la-vie-et-demie-119
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Si la dénonciation des régimes tyranniques n'est en rien chose nouvelle à la fin des
années soixante-dix, et les «modèles» si nombreux, Sony Labou Tansi apporte à sa
diatribe une virulence jusqu'alors inédite sous cette forme. Il situe son action au
coeur d'un imaginaire délirant et alimente et pimente son récit d'une riche invention
sémantique et syntaxique. Le romancier congolais multiplie les néologismes et les
associations de mots inhabituelles et intègre dans son écriture des éléments
empruntés aux langues africaines. Ses personnages deviennent des "pistolégraphes ,
ils "gestent", ils «fatiguent le chiffre"avant de "mourir leur mort"...
Sony Labou Tansi fait feu de toute raison et avec cette "fable qui voit demain avec
des yeux d'aujourd'hui", selon les mots qu'il emploie pour définir son propos, le
romancier bouleverse les données temporelles et place son roman au registre du
burlesque, du grotesque et de l'énorme. Le Guide Suprême mourra à l'âge de 133 ans
et le Rebelle viendra d'outre-tombe fleurir 72 fois sa tombe? Mais pour mieux se
convaincre de la démarche créatrice de l'auteur, il suffit de lire son « avertissement »
placé en début de roman : « La Vie et demie, ça s'appelle écrire par étourderie. Oui.
Moi qui vous parle de l'absurdité de l'absurde, moi qui inaugure l'absurdité du
désespoir, ? à une époque où l'homme est plus que jamais résolu à tuer la vie,
comment voulez-vous que je parle sinon en chair-mots?de-passe ? ? Et à l'intention
des amateurs de la couleur locale qui m'accuseraient d'être cruellement tropical et
d'ajouter de l'eau au moulin déjà inondé des racistes, je tiens à préciser que La Vie et
demie fait ces taches que la vie seulement fait?».
Après ce premier roman, Sony Labou Tansi a poursuivi sa carrière en alternant les
textes romanesques (L'Etat honteux, L'Anté-peuple, Les sept solitudes de Lorsa
Lopez, Les Yeux du volcan et jusqu'au dernier, posthume, Le Commencement des
douleurs) et les pièces de théâtre (parmi lesquelles Je soussigné cardiaque, La
Parenthèse de sang, Antoine m'a vendu son destin, Qui a mangé Madame D'Avoine
bergota ?, Une chouette petite vie bien osée) qu'il mettait en scène à Brazzaville
avec sa troupe le Rocado Zulu Théâtre, avant de les présenter sur les scènes
africaines et occidentales.
Décédé en 1995, à l'âge de 48 ans, Sony Labou Tansi a été ce météore fulgurant qui
a incontestablement compté dans la destinée littéraire de bon nombre de ses cadets
et qui a bouleversé durablement les lettres africaines en ouvrant la fenêtre de bien
des possibles.