Pauline Ouedraogo

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APPROCHE SEMIO-NARRATIVE ET PRAGMATIQUE

DE « L’AVENTURE AMBIGUË » DE CHEIKH


AMIDOU KANE : LES MANIFESTATIONS D’UNE
CULTURE DESARTICULEE

Pauline OUÉDRAOGO
Léonard NABALOUM
Université Joseph Ki-Zerbo
paulineprincess99@gmail.com

Résumé
La présente analyse se donne pour objectif de décrypter le roman « L’aventure ambiguë » de Cheikh
Amidou KANE en vue de découvrir son rapport avec la réalité socio-culturelle de l’Afrique de l’ouest
dont le Burkina Faso. Nous emploierons la sémiotique narrative de Greimas mais aussi la pragmatique
d’Austin, de Morris et de Ducrot en décrivant d’une part l’être de ce personnage et en le comparant à
celui des populations éprouvées par l’insécurité, les instabilités politiques, les problèmes d’indépendance
d’autre part. Il s’est agi de décrire les conditions d’existence du personnage principal, « Samba Diallo »,
victime de son hybridité culturelle, notamment africaine et occidentale. Nous avons pu monter les
conséquences de la rencontre entre l’Afrique et l’Europe. Ces conséquences sont positives mais aussi
négatives. Notre étude a mis en évidence le rapport entre le malaise de Samba Diallo du fait de sa culture
matinée avec le malaise des populations africaines malgré les indépendances depuis 1960. Ainsi, nous
estimons, qu’à l’image de Samba Diallo, l’Afrique n’est pas parvenue à assimiler sa condition de peuple
à culture métissée. Êtres mi-africains et mi-européens, les populations de l’ex-Afrique occidentale française
manifestent des comportements similaires à ceux du personnage principal de L’aventure ambiguë.

Mots-clefs : sémio-narrativité, pragmatique, culture hybride, Greimas, aventure ambigüe.

Summary
Semio-narrative and pragmatic approach of " L’aventure ambiguë " of Cheikh
Amidou KANE : the consequences of a hybrid culture.

We aims to decipher the novel " L’aventure ambiguë " of Cheikh Amidou KANE in order to discover
its relationship with the socio-cultural reality of West Africa including Burkina Faso. We will use the
narrative semiotics of Greimas but also the pragmatics of Austin, Morris and Ducrot in order to achieve
our objectives by describing on the one hand the being of this character and comparing it to that populations
tested by insecurity, political instability, problems of independence on the other hand. It was a question of
describing the living conditions of the main character, "Samba Diallo", victim of his cultural hybridity,
in particular African and Western. We were able to show the consequences of the meeting between Africa
and Europa. These consequences are positive as well as negative. Our study has highlighted the
relationship between the uneasiness of Samba Diallo because of his mixed culture with the unease of the
African populations despite independence since 1960. Thus, for us, like Samba Diallo, Africa did not
succeed in assimilating its condition as a people with a mixed culture. Being half-African and half-

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European, the populations of the former French West Africa manifest behaviors similar to those of the
main character of « L’aventure ambiguë ».

Keywords : semio-narrativity, pragmatic, hybrid culture, Greimas, aventure ambiguë.

Introduction

La communication constitue le fondement des relations


humaines du fait que l’homme est un être de société. L’homme, de
l’expression de ses sentiments à l’expression de ses principaux besoins
tout comme celle de la manipulation des autres, passe par la
communication.
L’œuvre dont il est question dans notre étude est un message
écrit dans un contexte d’analphabétisme dans plusieurs pays d’Afrique
dont le Burkina Faso. Il est par conséquent évident que le message que
son auteur a voulu passer n’a pas suffisamment atteint sa cible, les
Africains. Toutefois, le peu d’Africains ayant eu accès à l’école
occidentale l’ont reçu. C’est le cas de L’aventure ambiguë de Cheikh
Amidou KANE qui constitue un récit foncièrement teinté d’africanité,
notamment l’histoire de l’Afrique avant, pendant et après la colonisation
permettant de reconnaitre qu’il est évident que la pénétration coloniale
s’est imposée mais les Noirs comptaient passer également par elle pour
se développer. Nous nous chargeons d’analyser le message contenu dans
l’œuvre que nous mettrons en rapport avec le niveau de développement
de l’Afrique autant d’années après sa publication et son imposition dans
les programmes des classes du secondaire à travers les pays à l’instar du
Burkina Faso. Dès lors, la question fondamentale qui s’impose est la
suivante : pourquoi l’Afrique de l’ouest n’est-elle toujours pas parvenue
à atteindre le développement escompté ? Cette question peut se
subdiviser en deux autres questions : quel rapport y a-t-il entre L’aventure
ambiguë et les réalités socio-économiques des Etats de l’Afrique
occidentale, le Burkina Faso en particulier ? Pourquoi ces pays ont-ils une
aventure similaire à celle du personnage principal, Samba Diallo ? Deux
hypothèses ont pu être dégagées : il existe un lien entre L’aventure
ambiguë et les réalités socio-économiques des Etats ouest-africains parmi
lesquels figurent le pays des hommes intègres, le Burkina Faso. Tout
comme Samba Diallo dans son aventure ambiguë, les intellectuels ne
sont pas parvenus à conduire les populations assoiffées mieux-être au
développement. En effet, la Grande Royale et la grande famille des
Diallobés avaient envoyé Samba à l’école nouvelle afin qu’il apprenne à

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vaincre sans avoir raison mais surtout à leur permettre d’avoir un meilleur
habitat et des soins de qualité mais, malgré son ingéniosité n’est pas
parvenu à le faire du fait de son hybridité culturelle. Il en a même été
victime. Une méthode sémio-narrative et pragmatique nous a permis de
trouver des éléments de réponse afin de mettre en évidence le faire et
l’être contenu dans l’œuvre de Cheikh Amidou KANE, notamment en
rapport avec les réalités socio-économiques.

1. Cadre théorique et méthodologique

1.1. Le contexte socio-politique du Burkina Faso


Le Burkina Faso, littéralement « Pays des Hommes intègres »,
couramment appelé Burkina, est un pays d'Afrique de l'Ouest sans accès
à la mer, ancienne république de Haute-Volta. Il est entouré par six pays
: le Mali au nord et à l’ouest, le Niger au nord-est, le Bénin au sud-est, le
Togo au sud-est, le Ghana au sud et la Côte d'Ivoire au sud-ouest. La
capitale Ouagadougou est située au centre du pays. Le Burkina Faso est
membre de l'Union africaine (UA), de l'Organisation pour
l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) et de
l'Organisation de la coopération islamique. Il est membre de la
Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO)
jusqu'au 28 janvier 2022, date où il est suspendu après le coup d'État de
2022. C'est l'un des dix pays les moins développés du monde, avec un
indice de développement humain de 0,402 en 2015.
Ancienne colonie française, la Haute-Volta obtient
l'indépendance le 5 août 1960. Le nom actuel du pays, Burkina Faso, date
du 4 août 1984, sous la présidence du révolutionnaire Thomas Sankara.
Combinaison de deux mots dans deux langues principales du pays, il
signifie « la patrie des hommes intègres », Burkina se traduisant par «
intégrité, honneur » en mooré et Faso se traduisant par « territoire, terre
ou patrie » en dioula. Avant la colonisation, le territoire actuel du Burkina
Faso était partagé entre différents royaumes ou chefferies : le Gourma,
pays des Gourmantchés et des Bembas, le Mogho, pays des Mossi, le
Gwiriko, pays des Bobo-Dioulas, le Bissa, pays des Bisa, le Liptako, pays
des Peulhs, des Haoussas et des Bellas. En 1896, le royaume mossi de
Ouagadougou devient un protectorat français. En 1898, la majeure partie
de la région correspondant à l'actuel Burkina Faso est conquise. En 1904,
ces territoires sont intégrés à l'Afrique-Occidentale française au sein de
la colonie du Haut-Sénégal et Niger.

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De nombreux habitants participèrent à la première guerre
mondiale au sein des bataillons de tirailleurs sénégalais. En 1915 et 1916
a lieu la guerre du Bani-Volta pour protester contre les recrutements
forcés. Près de trente mille personnes furent tuées par les troupes de
l'Afrique-Occidentale française. Le 1er mars 1919, Édouard Hesling
devient le premier gouverneur de la nouvelle colonie de Haute-Volta.
Celle-ci est démembrée le 5 septembre 1932 et le territoire est partagé
entre la Côte d'Ivoire, le Mali et le Niger. Le 4 septembre 1947, la Haute-
Volta est reconstituée dans ses limites de 1932. Le 11-Décembre 1958,
elle devient la république de Haute-Volta, une république membre de la
Communauté française, et elle accède à l'indépendance le 5 août 1960.
La population burkinabè est très hétérogène avec une occupation
géographique diversifiée. Les Mossis sont l'ethnie majoritaire du Burkina
Faso, constituant plus de 56 % de la population, soient 11 à 12 millions
de personnes et se situent principalement au centre du Burkina Faso dans
les villages des bassins des rivières Nazinon et Nakambé. Les Mossis
parlent le mooré ; Les Peulhs au Burkina Faso ont pour principale zone
d'implantation le Nord, à savoir les provinces du Soum, du Seno, du
Yagha et partiellement celle de l'Oudalan ; Les Touaregs, un peuple
Amazigh d’Afrique du Nord, sont aussi présents au Burkina Faso dans
la région de Seno et en général dans la Région du Sahel, située dans la
zone Sahélienne de l’Afrique, à la frontière avec le Mali et le Niger. On
distingue les Peulhs du Djelgodji venus chercher refuge en Côte d’Ivoire
après avoir perdu leurs troupeaux pendant la sècheresse de 1983-1984 ;
Les Gourounsis, les Touaregs, les Sénoufos, les Lobis, les Bobos et les
Samos sont aussi des ethnies du Burkina Faso.
Les populations africaines et particulièrement burkinabè ont,
depuis les indépendances, tenté d’asseoir un modèle de développement
qui puisse leur permettre de s’épanouir mais en vain. Ces populations, à
l’image de Samba Diallo dont la culture hybride a constitué un frein à son
épanouissement ont échoué leur quête de développement du fait du
syncrétisme culturel. Il s’agit d’une population dont la vision est partagée
entre deux tendances culturelles dont certaines pratiques culturelles
rétrogrades. Tout comme Samba Diallo, les populations burkinabè n’ont
pas pu atteindre l’état de la métamorphose. Le fou, « monstre hybride »
et violent parce qu’il a séjourné en Europe est semblable aux extrémistes
violents qui commettent des actes d’assassinat au nom de la religion,
notamment musulmane à travers l’Afrique dont le Burkina Faso.

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1.2. L’œuvre
L’Aventure ambiguë est une œuvre littéraire qui raconte l’histoire
complexe de Samba Diallo. Samba Diallo est un jeune garçon
exceptionnel d’origine peule de sa mère et toucouleur de son père. Son
père l’a confié au maître coranique, Thierno qui, très vite a repéré chez
cet enfant des qualités exceptionnelles. A l’école coranique, Samba Diallo
avant l’âge de sept ans a dû subir les atrocités diversement à l’image : « La
buche ardente (qui) lui roussit la peau » si bien que « Samba Diallo se
souvenait qu’un jour pris d’une colère démente, le maître l’avait précipité
à terre et l’avait furieusement piétiné, comme font certains fauves sur leur
proie. » Lorsque le jeune Samba Diallo eut l’âge de sept ans, il fut envoyé
à l’école nouvelle, l’école occidentale malgré les avis partagés. Le chef
Diallobé hésitant de l’y envoyer finit par l’admettre car sa sœur, la Grande
Royale lui a fait savoir qu’à l’école européenne, le jeune Samba apprendra
à « vaincre sans avoir raison. » mais aussi à « apprendre à se construire
des demeures qui résistent au temps… »
A l’école européenne, Samba Diallo a également été exceptionnellement
brillant à l’école nouvelle qu’il put poursuivre ses études à Paris en France
où il rencontre Lucienne, une communiste, et Pierre-Louis, un avocat
antillais militant avec lesquels ils échangent sur leurs cultures. Là-bas, le
jeune africain, déjà désarticulé du fait de sa double identité notamment
peule et toucouleur, de son hybridité culturelle teintée de la culture
africaine et celle en rapport avec la religion musulmane dont la pratique
s’est avérée difficile, n’est pas parvenu à se métamorphoser. Il revint dans
le pays des Diallobés très déchiré du fait de sa culture métissée à la
demande de son père. En Afrique, il fait la connaissance d’un homme
qui a lui aussi fait un séjour en Europe. Ce fou avait muri le projet selon
lequel Samba Diallo devait succéder au Chef des Diallobés, son Maître
coranique. Il fut déçu parce que Samba Dialla avait abandonné les
pratiques de la religion musulmane. C’est ce fou qui poignarda le
personnage principal de L’aventure ambiguë à mort. Samba Diallo ne
devait jamais oublier les versets coraniques appris avec tant de peine.
Selon son maître coranique, « la parole qui vient de Dieu doit être dite
exactement, telle qu’il Lui avait plu de la façonner. Qui l’oblitère mérite
la mort. »

L’aventure ambiguë de Cheikh Hamidou KANE est un « livre grave, une


œuvre triste. » dans lequel, Samba Diallo avoue qu’il arrive « que nous
soyons capturés au bout de notre itinéraire, vaincus par notre aventure

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même. Il nous apparait que tout au long de notre cheminement nous
n’avons pas cesser de nous métamorphoser. Quelquefois la
métamorphose ne s’achève même pas, elle nous installe dans l’hybride et
nous y laisse. » Quelle est la méthodologie de cette recherche ?

1.3. Cadre méthodologique : le Schéma actantiel


Le schéma actantiel est une représentation de six actants
subdivisés en trois couples : Destinateur-Destinataire, Sujet-Objet et
Adjuvant-Opposant. Ces trois couples sont en interaction permanente et
forment le schéma actantiel.

(D1) (O) (D2)

(Adj.) (S) (Op)

L’axe de la communication (destinateur-destinataire): il est comparable à


la dichotomie jakobsonienne Emetteur-Récepteur du schéma de la
communication. « Le destinateur ou sujet manipulateur se dit aussi sujet
du faire faire. C’est celui qui amène l’opérateur à réaliser la
transformation. » (Louis Millogo, 2007 : 22) Dans ce cas le sujet
opérateur est appelé sujet destinataire. Le Destinateur (D1) envoie le
Sujet (S) à la recherche de l’Objet (O). Il exerce un certain pouvoir
implicite ou explicite sur le Sujet qui, souvent animé d’un devoir moral
agit, va à la recherche de l’Objet. Le Destinateur de même que le
Destinataire peut être individuel ou collectif, physique ou moral. Le
destinateur joue aussi le rôle de judicateur, celui qui sanctionne la
performance où « …le sujet opérateur, souvent le héros, est amené à
comparaitre devant un autre personnage qui le remercie, le loue, le
récompense ou le punit. L’auteur de ces sanctions, c’est le sujet
judicateur. » (Louis Millogo, 2007 : 22) Le destinataire est le bénéficiaire
de la quête.
L’axe du désir (sujet-objet) : la seule mission du sujet est d’obtenir l’objet.
L’Objet peut être une valeur matérielle (physique) ou morale. Il est très
important et son obtention s’avère difficile ; on le croirait impossible. Le
sujet physique ou moral, individuel ou collectif va à sa recherche malgré
les obstacles périlleux qu’il n’ignore pas souvent. « La nature des liens
entre sujet et objet entraine deux types de sujets : le sujet d’état et le sujet
opérateur. » (Louis Millogo, 2007 : 21)

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-le sujet d’état : où le sujet est en jonction avec l’objet de la quête. La
jonction est soit conjonctive (S⋂O) ou disjonctive (S⋃O).
S=sujet⋂=relation de conjonction (possession de l’objet), ⋃=relation de
disjonction (non-possession de l’objet). Dans ce cas il n’y a pas d’action
quelconque du sujet, mais d’un état de celui-ci par rapport à l’objet
(conjonction ou disjonction).
-le sujet opérateur : c’est un sujet qui, d’une manière ou d’une autre
permet qu’un sujet passe d’un état à l’autre, que son état soit transformé
par jonction. Le sujet qui était en disjonction sera par conséquent en
conjonction (Le Maire attribue des parcelles aux habitants) et celui qui
était en conjonction en sera disjoint (Le Maire retire des parcelles aux
habitants).
Il y a deux types d’objet : l’objet de valeur et l’objet modal :
-L’objet de valeur : est l’objet qui est recherché, celui que le sujet
opérateur, de par les différentes transformations qu’il opère sur le sujet
d’état permet d’obtenir. C’est l’objet final de la quête.
-l’objet modal : c’est une étape préalable, un passage obligatoire pour
obtenir l’objet final de la quête. Il y a souvent plusieurs objets modaux
qui constituent une condition sine qua none qui s’opèrent avant
l’obtention de la quête finale « …pour atteindre le village et obtenir le
salut (objet de valeur), le sujet doit obtenir un cheval comme moyen
efficace de déplacement (objet modal). » (Louis Millogo, 2007 : 22)
L’axe du pouvoir (Adjuvant-Opposant) : c’est le couple de forces
contraires. Tous deux agissent vers le Sujet. L’adjuvant aide le Sujet, lui
facilite la recherche de l’Objet. Contrairement à l’Adjuvent, l’Opposant
s’oppose au sujet dans sa quête, il lui complique la tâche. Des sujets ayant
le même objet de quête s’opposent. C’est dans ce sens que Louis
MILLOGO affirme qu’« Il y a un type particulier d’opposant appelé anti-
opposant. C’est le sujet A dont la réalisation de la quête entraine
nécessairement l’échec de celle du sujet B. » (Louis Millogo, 2007 : 23)
Tout comme les autres actants, l’Adjuvant et l’Opposant peuvent être
physiques ou moraux.
Le schéma actantiel permet de saisir en totalité les forces agissantes d’une
communication. Les éléments que nous avons présentés ci-dessus
constituent des outils d’analyse du récit. Ils permettent d’étudier la
narrativité d’un énoncé verbal ou non-verbal à travers des opérations
d’analyse allant de la situation initiale à la situation finale (Louis Millogo,
2007). Quel sera le

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2. Schéma actantiel de L’aventure ambiguë Cheick Hamidou
KANE

Soient les actants ci-dessous, les animateurs de l’action de L’aventure


ambiguë :
-le destinateur : les Diallobés, l’Afrique
-le destinataire : Samba Diallo, les Diallobés, l’Afrique
-le sujet : Samba Diallo
-l’objet : civilisation occidentale
-les opposants : Le maître, le Chef des Diallobés, le fou, l’hybridité
culturelle
-les adjuvants : L’école étrangère, la bourse, Lucienne

Le schéma actantiel se présente comme suit :


Samba Diallo, les
Diallobés, Civilisation Diallobés,
l’Afrique occidentale l’Afrique

(D1) (O) (D2)

(Op) (S) (Adj)


Le maître, le Chef des Samba L’école étrangère, la
Diallobés, le fou, Diallo bourse, Lucienne
l’hybridité culturelle

Le schéma actantiel du récit de cette œuvre est organisé sur la base des
axes suivants:

L’axe du désir (Sujet-Objet) :


Cet axe comportant les actants Samba Diallo, le sujet de la quête et la
civilisation occidentale. Le Chef disait ainsi que « les hommes du
Diallobé voulaient apprendre à « mieux lier le bois au bois » (p.40). En
effet, Samba Diallo, jeune garçon qui, par la force des choses s’est
retrouvé dans une situation de pluralité culturelle mais aussi le plus apte
à acquérir l’objet de la quête. Ainsi avant l’âge d’être scolarisé, Samba

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Diallo, en plus de la différence culturelle du fait que sa mère soit peule et
son père Diallobé est resté au foyer-ardent pendant plusieurs années. Il
s’agit de cet être hybride qui est chargé de se conjoindre à la culture
occidentale caractérisée par non seulement la technique mais aussi à
« Vaincre sans avoir raison ».
L’objet de la quête, tel qu’abordé dans l’œuvre constitue un mal
nécessaire. La culture occidentale s’est imposée à l’Afrique par la
colonisation et l’esclavage. C’est dans ce sens que le Chef dans une
situation incommodante explique pourquoi il admet la culture
occidentale. Il avoue : « Si je ne dis pas aux Diallobés d’aller à l’école
nouvelle ils n’iront pas, leurs demeures tomberont en ruine. Leurs
enfants mourront ou tomberont en esclavage. La misère s’installera chez
eux et leurs cœurs seront pleins de ressentiments… » (45) Pour la Grande
Royale, « l’école étrangère est la forme nouvelle de la guerre que (leur)
font ceux qui sont venus, et il faut envoyer » (45) l’élite africaine dont
Samba Diallo. Que pouvons-nous retenir de l’axe de la communication ?

L’axe de la communication (destinateur-destinataire):


Le destinateur, notamment la Grande Royale, le Chevalier, le Chef des
Diallobés, ont décidé à contre-cœur de mettre fin à l’école coranique de
Samba Diallo afin de l’inscrire à l’école nouvelle. La Grande Royale
expliqua au Chef des Diallobés son frère aîné en ces termes : « Ainsi, je
pense que vos enfants, ainsi que notre cousin Samba Diallo doivent
ouvrir la marche. » (45) L’actant destinateur compte passer par l’école
occidentale ayant vaincu son grand-père et son élite pour mieux
combattre les « nouveaux venus ». Il s’agit pour le destinateur de se
mettre au même niveau d’information et de performance afin de
s’épanouir malgré la pénétration coloniale. Les bénéficiaires de cette
quête seraient Samba Diallo, la Grande famille des Diallobés, l’Afrique
toute entière. Quel peut être l’axe du pouvoir ?

L’axe du pouvoir (Adjuvant-Opposant) :


L’axe du pouvoir est très dynamique et comporte le maître, le Chef des
Diallobés, le fou, l’hybridité culturelle comme opposants et l’école
étrangère, la bourse, Lucienne les adjuvants de la quête. La Grande
Royale souligne que « Ce que je propose c’est que nous acceptions de
mourir en nos enfants et que les étrangers qui nous ont défaits prennent
en eux toute la place que nous aurons laissée libre. » Jean Lacroix estime

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que « la vérité qu’ils (Africains) n’ont pas maintenant, qu’ils sont
incapables de conquérir, ils l’espèrent pour la fin…Tout ce qu’ils veulent
et qu’ils n’ont pas, au lieu de chercher à le conquérir, ils l’attendent. » (81)
car pour eux, « L’absurde, c’est le monde qui ne finit pas. » (81) Ce qu’il
faut noter, c’est que Samba Diallo s’oppose à sa propre quête. Il estime
qu’il a choisi « l’itinéraire le plus susceptible » de le perdre. Ce
syncrétisme actantiel constitue la complexité de la quête. Le sujet de la
quête, Samba Diallo est également l’opposant de sa propre quête si bien
qu’il n’est pas pu se conjoindre à l’objet. D’ailleurs, l’actant destinateur,
sensé contribuer à la réussite de la quête s’y oppose d’une manière ou
d’une autre. Nous avons le père de Samba qui, à un moment donné l’a
instruit de rentrer au Diallobé. Il regrette de l’avoir envoyé à l’école
nouvelle ainsi : « mon opinion est que tu reviennes … (de) l’Occident où
j’ai eu tort de te pousser. » (164)

3. Schéma actantiel du rapport entre L’aventure ambiguë Cheick


Hamidou KANE et l’aventure des Etats de l’Afrique de l’ouest
dans le développement (cas du Burkina Faso).

Soient les actants :


Destinateur : l’Afrique, les autorités coutumières
Destinataire : l’Afrique, les autorités coutumières, les intellectuels
africains
Sujet : les intellectuels africains
Objet : le développement
Opposant : l’hybridité culturelle, les guerres fratricides
Adjuvant : l’Occident, l’école moderne

Le schéma actantiel se présente comme suit :


L’Afrique, L’Afrique, les autorités
Les autorités coutumières, les
Développement
coutumières intellectuels africains
(D1) (0) (D2)

(Op) (S) (Adj)

L’hybridité culturelle, Les intellectuels L’occident, L’école


les intellectuels africains africains étrangère

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Les actants du récit sur l’Afrique, particulièrement le Burkina Faso dans
le schéma actantiel se présentes comme suit :
-l’axe du désir (S-O) qui présente le sujet, les intellectuels
africains en quête du développement. Le sujet, à l’image de Samba
Diallo s’est retrouvé dans une situation par la force des choses. En effet,
le peuple africain très composite du fait de sa pluralité culturelle dont la
langue et les pratiques et habitudes culturelles a été contraint à adopter la
culture occidentale, notamment la langue, les pratiques et habitudes
culturelles. Ainsi, sans avoir une compréhension claire de l’objectif visé,
le peuple africain dont les valeurs culturelles comme le cas de l’école
coranique, s’acquiert dans la douleur s’est lancé dans le modernisme, une
sorte d’initiation à l’amiable. En réalité, l’objet s’affiche comme un mal
nécessaire. Le sujet, tout comme Samba Diallo est confronté à une
situation de dilution ou d’abandon des valeurs chèrement acquises auprès
de ses parents. Le sujet n’est pas parvenu à se conjoindre à l’objet. Que
pouvons-nous retenir de l’axe de la communication ?
-l’axe de la communication (D1-D2) présente l’Afrique, plus
particulièrement les autorités coutumières, l’actant destinateur qui, par
contrainte comme le cas de la scolarisation de Samba Diallo envoie des
Africains, les futurs intellectuels, sujet de la quête afin qu’ils aillent à la
conquête du développement, l’objet du désir au profit de l’Afrique, les
autorités coutumières, les intellectuels africains, les destinataires. Par la
force des choses, les grands conquérants que sont Samory Touré,
Béhanzin, Mogo-naba Wobgo, EL Adj Omar Foutiyou Tall, et bien
d’autres ont admis la pénétration coloniale avec toutes ses conséquences
positives comme négatives. En effet, l’œuvre l’Afrique a reçu l’Europe
par impuissance. Ainsi, « Le pays des diallobé n’était pas le seul qu’une
grande clameur eût réveillé un matin. Tout le continent noir avait eu son
matin de clameur… Le matin de l’Occident en Afrique noire fut constellé
de sourires, de coups de canon et de verroteries brillantes. Ceux qui
n’avait point d’histoire rencontraient ceux qui portaient le monde sur
leurs épaules…On leur proposa au choix, l’amitié ou la guerre. Très
sensément, ils choisirent l’amitié. » (72-73). Il est évident que tout comme
Samba Diallo, influencé par les courants de pensées philosophiques selon
Nietsche et Descartes, les intellectuels africains dont l’existence est bâtie
sur les valeurs africaines ont également été à l’école nouvelle, l’étude de
la philosophie. Que retenir de l’axe du pouvoir ?

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-l’axe du pouvoir (Op-Adj) met en évidence l’action des
intellectuels africains qui est favorisée par l’occident, l’école nouvelle,
l’actant adjuvant mais limitée dans son élan par l’actant opposant,
l’hybridité culturelle, les intellectuels africains. En réalité, de la même
manière que Samba Diallo était sujet et opposant en même temps, dans
la réalité de l’histoire africaine après l’implantation de l’école nouvelle, les
intellectuels du continent africains s’opposent à l’accomplissement de la
quête.
En somme nous avons remarqué qu’il existe du syncrétisme
actantiel dans ce schéma actantiel ci-dessus. Le sujet est son propre
obstacle. Les Etats de l’Afrique de l’Ouest que sont principalement le
Mali, le Burkina Faso, le Niger ne sont pas parvenu à atteindre les
objectifs escomptés. Pourtant, les autorités, notamment coutumières et
l’ensemble du peuple noir étaient convaincus que « Ces générations
nouvelles allaient apprendre à construire des demeures, à soigner les cors
à l’intérieur de ces demeures comme savaient le faire les étrangers. »
(119). Malheureusement, comme Samba Diallo, ces intellectuels, dès leur
retour de l’Occident ont été confrontés à leur hybridité culturelle fort
ancrée depuis l’enfance. De toute évidence, à l’image du père de Samba
Diallo, les autorités coutumières ayant envoyé leurs progénitures à l’école
étrangère parce que « Le canon contraint les corps, l’école fascine les
âmes » (74) mais ce que la verges et l’amour ont semé demeurent toute
la vie. La verge du foyer-ardent pour le Maître, l’amour de la Grande-
Royale pour Samba Diallo, l’éducation traditionnelle et les moments
d’initiations pour les intellectuels africains ont renaquit dès lors qu’il
fallait mettre en pratique les valeurs occidentales, notamment la
réalisation d’une architecture fiable et le développement de la médecine
d’où le sous-développement dans ces pays. L’ambiguïté de l’aventure des
Etats africains depuis 1960 à nos jours est similaire à l’errance de Samba
Diallo qui semble avoir perdu son temps en allant en Europe pour
revenir se faire assassiner par un fou, image de l’acteur de restauration de
la culture africaine dont les racines ont déjà été confondues à la culture
islamique. Les grandes figures comme Léopold Sédar Senghor, Joseph
Ki Zerbo, Cheick Anta Diop, Amadou Hampâté Bâ et bien d’autres se
sont consacrés à la quête du développement du continent mais n’y sont
pas parvenus. En réalité, ces intellectuels ont montré leur capacité à
s’approprier la théorie de la culture occidentale, à figurer parmi les
meilleurs théoriciens mais, ils ne sont pas parvenus à conjoindre leurs
populations à l’objet développement pour plusieurs raisons. Il y a la

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figure opposante du fou, représentation de l’intellectuel révolté et mal
renseigné mais surtout la figure du chef coutumier, garant de la tradition
africaine qui, d’une manière ou d’une autre constitue un obstacle au
développement selon l’Occident. Ces intellectuels, à l’image de Samba
Diallo ne pouvant pas poursuivre deux lièvres à la fois : préserver la
culture africaine malgré la vétusté des infrastructures et de la médecine
ou adopter la culture occidentale avec ses exigences et atteindre le
développement.

Conclusion

La présente analyse nous a permis de desceller les différents axes


du schéma actantiel de L’aventure ambiguë de Cheick Hamidou
KANE d’une part et de mettre en relation ces différents axes avec
l’évolution du développement socio-économique de certains pays de
l’Afrique occidentale dont le Burkina Faso. De cette étude, il ressort que
selon l’œuvre, le personnage principal, Samba Diallo est un envoyé de sa
société, la famille des Diallobé mais du fait de sa pluralité culturelle, il
n’est pas parvenu à atteindre l’objectif de construire des demeures
sophistiquées ni à « vaincre sans raison ». Il est le sujet de l’action mais
constitue aussi l’opposant de l’action. Célèbre élève et brillant étudiant,
ce personnage avait pour mission de conduire le peuple vers d’autres
modes de vies enviables mais, à la fin de son aventure, il se rend compte
qu’il n’avait rien obtenu en Europe que de nombreuses interrogations
philosophiques. Nous avons également comparé Samba Diallo aux
intellectuels africains qui devraient conduire le continent africain au
développement notamment une architecture améliorée, une médecine
moderne, l’« art de vaincre sans avoir raison ». Ainsi, nous avons
remarqué que tout comme le personnage principal Samba, ces
intellectuels ont pu s’approprier la culture occidentale, principalement
celle qui s’acquiert par l’école mais n’ont pas pu influencer
considérablement leurs pays si bien que ces derniers demeurent dans le
sous-développement, plus de soixante ans d’indépendance du fait des
nombreux obstacles dont l’hybridité culturelle, état d’un être partagé
entre plusieurs modes de vie. Cet état de de fait nous a conduit à conclure
qu’il est nécessaire que les pays africains, à l’issue d’autant d’années
fassent un choix courageux : choisir de retourner à leur propre culture
quand bien même hétérogène du fait de la diversité des langues et des
pratiques ou renoncer à ces coutumes afin d’adopter la culture
occidentale qui s’est imposée à eux tout comme l’a fait Jules Ferry en

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imposant la langue française en France. Ce choix constitue un impératif
dans le contexte de remise en cause des fondements sociaux dont les
pratiques culturelles du fait du terrorisme (situation semblable à celle du
« fou » dans l’œuvre) qui contraint les populations aux déplacements
massifs à travers la partie ouest de l’Afrique.

Bibliographie

Greimas Algirdas Julien et Joseph Courtés (2001), Sémiotique :


dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette.
Greimas Algirdas Julien (1986), Sémantique structurale, Paris, PUF.
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Limoges, Presses de l'Université de Limoges.
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(dir.), Rimouski (Québec), consulté le 2021. URL:
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Hebert Louis (2020), cours de sémiotique : pour une sémiotique applicable, Paris,
classiques Garnier.
Kane Cheikh Hamidou (1961), L’aventure ambiguë, Paris, éditions 10/18.
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colonial, Ouagadougou, éditions Kraal.

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