Spineur
Formellement, un spineur est un élément d'un espace de représentation pour le groupe spinoriel. Concrètement, il s'agit d'un élément d'un certain espace vectoriel complexe associé à l'espace de référence, typiquement l'espace euclidien ordinaire, et sur lequel les rotations (ou plus généralement les transformations orthogonales) agissent de façon spécifique. Ainsi, par une rotation d'angle variant progressivement de 0 à 360 degrés on revient d'un vecteur de l'espace euclidien à ce même vecteur ; en revanche, pour un spineur, effectuer une telle avancée de 360 degrés transforme le spineur en son opposé. Il faut poursuivre jusqu'à 720 degrés pour qu'un spineur retrouve ses coordonnées initiales.
Des images concrètes ont été proposées pour saisir comment se comporte un spineur ; l'idée générale est que faire tourner un objet « attaché » dans l'espace ambiant n'est pas la même chose que faire tourner un objet sans support. Le spin des particules en physique quantique est une propriété interne qui traduit lui aussi une information sans équivalent classique.
Les spineurs ont été introduits par Élie Cartan (-) en [1],[2],[3]. Ils ont été nommés ainsi par Paul Ehrenfest (-)[2]. Par la suite, ils ont été utilisés par la mécanique quantique : la fonction d'onde d'un fermion est représentée par un spineur de Dirac (en). Pour les particules de spin ½ (notamment l'électron), ceci est exprimé par l'équation de Dirac. Pour des particules hypothétiques de spin 3/2, c'est l'équation de Rarita-Schwinger qui s'appliquerait.
Les spineurs apparaissent dans l'une des tentatives d'élaboration d'une théorie de la gravitation quantique : dans la théorie des twisteurs.
Spineurs en dimension 3
[modifier | modifier le code]Description
[modifier | modifier le code]Les spineurs constituent un espace de représentation du groupe SU(2)=Spin(3)[4] :
- .
Un spineur d'ordre un de l'espace tridimensionnel est un couple de nombres complexes transformé en un couple par multiplication par un élément de ce groupe.
Par ailleurs, un vecteur unitaire de l'espace euclidien de dimension 3 étant donné, de composantes , et , à la rotation spatiale d'un angle autour de l'axe dirigé par on associe la matrice notée
Cette matrice définit une transformation dans l'espace des spineurs qu'on qualifie également de rotation[5]. Puisque l'angle d'une rotation euclidienne est défini modulo , à cette rotation sont en fait associées deux matrices de SU(2) : la précédente et .
Lien avec les matrices de Pauli
[modifier | modifier le code]Les matrices de Pauli donnent des générateurs infinitésimaux du groupe de Lie SU(2).
Considérons une direction quelconque dans laquelle nous aimerions observer la projection du spin : . La matrice représentant l'opérateur s'exprime dans la base :
Il est facile de trouver les valeurs propres de cette matrice (+1 et -1), ainsi que les vecteurs propres :
Il est alors aisé de voir que lors d'une rotation de le vecteur propre se transforme en son opposé. Il faut une rotation de pour laisser le vecteur propre invariant. De même pour .
Analogies courantes
[modifier | modifier le code]La torsion de la main
[modifier | modifier le code]Le système « paume de la main - épaule » donne une bonne idée de ce qu'un mouvement de rotation de 360° de la paume puisse ne pas donner de retour à l'état initial pour le système entier, alors qu'un mouvement de 720° le permet.
Pour que le mouvement physique convienne, il faut que la main reste horizontale, paume vers le haut, à tout moment. Certaines danses traditionnelles utilisent des mouvements de ce type : en Indonésie se pratiquent une danse des bougies (en), ou des assiettes (en).
Le mouvement pertinent se fait en partant bras étendu devant soi, puis en faisant tourner progressivement la main autour d'un axe vertical qui serait situé un peu en arrière du poignet. Une torsion du bras s'ensuit, mais le mouvement est possible. Après un mouvement de rotation de 360°, la position est inconfortable, avec le coude relevé, et l'ensemble du bras ne peut être considéré dans un état proche de l'initial, bien que la paume de la main soit elle revenue à sa position d'origine, sans que l'épaule ait radicalement bougé.
En poursuivant la rotation de la paume dans le même sens, au lieu de se tordre plus encore, le bras se détord complètement, et à l'issue d'un mouvement de rotation de 720° de la paume de la main autour de l'axe vertical, l'ensemble du corps est revenu à la position de départ[6].
La boucle de ceinture
[modifier | modifier le code]Une autre analogie fréquemment employée est celle d'une ceinture avec boucle. L'extrémité opposée à la boucle est supposée fixée, tandis que la boucle est mobile. Là aussi il y a une limitation sur les mouvements permis : la boucle doit rester en permanence parallèle à sa position initiale, ce qui empêche de tordre et détordre la ceinture par les mouvements les plus naturels. Dans sa position initiale, la ceinture est entortillée et il s'agit de la détordre en respectant cette contrainte.
Si la ceinture a subi un seul tour d'entortillement, il est impossible de la détordre. En revanche si la position initiale est entortillée avec deux tours complets, le mouvement est possible [7].
Algèbre de Clifford et théorie générale
[modifier | modifier le code]Notes et références
[modifier | modifier le code]- Micali 1986, § 7, p. 76.
- Taillet, Villain et Febvre 2018, s.v. spineur, p. 687, col. 2.
- Cartan 1913.
- Hladik 2008, p. 255.
- Hladik 2008, p. 96.
- Ce mouvement est décrit et illustré par exemple in Marcel Berger, Géométrie [détail des éditions], chapitre 10, section 8.3. L'auteur l'évoque sous le nom de "tour du bol de soupe".
- Illustré et commenté par Jean-Louis Basdevant : (en) [vidéo] « 2 pi rotation is not an identity », sur YouTube, (consulté le )
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- [Cartan 1913] Élie Cartan, « Les groupes projectifs qui ne laissent invariante aucune multiplicité plane », Bull. Soc. Math. Fr., t. 41, , p. 53-96 (OCLC 6941126352, DOI 10.24033/bsmf.916, zbMATH 44.0170.02, lire en ligne [PDF]).
- Jean Hladik, Pour comprendre simplement les origines et l'évolution de la Physique quantique, Paris, Ellipses, , 320 p. (ISBN 978-2-7298-3738-9).
- [Micali 1986] Artibano Micali, « Groupes de Clifford et groupes des spineurs », dans J. S. Roy Chisholm et Alan K. Common (éd.), Clifford algebras and their applications in mathematical physics [« Les algèbres de Clifford et leurs applications en physique mathématique »], Dordrecht, D. Reidel, coll. « NATO ASI / C : mathematical and physical sciences » (no 183), , 1re éd., 1 vol., XVIII-592, ill., 15,6 × 23,4 cm (ISBN 978-90-277-2308-6 et 978-94-010-8602-8, OCLC 490054271, BNF 37358001, DOI 10.1007/978-94-009-4728-3, SUDOC 005679702, présentation en ligne, lire en ligne), chap. 6, p. 67-78.
- [Taillet, Villain et Febvre 2018] Richard Taillet, Loïc Villain et Pascal Febvre, Dictionnaire de physique, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, hors coll. / sciences, , 4e éd. (1re éd. ), 1 vol., X-956, ill. et fig., 17 × 24 cm (ISBN 978-2-8073-0744-5, EAN 9782807307445, OCLC 1022951339, BNF 45646901, SUDOC 224228161, présentation en ligne, lire en ligne), s.v. spineur, p. 697 col. 2.