9782072858901
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2020
Le
Mariage
de
Figaro PARCOURS
: LA
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DU
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L
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1778
DO
SS
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PA
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SO
PH
IE D
OUDET
BEAUMARCHAIS
Le Mariage
de Figaro
DOSSIER DE
SOPHIE DOUDET
LYCÉE
Sophie Doudet est agrégée de lettres modernes.
Le Mariage de Figaro 9
Préface 13
Acte I 47
Acte II 78
Acte III 124
Analyse : extrait de la scène 5 133
Commentaire : extrait de la scène 16 160
Acte IV 171
Acte V 197
Analyse : le monologue de Figaro, scène 3 204
Dossier 239
5. LA GRAMMAIRE 267
1. Les propositions subordonnées conjonctives
circonstancielles 267
1. Construire la connaissance grammaticale 267
2. La grammaire pour lire 269
3. La grammaire pour s’exprimer 269
2. L’interrogation 270
1. Construire la connaissance grammaticale 270
2. La grammaire pour lire 271
3. La grammaire pour s’exprimer 271
3. La négation 272
1. Construire la connaissance grammaticale 272
2. La grammaire pour lire 273
3. La grammaire pour s’exprimer 274
6. DISSERTATION 275
1. Inutilement.
2. Dans la Lettre modérée sur la chute et la critique du « Barbier de Séville » qui sert de préface à
la comédie.
3. Expression familière et injurieuse : femmes dédaigneuses qui sont blasées.
13
Ajoutez-y le pédantesque abus de ces autres grands mots, décence
et bonnes mœurs, qui donnent un air si important, si supérieur que
nos jugeurs de comédies seraient désolés de n’avoir pas à les pro-
noncer sur toutes les pièces de théâtre, et vous connaîtrez à peu près
ce qui garrotte le génie, intimide tous les auteurs, et porte un coup
mortel à la vigueur de l’intrigue, sans laquelle il n’y a pourtant que
du bel esprit à la glace et des comédies de quatre jours.
Enfin, pour dernier mal, tous les états de la société sont parvenus
à se soustraire à la censure dramatique : on ne pourrait mettre au
théâtre Les Plaideurs de Racine, sans entendre aujourd’hui les Dan-
dins et les Brid’oisons1, même des gens plus éclairés, s’écrier qu’il
n’y a plus ni mœurs ni respect pour les magistrats.
On ne ferait point le Turcaret2, sans avoir à l’instant sur les bras
fermes, sous-fermes, traites et gabelles, droits-réunis, tailles, taillons,
le trop-plein, le trop-bu3, tous les impositeurs royaux. Il est vrai
qu’aujourd’hui Turcaret n’a plus de modèles. On l’offrirait sous
d’autres traits, l’obstacle resterait le même.
On ne jouerait point les fâcheux, les marquis, les emprunteurs de
Molière, sans révolter à la fois la haute, la moyenne, la moderne
et l’antique noblesse. Ses Femmes savantes irriteraient nos féminins
bureaux d’esprit4; mais quel calculateur peut évaluer la force et la
longueur du levier qu’il faudrait, de nos jours, pour élever jusqu’au
théâtre l’œuvre sublime du Tartuffe ? Aussi l’auteur qui se compro-
met avec le public, pour l’amuser, ou pour l’instruire, au lieu d’intri-
guer à son choix son ouvrage, est-il obligé de tourniller5 dans des
incidents impossibles, de persifler au lieu de rire, et de prendre ses
modèles hors de la société, crainte de se trouver mille ennemis, dont
il ne connaissait aucun en composant son triste drame.
J’ai donc réfléchi que si quelque homme courageux ne secouait pas
toute cette poussière, bientôt l’ennui des pièces françaises porterait la
nation au frivole opéra-comique, et plus loin encore, aux boulevards,
1. Noms utilisés pour désigner comiquement des juges depuis François Rabelais (1494‑1553) qui
créa les personnages de Bridoye et Perrin Dandin.
2. Comédie d’Alain-René Lesage (1668‑1747) en 1709 qui représente un laquais devenu homme
d’affaires.
3. Différentes dénominations véritables d’impôts sauf le trop-plein qui semble placé là facétieu-
sement.
4. Expression qui était habituellement péjorative pour désigner une société où l’on s’occupe de
littérature.
5. Tourner d’un côté et de l’autre.
14
à ce ramas infect de tréteaux élevés à notre honte, où la décente
liberté, bannie du théâtre français, se change en une licence effrénée,
où la jeunesse va se nourrir de grossières inepties, et perdre, avec ses
mœurs, le goût de la décence et des chefs-d’œuvre de nos maîtres.
J’ai tenté d’être cet homme, et si je n’ai pas mis plus de talent à mes
ouvrages, au moins mon intention s’est-elle manifestée dans tous.
J’ai pensé, je pense encore, qu’on n’obtient ni grand pathétique,
ni profonde moralité, ni bon et vrai comique au théâtre, sans des
situations fortes et qui naissent toujours d’une disconvenance sociale
dans le sujet qu’on veut traiter. L’auteur tragique, hardi dans ses
moyens, ose admettre le crime atroce : les conspirations, l’usurpa-
tion du trône, le meurtre, l’empoisonnement, l’inceste, dans Œdipe
et Phèdre ; le fratricide dans Vendôme ; le parricide dans Mahomet ;
le régicide dans Macbeth1, etc., etc. La comédie, moins audacieuse,
n’excède pas les disconvenances, parce que ses tableaux sont tirés
de nos mœurs, ses sujets de la société. Mais comment frapper sur
l’avarice, à moins de mettre en scène un méprisable avare ? démas-
quer l’hypocrisie sans montrer, comme Orgon, dans le Tartuffe, un
abominable hypocrite épousant sa fille et convoitant sa femme ? un
homme à bonnes fortunes, sans le faire parcourir un cercle entier
de femmes galantes ? un joueur effréné, sans l’envelopper de fripons,
s’il ne l’est pas déjà lui-même ?
Tous ces gens-là sont loin d’être vertueux ; l’auteur ne les donne
pas pour tels ; il n’est le patron d’aucun d’eux ; il est le peintre de
leurs vices. Et parce que le lion est féroce, le loup vorace et glouton,
le renard rusé, cauteleux, la fable est-elle sans moralité ? Quand
l’auteur la dirige contre un sot que la louange enivre, il fait choir
du bec du corbeau le fromage dans la gueule du renard ; sa moralité
est remplie ; s’il la tournait contre le bas flatteur, il finirait son apo-
logue ainsi : « Le renard s’en saisit, le dévore, mais le fromage était
empoisonné. » La fable est une comédie légère, et toute comédie
n’est qu’un long apologue ; leur différence est que dans la fable les
animaux ont de l’esprit, et que dans notre comédie les hommes sont
souvent des bêtes, et, qui pis est, des bêtes méchantes.
1. Salon de Versailles où attendaient les courtisans. Sa fenêtre était ovale, du type de celles qu’on
appelait « œil-de-bœuf ».
19
pour eux une autre piste ; on me courait différemment. Mais ce
nom de Folle Journée les a mis à cent lieues de moi : ils n’ont plus
rien vu dans l’ouvrage que ce qui n’y sera jamais ; et cette remarque
un peu sévère sur la facilité de prendre le change a plus d’étendue
qu’on ne croit. Au lieu du nom de George Dandin, si Molière eût
appelé son drame : La Sottise des alliances, il eût porté bien plus de
fruit ; si Regnard eût nommé son Légataire : La Punition du céli-
bat, la pièce nous eût fait frémir. Ce à quoi il ne songea pas, je l’ai
fait avec réflexion. Mais qu’on ferait un beau chapitre sur tous les
jugements des hommes et la morale du théâtre, et qu’on pourrait
intituler : De l’influence de l’affiche !
Quoi qu’il en soit, La Folle Journée resta cinq ans au portefeuille1 ;
les Comédiens2 ont su que je l’avais, ils me l’ont enfin arrachée.
S’ils ont bien ou mal fait pour eux, c’est ce qu’on a pu voir depuis.
Soit que la difficulté de la rendre excitât leur émulation, soit qu’ils
sentissent, avec le public, que pour lui plaire en comédie, il fallait de
nouveaux efforts, jamais pièce aussi difficile n’a été jouée avec autant
d’ensemble ; et si l’auteur (comme on le dit) est resté au-dessous de
lui-même, il n’y a pas un seul acteur dont cet ouvrage n’ait établi,
augmenté ou confirmé la réputation. Mais revenons à sa lecture, à
l’adoption des Comédiens.
Sur l’éloge outré qu’ils en firent, toutes les sociétés voulurent le
connaître, et dès lors il fallut me faire des querelles de toute espèce
ou céder aux instances universelles. Dès lors aussi les grands ennemis
de l’auteur ne manquèrent pas de répandre à la Cour qu’il blessait
dans cet ouvrage, d’ailleurs « un tissu de bêtises », la religion, le
gouvernement, tous les états de la société, les bonnes mœurs, et
qu’enfin la vertu y était opprimée et le vice triomphant, « comme de
raison3 », ajoutait-on. Si les graves messieurs qui l’ont tant répété me
font l’honneur de lire cette préface, ils y verront au moins que j’ai
cité bien juste ; et la bourgeoise intégrité que je mets à mes citations
n’en fera que mieux ressortir la noble infidélité des leurs.
Ainsi dans Le Barbier de Séville je n’avais qu’ébranlé l’État ; dans
ce nouvel essai, plus infâme et plus séditieux, je le renversais de
fond en comble. Il n’y avait plus rien de sacré si l’on permettait cet
1. Au portefeuille c’est-à-dire dans les papiers personnels de l’auteur.
2. Les Comédiens désignent ici les acteurs de la Comédie-Française.
3. Comme il fallait s’y attendre (de la part de quelqu’un comme Beaumarchais).
20
ouvrage. On abusait l’autorité par les plus insidieux rapports ; on
cabalait auprès des corps puissants ; on alarmait les dames timorées ;
on me faisait des ennemis sur le prie-Dieu des oratoires : et moi,
selon les hommes et les lieux, je repoussais la basse intrigue par mon
excessive patience, par la roideur de mon respect, l’obstination de
ma docilité, par la raison, quand on voulait l’entendre.
Ce combat a duré quatre ans. Ajoutez-les aux cinq du portefeuille,
que reste-t‑il des allusions qu’on s’efforce à voir dans l’ouvrage ?
Hélas ! quand il fut composé, tout ce qui fleurit aujourd’hui n’avait
pas même encore germé. C’était tout un autre univers.
Pendant ces quatre ans de débat je ne demandais qu’un censeur ;
on m’en accorda cinq ou six. Que virent-ils dans l’ouvrage, objet d’un
tel déchaînement ? la plus badine des intrigues. Un grand seigneur
espagnol, amoureux d’une jeune fille qu’il veut séduire, et les efforts
que cette fiancée, celui qu’elle doit épouser et la femme du seigneur
réunissent pour faire échouer dans son dessein un maître absolu que
son rang, sa fortune et sa prodigalité rendent tout-puissant pour l’ac-
complir. Voilà tout, rien de plus. La pièce est sous vos yeux.
D’où naissaient donc ces cris perçants ? De ce qu’au lieu de
poursuivre un seul caractère vicieux, comme le Joueur, l’Ambitieux,
l’Avare ou l’Hypocrite, ce qui ne lui eût mis sur les bras qu’une seule
classe d’ennemis, l’auteur a profité d’une composition légère, ou plu-
tôt a formé son plan de façon à y faire entrer la critique d’une foule
d’abus qui désolent la société. Mais, comme ce n’est pas là ce qui
gâte un ouvrage aux yeux du censeur éclairé, tous, en l’approuvant,
l’ont réclamé pour le théâtre. Il a donc fallu l’y souffrir ; alors les
grands du monde ont vu jouer avec scandale
1. Camériste : femme de chambre (Beaumarchais suit l’espagnol camarista pour son orthographe).
2. Sans tirer de conclusions hâtives et défavorables.
25
de scandale ? Aimé de tout le monde au château, vif, espiègle et
brûlant, comme tous les enfants spirituels, par son agitation extrême,
il dérange dix fois, sans le vouloir, les coupables projets du comte.
Jeune adepte de la nature, tout ce qu’il voit a droit de l’agiter ;
peut-être il n’est plus un enfant, mais il n’est pas encore un homme,
et c’est le moment que j’ai choisi pour qu’il obtînt de l’intérêt sans
forcer personne à rougir. Ce qu’il éprouve innocemment, il l’inspire
partout de même. Direz-vous qu’on l’aime d’amour ? Censeurs !
ce n’est pas là le mot : vous êtes trop éclairés pour ignorer que
l’amour, même le plus pur, a un motif intéressé : on ne l’aime donc
pas encore ; on sent qu’un jour on l’aimera. Et c’est ce que l’auteur
a mis, avec gaieté dans la bouche de Suzanne, quand elle dit à cet
enfant : « Oh ! dans trois ou quatre ans, je prédis que vous serez le
plus grand petit vaurien !… »
Pour lui imprimer plus fortement le caractère de l’enfance, nous
le faisons exprès tutoyer par Figaro. Supposez-lui deux ans de plus,
quel valet dans le château prendrait ces libertés ? Voyez-le à la fin
de son rôle ; à peine a-t‑il un habit d’officier, qu’il porte la main
à l’épée aux premières railleries du comte, sur le quiproquo d’un
soufflet. Il sera fier, notre étourdi ! mais c’est un enfant, rien de
plus. N’ai-je pas vu nos dames, dans les loges, aimer mon page à
la folie ? Que lui voulaient-elles ? hélas ! rien : c’était de l’intérêt
aussi ; mais, comme celui de la comtesse, un pur et naïf intérêt, un
intérêt… sans intérêt.
Mais est-ce la personne du page ou la conscience du seigneur
qui fait le tourment du dernier, toutes les fois que l’auteur les
condamne à se rencontrer dans la pièce ? Fixez ce léger aperçu, il
peut vous mettre sur sa voie ; ou plutôt apprenez de lui que cet
enfant n’est amené que pour ajouter à la moralité de l’ouvrage, en
vous montrant que l’homme le plus absolu chez lui, dès qu’il suit
un projet coupable, peut être mis au désespoir par l’être le moins
important, par celui qui redoute le plus de se rencontrer sur sa
route.
Quand mon page aura dix-huit ans, avec le caractère vif et bouil-
lant que je lui ai donné, je serai coupable, à mon tour, si je le montre
sur la scène. Mais à treize ans qu’inspire-t‑il ? quelque chose de
sensible et doux qui n’est ni amitié ni amour, et qui tient un peu
de tous deux.
26
J’aurais de la peine à faire croire à l’innocence de ces impres-
sions, si nous vivions dans un siècle moins chaste, dans un de ces
siècles de calcul où, voulant tout prématuré, comme les fruits de
leurs serres chaudes, les grands mariaient leurs enfants à douze ans,
et faisaient plier la nature, la décence et le goût aux plus sordides
convenances, en se hâtant surtout d’arracher, de ces êtres non for-
més, des enfants encore moins formables dont le bonheur n’occu-
pait personne et qui n’étaient que le prétexte d’un certain trafic
d’avantages qui n’avait nul rapport à eux, mais uniquement à leur
nom. Heureusement nous en sommes bien loin, et le caractère de
mon page, sans conséquence pour lui-même, en a une relative au
comte, que le moraliste aperçoit, mais qui n’a pas encore frappé le
grand commun de nos jugeurs.
Ainsi, dans cet ouvrage, chaque rôle important a quelque but
moral. Le seul qui semble y déroger est le rôle de Marceline.
Coupable d’un ancien égarement, dont son Figaro fut le fruit,
elle devrait, dit-on, se voir au moins punie par la confusion de sa
faute, lorsqu’elle reconnaît son fils. L’auteur eût pu même en tirer
une moralité plus profonde : dans les mœurs qu’il veut corriger, la
faute d’une jeune fille séduite est celle des hommes, et non la sienne.
Pourquoi donc ne l’a-t‑il pas fait ?
Il l’a fait, censeurs raisonnables ! étudiez la scène suivante, qui
faisait le nerf du troisième acte et que les Comédiens m’ont prié de
retrancher, craignant qu’un morceau si sévère n’obscurcît la gaieté
de l’action.
Quand Molière a bien humilié la coquette ou coquine du Misan-
thrope, par la lecture publique de ses lettres à tous ses amants, il
la laisse avilie sous les coups qu’il lui a portés ; il a raison : qu’en
ferait-il ? vicieuse par goût et par choix, veuve aguerrie, femme de
cour, sans aucune excuse d’erreur, et fléau d’un fort honnête homme,
il l’abandonne à nos mépris, et telle est sa moralité. Quant à moi,
saisissant l’aveu naïf de Marceline au moment de la reconnaissance,
je montrais cette femme humiliée et Bartholo qui la refuse, et Figaro,
leur fils commun, dirigeant l’attention publique sur les vrais fauteurs
du désordre où l’on entraîne sans pitié toutes les jeunes filles du
peuple douées d’une jolie figure.
Telle est la marche de la scène.
27
brid’oison,
parlant de Figaro qui vient de reconnaître
sa mère en Marceline
C’est clair : i-il ne l’épousera pas.
bartholo
Ni moi non plus.
marceline
Ni vous ! et votre fils ? Vous m’aviez juré…
bartholo
J’étais fou. Si pareils souvenirs engageaient, on serait tenu
d’épouser tout le monde.
brid’oison
E-et si l’on y regardait de si près, pè-personne n’épouserait
personne.
bartholo
Des fautes si connues ! une jeunesse déplorable !
marceline,
s’échauffant par degrés
Oui, déplorable, et plus qu’on ne croit ! Je n’entends pas nier
mes fautes, ce jour les a trop bien prouvées ! mais qu’il est dur
de les expier après trente ans d’une vie modeste ! J’étais née,
moi, pour être sage, et je la suis devenue sitôt qu’on m’a permis
d’user de ma raison. Mais dans l’âge des illusions, de l’inexpé-
rience et des besoins, où les séducteurs nous assiègent, pendant
que la misère nous poignarde, que peut opposer une enfant à
tant d’ennemis rassemblés ? Tel nous juge ici sévèrement, qui,
peut-être, en sa vie a perdu dix infortunées !
figaro
Les plus coupables sont les moins généreux ; c’est la règle.
marceline, vivement
Hommes plus qu’ingrats, qui flétrissez par le mépris les jouets
de vos passions, vos victimes ! c’est vous qu’il faut punir des
erreurs de notre jeunesse ; vous et vos magistrats, si vains du
droit de nous juger, et qui nous laissent enlever, par leur cou-
pable négligence, tout honnête moyen de subsister. Est-il un
seul état pour les malheureuses filles ? Elles avaient un droit
28
naturel à toute la parure des femmes : on y laisse former mille
ouvriers de l’autre sexe.
figaro, en colère
Ils font broder jusqu’aux soldats.
marceline, exaltée
Dans les rangs même plus élevés, les femmes n’obtiennent de
vous qu’une considération dérisoire ; leurrées de respects appa-
rents, dans une servitude réelle ; traitées en mineures pour nos
biens, punies en majeures pour nos fautes ! ah, sous tous les
aspects, votre conduite avec nous fait horreur ou pitié !
figaro
Elle a raison !
le comte, à part
Que trop raison !
brid’oison
Elle a, mon-on Dieu ! raison.
marceline
Mais que nous font, mon fils, les refus d’un homme injuste ?
ne regarde pas d’où tu viens, vois où tu vas ; cela seul importe
à chacun. Dans quelques mois, ta fiancée ne dépendra plus
que d’elle-même ; elle t’acceptera, j’en réponds : vis entre
une épouse, une mère tendres qui te chériront à qui mieux
mieux. Sois indulgent pour elles, heureux pour toi, mon fils ;
gai, libre et bon pour tout le monde : il ne manquera rien
à ta mère.
figaro
Tu parles d’or, maman, et je me tiens à ton avis. Qu’on
est sot, en effet ! il y a des mille, mille ans que le monde
roule, et dans cet océan de durée où j’ai par hasard attrapé
quelques chétifs trente ans qui ne reviendront plus, j’irais me
tourmenter pour savoir à qui je les dois ! tant pis pour qui
s’en inquiète ! Passer ainsi la vie à chamailler, c’est peser sur
le collier sans relâche, comme les malheureux chevaux de la
remonte des fleuves qui ne reposent pas, même quand ils s’ar-
rêtent, et qui tirent toujours, quoiqu’ils cessent de marcher.
Nous attendrons.
29
J’ai bien regretté ce morceau, et maintenant que la pièce est
connue, si les Comédiens avaient le courage de le restituer à ma
prière, je pense que le public leur en saurait beaucoup de gré. Ils
n’auraient plus même à répondre, comme je fus forcé de le faire à
certains censeurs du beau monde qui me reprochaient, à la lecture,
de les intéresser pour une femme de mauvaises mœurs : « Non, mes-
sieurs, je n’en parle pas pour excuser ses mœurs, mais pour vous faire
rougir des vôtres sur le point le plus destructeur de toute honnêteté
publique : la corruption des jeunes personnes ; et j’avais raison de le
dire, que vous trouvez ma pièce trop gaie, parce qu’elle est souvent
trop sévère. Il n’y a que façon de s’entendre.
— Mais votre Figaro est un soleil tournant1, qui brûle, en jaillis-
sant, les manchettes de tout le monde. — Tout le monde est exagéré.
Qu’on me sache gré du moins s’il ne brûle pas aussi les doigts de
ceux qui croient s’y reconnaître : au temps qui court, on a beau jeu
sur cette matière au théâtre. M’est-il permis de composer en auteur
qui sort du collège, de toujours faire rire des enfants sans jamais
rien dire à des hommes ? et ne devez-vous pas me passer un peu de
morale, en faveur de ma gaieté, comme on passe aux Français un
peu de folie, en faveur de leur raison ? »
Si je n’ai versé sur nos sottises qu’un peu de critique badine, ce
n’est pas que je ne sache en former de plus sévères : quiconque a
dit tout ce qu’il sait dans son ouvrage, y a mis plus que moi dans le
mien. Mais je garde une foule d’idées qui me pressent pour un des
sujets les plus moraux du théâtre, aujourd’hui sur mon chantier : La
Mère coupable ; et si le dégoût dont on m’abreuve me permet jamais
de l’achever, mon projet étant d’y faire verser des larmes à toutes les
femmes sensibles, j’élèverai mon langage à la hauteur de mes situa-
tions, j’y prodiguerai les traits de la plus austère morale, et je tonnerai
fortement sur les vices que j’ai trop ménagés. Apprêtez-vous donc
bien, messieurs, à me tourmenter de nouveau : ma poitrine a déjà
grondé ; j’ai noirci beaucoup de papier au service de votre colère.
Et vous, honnêtes indifférents, qui jouissez de tout sans prendre
parti sur rien, jeunes personnes modestes et timides qui vous plaisez
à ma Folle Journée (et je n’entreprends sa défense que pour justifier
votre goût), lorsque vous verrez dans le monde un de ces hommes
Figaro
et inégalitaire. Que peut Figaro, en
de dépit de tous ses talents, puisqu’il n’est
pas bien né ? Vient le temps où les
valets refusent cet ordre des choses :
« Qu’avez-vous fait pour tant de biens ?
vous vous êtes donné la peine de
naître, et rien de plus. » Vient le temps
de la Révolution.
Au fil du recueil :
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Le dossier est composé de 8 chapitres :
1 Histoire littéraire : La comédie au siècle des Lumières
2 Beaumarchais et son temps
3 Présentation du Mariage de Figaro
4 Les mots importants du Mariage de Figaro
(badinage / libertinage ; hasard / mérite ; folie ; méchant)
5 La grammaire
6 Préparation à la dissertation
7 Groupement de textes : La comédie du valet
Molière, Dom Juan
Molière, Les Fourberies de Scapin
Marivaux, Le Jeu de l’amour et du hasard
Bertolt Brecht, Maître Puntila et son valet Matti
8 Exercices d’appropriation
BEAUMARCHAIS BAC
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