Le cours de Monsieur Paty - Emilie Freche
Le cours de Monsieur Paty - Emilie Freche
Le cours de Monsieur Paty - Emilie Freche
Coucou Samu,
On était très différents. Je te l’ai jamais dit, mais j’ai toujours aimé
les gens qui regardent ailleurs. Alors je suis là pour te dire que je
t’aime, qu’on t’aime. Tu vas me manquer, tu vas nous manquer. Je
sais que tous les jours, tu seras un petit peu là pour moi. Que dans
tout, dans rien, tu me feras un signe. De te perdre va me rendre
meilleure. Alors merci, tu vois, tu as encore réussi à me faire un
cadeau aujourd’hui. À tout à l’heure, Samu. Parce que jamais je ne
te dirai au revoir.
ENSEIGNER
LA LIBERTÉ D’EXPRESSION
COURS DU LUNDI 5 OCTOBRE 2020
SITUATION DILEMME :
ÊTRE OU NE PAS ÊTRE CHARLIE ?
C’est un lundi matin froid et pluvieux qui dit que l’automne s’est
installé alors que le mois d’octobre commence à peine. La rentrée a
eu lieu cinq semaines plus tôt. J’ignore si Samuel fait déjà des
blagues avec ses élèves, comme il en a l’habitude. Je ne sais pas
non plus s’il en a inventé d’autres ou s’il achète des Carambar pour
renouveler son stock, s’il raye celles qui sont « nazes » et dessine
un pouce en l’air pour celles qui rencontrent du succès. En tout cas,
je veux croire qu’à la veille des vacances de la Toussaint les liens
que mon frère et ses élèves ont tissés sont suffisamment solides
pour que les éléments nécessaires au bon déroulement d’un cours
soient réunis : écoute, confiance, respect mutuel. La salle de classe
où exerce Samuel est un de ces décors dont seule l’Éducation
nationale et les hôpitaux ont le secret : murs craie, tableau blanc,
tables et chaises en contreplaqué dotées de pieds en métal jaune.
Mon frère se débarrasse probablement de ses affaires, pose son
éternel sac à dos gris sur son bureau. Il n’a pas prévu de s’y asseoir
puisqu’il s’apprête à « faire classe ». Ne reste plus qu’à attraper son
stylo-feutre pointe fine avec bouchon clipsable, acheté précisément
pour le « clic ». Il aime à dire qu’il l’utilise comme un chef d’orchestre
use de sa baguette, mais dans mon esprit je le vois plutôt comme un
magicien qui, agitant sa baguette, donnerait un peu de féerie à ce
lieu aseptisé.
Samuel démarre. Il est 10 h 25. Il annonce à sa classe de
quatrième 5 qu’il va poursuivre son cours sur la liberté d’expression
auquel ils ont déjà consacré une heure la semaine précédente.
C’était le vendredi, les élèves s’en souviennent, le premier volet
s’intitulait Étude de situation : la liberté de la presse. Durant cette
heure de cours, ils ont déjà appris que, à l’instar de toutes les autres
libertés, celle-ci a fait l’objet d’une conquête historique au moment
de la Révolution, et a été hissée au rang des droits humains
inaliénables. À ce titre, Samuel leur a enseigné que, sous l’Ancien
Régime, les journaux et les livres étaient considérés comme
dangereux, menaçant le pouvoir en place dans la mesure où ils
véhiculaient le savoir. Ils faisaient donc l’objet d’une censure. Pour
l’illustrer, il leur a projeté deux diapositives : un dessin de presse tiré
du site Avenue225.com représentant un journal transformé en
visage humain bâillonné, ainsi qu’une photographie extraite du site
tpe.madmagz.com, figurant une bouche humaine pourvue d’une
fermeture éclair. Samuel leur a ensuite rappelé que l’Ancien Régime
avait été renversé en 1789, et que les libertés ont alors été inscrites
dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il leur a dit
que cette Déclaration était aujourd’hui au sommet de notre
hiérarchie juridique, et qu’en son article 11 elle consacrait « la libre
communication des opinions et des pensées » qu’elle définissait
comme « un des droits les plus précieux de l’homme ». Enfin,
Samuel leur a enseigné que c’était la loi de 1881 qui définissait la
liberté de la presse et en fixait les limites. Ces dernières sont les
suivantes : ne pas diffuser de fausses informations qui
constitueraient un danger pour la paix publique, et ne pas diffamer
des personnes. Avec ses élèves, Samuel a défini la diffamation
comme « le fait de nuire à quelqu’un en mentant à son propos ».
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Sur le site d’Éduscol 1 lui servant de repère, on peut lire que « le
professeur s’appuiera sur l’actualité pour enseigner la liberté de la
presse ». Or, en cet automne 2020, nous sommes en plein procès
des attentats de 2015 contre Charlie Hebdo, c’est presque inespéré
pour illustrer ce cours. Toujours lors de cette séance précédant celle
qui nous occupe, Samuel propose donc à ses élèves une troisième
diapositive issue du site Calicultural.net : le dessin d’un poing levé
serrant un crayon, daté du 7 janvier 2015. Ce dessin lui permet de
revenir sur le déroulé des événements qui ont ensanglanté la France
en cette journée tragique. Pour ce faire, il s’appuie sur le site du
Monde qui diffuse une vidéo intitulée : « Charlie Hebdo : le film des
événements. » En résumé, les faits y sont décrits ainsi : « Vers
11 h 20 à Paris, au 10 rue Nicolas-Appert, des hommes cagoulés
pénètrent dans les locaux de l’hebdomadaire et tuent au moins
douze personnes dont les dessinateurs Charb, Cabu, Wolinski et
Tignous, et l’économiste Bernard Maris. Les tireurs étaient encore en
fuite en début de soirée. » Samuel explique à sa classe que la
rédaction du journal a été attaquée parce que, selon les islamistes,
ces journalistes ne respectaient pas l’islam. Cela signifie que les
islamistes légitiment la violence et piétinent la liberté d’expression
qui demeure toujours fragile, bien que consacrée il y a deux siècles.
Mais, et c’est l’objet de la quatrième diapositive, la manifestation
historique du 15 janvier 2015 en soutien aux dessinateurs qui a réuni
plus de 4 millions de Français dans la rue – du jamais vu ! – montre
qu’aucune intimidation ne fera abandonner la liberté d’expression
dans notre pays. Sur cette diapositive qui est une photographie, on
peut voir des manifestants brandissant des pancartes « Je suis
Charlie » place de la République à Paris, autour du monument de
Léopold Morice, composé de trois statues en pierre représentant la
Liberté, L’Égalité et la Fraternité, au pied d’une statue de bronze plus
grande encore, symbolisant Marianne. La mise en perspective de
ces deux événements – l’attaque terroriste et la manifestation en
soutien aux dessinateurs – permet à Samuel d’expliquer à ses
élèves que la liberté de la presse est un combat idéologique et
politique, et que si des millions de gens considèrent, en France en
2015, qu’il est important de descendre dans la rue pour la protéger,
c’est qu’ils savent que partout où elle est niée des êtres humains
sont condamnés à la prison et/ou à la mort en raison de leurs idées.
L’O.N.G. Reporters sans frontières met la lumière sur ces injustices.
Sa mission est de défendre le droit, pour chaque être humain,
d’avoir accès à une information libre et fiable. Elle agit pour la liberté,
pour le pluralisme et l’indépendance du journalisme, et représente
celles et ceux qui incarnent ces idéaux. Samuel indique à ses élèves
qu’une Journée mondiale de la liberté de la presse a lieu chaque
année le 3 mai, et dans un dernier slide il leur donne à voir la
couverture d’un livre de Reporters sans frontières, 100 photos pour
défendre la liberté de la presse. Photographies de Marc Riboud.
Deuxième post :
Collège Bois d’Aulne, 78700 Conflans-Sainte-Honorine, Mr Paty, professeur d’histoire-
géographie.
Ce professeur Pathy dit en se vantant à ma fille qu’il a participé à la marche de Charlie.
Vous avez l’adresse et nom du professeur pour dire STOP.
Troisième post :
Chers frères et sœurs
Cette histoire est vraie et c’est arrivé à ma fille.
Soyons fiers de notre religion et de notre prophète sallallahu’alayhi wa sallam, qui nous a
appris la religion musulmane et surtout le bon comportement.
Faites minimum un courrier au collège ou CCIF ou inspection académique ou ministre de
l’Éducation ou président.
Mais faites quelque chose.
Ces trois posts sont envoyés par Brahim Chnina à tout son
répertoire WhatsApp et relayés par ses « amis » Facebook.
Abdelhakim Sefrioui fait partie de ses contacts depuis le mois
précédent. C’est de cette façon qu’il prend connaissance des posts
et se met immédiatement en relation avec ce parent d’élève.
Abdelhakim Sefrioui est un militant islamiste fiché S, bien connu des
renseignements pour combattre la laïcité dans les services publics.
Son mode opératoire est le suivant : il requalifie les rappels à la loi
en discriminations à l’égard des musulmans, ce qui lui permet de
mener des actions en justice et de convoquer la presse afin
d’imprimer dans la tête du plus grand nombre qu’il existerait en
France un racisme d’État. Son activisme exercé depuis plus de
quarante ans lui vaut d’être déjà, au moment de la cabale contre
mon frère, inscrit au fichier FSPRT (fichier des signalements pour la
prévention de la radicalisation à caractère terroriste), comptant un
peu plus de 10 000 personnes radicalisées susceptibles de passer à
l’acte.
Madame,
Je viens d’apprendre avec indignation les agissements de M. Paty
ayant diffusé l’image représentant un prophète nu. Face au climat
actuel de la France où un climat d’islamophobie s’est clairement
installé pourquoi cherchez-vous à diviser en plus dès le plus jeune
âge ? C’est juste honteux, l’enseignement public se doit d’être laïque
car c’est le fondement même de notre République, l’école n’est pas
un journal satirique. Comprenez que des gens ont des croyances
religieuses et l’école se doit d’être laïque, je vous demande que
votre établissement prône la paix et l’entente entre tous les élèves
que vous accueillez qui seront sans doute demain l’élite de notre
cher beau pays. Veuillez faire le nécessaire pour que M. Paty donne
une bonne éducation laïque à nos enfants et ne sème pas la
discorde dès le plus jeune âge.
Sur son site, Éduscol rappelle noir sur blanc que cette position
de neutralité incombe à chaque professeur. Or, si l’on considère qu’il
est important de montrer les caricatures – tout simplement parce que
le délit de blasphème n’existe pas en France et que moquer les
religions est donc un droit inaliénable –, je ne vois pas bien comment
adopter cette position d’impartialité, sinon en proposant aux élèves
de sortir quelques minutes ou de détourner le regard. Et pourtant,
c’est sur ce point que Samuel va être attaqué par les siens. En effet,
dès le 8 octobre, la principale, qui bataillera chaque jour auprès de
sa hiérarchie pour alerter du danger, demande à Samuel de
s’excuser auprès de la maman qui s’est plainte de son cours. Elle ne
considère pas qu’il ait commis une faute ou une erreur, mais dans la
mesure où son invitation à quitter la classe a été mal vécue par une
élève, elle reconnaît une maladresse qui impose des excuses. C’est
donc le ressenti de l’élève et de ses parents qui compte avant tout.
Qui est le baromètre. Au point que cette même principale désigne
Samuel comme « Auteur des faits » dans la fiche de signalement
d’atteinte à la laïcité qu’elle renseigne pour alerter le rectorat. Et à la
ligne « Victime », elle inscrit « Groupes d’élèves ». La réalité
administrative devient alors la suivante : Samuel Paty s’est rendu
coupable d’une atteinte à la laïcité envers un groupe d’élèves. Je ne
m’explique pas ce choix, si ce n’est la volonté intériorisée, faite
sienne, de l’institution, de ne surtout pas « froisser » les islamistes.
Et c’est d’autant plus incompréhensible que la directrice a
immédiatement pris la mesure de la gravité de la situation. Elle a eu
personnellement affaire à ce parent d’élève et à ce militant fiché S.
Elle les a vus s’introduire dans le collège alors qu’ils n’avaient pas
rendez-vous ; éructer que s’ils avaient été juifs on les aurait reçus
plus rapidement ; et réclamer, au moins symboliquement, la tête de
ce « voyou de Paty ». Elle sait aussi, quand elle remplit cette fiche,
que mon frère n’a commis aucune faute dans le déroulé et le
contenu de son cours, puisqu’elle a les notes et le témoignage de
l’auxiliaire. Et enfin, elle a découvert que Z. a menti, cette élève n’a
pas assisté au cours de mon frère, elle ne peut donc être victime
d’aucune discrimination. Curieusement, elle n’en fait pas du tout état
dans le mail qu’elle envoie aux parents des deux classes de
quatrième de Samuel. C’est comme si ce mensonge n’avait pas eu
lieu, alors qu’il aurait immédiatement décrédibilisé le discours du
père, Brahim Chnina. Puis, dans un courriel adressé à l’ensemble de
l’équipe pédagogique, la principale opère un revirement : elle écrit
que Samuel a agi avec bienveillance, et qu’il a simplement voulu
« protéger » ses élèves. Comme par magie, le coupable redevient la
victime, et la principale peut demander à l’ensemble de l’équipe
pédagogique de faire bloc autour lui. Mais deux enseignants
refusent. L’un d’eux va même jusqu’à dire que son « éthique lui
interdit de se rendre complice » du cours de Samuel. Mon frère est
très atteint par ce désaveu public, le ton de sa réponse en témoigne.
Ce qui le blesse ? L’injustice. Le mensonge. « Il n’y a pas de
discrimination, ni d’absence de respect de la laïcité dans mon
attitude », écrit-il, et, comme il l’explique, cette « analyse juridique »
n’est pas seulement la sienne, mais celle de l’inspection académique
qui a pris l’affaire en charge. Cependant, cette dernière a « un
sérieux doute sur ce qu’il conviendrait de faire pendant ces quelques
secondes où [Samuel a] choisi de montrer ces images (faut-il ne pas
froisser ou être totalement neutre ?) ». Qu’on comprenne bien :
l’institution n’a donc rien à reprocher à mon frère sur le plan légal,
mais elle continue d’avoir un « doute » concernant un incident réglé
depuis le mardi précédent avec une maman d’élève, alors même
qu’un de ses professeurs est menacé par des islamistes locaux et
que cette menace repose sur le mensonge d’une autre élève, ce que
tout le collège sait ! Cette situation grotesque et kafkaïenne pourrait
être risible si ce doute n’avait pas réussi à culpabiliser mon frère, qui
écrit dans son courriel : « J’avoue qu’il y a un implicite (dans mon
invitation à quitter la salle) qui pourrait froisser les musulmans. Cette
partie de ma séquence sera retirée. » Et plus loin : « Peu importe les
questions juridiques, j’aurais dû dépasser ces arguties et éviter de
faire une erreur humaine. » Il finira même par jeter son cours dans la
corbeille de son ordinateur. Voilà où l’a conduit une semaine de
menaces, de désaveux et de solitude : à croire lui-même qu’il ait pu
commettre une erreur, une maladresse. Alors que trois jours plus tôt,
quand rien encore ne l’a abîmé et qu’il prend la parole devant ses
élèves pour revenir sur le déroulé de son cours, Samuel ne formule
aucune excuse, car il sait qu’il n’a rien fait de répréhensible et que
s’excuser entraînerait une remise en cause de son enseignement,
ce qui le discréditerait pour le reste de l’année. Au contraire, « il est
resté droit dans ses bottes », m’a dit l’auxiliaire après sa mort. Cette
phrase me hante. Et me bouleverse. J’y vois toute la rigueur
intellectuelle de mon frère, et sa manière de concevoir son métier
d’enseignant. Nous sommes fils et filles d’instituteurs. Mes parents
ont enseigné toute leur vie dans l’Allier, et ont tous les deux terminé
leur carrière comme directeurs d’école en zone d’éducation
prioritaire. Comme je l’ai dit précédemment, Samuel était dans
l’Éducation nationale depuis vingt-trois ans ; ma sœur, après
l’attentat, a changé de carrière pour enseigner à des enfants en
situation de handicap. Quant à moi, je suis infirmière anesthésiste à
l’hôpital. Assurer une mission de service public, c’est ce qui nous a
guidés depuis l’enfance, et nous y avons consacré nos vies. Ce n’est
pas rien.
L’attitude de Samuel durant les dix derniers jours de son
existence raconte aussi cette histoire. En dépit des pressions qui
seront exercées sur lui, des menaces de mort et de sa propre peur, il
ne sera guidé que par une chose, défendre le fait de devoir remplir
cette mission : construire des êtres libres. Quand j’essaie de rendre
compte du genre d’homme qu’il était, je me souviens de cette
anecdote, en date du 15 mars 2020. Le président venait de décréter
un premier confinement de quatre semaines, et Samuel m’avait écrit
pour me souhaiter bon courage à l’hôpital. Je lui avais répondu qu’il
allait m’en falloir, car nous étions passés de deux à trente patients
Covid-19 dont un en réanimation, sans compter que parmi le
personnel soignant un certain nombre fuyait le combat. Sa réponse
fut lapidaire : « Les lâches. » Oui, la lâcheté, pour lui, était sans
doute la pire chose qui pouvait vous arriver. Isolé, la peur au ventre,
il a continué à se rendre au collège jusqu’au bout et à dispenser ses
cours. À aucun moment, il n’a envisagé d’abandonner son poste. Il
avait le sens du devoir. Et de l’honneur.
#PASDEVAGUE
OU
LA CHRONIQUE D’UNE MORT ANNONCÉE
« Cela fait vingt ans que nous sommes quelques-uns à crier
dans le vide. […] Je suis en colère que certains continuent encore
aujourd’hui à minimiser la situation et à ne pas vouloir voir que dans
certains espaces, il y a des choses extrêmement graves qui se
passent. »
Ces paroles prononcées au micro d’Europe 1 quelques jours
après l’assassinat de mon frère sont celles de Iannis Roder,
professeur d’histoire-géographie en Seine-Saint-Denis, depuis l’an
2000. Son premier cri, il l’a en effet poussé vingt ans plus tôt, le
10 avril 2002 dans une tribune publiée dans Le Monde, et intitulée :
« Antisémitisme à l’école ». Il y constatait que « régulièrement,
certains élèves se [faisaient] le relais de lieux communs dignes de la
prose d’Édouard Drumont et de sa France juive […], que les idéaux
de la République défendus par les enseignants semblaient étrangers
à ces enfants figés dans une vision communautariste de la société
française, [et que] l’école ne [parvenait] plus à endiguer ces réflexes,
fatals, à long terme, à la cohésion de notre République ». La même
année, avec six autres enseignants et chefs d’établissement – tous
de gauche à l’exception de Barbara Lefebvre –, Iannis Roder,
membre à l’époque du SNES, principal syndicat d’enseignants,
participait à un ouvrage collectif de témoignages sur l’état de l’école,
Les Territoires perdus de la République. Le contenu était édifiant,
mais le titre, très vite récupéré par la droite, allait être combattu par
ses adversaires politiques qui jetteraient le bébé avec l’eau du bain.
Le premier à utiliser l’expression est Jacques Chirac, dans un
discours prononcé à Valenciennes le 21 octobre 2003. C’est Héléna
Perroud, sa conseillère à l’Élysée en matière d’éducation, qui lui
souffle la formule. Cette professeure d’allemand, jadis en poste à
Plaisir et à Mantes-la-Jolie, a lu le livre, et trouvé des témoignages
qui faisaient écho à sa propre expérience. Elle a contacté les
auteurs pour les présenter à Xavier Darcos, ministre délégué à
l’Enseignement scolaire auprès de Luc Ferry, alors ministre chargé
de l’Éducation, et des rencontres avec plusieurs fonctionnaires ont
été organisées au ministère. Cela a débouché sur l’audition de
Iannis Roder et de Georges Bensoussan devant la commission Stasi
sur l’application du principe de laïcité, qui donnera lieu un an plus
tard à la loi de 2004 sur les signes d’appartenance religieuse et
l’interdiction du voile à l’école. Entre juillet et décembre 2003, cette
commission réalise 140 auditions qui marqueront profondément ses
membres. Tous attestent d’une poussée de l’islamisme et du
communautarisme, y compris Alain Touraine, qui jusque-là bataillait
ardemment contre l’intégrisme républicain. « Ce n’est pas juste de
dire que j’ai changé d’avis, disait-il dans une interview au Monde,
c’est la France qui a profondément changé : dans les lycées, on est
juif ou on est arabe, on ne s’identifie plus par sa classe sociale ni
même par les vêtements de marque que les parents ont pu vous
payer, mais par sa religion. » Conscient de cette mutation et de la
flambée des actes antisémites qui l’accompagne en raison de
l’importation du conflit israélo-palestinien au moment de la deuxième
intifada, Luc Ferry annonce « dix mesures pour lutter contre le
racisme et l’antisémitisme ». Le problème, c’est que Les Territoires
de la République sur lequel le ministre s’appuie a aussi ses
détracteurs au sein de l’Éducation nationale, comme Benoît Falaize,
spécialiste de l’enseignement de la Shoah, qui estime que tous les
témoignages sont à charge contre les enfants de l’immigration, et
qu’ils ne prennent pas en compte « la majorité des familles
maghrébines musulmanes qui ne sont pas dans une dérive
salafiste ». C’est exact, seulement ce livre n’est pas un ouvrage de
sociologie. Les contributeurs n’en avaient pas l’ambition. Ils
souhaitaient simplement livrer leur témoignage sur des incidents
survenus dans leur classe contre les valeurs de la République, et ils
répondent à leur accusateur en lui reprochant de nier la réalité. Au
sein de l’Éducation nationale, le débat s’envenime.
QU’AVONS-NOUS APPRIS
DE NOS ERREURS ?
Examen de conscience
et état de notre école
après Samuel Paty
« C’est quelqu’un qui était avec nous en tant que prof mais aussi
humainement avec nous, il nous parlait, tout ça, même quand on
était ensemble pour jouer au baby-foot. C’était super génial. »
ET AUTRES DOCUMENTS
Éduscol
Une base de données pour informer et accompagner les professionnels de l’éducation
CYCLES 3 ET 4
ENSEIGNEMENT MORAL ET CIVIQUE
Pourquoi une entrée transversale
sur la liberté d’expression ?
(Extraits)
Compétences travaillées :
– culture de la règle et du droit / culture de la sensibilité / culture
du jugement
Propositions de démarches :
– Séance d’accroche : utiliser l’actualité pour faire émerger les
enjeux de la liberté d’expression. (Une heure)
– Comment définir la liberté : donner une première définition de la
liberté. (Une demi-heure)
– Les libertés, une conquête achevée ? : comprendre la
construction des libertés depuis 1789. (Une heure et demie)
– Pourquoi faut-il défendre la liberté d’expression et la liberté de
la presse ? : comprendre et s’engager sur les enjeux de ces libertés.
(Deux à trois heures)
– Faut-il limiter la liberté d’expression ? (Une à deux heures)