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R.

Delord - Formation

Fable de l'Alouette d'Esope


tirée des Nuits Attiques d’AULU-GELLE,
Traduites pour la première fois, par M. l’Abbé de V***, 1776

ESOPE de Phrygie, ce fameux apologiste, fut mis avec raison dans la classe des Sages les plus illustres. Ses Fables,
pleines de conseils et de leçons de la plus grande utilité, n’affectent point le ton sévère et impérieux de l’altière
Philosophie ; l’Apologue entre ses mains emprunte le langage des grâces et de la gaieté ; c’est par ce charme
séduisant qu’il s’insinue dans l’âme de ses Lecteurs, et qu’il leur fait goûter les diverses peintures qu’il trace d’une
main si sage et si judicieuse. Sa Fable de l’alouette, écrite avec autant d’aménité que d’élégance, fait entendre qu’il
faut moins attendre d’autrui que de soi-même, le succès d’une affaire dans laquelle on peut agir.

Il est, dit le Fabuliste, un petit oiseau qu’on appelle alouette ; il habite communément dans les blés, et y fait son
nid, de façon que ses petits commencent à se couvrir de plumes au temps de la moisson. L’alouette dont je parle
avait choisi par hasard un champ dont les fruits étaient précoces ; déjà même on voyait flotter les épis dorés, et la
petite famille était sans plumage. Un jour la mère partant pour chercher la pâture l’avertit de bien remarquer ce qui
arriverait, ou se dirait de nouveau, de le bien retenir, et de le lui rendre fidèlement.
Le Maître du champ arrive, appelle son fils à la fleur de l’âge : « Tu vois, lui dit-il, que ces blés sont en pleine
maturité et n’attendent que la faucille ; demain donc, dès le point du jour, va trouver nos amis, prie-les de venir nous
aider à faire la moisson. » Ainsi parle le père, et il s’éloigne.
Dès que la mère paraît, les petites alouettes tremblantes crient toutes à la fois, et la conjurent de déloger au plus
vite, car le Maître a dit à son fils : « Demain, dès le point du jour, va trouver nos amis, et prie-les de venir nous aider
à faire la moisson. – Soyez en paix, mes enfants, répond l’alouette ; si le Maître se repose de ce travail sur ses amis,
demain ces épis seront encore sur pied ; il n’est donc point nécessaire que je vous transporte actuellement. »
Le lendemain la mère retourne à la pâture ; le Maître paraît, attend ses moissonneurs, le soleil embrase les airs, le
temps se passe, point d’amis. « Mon fils, dit le père étonné, ces amis sur lesquels nous avions compté sont des
paresseux ; faisons mieux, que n’allons-nous chez nos voisins, nos parents et nos alliés, les prier de se trouver ici
demain à l’heure du travail. »
Le petit nid, aussi épouvanté que la veille, rend ces terribles paroles à la mère. « Point d’alarmes, leur répondit-
elle ; comme hier, dormez en repos : il n’est point de parents, ni voisins assez complaisants pour se prêter sur le
champ au travail d’autrui. Prêtez seulement une oreille bien attentive à ce qui se dira demain matin. »
Au premier rayon du jour, l’alouette prend son essor, et malgré l’invitation, on ne voit arriver ni parents, ni voisins.
« Laissons, mon fils, dit le père, laissons ces alliés et ces amis ; apporte ici demain deux faucilles, une pour moi,
l’autre pour toi, et nous ferons nous-mêmes la moisson. »
Dès que ces dernières paroles eurent été rendues à la mère : « Il est temps mes enfants, dit-elle, de partir, l’ordre
du Maître sera rempli puisqu’il se charge lui-même de l’exécution, sans se reposer sur des étrangers. » En achevant
ces mots l’alouette s’envole, transporte son nid, et le Maître vint moissonner son champ.
Excellent apologue, admirable leçon du peu de confiance qu’on doit avoir au secours de ses parents et de ses amis.
Eh ! que nous recommandent autre chose les maximes les plus sacrées de la Philosophie ; de nous reposer sur nos
propres travaux, de compter pour absolument étranger tout ce qui est hors de nous et de notre propre cœur ?
Ennius, dans son recueil de Satires, a mis cette allégorie en vers iambiques pleins de finesse et d’élégance. J’en
cite les deux premiers, qu’il est bien essentiel à mon avis d’avoir gravés au fond de l’âme :
Conserve précieusement cet axiome dans ta mémoire. N’attends jamais rien de tes amis quand tu peux travailler
toi-même.

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L’Alouette et ses petits avec le maître d’un champ.


Jean de LA FONTAINE (1621-1695), Fables choisies mises en vers, IV, 22, 1668.

Ne t'attends qu'à toi seul : c'est un commun proverbe.


Voici comme Ésope le mit en crédit :
Les alouettes font leur nid
Dans les blés, quand ils sont en herbe,
C'est-à-dire environ le temps
Que tout aime et que tout pullule dans le monde :
Monstres marins au fond de l'onde,
Tigres dans les forêts, alouettes aux champs.
Une pourtant de ces dernières
Avait laissé passer la moitié d'un printemps
Sans goûter le plaisir des amours printanières.
A toute force enfin elle se résolut
D'imiter la nature, et d'être mère encore.
Elle bâtit un nid, pond, couve et fait éclore,
A la hâte: le tout alla du mieux qu'il put.
Les blés d'alentour mûrs avant que la nitée
Se trouvât assez forte encor
Pour voler et prendre l'essor,
De mille soins divers l'alouette agitée
S'en va chercher pâture, avertit ses enfants
D'être toujours au guet et faire sentinelle.
«Si le possesseur de ces champs
Vient avecque son fils, (comme il viendra), dit-elle,
Ecoutez bien: selon ce qu'il dira
Chacun de nous décampera.»
Sitôt que l'alouette eût quitté sa famille
Le possesseur du champ vient avecque son fils.
« Ces blés sont mûrs, dit-il, allez chez nos amis
Les prier que chacun, apportant sa faucille,
Nous vienne aider demain dès la pointe du jour.»
Notre alouette de retour
Trouve en alarme sa couvée.
L'un commence:« Il a dit que, l'aurore levée,
L'on fît venir demain ses amis pour l'aider.
- S'il n'a dit que cela, repartit l'alouette,
Rien ne nous presse encor de changer de retraite;
Mais c'est demain qu'il faut tout de bon écouter.
Cependant soyez gais; voilà de quoi manger.»
Eux repus, tout s'endort, les petits et la mère.
L'aube du jour arrive, et d'amis point du tout.
L'alouette à l'essor, le maître s'en vient faire
Sa ronde ainsi qu'à l'ordinaire.
«Ces blés ne devraient pas, dit-il, être debout.
Nos amis ont grand tort, et tort qui se repose
Sur de tels paresseux, à servir ainsi lents.
Mon fils, allez chez nos parents
Les prier de la même chose.»
L'épouvante est au nid plus forte que jamais.
« Il a dit ses parents, mère, c'est à cette heure...
- Non, mes enfants; dormez en paix:
Ne bougeons de notre demeure.»
L'alouette eut raison, car personne ne vint.
Pour la troisième fois, le maître se souvint
De visiter ses blés. «Notre erreur est extrême,
Dit-il, de nous attendre à d'autres gens que nous.
Il n'est meilleur ami ni parent que soi-même.
Retenez bien cela, mon fils. Et savez-vous
Ce qu'il faut faire? Il faut qu'avec notre famille
Nous prenions dès demain chacun une faucille:
C'est là notre plus court ; et nous achèverons
Notre moisson quand nous pourrons.»
Dès lors que ce dessein fut su de l'alouette:
«C'est ce coup qu'il est bon de partir, mes enfants.»
Et les petits, en même temps,
Voletants, se culebutants,
Délogèrent tous sans trompette.

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