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Mémoire

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L'apprentissage

Les premières études sur la mémoire humaine ont été réalisées par Hermann Ebbinghaus, un philosophe/psychologue allemand des années 1885, qui a été le premier à créer une méthode expérimentale fiable pour étudier la mémoire. Le protocole expérimental d'Ebbinghaus consistait à mémoriser une liste de mots appris par cœur. Pour éviter tout biais ayant trait à la complexité des mots ou aux associations qu'ils peuvent entretenir, il décida de n'utiliser que des syllabes sans aucun sens, organisées en consonne-voyelle-consonne, dont la consonne ne se répète pas. Cela donnait des mots comme YAT, DUS, MIK, etc. Il créa ainsi 2300 de ces mots, écrits sur des morceaux de papier, et commença les expériences. Les expériences se passaient comme suit : il choisissait un morceau de papier au hasard, lisait le mot à haute voix, avec la même intonation à chaque fois, et rangeait le papier avant de passer au mot suivant. À chaque fois, le nombre de mots tirés du box était choisi au hasard. À la fin de la procédure, il prenait un morceau de papier et notait dessus tous les mots dont il se rappelait. Ses investigations lui prirent un grand nombre de répétition, mais elles ne furent pas vaines. Ebbinghaus remarqua quelques régularités dans les mots dont il se rappelait.

De nos jours, les scientifiques utilisent des protocoles similaires à celui d'Ebbinghaus, mais utilisent des items différents. Les scientifiques ne s'interdisent plus d'utiliser des items qui ont un sens, comme des mots, des phrases, des textes complets, des images, etc. De plus, les protocoles utilisés sont un peu plus nombreux que la simple tâche d'Ebbinghaus, chaque protocole étudiant une forme particulière de mémorisation. Ces protocoles sont différents et les sujets n'ont naturellement pas les mêmes performances selon le protocole utilisé. Les résultats peuvent changer du tout au tout suivant le protocole utilisé, ce qui donne des indices quant au fonctionnement de la mémoire.

Lorsque le sujet doit apprendre une liste d'items et qu'il est interrogé immédiatement après l'apprentissage, on parle de rappel immédiat. Ce rappel immédiat est à opposer aux tâches de rappel différé, où le sujet est testé après quelques minutes après l'apprentissage de la liste. Le rappel immédiat est largement plus facile que le rappel différé. Avec le rappel différé, le sujet a le temps d'oublier la liste apprise avec le rappel différé, mais pas en rappel immédiat. De plus, le rappel peut se faire dans un ordre différent de celui de la liste : on parle de rappel libre, à opposer au rappel sériel où le sujet doit rappeler les items dans l'ordre de présentation. Le rappel libre est nettement plus facile que le rappel sériel, pour diverses raisons : l'ordre des items n'est pas à mémoriser, l'oubli d'un item ne nuit par au rappel des suivants, etc.

L'effet de la répétition

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Il semble évident que la répétition est importante pour la mémorisation. On se souvient tous de notre scolarité, des heures passées à réviser nos cours, à revoir sans cesse les notions et exercices déjà vus ou faits. Beaucoup d'élèves ont souvent pesté sur la difficulté qu'il y a à apprendre un cours parfaitement. Il faut dire qu'apprendre par cœur un grand nombre d'informations prend du temps, beaucoup de répétitions et d'efforts. Beaucoup aimeraient que ce ne soit pas le cas et il n'est pas rare que les élèves recherchent des méthodes plus efficaces pour mémoriser, afin d'y passer moins de temps. Mais force est de constater que la répétition est malgré tout un bon moyen pour mémoriser des informations, surtout si celles-ci n'ont pas vraiment de sens. Il va de soi que plus de temps passé à réviser quelque chose a un effet positif : mieux vaut passer quatre heures à revoir quelque chose que d'y passer seulement une heure. Et si les intuitions sont souvent trompeuses, ce n'est pas le cas ici. Plus on répète quelque chose, plus on s'en souvient : la répétition consolide les connaissances et souvenirs acquis.

Cela n'étonnera sans doute pas grand monde, mais les sciences demandent que toute hypothèse soit vérifiée, confirmée. Ebbinghaus a été le premier à confirmer l'effet de la répétition sur l'apprentissage, avec ses expériences. D'autres vérifications sont venues d'expériences plus récentes, et notamment par l'étude de Bahrick et Al. Pour cette étude, les chercheurs ont regroupé plusieurs élèves de leur ancienne université et leur ont fait passer des tests pour vérifier ce qu'ils avaient retenu de leurs anciens cours d'espagnol. Certains élèves avaient eu peu de cours d'espagnol, alors que d'autres en avaient eu beaucoup plus (une histoire d'années d'études et d'options, assez spécifique aux universités américaines). Les tests étaient assez simples et se limitaient à des questions de vocabulaire du style : "Comment dit-on le mot chien en espagnol ?" ou inversement. En plus des résultats aux tests, les chercheurs ont amassé des données sur le nombre d'heures de cours suivis par les sujets, ainsi que d'autres variables. Les chercheurs ont alors analysé les résultats et ont remarqué une bonne corrélation entre les résultats des tests et le nombre de cours passés par les participants. Ceux qui avaient vu une seule fois les mots dans leur scolarité avait un taux de rappel de presque zéro, ceux qui les avaient vu trois fois atteignaient 30 %, et deux qui avaient vu cinq fois ces mots durant leur scolarité atteignaient 60 % de réussite.

L'influence du nombre de répétitions

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Cependant, on peut se demander si la répétition a un rendement stable, croissant ou décroissant. Prenons l'exemple d'un élève qui étudie une langue étrangère et doit mémoriser une liste de 500 mots étrangers (cela doit vous rappeler des souvenirs des cours d'anglais/allemand/espagnol au collège). Mettons qu'il ait réussi à mémoriser 50 mots suite à une heure d'apprentissage. À votre avis, quel est l'effet d'une heure de révision supplémentaire sur la mémorisation ? Il y a alors trois possibilités, selon qu'on envisage un rendement stable, croissant ou décroissant. Avec un rendement stable, chaque heure supplémentaire permettra de mémoriser 50 mots. L'élève aura donc mémorisé 50 mots à l'issue de la première heure d'apprentissage, 100 après la seconde, 150 après la troisième, etc. Dit autrement, l'effet du temps d'apprentissage est linéaire, chaque répétition ayant le même effet que les précédentes. Si on double le temps d'apprentissage, on peut alors apprendre deux fois plus de choses. La qualité de mémorisation dépend alors du temps passé à revoir, à répéter le matériel à apprendre. Derrière cette constatation, se cache une hypothèse assez intéressante : la mémorisation dépend essentiellement du nombre de répétitions, du temps passé à revoir ce qu'on a appris.

Une telle hypothèse est appelée l'hypothèse du temps total. Une autre possibilité est que le rendement est décroissant. Pour reprendre l'exemple précédent, l'élève aura appris 50 mots après la première heure, mais moins de 100 mots après la seconde heure, bien moins de 150 mots après la troisième heure, etc. Chaque heure d'apprentissage a alors moins d'effet que les précédentes. Au bout d'un certain temps, il ne sert plus à grand-chose de continuer à revoir ce qu'on a appris. À l'inverse, on peut supposer un effet croissant avec le temps : l'élève aura appris 50 mots après une heure, 110 après 2 heures, 190 après trois heures, etc. Dans ce cas, plus on sait de choses, plus on peut en apprendre de nouvelles facilement. L'apprentissage a alors un effet cumulatif et chaque heure d'apprentissage supplémentaire a un rendement supérieur aux précédentes.

Départager ces possibilités demande naturellement des expériences scientifiques contrôlées comme il se doit. Ebbinghaus chercha à savoir quel était l'influence du nombre de répétitions. Pour le savoir, il compara le taux de rappel obtenu un jour après l'apprentissage de plusieurs listes de 16 syllabes. Ces listes étaient revues respectivement 8, 16, 24, 32, 42, 53, et 64 fois. Le bilan était clair : le taux de rappel d'une liste était directement proportionnel au nombre de répétitions de celle-ci. Cela semble donc confirmer l'hypothèse du temps total. Mais on pourrait rétorquer que les items à apprendre pourraient biaiser quelque peu les résultats. Peut-être que l'hypothèse du temps total marche bien pour l'apprentissage de listes de syllabes sans aucun sens, mais échouerait pour d'autres formes d'apprentissage. Aussi, d'autres formes d'expériences sont nécessaires pour conclure. Et force est de constater que l'hypothèse du temps total, bien qu'assez réaliste, ne fonctionne pas dans de nombreux cas. Le reste du chapitre sera d'ailleurs consacré à mettre en défaut cette hypothèse.

La méthode du Sur-apprentissage

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Dans les premières expériences utilisant les courbes de l'oubli, Ebbinghaus a remarqué que le sur-apprentissage, à savoir continuer à revoir le matériel à apprendre une fois que celui-ci est totalement su, permettait de mémoriser plus longtemps et de diminuer l'oubli avec le temps. Expérimentalement, cette technique marche, mais les effets semblent s'estomper après quelques semaines, voire quelques mois. L'étude ("The Effect of Overlearning on Long-Term Retention") a demandé à des étudiants de retenir des faits géographiques et des définitions de mots. Les étudiants qui avaient sur-appris retenaient mieux, mais les effets s'estompaient assez rapidement, quelques semaines plus tard. Une autre de ces études (The Effects of Overlearning and Distributed Practise on the Retention of Mathematics Knowledge) a testé la même chose, mais pour des exercices de mathématique. Le bilan est le même : pas d'effets à long terme.

Le ré-apprentissage est plus facile que l'apprentissage initial

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Dans ses expériences, Ebbinghaus remarqua aussi que le ré-apprentissage était plus facile suivant le nombre de répétitions. Dans ses expériences, il apprenait des listes de syllabes, en contrôlant le nombre de répétitions, et regardait combien de temps il lui fallait pour réapprendre l'intégralité de la liste, une fois celle-ci totalement oubliée. Les résultats montrent le réapprentissage est plus rapide que le premier apprentissage. Tout que tout se passe comme si les informations oubliées n'étaient pas totalement perdues et effacées de la mémoire : il en subsisterait une trace dans le cerveau qui peut faciliter les ré-apprentissages ultérieurs. On verra que cette interprétation a un sens particulièrement profond dans les théories récentes de la mémoire.

Expériences d'ebbinghaus : Nombre de répétitions et temps de réapprentissage

L'effet de distribution de l'apprentissage

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Ebbinghaus a aussi regardé s'il y avait une différence entre l'apprentissage massé, et l'apprentissage distribué. L'apprentissage massé consiste à apprendre le matériel sur une durée continue, tandis que l'apprentissage distribué consiste à faire de nombreuses pauses et à voir le matériel morceau par morceau. Expérimentalement, il a constaté que l'apprentissage distribué devançait de loin l'apprentissage massé : le seul fait de distribuer l'apprentissage peut permettre d'améliorer la mémorisation de plusieurs ordres de grandeurs. Cette supériorité de la distribution sur l'apprentissage massé s'appelle l'effet de distribution de l'apprentissage. Les origines de cet effet ne sont pas claires : il semblerait que cet effet aurait plusieurs explications. Ceci dit, ce phénomène est particulièrement robuste, et apparait dans de nombreuses formes d'apprentissage.

Effet de la distribution de l'apprentissage.

Le Testing effect

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D'autres observations de la même trempe, bien que non-découvertes par Ebbinghaus, sont cependant intéressantes à étudier. Celle qui va suivre en fait partie. Expérimentalement, on constate que le fait de se rappeler de quelque chose le consolide en mémoire, le rendant plus résistant à l'oubli : c'est ce qu'on appelle le Testing effect. En somme, les informations qu'on retient le mieux sont celles dont on s'est rappelées souvent, pas celles que l'on a revues ou relues souvent.

Pour donner un exemple, prenons une expérience effectuée par des chercheurs de l'université de St-Louis, aux USA. Ils ont demandé à trois groupes d'élèves de mémoriser une liste de 50 mots. Le premier devait bachoter durant 8 séances, le second devait bachoter durant 6 séances et se faire tester dans deux autres, et le troisième groupe devait bachoter durant 4 séances et se faire tester durant 4 séances. Une semaine plus tard, plus un groupe s'était fait tester, meilleurs étaient ses résultats. Autre expérience, réalisée par Roediger & Karpicke. On demande à des étudiants de lire des textes scientifiques relativement courts. Le premier groupe devait lire le texte 4 fois, le second groupe lisait le texte trois fois et se faisait tester une fois, tandis que le troisième groupe avait droit à une seule lecture et trois interrogations. Une semaine plus tard, les trois groupes étaient testés : plus un groupe avait été testé, mieux c'était : le troisième groupe réussissait même à rappeler 50 de mots en plus que le premier groupe. Les raisons de cet effet ne sont pas très claires à l'heure actuelle.

L'effet de génération

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Les recherches sur la mémoire ont aussi mis en évidence un effet appelé effet de génération. Celui-ci fait que l'on retient mieux quelque chose que l'on a créé soi-même, comparé à du matériel simplement lu ou écouté. Cet effet fût découvert par Slamecka & Graf, en 1978, dans une étude comportant cinq expériences. Celle-ci était basée sur un protocole simple : quatre groupes de sujets devaient étudier une liste de mots, chacun d'une manière différente. Les premiers groupes devaient simplement lire une liste de paires de mots donnée par l'expérimentateur. Les autres groupes recevaient la même liste de mots, mais qui était partiellement remplie : ils devaient générer le second mot de chaque paire en suivant certaines règles (trouver un mot qui rime, qui est de la même catégorie, ou qui était opposé, etc). Quelques lettres étant données en indice : unhappy - s _ _, not slow - f _ _ t, etc. Si l'on compare les groupes "lecture" et "génération", on s’aperçoit que le groupe qui a créé les seconds mots d'une paire a un taux de rappel supérieur aux autres groupes. Dans une seconde expérience, les chercheurs ont montré que cet effet demeurait quand les sujets n'étaient pas prévenus qu'ils seraient interrogés sur leur mémorisation du matériel (dans une tâche de rappel incident). Une troisième expérience fondée sur un protocole similaire a permis de réfuter le fait que l'effet de génération pourrait avoir des causes attentionnelles.

D'autres expériences ont cherché à évaluer cet effet de génération sur d'autres formes de matériel : images, résolution de problèmes arithmétiques, génération des mots-clés d'un paragraphe, etc. L'effet semble marcher, mais pas pour tout type de matériel. Par exemple, les mots peuvent donner lieu à un effet de génération, mais pas les suites de syllabes sans signification, comme les pseudo-mots (bragab, chmorglub, etc). De manière générale, on trouve un effet de génération dans certaines circonstances, mais pas dans d'autres. L'apparition de l'effet de génération semble très lié au protocole d'études, à la manière dont les sujets sont testés. Beaucoup de détails influencent l'intensité de l’effet de génération et son apparition demande que diverses conditions soient réunies.

Notons que dans toutes les expériences sur l'effet de génération, la consigne donnée aux sujets contient des contraintes qui guident le sujet pour générer ce qui est demandé, ce qui est voulu par l'expérimentateur. Et en plus de cela, les quelques lettres données en indice aident le sujet à trouver la bonne solution. Par exemple, l'expérimentateur peut fournir un mot, fournir quelques lettres en indice et demander à ce qu'on donne un antonyme : le fait de demander un antonyme est la contrainte de l'énoncé. Le nombre de contraintes varie beaucoup suivant l'expérience, et il semblerait que cela influence l'intensité de l'effet de génération. Une bonne partie de la recherche sur le sujet se penche sur l'effet modérateur du nombre de contraintes.

Les explications de l'effet de génération ne sont pas encore bien comprises. Les théories sur l'effet de génération sont au nombre d'une dizaine, mais les données ne permettent pas encore de trancher franchement. L'explication la plus simple est simplement que générer un item demande plus d'efforts mental, ce aurait un effet positif sur la mémorisation. Aussi vague que soit cette théorie, elle est quand testable : il suffit de demander aux sujets de noter l'effort fournit pour générer tel ou tel item et d'étudier la corrélation entre effort demandé et résultats, pour chaque item. Elle est assez faible, ce qui ne va pas dans le sens de la théorie. Une autre explication, assez similaire, est que l'effet de génération serait juste un artefact du protocole d'étude. Cette explication sert surtout à expliquer pourquoi le même sujet aurait de meilleures performances dans les expériences où on lui demande de générer certains items et d'en mémoriser d'autres. Les sujets se focaliseraient sur les items à générer, au lieu des items à mémoriser, en leur allouant plus de "ressources cognitives" (plus d'attention, notamment). D'autres explications se basent sur le caractère fortement associatif et relationnel de la mémoire, que nous aborderons dans les prochains chapitres, et ne peuvent pas être abordées pour le moment.

Les effets de position sérielle

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Ebbinghaus fût aussi le premier à découvrir les effets de position sérielle, qui apparaissent dans les tâches de rappel libre. On observe alors que les items au début et à la fin de la liste sont nettement plus rappelés que ceux du milieu.

Effet de position sérielle.

Le fait que les mots au début de la liste soient mieux mémorisés s'appelle le l'effet de primauté. Il apparaît aussi bien dans les tâches de rappel immédiat que différé. Il provient du fait que les éléments du début de la liste ont pu être répétés mentalement par le cobaye plus souvent que les autres, durant toute la durée de l'expérience, facilitant leur mémorisation. Pour obtenir une véritable preuve expérimentale, les psychologues ont demandé à des groupes de cobayes de prononcer à haute voix les mots qu'ils répétaient lors de la présentation de la liste. Le bilan est clair : les premiers éléments de la liste sont répétés plus souvent que les autres. Qui plus est la corrélation entre nombre de répétition et taux de rappel est presque parfaite.

Les mots présentés en dernier sont aussi rappelés plus souvent que les autres : c'est l'effet de récence. La probabilité de rappel est même supérieure à celle observée avec l'effet de primauté. Cet effet de récence est sensible à plusieurs paramètres. Par exemple, augmenter la longueur de la liste ou diminuer la vitesse de lecture n'a aucune incidence sur l'effet de récence. Le nombre d'éléments rappelés dans ces conditions est relativement stable chez une même personne. Il ne dépasse jamais les 10 mots, la moyenne tournant autour de 7 items, + ou - 2.

Enfin, un troisième effet apparaît souvent dans les tâches de rappel libre, où le sujet n'est pas censé rappeler les items dans l'ordre de la liste. On pourrait croire que celui-ci les rappellera dans le désordre total, ou tout du moins sans les rappeler dans l'ordre. Mais le fait est que le sujet a tendance à rappeler des items consécutifs les uns après les autres, que ce soit par paires ou par blocs d'items consécutifs. Rien d'étonnant, mais cela reste une régularité à expliquer et les scientifiques lui ont donné le nom d'effet de contiguïté.


Le modèle modal d'Atkinson et Shiffrin

Bien que connu depuis Ebbinghaus, l'explication des effets de récence et de primauté est longtemps resté un mystère. Murdock, dans son étude de 1962, a suggéré une hypothèse intéressante, qui permet d'expliquer l'effet de récence : l'existence d'une mémoire à court terme de capacité limitée, qui ne dure que quelques secondes. Cette mémoire à court-terme serait à opposer à la mémoire plus durable, celle du langage commun, appelée mémoire à long-terme. Les derniers éléments rappelés seraient accessibles depuis la mémoire à court terme, tandis que les autres doivent être repêchés depuis la mémoire à plus long terme. L'effet de récence étant de 7 items, on en déduit facilement que la taille de la mémoire à court-terme serait de cet ordre : 7 items, plus ou moins deux. Cette interprétation est aujourd'hui nuancée, pour des raisons que nous aborderons plus tard.

Reste que l'existence d'une telle mémoire restait à confirmer. Ce fut fait par l'étude de Glanzer et Cunitz, datée de 1966. Dans cette expérience, deux groupes de sujets devaient apprendre une liste de mots. Cependant, le premier groupe était testé dans une tâche de rappel immédiat, alors que l'autre était testé via un rappel différé. Plus précisément, le second groupe recevait une tâche entre l'apprentissage de la liste de mots et son rappel. Les sujets devaient compter à l'envers de trois en trois, à voix haute, durant un certain temps. Une telle tache, intercalée entre rappel et apprentissage, porte le nom de tâche de Brown-Peterson. Le fait est que l'effet de récence apparaît bien en rappel immédiat, mais disparaît presque totalement en rappel différé avec tâche de Brown-Peterson. L'interprétation de ce résultat est que la tâche de Brown-Peterson a vidé la mémoire à court-terme, supprimant ainsi l'origine de l'effet de récence. Ceci dit, la tâche de Brown-Peterson ne supprime pas totalement l'effet de récence. Il est un effet de récence résiduel, extrêmement faible mais existant. Celui-ci aurait une origine indépendante de l'existence de la mémoire à court-terme, mais celle-ci est encore mal connue.

Par la suite, d'autres expériences ont amené à la conceptualisation d'un autre type de mémoire temporaire, encore plus bref que la MCT : la mémoire sensorielle. De cette constatation, le modèle modal d'Atkinson et Shiffrin est apparu. Dans ce modèle, on retrouve aussi bien les mémoires sensorielles, que la mémoire à long terme et la mémoire à court terme. La mémoire à long-terme, abréviée MLT, est peu développée dans la théorie d'Atkinson et Shiffrin. La théorie dit juste qu'il s'agit d'une mémoire de longue durée, dont la capacité est très importante. Il faut dire que la théorie s'intéresse seulement au transfert des informations de la MCT vers la MLT, à savoir la mémorisation, aussi appelée encodage. L'idée est notamment que l'encodage dépend essentiellement du temps que l'item à mémoriser passe dans la MCT. Plus ce temps est long, plus l'encodage a de chances d'avoir lieu. La répétition mentale, en permettant de rafraîchir les items en MCT, favoriserait l'encodage.

Modèle modal d'Atkinson et Shiffrin.

Le registre sensoriel

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Mémoires sensorielles

La mémoire sensorielle a été mise en évidence par diverses expériences, au début du siècle dernier. Dans les grandes lignes, elle peut retenir une quantité d'informations sensorielles impressionnante, mais la durée de rétention est très brève, inférieure à la seconde. Le contenu de cette mémoire n'est pas perçu consciemment. Un certain traitement automatique est effectué sur le contenu de ces mémoires, avant leur transfert en mémoire à court-terme. Ce peut être des processus de détection des contours d'objets pour la mémoire visuelle, des processus de détection de la tonalité ou de l’intensité sonore pour la mémoire auditive, etc. Le transfert en MCT des informations sensorielles se fonde essentiellement sur l'attention, notre capacité à nous concentrer. Celle-ci va faire un tri des items sensoriels pour n'en retirer que les informations essentielles, celle-ci passant en MCT. Le reste n'atteint pas la conscience et est oubliée.

Dans la théorie originale d'Atkinson et Shiffrin, le registre sensoriel est vu comme un système unitaire, capable de mémoriser aussi bien des informations visuelles qu'auditives. De nos jours, les scientifiques ont de très bonnes raisons de penser que le registre sensoriel est subdivisé en registres indépendants, un par modalité sensorielle. Un registre visuel complémenterait ainsi un registre tactile et un registre auditif. Dans ce qui va suivre, nous allons détailler ces différents registres.

La mémoire sensorielle iconique

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La mémoire sensorielle visuelle est aussi appelée mémoire iconique (son nom vient d’icône, qui veut dire petite image). Les observations qui ont mené à concevoir ce concept de mémoire iconique sont fondées sur des tâches de mémorisation partielle. La toute première date de 1960, et a été effectuée par George Sperling. Son expérience a nécessité deux groupes de cobayes, qu'il a placé devant un écran d'ordinateur. Les volontaires du premier groupe devaient d'abord fixer une croix sur l'écran afin de fixer la position de leur regard. Ensuite, un tableau de 12 lettres s'affichait à l'écran durant 50 millisecondes, et était suivi par un écran totalement blanc. Une sonnerie retentissait alors quelques instants plus tard, et les cobayes devaient alors se remémorer les lettres qu'ils avaient vues. Durant cette expérience, les cobayes étaient capables de citer seulement trois à cinq lettres, pas plus. Les volontaires du second groupe subissaient la même expérience, à un détail prêt : la sonnerie leur indiquait une des trois lignes. Suivant le ton de la sonnerie, les cobayes devaient se rappeler les lettres situées sur la première, deuxième ou troisième ligne. Le taux de réussite montait à 75 %, et ce quelle que soit la ligne. Ce qui montre que les sujets pouvaient se souvenir du tableau de lettre alors qu'il avait disparu.

Tâche de rappel partiel d'Averbach.
Tâche de rappel partiel de Sperling.

La mémoire iconique a été mise en évidence avec des expériences sur des pilotes de chasse. Dans ces expériences, on projetait sur un écran une image d'avion de chasse durant un temps très faible. En dehors de cette période, l'écran était blanc, pour forcer la persistance rétinienne à effacer l'image de l'avion. Les pilotes de chasse arrivaient tout de même à dire quel était le modèle de l'avion si son image était présenté durant 1/224 de secondes. Difficile d'expliquer ce genre de résultat sans mémoire iconique.

Les expériences citées ci-dessus ont permis, avec quelques modifications, de mieux connaître les caractéristiques de la mémoire iconique. Comme toutes les autres mémoires sensorielles, elle possède deux caractéristiques : sa durée de mémorisation et sa capacité. Pour la capacité, les expériences ne permettent pas de conclure, si ce n'est que celle-ci est énorme. En revanche, sa durée de rétention est mesurée avec précision. Pour cela, les chercheurs ont fait varier l'intervalle entre la présentation du tableau de lettre et la sonnerie. Visiblement, plus le temps augmente, plus le taux de réussite des sujets s'écroule. Une petite analyse semble montrer que la mémoire visuelle devient inefficace au-delà de 100 à 500 millisecondes. C'est approximativement la durée de rétention en mémoire iconique. Bien sûr, cette durée varie selon les personnes. L'âge semble faire varier les résultats, la durée de rétention semblant diminuer un petit peu avec l'âge. Des expériences d'eye-tracking ont montrées que la mémoire iconique était fonctionnelle chez les bébés à partir de 6 mois.

Cette mémoire iconique provient (au moins en grande partie) de la fameuse persistance rétinienne de la rétine, qui permet de maintenir temporairement une image sur la rétine durant un temps limité. Celle-ci vient du fait que les cellules de la rétine mettent un certain temps avant de réagir à un changement de luminosité. Ce temps de réaction des cellules de la rétine fait que l'image perçue sur la rétine va rester durant quelque temps imprimée, et accessible au cerveau. Typiquement, les cellules de la rétine mettent un certain temps avant de détecter des tons plus sombres, alors qu'une augmentation soudaine de la luminosité est prise en compte plus vite. Mais outre la rétine, la mémoire iconique implique aussi le cerveau, dans une certaine mesure. Les aires cérébrales de la vision restent activées suite à la perception de l'image et mettent quelques millisecondes à revenir à la normale. Notons que le cerveau est très sensible aux motifs de l'image, et assez peu à sa luminosité ou son contraste, alors que c'est l'inverse pour la rétine.

La mémoire iconique est utile pour la perception du mouvement. C'est elle qui nous permet de ne pas voir le monde comme une suite de diapositives. D'ailleurs, la durée de la mémoire iconique est similaire à la durée maximale entre deux images au-delà de laquelle on commence à voir les saccades. En somme, cette mémoire iconique sert d'accumulateur, qui mélange les images entre elles, et donne une impression de perception de mouvement.

La mémoire sensorielle échoïque

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À côté de la mémoire iconique, on trouve la mémoire échoïque, dédiée aux sons (son nom vient de "écho", qui a un rapport avec le "son"). Sa mise en évidence provient des expériences d'écoute dichotiques, qui se basent sur l'écoute simultanée de deux bandes sonores, une dans chaque oreille. Dans ces conditions, les cobayes doivent se concentrer sur une seule bande sonore. Toutefois, si jamais un mot familier (notre prénom, par exemple) est prononcé sur la bande sonore à ne pas écouter, le cobaye s'en rendra compte et son attention se focalisera dessus. C'est la preuve que même si l'attention du sujet n'est pas portée sur la seconde bande sonore, il a quand-même mémorisé les informations de celle-ci, celles-ci pouvant ressurgir suivant la situation. D'où l'existence d'une mémoire échoïque.

Sa durée de rétention est estimée avec les expériences d'écoute dichotique. Pour cela, il suffit de faire varier l'intervalle entre deux présentations d'un mot/chiffre/lettre sur chaque bande. On peut aussi demander à deux cobayes si deux voyelles prononcées consécutivement sont identiques ou différentes. Plus le temps entre la prononciation des deux voyelles est long, plus les cobayes ont du mal à faire la différence. Dans ces conditions, on remarque que la capacité de discrimination diminue pour se stabiliser après quatre secondes de séparation. On voit que la durée est nettement plus importante que pour la mémoire iconique. Cette durée de rétention varie suivant l'âge : elle augmente lors de l'enfance, et finit par se stabiliser assez rapidement vers six ans.

La mémoire à court-terme

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La mémoire à court-terme, abréviée MCT, est une mémoire qui mémorise un nombre limité d'informations pour une durée de quelques secondes. La différence principale avec la mémoire sensorielle est que sa capacité est limitée, là où la mémoire sensorielle peut mémoriser beaucoup d'informations. De plus, sa durée de rétention est légèrement supérieure à celle de la mémoire sensorielle : des millisecondes, on passe à la dizaine de secondes. Pour donner un exemple, c'est la MCT qui est utilisée pour mémoriser un numéro de téléphone juste avant de le composer.

Une durée de rétention de quelques dizaines de secondes

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Il est évident que le contenu de la MCT semble s'effacer avec le temps. Pour mesurer cette vitesse d'effacement, les chercheurs doivent tenir compte du fait que le cobaye peut répéter mentalement les informations à mémoriser, augmentant la durée de rétention en MCT. Pour supprimer ce biais, ils utilisent une tâche de Brown-Peterson, dont ils contrôlent la durée. Dans cette situation, plus la durée de la tâche de Brown-Perterson est longue, plus l'empan diminue. Le rappel est d'environ 90 % quand le délai entre les deux est inférieur à 1/2 seconde. Il tombe à 50 % après 3 secondes, 40 % après 6 secondes, 20 % après 9 secondes, et il tombe à 10/8 % après. La durée de conservation semble donc proche de la dizaine de secondes, un peu plus ou un peu moins suivant les personnes. L'origine de cet oubli n'est pas encore bien élucidée et deux théories s'affrontent : une qui dit que les informations s'effacent progressivement, et une autre qui dit que les informations interfèrent entre elles. Nous reviendrons sur ce débat dans le chapitre sur l'oubli en mémoire déclarative.

Une capacité de moins d'une dizaine d'items

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La mémoire à court terme ne peut pas retenir un nombre illimité d'informations du fait de sa capacité finie. On peut tenter d'estimer la capacité de la MCT en se basant sur l'effet de récence. Puisque la mémoire à court terme est à l'origine du rappel des derniers éléments, on peut en estimer sa capacité en regardant le nombre d’éléments concernés par l'effet de récence. Celui-ci tombe rapidement au-delà d'un certain seuil : ce seuil est appelé l'empan mnésique. Dans les expériences faites sur des adultes, ce nombre ne dépasse pas 10, et a une moyenne de 7 +/- 2.

Pour obtenir une estimation de votre empan mnésique, vous pouvez passer le test suivant, connu sous le nom de digit span task. Lisez chaque séquence de chiffres comme s'il s'agissait d'un numéro de téléphone, fermez les yeux et essayez de répéter celle-ci. Si vous avez réussi à répéter celle-ci sans faute, passez à la séquence suivante. Arrêtez-vous à la première séquence où vous faites une erreur. La capacité de votre empan mnésique est égal à la longueur de la chaîne de chiffres, moins un item.

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  • 4657 ;
  • 1857 ;
  • 12457 ;
  • 07458 ;
  • 16895 ;
  • 057698 ;
  • 014562 ;
  • 076931 ;
  • 0457289 ;
  • 0168345 ;
  • 0487965 ;
  • 04612785 ;
  • 01369874 ;
  • 97854631 ;
  • 014785236 ;
  • 987512346 ;
  • 123658749.

La majorité des personnes arrive à atteindre 7 items. Certaines peuvent faire plus et atteindre les 9 à 10 chiffres, tandis que d'autres sont limitées à 4 ou 5 chiffres. Néanmoins, l'empan varie selon l'âge. Dans les 20 premières années de la vie, l'empan augmente progressivement avec l'âge, avant de se stabiliser et de diminuer avec le temps.

Résultat à un test d'empan mnésique en fonction de l'âge.

Ce test mesure deux choses différentes : la capacité à mémoriser les items et leur ordre. Ce test n'est pas très compliqué pour ce qui est de mémoriser les items eux-mêmes : les chiffres sont des choses bien connues qui ne demandent pas vraiment d'efforts pour être mémorisés. Seule la capacité à mémoriser l'ordre sera donc réellement mesurée dans le test précédent. Cependant, les choses peuvent changer si l'on remplace les chiffres par des items non-familiers.

Un accès séquentiel

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La mémoire à court terme est une mémoire rapide. Ceci dit, on peut se demander si le temps d'accès à la mémoire dépend de son occupation. Fonctionne-elle séquentiellement ou en parallèle ? Pour vérifier cela, Sternberg a créé une expérience assez simple. Il a demandé à quelques cobayes de mémoriser de petites suites de chiffres, tenant en MCT. Ensuite quelques secondes plus tard, un signal lumineux demandait aux cobayes de répéter à haute voix un des chiffres, la tonalité indiquant la position du chiffre dans la liste. Bilan : tant qu'on reste dans les limites de la MCT, plus la liste est longue, plus le rappel est long. Ainsi, plus la MCT est encombrée, plus le rappel prend de temps. Cela peut laisser penser que la MCT est fondamentalement séquentielle : on peut scanner celle-ci pour se rappeler de son contenu, mais pas y accéder en parallèle.

Un codage des informations essentiellement verbal

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On peut se demander ce que peut bien contenir la mémoire à court-terme : s'agit-il d'une mémoire acoustique, sémantique, lexicale , ... ? Divers résultats semblent indiquer que la MCT mémorise principalement des informations auditives. Par exemple, on peut citer l'étude de Conrad (1960). Dans cette étude, des sujets devaient lire des suites de lettres et les rappeler immédiatement après (rappel libre). L'étude des erreurs des sujets a alors montré quelque chose d’intéressant. Les suites de lettres sont plus difficiles à mémoriser quand les lettres se prononcent de manière similaire. Par exemple, la suite P D C T G B sera plus difficile à mémoriser que A W Z E T L D. La tâche étant une tache de rappel libre faisant appel à la MCT, on peut en déduire que la MCT mémorise des informations acoustiques, qui peuvent interférer entre elles lors du rappel.

Le phénomène de regroupement/chunking

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Il faut signaler que les limites de la mémoire à court terme semblent s’évanouir (ou tout du moins fortement augmenter) quand on est face à une situation familière. La raison tient dans la possibilité de regrouper plusieurs items en un seul, dans la mémoire à court-terme. De tels regroupements sont appelés des chunks.

Historiquement, le premier scientifique à avoir découvert cela était Miller, celui qui a découvert que la mémoire à court terme pouvait retenir 7 +- 2 items. Son expérience était simple : il devait retenir un maximum de chiffres binaires, présentés les uns après les autres. Pour information, le binaire est un système d'écriture des nombres qui n'utilise que deux chiffres : 0 et 1. Dans son expérience, il devait retenir une suite de 0 et de 1, dans ce genre : 1011110011010101100000. En travaillant sur des chiffres isolés, il arrivait à retenir 7 chiffres. Néanmoins, il eut l'idée d'utiliser des groupements de deux, trois, ou quatre chiffres binaires. Il pensa alors à interpréter chacun de ces groupes comme un nombre écrit en décimal. Il lui suffisait d'apprendre la correspondance entre groupes de chiffres et nombres, et de l'utiliser pour mémoriser les chiffres.

  • 0 = 0000
  • 1 = 0001
  • 2 = 0010
  • 3 = 0011
  • 4 = 0100
  • 5 = 0101
  • 6 = 0110
  • ...

Pour vous rendre compte par vous-même de ce phénomène de chunking, essayez de mémoriser le numéro de téléphone suivant, sans regrouper les chiffres :

  • 0 3 2 4 5 3 4 6 7 8

Et maintenant essayez en regroupant les chiffres deux à deux :

  • 03 24 53 46 78

La seconde suite était plus facile : le fait de regrouper les chiffres fait que le nombre de chunks à mémoriser était plus faible.

Il faut cependant préciser que ce phénomène a été observé pour des informations très différentes, qui dépassent de loin de simples suites de lettres ou de chiffres. Par exemple, quand on présente une configuration de jeu à un joueur d'échec expert, il a tendance à mémoriser 4 à 5 fois plus de pièces qu'un novice. Cela vient du fait que les novices doivent mémoriser des pièces indépendantes, tandis que les experts les regroupent en blocs de 3 à 5 pièces. Mieux : ces regroupements permettent de catégoriser des ensembles de pièces suivant leur sens stratégique, chaque regroupement étant associé au meilleur coup à jouer associée à cette configuration. Ce phénomène de regroupement est aussi utile en géométrie (Koedinger et Anderson, 1990) : les élèves qui ont de bonnes performances en géométrie ont acquis des regroupements visuels qui leur permettent de reconnaître des figures géométriques particulières (triangles, carrés, angles alternes-internes, etc), et d’accéder aux informations associées à ces figures. Ainsi, la capacité à résoudre certains exercices de géométrie dépend en partie de cette capacité à reconnaître des figures, comme des angles alternes-internes, des figures géométriques, et ainsi de suite. On voit que le phénomène de regroupement peut se produire pour des stimulus visuels.

Mieux : certains regroupements sont des regroupements non pas perceptifs, mais conceptuels. Pour donner un exemple, on peut prendre les recherches d'Egan and Schwartz, datées de 1979. Ces expériences comparaient les performances entre des spécialistes en électronique et des novices : les cobayes devaient mémoriser un circuit électronique qui leur était présenté durant quelques secondes. Tandis que les novices se rappelaient de chaque pièce indépendamment, les experts se rappelaient d'ensembles de pièces assez conséquents, chacun de ces ensembles ayant un sens. Par exemple, les experts regroupaient un ensemble de résistances électriques, condensateurs, et bobines dans un sous-circuit qui correspond à un amplificateur de tension ou un amplificateur de courant.

Notons que la capacité à faire des regroupements est dépendante des connaissances antérieures. Par exemple, les expériences de Yntema et Mueser montrent clairement que des contrôleurs aériens experts ne peuvent pas faire de regroupements dans des tâches de laboratoires déconnectées de leur expertise : leur mémoire de travail reste limitée à 7 informations en moyenne. Mais les études de Bisseret montrent que pour des tâches liées à leur domaine d'expertise, les contrôleurs aériens peuvent mémoriser jusqu’à 20 voire 30 informations dans leur mémoire de travail. Cette constatation a été vérifiée dans une grande quantité de domaines différents, comme l'expertise médicale, la programmation, la conception de circuits électronique, ou l'expertise mathématique. Pour reprendre l'exemple des joueurs d'échec experts, leur avantage mnésique ne vaut que pour des configurations de jeu rencontrées fréquemment, ceux-ci ayant des performances similaires à celles des novices pour des configurations de jeu aléatoires.

Pour résumer, les chunks sont des connaissances mémorisées en mémoire à long terme. La recherche dans le domaine de l'expertise a d'ailleurs montré que les performances des experts dans un domaine proviennent en partie de la mémorisation d’un grand nombre de regroupements spécifiques à ce domaine. On observe ce phénomène dans des domaines très divers, mais les premières études sur le sujet étaient celles des experts du jeu d'échecs. Comme le dit Mislevy : « […] comparés aux novices, les experts dominent plus de faits et établissent plus d’interconnexions ou de relations entre eux. Ces interconnexions permettent de surmonter les limitations de la mémoire à court terme. Alors que le novice ne peut travailler qu’avec au maximum sept éléments simples, l’expert travaille avec sept constellations incarnant une multitude de relations entre de nombreux éléments ».

Quelques critiques du modèle

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Le modèle modal a été l’une des meilleures synthèses qui soient des connaissances sur la mémoire du siècle dernier. Ses hypothèses sont diverses, mais peuvent se résumer simplement : existence de trois mémoires ayant chacune ses caractéristiques, transfert entre registre sensoriel et MCT basé sur l'attention, encodage basé sur le temps de maintien en MCT. Néanmoins, divers pans du modèle ont depuis été remis en cause. L'existence du registre sensoriel et sa subdivision en mémoire iconique et échoïque a remarquablement bien résisté, et fait depuis partie des acquis de la science. Mais les autres hypothèses sont aujourd'hui remises en cause. L'hypothèse de l'existence d'une MCT séparée, ou du moins indépendante de la MLT est aujourd'hui quelque peu réductrice, de même que l'unité de la mémoire à court-terme.

Le processus d'encodage

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Le modèle modal d'Atkinson et Shiffrin postule que la qualité de l'encodage dépend uniquement du temps passé par l'item en MCT. La répétition mentale, en augmentant le temps passé en MCT par l'item, favorise donc l'encodage. Mais les expériences faites sur le sujet ont montré que la répétition avait non seulement un effet relativement faible, mais aussi que d'autres mécanismes favorisent un encodage de qualité. Dans les grandes lignes, donner du sens aux items, les relier à des connaissances antérieures, ou organiser/classer les items favorise leur encodage. Chose que le modèle modal ne peut pas permettre de rendre compte.

La passivité du stockage en MCT

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La vision de la MCT comme simple lieu de stockage passif est aussi remise en cause par les résultats d'expériences de double tâche, où un sujet doit traiter simultanément des informations et les mémoriser. Elles montrent que traitement et mémorisation entrent en conflit, une forte charge de traitement diminuant les performances de mémorisation et réciproquement. De nos jours, la mémoire à court-terme est vue non seulement comme une forme de mémoire, mais aussi comme une capacité cognitive plus générale liée à l'attention, indispensable pour des tâches comme le raisonnement, la résolution de problème, ou l'apprentissage. Cette nouvelle forme de mémoire est appelée la mémoire de travail et nous la détaillerons dans le chapitre suivant.

L'unité de la mémoire à court-terme

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De nos jours, diverses expériences et observations sur des patients cérébrolésés ont montré que la mémoire à court-terme n'est pas une mémoire unique, mais est elle-même subdivisée en plusieurs sous-mémoires indépendantes. Cette hypothèse permet de rendre compte des expériences où les sujets doivent mémoriser à la fois des informations verbales et visuelles. Dans sa première expérience de ce type, Baddeley utilisa plusieurs groupes de cobayes. Ceux-ci devaient mémoriser les informations présentées sur un écran et les rappeler quelques secondes plus tard. Le premier groupe de cobaye ne voyait que des mots sur l'écran, le second des icônes carrées dont il devait prononcer la couleur, et le troisième voyait à la fois icônes et mots et devait prononcer soit les couleurs, soit les mots affichés. Les différents groupes n'avaient pas exactement la même performance à ce test : le groupe 1 est capable de mémoriser environ 4 icônes, le groupe 2 peut mémoriser 7 mots, et le groupe 3 peut rappeler environ 7 mots et 4 icônes. Cette observation ne va pas dans le sens d'une mémoire à court terme unitaire, à capacité limitée fixe.

Ces constatations sont de plus renforcées par les observations sur certains patients cérébrolésés. Certains patients ont une mémoire de travail verbale déficitaire, alors que leur mémoire de travail visuelle est intacte. D'autres ont le déficit inverse. Cette double dissociation montre donc que mémoires de travail verbale et visuelle sont séparées. Les patients dont la mémoire de travail verbale est lésée ont des déficits de l'apprentissage du vocabulaire, ainsi que des déficits d'apprentissage phonologique. On peut citer le cas d'une patiente, étudiée par Baddeley, dont la mémoire de travail phonologique/articulatoire est atteinte à la suite d'un accident vasculaire cérébral. La patiente n'avait aucun problème pour lire des mots familiers ou qui ressemblaient à des mots connus, mais l'apprentissage de nouveaux mots d'une autre langue était laborieux, quand il était seulement possible. On voit donc que l'apprentissage de nouveaux mots dépend de la mémoire de travail auditive, du moins dans les premières étapes de l'apprentissage de la lecture. Par la suite, cette influence diminue, l'élève apprenant de nouveaux mots en les reliant à des mots déjà présents en mémoire à long terme, par analogie.

L'indépendance de la MCT et de la MLT serait un résultat en trompe-l’œil

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Le modèle des processus emboîtés de Cowan postule que la MCT et la MLT seraient en réalité beaucoup plus liées qu'on ne peut le croire. L'idée du modèle est que la MCT est la portion activée de la MLT. Par activée, on veut dire que les informations en MLT ont un niveau d'activation qui correspond à leur facilité à être rappelée. Plus une information est active, plus elle a de chances de nous venir à l'esprit. Cependant, il ne suffit pas qu'une information soit activée pour qu'elle soit en MCT. Il faut aussi qu'on y fasse attention et qu'on décide de se focaliser dessus. Pour cela, il existe dans le cerveau un superviseur attentionnel, qui gère notre attention, notre concentration et toutes les capacités mentales associées. L'activation, peu importe son origine, pré-sélectionne les informations pouvant entrer dans la MCT, et le superviseur attentionnel s'occupe de la sélection finale. En quelque sorte, la MCT serait le résultat de l'interaction entre notre capacité d'attention et la mémoire à long-terme.

Modèles de mémoire unifiée


Le modèle de Baddeley

Dans le chapitre précédent, nous avons constaté que le modèle modal de la mémoire a quelques défauts. Nous avons évoqué le fait que la vision de la MCT a largement été amendée depuis, et ce chapitre propose de vous montrer en quoi. De nos jours, la MCT est plutôt vue comme une mémoire de travail, dans le sens où celle-ci n'est pas seulement un lieu de stockage passif, mais un mécanisme mêlant mémorisation et capacités de traitement, les deux interagissant fortement. Pour expliquer son fonctionnement et sa structure, Alan Baddeley et Graham Hitch ont proposé un modèle contenant plusieurs MCT distinctes, qui interagissent et échangent des informations. Dans ce modèle, la mémoire à court terme est scindée en plusieurs sous-systèmes :

  • un sous-système verbal : la boucle phonologique ;
  • un sous-système visuel : le calepin visuo-spatial ;
  • un sous-système indépendant de la modalité sensorielle : le tampon épisodique ;
  • et un dernier un sous-système généraliste : le superviseur attentionnel, aussi appelé administrateur central, chargé de gérer les autres sous-mémoires.
Mémoires de travail

L'existence de mémoires séparées se fonde autant sur des arguments expérimentaux que de l'étude de cas cliniques. Nous verrons bientôt les arguments expérimentaux, mais nous allons d'abord évoquer les cas cliniques de dissociations. Quelques patients ayant subi un AVC ou une lésion cérébrale ont une MCT verbale parfaitement conservée couplée avec de lourds déficits de la MCT visuo-spatiale. L'exemple typique est celui du patient KF, étudié par Elisabeth Warrington. Il a un empan mnésique de 2, avec une absence totale d'effet de récence en MCT, qui n’apparaît qu'avec une présentation orale des items et disparaît lorsque les items sont présentés visuellement. Le déficit inverse, à savoir une MCT verbale altérée avec préservation de la MCT visuo-spatiale, existe aussi. Le cas classique est celui du patient LE, un ancien sculpteur aujourd'hui incapable de mémoriser temporairement des informations visuelles. Cependant, il faut signaler que sa capacité à mémoriser des informations spatiales est conservée : il sait se repérer dans son environnement, se déplacer dans des lieux connus, etc. D'autres cas montrent une dégradation de leur mémoire spatiale, alors que leur mémoire visuelle est conservée.

La boucle phonologique

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La boucle phonologique est une mémoire temporaire verbale, spécialisée dans le stockage et le traitement des informations auditives et la parole. Elle est impliquée dans la lecture, l'écriture, la compréhension orale, le calcul mental, l'apprentissage de la langue maternelle, et des autres langues. Des études ont montré une corrélation entre le développement de la boucle phonologique et développement du langage. De plus, des études faites sur des patients ayant une boucle phonologique atteinte par des lésions cérébrales montrent que ceux-ci ont de fortes difficultés à acquérir le vocabulaire d'un nouveau langage, alors que leur mémoire verbale à long terme n'est pas touchée. La boucle phonologique serait composée de deux sous-systèmes :

  • un entrepôt phonologique, une mémoire temporaire verbale de quelques secondes,
  • et un système de répétition, chargé de répéter mentalement le contenu de l’entrepôt phonologique.

L'existence de ce système a été postulée pour rendre compte d'expériences sur les listes de mots, chiffres, lettres. À vrai dire, c'est cette mémoire à court terme qui était étudiée dans les expériences mentionnées jusqu'à présent.

L'effet de similarité phonologique

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Les expériences d'interférences semblent montrer que cet entrepôt phonologique stocke bel et bien des informations verbales. Des mots phonétiquement proches interférent fortement, tandis que des listes de mots proches sémantiquement proches n’interfèrent pas. Pour vous en rendre compte, testez votre empan sur les listes de mots suivantes :

  • chat, tas, mât, cas, rat ;
  • vidoc, moche, stupide, vieux, long ;
  • mot, pro, seau, beau, lin ;
  • vide, rance, large, mieux, centre.

Vous remarquerez que les listes 1 et 3 sont plus difficiles que les autres. Il faut dire que les mots qu'elles contiennent se prononcent de la même façon. Du fait de leur prononciation similaires, les mots de la liste interfèrent entre eux, diminuant l'empan. En revanche, ce n'est pas le cas dans les autres listes, dont les mots se prononcent différemment. Cet effet est supposé provenir lors du rappel des informations depuis la mémoire à court-terme. Les informations n’interfèrent pas dans la boucle phonologique, lors de leur stockage. Cependant, le mécanisme de rappel des informations depuis la boucle phonologique n'est pas parfait et a tendance à confondre les informations similaires.

Cependant, cet effet disparaît sous certaines conditions. Premièrement, il disparaît avec des listes de mots très longues, qui dépassent de loin la taille de l'empan mnésique usuel. Ensuite, il disparaît dans les tâches de répétition articulatoire, où les sujets doivent mémoriser une liste de mots, tout en prononçant à voix haute un mot en boucle. Dans de telles conditions, la boucle articulatoire n'est plus utilisée, la mémoire à long-terme prenant la relève.

L'effet de longueur du mot

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Les séries de mots qui se mémorisent le plus facilement sont celles dont les mots sont courts à prononcer. Dit autrement, l'empan est supérieur pour des mots courts, comparé à des mots plus longs : c'est l'effet de longueur des mots (word length effect). Pour vous en rendre compte, essayez de mémoriser les deux listes suivantes :

  • cas, mot, don, mort, stop ;
  • éléphant, misérable, médiocrité, anticonformiste, dépravation.

La première est nettement plus facile que la seconde, ses mots étant plus courts et contenant moins de syllabes.

L'effet de la suppression de la répétition subvocale

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Pour vérifier que la boucle phonologique est bien impliquée dans l'effet précédent, il suffit d’empêcher le cobaye de répéter mentalement les mots qui lui sont donnés. Pour cela, on ajoute une tâche de Brown-Peterson entre chaque mot. L'effet de la longueur du mot disparaît : les mots longs sont alors aussi bien rappelés que les mots courts. Pour estimer la durée de ce processus de répétition subvocale, on peut essayer de se fonder sur la longueur à partir de laquelle un mot commence à être difficilement mémorisable. Cette longueur dépend des personnes, qui peuvent lire ou parler plus ou moins vite. Mais dans tous les cas, le taux de mémorisation chute brutalement pour les mots qui mettent plus de deux secondes à prononcer.

Ensuite, d'autres expériences ont testé la suppression de la répétition à haute voix. Il apparaît que l'on mémorise mieux les listes de mots quand elles sont prononcées à haute voix que silencieusement. De même, on observe un phénomène d'interférence avec la parole. Si, juste après chaque présentation d'un mot, on demande aux cobayes de prononcer un autre mot que celui à mémoriser à haute voix, la mémorisation dans la boucle phonologique est alors fortement affectée, et devient inférieure à celle obtenue avec une tâche de Brown-Peterson.

Effet subvocalisation mémoire, d’après Slowiaczek et Clifton, 1980

L'effet des sons distracteurs

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Enfin, on peut mentionner les expériences faisant appel à des sons distracteurs. Dans ces expériences, les sujets doivent mémoriser une liste écrite de mots/chiffres. Ceux-ci sont présentés en même temps qu'un son (un bruit blanc ou un mot d'une langue étrangère), que les sujets doivent ignorer. Un exemple de ce type d'étude est celle de Colle et Welsh (1976), dont les résultats ne s'expliquent correctement qu'avec un système de répétition articulatoire. Dans cette étude, les mots présentés en même temps qu'un bruit blanc sont mémorisés avec des performances identiques à celle d'un groupe contrôle. En revanche, les mots présentés en même temps que de la parole sont nettement moins bien mémorisés. L'explication est que le système de répétition articulatoire est utilisé pour traduire l'écrit en oral, transduction perturbée par les distracteurs verbaux.

Le calepin visuo-spatial

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Outre nos capacités verbales, le cerveau gère aussi des images mentales, ses capacités d'imagerie étant impressionnantes. Autant dire que l'existence d'une mémoire de travail visuelle, où les informations sont encodées par des images mentales, n'est pas étonnante. Elle se nomme le calepin visuo-spatial.

Un codage visuel

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Pour prouver l'existence d'un tel codage visuel, les chercheurs ont utilisé des expériences de parcours mental. On fait mémoriser aux cobayes la carte d'une île contenant un lac, une hutte et un rocher. On leur demande de parcourir mentalement le chemin qui mène de la hutte au rocher, ou tout autre endroit de l’île. Le temps mis par les cobayes pour faire cette traversée est proportionnel à la distance du trajet : le trajet s'effectue toujours à la même vitesse. D'autres expériences utilisées sont les expériences de rotation mentale. Dans ces expériences, on montre deux formes géométriques à des cobayes, et on leur demande de vérifier si ces deux formes sont différentes, ou s'il s'agit de la même forme présentée sous un angle différent. Pour faire cette vérification, le cobaye va devoir faire tourner mentalement l'objet, et appuyer sur un bouton poussoir quand il a fini. Statistiquement, le temps mis pour faire la rotation est presque proportionnel à l'angle de rotation.

Expérience de rotation mentale.

Une autre expérience, réalisée par Shepard et Feng, a montré une autre forme de traitement visuo-spatial dans la mémoire de travail. Dans leur étude, les chercheurs présentaient des figures qui ressemblaient à des patrons de cube à leurs sujets. Certaines faces avaient des flèches dessinées dessus et les sujets devaient dire si les deux flèches se rencontraient tête contre tête quand on pliait le patron. Certaines figures demandaient un simple pliage, tandis que d'autres en demandaient plusieurs pour réussir la tâche. Il s'est avéré que le temps de réponse des sujets était proportionnel au nombre de plis à effectuer, preuve que les sujets utilisaient une représentation visuelle pour résoudre le problème.

Une capacité limitée à quelques items

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L'étude de la capacité de la MDT visuelle se fonde sur des expériences dites de détection de changement. On présente une image au sujet durant un certain temps, suivie par une seconde image après quelques secondes de noir entre les deux. Le sujet doit dire si les deux images présentées sont identiques ou non. Le sujet doit catégoriser ainsi une succession de paires d'images, certaines paires ayant des images identiques, d'autres des images différentes. Pour donner un exemple, on peut prendre l'étude de Phillips, datée de 1974. Les sujets de cette étude se voyaient présenter des plateaux d'échec de complexité variable : de 4 * 4 cases pour les plus simples à 8 * 8 cases pour les plus complexes. Les délais de présentation entre les deux plateaux variaient entre 0 et 9 secondes. Il se trouve que dans cette expérience (et dans toutes les autres du même type), les performances diminuaient avec le délai inter-image. D'une détection quasi-parfaite avec un délai inférieur à la seconde, les performances chutaient au-delà. Cela suggère que la MDT visuelle a une capacité limitée.

L'ensemble des expériences de ce type semble indiquer une capacité proche de 3 à 4 items. Pour donner un exemple de ces expériences, qui visent à mesurer précisément la capacité de la MDT visuelle, on peut citer l'étude de Luck et Vogel (1997). Dans celle-ci, on présentait des images contenant des carrés colorés aux sujets. Là encore, les sujets devaient détecter un changement dans la couleur des carrés, ou dans leur position. En augmentant le nombres de carrés, la performance suivait un motif assez simple : la performance décline doucement à moins de 4 carrés, mais devient abrupte pour de courtes durées au-delà.

Le calepin est subdivisé en deux sous-systèmes

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Certains psychologues pensent que ce calepin est lui aussi composé de plusieurs sous-systèmes. Un pour mémoriser les couleurs et caractéristiques visuelles d'un objet, et un autre pour mémoriser la position de l'objet sur le champ de vision. D'un côté, le cache visuel spécialisé dans les formes et les couleurs, et de l'autre, l'inner scribe pour la localisation et la vitesse des objets. Ce découpage est cohérent avec le fait que ces deux informations sont gérées par des zones du cerveau séparées : une voie ventrale pour la reconnaissance des formes, et une voie dorsale pour la position des objets. Cela se voit sur les IRM : les zones du cerveau activées ne sont pas les mêmes. De plus, certaines lésions cérébrales empêchent la reconnaissance des formes, mais pas leur localisation dans le champ de vision, et réciproquement. Là encore, certains patients ayant une lésion cérébrale particulière sont capables de retenir des informations spatiales en MCT, mais pas des informations visuelles, et réciproquement.

Le tampon épisodique

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Si l'on soumet des cobayes à des tâches demandant de retenir des listes de mots, l'ajout d'une tâche de Brown-Peterson ou l'utilisation d'une tâche de suppression articulatoire va supprimer les phénomènes d'interférences phonétiques. Cependant, on voit apparaître des interférences sémantiques : plus les mots appartiennent à la même catégorie ou sont proches sémantiquement, plus le taux de rappel est mauvais. Cette observation peut être attribuée à l'existence d'une mémoire à long-terme dans une certaine mesure, mais sans être vraiment compatible avec le modèle précédent. D'autres observations ne peuvent s'expliquer simplement avec le modèle précédent. De plus, dans les tâches de répétition articulatoire, les cobayes arrivent tout de même à retenir quelques mots en mémoire à court terme. De même, la taille de cet empan est différente de la taille de la boucle phonologique : les cobayes retiennent environ 4 items, au lieu des 7 que la boucle phonologique peut permettre. Enfin, les expériences d'apprentissage de listes de mots et de phrases donnent des empans totalement différents : de 5 à 6 mots dans une liste de mots à 15 à 20 mots pour l'apprentissage d'une phrase. Une telle capacité dépasse de loin celle de la boucle phonologique verbale et du calepin visuo-spatial.

Finalement, quand on lit un texte, qu'on réfléchit, ou qu'on cherche à résoudre un problème, il est évident que notre mémoire de travail est mise à contribution. Néanmoins, les données sur lesquelles on travaille ne sont ni des images, ni des données verbales : ce sont des concepts, des informations qui ont une signification. Dans ces conditions, le calepin visuo-spatial et la boucle phonologique ne peuvent pas servir à stocker ces concepts. Pour gérer les éléments porteurs de signification, la mémoire de travail doit fatalement contenir un sous-composant, en plus de la boucle phonologique et du calepin visuo-spatial.

Rendre compte de ces observations demande de postuler une nouvelle forme de mémoire. Pour cela, le modèle de la mémoire de travail a été adapté dans les années 2000, par ses auteurs, pour rajouter une autre MCT contenant des informations épisodiques ou sémantiques. Cette MCT s'appelle le tampon épisodique, ou encore l'executive buffer. Il est supposé que cette mémoire serait en lien direct avec la mémoire à long terme. Ce tampon épisodique aurait une capacité de quatre items maximum, capacité qui serait cependant influencée par le phénomène de morcelage, qui aurait lieu dans cette mémoire. Il est aussi supposé que les informations dans ce tampon seraient autant visuelles que verbales ou conceptuelles. Le tampon permettrait de lier entre elles ces représentations afin de former des morceaux cohérents.

Le superviseur attentionnel

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Les composants précédents sont des "sous-mémoires" distinctes, dédiées à des formes d'informations spécialisées. Ces mémoires suffiraient pour rendre compte des expériences qui considèrent la mémoire comme un processus purement passif. Mais la vision actuelle de la mémoire de travail est que celle-ci est un dispositif de traitement de l'information plus que de stockage passif. Cette vision implique fatalement un système de contrôle, non-mnésique, dans la mémoire de travail. Ce système de contrôle est un système attentionnel, qui se charge de l'allocation de l'attention dans les différentes sous-mémoires vues précédemment. De par sa nature attentionnelle et son rôle de contrôle, celui-ci est appelé le superviseur attentionnel.

Les tâches d’empan complexe

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L'existence de ce superviseur attentionnel est utile pour rendre compte des résultats dans les expériences d'empan complexe. Les expériences du chapitre précédent étaient relativement simples : il s'agit d'expériences d'empans basiques, qui n'impliquent que la mémorisation d'items. Pour mieux évaluer la capacité et le fonctionnement de la mémoire à court terme, les psychologues ont créé des tâches d'empan complexes, où l'on introduit une tâche de traitement entre chaque item à retenir. Par exemple, on peut demander à un cobaye d'effectuer un calcul mental entre chaque mot d'une liste.

La mesure la plus simple de l'empan complexe consiste à intercaler des calculs entre paires de mots.

  • Château | 4 * 70 | Martien
  • Combat | 25 * 15 | Nul
  • Fin | 12 * 41 | Discriminatoire
  • ...

D'autres épreuves demandent de mémoriser des résultats de traitements mentaux. Par exemple, faites les calculs suivants, et essayez de les mémoriser :

  • 4 * 70
  • 25 * 15
  • 12 * 46
  • 49 * 73
  • 13 * 40
  • 76 * 16
  • 44 * 22
  • 79 * 46

Ces expériences montrent clairement que la mémorisation est bien plus difficile quand elle est effectuée avec des traitements intercalés. Ces tâches font intervenir le superviseur attentionnel, et montrent clairement que celui-ci a une forte importance dans la gestion des sous-systèmes de la mémoire à court terme.

La répartition entre traitement et mémorisation

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Pour décrire les résultats des expériences d'empan complexe, divers modèles ont été créés. Le plus abouti à l'heure actuelle est le modèle TBRS (Time Based Resource Sharing), créé par des chercheurs français (Barrouillet, Bernardin et Camos, 2004). Ce modèle se fonde sur quatre axiomes de base.

  • Premièrement, les tâches d'empan complexes utilisent l'attention pour maintenir et traiter les informations en mémoire de travail. Les items à retenir s'effacent avec le temps, mais il est possible de contrer cet effacement progressif est de rafraîchir les items. Ce rafraîchissement n'a rien à voir avec la répétition articulatoire de la boucle phonologique, mais est en réalité un processus de répétition séparé, capable d'intervenir dans toutes les mémoires à court terme. Il s'agit d'un mécanisme qui consomme de l’attention et est donc le fait du superviseur attentionnel. Pour résumer, l'attention sert justement à rafraîchir les informations en MCT, afin de contrer leur oubli.
  • Deuxièmement, les traitements et le rafraîchissement des informations s'effectuent les uns après les autres : l'attention est focalisée sur un objet à la fois. La mémoire de travail utilise traitements et rafraîchissement de manière séquentielle. L'administrateur central va ainsi constamment basculer entre traitements et rafraîchissement, rafraîchissant et traitant les morceaux les uns après les autres en mémoire de travail.
  • Troisièmement, l'attention est disponible en quantité limitée, et ne peut traiter ou rafraîchir qu'un seul morceaux à la fois. Cette capacité à ne pouvoir maintenir qu'une quantité limitée de morceaux sous le feu de l'attention fait que l'on parle de focus attentionnel : on peut focaliser son attention sur un morceau en particulier.
  • Et enfin, quand l'attention n'est pas portée sur un objet, que ce soit pour rafraîchissement ou pour traitement, celui-ci se désactive progressivement et finit par être oublié s'il n'est pas rafraîchi par le focus attentionnel.

Sur une tâche qui dure un temps limité, une partie de la durée de la tâche sera dédiée aux traitements, et une autre partie servira pour le rafraîchissement. La difficulté de mémorisation ne dépend alors pas tellement du nombre d'informations qu'il faut mémoriser, mais surtout du pourcentage de temps passé à faire les traitements. Plus les traitements prennent de temps, plus le temps disponible pour rafraîchir les autres regroupements en mémoire de travail sera faible : cela peut empêcher de rafraîchir à temps les morceaux en dehors du focus attentionnel.

Le fonctionnement supposé du superviseur attentionnel

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Le fonctionnement de ce superviseur est basé sur l'attention, la capacité de concentration. Ce superviseur contiendrait une certaine quantité finie d'attention, qu'il pourrait utiliser pour diverses choses. Tout le travail du superviseur attentionnel demande de répartir l'attention dans les diverses tâches qui lui sont confiées. Si cette répartition est mal faite, les performances s'en ressentent. Une modélisation complète du superviseur attentionnel a été réalisée par Norman et Shallice, modèle considéré comme cardinal par Baddeley. Ce modèle part des acquis de la psychologie cognitive, qui distingue des comportements contrôlés des comportements automatiques.

Les comportements automatiques sont des comportements habituels, appris et acquis avec l’entraînement, la répétition ou l'habitude. Ces comportements sont mémorisés en mémoire à long-terme, sous la forme de ce que les psychologues appellent des schémas. Ces derniers sont des ensembles unifiés d'actions et de pensées reliés entre eux qui permettent d'appliquer une procédure, une méthode ou une routine. Ceux-ci sont activés automatiquement par la perception ou la pensée, cette activation permettant à ceux-ci de s'"exécuter". Lorsque plusieurs schémas s'activent en même temps, un dispositif de contention sélectionne le bon schéma à appliquer. Lors de cette étape de contention, chaque schéma va tenter d'inhiber les schémas concurrents, seul le plus activé restant activé suite à cette étape.

Cependant, quand les schémas activés ne permettent pas de répondre aux exigences de la situation, le superviseur attentionnel prend la relève. Le processus de pensée quitte alors le domaine de la pensée automatique et tombe dans le registre de la pensée contrôlée : le superviseur utilise les ressources cognitives comme la mémoire de travail pour trouver une solution. Ces processus contrôlés sont assez stratégiques, basés sur des algorithmes, des méthodes générales de résolution de problèmes. Ce superviseur a un rôle de contrôle des schémas, que ce soit pour désactiver les schémas inadaptés (rôle d'inhibition) ou pour en créer de nouveaux (rôle dans l'apprentissage).

Illustration du modèle de Norman et Shallice.


La subdivision de la mémoire à long-terme

Dans les chapitres précédents, nous avons considéré la mémoire à long terme (MLT) comme une entité unique. C'était une hypothèse secondaire du modèle d'Atkinson et Shiffrin, qui visait à simplifier le modèle et qui paraissait crédible pour l'époque. Mais les connaissances scientifiques actuelles nous disent qu'il existe deux systèmes de mémoire : un système pour les souvenirs et connaissances, et un autre pour les automatismes moteurs, cognitifs et sensoriels. La terminologie utilisée pour nommer ces deux systèmes de mémoire est assez simple, même si il y a deux acceptations distinctes. La première terminologie distingue la mémoire déclarative de la mémoire non déclarative. La mémoire déclarative correspond à la mémoire dont on peut verbaliser le contenu, alors que la mémoire non-déclarative comprend des apprentissages qu'on ne peut pas mettre en mots. Pour faire simple, il s'agit d'une distinction entre une mémoire verbale, liée au langage, d'une mémoire non-verbale indépendante du langage. La seconde terminologie distingue une mémoire explicite d'une mémoire implicite. La différence entre les deux tient dans le fait que l'apprentissage soit conscient ou non. Ce qui est appris en mémoire explicite l'est de manière consciente, alors que la mémoire implicite est celle des apprentissages inconscients (apprentissage perceptifs ou moteurs). Concrètement, les deux distinctions sont identiques : mémoire explicite et déclarative sont deux termes interchangeables, de même que mémoire implicite et non-déclarative.

Il est apparu que mémoire déclarative et implicite sont elles-mêmes subdivisées en mémoires séparées. Le découpage est encore mal connu, surtout pour la mémoire implicite et toutes les classifications ne sont pas d'accord. Pour la mémoire déclarative, le consensus actuel est qu'elle est séparée en deux : une mémoire sémantique pour les connaissances (conceptuelles ou factuelles) et une mémoire épisodique pour les souvenirs. Pour ce qui est de la mémoire implicite, les choses sont plus compliquées et le consensus plus complexe. Ce qui ne fait pas débat est la présence de quatre sous-systèmes distincts : une mémoire procédurale pour les automatismes moteurs et cognitifs, la mémoire liée au processus d’amorçage dont on parlera dans quelques chapitres, le conditionnement classique et des apprentissages non-associatifs qui sont des apprentissages archaïques associés à certains réflexes. On sait aujourd'hui que chaque type de mémoire est pris en charge par des zones du cerveau totalement différentes.

Zones cérébrales associées à chaque type de mémoire.

Les preuves de l'existence de deux systèmes de mémoire séparés

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La subdivision de la MLT en une mémoire explicite et une mémoire implicite ne sort pas de nulle part. De nombreuses observations ne peuvent s'expliquer que si on fait l'hypothèse de l'existence de deux systèmes mnésiques séparés. L'hypothèse a d'abord été formée suite à l'observation de patients profondément amnésiques qui avaient gardé une capacité d'apprentissage résiduelle bien particulière, qu'on détaillera plus bas. De là, d'autres expériences ont tenté de vérifier cette hypothèse, en soumettant des sujets à diverses épreuves, certaines ne mettant en œuvre que la mémoire explicite et d'autres que la mémoire implicite. Dans cette section, nous allons rapidement parler des indices en faveur de l'existence de deux systèmes de mémoire séparés.

L’observation des patients amnésiques

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L'observation de patients avec des lésions au cerveau est riche d'enseignements pour ceux qui étudient la cognition et la mémoire humaine. Les cas les plus spectaculaires, mais aussi les plus intéressants pour en apprendre plus sur la mémoire, sont ceux des amnésiques qui ont perdu toute possibilité de former des souvenirs ou d’apprendre des faits suite à une lésion cérébrale.

Le cas le plus connu est celui du patient H.M, un patient dont l'observation a révolutionné les neurosciences et les conceptions sur le fonctionnement de la mémoire. Pour soigner ses graves crises d'épilepsies, ce patient s'est fait retirer une partie de son cerveau. L'opération a retiré une partie de son hippocampe, du lobe temporal médian, et quelques aires cérébrales annexes. Le patient s'est remis de cette opération particulièrement lourde, ses crises d'épilepsies avaient grandement diminuées, mais au prix de séquelles permanente assez spectaculaires. Ses capacités intellectuelles et sa mémoire de travail étaient parfaitement conservées. Sa mémoire antérieure était intacte, il se souvenait de toute sa vie avant son opération, il n'avait pas d'amnésie au sens commun du terme. Cependant, le patient avait perdu toute possibilité de former de nouveaux souvenirs ou d'apprendre des connaissances. Concrètement, il était incapable de mémoriser un visage, de reconnaître les médecins qui le soignaient depuis des années, ne pouvait se souvenir de sa nouvelle adresse ni reconnaître les lieux alentours, etc.

Sa mémoire était littéralement celle d'un poisson rouge et il oubliait tout après quelques secondes. Concrètement, si un médecin lui parlait, il pouvait tenir une conversation avec lui sans trop de problèmes durant un court moment, preuve que sa mémoire de travail était conservée. Mais il suffisait que le médecin quitte la pièce pour y revenir pour que le patient oublie totalement avoir déjà vu le médecin et encore plus lui avoir déjà parlé. D'ailleurs, le patient pensa durant le reste de sa vie être dans la même année que celle de son opération. L'interprétation de son amnésie dans le modèle d'Atkinson et Shiffrin est relativement simple : la MCT et la MLT étant déconnectées, l'encodage en MLT est impossible chez ces patients (le transfert des informations ne pouvant aller que de la MCT vers la MLT).

Si H.M avait perdu la capacité de former de nouveaux souvenirs, ainsi que d'apprendre de nouvelles connaissances, il gardait une certaine capacité à mémoriser bien particulière. Sa capacité à apprendre des mouvements ou des séquences motrices était parfaitement conservée. Il a par exemple appris à dessiner une figure présentée à l'envers, par l'intermédiaire d'un miroir, de façon à ce que le dessin soit dans le bon sens. Il a aussi appris à lire un texte en miroir, suite à plusieurs séances d’entraînement. Dans un tout autre genre, H.M a aussi appris la procédure pour résoudre le problème des tours de Hanoï progressivement, par essai et erreurs. Il a été soumis plusieurs jours de suite à ce problème et ses performances augmentaient à chaque essai. Et cela sans que H.M garde le moindre souvenir des séances d'apprentissage : à chaque nouvelle séance, il disait n’avoir jamais eu affaire à ce problème des tours de Hanoï. En clair : il gardait la capacité à apprendre non pas des connaissances, mais des automatismes moteurs et cognitifs. Ces apprentissages avaient lieu sans conscience d'avoir appris quelque chose et s'exprimaient par une amélioration progressive de la performance dans certaines tâches bien précises, suite à des entraînements à base de nombreuses répétitions régulières.

De nos jours, ces observations ont été répliquées sur de nombreux autres patients amnésiques. Et par répliquée, on veut dire que les résultats précédents ont été refait à l'identique, mais aussi que les scientifiques ont soumis les sujets à d'autres tâches, certaines mettant en œuvre la mémoire explicite et d'autres la mémoire implicite. Le résultat semble être assez clair, quel que soit l'expérience : les sujets amnésiques ont des performances normales dans les tâches de mémoire implicite, alors que leurs performances dans les tâches de mémoire explicite sont particulièrement dégradées comparé à un groupe contrôle. Les scientifiques interprètent aujourd'hui cette dissociation entre souvenir/connaissances d'un côté et automatismes de l'autre, comme le signe de l'existence de deux systèmes de mémoire séparés, en l’occurrence une mémoire explicite et une mémoire implicite.

Les expériences avec des benzodiazépines et autres agents amnésiants

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Les observations avec les patients amnésiques sont certes très intéressantes, mais les patients en question sont peu nombreux. Cependant, les scientifiques ont trouvé un moyen pour induire une amnésie temporaire chez un sujet, sans qu'il en garde la moindre séquelle. La solution consiste à utiliser des médicaments qui ont un effet amnésiant. Ces médicaments ne sont de plus pas difficile à obtenir et il est même possible que vous en ayez chez vous, sans même le savoir. Il s'agit des médicaments de la classe des benzodiazépines, ainsi que les z-drugs, des médicaments couramment appelés "somnifères" en dehors du milieu médical. Les benzodiazépines et molécules apparentées sont surtout utilisées comme somnifères, mais elles peuvent aussi servir d'anxiolytique, d'anti-épileptique, de décontractant musculaire et j'en passe.

Dans les études sur la mémoire, les benzodiazépines sont utilisées à des doses plus faibles que la normale, pour ne pas endormir le sujet et pouvoir effectuer le test. À de telles doses, ces médicaments engendrent une amnésie très semblable à l'amnésie des patients comme H.M. Les sujets conservent leurs souvenirs, n'ont rien oublié de ce qu'il se passe avant la prise du médicament, mais ils deviennent incapables de mémoriser quoique ce soit pendant que le médicament fait effet. Précisons que les sujets conservent leurs capacités intellectuelles et leurs fonctions cognitives, même si elles sont un peu altérées (les temps de réponse augmentent, notamment). Une fois que l'effet de la drogue s'atténue, l'amnésie disparaît, dans le sens où le sujet recouvre sa capacité à mémoriser de nouvelles informations. Par contre, les informations acquises pendant que le médicament faisait effet n'ont pas été enregistrées.

Cependant, cette amnésie ne touche que la mémoire explicite et n'a pas ou peu d'effets sur la mémoire implicite. Lorsqu'ils sont sous l'effet des benzos, les sujets conservent cependant une mémoire implicite intacte et une capacité à apprendre de nouveaux automatismes sans problème. Ils peuvent aussi effectuer des apprentissage perceptifs, ont un amorçage préservé, n'ont pas de problèmes particuliers pour le conditionnement classique, et j'en passe. Là encore, comme avec les patients amnésiques, il est très facile d'interpréter les résultats comme une dissociation entre mémoire explicite et implicite.

La mémoire déclarative

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La mémoire explicite/ déclarative, correspond aux mémoires dont on peut verbaliser le contenu, le mettre en mots. Cette mémoire est souvent découpée en plusieurs mémoires séparées. En général, la mémoire déclarative est juste subdivisée en une mémoire sémantique pour les connaissances conceptuelles et les savoirs factuels encyclopédiques, et une mémoire épisodique pour les souvenirs. Quelques chercheurs pensent cependant que cette subdivision est quelque peu arbitraire et qu'il n'y a pas de différence notable entre mémoire sémantique et épisodique, mais ils sont minoritaires. D'autres auteurs ajoutent une mémoire lexicale et une mémoire spatiale. La mémoire lexicale est aussi appelée le lexique mental et regroupe toutes les informations sur les mots, sauf éventuellement leur sens : comment ils se prononcent, s'écrivent, leur morphologie (suffixes, affixes et autres), etc. La mémoire spatiale est celle des lieux et permet de s'orienter, de trouver son chemin dans des endroits connus. Il n'est pas certain que la mémoire lexicale et la mémoire spatiale soient vraiment séparées et il est possible qu'elles fassent partie de la mémoire sémantique proprement dit.

Mémoires explicites

La mémoire épisodique

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La mémoire dédiée aux souvenirs est appelée la mémoire épisodique. Cette mémoire permet de localiser les événements dans le temps où l'espace : tout souvenir indique donc au minimum, un "quoi", un "où", et un "quand". Ce qui distingue la mémoire épisodique de toutes les autres formes de mémoire, c'est la capacité de voyager dans le temps mentalement : un sujet peut s'imaginer dans le passé, et revivre le souvenir. Il ne faut pas confondre cette mémoire avec la mémoire autobiographique, qui contient aussi des informations sémantiques et factuelles. Par exemple, le fait de savoir la date de notre mariage ou de naissance est un fait lié à la mémoire sémantique, pas un souvenir que l'on peut revivre.

La mémoire sémantique

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La première forme de mémoire déclarative est la mémoire sémantique, qui mémorise des connaissances, qu'il s'agisse du sens des mots, de la date de la mort de Napoléon, de la formule chimique de l'eau, de ce qu'est un arbre, ce à quoi ressemble une chauve-souris, ou comment faire du café. De manière générale, la mémoire sémantique est celle chargée de mémoriser les connaissances abstraites, essentiellement sous la forme de catégories (des ensembles d'objets similaires qui partagent des propriétés communes, comme "animal", "plante", "nombre premier", "molécules", et ainsi de suite). C'est la mémoire du langage, celle qui mémorise les informations sur les mots, leur signification, leur orthographe, et ainsi de suite.

La preuve de l'existence de cette mémoire provient de cas d'agnosies et d'anomies, des déficits de catégorisation ou de nommage d'objets, ainsi que des aphasies, des troubles du langage d'origine cérébrale. Les patients atteints d'anomies n'arrivent pas à nommer des objets, personnes ou concepts quand on leur présente. L'agnosie est similaire, dans le sens où il s'agit d'un déficit de catégorisation des objets et visages. Les patients agnosiques ou anomiques ont des difficultés pour nommer certaines catégories d'objets et ne peuvent donner des informations pertinentes à son propos. Par contre, elles peuvent dessiner cet objet sans problème : il n'y a pas de déficit perceptif. Certaines agnosies dégradent la capacité de reconnaître les visages : on parle de prosopagnosie. Les patients atteints de ce trouble ne peuvent pas reconnaître les visages de leurs proches, amis, ou connaissances. Ils peuvent voir les visages, les décrire, et n'ont pas de déficits de perception. Ils peuvent parfois identifier le sexe ou l'âge de la personne quand on leur présente un visage (sur photographie, ou en personne). Cette identification des visages, ainsi que de certains objets, est généralement causé par des lésions dans le cortex temporal, et notamment dans une de ses subdivisions : le gyrus fusiforme.

Fait étonnant, ces déficits sont souvent limités à certaines catégories bien précises. Par exemple, certains patients sont incapables de reconnaître les outils, mais gardent la capacité de catégoriser les êtres vivants. D'autres patients montrent des déficits inversés, avec une conservation parfaite des connaissances sur les outils et objets, mais des connaissances dégradées pour ce qui est des catégories naturelles, comme les animaux et autres êtres vivants. Shallice et Warrington ont notamment étudié un patient, surnommé JPB, qui a de fortes difficultés à nommer les objets animés, alors que les objets inanimés ne lui posent pas le moindre problème. Ces déficits peuvent aussi se propager à des catégories assez différentes : les patients qui perdent la capacité à nommer des êtres vivants perdent la capacité de reconnaître de la nourriture et des instruments de musique. De tels déficits spécifiques à des catégories sont très intéressants pour comprendre le fonctionnement de la mémoire sémantique.

Les patients anomiques et agnosiques peuvent parfois nommer des objets dans les catégories atteintes, mais ils donnent alors un nom de catégorie plus général. Par exemple, ils diront "mammifère" ou "animal" pour nommer un chien ou un chat. On observe la même chose chez certains patients atteint d'Alzheimer, dans les premiers stades de la maladie : les catégories les plus concrètes disparaissent alors que les catégories plus générales sont conservées. Plus les dégâts ou la maladie progressent, plus l'atteinte progresse et remonte vers les catégories les plus générales. On remarque aussi que ces erreurs donnent naissance à des temps de réaction et de catégorisation plus faible que celui de sujets contrôle. On remarque donc que les concepts généraux sont plus solides que les concepts concrets.

De tels déficits s'observent surtout dans des maladies cérébrales, comme la maladie d'Alzheimer ou la démence sémantique. Fait étrange, certaines de ces maladies, les aphasies primaires progressives, se traduisent par une dégradation de la mémoire sémantique, alors que la mémoire des souvenirs (épisodique) n'est pas dégradée. De telles atteintes spécifiques à la mémoire sémantique montrent que celle-ci est une mémoire indépendante, séparée de la mémoire des souvenirs.

Le lexique mental, la mémoire des mots

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diférence entre signifié et signifiant.

On pourrait penser que les mots et les concepts sont identiques en mémoire sémantique. Cependant, les linguistes ont depuis longtemps établi la différence entre signifiés et signifiants : la signification d'un mot d'un côté et son écriture ou sa prononciation de l'autre. Dit autrement les mots ne sont que des étiquettes qui permettent de référencer un concept, une idée. Ainsi, les scientifiques ont postulé d'existence d'une mémoire spécialisée dans les signifiants : le lexique mental, ou mémoire lexicale. Elle permet de savoir comment prononcer un mot, comment l'écrire, etc. Elle contient aussi les symboles comme les lettres, les syllabes, les sons d'une langue (maternelle ou non), et les chiffres, voire certains nombres. Ce lexique mental serait composé de plusieurs lexiques mentaux spécialisés. On trouverait ainsi :

  • un lexique pour la compréhension orale, qui stocke la prononciation des mots.
  • un lexique pour la lecture, qui stocke la représentation visuelle et/ou orthographique des mots ;
  • un lexique de sortie, qui stocke comment articuler pour prononcer un mot, et éventuellement comment l'écrire ;
  • et la mémoire sémantique, qui stocke le sens des mots, les concepts qui y sont associés.

Diverses observations permettent d'établir une distinction entre une mémoire spécialisée pour les signifiés et les signifiants. Premièrement, les zones du cerveau activées lors de la lecture d'un mot sont différentes de celles activées lors de la lecture de pseudo-mots, des suites de syllabes prononçables mais sans aucun sens. Certaines zones du cerveau sont activées aussi bien avec des mots qu'avec des pseudo-mots, tandis que d'autres ne sont activées que par des mots. Par exemple, la méta-analyse de Binder, Desai, Graves et Connant (2009) montrent que les signifiés seraient localisés et traités dans des zones spécifiques des lobes temporaux, pariétaux et frontaux. De plus, certains troubles du langage impliquent une dégradation de la prononciation ou de la lecture/écoute de mots, sans pour autant que la compréhension soit altérée. On observe ainsi une dissociation entre l'écoute (lexique phonologique), la lecture (lexique orthographique), la prononciation (lexique articulatoire) et la signification (mémoire sémantique).

La mémoire spatiale, la mémoire des lieux

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Les lieux, auraient aussi une mémoire dédiée, appelée la mémoire spatiale, parfois appelée mémoire topographique. Cette mémoire nous permet de reconnaître les lieux déjà visités, et de savoir où nous sommes. De nombreuses expériences ont étudié cette forme de mémoire, essentiellement chez les animaux. Elles ont commencé dans les années 1930, grâce aux travaux de Tolman. Ceux-ci portaient sur des rats, qui devaient s'orienter dans des labyrinthes et en trouver la sortie. À l'époque, on croyait que les rats s'orientaient dans les labyrinthes grâce à des séries de conditionnements. Mais cette théorie avait quelques problèmes : les rats apprenaient tout de même relativement vite, plus vite que ce que l'on pouvait attendre de conditionnements. De plus, certaines observations posaient problèmes.

Si on apprend à un rat à trouver la sortie d'un labyrinthe, celui-ci peut prendre jusqu'à une bonne dizaine ou centaine d'essais avant de trouver la sortie à coup sûr. Maintenant, si on entraîne un rat dans un labyrinthe, et que l'on bloque un passage stratégique dans le labyrinthe, le rat est censé devoir réapprendre de zéro, et retrouver son chemin à partir de rien. Or, une fois mis dans cette situation, les rats mettent très peu de temps pour retrouver la sortie, et certains la trouvent directement du premier coup. Tout se passe comme s'ils savaient s'orienter dans le labyrinthe, et qu'ils cherchaient simplement une voie alternative à partir de leur position et de ce qu'ils ont mémorisé du labyrinthe. Tolman supposa que les rats avaient une forme de mémoire topographique, et qu'ils pouvaient utiliser des cartes mentales.

Par la suite, d'autres expériences virent le jour, non pas sur des rats, mais sur des singes. La première de ces expériences utilisa un protocole assez simple. L'expérimentateur promenait un singe sur son dos, dans un enclos assez grand, très grand (quelques kilomètres carrés). L'expérimentateur faisait beaucoup de détours, tournait en rond, et faisait en sorte d'avoir un trajet le plus chaotique possible. Lors du trajet, l'expérimentateur cachait de la nourriture à un endroit bien précis, et faisait en sorte que le singe le voit cacher la nourriture. Ensuite, l'expérimentateur continuait sa promenade avec le singe sur les épaules. Par la suite, il relâchait le singe à un endroit très éloigné de la cachette de la nourriture. Là, d'autres expérimentateurs regardaient, avec des systèmes de caméras, quel était le trajet du singe. Évidemment, celui-ci se précipitait sur la nourriture, comme un gros goinfre. Mais chose surprenante, le singe ne refaisait pas le trajet de l'expérimentateur à l'envers : il prenait directement le chemin le plus court ! En clair : il avait mémorisé l'organisation de l'enclos lors de sa promenade et avait fabriqué une représentation suffisante pour lui permettre de s'orienter et de déterminer le chemin le plus court. Conclusion : les singes aussi ont une mémoire topographique.

Ces expériences ont mené les psychologues à créer le concept de carte cognitive : il s'agit d'une représentation mentale d'un ou de plusieurs lieux, qui permet de s'orienter et de se localiser dans l'espace. Pour résumer, ces cartes cognitives sont des schémas de lieux, dans le sens : schémas en mémoire à long terme comme on l'a vu il y a quelques chapitres). D'après les théories sur le sujet[1], ces cartes cognitives sont composées d’éléments, les régions, reliées ensemble par des relations. Les éléments en question sont des régions, tandis que les relations sont les routes qui relient les régions entre elles. Ces régions sont définies par des frontières, qui peuvent prendre différentes formes : ce peut être des frontières physiques, voire des frontières sans signification.

Les mémoires non-déclaratives

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La mémoire implicite correspond aux apprentissages que l'on ne peut pas mettre en parole, qui sont appris de manière inconsciente. Pour illustrer à quoi peut ressembler la mémoire implicite, le mieux est de citer une anecdote du docteur Edouard Claparede. Ce neurologue avait une patiente atteinte d'amnésie, au même titre que le patient H.M, ce qui fait qu'elle ne pouvait former de nouveaux souvenirs ni acquérir de nouvelles connaissances. L'apprentissage conscient, en mémoire explicite, était donc fortement altéré, si ce n'est impossible chez cette patiente. Pourtant, ce neurologue été persuadé qu'elle avait des capacités d'apprentissage résiduelles, totalement inconscientes. Pour le vérifier, il cacha une épingle dans sa main, avant de serrer la main de la patiente en début de consultation. Lors de la consultation suivante, la patiente refusa de lui serrer la main, contrairement à son habitude et sans trop savoir pourquoi. Quand le médecin lui demanda une explication, elle répondit sur le ton de la blague que certains farceurs cachaient des épingles dans leurs mains pour faire des farces. Elle avait oublié l'incident de la consultation précédente en raison de son amnésie), mais quelque chose en était resté sans forcément que cela soit conscient.

Mémoire implicite

Reste que le contenu de la mémoire implicite est encore sujet à débat. La seule chose certaine est qu'elle mémorise des informations sans qu'on en prenne conscience, et dont la récupération se fait aussi sans intervention de la conscience. Les apprentissages sont aussi totalement indépendants du langage. Par contre, la subdivision de la mémoire implicite en sous-systèmes d'apprentissage distincts est encore mal connue. Ce qui ne fait pas débat est la présence de quatre sous-systèmes distincts :

  • une mémoire procédurale pour les automatismes moteurs et cognitifs ;
  • l’amorçage, une forme d'apprentissage dont on parlera dans quelques chapitres ;
  • le conditionnement classique , découvert par Ivan Pavlov et ses collègues ;
  • les apprentissages non-associatifs, à savoir l'habituation et la sensibilisation, qui sont des apprentissages archaïques associés à certains réflexes.

À cela on peut potentiellement rajouter un système d'apprentissage perceptif qui permet d'apprendre à distinguer deux stimulus similaires, ainsi qu'un système de d'apprentissage de catégories inconscient qui permet de mémoriser des informations permettant de regrouper des objets dans des catégories distinctes.

Nous étudierons plus en détail le conditionnement classique, ainsi que les processus d'habituation et de sensibilisation dans les chapitres ultérieurs. Un chapitre sera consacré au conditionnement, et un autre à l'habituation/sensibilisation. Dans ce qui va suivre, nous allons surtout parler de l’amorçage et de la mémoire procédurale.

L'amorçage apparaît une fois qu'on a présenté un stimulus (que ce soit la première fois ou non) : le stimulus est alors perçu plus rapidement ou avec plus de détails lors des prochaines présentations. Cette forme de mémoire peut être vue comme une mémoire perceptive, qui mémorise les stimulus et permet de reconnaître plus facilement les stimulus déjà connus. Cette forme de mémoire touche toutes les modalités sensorielles : la vision, l'audition, le toucher, etc. Il s'agit d'une mémoire implicite, comme le montre les exemples de patients atteints de déficits lourds de la mémoire déclarative, qui gardent un amorçage parfaitement normal.

La reconnaissance des mots est un bon exemple d'amorçage. Le meilleur moyen de montrer que la reconnaissance des mots est un processus automatique provient des tâches d'effet Stroop. Cet effet nous dit que dans certains cas, les automatismes vont interférer avec les processus mentaux conscients. Prenons un exemple : essayez de donner la couleur dans laquelle sont écrits les mots de la liste ci-dessous. Logiquement, la seconde liste devait être plus dure. Cela vient du fait que les mots de la seconde liste sont plus souvent coloriés dans des couleurs qui ne correspondent pas au mot écrit (vert colorié en rouge, par exemple), tandis que la majorité des mots de la première liste ont une couleur qui leur correspond (rouge écrit en rouge, par exemple). Pour les mots écrits dans une couleur qui ne leur correspond pas, la reconnaissance automatique du mot va venir perturber le processus d'identification de la couleur : le cerveau devra alors faire un effort pour réprimer la lecture automatique du mot pour se concentrer sur sa couleur (chose qui est assez difficile, vu que les lecteurs normaux ne sont pas trop habitués à ce genre d'exercice).

Vert Rouge Bleu Jaune Bleu Jaune

Bleu Jaune Rouge Vert Jaune Vert

La mémoire procédurale

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Les automatismes moteurs, perceptifs ou cognitifs que l'on appelle habilités, disposent de leur propre mémoire : la mémoire procédurale. Cette mémoire est celle qui stocke les mouvements habituels que l'on a à faire dans notre vie quotidienne, comme faire du vélo, marcher, appuyer sur une pédale de frein, etc. Faire passer des mouvements dans cette mémoire s'effectue d'une manière les plus simples qui soit : il suffit de répéter le mouvement jusqu'à ce qu'il rentre. On peut prendre l'apprentissage du vélo, par exemple : c'est à force de répéter qu'on finit par savoir faire du vélo. Bien sur, c'est pas forcément facile, et ça fait toujours mal au début, mais on finit par y arriver.

Cependant, la mémoire procédurale prend aussi en charge divers automatismes cognitifs, son implication étant notamment supposée dans l’exécution de tâches liées à la grammaire ou à certains automatismes mentaux. Si on sépare cette mémoire implicite des autres, c'est tout simplement sur la base d'observations cérébrales, qui montrent que les zones du cerveau activées par l'apprentissage ou la récupération en mémoire procédurale sont spécifiques. Celles-ci incluent le cervelet, le striatum et les autres structures des ganglions de la base.

Résumé des chapitres précédents

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Avec ce chapitre, nous avons appris qu'il existe plusieurs formes de mémoires (mémoire sensorielle, à court-terme, à long-terme), elles-mêmes subdivisées en sous-formes de mémoires séparées. Le schéma ci-dessous résume l'ensemble des chapitres précédents, et récapitule toutes les formes de mémoire connues à ce jour.

Schéma du fonctionnement de la mémoire.

Dans les chapitres suivants, nous allons détailler comment ces différentes formes de mémoire fonctionnent. Nous allons d'abord étudier la mémoire déclarative, et notamment les processus de rappel, de mémorisation et de stockage de l'information. En bref, nous allons voir comment on fait pour se rappeler de quelque chose, comment le cerveau fait pour mémoriser une information quelconque, etc. Par la suite, nous étudierons les différentes formes de mémoires non-déclaratives, comme le conditionnement ou l'habituation.

  1. McNamara, Hardy and Hirtle (1989)


Représentations des connaissances en mémoire sémantique

La mémoire sémantique peut contenir une grande quantité d'informations, qu'elles soient visuelles, verbales, sémantiques, ou autre. De nombreuses théories existent concernant le stockage des informations en mémoire sémantique. La plupart tombent d’accord sur un point : le cerveau humain classe les informations en concepts abstraits, qu'il s'agisse de catégories ou de concepts plus élaborés. Lorsque notre cerveau perçoit des choses via la vision ou l’ouïe, il organise sa perception en fonction de ces concepts et les utilise pour faire des prédictions, effectuer des inférences, des raisonnements, ou de résoudre des problèmes.

Au niveau psychologique, les représentations les plus étudiées sont les catégories, des ensembles d'objets ou d'évènements qui ont des points communs. Chaque catégorie peut se définir de deux façons : soit on liste tous les éléments de la catégorie, soit on précise quels sont les points communs de ses membres. On peut remarquer que la seconde consiste à donner la définition de la catégorie. La première méthode est appelée la méthode par extension et l'autre par compréhension. Comme on va le voir, ces deux méthodes ressemblent fortement aux représentations mentales possibles.

Définitions et règles verbales

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Certaines théories stipulent que chaque concept est stocké dans le cerveau par une définition. Celle-ci serait mémorisée sous la forme d'une liste de propriétés et/ou d'informations élémentaires appelées des traits sémantiques. Chacun d'entre eux stocke une information spécifique. Par exemple, l'information "le chat a des poils" est un morceau irréductible d'information comme un autre. De même, le concept canari contiendra des traits sémantiques du genre : "couleur jaune", "peut voler", "oiseau", et ainsi de suite. Une concept est donc une liste des propriétés communes que tous ses exemples respectent. Chaque concept serait mémorisé comme étant une unité, qui serait reliée aux traits sémantiques qui le compose. Cependant, diverses observations semblent remettre en cause cette possibilité, quoique certains concepts puissent utiliser ce genre de modèle mental.

Une observation importante dans la réfutation des seules règles mentales provient des deux psychologues Eleanor Rosch et George Lakoff, ont effectué diverses observations et ont sorti un article nommé "Cognitive Representation of Semantic Categories" (1975). Ces deux psychologues ont demandé à 200 étudiants de noter un ensemble d'objets sur une échelle de 1 à 5. La question déterminant la note était : est-ce que cet objet est un bon exemple de meuble. Et la liste était presque intégralement remplie de meubles. On pourrait croire que la notation des meubles variait suivant l'étudiant, suivant sa culture (les étudiants étaient de diverses nationalités), son environnement socioprofessionnel, etc. Mais en fait, on trouvait très peu de différences : les réponses étaient presque identiques, et étaient peu corrélées avec les diverses variables mentionnées plus haut. Quel que soit l'étudiant, certains objets étaient plus mis en avant et était considérés par tous comme étant plus des meubles que les autres. Cette expérience illustre l'effet de typicalité : certains objets sont considérés comme de meilleurs représentants d'une catégorie.

Exemple de la généralisation du prototype du concept d'arbre.

Cela a fait naître l'idée suivante. Une nouvelle théorie de la catégorisation était née : la théorie cognitive du prototype. D'après cette théorie, les catégories sont représentées par un objet idéal, le prototype, qui définit à quoi doit ressembler un objet de la catégorie. Ce prototype est une sorte de représentant idéal de la catégorie, l'objet parfait. Lorsqu'on veut savoir si un autre objet appartient à cette catégorie, celui-ci est comparé au prototype : plus celui-ci est proche, plus on considérera que l'objet appartient à la catégorie. Cette comparaison peut privilégier certains attributs sur d'autres, ou ne pas mêler d'attributs du tout. Ainsi, une chaise sera un meilleur exemple de meuble qu'un rideau, vu qu'il est plus proche de ce prototype idéal. Une armoire sera assez proche du prototype et sera considérée comme un meuble, mais moins qu'une chaise.

Lors de l'abstraction d'un prototype à partir d'exemples, le cerveau va se baser sur la fréquence des propriétés dans les exemples présentés. Le problème est que le cerveau ne peut pas vraiment faire la différence entre les propriétés qui permettent de classer avec quasi-certitude un objet dans la catégorie, et celles qui viennent d'une simple ressemblance. En effet, deux objets peuvent être très similaires sont pour autant appartenir à la même catégorie. Par exemple, un dauphin ou une baleine ont beau ressembler fortement aux autres poissons, ce sont des mammifères. Le cerveau n'apprend pas à faire la différence entre les propriétés essentielles, partagées par tous les membres de la catégorie et partie prenante de la définition, et les propriétés facultatives qui sont fréquentes chez certains membres de la catégorie, mais pas tous.

Pour donner un exemple, on peut citer l’expérience de Lupyan (2012). Dans celle-ci, il a demandé à un premier groupe de cobaye de dessiner un triangle, tandis qu'un second groupe devait dessiner une figure à trois côtés. Dans le groupe triangle, le dessin du triangle été dessiné avec une base horizontale dans 82% des cas, et était isocèle dans 91% des cas. Mais dans le groupe "trois côtés", ces deux proportions sont de 50% seulement ! De même, les participants ont tendance à surévaluer l'inclinaison d'un triangle quand on leur dit qu'il s'agit d'un triangle, comparé à un groupe test dans lequel on dit aux participants que la figure est un polygone à trois côtés.

Cependant, la représentation mentale des prototypes est assez peu connue. Pour éviter les écueils de la théorie du prototype, certains psychologues ont émis l'idée qu'une catégorie est stockée par extension, c'est à dire sous la forme d'un rassemblement d'exemples. Prenons l'exemple d'un chien. La première fois qu'un enfant voit un chien, le cerveau stocke toutes les informations sur ce chien en mémoire. À chaque fois que cet enfant voit d'autres chiens, il enregistrera encore toutes les informations de ces chiens dans des compartiments séparés en mémoire à long terme. Ces chiens seront associés au mot chien, mais seront stockés indépendamment : ils forment des exemplaires de la catégorie "chien". À chaque fois qu'on veut savoir si un objet appartient à une catégorie, le cerveau va "ouvrir" la catégorie, et vérifier tous les exemplaires. Si il trouve un exemplaire identique à ce qu'il perçoit, alors il reconnaît l'objet. Sinon, l'objet n'est pas dans la catégorie.

Dans les faits, cette théorie pose quelques problèmes, mais à quelques confirmations expérimentales. Il semblerait que l'humain utilise à la fois exemplaires et prototypes. Les catégories ayant beaucoup d’éléments utilisent des prototypes, tandis que les catégories utilisant peu d’éléments se contentent d'une liste d’exemplaires. Il semblerait que l'exemplaire soit le mécanisme de catégorisation principal chez les enfants en bas-age, avant d'être supplanté par la catégorisation par prototypes au cours de la croissance.

Représentations multiples

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Depuis les années 2000, de nombreuses observations semblent indiquer que ces catégories peuvent s'apprendre par plusieurs mécanismes, localisés dans des régions distinctes du cerveau. Mais cela ne veut pas dire que tous les systèmes d'apprentissage des catégories sont utiles en contexte scolaire. Pour les concepts et catégories, il existerait deux grands mécanismes de catégorisation et d’apprentissage des catégories :

  • un système qui gère des règles verbalisables, des définitions ;
  • un système qui se base sur la similarité avec des exemples connus.

Le premier système, va simplement induire et appliquer des définitions. Apprendre de nouvelles catégories avec ce système demande soit d'induire une règle à partir d'exemples, soit de recevoir une définition claire et précise via un apprentissage déductif. Le second système va mémoriser des exemples et potentiellement utiliser leur similarité pour abstraire une catégorie. Ce calcul de similarité entre deux entités est souvent très rapide et inconscient, contrairement à l'utilisation de définitions et de règles. L'apprentissage de catégories avec ce système se fait par induction à partir d'exemples.

Réseaux et traits sémantiques

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La mémoire sémantique n'est pas qu'une simple armoire de concepts accolés les uns sur les autres. Si c'était le cas, se rappeler quelque chose nécessiterait de rechercher le matériel à rappeler dans toute la mémoire sémantique : cette recherche serait vraiment longue et inefficace. Or, se rappeler de quelque chose n'est pas si difficile. Les modèles actuels de la mémoire sémantique résolvent ce problème en supposant que la mémoire est structurée de manière à faciliter le rappel. Les concepts sont non seulement reliés à leurs propriétés, mais aussi aux autres concepts. La mémoire à long-terme est (au moins en partie) intégralement constituée d'un réseau de connaissances, reliées entre elles par des relations. Par exemple, un mot est associé au concept qui porte ce nom, plusieurs idées sont reliées entre elles par un lien logique, etc. L'ensemble de nos connaissances est mémorisé dans un gigantesque réseau de concepts, réseau qui mémorise le sens des choses, les liens entre concepts.

Relations taxonomiques

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La recherche sur la mémoire dite sémantique a longtemps mis l'accent sur une forme d'organisation bien précise : les classifications. Les concepts seraient ainsi classés dans des hiérarchies de catégories, spécifiques à un domaine ou une discipline. On peut voir le tout comme un système de poupées russes : les catégories plus spécifiques sont incluses, emboîtées dans les catégories plus générales du niveau supérieur de la hiérarchie. Les concepts les plus concrets sont situés près de la base de la hiérarchie et les plus abstraits en haut. On peut préciser que les exemples sont intégrés dans ces hiérarchies : ils sont situés tout en bas et sont vus comme des catégories très spécialisées. Une telle hiérarchie est appelée une structure cognitive. Elle relie des concepts en faisant appel à trois types différents de relations taxonomiques :

  • les hyperonymies vont relier les catégories à des catégories plus générales, qui englobent la catégorie de base : le concept « Cocker » sera relié au concept « Chien », le concept « Chat » sera relié au concept « Animal », etc ;
  • les hyponymies vont relier chaque catégorie à ses catégories dérivées, les catégories plus concrètes qu'on obtient en spécialisant la catégorie avec l'ajout de propriétés : la catégorie « félins » sera reliée aux concepts de « chat », « tigre », « lion », « panthère », etc ;
  • les relations structurales, qui relient les catégories et exemples à leurs propriétés : c'est grâce à ces relations qu'on sait qu'un oiseau peut voler, qu'un canari est jaune, et ainsi de suite.

Un des premiers modèles de la mémoire sémantique, le modèle de Collins et Quillian se basait exclusivement sur de telles structures cognitives. Celui-ci dit que les propriétés peuvent être communes. Par exemple, les concepts « oiseau » et « canari » partagent les propriétés suivantes : les deux peuvent voler, ont des plumes, des ailes, etc. Cela vient du fait qu'un canari est un oiseau, et qu'il hérite donc des propriétés communes à tous les oiseaux : toute sous-catégorie hérite des propriétés des catégories plus générales auxquelles elle est reliée. Le modèle gère ces propriétés héritées en ajoutant une hypothèse : l'économie cognitive. Cette hypothèse dit que seules les propriétés spécifiques à un concept sont reliées à celui-ci : les propriétés héritées d'un concept plus générales sont reliées uniquement au concept le plus général, mais pas aux autres concepts. Par exemple, les propriétés « peut voler », « a des ailes », « a des plumes » seront reliées au concept « oiseau », mais pas au concept « canari ». Ce mécanisme évite les duplications inutiles de propriétés.

Organisation des classifications en mémoire.

Cette théorie explique certaines observations dans le cadre des expériences de décision lexicale. Le principe de ces expériences est simple : on donne une phrase à un cobaye, et il doit dire si celle-ci est vraie ou fausse. L'expérimentateur mesure le temps mis par le cobaye pour répondre : plus le temps mis à répondre est long, plus le cerveau a dû parcourir de nœuds dans la mémoire sémantique pour tomber sur le bon. Ces expériences avaient été utilisées pour confirmer le modèle taxonomique de Collins et Quillians. Ces expériences avaient montré que les concepts superordonnés avaient un temps de réponse plus long que les concept sous-ordonnés. Même chose pour l'accès aux propriétés d'un concept : celles stockées dans les concepts superordonnés ont un temps d'accès plus long que celles stockées plus bas dans l'arbre taxonomique.

Mais il ressort aussi que plus un concept est familier, plus on peut vérifier les phrases qui y rapportent rapidement, sans que la position dans la hiérarchie taxonomique n'y change quoique ce soit. Il semblerait que certains exemples soient plus faciles à traiter que les autres, alors que ces concepts sont au même niveau dans la hiérarchie. De plus, lorsqu'on demande à un sujet de donner un exemple d'un concept, c'est ces concepts familiers qui ressortent le plus. Certains exemples seraient ainsi plus représentatifs d'un concept que les autres.

Il est possible de rendre compte de l'effet de typicalité assez facilement dans le modèle de Collins et Quillians. Il suffit d'associer une certaine force aux associations entre concepts. Plus la force d'un lien est importante, plus la traversée du lien sera rapide. Les concepts typiques sont reliés à leur super-ordonnés avec des liens très forts, très rapides. Les concepts moins typiques seraient quant à eux reliés avec des liens moins forts, moins rapides. Cela expliquerait les différences en termes de temps de réaction ou de production.

Relations thématiques

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De plus, la hiérarchie taxonomique est violée dans certains cas spécifiques. Par exemple, il est plus lent de vérifier la véracité de la phrase "un chien est un mammifère", que pour la phrase "un chien est un animal", alors que les théories hiérarchiques prédisent l'inverse. De nombreux phénomènes similaires ont été documentés et seraient assez fréquents. Par exemple, le mot "canari" a tendance à évoquer le mot "cage" plus rapidement que le mot "être vivant". Ce qui est difficile à expliquer avec le modèle de Collins et Quillians. Pour rendre compte de ce genre d'observations, on doit postuler que d’autres formes de relations existent. Par exemple, le modèle de Collins et Loftus ajoute des connexions entre catégories du même niveau (qui appartiennent au même concept superordonné), ainsi que des relations entre arbres taxonomiques. De nos jours, ces dernières relations portent sont regroupées, par convention, dans un ensemble extrêmement hétérogène appelé relations thématiques. Ces relations, avec les relations taxonomiques (catégorielles), permettent de former une représentation de situations ou d'évènements. Il peut s'agir de relations de causalité entre évènements, de relations qui permettent de localiser des objets, et bien d'autres encore.

Schémas et scripts

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Dans les années 1932, le psychologue Bartellet travaillait sur l'apprentissage de matériel relativement complexe : cartes, schémas, textes, histoires, etc. Ses expériences furent les premières à montrer l'influence de la signification et des connaissances antérieures sur la mémorisation. Son expérience la plus connue porte sur la mémorisation des histoires. Dans celle-ci, il a demandé à des cobayes de lire un texte, qui narrait une légende indienne. Dans cette légende, une bonne partie des détails de l'histoire sont relativement étranges pour un occidental, et sont assez exotiques, pas vraiment familiers. Or, Bartellet a constaté divers phénomènes dans diverses épreuves de rappel et de compréhension du texte. Premièrement, les détails étranges du texte étaient souvent oubliés, alors que les détails cohérents ou culturellement congruents étaient bien mémorisés. Quand ils n'étaient pas oubliés, ces détails étaient rationalisés, et les cobayes étaient certains que leur version, plus « cohérente » culturellement parlant, était celle lue dans le texte. Dans cette expérience, on voit que quelque chose a favorisé la mémorisation des détails familiers, et inhibé les détails bizarres, non-familiers. Tout se passe comme si le cerveau avait tenté d'intégrer les nouvelles informations avec les connaissances antérieures, et avait filtré les informations incohérentes. Des résultats de cette expérience, Bartellet supposa l'existence de structures mnésiques, qu'il appela schémas.

Ces schémas font que l'on retient mieux ce qui est familier, ce qui colle avec nos connaissances antérieures, nos prédictions, notre culture. La morale, c'est que plus de nouvelles informations sont cohérentes avec ce que l'on sait déjà, mieux on les retient, tandis qu'on retient mal ce qui est incohérent avec nos connaissances antérieures (bizarre, étrange, pas naturel, non-intuitif, etc). Mais ces schémas, si utiles pour raisonner et réutiliser les connaissances apprises, peuvent aussi nuire à la mémorisation ou la compréhension. Si les nouvelles informations ne s'encastrent pas bien dans un schéma, on aura tendance à les tordre pour les faire rentrer, en oubliant certains détails, en en modifiant d'autres, etc. Par exemple, confiez une liste de symptômes à apprendre à un médecin. Débrouillez-vous pour que cette liste de symptômes ne corresponde à aucune maladie connue. En même temps, faites en sorte qu'en enlevant deux symptômes, la liste corresponde à une maladie connue du médecin. Quelques semaines plus tard, le médecin se rappellera uniquement des symptômes de la maladie courante, pas des deux autres.

Les théories actuelles sur les schémas sont multiples, et diverses représentations de ces schémas sont possibles en mémoire sémantique. Dans tous les cas, ces schémas sont constitués d’éléments, reliés entre eux par des relations plus ou moins logiques. Mais leur organisation varie suivant que ces schémas représentent des objets, des systèmes, ou des événements.

Les schémas qui représentent des objets ou des systèmes sont ce qu'on appelle des frames. Il s'agit d'ensembles de cases, chaque case représentant un élément de l'objet ou du système. Fait intéressant, ces cases peuvent contenir des schémas. Par exemple, pour un objet ou système peut être composé de sous-objets assemblés ensemble. Dans la plupart des schémas, chaque part de l'objet modélisé dans le schéma correspondra à une case du schéma : chaque case contiendra un schéma du sous-objet associé. En somme, un schéma a une organisation plus ou moins hiérarchique, qui correspond plus ou moins à la structure du concept mémorisé.

Ensuite, les relations entre les cases font partie du schéma : celui-ci encapsule les relations entre les différentes cases, ce qui permet de concevoir celui-ci comme un tout logique. Ces relations, encapsulées dans le schéma, peuvent permettre de faire des inférences et des déductions. Il arrive que de tels schémas soient utilisés dans les tâches de raisonnement : ces schémas ont alors la capacité de simuler le fonctionnement de l'objet ou du système considéré. Ces simulateurs mentaux sont appelés des modèles mentaux.

Certaines de ces cases sont obligatoires, et servent à stocker les invariants communs à toute une classe de phénomènes, d'objets, ou de concepts. Les autres cases sont des détails, des informations facultatives et contextuelles, qui peuvent varier suivant la situation.

Fait intéressant, les cases vides peuvent être remplies avec des informations par défaut, si jamais aucune information contextuelle ne peut les remplir. Ce mécanisme permet d'inférer, de faire des déductions qui vont permettre de remplir les vides, de délier les non-dits de certaines situations. La meilleure des preuves, c'est que l'on peut se rappeler de choses qui n'étaient pas dans le matériel appris à l'origine : si on rattache une situation à un schéma, ces cases remplies par défaut peuvent ressortir lors d'un rappel ultérieur du matériel original.

Il existe une autre forme de schéma mental, dédiée aux événements : les schémas d'action, ou scripts. Ces scripts sont des schémas composés d'une séquence d'étapes organisées dans un certain ordre. Ils permettent de mémoriser comment effectuer quelque chose. Par exemple, un étudiant en mathématique aura un script qui mémorise la suite d'opérations à effectuer pour résoudre une équation du second degré : d'abord calculer le déterminant, regarder son signe, récupérer la formule adéquate en mémoire, puis l'appliquer. Dans cet exemple, on remarque qu'il s'agit d'étapes relativement abstraites : cela se généralise à beaucoup de scripts.

Les images mentales : la théorie du double codage

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La théorie du double-codage stipule que la mémoire déclarative contiendrait un réseau verbal, qui mémorise des concepts et des faits, et un réseau visuel, qui mémoriserait des images mentales ou des représentations visuelles. Cette théorie a été inventée pour expliquer les différences de mémorisation entre concepts concrets et abstraits. Expérimentalement, il est observé que les concepts concrets sont plus faciles à retenir que les concepts abstraits. Cela viendrait du fait que les concepts concrets sont généralement visualisables, contrairement aux concepts abstraits. On peut s'imaginer mentalement à quoi ressemble un chat, alors qu'il est plus difficile de donner une représentation des concepts de liberté ou de justice (sauf par métaphore ou analogie). Ainsi, les concepts concrets seraient représentés dans les deux sous-réseaux, tandis que les concepts abstraits le seraient uniquement dans le réseau verbal. La redondance des concepts concrets/imaginables les rendrait plus mémorables.

Théorie du double codage. On voit que la mémoire est composée d'un réseau verbal/conceptuel, et d'un réseau pour les informations visuelles. Des relations dites référentielles permettent de connecter des concepts avec leur représentation visuelle, l'image mentale du concept. Celle-ci permettent de s'imaginer un concept.


La récupération en mémoire déclarative

Dans ce chapitre, nous allons aborder le processus de récupération, celui qui nous permet de nous rappeler de ce que l'on sait déjà. Ce processus n'est cependant pas parfait : il arrive parfois que l'on ne se rappelle pas d'informations que l'on a pourtant mémorisées et qui sont encore présentes dans notre mémoire. Toute personne qui a déjà eu un mot sur le bout de la langue en a déjà fait l'expérience. Le chapitre qui suit va aborder ce processus de récupération.

Rappel et reconnaissance

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Les expériences en laboratoire ont permis d'observer une différence entre plusieurs tâches de récupération différentes. Dans le premier cas, les sujets apprennent une liste de mots et doivent rappeler son contenu dans le désordre. Il s'agit d'une tâche de rappel tout ce qu'il y a de plus classique. Le second cas correspond au tâches de reconnaissance, similaires aux QCMs, où le sujet doit reconnaître les mots de la liste parmi un grand nombre de pièges.

Double dissociation entre rappel et reconnaissance

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Il apparaît que le taux de réussite est nettement supérieur dans la tâche de reconnaissance, parfois de plus du double. On observe aussi une dichotomie entre rappel et reconnaissance.

L'effet de la répétition

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Par exemple, la répétition favorise clairement la reconnaissance, mais pas le rappel. L'étude de Glenberg, Smith, et Green (1977) le montre très clairement. Dans leur étude, des sujets devaient apprendre une liste de nombres par cœur, avant d'apprendre une liste de mots. Il se trouve que les expérimentateurs avaient séparés les sujets en deux groupes : un premier groupe devait relire plusieurs fois la liste de mots, tandis que le second devait relire la liste une seule fois. Les sujets croyaient que la liste de mots servaient à les empêcher de répéter mentalement la liste de nombres à apprendre. Mais après avoir rappelé les nombres de la première liste, les sujets étaient testés par surprise sur la liste de mots apprise. Le bilan est que les sujets qui avaient relu 9 fois la liste de mots n'avait pas vraiment de performances supérieures à l'autre groupe : seulement 1,5% de réussite en plus. Par contre, la reconnaissance était en faveur du groupe qui avait répété 9 fois la liste de mots : 74% de réussite, contre 65% pour l'autre groupe.

Apprentissage incident et intentionnel

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Cette étude utilisait une tâche d'apprentissage incident : les sujets ne sont pas prévenus qu'ils seront interrogés sur ce qu'ils vont apprendre. Dans ce genre de tâche, la répétition n'améliore pas le rappel, contrairement à la reconnaissance. Cependant, on peut se demander ce qu'il se passerait si les sujets étaient prévenus qu'ils seraient interrogés ultérieurement, dans des tâches d'apprentissage intentionnel. Dans ce cas, ils porteraient plus attention au matériel à apprendre, essaieraient de donner du sens au matériel appris, essaieraient de le relier à des connaissances antérieures, et ainsi de suite. En clair, ils utiliseraient des stratégies cognitives plus efficaces, dans le but de mieux mémoriser le matériel, sans compter l'effet de l'attention induite. Il se trouve que prévenir les sujets qu'ils seront interrogés augmente le taux de rappel mais pas le taux de reconnaissance. De même, la fréquence et la familiarité du matériel appris améliore le rappel, pas la reconnaissance.

Erreurs et faux positifs

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Enfin, les faux positifs sont rares en situation de rappel, mais fréquents en reconnaissance. Par exemple, lisez cette suite de mots :

   bonbon
   aigre
   caramel
   amer
   bon
   goût
   dent
   joli
   miel
   soda
   chocolat
   cœur
   gâteau
   manger
   tarte

Maintenant, je prends des mots de cette liste, que je mélange avec de nouveaux mots. J'obtiens ceci :

   goût
   point
   sucré
   chocolat
   caramel
   gentil

Hé oui : vous avez certainement, comme 90% des cobayes de cette expérience, cru que sucré était dans la liste initiale !

Théorie des double processus de rappel et reconnaissance

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À l'heure actuelle, on ne sait pas du tout d'où proviennent ces différences. Certains scientifiques supposent que le processus de rappel et de reconnaissance sont différents.

Les tests de reconnaissance présentent directement l'information à rappeler. En conséquence, la reconnaissance d'un item va automatiquement activer celui-ci en mémoire. Il s'agit donc d'un accès direct à l'information mémorisée. Elle se base purement sur un processus de familiarité, qui permet de reconnaître des choses connues. Il s'agit d'un processus relativement primitif, qui rate rarement. La reconnaissance serait un processus automatique unitaire, basé sur l'activation directe des informations reconnues. L'activation d'une information en mémoire détermine sa facilité à être récupérée : plus elle est forte, plus la probabilité de récupération est grande. De plus, le concept possède une certaine force, qui définit s'il est plus ou moins facile à rappeler, à activation égale. La simple perception d'une information en permettrait l'activation immédiate : le sujet aurait alors juste à se souvenir si le mot perçu appartient à la liste, ce qui correspond à la mémoire de la source (supposée de type épisodique).

Par contre, le rappel libre ou indicé ne présentent pas l'information à rappeler et n'activent pas directement l'information. Le rappel demanderait de rechercher l'information en mémoire, celle-ci n'étant pas activée directement. Ce processus de recherche serait spécifique au rappel, mais n'interviendrait pas en reconnaissance.

Les mécanismes du rappel libre et indicé : l'amorçage

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Il est intuitif que donner des indices à quelqu'un l'aide à se souvenir d'une information oubliée. Pour vérifier cette intuition, les scientifiques ont comparé des groupes soumis soit à une tâche de rappel libre, soit à une tâche de rappel indicé, où chaque item à rappeler était précédé d'un indice. Certaines tâches de rappel indicé demandent aux sujets d'apprendre des paires d'items, le premier servant d'indice au second. De ces expériences, il ressort que donner des indices proches améliore le rappel. Dit simplement, le rappel indicé est largement plus facile que le rappel libre, parce que le nombre d'indices de récupération est plus important. Les scientifiques ont depuis longtemps étudié comment fonctionne le processus de rappel indicé. De ces études, il ressort que la présentation d'un indice permet de faciliter le rappel ultérieur d'une cible. Ce phénomène est appelé l’amorçage sémantique/conceptuel. On l'étudie le plus souvent avec divers paradigmes. Le plus connu consiste à présenter, durant un temps très faible, d'abord le mot-indice, puis le mot-cible. On demande au sujet de dire si le mot cible est un mot ou un pseudo-mot, s'il appartient à une catégorie précise, ou toute autre demande qui demande un traitement sémantique/conceptuel par le sujet. On observe alors quelques différences en terme d’amorçage, selon le temps entre la présentation de la cible et de l'indice.

Théories de l’amorçage

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Pour en rendre compte, diverses théories ont été inventées, toutes ayant supposément une validité certaine, mais limitée. On peut classer ces théories selon deux axes. Le premier axe distingue le moment où l’amorçage prend place, et distingue les modèles prospectifs et rétrospectifs. Dans les modèles prospectifs, la présentation du mot-indice pré-active le mot-cible, avant même que le mot-cible soit présenté, accélérant son activation. Dans les modèles rétrospectifs, la cible et l'indice sont traités en même temps, comme un tout, après la présentation de la cible. Le second axe distingue les modèles automatiques et stratégiques. Les premiers supposent que le sujet n'utilise pas de stratégie de rappel et que l’amorçage est un phénomène totalement automatique, qui ne fait pas intervenir la conscience. Les seconds modèles supposent que le sujet peut utiliser des stratégies de rappel et que le rappel fait intervenir la conscience. Voici les différentes théories en vigueur, résumées dans le tableau suivant :

Automatique Stratégique
Prospectif Activation diffusante, théorie de l'ACT-R d'Anderson Ensembles de prédiction (expenctancy sets)
Rétrospectif - Semantic Matching, Compound Cue, Episodic Retrieval

Modèles automatiques : l'activation diffusante

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Illustration du processus d'activation diffusante.

Lorsqu'un indice est présenté, le processus de reconnaissance active sa représentation, son nœud dans le réseau mnésique. L'activation se propage aux informations qui lui sont reliées/associées, à travers le réseau mnésique. Ces associations/relations peuvent propager plus ou moins bien l'activation suivant leur force : on parle d'activation diffusante. Le mécanisme de rappel se base sur une progression de l'activation de proche en proche, qui part des indices. Au fur et à mesure de sa progression, l'activation finit par arriver à l'information à rappeler, ce qui l'active : l'information est rappelée. Un bon usage de ces indices est primordial pour que le rappel des information ait lieu.

L'activation diffusante ne permet d'expliquer qu'une faible portion des phénomènes d’amorçage et d'autres modèles existent (modèle compond-cue, episodic retrieval, expectency sets, etc). La plupart de ces modèles sont des modèles stratégiques, mais l'un d'entre eux est un modèle automatique. Il s'agit de la théorie des expectency sets, que nous traduirons par ensembles de prédiction. Selon cette théorie, la présentation de l'indice force le sujet à faire des prédictions sur les possibles cibles. Quand la cible est présentée, on observe un effet d'amorçage si la cible présentée faisait partie des cibles potentielles prédites. Le fait que la cible ait été anticipée améliore son rappel, le rendant plus rapide et plus probable.

Modèles stratégiques

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Il faut noter que ce mécanisme d'activation diffusante explique parfaitement bien le rappel spontané, mais a besoin d'être complété pour rendre compte du rappel d'une information suite à un effort mental. Ce dernier cas est aussi appelé rappel intentionnel. Dans le rappel intentionnel, le sujet recherche une information particulière dans sa mémoire, ce qui lui demande de vérifier si l'information rappelée est la bonne. Cela demande au sujet d'avoir suffisamment d'informations pour identifier l'information à rappeler. Le sujet va créer une stratégie pour récupérer l'information voulue, cette stratégie indiquant les indices à partir desquels démarrer la recherche, mais aussi comment la poursuivre à partir des indices intermédiaires : comment gérer l'activation et son parcours. Il faut aussi maintenir les indices dans la mémoire de travail, lors du parcours de la mémoire à long-terme.

Indices de récupération et activation diffusante

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Il est rapidement apparu que tout rappel fonctionne sur les mêmes principes que le rappel indicé. Lors d'un rappel quelconque, indicé ou non, le sujet cherche à localiser une information précise dans sa mémoire. Mais le sujet ne va pas parcourir l'ensemble de sa mémoire pour trouver l'information qu'il recherche. Si c'était le cas, le sujet mettrait des années avant de se rappeler des faits les plus triviaux. Le sujet ne part pas de nulle part : le sujet a naturellement une petite idée de ce qu'il doit se rappeler, il a quelques indices qui lui permettent de guider sa recherche.

La recherche en mémoire part ainsi d'informations perçues ou maintenues à l'esprit, qui sont appelés des indices de récupération. Ces indices de récupération sont des informations présentes en mémoire qui sont activées, que ce soit par la perception ou par l'attention (le maintien en mémoire de travail). Ceux-ci ont le même effet que les indices dans les tâches d’amorçage sémantique : ils vont activer les informations reliées ou associées. On peut faire une analogie avec un moteur de recherche : quand vous cherchez quelque chose sur le net, vous tapez des mots-clés dans le moteur de recherche, et celui-ci récupère les informations sur le web en fonction de ces mots-clés. Ces mots-clés sont au web ce que les indices de récupération sont à notre mémoire. Mais l'analogie s’arrête là : les moteurs de recherche actuels ne fonctionnent absolument pas comme notre mémoire.

La réussite du rappel est influencée par de nombreux facteurs, qui dépendent autant de l'indice que de la cible ou de l'encodage des liens entre informations. Ces facteurs sont les suivants :

  • l’attention dévolue aux indices ;
  • la présence d'une association entre indice et cible ;
  • la force de l'association ;
  • le nombre d'indices utilisés ;
  • la stratégie de rappel utilisée ;
  • la congruence entre contexte d'encodage et contexte de rappel.

Influence de l'attention

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Il va de soi que plus les indices sont activés, plus le rappel sera efficace et/ou rapide. Il est supposé dans de nombreuses théories que plus on porte attention à un indice, plus celui-ci sera activé. On peut facilement en déduire que l'attention portée aux indices influence fortement le rappel. Une manière de vérifier cette prédiction est de réduire l'attention portée aux indices lors d'une tâche de rappel. Un bon moyen pour faire cela est de demander aux sujets de faire plusieurs choses à la fois. En plus de la tâche de rappel, on donne une autre tâche cognitive aux sujets, qui leur coûte de l'attention. L’attention des sujets sera alors partagée en les deux tâches, limitant ainsi l'attention allouée à la tâche de rappel, aux indices. On observe alors une nette baisse de performance dans la tâche de rappel. Par contre, il ressort que l'effet est supérieur sur le rappel et moindre dans les tâches de reconnaissance.

Influence de l'attention portée sur les indices sur l'amorçage.

Pour donner un exemple, on peut citer les études de Myra Fernandes et Morris Moscovitch, datées des années 2000 et 2003. Dans cette étude, les sujets devaient rappeler à voix haute une liste de mots appris par cœur. Le premier groupe n'avait pas de tâche concurrente à la tâche de rappel. Un second groupe devaient répondre à quelques questions sur des items présentés sur un écran d'ordinateur. Il se trouve que le rappel des sujets subissant une tâche concurrente avaient des performances diminuées de moitié comparé au groupe contrôle.

Influence de la pertinence des indices

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Il va de soi qu'un indice doit être relié à la cible, pour déclencher un effet d’amorçage. Si l’on présente un indice qui n'a aucun lien avec la cible, on n'observe pas le moindre gain en terme de rappel de la cible. Cependant, pour qu'un lien se forme entre deux informations, il faut qu'elles soient toutes deux présentes en même temps lors de l'encodage. Un indice n'est associé à une cible que si l'association entre ces deux informations a été encodée, mémorisée. Indice et cible ont donc du être présents dans la mémoire de travail en même temps, pour une raison X ou Y. C'est ce que l'on appelle le principe d'encodage spécifique.

Influence de l'encodage spécifique sur l'amorçage.

Influence de la force associative

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Si la présence d'une association entre cible et indice est nécessaire pour que l'effet d'amorçage se manifeste, toutes les associations ne sont pas égales. Certaines associations sont relativement faibles, à savoir qu'elles laissent peu passer l'activation diffusante. Ces associations faibles sont naturellement à opposer aux associations fortes, qui laissent mieux passer l'activation. L'activation de l'indice a donc peu de chance de déclencher le rappel de la cible si l'association est faible, alors que le rappel sera quasi-systématique avec une association forte. Évidement, cette distinction être associations faibles et fortes est assez schématique, la force d'une association étant une grandeur continue.

Influence de la force associative sur le rappel.

Pour se rendre compte de ce concept de force associative, le mieux est de prendre un exemple qui devrait vous parler. Lors de votre scolarité, vous avez certainement eu du mal à apprendre le vocabulaire d'une langue étrangère. Vous connaissiez certainement les mots étrangers, mais vous aviez du mal à vous rappeler de leur signification (la cible). Pourtant, signification et mot étranger étaient présents dans votre mémoire, et certainement l'association entre ces deux informations. Mais l'association étant relativement faible sans une bonne dose d'apprentissage par cœur, vous avez certainement eu du mal à obtenir de bonnes performances au début de votre apprentissage. Ce n'est qu'après d’âpres répétitions que l'association est devenue suffisamment forte pour que vous puissez vous rappeler de la signification de mots étrangers par cœur.

Influence du nombre d'indices

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Dans certaines expériences, les scientifiques ont cherché à vérifier si augmenter le nombre d'indices de récupération permettait de faciliter le rappel. Et c'est bien le cas : plus d'indice implique souvent une meilleure récupération. Cela s'explique facilement : la somme des activation provenant de plusieurs indices s'additionne, donnant un effet synergique. Plus un concept est accessible, à savoir relié à un grand nombre d'indices de récupération, plus il sera facile à rappeler. Dans cette optique, la structure du réseau sémantique a une influence sur la propagation de l'activation diffusante : elle détermine la disponibilité d'un concept. Cette théorie permet d'expliquer la différence entre rappel libre et indicé : les indices de récupération sont plus nombreux en tâche de rappel indicé.

Influence du nombre d'indices sur l'amorçage.

Certains chercheurs expliquent la différence entre reconnaissance et rappel sur la base de ce mécanisme d'activation diffusante, sans faire appel à une séparation en deux processus de reconnaissance et de rappel séparés. Les tâches de reconnaissance fourniraient plus d'indices de récupération que les tâches de rappel, favorisant la récupération. À l'heure actuelle, ce débat est loin d'être clos. L'activation diffusante a cependant une influence non nulle en reconnaissance. Par exemple, les phénomènes de fausses reconnaissance proviendraient d'ailleurs d'une activation indirecte d'informations reliées aux items à apprendre. Pour reprendre l'exemple des listes citées au-dessus, le mot sucré serait activé parce qu'il est fortement relié aux éléments de la liste.

Indices contextuels

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Il est à noter que plus les indices de récupération sont proches de ceux utilisés lors de l'encodage, plus le rappel est facile. En clair, plus le contexte de rappel est similaire au contexte d'encodage, plus le rappel est facilité. Il est intéressant de remarquer que cet effet ne donne pas vraiment de meilleurs résultats dans les tâches de reconnaissance : seules les tâches de rappel indicé et libre permettent de montrer un effet significatif de l'encodage spécifique.

Dans cette optique, l'environnement d'apprentissage, les objets présents dans le contexte d'encodage, l’expérimentateur, et le reste, sont encodés avec le contexte et servent d'indices de récupération. Quelques expériences ont ainsi comparé deux groupes de sujet, ceux du premier groupe passant le test dans la salle dans laquelle ils avaient appris, alors que le second passait le test dans une autre salle : le premier groupe avait des résultats 15 à 20 % supérieurs. L'effet a aussi été observé en faisant varier non pas la salle de classe mais l'expérimentateur. Certains psychologues ont même été jusqu'à garder la même salle, mais en changeant l'ordre des tables: l'effet restait ! Même chose si une odeur particulière est diffusée dans la pièce lors de l'apprentissage : sa présentation lors du rappel améliore le taux de rappel des items appris. Comme quoi, le coup de la madeleine de Proust n'était pas du chiqué !

L'étude la plus iconique de ce champ de recherche est l'étude de Baddeley et Godden, datée de 1975. Dans cette étude, plusieurs groupes de plongeurs écoutaient une liste de 40 mots, deux groupes recevant ces mots sous l'eau, les autres sur la terre ferme. Deux des groupes recevaient un test de rappel sous l'eau, ou sur terre. Il se trouve que ceux qui avaient appris les mots sous l'eau avaient de meilleures performances quand on les testait sous l'eau que sur terre. Et réciproquement pour ceux qui avaient appris les mots sur terre.

De plus, l'état physiologique lors de l'encodage joue aussi le rôle d'indice de récupération. Par exemple, Goodwin et ses collègues (1969) ont saoûlé un groupe de 48 cobayes et leur ont fait apprendre des listes de mots lors de leur ivresse. Quelques temps plus tard, ils les ont séparé en deux groupes : l'un qui avait décuvé et l'autre saoul. Le groupe ivre rappelait nettement plus de mots que le groupe sobre. En 1970, Bustamante a réitéré l'expérience en utilisant deux groupes de cobayes : l'un qui avait reçu de amphétamines et l'autre de simples barbituriques. Ces deux groupes se rappelaient plus de mots lorsqu'ils étaient sous l'emprise de la même drogue que celle consommée avant l'apprentissage de la liste de mots. Pire : Overton (1974) a montré que des rats qui avaient appris à trouver la sortie d'un labyrinthe sous l'emprise d'une drogue ne trouvaient pas la sortie une fois les effets de la drogues passés. Par contre, réinjecter la drogue dans les rats leur faisait trouver la sortie du premier coup !

L'humeur lors de l'encodage a aussi son influence. Par exemple, demandez à des groupes de cobayes de mémoriser des listes de mots : certaines contiennent uniquement des mots positifs (gentil, agréable, douceur, frère, amitié) et d'autres des mots déprimants. Réunissez deux groupes de cobayes, un de ces groupes contenant des extravertis baignant dans la joie de vivre et l'autre un ramassis de méchants dépressifs. Le groupe dépressif retiendra nettement mieux la liste déprimante, alors que le groupe de bonne humeur retiendra mieux la liste agréable.

D'autres biais du même genre peuvent survenir avec la langue d'apprentissage. Par exemple, se rappeler quelque chose lors d'un test dépend de la langue d'apprentissage. Si l’on vous fait apprendre quelque chose en allemand, vous aurez plus de facilité à donner la réponse si la question est posée en allemand qu'en français. Cet effet a été mis en évidence chez des étudiant anglais-espagnols bilingues (Marian and Fausey, 2006) mais il peut certainement se généraliser à tout le monde.


L'oubli en mémoire déclarative

L'oubli est une réalité. Fréquent dans les maladies neurodégénératives et à la suite d'AVC, il représente alors un dysfonctionnement du substrat cérébral qui retentit sur le fonctionnement des processus mnésiques. L'oubli normal semble relever d'un principe différent : si l'on oublie, la mémoire nous fait défaut d'une manière ou d'une autre, sans pour autant que le cerveau soit endommagé. Mais loin d'être un défaut du fonctionnement de la mémoire, l'oubli nécessite parfois une implication active. Les chercheurs font notamment la différence entre oubli incident et oubli motivé, la différence étant l'intention (ou la non-intention) d'oublier un souvenir. Quand on souhaite oublier un souvenir, nous allons utiliser diverses stratégies pour éviter de nous en rappeler, comme éviter tout ce qui pourrait nous remémorer ce souvenir. L'oubli qui en résultera sera nommé l'oubli motivé. En revanche, les autres formes d'oubli ne présupposent pas une volonté active d'oublier. L'étudiant qui a oublié son cours lors d'un examen ne souhaitait certainement pas oublier ce sur quoi on l'interroge, mais il n’empêche qu'il peut ne pas s'en rappeler lors du test. C'est alors un oubli dit incident. Ce chapitre se propose de voir comment se produit l'oubli, quelles sont ses causes.

Observations sur le phénomène d'oubli

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Il va de soi que plus le temps passe, plus on oublie. Cette évidence est relativement vraie : les souvenirs anciens sont les plus difficiles à rappeler, ceux qu'on oublie plus facilement. Cependant, les savants ne peuvent pas se contenter d'une telle intuition : ils souhaitent d'abord la vérifier, mais aussi l'étudier en profondeur. On peut notamment se demander à quelle vitesse les sujets peuvent oublier : est-ce que l'oubli se fait à taux constant, où bien l'oubli se fait-il de plus en plus rare avec le temps ?

Les courbes de l'oubli

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Les premières études sur le sujet sont, encore une fois, l’œuvre d'Ebbinghaus. Dans ses expériences, Ebbinghaus apprenait des listes de syllabes et mesurerait à intervalles réguliers ce qu'il en avait retenu. Il représentait ensuite les résultats sur un graphique appelé courbe de l'oubli. Cette courbe de l’oubli avait une forme sensiblement identique à la suivante. Celle-ci montre un oubli très rapide suivi d'une stabilisation, la forme de la courbe étant approximativement l'inverse du logarithme. Tout se passe comme si les souvenirs finissaient par geler, par se consolider si fortement en mémoire qu'ils ne peuvent plus être oubliés. Les informations qui survivent à l'oubli sont alors très résistantes, et forment ce que l'on appelle le permastore. Ce mot fait référence au permafrost, à savoir l'état totalement gelé de certains sols dans les régions froides (en Sibérie, notamment).

Courbe de l'oubli.

De nombreuses expériences plus récentes ont confirmé les observations d'Ebbinghaus, avec du matériel similaire : listes de mots, liste de faits, et autres. Mais ces observations peuvent parfaitement se généraliser à du matériel plus complexe. Tel est le cas des souvenirs personnels. Un bon exemple est l'étude de Meeter et de ses collègues, datée de 2005. Dans celle-ci, comme dans bien d'autres, les scientifiques ont interrogé les sujets sur des évènements "historiques", suffisamment saillants pour attirer l'attention et dont les sujets ont eu vent par les actualités. Les scientifiques ont commencé par faire une liste de tels évènements en étudiant d'anciens journaux ou émissions d'actualité. Puis, ils ont interrogé leurs sujets sur ce qu'ils ont retenu de ces évènements. Le bilan est qu'une année est suffisante pour que les sujets oublient la moitié des évènements choisis : si 60% des évènements très récents sont retenus, seuls 30% sont récupérables une année plus tard. Cependant, cet oubli ralentit assez vite, des durées plus longues montrant un écart nettement plus faible. Le tout peut se résumer par une courbe de l'oubli similaire à celle d'Ebbinghaus.

La même chose s'observe pour des informations apprises délibérément, comme le montrent les études de Bahrick sur les connaissances apprises durant la scolarité d'élèves américains. L'étude portait surtout, mais pas que, sur les connaissances en espagnol. Cette étude a montré que la phase de déclin peut prendre 3 ans, avant que l'oubli ne se stabilise. Une autre étude (cf. Ellis, J.A.; Semb, G.B. & Cole, B. (1998). Very long-term memory for information taught in school), a montré que les élèves retiennent entre 30 et 20 % de ce qu'ils ont appris en classe plusieurs dizaines d'années après avoir quitté l'école.

Facteurs qui influencent la forme de la courbe d'oubli

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L'étude précédente a montré que les connaissances scolaires s'oublient assez rapidement, avant que l'oubli se stabilise. Il se trouve que la quantité de connaissances oubliées dépend fortement de leur niveau de maîtrise initial : les élèves qui avaient les meilleurs résultats dans la matière sont ceux qui ont le moins oublié à très long-terme. En clair, ceux qui retiennent le mieux sont ceux qui ont appris en profondeur le matériel et qui ont réussi à le maîtriser suffisamment.

Dans un autre genre, on peut citer une étude de Bahrick et Wittlinger (1975) sur la capacité à reconnaître ses anciens camarades de classe sur des photographies. Celle-ci a montré que l'oubli peut être encore plus lent, avec des courbes de l'oubli quasiment horizontales. L'astuce de ces dernières études est que le test de mémoire est une vulgaire tâche de reconnaissance sur du matériel extrêmement familier, ce qui facilite énormément les performances. L'étude montre notamment que l'oubli est plus important en situation de rappel que de reconnaissance.

La nature de l'oubli

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Le passage du temps favorise l'oubli, c'est une évidence qui est confirmée par la recherche sur les courbes de l'oubli. On peut naturellement rendre compte de ce fait par une dégradation des souvenirs avec le temps ou l'âge. L'idée est que les informations s'effacent progressivement de la mémoire, avec le passage du temps, sauf si elles sont utilisées, revues ou rappelées fréquemment. Cette intuition voudrait que l'information oubliée n'est plus disponible : elle n'existe plus.

Mais dans ce cas, comment expliquer que l'oubli est plus fort pour le rappel que la reconnaissance ? Si une information est reconnue mais non-rappelée, peut-on dire qu'elle est oubliée ? Visiblement non, vu qu'un test de mémoire (la reconnaissance) montre que le sujet a gardé une trace de l'apprentissage initial. On doit avouer que le sujet a mémorisé plus d'informations qu'il ne peut en rappeler. Une partie de l'oubli en tâche de rappel est donc une forme d'oubli diffère ce que nous suggère l'intuition : les informations ne sont pas effacées, mas simplement inaccessibles. Cette dernière observation pose de nombreuses questions sur la nature de l'oubli. Pour résoudre ce paradoxe, les psychologues ont découvert/inventé divers mécanismes complémentaires à l'effacement des souvenirs avec le temps. Ces mécanismes sont peu nombreux, mais les principaux sont les suivants : l'insuffisance des indices de récupération, la fluctuation du contexte, les interférences, et l'oubli induit par le rappel. Tou font qu'une information présente en mémoire n'est pas rappelée, soit parce qu'elle est inaccessible, soit qu'elle entre en compétition avec d'autres candidat au rappel.

L'oubli par insuffisance des indices de récupération

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L'oubli provient alors d'un raté du processus de rappel, comme quand on a un mot sur le bout de la langue. Le problème n'est pas la présence de l'information en mémoire, mais son accessibilité : l'activation n'arrive pas jusqu'au concept à rappeler, ou n'est pas suffisante pour générer un rappel. L'oubli peut donc venir d'une mémorisation mal faite, qui n'a pas suffisamment associé l'information dans le réseau mnésique : les indices de récupération ne sont pas suffisants pour activer le concept à rappeler. Il est donc nécessaire de faire la différence entre l’accessibilité et l'existence d'un souvenir/d'une connaissance. Mais cette distinction est très difficile à faire empiriquement : comment savoir si un souvenir s'est effacé ou s'il n'est tout simplement pas possible de le rappeler ? En l'état actuel de nos connaissances, cela est impossible. Si le sujet n'arrive pas à se rappeler de quelque chose, il se peut qu'il ne l'ait pas oublié, mais que les indices de récupération ne soient tout simplement pas suffisants pour entraîner son rappel.

L'oubli par interférences

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Les phénomènes d'interférence surviennent quand l'apprentissage d'une information empêche le rappel d'une autre. Celles-ci apparaissent quand plusieurs informations sont reliées à un même indice de récupération : ces items entrent en compétition pour le rappel, diminuant leurs chances de rappel respectives. Mais d'autres protocoles expérimentaux sont allés plus loin, et ont cherché à savoir si l'ordre de présentation des informations jouait sur l'interférence. Selon l'ordre d’apprentissage des informations interférentes, on distingue deux types d'interférences : proactive, et rétroactive.

Dans l'interférence proactive, d'anciennes connaissances empêchent la mémorisation de nouvelles idées. C'est ce qui explique que quelqu'un qui a appris l'anglais aura plus de mal à apprendre l'italien, par exemple. Premier indice en faveur de ce phénomène d'interférence, on peut remarquer que plus une liste de mots est longue, plus le taux de rappel diminue. Une liste de 50 mots sera rappelée à 50 %, tandis qu'une liste de 100 mots ne sera rappelée qu'à 25 %. Autre expérience : on prend deux groupes de cobayes, auxquels on fait apprendre des listes de mots. Le premier groupe doit apprendre deux listes : une liste A, et une liste B. Le second groupe doit se contenter d'apprendre la liste B. Pour limiter les biais, on fait en sorte que les cobayes aient un temps de repos entre l'apprentissage de chaque liste, et on décale le rappel. Dans ces conditions, on remarque que le groupe qui a du apprendre deux listes a des résultats nettement moins bons : on passe de 70 à 40 % ! De plus, rajouter des listes à apprendre augmente encore l'effet : rajouter un troisième jour diminue l'efficacité à 25 %. Et ainsi de suite. Cette conclusion se généralise dans d'autres expériences, qui ont montré que cet effet ne fonctionne pas que pour des listes de mots.

On trouve aussi l'interférence rétroactive, où de nouvelles connaissances forcent l'oubli des anciennes. Pour mettre cet effet en évidence, on peut utiliser une expérience toute simple : on prend deux groupes de cobayes, auxquels on fait apprendre des listes de mots. Le premier groupe doit apprendre deux listes : une liste A, et une liste B. Le second groupe doit se contenter d'apprendre la liste B. Pour limiter les biais, on fait en sorte que les cobayes aient un temps de repos entre l'apprentissage de chaque liste, et on décale le rappel. Dans ces conditions, le second groupe a un taux de rappel nettement moins bon. L'apprentissage de la seconde liste a interféré avec la première. Cette conclusion se généralise dans d'autres expériences, qui ont montré que cet effet ne marche pas que pour des listes de mots. Toutefois, l'effet voit son intensité varier suivant la situation. L'effet est très faible quand les listes de mots à apprendre sont très différentes. De plus, l'effet est beaucoup plus fort si les mots des différentes listes sont conceptuellement proches. À l'inverse, rassembler des mots de la même catégorie dans la même liste diminue fortement l'interférence. Bilan : la similarité et la proximité sémantique des concepts jouent sur leur interférence.


L'encodage des informations

Les premiers modèles de mémoire prédisaient que la probabilité de mémorisation d'une information dépendait de son temps de passage en mémoire à court terme. Le fait de la répéter mentalement devait donc augmenter ce temps de maintien et permettre une mémorisation durable. Cette forme de répétition consistant à répéter une information à l'identique s'appelle la répétition de maintien. Il s'agit d'une forme de répétition utilisée dans le par cœur, la répétition d'exercices, etc. Mais les expériences faites sur le sujet ont montré qu'elle n'avait qu'un effet relativement faible. Pour en donner un exemple flagrant, des chercheurs ont demandé à des volontaires de reconnaître un détail du quotidien, en l’occurrence une pièce d'un penny, parmi plusieurs photographies très semblables : les volontaires ne se souvenaient pas des détails de la pièce (par exemple, ils ne savaient pas si le visage était tourné vers la droite ou la gauche). Dans le même genre, on peut demander à des cobayes quelle est la disposition des chiffres (les touches) sur leur téléphone : le taux de fausses réponses est particulièrement élevé. Et ces observations sont confirmées par les expériences de laboratoire qui comparent des sujets qui ont simplement appris un matériel quelconque sans répétition de maintien, avec un second groupe qui a utilisé la répétition de maintien : la répétition de maintien a certes un effet, mais celui-ci est relativement faible. Mais alors, quels sont les paramètres qui influencent la mémorisation, l'encodage ? Voyons cela plus en détail.

L'organisation du matériel encodé

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L'esprit humain n'est pas une table rase sur laquelle les informations viennent s'inscrire verbatim. Une telle mémorisation par cœur est certes possible, comme en atteste notre expérience d'étudiant ou d'élève, mais elle met de côté un principe cardinal de notre mémoire : son organisation. Les informations que nous avons apprises ne sont pas des unités isolées, tels des faits ou concepts indépendants. Toutes sont reliées entre elles, via des principes logiques ou des relations qui donnent du sens à l'ensemble de nos connaissances. La signification des informations structure notre mémoire, ce qui a un impact très fort pour l'encodage. L'encodage est nettement meilleur quand le sujet organise les informations qu'ils reçoit, quand il les classifie, les structure, leur donne une signification. Ce processus d'organisation subjective peut être aidé par les connaissances antérieures (quand on trouve des liens avec ce qui est déjà connu), mais aussi par d'autres paramètres relativement importants.

La profondeur de traitement

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Les psychologues ont découvert que la mémorisation dépendait de la profondeur de traitement. Grosso-modo, plus le matériel à mémoriser est soumis à un traitement profond, sémantique, mieux il est mémorisé. Ce concept de profondeur de traitement a été "découvert" par Craik et Lockhart en 1972, avant d'être répliqué par Craik et Tulving en 1975. Ces deux psychologues ont cherché à savoir si le fait de traiter profondément l'information avait un effet sur la mémorisation. Leur première expérience était une tâche d'apprentissage non-intentionnel : les cobayes n'étaient pas prévenus qu'il subissait une tâche de mémorisation, et ne savaient pas qu'on allait les interroger ultérieurement. Le test demandait aux cobayes de faire un traitement sur un mot particulier, traitement qui portait sur l'écriture du mot, sa prononciation, ou sa signification. Par exemple, si l'on projette le mot LAPIN sur un écran, on peut demander au cobaye de nous dire si le mot est écrit en minuscules ou en majuscules : le traitement est structural. On peut aussi lui demander si le mot rime avec montagne : le traitement est phonétique. Et enfin, on peut demander si le mot est un animal : le traitement est sémantique. Chaque cobaye devait traiter 60 mots différents. À la fin, les cobayes recevaient une interrogation surprise dans laquelle on leur demandait de rappeler les mots qu'ils venaient de traiter. Bilan :

  • 15 % de mots rappelés pour la tâche structurale ;
  • 48 % de mots rappelés pour la tâche orthographique/phonétique ;
  • 81 % pour le traitement sémantique.

Les cobayes se rappelaient nettement mieux des mots lorsqu'ils effectuaient un traitement sémantique dessus. Autre détail : en reconnaissance, les temps de réponse étaient fortement inférieurs pour les mots traités sémantiquement. De même, les cobayes répondent plus rapidement aux questions sémantiques qu'aux questions structurales, lors de la phase d'apprentissage. Et ce résultat est assez solide. Augmenter le nombre de questions, présenter plus longtemps les mots à traiter superficiellement, prévenir les cobayes à l'avance du test, voire payer plus les cobayes pour qu'ils se rappellent des mots traités superficiellement, ... rien à faire : le traitement sémantique surpasse les autres.

Ces expériences ont été reproduites non pas avec des mots, mais avec des dessins, ou des photographies de visages. Les questions étaient alors légèrement modifiées. Comme tâches légères, on demandait aux cobayes de dire s'il s'agissait d'une photo d'homme ou de femme (ce genre de reconnaissance s'effectue automatiquement, dans une zone spécialisée du cerveau). Comme traitement léger, on demandait si le visage était colérique, joyeux, etc. ; ce qui demande d'extraire la signification de certains traits particuliers du visage. Pour les expériences sur des dessins, on présentait des dessins sans signification aux cobayes. Un premier groupe se faisait poser des questions sur les couleurs du dessin, et l'autre devait inventer une signification pour ce dessin. Le second groupe passait devant, avec un taux de rappel double.

La théorie du traitement adapté au transfert

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Cependant, le concept de profondeur de traitement n'est pas sans défaut. Premièrement, il faut noter que la théorie de base postule un sens de traitement des informations : les informations orthographiques et phonologiques sont traitées avant la signification du matériel. Mais certaines expériences nous permettent d'en douter. Mais la critique principale provient des tâches de rappel utilisées dans les expériences sur la profondeur de traitement : en changeant les conditions de rappel, on peut faire disparaître l'effet de profondeur de traitement.

Un exemple est l'étude de Morris, Bransford et Franks (1977). Dans cette étude, les sujets devaient effectuer soit un traitement sémantique des mots d'une liste, soit un traitement phonologique. Lors du rappel, les sujets étaient interrogés soit via des questions liées à la phonologie, soit à la signification des mots. Dans le premier cas, l’expérimentateur demandait si un des mots de la liste rimait avec "moche", ou tout autre mot. Dans le second cas, les conditions étaient similaires à celles utilisées dans les expériences sur la profondeur de traitement. Il se trouve que les sujets qui avaient subi une tâche de traitement phonologique étaient nettement meilleurs dans le test de rime. Et de la même manière, les sujets qui avaient la liste en conditions normales étaient meilleurs dans la tâche de rappel sémantique. Cette étude illustre le principe du traitement approprié au transfert, à savoir le fait que le rappel est meilleur si les conditions du rappel sont proches/semblables à celles de l'encodage.

L'élaboration mnésique

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Ces expériences montrent clairement un effet, reste à l'expliquer. Pour cela, Tulving et Craik ont émis l'hypothèse suivante : plus le traitement est profond, plus le matériel à apprendre sera relié à des connaissances antérieures. Pour eux, la profondeur de traitement provenait de différences d'élaboration, c'est-à-dire de nombre de relations formées avec des connaissances antérieures. Le fait est qu'un matériel élaboré entretient un grand nombre d'associations avec des indices de récupération potentiels. Il s’avère que plus le matériel est élaboré, meilleure est sa mémorisation.

Cette explication fonctionne très bien pour expliquer les résultats dans les tâches de rappel libre, où les sujets doivent apprendre des listes de mots. La plupart des mots sont déjà connus des sujets, dans le sens où ils font déjà partie de leur vocabulaire. Les sujets doivent donc se rappeler de l'appartenance des mots à la liste, et non apprendre les mots eux-mêmes. Cela demande d'organiser les mots de la liste, histoire de les unifier dans un tout cohérent qui représente la liste. Cette organisation peut se fonder sur l'ordre des mots dans la liste, mais aussi sur d'autres formes d'organisations. Les expériences de Tulving et leurs réplications (celle de 1962[1]) le montrent clairement. Dans ces expériences, les sujets doivent apprendre une liste de mots, qui leur est présentée plusieurs fois et qu'ils doivent rappeler après chaque présentation. À chaque présentation, l'ordre des mots est changé, histoire que les sujets ne puissent pas se fonder sur l'ordre des mots pour organiser la liste. Cela n’empêche pas les sujets d'organiser la liste suivant des critères sémantiques. Au fur et à mesure des rappels, les sujets finissent par rappeler les mots dans un ordre de plus en plus stable, les mêmes suites de mots ressortant à chaque répétition. Ces regroupements semblent être réalisés sur des critères conceptuels. Par exemple, les mots d'une même catégorie sont rappelés les uns à la suite des autres. De plus, les groupes finissaient par être regroupés eux-mêmes en des groupes de plus en plus larges. On peut y voir une application du phénomène de chunking, vu dans le chapitre sur la mémoire à court-terme, mais Tulving préféra appeler ce phénomène l'organisation subjective.

De cette expérience, on voit que les processus de regroupement sont impliqués dans l'organisation du matériel à apprendre, processus qui semble important pour l'encodage. On peut raisonnablement en déduire qu'organiser le matériel à apprendre en hiérarchie peut donner de bons résultats, ces hiérarchies utilisant au mieux le processus de regroupement. Cette hiérarchie qui sert à organiser le matériel appris est ce que l'on appelle une structure de récupération, aussi appelés plan de récupération. Par exemple, essayez de deviner laquelle de ces deux listes fonctionne le mieux :

Liste 1 :

  • vache
  • cheval
  • poney
  • poulain
  • cochon
  • rat
  • souris
  • lézard

Liste 2 :

  • vache
  • cochon
  • poulain
  • souris
  • cheval
  • lézard
  • poney
  • rat

C'est évidemment la première, vu que les mots sont regroupés par catégorie. Le fait d'indiquer explicitement les catégories permet d'améliorer encore la mémorisation. De plus, si l'on montre un petit dessin montrant la hiérarchie des catégories, le rappel de la liste de mots est clairement meilleur comparé à une liste de mot convenablement triée.

Expérimentalement, cette organisation hiérarchique permet d'obtenir un meilleur rappel que d'autres formes d'organisation.

  • Prenons un exemple : l'expérience de Bousfield (1953). Dans cet expérience, il était demandé à des élèves de mémoriser une liste de 60 mots. Ces 60 mots appartenaient à 4 catégories différentes : animaux, profession, légumes, et vêtement. Les mots sont présentés aléatoirement aux cobayes. Seulement, au fil des essais, on s’aperçoit que les cobayes ont tendance à regrouper les mots dans leurs réponses. Au final, après un grand nombre d'essais, ils rappellent les mots catégorie par catégorie. Et ce regroupement est fortement corrélé à un taux de rappel de plus en plus élevé.
  • Prenons un autre exemple : Clark, Lesgold et Winzenz (1969) ont fait apprendre des listes de mots à deux groupes de cobayes. Le premier avait une liste de mots organisée hiérarchiquement, classée par catégories, et l'autre une liste complètement désorganisée. Le bilan est très clair : les participant du groupe hiérarchique ont rappelés 3 fois plus de mots que les autres.
  • Wittrock and Carter (1975) ont montré que des élèves du secondaire qui organisaient eux-même une table de minéraux en hiérarchie catégorielle avaient de meilleures performances que des élèves qui ne faisaient que recopier et relire la liste de minéraux. Par contre, relier une hiérarchie créé par le professeur donnait de meilleurs résultats que générer soit-même la hiérarchie.
  • D'autres expériences sur des listes de mots sont arrivées aux même résultats : classer les informations dans une hiérarchie permet de faciliter fortement le rappel et l'apprentissage, d'un facteur pouvant aller de 3 à 5.

Une autre forme d'organisation est de regrouper les mots à apprendre pour former une petite histoire. Cette technique va non seulement former des regroupements, mais va aussi relier ceux-ci entre eux, donnant un encodage encore plus élaboré. Il est aussi possible de ne prendre que la première lettre d'un mot pour former des acronymes, ou former de nouvelle phrases. Cette méthode est d'ailleurs utilisée comme procédé mnémotechnique : diverses mnémoniques de ce genre existent, notamment pour mémoriser les formules de la thermodynamique, les décimales du nombre Pi, la liste des planètes ou encore le code couleur des résistances.

Cette efficacité de l'organisation subjective provient en partie du processus de chunking et en partie des processus d'organisation/élaboration qui attribuent un sens au matériel appris. Dans toutes les expériences faites sur le sujet, les expérimentateurs ont remarqué que lors du rappel d'une hiérarchie, le rappel d'un concept était suivi du rappel des sous-concepts situés juste en-dessous dans l'arbre dans 90% des cas. En clair, chaque information sert d'indice de récupération pour les sous-informations placées immédiatement en dessous de lui. La recherche de l'information à rappeler se fait en parcourant la hiérarchie, en partant du sommet, jusqu’à trouver l'information à rappeler. Lors de ce parcours, les indices parcourus lors de la recherche de l’information sont aussi conservés en mémoire de travail, et servent à se repérer dans la hiérarchie. La somme d'indices parcourus + taille du groupe en cours de visite ne doit donc pas dépasser la capacité de la mémoire de travail.

La distinctivité

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Par la suite, d'autres mécanismes d'encodage se sont fait jour. Eysenck a notamment proposé que la distinctivité des informations influençait leur récupération. Une information très distinctive, qui se démarque du reste du contenu de la mémoire, a plus de chances d'être récupérée qu'une information similaire à d'autres.

L'influence de l'attention sur l'encodage

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L'attention présente aussi une influence sur l'encodage : plus on est attentif à quelque chose, mieux on mémorise. Mais bizarrement, cet effet ne provient que de la profondeur de traitement.

L'influence de l'intention d’apprendre

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Une première preuve de l'effet de l'attention vient des expériences ont comparé apprentissage incident, où les sujets ne sont pas prévenus qu'ils allaient être interrogés, et apprentissage intentionnel, où les sujets étaient prévenus. En apprentissage intentionnel, les sujets vont plus porter attention au matériel à apprendre et vont alors tenter de l'organiser au mieux. Globalement, le taux de rappel était supérieur dans les tâches d'apprentissage intentionnel, mais pas toujours. Les psychologues ont établi des protocoles expérimentaux dans lesquels ils pouvaient contrôler la profondeur de traitement et/ou les processus d'organisation. Par exemple, une présentation rapide des mots à apprendre empêche le sujet d'utiliser des stratégies d'organisation coûteuses, limitant l'organisation subjective. Bilan : pas de différence à profondeur de traitement égale. La motivation et l'attention ne permettent de mobiliser plus d'attention sur le matériel à retenir, ce qui permet d'augmenter la profondeur de traitement, mais c'est le seul effet psychologique sur la mémorisation. Dans tous les cas, être attentif et concentré aide à mieux mémoriser dans pas mal de situations.

L'effet délétère du stress

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Le stress et l'activation physiologique ont aussi des effets délétères sur la concentration, ce qui réduit les performances.

  1. Tulving, E. (1962). Subjective organization in free recall of "unrelated" words. Psychological Review, 69(4), 344–354. https://doi.org/10.1037/h0043150


Habituation et sensibilisation

Les apprentissages les plus simples en mémoire implicite sont ce qu'on appelle des apprentissages non-associatifs, et sont des cibles de choix pour commencer à étudier la mémoire. Il en existe deux :

  • l'habituation ;
  • et la sensibilisation.
Une aplysie

La majorité des expériences s'est faite surtout sur un petit mollusque nommé l'aplysie. Ces expériences peuvent aussi utiliser n'importe quelle espèce animale, mais l'aplysie a été choisie pour diverses raisons. Par exemple, il dispose d'un faible nombre de neurones, 939 neurones exactement, ce qui simplifie fortement les expériences. Cette aplysie possède un petit siphon, qui permet d'aspirer l'eau sous le mantelet qui recouvre son ventre. Quand on appuie sur le siphon, ce mantelet se contracte.

Si on répète l'appui sur le siphon à intervalles réguliers, le mantelet se contracte de moins en moins. Dit autrement, l'animal s’habitue progressivement aux stimulus répétés sur le siphon et finit par réagir de moins en moins fort à des stimulus répétés. C'est une première forme de mémoire à long terme, qui porte le nom d'habituation. Cette forme de mémoire n'est pas spécifique à l'aplysie, et est au contraire un phénomène général, qui s'applique à toutes les espèces. Par exemple, on peut prendre les chiens de chasse ou des bébés humains, qui apprennent progressivement à ne pas paniquer à des bruits forts. Cette habituation dépend fortement de l'intensité du stimulus : plus le stimulus est faible, plus l'animal s'habitue rapidement. De même, la distribution dans le temps des stimulus influe beaucoup sur la rapidité d'habituation et sur son intensité : l'animal s'habituera d'autant plus rapidement que les stimulus sont éloignés. Il faut toutefois noter qu'il existe deux formes d'habituation : une habituation à court terme, qui disparaît en quelques minutes, voire quelques heures, et une habituation à long terme, qui reste beaucoup plus longtemps. Ces deux formes d'habituation n'ont pas les mêmes causes.

Physiologie de l'habituation à court terme

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Voie réflexe du siphon l'aplysie

Pour comprendre comment l'habituation peut émerger des circuits neuronaux de l'aplysie, les chercheurs ont commencé par voir quels sont les neurones dédiés à ce comportement dans l'aplysie. Pour faire simple, ce circuit neuronal peut être décomposé en trois parties :

  • un ensemble de neurones détecteurs, qui s'activeront lorsqu'on appuie sur le siphon ;
  • des neurones effecteurs qui vont servir à rétracter la branchie ;
  • et entre le deux, on trouve une petite couche d’inter-neurones.

Dans ce circuit, les chercheurs ont effectué quelques mesures, en même temps qu'ils habituaient l'animal à un appui répété sur le siphon. Le bilan est que les synapses voient leur efficacité diminuer avec l'habituation. Cette baisse d'efficacité est ce qu'on appelle la dépression synaptique. Pour vérifier l'origine de cette dépression, Gingrich et Byrne ont fait quelques observations au microscope électronique sur des synapses déprimées : le nombre de synapses ne variait pas avec l'habituation, pas plus que le nombre de vésicules synaptiques. Par contre, le nombre de vésicules vides avait augmenté. Cette dépression vient donc du fait que les neurones situés avant la synapse usent leur stock de neurotransmetteurs assez vite : la quantité de neurotransmetteur libéré dans la synapse diminue avec les stimulations. On pense que ce mécanisme serait à l'origine des phénomènes d'habituation sur les autres espèces. Cela explique pourquoi l'habituation ne dure pas : les stocks de neurotransmetteurs se reconstituent avec le temps.

Physiologie de l'habituation à long terme

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L'habituation à court terme n'est toutefois pas la seule forme d'habituation chez l'aplysie. Si l'on répète les stimulations de manière répétée et espacées dans le temps, on constate que l’habituation perdure sur de très longues durées : on parle alors d'habituation à long terme. Celle-ci a une cause différente de l'habituation à court terme. Les expériences d'observations au microscope électronique sont claires : les neurones ayant subis une habituation à long terme contiennent moins de synapses fonctionnelles. Les connexions entre neurones ont tendance à s'affaiblir avec l'habituation à long terme.

Sensibilisation

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Dans certains cas, répéter une stimulation de manière répétée ne va pas diminuer le réflexe avec le temps, mais va l'augmenter. On est alors face à un phénomène de sensibilisation : l'animal devient de plus en plus sensible avec le temps. Prenons encore une fois un exemple avec l'aplysie. Prenons un animal dont le réflexe de contraction du siphon s'est habitué. En même temps qu'on appuie sur le siphon, envoyez un choc électrique sur la queue de l'animal. La conséquence est d'avoir totalement supprimé l'habituation. Pire : il arrive que le réflexe de contraction de la branchie soit encore plus vigoureux qu'avant. Et cette sensibilisation ne disparaît pas si vite que cela : elle peut perdurer jusqu'à quelques heures, voire plus encore si on répète la séance d'expérimentation

On remarque que la sensibilisation n’apparaît pas au même endroit que l'habituation : ces deux comportements demandent des conditions de mise en place différentes. Cela vient du fait que ces deux processus n'agissent pas sur les mêmes réseaux de neurones. Cette fois-ci, ce n'est pas la plasticité synaptique qui est à l'origine de la sensibilisation. Le mécanisme de sensibilisation est dû à la participation de nouveaux neurones dans le circuit décrit plus haut. En réalité, le circuit de l'aplysie ressemble à celui illustré ci-dessous. Comme vous le voyez, les neurones de la queue font contact un peu avant la synapse entre neurones de la queue et les interneurones/neurones du siphon. La synapse relie donc le bouton synaptique du neurone sensoriel (en réalité, il y a un inter-neurone entre les deux, mais peu importe...), et la fin de l'axone du neurone sensoriel du siphon et des interneurones.

Voie réflexe du siphon de l'aplysie.

Lorsque le neurone de la queue émet des influx nerveux, ceux-ci seront transformés dans la synapse en sérotonine. Cette sérotonine sera alors captée par l'axone des interneurones et des neurones sensoriels du siphon, et entraînera des modifications durables de la transmission synaptiques : celle-ci libérera un plus grand nombre de neurotransmetteurs de façon durable, et transmettra donc plus facilement les influx nerveux entre siphon et neurones moteurs. D'où la sensibilisation.

Théories de l'habituation et de la sensibilisation

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Diverses théories ont été inventées pour modéliser le phénomène de l'habituation et de la sensibilisation. Certaines de ces théories font intervenir la plasticité synaptique, et permettent d'expliquer l'habituation à court terme dans un arc réflexe. D'autres sont des théories plus générales. Dans tous les cas, il existe des théories qui tentent d'expliquer habituation et sensibilisation dans un grand nombre de cas, et chez un grand nombre d'espèce. De nos jours, deux théories de ce genre ont survécu aux divers tests expérimentaux auxquels elles ont été soumises :

  • la théorie du comparateur de modèle de stimulus ;
  • et la théorie du double processus de Groves and Thompson.

Théorie du comparateur de modèle de stimulus

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La théorie du comparateur de modèle de stimulus suppose que le stimulus sensoriel est relié indirectement à la réponse : entre les deux, on trouve un système amplificateur, qui se chargera d'amplifier le stimulus jusqu'à un certain seuil. Cette amplification peut cependant être inhibée par un second système lié à la mémoire, qui permet de mémoriser le stimulus : il s'agit ni plus ni moins d'un réseau de neurone qui peut reconnaître le stimulus. Quand un stimulus inconnu est présenté, le système mémoire ne reconnaît pas le stimulus et laisse l'amplificateur amplifier à son niveau maximal. Le stimulus perçu est comparé aux stimulus mémorisés dans le système mémoire, histoire de reconnaître des stimulus semblables à ceux déjà connus. Plus le stimulus perçu est familier, plus l'inhibition sera forte. Plus le nombre de présentations antérieures a été élevé, plus le système mémoire va reconnaître efficacement le stimulus et inhiber fortement la réponse : il y a alors habituation. Il est supposé que le système mémoire mémorise progressivement le stimulus, sa représentation étant raffinée à force de répétition : cela explique l'augmentation de l'habituation avec le nombre de répétitions.

Illustration de la théorie du comparateur de stimulus, une théorie qui explique le phénomène d'habituation et de sensibilisation.

Cette théorie n'est malheureusement utilisable que pour des espèces évoluées, dans lesquelles le système nerveux peut effectivement implémenter un système de mémorisation des stimulus, et un amplificateur. Pour des animaux comme l'aplysie, cette théorie est presque inapplicable.

Théorie du double processus

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La théorie du double processus suppose qu'habituation et sensibilisation sont des processus séparés dans des groupes de neurones différents. L'habituation a lieu dans un arc réflexe, composé de neurones sensoriels, de neurones moteurs, et éventuellement d'interneurones. Cette habituation à court terme est telle que décrite au-dessus : plus efficace avec des stimulus forts, ou avec des délais raccourcis entre deux stimulus. La sensibilisation dépendrait d'autres neurones, qui viendraient projeter leurs synapses sur les interneurones de l'arc réflexe (ou directement sur les neurones moteurs dans certains cas précis). Ces neurones ne sont pas soumis à l'habituation et sont commandés par des influx nerveux qui proviennent d'un système d'activation, qui se charge d'activer ou de désactiver la sensibilisation. Ainsi, pour de faibles stimulations, le système d'activation de la sensibilisation ne s'active pas, laissant l'habituation faire son travail. Mais avec de fortes stimulations ou une convergence de stimulations simultanées, l'activation du système de sensibilisation prend le dessus. Selon cette théorie, la déshabituation et la récupération spontanée sont juste des conséquences d'une sensibilisation plus ou moins cachée, ou alors d'une diminution de l'habituation avec le temps.

Cette théorie, bien que très utile pour décrire ce qui se passe au niveau d'un arc réflexe, ne permet pas vraiment de comprendre ce qui se passe pour une habituation au niveau du cerveau ou dans des circuits très complexes. Et elle ne permet pas de savoir pourquoi l'habituation a lieu à long terme. Aussi, des théories plus spécifiques, dédiées à une espèce en particulier, ont ajouté un système nerveux central pour expliquer habituation et sensibilisation, ainsi que des processus qui permettent d'expliquer l'habituation à long terme. Dans ces théories, les modèles précédents sont adaptés de manière à rajouter un grand nombre d'  « arcs réflexes » (en réalité, des connexions synaptiques entre différentes aires cérébrales), et des systèmes de sensibilisation multiples.


Le conditionnement classique

Dans les années 1890, un scientifique russe du nom de Pavlov s'était mis en tête d'étudier la sécrétion de sucs gastriques par les chiens. Dans ses expériences, Pavlov faisait ses études avec l'aide d'un appareil qui recueillait la salive des chiens. Logiquement, les chiens commencent à saliver lorsqu'ils ont leur repas sous les yeux : il s'agit d'un réflexe programmé chez les chiens qu'utilisait Pavlov dans ses expériences. La simple vision de la nourriture suffit à les faire saliver, ce qui est détectable par les appareils dont disposait Pavlov. Mais, chose étonnante, plus l'expérience durait, plus les chiens commençaient à saliver avant leur repas. On pourrait penser que ceux-ci étaient capables d'anticiper leur repas, et que ce n'était pas quelque chose d'important. Mais Pavlov voulut en avoir le cœur net, et il commença à faire quelques expériences. Le résultat s'est révélé étonnant : les chiens étaient prévenus de leur repas en faisant sonner une petite cloche. Pavlov s’aperçut que c'était le fait d'entendre le son de cette cloche qui faisait saliver les chiens. Si on leur donnait leur repas sans faire sonner cette cloche les chiens ne salivaient pas. Le réflexe de salivation, autrefois spécifique à la vue de la nourriture, s'était généralisé au son de la cloche.

Pavlov fit d'autres expériences sur ses chiens et en déduisit un mécanisme d'apprentissage qui permet de généraliser certains réflexes ou comportements. Cette forme d'apprentissage, autrefois appelée conditionnement pavlovien, est aujourd'hui appelé le conditionnement classique. Il s'agit d'une forme d’apprentissage plus évoluée que les apprentissages non-associatifs vus au chapitre précédent. L'habituation et la sensibilisation se contentent d'augmenter ou de diminuer l'intensité d'un réflexe, alors que le conditionnement classique permet d'apprendre de nouveaux comportements.

Une description rapide du conditionnement classique

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Généralement, un réflexe est déclenché par ce qu'on appelle un stimulus, à savoir toute modification de l'environnement que l'organisme peut percevoir d'une manière ou d'une autre. Un flash lumineux, un choc électrique soudain, un jet d'eau dans les paupières, un petit marteau de médecin qui tombe sur votre genou : ce sont tous des stimuli. Le conditionnement classique se base sur des réflexes ou des comportements préexistants, qui sont déclenchés automatiquement par la perception d'un stimulus. Ces stimuli, qui déclenchent ces réflexes ou ces comportements, sont ce qu'on appelle des stimuli inconditionnels. À côté, certains stimuli ne déclenchent pas de réflexes de manière naturelle, sans apprentissage : ce sont des stimulus neutres.

Le conditionnement de Pavlov apparaît lorsqu'un stimulus neutre est présenté à peu près en même temps qu'un stimulus inconditionnel. À force de répéter cette présentation, le stimulus neutre finira par déclencher le comportement tout seul, sans la présence du stimulus inconditionnel : c'est le conditionnement de premier ordre. Le stimulus neutre devient un stimulus conditionné. Le conditionnement peut aussi impliquer un stimulus neutre, que l'on associe progressivement à un autre stimulus conditionné : c'est un conditionnement de second ordre.

Les deux types de conditionnement et leur neurobiologie

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Il existe deux types de conditionnement classique : un conditionnement moteur et un conditionnement émotionnel. Par conditionnement moteur, on veut dire que l'animal ou l'humain qui subit un conditionnement apprend à réagir à un stimulus conditionnel en effectuant un mouvement donné. Par conditionnement émotionnel, on veut dire que le comportement mis en œuvre dans le conditionnement sera une réaction émotionnelle : une réaction de peur, par exemple.

Ces deux types de conditionnement peuvent avoir lieu en même temps. Pour l'illustrer, prenons des expériences effectuées sur des rats (ou d'autres animaux). Dans celles-ci, les rats étaient placés dans une cage, dont le sol était électrifié. Les rats recevaient des chocs électriques bénins de temps à autre. À chaque choc, les rats s'immobilisent par réflexe. Les expériences consistaient à conditionner des flashs lumineux avec la décharge électrique. À la suite de ce conditionnement, les rats s'immobilisent à chaque flash, même si celui-ci n'est pas accompagné ni suivi de décharge électrique, comme prévu. Dans cette expérience, le stimulus inconditionnel est un choc électrique, qui est conditionné aussi bien avec une sensation de peur, ainsi qu'avec une réponse d'évitement du choc électrique.

On peut se demander comment les espèces vertébrées gèrent le conditionnement, et comment le cerveau fait pour former associations et expectations. À ce petit jeu, on trouve évidemment une différence entre le conditionnement moteur et le conditionnement émotionnel. Mais d'autres formes plus simples de conditionnement sont possibles chez les espèces non-vertébrées.

Le conditionnement moteur

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Le cas le plus simple de conditionnement chez les invertébrés est un exemple qui devrait vous dire quelque chose : l'aplysie ! En effet, le réflexe de vidange du siphon, vu il y a quelques chapitres, peut être conditionné assez simplement : on peut associer le toucher de la queue avec une vidange du siphon. Les expériences faites par Squire et Kandel montrent que le mécanisme utilisé pour expliquer la sensibilisation ressemble fortement à celui qui permet d'expliquer le conditionnement classique. Le neurotransmetteur Glutamate qui est impliqué, en plus de la sérotonine. Quoi qu’il en soit, ces mécanismes vont créer de nouvelles synapses entre le neurone sensoriel et l'interneurone, ces synapses servant d'association entre neurones sensoriels et neurones moteurs/interneurones.

Chez les vertébrés, les mécanismes du conditionnement semblent fortement varier suivant les stimuli à associer. Mais une observation semble mettre tout le monde d'accord : les conditionnements ont lieu dans le cerveau. Un animal décérébré ne peut pas apprendre par conditionnement, alors que certains réflexes sont toujours présents. Les expériences sur le sujet font conditionner un flash lumineux à un réflexe de clignement des paupières. Le stimulus inconditionnel utilisé est souvent un petit jet d'air non-douloureux envoyé sur l’œil. Ce conditionnement est particulièrement bien conservé chez presque toutes les espèces de vertébrés. Ces recherches disent qu'un grand nombre de circuits neuronaux sont impliqués dans ce conditionnement. De manière générale, le cervelet semble être l'endroit où se situe ce conditionnement. Par exemple, les patients chez qui le cervelet est endommagé ne peuvent ainsi pas apprendre ce conditionnement.

Le conditionnement émotionnel

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La prise en charge des émotions comme la peur est en grande partie gérée par l'amygdale cérébrale, une structure neuronale située plus ou moins au centre du cerveau. Les stimulus sensoriels sont envoyés à l'amygdale par deux voies : une voie directe, qui ne fait pas intervenir la conscience, et une voie indirecte consciente, qui passe par le cortex cérébral. En somme, pour la peur, on a bien une voie chargée de la formation d'associations, et une autre chargée de former des prédictions sur la base de connaissances antérieures.

Ce conditionnement émotionnel est purement implicite, et implique une structure cérébrale nommée l'amygdale. Pour le prouver, on peut mentionner une expérience faite par le neurologue Damasio. Celui-ci a pris des patients amnésiques, qui avaient des lésions à l'hippocampe, qui étaient incapables de former des souvenirs ou de mémoriser des faits. Ils étaient notamment incapables de mémoriser les visages, et oublient les personnes qu'ils rencontrent : ils peuvent avoir vu des centaines de fois une personne et avoir longuement parlé avec eux, tout se passe comme s'ils rencontraient un inconnu. L'expérience était très simple. Le patient était ainsi traité durant quelques semaines par deux infirmiers : le premier avait reçu pour consigne d'être légèrement méchant avec le patient, tandis que l'autre devait avoir un comportement agréable. À la fin de la semaine, on montrait une photographie des deux infirmiers au cobaye. Celui-ci avait bien sûr oublié les infirmiers et prétendait le les avoir jamais vus quand on leur présentait la photographie. Mais quand on leur demandait lequel des deux infirmiers semblait le plus sympathique, 90 % des cobayes prenaient l'infirmier gentil : on est bien loin des 50 % qu'auraient donné un oubli.

Les phénomènes liés au conditionnement

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Le conditionnement classique est souvent associé à divers phénomènes d'oubli, de généralisation, ou d'apprentissage bloqué.

L'effet de fréquence

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Évidemment, plus on présente le stimulus neutre avant le stimulus inconditionnel, plus le conditionnement a de chances de se mettre en place. Cet effet de fréquence est toutefois décroissant : si les premières présentations ont un effet assez fort, l'efficacité des présentations ultérieures finit par atteindre un plateau. Cependant, si le stimulus neutre est familier pour l'animal, le conditionnement sera d'autant plus lent. Ce phénomène est appelé l'inhibition latente.

Biais associatifs

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Certains stimuli sont plus faciles à associer à un réflexe inconditionnel que d'autres. Par exemple, il est plus facile d'associer un aliment particulier avec la nausée qu'avec un flash lumineux. C'est ce que l'on appelle un biais associatif.

La généralisation

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Un conditionnement implique un stimulus neutre, qui devient un stimulus conditionné. Mais la mémoire des conditionnements n'est pas aussi sélective qu'on pourrait le penser. Il arrive souvent que l’association ne se fasse pas qu'avec le stimulus, mais que tout stimulus semblable soit aussi conditionné. Par exemple, reprenons le cas d'Albert. Celui-ci avait été conditionné à avoir peur des rats à fourrure blanche. Dans les faits, Albert avait été conditionné à avoir peur de tout ce qui ressemble à de la fourrure blanche. Finalement, Albert avait aussi peur de choses aussi diverses que la barbe d'un père noël (testé et approuvé), ou du manteau blanc de sa mère. Un conditionnement a ainsi tendance à se généraliser à tout stimulus semblable au stimulus conditionnel.

Conditionner un animal est parfois difficile en raison de phénomène de blocage. Celui-ci arrive quand on présente trois stimulus à l'animal :

  • un stimulus inconditionnel ;
  • un stimulus conditionnel ;
  • et un stimulus neutre.

Dans ces conditions, le conditionnement entre le stimulus inconditionnel et le stimulus neutre est bloqué : l'animal ne répond pas au stimulus neutre. Si je dis qu'il est bloqué, c'est parce que contrairement à ce qu'on croit, le conditionnement pourrait avoir eu lieu quand même. Si on fait en sorte d'éteindre le stimulus conditionnel concurrent, l'animal se met alors à répondre au stimulus neutre.

L'extinction et la discrimination

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Si le conditionnement classique est une forme de mémoire, il peut être soumis à l'oubli, appelé dans ce cas : l'extinction. Cette extinction apparaît lorsque le stimulus neutre est présenté seul, sans le stimulus inconditionnel. Si on répète cette présentation un grand nombre de fois, l'animal oublie progressivement l'association entre les deux stimulus et le conditionnement semble disparaître. Ce phénomène d'extinction peut permettre à un conditionnement avec un stimulus inconditionnel d'être remplacé par un nouveau conditionnement avec le même stimulus. On appelle ce remplacement un phénomène de discrimination.

Mais cette extinction est souvent temporaire et il suffit de représenter le stimulus conditionné avec le stimulus inconditionnel pour faire réapparaître le conditionnement : c'est le phénomène de récupération spontanée. Ce phénomène de réapparition est d'autant plus probable quand le stimulus conditionnel est plus fort que la normale. Cependant, la réponse réapparue a tendance à s’éteindre encore plus rapidement que la réponse conditionnée originale, et finit par totalement disparaître en cas de récupérations spontanées consécutives. Dans certains cas, la récupération spontanée n’apparaît pas, et le sujet doit donc être reconditionné. Dans ce cas, le réapprentissage est plus rapide que lors des conditionnements précédents, ce qui est le signe que l'association est encore présente, même si elle est trop faible pour déclencher une réponse. Ce réapprentissage est aussi beaucoup plus facile si l'extinction et le conditionnement n'ont pas lieu dans le même contexte. Par exemple, si on conditionne un animal dans une chambre, et qu'on le déconditionne dans un milieu ouvert, alors on observe un phénomène étrange : l'animal peut répondre au stimulus conditionnel dans la chambre, et répondra moins voire pas du tout dans le milieu ouvert. Même chose si les conditionnement et déconditionnement ont lieu dans deux endroits similaires mais légèrement différents. Il arrive aussi que le contexte d'apprentissage joue d'autres tours du même genre. Par exemple, en présentant uniquement le stimulus inconditionnel dans le même contexte d'apprentissage, ou dans un contexte similaire, on observe une récupération spontanée du stimulus conditionnel, censé s'être éteint. De même, reconditionner un animal est plus rapide si le contexte d'apprentissage et de réapprentissage sont similaires ou identiques. On fait donc face à un effet important : le contexte joue fortement sur les apprentissages et sur le rappel (ici, l'apparition de la réponse conditionnée).

Cela montre que les conditionnements formés sont encore présents en mémoire, mais que quelque chose empêche leur rappel, ce quelque chose étant sensible aux similarités entre contexte d'apprentissage et contexte de récupération. On peut faire une analogie avec le principe d'encodage spécifique vu dans les chapitres précédents. Les origines de l'extinction sont encore sujettes à débat, mais les théories sur le sujet proposent plusieurs mécanismes : l'affaiblissement et la disparition de l'association, l'inhibition de l'association, l'interférence entre associations différentes, la compétition entre associations différentes. Les premières théories supposaient que l'extinction provient d'une dégradation des associations au cours du temps. D'autres théories ont ajouté un phénomène d'inhibition : les associations sont simplement tues, un mécanisme d'inhibition empêchant celles-ci de s'exprimer. Les deux autres mécanismes servent à expliquer la discrimination et l'extinction. Selon ces mécanismes, des stimulus liés à une même réponse entrent en compétition pour l'accès à la réponse, et cette compétition fait que seul un des stimulus gagnera la partie. À ce petit jeu, des stimulus peuvent ainsi empêcher d'autres stimulus de s'exprimer librement : le stimulus inconditionnel peut reprendre le dessus sur le stimulus conditionnel dans un certain contexte, et réciproquement dans un autre.

L'influence de la répartition temporelle des stimulus

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La répartition temporelle des stimuli influence la rapidité d'apprentissage. Plus haut, j'ai dit que le stimulus neutre et le stimulus inconditionnel sont présentés à peu près en même temps. Toute la subtilité est dans le "à peu près en même temps" : est-ce un peu avant, un peu après, ou autre chose ? On peut avoir diverses situations :

Types de conditionnements
Type Description Rapidité d'apprentissage
Simultané Les deux stimulus sont présentés en même temps. Très longue : l'animal met beaucoup de temps à apprendre.
Différé Le stimulus neutre est présenté un peu avant le stimulus inconditionnel, mais est maintenu jusqu'à ce que le stimulus inconditionnel ait lieu. C'est la méthode de conditionnement la plus rapide : l'animal est conditionné très vite.
De trace Le stimulus neutre est présenté un peu avant le stimulus inconditionnel, mais n'est pas maintenu jusqu'à ce que le stimulus inconditionnel ait lieu. Relativement efficace.
Rétroactif Le stimulus neutre est présenté un peu après le stimulus inconditionnel. Très longue : l'animal met beaucoup de temps à apprendre, et il faut un grand nombre de répétitions du conditionnement.
Conditionnement simultané
Conditionnement normal
Conditionnement de trace
Conditionnement rétroactif

Les modèles du conditionnement classique

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Il existe diverses théories pour expliquer le conditionnement classique. Certains de ces modèles sont purement descriptifs, alors que d'autres sont fortement mathématisés. Des modèles plus explicatifs et moins descriptifs ont aussi vu le jour. Les théories les plus simples supposent que le conditionnement classique est un processus totalement automatique, qui ne fait pas intervenir la conscience. En clair : le conditionnement fait intervenir uniquement la mémoire non-déclarative. D'autres théories pensent que le conditionnement classique est un processus cognitif conscient, où l'animal remarque que le stimulus neutre est présenté en même temps que le stimulus inconditionnel et qu'ils sont tous deux suivis par la réponse. Ce mécanisme mettrait en jeu la mémoire déclarative et notamment la mémoire sémantique, voire la mémoire épisodique. Dans ce qui va suivre, nous allons nous limiter aux modèles les plus formateurs, le grand nombre de modèles de conditionnement rendant difficile une revue exhaustive.

La théorie de Pavlov : la substitution du stimulus

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La théorie de Pavlov considère que les stimulus neutres sont associés non pas avec la réponse, mais avec le stimulus inconditionnel. Le déclenchement de la réponse en réaction au stimulus conditionnel est alors indirecte : le stimulus conditionnel va activer les groupes de neurones chargés de la détection du stimulus inconditionnel, et ensuite la réponse est déclenchée en fonction. Cette théorie de la substitution du stimulus stipule que le conditionnement apparaît parce que le stimulus neutre s'associe avec le stimulus inconditionnel : Les groupes de neurones attribués à chaque stimulus deviennent liés à force de répétition, et la simple activation d'un des groupes mène automatiquement à l'activation de l'autre, et au déclenchement de la réponse. Le déroulement de la réponse est alors le suivant : Stimulus conditionnel → Stimulus inconditionnel → Réponse.

La théorie a toutefois un problème : il arrive souvent que réponses conditionnées et réflexe soient différentes. Par exemple, la réponse conditionnée est souvent beaucoup plus faible ou plus lente que la réponse réflexe. Dans certains cas, les réponses peuvent être opposées : par exemple, le conditionnement d'un flash lumineux avec un choc électrique peut donner une baisse du rythme cardiaque, alors que le choc électrique seul augmente le rythme cardiaque. Pour résoudre ces problèmes, une autre classe de théorie suppose qu'une nouvelle association va se former entre le stimulus neutre et la réponse. Dans les théories stimulus-réponse, le stimulus neutre est associé avec la réponse directement : il n'y a pas d'intermédiaires.

Le modèle de Rescorla-Wagner

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Le modèle du conditionnement classique le plus connu est un modèle mathématique assez complexe appelé modèle de Rescorla-Wagner. Dans ce modèle, la relation entre stimulus et réponse est modélisée par un nombre appelé la force d'association. Plus celui-ci est grand, plus le stimulus entraîne une réponse forte. Il va de soi que plus on présente le stimulus neutre et inconditionnel en même temps, plus le stimulus neutre verra sa force associative augmenter.

Mais le mécanisme qui fait augmenter la force associative n'est pas la simple présentation des stimulus. Le modèle suppose que c'est la surprise induite par les stimulus qui modifie la force associative. Quand un stimulus neutre est présenté pour la première fois avec un stimulus inconditionnel, le sujet sera surpris par une situation inédite : la force associative changera grandement. Mais à force de répétitions, l'effet de surprise diminuera, par force d'habitude et la force associative ne sera que peu modifiée. En clair, la force associative est modifiée par l'information apportée par le stimulus neutre ou conditionnel : un stimulus réellement informatif permet de prédire avec un bon degré l'arrivée future du stimulus inconditionnel.

Évidemment, l'information apportée par le stimulus dépend de l'attention que le sujet lui porte. Mais dans le modèle de Rescorla-Wagner, ce paramètre est mis de côté. L'effet de l'attention est résumé par un vulgaire paramètre de salience, qui désigne la capacité du stimulus à attirer l'attention. Dans ce modèle, la salience du stimulus ne varie pas dans le temps. C'est une hypothèse simplificatrice, qui est relâchée dans d'autres modèles plus évolués.

Évolution de la force de l'association dans le modèle Rescorla–Wagner, suite à la présentation répétée d'un stimulus. On voit que la force associative augmente progressivement avec les répétitions.

Le tout est résumé dans l'équation suivante, qui décrit la variation de la force d'association entre stimulus conditionnel et réponse, lors d'une présentation unique. Notons que cette équation est une version simplifiée du modèle de Rescorla-Wagner, mais qui suffit pour une introduction basique.

, avec la force d'association du stimulus , la salience du stimulus conditionnel, la salience du stimulus conditionnel inconditionnel.

Cette version simplifiée du modèle permet de rendre compte de ce qui se passe lors de l'apprentissage, lors du conditionnement. Au départ, le stimulus neutre n'a aucune force associative avec la réponse. Mais à la suite de la première présentation, la force associative devient positive. À force de présentations, la force associative augmente de plus en plus, mais de moins en moins vite. Le tout est illustré dans le graphique ci-contre. L'extinction a lieu suivant le même mécanisme, sauf que la variation calculée est négative, donnant une décroissance initialement rapide, puis de plus en plus lente.

En théorie, le modèle ne permet pas de rendre compte de l'inhibition latente (le fait qu'un stimulus conditionnel familier se conditionne mal). Mais on peut cependant bidouiller le modèle pour résoudre ce problème. Il suffit de supposer que les stimulus conditionnels familiers ont une faible salience. Plus un stimulus conditionnel a été présenté seul avant le conditionnement, plus sa salience est faible. Le stimulus, maintes fois répété, est devenu familier et sa salience s'est affaiblie. Or, l'équation de Rescola-Wagner nous dit que l'apprentissage est proportionnel à la salience du stimulus. En faisant cela, on explique pourquoi le conditionnement d'un tel stimulus est plus lent que pour un stimulus non-familier.

Mais le modèle de Rescorla-Wagner est plus complexe que l'équation précédente. Il ajoute le fait que plusieurs stimulus conditionnels peuvent être présentés en même temps que le stimulus inconditionnel, et non un seul. Les stimulus conditionnels entrent alors en compétition les uns avec les autres, pour s'associer avec le stimulus inconditionnel. Si on suppose que i stimulus différents sont présentés, on a alors :

, avec la force d'association du stimulus , la salience du stimulus conditionnel, la salience du stimulus conditionnel inconditionnel et la force d'association maximale possible.

L'équation dit que la variation de la force associative ne dépend pas que du stimulus conditionnel/neutre présenté, mais aussi de tous les autres stimulus présentées en même temps. C'est pour cela qu'il y a une somme dans le second terme.

Avec cette modification, le modèle explique le blocage assez simplement : le stimulus conditionné l'emporte sur le stimulus neutre, et ce dernier n'est pas conditionné. Dans l'équation précédente, la somme est dominée par la force du stimulus conditionnel, qui est proche de et la parenthèse s'annule presque. La variation de la force associative est alors faible pour tous les stimulus, y compris le stimulus neutre. Il y a donc blocage.

Les autres modèles

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Avant, ou après l'apparition du modèle de Rescola-Wagner, d'autres modèles mathématiques du même genre sont apparus dans la littérature scientifique. Les théories plus récentes mettent l'accent sur l'attention, qui permet au sujet de focaliser son attention sur un stimulus plutôt qu'un autre. Cette influence de l'attention explique l'inhibition latente : quand un stimulus est familier on n'y fait pas attention, et cela ralentit la formation de l'association. Ces théories permettent aussi d'expliquer les effets de contexte, qui montrent que le conditionnement est fortement lié au contexte d'apprentissage. Il est par exemple beaucoup plus facile si l'extinction et le conditionnement n'ont pas lieu dans le même contexte. Par exemple, si on conditionne un animal dans une chambre, et qu'on le déconditionne dans un milieu ouvert, l'animal peut répondre au stimulus conditionnel dans la chambre, mais pas dans le milieu ouvert. Il arrive aussi que le contexte d'apprentissage joue d'autres tours du même genre, mais pour la récupération spontanée. Par exemple, on observe souvent une récupération spontanée du stimulus conditionnel, si l'on présente celui-ci dans un environnement similaire à l'environnement d'apprentissage. De même, reconditionner un animal est plus rapide si le contexte d'apprentissage et de réapprentissage sont similaires ou identiques.

Les théories actuelles pensent qu'il existe deux processus séparés : un processus automatique qui forme des associations sans intervention de la conscience et un processus qui fait intervenir la mémoire déclarative. Ces deux systèmes prendraient charge des conditionnements différents. Le conditionnement pris en charge par le système non-déclaratif serait ce qu'on appelle le conditionnement au délai. Dans celui-ci le stimulus neutre est maintenu jusqu'à la fin du stimulus inconditionnel. Les animaux les plus simples n'ont que le premier système, tandis que les vertébrés sont capables d'utiliser les deux systèmes. Dans le cas de l'aplysie, par exemple, celle-ci est capable d'apprentissage par conditionnement avec le premier système : le conditionnement dépend juste de modifications des synapses dans un arc réflexe.

Des expériences chez le lapin ont montré qu'on peut enlever une grande partie des aires cérébrales spécialisées dans la mémoire déclarative sans pour autant supprimer l'apprentissage des conditionnements. On peut prendre le cas du clignement des yeux chez le lapin. Quand on cherche à conditionner le clignement des yeux avec un conditionnement au délai, ce conditionnement prend place dans le cervelet, une structure cérébrale chargée de la mémoire non-déclarative. De même, des patients humains avec des lésions au cervelet sont incapables de conditionnement au délai. Le conditionnement déclaratif prendrait en charge le conditionnement de trace, dans lequel le stimulus neutre est terminé quand le stimulus inconditionnel commence. Le conditionnement de trace demande, en plus du circuit présent dans le cervelet, une mobilisation de l'hippocampe et du lobe temporal du cortex, des zones du cerveau chargé de la mémoire déclarative.


La localisation des différents types de mémoire dans le cerveau

Système nerveux central & périphérique du corps humain.

Dans le chapitres précédents, nous avons surtout étudié la mémoire du point de vue de psychologie cognitive, sans nous préoccuper de ce qui se passe dans le cerveau. Mais de nos jours, on a une petite idée de ce qui se passe dans le cerveau de quelqu'un qui apprend. Nous savons aussi que les différents types de mémoire ne sont pas localisés au même endroit dans le cerveau. Il existe des zones du cerveau spécialisées pour la mémoire procédurale, d'autres pour la mémoire déclarative, etc. Dans ce chapitre, nous allons voir où sont localisées les différents types de mémoire dans le cerveau.

Rappels sur l'anatomie cérébrale

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Diagramme des trois subdivisions principales du cerveau.

Pour comprendre la localisation de la mémoire dans le cerveau, allons commencer par un petit descriptif des différentes aires du cerveau. On peut considérer que le cerveau d'un humain est composé de trois grandes structures, elles-mêmes divisibles en aires cérébrales plus petites : le cervelet, le tronc cérébral et le reste appelé « cerveau antérieur » (forebrain en anglais).

  • Le tronc cérébral se situe dans le prolongement de la moelle épinière. Pour simplifier, il s'occupe des fonctions essentielles pour la survie : état de veille, respiration, rythme cardiaque, respiration, vomissement, digestion, motricité du visage, etc. Il n'est pas impliqué dans la mémoire, sauf de manière très indirecte, ce qui fait que nous n'en parlerons pas dans ce qui suit.
  • Le cervelet est une sorte de mini-cerveau, posé sur le tronc cérébral, qui contient autant de neurones que le reste du cerveau ! Son rôle est essentiellement moteur : il corrige les mouvements fins, en corrigeant de potentielles erreurs de trajectoire. Lorsqu'il est endommagé, les mouvements sont maladroits, semblables à ceux d'une personne ivre.
  • Le reste est appelé le cerveau antérieur. Il prend en charge tout le reste, qu'il s'agisse de la motricité, des sensations ou des fonctions intellectuelles de haut-niveau. C'est lui qui nous intéressera dans le reste du chapitre.
Le cervelet.

Le cervelet est une sorte de petit sous-cerveau placé à l'arrière du crane, d'où le nom "cervelet" qui veut dire « petit cerveau.». À lui seul, il contient autant de cellules que tout le cerveau réuni tout en occupant seulement 10 % de la taille du cerveau. Il est chargé de gérer l’équilibre, le tonus musculaire, la coordination des mouvements, la motricité fine, et aurait d'autres fonctions annexes. Sans lui, les mouvements seraient grossiers, peu précis et beaucoup plus lents. Il n'est donc pas étonnant que celui-ci soit aussi impliqué dans l'apprentissage moteur : c'est le siège de la mémoire procédurale, celle des automatismes moteurs. Il est aussi impliqué dans certains apprentissages, comme le fameux conditionnement de Pavlov que nous verrons dans quelques chapitres.

Le cervelet a un rôle clair, mais indirect, dans l'apprentissage moteur et la mémoire procédurale. La preuve en est que les lésions du cervelet perturbent l'apprentissage de nouveaux mouvements. Des expériences sur des singes montrent bien l'effet des lésions du cervelet. Dans ces expériences, les singes doivent maintenir leur regard sur un objet mobile et l'expérimentateur observe les mouvements des yeux du singe. Si on endommage les muscles qui contrôlent les mouvements oculaires, le singe n'arrive plus à fixer son regard là où il le doit. Mais le singe s'adapte rapidement, grâce à l'apprentissage moteur, ce qui lui permet de compenser ce handicap, voire parfois de faire revenir ses mouvements oculaires progressivement à la normale. Du moins, c'est le cas si le cervelet du singe est sain. Par contre, un singe avec un cervelet endommagé ne le pourra pas, car son apprentissage moteur est altéré.

L'apprentissage moteur ne fait pas intervenir que le cervelet, mais aussi une aire du tronc cérébral appelée l'olive inférieure. Les sujets avec une olive inférieure endommagée ont les mêmes déficits d'apprentissage moteur que les sujets atteints de lésion au cervelet. Le raison est que l'olive inférieure contrôle la plasticité synaptique des cellules de Purkinje. En effet, des axones partant de l'olive inférieure et forment des synapses assez spéciales avec les cellules du cervelet. Ces synapses contrôlent la plasticité synaptique des cellules du cervelet.

Le cervelet est aussi impliqué dans certains cas de conditionnement classique. Les expériences sur le sujet conditionnent un flash lumineux à un réflexe de clignement des paupières. Ce conditionnement est particulièrement bien conservé chez presque toutes les espèces de vertébrés. De manière générale, le cervelet semble être l'endroit où se situe ce conditionnement bine précis. Les sujets chez qui le cervelet est endommagé ne peuvent pas subir ce conditionnement. À l'heure actuelle, on connaît le circuit qui permet l'apprentissage de ce réflexe conditionné. On sait qu'il regroupe l'olive inférieure? des noyaux localisés dans le tronc cérébral, le cervelet et les noyaux rouges (ces derniers commandent le clignement des paupières).

Le cerveau antérieur

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Le cerveau antérieur est ce qu'il reste du cerveau quand on enlève le cervelet et le tronc cérébral. Il regroupe deux structures anatomiques appelées diencéphale et télencéphale, elles-même subdivisées en plusieurs aires cérébrales. Les aires cérébrales principales sont les suivantes : le thalamus, le complexe hypothalamus-hypophyse, le néocortex, le complexe amygdalien et les ganglions de la base. Le thalamus peut être vu comme un simple relai sensoriel, qui fait l'intermédiaire entre les nerfs et le reste du cerveau antérieur. Le complexe hypothalamus-hypophyse sécrète certaines hormones et s'occupe du maintien de certaines fonctions vitales. Ils ne nous intéresseront pas dans la suite du cours, du moins pas directement. Les trois aires suivantes sont quant à elle nettement plus intéressantes pour qui s'intéresse à la mémoire.

Amygdale cérébrale

L'amygdale cérébrale est une aire cérébrale impliquée dans la réponse émotionnelle. Elle est impliquée dans le conditionnement classique et les apprentissages de Pavlov.

Les ganglions de la base sont un ensemble d'aires cérébrales assez dispersées. Une partie des ganglions de la base se trouve dans le tronc cérébral (le noyau de la substance noire), d'autres se trouvent dans le thalamus et le reste est situé non loin du cortex cérébral. La fonction de l'ensemble est encore mal comprise, mais on sait que les ganglions de la base sont fortement impliqués à la fois dans la motricité, et dans le système de la récompense (un ensemble d'aires cérébrales chargées de la motivation et du plaisir). Ils seraient notamment impliqués dans la sélection des actions, l'inhibition des mouvements parasites, mais aussi dans la motivation et la sensation de plaisir. Ils sont impliqués dans la mémoire procédurale et dans le conditionnement opérant.

Le cortex cérébral est la zone la plus extérieure du cerveau, celle qui forme une couche qui surplombe toutes les autres structures. Concrètement, le cortex se distingue des autres aires cérébrales par la manière dont les neurones sont rangés. Les neurones en dehors du cortex forment des amas globalement sphériques, appelés des noyaux ou encore des ganglions. Mais le cortex est composé de couches de neurones superposées. De plus, les couches sont alignées de manière à ce que les neurones se relient en colonnes qui traversent les couches.

La surface du cerveau fait des replis et des creux : le cortex est dit plissé. Les plis sont nommés gyrus ou circonvolutions cérébrales, alors que les creux entre les plis sont nommés des sulcus ou sillons. Pour les creux très marqués, on parle aussi de scissures, ou de fissures. Ces scissures découpent le cerveau en plusieurs structures anatomiques distinctes : hémisphères cérébraux, lobes cérébraux et bien d'autres.

Hémisphères cérébraux.

Le sillon principal découpe le cerveau en deux hémisphères séparés par une "fissure", un sillon. Ces deux hémisphères ne sont toutefois pas isolés et peuvent communiquer entre eux par l'intermédiaire d'un ensemble de synapses et de neurones réunis dans une structure que l'on appelle le corps calleux. Ce dernier n'est qu'un ensemble de "nerfs" qui connecte les deux hémisphères (le terme nerf n'est pas correct dans le sens où un nerf intracérébral est appelé un faisceau).

Les autres sillons principaux séparent le cortex en six lobes, dont quatre sont visibles à la surface du cerveau. On trouve ainsi :

  • le lobe frontal situé sous le front ;
  • le lobe pariétal situé sous le sommet du crâne ;
  • le lobe temporal situé sous les tempes ;
  • le lobe occipital situé sous l'occiput (arrière de la tête).
Lobes du néocortex.

Il semblerait que chaque lobe a une fonction particulière, comme le laissent penser les conséquences de lésions localisées dans un seul lobe. Chaque lobe est plus ou moins spécialisé dans certains traitements sensoriels ou cognitifs. Pour simplifier, voici un aperçu de la fonction de chaque lobe cérébral.

Lobe cortical Fonction
Lobe occipital Vision, traitements visuels de base (détection des formes, des couleurs, ...).
Lobe temporal Audition, compréhension du langage, reconnaissance des objets, mémoire, émotions, ....
Lobe frontal Motricité, comportement, intellect (mémoire de travail inclut).
Lobe pariétal Toucher et proprioception, perception du mouvement et de l'espace.
Lobes insulaire et limbique Mal connue, mais liée aux émotions, à la mémoire et à la prise de décision.

Le lobe temporal médian et la mémoire déclarative

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Hippocampe cérébral.
Hippocampe cérébral - 2.

Pour commencer, nous allons voir une partie du lobe temporal, appelée lobe temporal médian. L'ensemble du lobe temporal médian est présente sur la face interne du cerveau, à l'opposé de la surface du cerveau. Le cortex sur cette face fait plusieurs replis à la suite, au point d'avoir une forme de petit cheval, voire d'hippocampe. D'ailleurs, cette partie du lobe temporal médian, en forme d'hippocampe, est justement appelée l'hippocampe. Dans la vulgarisation, l'hippocampe est souvent appelé l'"aire de la mémoire", mais c'est là une simplification grossière. En réalité, le consensus scientifique actuel est que tout le lobe temporal médian est impliqué dans la mémoire déclarative, au moins sur le moyen-terme. La vulgarisation fait cependant la confusion entre l'hippocampe proprement dit, et le lobe temporal médian.

Pour être plus précis, le lobe temporal médian regroupe les aires cérébrales suivantes :

  • Le gyrus parahipocampique, ou lobe temporal médian, qui contient :
    • le cortex postrhinal , aussi appelé cortex parahippocampique ;
    • le cortex périrhinal ;
    • le cortex entorhinal.
  • La région hippocampique dans le cortex limbique, elle-même composée :
    • du gyrus denté ;
    • de l'hippocampe ;
    • du subiculum.
Hippocampe et aires associées.

Le regroupement des différents aires du lobe temporal médian n'est pas très clair et les auteurs utilisent plusieurs subdivisions, les deux plus courantes étant la région hippocampique et la formation hippocampique. La première regroupe gyrus denté, hippocampe et subiculum. La formation hippocampique y ajoute le cortex enrothinal. Ces subdivisions sont illustrées ci-dessous.

Anatomie du lobe temporal médian.

Les lésions du lobe temporal médian entraînent une amnésie antérograde

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Le lobe temporal médian est très important pour la mémoire déclarative. Cela est attesté par l'étude de patients dont le lobe temporal médian est atteint, qui montrent une impossibilité à former de nouveaux souvenirs ou d'acquérir de nouvelles connaissances). Le cas le plus connu est celui de H.M, que l'on a vu dans les chapitres précédents. Pour rappel, H.M est un patient qui, pour le soulager de ses graves crises d'épilepsies, s'est fait retirer une partie importante de son lobe temporal médian. Cette opération entraîna l'apparition d'une amnésie antérograde (impossibilité de former de nouveaux souvenirs). Concrètement, il était incapable de mémoriser un visage, de reconnaître les médecins qui le soignaient depuis des années, ne pouvait se souvenir de sa nouvelle adresse ni reconnaître les lieux alentours, etc. Sa mémoire était littéralement celle d'un poisson rouge et il oubliait tout après quelques secondes. Par contre, sa mémoire d'avant l'opération était pourtant intacte, de même que sa mémoire implicite et sa mémoire de travail. Il était atteint d'une amnésie antérograde.

On sait, grâce à la méthode des lésions, que toute amnésie antérograde est corrélée à des lésions dans le lobe temporal médian et réciproquement. Contrairement à ce qui est souvent affirmé, l’hippocampe n'est pas la seule région impliquée dans l'amnésie. Les lésions circonscrites à l'hippocampe causent des déficits mnésiques moins marqués que les lésions qui débordent sur le cortex entorhinal, qui eux-même sont moins sévères que quand les cortex périrhinal et parahippocampique sont aussi lésés. En somme, plus la lésion est étendue dans le lobe temporal, plus les déficits mnésiques seront marqués. Les lésions de l'hippocampe donnent des amnésies rétrogrades de quelques années ou mois, tandis que les lésions des lobes temporaux médians donnent des déficits de plusieurs décennies, voire plus.

La mémoire sémantique semble un petit peu moins touchée que la mémoire épisodique par ces lésions à l'hippocampe. Il existe des patients atteint de lésions à l'hippocampe qui peuvent apprendre des faits ou des concepts, même si cet apprentissage est lent et demande beaucoup de répétitions. Par exemple, un patient amnésique du nom de Clive Wearing, devenu amnésique dans les années 1960, savait ce qu'est le SIDA alors que celui-ci n'a été découvert que plusieurs années après son accident. Un autre patient, surnommé Gene par souci d'anonymat, avait perdu sa mémoire épisodique, mais avait conservé toutes ses connaissances sémantique et pouvait en acquérir de nouvelles. Il existe aussi des cas d'enfants rendus amnésiques par des lésions à l'hippocampe lors de la naissance, ou dans l'enfance. Ces enfants n'ont souvent aucune mémoire épisodique, comme tous les patients qui ont des lésions à l'hippocampe. Cependant, ils arrivent à avoir une scolarité normale, à apprendre leurs cours, et ont des résultats scolaires tout à fait normaux.

Une autre observation, relativement robuste, est un effet de latéralisation. Le lobe temporal médian de l'hémisphère gauche n'a pas la même utilité que celui de l'hémisphère droit. La différence semble liée au type de matériel à mémoriser : les stimulus verbaux semblent traités par le lobe gauche, alors que le matériel non-verbal semble traité à droite. Les lésions du lobe temporal médian gauche entraînent surtout des difficultés pour mémoriser des noms et d'autres items verbaux, alors que les lésions à droite entraînent des difficultés à mémoriser des visages, des lieux, etc. Les études d'imagerie cérébrales récentes semblent confirmer ces observations cliniques, avec cependant quelques controverses quant à la nature réelle de la dichotomie gauche-droite. Cela semble compatible avec la latéralisation hémisphérique du langage, la majorité des sujets ayant leur langage latéralisé dans l'hémisphère gauche.

La consolidation systémique : le transfert des connaissances du lobe temporal médian vers le néocortex

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L'étude des patients amnésiques, dont H.M n'est qu'un représentant parmi d'autres, a fait penser aux scientifiques que le lobe temporal médian est le lieu de stockage à court terme des souvenirs et connaissances. Un indice en faveur de cette hypothèse est que les lésions du cortex temporal médian se traduisent par une bonne conservation des souvenirs anciens, malgré la présence de l'amnésie rétrograde pour les souvenirs récents. Les médecins ont depuis longtemps établi que plus un souvenir est ancien, plus il a de chances de survivre à une lésion du lobe temporal médian. Cette constatation porte d'ailleurs le nom de loi de Ribot, du nom de son découvreur. Cela signifie clairement que le stockage a très long terme des informations sémantiques et épisodiques ne dépend pas du lobe temporal médian et est plutôt localisé dans le néocortex. Avec le temps, ces informations migreraient vers le reste du cortex cérébral, qui est le lieu de stockage à long terme des informations en mémoire déclarative.

Pour expliquer la loi de Ribot, diverses théories ont été inventées. La théorie la plus en vogue est la théorie de la consolidation systémique, qui stipule que les informations migrent du lobe temporal médian vers le néocortex, au bout d'un certain temps. Après l'apprentissage, les connaissances apprises sont temporairement stockées dans le lobe temporal médian. Par la suite, un mécanisme de consolidation systémique fait migrer les connaissances de l'hippocampe vers le néocortex. Lors de la consolidation, les connaissances sont progressivement migrées dans leur position finale dans le cerveau et sont plus profondément intégrées dans les réseaux mnésiques existants. Le lobe temporal médian enregistrerait les associations et relations formées lors de l'apprentissage, mais pour une courte durée. À long terme, ces associations et relations se développeraient lentement dans le cortex, par rappel répétés ou lors du sommeil.

Notons que ce processus de consolidation systémique n'a rien à voir avec le processus de consolidation synaptique, qui consiste en un renforcement des synapses nouvelles formées, qui dure environ une heure. Le nom est le même, mais le processus est totalement différent.

Le mécanisme de consolidation est encore mal compris et on ne sait pas encore comment les informations migrent vers le néocortex. La théorie la plus prometteuse à ce sujet est celle du mécanisme de neural replay. Cette hypothèse part du principe que les connaissances/souvenirs se forment en associant entre elles des informations localisées dans le néocortex. Tout apprentissage se fait alors en connectant entre eux des connaissances de base, déjà connues et intégrées dans le néocortex, que nous appellerons des items basiques. Les associations/connexions entre items basiques se forment très facilement dans le lobe temporal médian, lors de l'apprentissage, en un seul essai et sans répétition. Par contre, les associations dans le néocortex demandent beaucoup de répétitions pour se mettre en place. L'hypothèse est que régulièrement, notamment lors du sommeil, le cerveau ferait des séances de répétitions régulières de ce qu'il a appris récemment. Il réactiverait les items de base de manière à consolider les associations dans le néocortex. Ce faisant, les associations dans le néocortex s'affineraient et deviendraient de plus en plus fortes, alors que les associations dans le lobe temporal médian péricliteraient.

Illustration du processus de consolidation.

La théorie de la consolidation permet d'expliquer les différences de solidité entre mémoire épisodique et sémantique par le fait que les informations sémantiques sont vues et répétées fréquemment : là où un évènement personnel n'est vécu qu'une seule fois, les informations sémantiques sont vues et perçues à de multiples reprises. Quelques observations indiquent qu'une partie de ce processus de consolidation a lieu dans le sommeil : des sujets qui sont privés de sommeil après avoir acquis un souvenir ou une connaissance ont de moins bons résultats à des tests de mémoire que des sujets qui ont pu dormir.

La consolidation systémique aurait lieu en partie lors du sommeil, ce qui explique l'effet positif du sommeil sur la mémoire. Le consensus actuel dit que la consolidation a lieu préférentiellement lors du sommeil profond, lors des phases de sommeil lent. Pour rappel, le sommeil est découpé en périodes de 1h30, chaque période étant composée de deux phases de sommeil successives : une phase de sommeil lent profond où le cerveau a une activité électrique régulière, et une phase de sommeil paradoxal où l'activité électrique est désorganisée comme lors de l'éveil. La consolidation a lieu lors de l'éveil et lors du sommeil lent, avec une nette préférence pour le sommeil lent. Par contre, la consolidation n'a pas particulièrement lieu lors du sommeil paradoxal, où alors autant que lors de l'éveil. La preuve en vient des expériences de privation de sommeil lent ou paradoxal. Privez quelqu'un de sommeil lent et sa mémoire va en pâtir, sans compter sa santé qui se dégradera à vitesse grand V. Mais privez-le de sommeil paradoxal et il ne se passera pas grand chose de notable, si ce n'est des variations d'humeur. D'ailleurs, les antidépresseurs qui agissent sur la sérotonine réduisent fortement la quantité de sommeil paradoxal? Mais n’entraînent aucun déficit cognitif notable et n'ont aucun impact sur la mémoire.

Le lobe frontal et la mémoire de travail

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Cortex préfrontal.

Le lobe frontal est, comme son nom l'indique, la partie du cerveau située sous le front. Il s'agit d'une aire cérébrale très étendue chez les primates, notamment les humains. Du point de vue de la fonction, on peut séparer le lobe frontal en deux aires cérébrales séparées : le cortex préfrontal et le cortex moteur. Le cortex moteur est impliqué dans la motricité volontaire, mais n'a rien à voir avec la cognition. À l'opposé, le cortex préfrontal est l'aire cérébrale primordiale pour de nombreuses capacités cognitives.

La lésion du cortex préfrontal entraîne un syndrome frontal, qui se caractérise par des troubles du comportement ainsi que des troubles intellectuels très variés. Les patients atteints expriment toute une constellation de symptômes très divers : ils ont une motivation altérée, deviennent apathique ou au contraire désinhibés et impulsifs, ont des problèmes de concentration, des déficits d'attention, des difficultés à réfléchir, des difficultés à résoudre des problèmes, une prise de décision dégradée, des difficultés à planifier des tâches, une mémoire de travail atteinte, quelques troubles subtils de la mémoire déclarative, etc. Si la plupart des patients exprime une constellation variée de symptômes, il n'est pas si rare que l'on observe des cas "purs" qui forment des sous-syndromes distincts, avec un syndrome majoritairement cognitif et un syndrome purement comportemental.

Cette distinction entre syndrome comportemental et syndrome frontal cognitif semble liée à l'anatomie du cortex préfrontal. L'étude anatomique du cortex préfrontal semble indiquer qu'il est lui-même subdivisé en aires distinctes, aux fonctions distinctes. L'anatomie du cortex préfrontal n'est cependant pas simple et la terminologie n'est pas des plus stable. Pour ne pas arranger le tout, la terminologie et le découpage des aires du cortex préfrontal a changé avec le temps.

De ce qu'on sait de nos jours, on peut raisonnablement découper le cortex préfrontal en quatre aires cérébrales principales, elles-mêmes regroupées en deux grandes sections : le cortex préfrontal latéral et le cortex préfrontal ventromédian. Le premier est localisé surtout sur la face visible du cerveau, sur le coté gauche ou droit, alors que le second est placé à sa base et à la surface de la fissure qui sépare les deux hémisphères. L'étude des lésions semble indiquer que le premier est impliqué dans les capacités cognitives et la mémoire, alors que se second est en charge du comportement et de la régulation émotionnelle. Les patients avec des lésions au cortex préfrontal ventromédian ont des capacités intellectuelles globalement préservées, mais de lourds troubles du comportement et des difficultés à contrôler leurs émotions. À l'inverse, les patients avec des lésions dans le cortex préfrontal latéral ont des troubles cognitifs majeurs, des troubles du langage et une mémoire de travail altérée, mais pas de troubles majeurs du comportement (ou alors seulement sous la forme d'une apathie).

Délimitation du cortex préfrontal dorsolatéral et ventrolatéral.

Pour ce qui est de la mémoire, le cortex latéral prend en charge la mémoire de travail proprement dit. Des lésions de ce cortex sont associées à des troubles de la mémoire de travail, et réciproquement. Et ce serait même une portion bien précise du cortex préfrontal latéral qui serait impliquée dans la mémoire de travail. En effet, le cortex préfrontal latéral est subdivisé en deux aires distinctes : le cortex préfrontal dorsolatéral et le cortex préfrontal ventrolatéral. Les limites de ces deux cortex sont indiquées ci-contre. Le cortex préfrontal ventrolatéral serait lié à la production du langage et aurait notamment un rôle à jouer dans la récupération d'informations en mémoire déclarative lors de la production de phrases. Mais son rôle mnésique reste surtout indirect. Le cortex préfrontal dorsolatéral serait celui qui prend en charge la mémoire de travail proprement dit.

Diverses études d'imagerie fonctionnelle indiquent que le cortex préfrontal dorsolatéral est actif lors des tâches de mémoire de travail. Les études IRM sont claire : le cortex préfrontal dorsolatéral s'active lors de tâches qui impliquent la mémoire de travail ou qui testent les fonctions exécutives, mais reste silencieux sinon. D'autres études ont montré que les neurones de cette aire cérébrale restent actifs tant que le sujet maintient une information en mémoire de travail, mais se taisent quand le sujet n'a plus besoin de la maintenir. Mais force est de constater que ces observations sont assez imprécises et sujette à interprétation. Une chose est certaine, cependant : le cortex préfrontal forsolatéral semble plus être l'aire du superviseur attentionnel que de la mémoire de travail proprement dit. Des lésions de cette aire cérébrales n'endommagent pas la boucle phonologique ou le système de répétition articulatoire, par exemple. De même, l'effet de telles lésions ne semblent pas avoir énormément d'impact sur la mémoire de travail visuelle. Par contre, elles entraînent des déficits attentionnels, ainsi que des problèmes au niveau des fonctions exécutives, qui sont censées être le fait du superviseur attentionnel.

Le chapitre peut se résumer avec le schéma suivant :

Localisation anatomique des différents types de mémoire à long-terme.


La mémoire au niveau des neurones : plasticité et consolidation synaptique

Si le cerveau est le siège de la mémoire, cela ne nous dit pas comment il fait pour retenir nos souvenirs, comment il mémorise nos leçons de mathématiques, comment il mémorise nos apprentissages moteurs, etc. Pour cela, il faut descendre un niveau en dessous, et regarder de quoi est fait le cerveau.

Les neurones et les potentiels d'action

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Schéma d'un neurone typique, avec axone et dendrites.

Comme tous les autres organes, le cerveau est composé de cellules. Les cellules du cerveau sont regroupées en deux types : les cellules gliales et les neurones. Les neurones sont les cellules cérébrales par excellence, celles qui sont chargées de toutes les fonctions qu'on attribue au cerveau. Elles ont des propriétés électriques très particulières, qui leur permettent de propager l'influx nerveux et de communiquer entre elles par des signaux chimiques et électriques. Il existe un grand nombre de neurones différents, qui se différencient par leur taille, leur forme, ou quelques autres paramètres. Mais tous ces neurones gardent malgré tout des points communs quant à leur forme. La forme d'un neurone classique est illustrée ci-contre. On voit que le neurone émet un prolongement tubulaire, appelé l'axone, et plusieurs excroissances appelées dendrites. Les cellules gliales sont de simples cellules de soutien pour les neurones, qui apportent de la nourriture aux neurones, gèrent l'équilibre chimique du cerveau, etc. Certaines ont un rôle dans la communication électrique entre neurones, mais nous verrons cela dans ce qui suit.

Les neurones échangent des informations sous forme d'influx nerveux, des sortes de "courants électriques" qui passent de neurone en neurone et se propagent à travers tout le système nerveux. Le neurone reçoit ces influx nerveux à partir d'autre neurones sur ses dendrites. Le neurone fait la somme de tous les influx nerveux qui arrivent sur ses dendrites à un instant donné et compare le total à une valeur seuil. Si cette somme dépasse un seuil fixé à l'avance, alors celui-ci émet un nouvel influx nerveux sur son axone, à destination d'autres neurones. Dans le cas contraire, il n'émet rien.

Description fonctionnelle du fonctionnement d'un neurone
Potentiel d'action

L'influx nerveux n'est pas un simple courant électrique, mais est en réalité une variation de la tension électrique de la surface/membrane du neurone. Lorsque le neurone ne fait rien, une tension d'environ -70 millivolts est présente sur sa membrane. Lorsqu'un influx nerveux passe, cette tension augmente localement. Cette augmentation locale de la tension électrique est appelée un potentiel d'action. Tous les potentiels d'action ont exactement la même forme, la même intensité, la même amplitude. L'information n'est pas encodée dans le cerveau par la grandeur des amplitudes, mais par leur fréquence. Par exemple, la luminosité d'un endroit de la rétine sera transmise par une suite d'influx nerveux d'autant plus rapides et nombreux que la luminosité est élevée. Les potentiels d'action ressemblent tous à ce qui illustré ci-contre. Pour simplifier, la tension monte durant un certain temps, avant de devenir légèrement inférieure à son point de départ, puis revient à la normale.

Le potentiel d'action est produit par un échange d'ions (des particules chargées électriquement) entre l'intérieur et l'extérieur du neurone, à travers sa membrane. La membrane sépare l’intérieur du neurone de l'extérieur. Entre l'intérieur et l'extérieur, il y a un déséquilibre concernant le nombre de certains ions : par exemple, on aura plus de potassium à l'intérieur qu'à l'extérieur. C'est ce qui explique le potentiel de repos de -70 millivolts. Pour créer un potentiel d'action, la membrane du neurone contient des canaux ioniques, qui peuvent s'ouvrir et laisser rentrer certains ions. Lors de l'initiation d'un potentiel d'action, ces canaux ioniques vont s'ouvrir. Ils s'ouvrent typiquement quand la tension à la surface d'un neurone dépasse le fameux seuil mentionné plus haut. Du potassium va alors rentrer dans le neurone, augmentant la tension de surface : la tension monte. Puis, ces canaux vont se fermer et des canaux sodium vont alors s'ouvrir, faisant fuir le sodium du neurone : la tension s'abaisse en réaction. Enfin, les canaux se ferment et l'équilibre revient.

Génération d'un potentiel d'action par échange d'ions à travers la membrane du neurone.

Un potentiel d'action se propage à la surface du neurone, typiquement sur l'axone de ce dernier. Une fois arrivé au bout de l'axone, il a la possibilité de passer d'un neurone à un autre, comme on le verra plus bas.

Propagation d'un potentiel d'action à la surface d'un axone.

Les synapses neuronales

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Ces neurones sont reliés entre eux par ce qu'on appelle des synapses. Les synapses peuvent relier les neurones entre eux de diverses façons : un axone se connecte à une dendrite, deux dendrites se connectent entre elles, un axone se connecte au corps cellulaire d'un neurone, un axone émet des hormones dans le sang, etc. Mais dans la majorité des cas qui vont nous intéresser, les synapses vont connecter l'axone d'un neurone aux dendrites d'un autre. Le neurone qui émet l'axone est appelée le neurone pré-synaptique, alors que la dendrite appartient au neurone post-synaptique.

On pourrait croire que la connexion permet aux ions de passer d'un neurone à un autre, ce qui permettrait un transfert direct du potentiel d'action d'un neurone vers un autre. Il existe effectivement des synapses de ce genre, où les membranes des deux neurones sont collées l'une contre l'autre et où des ouvertures permettent le passage des ions d'un neurone à l'autre. Ainsi, les ions générés par les potentiels d'action peuvent directement passer dans l'autre neurone. La conduction est alors électrique : le premier neurone envoie un courant d'ions dans l'autre neurone. Mais ces synapses électriques sont particulièrement rares dans le système nerveux et ne sont qu'une infime minorité que l'on peut facilement passer sous silence. Elles sont surtout présentes dans des endroits très spécifiques, mais sont quasiment absente du cerveau.

Les synapses qui vont nous intéresser sont des synapses chimiques, ou les deux neurones communiquent en échangeant un intermédiaire chimique. Avec ce type de synapse, les deux neurones sont séparés par un vide qui sépare les deux neurones : la fente synaptique. La communication s'effectue alors par l'intermédiaire de substances chimiques déversées par le neurone émetteur dans la synapse, que l'on appelle des neurotransmetteurs. Il existe un grand nombre de neurotransmetteurs : dopamine, sérotonine, glutamate, acétylcholine, histamine, adrénaline, noradrénaline, etc. Suivant les neurones, les neurotransmetteurs produits peuvent varier, et certains neurones ne produisent qu'un seul type de neurotransmetteurs. Tout neurone contient des stocks de neurotransmetteurs, qui se régénèrent relativement rapidement. Ces stocks sont de petites capsules qui contiennent toutes la même quantité de neurotransmetteurs, on les appelle des vésicules synaptiques.

Lorsqu'un potentiel d'action arrive sur la synapse, les canaux ioniques vont s'ouvrir et faire rentrer du calcium dans la cellule. Ce calcium va alors déclencher toute une série de réactions chimiques qui vont faire fusionner les vésicules synaptiques avec la paroi de la cellule : les neurotransmetteurs vont alors diffuser à travers la fente synaptique. Ces substances chimiques, les neurotransmetteurs, vont alors parcourir l'espace qui sépare les deux neurones, et vont aller agir sur le neurone récepteur, celui-ci déclenchera un potentiel d'action. Cette action à distance est possible parce que la membrane du neurone récepteur contient des récepteurs, capables de détecter la présence d'un neurotransmetteur. Ces récepteurs sont souvent spécifiques à un neurotransmetteur bien particulier, et ne peuvent détecter qu'un ou deux neurotransmetteurs bien précis. Par exemple, certains récepteurs seront sensibles à la dopamine, mais pas à la sérotonine ou au glutamate.

Schéma d'une synapse chimique.

Les récepteurs synaptiques sont plus ou moins reliés à des canaux ioniques : quand un neurotransmetteur est détecté, le récepteur va agir sur un ou plusieurs canaux ionique, qui s'ouvrira. Si le neurone émetteur envoie suffisamment de neurotransmetteur, un grand nombre de canaux ioniques s’ouvriront et un potentiel d'action sera généré. Ces récepteurs peuvent se classer en deux types : les récepteurs ionotropiques et les récepteurs métabotropes.

  • Avec les récepteurs ionotropiques, le récepteur et le canal ionique ne font qu'un : les deux sont fusionnés dans une seule molécule. Quand le neurotransmetteur se fixe sur le récepteur, cela va changer de forme, et se déformer : il s'ouvrira et laissera les ions passer.
  • Avec les récepteurs métabotropes, le récepteur est physiquement séparé des canaux ioniques, et doit agir sur eux avec l'aide d'un intermédiaire. Cet intermédiaire est le plus souvent une protéine.
Schéma d'un récepteur ionotrope.

La plasticité cérébrale : le mécanisme neuronal de la mémoire

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À eux seuls, les neurones et synapses permettraient d'expliquer le fonctionnement de la mémoire. La mémoire est simplement basée sur la structure des réseaux de neurones. Tout ce qui est dans notre mémoire serait stocké sous la forme de liaisons entre neurones, par les synapses. Tout apprentissage laisserait une trace quelconque dans les réseaux de neurones de notre cerveau, que ce soit en ajoutant des synapses, en en supprimant, en modifiant l'efficacité de certaines synapses, etc. Les modifications laissées dans le cerveau après un apprentissage sont mal comprises. Toujours est-il que les scientifiques ont donné un nom au substrat biologique d'un souvenir quelconque, au réseau de neurones qui mémorise ce souvenir : l'engramme.

La plasticité à court et à long terme

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Les réseaux de neurones du cerveau peuvent se modifier à tout moment. Cette capacité de modification est ce qu'on appelle la plasticité synaptique. Elle est supposée être responsable de tout apprentissage et est donc la base de la mémoire humaine. Pour ce qui est de la durée, certaines formes de plasticité synaptique n'agissent que sur un temps très court, alors que d'autres permettent des apprentissage permanents. On distingue donc la plasticité à court-terme et à long-terme.

  • La plasticité à court-terme agit sur une durée de quelques millisecondes à quelques minutes, guère plus. Elle n'a pas de conséquences durables et n’entraîne pas d'apprentissage permanent. Elle est impliquée dans les apprentissages non-associatifs, à savoir l'habituation et la sensibilisation à court-terme. Ce qui fait que nous verrons ces formes de plasticité dans les chapitre sur les apprentissage non-associatifs.
  • La plasticité à long-terme a des conséquences durables et cause des apprentissages permanents. Elle implique systématiquement des changements liés aux récepteurs synaptiques ou la formation/destruction de synapses. C'est elle qui est responsable de la mémoire proprement dit.

Pour faire simple, la majorité des phénomènes de plasticité à long-terme sont des variantes de ce que l'on appelle la règle de Hebb : si deux neurones émettent des influx nerveux à peu près en même temps, la synapse qui les relie se renforce.

Les mécanismes de la plasticité synaptique

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Toujours est-il que mémoriser demande de modifier des synapses. Cela peut se faire de deux grandes manières : ajouter/retirer des synapses, ou modifier l'efficacité de synapses existantes. Les deux mécanismes sont possibles dans le cerveau humain. Il est prouvé que des synapses peuvent apparaître ou disparaître, de même que l'on a observé des variations d'efficacité des synapses. Cela permet de distinguer une plasticité structurale et une plasticité moléculaire.

  • La plasticité synaptique structurale implique la formation ou la destruction de nouvelles synapses : de nouvelles synapses se créent, des synapses inutilisées meurent, des dendrites se développent, des axones se rétractent ou grandissent, etc. Il est difficile de rentrer dans le détail sans faire un cours de neuroscience proprement dit. Nous n'en parlerons donc pas plus que cela dans ce cours.
  • La plasticité synaptique moléculaire entraîne une variation d'efficacité des synapses. Elle est liée aux neurotransmetteurs et aux récepteurs synaptiques.

La plasticité moléculaire peut agir soit sur les neurones post-synaptiques, soit sur les neurones pré-synaptiques. Au niveau pré-synaptique, le neurone devient capable d'émettre plus de neurotransmetteurs qu'avant, ou au contraire il en émet moins qu'avant. Précisons que ces mécanismes entraînent une plasticité à court-terme uniquement, ce qui fait que nous n'en parlerons pas ici. Ce qui va nous intéresser est la plasticité moléculaire au niveau du neurone post-synaptique, qui est une plasticité de long-terme.

Cette dernière implique une variation de la sensibilité aux neurotransmetteurs. Deux mécanismes principaux permettent cela : soit les récepteurs deviennent plus efficaces eux-mêmes, soit le nombre de récepteurs synaptiques varie. La première possibilité est la moins courante. Ses mécanismes sont spécifiques à la voie de transduction considérée et il est difficile de donner des généralités dessus, ce qui fait que nous n'en parlerons pas en détail. La seconde possibilité est une modification du nombre de récepteurs synaptiques. Le nombre de récepteurs peut augmenter ou diminuer, rendant le neurone plus ou moins sensible au neurotransmetteur. Par exemple, le neurone peut se désensibiliser suite à une stimulation répétée, en réduisant le nombre de récepteurs synaptique. Ou à l'inverse, il peut se sensibiliser à un neurotransmetteur en ajoutant des récepteurs à sa surface.

L'ajout ou le retrait de récepteurs synaptiques sur la membrane des neurones a lieu sur la membrane du neurone post-synaptique. On parle de downregulation si le nombre de récepteurs diminue, et d'upregulation si le nombre de récepteurs synaptiques augmente. Un neurone down- ou up-régule ses récepteurs quand il est régulièrement soumis à des doses trop fortes ou au contraire trop basses de neurotransmetteurs. Par exemple, prenons le cas des récepteurs à la dopamine. Plus un neurone est soumis à de fortes doses de dopamine, plus il réduira le nombre de ses récepteurs à la dopamine. Ce faisant, le neurone devient moins sensible à la dopamine. C'est en partie pour cette raison que les médicaments qui augmentent la quantité de dopamine synaptique deviennent de moins en moins efficaces avec le temps. On dit qu'ils entraînent l'apparition d'une tolérance, qui se développe en quelques jours, le temps que les récepteurs à la dopamine disparaissent de la surface des neurones dopaminergiques.

Le lien entre temporalité et mécanisme de la plasticité synaptique

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La plasticité synaptique à long-terme est la seule à impliquer une plasticité structurale. Modifier la morphologie d'une synapse ne se fait pas en quelques minutes. Cela prend du temps, plusieurs minutes, plusieurs jours, ce qui est incompatible avec la plasticité de court-terme. Par contre, une plasticité à long-terme a de bonnes chances d'impliquer la formation de nouvelles synapse, la création d'épines dendritiques, de boutons axonaux, etc. Cependant, il ne faut pas croire que la plasticité moléculaire ne joue pas, bien au contraire. Au niveau moléculaire, la plasticité à long-terme implique des modifications permanentes des récepteurs synaptiques. Pour faire le lien entre plasticité à long/court terme et plasticité moléculaire/structurale, voici un tableau qui résume le tout.

Plasticité moléculaire Plasticité structurale
Neurone pré-synaptique Plasticité de court-terme Plasticité de long-terme
Neurone post-synaptique

La consolidation synaptique

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Immédiatement après un apprentissage, un souvenir ou une connaissance nouvellement formé est dans un état fragile, sensible aux interférences ultérieures et à l'oubli. Immédiatement après la mémorisation, un processus de consolidation va se mettre en place. Ce processus immunise les connaissances apprises contre l'oubli. La consolidation consiste en un renforcement des synapses liées aux connaissances apprises, d'où son nom de consolidation synaptique. Elle dure environ une heure.

En savoir plus

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Pour en savoir plus, je vous renvoie au cours de Neuroscience, écrit par le même auteur, dans le chapitre sur la plasticité synaptique. Attention, cependant : la lecture de ce chapitre devrait idéalement se faire après avoir lu les premiers chapitres du cours de neuroscience, notamment le chapitre sur les synapses. Voici le lien :


L'évolution de la mémoire avec l'âge

La mémoire évolue avec l'âge, de la naissance à la mort. Dans les grandes lignes, la mémoire s'améliore lors de l'enfance, reste stable durant l'âge adulte et décline progressivement lors du grand âge. Le petit enfant n'a pas beaucoup de mémoire, il ne sait pas parler, il ne se souvient que de bribes d'informations. Puis, divers apprentissages se mettent en place, le langage apparaît, la mémoire déclarative devient de plus en plus performante. Puis, l'âge adulte est marqué par une stabilisation des fonctions mnésiques, avec des capacités d'apprentissage qui stagnent et des capacités intellectuelles qui n'évoluent plus. Ce n'est qu'avec le grand âge que les troubles de la mémoire se font sentir. Les différents types de mémoire ne sont cependant pas tous touchés de la même manière, mais la mémoire de travail et les fonctions attentionnelles se dégradent avec le grand âge. Toutes ces modifications sont normales et tout le monde y est plus ou moins sujet. Nous allons aborder le sujet dans ce chapitre, mais nous ne parlera pas des pathologies neurodégénératives ici, seulement du vieillissement normal.

L'amnésie infantile

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C'est un fait : personne ne se souvient des premières années de sa vie. Vous-mêmes avez peut-être des souvenirs d'enfance, mais il est rare que ceux-ci datent des trois premières années de votre vie. Les premiers souvenirs sont des souvenirs de vos 4 à 6 ans, parfois plus, mais les personnes qui ont des souvenirs qui datent d'avant leurs 3 ans sont très rares. Les études sur ce sujet sont formelles. Pour donner quelques statistiques, la méta-analyse de David Rubin sur le sujet a montré que sur les 11000 adultes interrogés, environ 1% ont des souvenirs d'avant leurs 3 ans. Et les souvenirs d'avant 2 ans sont presque inexistants tant ils sont peu nombreux. L'âge moyen officiel du premier souvenir est de trois ans et demi. Les souvenirs entre 3 à 6/7 ans sont généralement rares et fragmentaires. Et plus on se rapproche de 7ans, plus la probabilité de rappel d'un souvenir augmente. Les chercheurs ont donné un nom à ce phénomène d'oubli des premières années de la vie : l'amnésie infantile. Le terme amnésie n'est pas à prendre ici au sens pathologique, mais au sens propre : un oubli.

On pourrait se dire tout simplement que les souvenirs les plus anciens sont oubliés avec le temps. Notons à ce propos que les chiffres mentionnés plus haut sont valables pour les adultes, pas pour les enfants. Si on interroge des enfants de moins de 10 ans et que l'on vérifie que les souvenirs rapportés sont exacts, les premiers souvenirs datent d'environ 1 à 2 ans. Ce n'est qu'à partir de 10 ans que les enfants commencent à avoir des résultats proches de ceux des jeunes adultes. Tout cela implique qu'une partie du phénomène implique de l'oubli, mais il y a peu de chances que le phénomène soit explicable par un oubli causé par l'avancée en âge. Cette explication n'explique pas pourquoi on n'a aucun souvenir avant 2 ans, très peu entre 2 et 6 ans, et que les souvenirs d'après 6 ans sont relativement plus nombreux. Il faut donc trouver d'autres explications et les chercheurs ne manquent pas de pistes pour expliquer l'amnésie infantile, mais les études sur le sujet ne permettent pas de trancher entre les différentes explications, du moins pour le moment. Les théories à ce sujet sont assez nombreuses. Si les explications psychanalytiques sont aujourd'hui mises de côté et réfutées, les explications cognitives, voire neurologiques, sont cependant plus intéressantes à étudier.

Notons que l'amnésie infantile ne concerne que les souvenirs épisodiques et la mémoire autobiographique. Par contre, l'acquisition de connaissances déclaratives et les apprentissages implicites ne sont pas concernés. Le fait est que les enfants ont de bonnes capacités d'apprentissage implicite. Les apprentissages de la petite enfance sont surtout moteurs et sensoriels : ils apprennent à se tenir debout, marcher, courir, reconnaître les couleurs, reconnaître les objets dans leur environnement, etc. Ils apprennent aussi à parler, mais les mécanismes de cet apprentissage ne sont pas clairs, même si une bonne partie de cet apprentissage est déclarative.

L'absence de langage expliquerait l'amnésie infantile

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Il se pourrait que ce soit l'absence de langage qui empêche la formation des souvenirs, ou que l'apprentissage du langage qui perturbe le rappel des souvenirs pré-verbaux. À ce propos, l'âge auquel les enfants sont capables de rappeler leurs premiers souvenirs correspond à peu près à l'âge auquel le langage apparaît, à quelques mois près. De plus, l'âge des premiers souvenirs est bien corrélé à l'âge auquel le sujet interrogé a appris à parler. Plus un sujet a appris à parler tôt, plus ses souvenirs d'enfances seraient précoces. Cela reste une corrélation, cependant.

Une explication serait donc que le langage serait très important pour former des souvenirs. Les enfants de moins de 2 ans ne disposant pas du langage ne pourraient donc pas former des souvenirs. Ou alors, sans forcément dire que le langage serait important pour former des souvenirs, on peut supposer que l'absence de langage entraîne un encodage différent que lorsque le langage est présent. Les premiers souvenirs seraient encodés avec des mécanismes de mémorisation purement non-verbales, alors que les souvenirs ultérieurs seraient encodés avec des stratégies diverses faisant intervenir au moins partiellement le langage. Le rappel étant d'autant plus facile que les conditions de rappel sont proches des conditions d'encodage, les souvenirs pré-verbaux auraient donc un désavantage pour un rappel verbal, que n'auraient pas les souvenirs ultérieurs.

Notons que l'explication précédente peut être complétée par le fait que les souvenirs rappelés à l'âge adulte sont souvent des souvenirs souvent répétés. Un souvenir n'est pas seulement mémorisé dans le cerveau d'un sujet, il est souvent rappelé, voire partagé avec les proches/amis/autres, fait l'objet de discussion avec ses proches. Plus on se rappelle d'un souvenir et plus on en parle autour de soi, plus on a de chances de s'en souvenir plus tard. Les souvenirs peu rappelés, qu'on ne partage pas, dont on n’a pas l’occasion de se rappeler, ont de fortes chances s'être oubliés dans le futur. Les premiers souvenirs, ayant du mal à être verbalisé et encodés avec des stratégies non-verbales, ont donc peu de chances d'être rappelés et partagés. Alors que les souvenirs verbaux ont beaucoup plus de chances d'être rappelés, discutés, partagés, et donc ont moins de chances d'être oubliés dans le futur.

Une maturation cérébrale incomplète

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Une autre hypothèse est que le cerveau des enfants soit trop immature pour former des souvenirs de type épisodiques, mais soit quand même capable d'apprentissages verbaux ou conceptuels. Le lobe temporal médian ne serait pas assez développé pour encoder des souvenirs de manière efficace. Même chose pour le cortex préfrontal, qui n'est pas assez développé pour utiliser des stratégies d'apprentissage efficace. Le résultat est que la formation de souvenirs épisodiques serait compromise, que l'apprentissage d'informations sémantiques serait lent et peu efficace, mais que l'apprentissage implicite serait conservé. Mais cette théorie suppose que les souvenirs de l'enfance ne sont tout simplement pas appris, alors que les observations mentionnées auparavant montrent qu'il y a une part d'oubli dans l'amnésie infantile. Certes, les enfants ont des capacités d'apprentissages assez pauvres, mais il y a aussi des souvenirs acquis lors de l'enfance qui sont oubliés plus tard.

Une autre explication, un peu différente de la précédente, serait liée à la formation de nouveaux neurones dans l'hippocampe. L'hippocampe a la particularité de former de nouveaux neurones tout au long de la vie, ce qui est appelé de la neurogenèse par les chercheurs. Et les nouveaux neurones s’intègrent dans l'hippocampe, mais d'une manière qui perturbent les réseaux neuronaux déjà présents dans l'hippocampe. Le résultat est que les souvenirs récents sont effacés de l'hippocampe et ce d'autant plus vite que la neurogenèse est importante et/ou rapide. Or, lors de l'enfance, la neurogenèse est bien plus importante que lors de l'âge adulte. L'hippocampe des enfants se développe rapidement et la neurogenèse est très importante. En conséquence, les enfants oublient rapidement ce qu'ils ont appris, avant que les souvenirs aient le temps d'être consolidés, transportés dans le néocortex. Par contre, a l'âge adulte, la neurogenèse ralentit, ce qui favorise le maintien des souvenirs récents et la formation de souvenirs.

Un point important est que ces hypothèses expliquent pourquoi des équivalents de l'amnésie infantile ont été observés chez les animaux. Certes, ceux-ci n'ont probablement pas de mémoire épisodique proprement dite, encore que les débats sur le sujet sont encore ouverts. Mais on a observé un phénomène d'oubli des apprentissages déclaratifs, perceptuels et même de certains conditionnements appris lors des premières années de la vie, chez certains organismes animaux.

L'impact du vieillissement sur la mémoire

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Avec l'âge, les troubles de la mémoire se font plus fréquents. Si on omet les maladies neurodégénératives, la plupart des troubles de la mémoire liés à l'âge sont bénins et ne posent que des problèmes mineurs. Il s'agit le plus souvent de troubles liés à la mémoire épisodique et un peu à la mémoire sémantique/lexicale. Concrètement, le sujet oublie occasionnellement ce qu'il a mangé à midi, où il a mit ses clés, etc. Il arrive aussi que le sujet ait du mal à trouver ses mots, qu'il ait un mot sur le bout de la langue. Le genre d'oublis qui arrive à tout le monde, mais plus fréquemment aux personnes âgées. Les troubles plus sévères sont généralement soit à une dépression, soit à une maladie organique.

L'âge ne touche pas les différents types de mémoire de la même manière

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Les différents types de mémoire ne sont pas impactés de la même manière lors du vieillissement. C'est surtout la mémoire épisodique et la mémoire de travail qui déclinent avec l'âge, les autres formes de mémoire déclinant plus lentement. Typiquement, la mémoire épisodique et la mémoire de travail restent stable jusqu’à un âge d’environ 60 ans, où elles commencent à décliner assez rapidement. La mémoire épisodique montre quelques difficultés, qui se manifestent par des oublis plus fréquents et des difficultés à rappeler des souvenirs, surtout récents. Les performances dans les tâches de rappel et de reconnaissance sont réduites lorsque l'on teste la mémoire épisodique, mais elles montrent aussi quelques signes de faiblesse plus subtils pour la mémoire sémantique.

La mémoire sémantique a des performances de rappel/reconnaissance plus faibles, mais son contenu augmente avec l'âge et ne commence à décliner que plus tard, vers 70/80 ans. En clair, on continue d'apprendre de nouvelles connaissances sans rien oublier, jusqu'à un âge assez tardif ou l'oubli en mémoire sémantique devient assez important. Les tests de vocabulaire ont montré que celui-ci augmente avec l'âge, sans compter que les tâches de compréhension de texte ne montrent pas de déclin évident jusqu'à un âge avancé. Par contre, les personnes âgées semblent avoir plus de mal à trouver leurs mots et à avoir plus souvent un mot sur le bout de la langue, même si ce n'est pas observé par toutes les études sur le sujet.

Par contre, les mémoires implicites sont particulièrement bien conservées, du moins si on prend en compte l'impact du vieillissement sur les organes des sens. Beaucoup d'études, notamment les plus anciennes, ne montrent pas de différences entre jeunes adultes et personnes âgées dans la plupart des tâches de mémoire implicite. S'il y a une baisse de performance, elle est graduelle et très lente, de très faible intensité, là où les déficits en mémoire déclarative se font de plus en plus rapides après 60 ans. La mémoire procédurale est préservée, l’amorçage perceptif a des performances presque identiques chez les jeunes adultes et les personnes âgées, etc. La seule forme de mémoire implicite qui est significativement altérée lors du vieillissement est l’amorçage sémantique/conceptuel, mais cela colle avec une atteinte de la mémoire explicite.

Les théories sur l'origine des déficits amnésiques liés à l'âge

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Reste qu'expliquer ces déficits, aussi légers soient-ils, n'est pas une mince affaire. Dans les grandes lignes, les théories sur le sujet peuvent se classer en deux camps, qui ne sont pas si opposés que l'on pourrait le croire. L'hypothèse du déficit associatif suppose que les déficits liés à l'âge seraient des déficits dans la formation d'associations, de liens entre items. Les personnes âgées auraient plus de mal que les jeunes à connecter ensemble des informations, ce qui est nécessaire pour former des souvenirs ou acquérir de nouvelles connaissances. La seconde hypothèse, dite du déficit de contrôle cognitif, suppose que les personnes âgées auraient des fonctions exécutives moins performantes, ce qui impacterait leurs performances de rappel/reconnaissance et d'encodage, mais que la mémoire déclarative en elle-même ne serait pas touchée. Notons que les deux théories se ressemblent : il n'est pas impossible que le déficit associatif de la première théorie soit lié à un déficit des fonctions exécutives vu que ces dernières sont impliquées dans la mémoire de travail et que les associations se forment en mémoire de travail. Néanmoins, ces deux théories se distinguent par le fait que les mécanismes ne sont pas exactement les mêmes.

Le fait est que les personnes âgées ont des fonctions exécutives et attentionnelles qui déclinent avec l'âge. La baisse de performance principale est celle des temps de réaction. Avec l'âge, la vitesse de traitement de l'information diminue, peu importe l'information traitée. Ce ralentissement touche toute la cognition et impacte presque toutes les tâches intellectuelles et mnésiques. De plus, l'attention se dégrade et les autres fonctions exécutives comme l'inhibition sont aussi touchées, sans que l'on sache si cela est intégralement lié au ralentissement cognitif ou non.Cela pourrait s'expliquer par le vieillissement du lobe frontal du cerveau, qui est en charge des fonctions exécutives. De nombreuses expériences d'imagerie cérébrale montrent une atrophie du cortex préfrontal qui intensifie avec l'âge. Cela va donc dans le sens de la théorie du déficit du contrôle cognitif.

Mais d'autres expériences vont dans le sens de la théorie du déficit d'association. Avec l'âge, on observe une atrophie du lobe temporal médian, qui est d'une importance primordiale pour l'encodage en mémoire déclarative. Si tout le lobe temporal médian décline, l'atrophie est plus importante pour l’hippocampe proprement dit que pour le cortex entorhinal, périrhinal et parahippocampique. Et cette atrophie est bien corrélée avec une baisse des performances mnésiques en mémoire déclarative. Ces observations vont dans le sens de la théorie du déficit d'association.


Les troubles de la mémoire

De nombreuses maladies peuvent causer des troubles de la mémoire. Dans ce chapitre, nous allons voir quelles sont les maladies qui altèrent la mémoire, comment elles se manifestent, quel est le mécanisme de leur apparition. Toutes, ou presque, sont des maladies neurologiques qui attaquent le cerveau. Certaines sont liées à l'âge, comme la fameuse maladie d'Alzheimer, d'autres sont liées à des carences nutritionnelles, d'autres à des infections, etc.

Les amnésies antérograde et rétrograde

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L'amnésie est un syndrome neurologique caractérisé par une perte de la mémoire déclarative (souvent épisodique), causés par des maladies ou des lésions cérébrales. L'amnésie est beaucoup plus sévère que les troubles de la mémoire normaux, liés au vieillissement, à la fatigue ou à une dépression. Un syndrome amnésique est, en théorie, circonscrit à des troubles de la mémoire, le reste de l'intellect est préservé. Mais de tels cas purs d'amnésie sont assez rares et limités à quelques patients avec des lésions cérébrales bien circonscrites. En pratique, l'amnésie est souvent associée à des troubles de l'attention, de l'intellect, du raisonnement, et des autres capacités cognitives. C'est par exemple le cas chez la majorité des patients Alzheimer, qui présentent un syndrome amnésique qui se complète assez rapidement avec des troubles de l'intellect.

Formellement, l'amnésie est un trouble de la mémoire épisodique, un trouble qui touche les souvenirs uniquement. Il existe des patients avec une amnésie assez importante mais des connaissances factuelles totalement conservées. Mais ils sont très rares et la très grosse majorité des patients amnésiques ont des troubles de la mémoire sémantique associés. Chez ces patients, les connaissances résistent mieux aux dommages cérébraux que les souvenirs. Dit autrement, la mémoire épisodique est plus fragile que la mémoire sémantique. Même si on omet leur ancienneté, les connaissances factuelles ne semblent pas égales en termes de résistances à l'amnésie. Par exemple, a mémoire sémantique autobiographique est un peu mieux conservée que le reste. De même, les évènements publics sont souvent mieux mémorisés que les autres connaissances factuelles. Tout semble indiquer qu'il y a un gradient de robustesse, qui va des connaissances factuelles aux souvenirs épisodiques, avec toute une série de connaissances intermédiaires (savoirs liés aux évènements publics, connaissances sur soi - identité, nom, prénom, ...).

En théorie, on peut distinguer deux types purs d'amnésie : l'amnésie antérograde et l'amnésie rétrograde. Dans les deux cas, l'amnésie s'installe après un traumatisme cérébral quelconque : un AVC, une lésion suite à un choc, un traumatisme crânien, etc. Tout dépend si l'amnésie perturbe les souvenirs acquis avant le traumatisme, ou si elle perturbe l'acquisition des souvenirs après le traumatisme. Dans l’amnésie antérograde, le patient ne peut pas mémoriser de nouveaux souvenirs alors que les anciens souvenirs sont, en théorie, intacts. À l'opposé, l'amnésie rétrograde est la perte des souvenirs qui datent d'avant l'incident, mais le patient garde la capacité de former de nouveaux souvenirs.

Différence entre amnésie antérograde et rétrograde.

L'amnésie rétrograde est la plus intuitive, parce qu'elle ressemble à ce qu'on appelle amnésie dans le langage courant. Avec elle, le patient perd des souvenirs ou des connaissances qu'il connaissait avant le traumatisme responsable de l'amnésie. D'ordinaire, le patient oublie ce qu'il s'est passé durant plusieurs années de sa vie avant l'accident, mais se souvient des souvenirs anciens. Il est rare que les patients oublient les membres de leur famille, leurs vielles connaissances, les endroits où ils ont vécu, ou encore leur identité, contrairement à ce qu'on voit dans les films (cela arrive, mais c'est rare). Il faut noter que l'amnésie rétrograde est presque toujours couplée à une amnésie antérograde, l'amnésie rétrograde pure étant très très rare et généralement limitée.

L'amnésie antérograde est une forme d'amnésie qui ne ressemble pas du tout à ce qu'on appelle amnésie dans le sens courant. Chez ces patients, la capacité à apprendre est fortement dégradée : ils ne peuvent plus mémoriser de nouvelles connaissances ou acquérir de souvenirs. Généralement, les déficits de mémorisation sont nettement plus marqués pour la mémoire épisodique que pour la mémoire sémantique. Pour une amnésie antérograde pure, les patients amnésiques conservent leurs souvenirs et connaissances anciens, qui datent d'avant le traumatisme. Mais dans la réalité, il est rare que les patients aient une amnésie antérograde pure, celle-ci étant toujours accompagnée d'une amnésie rétrograde plus ou moins légère selon les cas. Cette amnésie rétrograde est limitée à quelques années avant le traumatisme, mais ne touche pas les souvenirs plus anciens.

Les amnésies d'origine neurodégénérative

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De nombreuses maladies neurodégénératives, dans lesquelles le cerveau se dégrade progressivement sous l'effet d'une maladie chronique, entraînent des troubles de la mémoire. La plupart de ces maladies se traduisent par une diminution des capacités intellectuelles et des pertes de mémoires, parfois accompagnées par des manifestations psychiatriques (dépression, apathie, ou autre). L'ensemble de ces symptômes est ce qu'on appelait autrefois la sénilité, mais le terme actuel est plutôt la démence. Mais attention, autant "démence" est synonyme de folie ou de maladie mentale dans le langage courant, autant les médecins utilisent ce terme pour décrire les pertes de capacités intellectuelles et mnésiques liées à une maladie neurologique.

La plupart des démences ne sont cependant pas forcément liées à l'âge, pas plus que les maladies neurodégénératives : pensez à la sclérose en plaque, qui est une maladie neurodégénérative pouvant entraîner un tableau clinique démentiel, mais n'est cependant pas lié à l'âge. Les démences peuvent aussi être la conséquence d'un AVC ou une hémorragie cérébrale. Cependant, les démences liées à l'âge sont assez particulières. Elles sont caractérisées par l'accumulation de protéines ou de molécules particulières dans le cerveau.

En premier lieu, on observe l'accumulation de dégénérescences neurofibrillaires à l'intérieur des neurones. Celles-ci sont des amas de protéine Tau, une protéine est présente dans tous les neurones, quel que soit l'âge. Il s'agit d'une protéine qui fait partie du cytosquelette, à savoir le squelette cellulaire, un ensemble de protéines agencées en charpente, qui permet à la cellule de garder sa forme (entre autres). La dégradation de ce cytosquelette, qui entraîne des problèmes divers : les substances produites par le noyau ne sont plus transportées à destination via le cytosquelette, le neurone est plus fragile, etc. Cette molécule s’accumule normalement avec l'âge, mais son accumulation semble exacerbée dans certaines maladies neurodégénératives.

On peut aussi citer l'accumulation de plaques microscopiques, composée de protéine bêta-amyloide. Ces plaques séniles sont une caractéristique du vieillissement, qu'il soit normal ou pathologique : tous les cerveaux, même ceux d'une personne âgée saine, contiennent de telles plaques. La bêta-amyloide qui constitue ces plaques se forme quand une molécule de la membrane des neurones est décomposée par diverses enzymes. Cette molécule, l'APP, tapisse la membrane des neurones, sans que l'on sache vraiment pourquoi. Sa fonction est encore débattue à l'heure actuelle. Quoi qu’il en soit, divers enzymes vont découper cette molécule en trois morceaux : la bêta-amyloide est l'un d'eux.

Amyloid-plaque formation-big

La Tauopathie primaire liée à l'âge

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La première maladie que nous allons voir est particulièrement méconnue, sans doute parce qu'elle a été identifiée récemment. Pour résumer rapidement, il s'agit d'une maladie qui ressemble à la maladie d'Alzheimer, mais qui est moins sévère et bien moins handicapante, au point d'être parfois difficile à distinguer du vieillissement normal. Cette maladie s'appelle la tauopathie primaire liée à l'âge, mais nous allons utiliser l'acronyme PART, qui veut dire Primary Age-Related Tauopathy.

Cette maladie est causée par l'accumulation de protéine tau dans le cerveau sous la forme de plaques séniles, comme pour Alzheimer. L'accumulation des plaques séniles est circonscrite au lobe temporal médian et à l'hippocampe, mais ne se propage pas au reste du cerveau. À l'opposé, dans la maladie d'Alzheimer, les plaques séniles s'accumulent en compagnie de dégénérescences neurofibrillaires, sans compter que la maladie commencent dans le lobe temporal médian mais se propage dans tout le cerveau. La propagation est donc plus restreinte dans la PART, comparé à Alzheimer. On peut donc voir la PART comme un demi-Alzheimer, bien que ce soit encore en débat.

Au niveau clinique, les patients ont des troubles de la mémoire qui vont de légers à modérés, souvent associés à des troubles de l'intellect et de la cognition générale. L'intensité des symptômes varie énormément suivant les patients et va de légers symptômes subtils à une véritable démence qui n'a rien à envier à Alzheimer. Certains patients sont quasiment normaux avec des déficits très légers et assez subtils. D'autres ont des symptômes mnésiques modérés moins intenses que ceux observés dans un Alzheimer constitué, quelques troubles cognitifs, mais leur personnalité est préservée et leur comportement est normal. Enfin, d'autres sont des patients sévèrement atteints et ont une véritable démence amnésique. Comparé aux patients Alzheimer, les patients PART sont plus vieux quand les symptômes apparaissent, et vivent plus longtemps, avec moins de problèmes dans leur vie quotidienne. La PART touche une minorité de patients. On estime que pour les patients de 80 ans ou plus, 20% des patients sont atteints de PART alors que les 80% restants sont atteints d'Alzheimer à des degrés divers.

La maladie d'Alzheimer

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La maladie d'Alzheimer est une maladie dont le symptôme principal, le plus connu du grand public, est la perte de mémoire. Mais attention, la maladie l'Alzheimer entraîne aussi des troubles cognitifs et des troubles du comportement. La perte" de mémoire n'est pas le seul symptôme, donc. C'est le symptôme le plus connu, car c'est celui qui apparaît en premier dans la majorité des cas. Par la suite, divers troubles cognitifs apparaissent, suivi par des troubles du comportement.

Progression de la maladie d'Alzheimer.

La maladie entraîne une mort des neurones et une disparition progressive de la substance blanche (axones, dendrites). Les débuts de la maladie se traduisent par une faible perte neuronale, tandis que les stades finaux de la malade sont caractérisés par une mort neuronale massive. La maladie commence bien avant que les symptômes se fassent sentir, ceux-ci devenant évidents quand la mort neuronale est bien avancée. Les premières zones touchées sont les zones dédiées à la mémoire, situées sous les tempes : hippocampe, cortex temporal et entorhinal. Par la suite, la maladie progresse au-delà du cortex temporal et finit par toucher tout le cerveau.

Les zones lésées par les premiers stades de la maladie sont des zones riches en neurones acétylcholinergiques, la maladie entraînant donc une perte de la transmission de l'acétylcholine dans le cerveau. C'est de cette observation qu'est venue l'idée de donner aux malades des médicaments qui augmentent la quantité d'Acth dans le cerveau des malades. Divers inhibiteurs de l'acétylcholinostérase (l'enzyme qui dégrade l'acétylcholine, pour rappel) sont et ont été utilisés dans cette optique. Mais ces médicaments ne servent qu'à masquer temporairement les symptômes, sans compter que leur efficacité est très faible et peu convaincante.

Cerveau sans (gauche) et avec Alzheimer (droite).

La maladie d'Alzheimer est techniquement une tauopathie, à savoir une maladie caractérisée par l'accumulation de masse de protéine Tau, formée par dégradation du cytosquelette neuronal. Mais la maladie d'Alzheimer se caractérise aussi par l'accumulation de plaques séniles dans le cerveau, ce qui en fait techniquement une amylose. L’apparition des plaques séniles est le marqueur d'Alzheimer qui apparaît en premier, suivi par les dégénérescences neurofibrillaires, puis les symptômes de la maladie elle-même. Quand les symptômes apparaissent, il se peut que les plaques séniles se soient accumulées depuis plusieurs années dans le cerveau du malade. On peut détecter la présence de ces molécules avec une ponction lombaire, avant même l'apparition des symptômes. Quand des plaques séniles sont observées dans le résultat de la ponction lombaire, le patient a plus de 60% de chances de déclarer une démence dans les années qui suivent. Leur absence est par contre un très bon pronostic. Ces observations peuvent faire penser que la maladie d'Alzheimer serait causée par l'apparition de ces plaques, mais ce n'est pas encore certain.

Age d'apparition de la maladie d'Alzheimer.

L'âge de déclaration de la maladie est généralement tardif, les cas les plus précoce apparaissant vers 50/60 ans, les plus tardifs apparaissant vers 70/80 ans. Dans les grandes lignes, les chercheurs font la différence entre Alzheimer précoce et Alzheimer tardif. Les deux formes seraient causées par des mécanismes légèrement différents, potentiellement liés à des particularités génétiques. Il faut noter que les patients atteint de trisomie 21 (syndrome de Down) sont atteint de formes précoce d'Alzheimer, qui se déclarent dès 40 ans, parfois moins. Mais cette forme d'Alzheimer semble être quelque peu différente des autres formes précoces. La probabilité d'être atteint d'Alzheimer augmente avec l'âge : si 10% des personnes de 60 ans sont affectées, plus du quart des personnes de 85ans sont atteintes par la maladie. L'évolution est inéluctable, une fois la maladie déclarée : il n'y a pas de possibilité de rémission et aucun traitement efficace ne permet de guérir la maladie.

Les formes familiales de la maladie apparaissent à moins de 50 ans, vers 40 ans, parfois moins (15 ans, par exemple). Plus de moitié des cas précoce l'Alzheimer sont causés par ces formes familiales. Il s'agit de maladies génétiques, transmises de parents à enfant. Ces formes ne se distinguent pas des autres, si l'on met de côté l'âge ou la cause : les symptômes sont les mêmes, les conséquences sur le cerveau aussi. Il existe trois types différents identifiés de formes familiales, qui se distinguent par le gène touché : le gène presenilin 1 pour la première forme, le gène presenilin 2 pour la seconde forme et une dernière forme touchant le gène de production de l'APP. Le premier gène, le presenilin1, est localisé sur le 14e chromosome, le presenilin2 est sur le premier chromosome, alors que le gène APP est localisé sur le 21e chromosome.

La démence sémantique

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Plus spécifique, la démence sémantique entraîne une dégradation de la mémoire sémantique sans autres troubles associés. Les patients atteints conservent leur mémoire épisodique, tout en ayant une mémoire sémantique dégradée. Leur mémoire épisodique est sans troubles apparents : les patients n'oublient pas les dates de leurs rendez-vous, se souviennent des évènements de leur vie quotidienne, savent se repérer sans se perdre, etc. Par contre, le patient est atteint par des troubles du langage et des troubles de la reconnaissance des objets et des visages. Dans les grandes lignes, les patients perdent le sens des mots, ont du mal à reconnaître des objets, ne reconnaissent pas leurs proches, etc.

Le symptôme le plus marquant est que les patients ont du mal avec la signification des mots, ce qui se ressent dans l'usage de leur langage. Ils ne savent plus ce que tel ou tel mot veut dire, leur vocabulaire s'affaiblit fortement, oublient certains mots, etc. Leur langage est parfaitement fluide, les patients n'ont pas de mal à parler rapidement ou normalement, ils ne font pas plus d'erreurs de prononciations qu'avant. Leurs phrases sont grammaticalement correctes, leur syntaxe et grammaire est préservée. Par contre, ils doivent faire avec un vocabulaire beaucoup plus limité qu'avant, ce qui donne l'impression que leur langage s'est appauvri. De plus, ils ont du mal à comprendre ce qu'on leur dit, que ce soit dans la vie quotidienne ou dans des contextes différents.

Le second symptôme est l'agnosie associative, une difficulté à nommer certaines catégories d'objets, d'êtres vivants, voire de visages, qui ne sont pas causés par un déficit perceptif. Fait étonnant, ces patients ont un déficit qui n'est pas limité à certaines catégories, comme ce qu'on observe après des lésions cérébrales localisées. À la place, ils perdent leur mémoire sémantique en globalité et ont du mal à reconnaître des objets peu importe leur catégorie.

Le syndrome de Korsakof, ou démence alcoolique

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Le syndrome de Korsakof, qui provient d'une déficience de vitamine B1 (courante chez les alcooliques). Une carence en vitamine B1 entraîne une pénurie d'énergie et d'ATP dans les cellules, qui se mettent à dysfonctionner et parfois à mourir. Si le système nerveux est touché par cette déficience, il peut s'installer une démence appelée syndrome de Korsakoff, du nom de son découvreur. Son symptôme principal est une amnésie antérograde, à savoir une incapacité à mémoriser de nouveaux souvenirs ou de nouvelles connaissances alors que les savoirs et souvenirs déjà acquis sont relativement bien préservés. Outre l'amnésie, divers troubles cognitifs peuvent se manifester, que ce soit des troubles du langage (aphasie), des troubles de la reconnaissance des objets et de la catégorisation (agnosie) ou des troubles intellectuels. L'amnésie est causée par une atteinte des corps mamillaires de l'hypothalamus, et non pas une atteinte du lobe temporal médian, comme on pourrait le croire. Mais il faut dire que ces corps mamillaires sont fortement interconnectés avec le lobe temporal médian et peuvent être vus comme un point de relai avec le néocortex.

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