Politique Et Sociologie l2

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Qu’est-ce que la Sociologie politique

Qu'est-ce que la sociologie?

Définition :

La sociologie est l'étude des relations, actions et représentations sociales par lesquelles se
constituent les sociétés. Elle vise à comprendre comment les sociétés fonctionnent et se
transforment. Elle s'intéresse aux :
 Rapports individus-société
 Parcours de vie
 Actions sociales tels le travail, la science, les mouvements sociaux
 Groupes sociaux tels les familles ou les réseaux d'amis
 Organisations telles les écoles ou les entreprises
 Sociétés entières dans leurs aspects culturel, technologique, économique, politique
 Enjeux planétaires tels la migration internationale ou l'environnement

Champs d'application de la sociologie


La sociologie est une discipline, à savoir, un ensemble de méthodes d'observation, de
manières de penser et de cadres d'analyse en évolution qui s'applique à une gamme illimitée
de phénomènes sociaux, dont :
 L'identité et la citoyenneté
 L'intégration sociale et la discrimination
 La migration des populations
 Les stratégies d'existence dans les pays en voie de développement
 La transformation des mœurs sociales
 La biotechnologie et d'autres nouvelles technologies
 La renaissance de la religion
 Les transformations dans les conditions de travail
 La santé publique
 La croissance des inégalités sociales
 Les rapports entre le privé et le public
 Les vogues, la mode, la culture populaire

Que font les sociologues ?


La collecte et l'analyse des informations pouvant contribuer au changement social :
 Synthèse documentaire
 Entretiens
 Questionnaires
 Sondages
 Récits de vie
 Études de cas
 Groupes de discussions (focus group)
 Analyses statistiques
 Analyse de discours
 Évaluation de programmes et de politiques
 Études de besoins
 Coordination de projets
 Consultation

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 Rédaction de rapports
 Enseignement postsecondaire
 Publication d’articles et d'œuvres scientifiques

La sociologie politique

Elle étudie les citoyens dans leurs rapports avec l'État et ses institutions. Toutefois telle n'est
pas la seule dimension de cette branche de la sociologie : il s'agit aussi, d'une façon plus
générale, d'analyser tout ce qui concerne et fonde les relations de domination entre les
personnes et les groupes humains. Elle est selon Max Weber, la science du sociale et de la
politique. Parce que la politique apparaît dans la nomenclature de la sociologie comme un fait
social. En effet, est appelé fait social, selon les termes de Émile Durkheim, l'ensemble des
manières d'agir, de penser et de sentir douées d'un pouvoir de coercition. Elles sont
extérieures à nous et s'imposent à notre conscience qu'on le veuille ou non. La discipline
répond ainsi aux rapports sociaux à caractère politique, en particulier les idéologies et les
forces politiques tels que les partis. Lorsqu'elle s'intéresse aux votes ou aux élections, elle
devient une sociologie du vote (ou sociologie électorale)

1- La sociologie politique une science ?

La sociologie n’est pas une science mais une discipline, comparable en cela à l’histoire. Ceci
n’exclut pas qu’on puisse y voir une entreprise intellectuelle digne d’intérêt. Les conditions
permettant de la tenir pour un projet scientifique stricto sensu ne sont cependant pas remplies.
La corporation des sociologues, très hétérogène, est partagée entre des aspirations
contradictoires. L’image de la sociologie, dominée par des techniques d’investigation et non
par les raisonnements mis en œuvre, reste floue aux yeux du profane pour qui son objet n’est
guère discernable. La distinction entre jugement de valeur et rapport aux valeurs semble offrir
une solution au problème de l’objectivité. Face à l’irruption de valeurs irréductibles à la
valeur de vérité dans l’analyse sociologique, le rempart est cependant fragile car les valeurs ne
sont pas seulement constitutives du choix de l’objet d’étude mais aussi de sa définition.

Les sociologues aiment convaincre et se convaincre qu’ils font de la science. La bonne


sociologie serait scientifique et se distinguerait nettement de productions intellectuelles
relevant d’autres genres (essayisme, littérature, journalisme). Dès leur première année
d’études, les étudiants en sociologie sont exhortés à s’en tenir strictement aux préceptes de la

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recherche scientifique définis le plus souvent de manière restrictive. En dépit de multiples
déconvenues, un certain nombre d’entre nous – et non des moindres – persistent à afficher la
conviction que la sociologie est une science comme les autres (Boudon, 2010).

Une discipline hybride

2- La sociologie : une science sociale

Dans mon dernier livre, Les Paradoxes de la sociologie, sur lequel je m’appuie fortement ici
tout en schématisant l’argumentation, je défends l’idée que la sociologie n’est pas une science
mais une discipline, comparable en cela à l’histoire (Coenen-Huther, 2012). Ceci n’exclut
évidemment pas qu’on puisse y voir une entreprise intellectuelle méritant d’être prise au
sérieux. Mais pour se traduire en un projet scientifique stricto sensu, l’intention de science qui
a donné naissance à la sociologie impliquerait la constitution graduelle d’un savoir cumulatif.
Nombreux sont nos collègues pour qui ce critère de scientificité ne semble guère
problématique, soit qu’ils tiennent l’accumulation régulière de connaissances pour un fait
acquis, soit que leur pratique de recherche ne les conduise pas à s’interroger à ce sujet. Force
est pourtant bien de constater que les travaux de plusieurs générations de sociologues n’ont
que très faiblement répondu à cette exigence majeure. Les symptômes d’un indéniable défaut
de cumulativité ne manquent pas. La communauté sociologique reste de toute évidence
partagée entre le désir de prendre appui sur une tradition philosophique de réflexion sur la
condition humaine remontant à l’Antiquité grecque et la volonté de ne s’inspirer que de l’état
le plus récent de la littérature en sciences humaines. Ni l’une ni l’autre de ces orientations ne
favorise une attitude propice à l’élaboration d’un savoir cumulatif. La mise en évidence d’une
longue tradition de réflexion présociologique consubstantielle à la pensée occidentale depuis
l’Antiquité contribue à rendre floue la frontière entre philosophie sociale et sociologie. Il se
crée ainsi un climat intellectuel de scepticisme à l’égard de la notion même de progrès
possible dans notre connaissance des mécanismes de la vie en société. La volonté de marquer
nettement la rupture entre la sociologie comme projet scientifique et sa longue préhistoire
n’est paradoxalement guère plus favorable à la cumulativité des connaissances sociologiques.

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Elle suscite des réactions de condescendance à l’égard des classiques de la discipline et tend à
rejeter régulièrement dans l’oubli les travaux des prédécesseurs alors qu’aucun progrès
discernable ne se manifeste dans l’intelligence des faits. L’attitude inverse, érudite – celle qui
se tourne volontiers vers les œuvres du passé – est elle-même chargée d’ambiguïté. Il arrive
certes qu’on cherche dans les travaux des « pères fondateurs » des hypothèses à vérifier dans
un contexte nouveau, à l’aide de techniques d’analyse plus affinées, mais c’est relativement
rare. Une telle démarche, accomplie systématiquement, devrait logiquement conduire à un
usage de plus en plus sélectif des travaux en question. Or, ce qui se manifeste le plus souvent
est une forme de déférence hyperbolique, suggérant implicitement, ou explicitement à l’instar
de Robert Nisbet, que l’âge d’or de la sociologie est derrière nous.

Jean-Claude Passeron perçoit l’entreprise sociologique comme le résultat d’un compromis


épistémologique entre le modèle des disciplines historiques et celui des sciences de la nature
(Passeron, 1991, 2006). Allant plus avant dans cette voie, je tiens la sociologie pour une
discipline hybride, tiraillée entre des styles cognitifs aux exigences opposées, des objectifs
difficilement compatibles, des orientations théoriques disparates et des préférences de
méthode qu’il n’est pas toujours aisé de justifier. Il en résulte une corporation très
hétérogène – les sociologues certifiés ou autoproclamés – au sein de laquelle on ne discerne
aucune tendance à la convergence des préoccupations et des pratiques. Les activités et les
publications des sociologues traduisent des aspirations contradictoires reflétant des valeurs
antagonistes, si bien qu’il est parfois difficile d’établir une distinction nette entre démarche
proprement sociologique et réflexion philosophique orientée par des dilemmes de politique ou
d’éthique sociale.

Une corporation hétérogène

Dans cette corporation composite, une première ligne de partage oppose les sociologues qui
entendent accorder la priorité à la recherche de constantes du comportement humain et leurs
collègues qui s’attachent en premier lieu à mettre en évidence la très grande diversité des
modes de vie en société. Ce sont des considérations extra-scientifiques qui font le plus
souvent pencher la balance d’un côté ou de l’autre. La priorité accordée aux invariants va de
pair avec un scepticisme désabusé suggérant que la notion de changement social est illusoire.
Quant à l’accent mis fortement sur la diversité, il comporte consciemment ou non un aspect
subversif. Nier le caractère d’évidence et d’universalité d’une forme d’organisation sociale,

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c’est saper les fondements de l’autorité. Ainsi, sous-jacentes à une option d’ordre cognitif
affleurent des attitudes d’approbation ou de rejet de l’ordre social ambiant.

Une autre ligne de clivage importante a trait à l’idée de réduction de complexité. L’expérience
de ce dernier demi-siècle a montré que les sciences sociales ayant fait le plus de progrès au
cours des dernières décennies sont celles qui ont centré leur attention sur un petit nombre de
variables opératoires. La démographie, la linguistique sont de celles-là ; la sociologie n’en est
pas. Non que la réduction de complexité et la modélisation soient absentes de la pensée
sociologique, mais ces notions sont perpétuellement en compétition, au sein de la
communauté sociologique, avec un besoin irrépressible d’exhaustivité. Les sociologues
restent tiraillés entre la découverte avide et peu sélective de tout ce que la vie sociale peut
offrir à nos regards et diverses formes de modélisation comportant une prise de distance
voulue par rapport à l’objet étudié. Les uns se voient accusés de n’être « pas scientifiques »
alors qu’on reproche aux autres de singer des procédés de recherche qui ne conviennent pas à
l’étude de la vie en société.

Un objet difficilement discernable

3- Entre science et politique : neutralité scientifique et effet politique de


la science

La perspective sociologique a quelque chose de très particulier qui la distingue de


constructions d’objets propres à d’autres sciences humaines ; elle ne se développe pas à partir
d’un objet dont l’existence était admise antérieurement par le sens commun : elle crée
véritablement son objet. Au départ, la sociologie est littéralement invention du social. Non
seulement la réalité de cet objet ne va pas de soi mais il conserve quelque chose de
profondément contre-intuitif et se heurte à des évidences de la connaissance ordinaire. La
notion de « social », au sens sociologique du terme, introduit du collectif là où tout paraît
s’expliquer par le choc des individualités. L’adoption de ce point de vue particulier n’entraîne
pas seulement des conséquences d’ordre cognitif. C’est une image nouvelle de l’être humain
en société qui apparaît. Dans mon livre Les Paradoxes de la sociologie, j’ai choisi de
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présenter cet objet difficilement discernable sous quatre rubriques distinctes correspondant à
quatre chapitres de l’ouvrage : l’omniprésence du collectif qui émerge de comportements
individuels tout en pesant sur eux, les phénomènes d’interdépendance dont les conséquences
peuvent être tout à fait inattendues, les contraintes structurelles qui balisent la liberté d’action
des individus, les inégalités récurrentes qui mettent à mal les aspirations égalitaires. On
pourrait certes imaginer un autre mode de présentation, mais il s’agissait surtout de s’éloigner
d’une image floue de notre discipline, mettant en évidence l’étude des problèmes sociaux et
les techniques érigées en méthode.

L’omniprésence du collectif ne se conçoit bien que dans le cadre d’une conception


relationnelle de la sociologie, à l’écart de l’opposition factice holisme-individualisme qui ne
nous a que trop longtemps divisés. Le collectif, contenu dans la relation interpersonnelle la
plus élémentaire, peut être vu métaphoriquement comme un bagage – social, culturel,
historique – ayant contribué à faire des protagonistes ce qu’ils sont et les poussant à agir et à
réagir d’une certaine façon. Si l’influence produite par une relation est réciproque, elle est
généralement asymétrique car elle met en œuvre des ressources inégales. Ceci revient à dire
que le social, tel que nous l’entendons, n’est pas seulement présent dans les relations entre les
humains ; il est présent en chacun d’eux. Chaque individu est en quelque sorte imprégné de
social. L’humain et le social sont consubstantiels et c’est par nature que l’être humain est un
être social. Les phénomènes d’interdépendance les plus complexes sont contenus en germe
dans cette influence réciproque qui s’exerce au sein d’une relation élémentaire à deux termes.
De l’interdépendance s’exerçant au sein d’une relation, on passe aisément à l’interdépendance
entre plusieurs relations et ceci amorce des processus reliant des agrégats de relations plus ou
moins institutionnalisées. Les formes variées que peut prendre l’interdépendance reflètent des
agencement de rôles divers qui dépendent eux-mêmes de cadres de vie différents. Le concept
de rôle social est ici d’importance stratégique essentielle et l’on s’étonne que certains de nos
collègues aient pu le juger obsolète. C’est ce concept, manié dans le cadre de la notion de
système, qui permet de faire ressortir des principes de compatibilité et d’incompatibilité
impliquant des choix pour les individus comme pour les groupes.

Les innombrables relations interdépendantes constituant une société humaine s’organisent en


configurations relativement durables. Une fois stabilisées, ces configurations reposent sur des
modalités d’interaction et des positions statutaires indépendantes des individus en cause. Cet
agencement de rôles et cette architecture de positions statutaires, c’est ce que nous qualifions

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habituellement de structure sociale sans trop nous préoccuper de la définir. Le terme recouvre
deux notions qui sont distinctes bien qu’elles soient le plus souvent liées : la stabilité et la
forme. L’idée de forme, indépendante d’un objet spécifique ou d’un contenu particulier, offre
des perspectives à la théorie sociologique par le potentiel de généralisation qu’elle comporte.
Les éléments structurels d’un système social limitent le champ des possibles en créant des
incompatibilités de fait dans les situations comme dans les processus. Dans de nombreux cas,
les restrictions à la marge de variation des comportements sont le produit de la structure des
interactions elle-même. Chaque structure peut être ramenée à un ensemble de positions
résultant de la stabilisation durable de situations d’interaction. À tous les niveaux et dans tous
les domaines, les composantes structurelles des système sociaux mettent en jeu des constantes
de la vie en société qui révèlent la possibilité ou l’impossibilité de certaines combinatoires
d’éléments. Des configurations de relations présentent leur logique propre qui exclut certaines
co-occurrentes. La pensée pré sociologique néglige ces limitations qui agissent comme autant
de contraintes qu’on préfère souvent ne pas voir.

Aucune société, définie comme un enchevêtrement de relations d’où émergent des


configurations stabilisées, n’est véritablement égalitaire. Les inégalités observables dans toute
société humaine sont le produit des phénomènes d’interdépendance constitutifs du social et
des contraintes structurelles qui en dérivent. Le fait de l’inégalité s’ancre donc dans les
mécanismes essentiels de la vie sociale. En dépit d’utopies persistantes, l’inégalité est
consubstantielle au social. Si les mécanismes producteurs et reproducteurs d’inégalités étaient
d’ordre purement conjoncturel, on pourrait imaginer des mécanismes permettant de les
neutraliser. Mais le jeu des facteurs en cause correspond à des constantes de la vie sociale. Le
fait même de l’organisation contient tous les ingrédients d’une théorie de l’inégalité.
Lorsqu’on admet la réalité empirique des inégalités de tous genres, on se rend compte que les
sociétés complexes reposent sur une pluralité de hiérarchies. Il revient alors au sociologue de
chercher à mettre en évidence leurs caractéristiques et leurs principes ordonnateurs. C’est ici,
il faut bien le reconnaître, que les théories sociologiques se laissent le plus facilement
contaminer par des présupposés idéologiques. Les théories fondées sur la métaphore du
marché sont séduisantes de prime abord. Pourtant, pas plus que les différences d’estime ou de
prestige, les différences de niveau de vie ne peuvent se ramener au jeu de l’offre et de la
demande sans simplifications abusives. L’image de l’homme suggérée par l’analogie du
marché est celle d’un individu manœuvrant en fonction de ses préférences personnelles en
dehors de toute influence de son environnement social. C’est un véritable dérapage de la

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théorie sociologique qui se donne à voir de cette façon. Les théories d’inspiration
fonctionnaliste ont un caractère métaphorique tout aussi marqué. Elles impliquent une
référence implicite à un modèle organiciste de la société. Autrement dit, elles s’inspirent plus
ou moins consciemment des cadres conceptuels des sciences de la vie. Cette orientation
entraîne une oscillation constante entre un principe de causalité correspondant bien au projet
intellectuel de la sociologie et un principe de finalité qui lui est étranger. Il en résulte des
difficultés logiques qui obligent le sociologue à s’appuyer sur la formule très insatisfaisante
du comme si. Pour assurer la cohérence des raisonnements, il faut qu’un système social se
comporte comme s’il était un organisme vivant. Dans cette perspective organiciste, les
tentatives les plus élaborées de trouver une justification rationnelle aux différentes hiérarchies
observables se fondent sur le critère de l’importance fonctionnelle. On en arrive ainsi à
prendre appui sur le prestige d’une position sociale ou sur le pouvoir qui en découle pour en
évaluer l’importance fonctionnelle, ce qui est tautologique

La définition de l’objet de la sociologie de Durkheim.


 Le fait social comme force sociale
Recherchant des lois de causalité et des déterminations sociales qui justifieraient la fondation
de la sociologie comme science, Durkheim est conduit à proposer dans ses Règles de la
méthode, sociologique, un objet spécifique à cette discipline nouvelle pour la libérer des
prénotions et la différencier des autres sciences.

 Entre norme sociale et sanction sociale


Cet objet, Durkheim le nomme « fait social » et leur donne différentes définitions dans son
ouvrage méthodologique.
La première chose que Durkheim offre chronologiquement à son lecteur lors du premier
chapitre des Règles de la méthode sociologique, c’est un ensemble d’exemples de faits
sociaux parmi lesquels figurent les « règles juridiques, morales, les dogmes religieux et les
systèmes financiers » (Durkheim 1895 : 6). Il souligne ensuite qu’« un fait social se reconnaît
au pouvoir de coercition externe qu’il exerce ou est susceptible d’exercer sur les individus ; et
la présence de ce pouvoir se reconnaît à son tour soit à l’existence de quelque sanction

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déterminée, soit à la résistance que le fait oppose à toute entreprise individuelle qui tend à lui
faire violence » (Durkheim 1895 : 11). En d’autres termes, Durkheim suggère que le fait
social exerce une force sociale extérieure sur l’individu et qu’il détermine les comportements
individuels. Il confirme d’ailleurs cette position puisqu’après avoir présenté le fait social par
ses manifestations, il conclut son chapitre, affirmant que
Notre définition comprendra donc tout le défini si nous disons : Est fait social toute manière
de faire, fixée ou non, susceptible d’exercer sur l’individu une contrainte extérieure ; ou bien
encore, qui est générale dans l’étendue d’une société donnée tout en ayant une existence
propre, indépendante de ses manifestations individuelles. (Durkheim 1895 : 14)
Le fait social se présente finalement comme une norme sociale, qu’elle soit formelle
(« fixée » – la loi) ou informelle (« ou non » – les règles de convenance) ; définition qui
concorde avec les exemples qu’il avait préalablement donnés. Et l’on comprend l’importance
de la thématique de l’« obligation sociale » chez Durkheim (Lacroix 1976 : 232 sq.).
Mais, alors que cette définition se voulait complète, elle oublie d’expliciter certaines des
caractéristiques que Durkheim avançait au préalable.
La définition proposée oublie en effet d’engober la sanction. Or, comme il le suggérait, une
norme suppose logiquement une force ou une contrainte supplémentaire qui est celle qui
réside dans la sanction éventuelle en cas de déviance, de résistance ou d’insoumission. En
d’autres termes, le fait social aurait dû avoir une double nature. Il est certes la norme en tant
que telle, qui oriente et détermine les comportements individuels. Mais il est également la
force qui caractérise la sanction en cas de résistance ou de transgression ; sanction qui se
reconnaît au pouvoir de coercition externe qu’elle exerce. Autrement dit, la sanction serait un
fait social qui inciterait à se soumettre à un autre fait social (la norme).
Cet oubli est d’autant plus curieux que Durkheim soulignait déjà dans De la division du
travail social que, dans les sociétés à solidarité mécanique, « la peine consiste essentiellement
dans une réaction passionnelle, d’intensité graduée, que la société exerce par l’intermédiaire
d’un corps constitué sur ceux de ses membres qui ont violé certaines règles de conduite. »
(Durkheim 1893 : 52). Cette sanction est bien en outre générale et collective puisque
« l’infraction commise soulève chez tous ceux qui en sont témoins ou qui en savent
l’existence une même indignation. Tout le monde est atteint, par conséquent, tout le monde se
raidit contre l’attaque » (Durkheim 1893 : 70).
L’objet de la sociologie de Durkheim aurait donc une double dimension. La sociologie devrait
à la fois étudier les normes c’est-à-dire les forces déterminant en tendance les comportements
individuels – ce que Durkheim précise dans sa définition finale –. Elle aurait également dû

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s’intéresser à la sanction laquelle se présente aussi comme une force de réaction effective et
physique aux déviances constatées.
Les domaines de la sociologie :
Etude des faits sociaux et études des conséquences des faits sociaux
Chargée d’étudier les faits sociaux, pensés essentiellement comme des normes, la sociologie
se voit ainsi logiquement cantonnée à l’examen des systèmes de normes sociales. Une telle
étude est effectivement réalisée par Durkheim. Elle est d’ailleurs en partie antérieure aux
Règles de la méthode sociologique puisqu’elle avait pris corps, deux ans auparavant, dans sa
thèse intitulée De la Division du travail social. Durkheim s’intéressait alors à l’étude de la
solidarité sociale entendue comme l’ensemble des règles morales (ou des faits sociaux dans le
vocable postérieur) déterminant les actions individuelles. La « solidarité sociale [était en effet]
un phénomène tout moral » qui ne pouvait néanmoins que difficilement se « prêter à
l’observation exacte ni surtout à la mesure » (Durkheim 1893 : 28). Pour faire face à cet
inconvénient, Durkheim se proposait alors d’étudier les « symboles visibles » de la solidarité
sociale (Durkheim 1893 : 28).
Le premier d’entre eux est le droit que Durkheim présente comme la cristallisation de la
morale, comme l’expression concrète des faits sociaux et du « caractère immatériel de la
solidarité sociale » (Durkheim 1893 : 28). Dans sa thèse, Durkheim réduit donc son objet aux
normes formelles justifiant en toute rigueur son choix puisque « la vie sociale, partout où elle
existe d’une manière durable, tend inévitablement à prendre une forme définie et à
s’organiser ». Or, « cette organisation, dans ce qu’elle a de plus stable et de plus précis »,
n’est autre chose que le droit (Durkheim 1893 : 29). Cette restriction de l’objet d’étude au
droit va d’ailleurs être bien commode pour Durkheim. Elle lui offre en effet la possibilité de
s’épargner une réflexion relative à la distinction entre les normes sociales et les sanctions
puisque le droit comprend ces deux dimensions. Elle lui permet, sans doute au détriment de la
rigueur, de confondre les deux notions et de ne pas distinguer ces deux types de forces
sociales. En tout état de cause, le droit offre également à Durkheim une source inépuisable
d’études puisque celui-ci tend à s’affirmer avec l’extension des relations sociales. À ses yeux
en effet, « la vie générale de la société ne peut s’étendre sur un point sans que la vie juridique
s’y étende en même temps et dans le même rapport » (Durkheim 1893 : 29). Suite aux progrès
des sociétés, qui sous l’effet de l’extension de la division du travail, deviendraient plus
complexes ; suite au passage d’une solidarité mécanique à une solidarité organique, le droit

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étendrait son empire pour devenir toujours plus spécialisé et plus sophistiqué. La sociologie
verrait ainsi son objet s’étendre et se complexifier.
Le deuxième symbole visible de la « solidarité sociale » est la religion, thématique qui
constitue une autre dimension des recherches durkheimiennes.

Les Formes élémentaires de la vie religieuse écrites en 1905 peuvent s’inscrire dans cette
perspective. Mais, alors qu’il aurait pu choisir d’étudier les religions comme systèmes de
normes et de contraintes, Durkheim recherche davantage l’origine des normes que les
religions proposent. Ceci est illustré par du « wankan » et de l’« orenda » présentés comme
étant le pouvoir, la force déterminant les comportements individuels chez les Indiens
d’Amérique ou à travers celle du « mana » qui se présente comme leur équivalent en Australie
(Durkheim 1905 : 275-278). Les principes totémiques sont ainsi ramenés à des forces
sociales, et les caractères de la religion présentés comme une actualisation de ces forces
sociales en fonction des conditions sociales (Durkheim 1905 : 336). Durkheim suggère que la
société est soumise à des lois naturelles qui s’actualisent différemment en fonction des
époques et des conditions matérielles. La société n’est pas en effet un royaume dans un
empire : « elle fait partie de la nature, elle en est la manifestation la plus haute. Le règne
social est un règne naturel, qui ne diffère des autres que par sa complexité plus grande. Or il
est impossible que la nature, dans ce qu’elle a de plus essentiel, soit radicalement différente
d’elle-même, ici et là ». (Durkheim 1905 : 25).
Le troisième symbole visible de la « solidarité sociale » se présente au regard des systèmes
d’éducation. S’attachant à étudier les normes sociales, la sociologie aurait également vocation
à s’intéresser à l’intériorisation de celle-ci, suite notamment au phénomène de socialisation,
que Durkheim évoque dès les Règles de la méthode (Durkheim 1895 : 3-4). Il prolonge cette
étude dans L’éducation morale puis dans L’évolution pédagogique en France en insistant sur
la dimension institutionnalisée de la socialisation. Il y étudie plus particulièrement le rôle les
systèmes éducatifs et leur contribution à l’éducation méthodique, moyen qui selon lui est « le
plus efficace dont dispose une société pour former ses membres à son image » (Durkheim
1904-1905 : 5). Comme le droit ou la religion, les systèmes éducatifs et leurs règles
permettent ainsi d’étudier les « symboles visibles » de la socialisation et de la transmission
des normes. Dans ce cadre, la sociologie durkheimienne cherche également à étudier l’origine
des lois formelles à travers, par exemple, l’élaboration des programmes scolaires. Mais
l’élaboration d’un droit nouveau, de lois parlementaires, ou de nouveaux codes restera une des
dimensions inexplorées de la sociologie de Durkheim alors qu’elle aurait pu en être un des

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domaines légitimes. Ce phénomène est d’autant plus curieux que la fin du XIXe et le début du
XXe siècle abondaient de lois nouvelles pensons notamment à l’établissement de la
IIIe République ou à l’adoption progressive de lois sociales.
Une deuxième dimension de la sociologie de Durkheim est de s’intéresser aux conséquences
des faits sociaux. C’est ce qui se joue dans le Suicide dans lequel Durkheim s’intéresse à un
« phénomène social » – le suicide précisément. Le suicide n’est pas en effet un fait social.
Défini comme « tout cas de mort qui résulte directement ou indirectement d’un acte positif ou
négatif, accompli par la victime elle-même et qu’elle savait devoir produire ce résultat » le
suicide n’est
pas une force. Il n’a pas de pouvoir de coercition, ou d’extériorité. Comme le crime qualifié
de « fait de sociologie normale » (Durkheim 1895 : 72, note de bas de page) ou encore de
« phénomène de sociologie normale » (Durkheim 1895 : 66, note de bas de page), le suicide
n’est que la conséquence ou la manifestation de faits sociaux. Seules les religions, les
structures familiales, sociales, économiques ou nationales produisent des normes sociales qui
déterminent le niveau des taux de suicide.

La restriction du domaine d’étude de la sociologie : la mise à l’écart des


normes informelles et des idola
En tout état de cause, se cantonnant aux expressions visibles de la « solidarité sociale », la
sociologie de Durkheim passe sous silence l’ensemble des normes informelles comme
d’ailleurs les modalités de leur diffusion qu’elles relèvent de la socialisation, de
l’acculturation ou de l’imitation, notion que Durkheim rejettera en s’opposant à Tarde. La
sociologie de Durkheim est ainsi amenée à restreindre son étude aux expressions concrètes
des faits sociaux et à laisser pour partie de côté à la fois les normes informelles mais aussi les
sanctions sociales. Durkheim réduit ainsi, sans l’affirmer, le domaine d’étude de sa
sociologie.
Cette restriction du domaine d’étude de la sociologie, Durkheim l’opère également en
oubliant un fait social particulier. En effet, si l’on en revient aux Règles de la méthode
sociologique, nous constatons qu’il évoque un « fait social » singulier, symbole de la morale
sociale : les pré-notions. Elles sont d’ailleurs ce fait social qui biaise l’étude du sociologue ;
« ces idola, sortes de fantômes qui nous défigurent le véritable aspect des choses et que nous
prenons pourtant pour les choses mêmes » (Durkheim 1895 : 18). Les prénotions sont donc
précisément des faits sociaux. Elles sont extérieures à l’individu, et exercent sur sa conscience

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une force qui domine sa pensée et oriente ses conclusions. « C’est [nous dit Durkheim] parce
que ce milieu imaginaire n’offre à l’esprit aucune résistance que celui-ci, ne se sentant
contenu par rien, s’abandonne à des ambitions sans bornes et croit possible de construire ou,
plutôt, de reconstruire le monde par ses seules forces et au gré de ses désirs. » (Durkheim
1895 : 18). Bref, si « les hommes n’ont pas attendu l’avènement de la science sociale pour se
faire des idées sur le droit, la morale, la famille, l’État, la société même » c’est peut-être parce
que, comme le suggère Durkheim, « ils ne pouvaient s’en passer pour vivre », mais c’est
surtout que la morale n’a pas attendu la science sociale pour exister. Si les faits sociaux sont
extérieurs aux consciences individuelles et les dominent, ils dominent également les
productions de ces consciences c’est-à-dire les jugements mais aussi les productions
scientifiques. L’esprit du scientifique est donc soumis aux prénotions mais, contrairement au
profane, il cherche à y résister.
Pour conclure, il s’agit donc de souligner que les prénotions sont des faits sociaux et
devraient, comme tels, être étudiés selon la méthode définie dans les Règles. La sociologie,
science de la morale et des faits sociaux, deviendrait également dans ce cadre une
connaissance critique puisqu’elle serait aussi la science des prénotions. Pourtant, au lieu de les
étudier comme des faits sociaux, ce qui aurait permis dans un second temps de surmonter ces
biais, Durkheim décide uniquement de les mettre à distance. Ainsi, selon lui « il faut écarter
systématiquement toutes les prénotions » (Durkheim 1895, I : 31). En ce sens, Durkheim
restreint volontairement le domaine de la sociologie et pose la nécessité de se défaire des
prénotions sans se donner véritablement les moyens d’y parvenir. Au final, le devoir d’écarter
les prénotions se présente comme une pétition de principe, comme un devoir
d’affranchissement de la morale dont le scientifique ne peut concrètement se servir puisqu’en
les écartant, il n’aura perçu ni la nature, ni la force, ni même l’ampleur potentielles de ces
prénotions. La prise de conscience des prénotions ne se fait chez Durkheim que par une
supposée réflexivité dont on ne pourra jamais savoir si elle est suffisante, si elle a pleinement
réussi à identifier ces idolas et si elle est parvenue à percevoir l’intensité de leurs forces.

L’idéal de l’équilibre ou la dimension cachée de la sociologie de Durkheim


Mettant l’accent sur les normes, la sociologie de Durkheim est de fait une sociologie ayant
pour idéal l’« équilibre » et s’intéressant au fonctionnement « normal » des sociétés et
l’espérant d’ailleurs (Lacroix 1976 : 219). Durkheim oublie ainsi, par construction, de faire
porter l’attention sur les déviances, les conflits ou les crises. L’idée selon laquelle la

13
sociologie durkheimienne pourrait être interprétée comme une sociologie de l’équilibre est
particulièrement décelable au regard de l’analyse du suicide. La typologie des suicides établie
par Durkheim propose en effet deux couples d’opposition : suicide égoïste versus suicide
altruiste, suicide anomique versus suicide fataliste. Si le suicide égoïste était causé par un
défaut d’intégration sociale (et donc un excès d’individualisme), le suicide altruiste au
contraire serait la conséquence d’un excès d’intégration sociale. Implicitement, et compte tenu
du fait que la typologie est construite sur cette opposition excès versus défaut, il existerait un
état social apparaissant comme « optimal », permettant à la fois l’intégration et
l’individualisation du sujet et dans lequel les suicides seraient réduits au maximum. De même,
l’autre couple d’opposition fondé sur l’intensité des normes sociales suppose qu’il existerait
un état social d’équilibre dans lequel l’intensité de la régulation sociale serait idéale.
Cet idéal de l’équilibre est particulièrement visible au regard de la fonction du droit dans les
sociétés contemporaines. Pour Durkheim, le droit consiste en effet « seulement dans la remise
des choses en état, dans le rétablissement des rapports troublés sous leur forme normale, soit
que l’acte incriminé soit ramené de force au type dont il a dévié, soit qu’il soit annulé, c’est-à-
dire privé de toute valeur sociale » (Durkheim 1893 : 34). Le droit est ainsi le moment du
retour à l’équilibre, d’une résolution.
Indirectement, la sociologie de Durkheim suppose l’existence d’un état social idéal,
permettant la conciliation de l’intégration et de l’autonomie, du collectif et de l’individuel.
De même, elle tend à oublier les déséquilibres sociaux ou ne les perçoit que dans une
perspective visant à les faire disparaître. Sans doute est-ce ainsi que doit se comprendre sa
position exposée dans la préface de la première édition De la division du travail selon laquelle
« nous estimerions que nos recherches ne méritent pas une heure de peine si elles ne devaient
avoir qu’un intérêt spéculatif. Si nous séparons avec soin les problèmes théoriques des
problèmes pratiques, ce n’est pas pour négliger ces derniers, c’est, au contraire, pour mieux
les résoudre. » (Durkheim 1893 : XXXIX)
Pour conclure, Durkheim offre à la sociologie un objet propre et cohérent. Cet objet, le fait
social, est semblable à une norme exerçant une force sociale et déterminant les
comportements individuels. La sociologie serait la science des normes sociales et de leurs
relations. Plus généralement, la sociologie serait donc la science de la culture pensée comme
un ensemble de normes structurées et structurantes déterminant les comportements
individuels. Ainsi, la sociologie devrait également logiquement avoir pour tâche de se pencher
sur les obligations sociales et morales. Elle serait la science de la morale sociale.

14
Une transposition manquée des méthodes des sciences de la nature
Pour Durkheim, la sociologie devait prendre pour modèle les sciences de la nature. Ces
disciplines avaient en effet réussi, par l’adoption d’une méthode singulière, à dépasser les
prénotions et à se libérer de l’emprise de l’idéologie ou de la religion pour faire advenir des
lois (Durkheim 1895 : 31). Sans doute est-ce là une des raisons l’amenant à souhaiter
transposer les méthodes des sciences de la nature. Néanmoins, il nous semble que cette
tentative échoue parce qu’elle oublie précisément la définition de l’objet que Durkheim s’était
donné.

« Traiter les faits sociaux comme des choses » ou l’incohérence


durkheimienne
Durkheim ouvre son second chapitre des Règles de la méthode par une injonction
méthodologique affirmant que « la première règle et la plus fondamentale est de considérer
les faits sociaux comme des choses » (Durkheim 1895 : 15). Sans évoquer le fait que cette
règle fondamentale pouvait elle-même relever d’une prénotion héritée d’une croyance
scientiste et positiviste, nous rappellerons que cette proposition méthodologique a, dans un
premier temps, valeur de métaphore et invite à s’inspirer des démarches des sciences de la
nature. Néanmoins, Durkheim pose ensuite plus qu’une similitude entre les faits sociaux et les
choses. Il affirme leur identité. « Les phénomènes sociaux [nous dit-il] sont des choses et
doivent être traités comme des choses » (Durkheim 1895 : 27). Ils sont des choses car ils sont
« l’unique datum offert au sociologue », ils « sont tout ce qui est donné, tout ce qui s’offre ou
plutôt s’impose à l’observation » (Durkheim 1895, II, i : 27). Autrement dit, Durkheim se sert
de cette identité pour souligner l’aspect concret et l’expression concrète du fait social.
Il s’en sert également pour appeler le sociologue à mettre à distance les faits sociaux et pour
l’inviter à « les étudier du dehors comme des choses extérieures » (Durkheim 1895, II, i : 28).
La dimension concrète et l’identité du fait social ainsi que son assimilation à une chose
pourraient rendre légitime une transposition des méthodes de la biologie ou de la chimie ce
que Durkheim laisse d’ailleurs apparaître dans une note concluant son premier chapitre et
avec lui la définition du fait social :

15
Cette parenté étroite de la vie et de la structure, de l’organe et de la fonction peut être
facilement établie en sociologie parce que, entre ces deux termes extrêmes, il existe toute une
série d’intermédiaires immédiatement observables et qui montre le lien entre eux. La biologie
n’a pas la même ressource. Mais il est permis de croire que les inductions de la première de
ces sciences sur ce sujet sont applicables à l’autre et que, dans les organismes comme dans les
sociétés, il n’y a entre ces deux ordres de fait que des différences de degré. (Durkheim
1895 : 14)
La tentation biologiste et la supposition organiciste émergent ici et font très logiquement du
sociologue l’égal du « vivisectionniste », soumettant les faits sociaux « à une froide et sèche
analyse » (Durkheim 1895 : 33). Le fait social se fait donc semblable à une chose ou à un
membre d’un corps dont il s’agit d’expliquer le fonctionnement et les fonctions sociales. La
transposition des méthodes sera donc celle de la biologie ou de la chimie pour étudier la
« composition organique » du fait social. Cette transposition, si elle se comprend au regard
« du champ conceptuel général, commun aux sociologies d’inspiration biologique de son
temps » (Guillo 2006 : 508) pose néanmoins problème tout comme l’identification du fait
social à une
chose. Elle s’oppose en effet à la définition préalable du fait social comme force et devient de
ce fait incohérente.

L’oubli de la force sociale cause d’une transposition manquée


Si Durkheim s’était rigoureusement tenu à sa définition du fait social il aurait dû garder à
l’esprit que la tâche du sociologue était de déceler des forces. Il aurait donc dû souligner la
nécessité de traiter « les faits sociaux comme des forces » et de transposer les méthodes des
sciences physiques. L’objectif de la sociologie aurait alors été de déceler et de caractériser la
nature des forces sociales et d’en spécifier leur intensité. La méthode aurait alors dû consister
à définir la nature de la force de la norme sociale étudiée, à préciser son intensité et enfin son
sens c’est-à-dire par exemple sa contribution au maintien de l’ordre social ou au contraire au
changement social.
Si l’on s’en tenait à l’étude de l’intensité de la norme, il aurait donc fallu étudier son degré
d’impérativité et son importance dans l’organisation et le fonctionnement social. Ceci aurait
permis de grader les normes selon leur centralité et de distinguer par exemple l’importance de
la prohibition du crime et de l’inceste de celle des règles de bienséance ou de convenance.

16
Cela aurait également permis de se pencher sur l’intensité des déterminismes sociaux en
fonction des groupes sociaux et des contextes.
Cette étude aurait alors conduit à prendre conscience du fait que certaines normes ou certaines
lois ont des effets variables et parfois antagoniques. Elle aurait permis d’opposer aux forces
sociales des forces dynamiques ou des forces de résistance individuelles et aurait alors
légitimement conduit à poser comme autres objets d’étude de la sociologie la déviance, la
résistance ou encore le conflit. Ceci est d’autant plus curieux que certaines de ces dimensions
étaient implicitement présentes dans l’analyse de Durkheim si l’on pense par exemple au
suicide. Les déterminations du « suicide altruiste » pourraient se présenter comme des forces
de résistance à une solidarité sociale excessive et donc à une trop forte intensité du fait social
pensé comme norme sociale. Soumis à une emprise sociale trop contraignante, l’individu
s’extrairait en effet de la société en se donnant la mort. Une force individuelle aurait ainsi
répondu à une force ou une emprise sociale excessive.
À regarder les choses de près et en reprenant la définition du fait social, il nous semble que
l’intégration sociale n’est que le témoignage de l’emprise des normes sociales sur l’individu
par le biais de leur intériorisation, du contrôle social et de sa soumission à des telles forces.
Autrement dit, le degré d’intégration sociale n’est que la résultante du degré de régulation
sociale. Ainsi, régulation et intégration sociale ne seraient que les deux versants d’une même
réalité. Le « quadriptyque » des explications du suicide deviendrait de ce fait un diptyque : les
suicides égoïste et anomique seraient similaires en ce qu’ils découleraient d’un défaut ou
d’une faiblesse des normes sociales ; les suicide altruiste et fataliste seraient au contraire
l’expression de son excès. Cette idée est particulièrement manifeste au regard de la difficulté
de Durkheim à rendre compte et à singulariser le suicide fataliste. Celui-ci n’a en effet droit
qu’à une modeste note de bas de page témoignant de la gêne de l’auteur et de sa difficulté à le
définir et à le différencier du suicide altruiste. Durkheim indique que :
Pour rendre sensible ce caractère inéluctable et inflexible de la règle sur laquelle on ne peut
rien, et par opposition à cette expression d’anomie que nous venons d’employer, on pourrait
l’appeler le suicide fataliste. (Durkheim 1897 : 142)
Continuant sa note de bas de page Durkheim suggère que ce suicide est de si peu
d’importance aujourd’hui (…) qu’il est si difficile d’en trouver des exemples, qu’il nous
paraît inutile de nous y arrêter. Cependant, il pourrait se faire qu’il eût un intérêt historique.
N’est-ce pas à ce type que se rattachent les suicides d’esclaves que l’on dit être fréquents dans
de certaines conditions.

17
Le suicide de l’esclave serait à notre sens de même nature que le suicide altruiste, l’individu
ne parvenant pas à s’autonomiser des contraintes sociales ou à s’individualiser, il verserait
dans le fatalisme et se suiciderait.
L’anomie comme disparition de l’objet de la sociologie
Dans le Suicide, Durkheim s’attache à aborder le thème de l’anomie qu’il définit comme un
état marqué par une insuffisance de régulation et par le déferlement des convoitises et des
intérêts personnels.
L’état de dérèglement ou d’anomie est donc encore renforcé par ce fait que les passions sont
moins disciplinées au moment même où elles auraient besoin d’une plus forte discipline.
(Durkheim 1897 : 114)
C’est la raison pour laquelle les périodes d’anomie sont à la fois celles de l’euphorie
économique et du libéralisme économique mais également celle des crises économiques et du
manque de régulation qui les accompagnent. À nous en remettre à la perception du fait social
que nous offrait Durkheim dans ses Règles de la méthode, l’anomie est également le moment
de l’affaiblissement des normes sociales donc des faits sociaux. Soit que certaines
disparaissent comme en témoignent les moments de dérégulation libérale que condamne
Durkheim, soit que l’intensité des normes (et des faits sociaux) s’amenuise. Ici encore nous
voyons s’affirmer l’identité de la notion d’anomie avec celle d’individualisme et
d’autonomisation du sujet. Mais plus que cela, nous pouvons percevoir que ces périodes sont
également celles de la disparition en tendance ou de l’atténuation des faits sociaux (donc
également des objets de la sociologie durkheimienne). Les déterminations sociales devenant
moins intenses, les actions individuelles seraient plus « libres ». Une autre perception des
choses serait de supposer que d’autres forces viennent contrecarrer les normes sociales
jusque-là existantes : ces forces pourraient être des forces collectives valorisant des
transformations sociales et proposant une nouvelle régulation. Mais cela, Durkheim ne peut le
percevoir car il s’attache à l’étude du corps et de l’ordre sociaux et délaisse l’objet de la
sociologie en négligeant l’étude des forces à l’œuvre.
Les périodes d’anomie seraient donc celles de la disparition en tendance de la sociologie
puisque son objet se dissiperait peu à peu à moins que la sociologie ne s’intéresse à l’intensité
des forces sociales ou à l’intensité des forces de résistance à l’ancienne régulation. Plus
généralement, ce que ne perçoit pas Durkheim quand il évoque l’anomie, c’est que de
nouvelles forces, et de nouvelles normes apparaissent. Les périodes d’anomie se présentent

18
davantage comme des moments de crise au sens de Gramsci : les anciennes normes se
meurent et les nouvelles normes ne sont pas encore imperceptibles.

L’impensé de Durkheim : la pluralité des faits sociaux et la


complexification des forces
Finalement, il nous semble que Durkheim oublie la pluralité des faits sociaux, la pluralité des
normes et des lois. Il oublie ainsi également la pluralité des forces sociales à l’œuvre, mais
l’existence de forces d’individualisation. Au final, il ne parvient pas à interpréter la société
comme le théâtre de rapports sociaux ou de rapports de forces individuelles ou collectives.
Délaissant son objet initial, ou en tout cas ne prenant pas pleinement conscience de ses
dimensions, Durkheim tend à uniformiser le social et à supposer que les faits sociaux sont de
même nature et de même intensité. Marcel Mauss percevra les limites d’une telle approche en
définissant le « fait social total » montrant par là que certains faits sociaux ont plus
d’importance que d’autres. Le fait social total est en effet « un de ces rocs humains sur
lesquels sont bâties nos sociétés » et qui « met en branle la totalité de la société de ses
institutions » (Mauss 1950 : 150, 274). Ce « fait social total » a d’ailleurs une forte
ressemblance avec ce que Durkheim nomme la « conscience collective ». En effet, pour
Durkheim (1895 : 22),
L’ensemble des croyances et des sentiments communs à la moyenne des membres d’une
même société forme un système déterminé qui a sa vie propre ; on peut l’appeler la
conscience collective ou commune. Sans doute, elle n’a pas pour substrat un organe unique ;
elle est, par définition, diffuse dans toute l’étendue de la société ; mais elle n’en a pas moins
des caractères spécifiques qui en font une réalité distincte.
L’importance de ce type de faits sociaux de forte intensité est particulièrement visible dans les
sociétés premières et contribue à marquer la personnalité individuelle de manière quasi
univoque comme en témoignent les analyses de Ruth Benedict ou de l’école « culture et
personnalité ». Néanmoins, avec la complexification des sociétés suite notamment à
l’extension de la division du travail, les faits sociaux, les normes et les lois deviennent eux
aussi plus complexes. Tout se passerait donc comme si on assistait à une fragmentation
progressive d’un fait social total à la structure unifiée qui caractérisait les sociétés premières.
Cette dynamique est en partie perçue par Durkheim dans De la Division du travail social qui
note un affaiblissement de la conscience collective accompagnant le passage des sociétés à
une « solidarité mécanique » vers une « solidarité organique ». L’évolution du droit est

19
d’ailleurs symptomatique puisque le droit pénal et répressif est progressivement remplacé par
un droit spécialisé et restitutif. Ceci s’explique par le fait que le droit pénal jugeait et
sanctionnait des déviances qui étaient de nature à remettre en cause la pérennité même de la
société. Les déviances jugées par le droit restitutif n’ont pas la même centralité expliquant
que, selon Durkheim (1893 : 34), on doit répartir en deux grandes espèces les règles
juridiques, suivant qu’elles ont des sanctions répressives organisées, ou des sanctions
seulement restitutives.
La première comprend tout le droit pénal ; la seconde, le droit civil, le droit commercial, le
droit des procédures, le droit administratif et constitutionnel, abstraction faite des règles
pénales qui peuvent s’y trouver.
Avec le développement des sociétés, les faits sociaux se feraient plus nombreux et plus
complexes. Nous assisterions ainsi à une fragmentation et à une atomisation de l’objet de la
sociologie. Les forces sociales déterminant les actions individuelles auraient des intensités
plus faibles mais seraient également plus nombreuses. Nous n’assisterions donc pas à une
disparition de l’objet de la sociologie – et à l’affirmation de ce que Durkheim nomme
l’anomie – mais bien davantage à une complexification et à une multiplication de faits
sociaux beaucoup plus diffus, étendant ainsi le spectre d’étude de la sociologie.

Conclusion : un programme de recherche nouveau ?


Au cours de son œuvre et dès le deuxième chapitre des Règles de la méthode sociologique,
Durkheim oublie la définition qu’il donnait du fait social. Il oublie que celui-ci est une force
sociale ; définition qui aurait pu l’amener à transposer de manière cohérente la démarche des
sciences physiques plutôt que celle de la biologie ou de la chimie. Ceci aurait également pu
conduire à abandonner sa perception organiciste des sociétés pour s’intéresser aux forces
sociales proprement dites, aux normes et aux lois, mais également aux forces de résistance
individuelles ou collectives, bref à la déviance et au conflit. À travers l’étude de l’intensité et
des fonctions de ces forces sociales il aurait pu tendre vers une véritable physique sociale qui
lui aurait permis de déceler les rapports de forces générant des dynamiques sociales, des
changements d’état ou au contraire de persévérance dans un état social. Reste à savoir quelles
auraient pu être les méthodes mobilisées concrètement pour déceler à la fois la nature,
l’intensité et le sens de ces forces sociales.
Concernant la nature et l’intensité des forces sociales, celles-ci auraient pu être quantifiées par
l’utilisation des statistiques. Il serait envisageable de quantifier et d’évaluer statistiquement le

20
degré de respect d’une norme sociale. De même, quantifier le niveau de déviance par rapport
à une norme ou pour le dire autrement la tendance à ne pas respecter une règle sociale nous
renseignerait indirectement sur l’intensité – et l’importance – d’un fait social, c’est-à-dire sur
son degré social d’impérativité.
Ceci permettrait en outre de disposer d’une certaine prédictibilité des comportements humains
lesquels seraient caractérisés par des probabilités d’occurrence qui ne seraient pas sans
rappeler le concept weberien de « chances typiques » (Weber 1971 : 47) ou de l’analyse
probabiliste que proposait déjà Condorcet à travers le concept de « motif de croire »
(Condorcet 1785, 1786-1787 ; Rieucau 1997).
Une telle perspective permettrait de concilier les approches individualistes et holistes en
montrant que le degré d’impérativité et de soumission à une norme sociale n’est jamais totale
et qu’elle laisse de ce fait une certaine marge d’autonomie à l’individu. Elle permettrait
également d’étudier des faits économiques, politiques ou juridiques comme des faits sociaux,
dépassant l’étude des seules institutions (Steiner 1992 : 644).

Terminologies
 La sociologie de la politique aborde le domaine sous l'angle nettement sociologique
laissant peu de place à la politique en tant que telle.
 La science politique, tout en se servant de l'apport des autres sciences sociales, retient
des éléments plus directement politiques (influences des scrutins, modes de
gouvernements). Elle serait ainsi liée à la pluridisciplinarité dans ses rapports
privilégiés avec le droit, l'histoire, l'économie et la sociologie.
 La sociologie politique, quant à elle, serait à créer : « produit d'une hybridation
lorsque la sociologie et la science politique seront à égalité » selon Madeleine
Grawitz. Cependant, le décret du 10 juillet 1962 organisant les enseignements de
science politique dans les facultés de Droit fait référence à la sociologie politique.
Raymond Aron justifiera le choix du substantif en affirmant : « on pourrait dire que la
science politique, considérée globalement, se confond avec la sociologie politique ;
elle est le chapitre politique de la sociologie ».

21
POLITIQUE ET SOCIOLOGIE

Définition
« Qu'entendons-nous par politique »?
Le concept est extraordinairement vaste et embrasse toutes les espèces
d'activité directive. On parle de la politique de devises d'une banque, de la
politique d'escompte de la banque, de la politique d'un syndicat au cours d'une
grève ; on peut également parler de la politique scolaire d'une commune
urbaine ou rurale, de la politique d'un comité qui dirige une association, et
finalement de [100] la politique d'une femme habile qui cherche à gouverner
son mari. Nous ne donnerons évidemment pas une signification aussi vaste au
concept qui servira de base aux réflexions que nous ferons ce soir. Nous
entendrons uniquement par politique la direction du groupement politique que
nous appelons aujourd'hui « État », ou l'influence que l'on exerce sur cette
direction. Mais qu'est-ce donc qu'un groupement « politique » du point de vue
du sociologue? Qu'est-ce qu'un État ? Lui non plus ne se laisse pas définir
sociologiquement par le contenu de ce qu'il fait. Il n'existe en effet presque
aucune tâche dont ne se soit pas occupé un jour un groupement politique
quelconque ; d'un autre côté il n'existe pas non plus de tâches dont on puisse
dire qu'elles aient de tout temps, du moins exclusivement, appartenu en
propre aux groupements poli- tiques que nous appelons aujourd'hui États ou
qui ont été historiquement les précurseurs de l'État moderne. Celui-ci ne se
laisse définir sociologiquement que par le moyen spécifique qui lui est propre,
ainsi qu'à tout autre groupement politique, à savoir la violence physique. «
Tout État est fondé sur la force », disait un jour Trotsky à Brest . En effet, cela
est vrai. S'il n'existait que des structures sociales d'où toute violence serait
absente, le concept d'État aurait alors disparu et il ne subsisterait que ce qu'on
appelle, au sens propre du terme, l'«anarchie». La violence n'est évidemment
pas l'unique moyen normal de l'État, - cela ne fait aucun doute - mais elle est
son moyen spécifique. De nos jours la relation entre État et violence est tout
particulièrement intime. Depuis toujours les groupements politiques les plus
divers - à commencer par la parentèle - ont tous tenu la violence physique pour
le moyen normal du pouvoir. Par contre il faut concevoir l'État contemporain
comme une communauté humaine qui, dans les limites d'un territoire

22
déterminé - la notion de territoire étant une de ses caractéristiques -
revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence
physique légitime. Ce qui est en effet le propre de notre époque, c'est qu'elle
n'accorde à tous les autres groupements, ou aux individus, le droit de faire
appel à la violence que dans la mesure où l'État le tolère : celui-ci passe donc
pour l'unique source du « droit » à la violence. Par conséquent, nous
entendrons par politique l'ensemble des efforts que l'on fait en vue de
participer au pouvoir ou d'influencer la répartition du pouvoir, soit entre les
États, soit entre les divers groupes à l'intérieur d'un même État. En gros, cette
définition correspond à l'usage courant du terme. Lorsqu'on dit d'une question
qu'elle est « politique », d'un ministre ou d'un fonctionnaire qu'ils sont «
politiques », ou d'une décision qu'elle a été déterminée par la « politique», il
faut entendre par là, dans le premier cas que les intérêts de la répartition, de la
conservation ou du transfert du pouvoir sont déterminants pour répondre à
cette question, dans le second cas que ces mêmes facteurs conditionnent la
sphère d'activité du fonctionnaire en question, et dans le dernier cas qu'ils
déterminent cette décision. Tout homme qui fait de la politique aspire au
pouvoir - soit parce qu'il le considère comme un moyen an service d'autres fins,
idéales ou égoïstes, soit qu'il le désire « pour lui-même » en vue de jouir du
sentiment de prestige qu'il confère. Comme tous les groupements politiques
qui l'ont précédé historiquement, l'État consiste en un rapport de domination
de l'homme sur l'homme fondé sur le moyen de la violence légitime (c'est-à-
dire sur la violence qui est considérée comme légitime). L'État ne peut donc
exister qu'à la condition que les hommes dominés se soumettent à l'autorité
revendiquée chaque fois par les dominateurs. Les questions suivantes se
posent alors. Dans quelles conditions se soumettent-ils et pourquoi ? Sur
quelles justifications internes et sur quels moyens externes, cette domination
s'appuie-t-elle ? Il existe en principe - nous commencerons par là - trois raisons
internes qui justifient la domination, et par conséquent il existe trois
fondements de la légitimité. Tout d'abord l'autorité de l'« éternel hier », c'est-
à-dire celle des coutumes sanctifiées par leur validité immémoriale et par
l'habitude enracinée en l'homme de les respecter. Tel est le « pouvoir
traditionnel » que le patriarche ou le seigneur terrien exerçaient autrefois. En
second lieu l'autorité fondée sur la grâce personnelle et extraordinaire d'un
individu (charisme) ; elle se caractérise par le dévouement tout personnel des

23
sujets à la cause d'un homme et par leur confiance en sa seule personne en
tant qu'elle se singularise par des qualités prodigieuses, par l'héroïsme ou
d'autres particularités exemplaires qui font le chef. C'est là le pouvoir «
charismatique » que le prophète exerçait, ou - dans le domaine politique - le
chef de guerre élu, le souverain plébiscité, le grand démagogue ou le chef d'un
parti politique. Il y a enfin l'autorité qui s'impose en vertu de la «légalité », en
vertu de la croyance en la validité d'un statut légal et d'une a compétence »
positive fondée sur des règles établies rationnellement, en d'autres termes
l'autorité fondée sur l'obéissance qui s'acquitte des obligations conformes au
statut établi. C'est là le pouvoir tel que l'exerce le « serviteur de l'État »
moderne, ainsi que tous les détenteurs du pouvoir qui s'en rapprochent sous ce
rapport. Il va de soi que dans la réalité des motifs extrêmement puissants,
commandés par la peur ou par l'espoir, conditionnent l'obéissance des sujets -
soit la peur d'une vengeance des puissances magiques ou des détenteurs du
pouvoir, soit l'espoir en une récompense ici-bas ou dans l'autre inonde; mais
elle peut également être conditionnée par d'autres intérêts très variés. Nous y
reviendrons tout à l'heure. Quoi qu'il en soit, chaque fois que l'on s'interroge
sur les fondements qui «légitiment » l'obéissance, on rencontre toujours sans
contredit ces trois formes «pures » que nous venons d'indiquer. Ces
représentations ainsi que leur justification interne sont également d'une très
grande importance pour la structure de la domination. Il est certain que dans la
réalité on ne rencontre que très rarement ces types purs. Cependant nous ne
pouvons pas exposer aujourd'hui dans le détail les variétés, les transitions et
les combinaisons extrêmement embrouillées de ces types ; pareille étude entre
dans le cadre d'une « théorie générale de l'État ». Pour le moment nous
porterons particulièrement notre attention sur le deuxième type de légitimité,
à savoir le pouvoir issu de la soumission des sujets au «charisme » purement
personnel du « chef ». En effet, ce type nous conduit à la source de l'idée de
vocation, où nous retrouvons ses traits les plus caractéristiques. Si certains
s'abandonnent au charisme du prophète, du chef en temps de guerre, du très
grand démagogue au sein de l'ecclesia ou du Parlement, cela signifie que ces
derniers passent pour être intérieurement « appelés » au rôle de conducteur
d'hommes et qu'on leur obéit non pas en vertu d'une coutume ou d'une loi,
niais parce qu'on a foi en eux. Certes, s'il est plus qu'un petit parvenu
présomptueux du moment, il vit pour sa chose, il cherche à accomplir son

24
œuvre. Par contre c'est uniquement à sa personne et à ses qualités
personnelles que s'adresse le dévouement des siens, qu'ils soient des disciples
des fidèles ou encore des militants liés à leur chef. L'histoire nous montre que
l'on rencontre des chefs charismatiques dans tous les domaines et à toutes les
époques historiques. Ils ont cependant surgi sous l'aspect de deux figures
essentielles, celle du magicien et du prophète d'une part et celle du chef de
guerre élu, du chef de bande et du condottiere de l'autre. Mais ce qui est
propre à l'Occident - et cela nous intéresse plus spécialement - c'est la figure du
libre « démagogue ». Celui-ci n'a triomphé qu'en Occident, au sein des cités
indépendantes, particulièrement dans les pays de civilisation méditerranéenne.
De nos jours ce même type se présente sous l'aspect du « chef d'un parti
parlementaire » ; on ne le rencontre de même qu'en Occident qui est la terre
des États constitutionnels. Ce genre d'hommes politiques par « vocation », au
sens propre du terme, ne constitue évidemment dans aucun pays la seule
figure déterminante de l'entreprise politique et de la lutte pour le pouvoir. Le
facteur décisif consiste - plutôt dans la nature des moyens dont les hommes
politiques disposent. De quelle manière les forces politiques dominantes s'y
prennent-elles pour affirmer leur autorité ? Cette question concerne toutes les
espèces de domination et par conséquent elle vaut également pour toutes les
formes de domination politique, qu'elle soit traditionaliste, légaliste ou
charismatique

Le pouvoir politique
C’est un type de pouvoir qu'une personne ou un groupe de personnes exerce
dans une société. Ce pouvoir peut être associé avec la souveraineté, soit le
pouvoir de fixer les règles qui s'appliquent à la population sur un territoire
donné.
Dans beaucoup de cas, la sphère de l'influence n'est pas contenue dans un seul
État et on parle alors de puissance internationale. Traditionnellement, le
pouvoir politique se fonde et se maintient au moyen de la puissance militaire,
en accumulant les richesses et en acquérant la connaissance.
D’un point de vue juridique, il s’identifie aux gouvernants (le président de la
République, le gouvernement…) ; d’un point de vue philosophique, le pouvoir
s’apparente à une substance (le commandement) ; d’un point de vue

25
sociologique – celui qui nous intéresse ici –, il s’agit d’une relation sociale
instaurée entre des individus ou des groupes sociaux.

▶ Max Weber définit dans son ouvrage, Économie et société (1922), le pouvoir
(ou la domination) comme « toute chance de faire triompher au sein d’une
relation sociale sa propre volonté, même contre des résistances ». Le pouvoir
n’est plus, dans cette perspective, un attribut, une essence, une « chose », qui
existerait en dehors de toute utilisation mais au contraire un élément qui prend
sa signification dans les interactions qui mettent aux prises divers agents et
groupes sociaux. Le pouvoir suppose une relation asymétrique (entre différents
individus ou groupes) rendue possible par une maîtrise inégale de ressources
sociales (le pouvoir du père de famille, du chef d’entreprise, du chef de
l’État…).

• Le pouvoir politique possède-t-il alors des caractéristiques propres qui le


distinguent des autres types de pouvoir rencontrés dans la société ? La
particularité du pouvoir politique réside selon Max Weber dans l’existence de
ce qu’il nomme un groupement de domination, c’est-à-dire un groupe au sein
duquel les membres sont soumis à des relations de domination en fonction de
règlements en vigueur, notamment des textes juridiques (une Constitution, par
exemple)…
Il existe de nombreuses façons d’exercer un tel pouvoir, la plus évidente étant
celle du chef politique officiel d'un État, tel qu'un président, un Premier
ministre, un roi ou un empereur. Les pouvoirs politiques ne sont pas limités aux
chefs d'État ou aux dirigeants, et l'étendue d'un pouvoir se mesure à l'influence
sociale que la personne ou le groupe peut avoir, influence pouvant être
exercée et utilisée officiellement ou officieusement.
Dans beaucoup de cas, la sphère de l'influence n'est pas contenue dans un seul
État et on parle alors de puissance internationale. Traditionnellement, le
pouvoir politique se fonde et se maintient au moyen de la puissance militaire,
en accumulant les richesses et en acquérant la connaissance.
L'histoire est remplie d'exemples où le pouvoir politique a été utilisé d’une
manière nuisible ou insensée (abus de pouvoir). Ceci se produit, le plus
souvent, quand trop de pouvoir est concentré dans trop peu de mains, sans

26
assez de place pour le débat politique, la critique publique, ou d'autres formes
de pressions correctives. Des exemples de tels régimes sont le despotisme,
la tyrannie, la dictature, etc.
Pour parer à de tels problèmes potentiels, certaines personnes ont pensé et
mis en pratique différentes solutions, dont la plupart repose sur le partage du
pouvoir (telles que la démocratie), les limitations du pouvoir d’un individu ou
d’un groupe, l’augmentation des droits protecteurs individuels, la mise en place
d’une législation ou de chartes (telles que celle des droits de l'homme).
Montesquieu affirmait que sans un principe permettant de contenir et
d'équilibrer le pouvoir législatif, les pouvoir exécutif et judiciaire, il n’y a plus
aucune liberté, ni aucune protection contre l'abus de pouvoir. C'est le principe
de la séparation des pouvoirs. Pour Henry Kissinger, « Power is the ultimate
aphrodisiac » (Le pouvoir est l'aphrodisiaque suprême)1.

Sur quelles assises le pouvoir est-il fondé ? Ces assises justifient le pouvoir.
Trois types d’éléments justifient ce pouvoir, il doit être :

• il est institutionnalisé, car transformé en institution, on le


transmet à un titulaire → l’Etat.
• Il est encadré car il est limité, un pouvoir illimité serait
illégitime.
• Il est légitimité dans son exercice → il faut qu’il soit
démocratique.

L’institutionnalisation du pouvoir politique : l’Etat

La création d'un état au sens moderne n'est autre que le passage d'un état de
fait à un pouvoir de droit. La formation de l'état répond au besoin
d'institutionnalisation. Georges Burdeau a dit : "L'état est un pouvoir
institutionnalisé". L'institutionnalisation de l'Etat correspond au passage de la
loi du plus fort à la force de la loi. Max Weber a dit : "L'Etat est une entreprise
politique de caractère institutionnel dont la direction administrative
revendique avec succès le monopole de la violence physique légitime."

27
La naissance de l’Etat moderne

L'Etat est d'une création tardive – -> à partir du 11ème siècle en occident. L'Etat
est né du démembrement de la féodalité.

I - Les processus historiques de création d'un Etat

Quatre grands facteurs participent à cela :

• La dissociation entre l’Etat et les gouvernants. Les


gouvernants ne vont plus exercer le pouvoir au nom d’eux-
mêmes mais au nom de la couronne → d’une institution.
• La soumission de ce pouvoir au respect d’un certain
nombre de règles, encadrement de ce pouvoir.
• La détention exclusive du monopole de la contrainte. L’Etat
va se distinguer des autres institutions car il est en mesure
d’exercer son autorité sur l’ensemble du territoire.
• Le consentement des gouvernés aux règles mises en œuvre
par l‘Etat.

II – La réception philosophique : la thèse contractualiste

Les philosophes vont donner pour origine à l’Etat un contrat. A la base, l’Etat
est un pacte entre les Hommes qui donne naissance à l’Etat. Ce pacte peut être
un pacte de soumission soit un pacte d’association. La situation est toujours la
même → l’Homme était à la base à l’état de nature.

A – Le pacte de soumission de Thomas Hobbes

Pour Hobbes, c’est un contrat horizontal. Parce qu’il s’agit d’un contrat entre
les individus situés au même rang. C’est un acte de pure soumission. Ils
s’entendent entre eux pour remettre à une autorité extérieure le pouvoir de «
violence légitime ». Cette autorité va être extérieure donc supérieure. En 1651,
Hobbes publie LE LEVIATHAN, il a pour idée de rétablir une autorité
incontestable. Hobbes part du principe de la théorie de nature. Selon lui, cet
état de nature est très dangereux pour l’Homme. « L’Homme est un loup pour

28
l’Homme ». Pour sortir de cet état de nature, les individus vont décider de
s’associer → le pacte. Il va permettre aux Hommes de se constituer dans une
communauté politique où ils vont vivre en paix. Cette autorité extérieure et
supérieure peut assurer sur eux une autorité légitime. Cette autorité n’est pas
liée par le contrat, elle est donc totalement souveraine. C’est une thèse
absolutiste.

B – Le pacte d’association chez John Locke et J.J Rousseau

Le contrat est cette fois vertical. Ces philosophes veulent limiter l’autorité du
roi. Le but n’est pas de se soumettre mais de s’associer. John Locke écrit après
Hobbes. Il veut le contredire. Les Hommes sont toujours initialement dans un
état de nature mais cet état n’est pas destructeur pour l’Homme, il est même
au contraire bon pour lui, ils y sont heureux. Pour Locke et Rousseau, les
Hommes s’associent pour vivre mieux encore. Ce contrat a pour but de donner
naissance à une volonté générale. Les individus vont vivre libres : une liberté
participation. A présent, ils sont libres parce qu’ils participent à la même
association. Tous participent à la formation de cette volonté. La volonté
générale exprimée au sein de ce contrat n’est autre que la somme des volontés
particulières.

L’Etat en tant que produit d’une institutionnalisation

L’Etat s’il est institué devient une personne juridique mais il est aussi souverain.

I – Une personne juridique particulière

Juridiquement, l’Etat est une personne morale. Elle a des capacités juridiques.
L’Etat a une continuité. Les titulaires du pouvoir doivent tenir compte des
mesures prises antérieurement. L’objet de l’intervention de l’Etat est l’intérêt
général.

II – La détention de la souveraineté

Elle distingue l’Etat de toutes les autres personnes morales. La souveraineté


dans l’Etat (à l’intérieur) ou bien à l’extérieur : la souveraineté de l’Etat. Jean
Bodin a systématisé la souveraineté de l’Etat en 1576 dans son ouvrage De la
République. En dehors de ses frontières, l’Etat est souverain par l’intermédiaire
29
de ses relations avec les autres états. J.J Rousseau a écrit : « Il est de l’essence
de la puissance souveraine de ne pouvoir être limitée : elle peut tout ou elle
n’est rien. » L’Etat va donc pouvoir créer un ordre juridique, cad un ensemble
de règles qu’il se donne à lui-même et à la population. Le pouvoir souverain
est forcément un pouvoir initial.

A – La souveraineté interne : souveraineté dans l’Etat

L’Etat n’est-il pas limiter par le droit ? Les théoriciens du droit naturel disent
qu’il y a un droit extérieur à l’Etat : un droit naturel. Les premiers mouvements
sont d’origine théologique. Dans l’Etat de nature, l’Homme, parce qu’il est un
Homme, respecte un certain nombre de règles. Grotius est l’auteur qui a le
mieux théorisé ce courant de pensée. L’Etat est tenu de respecter un droit qui
lui est supérieur et antérieur.

La doctrine du droit positif est défendue par les juristes Carré de malberg et
Walline. C’est le contrepied du droit naturel. Il n’y a de droit que celui qui est
utilisé. Le droit ne doit être envisagé à partir de ses formes et non plus de son
contenu. Si une règle est adoptée dans le respect des formes fixées par l’Etat,
le droit est valable. Au-delà de cela, il n’y a pas de droit. Aujourd’hui, les droits
naturel et positif se retrouvent dans le concept d’Etat de droit. Le droit est
certes produit pas l’Etat, mais une partie de ce droit, dont l’Etat est la
paternité, s’impose à l’Etat. Parce qu’une autorité nouvelle est chargée de faire
respecter le droit à l’Etat. C’est un tiers juge. L’Etat sera donc jugé, comme
n’importe quel individu. La naissance de l’Etat de droit suppose un texte : la
Constitution et un juge. On a donc un Etat soumis au droit constitutionnel. Pour
cela, il a fallu se dire que l’Etat pouvait mal faire.
L’ETAT ET LE POUVOIR : LE POUVOIR DE L'ETAT
L'Etat est le mode le plus perfectionné et le plus complexe de l’organisation du
pouvoir, même s’il n’est pas l’unique modèle d’organisation du pouvoir. Il
désigne la forme institutionnalisée du pouvoir, forme moderne et politique,
s’exerçant généralement au sein d’importantes communautés humaines
installées sur un territoire déterminé; l'Etat est donc l'ensemble des organes
politiques, administratifs, juridiques et des institutions appartenant à une
société organisée. Penser l’Etat, c’est, en premier lieu, réfléchir à l’énigme de la
domination, ce phénomène étrange par lequel un homme devient le maître
30
d’un autre. Le pouvoir politique, comme nous allons le voir, est une
détermination essentielle de l’Etat. Mais tout pouvoir n’implique pas
nécessairement pour autant l’existence de l’Etat puisque même dans les
sociétés primitives qualifiées de “sociétés sans Etat”, la loi règne et s’inscrit
initiatiquement, voire douloureusement, dans le corps des individus. Max
Weber distingue puissance et domination : la puissance est la possibilité de
faire triompher sa volonté, contre les résistances éventuelles, quels que soient
les moyens utilisés. La domination suppose, au contraire, de la part des
membres du groupement, non seulement la discipline mais, quelles qu’en
soient les motivations, une certaine volonté d’obéir. Or, la simple discipline
repose généralement, sur une obéissance mécanique, tandis que la domination
ne se réduit nullement à la discipline. La question de l’Etat et a fortiori du
pouvoir renvoie donc au problème majeur de la domination : comment peut-on
expliquer l’obéissance ? Quels sont les motifs de l’obéissance ? Ils sont divers.
Weber distingue les motifs matériels et “rationnels en finalité” : j’obéis parce
qu’il y va de mon intérêt, par exemple. Ces motifs peuvent reposer sur la
coutume, être des motifs affectifs ou, enfin, des motifs idéaux (valeurs).
Toutefois, ces motifs ne sont pas suffisants pour assurer une domination stable.
Cette dernière suppose la croyance en la légitimité de la domination et de
l’autorité qui exerce cette domination. Weber en conclut que le genre de
légitimité sur lequel repose une domination conditionne le type d ‘obéissance
et le caractère de la domination. Quels sont alors les modes légitimes de
domination ? Weber en distingue trois :
1. La domination traditionnelle : pouvoir de la tradition, de la coutume.
Cette domination repose essentiellement sur la croyance en la sainteté des
traditions;
2. La domination charismatique : pouvoir fondé sur la “grâce personnelle
et extraordinaire d’un individu”, sur la soumission au caractère sacré de la
personne;
La domination légale ou rationnelle : elle repose sur la croyance en la légalité
des règlements arrêtés et du droit de donner des directives détenu par ceux
qui exercent la domination; pouvoir fondé sur la croyance en un statut
juridique de l’autorité et sur l’idée que ceux qui l’exercent ont une compétence
positive L’Etat correspond à ce troisième type de pouvoir. Alors que l’autorité

31
politique non étatique est celle qui, liée à la tradition ou au charisme des chefs,
renvoie aux caractéristiques des personnes qui l’exercent, l’Etat procède d’une
institutionnalisation du pouvoir politique. Il commence à émerger quand
l’autorité cesse d’être incorporée dans la personne du chef, quand elle se
dissocie de l’individu qui en est investi : “ce sont bien des individus qui agissent
au nom de l’Etat : mais c’est au nom de l’Etat qu’ils agissent” (Eric Weil,
Philosophie politique). Avec l’Etat s’opère une distinction entre pouvoir et
propriété qui rend possible une fonction publique. Autrement dit, penser l’Etat,
c’est, contre la dépendance personnelle féodale et contre la patrimonialité des
offices, distinguer pouvoir et propriété. C’est penser une fonction publique.
Selon Max Weber, la rationalisation croissante du monde accorde de plus en
plus de place à la domination rationnelle. La domination bureaucratique est
d’ailleurs la caractéristique essentielle de l’Etat moderne. Cette domination
n’est plus légitimée par des valeurs transcendantes (la foi en Dieu, par
exemple), mais par sa capacité à agir techniquement en vue d’une fin.
Cette bureaucratisation, qui ne cesse de prendre de l’ampleur, est marquée par
notamment par la substitution du gouvernement des experts au gouvernement
proprement politique, ce qu’on appelle la technocratie. Le pouvoir politique est
une forme particulière du pouvoir qui s’exerce sur l’ensemble de la société. On
peut le définir comme le droit d’exiger quelque chose, la capacité d’exercer une
autorité politique, publique qui implique l’obéissance; l’autorité est le pouvoir
d’imposer l’obéissance, de commander à autrui. Le pouvoir politique est donc
intimement lié à la notion d’autorité. Il désigne généralement le pouvoir de
l’Etat, autrement dit le pouvoir suprême ou souverain qui prend des décisions
concernant les actions collectives et la régulation sociale de la société (on
entend par régulation sociale, l’ensemble des mécanismes visant à maintenir
l’équilibre et la cohésion au sein d’une société).
Celui qui détient le droit de décider et de commander souverainement est
appelé le gouvernant. En ce sens, il n’y a pouvoir que lorsqu’il y a autorité et
donc obéissance : devant l’agent de police, par exemple, j’obéis, non pas à sa
volonté individuelle, mais à ce qu’il représente : l’Etat; je suis, devant lui,
renvoyé à l’autorité politique et au pouvoir. Il faut entendre par politique la
dimension de ce qui est commun, par opposition au privé ou au particulier
(politique vient de polis, la cité qui, au sens grec du terme, désigne l’ensemble
des citoyens, des hommes libres déterminant eux-mêmes les modalités de leur
32
vie commune). La question centrale concernant l’Etat est la question de la
légitimité et du fondement du politique, et aussi celle de la valeur des fins qu’il
se propose. Il s’agit de s’interroger sur les conditions auxquelles l’autorité
politique est possible et les fins de l’Etat acceptables. L’Etat est porteur d’un
projet de rationalité dans les rapports humains et demande à l’individu de viser
autre chose que ses intérêts égoïstes et d’accéder à une dimension universelle
de son existence.
Espérance fondée ou illusoire ? Que désigne le pouvoir de l’Etat ? Est-il le porte
flambeau de la raison humaine, le cadre à l’intérieur duquel les hommes
peuvent à la fois être libres et cesser d’être ennemis les uns des autres ? Dans
cette perspective, l’Etat désignerait une institution destinée à défendre la cité,
le bien public, unifiant la communauté et la soudant autour de mécanismes
juridiques communs.
L’Etat signifierait une puissance juridique et institutionnalisée, apportant, par la
médiation de ses mécanismes, une stratégie de cohésion sociale, une capacité
de régulation et d’arbitrage des intérêts opposés. En ce sens, il incarnerait
l’ordre et l’unité, la raison et la rationalité. N’est-il pas, au contraire,
l’expression d’un pouvoir opaque et inhumain, d’une contrainte issue d’une
force monstrueuse (“Le plus froid des monstres froids”, selon Nietzsche) ?
I) LE FONDEMENT DU POUVOUR DE L'ETAT : LES TROIS SOURCES DE
LEGITIMITE
Qu'est-ce qui fonde l'autorité de l'Etat ? D'où vient sa légitimité ? Trois sources
de légitimité de l'Etat vont être examinées : Dieu (théories de droit divin contre
lesquelles les théories du droit naturel moderne se sont élevées), la nature
(droit naturel antique), le peuple (droit naturel moderne).

A) DIEU ET LA NATURE
Dans la conception de droit divin (celle, par exemple, de la monarchie française
de l’Ancien Régime) ou dans celle de nombreux peuples, Dieu est considéré
comme la source et le fondement uniques du droit. Le droit naturel antique
repose sur l’idée d’un droit fondamental respectant une règle de nature;
existence d’une règle de justice immuable, inscrite dans l’Univers à laquelle,

33
indépendamment des lois positives, les hommes doivent, dans leurs rapports
réciproques, se conformer.
A.1) Le droit naturel antique
Il existe un ordre objectif qui traverse le monde et qui inonde la conscience
elle-même. Cette notion de nature est alors entendue au sens d’un étalon qui
permet à la réflexion de transcender le réel, de dépasser la positivité des lois
pour la juger à partir de la considération du meilleur régime (= juste). La nature
est ainsi adoptée comme critère du juste, la norme étant l’ordre cosmique qui,
indépendant du sujet, constitue une dimension de l’objectivité. L’ordre du
monde est considéré, dans cette perspective, comme clos et circulaire,
hiérarchisé, finalisé. Dès lors, est juste ce qui occupe la place qui lui revient, ce
qui correspond à sa fin naturelle; l’injustice est une violence faite à la nature.
Les lois positives doivent s’efforcer d’exprimer le plus adéquatement possible
ce juste naturel à la fois objectif (inscrit dans la nature des choses) et
transcendant (la nature est aussi une fin vers laquelle chaque chose doit
tendre) humains et demande à l’individu de viser autre chose que ses intérêts
égoïstes et d’accéder à une dimension universelle de son existence. Espérance
fondée ou illusoire ? Que désigne le pouvoir de l’Etat ? Est-il le porte flambeau
de la raison humaine, le cadre à l’intérieur duquel les hommes peuvent à la fois
être libres et cesser d’être ennemis les uns des autres ? Dans cette perspective,
l’Etat désignerait une institution destinée à défendre la cité, le bien public,
unifiant la communauté et la soudant autour de mécanismes juridiques
communs.
L’Etat signifierait une puissance juridique et institutionnalisée, apportant, par la
médiation de ses mécanismes, une stratégie de cohésion sociale, une capacité
de régulation et d’arbitrage des intérêts opposés. En ce sens, il incarnerait
l’ordre et l’unité, la raison et la rationalité. N’est-il pas, au contraire,
l’expression d’un pouvoir opaque et inhumain, d’une contrainte issue d’une
force monstrueuse (“Le plus froid des monstres froids”, selon Nietzsche)
II) LE FONDEMENT DU POUVOUR DE L'ETAT : LES TROIS SOURCES DE
LEGITIMITE
Qu'est-ce qui fonde l'autorité de l'Etat ? D'où vient sa légitimité ? Trois sources
de légitimité de l'Etat vont être examinées : Dieu (théories de droit divin

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contre lesquelles les théories du droit naturel moderne se sont élevées), la
nature (droit naturel antique), le peuple (droit naturel moderne).
A) DIEU ET LA NATURE
Dans la conception de droit divin (celle, par exemple, de la monarchie
française de l’Ancien Régime) ou dans celle de nombreux peuples, Dieu est
considéré comme la source et le fondement uniques du droit. Le droit naturel
antique repose sur l’idée d’un droit fondamental respectant une règle de
nature; existence d’une règle de justice immuable, inscrite dans l’Univers à
laquelle, indépendamment des lois positives, les hommes doivent, dans leurs
rapports réciproques, se conformer.

A.1) Le droit naturel antique


Il existe un ordre objectif qui traverse le monde et qui inonde la conscience
elle-même. Cette notion de nature est alors entendue au sens d’un étalon qui
permet à la réflexion de transcender le réel, de dépasser la positivité des lois
pour la juger à partir de la considération du meilleur régime (= juste). La nature
est ainsi adoptée comme critère du juste, la norme étant l’ordre cosmique qui,
indépendant du sujet, constitue une dimension de l’objectivité. L’ordre du
monde est considéré, dans cette perspective, comme clos et circulaire,
hiérarchisé, finalisé.
Dès lors, est juste ce qui occupe la place qui lui revient, ce qui correspond à sa
fin naturelle; l’injustice est une violence faite à la nature. Les lois positives
doivent s’efforcer d’exprimer le plus adéquatement possible ce juste naturel à
la fois objectif (inscrit dans la nature des choses) et transcendant (la nature est
aussi une fin vers laquelle chaque chose doit tendre).
Le droit est alors la science du partage, de la répartition consistant à attribuer
à chacun ce qui lui revient. La justice est avant tout une justice distributive (cf.
Deuxième partie du cours sur l’idée de justice) consistant à déterminer ce qui,
en fonction de la hiérarchie naturelle du cosmos, revient à chacun. Aux
inégaux doivent revenir des parts inégales si cette inégalité est fondée en
nature. C’est ainsi qu’Aristote justifie l’esclavage en déclarant qu’il est fondé
en nature et qu’il est normal (naturel) que les plus intelligents commandent

35
aux moins intelligents, les hommes aux femmes, etc. L’inégalité est donc
fondée en droit au sens où tous ne peuvent pas revendiquer le même droit :
tout dépend de leur statut (place) déterminé par leur nature. Une constitution
injuste est celle qui détermine les statuts sans tenir compte de la nature des
êtres
A.2) Le droit divin
Le pouvoir de l'Etat, en ses origines, se fonde dans le Sacré. Le Sacré, insufflant
dans le pouvoir la permanence de la vie de l’Esprit, la pérennité d’une Essence
éternelle, s’efforce d’enraciner le pouvoir dans la continuité et la durée La
plupart des peuples anciens sont persuadés que leurs lois viennent d’une
autorité surnaturelle ou transcendante : ancêtres et fondateurs mythiques,
divinités diverses et innombrables, etc. Les Lois de Manou en Inde, la Torah
chez les Juifs, la Bible chez les chrétiens, le Coran chez les musulmans sont
censés être l’expression d’un ordre transcendant pris dans les deux sens de
l’organisation et du commandement ; et ces textes considérés comme sacrés
disent la loi. Exemple : Moïse reçoit de Dieu, sur le mont Sinaï, les Dix
Commandements, gravés sur la pierre,
- commandements qui sont la Loi fondamentale de son peuple.
L’injonction « Tu ne tueras pas » relève ainsi d’un interdit divin. De sorte que la
Loi est considérée comme divine et, à ce titre, elle est absolue, transcendante
et éternelle. La théorie du droit divin reprend et commente la parole de Saint
Paul : " il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent sont
constituées par Dieu " (Epïtre aux Romains, XIII). Les souverains, s'ils peuvent
bien être désignés selon des voies humaines, tiennent de Dieu, et non des
hommes, leur autorité. Dieu définit un fondement à l'exercice du pouvoir, et
n'intervient pas directement dans le mode de formation de l'Etat. Le droit divin
est donc compatible avec toutes les formes d'Etat et de gouvernement.
En fondant l'Etat en Dieu, le droit divin prétend le fonder en raison; le
pouvoir a donc un fondement et sort de l'arbitraire. Le pouvoir procède de
Dieu et s’enracine dans le Sacré. Le roi est, dans la monarchie de droit divin, le
représentant de Dieu sur terre. Le fondement divin fournit au pouvoir une
référence absolue et stable, face au devenir des choses. Dieu, immuable, se
reflète dans le pouvoir et lui apporte une assise éternelle. L’homme-roi est
envoyé de Dieu, pour le bien de l’Etat, et toute autorité, transcendant les

36
hommes, devient, dès lors, sacrée et absolue. La théorie du droit divin abouti
à une conception absolutiste de l'Etat. S'il n'y a, en effet, pas de pouvoir qui ne
vienne de Dieu, alors " celui qui résiste à l'autorité se rebelle contre l'ordre
établi par Dieu " (Saint Paul, ibid.). L'obéissance au souverain doit se faire sans
réserve et il ne saurait exister dans l'Etat aucune instance qui puisse de droit
contester ses décisions. La théorie du droit divin implique donc la négation du
droit de résistance et de la théorie de la souveraineté du peuple : si la
souveraineté à sa source en Dieu le ne saurait l'avoir dans le peuple.

B) LE DROIT NATUREL MODERNE : LE CONTRAT ET L'ETAT


Avec les temps modernes, l'Etat n'est plus conçu par rapport au religieux,
il n'est plus conçu, comme chez Aristote, comme naturel, l'homme étant un
"animal politique ", mais comme un artifice, le produit d'une convention
humaine : dans l'Etat s'exprime un contrat implicite passé entre les individus
qui acceptent son autorité. Dire du pouvoir civil qu'il résulte d'un contrat qui
fonde sa légitimité, c'est dire que l'autorité à sa source en des conventions
humaines. Le souverain n'est plus " Dieu sur la terre " mais un souverain
d'institution. Ce n’est pas la nature ou Dieu, mais la raison qui institue le droit,
précisément pour corriger la nature et pour combattre les excès des différents
droits positifs. C’est avec l’apparition de la problématique moderne du Contrat
social et de l’état de nature que la notion de légitimité devient inséparable de
celle de subjectivité : seule est alors tenue pour légitime l’autorité qui a fait
l’objet d’un contrat de la part des sujets qui lui sont soumis. La subjectivité
(l’adhésion volontaire) est dès lors clairement posée comme l’origine idéale de
toute légitimité.
B.1) La notion de contrat social
La notion de contrat renvoie d’abord à la sphère économique et juridique
des relations entre des personnes privées. Puis, avec la dénomination de
contrat social, cette notion prend un sens spécifiquement politique. C’est dans
le contexte des guerres de Religion qu’est apparue avec clarté la notion de
contrat social. Elle est élaborée par les monarchomaques, ensemble
d’écrivains politiques souvent protestants (Théodore de Bèze, par exemple)
qui, pour des raisons d’ordre théologique et religieux, ont combattu
l’absolutisme royal. Ces écrivains présentent le lien qui unit le roi et son peuple
37
comme un engagement mutuel. Ce contrat entre le roi et le peuple est pensé
sur un modèle théologique, à l’image de l’alliance biblique entre Dieu et son
peuple. Le pacte social est censé garantir les peuples contre les excès de la
tyrannie.
Les monarchomaques ont contribué à fonder l’idée d’un droit de résistance
légitime des peuples à l’égard des souverains tyranniques qui rompaient le
contrat de gouvernement. Mais ces théoriciens ne voient pas dans le contrat la
raison de la naissance des sociétés politiques et ne distinguent la souveraineté,
source de la légitimité du pouvoir, et le gouvernement qui en est l’exercice.
Avec l’école du droit naturel moderne, cette notion de contrat social va
considérablement se développer. Le contrat social va remplir alors une double
fonction : il désigne l’acte par lequel se constitue la société civile, ainsi que
l’acte par lequel s’institue le gouvernement.
Cette double problématique a conduit ces théoriciens à distinguer deux types
de contrat : le pacte d’association par lequel se constitue la société, et le pacte
de soumission par lequel le corps social se donne un chef. Les théories du
contrat social sont fondées sur l’idée que la vie en société est le fruit d’une
convention, et non la condition naturelle et originaire de l’homme.
Aux XVII e et XVIII e siècles, la plupart des philosophes qui entendent penser la
socialité humaine se réfèrent à l'hypothèse de l'état de nature. L'état de nature
désigne d'abord un état, opposé à la vie civilisée, dans lequel vivrait un homme
isolé et séparé de ses semblables. Il signifie ensuite ce qui s'oppose à la société
civile : un état d'indépendance et non d'isolement ou de solitude. Etat donc
dans lequel se trouvent les hommes avant l'institution du gouvernement civil,
lorsqu'ils ne sont encore soumis à aucune autorité politique.
La distinction d'un état de nature et d'un état civil permet de poser en ces
termes le problème politique : comment est-on passé d'un état naturel
d'indépendance à l'état civil dans lequel les hommes obéissent à une autorité
commune ? Cette notion d'état de nature a un lien étroit avec la théorie
contractuelle de l'Etat. Si l'état de nature est un état d'indépendance, nul n'est
par nature soumis à l'autorité d'un autre, les hommes naissent libres et égaux.
Hypothèse qui s'oppose notamment à la théorie du droit divin (cf. Supra).
Si les hommes sont naturellement différents en force, en talent, en intelligence,
ces différences ne confèrent pas pour autant le droit d'imposer aux autres sa
38
volonté ou de les soumettre à son autorité. Ainsi nul n'a reçu de nature le droit
de commander à autrui, de l'assujettir sans son aveu. Le peuple, dès lors, n'est
pas seulement le canal par lequel l'autorité est désignée, mais sa source,
l'origine et le fondement du pouvoir. Il ne peut donc y avoir de société libre que
si chacun accepte et intériorise le contrat qui le lie aux autres, sinon une partie
de la population imposera sa loi; les théories du contrat social s'opposent à
l'ordre politique traditionnel mais nient la possibilité d'une science de la société
: les phénomènes sociaux deviennent en quelque sorte transparents si chacun
accepte le mécanisme du contrat; de l'accord des volontés individuelles peut
naître une société idéale.
Dans cette perspective contractualiste, la cohésion sociale s'explique par un
point fixe exogène (extérieur) : le souverain chez Hobbes, la volonté générale
chez Rousseau (cf. Ci-dessous). Dans le modèle d'autorité fondé sur le contrat
social, en cas de défaillance du souverain ou de la loi, il n'y a plus de société
mais anarchie (guerre généralisée) et terreur.

B.2) L'Etat, un corps artificiel (Thomas Hobbes -1588-1679)


La philosophie politique va, à partir de Hobbes, s’attacher à comprendre
le passage de l’état de nature à l’état de société.
Qu’est l’homme à l’état de nature ? Il est entièrement libre au sens où sa
liberté est strictement coextensive à sa force. Son droit de propriété est sans
limites dans la mesure où il parvient à s’approprier tout ce qu’il désire. Liberté
et propriété sont équivalentes pour tous : chacun ayant autant de droit sur tout
que son voisin. En clair, la liberté et la propriété sans bornes ont pour
conséquence l’insécurité totale : chaque individu craint pour sa vie. L’état de
nature est un état de guerre perpétuelle de tous contre tous. Le passage à
l’état de société est alors le fruit d’un calcul rationnel : mieux vaut limiter sa
liberté si celle-ci, en retour, est protégée.
C’est un contrat qui fonde la société : chaque contractant abandonne sa
liberté et son droit à la propriété de toute chose à un tiers, en échange de la
garantie par ce tiers de la sécurité de sa personne, si et seulement si tous le
font en même temps. Le tiers constitué est l’Etat dont le pouvoir coercitif rend
la société possible. Chacun s’engage ainsi à renoncer à toutes les prérogatives

39
de sa liberté naturelle au profit d’un tiers – un homme ou une assemblée –
auquel il reconnaîtra une entière souveraineté, à condition que l‘autre en fasse
autant. Le souverain, bénéficiaire de ce pacte, n’est lié en aucune manière par
les sujets et il dispose d’un pouvoir absolu sur eux. Une fois institué, l'Etat,
doué alors d'une vie propre, doit soumettre, sans restriction aucune tous les
individus. Le contrat n’est pas passé entre les sujets et le pouvoir souverain,
mais entre tous les individus contraints de mettre fin à l’état de nature.
Le pouvoir peut gouverner comme bon lui semble. S’il ne veut pas susciter
révoltes et guerres civiles, le souverain doit néanmoins essayer d‘agir de
manière raisonnable et ne pas se laisser guider par l’arbitraire de ses caprices.
Son pouvoir est certes absolu mais il n'est pas sans conditions. Le contrat social
institue une souveraineté qui va concentrer en elle toute la puissance - la
puissance législative en particulier. Soumission de tous au souverain, seule
source du droit et de la loi. Pouvoir absolu et sans partage.
Cette construction contractualiste permet d’évaluer le fait à la lumière du droit.
Une société, aussi coercitive soit-elle, n’est légitime que si elle assure la
sécurité de ses citoyens. Le droit fondamental que pose Hobbes est un droit
rationnel : la sécurité, qui rend secondaires les revendications de liberté et de
propriété. Le premier des droits de l’homme est donc celui qui rend la société
possible et le pouvoir légitime. Un pouvoir qui supprime la liberté sans assurer
la sécurité est un pouvoir despotique et l’équivalent d’un retour à l’état de
nature. Dès lors, l'absolutisme hobbesienne doit être nuancé.
En pensant l'Etat sur le modèle mécanique de la logique des forces, l'Etat doit
reconnaître comme absolu le droit de l'individu à défendre sa propre vie,
même si le souverain possède le droit inconditionnel de mettre à mort un
citoyen quand cela lui semble bon. L'Etat ne peut supprimer le droit de nature,
ce qui laisse ouverte la possibilité pour les citoyens de détruire le souverain si
celui-ci met en péril leur vie. La logique de la construction hobbesienne
n'interdit donc pas de penser le droit à l'insurrection. Enfin, le souverain ne
garde sa légitimité que dans la mesure où il garantit la liberté d'entreprise et de
commerce des individus.

40
C. L'ETAT ET LA LIBERTE
L'idée de contrat recèle une contradiction interne. Elle affirme la liberté
naturelle de l'homme, mais, en même temps, elle expose le mécanisme par
lequel l'homme nécessairement doit renoncer à cette liberté. Le contrat est
volontaire, mais il semble impliquer l'abdication de la volonté libre. Or
Rousseau montre qu'on ne peut penser sans contradiction l'idée d'une
servitude volontaire. Comment, dès lors, concevoir l'Etat de telle manière que
l'homme puisse être pensé comme libre : " L'homme est né libre et partout il
est dans les fers ". Rousseau va s’opposer à Hobbes tout en demeurant dans la
tradition du droit naturel. Comme Hobbes, il pensera la société par rapport à
l’état de nature ; mais contre Hobbes, il refusera de considérer la sécurité
comme la fin essentielle du pacte social.
C. 1) Le conventionnalisme de Rousseau
L'ordre de fait n'a pas de légitimité naturelle; il est fondé sur des conventions.
Il faut donc déterminer ce que sont ces conventions. Ainsi est-il impossible de
fonder le droit sur la force; il est impossible de concevoir un droit d'esclavage
et, par conséquent, " on n'est obligé d'obéir qu'aux puissances légitimes ". La
puissance légitime est celle par laquelle un peuple se forme comme tel. La
démocratie entendue comme organisation autonome du peuple décidant de
son propre destin va donc être considérée comme l'essence même de toute
organisation politique. Contrairement à Hobbes, Rousseau pense que dans
l'état de nature (la situation hypothétique de l'homme hors de la société,
avant d’avoir été façonné par la société), l'homme n'est pas en guerre
permanente contre ses semblables.
Dans son état primitif, l'homme est un être solitaire qui se suffit à lui-même.
L'état de nature n'est ni une guerre générale (thèse de Hobbes), ni une vie
sociable (thèse d'Aristote), mais un état de dispersion et d'isolement. L’homme
vit naturellement solitaire, sans contacts autres qu’occasionnels avec ses
semblables. Les désirs de l'homme naturel sont bornés aux besoins physiques,
nécessaires, ses forces sont proportionnées à ses besoins et il peut de ce fait se
passer de l'existence de ses semblables. L’homme naturel n’est en fait qu’un
animal parmi d’autres. L’homme se distingue seulement des autres vivants par
sa perfectibilité, c’est-à-dire sa faculté de se perfectionner, d’acquérir de
nouvelles idées et de nouveaux comportements. La sociabilité n'est donc pas

41
une inclination naturelle, elle a été instituée par les hommes eux-mêmes. Sous
sa forme primitive, la sociabilité se ramène au sentiment de la pitié qui tient
lieu de sociabilité dans l'état de nature, qui en est comme le fondement.
C'est par la pitié que nous prenons conscience de l'identité de nature qui nous
unit aux autres hommes. Les deux seuls sentiments que l'on peut prêter en
effet à l'homme à l'état de nature sont l'amour de soi et la pitié : l’amour de soi
est le simple instinct de conservation, le souci qu’on a de soi-même, de sa
propre conservation, indispensable à tout être; il est antérieur aux attitudes
morales; sans lui aucune survie n'est possible. La pitié, « répugnance innée à
voir souffrir son semblable », qui tient lieu de lois, de mœurs et de vertu, parce
que l'homme naturel obéit à sa sensibilité et que c'est par sa sensibilité pour
des êtres sensibles qu'il éprouve de la pitié.
L'erreur de Hobbes est d'avoir transposé dans l'état de nature ce qui
caractérise l'état de société. « Il 'y a point de guerre entre les hommes, il n'y en
a qu'entre les Etats » (Discours sur l'inégalité). Ne pas confondre la guerre avec
une querelle quelconque ou une simple vengeance. L'état de guerre ne peut
avoir lieu entre les particuliers avant l'établissement de la propriété et la
constitution des sociétés civiles. La guerre n'a lieu qu'entre les Etats. Dans
l’état de société, ce n’est pas la sécurité qu’il faut sauvegarder (contre Hobbes)
mais la liberté. Et de passer de naturelle à civile, la liberté ne doit rien perdre.
Cette liberté conservée dans la société, c’est la liberté rationnelle (qui s’oppose
à la liberté désirante) - liberté qui se pense dans la réciprocité.
C. 2) La volonté générale et l'amour de la loi
En quoi consiste donc le " vrai fondement de la société " ? Il s'agit, nous dit
Rousseau, de " trouver une forme d'association qui défende et protège de
toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par
laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste
aussi libre qu'auparavant ". Comment à la fois s'unir à tous et rester libre,
c'est-à-dire n'obéir qu'à soi-même ? Réponse démocratique : dans la
constitution de la volonté générale. Le peuple est le fondement de toute
souveraineté, les individus n'obéissent dans l'Etat qu'à la volonté générale, aux
lois qui en sont l'expression. Rousseau va affirmer l’inaliénabilité de la liberté,
de sorte que le pacte social est pacte d'association, et non de soumission.
Toutes les clauses du contrat se résument à une seule : " l'aliénation totale de

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chaque associé, avec tous ses droits à toute la communauté ". L'aliénation doit
être totale pour qu'elle soit égale pour tous, sinon au moindre conflit
l'association se dégagerait : chaque associé se donnant à tous ne se donne à
personne et personne n'a perdu le contrat; chaque contractant reste aussi
libre avant qu'après.
MAIS CE N'EST PLUS LE MËME TYPE DE LIBERTE : DANS LE CONTRAT SOCIAL,
LES ASSOCIES ECHANGENT LEUR LIBERTE NATURELLE CONTRE LA LBERTE
CIVILE.
Il s'agit donc d'aliéner sa liberté naturelle en échange d'une liberté
conventionnelle. Dès lors, plus personne ne sera soumis à un particulier, plus
personne ne sera l'esclave d'un maître; la volonté qui s'exprimera dans l'Etat
sera toujours celle des citoyens. En effet, le contrat est entre soi et soi, soi
comme membre de la collectivité - citoyen -, soi comme individu particulier. Le
pacte social préserve la liberté des contractants car c’est avec eux-mêmes
qu’ils contractent, et non avec un autre. Chaque membre de la société à venir
contracte avec lui-même dans la mesure où il est déjà membre du corps social
en formation, du tout dont il fait déjà partie. Rousseau distingue donc
l’homme en tant qu’il est un individu privé, avec ses intérêts égoïstes, et le
citoyen, sujet et membre de l’Etat, qui n’obéit qu’à l’intérêt commun et à la
volonté générale. La condition fondamentale de légitimité du droit et du
pouvoir qui l’institut, c’est sa conformité à la volonté générale.
La souveraineté, en effet, n’est rien d’autre que « l’exercice de la volonté
générale ». Cette volonté générale ne doit pas être confondue avec la volonté
de tous. La volonté de tous est la dérive négative de la volonté générale : c’est
la domination des passions du grand nombre. Seule la volonté générale peut
créer l’unanimité alors que la volonté de tous devient vite la dictature du plus
grand nombre. Il faut donc entendre par volonté générale, non l’addition de
volontés particulières aveuglées par des intérêts privés, mais la recherche de
l’intérêt général. La volonté générale n’est pas la volonté de tous. Elle n’est pas
l’unanimité, ni la majorité (la majorité n’a pas toujours raison). La volonté
générale, qui dit le droit, la loi, n’est pas une somme d’opinions communes,
mais une intégration harmonieuse, une mise en accord de points de vue
différents ayant une visée identique (l’intérêt général). La volonté générale est
l’essence du peuple en tant que sujet produisant l’autorité légale. Seule la

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démocratie directe semble susceptible de ne pas trahir a priori la volonté
générale. Lorsque, par exemple, je dois, dans une assemblée, délibérer d'une
loi spécifique, pour former mon opinion, je dis me demander ce qui est
conforme au bien commun; si mon opinion particulière est minoritaire, je dois
me plier à la majorité, non en vertu d'une règle d'obéissance passive, mais
parce que ma véritable liberté ne réside jamais dans le fait de faire valoir ma
propre opinion mais dans l'idée que c'est la loi majoritaire qui doit gouverner.
Je dois considérer que l'application de la loi du plus grand nombre est
préférable au triomphe de ma propre position contre la majorité. Rousseau
n’invite pas à l’unanimisme mais à désinvestir le champ de la discussion
politique de sa charge passionnelle. De plus, le contrat rousseauiste rend
possible et présuppose un impératif catégorique et fait entrer l’homme dans la
moralité ; la détermination des principes de l’action politique repose sur un
principe d’universalisation qui est la condition de la stabilité du contrat. La
formule clé de la philosophie politique de Rousseau est finalement l’amour de
la loi parce que l’homme libre est celui qui obéit à des lois et non aux ordres et
aux prescriptions d’un autre homme. Enthousiasme de Rousseau pour « la
force et la dignité de la loi ».
C. 3) Intérêt et actualité de la théorie du contrat social
Nous avons vu que l’idée de contrat renvoie à un difficile problème : comment
concevoir l’Etat de telle manière que l’homme puisse être pensé comme libre ?
Comment, en somme, conjuguer la liberté de l’homme avec l’obéissance à la
loi, sans laquelle il n’y a pas de vie sociale paisible ? Comment intégrer dans la
communauté politique les libertés individuelles, sans que cette intégration se
fasse de façon inégalitaire, les uns jouissant de droits dont les autres sont
privés ? Le contrat social de Rousseau n’est ni descriptif ni explicatif, mais
normatif. Il s’agit de déduire a priori les fondements de l’autorité légitime, en
distinguant le droit du fait. Ainsi Rousseau a-t-il montré qu’on ne peut penser
sans contradiction l’idée d’une servitude volontaire, que l’ordre de fait n’a pas
de légitimité naturelle mais qu’il est fondé sur des conventions, qu’il est du
coup impossible de concevoir un droit d’esclavage et de fonder par là même le
droit sur la force. De sorte qu’on n’est obligé d’obéir qu’aux puissances
légitimes. L’apport principal du Contrat social de Rousseau réside dans
l’élaboration d’une définition du peuple comme individualité libre.

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A noter que le droit naturel moderne a fourni le fondement philosophique de
la notion générale des droits de l’homme puisque l’individualité libre est le
fondement et la limite de l’autorité. Les trois finalités de la vie en société sont
la sécurité des personnes, celle des biens (garantie de la propriété), ainsi que la
liberté. La société issue du pacte social n’est pas une simple association
d’individus, unis en vue de la préservation de leurs intérêts égoïstes. La société
est une communauté de citoyens qui sont tous membres du corps social et qui
ont en vue le bien commun.
La notion de corps, nous l’avons vu, à un sens organique. Le pacte social n’est
pas un pacte d’aliénation, par les individus, de leur liberté au profit de quelque
entité politique que ce soit. La liberté est inaliénable ; elle est à la fois le
fondement et la finalité de la communauté politique. Le contractualisme reste
encore d’actualité, malgré son éclipse au XIXe siècle et la critique de la théorie
rousseauiste. John Rawls, par exemple, en tentant d’articuler le problème de la
liberté politique et de la justice sociale, tente de définir les conditions d’une
organisation sociale acceptable par tout individu raisonnable, placé, non plus
dans un état de nature, mais sous le « voile d'ignorance ». Chez Rawls , le
contrat social ne consiste pas seulement dans l’acceptation d’un pouvoir
commun capable d’assurer la cohésion sociale, mais aussi dans un accord
central sur les principes de répartition des positions économiques et sociales.
Le contrat social est donc une idée régulatrice, à la manière kantienne, mais
Rawls essaie de lui donner un contenu social concret en posant la question du
partage équitable des avantages économiques et sociaux.
Un deuxième aspect du renouveau du contractualisme concerne les relations
internationales. Dans la version classique du contrat, l’état de guerre, à
l’intérieur de l’espace géographique et humain concerné, est aboli, mais il
persiste dans les relations internationales. Or, les organisations internationales
apparaissent comme des constructions conventionnelles dans lesquelles
chaque Etat limite volontairement sa souveraineté en vue d’assurer une plus
grande stabilité pour tous. Les penseurs du contrat sont à nouveau revisités,
vu la difficulté d’articuler le niveau de la nation et le niveau des organisations
supranationales, comme le montrent les problèmes de la construction
européenne, par exemple.

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D) LES CRITIQUES DU CONTRAT SOCIAL
Dans le contractualisme, la société politique est construite par libre
convention; l'idée de contrat, nous l'avons vu, est fondée sur celle d'un droit e
nature appartenant à l'individu, d'où découle l'autorité de la loi. Or le
contractualisme achoppe à plusieurs difficultés : les individus sont considérés
comme des atomes isolés, munis d'une raison calculatrice, et dont la rencontre
produit le social comme effet. Or y a-t-il un sens à parler d'individus en dehors
du nœud des relations qui le constituent et qui sont d'emblée des relations
sociales ? Le contractualisme suppose en outre une première convention qui
est une fiction logique mais aussi peut-être un mythe présupposant en même
temps les droits naturels de l'homme et la renonciation des individus à ces
droits au nom de la première convention. La notion de contrat social va subir
les critiques des libéraux, des contre-révolutionnaires, des anarchistes verront
en Rousseau le théoricien de la terreur jacobine et qui accuseront les théories
contractualistes d’irréalisme et de confusion entre l’Etat et la société civile.
D. 1) Le contrat social, une construction logique abstraite
Dans le Discours sur l’origine de l’inégalité, Rousseau a établi qu’il n’existe
aucune inégalité naturelle légitime et que l’inégalité n’est que le résultat d’un
premier état social, non contractuel. Pour que le contrat fonctionne, il faut que
les inégalités de fortune, de position hiérarchique soient, sinon abolies, du
moins sévèrement limitées. Or, loin d’être un précurseur des théories
socialistes, Rousseau conçoit l’organisation économique sur le modèle de
l’initiative individuelle et de la propriété privée des moyens de production. La
république rousseauiste est une république des producteurs libres. Dans une
telle république, la vertu civique doit être plus forte que les appétits égoïstes
et les besoins doivent être limités. Une telle position est-elle possible
pratiquement ? Le reproche majeur fait à Rousseau est que le contrat social
n’est qu’une construction logique abstraite sans rapport avec la vie réelle des
peuples. Le contrat social suppose à son origine la participation effective de
tous les citoyens. Le modèle de Rousseau est celui d’une démocratie directe
dans laquelle le peuple lui-même, et non ses représentants, exerce le pouvoir
(souvenir de la démocratie athénienne). Le contrat rousseauiste ne pourrait
46
valoir pour les grandes nations modernes et pour les unions de nations. Mais
Rousseau lui-même laisse ouvertes d’autres possibilités. Il y a, en effet, d’un
côté la loi fondamentale – la constitution – qui définit les termes du contrat,
laquelle doit être le produit de la réunion de toutes les volontés. Il y a aussi,
d’un autre côté, les lois courantes, dont la décision peut être laissée aux
représentants élus du peuple, qui agissent, entre deux élections, comme ses
mandataires. Il est donc possible, à partir de la matrice rousseauiste, de
construire une théorie de la démocratie parlementaire représentative. Le
problème de la démocratie directe est déplacé vers le problème des modalités
pratiques d’exercice de la démocratie directe (référendum, par exemple) et de
contrôle des représentants par le peuple

D. 2) Le couple société-Etat
Autour de la Révolution française apparaît l’idée selon laquelle la société civile
aurait une consistance propre, une existence indépendante de son institution
par une quelconque volonté. Critique libérale de Rousseau, telle qu’elle se
manifeste chez Constant notamment. Pensée libérale de l’autonomie du social
qui rend possible la distinction des droits-libertés (antiétatiques) et des droits-
créances (impliquant l’intervention de l’Etat), comme nous le verrons dans la
dernière partie du cours sur les droits de l’homme. L’opposition Constant-
Rousseau se cristallise autour de quelques grands thèmes :
 L’idée de volonté générale, c’est-à-dire d’une maîtrise de la société par
l’homme (notion de souveraineté du peuple) crée les conditions de possibilité
d’une dictature nouvelle : la volonté du peuple étant le seul et unique principe
de légitimité, il suffit qu’elle soit détournée à leur profit par une assemblée ou
un homme pour qu’ils se voient investis d’un pouvoir illimité.
 La réalité des sociétés modernes possède une consistance propre, elles
n’existent pas grâce au pouvoir politique, mais c’est ce pouvoir politique qui
existe par elles : ce n’est pas grâce aux lois que les individus entrent e relation
entre eux, mais ce sont les lois qui sont l’expression de relations qui leur
préexistent. D’où la séparation entre la société et l’Etat. Dès lors, sur fond
d’une adhésion commune aux présupposés subjectivistes du droit naturel
moderne, trois modèles de théorie politique se mettent en place au XIXe siècle

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autour du couple central société-Etat, trois types de discours qui rebondissent
sur le problème des droits de l’homme :
1. la réduction de la société à l’Etat (projet d’un socialisme étatique, que
certains qualifient de totalitaire, au sein duquel l’Etat est l’instance qui
organise, contrôle et absorbe la société);
2. la réduction de l’Etat à la société (projet anarchiste d’une suppression
totale de l’Etat au profit d’une société harmonieuse);
3. la coïncidence entre la société et l’Etat est impossible (projet libéral).
Ces trois modèles politiques sous-tendent trois types de discours sur les
différents types de droits de l’homme, comme nous allons le voir dans la partie
suivante :
1. un discours libéral (les droits de l’homme sont réduits aux seuls droits-
libertés et constituent les fondements d’une limitation de l’Etat);
2. un discours socialiste d’inspiration marxiste qui fait des droits-
créances, et de l’intervention étatique, un préalable à la réalisation des droits-
libertés (qui sont considérés comme secondaires);
3. un discours anarchiste qui dénonce ces deux types de droits en tant
qu’ils supposent en quelque façon l’Etat

CONCLUSION :
Le contrat social est donc un modèle de légitimité politique qui va nous
permettre de penser le fondement de l'Etat de droit et de l'Etat démocratique.
Rousseau, en particulier, expose dans toute son ampleur la question des
rapports entre la loi, la liberté et l'égalité, sans donner une réponse
entièrement satisfaisante, comme on le voit à travers les nombreuses
critiques qui ont été adressées à sa conception. Nous allons voir, à partir de la
matrice rousseauiste, que si la source de la souveraineté réside dans le peuple,
cela ne signifie nullement que l'exercice de la souveraineté lui revient.
I) L'ETAT ET LA DEMOCRATIE
Qu'est-ce qui caractérise réellement le pouvoir de l'Etat ? L'Etat a-t-il tous les
pouvoirs ? Quelles en sont les limites ? Dans quelles conditions l’Etat est-il
légitime et l’obéissance exigible ? A contrario, à quoi reconnaît-on la perte de

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légitimité d’un Etat ? Par quels moyens est-il possible d’établir ou de garantir
l’existence d’un Etat légitime ? La démocratie n'est-elle pas finalement le
meilleur des régimes ?
A) LES POUVOIRS DE L'ETAT
Quelles sont, en premier lieu, les caractéristiques distinctives du pouvoir de
l'Etat par rapport à d'autres formes de pouvoir ?
A.1) La souveraineté
La première caractéristique distinctive du pouvoir de l’Etat, c’est sa
souveraineté. L’Etat dispose de pouvoirs souverains en cela qu’il n’existe pas
de pouvoirs supérieurs ou égaux aux siens sur le territoire sur lequel il exerce
son pouvoir. Cela signifie d’une part qu’il exerce son pouvoir sur tous sans
distinction et de telle sorte qu’il n’y ait aucun pouvoir qui puisse le contredire
ou s’opposer à lui sur le territoire sur lequel il exerce son pouvoir. Cela signifie
que là où l’Etat a un pouvoir, son pouvoir est souverain. La souveraineté se
traduit par l’unité et la concentration des lieux de pouvoir, de l’exercice du
pouvoir. L’autorité légale de l’Etat suppose l’unification intérieure d’un
patrimoine territorial collectif, ainsi que des limites géographiques à l’exercice
de cette autorité, c’est-à-dire des frontières. Pas d’Etat sans territoire (cf. Le
contentieux israélo-palestinien). Toute territorialisation étatique définit un
espace centré et homogène : existence d’une capitale administrative garante
de l’unité politique et d’un espace juridique commun (même monnaie, armée
nationale, langue officielle commune, etc.). L’Etat a seul le pouvoir de fixer des
règles de comportement et d’en imposer légitimement le respect. Selon Max
Weber, en effet, l’Etat est l’institution qui revendique avec succès pour son
propre compte le “monopole de la violence physique légitime”. Par légitimité,
il faut entendre la qualité du pouvoir dont l’acceptation se fonde non sur la
coercition comme ressource première, mais sur le consentement réputé libre
de la population. La souveraineté du pouvoir de l’Etat implique que l’Etat n’est
lui-même soumis qu’aux limites qu’il s’impose à lui-même. Il peut donc passer
outre ce qu’il exige de ceux sur lesquels ils exercent son pouvoir, puisque
souverain il n’a de compte à rendre à personne.
Ce qui peut se traduire par ce qu’on appelle des abus de pouvoir, c’est-àdire
par l’usage de ses pouvoirs au-delà des limites dans lesquelles il est sensé agir.
Ces abus de pouvoir sont souvent expliqués et justifiés par ce qu’on appelle la
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raison d’Etat, c’est-à-dire que dans certaines circonstances qui mettent en jeu
la sécurité de l’Etat, ses intérêts, son influence, sa puissance, ses secrets, l’Etat
s’autorise à recourir à des moyens d’action qu’il interdit aux individus et cela
pour sa propre sauvegarde. Exemples : terrorisme d’Etat, atteinte aux libertés
publiques. Si la souveraineté est un trait fondamental, mais qui tend à
s'estomper : les transferts et les abandons (souverains) de souveraineté à des
niveaux infra-étatiques ou extra-étatiques tendent à limiter, voire annuler tout
à fait cette souveraineté. Ce qui se traduit par exemple par la possibilité offerte
aux individus de s'opposer aux Etats auxquels ils appartiennent, par la cour
européenne des droits de l'homme par exemple, ou pour une entreprise, par
l'intermédiaire de l'Etat auquel elle appartient de s'en prendre à un autre Etat,
comme c'est possible avec l'O.M.C. (Organisation Mondiale du Commerce).
A. 2) L’institutionnalisation
Les pouvoirs dont disposent les hommes d’Etat ou ceux qui sont mandatés par
l’Etat pour les exercer ne leur appartiennent pas et ne disparaissent pas avec
eux. Ils ont une durée qui dépasse celle des détenteurs du pouvoir, une
continuité dans le temps en dépit des changements de personnes. Cette
caractéristique de l’Etat est déterminée par son caractère institutionnel : ceux
qui disposent d’un pouvoir en disposent au sein d’une institution ou grâce à
une institution qui les dépasse et en vertu de laquelle ils ont ce pouvoir.
Cela signifie que les pouvoirs dont ils disposent ne sont pas des pouvoirs qu’ils
possèdent en propre, dont ils ont la propriété, mais que ce pouvoir appartient
à l’institution au sein de laquelle ils sont et en laquelle ils ont un statut
particulier et une fonction déterminée. Un fonctionnaire de police ne dispose
pas personnellement des pouvoirs qu'il a : il en dispose en tant que
fonctionnaire, donc en tant que l'institution policière lui a confié ce pouvoir et
tant qu'elle peut le lui ôter. Mais qu’est-ce qu’une institution exactement ?
Une institution, c’est quelque chose que les hommes ont institué, c’est-à-dire
crée, décidé et qui détermine des usages, les comportements. Ici, ce sont des
organisations, des organismes, des structures hiérarchisées (comme une
armée) par lesquelles l’Etat exerce son pouvoir propre. L’ensemble des
administrations sont à ce titre des institutions : police, armée, fisc, Justice...
Mais, plus largement, les structures même de l’Etat, son régime, son
organisation sont des institutions, politiques celles-là. On comprend en ce sens

50
qu’il est possible de détenir un pouvoir par l’appartenance à une institution,
par un statut et une fonction à l’intérieur d’une institution. Ainsi, grâce à la
durée de l’institution elle-même, l’Etat peut-il assurer sa propre durée, sa
pérennité. Ce qui est ici important, c’est que le caractère institutionnel de
l’Etat s’accompagne presque toujours d’une législation et donc d’une
légalisation de l’Etat. Pourquoi ? Parce que la loi est précisément le moyen par
lequel l’Etat s’institutionnalise, se donne une structure, une organisation, ainsi
qu'un régime (sous la forme d’une constitution, c’est-à-dire de lois dites
fondamentales). Sans quelques lois, décrets, décisions définitives du pouvoir, il
n’y a pas d’Etat.
Or, c’est par la loi que l’Etat crée des institutions, les organise et les fait agir de
telle sorte qu’elles soient l’expression même de son pouvoir sur l’ensemble
des individus. Sans administration, il ne peut y avoir d’Etat. Mais si on obéit à
la loi parce qu'elle est la loi, alors on n'obéit à personne, et si on n'obéit à
personne, on n'agit pas sous l'effet d'un pouvoir qui nous ferait faire ce qu'on
fait, on agit parce qu'on juge que c'est ce qui est le mieux, y compris si cela
doit nous coûter quelque chose. On se sent obligé sans être "contraint" de
faire sous la menace par exemple. Se sentir obligé voulant dire que nous
ressentons la nécessité de faire telle ou telle chose non pas parce que nous
sommes inviter à le faire par quelque chose d'extérieur (une menace, une
autorité, un discours), mais parce que nous sommes intimement,
intérieurement convaincus d'être en présence d'un principe qu'il ne faut pas
transgresser. En résumé, les pouvoirs de l'Etat se distinguent des pouvoirs
sociaux en cela qu'ils sont souverains et institutionnalisés.

B) LES LIMITES DU POUVOIR DE L'ETAT : L'ETAT DE DROIT ET LA DEMOCRATIE


Si l'Etat exerce le pouvoir souverain et possède le monopole de la violence
légitime, a-t-il, doit-il pour autant avoir tous les pouvoirs ? Quelles sont les
limites de son pouvoir ? Or, pour limiter le pouvoir de l'Etat, peut-on s'en
remettre à l'Etat ? S'il faut limiter le pouvoir de l'Etat, quelle instance, quel
pouvoir seront habilités à le fixer ? L'Etat peut-il être à la fois ce qui limite et ce
qui est limité ? Si l'on laisse à l'Etat seul le soin de déterminer ces limites,
quelle garantie avons-nous que ces limites ne seront jamais franchies ?

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B.1) La notion d'Etat de droit
En premier lieu, ce sont les limites - ce qui délimite, ce qui restreint, ce qui
contient à l'intérieur d'un espace particulier - que l'Etat s'impose qui confèrent
à l'Etat sa véritable nature : un Etat ne peut pas prétendre tout régenter (sauf
l'Etat totalitaire), sans se diluer et se condamner à l'impuissance. Ensuite, les
limites de l'Etat sont imposées par le droit lui-même et par la séparation entre
la sphère de l'existence privée et celle de l'existence publique (l'Etat totalitaire,
en revanche, confond ces deux sphères).
L’Etat de droit répond à deux nécessités : accorder au citoyen un statut
juridique qui soit en accord avec le respect de la personne humaine; limiter
autant que possible le Pouvoir, le soumettre à des règles impartiales et
impersonnelles, afin que les individus qui l’exercent ne puissent en abuser.
L'Etat de droit désigne ainsi une structure juridico-éthique s’attachant à la
dignité humaine et supposant la mise à distance de l’Etat de police dans lequel
les autorités gouvernementales et administratives agissent à leur guise et où
existe parfois une “police politique” habilitée à intervenir sans tenir compte de
la loi et des règlements.
L'action de l’Etat doit être soumise, au même titre que les particuliers, au
respect du droit positif; ce respect est sanctionné en dernier ressort par un
juge. Un Etat de droit est un Etat fondé sur une constitution. Placée au sommet
de l’organisation politique d’une communauté, elle fixe sa structure politique,
détermine les modalités selon lesquelles les différents groupes peuvent
prétendre accéder au Pouvoir et définit la constitutionnalité des lois, des traités
et des engagements internationaux.
La Constitution définit les règles de l'exercice du pouvoir, celles de son
acquisition; elle définit les conditions de la modification de toutes les lois
existantes. Dans le système constitutionnel, la loi règle et limite la liberté
d’action du gouvernement, les tribunaux sont indépendants. Le citoyen peut
faire valoir ses droits contre les prétentions et l’arbitraire du gouvernement ou
de l’administration. Dans l’Etat autocratique, au contraire, le citoyen ne dispose
d’aucun recours légal contre les actes de l’administration. Ce recours, dans un
Etat de droit, existe soit devant les tribunaux ordinaires, soit devant des cours
spéciales. Le citoyen peut obtenir du gouvernement ou de l’administration, si
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sa plainte aboutit, soit qu’une mesure illégale soit invalidée, soit qu’un tort soit
redressé (dommages-intérêts, restitutions…). L’indépendance du juge est
l’autre nom de la souveraineté de la loi. Dans les limites de ses fonctions, le
juge est supérieur à tout autre organe de l’Etat, il peut donner des ordres à
tous les organes de l’Etat. Il ne reçoit d’instruction d’aucune autre autorité et
dépend exclusivement de la loi.
Le contrôle de l’activité du juge revient à d’autres juges, non au gouvernement
ou à l’administration. Partage du pouvoir à tous les échelons : le pouvoir de
l’Etat de droit désigne une puissance partagée, à l’opposé du pouvoir totalitaire
concentrant toutes les puissances dans les mains. La séparation des pouvoirs,
théorisée par Montesquieu, repose sur l'idée réaliste qu'il est impossible de
s'en remettre à la probité collective ou à la probité individuelle. Montesquieu
parle d'ailleurs plutôt de distribution des pouvoirs : " Pour qu'on ne puisse
abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le
pouvoir." Cette séparation n'est pas indépendance, division mais
interdépendance des pouvoirs.
Chaque pouvoir doit fournir à un autre pouvoir sa parade. (Montesquieu,
L'esprit des lois, IX, 4). Existence de contre-pouvoirs permanents (partis
politiques, d’opposition, syndicats, etc…) résistant au pouvoir et garantissant la
survie d’un Etat non totalitaire, sans parti unique ni contrôle autoritaire sur les
personnes.
B.2) République et démocratie
Etymologiquement, la république est la chose publique. Le mot désigne bien
davantage : une forme d'organisation de la société, et de l'Etat, dans laquelle le
pouvoir appartient à tous, au moins en droit, et s'exerce, au moins en principe,
au bénéfice de tous.
C'est le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple - même si ce pouvoir
s'exerce le plus souvent par l'intermédiaire de représentants élus. La
république est donc une démocratie, mais radicale. Une démocratie peut très
bien avoir un roi, si le peuple le juge bon ou l'accepte (exemples de l'Angleterre
et de l'Espagne, où le peuple, non le roi, qui décide de la politique suivie et
même du maintien ou non de la monarchie). Mais, dans ce cas-là, ce n'est pas
une république : une partie du pouvoir - le choix du monarque - échappe au
peuple.
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On entend donc par « république » un Etat non monarchique, fondé sur le
principe de la souveraineté populaire. La république, en un sens
constitutionnel, est une démocratie où tout le pouvoir appartient au peuple et
ne s'exerce que par ses élus : la France, les USA ou l'Allemagne sont des
républiques; l'Angleterre et l'Espagne, non. Qu'entend-on alors par
démocratie ? En une première acception, le régime où le peuple est souverain.
Type d’organisation politique dans laquelle c’est le peuple, c’est-à-dire
l’ensemble des citoyens sans distinction de naissance, de richesse ou de
compétence, qui détient, ou qui contrôle, le pouvoir politique. C’est le peuple
qui choisit ses gouvernants et sanctionne leur action; ce choix s’effectue parmi
l’ensemble du peuple : chacun peut, en droit, se lancer dans la compétition
politique. Souveraineté du peuple ne signifie pas en premier lieu, que le peuple
gouverne, ni même qu'il fait la loi, mais que nul ne peut gouverner ou légiférer
sans son accord ou hors de son contrôle. Démocratie s'oppose à monarchie
(souveraineté d'un seul), aristocratie (souveraineté de quelques-uns), anarchie
ou ultralibéralisme (pas de souverain). Dès lors, n'est pas démocratique
n'importe quel pouvoir issu du peuple, mais seulement un pouvoir qui
n'impose pas des lois arbitraires, ce qui suppose la préservation de la liberté
d'opinion et de jugement. La démocratie est d’abord une forme de
gouvernement. On peut distinguer la démocratie directe (lorsque le peuple, par
exemple, est appelé à se prononcer par voie de référendum) et la démocratie
représentative (où le peuple gouverne par le truchement de représentants élus
ou désignés). Il faut également distinguer le régime démocratique présidentiel
(lorsque le chef de l’Etat possède plus de pouvoirs que le parlement, comme
aux USA), le régime parlementaire (quand il y a équilibre des pouvoirs entre le
gouvernement et le parlement), le régime d’assemblée (lorsque le parlement
impose sa volonté au gouvernement, exemple de la IVe République en France).
Cinq traits sont caractéristiques de la démocratie occidentale :
 La souveraineté du peuple qui s’exprime notamment, dans les
démocraties représentatives, par le choix des gouvernants qui procède
d’élections libres (liberté de candidature, libre formation et fonctionnement
des partis politiques, liberté de suffrage, liberté du scrutin, etc.).
 L’exercice du gouvernement appartient à la majorité.  Reconnaissance,
par la majorité, des droits de la minorité, qui constitue une forme centrale de

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contre-pouvoir (droit pour l’opposition à la libre critique, droit, à la suite de
nouvelles élections, à l’alternance du pouvoir).
 Le constitutionnalisme : les pouvoirs publics, comme les citoyens, sont
tenus au respect de la Constitution;
 Garantie accordée aux droits fondamentaux des citoyens : application
de l’Etat de droit. Se pose alors ici le problème de l’éducation du citoyen. Une
démocratie exige des citoyens un certain sens de l’universel, la capacité
d’adopter des principes d’action acceptables par tous, correspondant à l’intérêt
de la communauté dans son ensemble. Elle leur demande une forme de
moralité que le XVIIIe siècle appelait vertu. La démocratie est cet Etat qui
éduque les hommes, par ses lois, ses institutions, l’esprit qui les anime, dans
lequel les individus s’humanisent en apprenant à constituer une véritable
communauté, fondée sur le refus de la violence et de l’arbitraire.
Il s’agit de former des citoyens actifs, assumant leur statut de “
gouvernants en puissance “ : la discipline et l’acquisition des comportements
fondamentaux doivent préserver et renforcer le libre exercice du jugement
individuel; éducation du jugement politique comme éducation à la discussion :
c’est par la confrontation des points de vue que l’individu échappe à
l’étroitesse de ses propres opinions pour accéder à une conception d’ensemble
des problèmes et de l’intérêt de la communauté. En somme, l’éducation des
citoyens actifs doit donner les moyens - l’information, la méthode, le pouvoir -,
le goût et l’habitude de la participation à la discussion.
B.3) Les difficultés de la démocratie : la démocratie, forme ou critère ?
On peut se demander dans quelle mesure les démocraties occidentales
correspondent à cette définition de la démocratie et de l’éducation du citoyen :
pseudo démocraties qui sont en fait des aristocraties, des oligarchies ou des
“médiocraties” (démocraties gouvernées, non par de véritables hommes d’Etat,
mais par des médiocres obsédés par des intérêts partisans), le pouvoir réel de
décision échappant au citoyen; beaucoup d’individus se désintéressent
totalement des problèmes politiques : on parle d’une crise de la citoyenneté et
de la politique qui est aggravée par la crise économique et les phénomènes de
marginalisation; pour mener une vie “publique”, il faut disposer de temps, de
ressources financières, se faire reconnaître au sein d’un parti, d’un syndicat,

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d’un groupe de pression, acquérir de l’influence et de l’autorité poids des
institutions, des “appareils”, des positions acquises; etc.

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