteur que tant on renomme.
Le Dauphin l'allait mettre à bord,
Quand, par hasard, il lui demande :
« Êtes-vous d'Athènes la grande ?
- Oui, dit l'autre ; on m'y connaît fort :
S'il vous y survient quelque affaire,
Employez-moi ; car mes parents
Y tiennent tous les premiers rangs :
Un mien cousin est juge maire.»
Le Dauphin dit : « Bien grand merci ;
Et Le Pirée a part aussi
A l'honneur de votre présence ?
Vous le voyez souvent, je pense ?
- Tous les jours : il est mon ami ;
C'est une vieille connaissance.»
Notre magot prit, pour ce coup,
Le nom d'un port pour un nom d'homme.
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De telles gens il est beaucoup


Qui prendraient Vaugirard pour Rome,
Et qui, caquetant au plus dru,
Parlent de tout, et n'ont rien vu.
Le Dauphin rit, tourne la tête,
Et le magot considéré,
Il s'aperçoit qu'il n'a tiré
Du fond des eaux rien qu'une bête.
Il l'y replonge, et va trouver
Quelque homme afin de le sauver.

VIII, 3 - LE LION, LE LOUP, ET LE RENARD

Un Lion décrépit, goutteux, n'en pouvant plus,


Voulait que l'on trouvât remède à la vieillesse :
Alléguer l'impossible aux Rois, c'est un abus.
Celui-ci parmi chaque espèce
Manda des Médecins ; il en est de tous arts :
Médecins au Lion viennent de toutes parts ;
De tous côtés lui vient des donneurs de recettes.
Dans les visites qui sont faites,
Le Renard se dispense, et se tient clos et coi.
Le Loup en fait sa cour, daube au coucher du Roi
Son camarade absent ; le Prince tout à l'heure
Veut qu'on aille enfumer Renard dans sa demeure,
Qu'on le fasse venir. Il vient, est présenté;
Et, sachant que le Loup lui faisait cette affaire :
Je crains, Sire, dit-il, qu'un rapport peu sincère,
Ne m'ait à mépris imputé
D'avoir différé cet hommage ;
Mais j'étais en pèlerinage ;
Et m'acquittais d'un voeu fait pour votre santé.
Même j'ai vu dans mon voyage
Gens experts et savants ; leur ai dit la langueur
Dont Votre Majesté craint à bon droit la suite :
Vous ne manquez que de chaleur ;
Le long âge en vous l'a détruite :
D'un Loup écorché vif appliquez-vous la peau
Toute chaude et toute fumante ;
Le secret sans doute en est beau
Pour la nature défaillante.
Messire Loup vous servira,
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S'il vous plaît, de robe de chambre.


Le Roi goûte cet avis-là: On écorche, on taille, on démembre
Messire Loup. Le Monarque en soupa, Et de sa peau s'enveloppa;
Messieurs les courtisans, cessez de vous détruire :
Faites si vous pouvez votre cour sans vous nuire.
Le mal se rend chez vous au quadruple du bien.
Les daubeurs ont leur tour, d'une ou d'autre manière :
Vous êtes dans une carrière. Où l'on ne se pardonne rien.

IX, 18 - LE MILAN ET LE ROSSIGNOL

Après que le Milan, manifeste voleur,


Eut répandu l'alarme en tout le voisinage,
Et fait crier sur lui les enfants du village,
Un Rossignol tomba dans ses mains, par malheur.
Le héraut du printemps lui demande la vie.
Aussi bien que manger en qui n'a que le son ?
Écoutez plutôt ma chanson ;
Je vous raconterai Térée et son envie.
Qui, Térée ? Est-ce un mets propre pour les Milans ?
Non pas, c'était un Roi dont les feux violents
Me firent ressentir leur ardeur criminelle :
Je m'en vais vous en dire une chanson si belle
Qu'elle vous ravira: mon chant plaît à chacun.
Le Milan alors lui réplique :
Vraiment, nous voici bien : lorsque je suis à jeun,
Tu me viens parler de musique
J'en parle bien aux Rois. Quand un Roi te prendra,
Tu peux lui conter ces merveilles.
Pour un Milan, il s'en rira:
Ventre affamé n'a point d'oreilles.

X, 1 - L'HOMME ET LA COULEUVRE

Un Homme vit une Couleuvre.


Ah ! méchante, dit-il, je m'en vais faire une oeuvre
Agréable à tout l'univers.
A ces mots, l'animal pervers
(C'est le Serpent que je veux dire,
Et non l'Homme, on pourrait aisément s'y tromper),
A ces mots, le Serpent, se laissant attraper,
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Est pris, mis en un sac, et, ce qui fut le pire,


On résolut sa mort, fût-il coupable ou non.
Afin de le payer toutefois de raison,
L'autre lui fit cette harangue :
Symbole des ingrats, être bon aux méchants
C'est être sot, meurs donc: ta colère et tes dents
Ne me nuiront jamais. Le Serpent en sa langue
Reprit du mieux qu'il put : S'il fallait condamner
Tous les ingrats qui sont au monde,
A qui pourrait-on pardonner ?
Toi-même tu te fais ton procès. Je me fonde
Sur tes propres leçons ; jette les yeux sur toi.
Mes jours sont en tes mains, tranche-les : ta justice
C'est ton utilité, ton plaisir, ton caprice ;
Selon ces lois condamne-moi ;
Mais trouve bon qu'avec franchise
En mourant au moins je te dise
Que le symbole des ingrats
Ce n'est point le serpent, c'est l'homme. Ces paroles
Firent arrêter l'autre ; il recula d'un pas.
Enfin il repartit : Tes raisons sont frivoles :
Je pourrais décider ; car ce droit m'appartient ;
Mais rapportons-nous-en. Soit fait, dit le Reptile.
Une Vache était là, l'on l'appelle, elle vient,
Le cas est proposé; c'était chose facile :
Fallait-il pour cela, dit-elle, m'appeler ?
La Couleuvre a raison ; pourquoi dissimuler ?
Je nourris celui-ci depuis longues années ;
Il n'a sans mes bienfaits passé nulles journées ;
Tout n'est que pour lui seul; mon lait et mes enfants
Le font à la maison revenir les mains pleines ;
Même j'ai rétabli sa santé, que les ans
Avaient altérée, et mes peines
Ont pour but son plaisir ainsi que son besoin.
Enfin me voilà vieille ; il me laisse en un coin
Sans herbe ; s'il voulait encore me laisser paître !
Mais je suis attachée, et si j'eusse eu pour maître
Un serpent, eût-il su jamais pousser si loin
L'ingratitude ? Adieu : j'ai dit ce que je pense.
L'Homme tout étonné d'une telle sentence
Dit au Serpent : Faut-il croire ce qu'elle dit ?
C'est une radoteuse, elle a perdu l'esprit.
Croyons ce Boeuf. Croyons, dit la rampante bête.
Ainsi dit, ainsi fait. Le Boeuf vient à pas lents.
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Quand il eut ruminé tout le cas en sa tête,


Il dit que du labeur des ans
Pour nous seuls il portait les soins les plus pesants,
Parcourant sans cesser ce long cercle de peines
Qui revenant sur soi ramenait dans nos plaines
Ce que Cérès nous donne, et vend aux animaux.
Que cette suite de travaux
Pour récompense avait, de tous tant que nous sommes,
Force coups, peu de gré; puis, quand il était vieux,
On croyait l'honorer chaque fois que les hommes
Achetaient de son sang l'indulgence des Dieux.
Ainsi parla le Boeuf. L'Homme dit : Faisons taire
Cet ennuyeux déclamateur ;
Il cherche de grands mots, et vient ici se faire,
Au lieu d'arbitre, accusateur.
Je le récuse aussi. L'arbre étant pris pour juge,
Ce fut bien pis encore. Il servait de refuge
Contre le chaud, la pluie, et la fureur des vents ;
Pour nous seuls il ornait les jardins et les champs.
L'ombrage n'était pas le seul bien qu'il sût faire ;
Il courbait sous les fruits ; cependant pour salaire
Un rustre l'abattait, c'était là son loyer ;
Quoique pendant tout l'an libéral il nous donne
Ou des fleurs au printemps ; ou du fruit en automne ;
L'ombre, l'été; l'hiver, les plaisirs du foyer.
Que ne l'émondait-on sans prendre la cognée ?
De son tempérament il eût encore vécu.
L'Homme trouvant mauvais que l'on l'eût convaincu,
Voulut à toute force avoir cause gagnée.
Je suis bien bon, dit-il, d'écouter ces gens-là.
Du sac et du Serpent aussitôt il donna
Contre les murs, tant qu'il tua la bête.
On en use ainsi chez les grands.
La raison les offense : ils se mettent en tête
Que tout est né pour eux, quadrupèdes, et gens,
Et serpents.
Si quelqu'un desserre les dents,
C'est un sot. J'en conviens. Mais que faut-il donc faire ?
Parler de loin ; ou bien se taire.

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