2016 Roubaud
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marie-noelle.roubaud@univ-amu.fr, christina.romain@univ-amu.fr
© The Authors, published by EDP Sciences. This is an open access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution
License 4.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/).
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Depuis une dizaine d’années, nous nous intéressons au développement du langage oral des jeunes enfants
scolarisés. Nous avons questionné les activités langagières stimulant la parole des élèves dans les classes
de maternelle (Romain et Roubaud, 2014). Puis nous avons orienté nos recherches sur la production du
verbe dans des restitutions de contes par des élèves âgés de 3 à 6 ans (Roubaud et Romain, 2014). Cette
dernière étude nous a conduites à questionner l’appartenance socioculturelle des élèves (Lahire, 2000)
ainsi que la pertinence du travail sur le conte. En effet, le conte est un support privilégié à l’école
(Vertalier, 2006 ; Moussu, 2012 ; Canut, Berniseaux-Gautier et Vertalier, 2012) en ce qu’il permet de
mesurer les compétences de l’élève à comprendre un récit fictif et donc à en traiter les informations
(Boiron, 2014), mais aussi à développer le langage oral (Delamotte et Akinci, 2013).
Dans le cadre de cet article, nous avons entrepris de prolonger l’étude de ce corpus en focalisant notre
attention sur l’organisation du récit oral chez une quarantaine d’élèves des trois niveaux de l’école
maternelle. Nous voulions savoir comment ces jeunes enfants élaboraient leur récit. Notre
questionnement portait également sur la différence des milieux socioculturels auxquels appartenaient ces
élèves : le milieu allait-il avoir un impact significatif sur la production orale ? Notre objectif était par
conséquent de comparer les compétences discursives des élèves en fonction de deux variables : l’âge et le
milieu socioculturel, lors d’une tâche commune : raconter l’histoire du Petit Chaperon Rouge après en
avoir écouté la lecture. Nous sommes en présence d’un rappel de récit oral immédiat.
Dans ce cadre, nous nous sommes particulièrement intéressées à l’analyse linguistique de la structure
narrative et de ses étapes (la cohérence du récit) ainsi qu’aux connecteurs et indicateurs de complexité, en
tant qu’éléments participant à la cohésion textuelle (Canut, Bocerean et André, 2010 ; Adam, 2008, 2011,
2015). Ce sont ces outils-là, leur présence ou leur absence, leur combinaison ou leur indépendance, que
nous avons étudiés. Dans un premier temps, nous l’avons fait pour chacune des écoles concernées en
examinant chacun des points. Dans un second temps, nous avons confronté tous les résultats à la lumière
des deux variables retenues.
Outre l’analyse linguistique du corpus, notre objectif visait également à apporter des informations
complémentaires aux enseignants de l’école maternelle sur leurs élèves et à questionner la dimension
didactique de la production du récit oral sur cette période d’apprentissage stratégique pour la maîtrise du
langage oral.
Avant de présenter notre méthodologie et nos résultats, nous allons rendre compte de l’état des recherches
qui ont composé notre cadre théorique et notre questionnement. Nous soulignons dès à présent
l’originalité de cette approche qui repose, pour un même corpus, sur une analyse comparée en fonction du
milieu socioculturel des élèves, même si ce travail demande à être poursuivi.
1. État des recherches et questionnement
La maîtrise du langage oral est au centre des programmes de l’école maternelle (voir, pour une
perspective historique depuis 1990, Boiron et Kervyn, 2012) et au centre des préoccupations de
nombreuses études visant la compréhension et l’articulation entre le développement du langage oral
(Chevrie-Muller et Narbona, 2007) et l’apprentissage de la langue à l’école (Hickman, 2000 ; Blanche-
Benveniste et Pallaud, 2001 ; Chabanne et Bucheton, 2002 ; Froment et Leber-Marin, 2003 ; Garcia-
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Debanc et Plane, 2004 ; Boisseau, 2005 ; Chervel, 2006 ; Canut, 2006 ; Canut et Vertalier, 2009 ; Dolz et
Schneuwly, 2009 ; Péroz, 2010 ; Blanche-Benveniste, 2010 ; Doyon et Fisher, 2010) Si le rappel de récit
peut se faire tant à l'écrit qu'à l'oral, il apparaît que la production de récit oral permet d'alléger le coût
cognitif d'une telle tâche (Bourdin, 1994), d’autant plus que ces enfants sont jeunes. Plus précisément, de
nombreuses recherches sur la construction du récit chez l’enfant se sont intéressées à la cohérence et à la
cohésion du texte. Ainsi à la suite des études de Halliday & Hasan (1976), les travaux sur la cohésion
textuelle se sont développés de façon significative (François, 1984 ; Karmiloff-Smith, 1985 ; Bamberg,
1986 ; Hickmann, 1987 ; Givon, 1995 ; Bronckart 1997) et se sont d'ailleurs élargis à des perspectives
fonctionnalistes mais aussi dialogiques et interactionnistes1. Berman & Slobin (1994) ont établi d’une part
que la cohésion (qu’ils définissent à partir des fonctions expressives) varie et se renforce avec l’âge et
d’autre part, que la cohérence (la trame du récit) suit la même évolution mais avec certaines difficultés
selon les élèves. Ainsi si l'élaboration d'un récit vise à exposer des évènements se succédant dans le temps
et convoquant des liens de causalité entre eux, le rappel de récit consiste à reproduire un récit initial en
convoquant les mots et les liens de causalité initiaux.
Dans le cadre de la présente étude, deux grands points ont attiré notre attention : la cohérence textuelle,
relevée à partir des grandes étapes de la structure narrative retenue par les élèves pour organiser leur récit
oral (cf. 1.1.) ; ainsi que la cohésion textuelle, analysée à travers les outils linguistiques balisant la
structure narrative : les connecteurs textuels et indicateurs de complexité (cf. 1.2.).
1
Dans ces perspectives, de nombreux travaux ont été conduits sur les anaphores à partir de la fin des
années 1980 (Ariel, 1988 ; Reichler-Beguelin, 1988 ; Reboul, 1990 ; Kleiber, 1994 ; Apothéloz, 1995 ;
Corblin, 1995 ; Cornish, 1999 ; Charolles, 2002).
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Applebee (1978) se base sur le corpus de Pitcher & Prelinger (1963).
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Citons encore Stein & Policastro (1984); Stein (1988).
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2. Expérimentation et méthodologie
2.1 Recueil des données
L’expérimentation a touché trois niveaux scolaires (classes d’élèves de 3 ans à 6 ans) et à chaque fois, elle
a été réalisée dans les mêmes conditions, en début d’année scolaire (au mois d’octobre). Ce corpus a été
recueilli dans des établissements scolaires de maternelle de deux communes des Bouches-du-Rhône : Aix
(désormais A) et Marseille (désormais M). Pour chaque classe étudiée, les enfants ont été sélectionnés par
l’enseignante afin de former un groupe représentatif des élèves de la classe. Ces productions narratives
discursives orales n’ont fait l’objet d’aucune préparation particulière.
Les enfants ont été réunis par niveau scolaire et l’histoire du Petit Chaperon Rouge (désormais PCR) leur
a été lue. C’est celle proposée sur le site du ministère de l’éducation nationale5 : la version de Charles
Perrault en a été simplifiée. Le choix du support a été difficile, il s’est finalement porté sur ce récit pour
différentes raisons. Tout d’abord, sa brièveté par rapport au conte d’origine lui a permis d’être écouté dans
son intégralité par de jeunes enfants. Ensuite, le loup, figure caractéristique des personnages des contes
merveilleux, exerce une attraction sur tous les élèves de maternelle quel que soit leur âge. Enfin, la lecture
de l’enseignant a permis de réactiver une histoire, le plus souvent connue des élèves6 et par là-même
faciliter la récupération du récit. Le support était accompagné, dans le document ministériel, de cinq
images.
Nous avons fait le choix de proposer le support des images pour la restitution orale parce qu’elles
représentent les principales étapes du conte (cf. infra). Nous faisions l’hypothèse que les images
aideraient les enfants à entrer dans l’histoire (donc à commencer leur récit) et à se souvenir des
4
Canut (2009), à partir des travaux de Lentin (1998ab), établit une grille des indicateurs de complexité
selon leur statut : mineurs et majeurs.
5 Cf. document dans la banque d’outils à destination des enseignants :
http://www.banqoutils.education.gouv.fr, pour lire le texte proposé.
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Certains élèves ne la connaissaient pas.
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évènements. Les images présentent en effet l’avantage de réactiver, sans mot ou structure de phrase, les
grands moments du récit : elles facilitent ainsi sa production ; étant entendu qu’un récit strictement
descriptif de l’ordre des images serait considéré comme une non production.
Nous avons donc procédé au recueil des données sur une même année scolaire. Par ailleurs, souhaitant
comparer les performances des élèves, en fonction des milieux socioculturels, nous avons choisi les
écoles en fonction de leur localisation géographique mixte, c’est-à-dire des écoles accueillant des élèves
de différents milieux socioculturels. Ainsi, la localisation géographique de ces établissements mais aussi
et surtout les entretiens passés avec le personnel enseignant ainsi que la consultation des fiches
pédagogiques et administratives recueillies par les différents établissements auprès des parents des élèves
nous ont permis de constituer deux groupes : un groupe à milieu socioculturel dit « favorisé » (FAV) et un
groupe à milieu socioculturel dit « défavorisé » (DEF). Notre choix s’est donc porté sur plusieurs
établissements scolaires afin de tenter de maîtriser, si tant est que cela soit possible, la variable
« enseignant » (programme, progression, pratiques langagières et linguistiques, fréquence de la lecture
d'albums) mais aussi la variable « ville » (M vs A).
Une fois le corpus recueilli, nous avons procédé à sa transcription7 et nous avons codé chacun des récits
de la façon suivante : Prénom, École (A ou M), Milieu (FAV ou DEF), Niveau scolaire (PS pour Petite
Section – élèves âgés de 3 ans ; MS pour Moyenne Section – élèves âgés de 4 ans ; et GS pour Grande
Section – élèves âgés de 5 ans).
Nous avons procédé à une première analyse du corpus en recensant les résultats école par école, puis en
fondant les résultats des trois écoles en un seul corpus. L'objectif était double : à la fois analyser les
compétences linguistiques des élèves âgés de 3 à 6 ans confrontés à la tâche de raconter mais aussi
vérifier la régularité des résultats en fonction des milieux socioculturels. La question au centre de notre
étude est donc la suivante : obtient-on des résultats similaires quel que soit le milieu scolaire ou bien
obtient-on des résultats différenciés en fonction des milieux ?
2.2 Méthodologie
Pour mener à bien l’analyse linguistique de la structure narrative et de ses étapes ainsi que des moyens
linguistiques mis en jeu, nous avons procédé de la façon suivante.
Dans un premier temps, nous nous sommes appliquées à découper chaque récit. Nous avons opté pour
identifier dans les productions des élèves une structure narrative (schéma du conte) déterminée à partir
des actions des personnages (étapes correspondant à des changements de cadre / lieu / personnage). Nous
avons pris en compte le découpage proposé par Propp (1973), c’est-à-dire la « description des contes
selon leurs parties constitutives et des rapports de ces parties entre elles et avec l’ensemble » (1973, p. 28)
et nous nous sommes intéressées à la notion de fonction qui identifie « l’action d’un personnage, définie
du point de vue de sa signification dans le déroulement de l’intrigue » (1973, p. 31). Notre découpage
n’est pas sans rappeler non plus les analyses de Greimas (1966), selon qui les actants sont présents dans
les cadres / fonctions. Ainsi, nous avons pu caractériser cinq étapes, qui transparaissent dans les cinq
images-support, les deux dernières étapes comportant deux sous étapes (a) et (b) :
[1] Étape 1 : chez la maman, échange entre PCR et sa maman (panier et grand-mère malade) d’où
l’objet du départ / le but du déplacement ;
[2] Étape 2 : dans les bois, PCR rencontre le loup ;
[3] Étape 3 : dans les bois, PCR cueille des fleurs pendant que le loup part chez la grand-mère ;
[4] Étape 4 : chez la grand-mère, le loup arrive et dévore la grand-mère (4a) puis se déguise / prend
la place de la grand-mère (4b)
[5] Étape 5 : chez la grand-mère, PCR arrive et converse avec le loup/grand-mère (5a) puis PCR est
dévoré à son tour (5b).
7
Nous avons suivi les conventions de transcription du Groupe Aixois de Recherches en Syntaxe acces-
sibles sur le site : http://sites.univ-provence.fr/delic/corpus/conventions.html.
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Voici un exemple de découpage, les différentes étapes étant indiquées par des numéros. Nous pouvons
observer que l’étape 4 est manquante dans l’exemple suivant :
(1) Chahinez : [1] la maman elle a donné une galette + elle elle + et un petit peu de beurre et
après avec sa maman + la maman elle l’a donné [2] et après elle a vu un le loup + il a il a il a dit
il a dit que que euh il a dit que où tu vas + et après il a dit tu passes par ce chemin [3] et après et
après après il ramassait des petites fleurs [5] et après elle me + il a dit que j’ai des grands + j’ai
des grands + j’ai des grands pieds et après il a dit j’ai des grandes mains et après il a dit il a dit il
a dit j’ai des grandes dents + pour te manger + après il a dit viens dans mes bras et après il a dit
que que euh (M, DEF, GS)
Dans un deuxième temps, nous avons procédé à un relevé exhaustif des différents types de connecteurs et
indicateurs de complexité utilisés pour introduire ces étapes et pour les structurer, par chacun des élèves à
travers sa production narrative orale. Ainsi, pour chacune des productions narratives recueillies, notre
démarche a consisté à étudier les différentes étapes de la narration convoquées par les élèves, mais aussi
les procédés utilisés pour structurer le contenu des séquences (connecteurs et indicateurs de complexité)
ainsi que le rapport entre tous ces éléments.
Nous avons souhaité comparer nos résultats aux recherches des auteurs convoqués dans la première partie,
étant donné qu’il nous était possible d’étudier l’organisation du récit en prenant en compte l’âge des
élèves (enfants âgés de 3 à 6 ans) et leur milieu socioculturel :
a) concernant la cohérence textuelle à travers l’apparition des différentes étapes de la structure narrative :
nous venons de voir que selon les auteurs convoqués dans la première partie, la structure du récit se met
en place au plus tôt à 5 ans (avec des variantes selon les auteurs mais au plus tard vers 7 ans). Néanmoins
tous s’accordent pour souligner que c’est vers 5 ans que l’organisation textuelle locale apparait et certains
établissent la présence du schéma narratif dès l’âge de 4 ans (schéma réduit à la complication, l’action et
la conséquence).
b) concernant la cohésion textuelle à travers le recours aux connecteurs et indicateurs de complexité
accompagnant la structuration du récit : nous avons montré que les auteurs établissent que les connecteurs
et les indicateurs de complexité se mettent en place progressivement de 2 ans à 10 ans (à partir de 5 ans
pour les connecteurs de causalité), que les connecteurs temporels sont les plus fréquents et que les
indicateurs de complexité se répartissent en termes de progression tout au long de la scolarité à l’école
primaire.
L’analyse se voulant comparative en fonction de l’âge des élèves et de leur milieu, de nombreuses
questions ont surgi : les récits sont-ils mieux structurés à la fin de l’école maternelle ? Comment évoluent
les indicateurs linguistiques ? Les élèves issus de milieux socioculturels défavorisés ont-ils plus de
difficulté à produire un récit que les élèves issus de milieux socioculturels favorisés ? Ou bien n’y-a-t-il
pas de différence significative entre les procédés utilisés par les deux groupes d’élèves ? Nous pouvions
penser, en accord avec d’autres chercheurs, que l’âge et le milieu allaient influer sur la structuration du
récit et les moyens linguistiques mis en jeu mais nous allons voir que nos résultats apportent de nouveaux
éléments de réflexion.
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milieux : les résultats semblent inversés puisque les élèves aixois du groupe favorisé ont des résultats
équivalents aux élèves du groupe marseillais défavorisé et inversement.
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DEF semblent avoir davantage de difficulté à réunir les deux sous-étapes d’une même étape lorsqu’elles
existent, tandis que les élèves du groupe FAV ont quant à eux des difficultés à réunir la sous-étape « b ».
Ce résultat semble montrer que les élèves du groupe DEF auraient des difficultés non pas dans la
structuration des étapes du récit (les résultats sont similaires entre les deux groupes) mais davantage dans
la sous-structuration de ces récits. Compétence qui semble poser moins de difficulté aux élèves du groupe
FAV.
Deuxièmement, dans les deux écoles, les connecteurs et les indicateurs de complexité progressent tout au
long des trois niveaux scolaires, l’évolution étant déterminante entre la PS-MS et la GS. Cependant on
observe des différences concernant les connecteurs et les indicateurs de complexité en fonction des
milieux socioculturels.
Concernant les connecteurs, ils sont plus nombreux et plus variés dans les récits en GS pour les deux
milieux. Notons toutefois qu’en PS-MS pour les deux groupes DEF, les résultats ne sont pas les mêmes et
même inverses, ce qui atténue l’hypothèse selon laquelle les élèves de milieu défavorisé emploieraient
moins de connecteurs que ceux de milieu favorisé. Concernant, les connecteurs temporels / énumératifs,
s’ils sont présents dans les deux milieux, ils sont néanmoins plus variés dans les productions narratives
des élèves du milieu FAV. Plus précisément, les élèves du groupe FAV convoquent des combinaisons plus
variées des différents connecteurs utilisés dans les deux groupes : par exemple : « et puis et » ou encore
« et puis après ». Il semble aussi qu’il y ait une distribution de certains connecteurs selon le groupe :
« quand » (valeur temporelle) apparaît chez les élèves du groupe DEF (14,3%) et « alors » (valeurs
énumérativo-temporelle et de conséquence) dans le groupe FAV (40%). Les argumentatifs / explicatifs
(« mais, donc ») sont en nombre plus significatif en milieu FAV. Toutefois, notons à ce stade, que les
élèves du milieu DEF produisent pour 14,3% d’entre eux un connecteur de reformulation (« en fait »).
Concernant les indicateurs de complexité, ils sont utilisés dans 60% des productions narratives des élèves
du groupe FAV et dans 58% des productions des élèves du groupe DEF. Si les élèves des deux groupes
ont recours dans des proportions équivalentes à des indicateurs de complexité, les élèves du groupe DEF
convoquent une diversité plus grande de ces mêmes indicateurs. Il semble que là aussi il y ait une
distribution de certains organisateurs selon le groupe : « comme ça » n’apparaît que chez les élèves du
groupe FAV. Il nous faudrait élargir notre corpus pour vérifier l’emploi de certains connecteurs ou
indicateurs de complexité selon le milieu socioculturel.
Pour conclure : L’analyse de la structure, des connecteurs et indicateurs de complexité convoqués par les
élèves pour raconter nous a fait découvrir que ces différents éléments progressent parallèlement dès la
petite section. La fin de la MS (vers 5 ans) semble marquer l’évolution des connecteurs et indicateurs de
progressivité vers une plus grande diversité. Conformément aux résultats des recherches antérieures (par
exemple, Soler & Solé, 2004), les connecteurs temporels sont effectivement les plus utilisés et les
connecteurs argumentatifs ou explicatifs (participant à l’expression de la causalité) apparaissent plus
tardivement (à partir de 5 ans). Par conséquent, une faiblesse de l’expression de la causalité (tout comme
celle des émotions, cf. supra) existe dans les récits d’élèves de 3 à 6 ans tous milieux confondus.
Toutefois, des tendances propres aux milieux se dessinent : les élèves du groupe FAV utilisent des
connecteurs et des indicateurs de complexité plus diversifiés que ceux du groupe DEF, ils les combinent
aussi davantage et ils ont davantage recours aux sous-étapes du récit. Le récit n’est donc pas à évaluer en
fonction de la quantité de mots produits ; à l’inverse de Kemper (1984) ou Hudson & Shapiro (1991) pour
lesquels la longueur du récit est un critère pertinent. Mais il est à évaluer en fonction de la diversité des
outils employés et de leur usage (cf. Lentin, 1971 qui parle à ce propos de « complexité »).
5. Conclusion
Pour parfaire notre analyse comparative, nous sommes conscientes que le corpus devrait être élargi à
d’autres élèves des deux milieux. Cependant des résultats sont à noter qui aident à répondre à nos
questions de départ et à les mettre en parallèle, comme nous l’avons vu, avec les écrits des théoriciens
convoqués dans l’article. Ainsi nos résultats montrent que la structure narrative s’étoffe tout au long de
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l’école maternelle mais que les sous-étapes tardent à se mettre en place suivant l’appartenance
socioculturelle des élèves. De même, connecteurs et indicateurs de complexité se mettent en place
qualitativement et quantitativement tout au long de l’école maternelle, mais ils ne sont pas aussi variés en
milieu DEF qu’en milieu FAV. Les élèves de milieu DEF n’ont pas plus de difficulté à produire un récit
que les élèves de milieu FAV mais ils présentent des outils moins diversifiés et une convocation moindre
des sous-étapes narratives (assurant néanmoins une production narrative cohérente). Comme tout évolue
en même temps (la narration et les outils), il serait donc indispensable d’entraîner les élèves sur
l’ensemble des éléments linguistiques constituant le récit dans le but d’améliorer leurs compétences
narratives : nous savons combien l’étayage de l’enseignant (ou de l’adulte) auprès de ces jeunes enfants
est primordial.
Nous envisageons de poursuivre nos recherches dans le sens d’une expérimentation orientée vers
l’introduction d’albums tout au long d’une année scolaire en focalisant notre attention sur la maîtrise
progressive des différents outils narratifs (organisation, connecteurs, indicateurs de complexité) et
lexicaux (verbes notamment), c’est-à-dire sur l’ensemble des indicateurs que nous avons étudiés jusqu’ici.
En effet, cette étude ayant montré la présence de similitudes mais aussi de différences selon le niveau
scolaire mais aussi selon l’appartenance socioculturelle des élèves, il nous paraît pertinent d’envisager de
prolonger cette étude en mettant en place un protocole spécifique visant le développement d’outils
linguistiques (dans une perspective à la fois quantitative et qualitative) au service de la narration orale
reposant sur la structure narrative présente dans les albums de littérature de jeunesse destinés à l’école
maternelle. Notre idée est de questionner l’impact d’un entraînement hebdomadaire à la production
narrative tant en réception qu’en production et son lien avec le développement et la maîtrise d’outils
linguistiques propres à ce genre de textes. L’idée est à la fois de favoriser cette compétence à travers un
dispositif didactique spécifique, mais aussi de l’adapter en fonction des difficultés de chacun (notamment
concernant la différenciation inhérente à l’appartenance socioculturelle). Ces futurs résultats permettront
alors de proposer des outils didactiques au service de la formation des enseignants.
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