Gérer ses émotions

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OLIVIER NUNGE

SIMONNE MORTERA

Gérer
ses émotions
Des réactions indispensables
Des mêmes auteurs

Ouvrages
Développer le meilleur de soi-même, Éd. Jouvence, 2000

Satisfaire son besoin de reconnaissance,


Éd. Jouvence, 1998

Être autonome, Éd. Jouvence, 1998


Bien vivre ici et maintenant, Éd. Jouvence, 1998

L’Analyse Transactionnelle, Éd. Bernet, 1996

Cassettes audio/CD
Éditions Sonothèque Média
L’Analyse Transactionnelle pour mieux se connaître
et mieux communiquer
Pourquoi laisser votre passé dicter votre avenir
Savoir écouter ses vrais besoins
pour devenir autonomes
Savoir doser efficacement autorité,
entente et négociation
Comment gérer ses émotions

Catalogue gratuit sur simple demande

ÉDITIONS JOUVENCE

France : BP 90107 – 74161 St-Julien-en-Genevois Cedex


Suisse : CP 184 – 1233 Genève-Bernex
Site internet : www.editions-jouvence.com
E-mail : info@editions-jouvence.com

Illustration de couverture: Jean-Claude Marol


Maquette & mise en pages: atelier weidmann
© Éditions Jouvence, 1998
ISBN 978-2-88911-176-3
Tous droits de traduction, reproduction et adaptation
réservés pour tous pays.
Sommaire
Préface

Avertissement

En guise d’introduction

Qu’est-ce qu’une émotion ?

Le concept d’émotion authentique

Les émotions sont multiples et variées

Les quatre grands chapitres des émotions

Chacune de ces quatre émotions de base a une fonction spécifique

A quoi sert la peur ?

Pourquoi trafiquons-nous nos peurs ?

Exercice

A quoi sert la colère ?

Les trois principales sources de la colère

Pourquoi trafiquons-nous nos colères ?

Exercice
A quoi sert la tristesse ?

Exercice

A quoi sert la joie ?

Exercice

Comment trafiquons-nous nos émotions ?

La collection de timbres

L’élastique

Le racket

Petit tableau de bord pour gérer ses émotions

Conclusion

Bibliographie

Les auteurs
Préface
Dans notre société française cartésienne et rationnelle, on a eu tendance à privilégier jusqu’à ce
jour la rationalité à travers l’indicateur que représente la notion de QI (Quotient Intellectuel) pour
prendre en compte l’identité des personnes. Un livre récent, Emotional Intelligence de Daniel
Goleman, met à jour désormais le QE (Quotient Emotionnel). D’un coup s’ouvre pour le grand
public, avec les parures du monde scientifique, l’importance de cette notion d’émotion dans la
vie de tous les jours et celle du travail. Nous voyons ainsi une réhabilitation de l’irrationnel en
face des critères jusqu’à ce jour dominants de la rationalité.

Déjà l’Analyse transactionnelle avait focalisé son approche sur les émotions en quatre
chapitres ce qui peut paraître à première vue bien simpliste en effet. Cependant, à mon avis, il
n’en est rien. Et j’aimerais évoquer la réflexion d’un des plus grands thérapeutes américains,
William Schutz dont la théorie de sa pratique thérapeutique s’articule autour des trois concepts :
inclusion, contrôle et ouverture. Et à l’objection de simplisme dont on l’accuse parfois, il
répond : « Avez-vous observé que, en peinture et plus encore en photos, avec le bleu, le rouge et
le jaune, on peut reproduire toutes les subtilités de la couleur et de la lumière ? »

Personnellement je crois qu’on peut en dire autant de la combinaison de ces quatre émotions
de base identifiées par l’Analyse transactionnelle – la peur, la colère, la tristesse et la joie – à
condition de s’ouvrir à la subtilité et la complexité de ces réalités.

Par ailleurs, l’AT a superbement développé des concepts très bien décrits dans ce livre comme
le « racket » émotionnel, les manipulations à la fois émotionnelle et relationnelles, ainsi que les
« timbres », les « élastiques » et bien d’autres encore.

Je voudrais dire un mot d’Olivier Nunge et Simonne Mortera, puisque je les connais bien,
depuis longtemps, tant sur leur parcours thérapeutique que professionnel. Je crois qu’ils sont
particulièrement autorisés à parler sur ce sujet, ayant fait eux-mêmes un travail fondamental sur
leurs émotions en thérapie, en AT, en Gestalt, Bio et piscine d’eau chaude notamment, et par
ailleurs en didactique et formation professionnelle. Ils ont l’expérience de l’accompagnement des
enfants et adolescents en difficulté pour avoir longtemps travaillé en institutions. A cela s’ajoute
l’expérience de thérapeute depuis plus de douze ans chacun et celle de formateurs en entreprise
où ils ont accompagné de très nombreuses personnes et toutes sortes de groupes. Ils ont su, dans
cet ouvrage de volume volontairement modeste, résumer à mon sens l’essentiel de ce que leur
expérience permettait de mettre au service de la vie quotidienne pour des personnes encore
fraîches sur ce sujet.

Qu’ils en soient remerciés et bonne lecture à vous ! A vous de couver par cette lecture les œufs
que vous trouverez dans ce nid. A vous les surprises qui en naîtront : peut-être plus tard un petit
chant d’oiseau que vous pourrez désormais mieux reconnaître en vous-même.

VINCENT LENHARDT

Vincent Lenhardt est actuellement consultant, spécialiste de l’accompagnement de


Dirigeants, d’équipes de Direction et Président du Cabinet Conseil Transformance.
Thérapeute et didacticien, ancien président de l’EATA (Association Européenne
d’Analyse Transactionnelle), il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le coaching,
l’intelligence collective et l’analyse transactionnelle.
Avertissement

Le thème des émotions a fait couler beaucoup d’encre et suscite bien des débats depuis des
siècles et des siècles. Tous s’en préoccupent : les biologistes, les mathématiciens, les
statisticiens, les philosophes, les théologiens et bien sûr les psychologues.

Ces derniers même en parlent de manière très différente en fonction de leur cadre de
référence : psychanalyse, gestalt, analyse bioénergétique, psychosynthèse, psycho-cybernétique,
psychologie comportementale, psychologie humaniste, psychologie spiritualiste..

Nous resterons fondamentalement dans le cadre de référence de l’analyse transactionnelle


créée par Eric Berne dans les années cinquante. Et nous y apporterons quelques compléments de
l’analyse bioénergétique et de la PNL.

Notre objectif dans cet ouvrage est de donner un certain nombre de connaissances,
d’expériences, de pistes pour vous permettre de maintenir une bonne hygiène émotionnelle et
ainsi mieux gérer vos émotions au quotidien.
En guise
d’introduction
« Chez l’être humain, même
les émotions sont à gérer »

Depuis notre enfance, nous nous cuirassons contre les souffrances ou les blessures que nous
avons vécues dans notre environnement familial.

Aujourd’hui, chaque fois que nous craignons de recevoir une blessure émotionnelle, tel une
huître, nous nous retirons dans notre coquille, nous dressons une véritable carapace pour
empêcher « l’ennemi » de passer. Le problème, c’est que même l’ami ne peut plus nous y
rejoindre. Cette coupure avec les autres entraîne une coupure avec nous-mêmes et avec la vie, ce
qui génère beaucoup de souffrances.

Vivre, c’est avoir des émotions, c’est sentir les « flux d’énergie » dans notre organisme pour
qu’il puisse fonctionner naturellement. Bloquer nos émotions, c’est bloquer ce flux au risque de
nous entraîner dans la survie, voire même dans la mort.

Les émotions sont comme les organes du corps psychique, avec leurs fonctions spécifiques.
Contrairement au fonctionnement de notre corps, nous n’avons pas reçu d’éducation à l’émotion.
Alors, nous confondons émotions saines et effets négatifs des émotions trafiquées. Si nous les
combattons, les évitons, les taisons, les exagérons, elles se traduisent en manifestations qui
affectent notre santé physique et psychique à plus ou moins long terme.

Ce que nous avons du mal à dire, à exprimer, devient maladie.

L’originalité de l’analyse transactionnelle est de nous proposer d’aborder l’univers des


émotions avec optimisme et confiance, car elles agissent toutes dans notre intérêt. Ce sont des
réactions utiles, positives, sans danger, et indispensables à notre développement.

Même les émotions considérées comme négatives sont importantes et précieuses car elles nous
signalent ce qui dysfonctionne dans notre façon de communiquer aux autres, dans nos besoins et
nos désirs.

En un mot, chaque émotion est une véritable source d’énergie nous permettant de mieux
communiquer avec nous-mêmes et avec les autres au-delà de la complexité des mots.
Dans ce livre, nous proposons des éléments vous permettant :

de situer la place des émotions dans le fonctionnement de l’être humain adulte;

d’identifier nos quatre émotions de base avec leurs fonctions spécifiques;

d’apprendre à utiliser le message positif de chaque émotion;

de repérer nos trois manières habituelles de trafiquer nos émotions.


Qu’est-ce
qu’une émotion ?

Une émotion est un cadeau de la nature. Dans notre culture, les émotions ont mauvaise presse.
Elles sont vécues comme dangereuses. Ne dit-on pas :

« La colère est mauvaise conseillère. »


« La peur paralyse. »
« Nous pouvons mourir de tristesse. »
« Plaisir d’amour ne dure qu’un moment…
chagrin d’amour dure toute la vie! »
« Il ne faut pas mélanger les affaires
et les sentiments. »
« Qui rit vendredi, dimanche pleurera. » etc.

Prenons la définition du Petit Robert :

ÉMOTION : réaction affective, en général


intense, se manifestant par divers troubles,
surtout d’ordre neurovégétatif.

La connotation négative de cette définition est claire alors que, pour l’analyse transactionnelle,
les émotions sont une très bonne chose pour nous, les êtres humains.

C’est un cadeau que la nature nous a fait dès la naissance. Nous avons été livrés avec, en
quelque sorte, mais… sans la notice.

Ce qui explique que nous sommes longtemps resté dans l’ignorance.

Il a fallu retrouver le mode d’emploi des émotions :

A quoi servent-elles ?

Comment fonctionnent-elles ?

Vous allez vous rendre compte à quel point nous avons été mal informés dans ce domaine car
les émotions sont au départ des réactions utiles, positives, sans danger, et indispensables à notre
développement d’être humain. Elles sont un outil précieux pour mettre à jour et résoudre les
problèmes de chacun.

Le concept
d’émotion authentique

Une émotion exprimée authentiquement s’appelle la réaction, c’est-à-dire une réponse


émotionnelle spontanée à un événement précis qui vient de se produire ici et maintenant.

Par exemple :

Si je trébuche dans la rue, il est approprié de ressentir de la peur quelques secondes.

Si je m’aperçois que mon fils aîné a utilisé ma brosse à dents pour cirer ses chaussures de sport,
il est normal que je ressente de la colère.

Si mes amis sont sur le point de me quitter après un bon week-end passé ensemble, je vais
naturellement ressentir de la tristesse.

Si je viens de réussir un examen, un concours, une bonne affaire, je vais éprouver spontanément
de la joie, du plaisir.

Devant de telles situations, voilà ce que je devrais normalement ressentir. Voilà les sentiments
que j’éprouverais comme autant de réactions normales et appropriées à chaque situation par leur
nature, leur intensité, leur durée.

Malheureusement, l’ignorance, le manque d’éducation en la matière, les fausses idées, la


pression sociale, font que nous exprimons souvent nos sentiments (le « senti qui ment ») de
manière trafiquée, abîmée, voire dangereuse pour nous-mêmes, comme pour les autres.

Ce n’est plus la réaction normale, saine, authentique, essence même de toute émotion, mais
une attitude inadaptée, un mauvais usage de nos organes psychiques.

Les émotions sont multiples


et variées

Il existe des centaines de mots dans notre vocabulaire pour désigner la palette de nos émotions.
En animant fréquemment des stages sur ce thème, nous sommes chaque fois surpris de nous
apercevoir que chaque stagiaire ne connaît en moyenne au cours d’une semaine qu’une dizaine
de ces émotions.

Cela met en évidence l’absence d’éducation claire en ce domaine, et non l’incapacité de


chacun à éprouver tout le spectre des sentiments.

Nous pouvons ressentir : l’anxiété, la crainte, la confusion, la culpabilité, la panique, le


malaise, l’angoisse, la colère, la contrariété, l’amertume, la fureur, la rancune, la frustration, la
honte, le désespoir, le dégoût, l’affliction, la peine, la déception, l’accablement, la solitude,
l’abandon, l’amour, l’affection, l’appréciation, la gratitude, la curiosité, l’enthousiasme, la
passion, la détermination…

Evidemment cette liste est loin d’être exhaustive.

Les quatre grands chapitres


des émotions

Nous pouvons reclasser les différentes émotions en quatre grands chapitres :

1. La peur

Cela va de la simple peur – car je viens de rater une marche – à l’état de panique – car je suis
sous un bombardement –, en passant par une crainte, l’appréhension, la confusion ou l’angoisse.

2. La colère

Cela va de la contrariété – car je viens de prendre un feu rouge – à la « sainte colère » – car l’on
vient de porter atteinte à ma famille ou à mes biens –, en passant par l’énervement, l’hostilité, la
rancune, la frustration ou la fureur.

3. La tristesse

Cela va du « vague à l’âme » – car un bon dimanche se termine – à la tristesse profonde – car je
viens de perdre un être cher –, en passant par l’ennui, le découragement, la nostalgie ou le
désespoir…

4. La joie
Cela va de la gaieté de se lever avec le soleil pour témoin, au grand bonheur d’épouser celui ou
celle que j’aime, en passant par l’harmonie, la sympathie, l’optimisme, l’exubérance,
l’enthousiasme…

Chacune de ces quatre émotions de base


a une fonction spécifique

Cette classification en quatre chapitres n’est pas neutre. Chaque émotion de base a une fonction,
de la même manière que, sur le plan physiologique, nous avons des organes comme le cœur, les
poumons, les reins… avec chacun une fonction spécifique.

A quoi sert le cœur sinon à pomper le sang ?

A quoi servent les poumons sinon à brasser de l’air ?

D’ailleurs, si nous avons du sang dans les poumons ou de l’air dans le sang, cela met en
danger notre vie.

Nous pourrions ainsi passer en revue chacun de nos organes physiologiques : nous avons
besoin de tous pour vivre, comme nous avons besoin de chacun en particulier dans sa fonction
spécifique, sans mélange de genre.

Il en est de même pour les émotions que nous pouvons considérer comme des organes
psychiques, avec chacune sa fonction spécifique.

Alors, avant de trouver les réponses dans les chapitres suivants, nous vous proposons de
prendre un moment de réflexion pour vérifier selon vous :

Quelle est la fonction de la peur ?

Quelle est la fonction de la colère ?

Quelle est la fonction de la tristesse ?

Quelle est la fonction de la joie ?


A quoi sert la peur ?

La peur sert à nous signaler les dangers ou les menaces. Notre besoin dans ce cas là est d’être
rassuré.

Par exemple : Je veux traverser la rue, j’entends crisser les pneus d’une voiture roulant à vive
allure. Je ressens de la peur, celle de me faire écraser, je remonte sur le trottoir pour éviter le
danger.

La peur est bien ce sentiment concomitant à la fuite pour éviter une menace : aller loin
du danger.

On peut la comparer au voyant rouge de notre voiture qui nous signale une insuffisance
d’huile. Grâce à cet avertissement, je peux aller chez le garagiste ou m’arrêter sur le bord de la
route pour remplir mon réservoir.

Au départ, la peur est une bonne chose, car elle nous permet de prendre conscience d’un
danger et d’adapter notre comportement en conséquence pour pouvoir nous protéger.

Bien sûr, il ne s’agit pas toujours d’un sentiment très agréable, mais lorsqu’elle est
fonctionnelle, c’est-à-dire adaptée à la situation, elle reste tolérable le temps de traiter le
problème. Une fois résolu, le sentiment de peur disparaît.

La peur non trafiquée ne dure que le temps de gérer la situation menaçante présente ou future.

La peur concerne le futur, ce qui peut nous arriver comme danger à plus ou moins brève
échéance.

Une peur tournée vers le passé devient un sentiment trafiqué, dysfonctionnel. Par exemple,
une phobie des serpents est une peur mal orientée dans le temps car elle est en relation avec des
événements passés, bien plus qu’avec une menace pour le bien-être futur de la personne qui vit
cette phobie.

La bonne expression de la peur est de se laisser trembler, ne pas rester seul, demander de
l’aide, pouvoir en parler…

En fait, nous pouvons trafiquer nos sentiments de peur et nous comporter de manière
inappropriée, ce qui risque à terme de nous mettre en danger. De la même manière, je peux
continuer à rouler avec un voyant d’huile allumé, sans y prêter attention, ou couper les fils pour
que ce voyant s’éteigne au risque de couler… une bielle.

Pourquoi trafiquons-nous nos peurs ?

Nous l’avons déjà évoqué : la culture, l’éducation, l’ignorance de la fonctionnalité des émotions.

Nous commençons à les trafiquer dès notre plus jeune âge.

Les peurs chez l’enfant deviennent plus évidentes lorsqu’il commence à entrer dans le
langage. L’accession aux mots, aux signes, aux symboles, favorise la prise de conscience des
dangers.

Une peur classique chez l’enfant, c’est la peur du noir. Dans un tel cas, les parents mal
informés sont souvent surpris, et demandent à l’enfant :

— De quoi as-tu peur ?

— Des tigres qui sont sous mon lit.

— Mais mon chéri, il n’y a pas de tigres dans notre pays.

Ils proposent de regarder sous le lit, dans l’armoire… tout en donnant un cours de sciences
naturelles sur les félins. Enfin ils tentent de rationaliser la peur. Or, une peur ne se rationalise
pas.

La vraie question à poser à l’enfant dans ce cas là n’est pas « Pourquoi as-tu peur ? », mais
« Que puis-je faire pour que tu te sentes rassuré ? »

L’enfant vous donnera lui-même la réponse : lire une histoire, laisser une petite lumière ou la
grande lumière ou laisser la porte entrouverte. Il s’agit de l’aider à trouver la chose à faire qui le
rassure.

J’ai fait cela avec mes deux enfants. Je me souviens de ma surprise quand, un soir où je
mettais machinalement la petite lumière, mon fils m’a dit : « Tu sais, maintenant, ce n’est plus la
peine de la mettre, il y a déjà bien longtemps que je n’ai plus peur. »

Nous n’insisterons jamais assez sur le fait qu’une peur ne se rationalise pas, ne se discute pas.
La seule réponse appropriée en terme d’action est de faire ce qu’il faut pour se sentir rassuré,
protégé.

Prenons un exemple personnel.

En tant que formateur, il m’arrive souvent de partir tôt le matin pour aller à mon lieu
d’intervention. Habitant une maison légèrement à l’écart du village, ma femme me disait chaque
fois « Ferme bien la porte en partant, car quand tu n’es pas là à 5 heures du matin, j’ai peur ».
Avec mon éducation plutôt cartésienne, je lui disais « Mais de quoi as-tu peur ? Tu ne risques
rien. » Et souvent, j’oubliais de fermer.

Maintenant, je sais qu’une peur se respecte. J’arrête d’argumenter. Je donne deux tours de clef
chaque fois que je pars aux aurores, pour le plus grand bien-être de ma femme.

Lors d’une conférence, alors que je venais de raconter cette histoire, une jeune femme est
intervenue pour exprimer son ressenti :

«, Ça me fait du bien ce que vous dites. J’ai 23 ans, je fais de longues études, j’habite donc
encore chez mes parents dans une maison isolée, et lorsqu’ils sortent et que je me retrouve seule
dans cette grande bâtisse, je me sens terrorisée. Pourtant, je ne peux quand même pas les
empêcher de sortir.

Avant de vous entendre, je ne savais pas quoi faire, je n’osais même pas en parler car je ne
me croyais pas normale d’avoir cette peur à 23 ans. »

Je lui ai répondu que, comme il y a des vrais problèmes et des faux problèmes, il y a peut-être
des vraies peurs et des fausses peurs. Mais les fausses sont pires que les vraies.

Alors, même s’il s’agit d’une fausse peur, il est possible d’apporter de vraies solutions.

Plus nous faisons des choses appropriées pour nous protéger face à une peur, plus nous nous
donnons des chances pour qu’elle disparaisse.

Quand j’ai demandé à cette jeune fille ce qu’elle comptait faire à l’avenir, la réponse fut nette
« Maintenant, je vais demander à mes parents de me prévenir un peu à l’avance chaque fois
qu’ils décident de sortir de manière à inviter une copine ou aller chez quelqu’un ce soir là pour
ne plus jamais rester prostrée, seule avec ma peur, dans cette grande maison ».

Voilà une histoire simple, illustrant comment gérer une peur.


Je me souviens également de ce père qui vient un jour me consulter avec son fi ls de 14 ans. Il
était très agité. Il m’a lancé d’entrée : « Vous qui êtes psychologue, vous ne m’enlèverez pas de
l’idée que ce gamin est devenu complètement fou ! Figurez-vous que je l’ai surpris hier les deux
pieds sur la selle de sa mobylette, se lâchant les deux mains en pleine route nationale, alors
qu’en cette période d’été, il passe à peu près huit mille voitures par jour… »

Je lui ai donc proposé de me raconter leur histoire, leurs relations, comment ce sont passées les
premières années de leurs vies. Ce père m’affirma qu’il s’était bien occupé de son fils, lui avait
appris les bonnes manières et donné des bonnes habitudes.

« Je l’ai élevé comme un garçon », m’assura-t-il, « je ne voulais pas d’un pleurnichard ou


d’une poule mouillée. Au début, c’était dur, je lui expliquais qu’un garçon, ça ne pleure pas, ça
n’a pas peur. Par exemple quand nous allions dans notre résidence secondaire, alors qu’il avait
6 ans, je le mettais à l’épreuve et je lui disais « Va chercher le lait à la ferme, montre que tu n’as
pas peur » et il y allait! »

Oui, il y allait, en serrant les dents, en sursautant au moindre froissement de feuilles, la peur au
ventre, et la main crispée sur l’anse du bidon. Pour faire face à cette situation répétitive, et pour
faire plaisir à Papa, il « trafiqua » ce sentiment de peur jusqu’à ne plus le sentir.

A ce père, j’ai donc expliqué ce qu’était un sentiment de peur fonctionnel.

Contrairement aux idées reçues que l’on soit un petit garçon ou un adulte, nous devons
ressentir nos peurs sinon nous risquons de gripper le signal jusqu’à ne plus le recevoir, et faire de
la voltige sur une mobylette parmi les voitures puisque nous ne ressentons plus rien.

Celui qui n’a peur de rien vit à « tombeau ouvert ». Inversement, celui qui sait gérer ses peurs
peut accomplir de grandes choses. Ainsi, le trapéziste volant qui, avant d’exercer son art, observe
si le filet est mis, vérifie la solidité de la structure poteau par poteau. Ensuite, il peut accomplir
des prodiges en jonglant avec la loi de la pesanteur car, en cas de chute, il sait qu’il sera accueilli.

La peur est une bonne chose pour nous. Sa fonction est de nous faire prendre conscience d’une
menace, d’un danger, pour nous permettre de faire en sorte de nous protéger.

Plus nous faisons des choses appropriées pour notre peur, plus nous avons des chances qu’elle
disparaisse.

Inversement, plus nous cachons nos peurs, plus elles augmentent et plus nous risquons de nous
mettre en danger.
Exercice

LA PEUR

Repérez une peur que vous vivez actuellement.

Décrivez la situation. Qu’est-ce qui se passe ?

Prenez conscience de vos croyances, de vos valeurs, de votre imaginaire à propos de cette peur.

Que ressentez-vous sur le plan physique ?

Qu’attendez-vous de cette situation, de quoi avez-vous besoin ?

Que pouvez-vous faire pour vous rassurer ?

Qu’allez-vous faire pour vous protéger ?

La peur est souvent un conflit entre le besoin de répondre à un critère personnel de réussite et
le sentiment de ne pas être à la hauteur.
A quoi sert la colère ?

La colère sert à mobiliser notre énergie pour faire changer les choses, les comportements des
autres ou nos propres comportements qui ne nous conviennent pas.

Notre besoin, dans ce cas-là, est d’être respecté. Par exemple : Quelqu’un me marche sur le
pied, je ressens de la colère, je monte le ton et hurle : « Enlevez votre pied, vous me faites mal! »
L’autre obtempère.

La colère est bien ce sentiment concomitant à l’attaque, le combat, l’affrontement de la


menace (aller contre).

Par exemple, j’ai constaté que, chaque dimanche vers midi, mes deux garçons deviennent
sourds. Effectivement, quand je leur dit : « à table », d’un ton légèrement supérieur à la
moyenne, ils ne m’entendent pas. Mais dès que je crie « à table » avec l’énergie de la colère, ils
arrivent beaucoup plus vite.

A l’origine, la colère est donc une bonne chose. Elle nous signale un problème et nous permet
de changer ce qui ne nous convient pas. Cette émotion concerne une situation présente pour
catalyser un changement. Il est important de l’exprimer dans l’instant.

La manière de l’exprimer est de passer par la voix, le cri, la décharge d’énergie, tout en
respectant trois conditions :

ne pas se faire du mal.

ne pas faire du mal à l’autre.

ne pas casser d’objets.

Les trois principales sources


de la colère

1. La frustration

Elle survient :
lorsque quelqu’un ne tient pas sa promesse : un rendez-vous manqué, …

lorsque nous sommes privés de ce qu’on nous doit : notre employeur ne nous verse pas notre
salaire…

lorsque nous sommes dépossédés : nous rentrons chez nous et constatons que l’on nous a
cambriolé…

2. L’intrusion dans notre territoire

C’est notre côté animal, toute intrusion vient toucher notre cerveau archaïque avec son côté
lézard et serpent. Si vous mettez malencontreusement la main dans le trou d’un reptile, il est fort
probable que celui-ci vous mordra car il n’aime pas être dérangé. De la même manière, nous
ressentirons de la colère si nous surprenons un intrus dans notre chambre à coucher.

3. L’entrave à notre liberté

de temps : si quelqu’un dispose de notre temps sans nous consulter. Par exemple, dans les
entreprises, si on bouscule le calendrier des congés.

de mouvements : par exemple lorsque nous sommes dans les bouchons ou s’il y a trop de monde
dans les magasins.

A travers ces illustrations, nous voyons que la colère concerne une situation présente. Sa
fonction est de nous permettre de résoudre les problèmes de l’existence ici et maintenant.

Elle nous signale une dépossession, un manque, une entrave à notre liberté, une intrusion sur
notre territoire.

Elle nous permet de mobiliser de l’énergie car, en concrétisant notre mécontentement et sa


cause, nous nous disposons à résoudre le problème et à trouver une réponse efficace.

Elle nous permet de nous unifier car, quand nous sommes en colère, nous ne pensons qu’à une
seule chose, nous nous focalisons sur le problème à résoudre.

Elle permet de tester, de renforcer le lien avec les autres, de faire évoluer la relation vers
quelque chose de plus satisfaisant. Ainsi, dans un couple, après une première grosse scène de
ménage, qu’il est bon de sentir que l’on s’aime encore.… Pour une équipe, affronter les conflits
permet de faire naître le sentiment d’appartenance et de créer la cohésion du groupe.
Une colère fonctionnelle se reconnaît à un comportement résolvant le problème, par
opposition à une violence inutile ou un simple défoulement qui ne font que perpétuer le
problème.

Là encore, nous pouvons trafiquer notre sentiment de colère, et nous comporter de manière
inappropriée. Cependant, une colère qui ne se dit pas ne s’efface pas. Elle ressortira de manière
détournée et destructive, soit de façon interne, soit de façon externe.

Pourquoi trafiquons-nous nos colères ?

Encore une fois, à cause de l’ignorance de la fonctionnalité des émotions, de l’éducation… Dès
l’enfance, on nous inculque des croyances du genre : « La colère est mauvaise conseillère »,
« être en colère, c’est être méchant, anormal, fou… » Pourtant, nous ressentons de la colère, mais
nous ne l’exprimons pas par peur des représailles, peur d’être rejeté, peur de déplaire.

Il y a aussi la peur d’être destructif.

Et nous pouvons douter : « A quoi bon ? Ça ne sert à rien ».

Nous pouvons également avoir fait l’expérience de la compétition, de l’escalade. Chaque fois
que je me mettais en colère devant mon père, il se mettait en colère plus fort que moi et
naturellement c’est lui qui gagnait ! … Alors, j’ai appris à me taire.

Nous pouvons aussi renoncer à exprimer notre colère pour protéger l’autre : « A son âge, il ne
le supporterait pas… », « C’est une faible femme ».

Voilà quelques exemples de freins à la colère. Il y en a beaucoup d’autres, car l’être humain
est inventif, créatif, même pour le pire. Nous vous invitons à retrouver les vôtres, et surtout à
prendre conscience qu’empêcher de montrer de la colère légitime est dangereux.

Tout ce qui ne s’exprime pas s’imprime. Tout ce qui est imprimé cherche à s’exprimer.

La colère accumulée tente de ressortir sous une forme de mélange de sentiments tels que
l’angoisse, l’anxiété, la dépression… la culpabilisation qui est une sorte de colère intrapsychique,
ou sous forme somatique : troubles cardiovasculaires, crampes à l’estomac, ulcère, mal au dos…
C’est pourquoi il est fondamental d’exprimer sa colère pour éliminer les tensions. Tout comme il
est fondamental d’aller aux toilettes pour éliminer les déchets.

L’élimination émotionnelle est aussi importante que l’élimination physique. L’éducation


devrait nous apprendre à contrôler les émotions comme nous apprenons à contrôler nos
sphincters. Nous apprenons à l’enfant à ne pas uriner n’importe où mais nous ne l’empêchons
pas d’uriner, car les conséquences seraient mortelles.

Pourtant, nous apprenons à l’enfant à refouler sa colère : « Tu ne dois pas te mettre en colère
en public, papa, maman n’aiment pas ça… », mais nous ne lui indiquons pas où il peut
l’exprimer. Ce faisant, il bloque ses émotions dès l’âge de 5 ans, au risque de se fabriquer un
infarctus à 45 ans.

L’idéal est d’exprimer sa colère sur le moment, mais ce n’est pas toujours approprié. Alors, il
faut apprendre à différer. Il est vrai que la colère, comme toute émotion, ne peut pas s’exprimer
n’importe où, n’importe quand, n’importe comment ni avec n’importe qui. Tout comme nous
n’urinons pas n’importe où, n’importe quand…

Nous pouvons contrôler notre colère à certains moments et la faire sortir à d’autres. Si nous ne
pouvons pas l’exprimer ici et maintenant, nous la mettons de côté.

Par exemple, quelqu’un vous apporte un fax au moment où vous menez un entretien
important. Vous n’allez pas interrompre la relation avec votre interlocuteur pour le lire. Vous
n’allez pas pour autant mettre le fax au panier. Vous allez le mettre de côté et attendre le moment
propice pour en prendre connaissance.

Imaginez qu’un agent de la force publique vous arrête injustement. Dans ce cas-là, il est
légitime de ressentir de la colère. Il n’est pas forcément approprié de l’exprimer sur le moment
car vous risquez de terminer au poste de police. Alors l’idée est de rester courtois et lorsque le
policier vous a rendu vos papiers et que vous roulez hors de portée de vue et de voix, c’est le
moment de crier, vociférer dans votre voiture pour libérer votre colère qui a généré des tensions,
des contractures psychiques et psychologiques.

La bonne façon d’exprimer la colère passe par le cri, le son, l’intensité, pour la décharger,
l’éliminer et éviter l’accumulation, l’intoxication émotionnelle.

Alors, pour chaque colère que nous ne pouvons pas exprimer sur le moment, nous pouvons
nous réserver un temps, un lieu protecteur, seul ou avec quelqu’un d’initié pour évacuer,
extérioriser cette colère, avant qu’elle nous fasse du mal. Nous pouvons faire du foot ing en
criant, ou en tapant des pieds, nous pouvons taper sur un punching ball, ou faire comme dans des
entreprises japonaises c’est-à-dire exprimer notre colère sur la photo de notre dirigeant.

Dans ces moments-là, il faut lâcher prise, arrêter de vouloir tout contrôler avec la tête, le
mental et faire confiance à notre corps qui, dans son immense sagesse, sait ce qu’il faut faire
pour que l’émotion sorte.
Dans notre culture, nous avons peur de l’intensité. Nous n’aimons pas entendre quelqu’un qui
crie très fort ou qui tape des pieds, car nous confondons cette expression simple avec la violence.
Mais, rappelons que nous pouvons faire sortir notre énergie « colère » avec intensité, sans casser
d’objets, sans nous faire du mal, ni faire du mal à autrui.

Nous pouvons l’extérioriser pour nous-mêmes et non contre les autres.

La colère mal contrôlée, glissant dans la violence, est à proscrire, mais celle que nous gérons
bien nous soulage, car elle nous permet de nous sentir bien et donne la possibilité à notre corps
de se régénérer.

LE SERPENT VERTUEUX

Il était une fois un serpent venimeux, dans un trou de rocher, près d’un village, qui tuait
beaucoup d’enfants de ses crocs empoisonnés. C’est en vain que les villageois cherchaient à le
mettre à mort. Aussi, comme dernière chance, se rendirent-ils auprès d’un saint, dans sa
demeure solitaire, et lui parlèrent ainsi :

— Saint Maître, daigne par pitié employer ta puissance spirituelle pour arrêter le monstrueux
serpent dans son œuvre de mort! »

Le Saint accepta et se rendit auprès du rocher où, par la puissance de son divin Amour, il
força le serpent à se montrer. Il lui ordonna alors :

— Serpent, renonce à mordre mortellement les petits enfants du village, pratique la


nonviolence! »

Le serpent en fit la promesse solennelle.

Le Saint partit en pèlerinage. Au bout d’un an, à son retour, il passa près du rocher où
demeurait le serpent, se demandant s’il avait tenu parole. A sa surprise, il le trouva couché,
agonisant, portant sept blessures à son dos. Ayant demandé au serpent ce qui lui était arrivé,
celui-ci répondit d’une voix éteinte :

— Ô Saint Maître, j’ai reçu sept plaies à la suite de vos enseignements ! Dès que les enfants se
furent aperçus que j’étais inoffensif, ils me lapidèrent chaque fois que je sortais en quête de
nourriture. Plusieurs fois je me suis réfugié dans mon trou, mais je reçus pourtant sept plaies au
dos. Maître, jadis, les enfants se sauvaient à ma simple vue, mais aujourd’hui, à la suite de vos
préceptes de non-violence, c’est moi qui suis dans l’obligation de fuir! »
A ces mots, le Maître caressa le dos du serpent, le guérit, et dit en souriant :

— Petit sot, je t’avais interdit de mordre, mais non de siffler. »

Exercice

LA COLÈRE

Repérez une colère que vous vivez en ce moment dans votre vie.

Décrivez la situation. Qu’est-ce qui se passe ? Une promesse non tenue, une limitation de votre
liberté, une intrusion dans votre territoire ?

Prenez conscience de vos croyances – valeurs – imaginaires à propos de cette colère.

Que ressentez-vous sur le plan physique, que dit votre corps ?

Qu’attendez-vous de la situation, de quoi avez-vous besoin ?

Qu’allez-vous faire pour obtenir un changement. Par exemple, faire cesser le fait ou le
comportement gênant ? Obtenir réparation ? Redéfinir les territoires respectifs ? Réajuster la
perception que vous avez de votre propre territoire ?

Qu’allez-vous faire pour exprimer cette colère, et quand ?

La colère est souvent l’indice d’un critère personnel qui a été violé par soi ou par une
autre personne.
A quoi sert la tristesse ?

La tristesse sert à nous faire accepter ce qui ne peut être changé. C’est une réaction adaptée
devant toute perte. Notre besoin dans ce cas est d’être consolé.

Par exemple : Regardez ce pêcheur, il se penche pour prendre un poisson dans l’épuisette et
son briquet tombe à l’eau. Sa première réaction est sans doute la colère, car il veut que son
briquet « cesse d’être perdu ». Puis il est triste, car l’objet avait pour lui une valeur sentimentale
particulière; le briquet occupe ses pensées pendant, disons, un quart d’heure. Il se remémore
celui ou celle qui le lui avait offert, combien il était pratique, ce qu’impliquera le fait de s’en
passer. Il demeure morose jusqu’au soir. Le lendemain matin, il fait l’achat d’un briquet bon
marché; la semaine suivante il allume une cigarette et se dit : « Tiens, je n’ai plus pensé au
briquet que j’ai perdu ! » Par la suite, il le regrette encore de temps à autre, mais de moins en
moins souvent. Sa tristesse va s’atténuant. Elle a été fonctionnelle puisqu’elle lui a permis de
s’adapter à la perte ! (Exemple cité par G. Thomson dans « Transactional Analysis » Janv. 1983.)

La tristesse est bien ce sentiment concomitant à l’obnubilation par rapport à une perte
d’un objet ou d’une personne. Elle implique un mouvement de retrait, de repli sur soi
(aller en soi-même).

Au risque de vous surprendre, la tristesse est une très bonne chose, car elle favorise une
restructuration de la vie en fonction de cette perte. C’est le sentiment qui résulte et participe au
processus de deuil.

La façon appropriée de l’exprimer est de pleurer, de laisser venir les sanglots en faisant du
bruit, de dire son mal, se faire prendre dans les bras.

La tristesse est tournée vers le passé : la perte à laquelle la personne fait face a déjà eu lieu.
Une tristesse par rapport à l’avenir serait un sentiment trafiqué.

Par exemple, notre pêcheur de tout à l’heure aurait pu persister à ruminer la perte de son
briquet, se dépeindre l’événement sous des traits injustes, dramatiques, tragiques. Il aurait pu
refuser de s’acheter un autre briquet en anticipant une tristesse dans l’éventualité d’une nouvelle
perte. Dans un tel cas, il s’enfermerait et pourrait même y ajouter les autres pertes qu’il a déjà
subies et s’engager dans la dépression…

La nature nous donne les moyens de surmonter les crises et les épreuves, tant sur le plan
physique que psychologique. Par exemple, votre enfant se fait une plaie au genou, vous la
nettoyez, et en quelques jours, grâce au processus de cicatrisation, le « bobo » va complètement
disparaître.

Le deuil et ses étapes correspondent au processus de cicatrisation psychologique. Il est inscrit


en nous dès la naissance, et si nous le laissons s’accomplir, la vie continue sous une nouvelle
forme, nous nous adaptons à une perte d’objet ou de personne.

Le prix à payer est le passage par une certaine souffrance, une certaine tristesse et nous
n’aimons pas cela. Nous sommes très tenté d’éviter la souffrance mais, dans ce cas, nous
entravons le processus naturel de deuil et la cicatrisation ne se fait pas ou mal. Nous nous
mettons dans la position de notre enfant de tout à l’heure qui malgré sa blessure au genou
refuserait que nous nettoyons la plaie.

Notre vie quotidienne est une suite de deuils. Le matin, je quitte la chaleur de mon lit, de mon
foyer…, et le soir je dois faire le deuil de ma journée, de ce que j’ai fait et même de ce que je
n’ai pas fait.

Notre vie commence par un deuil, celui de l’utérus de notre mère où nous étions nourri, logé,
au chaud. Lorsque nous entrons dans la vie, nous devons nous adapter à la température, à la
respiration, à l’alimentation et plein d’autres choses. Nous pouvons faire l’hypothèse que nous
étions attachés à notre vie « in utero ». Par la naissance, nous nous en séparons et nous devons
donc en faire le deuil.

Il n’y a pas de vie sans attachement, pas d’attachement sans séparation, pas de séparation sans
deuil pour surmonter la souffrance consécutive à la perte d’objet. Dès la naissance, nous nous
attachons à nos parents qui parfois s’occupent de nous et d’autres fois nous laissent seuls dans
notre chambre. Chaque fois que la séparation survient, le processus de deuil se met en place pour
que nous puissions nous séparer d’un être cher ou d’un objet auquel nous tenons.

Le côté souffrance ne nous arrangeant pas, nous sommes tentés de nier la réalité, plutôt que de
sentir la douleur de la séparation. Nous cherchons à mettre un substitut à la place, au risque de
nous réfugier dans le travail, le tabac, la drogue, la soif de pouvoir, d’argent…

Ces substitutions mènent à l’impasse. Mieux vaut affronter la séparation et la part de


souffrance qui va avec la perte, tout comme il est préférable pour notre enfant d’accepter la
douleur passagère du désinfectant qui va permettre la cicatrisation de la blessure au genou. En
tentant d’y échapper, nous risquons l’infection.

En tentant d’échapper à la douleur de la perte, de la séparation, nous risquons d’entraver le


processus de deuil et, par là, de générer une infection émotionnelle et psychologique. Mais, et
c’est notre leitmotiv dans ce livre, la nature fait bien les choses, car elle nous permet de faire nos
deuils avec du temps et selon des phases repérables que nous allons décrire ci-dessous.
Nous nous inspirons principalement des travaux du Dr E. Kübler-Ross. D’autres auteurs ont
approfondi ces étapes. Elles ne sont pas absolues. Leur ordre chronologique peut varier d’un
individu à l’autre. Certaines personnes resteront plus longtemps dans telle ou telle phase plutôt
qu’une autre. Ces étapes sont donc à prendre comme des indicateurs qui permettent de
comprendre où nous en sommes dans nos deuils, pour mieux les gérer.

1re étape du deuil : le déni

« Ce n’est pas possible ! Ce n’est pas vrai ! » Voilà la première des choses que nous disons
lorsque nous avons perdu nos clefs de voiture. Nous les cherchons et recherchons dix fois dans
les mêmes endroits.

La personne à qui on va annoncer un diagnostic de maladie grave va penser : « Ce n’est pas


vrai, quelqu’un a dû se tromper dans les analyses. »

J’ai connu cet état de déni lorsque l’on m’a informé qu’un chauffard, brûlant un stop, venait de
tuer un de mes amis. J’ai eu du mal à intégrer cette triste nouvelle. J’ai passé une sale nuit et j’ai
mis du temps le lendemain matin pour reprendre contact avec cette nouvelle réalité qui ne me
convenait pas. Je me souviens qu’inlassablement dans ma tête tournait cette phrase : « Ce n’est
pas possible, pas lui… ce n’est pas possible, pas lui… ».

Le déni est donc une résistance à la réalité. Nous faisons pour un moment comme si la perte
n’existait pas.

Cette étape est importante et très utile car elle sert d’amortisseur par rapport à l’impact d’une
dure réalité. Elle sert de fusible pour supporter l’intensité d’une perte soudaine.

Devant toute perte et séparation inconfortable ou douloureuse, nous avons tendance à puiser
dans ce réflexe de déni, et cela peut durer quelques minutes, quelques mois, quelques années…
Certains ne dépassent jamais ce stade.

Cette phase est donc importante à respecter, ce qui ne signifie pas qu’il faut l’encourager, la
perpétuer, car dans ce cas nous bloquerions l’accession à l’étape suivante. Car nous avons beau
nous dire : « Ce n’est pas vrai », la réalité est là. Dans le cas de mon ami, il était mort. Je n’avais
pas le pouvoir de changer cette réalité.

2e étape : la révolte, la colère, la protestation

« Pourquoi est-ce à moi que ça arrive ? Ce n’est pas juste ! Qu’ai-je fait ? Que n’ai-je pas fait ? »
Et nous avons beaucoup de ressentiments contre la terre entière et même les cieux. « S’il
existait un dieu, il ne laisserait pas faire des choses pareilles. »

Dans le cas de mon ami, je pouvais être en colère :

contre moi : « Je n’aurais jamais dû lui prêter ma voiture. »

contre lui : « Combien de fois je lui ai dit de rouler moins vite! »

contre la société : « Mais que fait donc la police ? Et l’équipement ? En France, c’est toujours
pareil, il faut des dizaines de morts avant que l’on fasse des travaux pour la sécurité… »

Dans cette phase de colère, nous reprenons contact avec de vieux réflexes.

Quand nous étions petits et que maman nous laissait seul dans notre chambre (séparation), il
suffisait parfois d’exprimer une grosse colère pour la faire revenir.

Quand notre grand frère nous prenait de force notre nounours, il suffisait là encore d’exprimer
très fort une bonne colère pour que nos parents interviennent et que notre jouet nous soit restitué.

Ainsi dans notre enfance, nous avons associé la colère à la possibilité de faire revenir l’objet
perdu.

Cette deuxième étape du deuil est donc importante car elle nous fait vérifier si l’on peut ou
non faire revenir l’objet perdu. Et plus l’attachement est fort, plus la colère sera intense.

Les soignants dans les hôpitaux connaissent bien cette phase au cours de laquelle les malades
sont furieux contre les infirmières, les médecins, le cuisinier… Cette étape doit être respectée. En
même temps, là encore, il ne faut pas l’alimenter, car nous devons ensuite passer à l’étape
suivante.

Si je reprends l’exemple de mon ami, le fait d’être en colère contre la terre entière ne le faisait
pas revenir.

3e étape : la peur

Petit à petit, nous intégrons la réalité, nous prenons conscience de la perte et, là, nous pouvons
ressentir de la peur, du doute, un sentiment d’incertitude, de l’inquiétude, de la panique même.
« Comment vais-je faire sans mes clefs ? »

« Qu’est-ce qui va m’arriver avec cette maladie ? »

Dans le cas de mon ami : « Comment vais-je vivre sans lui ? » Cela vient toucher ma peur
profonde d’être seul et abandonné. Et puis moi, je prends régulièrement la route et donc je risque
aussi d’être rayé de la liste des vivants par un chauffard inconscient.

Pour un malade du Sida à un stade avancé, cela peut être : « Et si mon état les répugnait au
point qu’ils ne m’acceptent plus comme un des leurs ? ». Cela vient toucher sa peur du rejet, du
délaissement, de l’abandon.

Enfin, pour chacun d’entre nous, la peur de l’heure de notre mort ne se résume-t-elle pas à la
question : « Et si après ce passage, personne ne m’attendait pour m’accueillir ? »

Cette phase est importante et souvenons-nous qu’une peur ne se rationalise pas. Il faut mettre
des protections pour passer à la phase suivante.

4e phase : Le marchandage

Il s’agit de transactions internes.

Oui, j’ai un cancer du poumon, mais si j’arrête de fumer, si je prends bien mes médicaments, si
je vois tel guérisseur, si je prie beaucoup…

Oui, mon ami est mort, mais ce n’est pas de ma faute. Je n’y suis pour rien. Je n’étais pas là. Je
lui donnais toujours de bons conseils.

Oui, je prends souvent la route, mais si j’achète une grosse voiture avec une barrière de sécurité,
l’ABS, l’air-bag…

Dans cette étape, nous reprenons contact avec des attitudes que nous avions dans l’enfance
lorsque nous voulions différer un moment redouté comme celui du coucher, de la nuit, de la peur
du noir. Alors nous posions pleins de questions toutes aussi importantes les unes que les autres.
Ou nous faisions le coup de « Encore cinq minutes ». En bref, nous jouions la montre pour
différer le moment redouté de la séparation.

Cette étape est donc tout aussi importante que les précédentes. Elle doit être respectée mais
non prolongée arbitrairement. Chacun de nous, dans cette phase, est vulnérable. Le piège
consiste à nous nourrir de faux espoirs :

en cas de maladie, nous sommes prêts à prendre n’importe quel traitement, et les charlatans de
tout poil savent bien profiter de ces moments de « marchandage » pour vendre n’importe quelle
poudre de perlimpinpin…

en cas de mal-être psychologique, les sectes savent bien saisir cette période pour grossir leurs
rangs.

Cette phase, si elle n’est pas contrariée, doit naturellement nous amener à l’étape suivante, le
moment que nous redoutons depuis le début.

5e étape : la tristesse

C’est la dépression consécutive à l’intégration de l’événement et à son lot de souffrance :

Oui, j’ai perdu mon briquet, il est tombé dans l’eau, et je ne le reverrai pas.

Oui, j’ai une maladie grave, et il n’y a pas grand chose à faire.

Oui, mon ami est mort, et je n’ai que les yeux pour pleurer.

Ce moment de dépression n’est pas pathologique, car nous savons pourquoi nous souffrons. Il
est consécutif à une perte précise et il survient après plusieurs phases. Nous rentrons vraiment
pour la première fois en contact avec la perte.

La dépression se traduit par une baisse d’énergie, un besoin de retrait. Il permet de désinvestir,
de lâcher prise sur les choses ou les personnes que nous venons de perdre.

Cette cinquième étape est particulièrement importante car nous sommes au cœur de la douleur
et dans la douleur du cœur. Nous avons besoin d’être soutenu, d’avoir quelqu’un à nos côtés, qui
prend une juste distance émotionnelle, qui est capable d’écouter notre douleur sans chercher à se
l’approprier, d’observer un silence compatissant pour nous faire sentir que, malgré notre
souffrance, nous appartenons à la communauté humaine.

Dans les grandes souffrances, une personne non accompagnée risque de rentrer dans les
« pathologies » du deuil. Perte du sens de la vie : suicide, demande d’euthanasie,… autant de
façons de se détacher plutôt que de vivre la douleur de la séparation, autant de demandes ultimes
d’amour et d’appartenance.
Il faut faire également attention à l’acharnement médical et/ou psychologique cherchant à nous
faire éviter ce moment.

Cette phase incontournable de tristesse, de dépression, de lâcher-prise, bien accompagnée,


ouvre la porte à l’acceptation.

6e étape : l’acceptation

Quand nous en sommes là, nous arrivons à la phase de maturité. Nous ne nous débattons plus à
contre courant, nous ne nous résignons pas non plus car ce serait un détachement.

Nous pouvons donner un sens à notre souffrance, ce qui nous permet de nous centrer sur le
sens de notre vie.

Nous pouvons accepter la perte et restructurer notre temps en fonction d’elle.

Souvenez-vous de l’exemple du pêcheur.

Nous pouvons parler calmement de la perte, accéder à nos émotions sans être submergés.
C’est ce qui se passe en ce moment pour moi quand j’évoque mon ami. Car j’ai vécu toutes les
étapes du deuil et, maintenant qu’il est mort physiquement, il est présent en moi et dans ma vie
au quotidien par nombre de petits signes.

En cas de perte d’un conjoint, l’entrée dans cette phase d’acceptation signifie la fi n du
veuvage psychologique. La personne veuve conçoit de faire de nouveaux projets sans l’être
disparu.

Si nous savons que nous allons mourir, lorsque nous en sommes à cette phase, c’est le meilleur
du « commencement de la fin ». Nous prenons le temps de conclure, de mettre les choses en
ordre, de nous réconcilier avec nous-même et avec les autres.

Voilà les principales étapes du deuil auxquelles nous pourrions rajouter d’autres étapes plus
« spirituelles » comme le pardon, mais nous souhaitons en rester à notre domaine, celui du
psychologique.

Encore une fois, ces six étapes sont relatives, en même temps que d’excellents indicateurs
pour gérer nos propres deuils.
Exercice

LA TRISTESSE

Repérez un deuil que vous vivez en ce moment dans votre vie.

Décrivez la situation. Que s’est-il passé, quelle perte avez-vous subie ?

Prenez conscience de vos valeurs – croyances – imaginaire à propos de ce deuil.

Que ressentez-vous sur le plan physique ?

Où en êtes-vous dans les étapes du deuil ?

Qu’attendez-vous de cette situation ? De quoi avez-vous besoin ?

Que pouvez faire pour vous faire consoler ?

Qu’allez-vous faire pour bien terminer votre deuil, en respectant toutes les étapes ?

La tristesse nous indique quand lâcher prise, quand changer de cap. Elle est le ferment
de l’imaginaire. Elle nous permet de vivre sans l’objet perdu.
A quoi sert la joie ?

La joie sert à partager avec les autres, à faire circuler un flux d’énergie, de vitalité. Notre besoin
dans ce cas est de nous sentir aimé, apprécié, reconnu, admiré.

Par exemple : Imaginez que vous avez expédié conjoint et enfants en promenade pour un
temps car vous avez décidé de faire le grand rangement de printemps, sans personne dans les
jambes. Vous commencez votre tâche, le téléphone sonne, c’est le notaire qui vous annonce que
vous avez hérité d’une grosse somme d’argent. En reposant le combiné, vous allez très vite
changer de coloration émotionnelle. Alors que quelques minutes plus tôt, le fait d’être seul vous
allait très bien, maintenant vos proches vous manquent car vous n’avez qu’une envie : les avoir
près de vous pour dire, pour partager votre joie, et envisager avec eux toutes les bonnes choses
que vous pourrez faire ensemble grâce à cette somme d’argent.

La joie nous signale que nous avons atteint un but, que nous avons réussi quelque chose.

Elle est bien ce sentiment concomitant du partage d’un bien-être, d’un plaisir, elle est un
moteur. Elle implique un mouvement d’ouverture, d’aller vers.

Elle est aussi un véritable aimant relationnel car, lorsque nous exprimons une joie authentique,
cela attire la sympathie des autres. Elle nous désinhibe. Grâce à elle, nous osons faire plein de
choses avec le sentiment que tout devient possible.

La joie est donc une très bonne chose pour nous car, dans le partage, nous nous sentons
exister, nous augmentons notre vitalité. La façon usuelle de l’exprimer est de crier, de sauter,
rire, gesticuler, embrasser, etc.

La joie ne supporte pas la concurrence avec une autre émotion.

Il y a quelques années, j’avais préparé un examen avec un ami. Nous avions à peu près le
même niveau; pendant plus de trois mois, nous avons « bachoté » ensemble. Vint le jour de
l’examen, puis la liste des résultats affichés sur la porte de l’établissement. Pour en prendre
connaissance, il nous fallut traverser ensemble la place d’armes d’une longueur d’environ quatre
cents mètres. Une fois devant la fameuse liste, je m’aperçus très vite que j’étais reçu. En
revanche, le nom de mon ami n’y figurait pas. Quand je me suis tourné vers lui, je compris à sa
tête qu’il était recalé… Que s’était-il passé ? Je ne sais pas, mais je me sentais pris entre deux
sentiments : la joie d’être reçu et la tristesse que mon ami ne le soit pas.
Dans un tel contexte, je ne me sentais pas autorisé à exprimer ma joie. Et je peux vous certifier
que lorsqu’il m’a fallu retraverser la place d’arme avec mon ami, il m’a semblé qu’elle faisait …
vingt kilomètres !

Comme pour toute émotion, nous pouvons trafiquer la joie dès l’enfance.

Imaginez un petit garçon qui « s’éclate » dans le jardin avec son nouveau jouet. Puis il entre
« en trompette » dans le salon, enthousiaste, à l’idée de faire partager sa joie et, là, il rencontre
son père, sa mère, sa grande sœur, debout, le visage défait.

Son père le regarde d’un air sévère et lui dit : « Tu n’as pas honte de faire tout ce bruit, tu n’as
pas honte d’exprimer de la joie, alors que Papy vient de mourir. Regarde ta grande sœur, prend
exemple sur elle »

Nous pouvons imaginer que la joie de ce petit garçon est clouée sur place. Il peut en déduire
que montrer sa joie n’est pas convenable et prendre la décision de ne plus jamais l’exprimer
ostensiblement à l’avenir. Il deviendra un « constipé » de la joie.

Nous avons tous dans notre entourage une personne qui a « tout pour être heureuse », comme
on dit; et pourtant elle ne semble pas l’être : elle a réussi à ses examens, elle poursuit une belle
carrière avec un bon salaire, elle habite une belle maison, son couple va plutôt bien et ses enfants
se portent à ravir et réussissent bien en classe.

Malgré tous ces signes extérieurs de bonheur, elle ne semble pas vivre sa réussite comme
satisfaisante. Elle est efficace dans tout ce qu’elle fait, sauf un point : en éprouver une
satisfaction personnelle.

Dans notre pratique de psychothérapeute, nous rencontrons même des personnes en dépression
parce qu’elles viennent d’atteindre leurs objectifs avec succès. Ainsi tel cadre qui avait trimé des
années pour obtenir son poste et qui, quelques mois plus tard, sombrait dans la dépression.
Attention, il s’agit d’une maladie très répandue.

Même celui qui semble avoir tout réussi peut avoir un vague sentiment d’échec. Là encore, le
poids de la culture, de l’éducation fait que si nous avons le droit d’avoir des projets, de les mettre
en œuvre, de les réussir même, nous portons toutefois en nous un message pervers du genre :
« Ne profite pas du fruit de la réussite », « Ne te réjouis pas », avec l’ombre de la menace
exprimée dans le fameux proverbe:
« Qui rit vendredi, dimanche pleurera. »

Nous appelons cela le syndrome de Lucky Luke. Vous savez, le fameux héros de bandes
dessinées qui « tire plus vite que son ombre ». Au début de chaque album, les Daltons sont libres
et terrorisent le village entier. Puis Lucky Luke intervient, fait emprisonner les Daltons et tous les
autres retrouvent la paix et la joie. Enfin, tout le monde sauf un : Lucky Luke, qui reste un
« pauvre cow-boy solitaire ».

Souvenez-vous de la dernière fête que vous avez organisée et réussie. Vous avez su
l’imaginer, la mettre en œuvre et lorsque la fête battait son plein, que tout le monde était
heureux, que l’on vous félicitait, n’étiez-vous pas déjà dans autre chose ?

Comment vais-je nettoyer demain matin ?

Comment pourrais-je faire encore mieux la prochaine fois ?

Ne vais-je pas être trop fatigué pour reprendre le travail demain ?

Eh oui ! Vous étiez déjà dans un autre projet en ratant une marche, en sautant une étape : celle
de profiter du fruit de votre réussite, de faire un arrêt sur image, de savourer votre joie, de vous
remplir de bien-être et surtout de prendre le temps de partager votre joie avec les autres.

Voilà pourtant une belle occasion d’ancrer une expérience positive pour laisser naître un
nouveau projet.

C’est comme pour les étapes du deuil : si vous en sautez une, vous compromettez les
suivantes. Si nous ne prenons pas le temps de profiter des petits plaisirs au quotidien et des
grandes joies de la vie, si nous ne les partageons pas avec autrui, nous ne récupérons pas
l’énergie nourricière vitale pour notre bien-être. Sans énergie, sans vitalité, nous devenons plus
sensibles au risque de maladies psychologiques, (dépression) ou somatiques (ulcère, infarctus).

D’où l’importance de bien gérer l’émotion joie. Prendre un temps spécifique pour la partager
avec les autres, en faisant attention aux Messieurs « Ronchons », et nous en avons tous dans
notre entourage.

Exemple : Votre fils vient de réussir son examen, et vous téléphonez à l’oncle Gustave : « Tu
sais, Julien vient d’avoir son bac. » Réponse de l’oncle : « Eh bien, ça débouche directement sur
le chômage. » Cette réflexion ne risque-t-elle pas de vous couper votre joie ?

Moralité : une façon de bien gérer l’émotion joie est de se protéger de tous les rabat-joie.

A la place du syndrome de Lucky Luke, nous vous proposons le « syndrome » d’Astérix et


Obélix car, après leurs aventures, eux se réunissent avec tout le village et profitent du banquet.
Il est important de savoir prendre du plaisir et de profiter de tous les moments de joie de la
vie :

bien prendre le temps de les savourer avec les autres;

accepter d’être satisfait de ce que vous avez réalisé;

vivre chaque moment séparément : projet, réalisation, réussite et plaisir et de la réussite;

vous faire des projets plaisir.

En un mot, mettre tout en œuvre pour vivre pleinement l’émotion joie, pour en récupérer
énergie et vitalité.

Exercice

LA JOIE

Repérez un moment de joie que vous vivez en ce moment (ou que vous avez eu récemment).

Décrivez la situation. Que s’est-il passé, quel événement merveilleux vous est-il arrivé ?

Prenez conscience de vos valeurs - croyances - imaginaire à propos de ce plaisir.

Que ressentez-vous sur le plan physique ?

Qu’attendez-vous dans ce type de situation ? Quel est votre besoin ?

Qu’allez-vous faire pour capitaliser l’énergie de cette joie ?

La joie est un moteur, un élan vers l’intimité, le partage, un aimant relationnel. Grâce à elle
tout devient possible.
Comment trafiquons-nous nos émotions ?

Pourquoi n’utilisons-nous pas nos émotions de manière fonctionnelle ?


Pourquoi n’utilisons-nous pas nos peurs pour nous protéger d’un danger et nos colères pour
faire changer ce qui ne nous convient pas ?

Pourquoi, lors de pertes d’objets ou de personnes, ne nous autorisons-nous pas à reconnaître


notre tristesse et encore moins à l’exprimer ?

Pourquoi, enfin, sommes-nous si réservés pour exprimer nos joies ?

Nous avons déjà donné quelques éléments de réponses : l’éducation, la culture, le manque de
savoir et de savoir-faire. En même temps, il y a une autre raison, plus propre à chacun d’entre
nous, à savoir que nous mélangeons et nous nous mélangeons dans les émotions. Nous risquons
de nous bloquer, par exemple, dans la colère parce que nous ne voyons pas qu’en-dessous se
trouvent de la peur et de la tristesse.

Exemple : prenons un personne déprimée. Elle ne sort pas de sa tristesse à propos de son
divorce. Peut-être ne veut-elle ou ne peut-elle pas entrer en contact avec sa colère contre son ex-
conjoint ou avec sa peur de vivre seule.

Quelle qu’en soit la raison, cette personne se bloque dans l’émotion tristesse en méconnaissant
la présence de sa colère et de sa peur qu’elle ne gère pas. En conséquence, elle contrarie le
processus de deuil. (Exemple cité par G. Thomson dans Transactional Analysis Journal XIII, 1er
janvier 1983).

Dans le même ordre d’idée, nous pouvons considérer l’anxiété c’est-à-dire le blocage dans la
peur, comme une défense contre le contact avec la colère, si celle-ci n’était pas admise dans
notre milieu d’origine.

Dans notre pratique professionnelle, nous avons rencontré également des jeunes délinquants
qui se coinçaient dans la colère, la révolte, car montrer de la peur était dangereux dans leur
milieu et la tristesse les renvoyait au manque d’espoir dans leur vie sans avenir. La ressentir
pourrait vite les entraîner dans une profonde dépression.

Le traitement d’un sentiment bloqué requiert en général la prise de conscience et aussi


l’expression des trois autres sentiments. Donc, gérer nos émotions, c’est prendre conscience de
nos blocages et de nos trafics d’émotions.

Pour ce faire, l’analyse transactionnelle a repéré nos trois manières habituelles :

la collection de timbres

l’élastique.

le racket

La collection de timbres

Il s’agit d’un processus d’accumulation des émotions.

Exemple : je me lève le matin, je vais à mon cabinet de toilette, et je m’aperçois que mon fils
aîné a utilisé ma brosse à dents pour cirer ses chaussures de sport. Je ressens la colère qui monte
en moi alors même que « l’auteur de cette infamie » entre tout sourire, et m’embrasse
chaleureusement en me lançant un grand « Bonjour papa ». Je ravale ma colère, et les dents
serrées je lui dis « Bonjour fiston ».

Quelque temps plus tard, après un petit déjeuner express, je saute dans ma voiture pour aller
travailler; lorsque je tourne la clef de contact je constate que je suis à la limite de la panne
d’essence ! Et oui, ma femme a utilisé mon véhicule la veille et a oublié de faire le plein.
Combien de fois lui ai-je dit « le dernier qui prend la voiture pense à celui qui la reprendra » !

Je ressens donc de la colère, lorsque mon épouse passe à côté de moi en me lançant d’un ton
joyeux « Bonne journée mon chéri ». Je ravale une nouvelle fois ma colère, je serre une nouvelle
fois les dents, et lui répond « Merci, toi aussi ».

Arrivé sur mon lieu de travail je croise la femme de ménage et je constate en un éclair qu’elle
a « encore » touché à mon bureau. Combien de fois lui ai-je demandé de ne pas toucher à mes
affaires ? Moi je me retrouve dans mon désordre et, si quelqu’un le range, cela me dérange. La
femme de ménage me sort de mes fulminations intérieures par un « Bonne journée ! » Auquel je
réponds par un automatique « Merci, vous aussi » qui cache une nouvelle fois ma colère.

Je m’assois à ma table de travail; mon collègue vient m’apporter un dossier et en le posant sur
le bureau fait tomber mon agenda sans le faire exprès. Alors là ! C’est la fameuse goutte d’eau, je
rentre dans une colère disproportionnée, je « l’engueule copieusement », si bien qu’il ramasse
mon agenda, le pose délicatement sur mon bureau, sidéré par tant de hargne pour un fait aussi
dérisoire.
Que s’est-il passé ?

J’ai accumulé mes rancœurs, je n’ai pas su exprimer ma colère à mon fils, mon épouse, ma
femme de ménage et c’est mon collaborateur (le dernier qui passe) qui en fait les frais.

Chaque fois que nous prononçons des phrases du style; « Celui-là, je l’ai dans le collimateur »,
« J’en ai ras le bol », « Il doit savoir jusqu’où aller trop loin », etc.… Attention ! Nous sommes
en train d’accumuler, de collectionner.

L’idée de collection renvoie à ce qui se passe quand vous faites vos courses dans une
supérette. Arrivé à la caisse, l’hôtesse vous donne un carnet. Chaque achat vous permet d’obtenir
un timbre que vous collez dans le dit carnet.

Dix timbres vous donnent droit à un paquet de café.

Cinquante timbres vous donnent droit à une superbe cafetière électrique…

Si vous êtes très patient, avec cent timbres vous pouvez gagner un voyage pour deux
personnes en Colombie pour aller voir la récolte du café.

Dans l’exemple ci-dessus, je collectionne des timbres de colère et en échange de quatre


frustrations je m’autorise un éclat de voix; la chute de l’agenda étant la « goutte d’eau » et mon
collaborateur l’objet de mon déversoir émotionnel.

Dans ce processus de mauvaise gestion, tout le problème est d’accumuler assez d’émotion
refoulée pour dépasser la limite à partir de laquelle il m’est permis d’exprimer telle ou telle
émotion sans culpabilité.

Mais il en va des résultats de l’accumulation émotionnelle comme pour les brûlures :

la brûlure du 1er degré fait un peu mal et se cicatrise assez vite sans laisser vraiment de trace.

la brûlure du 2e degré fait plus mal et met plus de temps à cicatriser et laisse souvent une trace.

Sur le plan émotionnel, cela peut donner une accumulation pendant des mois

avec tel collaborateur : je le licencie

avec mon conjoint : je divorce.


Lorsque nous atteignons la brûlure du 3e degré cela devient très grave.

Sur le plan émotionnel, les effets de l’accumulation peuvent entraîner :

le meurtre,

le suicide,

la folie.

Ou encore la somatisation grave, type infarctus, cancer…

Combien de fois voyons-nous au journal télévisé le fait divers suivant ?

M. Dupont, 46 ans, a tiré sur sa femme et ses deux enfants puis a retourné l’arme contre lui.
Le plus curieux, c’est qu’en général il se rate.

Le journaliste interview son employeur, ses collègues, ses voisins, et les avis sont unanimes :
« On ne comprend pas ! M. Dupont était très gentil, toujours d’humeur égale, formant un couple
sans histoire avec des enfants bien élevés. »

En fait M. Dupont a peut être accumulé les frustrations sans rien dire pendant des mois, des
années puis… la goutte d’eau ! Et cela finit très mal.

De par notre éducation, nous avons tous tendance à entrer dans ce processus d’accumulation,
mais chacun à notre façon. Il y a celui qui ne collectionne qu’un seul type de timbres : la colère,
la peur ou la tristesse, et le goulu qui les collectionne tous.

Il y a celui qui aime montrer sa collection et celui qui la cache.

Il y a celui qui aide son prochain à remplir une collection.

En tant qu’intervenant en entreprise, nous observons souvent le phénomène de collections


communautaires. Par exemple, dans la salle de détente du personnel, trois administratifs
discutent entre eux. L’un s’exclame : « Vous vous rendez compte, les commerciaux ! Incapables
de remplir correctement l’imprimé A24 concernant les frais de déplacements … et après ces
Messieurs vont se plaindre de ne pas être remboursés. »

Quelques mètres plus loin, dans la même salle, au même moment, trois commerciaux discutent
entre eux, l’un s’exclamant « Vous vous rendez compte, les administratifs ! Vous avez vu leur
dernière trouvaille pour les frais de déplacements ? Je défie quiconque de normalement constitué
de pouvoir remplir leurs fameux imprimés A 24 ».

Chaque clan développe sa collection contre les autres et si le manager n’y prête pas attention
cela risque de finir très mal pour l’entreprise ainsi que pour les individus qui la composent.

Au niveau émotionnel, épargner et collectionner n’assure pas la richesse.

Une bonne gestion des émotions consiste à ne pas charger, ne pas accumuler car un tel
processus peut devenir très dangereux.

Nous n’avons rien à gagner à attendre. Il vaut mieux faire un usage fonctionnel de nos
émotions tel que nous l’avons décrit dans le chapitre précédent.

Ainsi exprimer nos émotions au fur et à mesure et de manière appropriée est le plus sûr moyen
de faire disparaître le malaise.

Cette grille d’analyse sur la collection de timbres permet :

de repérer quelle émotion nous nous interdisons d’exprimer (et dans quel cadre),

de prendre conscience de notre collection en cours pour la liquider à petite dose dans un
environnement sûr, voire de la détruire et d’y renoncer,

de finir le cycle charge/décharge relatif à chaque émotion pour liquider chaque timbre,

de nous donner à intervalles réguliers les différentes soupapes de sécurité dont nous avons
besoin,

de chercher d’autres façons plus profitables d’obtenir les stimulations dont nous avons besoin,

d’élargir notre répertoire de comportements en liaison avec la gestion de stress.

L’élastique

Il s’agit d’une réaction excessive qui peut concerner n’importe quelle émotion.
Par exemple : j’entre dans une agence pour demander des informations, car je me propose de
faire un voyage lors de mes prochaines vacances. Dès que j’aperçois l’hôtesse d’accueil, je
ressens envers elle une colère épouvantable, inexplicable, et somme tout inadaptée à la situation
présente car je ne connais pas cette personne et je viens pour m’accorder un plaisir !

Sur la demande de mon patron, je dois faire une courte intervention auprès de mes collègues
sur un sujet qui entre en plein dans mes compétences et que je connais par cœur. Lorsque je me
présente devant mon « public », je ressens de la peur, les mots ne viennent pas, mes gestes sont
mal assurés, c’est la panique… Et je réalise une piètre prestation.

Pourtant je connais le sujet, le patron est plutôt bienveillant à mon égard et mes collègues
m’aiment bien tout en reconnaissant mes compétences. Là encore mes réactions actuelles sont
disproportionnées par rapport à l’événement vécu ici et maintenant.

Nous pourrions multiplier les exemples et je suis sûr que mes propos vous rappellent des
situations que vous avez déjà vécues.

Alors que se passe-t-il ? En général l’événement présent ressemble à une situation


problématique que j’ai vécue dans le passé sans l’avoir résolue sur le plan psychologique. Cette
situation n’ayant pas trouvé d’issue satisfaisante, les vieux sentiments qui s’y attachent s’ajoutent
aux sentiments liés à la situation nouvelle.

Illustrons cela en reprenant notre premier exemple. La colère que je ressens par rapport à
l’hôtesse de l’agence de voyage peut venir du fait qu’elle ressemble à ma tante Alice avec
laquelle je partais en vacances autrefois quand j’étais enfant. Chaque fois que je lui demandais
quelque chose de l’ordre du plaisir, la réponse étant toujours non ! Pas maintenant, on verra plus
tard ! Elle ne tenait jamais ses promesses. Je ressentais alors beaucoup de colère que je ne
pouvais pas exprimer. Or nous l’avons vu, tout ce qui ne s’exprime pas, s’imprime. Tout ce qui
s’imprime cherche à un moment ou un autre à s’exprimer.

Dans mes échanges avec l’hôtesse, mes vieux sentiments refoulés envers ma vieille tante
reviennent.

Le deuxième exemple est tiré d’une expérience d’accompagnement avec un de nos clients qui
se plaignait de ses difficultés quant à prendre la parole en public. Pourtant, il s’agissait d’un
homme intelligent, compétent et même brillant.

Nous lui avons suggéré que la peur excessive qu’il rencontrait actuellement venait peut-être
d’un événement ancien qui n’avait pas trouvé d’issue positive. Notre remarque l’intrigua, et à la
séance d’après, il me déclara : « Cette semaine j’ai fait un rêve. J’étais en classe de 6e avec mon
professeur de français, un enseignant de qualité, pour qui j’avais le plus grand respect. A mon
réveil, je me demandais bien pourquoi, j’avais rêvé de cet homme. Puis j’ai fait le lien avec votre
réflexion de l’autre jour; brutalement je me suis souvenu d’un épisode douloureux pour moi à
cette époque.

En fait j’étais un très bon élève en français et reconnu comme tel par mon professeur et mes
camarades de classe. Un jour, j’entre en classe et, chose rare, je n’avais pas eu le temps de
préparer mes leçons car mes parents nous avaient emmenés au Mont Saint-Michel durant le
week-end. Le professeur de français m’interroge ce matin là, persuadé que, vu mon niveau,
j’allais répondre facilement, et toute la classe attendait de ma part une réponse correcte. Or
n’ayant pas préparé, je me suis complètement bloqué, je n’ai rien pu sortir j’ai ressentis de la
réprobation de la part du professeur, ainsi que de la déception chez mes camarades. Je ne me
sentais pas à la hauteur. Et j’ai fait ce que j’ai pu pour oublier au plus vite cet événement très
humiliant pour mois »

Notre client n’avait pas pu résoudre de manière satisfaisante cet événement, alors qu’il avait
11 ans. Les vieux sentiments revenaient en force et se rajoutaient à la situation présente chaque
fois qu’il devait prendre la parole en public.

Dans un tel cas, les sentiments deviennent disproportionnés, comme si la situation présente
était attachée par un élastique à la situation ancienne qui est revécue.

N’oublions pas qu’un élastique peut s’étirer jusqu’à devenir trois fois plus long.

Nous voyons à quel point nous pouvons nous empêcher de fonctionner pleinement dans l’ici et
maintenant avec de telles réactions excessives. Nous risquons de bloquer ou de déformer notre
conscience de la réalité présente.

En revanche, nous pouvons aussi par un travail approprié, de préférence avec un


accompagnateur compétent, repérer les situations anciennes pour les revivre dans le présent, et
faire un travail symbolique et/ou émotionnel.

Il n’est pas toujours facile de retrouver l’événement traumatique comme dans l’exemple ci-
dessus. Dans ce cas, nous pouvons cependant repérer nos blessures du passé, couper l’élastique
et apprendre comment exprimer nos sentiments actuels.

Enfin, l’élastique peut également enrichir notre vie comme dans la fameuse histoire de « la
madeleine » de Proust.

Nous avons vécu aussi des événements heureux, que nous pouvons ramener dans notre vie
actuelle; il s’agit d’une méthode très utilisée en relaxation, ou visualisation positive.
Le racket

Il s’agit d’une réaction fausse et manipulatrice induisant un parasitage des sentiments. Attention,
dans ce cas, une émotion peut en cacher une autre ! Par exemple : quand j’étais enfant et que je
voulais quelque chose que papa me refusait, si je me mettais en colère il m’opposait un
vigoureux « ce n’est pas la peine de t’énerver, je ne céderai pas ».

Si je me mettais dans mon coin avec un air triste à « fendre l’âme », il craquait car il ne
supportait pas de voir son enfant malheureux et j’obtenais ce que je voulais. Du haut de mes 5
ans, j’en ai déduis que la colère n’était pas efficace et qu’à l’avenir chaque fois que je ressentirais
de la colère je montrerais de la tristesse.

Aujourd’hui plus de 40 ans après, je peux continuer à me montrer déprimé pour obtenir ce que
l’on me refuse ou risque de me refuser.

J’attire donc l’émotion tristesse, pour cacher l’émotion colère et pour arriver à mes fins : c’est
du racket en ce sens que je substitue une émotion à une autre pour obtenir l’attention, « les signes
de reconnaissances »* dont j’ai besoin par manipulation.

On appelle donc racket ou sentiment parasite toute émotion vécue à la place de l’émotion
réelle et plus profonde qui reste cachée, car interdite, douloureuse, ressentie comme inappropriée
à la situation ici et maintenant.

Nous l’avons vu, la fonction normale d’une émotion est de révéler clairement un besoin pour
le satisfaire et son expression authentique s’appelle la réaction.

Cependant nous pouvons être en conflit de besoins notamment entre les besoins d’appartenir,
d’être aimé, d’être reconnu qui nous amènent à des compromis affectifs.

Dès notre plus jeune âge, nous subissons un véritable « dressage à l’émotion ». Selon les
familles, il y a des émotions remises ou interdites.

Ainsi tel enfant, chaque fois qu’il montre de la colère, est envoyé au lit par ses parents sous
prétexte qu’il est fatigué. Il finira ainsi par renoncer à exprimer, voire même à ressentir, de la
colère, et, adulte, il sentira une grande fatigue chaque fois qu’il rencontrera un climat de tension
ou de conflit.

Tel autre enfant faisant l’objet fréquent de moquerie de la part des autres membres de la
famille peut apprendre à cacher sa tristesse sous des plaisanteries et des rires. Plus tard, chaque
fois qu’il sentira de la tristesse, il fera « le clown » et attirera l’attention en faisant rire de lui.
Tel autre enfin peut substituer de la tristesse à sa peur car, chaque fois qu’il l’exprimait, son
père lui reprochait de ne pas être à la hauteur.

Très tôt en tant qu’enfant nous avons pris conscience des émotions permises ou non dans notre
famille; et pour nourrir notre besoin d’être aimé, reconnu, nous avons substitué une émotion à
une autre, pour obtenir l’attention à laquelle nous aspirions.

Il s’agit d’une forme de chantage non conscient.

Le problème étant que cette substitution crée de la confusion et nos besoins sont insatisfaits ou
mal satisfaits.

Pire encore, la censure de certaines émotions provoque des réactions physico-chroniques, des
blocages d’énergie dans notre corps, des états de tension qui ne peuvent être ni déchargés, ni
résolus – le « mal à dire » notre émotion devient alors maladie psychosomatique

Dans tous les cas, le racket (émotion ou comportement) est une réponse inadaptée au contexte
ou à l’événement déclencheur.

C’est un sentiment basé sur un système de croyances illusoires adoptées dans l’enfance.
Sentiment appris, il se substitue à la réaction authentique, refoulée, car vécue comme dangereuse.

Par exemple : Papa dit à Jean 5 ans : « Comment peux-tu être joyeux alors que nous avons de
gros soucis – regarde ta sœur comme elle est triste, c’est pas comme toi. » Jean comprend qu’en
montrant de la tristesse il sera mieux aimé.

Devenu adulte, nous reprenons contact avec nos émotions racket dans certaines situations de
stress et nous reproduisons le même type de comportement. Il s’installe ainsi un véritable cercle
vicieux, car notre perception sélective des événements nous sert de preuve et vient renforcer
notre système de croyances et nos convictions profondes.

Si mon chef de bureau me confronte à propos de mon travail mal fait, je peux montrer de la
tristesse car avec mon père ça marchait à tous les coups.

Je peux montrer de la panique car, devant quelqu’un qui a si peur, il est normal que le chef
résolve le problème à ma place.

Pire encore, nous pouvons provoquer avec nos proches, nos intimes des situations apprises
dans notre enfance, perpétuer toujours le même mode de relation avec notre entourage, persuadé
que nous sommes (croyances) qu’il n’y a que comme cela que nous pouvons obtenir des signes
de reconnaissance dont nous avons besoin.

Le racket peut glisser dans un jeu de pouvoir.

C’est d’ailleurs l’origine du mot racket. Franklin Einst en donne cette définition : un gang (ou
racket) criminel de protection oblige la victime à acheter la protection auprès de la source de
danger, sans quoi son entreprise est ruinée.

Nous pouvons utiliser le même processus sur notre entourage en pratiquant un chantage
émotionnel. Par exemple, en vivant une émotion avec suffisamment d’intensité pour que cela
affecte les autres :

si je suis suffisamment en colère…

si je me fais très mal…

si je suis trop malade…

si je suis suffisamment confus…

…les autres feront quelque chose pour moi ou à ma place, ils me prendront en charge.

Le racket est donc une espèce de fuite en avant avec le risque d’escalader pour obtenir ce que
nous voulons à tout prix. Tout comme le chef de gang peut devenir violent s’il n’obtient pas
l’argent qu’il exige.

Le racket tristesse peut aboutir au suicide.

Le racket colère peut aboutir au meurtre.

Le racket confusion peut aboutir à la folie.

Le racket fatigue (bobo) peut aboutir à la maladie grave.

Le racket peut donc devenir très dangereux psychologiquement comme socialement.

Imaginez un clochard alcoolique, il se repère tout suite par son accoutrement, sa démarche,
son regard. Le voilà entrant dans un café sous l’œil plein de commisération des clients et
l’attitude supérieure du patron derrière son comptoir. Il demande « un petit blanc », deux « petits
blancs », etc., et tout va bien.

Mais au xième petit blanc le patron, tout à l’heure supérieur, se retrouve piégé car :

soit il continue à le servir et notre alcoolique va finir par tomber par terre dans sa souillure;

soit il refuse de le servir, au risque de se heurter à l’agressivité verbale voire même physique de
notre clochard.

Dans les deux cas, les clients, tout à l’heure pleins de commisérations, vont s’enfuir au plus
vite du bistrot.

Le patron va devoir appeler la police qui amènera « le poivrot » au poste.

Dans un tel cas, la question est : qui manipule qui ? Notre clochard aura réussi à ce que les
autres, le système social, le prennent intégralement en charge.

Cet exemple illustre bien le fait qu’il faut faire attention à la réponse que nous donnons à un
« racketteur » ; autrement nous courons le risque d’être pris au piège avec deux possibilités : soit
dépenser beaucoup d’énergie, soit s’enfuir en courant…

Comme notre enfance n’a pas été exempte de problèmes, nous avons tendance à utiliser des
rackets avec l’illusion que, grâce à cela, nous ne serons pas abandonnés et que nous obtiendrons
ce dont nous avons besoin.

Cependant le racket nous fait entrer dans de la confusion et nos besoins psychologiques ne
sont pas satisfaits complètement.

Ce processus est dangereux pour deux raisons principales :

les stimulations recueillies par ce biais n’ont pas la valeur des émotions simples et authentiques;

le racketteur est mal supporté par son entourage et il n’en récolte que méfiance et rejet car les
sentiments parasites du racketteur suscitent une émotion en écho chez la personne en face.

Cela demande un travail important que de bien connaître ses émotions et découvrir qu’une
émotion en cache une autre, ou plusieurs autres, est souvent un choc.

Pour Georges Thomson, la raison fondamentale pour laquelle nous nous bloquons dans une
émotion est que nous ne reconnaissons pas la présence simultanée d’une ou deux autres. Ainsi je
me cramponne à ma « déprime » après mon divorce car je ne m’autorise pas à remonter ma
colère contre « mon ex » ou ma peur de vivre seul.

Notre expérience de psychothérapeutes nous fait affirmer que si l’on veut repérer et traiter ses
rackets, il est plus prudent de se faire accompagner par quelqu’un de compétent. Parfois
l’émotion est tellement refoulée qu’il faut patiemment apprendre à la reconnaître pour l’exprimer
de façon fonctionnelle.

Petit tableau de bord


pour gérer ses émotions

Décrire les faits avec plus de recul, de distance, pour décontaminer et reconnaître chaque
émotion.

Qu’est-ce qui se passe ?

Comment ça se passe ?

Qu’est-ce que je ressens vraiment ? précisément ? de la peur, colère, tristesse, joie…

Quels sont les événements ou les circonstances qui déclenchent cette émotion.

Où en suis-je dans la séquence charge -décharge ?

Apprendre à reconnaître chaque émotion permet de sortir des méconnaissances, des


passivités, des défenses et des résistances.

Poser clairement ce qui se passe atténue l’intensité émotionnelle.

Attribuer un sens et faire confiance car chaque émotion agit dans notre intérêt.

Quelle valeur en moi a été touchée pour que je ressente cette émotion ?

Quelles croyances négatives remontent à la surface et quelles croyances positives puis-je mettre
à la place ?
Que m’apporte cette émotion ?

Quel message me donne-t-elle ?

Qu’est-ce qui ne va pas dans ma façon d’agir ?

Qu’est-ce qui ne vas pas dans ma façon de communiquer aux autres mes besoins et mes désirs ?

Que dois-je changer dans ma vie pour aller mieux et pour éviter que les mêmes problèmes ne
réapparaissent ?

Qu’est-ce que je souhaite vraiment ressentir ?

Quel défi ai-je à relever ? (cf. mes buts).

Appréciez vos émotions à leurs justes valeurs, et elles se calment instantanément.

Agir, adopter de nouveaux comportements, trouver des options.

Qu’ai-je à me dire, à dire aux autres, pour éviter les « mal à dit » ?

Qu’ai-je à exprimer maintenant pour terminer mon cycle charge/décharge, et ne plus rester
accroché aux émotions limitatives ?

Que puis-je réutiliser (ressources) de mon expérience positive passée face à cette émotion ?

Quelles nouvelles options puis-je trouver pour modifier ma perception, mon interprétation, mes
décisions ?

Quel besoin dois-je satisfaire en ce moment ?

Comment puis-je mieux communiquer mes besoins, sentiments, désirs aux autres ?

Que vais-je faire pour appliquer une solution maintenant ?

______________
* Voir Satisfaire son besoin de reconnaissance, Ed. Jouvence.
Conclusion

La richesse de notre vocabulaire pour désigner les différentes émotions prouve qu’en la matière
l’être humain est capable d’en ressentir une multitude.

De nombreuses recherches se font dans ce domaine venant enrichir chaque jour nos
connaissances. Nous avons choisi de vous apporter l’éclairage de l’Analyse transactionnelle avec
son approche en quatre chapitres comme les couleurs de base pour colorer notre vécu
émotionnel.

Simple et non simpliste, comme le souligne Vincent Lenhardt dans la préface, elle nous
apporte une aide conséquente en précisant chaque fonction spécifique :

La peur nous signale les dangers nous permettant ainsi de nous protéger;

La colère favorise des changements salutaires;

La tristesse nous amène, avec le temps, à accepter les choses que nous ne pouvons pas changer;

La joie nous ouvre au partage avec les autres humains.

Il y va de notre hygiène psychologique que de savoir quelles sont les fonctions de nos
émotions de base.

Il y va de notre équilibre de ne plus confondre émotions saines et effets négatifs des émotions
trafiquées : timbres, élastiques, racket.

Il y va de notre croissance psychologique d’exprimer authentiquement nos réponses


émotionnelles spontanées face aux événements de la vie.

Vous n’avez pas attendu la lecture de ce livre pour gérer vos émotions. Vous savez déjà plein
de choses. Mais nous espérons vous avoir donné un certain nombre de repères pour nourrir votre
propre réflexion. Nous espérons également vous avoir transmis à quel point les émotions sont un
cadeau de la nature.

Nous vous souhaitons donc de vous maintenir en bonne santé émotionnelle, mais rappelez-
vous que gérer ses émotions demande une pratique régulière et systématique, un véritable
entraînement au quotidien.
Bibliographie
Berne, E., Analyse transactionnelle et psychothérapie, Payot.

• Des jeux et des hommes, Stock.

• Que dites-vous après avoir dit bonjour, Tchou

Lenhardt, V., L’analyse transactionnelle, Retz

Lenhardt/Fourcade, Analyse transactionnelle et bioénergie, Delarge.


Les auteurs
Simonne Mortera

• Maître en sciences sociales, psychothérapeute,

• Formatrice en relations humaines

• Consultante en entreprise

Olivier Nunge

• Psychologue, psychothérapeute

• Formateur en relations humaines

• Consultant en entreprise

Simonne Mortera et Olivier Nunge accompagnent des groupes et des personnes et animent de
nombreux stages sur la Gestion des ressources humaines : émotions, communication,
motivations…

Pour toutes informations, les contacter auprès de :

Croissance Formation
Bruncan
31510 Sauveterre de Comminges
Tél. 05 61 95 96 95

www.editions-jouvence.com

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