Qu’ont en commun Harry Potter, Isabelle Swan et Katniss Everdeen ? Tous sont des personnages de romans « young adult ». C’est principalement par le cinéma que ce nouveau « genre » littéraire s’est imposé au grand public. Cependant, la définition et l’origine de ce type de littérature demeurent souvent assez obscures, comme d’ailleurs les raisons de son succès auprès d’un large public.
Une catégorie éditoriale aux contours flous
Les jeunes lisent toujours. Il y a toujours eu des romans visant plus spécifiquement les adolescents ou les jeunes adultes, notamment des romans de formation ou d’apprentissage, Le Grand Meaulnes d’Alain Fournier inaugurant au début du XXe siècle l’intérêt récent pour la figure de l’adolescent. À partir des années 80, une littérature destinée aux adolescents émerge, publiée dans des collections spécifiques (collection R chez Robert Laffont, Territoire chez Fleuve Editions, Jeunes Adultes chez Le Livre de poche Jeunesse, Black Moon chez Hachette, Young Adult chez J’ai Lu, Pôle fiction chez Gallimard jeunesse et Big Bang chez Bragelonne… ). L’expression « young adult », vient de l’importation du genre ainsi nommé aux États-Unis. L’aspect marketing dans l’organisation et le développement du phénomène semble premier : il s’agissait clairement de toucher une nouvelle cible :les adolescents. Cela se traduit par le choix des histoires, des héros, des couvertures et actuellement, par une promotion essentiellement via les réseaux sociaux.
Quant à savoir ce qui détermine l’appartenance d’un ouvrage à cette catégorie, c’est, dans ce cas comme souvent, en premier lieu le choix de l’éditeur qui semble reposer quasiment exclusivement sur le public visé. Une étude détaillée du classement de romans en fonction de l’âge prescrit depuis la base de données Electre (base de données des livres disponibles en France, les fiches étant établies par les éditeurs) permet de distinguer des livres pour les « plus de… » 13 ans, 14 ans, 15 ans et d’autres fléchés « young adult ».
Soit les éditeurs se positionnent comme éditeurs jeunesse avec des ouvrages pour les adolescents, soit ils ont une collection « young adult » et ils donnent alors cette simple indication sans plus de précisions d’âge. Pourtant, au-delà de cette première caractérisation, ce sont ensuite les lecteurs, journalistes ou libraires qui classent certains ouvrages en « young adult » alors même que l’éditeur les avait placés parmi les ouvrages jeunesse – on pense par exemple à la série des Harry Potter, parue chez Folio Junior. Mais alors, qu’est-ce qu’un jeune adulte ?
La difficile définition du « jeune adulte »
L’inexistence de scènes érotiques explicites dans ces romans tendrait à situer le début de la tranche d’âge dans l’adolescence voire la préadolescence. Mais certains romans proches du genre « young adult » incluant des scènes érotiques explicites sont classés dans une autre catégorie, le « new adult », et sont censés viser des personnes plus âgées (plus de 18 ans).
Quant à la limite haute, rien ne permet de la situer. Quand cesse-t-on d’être un jeune adulte ? A 30, 35 ans ? La définition de cette catégorie d’ouvrages en termes d’âge, bien qu’elle semble constitutive du genre, demeure donc particulièrement floue. D’autres définitions insistent sur l’hétérogénéité du public visé qui serait composé de préados, d’ados, mais aussi d’adultes. C’est en ce sens que la série Harry Potter est parfois citée comme déterminante dans l’émergence du « young adult » : conçu pour un public d’enfants et d’adolescents, elle a fini par attirer de nombreux lecteurs de tout âge. Cela a également été le cas ensuite pour d’autres séries comme Twilight visant les adolescents, mais lues également par des adultes. Ainsi, plutôt que de se caractériser par un public très spécifique, ce genre regrouperait différentes tranches d’âge et permettrait de faire un pont entre littérature jeunesse et adulte dont la séparation structure depuis longtemps les métiers du livre (éditeurs différents, espaces séparés dans les librairies comme dans les bibliothèques). Il faut tout de même préciser que certains ouvrages se situent depuis longtemps à la croisée de ces catégories, mais cela se traduit par leur édition successive ou concomitante dans les collections jeunesse et dans des collections adultes. On peut par exemple citer Effroyables jardins de Michel Quint, publié en 2003 chez Pocket Jeunesse et en 2004 chez Folio.
Portrait littéraire
Un élément de définition se situe donc chez le public visé, jeune et moins jeune. Mais peut-on dégager des caractéristiques « littéraires » de cette catégorie, c’est-à-dire relatives à la forme et au contenu ?
Le « young adult » n’est pas à proprement parler un genre littéraire, pour la bonne raison qu’il « picore » dans tous les genres : on peut y trouver des caractéristiques empruntées aux littératures de l’imaginaire ou à la littérature réaliste. Qu’est-ce qui unifie alors un tant soit peu le contenu de ces ouvrages ?
Tout d’abord le point de vue utilisé pour raconter : écrit à la première personne ou à la troisième personne en focalisation interne, le récit donne accès aux pensées intérieures du personnage, premier et puissant moteur d’identification, c’est par exemple le cas dans Chroniques homérides : Le souffle de Midas de Alison Germain ou encore dans L’aube sera grandiose d’Anne-Laure Bondoux.
Ensuite, l’âge des personnages est celui des lecteurs cibles avec quelques variations. Ces personnages ont majoritairement entre 10 et 20 ans et qu’ils soient extravertis ou timides, les personnages principaux évoluent toujours positivement.
Leur famille est présente, mais le plus souvent le personnage est orphelin ou séparé de sa famille, ou simplement en conflit avec elle. Enfin on peut remarquer la présence assez marquée de personnages féminins sans doute parce que le lectorat est majoritairement composé de filles et de femmes, mais aussi parce que les auteurs de ce type d’ouvrages sont également très souvent des femmes.
Le cadre spatio-temporel y est très divers : si l’histoire se déroule sur Terre, elle est souvent située dans un cadre plutôt américain, plus rarement en Europe (beaucoup de titres sont traduits de l’américain Twilight, Nos étoiles contraires, Divergente, Hunger Games pour n’en évoquer que certains parmi les plus célèbres). Les espaces de la narration sont souvent petits et isolés des grandes villes. Mais les lieux peuvent être totalement fictifs et présenter un monde imaginaire, parfois assez complexe (comme dans la série La passe-miroir de Christelle Dabos).
Le récit peut se dérouler indifféremment dans le futur, le passé ou à l’époque contemporaine. Les références culturelles utilisées (classiques de la littérature, cinéma, musique…), renvoient toutes à une culture « scolaire » ou aux autres modes de divertissements des adolescents : dans A good girl de Amanda K. Morgan, on trouve des références à Victor Hugo et à Shakespeare, mais aussi au jeu vidéo Call of duty. Si les intrigues peuvent être variées, le fil est toujours le même : les expériences ou aventures du personnage sont souvent des « premières fois » (entrée au lycée, premières amitiés, premières amours). Puis schématiquement, on trouve des histoires où les personnages tentent de survivre dans un monde dévasté, ou plus modestement, de surmonter une épreuve plus individuelle (le handicap, le coming out), ou sont en quête de leurs origines : dans Aristote et Dante découvrent les secrets de l’univers de Benjamin Alire Sàens, Aristote découvre et assume peu à son homosexualité. Jacob, dans Miss Peregrine et les enfants particuliers, décide d’aller à la recherche d’une île au Pays de Galles, où son grand-père, juif polonais qui vient de mourir, a été envoyé pendant la guerre par ses parents pour le protéger de la menace nazie.
Enfin, le style est simple. Les dialogues abondent, le vocabulaire est courant ; si les constructions narratives peuvent être un peu recherchées (alternance de points de vue par exemple), les œuvres ne témoignent, à quelques exceptions près, d’aucune recherche esthétique particulière.
Les raisons du succès
Dans L’effet-personnage dans le roman, Vincent Jouve étudie la réception du personnage par le lecteur : il est considéré tantôt comme « personnel » au service du projet sémantique ou esthétique de l’auteur, comme personne (c’est l’effet le plus répandu) et/ou comme prétexte pour vivre des expériences déjantées. Pour ces deux derniers effets, l’accès à l’intériorité du personnage, les thèmes comme l’amour, la mort, le rêve et la présence d’un système de valeurs auquel peut adhérer le lecteur, sont de puissants moteurs si ce n’est d’identification, du moins de grande proximité.
Pour les lecteurs adolescents, le « young adult » réunit tous les éléments favorisant l’identification : l’accès à l’intériorité du personnage, les thèmes de l’enfance, de l’amitié, mais aussi du rêve et des souffrances endurées et enfin des valeurs qui rejoignent celles de l’adolescent et qui peuvent exalter une forme de courage.
Tout est fait pour que le lecteur semble voir de vraies personnes évoluer sous ses yeux.
Mais un autre ressort est utilisé, qui va plus loin que l’identification : l’adolescent va vivre par procuration des expériences qu’il n’est pas autorisé à expérimenter dans la réalité. Les personnages peuvent avoir des pouvoirs surnaturels, certains « dominent » les autres, des scènes de violence parfois très dures sont fréquentes. Qu’y a-t-il de plus fascinant pour un lecteur adolescent qu’un personnage qui a la maîtrise de ses émotions, des autres, de ses parents, là où dans la vraie vie tout flotte ? Ainsi, le « young adult » offre un terrain d’évasion, mais aussi de travail identitaire, le lecteur chaussant le temps de la lecture des identités virtuelles, souvent héroïques, mais qui ne sont pas dépourvues d’intérêt pour celui qui essaie de maîtriser sa propre vie.
Le fait qu’il soit lu par des jeunes – on lira avec intérêt le court essai de Laurent Bazin sur la littérature « young adult », où il analyse notamment l’intérêt des adolescents pour ce type de littérature à partir de concepts empruntés à la psychologie du développement et à l’anthropologie de l’imaginaire – et on le comprend, par des moins jeunes, nous questionne davantage. Nous faisons l’hypothèse que cette littérature est une forme de littérature populaire d’aventure. En effet, le « young adult » a toutes les caractéristiques d’une littérature « consentante », à savoir une « littérature qui consent à occuper la place que la société préfère généralement lui accorder, celle d’un art d’agrément voué à l’exercice de l’imaginaire romanesque et aux délices de la fiction ». Elle ne déconcerte pas le lecteur, ni dans sa forme, ni dans son contenu, et si message il y a, il est le plus souvent une invitation à tolérer la différence et à s’assumer. Si on ne s’en tient pas au sens initial et restrictif de « littérature s’adressant à un lectorat socioculturellement défavorisé », la littérature dite populaire fait la place belle aux personnages, et ceux-ci sont approfondis et mis en valeur par les « séries » qui sont la norme dans ce type de romans souvent en plusieurs tomes.
Enfin si on peut cerner aussi la littérature grand public via les effets qu’elle produit et notamment à travers la relation du lecteur au personnage en favorisant proximité, identification voire vie par procuration, le « young adult » remplit les conditions.
Une littérature populaire d’évasion
Une autre hypothèse permet d’expliquer le succès de ces romans auprès des adultes : de très nombreux titres sont issus des littératures de l’imaginaire, à savoir des romans fantastiques, de fantasy ou de science-fiction y compris les dystopies et les romans d’anticipation.
Bien sûr, il existe des romans de science-fiction et de fantasy à destination d’un public adulte, mais les best-sellers du genre découlent souvent d’une adaptation (à de rares exceptions près) : Le seigneur des anneaux – les films de Peter Jackson ont permis l’explosion des ventes du roman, qui connaissait déjà un beau succès – La servante écarlate, Le trône de fer… Or, parmi les films de science-fiction qui ont rencontré un succès important, suffisant pour faire vendre les livres dont ils sont tirés, on compte de nombreuses adaptations de romans young adult (Divergente, Hunger Games, Twilight, Le Labyrinthe, Percy Jackson, Sublimes créatures, Eragon, Les chroniques de Spiderwick, Miss Peregrine et les enfants particuliers, sans parler d’Harry Potter).
Les romans ou les BD (on pensera notamment aux superhéros Marvel ou DC Comics eux-mêmes à destination des adolescents) qui racontent des histoires de SF/fantasy à destination des jeunes gens semblent de bonnes bases d’adaptations pour des blockbusters. Films à succès, ils touchent un public large, bien au-delà des jeunes, et incitent à la lecture des livres dont ils sont issus.
Littérature de divertissement, dont l’action se situe souvent dans des mondes imaginaires, récits d’aventures permettant au lecteur consentant de vivre par procuration, les romans « young adult » viendraient remplir un vide mal comblé par les publications destinées aux adultes où ce type de récits est sous-représenté.
Ils sont aussi mis en avant par leurs adaptations (et les univers transmédiatiques s’y rattachant comme c’est par exemple le cas pour Harry Potter ou Twilight) qui les font connaître bien au-delà des librairies. Ainsi, pour les adultes qui les lisent, ces romans deviennent des outils de loisirs et d’évasion offrant le temps de quelques pages l’oubli du quotidien à ceux qui s’y plongent. Cette littérature remplit sa fonction : elle raconte une histoire… Si l’on ne peut généraliser et dire que c’est une littérature populaire (certains ouvrages sont tout de même d’une grande complexité comme la série de La Passe-Miroir de Christelle Dabos) on peut affirmer qu’elle est très populaire.
Nous remercions les deux groupes d’étudiantes en DUT Métiers du livre (promotion 2017-2019) qui ont, grâce à leur projet tutoré consacré à la littérature Young Adult, suscité la rédaction de cet article.