PUREN_2015a_Théorie_recherche_DLC_v3.0
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1) Entre la typologie des recherches en DLC au chapitre 5 « Mettre en œuvre ses méthodes de
recherche » du cours en ligne « Méthodologie de la recherche en didactique des langues-cultures »,
et le présent essai il existe une différence terminologique importante que je n’ai pas réglée pour
l’instant (juin 2020) :
– Dans la typologie des recherches, à ce chapitre 5, l’ « application » correspond à un type de
recherche effectif, qui ne se donne pas comme objectif, certes, de remettre en cause l’intérêt
a priori de son objet (par exemple la conceptualisation grammaticale de leurs erreurs par les
élèves, ou le jeu, le théâtre, ou la pédagogie de projet, etc.), mais le soumet malgré tout à
une véritable recherche portant en particulier sur ses conditions et formes optimales de mise
en œuvre en fonction des environnements didactiques. Ce type de recherche peut aboutir à
mettre en évidence les défauts et limites de son objet, voire son inadéquation à certains
environnements.
– Dans le présent essai, c’est « mobilisation » qui correspond à cette application soumise à
évaluation réflexive, « application » y désignant une application mécanique et forcée telle
qu’elle est connotée dans la notion d’ « applicationnisme ».
2) Cette version intègre une modification importante, à savoir la distinction, dans ce qui modèle les
pratiques des enseignants, entre
– les « modèles pratiques », qui correspondent sont des « entrées méthodologiques » : ils sont
constituées soit de modèles fermés importés par l'enseignant dans sa pratique, soit des
modèles élaborés par lui-même (praxéologiques, donc, initialement) puis définitivement fixés
(ils deviennent alors des modèles méthodologiques) ; dans les deux cas, ils sont utilisés tels
quels de manière soit automatique (ce sont alors des automatismes professionnels), soit
mécanique (ce sont alors des pratiques « fossilisées ») ; ces modèles sont « orientés
produits », et ils relèvent de la « perspective méthodologique » interne à la discipline
– et les modèles praxéologiques : ce sont des modèles de pratique qui restent ouverts, en
permanence ou du moins régulièrement, à la confrontation avec l'expérience et avec de
nouveaux modèles théoriques, et donc à la reconceptualisation et à la remodélisation ; ces
modèles sont « orientés processus », et ils relèvent de la « perspective didactique » interne à
la discipline.
Le schéma ci-après (voir page suivante) est présenté et commenté dans un article rédigé 5 ans
plus tard, intitulé « Typologie des modèles didactiques en didactique des langues-cultures :
modèles pratiques, praxéologiques, théoriques et didactologiques » (2020a). Il inclut le type
de modèle relevant de la troisième perspective constitutive de la DLC, la « perspective
didactologique ». Il a été élaboré, et celui de mon essai a été remanié de manière à ce que les
schémas des deux articles et leur terminologie soient compatibles.
Notes :
– Didactique1 : nom de la discipline (« didactique des langues-cultures »).
– Didactique2 : qualificatif de l’une des trois perspectives internes de la discipline didactique – perspective
méthodologique, perspective didactique, perspective didactologique. Cf. « La DLC comme domaine
de recherche », Dossier n° 1 « Les trois perspectives constitutives de la DCL », ou l’article 1999a.
1
– Modèle = sens systémique : ce sont des modèles dynamiques, s’adaptant aux différents contextes, s’articulation
ou se combinant eux et évoluant en fonction de l’expérience.
1
– Modèle = sens structural : ce sont des modèles figés (i.e. reproduits de manière automatique), voire des modèles
fossilisés (i.e. reproduits de manière mécanique).
Schéma et notes extraits de : « Typologie des modèles didactiques en didactique des langues-cultures
: modèles pratiques, praxéologiques, théoriques et didactologiques », 2020a, p. 4.
SOMMAIRE
Avant-propos ........................................................................................................................ 4
Introduction .......................................................................................................................... 9
1. La recherche en didactique des langues-cultures et en sciences de gestion : un même type de
projet, l’intervention ............................................................................................................ 12
2. La même opération intellectuelle de base, la conceptualisation, sur un même objet, les données
de terrain ........................................................................................................................... 15
3. Un même enjeu épistémologique, la modélisation ................................................................ 17
3.1 L’impossible relation directe théorie-pratique ................................................................. 17
3.2 Définition/description de la notion/du concept de modèle et de théorie .............................. 18
3.3 Conceptualisation, modélisation praxéologique/théorique et théorisation ........................... 20
3.4 Les modèles praxéologiques ......................................................................................... 23
4. Du sous-système théorique au sous-système praxéologique ................................................. 24
4.1 La mobilisation théorique ............................................................................................. 24
4.2 La mobilisation rhétorique ............................................................................................ 25
4.3 L’application théorique ................................................................................................ 27
4.4 L’implication théorique ................................................................................................ 28
4.5 La transposition didactique........................................................................................... 30
5. Réentrées, entrées et sorties ............................................................................................ 32
5.1 Les réentrées à l’intérieur du système ........................................................................... 32
5.2 Les entrées dans le système ........................................................................................ 33
5.2.1 Les entrées empiriques .......................................................................................... 33
5.2.2 Les entrées sociales .............................................................................................. 34
5.2.3 Les entrées méthodologiques ................................................................................. 35
5.2.4 Les entrées théoriques .......................................................................................... 36
5.2.5 Les entrées technologiques .................................................................................... 38
5.2.6 L’exemple historique de la méthodologie directe ....................................................... 39
5.3 Les sorties du système ................................................................................................ 40
6. Système et méta-système ................................................................................................ 40
7. Une même démarche de référence, l’ingénierie ................................................................... 41
Conclusion .......................................................................................................................... 43
Bibliographie de référence .................................................................................................... 45
Annexe 1 : schéma 1 ........................................................................................................... 50
Annexe 2 : schéma 2 ........................................................................................................... 51
Avant-propos
L’idée du présent essai m’est venue à la lecture d’un article d’Albert David, Professeur de management
à l'Université Paris-Dauphine et qui poursuit un projet d’élaboration d’une « théorie universelle de la
recherche en management » (ou « Sciences de Gestion », désormais siglé « SG »). Son article, intitulé
« La recherche-intervention, un cadre général pour les sciences de gestion ? » a été publié en 2000
et est disponible en ligne.1
Étant donné la grande proximité épistémologique des enjeux dans la réflexion en SG et en Didactique
des Langues-Cultures (désormais siglée « DLC »), proximité démontrée par l'évolution historique
parallèle de leurs problématiques sous l'influence des mêmes paradigmes (Puren 1998g, 2006f,
2007c)2, toute réflexion sur la recherche en SG est susceptible d'intéresser la DLC, surtout si, comme
celle d’A. David, elle propose un modèle de recherche fondé sur la visée praxéologique qui est aussi
celle de la DLC, à savoir une amélioration de l’efficacité des pratiques par la recherche de la meilleure
adéquation aux environnements d’action. La recherche en SG comme la recherche en DLC sont « par
nature » (i.e. étant donné la nature de ces disciplines) des « recherches-interventions » : c’est
pourquoi le titre de mon essai annonce non pas une « théorie de la recherche-intervention en DLC »,
mais simplement (si on peut dire…) une « théorie de la recherche en DLC ». J’ai ajouté « générale »
à « théorie » parce que, comme nous le verrons, le système de la recherche (je reviendrai bien sûr
plus avant sur ce concept de « système ») est divisé en deux sous-systèmes, « théorique » et
« praxéologique », et parce que cette théorie concerne non seulement chacun des deux systèmes,
mais leurs relations.
Il existe une très forte opposition de principe chez beaucoup d’enseignants − et pas seulement
français − contre tout ce qu’ils peuvent interpréter comme l’imposition d’une « logique gestionnaire »
dans l’Éducation nationale. Je tiens à préciser que cette opposition me paraît non seulement
compréhensible mais parfaitement légitime, justifiée qu’elle est par la défense de valeurs et de finalités
qui sont aussi les miennes.3 Mon intérêt pour les SG porte exclusivement sur ce qu’elles ont développé
1 La liste de ses publications est elle aussi consultable sur Internet, avec un lien vers celles disponibles en ligne
(https://www.dauphine.fr/fr/recherche/enseignants/detail-cv/profile/albert-david.html (dernière consultation
06/03/2020).
2 Outre dans ces trois articles qui portent sur ce thème, on trouvera aussi des illustrations ou implications de
cette proximité épistémologique dans de nombreux passages de mes publications, par exemple dans Puren 1994e
(p. 109, à propos de l’éclectisme ; p. 125, à propos de l’éthique) ; 1998g (à propos des compétences identiques
exigées dans une entreprise moderne et une classe de langue-culture étrangère) ; 2002a (p. 5, à propos de
l’approche processus) ; 2009c (à propos du Knowledge Management et de la compétence informationnelle) ;
2010e (p. 3, à propos des concepts parallèles de « culture d’entreprise » et « culture d’apprentissage et sur le
concept de « co-culture ») ; 2012f (note 17 p. 10, p. 19 et chap. 2.8 p. 23-26, sur l’orientation projet) ; 2013-
06-11 (sur l’intérêt de la recherche universitaire dans chacune des disciplines) ; ; 2013e (p. 4-6, à propos du
passage du paradigme de la communication au paradigme de l’action) ; 2003-11-20 (sur la gestion de la
complexité) ; 2014b (chap. 18 p. 20-21, à nouveau sur l'orientation projet). Sur le concept de « paradigme », cf.
dans Puren DLC-DR3, le chapitre 3.2 (p. 15-17), qui lui est entièrement consacré.
3 Je partage entièrement, par exemple, les critiques de Pierre Frackowiak, dans un billet du 14 février 2015 posté
sur le forum du site de Philippe Meirieu (http://meirieu.com/FORUM/fracko_insp_rien_change.pdf, dernière
consultation 06/03/2020), concernant la « pensée managériale » telle qu'elle est interprétée et mise en œuvre
par le ministère de l'Éducation nationale, et souvent, à la suite de ses consignes, par l'inspection sur le terrain.
Mais lorsqu’il se livre à une charge globale et violente du « management [qui] tourne en rond comme les bras
d'un moulin à vent », c'est sans doute parce qu'il n'en a jamais lu que des critiques de seconde main, et jamais
lui-même un seul ouvrage de formation à la gestion des entreprises. Il ne fait ainsi, comme beaucoup de
pédagogues et de didacticiens, que reporter sur les chercheurs en management la même ignorance et le même
mépris que ceux-ci peuvent avoir pour les chercheurs en sciences de l'éducation et en didactique des disciplines.
C’est tout le débat intellectuel français qui trop souvent dysfonctionne ainsi, avec des renvois de critiques aussi
violents qu’inutiles d’une posture idéologique à une autre.
dans la perspective « méta » correspondant à celle que j’appelle « didactologique » en DLC, c’est-à-
dire les idées concernant les domaines de l’idéologie, de l’éthique/déontologie et de l’épistémologie. 4
Il s’agit, comme je m’y suis efforcé dans de nombreuses publications depuis vingt ans maintenant5,
de mieux comprendre l’évolution de la DLC en la mettant en parallèle avec celle des SG, et d’enrichir
la réflexion en DLC au contact de celles que développent des chercheurs et formateurs très
professionnels et qui doivent, pour être crédibles et répondre aux demandes concrètes des entreprises,
maintenir constamment, comme ce devrait être aussi toujours le cas en DLC, une relation étroite
« entre la théorie et la pratique ». Je mets cette expression consacrée entre parenthèses, parce que,
comme on le verra dans la suite de mon texte, elle ne convient pas à l’épistémologie de la recherche
en DLC, ces deux éléments ne pouvant pas être mis directement en contact l’un avec l’autre sans
effets pervers. Mais la question fondamentale qui se pose pour la DLC comme pour la SG est bien celle
de savoir comment doit s’articuler la recherche théorique, qui relève d’une logique d’élaboration
abstraite, avec l’intervention sur le terrain 6, qui doit être concrète et répondre à des exigences
d’adéquation contextuelle et d’efficacité pratique.
Au fur et à mesure de la préparation de mon essai, ce qui n’était au départ qu’une réflexion
comparative sur les caractéristiques de la « recherche-intervention » dans les deux disciplines est
devenu, sans doute en partie sous l’influence du projet global d’A. David, un essai non pas d’une
« théorie universelle » (que j’estimerais bien trop risqué, et de toutes manières au-dessus de mes
moyens), mais d’une « théorie générale » de la recherche en DLC telle que j’ai pu :
− la conceptualiser à partir de mon expérience de chercheur et de formateur à la recherche
dans ma discipline, ainsi qu’à partir de l’analyse des travaux d’autres chercheurs et formateurs
à la recherche ;
− la théoriser en m’inspirant de travaux très variés mais qui tous portent sur ce que l’on
regroupe parfois sous le nom de « systémique », ou « théorie des systèmes » ;
− enfin la modéliser de manière à lui donner la forme concrète d’une représentation graphique
dynamique – un schéma de type « réseau » − réunissant et reliant entre eux tous les concepts
clés de la recherche en DLC de manière « compréhensive », c’est-à-dire s’efforçant de rendre
compte à la fois de la place et de la fonction de chacun, de leurs principales relations entre eux
et avec la cohérence d’ensemble.
Je remercie les collègues qui ont bien voulu relire mon texte et me faire part de leurs corrections,
remarques et propositions : Michel Morel, Jean-Jacques Richer et Jean Max Thomson.
J’utiliserai très souvent le concept de « processus » dans cet essai ; lorsque je reprendrai des
expressions d’usage courant en DLC, telles que « le processus d’enseignement/ d’apprentissage/ de
(la) recherche »7 ; mais surtout lorsque je décrirai et analyserai le « système général de la recherche »
sur lequel porte ma théorie, qui s’inspire de la théorie des systèmes, ou « systémique »8. Le
« processus » est en effet un concept clé de la théorie systémique, et je serai amené à parler en
particulier des « processus de conceptualisation/ modélisation/ théorisation/ mobilisation/
4 Ces trois domaines constituent, dans ma conception de la DLC, les trois positions majeures à partir desquelles
il est possible et nécessaire de construire une perspective « méta-didactique ». Cf. « La didactique des langues-
cultures comme domaine de recherche. Dossier n° 1 : Les trois perspectives constitutives de la didactique des
langues-cultures », DLC-DR1.
5Depuis la publication de mon Essai sur l’éclectisme en 1994 (voir supra note 1, à propos de la référence Puren
1994e).
6 Sur la notion de « terrain », cf. infra chap. 2.
7On y utilise aussi fréquemment d’autres expressions telles que « le processus de lecture/ d’écriture/ de
compréhension/ de communication », etc.
8Même si, une fois terminé, mon schéma 1 ressemble étrangement à un cerveau avec ses connexions
neuronales…
application ». Mais on retrouve dans tous ces emplois le même le noyau dur sémantique : un
processus est un ensemble d’éléments, de phénomènes et/ou d’activités fonctionnant dans la durée
avec des entrées et des sorties. Prenons l’exemple du « processus d’apprentissage » d’une langue
étrangère. Les didacticiens anglo-saxons distinguent entre :
− l’input, qui est composé des éléments langagiers auxquels un apprenant est exposé dans
son environnement d’apprentissage ;
− l’intake, qui est la partie de ces éléments qui va pénétrer effectivement dans son système
cognitif d’apprentissage pour y être traitée ;
− et l’output, qui sont les éléments qui vont sortir de son système d’apprentissage, c’est-à-
dire ceux qu’il réutilisera dans ses productions orales et écrites.
Le « processus d’apprentissage » d’une langue étrangère est donc l’ensemble des activités qu’un
apprenant réalise sur les éléments langagiers entre l’intake et l’ouput, où vont se produire des
transferts entre sa langue maternelle et la langue étrangère, des hypothèses sur le fonctionnement
de la langue étrangère, des essais et des erreurs,… : autant de phénomènes qui relèvent de l’évolution
de son interlangue (cf. Klauss Vogel 1995).
Dans mon schéma 1, les processus qui sont pris dans des boucles de rétroaction (un processus modifie
le processus antérieur) et dans des boucles d’itération (la même succession de processus se répète)
sont représentés par des flèches en traits pleins : je les appellerai les « processus récursifs ». D’autres
processus sont représentés par des flèches en traits pointillés ; comme on le voit, ils correspondent à
une relation unique et à sens unique entre deux éléments du système : je les appellerai les « processus
linéaires » (voir la légende de ce schéma 1). Le concept de « processus » désignera parfois un
ensemble récursif de processus différents, lesquels en constituent alors les différentes « opérations »,
comme dans le sous-système théorique de la recherche :
Pour certains épistémologues, il n’y a là en réalité qu’une seule et même opération : théoriser, ce
serait simplement modéliser à partir de concepts, une théorie n’étant pas autre chose que « un cadre
conceptuel [c’est-à-dire] simplement une version momentanée de la carte du territoire exploré par le
chercheur » (Huberman A. Michael, Miles Mattew B. 1991, p. 54) : la théorie est constamment
révisable, donc, et doit même pouvoir être remise en cause et abandonnée.
Cette conception, que je partage, de la théorie comme une modélisation provisoire répond au fameux
critère de « falsifiabilité » ou « réfutabilité » de Karl Popper (1935), pour qui une théorie n’est
vraiment scientifique que si elle admet la possibilité d’être fausse (sinon, ce n’est pas une théorie,
mais un dogme) ; de sorte que l’essence du travail scientifique consiste non pas à démontrer des
vérités, mais à rechercher des erreurs. Ce critère est une conséquence logique de sa conception de la
méthode scientifique :
C'est de nos efforts pour décrire le monde avec des théories simples que dépend la méthode
de la science. Les théories qui sont d'une trop grande complexité ne peuvent plus être testées
même si elles devaient être vraies. L'on peut décrire la science comme l'art de la sur-
simplification systématique, comme l'art de discerner ce que l'on peut avantageusement
omettre. (1982, p. 37)
Les modèles sont le résultat d’un processus de schématisation, et les représentations graphiques
correspondantes (comme les schémas 1 et 2 en annexe de cet essai) sont des simplifications qui ne
prétendent pas représenter la réalité complexe en elle-même, mais permettre de se la représenter.
J’ai déjà eu l’occasion, dans mon Essai sur l’éclectisme, de citer également ces lignes du philosophe
Pierre Lévy, pour qui cette nouvelle conception de la théorie comme une modélisation provisoire
s’explique aussi par les effets de la diffusion du numérique en tant que nouvel outil intellectuel :
Dans la civilisation de l’écriture, le texte, le livre, la théorie restaient, à l’horizon de la
connaissance, des pôles d’identification possibles. Derrière l’activité critique, il y avait encore
une stabilité, une unicité possibles de la théorie vraie, de la bonne explication. Aujourd’hui, il
devient de plus en plus difficile pour un sujet d’envisager son identification, même partielle, à
une théorie. [....] Les théories, avec leur norme de vérité et l’activité critique qui les
accompagne, cèdent du terrain aux modèles, avec leur norme d’efficience et le jugement d’à-
propos qui préside à leur évaluation. Le modèle n’est plus couché sur le papier, ce support
inerte, il tourne sur un ordinateur. C’est ainsi que les modèles sont perpétuellement rectifiés
et améliorés au fil des simulations. [...] Dorénavant [...] nous aurons affaire à des modèles
plus ou moins pertinents, obtenus et simulés plus ou moins vite, et cela de plus en plus
indépendamment d’un horizon de la vérité à laquelle nous pourrions adhérer durablement. S’il
y a de moins en moins de contradictions, c’est parce que la prétention à la vérité diminue. On
ne critique plus, on débogue (1990, p. 136, cité in Puren 1994e, p. 82-83).
Le concept de « représentation » n’a pas ici le sens qu’il a dans celui de « représentation sociale », au
centre de l’approche interculturelle en DLC, même si les deux concepts partagent, au niveau le plus
abstrait, le même noyau dur sémantique, celui d’ « image mentale » :
− Les « représentations sociales » sont, par exemple dans l’approche interculturelle, des
images statiques, où elles sont d’ailleurs considérées principalement sous la forme des
stéréotypes, c’est-à-dire d’images mentales figées, non raisonnées voire inconscientes, et qui
freinent ou même parfois bloquent le processus de compréhension de la culture étrangère chez
les apprenants.
− Les représentations utilisées pour l’intervention, comme celles des schémas 1 et 2 en annexe
de cet essai, sont de même type que les modèles produits pas les ingénieurs 9 : elles sont les
produits d’une certaine conception de la discipline (en l’occurrence, la conception de la DLC
comme une discipline d’intervention), et en même temps des outils de production, c’est-à-dire
de conception de projets (en l’occurrence, de conception de projets de recherche en DLC). Ce
sont donc des images dynamiques, qui représentent des processus conscients et volontaires,
et c’est d’ailleurs pour cela que ces schémas ont souvent la forme de réseaux fléchés.
C’est pour cette raison que le concept central de la composante de la compétence culturelle dans
l’approche actionnelle, dont l’objectif est de former des acteurs sociaux impliqués dans des projets de
transformation de la société (à commencer par celle de leur microsociété-classe), n’est pas la
« représentation », mais la « conception ».10
Ce n’est pas la première fois que j’étudie le système de la recherche en DLC. J’en ai proposé en juillet
2013 une autre modélisation générale − sous l’angle non du fonctionnement de la recherche, comme
ici, mais des types de recherche − dans le chapitre 5 « Mettre en œuvre ses méthodes de recherche »
de mon cours en ligne « Méthodologie de la recherche en DLC » (Puren DLC-MR5). Tout un chapitre
de six pages (p. 24-30) y est consacré à un concept proche de celui de « recherche-intervention », à
savoir celui de « recherche-action », dont j’aurai bien sûr à reparler dans la suite de mon essai. Je
reproduis en annexe 2, p. 45 du présent essai, le schéma que j’ai proposé en page 3 de ce chapitre
du cours sur la méthodologie de la recherche. Mais c’est aussi la trentaine de pages suivantes de ce
chapi(p. 3-30), où je l’explique et le développe, que je demande à mes lecteurs d’avoir en tête, voire
au besoin sous les yeux, parce que j’y ferai à plusieurs reprise référence au cours cet essai (ce sera
le « schéma 2 »). Ils pourront sans doute, à la réflexion, tirer eux-mêmes entre les deux schémas 1
et 2 d’autres parallèles que ceux que je proposerai moi-même ici.
Mon présent essai est à mettre constamment en relation avec, outre ce schéma 2 :
− un article de 1997 intitulé « Concepts et conceptualisation en didactique des langues : pour
une épistémologie disciplinaire », en particulier la présentation que j’y fais de l’analyse
qualitative, empruntée à Huberman A. Michael & Miles Mattew B. (1991) : Puren 1997b ;
− le chapitre 5 de mon cours de « Méthodologie de la recherche en didactique des langues-
cultures », « Mettre en œuvre ses méthodes de recherche », déjà cité plus haut : Puren DLC-
MR5 ;
− le Dossier n° 3 de mon cours sur « La didactique des langues-cultures comme domaine de
recherche : « La perspective didactique 1/4. Modèles, théories et paradigmes » : Puren DLC-
DR3 ;
− le Dossier n° 7 du même cours : « La perspective didactologique 1/2, l’épistémologie », tout
particulièrement son chapitre 4, « Didactique des langues-cultures étrangères et analyse
qualitative » (p. 7-8) : Puren DLC-DR7.
Je donnerai au fil de mon texte de nombreuses références plus ponctuelles, que l’on retrouvera aussi
dans la bibliographie finale.
Introduction
Dans l’évolution des idées en Occident, depuis un demi-siècle, on est passé, que ce soit pour
comprendre la réalité ou pour agir sur elle,
− d’un mode d’appréhension d’une réalité statique, où sont privilégiées les structures, c’est-à-
dire les relations entre les différents éléments d’ensembles considérés comme cohérents et
stables parce que relativement indépendants de leur environnement,
− à un mode d’appréhension d’une réalité dynamique, où sont privilégiés les systèmes, c’est-
à-dire les interactions, rétroactions, itérations, récursivités et autres types de flux entre les
différents éléments d’ensembles qui sont cohérents, mais en même temps ouverts sur un
environnement complexe qui les amène à évoluer pour s’y adapter voire aussi pour en tirer
leur énergie.11
On ne s’intéresse plus tant aux organisations qu’aux réseaux, aux produits qu’aux processus, aux
états qu’aux évolutions.
Je développe dans cet essai l’idée que l’ensemble des processus de la recherche en didactique des
langues-cultures (DLC) forme un « système » dans le sens que Bernard Walliser attribue à ce concept
dans son ouvrage de 1977, Systèmes et modèles. Introduction critique à l'analyse des systèmes :
Le concept de système a été forgé autour de trois idées essentielles :
− celle d'un ensemble en rapport réciproque avec un environnement, ces échanges lui assurant
une certaine autonomie ;
− celle d'un ensemble formé de sous-systèmes en interaction, cette interdépendance lui
assurant une certaine cohérence ;
− celle d'un ensemble subissant des modifications plus ou moins profondes dans le temps, tout
en conservant une certaine cohérence. (p. 11)
Dire que la recherche en DLC fonctionne comme un système, c’est, pour reprendre les trois idées
exposées ci-dessus et en introduisant toute une série d’autres concepts que nous reprendrons au fil
de cet essai12, poser les affirmations suivantes :
− Cette recherche est constituée d’un ensemble d’éléments : ce sont les données de terrain,
les concepts13, les modèles et les théories.
− Elle maintient des échanges avec l’extérieur au moyen d’entrées (empiriques, sociales,
méthodologiques, théoriques et technologiques) et de sorties (les publications, les
communications et les échanges au cours des séminaires, colloques et autres rencontres de
chercheurs, les manuels,…).
− Ses éléments constitutifs sont en interaction : ils sont reliés par des processus récursifs,
c’est-à-dire pris dans des boucles de rétroaction et d’itération :
11 En histoire, une autre orientation consiste à privilégier les modifications provoquées par les acteurs individuels
et collectifs. On la retrouve dans les textes de certains méthodologues ou didacticiens de langues-cultures
lorsqu’ils parlent de l’histoire de la didactique des langues-cultures, en particulier – et on comprend pourquoi… −
lorsqu’ils en ont été des protagonistes. La cellule vivante est souvent donné par les épistémologues comme
l’exemple type d’un système qui doit s’adapter à son environnement pour pouvoir en tirer les moyens de sa
survie.
12 Voir les concepts en italique, et se reporter au besoin au schéma 1.
13Je ne développerai pas dans cet essai la question des « concepts », que j’ai longuement traitée dans mon
article de 1997b cité supra p. 5.
Dans une partie de son article de 2000, A. David expose et discute les principes et les points communs
de quatre démarches d’intervention proposées par les SG15. Je n’entrerai pas ici dans l’analyse et la
comparaison qu’il fait de ces démarches, dont les distinctions me paraissent peu pertinentes pour la
DLC, et je partirai des deux passages clés de son texte, où il énonce son hypothèse initiale et sa
conclusion finale.
A. David présente ainsi « l’hypothèse centrale défendue dans [son] article », qu’il avance pour toutes
les sciences, comme les SG, dont les « démarches de recherche ont en commun l’ambition de générer
à la fois des connaissances pratiques utiles pour l’action et des connaissances théoriques plus
générales » :
Citation 1
[…] la recherche-intervention, entendue au sens large, constitue un cadre général dans lequel
peuvent s’inscrire de nombreuses pratiques de recherche en sciences de gestion. À la question
« le terrain est-il modélisable ? », nous répondrons que l’interaction entre terrain et théorie est
constitutive d’une ingénierie gestionnaire fondée qui incarne le projet général que l’on peut
attribuer aux sciences de gestion. (p. 3)
Le concept de « modèle » qu’utilise ainsi A. David n’est pas aisé à définir de manière générale. Il
présente, comme le constate Sinaceur cité par Alex Mucchielli (2006),
une grande variété d’acceptions dans les sciences. Un modèle, ce peut être la simplification
d’une théorie, la reproduction analogique d’une réalité concrète, la formalisation logique d’un
ensemble de propriétés, la mise en équation d’un ensemble d’observations et de mesures, un
14J'ai ajouté en bibliographie finale les références de deux ouvrages de cet auteur, La théorie du système général.
Théorie de la modélisation (1977) et La modélisation des systèmes complexes, (1990), qui portent, comme on le
voit, à la fois sur les systèmes et la modélisation. La place centrale du « projet » sur le schéma 2, en annexe 2
de cet essai, vient de l’importance, à côté de l’objectivité et de la subjectivité, de ce qu’il appelle dans un article
de 2005 (Le Moigne 2005, p. 427, cité in Puren DLC-MR5, p. 6) la « projectivité ».
15Ce sont l’action research de K. Lewin (Field Theory in Social Science, 1951), l’action science (C. Argyris,
R. Putnam et D. McLain Smith, Action Science, 1985), la science de l’aide à la décision (B. Roy, « Science de la
décision ou science de l’aide à la décision », 1992) et la recherche-intervention en SG (A. Hatchuel et H. Molet,
« Rational Modelling in Understanding Human Decision Making: about two case studies », 1986 ; A. Hatchuel,
« «Les savoirs de l’intervention en entreprise », 1994).
Mais ce qui est constant, c’est la fonction qu’il assume : « Un modèle fait toujours fonction de
médiateur entre un champ théorique dont il est une interprétation, et un champ empirique dont il est
une formalisation » (ibid.).
2) Le modèle assure cette médiation pour les deux sens de la relation théorie pratique :
− l’induction (de la pratique à la théorie) : cf. la question de A. David dans la citation 1 : « Le
terrain est-il modélisable ? » ;
− la déduction (de la théorie à la pratique) : cf., dans la citation 2 : « Mettre en place des
modèles […] sur le terrain »).
3) Il existe une relation étroite entre les concepts de « système » et de « modèle », comme l’affirme
B. Walliser dans le même ouvrage cité plus haut :
Le concept de système est en fait inséparable du concept de modèle, conçu comme système
représentatif d'un système concret.17 Tout système réel n'est connu, en effet qu'à travers des
modèles représentatifs (représentations mentales individuelles ou représentations explicitées
formellement). Inversement, tout modèle peut être considéré comme un système spécifique,
qu'il soit de nature concrète (maquette) ou abstraite (ensemble de signes). (1977, p. 10-11)
Ce que dit là B. Walliser est valable pour le schéma 1, qui est donc un système représentant sous
forme graphique le résultat d’une modélisation du système de la recherche en DLC.
A. David considère son hypothèse initiale et sa conclusion finale (cf. supra p.7 citations 1 et 2) comme
valables pour toutes les sciences humaines. Elles me semblent en tout cas valables pour la didactique
des langues-cultures, comme je me propose de le montrer à la suite.
16J’emprunte l’expression « mobiliser des modèles / mobilisation des modèles » aux économistes : elle me
permet de réserver le concept d’ « application » à d’autres formes de mises en œuvre des modèles (les
« applicationnismes » théorique, méthodologique et technologique), où il conserve la même valeur sémantique
que dans l’expression « recherche-application » du schéma 2.
17 Il redonne presque mot pour mot la même définition dans son ouvrage de 2011 : un modèle est « un système
formel qui représente un système réel » (p. 9). Il est amusant de constater que, si l’on réunit ces deux citations
éloignées de près de vingt ans, B. Walliser semble considérer « réel » et « concret » comme équivalents…
La DLC vise elle aussi, comme l’écrit A. David pour les SG, des « connaissances utiles pour l’action »
(je souligne), c’est-à-dire les connaissances du chercheur qui permettront aux enseignants21
d’améliorer leur action d’enseignement : c’est le type de projet qui correspond à la « recherche-
application » (par ex. le linguiste ou le didacticien va mobiliser l’analyse des genres de discours sur
des supports destinés à un enseignement sur objectif spécifique) et à la « recherche-production » (par
ex. le chercheur va élaborer un modèle de séquence didactique adapté à la réalisation par les élèves
de mini-projets).
18 Sigle pour « didactologie/didactique des langues et des cultures » », appellation qu’il propose dans cet article
pour désigner la discipline. Il passera plus tard à l’appellation « didactologie des langues-cultures ». J’ai repris
pour ma part l’expression de « langues-cultures », mais j’ai conservé le terme traditionnel de « didactique » pour
désigner l’ensemble de la discipline, la didactologie ne correspondant, pour moi, qu’à l’une de ses perspectives
constitutives avec la perspective méthodologique et la perspective didactique (cf. Puren DLC-DR1, premier
chapitre de mon cours sur « la didactique des langues-cultures comme domaine de recherche », intitulé « Les
trois perspectives constitutives de la DLC »).
19 Cet article de Robert Galisson est le premier d’un numéro de la revue Études de Linguistique Appliquée où il a
regroupé par ordre chronologique inverse dix de ses propres textes déjà publiés par ailleurs, et qui s’échelonnent
de 1968 à 1990. L’ensemble retrace l’évolution historique de la discipline, comme l’annonce le titre de ce numéro,
« de la linguistique appliquée à la didactologie des langues-cultures ». C’est dans cet article de 1990 qu’il propose
le modèle le plus complet et le plus abouti de sa conception de la discipline, l’ « appareil conceptuel/matriciel de
référence pour la D/DLC » (p. 13) : son modèle est construit à la manière du lexicologue, qu’il est par ailleurs,
c’est-à-dire sur le mode du répertoire.
20 Un traité de linguistique ou un article sur un modèle d’analyse linguistique constituera, si un chercheur y fait
référence ou recours dans sa recherche en DLC, une « entrée théorique » (cf. chap. 5.2.4).
21 Je me limiterai ici aux enseignants et aux apprenants. Mais, parce que les recherches en DLC doivent multiplier
les points de vue sur leur objet, toujours complexe, elles ont souvent à prendre en compte ces autres acteurs
que sont les formateurs, les auteurs de manuels, les responsables éducatifs et administratifs,… du fait que les
résultats de ces recherches sont aussi susceptibles de les intéresser, voire de les concerner au premier chef.
Mais la DLC vise ne vise pas seulement les « connaissances utiles pour l’action » dont parle A. David :
elle doit prendre aussi en compte les « connaissances par l’action »23, cette expression ayant des
significations différentes selon que l’action considérée est celle (a) d’enseignants, (b) d’un étudiant-
chercheur ou (c) d’un enseignant-chercheur.
Mais en DLC, même lorsque la recherche se veut « recherche-description », dans son ensemble ou
seulement dans l’une ou l’autre de ses phases (observation de classes, analyse des interactions en
classe, analyse de productions d’apprenants,…), elle ne peut se contenter des données recueillies par
le chercheur, comme A. David semble le considérer pour les recherches en SG : elle doit en effet
intégrer des données recueillies auprès des enseignants voire aussi parfois des apprenants, si du
moins le chercheur met en œuvre cette approche compréhensive que j’ai présentée, dans un manifeste
de 2003(b), comme la première des sept approches fondamentales d’une DLC parvenue à maturité :
L’approche compréhensive (la centration sur les acteurs)
L’expression d’ « approche compréhensive » est empruntée à l’opposition – bien connue des
spécialistes du domaine – entre une « sociologie critique » à la Bourdieu, dans laquelle le
chercheur se propose de révéler des réalités dont la majorité des acteurs ne seraient pas
conscients (ce qui permettrait en particulier à une minorité d’entre eux de les utiliser à leur
profit), et une « sociologie compréhensive » à la Max Weber, qui se centre sur les acteurs dans
leur environnement en valorisant leur conscience, leur expérience et leur intentionnalité, c’est-
à-dire leur degré de « compréhension » réelle (d’où l’appellation de cette approche) des jeux
22Sur la notion de « réentrée », cf. infra chap. 5.1. Dans ce même chapitre 5, nous aborderons à la suite (chap.
5.2) les « entrées » dans le système de la recherche, qui sont des apports d’origine extérieure. J’ai donné plus
haut quelques exemples de sorties.
23 L’idée de « connaissance par l’action » a une longue tradition en pédagogie, qui commence avant même le
learning by doing de John Dewey, dans les années 1930. Elle a été reprise régulièrement par la suite (on la
retrouve par exemple dans la pédagogie Freinet), ou plus récemment par Donald Schön (1983), avec le concept
de « praticien réflexif), ou encore par Jean-Marie Barbier (1996), avec celui de « savoirs d’action ».
24Je parle ici de l’ « étudiant-chercheur » pour le distinguer de l’ « enseignant-chercheur » titulaire des
universités françaises ; qui est statutairement, en tant que Maître de conférences ou Professeur des universités,
un chercheur professionnel.
auxquels ils ont soumis, des enjeux auxquels ils sont confrontés, des actes qu’ils réalisent et
des projets qu’ils construisent. Cette approche compréhensive correspond à l’émergence d’un
paradigme compréhensif dans l’ensemble des Sciences sociales (auxquelles correspond en
partie l’épistémologie de la didactique des langues-cultures puisque son objet implique des
acteurs en relation active dans un cadre institué), paradigme qui repose sur une réhabilitation
de la part explicite et réfléchie de l’action, ainsi que de la compétence des acteurs à analyser
eux-mêmes leur environnement et les actions qu’ils y réalisent. (2003b, version en ligne p. 2)
En d’autres termes, l’intervention du chercheur en DLC ne peut faire a priori l’impasse sur les
connaissances et compétences de ces autres acteurs qui sont constamment sur le terrain et cherchent
eux aussi à améliorer les pratiques d’enseignement ou d’apprentissage, à savoir les enseignants et
les apprenants. En reprenant la formule d’A. David, on peut dire que le chercheur en DLC doit à la fois
recueillir auprès des acteurs de terrain et produire pour les acteurs de terrain des connaissances utiles
pour l’action.
À la fin de son article (p. 14), A. David propose le tableau suivant (les doubles flèches et expressions
surajoutées en rouge sont de moi) :
Voici les résultats de la comparaison systématique que je peux faire entre le schéma d’A. David ci-
dessus et mon schéma 2 des « différents types de recherche en DLC ». Il y a correspondance, sous la
même appellation ou sous des appellations différentes, entre trois des quatre types de recherche :
Recherche-action Recherche-action
Le quatrième type de recherche, qu’A. David appelle « Conception "en chambre" de modèles et outils
de gestion » correspond à une modélisation orientée objet préalable à toute recherche orientée objet,
que cette recherche soit d’expérimentation ou d’application. C’est-à-dire que ce quatrième type de
recherche correspond au triangle signalé ci-dessous par un fond de couleur dans mon schéma 2 :
Cette « Conception "en chambre" de modèles et outils de gestion », à mon avis, ne constitue pas un
type de recherche (dans le sens de produit), mais un type de processus de recherche, celui qui dans
mon schéma 1 est représenté par la boucle récursive suivante :
Enfin, le schéma d’A. David me semble pouvoir être interprété en fonction des deux oppositions entre
compréhension et intervention, modélisation praxéologique et modélisation théorique, que l’on
retrouve aussi dans mon schéma 1. Le concept de « recherche-intervention » (difficile à cerner
précisément parce que l’auteur fait appel pour sa description à la notion très large de « projet ») y
correspondrait au processus récursif qui dans mon schéma 1 part des modèles théoriques, les mobilise
sur les données de terrain, et soumet les résultats de cette mobilisation à une conceptualisation puis
à une modélisation praxéologique pour aboutir à des modèles praxéologiques (les « modèles et outils
de gestion adéquats »). Ce serait cette capacité que possèderait cette « recherche-intervention » à
relier ainsi la modélisation théorique et la modélisation praxéologique, qui lui permettrait par ailleurs
de servir, comme le pense A. David, de processus intégrateur de toutes les démarches de recherche
en SG.
J’utilise ici « conceptualisation » dans le sens restreint de ce que j’appelais dans mon article de
1997(b) la « conceptualisation de premier niveau » (p. 3) : il s’agit d’induire, à partir des données de
terrain, des concepts, c’est-à-dire des « représentations mentales symboliques de classes d’éléments
permettant [les] manipulations intellectuelles à la fois [les] plus économiques et [les] plus
puissantes » (p. 2). Je renvoie mes lecteurs à cet article pour les exemples de concepts de premier
niveau que j’y donne, ceux de « forme linguistique », « répétition », et « situation d’enseignement-
apprentissage »27 (p. 2-3).
− L’enseignant perçoit son terrain de travail en fonction de ses intentions d’enseignement et de ses
modèles méthodologiques et praxéologiques, que les uns et les autres soient chez lui plus ou moins
conscients et plus ou moins élaborés. L’expérience professionnelle personnelle des enseignants génère
des « modèles praxéologiques » – qui sont des modèles d’enseignement restant en permanence
ouverts à la reconceptualisation – et des « modèles méthodologiques », qui sont des modèles
d’enseignement fermés provenant soit de leur propre expérience professionnelle, soit de l’expérience
collective ; ce sont dans ce dernier cas des « entrées méthodologiques », qui peuvent être :
– de taille réduite : ce sont des modèles « micro-méthodologiques » tels qu’une technique
précisé (celle de la correction régressive de l’intonation d’une phrase, par ex.) 29 ;
– de taille moyenne : ce sont des modèles « meso-méthodologiques » tels qu’un type de
schéma de classe (Puren 042), un type de questionnement des documents (Puren 2014g),
différentes procédures de travail en grammaire (Puren 009, 010) ;
– de grande taille, comme celle des macro-modèles méthodologiques que sont les grandes
méthodologies historiques : méthodologies directe, active et audiovisuelle, approche
communicative, plus récemment perspective actionnelle.
Ces modèles méthodologiques sont apportés en particulier par la formation initiale ou les manuels
utilisés. Les modèles méthodologiques sont supposés résoudre des problèmes, alors que les modèles
praxéologiques se proposent de gérer des problématiques 30 : contrairement aux modèles
méthodologiques, qui ne donnent lieu qu’à application, les modèles praxéologiques opèrent sinon
constamment, du moins périodiquement, des « réentrées » dans le sous-système praxéologique du
système de la recherche chez les enseignants, qui viennent réalimenter la dynamique récursive de la
réflexion professionnelle.
26 Je reviens sur la conception qu’ont ces deux auteurs de l’analyse qualitative au chapitre 3.3, p. 18-19.
27Pour désigner ce que j’appelle « situation » dans cet article, j’utilise maintenant le concept d’ « environ-
nement », qui regroupe deux ensembles de données de terrain : celui sur lequel l’enseignant n’a pas de prise (la
« situation ») et celui qu’il construit intentionnellement pour l’apprentissage (le « dispositif »). Ces trois concepts
sont les concepts-clés du « champ sémantique de l’environnement en DLC » (titre du document Puren 030).
28D’où ma critique, que je développerai au chap. 3.3, de la Grounded Theory (Approach), qui se veut, selon l’une
des traductions françaises de cette expression, une « approche à base empirique ».
29Pour conserver l’intonation de l’ensemble d’une phrase longue par des apprenants débutants, on la fait répéter
en ajoutant successivement ses différentes parties à partir de la dernière : « rue Montmartre. » → « 6, rue
Montmartre. » → « de la conduire 6, Montmartre. » → « Elle demande au taxi de la conduire 6, rue Montmartre. »
30Sur la distinction entre les notions de « problème » et de « problématique », cf. Puren 023. Les modèles
méthodologiques sont parfois appelés « modèles pratiques », mais cette appellation ne me paraît pas convenir
en DLC, parce que sont alors confondus les modèles méthodologiques et les modèles praxéologiques : je reviens
sur ces derniers au chap. 3.4.
sources différentes, qui seront en règle générale combinées de manière ensuite à croiser les données
ainsi recueillies31 :
1) Il pourra les recueillir chez les enseignants et chez les apprenants par des questionnaires,
entretiens, commentaires d’enregistrements vidéoscopés de séquences de classes, etc.
2) Il pourra les recueillir lui-même au moyen d’observations de classe personnelles, par analyse
des productions des apprenants ou des préparations de classe écrites, etc.
3) Il pourra enfin les faire produire ou les produire lui-même spécialement pour sa recherche.
Quel que soit leur mode de recueil, les « données de terrain » du chercheur ne seront pas plus des
« données brutes » que celles des enseignants, puisqu’il les aura au moins sélectionnées puis
analysées et interprétées32 en fonction de sa problématique de recherche.33
J’élargis donc ici considérablement la notion de « données de terrain » par rapport à mon article de
1997, où je la limitais aux « informations de tout type concernant le processus d'enseignement-
apprentissage de la langue-culture dans toutes ses phases et activités, que les enseignants [eux-
mêmes], sur la seule base de leur expérience professionnelle, peuvent directement recueillir à partir
de leur propre pratique ou de l'observation de collègues » (note 3, p. 2, souligné dans le texte).
− D’une part, en effet, l’expérience professionnelle est constamment enrichie, chez les
« praticiens réflexifs »34, non seulement par le processus récursif de modélisation ➔
mobilisation ➔ conceptualisation sur leurs propres pratiques, mais par les apports fournis par
le même processus réalisé par les chercheurs dans l’autre sous-système (théorique).
− D’autre part ces praticiens réflexifs peuvent aussi prendre connaissance des données de
terrain recueillies par les chercheurs pour opérer sur elles leur propre conceptualisation.
Lorsque le chercheur est en même temps l’enseignant qui modélise à partir de son propre
terrain d’enseignement et mobilise ses modélisations sur ce même terrain, comme c’est
souvent le cas chez les jeunes chercheurs en mémoire ou en thèse, le système global de la
recherche n’est pas facilité, contrairement à ce qu’ils pourraient penser, parce qu’il est plus
difficile d’y maintenir la nécessaire distinction entre les deux sous-systèmes et leurs logiques
complémentaires, mais différentes.
Dans le chapitre 5 de mon cours en ligne DLC-DR335, je cite (p. 9-10) un passage d’Émile Durkheim
où, réfléchissant dans les premières années du XXe siècle au statut de la pratique et de la théorie en
31« Le croisement des données d’origines diversifiées […] constitue sans doute la méthode fondamentale de la
recherche en DLC » (DLC-MR5, pp. 42-43 et p. 46), dans laquelle les méthodes de recherche doivent elles-mêmes
être diverses et croisées (idem, « Conclusion de la 2e partie, pp. 45-47).
32Je renvoie au passage p. 2-3 de Puren DLC-DR1 où j’illustre très concrètement ces différentes activités
d’observation, d’analyse et d’interprétation (puis d’intervention) en DLC avec « l’exemple d’un formateur réalisant
une observation formative dans la classe d’un enseignant débutant ».
33Sur le concept de « problématique de recherche », cf. le chapitre 1.2 (p. 5-9) de Puren DLC-MR4, où j’en
présente les différentes composantes.
34Pour reprendre l’expression célèbre de Donald Schön (1983), pour qui le professeur construit son savoir
professionnel par l'action et la réflexion dans et sur l'action.
35Le chapitre 2 de ce cours (p. 10-14) est entièrement consacré à la notion de « modèle ». Je reviendrai dans
ma conclusion sur les fonctions du modèle que B. Walliser présente avec quelques variantes dans un article de
2007. Voir aussi infra note 37, p. 17.
pédagogie, il finit par définir cette dernière comme « une théorie pratique ». Le paradoxe de cette
formule illustre bien la tension constitutive qui est au cœur non seulement de la pédagogie générale,
mais des didactiques de toutes les disciplines, comme le conclut Philippe Sarremejane en toute fin de
son ouvrage de 2001, Histoire des didactiques disciplinaires 1960-1995 :
La didactique est un hybride qui vit son écartèlement au gré des courants contradictoires qui
la traversent, […] elle est un « ni… ni… ». Ni théorique parce qu'elle ne veut pas rompre avec
« le sens pratique » qui la constitue et qui ressort aux individus empiriques, ni pratique, parce
que vouloir comprendre la pratique nécessite la médiation mutilante d'un code symbolique qui
de fait, se coupe du réel tel qu'il est. Il ne reste alors qu'un substitut appauvri. (p. 444-455)
Il faut effectivement éviter que, comme le dit cet auteur, la théorie soit seulement un « substitut
appauvri » des données de terrain, mais il faut tout autant éviter, comme il aurait dû l’ajouter pour
maintenir la symétrie entre les deux risques, qu’à l’inverse les données de terrain apparaissent
seulement comme un amoncellement hétérogène d’éléments isolés. Il faut certes assurer, comme le
dit A. David, « l’interaction entre terrain et théorie » (cf. supra, citation 1), mais je pense,
contrairement à lui, qu’elle ne peut se réaliser directement : tant la compréhension du terrain que
l’intervention sur le terrain exigent de disposer de modèles, théoriques et/ou praxéologiques, selon la
stratégie que l’on aura choisie (cf. les « modèles théoriques » et les « modèles praxéologiques » sur
le schéma 1). Le chercheur en DLC doit aussi connaître les modèles méthodologiques mis en œuvre
par les enseignants, et comprendre pourquoi ils les maintiennent ainsi dans leurs pratiques. Ces
modèles méthodologiques peuvent correspondre en effet chez les uns à des fossilisations – ils
réduisent alors la nécessaire adaptabilité des pratiques d’enseignement – mais chez les autres à des
automatismes professionnels qui leur vont permettre de dégager les ressources cognitives de haut
niveau, les plus couteuses, indispensables pour adapter leurs pratiques en temps réel.
La « matière sémantique » du modèle, c’est de la représentation symbolique, mais cette définition est
trop abstraite et générale pour être à elle seule d’une quelconque utilité : c’est comme si l’on
demandait « de l’acier » à un vendeur de magasin de bricolage sans préciser de quel instrument on a
besoin…
Lorsque Bernard Walliser présente les « idées essentielles » autour desquelles le concept de modèle
a été « forgé » (cf. citation supra p. 6 : le mot « forgé » est bien choisi, qui renvoie à l’idée
d’instrument…), il en fait une description, et il procède de même lorsqu’il présente plus loin dans ce
même ouvrage (p. 179-180) :
− les cinq « outils de la modélisation » : les « instruments » de recueil et les « techniques de
mobilisation et de traitement de données », les « méthodes d’appréhension d’un système ou
d’un phénomène » et les « problématiques »36 ;
36 Les problématiques, selon B. Walliser, « traduisent des principes d'approche a priori, et […] se distinguent par
les présupposés épistémologiques dont elles s'inspirent (problématique psychanalytique, problématique
marxiste) » : ce qu’il appelle là « problématiques » correspond à ce qui est plus généralement appelé en
épistémologie « paradigmes » (sur les paradigmes en DLC, cf. Puren DLC-DR3, chap. 3.2, p. 15-16).
Michaël Ballé, sociologue de formation et spécialiste en SG, considère les modèles mentaux à l’œuvre
dans notre vie quotidienne comme « des représentations symboliques de situations auxquelles les
individus sont confrontés » (2002, p. 36) : on voit bien dans cet énoncé la partie purement définitoire
(en italique) et la description qui suit, qui est faite en fonction du domaine dans lequel il insère le
concept, à savoir la sociologie.38
Ma présente théorie générale de la recherche en DLC ne repose pas sur une définition de « modèle »
opposée à celle de « théorie » − je pense en effet, comme A.M. Huberman et M.B. Miles, que ces deux
concepts sont constitués fondamentalement de la même « matière épistémologique » − mais sur une
description différente, que j’emprunte à deux de mes auteurs de référence en épistémologie, et que
je présente dans le document Puren 015 intitulé « Théories externes versus modélisations internes
(selon Edgar Morin et Richard Rorty) ». Je renvoie mes lecteurs à ce document, en me contentant ici
de donner les deux caractéristiques essentielles de la description qui y est faite de ces deux concepts :
− Avec une théorie on cherche à comprendre la réalité en elle-même, et son critère d’évaluation
est son adéquation à cette réalité.
− Avec un modèle on cherche à agir sur la réalité, et son critère d’évaluation est sa pertinence
et son efficacité en contexte.
Mais cette description (fonctionnelle) du modèle n’est valable que pour le modèle praxéologique : un
« modèle théorique », comme nous l’avons vu avec Sinaceur (cf. supra p. 6) peut être « la
simplification d’une théorie » qui permette de se la représenter ; ou bien il peut être destiné à tester
la théorie, et non à modifier la réalité. En outre, contrairement à ce que j’ai pu proposer dans ce
tableau du document Puren 015 et dans des articles antérieurs, je pense qu’il faut distinguer, dans le
processus de la recherche en DLC, entre une « théorisation externe », qui s’opère effectivement à
partir d’entrées théoriques, et une « théorisation interne », qui est le fait des didacticiens lorsqu’ils
partent de données de terrain et qu’il les conceptualisent non dans une visée praxéologique (i.e.
d’intervention) immédiate, mais d’abord dans une visée théorique (i.e. de compréhension) : c’est le
cas de la recherche que j’ai menée pour rédiger cet essai, qui ne vise pas à dégager immédiatement
des modèles méthodologiques ni même des types de recherche (je l’ai déjà fait par ailleurs), mais un
modèle théorique, c’est-à-dire une représentation symbolique (concrétisée par le schéma 1) qui
permette en particulier de mieux comprendre le fonctionnement de la recherche en DLC.
37B. Walliser est passé par la suite à 6 fonctions. Il les présente dans son ouvrage de 2011, mais on les trouve
déjà exposées dans son article de 2007 disponible en ligne).
38 Il propose dans cet article un exemple très parlant de « modèle », qui là prend la forme d’un scénario actionnel
mental : « Elle l’a rencontré dans un bar et il lui a proposé de la raccompagner. Il l’a conduite par des ruelles peu
fréquentées. Il lui a dit que c’était un raccourci. Il l’a ramenée chez elle si vite qu’elle est arrivée à temps pour le
20 heures. » Pourquoi la chute de cette histoire semble-t-elle surprenante ? Dans l’ensemble, la conclusion est
vraisemblable. Pourtant, l’esprit saute à une conclusion bien différente et anticipe toutes sortes de fins plus ou
moins désagréables. En effet, la pensée ne suit pas ici un raisonnement logique et construit, elle repose sur un
« modèle mental », une représentation symbolique de la situation dans laquelle les rencontres dans les bars se
terminent généralement mal, comme tout scénario qui tourne autour du thème : « Il ne faut pas parler aux
inconnus ». (p. 36)
39Cette définition est très abstraite, même avec les petits schémas récursifs qu’elle intègre, et je ne peux que
conseiller d’avoir aussi sous les yeux le schéma 1…
« praxéologiques » dans le sens où ils ont été élaborés directement par et pour l'action sur le
terrain ; ils sont pris dans la boucle récursive suivante40 :
− soit par déduction à partir d’une théorie dans le but de mieux comprendre ce processus avec
comme objectif médiat de l’améliorer : ce sont les modèles appelés « théoriques » dans le sens
où ils ont été élaborés par la théorisation, et en même temps
(1) pour la théorisation : ils sont pris dans une première boucle récursive
(2) et pour l'action : ils sont pris dans une seconde boucle récursive
Le schéma 1, en annexe 1 de cet essai, est lui-même un modèle théorique du processus de recherche
en DLC ; le schéma 2, dans l’annexe suivante, est un modèle théorique des différents types de
recherche en DLC : leur objectif premier est de permettre de mieux comprendre la réalité de la
recherche, même si, comme je l’espère, ils pourront ensuite être utilisés par des étudiants chercheurs
et leurs directeurs pour améliorer la recherche.
On trouvera une présentation de différents types de représentation des modèles en DLC dans mon
ouvrage (en collaboration) de 1999(h), où je les appelle des « configurations conceptuelles »
(chap. 2.2, p. 25-30) : il s’agit de la liste, du tableau, du processus et du réseau. Je propose à la suite
une « séance de travaux pratiques » sur ces mêmes configurations (chap. 2.3, p. 30-33).
Il me semble que les deux sociologues décrivent là, après la phase 1 de conceptualisation, deux types
d’opérations différentes :
− Le premier type d’opération (en 2) est la « modélisation », qui correspond dans mon article de 1997
à la « conceptualisation de deuxième niveau » (Puren 1997b, p. 3-4). Les « matrices, graphiques,
diagrammes et tableaux » que citent A.M. Huberman et M.B. Miles correspondent justement à
différents types possibles de représentation graphique des modèles. Cette modélisation est destinée
40 Ce qui différencie les modèles méthodologiques des modèles praxéologiques, c’est que les premiers ne sont
pas pris dans une boucle récursive, contrairement aux seconds ; ils sont soit directement importés dans les
pratiques d’enseignement (ils restent en permanence des « entrées méthodologiques »), soit stabilisés après une
élaboration personnelle considérée comme achevée.
à produire des modèles praxéologiques que l’on va ensuite mobiliser pour agir immédiatement sur le
terrain, pour « passer à l’action ». Cf. sur le schéma 1, dans le prolongement de la conceptualisation,
la « modélisation », les « modèles praxéologiques » et leur « mobilisation », que j’appelle
« praxéologique » pour la différencier de la « mobilisation théorique » (nous verrons cette dernière
plus avant au chap. 4.1).
− La second type d’opération que décrivent A.M. Huberman & M.B. Miles (en 3) est la « théorisation »,
qui correspond dans mon article de 1997 à la « conceptualisation de troisième niveau » (Puren 1997b,
p. 4). Il y a passage de la conceptualisation à la théorisation à partir du moment précis où les concepts
se détachent de leurs données de terrain d’origine parce que le chercheur commence à les travailler
à la fois en eux-mêmes et les uns par rapport aux autres dans le but parvenir à une cohérence
conceptuelle d’ensemble : c’est la « cohérence théorique » dont parlent A.M. Huberman & M.B. Miles.
Et pour parvenir à cette cohérence unique, il faut forcément faire appel à un principe unique de
cohérence, c’est-à-dire à un « paradigme »41. Comme on le voit sur le schéma 1, l’opération de
conceptualisation aboutit à une bifurcation épistémologique : elle se poursuit soit vers la
« modélisation praxéologique », ainsi nommée parce qu’elle va se faire dans une logique prioritaire
d’intervention, soit vers la théorisation, dans une logique prioritaire de compréhension (cf., tout en
haut du schéma 1, l’indication de ces deux logiques, qui sont à ce moment-là exclusives l’une de
l’autre).
À la question que pose A. David dans la citation 1 plus haut en Introduction (p. 8), « le terrain est-il
modélisable ? », la réponse qu’il donne à la suite n’est pas directe : « l’interaction entre terrain et
théorie est constitutive d’une ingénierie gestionnaire fondée […] »). Mais on comprend que pour lui ce
sont les « modèles » qui permettent de gérer au mieux l’entreprise parce qu’ils sont les produits, chez
le chercheur, d’une interaction « entre terrain et théorie ». Dans la citation 2, il parle, d’ailleurs, de
« modèles de gestion ».
Cette expression d’ « ingénierie gestionnaire fondée » est très rarement présente dans les textes des
spécialistes français des SG, qui parlent généralement d’ « approche (théorique) à base empirique »
ou de « théorie à base empirique » pour traduire l’expression anglaise « Grounded Theory
(Approach) », dans laquelle « grounded » a le sens étymologique fort de « fondé/ basé/ ancré sur le
terrain ».42
Les relations établies entre la « Grounded Theory » (désormais siglée « GT »), et l’analyse qualitative
sont différentes et parfois même opposées selon les auteurs. Par exemple :
− pour certains, la GT est une variante de l’analyse qualitative telle que la définissent les sociologues
A.M. Huberman & M.B. Miles dans leur ouvrage de 1991 ; c’est le cas par exemple des auteurs d’une
formation en ligne de l’Association des facultés de médecine du Canada43 ;
− pour d’autres au contraire, la GT est une méthodologie inductive générale qui fait appel aussi bien
à l’analyse qualitative qu’à l’analyse quantitative ; c’est la position du Grounded Theory Institute, qui
définit ainsi son domaine :
Toutes les recherches sont « fondées » sur des données empiriques, mais peu d'études
parviennent à produire une « théorie fondée » sur une base empirique. La « Théorie à base
empirique » est une méthodologie inductive. Bien que beaucoup la considèrent comme une
méthode qualitative, ce n'est pas le cas. C'est une méthode générale. C'est une méthode de
production systématique de la théorie à partir d'une méthode systématique de recherche. C'est
un ensemble de procédures rigoureuses de recherche permettant l'émergence de catégories
conceptuelles. Ces concepts/ catégories sont reliés les uns aux autres de manière à produire
une explication théorique de l'action/ des actions par laquelle/ lesquelles les acteurs d'un
Sur la même page de son site, le même Institut emprunte à l’un de ses membres, Odis E. Simmons,
un modèle de processus de recherche de type GT à la fois systématique et extrême, puisque sa phase
initiale de « Préparation » est présentée en ces termes :
On limite au maximum les concepts et cadres conceptuels préalables. On n'effectue aucune
revue préliminaire de la littérature. On part sur une thématique générale, mais on n'a prédéfini
aucune problématique de recherche.45
Ce que l’on peut craindre d’un pragmatisme aussi radical que celui de cette version du GT, c’est qu’il
ne génère un « applicationnisme méthodologique » (cf. chap. 3.4) tout aussi radical, qui va bloquer
la récursivité des processus de la recherche, aussi nécessaire si l’on choisit de prendre la voie courte
de la modélisation praxéologique (i.e. d’opérer dans le seul sous-système praxéologique de la
recherche) que si l’on choisit de suivre la voie longue de la théorisation (i.e. d’opérer dans le sous-
système théorique de la recherche) ; et a fortiori si l’on se propose d’opérer dans le système global,
ce qui implique d’organiser des « réentrées » des résultats de la mobilisation théorique dans le sous-
système praxéologique (cf. la représentation des processus correspondants sur le schéma 1). Ce
même type d’applicationnisme méthodologique peut être décrit comme des entrées méthodologiques
utilisées directement comme des « modèles méthodologiques », c’est-à-dire donnant lieu directement
à « application méthodologique » (cf. à nouveau le schéma 1). C’est ce type d’applicationnisme que
provoque l’idéologie des « bonnes pratiques » actuellement dominante dans les organismes
internationaux tels que l’UNESCO ou l’OCDE, et que l’on retrouve au ministère français de l’Éducation
nationale.46
Cette conception radicale de la GT n’est pas non plus celle d’A. David, qui présente ainsi le « Principe
n° 3 » de sa conception de « la recherche-intervention comme méthodologie générale en sciences de
gestion » :
Le chercheur parcourt différents niveaux théoriques : faits mis en forme, théories
intermédiaires, théories générales, niveaux axiomatique (concepts de base) et paradigmatique
(postulats de base). Le niveau théorique opératoire est celui des théories
intermédiaires, fondées, qui permet à la fois un dialogue avec le terrain et un dialogue avec
des théories générales. Une des conséquences méthodologiques est […] qu’il est difficile, dans
de telles recherches, d’établir au début du processus et avant d’aller sur le terrain une revue
de littérature entièrement pertinente, les théories existantes étant sans cesse revisitées grâce
aux matériaux empiriques. (p. 13, souligné dans le texte)
44 « All research is "grounded" in data, but few studies produce a "grounded theory." Grounded Theory is an
inductive methodology. Although many call Grounded Theory a qualitative method, it is not. It is a general
method. It is the systematic generation of theory from systematic research. It is a set of rigorous research
procedures leading to the emergence of conceptual categories. These concepts/ categories are related to each
other as a theoretical explanation of the action(s) that continually resolves the main concern of the participants
in a substantive area. Grounded Theory can be used with either qualitative or quantitative data. »
www.groundedtheory.com/what-is-gt.aspx (dernière consultation 06/03/2020). Dans cette traduction
personnelle, j’ai pris quelques libertés avec le texte original dans l’intention d’être plus clair pour mes lecteurs ;
j’espère y être un peu parvenu… sans trop avoir trahi l’auteur.
45“Preparation: Minimizing preconceptions. No preliminary literature review. General research topic, but no
predetermined research ‘problem’”. J’ai traduit en français avec des notions et concepts qui sont utilisés
communément en France pour la didactique des langues-cultures, et que j’espère équivalents…
46Pour une critique de cette idéologie, cf. par ex. Puren 2007a. Elle tire sans doute son prestige, voire son origine,
de la technique managériale du benchmarking.
Un enseignant peut mobiliser les modèles praxéologiques dans ses pratiques de classe selon trois
grands types de processus, tous réflexifs, puisque la réflexivité fait partie de la définition même de ce
type de modèles :
a) Il introduit dans sa pratique des modèles méthodologiques en fonction de ses besoins et ses
intentions en observant en temps réel leurs effets et en évaluant leurs résultats ; il opère alors, dans
ce premier temps, une « application méthodologique », mais à titre d’expérimentation, et donc en la
soumettant ensuite à conceptualisation (cf. le schéma 1). Il peut alors, en fonction de son évaluation,
soit l’abandonner, soit l’adopter tel quel (il deviendra alors pour lui un modèle méthodologique), soit
l’intégrer dans ses modèles praxéologiques, où il entrera alors, comme les autres modèles de ce type,
dans la boucle récursive permanente
c) Il emprunte des modèles praxéologiques – qui sont des propositions méthodologiques ouvertes
parce que référées à des modèles théoriques, confrontées à des données d’expérimentation et
conceptualisées – en les confrontant à son tour à ses données d’expérimentation et à sa
conceptualisation : pour mettre en avant leur caractère d’ouverture et d’incitation à des
expérimentations personnelles, le terme de « modélisations praxéologiques » convient mieux à ces
emprunts, parce que ce sont des produits présentés comme des exemples de production (en
l’occurrence, de modélisation) plus que comme des produits finis : l’ambivalence du terme de
« modélisation » permet précisément d’inclure ces deux aspects.
Les « praticiens réflexifs » les plus actifs sont ceux qui réalisent simultanément et en permanence ces
trois processus de recherche sur leur propre pratique professionnelle.
Le sous-système théorique fonctionne selon ses propres logiques (celle de la visée d’explication de la
réalité en elle-même et celle de la cohérence interne), et il peut parfois de ce fait ne pas parvenir à
opérer de réentrée dans le sous-système praxéologique (c’est-à-dire parvenir à le rétroalimenter).
C’est le cas décrit par Dominique Bucheton et Élisabeth Bautier dans un article de 1996 intitulé
« Interactions : co-construction du sujet et des savoirs », et où elles passent en revue toutes les
théories disponibles. Elles concluent très honnêtement :
Ces différentes recherches sont le plus souvent pointues et apportent de réelles connaissances,
mais ces connaissances sont centrées sur le fonctionnement même des échanges
dans leur dimension linguistique et conversationnelle. Même si elles sont utiles pour
comprendre comment fonctionne la classe, ou comment les sujets de l'interaction construisent
ce qui s'y produit, malgré tout. Ces recherches jusqu'à présent ne se sont pas centrées sur
les sujets dans leur spécificité individuelle et sociale. Dès lors, elles n'ont pas, pour le moment
du moins, été d'un grand secours pour améliorer les situations d'apprentissage, même si elles
ont néanmoins montré que les élèves, même en difficultés, que les enfants, même très jeunes
(Frédéric François), manifestent des possibilités d'échanges langagiers et d'élaboration
discursive tout autant que référentielle, souvent méconnues – et ce faisant inutilisées – comme
compétences ou savoirs, par les enseignants. (je souligne)
47Dans les sciences exactes, les modèles sont mobilisés et les théories testées dans une réalité aménagée, celle
du laboratoire. En didactique – celle des langues-cultures comme celles de toutes les sciences humaines −, le
poids de l’environnement réel et de la complexité de ses multiples facteurs, humains et matériels, fait que les
recherches en laboratoire ne peuvent jamais donner de résultats directement « réinjectables » dans la
modélisation praxéologique (n’en déplaise à certains spécialistes des sciences cognitives, qui voudraient nous
imposer un nouvel « applicationnisme cognitif », après celui que nous avons connu en DLC avec le
béhaviorisme…).
48 Sur le concept de « mobilisation » (des modèles), cf. supra la note 16, p. 9.
49 Florilège extrait du Cadre Européen Commun de Référence (je souligne) :
− « Il faut aussi que la description [des niveaux de compétence] se fonde sur des théories relatives à la
compétence langagière bien que la théorie et la recherche actuellement disponibles soient inadéquates pour
fournir une base. » (p. 23)
− « Un travail récent sur les universaux n’a pas encore produit de résultats directement utilisables pour faciliter
l’apprentissage, l’enseignement et l’évaluation des langues. » (p. 87)
Un exemple nous est donné par les recherches sur l’évolution des erreurs des apprenants au cours de
leur apprentissage, recherches à partir desquelles certains ont pensé dans les années 80 pouvoir
générer des modèles praxéologiques de progression linguistique : ces recherches sont passées de
mode, et s’il y en a constamment quelques-unes en cours, le projet scientifique ambitieux qu’elles
poursuivaient au départ a été abandonné.
La « mobilisation théorique » peut se faire avec deux types de visée différents (on se reportera au
schéma 1 pour repérer les flèches schématisant les opérations correspondantes) :
1) Tester les théories correspondantes, dans le cadre de ce qui est appelé sur le schéma 2 la
« recherche- expérimentation » : les résultats vont valider les théories ou amener les chercheurs,
récursivement, à reprendre la conceptualisation et la théorisation pour modifier ces théories.
2) Traiter des données de terrain, comme lorsque des spécialistes de l’analyse de discours étudient
par ce moyen des corpus d’interactions langagières en classe. La meilleure compréhension des
données de terrain pourra alors être exploitée par les didacticiens, dans le cadre de qui est appelé sur
le schéma 2 la « recherche-application », pour renouveler la conceptualisation qu’ils en font, modifier
leurs modèles praxéologiques ou en créer de nouveaux : c’est ce qui est représenté, sur le schéma 1,
par la jonction, à l’intérieur des données de terrain, des plongements en pointillés des opérations de
mobilisation théorique et de mobilisation praxéologique : les résultats de la mobilisation des modèles
théoriques vont alors pouvoir fonctionner comme une « entrée » dans le sous-système praxéologique
(c’est une « réentrée » par rapport au système global).51
Il existe quatre autres types de processus établissant une relation entre le sous-système théorique et
le sous-système praxéologique, et qui le font d’une part directement, et d’autre part isolément, sans
entrer dans une dynamique récursive : la mobilisation rhétorique, l’application théorique, la
transposition didactique et l’implication théorique.
− « En ce sens, toute langue a une grammaire extrêmement complexe qui ne saurait, à ce jour, faire l’objet
d’un traitement exhaustif et définitif. » (p. 89)
50J’ai trouvé récemment, dans une compilation de blagues et calembours dignes de l’Almanach Vermot, une
phrase d’une grande profondeur épistémologique : « Il n’y a pas de problème qui résiste indéfiniment à une
absence de solution »… J'ai appris par la suite dans un dictionnaire de citations que cette pensée était attribuée
à Henri Queuille, homme politique français plusieurs fois ministre et président du Conseil sous la IIIe et la IVe
République. Elle apparaît très pertinente lorsque l’on observe l’histoire de la DLC. Comme son domaine est
constitué de problématiques permanentes, et non de problèmes (cf. à nouveau Puren 023), le changement y
consiste souvent à abandonner une problématique pour en reprendre une autre revenue à la mode.
51 À l’inverse, l’histoire montre que les résultats des mobilisations praxéologiques ont alimenté voire suscité la
recherche théorique : les problématiques d’enseignement de la grammaire, par exemple, ont alimenté (et même
historiquement initié) les recherches linguistiques.
« mobilisation rhétorique » (cf. la flèche correspondante sur le schéma 1), leur appellation de
« théories de référence » prenant alors tout son sens... Dans mon Histoire des méthodologies, j’ai
noté à plusieurs reprises ce phénomène, et je l’ai repris dans la conclusion générale en prenant comme
exemple le cas de la méthodologie audiovisuelle française :
Les références à la MAO52 et aux principes de la Linguistique appliquée américaine sont certes
très nombreuses dans le discours didactique français entre 1960 et 1975 ; et jusqu’à nos jours,
l’histoire de la MAO américaine est en France bien mieux connue des didacticiens que celle de
la MD française. Mais de telles références me semblent avoir été utilisées très souvent comme
une garantie scientifique de prestige dans une rationalisation a posteriori de conceptions et de
pratiques très largement héritées de l’histoire française : le phénomène me paraît
particulièrement évident, par exemple, dans la tentative de certains théoriciens français
d’assigner à l’image dans la MAV le rôle que joue le stimulus dans la psychologie béhavioriste,
alors que de toute évidence elle ne fait qu’y systématiser les deux fonctions principales déjà
assignées aux images dans la MD, où elles étaient des procédés intuitifs d’explication du lexique
ou de présentation de la situation. (Puren 1988a, p. 210)
Il en a été de même – autre exemple – dans les références que certains didacticiens promoteurs de
l’approche communicative ont faites à la théorie socioconstructiviste de l’interaction comme co-
construction du sens, alors que dans les manuels, et sans doute dans les pratiques de communication
en classe, cette interaction se limitait à des échanges d’informations : on peut penser qu’il y a de la
mobilisation rhétorique à l’œuvre dans la citation de Dominique Bucheton et Élisabeth Bautier, supra
chap. 4.1…
Cette appellation de « mobilisation rhétorique » n’a rien de péjoratif dans mon esprit. D’une part parce
que le discours didactique, à défaut de pouvoir vraiment démontrer, s’efforce de montrer et de
convaincre, et que ces références théoriques constituent des arguments (encore faut-il qu’ils soient
convaincants, et qu’on ne se contente pas indéfiniment de la seule argumentation…) ; d’autre part
parce que les théories auxquelles il est ainsi fait référence entreront peut-être par la suite dans le
sous-système théorique, avec l’élaboration de modèles à mobiliser dans l’enseignement-
apprentissage.
Ce sera peut-être le cas (il faut l’espérer) de la « linguistique actionnelle », qui pour l’instant, faute
de modèles théoriques mobilisables en salle de classe, ou même de propositions de transposition
didactique53, n’est mobilisée dans le discours didactique que de manière rhétorique, comme dans ce
passage de l’ouvrage que Jean-Jacques Richer a publié en 2011 :
[…] la linguistique actionnelle, qui a pour programme de recherche de considérer « une prise
de parole comme un acte de langage sanctionné non plus seulement par des conditions de
vérité, mais par des conditions de légitimité et d’efficacité, c’est-à-dire comme une action »
(Durand et Filliettaz, 2009: 18) n’en est qu’à ses débuts. Elle se doit d’affiner ses concepts, de
valider ses hypothèses en multipliant ses champs de recherche, et, si elle ne peut fournir
actuellement à la perspective actionnelle que des données ponctuelles trop fragmentaires pour
pouvoir concevoir une « compétence opérationnelle » (pour reprendre l’expression de Roulet
et Filliettaz) qui articulerait langage et action physique et s’ajouterait aux autres composantes
de la compétence à communiquer langagièrement 54, du moins doit-elle avoir pour fonction de
rappeler impérativement aux didacticiens des langues la nécessité de « dépasser une
conception logocentrique de l’interaction » (Filliettaz, Bronckart, 2005:8). (Richer 2011, p.
111-112).
Pour la perspective actionnelle, également, j’ai fait moi-même référence, mais de manière autrement
plus risquée, à la théorie des « neurones miroirs », qui semble valider l’hypothèse d’une relation
étroite entre la perception et l’action (Puren 2009b, note 31, p. 25).
Enfin, la lecture des travaux des étudiants-chercheurs fait souvent apparaître que les théories
auxquelles ils font référence, faute d’y être réellement intégrées à leur système de recherche, ne font
l’objet que d’une mobilisation rhétorique. Ce phénomène est inévitable, et massif, lorsque leur
directeur exige qu’ils rédigent – ou lorsqu’ils s’obligent eux-mêmes à rédiger – une première partie
« théorique », c’est-à-dire consacrée au « point sur la question », à la « revue de la littérature
disponible »55, avant d’exposer leur propre recherche, sa conduite et ses résultats.
C’est à l’applicationnisme théorique, le plus connu en DLC, que pensent généralement les didacticiens
de langues-cultures lorsqu’ils utilisent ce concept, qui renvoie concrètement à la linguistique appliquée
et à psychologie appliquée des années 1960, contre lesquelles la « didactique des langues » a imposé
son nom et sa revendication d’autonomie au début des années 1970 (cf. Puren 043).
Le combat des didacticiens contre l’applicationnisme ne peut pas être considéré de nos jours comme
gagné, en particulier parce que beaucoup de sociolinguistes me semblent avoir repris à leur compte
les positions des linguistes des années 60. Parmi les multiples exemples qui montrent régulièrement
la permanence de la tentation applicationniste, voici un extrait de l’appel à contribution d’un colloque
de 2015 : la question de recherche ainsi rédigée pour définir l’un des axes de ce colloque relève d’un
véritable délire scientiste :
Pourquoi et comment la psychologie cognitive, la linguistique cognitive, la sociologie cognitive,
l’intelligence artificielle, etc. peuvent-elles constituer des assises méthodologiques dans la
recherche en didactique des langues et des cultures, en l’occurrence dans la conception des
démarches d’enseignement, la conception des manuels scolaires, le mode d’évaluation des
apprentissages, la question des aides à l’apprentissage dans le cadre des nouvelles
technologies éducatives, etc. ?
Sophie Moirand critique cet applicationnisme, tout en le comprenant – il répondrait à des « désirs
légitimes » des enseignants et des linguistes −, et tout en restreignant ses critiques au recours à
« une théorie linguistique unique » et aux théories « en cours d’élaboration ». Elle écrit ainsi dans son
ouvrage de 1979 (je reviens au chapitre suivant sur les propositions d’ « analyse prépédagogique »
qu’elle y fait) :
Le premier danger serait de la confondre [l’analyse prépédagogique à la charge de l’enseignant
préparant son cours] avec les analyses théoriques du discours (ou les grammaires textuelles)
et de la subordonner à une théorie linguistique unique. On comprend le désir légitime des
enseignants, quand ils se recyclent, de vouloir appliquer ce qu’ils apprennent et celui (encore
plus légitime) des théoriciens de voir appliquer leurs modèles. Mais le cours de langue ne doit
pas devenir un champ d’application pour des théories en cours d’élaboration : il existe bien
d’autres lieux où l’on peut tester leur bien-fondé. (p. 91)
Je suis pour ma part moins compréhensif, et je ne qualifierais certainement pas de « légitimes » les
prétentions des linguistes, sociolinguistes, psycholinguistes et autres cognitivistes à occuper une
position « méta » par rapport aux didacticiens de langues-cultures. En tout état de cause, ce n’est pas
à eux de s’octroyer pour eux-mêmes cette légitimité dans le champ de la didactique, et je ne vois pas
pourquoi les didacticiens la leur accorderait, au vu de tous les effets négatifs que l’applicationnisme a
provoqués et provoque encore sur les contenus des formations universitaires françaises en didactique
du français langue étrangère, et sur la gestion de la carrière universitaire des véritables chercheurs
didacticiens de langues-cultures.
On comprend dès lors pourquoi ce concept de « linguistique impliquée » n’ait pas prospéré en DLC,
pas même dans la didactique du FLE en France, où il était apparu : on peut penser que ces linguistes-
didacticiens ne l’ont utilisé en réalité que pour maintenir entre la linguistique et la DLC une relation
hiérarchique, en abandonnant seulement l’expression de « linguistique appliquée », devenue
« politiquement incorrecte » en DLC depuis le début des années 1970…
Il me semble malgré tout que l’ « implication théorique » correspond à l’un des processus observables
dans le système de la recherche en DLC, à condition de la concevoir comme un processus initié par
les enseignants et les didacticiens, et réalisé au coup par coup, en fonction de leurs besoins d’étayage
théorique. Sur le modèle du mot « applicationnisme », j’ai ainsi proposé, dans un article de 1998(c),
d’appeler « implicationnisme » la démarche par laquelle ces acteurs vont à faire appel à la linguistique
lorsqu’ils rencontrent un problème qu’ils ne peuvent résoudre eux-mêmes. Je dirais maintenant :
« … un problème qu’ils ne peuvent résoudre avec les modèles praxéologiques dont ils disposent ».
Dans cet article de 1998, je proposais une représentation des « modes fondamentaux de relation
théorie-pratique » dans un modèle construit sur la double base du sens de la relation entre théorie et
56Il est « malheureusement » encore nécessaire, parce qu’il continue à détourner une partie de l’énergie des
didacticiens d’un travail d’élaboration interne de leur discipline qui lui serait et leur serait bien plus profitable. Je
suis de nouveau monté au front dans une conférence de 2009(f)…
57 Je peux malgré tout en donner ici les références : Kahn G., Porquier R., Vives R. (1980), « Didactique des
langues et/ou linguistique appliquée. Le français langue étrangère », Bulletin de l'A.F.L.A. (Association Française
de Linguistique Appliquée), n° 9.
Je renvoie mes lecteurs à cet article, en me contentant de copier ci-après le passage nécessaire pour
comprendre ce schéma :
Je suis revenu plus récemment, dans une conférence de 2009(f) sur cet « implicationnisme » ainsi
défini, en en modernisant l’idée au moyen de deux emprunts conceptuels, le principe d’ « émergence »
en acoustique, et le principe de « subsidiarité » dans l’Union Européenne (cf. p. 3). Et je l’élargis,
comme on peut le voir sur ce schéma de la page 5 de cet article, à d’autres disciplines qui peuvent se
retrouvées « impliquées » dans la recherche en didactique des langues-cultures :
58 Sur l' « applicationnisme empirique » et les perspectives objet et sujet, je renvoie à mon article de 1998(f),
qui leur est entièrement consacré, en rappelant seulement ici qu’elles ne se confondent pas avec respectivement
les perspectives enseignement et apprentissage, l’enseignant étant aussi un sujet (à part entière !...) dans la
relation pédagogique. [note de l’article 1998(c), p. 16]
La flèche verticale indique les différents niveaux éventuels de recours à des disciplines extérieures à
la DLC : un enseignant, dans ses pratiques, sera amené à faire appel au didacticien seulement si
(principe de subsidiarité) une question « émerge » (principe d’émergence : il constate qu’elle dépasse
ses compétences de base) ; si le didacticien n’a pas la réponse (et seulement dans ce cas : même
principe de subsidiarité), il fera appel, au besoin, aux spécialistes d’autres disciplines ou à leurs
travaux.
Plus récemment encore, dans le dossier 7 de mon cours DLC-MR7, au chapitre 5.2 (p. 10-11), j’ai
représenté les trois grandes conceptions possibles de relation théorie-pratique sous la forme de trois
positionnements correspondant à une conception « forte », celle de l'applicationnisme ; une
conception « intermédiaire », qui correspond à l' « implicationnisme » et à l' « applicationnisme
méthodologique » ; et une conception « faible », celle du « pragmatisme ». Et je redéfinis ma position
personnelle à partir d’une réflexion sur l’origine des « modèles cognitifs » qui ont successivement
prévalu en didactique des langues-cultures (j’y reviens plus avant à propos des « entrées théoriques »,
chap. 5.2.4).
Ce concept n’a jamais bien « pris » en DLC (comme on dit d’une greffe qu’elle n’a pas « pris », qu’elle
n’a pas réussi), sans doute parce que les savoirs sur la langue, en DLC, ne sont pas des objectifs mais
des moyens : les savoirs métalinguistiques ne sont que des outils utilisés provisoirement, pour les
phases de repérage, conceptualisation et application, au cours de la procédure d’enseignement-
apprentissage de la grammaire (cf. Puren 009), mais l’objectif terminal, qui est l’ « assimilation », est
atteint précisément quand les apprenants réemploient spontanément les formes grammaticales sans
plus avoir besoin de mobiliser ces savoirs métalinguistiques. Les savoirs culturels, quant à eux, ne
peuvent s’appuyer sur aucune « théorie culturelle » déterminée et opératoire, et ils ne correspondent
de toutes manières qu’à la « composante métaculturelle », qui n’est que l’une des cinq composantes
de la compétence culturelle (cf. Puren 2011j).
Il me semble que l’« analyse prépédagogique » que Sophie Moirand a proposée en didactique du FLE
en 1979, et qu’elle avait élaborée à partir des différentes « analyses théoriques du discours » ou
« grammaires textuelles » disponibles à l’époque – elle a eu alors beaucoup de succès et elle a été
59
Dans le sens étymologique de l’adverbe : sans passer par la médiation de la série processuelle mobilisation
théorique ➔ conceptualisation ➔ modélisation praxéologique ➔ modèles praxéologiques ➔ mobilisation
praxéologique ➔ conceptualisation ➔ bouclage à l’intérieur du sous-système praxéologique sur la modélisation
praxéologique, ou bouclage à l’intérieur du sous-système théorique vers théorisation ➔ modélisation théorique…
On comprend que les linguistes pressés ou persuadés a priori de la pertinence et de l’efficacité immédiates et
universelles de leurs modèles veuillent faire l’économie de ce long parcours du combattant didacticien…
utilisée très longtemps ensuite par de nombreux enseignants −, correspondait à une « transposition
didactique » avant la lettre. Elle la présente ainsi :60
Tout texte destiné à être utilisé dans un cours de langue nécessite une analyse préalable par
l’enseignant. On l’appellera analyse prépédagogique, car elle concourt à la préparation de l’acte
pédagogique et ne sert, à la différence des analyses théoriques, ni à construire ni à tester une
théorie linguistique.
Dans le domaine particulier de la compréhension de l’écrit, l’analyse prépédagogique a deux
objectifs principaux :
− d’une part, elle constitue, pour l’enseignant, un moyen d’investigation des
fonctionnements d’un texte à différents niveaux (lors d’un cours il doit en effet pouvoir
répondre aux demandes, pas toujours prévisibles, des apprenants) ;
− d’autre part, elle doit permettre à l’enseignant d’imaginer des stratégies
pédagogiques pour aider les apprenants à accéder au(x) sens d’un texte (techniques de
repérages, découverte d’indices, tactiques de vérification, par exemple).
L’analyse prépédagogique consiste à poser sur le document plusieurs regards successifs afin
de trouver l’angle d’attaque pédagogiquement le plus efficace pour entrer dans le texte. Elle
doit tenir compte des particularités de chaque groupe d’apprenants, de leurs motivations et de
leurs besoins. Ainsi ne trouvera-t-on ici que des exemples (et non des modèles) de fiches
d’analyses réalisées (et utilisées). (p. 74)
Sophie Moirand avertissait ainsi de l’un des dangers de son analyse prépédagogique : « Le premier
danger serait de la confondre avec les analyses théoriques du discours (ou les grammaires textuelles)
et de la subordonner à une théorie linguistique unique. » (p. 91). Pour cette raison, sa « Grille pour
l’analyse prépédagogique » (p. 86-88) s’inspirait explicitement de trois « approches » différentes,
« sociolinguistique », « linguistique » et « logico-syntaxique ». Mais lorsque la transposition
didactique n’est qu’une transposition d’un modèle théorique issu d’une théorie unique (comme celle
que propose Luiza Guimarães-Santos), et que l’on veut la mettre en œuvre directement sur le terrain
de l’enseignement-apprentissage (comme cela a été très fréquent ces dernières décennies en français
langue maternelle), elle n’est guère autre chose qu’une application théorique (cf. supra le chap. 4.3).
En lisant les propositions de transposition didactique en FLE et en français langue maternelle (FLM),
j’ai souvent pensé à cette remarque très pertinente de Frank Marchand, auteur en 1920 d’un manuel
de FLE (Méthode Marchand. La famille Dupond, Imp. J. De Mersch, 1920) : « La grammaire étant l’art
de lever les difficultés d’une langue, il ne faut pas que le levier soit plus lourd que le fardeau. » (cité
dans Puren 1998f, note 10 p. 6).
En conclusion de ce chapitre 4, il me paraît intéressant d’appliquer les différents concepts que nous
avons abordés à l’analyse de la notion de « grammaire » dans le sens de « description du
fonctionnement de la langue ».
1) Lorsqu’il s’agit du précis grammatical d’un manuel de l’enseignement secondaire, les règles
ont été conçues et leurs exemples choisis comme autant de micro-modèles praxéologiques
supposés correspondre à la conceptualisation-modélisation que l’apprenant aura(it) pu
effectuer lui-même sur la langue, et qu’il pourra mobiliser ensuite pour produire consciemment
des énoncés corrects en langue étrangère.
60 Sophie Moirand m’a aimablement autorisé à publier la totalité du chapitre de son ouvrage de 1979 où elle
présente et illustre, analyse de plusieurs documents à l’appui, ce modèle d’ « analyse prépédagogique ». Il est
disponible sur mon site en « Bibliothèque de travail » (Puren 056).
2) Lorsqu’il s’agit d’une étude linguistique, la langue y a été décrite en fonction d’une théorie,
par mobilisation des modèles théoriques correspondants sur les données de terrain du linguiste,
à savoir son corpus d’analyse.
3) Cette grammaire peut aussi correspondre à la transposition didactique de modèles
théoriques, et elle est alors composée d’un ensemble de modèles praxéologiques élaborés de
cette manière. C’est alors ce que l’on peut appeler une « grammaire d’enseignement-
apprentissage » (et non d’apprentissage, comme peut l’être un précis grammatical de
manuel) : elle ne peut être utilisée par l’apprenant sans l’aide et le guidage de l’enseignant.
4) Il peut s’agir enfin de l’ensemble des micro-modèles praxéologiques (des « règles », avec
sans doute un ou plusieurs exemples mémorisés qui vont servir de modèles de production) qui
ont été pour les uns empruntés à la langue source, pour d’autres pris à la langue étrangère,
pour d’autre encore construits ou en voie de construction dans la tête de l’élève : c’est ce que
l’on appelle la « grammaire provisoire » ou « intermédiaire », ou encore « l’interlangue »,
propre à chaque apprenant à un moment déterminé de son apprentissage (cf. Klauss Vogel
1995).
Dans un manuel français d’enseignement scolaire de l’espagnol (¿Qué pasa? Terminales, Ch. Puren et
al., Paris : Nathan, 1995), j’ai proposé un dispositif d’apprentissage de la grammaire en autonomie
reposant sur l’articulation entre quatre types de grammaires. Je renvoie à la présentation que j’en fais
dans Puren & Sánchez 2001i. Il m’est possible maintenant d’analyser ce dispositif − qui visait à mettre
les élèves eux-mêmes en position de recherche personnelle − en fonction du « système de la
recherche » que je propose ici : la « grammaire réflexive » et la « grammaire d’apprentissage » font
entrer l’élève dans un processus personnel de conceptualisation ➔ modélisation (praxéologique ou
théorique) à partir des données fournies par les documents, le « précis grammatical » proposant les
modèles praxéologiques, et la « grammaire de référence » les modèles théoriques (élaborés par un
collègue co-auteur du manuel, Hélios Costa) auxquels ce processus doit les conduire.
1) Les réentrées qui proviennent de la conceptualisation des nouvelles données de terrain générées
par la mobilisation des modèles praxéologiques, et qui vont générer un bouclage sur la modélisation
praxéologique : cette réentrée fournit la dynamique du sous-système praxéologique qui lui permet de
fonctionner de manière autonome. Nous avons vu au chapitre 1 (p. 10-11) que c’est la production de
ces réentrées qui différencie la mobilisation de l’application.
2) Les réentrées qui proviennent de la conceptualisation des nouvelles données de terrain générées
par la mobilisation des modèles théoriques effectuée par des chercheurs ; ces réentrées vont alimenter
la dynamique du sous-système praxéologique en provoquent un retour sur la modélisation
praxéologique. Ces réentrées peuvent provenir non seulement des chercheurs, mais des enseignants
eux-mêmes ou d’une collaboration entre eux. C’est le cas lorsque les enseignants ont participé à des
recherches-actions : les conceptualisations des expérimentations conçues en collaboration avec les
chercheurs provoquent une réentrée dans la modélisation praxéologique (cf., sur le schéma 1, la série
processuelle mobilisation théorique ➔ conceptualisation ➔ modélisation praxéologique). Ce sont les
mêmes processus que l’on attend des étudiants-chercheurs intégrant dans leur démarche de
recherche des expérimentations dans leurs propres classes.
3) Les réentrées qui sont générées en circuit fermé à l’intérieur du sous-système théorique.
Ce travail « en circuit fermé » est indispensable ponctuellement pour les périodes de mise au point
formelles de la théorie par rapport à ses modèles, et des modèles par rapport à la théorie : c’est
exactement ce type de travail que j’ai réalisé sur l’ensemble du schéma 1 pour rédiger ce petit chapitre
5.1.
Ce n’est que lorsque dans la conceptualisation se mêlent ou du moins s’entrecroisent les réentrées
provoquées par la mobilisation praxéologique et celles provoquées par la mobilisation théorique (cas
n° 3 ci-dessus) que se crée une dynamique du système global de la recherche :ce qui constitue le
cœur de la formation à la recherche par la recherche, c’est la conceptualisation opérée par les
étudiants-chercheurs eux-mêmes sur les données de terrain qu’ils ont obtenues eux-mêmes à partir
de processus parallèles de mobilisation théorique et de mobilisation praxéologique qu’ils ont eux-
mêmes opérés.
Ce que l’on peut appeler le « postulat empirique », à savoir l’évidence que ce serait dans la pratique
elle-même de la langue étrangère que se trouverait le secret de son apprentissage pratique, a
constamment, jusqu’à nos jours, pesé d’un poids énorme sur la recherche en didactique des langues
et les conceptions de l’enseignement-apprentissage. Il correspond à des énoncés tels que : « c’est
d’abord en parlant la langue que l’on apprend à la parler », « c’est d’abord en écrivant qu’on apprend
à l’écrire », « c’est d’abord en communiquant que l’on apprend à communiquer »61, et maintenant,
avec la perspective actionnelle, « c’est d’abord en agissant en langue étrangère dans la microsociété
classe que l’on apprend à agir en langue étrangère dans la société extérieure ». Ce postulat explique,
dans les modèles praxéologiques, l’importance de toutes les activités qui mettent en œuvre
l’homologie maximale entre les fins (les objectifs de pratique sociale de la langue) et les moyens (les
61 D’où l’importance de la simulation dans l’approche communication, qui assure une homologie maximale entre
la pratique d’apprentissage et la pratique d’usage de la langue.
activités réalisées en classe pour atteindre ces objectifs) : c’est le cas aussi pour la dernière
configuration didactique, celle de la perspective actionnelle, où la finalité de formation d’un acteur
social réactive mécaniquement l’orientation pédagogique déjà bien connue qui exploite au maximum
l’homologie entre la société extérieure et la société classe, à savoir la pédagogie de projet (cf. Puren
2014b).
Ces entrées sociales influencent aussi constamment les effets que peuvent avoir les autres entrées
dans l’un et l’autre des sous-systèmes : j’écrivais, à la fin du même ouvrage, avoir été frappé aussi…
… par le poids énorme et décisif, sur le destin de chacune des méthodologies constituées, des
situations d’enseignement apprentissage : les lacunes de la formation des professeurs, le
trop petit nombre d’heures d’enseignement par semaine, le trop grand nombre d’élèves par
classe, leur trop faible motivation et leur trop forte hétérogénéité, entre autres, ont
constamment été ressentis, par les méthodologues directs et audiovisualistes, comme les freins
les plus puissants à l’innovation et les premiers responsables des échecs. La méthodologie a
sans cesse fluctué entre d’une part la prise en compte des situations d’enseignement-
apprentissage et l’élaboration de méthodologies qui voulaient d’emblée s’y adapter (MT, MA),
et d’autre part la construction de projets ambitieux dont la mise en œuvre aurait exigé un
changement radical des situations existantes (MD, MAV). Nous sommes actuellement en train
de revenir, semble-t-il, à une phase de prise en compte prioritaire de ces situations, sans doute
à la suite du développement de l’enseignement des LVE aux adultes, où les situations sont
d’une extrême diversité, et aussi en raison de la massification de l’Enseignement secondaire,
qui s’impose de plus en plus comme sa première réalité. Mais quelle que soit l’orientation
choisie, ces situations d’enseignement-apprentissage se révèlent en définitive déterminantes,
sur lesquelles méthodologues, concepteurs de cours et professeurs n’ont en tant que tels nulle
prise 62 (ibid, souligné dans le texte)
Mes recherches postérieures, jusqu’à présent, n’ont pas modifié cette analyse, mais l’ont au contraire
confortée en montrant que ces entrées sociales continuaient à fonctionner tout aussi puissamment et
de la même manière. J’ai ainsi introduit il y a quelques années le concept de « configuration
didactique » (cf. Puren 029), dans lequel la fonction des objectifs sociaux langagiers et culturels est
déterminante : c’est en effet une modification significative de l’un et/ou l’autre de ces objectifs qui
déclenche le processus de reconfiguration générale qui aboutira finalement aux modifications, dans
les ministères, des curricula ; chez les éditeurs, des manuels ; dans les salles de classe, des attentes
des apprenants et des pratiques d’enseignement. La dernière évolution des configurations didactiques,
celle qui apparaît dans le Cadre Européen Commun de Référence de 2000 avec les nouveaux objectifs
des compétences plurilingue et pluriculturelle et de la formation d’un acteur social, n’échappe pas la
règle (cf. Puren 2014a et sa bibliographie).
Ces « origines » constituent des entrées qui peuvent fonctionner de deux manières différentes au sein
du sous-système praxéologique:
− Elles sont intégrées dans la dynamique du sous-système pragmatique si elles donnent lieu à
« mobilisation praxéologique », à expérimentation en classe et à conceptualisation par
l’enseignant des nouvelles données de terrain – de la même manière que des entrées
théoriques peuvent intégrer le processus de théorisation → modélisation → mobilisation
théorique).
− Si elles donnent lieu à « application méthodologique », elles restent des « modèles
méthodologiques » (du « prêt à enseigner », comme on dit du « prêt à porter » pour les
vêtements), de la même manière que les entrées théoriques peuvent donner lieu à de
l'application théorique (voir flèche correspondante dans le schéma 1. J’ai proposé de parler
dans ce cas d’ « applicationnisme pratique » (Puren 2018h, page 3, note 2) pour mieux
l’opposer à l’applicationnisme théorique, mais il s’agit bien d’applicationnisme méthodologique.
Ces entrées méthodologiques peuvent être d’origine collective (les « ficelles du métier »), inscrites
dans une méthodologie (le travail en binômes et la simulation de l’approche communicative, par
exemple, lorsque ces techniques sont utilisées de manière systématique et mécanique, même dans
des séquences didactiques où elles ne sont pas adaptées 65), ou encore institutionnelles (c’est le cas
des schémas de classe de la méthodologie directe (Puren 1988a, p. 115-117) ou de la méthodologie
active (id., p. 154-155).
Enfin, ces entrées peuvent prendre la forme extrême de ce qu’on appelle une « approche non
conventionnelle » ou « alternative », comme l’ont été la « Méthode silencieuse », la
« Suggestopédie » ou encore l’ « Apprentissage par la Réaction physique totale »66 : ce sont des
macro-modèles méthodologiques qui exigent d’être appliqués de manière aussi exclusive et
systématique que passionnée, de sorte que ces approches sont à mon avis à la didactique des langues-
cultures ce que l’alchimie fut à la chimie, ou ce que les sectes sont aux religions (cf. Puren 1994e,
p. 54).67
Les cultures scolaires, dont les cultures didactiques, peuvent être considérées comme des types
d’entrées sociales, dans la mesure où elles font partie de l’environnement du processus
d’enseignement-apprentissage tel qu’il se déroule sur le terrain ; mais certains de leurs éléments
peuvent bien sûr constituer des entrées méthodologiques.
Il n’est pas toujours facile, lorsque l’on fait l’histoire des méthodologies, de pondérer ce qui vient
réellement des entrées théoriques. Prenons l’exemple des modèles méthodologiques de conception de
gestion des processus cognitifs d’enseignement-apprentissage dont j’ai fait la synthèse dans le
document Puren 016. Les idées que je vais présenter ci-dessous peuvent certainement être discutées
indéfiniment, la vérité historique – si tant est que ce concept ait vraiment un sens en cette affaire… –
étant maintenant définitivement impossible à reconstituer.68
− Les modèles de la réception et de l’imprégnation (ou « immersion ») ont correspondu à des entrées
empiriques. Il est probable que les neurosciences nous éclaireront sur les mécanismes neurologiques
65Dans un manuel récent de FLE se réclamant de la perspective actionnelle, par exemple, on demande aux
apprenants, en tâche finale d’une unité didactique, de se mettre en binômes, d’imaginer que l’un des camarades
de classe va bientôt fêter son anniversaire, et de préparer la fête que la classe va lui faire. Pourquoi ce travail en
binômes, alors que l’enjeu est collectif ? (c’est toute la classe qui va fêter cet anniversaire), et pourquoi imaginer
un anniversaire, avant même de se demander s’il n’y aurait pas un vrai anniversaire à fêter ?
66 Voir DUFEU Bernard, Les approches non conventionnelles des langues étrangères (Paris : Hachette, coll. « F-
références »1996, 208 p.), ou encore CARÉ Jean-Marc (coord.), « "Approches différentes" et didactique plurielle
des langues » (Le Français dans le monde, n° spécial « Recherches et Applications », janv. 1999, p. 187-191.
Paris : EDICEF).
67 Un exemple caricatural de macro-modèle praxéologique de ce type est apparu ces dernières années dans
l’enseignement scolaire français, où il bénéficie de l’appui d’une partie de l’inspection de langues. Cf. l’analyse
que j’en ai réalisée avec deux autres collègues et publié sur mon site : Puren Ch., Medioni M.-A. Sébahi E. 2013.
Ces idées reprennent en partie celles que j’ai déjà eu l’occasion de présenter au chapitre 4.2 qui concernait la
68
mobilisation rhétorique.
à l’œuvre dans cette acquisition naturelle que veut reproduire le modèle de l’immersion, mais cela ne
résoudra pas la question de la gestion complexe des modèles cognitifs à mettre en œuvre dans
l’apprentissage formel, qui devront toujours rester variés et variables.
− Le modèle de l’interaction (celui de l’approche communicative) est d’origine empirique, même si,
comme nous l’avons vu plus haut, les recherches théoriques sur la « co-construction du sujet et des
savoirs » ont pu être mobilisées de manière rhétorique, (cf. chap. 4.2). La théorie de
l’ « interactionnisme socio-discursif », en revanche, a donné lieu à transposition didactique (cf. chap.
4.5).
−Le modèle de la construction, avec son hypothèse centrale de l’interlangue (cf. supra la conclusion
du chapitre 4 sur la notion de « grammaire », p. 29) est venu en partie légitimer scientifiquement les
activités très anciennes de conceptualisation grammaticale72, et il a donc alimenté de la mobilisation
rhétorique. Mais il a aussi donné lieu à une variante du modèle praxéologique de la conceptualisation
grammaticale par les apprenants, à savoir la conceptualisation des apprenants sur leurs propres
erreurs (et non plus, comme précédemment, sur des énoncés modèles). Pour l’instant, je n’ai vu
fonctionner les références au socioconstructivisme, même avec son modèle théorique de la
« résolution de problèmes en groupes », qu’en tant que mobilisation rhétorique : ce qui ne veut pas
dire qu’elle ne puisse avoir, comme les autres, un effet indirect mais très concret de renforcement de
tel ou tel modèle praxéologique.
− Qu’en sera-t-il du modèle de la « proaction », que j’avance dans le même document Puren 016
comme étant une référence théorique nouvelle de la perspective actionnelle, ou encore de la théorie
cognitive des « neurones miroirs » que j’ai citée plus haut (chap. 4.2) ? Seul l’avenir de la DLC nous
dira s’ils entreront un jour dans un autre processus que celui auquel ils se limitent actuellement, celui
de la mobilisation rhétorique…
Dans le premier article, je propose une typologie des modèles historiques de l'innovation
technologique en DLC (p. 13) que je reprends dans le second (p. 19), chacun de ces modèles
correspondant à une manière différente d’apporter des modèles méthodologiques ou d’alimenter des
modèles praxéologiques : je renvoie donc mes lecteurs à cette typologie et à son développement dans
ce texte.
Dans l'article 2009e, je présente en pages 3-5 les « cinq postulats différents portant sur les
mécanismes que l’on considère à l'œuvre dans le fonctionnement des relations entre innovation
technologique et innovation didactique ». Je reprends ci-dessous en italique, en les commentant, la
présentation que j'en fais dans cet article :
− Le déterminisme disciplinaire : Ce seraient les demandes, attentes et besoins apparus dans les
différentes disciplines (la didactique des langues-cultures, par exemple) qui amèneraient leurs
spécialistes (didacticiens, méthodologues, concepteurs de manuels, inspecteurs, formateurs et
enseignants des langues-cultures) à promouvoir ou recourir à telle ou telle technologie de telle ou
telle manière pour en réaliser telle ou telle potentialité.
Ce postulat fonde une sorte d'implicationnisme technologique, qui suppose, comme celui du
déterminisme technologique d'ailleurs, l'existence de « modèles technologiques » pouvant
fonctionner directement en tant que modèles méthodologiques. Comme je le signale dans cet
article (p. 4), c'est bien en partie ce postulat qui a fonctionné pour justifier le recours massif
aux laboratoires de langues dans les années 1960-1970.
− La convergence/ la divergence : Il faudrait qu’il y ait « convergence » historique (on pourrait aussi
parler de « conjonction », « rencontre », de « coïncidence » ou encore de « synergie ») entre les
potentialités technologiques, d’une part, et d’autre part les demandes, attentes et besoins sociaux et
disciplinaires, pour qu’apparaisse de l’« innovation durable », c’est-à-dire une innovation qui se diffuse
largement et se maintienne dans la durée. Si cette conjonction n’avait pas lieu ou, pire, s’il y avait
divergence(s), il ne pourrait s’établir de relation durable entre une innovation didactique et une
innovation technologique.
Ce postulat, comme celui du déterminisme social, est interprétable dans ma modélisation du
système de la recherche en DLC comme une variante de la combinaison entre les entrées
technologiques et les entrées sociales.
− Le postulat de la complexité : Ce dernier postulat peut être qualifié de « complexe » parce qu’il
inclut tous les précédents en considérant que les mécanismes correspondants jouent de manière aussi
diverse et variable qu’aléatoire : la présence des quatre types antérieurs de mécanisme serait
constante, et suivant les cas, ce serait l'un ou l'autre d’entre eux qui s'imposerait, ou se combinerait
(simultanément) et/ou encore s'articulerait (chronologiquement) avec un ou plusieurs autres.
Ce postulat recoupe l'idée, sur laquelle repose toute ma modélisation du système de la
recherche en DLC, que ce système est complexe dans le sens où les processus qui le composent
sont nombreux et variés, et qu'ils fonctionnent de manière très variable.
Le fonctionnement des entrées technologiques dans les systèmes de la recherche des disciplines
scolaires en général fait l’objet, de la part de nombreux spécialistes, de constats plutôt critiques. Bruno
Devauchelle, par exemple, considère que « l'on survalorise les expérimentations/innovations par
rapport aux pratiques ordinaires » (2015)73 ; et si l’on en croit Jean-François Fiorina (2015), ces
expérimentations elles-mêmes seraient sous-exploitées à cause de l’évolution rapide des
technologies : « la rapidité d’évolution laisse peu de temps à l’expérimentation et à la prise de recul. »
Si ces constats sont exacts, on peut malheureusement craindre que les entrées technologiques ne
soient pas en mesure d’alimenter les différents processus du sous-système praxéologique, dont le
fonctionnement demande du temps, de la pratique et de la réflexion ; sans parler de la difficulté de
parvenir à opérer des entrées théoriques : comment mobiliser les études sur l’ergonomie lorsque l’on
passe dans les salles de classe, en quelques années, des ordinateurs de bureau aux TBI, puis aux
tablettes et aux smartphones ? On parle beaucoup des « environnements numériques », mais
l’innovation durable, la seule qui intéresse vraiment le didacticien parce qu’elle seule assure la
généralisation et la pérennisation de nouveaux modèles méthodologiques et praxéologiques,
demanderait assurément des « environnements de recherche » différents.
La conclusion de mon article 2009e s’intitulait précisément « quelques règles d’action pour de
l’innovation durable », et c’étaient les suivantes :
1. partir de l’ensemble actuellement disponible d’innovations didactiques cohérentes impliquées
par la nouvelle perspective actionnelle, celle de l’agir social ;
2. repérer les gisements existants de convergences entre ces innovations didactiques et les
innovations technologiques ;
3. tenir compte des convergences tout autant que des divergences. (p. 17)
Ce sont effectivement là autant de mesures à prendre pour que les entrées technologiques puissent
entrer véritablement dans la dynamique récursive du sous-système praxéologique.
73 En d’autres termes, B. Devauchelle s’inquiète du manque de coordination entre les entrées technologiques et
les entrées sociales.
ont présidé à la naissance, à la vie et à la postérité de la MD, je convie donc prudemment les
lecteurs, au-delà du parcours qu’il m’y faut bien tracer, à y dérouler leur propre fil d’Ariane.
(p. 65)
Je disais plus haut, au chapitre 5.2.4, p. 34, qu’il n’était pas facile de pondérer ce qui vient réellement
des entrées théoriques. En fait, c’est le poids de chaque type d’entrée, et le poids de chaque type
d’entrée par rapport aux autres types, qu’il est difficile d’estimer a posteriori dans les évolutions
méthodologiques. Je peux maintenant classer les dix « origines » de la méthodologie directe que je
repérais dans mon Histoire des méthodologies selon la typologie fournie par les concepts du
schéma 1 :
− 4 réentrées praxéologiques
• L’évolution interne de la méthodologie traditionnelle (chap. 2.1.4)
• La rupture avec la méthodologie traditionnelle scolaire (chap. 2.1.5)
• Le modèle allemand (chap. 2.1.6)
• Précurseurs (chap. 2.1.7)
− 3 entrées sociales
• Nouveaux besoins et nouveaux objectifs (chap. 2.1.1)
• Le contexte politique et éducatif (chap. 2.1.2)
• La professionnalisation du corps enseignant (chap. 2.1.3)
− 2 entrées scientifiques
• La nouvelle psychologie (chap. 2.1.9)
• La phonétique pratique (chap. 2.1.10)
− 1 entrée empirique :
• La méthode naturelle (chap. 2.1.8)
Cette statistique n’a bien sûr aucune valeur de loi générale. Tout au plus montre-t-elle, s’il en était
besoin, la complexité des mécanismes à l’œuvre lors des (r)évolutions méthodologiques en didactique
des langues ; et aussi – du moins je l’espère − l’intérêt et la pertinence des concepts systémiques
utilisés dans ma théorie de la recherche…
6. Système et méta-système
Une théorie générale de la recherche ne peut pas être considérée comme une « sortie » de ce système.
Dans la théorie systémique, tout système exige un méta-système qui seul permet de le décrire,
l’analyser et l’interpréter, puisque ces opérations ne peuvent être réalisées que de l’extérieur. On ne
peut pas, comme le dit l’adage populaire, se mettre à la fenêtre pour se regarder passer dans la rue...
A. David (2000), qui veut élaborer une théorie de la recherche-intervention « considérée comme la
généralisation de différentes démarches de recherche » − et donc forcément comme donnant un point
de vue méta sur toutes ces démarches −, ajoute aussitôt « qu’elle est aussi la plus complexe à gérer
du point de vue du respect des principes éthiques, méthodologiques et épistémologiques » (p. 21).
En DLC, le méta-système (le système méta-didactique, donc) correspond à la perspective que j’appelle
– en reprenant un concept proposé et développé à l’origine dans un sens un peu différent par Robert
Galisson − « didactologique », et il s’est élaboré principalement à partir des points de vue éthique,
idéologique et épistémologique.74 C’est ce dernier point de vue, épistémologique, que j’ai utilisé dans
le présent essai, en allant chercher dans la théorie systémique la position d’extériorité nécessaire. Les
recherches-interventions mettent en œuvre, pour leur part, les deux autres perspectives constitutives
de la discipline, à savoir les perspectives méthodologique et didactique.
Les recherches mettant en œuvre principalement la perspective didactologique sont bien entendu
nécessaires, mais je considère pour ma part que ce n’est pas un service à rendre aux étudiants
chercheurs que de les laisser s’engager d’emblée dans des recherches didactologiques sans qu’ils aient
acquis préalablement un minimum de maîtrise de la recherche-intervention, ce qui implique en
particulier un travail personnel à l’intérieur du sous-système praxéologique au moyen
d’expérimentations ou au moins d’observations personnelles sur le terrain de l’enseignement. C’est
pourquoi l’importance qu’a prise souvent la sociolinguistique dans la formation initiale des enseignants
de FLE ou Français Langue Seconde (FLES), et qu’ont prise les thématiques sociolinguistiques dans
les sujets de recherche qui leur sont proposés, relève à mes yeux d’une grave erreur stratégique.
Cela fait longtemps que les spécialistes des sciences de l’éducation parlent de l’enseignement comme
relevant de l’ « ingénierie pédagogique », et qu’ils définissent de ce fait la fonction principale de
l’enseignant comme celle d’un concepteur de dispositifs artificiels d’apprentissage.75 L’un des grandes
références en épistémologie de l’ingénierie est Herbert Simon 76, auteur entre autres de ce célèbre
ouvrage cité ci-dessus par A. David, intitulé Sciences des systèmes, sciences de l’artificiel. Herbert
Simon est aussi, depuis longtemps, l’une de mes trois grandes références épistémologiques, avec
Edgar Morin et Richard Rorty, de ce que j’appelle « la didactique complexe des langues-cultures » (cf.
Puren 048). J’ai déjà eu l’occasion de citer les lignes suivantes77, où il élargit la notion de « concepteurs
professionnels » au-delà de ce que l’on appelle couramment des « ingénieurs », et où il développe
une critique de l’applicationnisme que je pourrais me contenter de copier-coller en remplaçant « écoles
d’ingénieurs » par « formations universitaires en DLC », et « physique et mathématiques » par
« linguistique et sociolinguistique »… :
Les ingénieurs ne sont pas les seuls concepteurs professionnels. Quiconque imagine quelques
dispositions visant à changer une situation existante en une situation préférée, est concepteur.
L'activité intellectuelle par laquelle sont produits les artefacts matériels n'est pas
fondamentalement différente de celle par laquelle on prescrit un remède à un malade ou par
laquelle on imagine un nouveau plan de vente pour une société, voire même une politique
74 Cf. Puren DLC-DR1, « les trois perspectives constitutives de la didactique des langues-cultures » ; DLC-DR7,
« La perspective didactologique 1/2, l’épistémologie » ; DLC-DR8, « La perspective didactologique 2/2, l'idéologie
et la déontologie.
75 On mesure le degré de rupture avec la pensée pédagogique qu’a pu maintenir la didactique des langues-
cultures pendant plusieurs décennies, avec les promoteurs de l’approche communicative privilégiant
systématiquement dans leur discours les documents « authentiques » et la simulation en classe de situations de
communication « authentiques »… Sur le concept de « dispositif » en DLC, cf. Puren 030, où il est défini par
rapport à « environnement » et « situation », et où il est décrit par ses composantes (le support, le guidage,
l'aide, le matériel, l'espace, le temps et les acteurs).
76 Prix Nobel de Sciences Économiques en 1978, Herbert A. Simon a reçu la « Médaille Turing » (le « Nobel de
l'Informatique ») en 1975 pour ses recherches sur l'Intelligence Artificielle et la Science de la Cognition.
77 Puren DLC-DR4, chap. 2.4 « Environnement et ingénierie », p. 13.
sociale pour un État. La conception, ainsi conçue, est au cœur de toute formation
professionnelle. C'est elle qui fait la différence entre sciences et professions. Les écoles
d'ingénieurs, comme les écoles d'architecture, de droit, de gestion, de médecine, les écoles
normales d'enseignement, toutes sont concernées, au premier chef, par le processus de
conception.
Par un paradoxe ironique, alors que s'affirme le rôle décisif de la conception dans toute activité
professionnelle, il faut observer que le XXe siècle a presque complètement éliminé les sciences
de l'artificiel du programme des écoles formant des professionnels. Les écoles d'ingénieurs sont
devenues des écoles de physique et de mathématiques ; les écoles de gestion sont devenues
des écoles de mathématiques finies. L'usage de qualificatifs du type « appliqué » dissimule le
fait, mais ne le change pas ! Il signifie simplement que dans les écoles professionnelles, les
matières enseignées sont sélectionnées dans les domaines des mathématiques et des sciences
naturelles, compte tenu de ce que l'on tient pour plus particulièrement intéressant dans telle
ou telle activité professionnelle. Mais il ne signifie pas que la conception y soit enseignée en
tant que telle, distincte de l'analyse. (1969, p. 113-114)
Ce que conçoit un ingénieur, justement, ce ne sont ni des théories, ni des pratiques, mais des modèles
qui doivent prendre en compte toutes les données de terrain. Un ingénieur conçoit son pont (qui sera
forcément à un certain moment représenté par une maquette, désormais modélisée sur ordinateur)
de manière à y intégrer tous les paramètres de son environnement et de sa fonction : la nature du
terrain avec le sous-sol de la rivière et les berges, la largeur du cours d’eau et ses variations de débit,
le type de trafic attendu, etc. C’est exactement ce que se propose de faire un enseignant en didactique
des langues-cultures lorsqu’il opère des modélisations praxéologiques de manière à produire,
améliorer ou adapter des modèles méthodologiques ou praxéologiques, lesquels sont eux aussi,
comme les modèles des ingénieurs, des artefacts : appareillages didactiques de documents, unités
didactiques, séquences de classe, scénarios pédagogiques et autres dispositifs d’enseignement-
apprentissage plus ou moins rigides (modèles méthodologiques) ou flexibles (modèles
praxéologiques).
La « préparation de classe » d’un enseignant expert est à la séquence de classe qu’il réalisera à la
suite, ce que la maquette est au pont dont l’ingénieur suivra la construction. Elle ne correspond ni à
des théories appliquées, ni aux pratiques effectives qu’il réalisera dans sa classe, contrairement à ce
que cette expression malheureusement consacrée de « préparation de classe » laisserait penser. Un
enseignant expert ne prépare pas ses classes, il se prépare à faire classe : l’écart entre ces deux
postures correspond très précisément à celui de cette interface qu’est le « modèle » : « se préparer à
faire classe », c’est se projeter dans la classe à venir78 pour en élaborer une sorte de maquette, une
ébauche d’ensemble où l’on trouvera sans doute − pour utiliser la métaphore du voyage − les
représentations de la destination finale, de quelques jalons et étapes, de quelques passages difficiles
avec les différents types de guidage et d’aide disponibles, peut-être de quelques parcours
différenciés… voire d’une destination alternative.79
78 La notion de « projet » est elle aussi fondamentale en ingénierie… comme dans l’enseignement et la recherche
sur l’enseignement. Concernant le projet de recherche, cf. Puren DLC-MR3, chapitre du cours « Méthodologie de
la recherche en DLC » intitulé « Définir son projet de recherche ».
79 On lira avec intérêt le billet qu’un enseignant de primaire, Jean-François Laurent, a publié sur son blog, et qu’il
a intitulé précisément « Préparer sa classe ou se préparer à faire classe » (http://jean-francois.laurent.over-
blog.com/page-jean-fran-ois-laurent-preparer-la-classe-autrement-penser-autrement-2785281.html, dernière
consultation 06/03/2020). Il oppose principalement l’idée de « préparer sa classe » en tant que préparation
technique, à celle de « se préparer à faire classe » en tant que mise en condition psychologique, mais on y trouve
aussi des remarques telles que « je note quelques points de repère pour ma journée de travail puis je réfléchis,
je pense, j’anticipe », qui correspondent bien à une activité de modélisation d’un projet.
Conclusion
Je me suis proposé dans cet essai d’élaborer une théorisation des processus de la recherche dans ma
discipline en recourant au cadre conceptuel de la systémique, et c’est pourquoi le résultat en est une
modélisation du « système de la recherche en DLC ». Cette modélisation est complexe (elle comporte
de nombreux éléments reliés entre eux par de nombreux processus dont les plus importants sont ceux
qui entrent dans des boucles récursives), comme le veut la théorie systémique (qui a été élaborée
précisément pour rendre compte du fonctionnement des systèmes complexes), et comme le veut la
« didactique complexe » que je cherche à construire depuis des années parce qu’elle seule me semble
en mesure de relever le défi de la gestion des processus complexes d’enseignement-apprentissage
d’une langue-culture.
Dans son article de 2007, B. Walliser propose pour chacune des fonctions qu’il assigne aux modèles
un critère de qualité (l’extrait ci-dessous est un montage de passages tirés de l’ensemble de son
texte) :
1. Fonction iconique : son « expressivité », à savoir la faculté qu’il possède de faire coïncider
au mieux son formalisme et son interprétation.
2. Fonction démonstrative : sa « robustesse », à savoir la faculté qu’il possède de lier
solidement hypothèses et conséquences.
3. Fonction empirique : sa « vraisemblance », à savoir la faculté à exprimer la structure
« minimale » d’un phénomène.
4. Fonction heuristique : sa « fécondité », à savoir sa capacité à engendrer une descendance
riche et diversifiée.
5. Fonction praxéologique : sa « pertinence », à savoir sa faculté à traiter avec profit le
problème qu’il est censé éclairer.
6. Fonction rhétorique : sa « performativité », à savoir sa faculté à être accepté comme une
connaissance valide par les agents concernés.
Si j’ai pris le risque de présenter malgré tout ce modèle, c’est parce qu’il me semble répondre
suffisamment aux trois autres critères (1, 2 et 3) pour être opérationnel sur son terrain, en
l’occurrence le terrain de la formation à la recherche en DLC, en combinaison avec le modèle des
typologies des types de recherche (schéma 2).
Ce modèle du système de la recherche en DLC intègre la recherche faite par les chercheurs, et celle
faite par les enseignants. Non seulement parce que les enseignants peuvent eux-aussi mettre en
œuvre des processus récursifs de recherche, aussi bien dans le sous-système praxéologique
(modélisation praxéologique de leurs pratiques d’enseignement) que dans le sous-système théorique
(théorisation interne au système) ; mais aussi parce que, dans la formation à la recherche
universitaire, celle des étudiants-chercheurs, il y a tout intérêt, comme je l’écrivais plus haut, à inclure
les processus du sous-système praxéologique
Dans les deux cas, c’est le nombre d’entrées ainsi que le nombre et la longueur des processus récursifs
mettant en relation les deux sous-systèmes de la recherche qui font la qualité − mais aussi la
complexité, et la durée… − d’une recherche en didactique des langues-cultures :
− Les processus que j’appelle « linéaires » (flèches en pointillés sur le schéma 1) sont ceux
dont l’efficacité formative est la plus limitée : en tout état de cause aucune recherche
universitaire ne devrait se limiter à ce seul type de processus.
Et filons une dernière fois la métaphore, avant de conclure : autant que la mécanique du moteur, son
alimentation et son régime de fonctionnement, l’important est de connaître la destination souhaitée,
et pourquoi on veut y aller : le projet occupe la place centrale dans toute recherche (cf. schéma 2), il
en est en même temps l’origine et la fin, et c’est sur lui que porte en priorité l’évaluation des
recherches des étudiants-chercheurs. C’est pourquoi il est indispensable, dans l’introduction générale
d’un mémoire ou d’une thèse, d’en présenter les motifs et les motivations, les objectifs et les finalités,
et de les reprendre systématiquement dans la conclusion générale. Le chapitre de mon cours de
méthodologie de la recherche où je traite les relations entre ces deux parties s’intitule : « Boucler sa
recherche : de l’introduction générale à la conclusion générale » (DLC-MR6). Je conclurai donc en
disant que j’estime avoir validé pour la DLC l’hypothèse initiale qu’A. David posait au début de son
article à propos des Sciences de gestion, et que je reprenais à mon compte au début de mon essai
(cf. supra citation 1, p. 7 ; les passages en italique sont de lui) : la « théorie générale de la recherche
en didactique des langues-cultures » constitue un cadre général dans lequel peuvent s’inscrire de
nombreuses pratiques de recherche, celles qui se proposent d’aider, sur le terrain, à concevoir et à
mettre en place des modèles, outils et procédures d’enseignement-apprentissage adéquats, à partir
d’un projet de transformation plus ou moins complètement défini, avec comme objectif de produire à
la fois des connaissances utiles pour l’action et des théories de différents niveaux de généralité.
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80Je remercie le graphiste, Erwan Lefebvre, de la grande patience dont il a fait preuve pendant plusieurs
semaines…
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