Le mythe Néron
La fabrique d'un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Laurie Lefebvre
DOI : 10.4000/books.septentrion.37662
Éditeur : Presses universitaires du Septentrion
Lieu d'édition : Villeneuve d'Ascq
Année d'édition : 2017
Date de mise en ligne : 14 juin 2019
Collection : Archaiologia
ISBN électronique : 9782757428023
http://books.openedition.org
Édition imprimée
ISBN : 9782757417294
Nombre de pages : 364
Référence électronique
LEFEBVRE, Laurie. Le mythe Néron : La fabrique d'un monstre dans la littérature antique ( Ier-Ve s.). Nouvelle
édition [en ligne]. Villeneuve d'Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 2017 (généré le 25 juin
2019). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/septentrion/37662>. ISBN :
9782757428023. DOI : 10.4000/books.septentrion.37662.
© Presses universitaires du Septentrion, 2017
Conditions d’utilisation :
http://www.openedition.org/6540
Le mythe Néron
La fabrique d’un monstre dans la littérature antique
(Ier-Ve s.)
Dans l’imaginaire collectif, Néron est à jamais
figé dans la posture du tyran dépravé, meurtrier,
incendiaire : un mythe s’est forgé, éternel et
persistant. C’est précisément cette mythologie
que l’auteur se propose de décoder.
Car parallèlement à l’effacement des traces
visibles de la mémoire du prince, les auteurs
antiques, tant païens que chrétiens, se sont
employés à reconstruire son histoire, jusqu’à ce
que Néron, dépouillant son enveloppe d’individu
historique, devînt une figure emblématique,
incarnation de la tyrannie et de la monstruosité
elles-mêmes.
Enquête sur les codes philosophiques,
rhétoriques ou littéraires qui ont contraint
la réécriture de l’histoire du dernier Julioclaudien, l’ouvrage se propose aussi de suivre les
mutations de cette figure au cours de l’Antiquité,
au gré des erreurs de lecture, des confusions,
des manipulations narratives ou des tentatives
d’adaptation de la geste néronienne aux
préoccupations du temps.
Toute une mythographie se fait jour.
Agrégée de Lettres classiques
et docteur de l’Université de Lille,
Laurie Lefebvre
enseigne la littérature française,
le latin et le grec. Ses recherches
portent essentiellement sur
l’historiographie antique
et notamment la rhétorique
du discours historique.
ISBN 978-2-7574-1753-9
ISSN-L 2103-5458
Néron, Auguste Rodin
Fondation John Stewart Kennedy, 1910
© Metropolitan Museum
maquette de couv. Nicolas Delargillière
28 €
La collection
Archaiologia
est dirigée par
Arthur Muller
Cet ouvrage est publié après l’expertise éditoriale du comité
Temps, Espace et Société
composé de :
Frédéric Attal, Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis
Xavier Boniface, Université de Picardie - Jules Verne
Alban Gautier, Université du Littoral Côte d’Opale
Jean Heuclin, Université Catholique de Lille
Hervé Leuwers, Université de Lille 3 Sciences Humaines et Sociales
Michel Leymarie (coord.), Université de Lille 3 Sciences Humaines et Sociales
Arthur Muller, Université de Lille 3 Sciences Humaines et Sociales & IUF
Chantal Petillon, Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis
Judith Rainhorn, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne & IUF
François Robichon, Université de Lille 3 Sciences Humaines et Sociales
Emmanuelle Santinelli, Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis
Arnaud Timbert, Université de Lille 3 Sciences Humaines et Sociales
Béatrice Touchelay, Université de Lille 3 Sciences Humaines et Sociales
Jérôme Vaillant, Université de Lille 3 Sciences Humaines et Sociales
Les Presses Universitaires du Septentrion
sont une association de sept universités :
• Université de Lille 1 Sciences et Technologies,
• Université de Lille 2 Droit et Santé,
• Université de Lille 3 Sciences Humaines et Sociales,
• Université du Littoral – Côte d’Opale,
• Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis,
• Université Catholique de Lille,
• Université Picardie Jules-Verne.
La politique éditoriale est conçue dans les comités éditoriaux.
Cinq comités et la collection « Les savoirs mieux de Septentrion »
couvrent les grands champs disciplinaires suivants :
• Acquisition et Transmission des Savoirs,
• Arts et Littératures,
• Savoirs et Systèmes de Pensée,
• Temps, Espace et Société,
• Sciences Sociales.
Publié avec le soutien
de la Communauté d’universités et d’établissements Lille Nord de France
et de la Région Hauts-de-France.
© Presses Universitaires du Septentrion, 2017
www.septentrion.com
Villeneuve d’Ascq – France
Toute reproduction ou représentation,
intégrale ou partielle, par quelque procédé
que ce soit, de la présente publication, faite
sans l’autorisation de l’éditeur est illicite
(article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle) et constitue une contrefaçon.
L’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue
auprès du Centre Français d’Exploitation du Droit de Copie (CFC) 20 rue des
Grands-Augustins à Paris.
Laurie Lefebvre
Le mythe Néron
La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Publié avec le soutien
de l’École Doctorale Sciences de l’Homme et de la Société,
Université de Lille Sciences Humaines et Sociales,
et du Centre de recherche Histoire, Archéologie et Littérature des Mondes Anciens
(HALMA - UMR 8164)
Presses Universitaires du Septentrion
www.septentrion.com
2017
Politique de diffusion des livres numériques
aux Presses Universitaires du Septentrion
Les Presses Universitaires du Septentrion mettent à la vente les livres
numériques sur leur site internet sans appliquer de DRM (Digital Rights
Management), ceci afin de ne pas réduire les usages de ses lecteurs. Leurs livres
numériques n’en restent pas moins soumis au droit d’auteur.
En conséquence, les Presses universitaires du Septentrion demandent à
leurs lecteurs de ne pas diffuser leurs livres numériques sur des plates-formes de
partage ni de procéder à de multiples copies privées (> 5).
La violation des droits d’auteurs est constitutive du délit de contrefaçon
puni d’une peine de 300 000 euros d’amende et de 3 ans d’emprisonnement (CPI, art. L. 335-2 s.).
Le code de la propriété intellectuelle entend par contrefaçon tous les
actes d’utilisation non autorisée de l’œuvre.
La loi incrimine au titre du délit de contrefaçon :
• « toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque
moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de
l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi » (CPI, art.
L. 335-3).
• « le débit [acte de diffusion, notamment par vente, de marchandises
contrefaisantes], l’exportation et l’importation des ouvrages “contrefaisants” » (CPI, art. L. 335.2 al. 3).
Source : http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/
protection.htm.
Pour plus d'informations, consultez le site internet des Presses Universitaires
du Septentrion www.septentrion.com.
À Jérôme,
À mes enfants.
7
Table des matières
Introduction ............................................................................................... 11
Chapitre premier. Archéologie de la légende ................................................19
Les sources principales ..................................................................................................20
Les premiers jalons ........................................................................................................ 25
La période antonine .......................................................................................................35
L’émergence du point de vue chrétien (IIe – IIIe s.) ............................................... 38
Du IVe siècle au début du Ve : la perspective païenne ............................................45
Du IVe siècle au début du Ve : la perspective chrétienne ........................................51
Chapitre deux. Les mutations du monstre ....................................................61
Une figure à géométrie variable .................................................................................. 61
Les fluctuations de la légende ......................................................................................69
Schématisation et passage au type .............................................................................. 85
Chapitre trois. Néronologie structurale, I. Néron l’anti-princeps ................. 95
Une cité sans prince....................................................................................................... 95
L’empereur citharède ...................................................................................................112
Néron et le scandale de la domus aurea ................................................................... 122
Chapitre quatre. Néronologie structurale, II. Néron l’anti-pater................. 139
Les martyrs du tyran ....................................................................................................139
L’incendie de Rome ..................................................................................................... 155
La période Néron ou l’agonie d’un monde ............................................................ 167
Chapitre cinq. Tyrans en série .................................................................... 181
Geste néronienne et épisodes topiques ....................................................................181
Sur les traces des ennemis de Rome .........................................................................190
Néron et les criminels tragiques................................................................................ 219
9
Chapitre six. Le paradigme Néron..............................................................229
Néron l’hyperbarbare, ou l’émergence d’un contre-modèle absolu ..................229
L’instrumentalisation de la figure de Néron ......................................................... 247
Conclusion générale ................................................................................. 267
Annexe 1 : Crimes et travers imputés à Néron à travers les siècles.................273
Annexe 2 : Les récits tardifs de la fin de Néron : tableaux comparatifs..........283
Annexe 3 : Arbre généalogique de Néron ................................................... 287
Annexe 4 : Textes antiques ........................................................................ 289
Bibliographie ............................................................................................ 317
Index nominum ..........................................................................................351
Index locorum ........................................................................................... 357
Introduction1
Dans son Panégyrique pour le quatrième consulat d’Honorius, récité à Milan en
janvier 398 ap. J.-C., Claudien, poète officiel de l’empereur, place dans la bouche
de Théodose, que l’auteur imagine en train d’apprendre à son fils Honorius l’art
d’être prince, les mots suivants :
« Les annales disent les crimes des anciens :
la tache en restera fixée. Qui ne condamne à travers les siècles
les monstruosités de la maison des Césars ? Qui ignorera les cruels
meurtres de Néron, le répugnant rocher de Caprée,
possession d’un vieillard impur ? » (Claud., IV Cons. Hon. 311-3152)
Ces mots, écrits au crépuscule du IVe siècle de notre ère, illustrent deux
points. Par le choix que le poète opère parmi les membres de la famille des Césars,
dont il ne retient que Tibère et Néron, ils démontrent d’une part la place fondamentale que ce dernier avait fini par acquérir au sein de l’imaginaire antique.
D’autre part, en affirmant l’unanimité et la pérennité de la condamnation du
dernier empereur julio-claudien, ils prennent acte du succès de la vaste entreprise de dénigrement lancée quelques siècles plus tôt à son encontre : à l’aube
du Ve siècle, Néron est, pour tous, une monstruosité, un portentum. Les vers de
Claudien réalisent ainsi la menace formulée, en 100 ap. J.-C., par Pline le Jeune
dans le Panégyrique de Trajan :
« C’est pourquoi moi, César, je considère comme égale à toutes tes autres
faveurs, comme supérieure même à beaucoup d’entre elles, la possibilité qui
nous est offerte à la fois de châtier chaque jour, pour les crimes passés, les
1.– La présente étude est issue d’une thèse de doctorat en langues et littératures anciennes
soutenue en novembre 2009 à l’Université Charles de Gaulle Lille 3 et dirigée par les professeurs A. Deremetz et J. Desmulliez ; qu’ils soient ici remerciés pour leurs remarques et
conseils, ainsi que les membres du jury de soutenance.
2.– Voir aussi Claud., Eutr. II 58-63. Toutes les traductions, sauf précision contraire, sont les
nôtres.
11
12
Laurie Lefebvre
mauvais empereurs et d’avertir par cet exemple ceux à venir qu’il n’y a pas de
lieu, pas d’époque où les mânes des princes funestes échappent aux exécrations
de la postérité. » (Plin., Pan. 53, 53)
Entre cet extrait, où Pline le Jeune condamne les tyrans à l’anathème, et le
passage où Claudien, exposant en quelque sorte le résultat de la mise en œuvre
de cette menace, atteste la flétrissure irrévocable du souvenir de Néron, trois
cents ans environ se sont écoulés. Trois cents ans au cours desquels le personnage
de Néron a été attaqué, noirci, ridiculisé, jusqu’à ce qu’il devînt une icône tyrannique sans égal, un monstre inouï, et qu’il passât dans le domaine de la légende.
La recherche moderne est, en effet, unanime pour déclarer qu’il existe un
écart important voire considérable entre le parricide, l’incendiaire et l’artiste
frivole dont les textes antiques ont brossé le portrait et la réalité historique :
à maints égards, la vie de Néron, telle que l’ont racontée les auteurs antiques,
est plus proche de la fiction que de l’histoire. Les titres choisis, ces cinquante
dernières années, par les auteurs de biographies de Néron, tels que Nero. The Man
and the Legend de J. Bishop, Nero, Reality and Legend de B. H. Warmington
et The Man behind the Myth de R. Holland4, sont tout à fait représentatifs du
regard sceptique que les historiens portent de nos jours sur les récits antiques
relatifs à Néron.
Au XVIIIe siècle, déjà, Diderot s’interrogeait : « Tibère, Caligula,
Claude, Néron, ont-ils été coupables de toutes les scélératesses dont on les
accuse ? Surtout la peinture des infamies clandestines de leur palais n’a-t-elle
point été chargée ? […] Mais que nous importe ? Les crimes imputés sont une
partie du châtiment légitime des crimes commis5 ». Plus tard, en 1906, le savant
E. Bacha, dans son ouvrage intitulé Le Génie de Tacite, postulait que les Annales
ne sont qu’une série d’inventions et de mensonges habilement présentés par
Tacite comme des faits vrais. Les crimes imputés au dernier Julio-claudien ont
commencé à paraître trop monstrueux pour être vrais.
Diverses tentatives de réhabilitation de la figure de Néron ont alors été
menées : la plus radicale, et la plus critiquée, est sans aucun doute celle de
J.-C. Pichon, qui, dans son Saint Néron paru en 1961, fait du dernier Julioclaudien un empereur converti au christianisme par Paul ; vingt ans plus tard,
J. Wankenne publiait un article intitulé « Faut-il réhabiliter l’empereur
Néron ? », où le chercheur, sans pour autant excuser le prince en tout point,
insiste néanmoins sur les mesures louables prises par ce dernier6. Les romanciers se sont fait l’écho de ces réhabilitations totales ou partielles du dernier
Julio-claudien : l’ouvrage Néron, le poète sanglant de D. Kosztolányi, paru
en 1921, et, plus récemment, le roman au titre évocateur publié par F. Xenakis
3.– Voir aussi Plin., Pan. 55, 9 : « Un homme n’est pas plus tôt prince qu’aussitôt sa renommée –
sera-t-elle bonne ou mauvaise ? – est du moins éternelle » (trad. M. Durry).
4.– Bishop 1964 ; Warmington 1969 ; Holland 2000. Voir aussi les titres choisis par
M. Fini (Nerone. Duemilia anni di calunnie, 1993) et de C. Aziza (Néron, le mal aimé de
l’Histoire, 2006).
5.– Diderot 1782, p. 223.
6.– Wankenne 1981, p. 135-152.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
13
en 2001, Maman, je veux pas être empereur, donnent tous deux de Néron
l’image touchante et pathétique d’un jeune garçon sensible et incompris
embarqué contre son gré dans la tourmente de la politique. Un nouveau mythe
a chassé l’autre.
Ces diverses tentatives de réhabilitation et l’existence d’un débat autour de la
figure de Néron sont autant de formes d’attestation des difficultés que pose son
analyse. De manière générale, les historiens ont montré que la plupart des récits
antiques relatifs à Néron procèdent de déformations des faits ; que les raisons et
les modalités de la « révolution culturelle » voulue par ce prince ont été effacées
ou altérées ; qu’il est possible de donner, à ce qui est présenté dans la littérature
latine et grecque comme des crimes sans nom, une interprétation plus honorable
et une justification, qu’elle soit politique ou religieuse.
L’étude de la légende de Néron, entendue au sens de repérage et d’analyse
des éléments fictifs contenus dans les portraits posthumes de l’empereur, a ainsi
intéressé, en premier lieu, les historiens, qui, frappés du caractère particulièrement effroyable des descriptions que la littérature antique nous a laissées de
ce dernier, ont tenté de démêler le vrai du faux et de retrouver, derrière l’écran
des calomnies, la réalité de son règne et de sa personnalité – travail compliqué
par le fait que Néron était déjà une légende de son vivant. C’est dans cette
optique, initiée à la fin du XIXe s. par H. Schiller et A. H. Raabe7, que s’inscrivent notamment les travaux d’E. Cizek, de M. Griffin et, en dernier lieu,
d’E. Champlin8, dont les études ont visé à définir qui était ou ce qu’avait fait,
véritablement, le dernier prince de la dynastie julio-claudienne.
Ces travaux, tout en intéressant la question de la légende de Néron, n’en
faisaient cependant pas spécifiquement leur objet : cette légende ne constituait
alors qu’un constat de départ légitimant le travail de reconstruction de la vie de
Néron mené dans ces études. Depuis ces vingt dernières années, toutefois, les
savants s’intéressent, de plus en plus, non pas à ce que cache le voile qui recouvre
la réalité du règne de Néron, mais à ce voile lui-même : Néron permettait en effet
aux historiens antiques de déployer tout leur art de la rhétorique, et ils ne se sont
pas privés de le faire. Les analyses magistrales d’A. J. Woodman sur certains
passages des livres néroniens des Annales de Tacite9, en examinant la manière
dont l’historien latin a construit son récit, en révélant les modèles littéraires
dont il s’est inspiré, en montrant les effets produits par son texte, ont, au début
des années 1990, ouvert la voie aux travaux consacrés aux modalités de fonctionnement du travail méthodique de dénigrement et de diffamation entrepris par
les historiens antiques à l’encontre de Néron.
En 1994, J. Elsner et J. Masters publiaient un recueil d’articles, Reflections
of Nero : Culture, History and Representation, envisageant, dans une perspective
anthropologico-littéraire, la façon dont les portraits de Néron ont été construits,
7.– Schiller 1872 ; Raabe 1872. Voir aussi Henderson 1903.
8.– Cizek 1972 ; Cizek 1982 ; Griffin 2002 [éd. originale 1984] ; Champlin 2003.
9.– Woodman 1992, p. 173-188 ; Woodman 1993, p. 104-128. Dans la suite de l’étude, nous
citerons ces deux articles dans leur réédition au sein du recueil Tacitus Reviewed publié par
A. J. Woodman en 1998.
14
Laurie Lefebvre
en se limitant à quelques exemples précis. La même année, le cinquième
colloque de la Société Internationale d’Études Néroniennes, intitulé Néron :
histoire et légende, faisait une large place à l’analyse de l’image du dernier Julioclaudien dans l’historiographie antique, dans la perspective d’une réflexion plus
générale sur la mise en récit de l’histoire10. Dernièrement, D. Grau soulignait
la nécessité d’envisager le cas Néron comme une « construction historique et
rhétorique11 ». À cela s’ajoutent les nombreux travaux qui ont été menés sur
la narration tacitéenne12 et qui, en analysant la façon dont Tacite a organisé sa
matière, le caractère tendancieux de sa présentation des faits, la construction de
ses personnages en fonction de types, ont contribué à préciser nombre d’aspects
du travail effectué par l’auteur des Annales sur l’image de Néron.
C’est dans la lignée de ces travaux, généralement centrés sur certains motifs
particuliers et quelques œuvres précises (parmi lesquelles les Annales de Tacite
figurent en bonne place), que nous avons voulu, de façon systématique et à partir
d’un corpus littéraire exhaustif, analyser la construction et l’évolution de la figure
du monstre Néron dans l’Antiquité ou, pour reprendre le concept emprunté par
P. Ricœur à Aristote, la « mise en intrigue » de l’histoire de Néron.
Ce faisant, nous aborderons l’analyse d’un des aspects du processus d’abolitio
memoriae dont fut frappé, à sa mort, le dernier Julio-claudien. En 68 ap. J.-C.,
le Sénat romain déclarait Néron hostis publicus ; corollairement, la mémoire de
l’empereur déchu était condamnée13. Cette condamnation s’est matérialisée
tout d’abord par l’effacement des traces laissées par le principat néronien et
notamment par le recours à l’érasure et au martelage des inscriptions. W. Eck
et H. I. Flower ont ainsi examiné les sorts multiples réservés aux inscriptions
et monuments portant le nom de Néron ; C. Hoët-Van Cauwenberghe
a analysé le cas des inscriptions grecques et étendu l’examen de la damnatio
memoriae de Néron aux femmes de son entourage ; E. Rosso a étudié, en
prenant l’exemple du démantèlement et de la reconversion de la domus aurea
sous Vespasien et ses fils, l’oblitération à Rome de l’héritage architectural
néronien par les Flaviens14.
Parallèlement à l’effacement des traces visibles de la mémoire de Néron,
sujet intéressant archéologues et épigraphistes, les auteurs antiques se sont
employés à reconstruire une nouvelle mémoire de Néron et à réécrire son
histoire, une histoire qui mettait en avant les crimes du dernier Julio-claudien
et réinterprétait ses actes sous un jour négatif, forgeant ainsi l’image effroyable
qui est parvenue jusqu’à nous. Comme le rappelle E. Rosso, « condamnation
10.– Croisille 1999.
11.– Grau 2015, p. 17.
12.– Par exemple Walker 1960 ; Tresch 1965 ; McCulloch 1984 ; Devillers 1994 ;
Woodman 1998.
13.– Dans le cas de Néron, la damnatio memoriae ne fut jamais officialisée ; d’ailleurs il fut
dignement enterré et demeura populaire dans la plèbe, en Orient et aussi au sein de certains
milieux dirigeants (Champlin 2003, p. 6). Il n’en reste pas moins que tous les procédés
caractéristiques de condamnation de la mémoire lui furent consciencieusement appliqués.
14.– Eck 2002, p. 285-295 ; Flower 2006, p. 197-233 ; Hoët-Van Cauwenberghe 2007a et
2008, p. 136-139 ; Rosso 2008, p. 43-78.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
15
ne signifie pas nécessairement abolition » et « l’oubli n’équivaut pas au
silence15 ». C’est à l’analyse de cette réécriture de l’histoire de Néron (histoire
qui est donc moins un récit objectif sur un individu précis envisagé dans sa
singularité qu’elle n’est la « geste » d’un antihéros et d’un antimodèle) que
sera consacrée la présente étude.
Il s’agira ainsi d’examiner comment les auteurs antiques ont procédé pour
construire et imposer au lecteur l’image d’un Néron monstre et parfait tyran.
Notre étude sera donc centrée sur la notion de moyens mis en œuvre pour
parvenir à ce but et se concentrera surtout sur l’analyse des modèles employés
par les auteurs antiques pour façonner leurs portraits du dernier Julio-claudien.
Car ces portraits ne sont pas nés de rien : ils ont emprunté leurs motifs constitutifs à d’autres récits et à d’autres figures et ont été inscrits dans diverses traditions (historiographique, rhétorique, tragique, polémique, philosophique)
qui en ont contraint la genèse et ont imposé une grille d’écriture et de lecture
des événements.
On ne peut, en effet, ne pas penser que la figure de Néron a été schématisée et
homogénéisée afin que la leçon (on serait tenté de dire « la morale ») de l’histoire soit lisible de façon immédiate. Comme le déclare Cicéron, les portraits
de grands hommes que dessinent les historiens antiques sont des exempla censés
provoquer une saine émulation chez le lecteur16 : l’historiographie antique est une
historiographie pragmatique et éducative, une collection d’exemples, qui donne
des leçons, distribue des éloges et des blâmes et informe moins qu’elle n’indique
la marche à suivre. Tout l’art de l’historien ancien consiste, pour emprunter une
expression à L. Marin, à « déplacer l’épidictique dans le narratif17 ».
Les historiens antiques, en outre, ont un « bagage ». D’une part, leur vision
des faits est imposée par l’optique de leur milieu, généralement celle de l’ordre
sénatorial dont ils sont pour la plupart issus. D’autre part, la formation rhétorique qu’ils ont reçue, les lieux communs dont leur mémoire est remplie influent
sur leur lecture et leur représentation des faits18. L’histoire, à Rome, est « un genre
littéraire dans lequel l’écrivain attache moins d’importance à l’exactitude de ses
informations qu’à la forme dans laquelle il l’exprime et à l’idéal qui l’anime19 ».
De manière générale, l’écriture de l’histoire n’est pas qu’une simple juxtaposition de faits bruts : comme tout discours, le discours historique relève
d’une stratégie narrative – sa seule véritable différence avec le discours de
fiction, souvent impossible d’ailleurs à établir avec certitude, étant que les faits
rapportés dans le discours historique sont réels ou du moins supposés l’être, ce
qui n’est pas le cas dans le discours de fiction. Ainsi les historiens sélectionnent,
adaptent, manipulent, interprètent, de manière à donner sens aux événements ;
ils procèdent, au sein de la diversité du concret, à des découpages, choisissent des
15.– Rosso 2008, p. 77.
16.– Cic., Arch. 14-15 ; Fin. V 64.
17.– Marin 1981, p. 49-51.
18.– Sur les liens entre historiographie et rhétorique à Rome, voir Wiseman 1979, p. 27-40 ;
Aubrion 1985 ; Woodman 1988 ; Plass 1988.
19.– André, Hus 1974, p. 7.
16
Laurie Lefebvre
intrigues, décident de ce qui est pertinent et pratiquent, selon le mot employé
par P. Veyne, la « rétrodiction », terme qui désigne le processus par lequel l’historien entreprend d’introduire des liens de causalité entre les faits, de remonter
de la conséquence à sa cause hypothétique20.
C’est donc comme des monuments, et non en tant que documents, et sans
(ou du moins pas prioritairement) poser la question de leur véracité, que nous
aborderons l’étude des textes antiques relatifs au dernier Julio-claudien, lesquels
illustrent parfaitement, et peut-être mieux que tout autre texte, la profonde
perméabilité entre ce que G. Genette nommait « récits fictionnels » et
« récits factuels »21.
Bien sûr, le Néron de l’historiographie antique n’est pas une simple
construction sans lien avec la réalité (d’ailleurs un lieu commun – et les
portraits de Néron en comptent beaucoup – n’équivaut pas nécessairement à un
mensonge, la réalité pouvant très bien se conformer à des topoi) : l’adhésion du
lecteur au portrait proposé par l’historien n’est possible que grâce à la présence
d’un certain nombre de faits réels ou considérés unanimement comme tels. Mais
aux événements attestés peuvent ensuite se mêler, en guise de confirmation, des
éléments partiellement voire totalement inventés sans doute, mais vraisemblables, qui vont permettre à l’auteur, s’il parvient à présenter un portrait
cohérent, d’étayer sa thèse (en l’occurrence ici l’affirmation du caractère tyrannique du principat néronien) : c’est pourquoi la détermination des raisons ayant
poussé un auteur à consigner tel ou tel fait importe au moins autant que celle de
la véracité du fait en question.
Notre étude, focalisée sur l’analyse des procédés employés par les auteurs
antiques pour démasquer le monstre en Néron, sera centrée également, comme
nous l’avons dit, sur la notion de modèle et de type : d’une part, parce que ces
auteurs ont inscrit Néron dans une série et en ont fait l’héritier de tout ce que la
pensée antique comptait alors de modèles monstrueux et tyranniques, voire la
réactualisation de nombre de souvenirs traumatisants qui hantaient leur imaginaire ainsi que l’antithèse parfaite des valeurs et des idéaux dont avait hérité
le Principat ; d’autre part, parce qu’ils l’ont érigé, en même temps, au rang de
tyran-type et, pour ainsi dire, de père fondateur d’une nouvelle lignée de pessimi
principes. Néron, au fil des siècles et des textes, a ainsi quitté son enveloppe
d’individu historique pour revêtir celle de figure emblématique, susceptible de
varier en fonction du contexte d’énonciation et de l’idéologie ambiante.
Toute analyse des portraits littéraires antiques de Néron doit répondre, par
conséquent, à deux exigences et prendre en compte deux facteurs : d’un côté,
le poids du genre littéraire dans lequel chaque portrait a été inséré et l’adaptation de la figure de Néron à la stratégie argumentative de chaque auteur ; de
l’autre, le contexte historique de production des différentes sources littéraires
analysées. Les textes relatifs au dernier Julio-claudien sont en effet révélateurs
beaucoup plus de leur époque de composition que de l’époque de Néron : les
20.– Veyne 1971, huitième chapitre.
21.– Genette 1991.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
17
évocations de celui-ci sont chaque fois le reflet des préoccupations contemporaines des auteurs, et très vite elles se verront conditionnées par des intentions
dépassant la seule représentation de sa personne et de son règne. L’étude des
moyens employés par les écrivains pour construire leurs portraits ne doit donc
pas négliger les raisons idéologiques et politiques qui ont présidé à telle ou telle
réélaboration de la figure de Néron.
La présente étude portant sur la construction et l’évolution de l’image
posthume de Néron et sur les modalités selon lesquelles l’empereur fut assimilé
à un tyran et un monstre, le corpus de sources littéraires que nous avons délimité
exclut les textes composés sous le principat néronien, tels que le De Clementia
de Sénèque ou la Pharsale de Lucain. En effet, les mentions de Néron formulées
à cette époque, dès lors qu’elles sont explicites, sont laudatives et répondent aux
règles de l’éloge du prince régnant : elles s’inscrivent donc dans une optique
différente de celle qui va nous intéresser ici. Il n’est pas impossible, bien sûr, que
les œuvres composées sous Néron aient comporté des condamnations implicites
de ce dernier : les chercheurs ont souvent vu, derrière les tyrans tragiques mis en
scène par Sénèque ou la condamnation du personnage de César par Lucain, des
critiques adressées à Néron22. Il est cependant difficile, sur ce sujet, de parvenir à
des conclusions solides : la présence de Néron dans ces œuvres ne pourrait-elle
pas résulter plutôt d’un effet de lecture postérieur à leur composition ? Il semble
donc plus sûr de ne pas considérer ces textes comme les premiers jalons de la
genèse de la légende de Néron.
Notre corpus comprend ainsi uniquement des ouvrages composés après la
mort de l’empereur. Et comme, bien que sa légende n’ait jamais cessé de s’écrire
au fil des siècles, il faut bien s’arrêter quelque part, nous avons fait le choix de clore
le corpus au début du Ve siècle de notre ère, avec Augustin, non seulement parce
qu’il est traditionnellement considéré comme l’un des derniers représentants de
la culture classique, avant la grande tourmente du milieu du Ve siècle et la substitution des royaumes romano-germaniques à l’Empire romain d’Occident, mais
aussi parce que, comme nous le verrons plus en détail, le traitement augustinien
de la figure de Néron permet de faire la synthèse des caractéristiques majeures de
l’évolution de celle-ci au fil des premiers siècles de notre ère.
À l’intérieur des bornes chronologiques ainsi définies, le corpus ici délimité
prend en compte, avec la variété générique que cela implique, l’intégralité des
évocations du dernier Julio-claudien dans la littérature latine et grecque : seront
examinés évidemment les traitements historiographiques de la figure, quel que
soit leur sous-genre (histoire de type annalistique, monographie, biographie,
abrégé, liste chronologique, histoire chrétienne), mais aussi des œuvres aussi
diverses que la tragédie prétexte l’Octavie, l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien,
le Banquet de Julien l’Apostat ou des poèmes de Stace, de Juvénal, d’Ausone
et de Prudence, soit tout l’éventail des configurations possibles de l’image
néronienne. Car ces textes, qui parfois ne mentionnent le dernier Julio-claudien
que de manière tout à fait anecdotique, sont d’une importance fondamentale
22.– Grimal 1960, p. 296-305 ; Schubert 1998, p. 15-253 ; Wolff 2003, p. 341-348.
18
Laurie Lefebvre
pour l’analyse de la légende de Néron : c’est en leur sein que l’on est souvent le
mieux à même de mesurer le passage de ce dernier du statut d’individu à celui de
type et de modèle.
Lieu d’une alliance improbable, celle du paganisme le plus conservateur et
du christianisme le plus radical, le « mythe Néron » (car, par son universalité
et son atemporelle valeur exemplaire, c’est bien d’un mythe, fondateur de notre
culture occidentale, qu’il s’agit) va ainsi nous confronter à une figure et à des
textes d’une incroyable diversité et d’une inépuisable richesse.
Chapitre premier. Archéologie de la légende
Dans ce premier chapitre, nous nous proposons de présenter les œuvres du
corpus précédemment délimité. Il ne faudra cependant pas tant y voir une
présentation exhaustive de ce que ces textes ont apporté à la construction de
la figure du monstre Néron (ce que la richesse du corpus en question rend
impossible) qu’un exposé synthétique des principaux apports de chaque œuvre
à la constitution de la légende, guidé avant tout par le souci de souligner les
problèmes méthodologiques que soulève l’étude des ouvrages sélectionnés. Car
ces problèmes sont innombrables, qu’ils concernent la délicate question de la
transmission des textes (ce que nous lisons aujourd’hui est-il exactement ce
que l’auteur avait écrit ?), celle des sources à disposition des écrivains (de quelle
documentation usèrent-ils ? La disparition d’un motif dans telle ou telle œuvre
est-elle due à une volonté consciente et délibérée de l’auteur ou à une lacune
présente dans ses sources ?), la définition du contexte de production ou encore
la prise en compte du projet littéraire des auteurs (pour qui et pour quoi l’auteur
écrivait-il ? Que cherchait-il à montrer ? Par quelle conception du pouvoir ou du
bien sa présentation de Néron est-elle sous-tendue ?).
Sans prétendre les résoudre tous (d’une part parce qu’ils sont trop nombreux,
d’autre part parce qu’on en serait réduit souvent à de hasardeuses conjectures), il
s’agira donc surtout de pointer les principaux problèmes, de manière à souligner
les précautions que nécessite l’analyse de ce type de sources : ces textes constituent en effet des modes de représentation différents et apportent des informations multiples que l’on ne peut mettre sur le même plan. Il s’agira ainsi de
proposer une « archéologie » de la légende, c’est-à-dire, selon l’emploi que
fait M. Foucault de ce terme1, d’exhumer les différents textes, en faire une
typologie précise, les mettre en relation avec d’autres, reconstituer des séries,
sélectionner enfin les éléments pertinents pour l’analyse. Le repérage des différentes strates de la légende nous permettra, dans le second chapitre, de définir
1.– Foucault 1969.
19
20
Laurie Lefebvre
les directions principales que prit celle-ci au fil des siècles et d’identifier un
certain nombre de phénomènes.
Les sources principales
Tacite et Suétone
Le contexte de production
Qui s’intéresse à Néron se penchera nécessairement sur les ouvrages de l’historien Tacite et du biographe Suétone, en quelque sorte les « références »
antiques en la matière. En l’état actuel de nos sources littéraires, les quatre
derniers livres des Annales et la section des Vies des douze Césars consacrée au
dernier Julio-claudien constituent en effet les premiers textes à avoir donné du
principat néronien une description plus ou moins exhaustive et à en avoir traité
presque tous les aspects, et ont joué un rôle assurément considérable dans le
développement de sa légende noire.
L’analyse de ces ouvrages permet à ce titre de mettre le doigt sur des phénomènes, constitutifs de la construction de la figure de Néron et de ses mutations,
que le caractère incomplet de la plupart des autres évocations du dernier Julioclaudien ne nous donnerait pas l’occasion d’examiner : c’est dans les portraits
particulièrement détaillés et stylisés de Néron que nous offrent ces œuvres que
nous sommes le plus à même de mesurer les influences diverses que la philosophie ou la rhétorique ont fait subir à ces portraits ; c’est là que nous pourrons
le mieux percevoir les procédés d’insinuation employés par les auteurs pour
orienter le jugement du lecteur ; c’est là que se manifestera le plus clairement
toute l’importance qu’il faut accorder à l’analyse des motifs considérés non
indépendamment les uns des autres, mais dans leur articulation les uns avec les
autres, car c’est souvent de ces jeux d’organisation de la matière que naît le sens
véritable de la figure de Néron.
Pour autant, ces ouvrages ne constituent pas les premiers jalons de la constitution de la légende. Ils datent en effet de la période antonine et ont été publiés
cinquante ans environ après la mort de Néron, probablement à l’extrême fin du
règne de Trajan ou au tout début de celui d’Hadrien pour les Annales ; peu après,
vers 120, pour les Vitae duodecim Caesarum. Or entre le règne de Néron et les
récits de Tacite et de Suétone, divers filtres se sont déjà intercalés, laissant place
à la déformation.
Ainsi, si l’enfance de Tacite s’est déroulée à l’époque néronienne, ce n’est
cependant pas à Rome que l’historien, né probablement en Gaule narbonnaise,
a passé ses premières années : Tacite n’a pas été témoin des crimes néroniens.
Il connaît par contre très bien Domitien, sous lequel il a rempli des fonctions
importantes, puisqu’il a été notamment préteur et quindecemuir sacris faciundis.
Or il a gardé du principat du dernier Flavien un souvenir très amer, comme le
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
21
prouvent les nombreux passages de l’Agricola où Tacite laisse éclater sa haine du
tyran2, rappelant, notamment, le carnage qu’il fit parmi les sénateurs3.
C’est donc manifestement à travers le filtre de son expérience de la tyrannie
domitienne que Tacite a décrit le principat de Néron. Il faut se souvenir, par
ailleurs, que Tacite avait rédigé ses Histoires et son Agricola avant les Annales, et
qu’il avait donc condamné la goinfrerie, la nonchalance et l’engourdissement de
Vitellius4 avant de décrire les festins interminables de Néron et sa propension
à la débauche ; qu’il avait déploré l’incendie qui ravagea le Capitole lors de
l’affrontement des partisans de Vitellius et de Vespasien5 avant de raconter
celui de 64 de notre ère ; qu’il avait dénoncé la jalousie de Domitien vis-à-vis de
l’illustration d’Agricola, sa capacité à voiler sa haine, son inclination naturelle au
mal6 avant de condamner ces mêmes travers chez Néron.
Suétone est plus jeune que Tacite d’environ une dizaine d’année : le
biographe est né après la mort de Néron, a entamé sa carrière sous Trajan et n’a
atteint le faîte de sa fortune que sous Hadrien, sous lequel il fut secrétaire ab
epistulis Latinis, a bibliothecis et a studiis, charges qui étaient d’une importance
considérable7. Il n’a donc pas, contrairement à Tacite, gravité dans l’entourage
de Domitien ; néanmoins, Suétone était adulescens et résidait probablement à
Rome au moment de la tyrannie domitienne8, dont il n’est pas impossible qu’il
ait gardé des souvenirs très clairs qui ont pu, là aussi, influer sur sa description
de Néron. Par ailleurs, il n’est pas impossible que Suétone ait cherché, dans les
Vies, à adresser des critiques ou des conseils à Hadrien9 : encore et toujours des
filtres. Enfin, de manière générale, Tacite et Suétone ont décrit Néron à travers le
prisme des valeurs sénatoriales : la grille de lecture n’est pas neutre.
Écriture annalistique et composition par « species »
Outre cette question des « filtres », dont il est malheureusement difficile de
prendre exactement la mesure, la lecture des ouvrages de Tacite et de Suétone
soulève un autre problème méthodologique, fondamental mais dont le poids
s’avère plus facile à apprécier : celui du genre littéraire.
Car si Tacite a inscrit son œuvre dans la tradition de l’histoire annalistique et
retrace donc le principat de Néron en suivant l’ordre chronologique et en faisant
alterner affaires extérieures et intérieures, Suétone, lui, est ce que les Romains
appelaient un antiquaire, un érudit, « scholasticus10 » ; la longue liste d’ouvrages
que la Souda prête à Suétone, auteur, entre autres, de traités sur les insultes, les
2.– Tac., Agr. 2 ; 41 ; 42, 4-5 ; 43, 6.
3.– Tac., Agr. 45, 1.
4.– Tac., H. II 31 ; 62 ; III 36.
5.– Tac., H. III 72.
6.– Tac., Agr. 39, 3-4 ; 41, 1 et 5 ; 42, 4.
7.– Sur les problèmes posés par la définition de ces fonctions, voir Wallace-Hadrill 1983,
p. 83-86.
8.– Voir Suet., Dom. 12, 6, où le biographe relate un incident qu’il a vu de ses yeux.
9.– Carney 1968, p. 7-24 ; Cizek 1977, p. 181-192. Contra : Bardon 1968, p. 439-444 ;
Gascou 1984, p. 773.
10.– Plin., Ep. I 24, 4. Sur Suétone et la tradition de la littérature érudite, voir
Wallace-Hadrill 1983.
22
Laurie Lefebvre
jeux grecs, les costumes ou encore les défauts physiques, font bien du biographe
un encyclopédiste dans la lignée de Varron ou de Pline l’Ancien.
Par ailleurs, quoique le sujet traité par Suétone soit le même que celui de
l’historien Tacite, la biographie suétonienne de Néron relève moins de l’histoire
proprement dite que de l’éloquence épidictique et de la tradition de l’éloge et
du blâme11. C’est ainsi que Suétone, conformément aux préceptes de certains
traités techniques relatifs à la rhétorique de l’éloge (nous y reviendrons), mêle
dans ses Vies ordre chronologique et présentation par rubriques, ou species12. En
l’occurrence, dans sa Vie de Néron, le biographe sépare les éléments positifs ou
neutres des motifs négatifs13, lesquels sont à leur tour classés par type de vices : les
débordements divers, petulantia ; la débauche, libido ; la prodigalité, luxuria ; la
rapacité, auaritia ; la cruauté, crudelitas14.
D’autre part, si Tacite ne centre pas exclusivement son propos sur la personne
de l’empereur, faisant apparaître tour à tour le Sénat, le peuple, les armées, chez
Suétone, au contraire, le princeps occupe à lui seul toute la scène. Le goût de
Suétone pour les antiquités et son érudition le conduisent, enfin, à se focaliser
sur des détails curieux que la dignité du genre de l’histoire annalistique ne
permet pas à Tacite de rapporter.
Or plusieurs conséquences intéressant l’analyse de la figure de Néron
découlent de ces constats. D’une part, on observe chez Suétone un effacement
des acteurs secondaires, ce qui va entraîner la « disparition », chez le biographe,
de certains motifs chers à Tacite, tel celui de la soumission de Néron aux
personnes de son entourage, notamment Tigellin15. D’autre part, la présentation
par rubriques adoptée par Suétone produit un écrasement de la perspective
chronologique : la juxtaposition, au début de la biographie, des commencements
prometteurs de Néron et de tous les éléments positifs de son principat incite par
exemple le lecteur à croire que ces événements se sont produits sans exception
au début du règne (ce qui n’est pas le cas) et impose dans son esprit le schéma
simplifié, et promis à une grande postérité, d’un principat ayant bien commencé
mais mal tourné16.
La composition suétonienne produit aussi un effacement du contexte qui
aurait pourtant éclairé le sens des événements17 : chaque épisode n’est conçu que
11.– J. Gascou n’a cependant pas tort, à notre sens, de qualifier Suétone d’historien au sens
moderne du terme (Gascou 1984, p. 345) : l’absence d’ornements oratoires, l’esprit
critique à l’égard des sources, le culte voué au document, le soin apporté à accumuler le plus
grand nombre de faits, sont en effet des qualités que l’on réclame à l’historien moderne. Le
contenu des Vies a en outre, indéniablement, une valeur documentaire et historique.
12.– Suet., Aug. 9, 1.
13.– Suet., Ner. 19, 5 : « Ces actes, dont les uns ne méritent aucun blâme et dont les autres sont
même dignes des plus grands éloges, je les ai réunis en un seul développement, afin de les
séparer de ses turpitudes et de ses crimes, dont je vais parler désormais. » Cf. Suet., Calig.
22, 1.
14.– Petulantia : Ner. 26-27. Libido : Ner. 28-29. Luxuria : Ner. 30-31. Auaritia : Ner. 32. Crudelitas :
Ner. 33-38.
15.– Voir infra, p. 141.
16.– Gascou 1984, p. 410-411. Sur ce schéma, voir notamment Aur.-Vict., 5, 2-3.
17.– Gascou 1984, p. 433.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
23
comme l’illustration des vices que Suétone a choisi d’énumérer, ce qui en fige la
signification et conduit parfois à des simplifications abusives. Enfin, la tendance
de Suétone à multiplier les anecdotes curieuses en les mettant, qui plus est, sur
le même plan que les événements importants amène le biographe à présenter le
dernier Julio-claudien dans des postures ridicules ou viles, ce qui fait du Néron
de Suétone, à certains égards, un personnage plus trivial que le Néron de Tacite :
on peut penser, par exemple, à la description de Néron urinant sur la statue d’une
déesse syrienne (Suet., Ner. 56) ou consacrant ses premiers soins, lors de sa préparation d’une expédition contre Vindex, à choisir des chariots pour le transport
de ses orgues (Suet., Ner. 44, 1).
Le respect par Tacite de l’ordre chronologique, la plus grande attention
qu’il accorde au contexte, sa présentation plus complexe et plus complète des
événements ne doivent pas nous amener, cependant, à penser que sa peinture du
principat néronien est, par rapport à la version suétonienne, soumise à moins
de manipulations narratives18. Nous aurons l’occasion de voir, par exemple,
que Tacite se sert de l’alternance entre les affaires extérieures et intérieures
pour suggérer l’incapacité de Néron en matière militaire ; que l’historien crée,
entre ses portraits de Tibère et de Néron, des échos qui viennent donner sens
à sa description du principat néronien ; qu’il s’attache, grâce à divers procédés
rhétoriques, à mettre en regard les épisodes fondamentaux de la geste de Néron
avec un certain nombre de traumatismes subis par les Romains au cours de leur
histoire ; qu’il efface souvent, comme Suétone, le contexte qui aurait donné sens
aux actes de l’empereur.
Dion Cassius et l’Histoire romaine
La transmission du texte
Outre les ouvrages de Tacite et de Suétone, nous possédons un autre récit détaillé
du principat néronien qui, en tant qu’il contient tous les éléments fondamentaux
de la figure du dernier Julio-claudien, nous invite à le considérer comme une des
sources principales dans l’étude de la légende noire de Néron, malgré le siècle et
demi qui sépare sa rédaction de la matrice flavienne de la légende : celui-ci est
l’œuvre de Dion Cassius, qui, dans sa monumentale Histoire romaine en quatrevingt volumes composée vers le début du IIIe siècle de notre ère, a raconté l’histoire générale de Rome depuis ses origines jusqu’au règne d’Alexandre Sévère, et
qui consacre plusieurs de ces livres à Néron.
Si ce témoignage est précieux, il n’en pose pas moins, là encore, divers
problèmes méthodologiques19. En effet, il ne nous reste plus aujourd’hui, plus
18.– Voir Gascou 1984, p. 281-293, où est pris l’exemple du récit de la mort de Claude, au sujet
de laquelle Suétone fait état de plusieurs versions (Suet., Claud. 44, 3-7) alors que Tacite,
dans sa recherche de la mise en scène, tait ce qui aurait nui à l’unité de son récit et donne
l’impression d’une tradition unique (Tac., An. XII 66-69). Cependant on assiste parfois au
phénomène inverse : Tacite avance deux traditions quant à l’inceste de Néron et d’Agrippine, ainsi qu’au sujet de la cause de l’incendie de Rome en 64, là où Suétone n’en présente
qu’une (pour les références antiques, voir, dans l’annexe 1, les tableaux 1d et 2b).
19.– Gowing 1997, p. 2560-2563. Outre les problèmes exposés ci-après s’ajoute le fait que le
découpage en livres de l’Histoire romaine est beaucoup discuté ; U. P. Boissevain, dans son
24
Laurie Lefebvre
ou moins intact, qu’environ le tiers de l’ouvrage ; nous connaissons le reste grâce
à des résumés réalisés tardivement. Or cette « perte » touche, précisément,
les livres dédiés à Néron : les volumes LXI à LXIII, qui traitent du principat
néronien, ont ainsi dû être reconstruits au moyen de l’épitomé composé par
Xiphilin et, dans une moindre part, grâce à celui de Zonaras, lesquels étaient des
moines byzantins ayant vécu respectivement au XIe et au XIIe siècles.
Nous ne pouvons donc être sûrs que nous lisons bien les mots de Dion
Cassius. En outre, nous ne possédons pas l’intégralité des éléments que l’historien avait cru bon de relater : A. M. Gowing a montré par exemple que
Xiphilin a réduit les sections que Dion Cassius consacrait à Corbulon et à ses
campagnes orientales, et qu’il tait également la réaction de Néron à l’annonce
de la révolte de Vindex20.
Bien qu’il ait été montré que Xiphilin et Zonaras avaient dû prendre peu
de libertés avec le texte de Dion Cassius21, il faut donc garder en tête que ce que
nous lisons n’est plus tout à fait le texte du sénateur romain du IIIe siècle.
Contexte historique et projet littéraire
Par ailleurs, la question du « filtre » joue, là encore, pleinement son rôle. Dion
Cassius est né d’un père sénateur, sous le principat d’Antonin le Pieux, à Nicée
en Bithynie ; lui-même admis au Sénat, Dion Cassius, devenu questeur et édile
sous Commode, fit sous les Sévères une brillante carrière22 : il fut en effet nommé
préteur par Pertinax, fut préfet de Smyrne et de Pergame à l’époque de l’usurpation de Macrin, consul à deux reprises sous Alexandre Sévère, puis proconsul
d’Afrique, gouverneur de Dalmatie et de Pannonie Supérieure, avant de se retirer
à Nicée où il mourut à une date postérieure à 230 de notre ère.
Dion Cassius s’est donc fait, comme Tacite et Suétone, le porte-parole des
intérêts sénatoriaux et a conçu son portrait de Néron à partir de la grille de
valeurs des hautes sphères de la société romaine. Comme les portraits tacitéen
et suétonien (et comme bien d’autres), celui brossé par Dion Cassius est à ce
titre sous-tendu par une certaine conception de l’optimus princeps et doit être
considéré moins comme une source objective sur le principat néronien que
comme une démonstration en négatif de ce que doit être un bon empereur :
comme l’a montré A. M. Gowing23, le portrait que Dion Cassius dresse du
dernier Julio-claudien dans l’Histoire romaine a pour fonction de démontrer
l’inaptitude totale de Néron à gouverner Rome et s’articule dans ce but autour
de trois thèmes principaux, le goût de Néron pour le théâtre, son manque de
virilité, sa médiocrité en comparaison d’Auguste.
édition parue entre 1895 et 1901, a ainsi proposé une réorganisation du texte qui en modifie
sensiblement la lecture. Pour plus de commodités nous citerons, comme la majorité des
chercheurs, le texte de Dion Cassius dans sa numérotation traditionnelle.
20.– Gowing 1997, p. 2561.
21.– Heinz 1948, p. 11 ; Millar 1964, p. 2 ; Brunt 1980, p. 489. Leurs démonstrations s’appuient notamment sur la comparaison des versions de Xiphilin et de Zonaras, qui présentent
peu de différences.
22.– Barnes 1984, p. 240-255.
23.– Gowing 1997, p. 2564-2586.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
25
D’autre part, de même que Suétone et surtout Tacite ont pu être influencés
par le souvenir de la tyrannie domitienne, de même Dion Cassius a décrit Néron
à travers le filtre de son expérience de la tyrannie de Commode et du règne des
Sévères : A. M. Gowing, notant la récurrence, dans l’Histoire romaine, du motif
des violences et des meurtres perpétrés par Néron contre les sénateurs24, considère
à ce titre que cet élément, bien que partie intégrante des récits antérieurs, devait
avoir pour Dion Cassius une résonance toute personnelle : le Sénat avait en effet
été cruellement épuré sous les Sévères25. Nous aurons l’occasion de revenir plus en
détails, dans le dernier chapitre, sur les liens que le Néron de Dion Cassius entretient manifestement avec les empereurs dont l’historien fut le contemporain.
Les premiers jalons
Les ouvrages perdus
Mais bien que ces œuvres, par leur ampleur et leur richesse, constituent notre
mine la plus féconde d’informations, ce ne sont pourtant pas là, comme nous
l’avons déjà souligné, les premiers jalons de la constitution de la légende de
Néron : c’est bien là l’un des problèmes majeurs. Nous avons en effet perdu
les ouvrages historiques, écrits sous les Flaviens, de Fabius Rusticus, de Cluvius
Rufus – qui était le moins hostile au dernier Julio-claudien et à qui nous devons
sans doute les quelques éléments neutres voire favorables contenus dans la
légende de Néron – et de Pline l’Ancien, que Tacite cite parmi ses sources des
quatre derniers livres des Annales et qui traitaient donc du principat néronien26.
Nous avons perdu également les témoignages des historiens grecs, qui étaient les
seuls écrits peut-être susceptibles d’avoir été moins défavorables à Néron, pour
d’évidentes raisons de philhellénisme.
À cela s’ajoute la perte d’ouvrages27 qui, s’ils ne devaient pas donner du
principat néronien un tableau complet et systématique, en livraient cependant
peut-être, voire sûrement, des descriptions partielles, tels les Commentarii
d’Agrippine la Jeune, ceux de Vespasien, les Mémoires de Corbulon28 ou de Titus,
la biographie de Thrasea Paetus par Q. Iunius Arulenus Rusticus, celle d’Helvidius Priscus par Herennius Senecio, ainsi que certains recueils d’exitus uirorum
illustrium, ouvrages qui racontaient les derniers moments de victimes célèbres
des empereurs et qui étaient très en vogue au début de la période antonine. De
l’abondante littérature d’époque flavienne relative à Néron (dans sa Guerre des
Juifs, écrite sous Vespasien, Flavius Josèphe déclare déjà que les crimes de Néron
sont un sujet rebattu29), il ne nous reste plus que l’Octavie du Pseudo-Sénèque,
24.– DC., LXI 5, 3-6 ; LXIII 11, 4 ; 12, 1 ; 17, 1-2.
25.– Gowing 1997, p. 2567, n. 33. Voir aussi Garnsey 1970, p. 43-49 ; p. 61-64.
26.– Tac., An. XIII 20, 2 ; XIV 2, 2 ; XV 61, 3. C’est peut-être Pline l’Ancien qui est visé par
Tacite dans An. XIII 31, 1 et XV 41, 2. Sur Fabius Rusticus, Cluvius Rufus et Pline, voir
Devillers 2003, p. 17-27.
27.– Sur le contenu possible de ces ouvrages, voir Devillers 2003, p. 34-49.
28.– Ces Mémoires sont cités par Tacite dans An. XV 16, 1-3.
29.– Jos., B. J. II 251 (« ces faits sont bien connus de tous ») ; B. J. IV 496 (« tous ces faits, je
me refuse à les exposer en détail, puisqu’ils sont connus de tous et ont été mis par écrit par
26
Laurie Lefebvre
certains passages de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien, des paragraphes de
Flavius Josèphe ainsi que quelques pièces de Martial et de Stace.
Nous ne pouvons que déplorer la perte de ces précieux jalons de la genèse
de la légende de Néron. Il convient surtout de garder à l’esprit que Tacite et
Suétone, en récupérant les matériaux contenus dans les chroniques perdues,
ont récupéré aussi les modalités selon lesquelles s’organisait, dans ces textes, la
condamnation du dernier Julio-claudien.
Les ouvrages perdus, en effet, n’étaient pas de simples enregistrements des
faits : il s’agissait, le plus généralement, d’œuvres littéraires, répondant à des
projets précis, et dans lesquelles la présentation qui était faite de Néron ne
pouvait être neutre. Fabius Rusticus était ainsi un proche des Annaei et devait
donner de Néron une image particulièrement défavorable, en tant que ce prince
avait contraint Sénèque à se suicider30. Les représentations très négatives de
Néron dont est émaillée l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien laissent à penser
que la présentation que le naturaliste faisait du dernier Julio-claudien dans son
ouvrage historique était, là aussi, très hostile à Néron31. Les Commentarii de
Vespasien, de la même manière, devaient probablement présenter Néron comme
un tyran ayant mérité sa chute voire un usurpateur, de manière à légitimer
ainsi l’arrivée des Flaviens au pouvoir et à les faire apparaître comme les dignes
héritiers de Claude.
L’entreprise flavienne de légitimation dynastique
Les œuvres composées sous les Flaviens (il en sera de même sous les premiers
Antonins) ont en effet en commun d’avoir été écrites sous des princes ayant
appuyé la légitimation de leur pouvoir sur la condamnation irrévocable de leur
prédécesseur32 : Vespasien s’est ainsi présenté comme un anti-Néron33, tout
comme plus tard Trajan se présentera comme un anti-Domitien.
Certes cela ne signifie pas que Néron ait été immédiatement et unanimement
honni : la condamnation de sa mémoire, acceptée et perpétuée par les milieux
traditionalistes et sénatoriaux (puis reprise et définitivement imposée par les
milieux chrétiens), s’est heurtée à sa grande popularité chez certains groupes.
Suétone raconte ainsi que de nombreuses personnes ornèrent longtemps son
tombeau de fleurs34 ; on sait qu’Othon et Vitellius revendiquèrent l’héritage
néronien35 ; au milieu du IVe siècle encore, soit bien plus tard, on frappait des
pseudo-monnaies, plus connues sous le nom de Contorniates, destinées à être
nombre de Grecs et de Romains ») ; A. J. XX 154 (« mais je renonce à en écrire davantage
sur le sujet : nombreux en effet sont ceux qui ont composé un ouvrage historique au sujet
de Néron »).
30.– Cizek 1972, p. 11.
31.– Schubert 1998, p. 324.
32.– Sur ce mécanisme, voir Charles 2002, p. 19-49.
33.– Sur l’interprétation des vertus célébrées sur le monnayage de Vespasien comme des références négatives au principat de Néron, voir Ramage 1983, p. 209-214.
34.– Suet., Ner. 57, 2.
35.– Voir notamment Suet., Oth. 7, 3, où Othon ouvre un crédit pour l’achèvement de la domus
aurea ; voir aussi Suet., Vit. 11, 3 ; Tac., H. I 78 ; Plut., Oth. 3, 1 ; DC., LXIV 8, 2.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
27
distribuées à l’occasion de jeux et qui font apparaître à de nombreuses reprises le
portrait de Néron, convoqué, comme cela a été montré, en tant que grand éditeur
de jeux et de spectacles et embellisseur de la ville, en lien avec l’intérêt alors
grandissant pour l’histoire de Rome, son héritage culturel et son patrimoine36.
Mais malgré l’existence de ce courant et les tentatives menées dès les lendemains de la mort de Néron pour réhabiliter la mémoire de ce dernier, c’est bien
l’image noire qui finit par l’emporter. Sous les Flaviens, l’empereur Julio-claudien
commence déjà à être assimilé à un tyran-type : dans ses Épigrammes, Martial
demande « Quid Nerone peius ? », « quoi de pire que Néron37 ? » ; déjà, dans
la Lex de Imperio Vespasiani, la sélection opérée par le fondateur de la nouvelle
dynastie parmi les empereurs du Ier siècle fait sciemment disparaître les noms de
Caligula et de Néron38.
Pline l’Ancien
Cette dénigration systématique est particulièrement sensible chez Pline
l’Ancien, ami personnel de Vespasien et auteur, entres autres, d’un important
ouvrage historique en trente et un livres connu sous le titre A fine Aufidii Bassi
et qui devait traiter longuement du principat néronien. Comme nous l’avons
déjà signalé, nous avons perdu l’intégralité de cette œuvre ; mais il nous reste
l’Histoire naturelle.
Dans l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien, le nom de Néron apparaît environ
quatre-vingt fois. Si l’on excepte le grand nombre de cas où ces mentions servent
uniquement à dater certains faits ou à situer certains personnages39, la présentation qui est faite de Néron dans cet ouvrage est presque systématiquement
négative. Pline évoque ainsi les crimes et les vices de Néron quasiment en
totalité : sont mentionnés les brigandages nocturnes de l’empereur40, sa passion
pour la conduite de char, la citharédie et les récitations tragiques41, ses travaux
de construction sacrilèges ou dispendieux42, le meurtre d’un grand nombre de
36.– Toynbee 1945, p. 115-121 ; Mazzarino 1959, p. 784-791 ; Mittag 1999, p. 190-191 ;
p. 196-197 ; p. 214. Les chercheurs ne souscrivent plus aujourd’hui à la thèse d’A. Alföldi,
lequel interprétait ces médaillons comme un moyen de propagande voilée de la part des
sénateurs païens à l’encontre des Chrétiens, et estimait que c’est donc en tant qu’incarnation par excellence d’adversaire de la foi chrétienne que Néron aurait été choisi
(Alföldi 1943).
37.– Mart., VII 34, 4.
38.– Lex de Imperio Vespasiani 25-28 (citée dans Crawford 1996, p. 552) : quaeque ex quaque
lege rogatione / diuum Aug(ustum), Tiberiumue Iulium Caesarem Aug(ustum), Tiberiumue
/ Claudium Caesarem Aug(ustum) Germanicum facere oportuit, / ea omnia imp(eratori)
Caesari Vespasiano Aug(usto) facere liceat.
39.– Plin., N. H. II 199 ; 232 ; VI 184 ; VII 71 ; VIII 22 ; XVI 200 ; 236 ; 242 ; XVII 245 ; XVIII
95 ; XIX 39 ; XXII 96 ; XXIX 9 ; 93 ; XXXIII 67 ; 164 ; XXXV 168 ; XXXVI 74 ; 163 ;
XXXVII 45 ; 118.
40.– Plin., N. H. XIII 126.
41.– Plin., N. H. XIX 108 ; XXX 14 ; XXXIII 90 ; XXXIV 166 ; XXXVII 19.
42.– Plin., N. H. IV 10 (percement sacrilège de l’isthme de Corinthe) ; XIV 61 (creusement d’un
canal en Campanie, funeste à l’économie locale) ; XXXIII 54 ; XXXIV 84 ; XXXV 120 ;
XXXVI 111 ; XXXVI 163 (domus aurea).
28
Laurie Lefebvre
personnages importants43, l’incendie de Rome44, le matricide45, la suppression
de la libertas46, l’accaparement des œuvres d’art à des fins privées47, l’apparition
continuelle de phénomènes astraux funestes48, ainsi que d’autres travers plus
anecdotiques49. Pline insiste, surtout, sur la prodigalité excessive de Néron et
son goût pour le luxe superflu, qui sont résolument les thématiques favorites du
naturaliste50. Ce dernier conclut en qualifiant l’empereur d’« ennemi du genre
humain », « hostem generis humani51 », et de « poison », « uenenum52 ».
Seules quelques actions de Néron sont rapportées de façon neutre53.
La condamnation plinienne de Néron, laquelle est peut-être le fait d’une
antipathie personnelle de la part de l’auteur54, correspond tout à fait, comme
l’a montré F. Ripoll55, à la ligne officielle : dédiée au futur empereur Titus dont
Pline fait un éloge appuyé dans sa préface, l’Histoire naturelle, où Vespasien est
présenté comme celui qui vint au secours de l’État épuisé56, est le reflet parfait de
l’idéologie flavienne et participe à l’effort d’oblitération de l’héritage de Néron
par la nouvelle dynastie, qui avait mis en place une entreprise d’effacement
des traces du principat néronien tant sur le plan politique (avec l’annulation
des acta Neronis) que sur le plan urbanistique, avec la destruction des réalisations néroniennes et notamment les transformations du complexe palatial de la
domus aurea57.
L’insistance toute particulière de Pline sur le goût de Néron pour le luxe et
sur ses extravagances dispendieuses, tout en correspondant à un cliché attaché
au tyran dans la tradition philosophique ou rhétorique, fait ainsi écho aux
mesures d’économies prises par Vespasien ; les raffinements néroniens58 sont
l’antithèse exacte de la simplicitas et de la uirilitas revendiquées par le premier
43.– Plin., N. H. VII 58 ; XVIII 35 ; XXX 15.
44.– Plin., N. H. XVII 5.
45.– Plin., N. H. XXII 92.
46.– Plin., N. H. XX 160.
47.– Plin., N. H. XXXIV 48 ; 82 ; 84 ; XXXV 120.
48.– Plin., N. H. II 92. Voir aussi XVI 236 et XVII 5 (dégénérescence végétale).
49.– Plin., N. H. XI 262 (Néron monta un char tiré par des juments hermaphrodites) ; XXVIII
238 (Néron consommait le même breuvage que les conducteurs de char) ; XXX 14-17
(passion de Néron pour la magie) ; XXXVII 29 (Néron, au moment de l’insurrection des
armées, brisa deux coupes en cristal pour toute vengeance).
50.– Plin., N. H. XII 83 ; XIII 22 ; XIX 24 ; XXXIII 54 ; 90 ; XXXIV 46 ; 63 ; XXXV 51 ;
XXXVII 17 ; 20 ; 45 ; 50 ; 64 ; 118. Le goût du luxe et la démesure sont, de manière générale,
caractéristiques du siècle de Néron tout entier (Plin., N. H. VII 129 ; XI 238 ; XIII 23 ; XVI
233 ; XVIII 7 ; XXVIII 183 ; XXXIII 140 ; XXXV 3 ; 52 ; XXXVI 195).
51.– Plin., N. H. VII 45-46.
52.– Plin., N. H. XXII 92.
53.– Voir par exemple Plin., N. H. IV 22 (libération de l’Achaïe) ; XXXIII 47 (réforme monétaire). Voir aussi VI 40 ; VI 181-184 et XII 19 ; VIII 21 ; XXXI 40 ; XXXV 91.
54.– Pline l’Ancien semble en effet avoir passé le principat de Néron dans une semi-retraite
(Ripoll 1999, p. 137) : peut-être le naturaliste a-t-il gardé rancune à Néron de cette
« pause » forcée dans sa carrière ?
55.– Ripoll 1999, p. 137-151. Voir aussi Schubert 1998, p. 323.
56.– Plin., N. H. II 18 ; voir aussi II 117.
57.– Rosso 2008, p. 43-44.
58.– Comme se parfumer la plante des pieds (Plin., N. H. XIII 22).
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
29
Flavien59 ; l’image élogieuse que Pline donne de Claude correspond à l’effort
de réhabilitation de cet empereur par la nouvelle dynastie régnante60 ; la qualification d’adsertor a Nerone libertatis que Pline applique à Vindex61 fait écho
à la formule Adsertori Libertatis Publicae que Vespasien fit frapper sur son
monnayage62. Les deux princes, Néron et Vespasien, sont d’ailleurs directement
mis dos à dos par Pline dans le passage où le naturaliste loue le second d’avoir
placé dans des édifices publics les œuvres d’art que le premier avait enfermées
dans la domus aurea63 : à la recherche néronienne de uoluptas privée s’oppose
l’idéal flavien d’utilitas publica64.
Flavius Josèphe
C’est également dans le cadre de la propagande flavienne qu’il convient de
replacer le portrait de Néron qu’a brossé Flavius Josèphe. L’historien juif, qui
est né au moment de l’arrivée au pouvoir de Caligula et a connu Néron (Flavius
Josèphe a en effet fait partie, en 64 ap. J.-C., d’une délégation envoyée à Rome
pour négocier la libération de prêtres juifs), était en effet un proche de Vespasien,
dont il passe pour avoir prophétisé l’avènement à l’Empire. Josèphe fut d’ailleurs affranchi par le premier Flavien, dont il prit le nom, et participa auprès de
lui et de Titus à diverses missions impériales à Jérusalem. Il bénéficia jusqu’à sa
mort de la faveur des Flaviens, sous lesquels il rédigea la Guerre des Juifs et les
Antiquités juives.
Ces deux ouvrages traitant des conflits qui opposèrent Romains et Juifs sous
Néron, Flavius Josèphe est amené, à plusieurs reprises, à y évoquer la figure du
dernier Julio-claudien. Certes la position de Josèphe à l’égard de Néron peut
sembler plus indulgente que celle d’un Pline : bien souvent en effet Néron est
mentionné de façon neutre, en tant que chef de l’Empire – il est celui à qui
les généraux font leurs rapports, à qui l’on amène les prisonniers, qui met en
place les gouverneurs, qui fait office de juge65 – voire sert de simple moyen de
datation66 ; comme l’a noté C. Schubert, l’auteur juif n’a assurément pas tiré
profit de toutes les occasions que son sujet lui offrait de critiquer Néron67.
C’est que la figure de Néron, est, d’une certaine manière, en dehors du champ
d’intérêt de Flavius Josèphe. Lorsqu’il s’excuse de développer si peu la vie de
Néron, l’historien se justifie ainsi par son souhait de centrer son propos sur ce
59.– Ripoll 1999, p. 139-140.
60.– Par exemple, en XXXVI 124, Pline loue le projet claudien de percement d’un canal au lac
Fucin (contra, voir Suet., Claud. 20, 3-4 et Tac., An. XII 57, où ce projet est présenté sous
un jour nettement moins favorable) et réprouve à ce titre Néron pour avoir abandonné
l’entreprise de son prédécesseur.
61.– Plin., N. H. XX 160.
62.– Ripoll 1999, p. 141.
63.– Plin., N. H. XXXIV 84.
64.– Ripoll 1999, p. 146.
65.– Jos., B. J. II 250 ; 270 ; 284 ; 309 ; 342 ; 558 ; III 3-8 ; 398 ; 401 ; 540 ; IV 440 ; 497 ; VI 422 ;
A. J. XVIII 140 ; XX 158-159 ; 182-183 ; 193-195 ; 211 ; 252.
66.– Jos., B. J. I 5 ; 20 ; 21 ; 23 ; II 284 ; 555 ; III 339 ; IV 623 ; VI 341 ; A. J. XV 391 ; XVIII 158 ;
XX 257 ; 259.
67.– Schubert 1998, p. 327.
30
Laurie Lefebvre
qui intéresse les Juifs68 ; par ailleurs Josèphe connaissait la sympathie de Poppée
pour eux69. Il sera à ce titre beaucoup moins indulgent avec Caligula, qui voulait
faire placer dans le Temple une statue à son effigie70 et dont l’historien se plaît
du coup à décrire les travers et la chute avec force détails71. La relative indulgence
de Josèphe à l’égard de Néron trouve peut-être aussi son origine dans le fait que
l’auteur juif n’a pas, contrairement à Pline l’Ancien ou à Tacite, une mentalité
de « vieux Romain »72.
Malgré cela, Josèphe s’attache bien à inscrire sa vision de Néron dans la
lignée de la vulgate officielle. C’est ainsi qu’il dénonce la mollesse de Néron, la
promotion par celui-ci des pires scélérats et évoque brièvement la conjuration
de Pison et sa répression, la fuite finale du tyran et son suicide73 ; il raconte
aussi comment les machinations d’Agrippine firent arriver Néron au pouvoir et
décrit l’évincement de Britannicus74. Or de telles critiques sont tout à fait dans
le ton de celles formulées par Pline l’Ancien – dont l’ouvrage A fine Aufidii Bassi
serait d’ailleurs la source principale des passages des Antiquités juives relatifs à
Néron75 – et ne pouvaient que plaire à la dynastie régnante.
Flavius Josèphe, surtout, constitue notre premier témoin de ce qui s’avèrera
être l’un des moteurs principaux de l’évolution de la légende néronienne, le
phénomène de schématisation. Ainsi, au livre II du Bellum Iudaicum, l’historien
fait un exposé condensé des crimes de Néron :
« Tous les actes d’insolence que Néron commit envers la fortune une fois
rendu fou par l’excès de son bonheur et de sa richesse, de quelle manière il s’en
prit successivement à son frère, à son épouse et à sa mère, à la suite desquels il
reporta sa cruauté sur les hommes de la plus noble origine, et comment à la fin
il alla, poussé par la démence, échouer sur la scène et sur le théâtre, puisque ces
faits sont bien connus de tous, je les laisserai de côté et me tournerai vers ce qui
est arrivé aux Juifs sous son règne. » ( Jos., B. J. II 250-251)
En l’état actuel de nos sources, ce texte constitue la première notice synthétique résumant les crimes néroniens et consignée par un historien76 : un canon
68.– Jos., B. J. II 251 ; IV 496 ; A. J. XX 157.
69.– Jos., A. J. XX 195.
70.– Jos., A. J. XVIII 261.
71.– Jos., A. J. XVIII 256 ; 260-261 ; 289-290 ; 303-306 ; XIX 1-161 ; 175 ; 201-211.
72.– À cela s’ajoute le fait que Josèphe souhaite, à la manière de Denys d’Halicarnasse, démontrer à ses compatriotes la supériorité et la valeur des Romains (Les Antiquités Juives, livres I
à III, éd. Nodet, p. IX) : cette volonté de laver Rome (et donc l’ensemble de ses chefs) de
toute culpabilité dans l’éclatement du conflit juif peut expliquer en partie la posture que
l’historien adopte vis-à-vis de Néron.
73.– Jos., B. J. IV 492-493 ; VI 337 ; A. J. XX 152-153.
74.– Jos., B. J. II 248-249 ; A. J. XX 149-152.
75.– Galimberti 2001, p. 63 sqq. ; p. 211 sqq.
76.– Ce qui ne veut pas dire que Flavius Josèphe ait été le premier à schématiser ainsi les crimes
de Néron. Tacite prête en effet à un contemporain de Néron impliqué dans la conjuration
de Pison, Subrius Flavus, la liste suivante : « J’ai commencé à te haïr, après que tu t’es
révélé être le meurtrier de ta mère et de ta femme, un conducteur de char, un histrion et un
incendiaire » (Tac., An. XV 67, 2).
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
31
(comprenant ici les parricides, l’élimination de l’élite romaine et les prestations
scéniques, sur fond de démesure et de folie77) est en train de se mettre en place.
Stace et Martial
Les thématiques centrales de la propagande flavienne (telles que celle de l’utilitas publica recherchée par les Flaviens) transparaissent aussi dans les évocations du dernier Julio-claudien qui parsèment les Silves de Stace, publiées sous
Domitien, et les poèmes de Martial, dont les extraits des Épigrammes et du Liber
Spectaculorum relatifs à Néron ont été écrits sous Titus et Domitien.
À l’ouverture de la troisième pièce du livre IV des Silves, Stace, célébrant
la voie à laquelle Domitien vient de donner son nom et qui relie Pouzzoles à
Rome, l’oppose ainsi à l’entreprise néronienne de percement d’un canal entre
la Campanie et le Latium, projet qui, selon le poète, n’aurait fait que frayer un
chemin à de l’eau marécageuse78. De la même manière, dans le second poème du
Liber spectaculorum, publié en 80 ap. J.-C., Martial fait l’éloge de la politique
urbanistique des Flaviens, auxquels le poète sait gré d’avoir démantelé l’odieuse
domus aurea. C’est en outre peut-être au thème du soin que les Flaviens prirent
de Rome et de son urbanisme qu’il faut rattacher la mention, par Stace, de
l’incendie de l’Vrbs par Néron79.
D’autres éléments caractéristiques de la condamnation de Néron telle qu’elle
avait été voulue par les Flaviens et transmise par Pline l’Ancien se laissent déceler
dans les Silves de Stace et les Épigrammes de Martial. Ainsi, l’articulation de la
condamnation de Néron à la célébration de ses victimes, thème cher à Pline80,
apparaît aussi chez Martial et chez Stace, qui évoquent tous deux le meurtre
d’Agrippine81 et commémorent surtout la mémoire de Lucain, dans des poèmes
de circonstance écrits à la demande de Polla Argentaria, la veuve du jeune
poète, à l’occasion de la fête donnée en l’honneur du jour de la naissance de
ce dernier82. Martial, dans l’Épigramme VII 45, célèbre d’autre part le courage
de Q. Ovidius, qui osa accompagner son ami Caesonius exilé par Néron. Stace
et Martial appliquent à ce titre les épithètes ferus et dirus à Néron83. De façon
analogue, Turnus, satiriste évoluant à la cour de Domitien, évoque l’empoisonnement, par Locuste et pour Néron, des descendants d’Auguste84.
Les Épigrammes de Martial reprennent d’autre part le thème, cher à Vindex
et Galba85 et surtout à Vespasien (qui, on l’a vu, apparaissait sur les monnaies
77.– Le motif de la démence ne sera pas repris dans les canons ultérieurs (Schubert 1998,
p. 340). On ne retrouve cet élément que chez Plutarque (Ant. 87, 9) et Eusèbe de Césarée
(Hist. eccl. II 25, 2).
78.– Stat., S. IV 3, 1-8 (sur ce passage, voir infra, p. 107).
79.– Stat., S. II 7, 60-61 (sur ce passage, voir infra, p. 157).
80.– Voir supra, p. 27-28.
81.– Stat., S. II 7, 118-119 ; Mart., IV 63.
82.– Stat., S. II 7, 58 ; 100 ; 104 ; Mart., VII 21.
83.– Stat., S. V 2, 33 ; Mart., Spect. XXVIII 11.
84.– Vers, malheureusement corrompus, cités dans Schol. Juv. I 71 (Fragmenta poetarum latinorum, éd. Blänsdorf, p. 336) : ex quo Caesareas suboles Lucusta cecidit, / horrida cura sui
uerna † nota Neronis.
85.– Ripoll 1999, p. 141.
32
Laurie Lefebvre
comme l’adsertor libertatis), de la liberté retrouvée suite à la mort de Néron :
c’est ainsi que Martial désigne l’année 68 comme la « grande année sacrée où le
monde fut affranchi », « ingentem… annum / … adserto qui sacer orbe fuit86 ».
Les portraits de Néron que nous ont laissés Martial et Stace correspondent donc,
eux aussi, à la ligne officielle.
L’Octavie du Pseudo-Sénèque
La question de la date et de l’auteur de la pièce
Parmi les premiers jalons de la genèse de la légende de Néron se trouve un ouvrage
relevant d’un genre bien particulier, et particulièrement stylisé : l’Octavie, seul
exemple intégralement conservé de la tragédie prétexte, dont, comme on sait, le
sujet était tiré non de la mythologie, mais de l’histoire romaine.
La datation de cette pièce ainsi que la détermination de son auteur ont
posé et posent encore de nombreux problèmes. L’insertion, dans certains
manuscrits, de cette pièce parmi les tragédies de Sénèque a fait que l’Octavie a,
pendant longtemps, été considérée comme de la main du célèbre philosophe et
précepteur de Néron. Les chercheurs, s’appuyant notamment sur la description
prophétique, par Agrippine, de la mort de Néron, laquelle correspond aux récits
que nous ont laissés les historiens antiques87, s’accordent cependant aujourd’hui
à penser que la pièce a été écrite après la mort de l’empereur, et a fortiori après
celle de Sénèque, qui avait eu lieu trois ans plus tôt. À cela s’ajoutent d’autres
arguments : il est peu probable que Sénèque, qui fait partie des personnages de la
pièce, se soit lui-même mis en scène ; les manuscrits des tragédies sénéquiennes ne
contiennent pas tous l’Octavie ; on a aussi avancé l’argument de la maladresse du
style88. Si le refus d’attribuer à Sénèque la paternité de l’Octavie fait aujourd’hui
l’unanimité, aucune tentative d’identification de l’auteur véritable de la pièce
n’a en revanche emporté l’adhésion de la communauté scientifique.
En ce qui concerne la datation de la pièce, la tonalité violemment antinéronienne de cette dernière et l’image qui y est développée d’un peuple se
révoltant contre l’injustice ont amené un grand nombre de chercheurs à situer la
rédaction de la pièce sous le règne de Galba ou au début de la période flavienne,
à une époque donc où la colère soulevée par les crimes de Néron était encore
vive et se mêlait alors à une atmosphère, attestée par les témoignages littéraires
et numismatiques, de liberté retrouvée89. Cependant, R. Ferri, notant que les
slogans chantés sous Galba ou Vespasien le seront aussi sous leurs successeurs, et
se fondant sur certains parallélismes observés entre l’Octavie et les Silves de Stace,
a opté pour une datation plus tardive et proposé de situer la composition de la
pièce dans les années 9090 ; il a suivi en cela la datation proposée par P. Moreau,
86.– Mart., VII 63, 9-10. L’épigramme retrace la carrière de Silius Italicus, consul en 68.
87.– Ps. Sen., Oct. 619-620 et 629-631 (cf. Suet., Ner. 47-49 ; DC., LXIII 27-29).
88.– Carbone 1977, p. 48-67 ; Octavie, éd. Chaumartin, p. 93-94 ; éd. Liberman, p. XIX,
n. 7.
89.– Royo 1983, p. 189-200 ; Kragelund 1988, p. 503-508 ; Octavie, éd. Chaumartin, p. 95 ;
Flower 2006, p. 203.
90.– Ferri 2003, p. 5-30.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
33
qui suggérait de voir, dans le motif de la relation incestueuse entretenue par
Claude et Agrippine, une allusion au couple formé par Domitien et Julie, ce qui
imposerait de dater la pièce de la fin de l’époque flavienne91.
L’image de Néron dans l’Octavie
Quelle que soit la solution retenue, l’Octavie, de l’avis quasiment unanime des
chercheurs92, fut donc écrite sous les Flaviens, immédiatement après la mort du
dernier Julio-claudien ou une vingtaine d’années plus tard. Or son appartenance
au genre littéraire de la tragédie fait qu’elle est le lieu d’une schématisation très
forte : le personnage que la pièce fait évoluer sous les yeux du lecteur ou du
spectateur est moins l’individu Néron qu’un tyran tragique type. Elle montre
donc de manière éclatante que le passage de Néron du domaine de l’histoire à
celui du mythe a été possible très tôt.
Si l’Octavie a pour sujet un épisode très précis du principat néronien (en
l’occurrence la répudiation par Néron, en 62 ap. J.-C., de son épouse et sœur
adoptive Octavie, le mariage impérial avec Poppée, puis l’exil d’Octavie sur
l’île de Pandataria), l’auteur de la pièce s’est cependant attaché à y inscrire,
de façon explicite ou allusive et sans que ces éléments aient toujours un lien
avec l’action, les crimes principaux traditionnellement imputés à Néron et les
épisodes fondamentaux de sa geste : sont ainsi évoqués le mariage d’Agrippine
et de Claude et l’adoption de Néron par ce dernier93, le meurtre de Britannicus94,
celui d’Agrippine95, l’exécution de Rubellius Plautus et de Cornelius Sylla96, la
haine de Néron contre les hommes illustres97, son impiété98, la construction de la
maison dorée99, la venue à Rome de Tiridate en 66 ap. J.-C.100, la déchéance finale
du tyran et sa fuite honteuse, prophétisées par Agrippine101, à quoi il convient
d’ajouter, peut-être, une allusion anachronique à l’incendie de Rome en 64 de
notre ère102, ainsi que le rappel des meurtres du premier mari de Poppée, de son
fils et de Poppée elle-même103. Ce faisant, le poète de l’Octavie a pourvu son
91.– Moreau 2002, p. 202.
92.– Des datations plus tardives ont été proposées, sans toutefois emporter l’adhésion
(Nordmeyer 1892, critiqué par Ferri 2003, p. 29-30 ; Billerbeck 1988, p. 180-181,
critiqué par Chaumartin dans son édition de l’Octavie, p. 95).
93.– Ps. Sen., Oct. 139-142.
94.– Ps. Sen., Oct. 45-46 ; 112-113 ; 178 ; 242.
95.– Ps. Sen., Oct. 45 ; 95-96 ; 126-129 ; 165-166 ; 243 ; 310-376 ; 598-609 ; 954-957.
96.– Ps. Sen., Oct. 438-438bis.
97.– Ps. Sen., Oct. 89.
98.– Ps. Sen., Oct. 240-241.
99.– Ps. Sen., Oct. 624-625.
100.– Ps. Sen., Oct. 627-628.
101.– Ps. Sen., Oct. 619-620 et 629-631.
102.– Ps. Sen., Oct. 831-833, où Néron souhaite punir le peuple en le faisant périr dans les flammes.
La tradition lie toutefois Néron à deux incendies : celui de 64 et celui qu’il aurait conçu
en 68, en guise de représailles suite à l’insurrection menée par Vindex (Suet., Ner. 43, 1 ;
DC., LXIII 27, 2 ; Aur.-Vict., 5, 14). Quoique l’incendie de 64 soit plus célèbre que celui
projeté en 68, il n’est pas impossible que l’auteur de l’Octavie fasse référence au second
plutôt qu’au premier, ou qu’il mêle les deux : la présentation du projet d’incendie comme
l’assouvissement d’un désir de vengeance semble en effet faire écho à l’épisode de 68.
103.– Ps. Sen., Oct. 728-733 (vers prononcés par Poppée) : « Je vois venir vers moi, entourés
d’une foule, mon ancien mari et mon fils ; […] c’est alors que Néron, tout tremblant, fit
34
Laurie Lefebvre
personnage des éléments nécessaires à son identification par le public : comme
le fait remarquer R. Ferri, « Nero had to be recognizable as the legendary
emperor that everybody had read about104 ». Cela rejoint les remarques, signalées
plus haut, formulées par Josèphe : très vite la vulgate concernant Néron et ses
principaux crimes fut fixée et diffusée.
Mais si l’auteur de l’Octavie fait référence à des forfaits précis et met donc
en scène l’individu Néron, avec ses caractéristiques propres, il traite en même
temps le dernier Julio-claudien comme n’importe quel personnage tragique ;
des chercheurs ont d’ailleurs pu montrer que le Pseudo-Sénèque s’était inspiré,
pour construire son intrigue, de l’Électre et de l’Antigone de Sophocle ainsi que
de pièces de Sénèque105.
Tel un tyran de tragédie, Néron apparaît de fait, dans la pièce, comme un
formidable despote, cruel, indépendant, autoritaire et sûr de lui. Comme l’a
remarqué F. Billot, la première apparition de Néron le montre dans la position
d’un maître absolu qui attend bien qu’on lui obéisse106. Ensuite, dans la longue
scène qui l’oppose à Sénèque, Néron exige que les citoyens se plient à ses volontés
et déclare que c’est lui qui décide107 ; à l’idée d’un gouvernement autoritaire
est liée celle de l’emploi de la force et des armes pour le faire respecter108. La
revendication, par Néron, de la crainte comme principe de gouvernement109, par
opposition aux valeurs que lui propose Sénèque, la complaisance, la clémence et
l’affection (ce qui semble être un écho au De clementia)110, constitue le parfait
écho du fameux « oderint dum metuant », « qu’ils me haïssent pourvu qu’ils
me craignent », que le poète tragique Accius prêtait à Atrée111.
Le Néron de l’Octavie est en outre conforme aux conventions de la tragédie
latine : c’est au furor du prince qu’est attribué le meurtre d’Agrippine112 ; c’est à
un scelus nefarium que sont assimilés le matricide, le sort que Néron fait subir à
Octavie et la volonté du tyran de mater le peuple par l’épée113.
Le poète de l’Octavie a donc plaqué sur le Néron « historique » des
schémas, des expressions, des images propres au genre tragique, mêlant ainsi,
de façon complémentaire et non contradictoire, la description d’un individu
irruption dans ma demeure et plongea un glaive cruel dans la gorge. » La formulation
adoptée par l’auteur est ambiguë, et ne précise pas dans la gorge de qui Néron enfonce
une épée : Poppée ? Crispinus ? Leur fils ? Néron lui-même ? G. Liberman, dans son
édition de l’Octavie (p. XX-XXI), considère cette ambiguïté comme volontaire et destinée
à amener le public à relier ce vers à plusieurs faits.
104.– Ferri 2003, p. 15.
105.– Ladek 1909, p. 189-199 ; Octavie, éd. Liberman, p. XVII-XVIII ; Ferri 1998, p. 343-346 ;
p. 351.
106.– Billot 2003, p. 130. Néron entre en effet en scène avec les mots « Exécute mes ordres :
envoie quelqu’un pour tuer Plautus et Sylla et me rapporter leur tête tranchée » (Ps. Sen.,
Oct. 438-438bis).
107.– Ps. Sen., Oct. 459-460. Voir aussi Oct. 579 et 582.
108.– Ps. Sen., Oct. 461 ; 576-577 ; 820-843 ; 848-857.
109.– Ps. Sen., Oct. 290 ; 458 ; 494 ; 526 ; 675 ; 843.
110.– Ps. Sen., Oct. 457-458.
111.– Ce vers est cité dans Cic., Off. I 97 ; Sen., Ir. I 20, 4 ; Clem. I 12, 4 ; II 2, 2 ; Suet., Calig. 30, 3.
112.– Ps. Sen., Oct. 361 ; 633-635.
113.– Ps. Sen., Oct. 55-56 ; 130 ; 310-313 ; 361-363 ; 461 ; 603-605 ; 786-787.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
35
historiquement attesté à la création d’un tyran tragique conventionnel. À cela
s’ajoutent, en outre, des échos à la propagande flavienne, tels que l’éloge du
personnage de Claude114, la présentation de Néron comme un intrus115 ou la
peinture d’une Rome en esclavage116. Divers principes ont ainsi présidé à l’élaboration du Néron de l’Octavie : le contexte idéologique de composition de la
pièce, les codes de l’écriture tragique, la présence, nécessaire à l’identification de
Néron, d’un certain nombre de données historiques.
La période antonine
Un nouveau statut pour Néron
La mort de Domitien, en 96 ap. J.-C., voit l’avènement d’une nouvelle dynastie :
un processus de légitimation du pouvoir se met alors de nouveau en place. Et de
nouveau, Néron va servir de repoussoir, aux côtés cette fois de Domitien. C’est
ainsi que dans le Panégyrique de Trajan, qui se donne à lire comme une définition
de l’optimus princeps, Pline le Jeune (qui avait été, comme Tacite, témoin de la
terreur que Domitien fit régner parmi les sénateurs dans les dernières années
de son règne) associe fréquemment, à sa condamnation sans appel du dernier
Flavien, la funeste figure de Néron, dont il rappelle, reprenant là des termes
chers à la propagande flavienne, l’adoption critiquable117, l’attitude impie envers
Claude118, le gouvernement arbitraire119, à quoi il ajoute la mollesse120, la mégalomanie121, les prétentions artistiques et le goût pour la citharédie122. Dans la
Correspondance, Pline évoque d’autre part la disparition de la libertas123 ainsi que
les meurtres et exils ordonnés par Néron, thèmes là encore hérités de la période
flavienne124 ; on y voit surtout Trajan déclarer lui-même qu’il n’est pas Néron125.
C’est également en tant que contre-modèle absolu que Néron est convoqué
dans les Discours sur la royauté de Dion Chrysostome, contemporain de Pline
le Jeune et proche comme lui de Trajan ; c’est d’ailleurs probablement devant
celui-ci que furent prononcés les Discours en question, lesquels proposent,
comme le Panégyrique de Pline, une définition de l’optimus princeps, dans la
lignée de la réflexion politique grecque du IVe s. av. J.-C. et de l’époque hellénistique au sujet du bon roi. Ainsi, dans le troisième de ces Discours, l’orateur
oppose au modèle du bon roi, qui choisit comme distraction la pratique virile
de la chasse, le mauvais exemple d’un princeps qui préférait passer ses loisirs à
114.– Claude apparaît ainsi, dans l’Octavie, tel un héros guerrier (Ps. Sen., Oct. 25-30 ; 38-44), ce
qui semble correspondre à l’effort flavien de réhabilitation du souvenir de cet empereur.
115.– Ps. Sen., Oct. 139-140 ; 249. Sur ce motif, voir infra, p. 170-172.
116.– Ps. Sen., Oct. 492-493.
117.– Plin., Pan. 7, 4.
118.– Plin., Pan. 11, 1.
119.– Plin., Pan. 57, 2 (cf. Suet., Ner. 43, 2).
120.– Plin., Pan. 33, 1.
121.– Plin., Pan. 54, 4.
122.– Plin., Pan. 2, 6 ; 46, 4.
123.– Plin., Ep. III 5, 5.
124.– Plin., Ep. V 3, 6 ; 5, 3.
125.– Plin., Ep. VI 31, 9.
36
Laurie Lefebvre
chanter et à se produire sur scène, au mépris de sa dignité de roi126 : si le princeps
en question n’est pas nommé, on y reconnaît immanquablement Néron.
Mais si Néron reste, d’un empereur à l’autre, un repoussoir servant la légitimation dynastique, devenant juste, d’anti-Vespasien, un anti-Trajan, les choses
ont changé. Car le prédécesseur déchu est, désormais, le dernier Flavien : Néron
n’est plus le dernier tyran en date. Il va alors changer de statut pour endosser le
rôle d’étalon à l’aune duquel seront jugés bientôt tous les tyrans à venir. Ainsi,
chez Pline le Jeune, ce qui trahit le pessimus princeps en Domitien est précisément le fait qu’il ait vengé la mort de Néron127 : quiconque s’inscrit, d’une
manière ou d’une autre, dans la lignée de Néron ou revendique son héritage
sera désormais immédiatement marqué du sceau du tyran. Plus nettement, dans
les Satires, publiées sous Trajan et Hadrien, Juvénal, qui condamne Néron à de
nombreuses reprises128, qualifie Domitien de « Néron chauve », « caluo […]
Neroni129 », expression qui fera date puisqu’on la retrouvera chez Ausone130. Le
nom de Néron est en train, insensiblement, de devenir un nom commun.
La fixation du canon
Les Satires illustrent un second phénomène : la cristallisation progressive du
canon des crimes néroniens tel qu’il avait été esquissé par Flavius Josèphe dans le
Bellum Iudaicum. Dans la pièce où Juvénal critique les nobles qui se sont montrés
indignes de leur naissance, le poète, qui en vient à condamner les principaux
forfaits de Néron, opère en effet une sélection similaire à celle de l’historien juif.
Il reproche ainsi à Néron le meurtre de sa mère, de son frère et/ou sœur, de son
épouse, l’empoisonnement de ses proches, les prestations scéniques, les prétentions poétiques et la tournée artistique en Grèce :
« Le crime du fils d’Agamemnon fut pareil, mais le motif rend le cas différent :
il était, lui, sur l’initiative des dieux, le vengeur d’un père massacré au milieu
des coupes, et il ne se souilla point de l’égorgement d’Électre ou du sang de
son épouse spartiate, il ne fit de mixture d’aconit pour aucun de ses proches,
il ne chanta jamais sur un théâtre, cet Oreste, il n’écrivit pas de poème sur
Troie. Quel forfait eurent à punir davantage les armes de Verginius, avec
celles de Vindex et de Galba, parmi ceux qu’a commis Néron dans une si
brutale et cruelle tyrannie ? Voilà les travaux, voilà les talents d’un prince de
haute naissance : il prenait plaisir à se prostituer sur des tréteaux étrangers,
dans l’appareil honteux d’un chanteur, et à remporter l’ache de la couronne
grecque. » ( Juv., VIII 215-230 ; trad. P. De Labriolle et F. Villeneuve)
126.– D. Chr., III 134-135. Sur Néron et la citharédie, voir aussi D. Chr., XXXII 60 ; LXXI 9.
127.– Plin., Pan. 53, 4 ; Domitien avait en effet condamné Épaphrodite, qui avait aidé Néron à se
suicider (cf. Suet., Ner. 49, 5 ; Dom. 14, 9).
128.– Juv., IV 136-139 (festins interminables de Néron) ; VIII 71-74 (Rubellius Blandus manquait
de sens commun, quand il se glorifiait de sa parenté avec Néron) ; VIII 198-199 (allusion
à la passion néronienne pour la citharédie) ; X 15-18 (évocation de la condamnation, par
Néron, de Cassius Longinus, de Sénèque et de Plautius Lateranus) ; X 306-309 (Néron
est convoqué en tant que le type du débauché lubrique représentant un danger pour les
éphèbes trop beaux) ; XII 128-130 (rapines de Néron).
129.– Juv., IV 38.
130.– Aus., Caes., Mon. 17.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
37
Les parricides et la passion pour la citharédie et la tragédie s’imposent
décidément comme les « marques de fabrique » de la figure de Néron.
De la même manière, dans la Vie de Galba de Plutarque, lorsque le tribun
militaire Antonius Honoratus rassemble ses soldats et remémore les griefs les
excusant d’avoir abandonné Néron, ce sont les meurtres de sa mère et de sa
femme ainsi que les exhibitions dans des spectacles lyriques et tragiques qui sont
rappelés131. Sont aussi évoqués, dans les œuvres biographiques ou philosophiques
de Plutarque (qui connaissait bien la geste du dernier Julio-claudien puisqu’il
était l’auteur d’une Vie de Néron, malheureusement perdue), la prodigalité de
Néron et ses largesses démesurées132, le vol des statues de Pergame133, les mauvaises
fréquentations de l’empereur134, la crainte qu’il avait des citoyens de grand renom
et le meurtre de ces derniers135, la mort d’Octavie et l’union avec Poppée136,
remarques que l’on trouve aussi dans les discours de Dion Chrysostome137 et
qui, pour beaucoup d’entre elles, ont un caractère très allusif, ce qui démontre
que Plutarque estimait son lecteur parfaitement au fait des détails de la geste de
Néron. La schématisation est en route.
Le cas de la littérature grecque
Le patriotisme grec de Plutarque amène cependant ce dernier à proposer du
prince une vision qui, toute proportion gardée, est à certains égards moins
négative que celle forgée par ses contemporains romains. Néron a en effet, à
l’occasion des jeux isthmiques donnés à Corinthe en 66 ou 67 ap. J.-C., déclaré
libres les habitants de la province d’Achaïe, ce qui lui vaut d’être mis en parallèle,
par Plutarque, avec le prestigieux général Flamininus, qui avait libéré les Grecs
de la tutelle macédonienne en 196 avant notre ère138 : par l’octroi de ce bienfait,
Néron s’est, aux yeux de Plutarque qui se fait probablement ici l’écho d’une
historiographie grecque plus indulgente à l’égard du dernier Julio-claudien, en
partie racheté de ses crimes.
À la fin du traité Sur les délais de la justice divine, on aperçoit ainsi l’âme de
Néron, destinée à revivre sous la forme d’une vipère, être changée finalement
en une espèce plus paisible : le narrateur justifie cette faveur en rappelant que
131.– Plut., Galb. 14, 3 : « Leurs premières actions, dit-il, avaient pour excuse leurs griefs contre
Néron ; mais maintenant ils trahissaient Galba : la mort de quelle mère, le meurtre de
quelle épouse lui reprochaient-ils ? De quel spectacle ou de quelle pièce tragique jouée par
l’empereur avaient-ils honte ? »
132.– Plut., Galb. 16, 1 ; M. 60d ; 461f-462a.
133.– Plut., M. 815d (cf. Tac., An. XVI 23, 1).
134.– Plut., Galb. 17, 3 ; 19, 4 ; 29, 5.
135.– Plut., Galb. 3, 5 ; 5, 2 ; M. 96b (cf. Tac., An. XVI 10, 1 ; 23, 1 ; 30, 1) ; 810a.
136.– Plut., Galb. 19, 9. Sur Néron dans la Vie de Galba, voir aussi Galb. 4, 2 (cf. Suet., Ner. 39, 3) ;
5, 45 ; 8, 7. Néron apparaît aussi dans la Vie d’Othon (Oth. 3, 1 ; 18, 3).
137.– Voir D. Chr., XXI 9 et XLVII 14-15 (prodigalité excessive de Néron et condamnation de
la domus aurea) ; XXI 6-7 (dérèglements de Néron en matière de passion amoureuse) ;
XXXI 148-150 (pillage de sanctuaires).
138.– Plut., Flam. 12, 13 (voir déjà Plin., N. H. IV 22, où l’on ne retrouve cependant pas le ton
élogieux de Plutarque). Nous possédons une copie du discours prononcé par Néron sur
une pierre d’Acraephiae.
38
Laurie Lefebvre
Néron a libéré le peuple grec, c’est-à-dire le meilleur et le plus religieux139. Dans
ses Préceptes politiques, Plutarque sait gré à l’empereur d’avoir reconnu, malgré
sa haine du sénateur Thrasea Paetus, l’excellence des jugements de ce dernier140 ;
Plutarque est le seul à rapporter ce mot de Néron. Dans un autre traité, le philosophe impute les prestations scéniques de l’empereur à l’influence perverse de
ses adulateurs, ce qui semble l’excuser en partie141.
Dans sa Description de la Grèce, rédigée probablement entre 150 et
175 ap. J.-C., Pausanias saura lui aussi se montrer magnanime : s’il condamne
Néron pour avoir, à l’occasion de son voyage dans la péninsule hellénique,
dépouillé les temples d’Olympie, de Thespies et de Delphes142, et s’il fait allusion
à ses impudences détestables envers Agrippine et des femmes mariées143, il lui
sait néanmoins gré d’avoir libéré la Grèce144 ; son étonnement devant cette
noble réalisation l’amène à la conclusion que Néron avait à l’origine une âme
généreuse, dévoyée ensuite par une mauvaise éducation. Comme Plutarque,
Pausanias est donc, du fait de son patriotisme grec, amené à louer sur ce point
celui qui passait pour le bienfaiteur de l’Achaïe.
Cependant, le paradoxe que Pausanias perçoit entre le bienfait en question
et la personnalité de Néron montre que l’auteur souscrivait à la condamnation
traditionnelle du dernier Julio-claudien : comme l’a souligné D. Grau, le
philhellénisme impérial « n’a en aucun cas provoqué le surgissement d’une
tendance essentiellement favorable à Néron » au sein de la littérature grecque145.
D’ailleurs les portraits accablants brossés par Dion Cassius, Philostrate ou le
Pseudo-Lucien (dont il sera question plus loin) n’ont absolument rien à envier
à ceux proposés par les auteurs latins : on ne peut donc que souligner l’homogénéïté des témoignages littéraires relatifs à Néron.
L’émergence du point de vue chrétien (IIe – IIIe s.)
Les premiers jugements chrétiens
La période suivante va être le théâtre d’un phénomène essentiel à l’évolution
de la légende de Néron : la naissance et le développement de la littérature
apologétique chrétienne. La condamnation, par Néron, des Chrétiens comme
responsables de l’incendie qui ravagea Rome en 64 ap. J.-C. allait en effet faire
139.– Plut., M. 567e-f. Il faut bien évidemment nuancer le propos : être changé en grenouille,
espèce souvent perçue comme maléfique dans l’Antiquité, est loin de constituer une
franche réhabilitation (à ce sujet, voir Grau 2015, p. 122-123).
140.– Plut., M. 810a.
141.– Plut., M. 56e. À moins qu’il ne s’agisse que d’une simple reprise du topos de l’entourage
délétère du tyran.
142.– Paus., V 25, 8 ; 26, 3 ; IX 27, 3-4 ; X 7, 1 ; 19, 2.
143.– Paus., IX 27, 4. On trouve également chez Pausanias un certain nombre de notations
neutres : Paus., II 17, 6 et V 12, 8 (don par Néron de couronnes aux temples d’Héra et
de Jupiter) ; II 37, 5 (tentative, par Néron, de sonder les profondeurs du lac de Lerne ;
Pausanias est le seul à rapporter cette anecdote).
144.– Paus., VII 17, 3. Voir aussi Philstr., V. Ap. V 41, 1.
145.– Grau 2015, p. 125.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
39
naître, au sein de la secte chrétienne, une haine tenace à l’encontre du dernier
Julio-claudien.
Tertullien
C’est sur fond d’une intense polémique que le nom de Néron fait sa première
apparition sous la plume d’un écrivain chrétien : il s’agit de celle de Tertullien146,
dont l’activité littéraire s’étale entre la fin du IIe siècle et le premier quart du
IIIe et qui s’efforça tout au long de son abondante production littéraire de
combattre avec une particulière virulence les thèses païennes (et celles de ses
autres adversaires).
Tertullien est, pour nous, le premier auteur à avoir ébauché une chronologie
des persécutions : or il octroie à Néron, dans son système, la place de primus
persecutor des fidèles du Christ147, statut propre à assurer la « célébrité » du nom
de Néron auprès des Chrétiens. Cette tradition, qui s’appuie moins sur les faits
qu’elle n’est une construction toute relative (Augustin s’emploiera d’ailleurs à
remettre en cause son bien-fondé148), sera, de fait, reprise par tous les successeurs
de Tertullien149.
En tant que premier persécuteur, le dernier Julio-claudien va alors devenir le
point de référence à partir duquel les auteurs chrétiens situeront les persécutions
ultérieures, chacune d’elles étant ainsi présentée comme la xe à partir de celle de
Néron : la persécution néronienne est désormais un repère chronologique, à la
manière de la date de la fondation de Rome ou de la naissance du Christ150.
L’œuvre de Tertullien est aussi le lieu de la fixation d’une seconde tradition,
ébauchée par certains écrits apocryphes chrétiens qui circulaient à l’époque de
l’apologiste : l’attribution à Néron de la responsabilité des martyres de Pierre
et de Paul151. Cette tradition, qui faisait de Néron un infâme bourreau, ne sera
jamais remise en cause par la suite.
Tertullien annonce en outre un autre phénomène, qui s’avèrera caractéristique du traitement chrétien de la figure de Néron : la focalisation sur le motif
de la cruauté. Les visées apologétiques chrétiennes vont en effet entraîner un
146.– Avant Tertullien ou à la même époque, Néron apparaît dans quelques écrits apocryphes
rédigés entre la fin du Ier siècle et le début du IIIe (Actes de Paul XIV 1-6 ; Actes de Pierre 1 ;
37-38 ; 41 ; Ascension d’Isaïe 4, 2-3).
147.– Tert., Apol. V, 3 ; XXI 25 ; Nat. I 7, 8 ; Scorp. XV 3.
148.– Aug., Civ. XVIII 338-339.
149.– Lact., Mort. 2, 6 ; Eus., Hist. eccl. II 25, 3 ; Hier., Chron., p. 185c ; Oros., Hist. VII 7, 10.
150.– Eus., Hist. eccl. III 32, 1 ; Hier., Vir. ill. 9, 6 ; 17, 4 ; Oros., Hist. VII 10, 5 ; 12, 3 ; 15, 4 ; 17,
4 ; 19, 1 ; 21, 2 ; 22, 3 ; 23, 6 ; 25, 13. Le seul à ne pas reprendre la chronologie initiée par
Tertullien est Jean Chrysostome, dont la liste des empereurs idolâtres ayant vainement
suscité des persécutions comprend Auguste, Tibère, Caligula, Néron, Vespasien et Titus :
Chrys., Contr. Jud. Gent. 15.
151.– Tert., Scorp. XV 3. La première description des martyres de Pierre et de Paul date de 95 et
est due à Clément de Rome ; ce dernier cependant ne les date pas (Clem., Cor. 5, 3-7). C’est
dans les Actes de Paul XIV 5, que Tertullien connaissait (Bapt. XVII 5) et dont la rédaction
est donc antérieure à la fin du IIe siècle, que Néron apparaît pour la première fois comme
celui ayant ordonné la mort de Paul. Voir aussi les Actes de Pierre 1 et 37-38, que G. Poupon
date du dernier tiers du IIe ou du début du IIIe s. de notre ère (Écrits apocryphes chrétiens,
éd. Bovon, Geoltrain, p. 1043).
40
Laurie Lefebvre
infléchissement de la légende de Néron et une « spécialisation » de la figure de ce
dernier dans le rôle du bourreau assoiffé de sang, ce qui constitue une réduction
considérable par rapport à l’éventail de travers qu’offrait la littérature païenne
relative au dernier Julio-claudien. Ce phénomène se laisse déjà percevoir chez
Tertullien, qui se plaît à présenter Néron comme une bête fauve152. Tertullien
fait même de Néron le champion de la sauvagerie, qualifiant à ce titre Domitien,
pour ce qui est de la cruauté, de « portio Neronis » et de « Subneronem », c’està-dire de « demi-Néron », en tant qu’il renonça à persécuter les Chrétiens153 (à
l’inverse, pour les païens traditionalistes, c’est Domitien qui est le champion de
la férocité154).
Sous la plume de Tertullien, enfin, le statut de contre-exemplum acquis par
Néron se confirme. L’apologiste, énumérant dans le De pallio les Romains qui,
par leur passion excessive de la bonne chère et leur gourmandise sans borne, se
sont montrés indignes de la toge qu’ils portaient, clôt en effet sa liste par les
mots « taceo Nerones et Apicios, Rufos155 », « je ne parle pas des Nérons, des
Apicius ou des Rufus ». Non seulement Néron est convoqué ici en guise de
contre-modèle, mais il devient aussi, comme le montre le pluriel « Nerones », un
nom commun synonyme d’« homme dépravé » : le passage de l’individu Néron
au statut de type est entériné.
Victorin de Poetovio et Commodien
La figure de Néron apparaît également chez deux auteurs chrétiens du IIIe siècle,
Victorin de Poetovio et Commodien, dont les œuvres témoignent d’une
nouvelle étape dans le développement de la légende de Néron : à la longue liste
de crimes monstrueux traditionnellement imputés au dernier Julio-claudien
s’ajoute désormais le motif de Néron-Antéchrist156.
Bientôt après la mort de Néron, des rumeurs s’étaient répandues sur son
retour : Suétone rapporte ainsi que pendant longtemps des gens publièrent
des édits par lesquels Néron annonçait, comme s’il vivait encore, qu’il allait
bientôt revenir pour la ruine de ses ennemis157. La croyance selon laquelle Néron
n’était pas mort158 fut sans nul doute alimentée par l’apparition d’imposteurs
qui se firent passer pour lui : le premier « faux Néron » parut en 69 sur l’île de
Cythnos159 ; le second, Terentius Maximus, parut sous Titus en Asie et trouva
refuge à la cour du Parthe Artaban160 ; un autre serait, selon Suétone, paru chez
152.– Tert., Apol. V 3 : « ferocisse » ; XXI 25 : « saeuitiam ».
153.– Tert., Apol. V 4 ; Pall. IV 5.
154.– Voir par exemple HA., Comm. 19, 2, où Commode est déclaré « plus cruel que Domitien,
plus souillé que Néron », « saeuior Domitiano, impurior Nerone ».
155.– Tert., Pall. V 7. Sur les excès de table de Néron, voir Suet., Ner. 27.
156.– Sur l’Antéchrist, voir Jenks 1991 et Badilita 2005.
157.– Suet., Ner. 57, 2.
158.– D. Chr., XXI 10.
159.– Tac., H. II 8-9 ; DC., LXIV 9, 3.
160.– DC., LXVI 19, 3.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
41
les Parthes sous Domitien, vers 88161. On en était même venu à croire que l’on
n’avait jamais retrouvé le corps du dernier Julio-claudien162.
Le mystère entourant la fin de Néron avait fini par faire naître la croyance,
que les chercheurs nomment communément légende du Nero rediuiuus, selon
laquelle Néron était mort mais allait être ressuscité ou bien, selon une autre
version, n’avait jamais succombé et était tenu caché, jusqu’au moment où il
reviendrait sur terre. Cette croyance fut alimentée par la circulation d’un groupe
de poèmes écrits en hexamètres grecs et connus sous le nom d’Oracles sibyllins,
mélange hétérogène d’éléments païens, juifs et chrétiens amassés et réunis entre
le IIe siècle av. J.-C. et le VIIe siècle de notre ère163. Dans le cinquième oracle
notamment, composé approximativement à la fin du Ier siècle de notre ère et
au début du IIe, et dans le huitième, qui date du règne de Marc-Aurèle, l’auteur
prophétise en effet le retour d’un homme fugitif et meurtrier de sa mère164 : cette
expression, qui désigne manifestement Néron, témoigne des rumeurs tenaces
quant à la survie de ce dernier. Ces poèmes prophétiques présentent d’autre part
à plusieurs reprises Néron comme l’instrument qui sera envoyé par Dieu pour
punir les Romains, notamment en représailles du sac de Jérusalem165.
L’association de ces rumeurs à une certaine lecture du Nouveau Testament
allait bientôt faire naître, dans les milieux chrétiens, la croyance selon laquelle
Néron allait revenir à la fin des temps pour être l’Antéchrist ou du moins
précéder sa venue166. Dans la deuxième Épître aux Thessaloniciens, Paul déclare
ainsi que l’Antéchrist viendra le moment venu, mais que le mystère d’iniquité
est déjà à l’œuvre167, expression que les auteurs chrétiens comprirent comme
désignant Néron168. Dans l’Apocalypse selon saint Jean, composée sous le règne de
Domitien, vers 95, le narrateur déclare avoir vu surgir de la mer une Bête à sept
têtes, dont l’une paraissait blessée à mort, mais dont la plaie mortelle fut guérie,
expression qui sera comprise comme une allusion à la résurrection de Néron, qui
s’était suicidé par le fer169. À cela s’ajoute le fait que Jean affirme que le chiffre de
161.– Suet., Ner. 57, 4 (voir aussi Tac., H. I 2, où il s’agit sans doute du même personnage). Peutêtre Terentius Maximus et l’imposteur apparu, selon Suétone, sous Domitien ne sont-ils
qu’une seule et même personne, et y a-t-il, chez Suétone ou chez Dion Cassius, une erreur
de datation (Bishop 1964, p. 107 ; Bastomsky 1969, p. 321-325. Contra : Gallivan 1973a,
p. 364-365).
162.– Lact., Mort. 2, 7 ; Chrys., Hom. 2 ep. Tim. IV 4 ; Sulp. Sev., Chron. II 29, 3. Contra : Suet.,
Ner. 50, 2, qui donne la localisation des restes de Néron.
163.– Pour la datation des Oracles sibyllins, nous reprenons la chronologie de Champlin 2003,
p. 12-16.
164.– Or. sib. 5, 363-364 : « viendra des extrémités de la terre un matricide en fuite » ; 8, 70-71 :
« reviendra des extrémités de la terre, tout étincelant, le fugitif matricide » (vers cités par
Lact., Mort. 2, 8). Voir aussi Or. sib. 5, 137-154 ; 12, 78-94.
165.– Or. sib. 4, 119-124 et 137-139 ; 5, 214-227 ; 8, 139-159.
166.– Lact., Mort. 2, 8-9 (où l’auteur combat cette croyance, preuve qu’elle était alors très répandue) ; Ps. Sen., Ep. Paul. 11 ; Sulp. Sev., Chron. II 28, 1 ; 29, 3 ; Dial. II 14 (où l’auteur reprend
Martin de Tours) ; Aug., Civ. XX 450.
167.– 2 Thess. 2, 6-7.
168.– Chrys., Eleem. 1 ; Hom. ep. Rom. XXXI 5 ; Hom. 2 ep. Thess. IV 1 ; Hier., Ep. 121, 11 ; Sulp. Sev.,
Chron. II 28, 3.
169.– Apoc. 13, 3 et 12.
42
Laurie Lefebvre
la Bête est 666170, ce qui passait pour correspondre à la somme des équivalents
numériques des lettres transcrivant en hébreu le nom Nero Caesar.
Cette lecture de l’Apocalypse, qui assimile Néron à la Bête, apparaît déjà sous
une forme implicite dans un écrit apocryphe chrétien datant de la fin du Ier siècle
de notre ère ou du début du IIe, l’Ascension d’Isaïe, où il est écrit qu’à la fin du
monde Béliar descendra sous l’aspect d’un roi meurtrier de sa mère et persécutera la plante semée par les douze apôtres, dont certains seront livrés entre ses
mains : l’identification de ce roi avec Néron, qui a tué Agrippine et fait périr
Pierre et Paul, est évidente171.
C’est cependant vers le milieu du IIIe siècle, époque de crise marquée par
la montée du péril barbare, l’anarchie militaire et les persécutions contre les
Chrétiens, et à ce titre propice au développement de la littérature apocalyptique, que l’assimilation de Néron à la Bête sera explicitée pour la première
fois. Dans son Commentaire sur l’Apocalypse, écrit vers 258-260172, Victorin de
Poetovio, évêque pannonien qui subit le martyre sous Dioclétien, affirme ainsi
explicitement que l’auteur de l’Apocalypse, en évoquant la plaie guérie de la Bête,
désigne Néron, « Neronem dicit », lequel, « comme les cavaliers envoyés par
le Sénat étaient à ses trousses, se trancha lui-même la gorge173 » ; l’exégète, qui
s’appuie là sur le récit de Suétone, voit donc très clairement, dans la Bête de
l’Apocalypse, non pas un nouveau Néron mais Néron lui-même, qui reviendra à
la fin des temps combattre les Chrétiens lors de l’ultime persécution.
D’autre part, commentant le passage de l’Apocalypse où il est question des
sept têtes de la Bête, assimilées à sept rois dont cinq sont tombés, l’un vit et le
dernier n’est pas encore venu et viendra pour peu de temps (la Bête constituant
quant à elle un huitième roi), Victorin écrit que les cinq rois qui sont tombés
sont Galba, Othon, Vitellius, Vespasien et Titus ; que le roi vivant est Domitien,
sous lequel l’Apocalypse fut écrite ; que celui qui n’est pas encore venu et règnera
peu est Nerva ; quant au huitième roi, c’est-à-dire la Bête elle-même, il s’agit de
Néron : « “et la bête que tu as vue, dit le texte, est en dehors des sept”, puisque
Néron a régné avant ces rois174 ».
L’assimilation de Néron à l’Antéchrist apparaît également chez le poète
Commodien175. La détermination de l’époque à laquelle vécut ce dernier est
une question très controversée, les chercheurs situant le poète entre le milieu
du IIIe siècle de notre ère et le Ve ; c’est cependant cette première option qui est
généralement privilégiée, ce qui fait de Commodien le premier poète chrétien
de langue latine176. Or sa description de l’Apocalypse dans le Poème apologétique,
pour différente soit-elle de la Révélation de Jean, n’assimile pas moins Néron
à un roi apocalyptique. À la fin des temps, écrit-il en effet, surgira un roi qui
170.– Apoc. 13, 18.
171.– Ascension d’Isaïe 4, 2-3.
172.– Victorin de Poetovio, Sur l’Apocalypse, éd. Dulaey, p. 15.
173.– Victorin.-Poet., Comm. in Apoc. 13, 3 (cf. Suet., Ner. 49, 2-5).
174.– Victorin.-Poet., Comm. in Apoc. 13, 2 (commentaire d’Apoc. 17, 9-11).
175.– Commod., Apol. 823-935 ; Instr. 1, 41.
176.– Poinsotte 1996, p. 270-281 ; Poinsotte 1999, p. 205.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
43
sera, dès son apparition, adoré comme un dieu par les Romains et les Juifs ; il
affirme que « cet homme est l’ancien Néron, celui qui auparavant châtia Pierre
et Paul à Rome. Il reviendra lui-même à la fin des temps, sortant de la retraite où
il était tenu caché177 ». Un autre roi surgira ensuite de l’Orient et vaincra Néron,
qui finira misérablement, le corps donné en pâture aux oiseaux178. « Nobis Nero
factus Antichristus, ille Iudaeis », « Néron a été fait Antéchrist pour nous, le
second roi pour les Juifs », conclut enfin Commodien179.
Néron est, à ce titre, doté par Commodien de tous les éléments nécessaires
à l’accomplissement de sa tâche persécutrice, la haine totale des victimes, la
cruauté indicible, l’acharnement180. Le poète, en revanche, ne parle pas du Néron
matricide, libidineux ou incendiaire : comme l’a noté J.-M. Poinsotte181, la
folie persécutrice est le seul aspect de la figure de Néron que Commodien ait
besoin de convoquer. Comme l’annonçait l’œuvre de Tertullien, les vices du
dernier Julio-claudien se voient donc réduits à la seule bestialité.
Les jugements païens
Au IIe et IIIe siècles de notre ère, parallèlement au développement de la branche
chrétienne de la légende de Néron, la version païenne du mythe continue à se
diffuser. Néanmoins, mis à part le portrait détaillé de Néron laissé par Dion
Cassius dans sa monumentale Histoire romaine, cette période nous a laissé peu
de témoignages sur Néron : la pauvreté littéraire (du point de vue, bien sûr,
quantitatif ) de cette période explique sans doute le phénomène.
Par une étrange coïncidence, les seuls textes conservés mentionnant Néron
à cette époque sont tous de langue grecque ; nous avons à ce titre déjà évoqué
le cas de Pausanias182. Ainsi, à peu près au moment où Dion Cassius travaillait à
son Histoire romaine, Néron devenait le protagoniste d’un dialogue en langue
grecque que l’on connaît sous le titre Néron ou le percement de l’Isthme et dont
J. Korver propose de situer la composition peu après le meurtre de Geta par
Caracalla en 212, événement qui aurait inspiré à l’auteur l’idée d’écrire, en guise
d’avertissement, un dialogue racontant le destin funeste d’un autre fratricide
célèbre, Néron183.
Ce dialogue fictif, qui met en scène un certain Ménécrates de Lemnos et le
philosophe Musonius Rufus discutant du percement de l’isthme de Corinthe
projeté par Néron à l’occasion de sa venue en Grèce, est attribué faussement à
Lucien par plusieurs manuscrits ; on a avancé depuis184, comme auteur véritable
177.– Commod., Apol. 827-830.
178.– Commod., Apol. 891-912.
179.– Commod., Apol. 933.
180.– Commod., Apol. 871-873 : « il s’adjoint pour l’aider dans sa tâche deux Césars, avec
lesquels il poursuit ce peuple de sa fureur terrible. Ils envoient des édits par tous les juges
partout » ; 880 : « mais le sang, chose indescriptible, coule partout » ; 883-884 : « à
travers mer, terre, refuges et retraites, il les recherche longtemps. »
181.– Poinsotte 1999, p. 211-212.
182.– Voir supra, p. 38.
183.– Korver 1950, p. 319-329.
184.– Lucian, Nero, éd. MacLeod, p. 505-506.
44
Laurie Lefebvre
du dialogue, le nom du père du Philostrate qui avait entrepris, à la demande de
l’épouse de Septime Sévère, Julia Domna, de rédiger la Vie d’Apollonios de Tyane,
œuvre dans laquelle se croisent, à de nombreuses reprises, les chemins du sage et
de Néron.
Le dialogue du Pseudo-Lucien et l’ouvrage de Philostrate présentent, de
fait, de frappantes similitudes de ton et de sujet ; par exemple, Philostrate fait
apparaître Musonius Rufus, protagoniste du dialogue fictif185 ; il fait d’autre
part prédire par Apollonios la tentative de percement de l’Isthme par Néron186.
Quoi qu’il en soit de l’auteur véritable du dialogue, il semble ainsi évident que
Philostrate et lui se connaissaient. Il est possible par ailleurs qu’ils aient été tous
deux des connaissances de Dion Cassius187 : cela expliquerait la similitude du ton
employé par les trois auteurs et les nombreux points communs que présentent
leurs portraits respectifs du dernier Julio-claudien188.
Le motif du goût de Néron pour le théâtre et le chant, ainsi que la dénonciation de l’incompatibilité totale de ces pratiques avec le métier d’empereur,
dont Néron se montrerait indigne, thèmes chers à Dion Cassius, constituent en
effet aussi la thématique centrale du dialogue du Pseudo-Lucien et des passages
consacrés à Néron par Philostrate189. Par exemple, chez le Pseudo-Lucien, on
voit Musonius se moquer de la volonté de l’empereur d’être couronné pour ses
chants à Olympie et à Corinthe où les concours ne comprennent normalement
que des épreuves sportives, incongruité soulignée également par Philostrate190 ;
par ailleurs, chez le Pseudo-Lucien comme chez Philostrate est souligné le rire
général des spectateurs lors des prestations néroniennes, en dépit des dangers
encourus par les moqueurs191.
C’est que là où, comme l’analyse de Tertullien ou de Commodien nous a
permis de le déceler, la littérature chrétienne optait pour une spécialisation de
Néron dans la posture du tyran bestial et cruel, les païens de l’époque faisaient
le choix opposé : l’origine grecque des auteurs dont nous avons conservé, pour
cette période, les jugements sur Néron les amena en effet à se focaliser sur la
tournée artistique de l’empereur en Grèce et à privilégier du même coup la
thématique de la honte et de l’humiliation.
De fait, si Philostrate évoque certains des événements majeurs de la geste
néronienne comme le meurtre d’Agrippine192 ou le soulèvement de Vindex193 ;
s’il n’hésite pas à mentionner, comme Pausanias avant lui, les pillages dont
185.– Philstr., V. Ap. V 19, 2.
186.– Philstr., V. Ap. IV 24, 2 ; V 7, 4 ; 19, 2. Voir aussi V. soph. II 551.
187.– Grosso 1955, p. 388-390 et 514 ; Millar 1964, p. 19-20 ; Questa 1967, p. 269 ;
Bowersock 1969, p. 102-104 ; Gowing 1997, p. 2559.
188.– Comparer par exemple DC., LXIII 22 et Philstr., V. Ap. V 10, 2 ; Ps. Luc., Ner. 4-5 et Philstr.,
V. Ap. IV 24, 3 ; Ps. Luc., Ner. 2 et Philstr., V. Ap. V 7, 2-3 ; Ps. Luc., Ner. 10 et Philstr., V. Ap.
IV 38, 3 (voir aussi Philstr., V. soph. I 481).
189.– Voir notamment DC., LXIII 8-9 ; Ps. Luc., Ner. 6-7 ; Philstr., V. Ap. V 7, 2 ; V 28, 1 ; VII 12, 3.
190.– Ps. Luc., Ner. 2 ; Philstr., V. Ap. V 7, 2-3. Voir aussi Ps. Luc., Ner. 9.
191.– Ps. Luc., Ner. 7. ; Philstr., V. Ap. V 7, 3.
192.– Philstr., V. Ap. IV 38, 3-4 ; V 10, 2 ; V. soph. I 481.
193.– Philstr., V. Ap. V 10-11.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
45
les Grecs furent victimes à l’occasion de la tournée artistique de Néron194 ; s’il
impute d’autre part à l’empereur une véritable persécution généralisée des philosophes195, il se plaît, surtout, à parsemer son récit d’une foule de petites anecdotes
destinées à mettre en lumière les situations ridicules résultant de la passion de
Néron pour le chant : c’est ainsi que l’on voit l’empereur chanter nu dans une
taverne ; des hommes naïfs s’imaginer, à l’annonce de la victoire de Néron à
Olympie, que l’empereur a vaincu des Olympiens au cours d’une guerre ; un
acteur de tragédie reproduisant les intonations de Néron être pris pour un
démon par des villageois de Bétique196. À la lecture de la littérature chrétienne et
païenne de l’époque, deux facettes antithétiques de la figure de Néron (bourreau
sanguinaire / artiste risible), clairement, se dessinent.
Du IVe siècle au début du Ve : la perspective païenne
L’époque des abréviateurs
L’époque constantino-théodosienne est sans nul doute l’une des plus importantes pour l’analyse de l’évolution de la légende de Néron, notamment parce
que le IVe siècle de notre ère voit se développer le genre historiographique
de l’abrégé, lequel va contribuer grandement, par sa concision, à l’émergence
et la multiplication des phénomènes de raccourcis, schématisations et déformations diverses.
Les plus illustres représentants de ce genre sont Aurelius Victor et Eutrope,
hauts fonctionnaires païens admirateurs du vieux fond traditionnel romain et
qui consacrent tous deux, ainsi que l’auteur de l’Abrégé des Césars (connu sous
le nom de Pseudo-Aurelius Victor), un chapitre de leurs bréviaires à Néron197.
Les trois notices sont manifestement inspirées de la Vie de Néron de Suétone198,
que, de l’avis de nombreux chercheurs, les abréviateurs du IVe siècle auraient
consultée indirectement, par l’intermédiaire d’un recueil de biographies
impériales composé peu après la mort de Constantin et que l’on appelle communément la Kaisergeschichte d’Enmann, du nom du savant allemand qui, en 1884,
postula son existence afin d’expliquer les similitudes que présentent les ouvrages
d’Aurelius Victor, d’Eutrope, de l’abréviateur Festus et l’Histoire Auguste199.
L’hypothèse de l’existence de cette Kaisergeschichte a depuis été mise en
doute : certains chercheurs estiment que les abréviateurs du IVe siècle ont utilisé
194.– Philstr., V. Ap. V 7.
195.– Sur la persécution des philosophes, voir Philstr., V. Ap. IV 47 ; sur les massacres en général,
voir V. Ap. V 33, 5 ; VI 32, 2 ; VII 14, 4.
196.– Philstr., V. Ap. IV 42, 1 ; V 8 ; V 9, 1-2.
197.– Aur.-Vict., 5 ; Eutr., VII 14-15 ; Ps. Aur.-Vict., Epit. 5.
198.– Jakob-Sonnabend 1999, p. 5-49.
199.– Enmann 1884, p. 335-501 ; le savant allemand situait alors la composition de la
Kaisergeschichte vers 284, date qui a été reculée depuis. Voir aussi Cohn 1884, où est émise
une hypothèse similaire : Aurelius Victor et l’auteur de l’Abrégé des Césars auraient utilisé
l’ouvrage de Suétone, mais dans une version plus étoffée que celle que nous possédons et
qu’A. Cohn nomme le Suetonius auctus ; M. Festy estime que le Suetonius auctus et la
Kaisergeschichte ne font qu’un (Festy 1991, p. 179).
46
Laurie Lefebvre
les Vies des douze Césars directement et telles que nous les connaissons200. Quelle
que soit la solution retenue, il reste que l’image de Néron que nous offre la
lecture des abrégés tardifs dépend très étroitement de Suétone201.
Aurelius Victor
Néron est l’objet du cinquième chapitre du Livre des Césars, suite de
« “médaillons” biographiques202 » qu’Aurelius Victor rédigea vers 360 de notre
ère203. Aurelius Victor est un personnage qui gravita dans la sphère du pouvoir :
né entre 320 et 330 dans la province d’Afrique, il fut en effet, en 361, nommé
gouverneur de Pannonie par l’empereur Julien qui l’honora d’une statue de
bronze, et fut aussi préfet de Rome sous Théodose en 389. Il fit par ailleurs
partie du cercle des intellectuels païens fidèles à Julien, qui connaissait bien la
vie des empereurs de Rome puisqu’il les mit en scène dans son Banquet, où
on les voit tenter successivement de se faire introduire à un festin donné par
Romulus sur l’Olympe et où Néron se présente en chanteur, sa cithare à la main
et une couronne de laurier sur la tête204. L’esprit conservateur d’Aurelius Victor
ne pouvait donc que se reconnaître dans les valeurs prônées par Suétone ; son
Néron est ainsi, de manière générale, conforme à celui de la Vita Neronis205.
De la Vita Neronis, l’abréviateur retient et résume, en respectant l’ordre de
présentation qui avait été adopté par Suétone, les passages relatifs aux succès
de Néron en matière de politique extérieure206, aux prestations scéniques207, aux
manifestations de débauche et de lubricité208, au matricide et au meurtre des
meilleurs citoyens209, aux projets conçus par Néron à la fin de sa vie210, au suicide
de l’empereur et enfin aux prodiges qui annoncèrent la fin de la gens julienne211.
Aurelius Victor élimine en revanche de son récit tout ce qui a trait à la prodigalité et aux rapines.
Des différences notables, qui s’expliquent en partie par le contexte de
production du Livre des Césars, existent cependant entre les exposés de Suétone
et d’Aurelius Victor. L’abréviateur truffe ainsi son chapitre de généralisations
moralisatrices absentes de la Vita Neronis et qui, nous le verrons dans le chapitre
200.– Den Boer 1972, p. 21-22 ; Aurelius Victor, Livre des Césars, éd. Dufraigne,
p. XXV-XXXV.
201.– W. Jakob-Sonnabend a montré qu’Aurelius Victor et l’auteur de l’Abrégé ont, outre
Suétone, utilisé de toute évidence une autre source non conservée ; Eutrope en revanche
demeure complètement sur le « terrain » de Suétone et n’utilise aucun matériel indépendant des Vies (Jakob-Sonnabend 1999, p. 82).
202.– Cizek 1999, p. 22-23.
203.– Festy 1991, p. II ; Bird 1994, p. XI.
204.– Jul., Caes. 310c-d.
205.– Festy 1991, p. II ; Cizek 1999, p. 27.
206.– Aur. -Vict., 5, 2, cf. Suet., Ner. 18, 2.
207.– Aur.-Vict., 5, 5, cf. Suet., Ner. 20-25.
208.– Aur.-Vict., 5, 5-11, cf. Suet., Ner. 28-29.
209.– Aur.-Vict., 5, 13-14, cf. Suet., Ner. 33-37 ; Aurelius Victor ne retient cependant pas le
meurtre de Claude, de Britannicus, d’Octavie et de Poppée.
210.– Aur.-Vict., 5, 14, cf. Suet., Ner. 43, 1.
211.– Aur.-Vict., 5, 16-17, cf. Suet., Ner. 47-49 et Galb. 1, 1-2.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
47
suivant, ont conduit Aurelius Victor à modifier l’éclairage suétonien212. Aurelius
Victor ajoute surtout au matériel offert par Suétone des éléments inédits : il est
le seul à parler du fameux « quinquennium Neronis », les cinq bonnes années du
principat néronien, formulation que l’abréviateur prête à Trajan213 ; il est le seul
à affirmer que Néron projetait de déplacer le siège de l’Empire sur les instances
d’un ambassadeur parthe, et à rapporter l’anecdote selon laquelle l’empereur
aurait déclaré, au Parthe en question, qu’il pouvait prendre qui il voulait parmi
ses sujets, personne sous son règne n’étant tenu pour libre214. Aurelius Victor
modifie, enfin, le climax des crimes néroniens tel qu’il avait été établi par
Suétone215 : alors que celui-ci fait précéder le récit de la chute de Néron de la
description de l’incendie de Rome de 64 ap. J.-C., Aurelius Victor place, avant le
récit de la fin du tyran, l’anecdote de l’ambassadeur parthe, c’est-à-dire le motif
de la disparition totale de la liberté.
Il convient ici de rappeler que le Parthe/Perse216 représente l’ennemi
endémique de Rome depuis le Ier siècle av. J.-C. : c’est à l’occasion d’une
expédition contre les Parthes que Crassus fut tué à Carrhes en 53 ; César, afin
de venger cette mort, allait marcher contre eux le lendemain des Ides de mars ;
Antoine perdit beaucoup d’hommes à les combattre ; Trogue-Pompée, si l’on en
croit Justin, divisait à ce titre le monde en deux empires, le romain et le parthe217.
Or la rivalité des Romains et des Parthes était particulièrement vive à l’époque
d’Aurelius Victor : au moment où celui-ci travaillait à son Livre des Césars, les
Romains venaient de subir de furieux assauts de la part du Sassanide Sapor II, roi
de l’Empire perse ; en 337 déjà, Constantin s’apprêtait à mener une expédition
contre Sapor ; c’est au cours de ces conflits que Julien sera mortellement blessé en
363, défaite à la suite de laquelle l’empereur Jovien conclura une paix honteuse ;
l’empereur Valens passera ensuite plusieurs années à tenter de rétablir la situation
compromise par son prédécesseur et récupérer les territoires perdus. En insérant
l’anecdote de l’ambassadeur étranger et en établissant un lien entre le climax
des crimes néroniens et les relations de l’empereur avec les Parthes, l’abréviateur
faisait donc de Néron un reflet des préoccupations de son temps.
Eutrope
Quelques années après la publication du Livre des Césars paraissait un nouvel
abrégé, d’inspiration suétonienne à nouveau, connu sous le titre de Breuiarium
historiae Romanae (ce que les éditeurs français traduisent tantôt par Bréviaire,
tantôt par Abrégé d’histoire romaine). Il est l’œuvre, comme le Livre des Césars,
d’un membre de la haute administration impériale, Eutrope, qui rédigea son
212.– Aur.-Vict., 5, 3 (la jeunesse n’empêche pas la vertu mais celle-ci se perd si le naturel est
corrompu par la licence) ; 5, 10 (une fois que les vices se sont emparés de l’âme, l’homme
finit par s’en prendre à ses proches parents).
213.– Aur.-Vict., 5, 2. Sur ce passage, voir infra, p. 111-112.
214.– Aur.-Vict., 5, 14.
215.– Cizek 1999, p. 30-32.
216.– Au royaume parthe des Arsacides a succédé l’empire perse des Sassanides en 224-226 de
notre ère.
217.– Just., XLI 1, 1.
48
Laurie Lefebvre
abrégé en 369 à la demande de l’empereur Valens, pannonien assez peu cultivé et
soucieux d’acquérir une connaissance minimale sur Rome.
Néanmoins, alors qu’Aurelius Victor est un moralisateur qui a, comme
nous le verrons, adapté la figure de Néron à la démonstration de lois générales,
Eutrope fait œuvre d’historien et effectue, au sein des multiples éléments offerts
par la Vita Neronis de Suétone, des « coupes » moins sévères. Contrairement à
Aurelius Victor, Eutrope évoque en effet la prodigalité de Néron, qu’il illustre
au moyen de l’anecdote des bains de parfums chauds et froids que prenait
l’empereur et des filets dorés qu’il utilisait pour ses parties de pêche218 ; il ajoute,
aux côtés du matricide, le meurtre du frère et de l’épouse et mentionne l’incendie
de 64 ap. J.-C.219. Eutrope est donc plus complet qu’Aurelius Victor et suit de
plus près la relation de Suétone.
Si les projets d’Aurelius Victor et d’Eutrope sont différents, la présentation
qui est faite de Néron dans le Bréviaire est, comme celle du Livre des Césars,
tributaire de l’actualité des conflits entre les Romains et les Parthes. Eutrope
a notamment conservé, contrairement à Aurelius Victor, l’évocation suétonienne des désastres militaires essuyés par les Romains en Bretagne en 61, face
à la reine Boudicca, et en Arménie, où les légions romaines, suite à la défaite de
L. Caesennius Paetus à Rhandeia face au Parthe Vologèse, furent en 62 contraintes
de passer sous le joug220 : or ce choix fut sans nul doute motivé par le souvenir de
la honteuse capitulation de Jovien en 363 ; le passage des Romains sous le joug en
Arménie est par ailleurs rappelé également dans l’ouvrage d’un contemporain
d’Eutrope, le De breuiario rerum gestarum populi Romani, écrit vers 370 par un
certain Rufus – ou Rufius – Festus à la demande, là aussi, de Valens221. Eutrope
choisit à ce titre de ne pas évoquer le redressement de la situation, alors que sa
source Suétone indique que l’Arménie a été récupérée222.
De manière générale, Eutrope se montre plus sévère que Suétone et Aurelius
Victor : c’est ainsi qu’il entame sa notice relative à Néron par l’expression
« imperium et deformauit et diminuit223 », « il avilit et affaiblit l’Empire », là
où Suétone évoquait les éléments neutres voire positifs du principat néronien
et Aurelius Victor le quinquennium. La volonté d’Eutrope de faire de Néron
un contre-exemple adressé à Valens semble ainsi avoir conduit l’abréviateur à
intensifier la vaste entreprise de dénigrement lancée contre Néron au Ier siècle.
Le Pseudo-Aurelius Victor
La tendance à l’exagération se retrouve dans un abrégé d’inspiration païenne
composé à l’extrême fin du IVe siècle et longtemps attribué à Aurelius Victor,
218.– Eutr., VII 14, 1.
219.– Eutr., VII 14, 3.
220.– Eutr., VII 14, 4. Sur le désastre de Bretagne, voir Tac., Agr. 16 ; An. XIV 32-33 ; Suet., Ner.
39, 1 ; d’Arménie, voir Tac., An. XV 15, 2 ; Suet., Ner. 39, 1 ; Ruf., Brev. 20, 1 ; Oros., Hist.
VII 7, 12.
221.– Ruf., Brev. 20, 1 : « Néron, le plus infâme empereur que la république romaine eut à souffrir, perdit l’Arménie. Alors, deux légions romaines, envoyées sous le joug par les Parthes,
déshonorèrent leur serment, à la plus grande honte de l’armée romaine. »
222.– Suet., Ner. 40, 4.
223.– Eutr., VII 14, 1.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
49
l’Epitome de Caesaribus (ou Abrégé des Césars). Cet ouvrage se présente
comme une suite de biographies impériales, d’Auguste à Théodose, inspirées
essentiellement, pour le passage qui nous intéresse, de l’abrégé d’Aurelius
Victor. De fait, l’auteur de l’Epitome conserve la quasi-totalité des actions et des
crimes qu’Aurelius Victor attribuait à Néron ; il évoque notamment le fameux
quinquennium Neronis224.
Le Pseudo-Aurelius Victor procède cependant, par rapport à la notice du
Livre des Césars, à des ajouts qui proviennent, directement ou indirectement,
de Suétone225, qu’il se plaît par ailleurs à déformer : il déclare ainsi que Néron
fit tuer les maris respectifs d’Octavie et de Poppée, là où le texte de Suétone
ne mentionne que le meurtre du mari de la troisième femme de Néron, Statilia
Messalina226 ; il écrit que les Perses (terme par lequel il désigne anachroniquement les Parthes227) avaient pour Néron « une telle affection » qu’à sa mort
« ils envoyèrent des ambassadeurs demander l’autorisation de lui construire un
monument funéraire », là où Suétone ne parle pas d’une telle « affection »228 ;
il affirme, surtout, que Rome entière ainsi que toutes les provinces se réjouirent
à l’annonce de la mort de Néron, là où Suétone réduit les manifestations de joie
à la ville de Rome229. De tels phénomènes de déformation et d’exagération des
faits sont caractéristiques de l’évolution de la légende de Néron.
Les évocations ponctuelles de la figure de Néron
Ammien Marcellin et Rutilius Namatianus
À côté de ces ouvrages historiographiques se proposant comme but de donner
du principat néronien un panorama certes synthétique mais complet, se trouvent
des œuvres qui, si elles ne convoquent la figure de Néron que de manière très
ponctuelle, n’en participent pas moins sensiblement à la diffusion de sa légende.
Nombreux sont en effet les textes qui, à l’instar de ce qui avait été initié les siècles
précédents, utilisent Néron en guise de point de référence dès lors qu’il s’agit de
critiquer un personnage perçu comme tyrannique.
Ainsi, dans l’ouvrage historique composé par Ammien Marcellin à la fin du
IVe siècle, l’historien, déplorant le sort malheureux du commandant de l’armée
d’Orient, Ursicin, grand général victime de l’entourage délétère de Constance II,
224.– Ps. Aur.-Vict., Epit. 5, 2.
225.– Voir notamment Ps. Aur.-Vict., Epit. 5, 7 : le Sénat ordonne de passer le cou de Néron
dans une fourche et de le battre de verges jusqu’à la mort (précision absente chez Aurelius
Victor et qui provient de Suet., Ner. 49, 2) ; Néron sort alors de Rome avec quatre compagnons (cf. Suet., Ner. 48, 1 ; Aurelius Victor avait réduit ce nombre à un : Aur.Vict., 5, 16) ;
Néron prononce les mots « nec amicum habeo nec inimicum » (cf. Suet., Ner. 47, 5), citation absente chez Aurelius Victor.
226.– Ps. Aur.-Vict., Epit. 5, 5 (cf. Suet., Ner. 35, 1-2).
227.– Cet anachronisme avait de longue date été créé et entretenu par les empereurs romains euxmêmes (en particulier Marc Aurèle et Caracalla), soucieux de mobiliser la partie grecque
de l’Empire contre les Parthes en faisant ressurgir le souvenir des Guerres Médiques, ou
celui de la campagne perse d’Alexandre le Grand (à ce sujet, voir Hdn., IV 8-9). L’Empire
perse sassanide avait d’autre part, depuis le IIIe siècle ap. J.-C., remplacé l’Empire parthe
des Arsacides.
228.– Ps. Aur.-Vict., Epit. 5, 8 (trad. M. Festy). Cf. Suet., Ner. 57, 3.
229.– Ps. Aur.-Vict., Epit. 5, 9 (cf. Suet., Ner. 57, 1).
50
Laurie Lefebvre
fait intervenir une comparaison avec le sort de Corbulon, défenseur de l’Empire
qui périt « dans le cloaque de l’époque de Néron », « in colluuione illa Neroniani
saeculi », expression sans doute inspirée de Tacite qui, dans les Annales, désigne
la cour de Néron au moyen du tour « illa conluuies230 ». Ces quelques mots,
tout en ne donnant aucun détail sur le principat néronien, disent cependant
beaucoup sur le statut de contre-modèle que le dernier Julio-claudien avait fini
par acquérir.
Dans le De reditu suo, écrit en 417, le poète païen Rutilius Namatianus fera de
la figure de Néron une utilisation similaire : il se sert en effet d’une comparaison
avec Néron afin de condamner Stilichon, général romain d’origine vandale à qui
Théodose avait, à sa mort, confié la régence de son fils cadet Honorius et que
Rutilius accuse d’avoir pactisé avec les barbares et causé la perte de Rome. C’est
ainsi que le poète déclare Stilichon plus funeste, « tristior », que Néron, car si
l’un a tué sa mère, l’autre a frappé la mère du monde, Rome231.
Une quinzaine d’années plus tôt, Néron était utilisé de façon analogue
dans le camp adverse, par un fervent partisan de Stilichon et d’Honorius, le
poète chrétien Claudien, qui convoque Néron en guise d’étalon pour mesurer
la monstruosité d’Eutrope, le favori du fils aîné de Théodose, Arcadius ; cette
fois, ce n’est pas le matricide mais les prestations scéniques de l’empereur qui
sont évoquées, le poète se demandant si le théâtre de Néron a déjà offert rien de
semblable à Eutrope232. De la même manière, dans le Panégyrique sur le quatrième
consulat d’Honorius, Claudien choisit Néron comme contre-modèle233. Quel
que soit le camp, païen ou chrétien, Néron s’avère ainsi être le repoussoir par
excellence ; il constitue, de ce point de vue, un indéfectible terrain d’entente.
L’Histoire Auguste
C’est ainsi au IVe siècle et à l’aube du Ve que le passage de Néron au statut de
contre-modèle absolu trouve son expression la plus nette. D’autres exemples
nous sont fournis par la lecture de l’Histoire Auguste, suite de biographies
d’empereurs et d’usurpateurs inspirées manifestement de la méthode de Suétone
et dont la rédaction est généralement située entre la seconde moitié du IVe siècle
et le premier quart du Ve ; si le recueil se présente comme l’œuvre de six auteurs,
il est communément admis aujourd’hui que l’Histoire Auguste est l’œuvre d’un
auteur unique issu des milieux traditionalistes païens234.
230.– Amm., XV 2, 5 (cf. Tac., An. XIV 15, 3).
231.– Rutil., II 57-60 : « que cessent tous les tourments de Néron dans le Tartare ; qu’une ombre
plus funeste épuise les torches du Styx ; l’un a frappé une mortelle, l’autre une immortelle,
l’un a frappé sa mère, l’autre la mère du monde. »
232.– Claud., Eutr. II 58-63 : « regardez en arrière les crimes qu’offre la lecture des annales de
tous les temps, parcourez les siècles anciens en passant les fastes en revue : la Caprée du
vieillard monstrueux et le théâtre de Néron offrent-ils rien de semblable ? Un eunuque
revêtu du manteau de Romulus s’est assis parmi les lares d’Auguste. »
233.– Claud., IV Cons. Hon. 311-315, cité supra, p. 11.
234.– Pour un point sur la question, voir Chastagnol 1970 ; Cizek 1995, p. 296-297.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
51
L’Histoire Auguste, qui commence avec la biographie d’Hadrien, ne fait
presque jamais référence à des détails précis du principat néronien235 ; la figure
de Néron n’en est pas moins convoquée à de très nombreuses reprises. Car le
dernier Julio-claudien est, dans l’Histoire Auguste, le type même de l’empereur
monstrueux et détestable : c’est lui que l’auteur convoque comme point de
référence dès lors qu’il s’agit de condamner un tyran.
D’après le biographe de Marc-Aurèle, on racontait ainsi que « ce dernier
souhaitait la mort de son fils, de peur, comme il le disait lui-même, que celui-ci
ne devînt semblable à Néron, Caligula ou Domitien236 » ; on peut également
lire que le Sénat, à la mort de Commode, déclara ce dernier « plus cruel que
Domitien, plus souillé que Néron », « saeuior Domitiano, impurior Nerone237 ».
Lucius Verus, dont sont décrites les nuits de débauche et de rixes, est qualifié
de « Néron, moins la cruauté et les outrages », « Nero praeter crudelitatem
et ludibria238 ». Élagabal, quant à lui, est présenté à maintes reprises comme
cherchant à rivaliser avec Néron dans le domaine de la luxuria239.
Il y a plus : dans les très nombreuses listes de bons et de mauvais empereurs
que l’auteur de l’Histoire Auguste se plaît à établir, Néron fait invariablement
partie des canons de pessimi, alors que des tyrans comme Caligula ou Domitien
n’apparaissent pas systématiquement240 : Néron est véritablement, à l’aube du
Ve siècle, le Tyran par excellence.
Du IVe siècle au début du Ve : la perspective chrétienne
Parallèlement aux jugements païens, inspirés majoritairement de Suétone et
consacrant Néron au rang de tyran-type, se développa, dans les cercles chrétiens,
une intense activité diffamatoire à l’encontre du dernier Julio-claudien, sur fond
de querelles et de polémiques diverses. Le IVe siècle fut, de fait, marqué par
d’âpres conflits entre paganisme et christianisme : si l’on résume et schématise,
se succédèrent ainsi la « Grande Persécution » des Chrétiens ordonnée par
235.– Les seules exceptions sont HA, Alb. 13, 8 (allusion à la condamnation de Néron comme
hostis publicus en 68) ; Hel. 31, 5 (où Élagabal, qui se déplace avec jusqu’à six cents voitures,
allègue que Néron voyageait bien avec cinq cents carrosses ; cf. Suet., Ner. 30, 8, où il est
cependant question de mille voitures) ; Aur. 21, 11 (Néron a annexé le Pont Polémoniaque
et les Alpes Cottiennes et agrandi le pomoerium – ce qui est une erreur, due à l’ambiguïté
d’Aur.-Vict., 5, 2).
236.– HA., M. Aur. 28, 10.
237.– HA., Comm. 19, 2.
238.– HA., Ver. 10, 8. Voir aussi Ver. 4, 6.
239.– HA., Hel. 18, 4 ; 31, 5 ; 33, 1 ; Alex. 9, 4.
240.– HA., M. Aur. 28, 10 (Néron, Caligula, Domitien) ; Ver. 4, 6 (Caligula, Néron, Vitellius) ;
Comm. 19, 2 (Domitien, Néron) ; Avid. 8, 4-5 (Néron, Caligula, Othon, Vitellius, Pertinax,
Galba) ; Alb. 13, 5 (Vitellius, Néron, Domitien) ; Hel. 1, 1 (Caligula, Néron, Vitellius) ; Hel.
18, 4 (Néron, Othon, Vitellius) ; Hel. 33, 1 (Tibère, Caligula, Néron) ; Hel. 34, 1 (Néron,
Vitellius, Caligula) ; Alex. 9, 4 (Néron, Vitellius, Commode) ; Aur. 42, 6 (Vitellius,
Caligula, Néron, Maximin, Philippe l’Arabe) ; Tac. 6, 4 (Néron, Élagabal, Commode) ;
Car. 1, 3 (Domitien, Vitellius, Néron) ; Car. 3, 2-8 (Néron, Domitien, Commode, les
Sévères sauf Septime, Gallien, Carin). La seule exception est Alex. 65, 5, où le contremodèle choisi est Domitien et où la figure de Néron n’est pas convoquée.
52
Laurie Lefebvre
Dioclétien, la tolérance envers le christianisme initiée par Constantin (dont les
fils, Constant et Constance II, durcirent la politique en multipliant les mesures
hostiles au paganisme), puis la victoire finale de la religion chrétienne, après le
bref répit que le court règne de Julien l’Apostat laissa aux païens ; à cela s’ajoutent
les tensions intérieures, entre nicéens et arianistes notamment, auxquels les
Chrétiens durent faire face. Un contexte hautement polémique, donc.
Les discours historiographiques
D’Eusèbe à Orose : Néron le persécuteur
La condamnation de Néron, chez les auteurs chrétiens du IVe siècle et du début
du Ve, va ainsi toujours s’articuler à la thématique de la persécution, qui constitue
alors un problème d’une brûlante actualité.
La réécriture de la geste de Néron par Eusèbe – qui avait subi la terrible
persécution de Dioclétien – dans l’Histoire ecclésiastique, écrite avant 312 pour
sa première forme, témoigne du phénomène. L’historien ouvre en effet le
chapitre 25 du livre II en écrivant que, « alors que son pouvoir était déjà affermi,
Néron, qui en était venu à des actions sacrilèges, s’arma contre la piété même due
au Dieu de l’univers241 ». Puis il résume ses principaux crimes :
« Écrire quelle était la méchanceté de cet homme ne relèverait pas de la
présente étude : étant donné que nombreux sont ceux qui ont laissé sur ce
qui le concerne des récits très précis, il est permis à qui le souhaite d’examiner chez eux la grossièreté de la folie de cet homme insensé qui, laissant sans
raison des milliers de morts sur son chemin, en vint à une telle soif de meurtres
qu’il n’épargna pas même ses familiers et ses amis et qu’il fit périr de la même
manière mère, frère et sœur, femme ainsi que mille autres personnes qui lui
étaient unies par le sang par des genres de mort variés, comme s’il s’agissait
d’ennemis et d’adversaires. » (Eus., Hist. eccl. II 25, 2)
Ce récit est manifestement inspiré de Flavius Josèphe : la volonté de resserrer
le cadre de l’étude sur ce qui concerne les Chrétiens, la mention de la multiplicité des récits relatifs au principat néronien, ce qui dispense l’auteur d’en dire
davantage, la référence à la démence de l’empereur, suivie du rappel de ses parricides, trouvent en effet une correspondance exacte dans l’extrait de la Guerre des
Juifs que nous avons cité plus haut242.
Cependant, on constate que là où Flavius Josèphe clôturait sa synthèse par la
mention des prestations scéniques, Eusèbe tait ce dernier aspect pour ne retenir
que le motif de la cruauté, qu’il exagère (les victimes de Néron se comptent
par « milliers ») et dramatise (les meurtres des nobles personnages tels que
mentionnés chez Josèphe sont remplacés par ceux de personnes unies à Néron par
le sang) : le premier persécuteur des Chrétiens ne pouvant être qu’un bourreau
sanguinaire, Eusèbe fait de Néron une bête assoiffée de carnage s’abreuvant dans
sa propre famille. Tout en reprenant les traditions païennes relatives à Néron,
Eusèbe est donc conduit par son optique prochrétienne à réélaborer le canon
241.– Eus., Hist. eccl. II 25, 1.
242.– Jos., B. J. II 250-251 (voir supra, p. 30). Au sujet de ces notices, voir Lefebvre 2016.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
53
flavien des crimes néroniens et à exacerber, comme Tertullien ou Commodien
l’avaient fait avant lui, le motif de la férocité.
Le même processus apparaît chez un contemporain d’Eusèbe, Lactance,
qui nous fournit le cas le plus flagrant de réinterprétation de la vie de Néron
à la lumière de son action antichrétienne. Dans son De mortibus persecutorum,
œuvre polémique achevée en 316 et qui raconte les morts affreuses dont Dieu a
frappé les empereurs persécuteurs243, Lactance, qui commence son énumération,
conformément à la chronologie de Tertullien, par Néron, présente en effet la
chute de celui-ci comme la conséquence du martyre de Pierre et de Paul :
« Il fut le premier de tous ceux qui persécutèrent les serviteurs de Dieu : il fit
crucifier Pierre et décapiter Paul. Mais ce ne fut pas impunément, car Dieu
eut égard aux souffrances de son peuple. Aussi, ce tyran effréné, déchu de la
puissance suprême, renversé du haut de sa grandeur, disparut soudain : on
ne put même pas découvrir sur terre la sépulture de cette bête malfaisante. »
(Lact., Mort. 2, 6-7 ; trad. J. Moreau)
La lecture rétrospective de la mort de Néron par l’auteur chrétien fait
de celle-ci un châtiment infligé par Dieu en punition des attaques contre les
fidèles du Christ. Le destin de Néron est devenu une preuve du bien-fondé de la
religion chrétienne.
La Chronique de Sulpice Sévère, ouvrage historiographique racontant
l’histoire des peuples juif puis chrétien depuis la création du monde jusqu’en
400 ap. J.-C. et écrit entre 400 et 403244, va perpétuer cette vision déformée
par la tentation apologétique. En effet, l’ouvrage étant centré uniquement sur
ce qui intéresse l’histoire chrétienne, l’auteur retient essentiellement de la geste
de Néron l’épisode de la persécution des Chrétiens et attribue à l’empereur, de
manière tout à fait traditionnelle, les martyres de Pierre et de Paul245.
Sulpice Sévère est d’ailleurs l’auteur chrétien qui donne de l’action intentée
par Néron contre les fidèles du Christ le récit le plus détaillé : il emprunte en effet
sa description aux Annales tacitéennes, qu’il cite presque mot pour mot246 – à
moins, comme le pensent certains chercheurs247, que le passage tacitéen ne soit
un « faux ». Sulpice Sévère est en tout cas le seul, parmi les historiens tardifs,
à ne pas s’inspirer de Suétone. Il est aussi le seul, parmi les auteurs chrétiens, à
établir un lien entre l’incendie de Rome et la persécution, et à faire à ce titre
des Chrétiens les boucs émissaires innocents d’un empereur qui cherchait à
détourner sur d’autres la haine que l’on avait à son égard. Seule la onzième lettre
de la Correspondance de Sénèque et de Paul, écrit apocryphe chrétien composé
vraisemblablement au IVe siècle, établit également ce lien.
243.– Lact., Mort. 1, 5-8.
244.– Sulpice Sévère, Chroniques, éd. de Senneville-Grave, p. 12-16.
245.– Sulp. Sev., Chron. II 28-29. Sulpice Sévère évoque également le mariage de Néron et de
Pythagoras ; il est d’ailleurs, avant Orose, le seul auteur chrétien à le faire.
246.– Comparer Tac., An. XV 44, 4 et Sulp. Sev., Chron. II 29, 1. Comparer aussi Tac., An. XV
37, 4 et Sulp. Sev., Chron. II 28, 1 (description identique du mariage avec Pythagoras).
247.– À la suite de Hochard 1884.
54
Laurie Lefebvre
Les visées prochrétiennes de Sulpice Sévère le conduisent par ailleurs, à
l’instar de Tertullien ou d’Eusèbe, à assimiler Néron à un animal féroce : il le
qualifie en effet de « plus abject des bêtes sauvages », « inmanium bestiarum
sordidissimus248 ». Il soutient en outre que l’on ne retrouva jamais le corps de
l’empereur et, souscrivant ainsi à l’opinion selon laquelle Néron reviendra à la
fin des temps, reprend à son compte la lecture de l’Apocalypse de Jean qui fait
du motif de la guérison de la plaie de la Bête une allusion à la résurrection du
dernier Julio-claudien249.
Des phénomènes similaires se laissent observer chez Orose250, auteur d’un
ouvrage historique en sept livres, l’Historia aduersus paganos, écrit au lendemain
de la prise de Rome par Alaric à la demande d’Augustin, qui souhaitait compléter
la Cité de Dieu d’arguments supplémentaires et avait confié à Orose la tâche
de dresser la liste des guerres, catastrophes naturelles et autres désastres ayant
marqué l’histoire du monde depuis son origine – tâche avec laquelle Orose prit
cependant bien des libertés, car bien loin de rédiger une simple liste, il entreprit
de composer, dans une optique chrétienne et apologétique, une histoire universelle où il cherchait à prouver l’intervention de Dieu dans l’histoire en faisant
des malheurs de l’humanité des châtiments divins dus aux péchés des hommes.
Comme chez ses prédécesseurs, donc, on retrouve chez Orose l’assimilation
de Néron à une bête fauve : l’historien déclare en effet que Néron « fut rendu
sauvage par une telle rage de cruauté », « crudelitatis autem rabie ita efferatus
est 251 », qu’il tua nombre de sénateurs et de chevaliers et surtout ses parents et
ses proches. On y retrouve aussi et bien sûr les motifs de la persécution et du
martyre de Pierre et de Paul252. Enfin, si la notice orosienne consacrée à Néron
s’inspire ostensiblement de Suétone, s’inscrivant ainsi dans la veine païenne,
les visées prochrétiennes du disciple d’Augustin ont cependant entraîné une
requalification en profondeur des crimes néroniens ; nous aurons l’occasion d’y
revenir en détails253.
Les exceptions
Au sein de la branche chrétienne du développement de la légende, laquelle a
accordé, comme nous venons de le voir et sans grande surprise, une place centrale
à la figure du persécuteur sanguinaire, il convient de faire un sort particulier aux
mentions de Néron contenues dans l’ouvrage du poète chrétien Ausone connu
sous le titre De duodecim Caesaribus per Suetonium Tranquillum scriptis. Ce
248.– Sulp. Sev., Chron. II 28, 1.
249.– Sulp. Sev., Chron. II 29, 3.
250.– Pour les mentions de Néron chez Orose, voir surtout Hist. VII 7. Voir aussi VII 12, 4
(incendie de la domus aurea, assimilé à un châtiment divin) ; VII 27, 4 (rapprochement
entre le règne de Néron et la première plaie d’Égypte) ; VII 39, 16 (en réponse aux païens
qui rendent les Chrétiens responsables de l’incendie de Rome par Alaric, Orose rappelle
que le grand incendie de 64 ap. J.-C. eut lieu sous un empereur païen). Le nom de Néron
est par ailleurs souvent utilisé par Orose afin de dater les persécutions (Hist. VII 10, 5 ; 12,
3 ; 15, 4 ; 17, 4 ; 19, 1 ; 21, 2 ; 22, 3 ; 23, 6 ; 25, 13).
251.– Oros., Hist. VII 7, 9.
252.– Oros., Hist. VII 7, 10.
253.– Voir infra, p. 83-84.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
55
poème, qu’Ausone adresse à son fils Hesperius et qui résume brièvement la vie
des premiers empereurs (ce qui explique que nous l’ayons « rangé » parmi les
discours historiographiques), se compose d’une série de vers (les Monosticha)
présentant de manière synthétique l’ordre de succession des premiers maîtres
de Rome (de César à Domitien) ainsi que la durée de leur règne et leur mort,
suivie d’une série de pièces (les Tetrasticha) résumant chacune la vie des premiers
empereurs, auxquels Ausone ajoute les Antonins et les Sévères (nous ne
possédons cependant pas la fin de l’œuvre).
Si Ausone est bien un auteur chrétien, nulle part dans cette œuvre, cependant,
ne transparaît de tonalité prochrétienne : comme l’indique le titre de l’ouvrage,
le poète reste entièrement sur le terrain, païen, de Suétone. Les seuls éléments
qu’Ausone sélectionne, dans les quelques vers qu’il consacre au dernier Julioclaudien, sont ainsi l’incontournable matricide, l’épisode du suicide et, de
manière très allusive, de multiples crimes que l’auteur ne prend pas la peine de
préciser, renvoyant, pour plus de complément, à Suétone254. Ici, pas de Néron
Antéchrist, ni de bourreau des apôtres.
Il en va de même dans la Chronique de Jérôme, adaptation latine de la
Chronique d’Eusèbe de Césarée et qui consiste en une liste d’événements
présentés de façon extrêmement concise et suivant un ordre strictement chronologique, depuis la Création jusqu’au IVe siècle. Jérôme ne s’est néanmoins pas
contenté de traduire l’ouvrage d’Eusèbe : il l’a aussi complété et augmenté. Le
passage consacré à Néron255 est de fait, à maints endroits, un calque exact du
texte d’Eutrope (et, par son intermédiaire, de Suétone), dont Eusèbe ne pouvait,
bien sûr, avoir connaissance256.
Du même coup, la Chronique hiéronymienne constitue, là encore, une
exception au sein de l’historiographie chrétienne : si Jérôme y mentionne bien
la mort de Pierre et de Paul dans ce qui fut la première persécution257, sa présentation du dernier Julio-claudien est en tout point conforme à celle des abréviateurs païens. Jérôme dresse ainsi, des crimes néroniens, la liste suivante, d’ailleurs
particulièrement riche : sont évoqués le matricide, le meurtre de Domitia Lepida
(la tante de Néron), ceux d’Octavie, de Lucain, de Sénèque et de nombreux
nobles, la répression de la conjuration de Pison, la prodigalité de l’empereur et sa
passion pour le luxe (illustrée notamment par la coutume néronienne de pêcher
254.– Aus., Caes., Mon. 35 : « le matricide Néron succomba au coup de sa propre épée » ; Caes.,
Tetr. 27-28 : « Autant la piété compte-t-elle de noms, autant y a-t-il de crimes dans sa vie.
/ Apprends-les de Suétone : mais leur souvenir répugne. »
255.– Hier., Chron., p. 181-186.
256.– Comparer par exemple Eutr., VII 14, 1 et Hier, Chron., p. 182g (parties de pêche et bains
néroniens) ; Eutr., VII 14, 2 et Hier, Chron., p. 182h, 183e, 184d et f (prestations scéniques) ;
Eutr., VII 14, 3 et Hier, Chron., p. 183g (incendie de Rome de manière à jouir du spectacle
offert jadis par Troie en flammes) ; Eutr., VII 14, 5 et Hier, Chron., p. 184b (création de
deux provinces, le Pont Polémoniaque et les Alpes Cottiennes) ; Eutr., VII 15, 2 et Hier,
Chron., p. 183d (édification des thermes de Néron). Jérôme donne également des précisions qui sont absentes de l’Abrégé d’Eutrope (tremblements de terre ; morts de Sénèque
et de Lucain ; exil de Cornutus). Jérôme a donc, à côté de l’ouvrage d’Eutrope, eu recours
à une autre source.
257.– Hier, Chron., p. 185c. Voir aussi Hier., Vir. ill. 1, 1 ; 5, 8.
56
Laurie Lefebvre
avec des filets dorés), la participation impériale, en Italie et en Grèce, à des
spectacles et des concours de citharédie, l’incendie de Rome, le bannissement
du philosophe Cornutus et enfin le suicide du princeps. La Chronique hiéronymienne constitue de ce fait le témoignage tardif le plus complet sur Néron.
Les autres discours
Hilaire de Poitiers
Mais revenons à la « norme », en l’occurrence au phénomène chrétien de
sujétion systématique de la représentation de Néron à des visées polémiques et
apologétiques. C’est dans les textes non historiographiques qu’il est le plus net.
Dans le Contre Constance d’Hilaire de Poitiers notamment, la figure de Néron,
lequel est convoqué en tant que chef de file des persécuteurs, sert à condamner
plus sûrement l’adversaire.
Au milieu du IVe siècle, Constance II, le fils de Constantin, devient, après
l’élimination de Magnence, le seul maître de l’Empire romain. Or Constance
est acquis aux doctrines d’Arius et veut rétablir l’unité dans ses États : s’ensuit
alors une persécution contre les évêques et les prêtres fidèles à la foi de Nicée et
dont Hilaire fait partie. C’est dans ce contexte qu’Hilaire s’adresse à Constance,
dont il présente la persécution comme d’autant plus terrible qu’elle vient de
l’intérieur, refuse le titre de martyrs aux persécutés et tue non pas les corps mais
les âmes.
Or, afin d’appuyer sa condamnation, Hilaire déclare qu’il aurait voulu vivre
« à l’époque de Néron ou de Dèce », « Neronianis Decianisue temporibus258 »,
car alors, face à des ennemis déclarés, il aurait pu subir le martyre et les fidèles
auraient été sûrs qu’il s’agissait d’une persécution. Plus loin, Hilaire met
en parallèle la persécution de Constance avec celles de Néron, de Dèce et du
tétrarque Galère :
« Je crie à ta face, Constance, ce que j’aurais déclaré à Néron, ce que Dèce
et Maximien Galère auraient entendu de ma bouche : tu combats contre
Dieu, tu te déchaînes contre l’Église, tu persécutes les saints, tu hais les prédicateurs du Christ, tu anéantis la religion, tyran non plus en matière profane
mais en matière religieuse. » (Hil., C. Const. 7 ; trad. A. Rocher, légèrement
modifiée)
Comme on peut le voir, l’action de Néron (comme celle de Constance) est ici
assimilée à une véritable théomachie destinée à mettre à bas la religion chrétienne,
ce qu’en réalité elle ne fut pas (nous aurons l’occasion d’y revenir259) : la lecture
apologétique chrétienne de la geste néronienne en a modifié le sens. Hilaire
ajoute que les Chrétiens sont même « davantage redevables à [la] cruauté [de]
Néron, Dèce, Galère. En effet par [eux] [ils ont] vaincu le Diable » en recueillant
le sang sacré des martyrs, ce qui ne leur est pas permis sous Constance260.
258.– Hil., C. Const. 4.
259.– Voir infra, p. 150-152.
260.– Hil., C. Const. 8.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
57
Hilaire présente donc Constance comme pire que Néron, lequel fait d’ailleurs, de ce point de vue, l’objet d’un extraordinaire consensus entre païens et
Chrétiens : nous avons vu que la mise en parallèle de Néron et de Constance II
sera utilisée aussi par le païen Ammien Marcellin261. Or la force de l’attaque,
qui sera reprise par Sulpice Sévère262, ne se comprend que si l’on considère
qu’Hilaire tenait le dernier Julio-claudien comme le Monstre par excellence :
le texte de l’évêque illustre donc, quelques années avant l’Histoire Auguste, le
passage définitif de Néron au statut de figure dont le nom charrie des connotations terribles qui se passent de commentaire. L’inclusion de Néron dans la liste
des plus grands bourreaux que la secte chrétienne ait jamais connus, Dèce, la
« bête exécrable263 » à qui l’on doit la première persécution en règle et légalisée
des Chrétiens, et Galère, instigateur de la terrible persécution de 302-304,
signale d’ailleurs, de façon tout à fait significative, l’importance que la figure
de Néron, en tant que primus persecutor, avait fini par revêtir au sein de l’imaginaire chrétien.
Jean Chrysostome
L’œuvre de Jean Chrysostome, qui vécut dans la seconde moitié du IVe siècle
de notre ère et médita toute sa vie les écrits de Paul (ce qui l’amène souvent
à évoquer Néron, sous le règne duquel Paul passait traditionnellement pour
avoir été martyrisé), témoigne du même phénomène de réduction de la figure
néronienne à la thématique de la persécution et de la féroce cruauté.
La volonté de rehausser le prestige de Paul et d’affirmer la force de l’Église
face à ses adversaires pousse ainsi Jean Chrysostome, à l’instar de ses homologues
chrétiens et comme le fera encore, au début du Ve siècle, le poète Prudence264, à
présenter avant tout Néron comme champion de la bestialité : il le qualifie ainsi
de « bête sauvage », « θηρίον », mue par la colère, « θυμός » ou « ὀργὴν » ;
il le dit « cruel », « ὠμὸς », et évoque « la sauvagerie et la violence de son
pouvoir », « τὸ θηριῶδες καὶ ἰσχυρὸν τῆς βασιλείας αὐτοῦ » ; il rappelle qu’il est
considéré par tous « comme un véritable fléau et un démon sauvage », « ὥσπερ
ὄντως λυμεὼν καὶ δαίμων ἄγριος »265. Il considère par ailleurs qu’il est le type
261.– Voir supra, p. 49-50.
262.– Sulp. Sev., Ep. II 9 : « S’il lui avait été permis, au temps de Néron ou de Dèce, de combattre
dans les grandes luttes qui eurent lieu alors, eh bien, j’en atteste le Dieu du ciel et de la
terre, il serait spontanément monté sur le chevalet de torture, il se serait de lui-même jeté
dans le feu et il aurait, de manière à égaler les jeunes Hébreux, chanté l’hymne du Seigneur
bien que dans les masses de flammes, au milieu de la fournaise. » Sulpice Sévère désigne
ici Martin de Tours.
263.– Lact., Mort. 4 : « execrabile animal Decius ».
264.– Prud., Sym. II 669-671 : « […] Néron, le premier, après avoir fait périr sa mère, s’est
abreuvé du sang des apôtres, m’a souillée du massacre des saints et m’a marquée, cruel,
au fer de son propre forfait. » (trad. M. Lavarenne, légèrement modifiée) ; Perist. XII
23-24 : « Néron vomit contre la gorge de Paul sa fureur bouillonnante, il ordonne que l’on
frappe le maître des gentils. »
265.– Chrys., Hom. Paul. IV ; Hom. ep. Phil. II 3 ; Hom. 2 ep. Tim. IV 3 et X 2 ; Oppug. monas. vit.
I 3.
58
Laurie Lefebvre
de l’Antéchrist, dont la méchanceté ne sera guère supérieure à celle du dernier
Julio-claudien266.
Néron a surtout, chez Jean Chrysostome, complètement perdu ses caractéristiques individuelles : il est devenu une figure complètement déconnectée de
sa réalité historique primitive et susceptible de revêtir des formes nouvelles en
fonction du contexte. Cela est particulièrement net dans la Quatrième homélie
sur la deuxième épître à Timothée. Jean Chrysostome, qui oppose la gloire d’icibas, qui n’est qu’ignominie, à la gloire aux cieux qui est la seule véritable, y
déclare en effet que Néron allait à la guerre couvert d’or et de pierreries, qu’il
était appelé maître de la mer et de la terre, que tous, sages et rois, le redoutaient
et l’honoraient comme un dieu, que les Grecs, les Barbares, les Scythes et les
nations les plus reculées le célébraient à l’envi267 : ces éléments sont inédits et
l’on a peine à reconnaître le membre de la dynastie julio-claudienne. Jean
Chrysostome va jusqu’à ajouter que Néron était ceint d’un diadème : de ce point
de vue, Néron a bien davantage l’allure d’un empereur du IVe siècle que d’un
princeps du Haut-Empire.
Même quand la caractérisation de Néron par Jean Chrysostome semble
conforme à ce qui était généralement admis par les païens (Néron inventa
des nouvelles formes de débauche268 ; ravissait les biens de tous, mettait à mal
les mariages et donnait en spectacle toutes sortes de vices269 ; surpassait tous
les hommes en perversité270), les accusations formulées restent floues et rien
ne permet de reconnaître précisément le Néron « historique » : les atteintes
à la pudeur, au mariage, à la vertu et aux biens d’autrui semblent moins des
références à des crimes précis que Néron passait pour avoir commis que les vices
traditionnellement combattus par les Chrétiens : le Néron de Jean Chrysostome
est devenu l’incarnation de tout ce que la morale chrétienne réprouve.
Augustin
La production littéraire d’Augustin, qui vient, du point de vue chronologique,
clore notre corpus, constitue aussi une somme dont l’analyse va nous permettre
de faire la synthèse des tendances principales de l’évolution de la légende de
Néron chez les auteurs chrétiens.
D’une part, en qualifiant Néron d’« esclave des idoles », « seruus idolorum »,
et d’« assassin des apôtres », « interfector apostolorum271 », Augustin sanctionne
266.– Chrys., Hom. 2 ep. Thess. IV 1 : « En effet, s’il s’est trouvé avant cette époque (i. e. la fin
des temps), nous dit Paul, un homme qui, pour ce qui est de la méchanceté, n’était guère
inférieur à l’Antéchrist, faut-il s’étonner de l’existence à venir de celui-ci ? » Pour Jean
Chrysostome, Néron n’est pas l’Antéchrist ; il ne va pas non plus revenir annoncer son
règne. C’est de son vivant qu’il a été le type de l’Antéchrist, selon la formule de la typologie donnée par Paul pour l’Ancien Testament (1 Cor. 10, 11).
267.– Chrys., Hom. 2 ep. Tim. X 3-4.
268.– Chrys., Oppug. monas. vit. I 3.
269.– Chrys., Prof. evang. 4.
270.– Chrys., Hom. Matth. XXXIII.
271.– Aug., Serm. 296, 6. Dans les Miscellanea Agostiniana, que nous utilisons ici, le sermon augustinien habituellement connu sous le numéro 296 (PL 38, col. 1352-1359) est présenté sous
le numéro 133. Nous avons cependant préféré conserver sa dénomination traditionnelle.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
59
la tradition imputant à Néron le martyre de Pierre et de Paul et témoigne de la
« spécialisation » de la figure de Néron à l’œuvre chez les auteurs chrétiens,
lesquels firent du dernier Julio-claudien le champion du paganisme et le type
même du bourreau ; Augustin convoque à ce titre la thèse (qu’il réfute d’ailleurs) selon laquelle Néron fut le primus persecutor de la secte chrétienne272.
La lecture de la Cité de Dieu confirme, d’autre part, que Néron est devenu
l’un des contre-modèles favoris des auteurs tardifs. Augustin, déclarant que Dieu
a toujours de bonnes raisons de répartir les royaumes terrestres comme il le fait,
oppose ainsi, au livre V, deux listes de chefs en une série de couples antithétiques,
Marius et César, Auguste et Néron, Vespasien / Titus et Domitien, Constantin
et Julien l’Apostat273 : c’est donc Néron qui est choisi afin de représenter les
« tyrans » julio-claudiens. De la même manière, dans le Sermon 296, Augustin
convoque, pour le comparer à l’incendie de Rome par Alaric en 410 de notre ère,
l’incendie qui eut lieu sous Néron en 64274 : le règne de Néron est devenu une
mine de précédents exemplaires.
Par ailleurs, l’œuvre augustinienne témoigne de la nouveauté majeure, au sein
de la légende, qu’a entraînée l’introduction du point de vue chrétien : l’apparition de la thématique de Néron-Antéchrist, croyance présentant deux variantes
(Néron est bien mort mais ressuscitera pour être l’Antéchrist / il n’a jamais péri
mais a été enlevé et caché, jusqu’au moment où il sera remis en possession de
son royaume) qu’Augustin prend soin de résumer et de contester dans la Cité
de Dieu275, preuve de leur importante diffusion et de l’échec des élites savantes à
contrebalancer les croyances populaires.
Au-delà des nouveautés apportées par l’introduction de l’optique chrétienne,
la légende de Néron, sourdement mais sûrement, a été marquée au fil des siècles
par divers phénomènes, qu’il nous reste désormais à examiner ici : fluctuations
diverses étant venues infléchir, en fonction des contextes et des besoins, la signification de la figure de Néron, tantôt monstre terrible, champion de la cruauté,
tantôt figure ridicule, symbole d’abjection et d’ignominie ; apparition d’éléments inédits, erreurs commises, motifs exagérés ; passage, surtout, du statut
d’individu historiquement attesté, Néron, à néron, type et nom commun vidé
de toute individualité.
272.– Aug., Civ. XVIII, 339 : « Pourquoi donc croient-ils (i. e. ceux estimant que l’Église subira
dix persécutions) devoir commencer par Néron, alors que l’Église a progressé jusqu’à
l’époque de Néron à travers les plus terribles persécutions, qu’il serait trop long de décrire
en détail ? »
273.– Aug., Civ. V 233.
274.– Aug., Serm. 296, 6.
275.– Aug., Civ. XX 450 : « […] plusieurs conjecturent que lui-même [i. e. Néron] ressuscitera
pour être l’Antéchrist ; d’autres pensent qu’il n’a pas été mis à mort, mais plutôt enlevé
pour faire croire à sa mort ; il serait tenu caché, vivant dans la force de l’âge qu’il avait
quand on l’a cru mort, jusqu’à ce qu’il se révèle en son temps pour être remis en possession
de son royaume. Mais l’extrême témérité de ceux qui le pensent me jette dans le plus vif
étonnement » (trad. G. Combès).
Chapitre deux. Les mutations du monstre
Une figure à géométrie variable
La geste de Néron, entre farce et tragédie
La présence d’un intertexte tragique
Parricides, inceste, violences, destructions, sur fond de complots et de
manigances : la geste de Néron offre un formidable potentiel tragique, parfaitement exploité par l’auteur de l’Octavie et sensible également dans la mise en
récit de la vie de Néron par Tacite.
L’écriture tragique de ce dernier ayant fait l’objet d’études multiples,
notamment celle de F. Galtier1, nous nous en tiendrons aux deux exemples les
plus significatifs à cet égard : le récit tacitéen de la mort d’Octavie et celui du
meurtre d’Agrippine. Le pathétique exacerbé de la scène finale du livre XIV des
Annales, où sont décrits l’exil et la fin d’Octavie, confère en effet indéniablement
à cet épisode un air de tragédie, qui transparaît clairement dans le passage où
Tacite expose les pensées et la compassion des témoins assistant au départ de la
jeune femme :
« Nulle autre exilée n’inspira aux yeux des témoins une plus grande
compassion. Certains se rappelaient encore Agrippine, chassée par Tibère,
et le souvenir plus récent de Julie, chassée par Claude, se présentait à leur
esprit ; mais elles avaient, elles, été frappées dans la force de l’âge ; elles avaient
connu quelques jours heureux qui soulageaient, par le souvenir d’un sort jadis
meilleur, la rigueur du moment. Pour Octavie, d’abord, le jour des noces fut
comme des funérailles : elle avait été amenée dans une demeure où elle n’allait
trouver que des sujets de deuil, un père et aussitôt après un frère enlevés par le
poison ; ensuite, une servante plus puissante que sa maîtresse, et Poppée n’étant
épousée que pour la perte de la femme précédente ; enfin, une accusation plus
pénible que n’importe quel trépas. » (Tac., An. XIV 63, 2-3)
1.– Galtier 2011.
61
62
Laurie Lefebvre
R. Ferri a montré que Tacite s’était sans nul doute inspiré de l’Octavie lors
de la rédaction de cette scène2. Le passage cité ci-dessus est ainsi une adaptation
du commos final de l’Octavie, où l’on voit l’héroïne partir pour son lieu d’exil et
le chœur tenter de la consoler :
« Que raffermissent ton cœur les exemples, déjà nombreux, qu’a offerts votre
maison : en quoi la Fortune est-elle plus cruelle à ton égard ? Toi, présente à
notre mémoire, mère de si nombreux enfants, fille d’Agrippa, bru d’Auguste,
épouse d’un César, toi dont le nom brilla avec l’éclat dans l’univers tout entier,
maintes fois tu as porté et mis au monde des gages de paix, et peu après tu
as souffert l’exil, les coups, les chaînes cruelles, les deuils, puis enfin la mort,
après de longues tortures. Livie, femme de Drusus, épouse et mère heureuse,
s’est précipitée vers un crime sauvage et son propre châtiment. Julie a suivi les
destins de sa mère, mais c’est après une longue période de temps qu’elle a été
tuée par le glaive, sans être pour autant l’objet d’aucune accusation. Quel ne
fut pas jadis le pouvoir de ta mère, qui dirigea le palais du prince, aimée de son
mari, puissante par ses maternités. Soumise à son serviteur, elle tomba sous le
glaive d’un cruel soldat. Et celle qui eut le droit d’espérer le royaume du ciel,
la mère si puissante de Néron ? D’abord mise à mal par les mains meurtrières
d’un rameur, bientôt après longuement déchirée par le glaive, n’a-t-elle pas
été terrassée, victime de la sauvagerie de son fils ? » (Ps. Sen., Oct. 929-957 ;
trad. F.-R. Chaumartin)
En effet, dans les deux passages, l’auteur a recours à des exempla tirés de
l’histoire de Rome : chez Tacite, les témoins rappellent le souvenir d’Agrippine
l’Aînée, bannie par Tibère, et de Julie, victime de Claude ; ces deux exemples
sont aussi exploités dans l’Octavie, où le chœur ajoute les destins de l’épouse de
Drusus II, Livilla, de Messaline et d’Agrippine la Jeune. Par ailleurs, l’assimilation par Tacite du mariage d’Octavie à des « funérailles » se trouvait déjà,
là aussi, dans l’Octavie3 ; en outre, au moment de mourir, l’Octavie de Tacite
proteste qu’elle est seulement la sœur de l’empereur, « tantum sororem4 » : de
la même manière, dans la pièce du Pseudo-Sénèque, elle se disait « la sœur du
prince, non son épouse », « soror Augusti, non uxor5 ».
Mais c’est sans nul doute dans le récit tacitéen de la mort d’Agrippine,
lequel couvre les premiers chapitres du livre XIV des Annales, qu’un intertexte tragique se laisse le mieux déceler6. C. Monteleone a ainsi noté que
Tacite avait agrémenté ces chapitres d’une foule de réminiscences de scènes ou
de vers tragiques latins7. Les principaux échos sont les suivants : l’exclamation
2.– Ferri 1998, p. 339-356.
3.– Ps. Sen., Oct. 23-24. Il s’agit en fait là d’un topos littéraire (voir Sen., Œd. 644 ; Ov., H. 6,
45-48 ; M. VI 428-432 ; Virg., En. VII 341-399).
4.– Tac., An. XIV 64, 1.
5.– Ps. Sen., Oct. 658.
6.– Outre les articles cités infra, voir notamment Quinn 1963, p. 123-129 ; Dawson 1969,
p. 261-267 ; Hind 1972, p. 204-211 ; Fabbrini 1989, p. 73-76 ; Muller 1994, p. 27-43 ;
Galtier 1999 ; Foucher 2000b, p. 792-799.
7.– Monteleone 1975, p. 302-306. Voir aussi Monteleone 1988, p. 91-113.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
63
d’Agrippine « qu’il me tue pourvu qu’il règne », « occidat dum imperet8 »,
est un calque manifeste de l’« oderint dum metuant » de l’Atrée d’Accius ;
le fameux « uentrem feri », « frappe au ventre », qu’Agrippine lance à son
assassin9, rappelle les accents de Déjanire suppliant son fils Hyllus, dans Hercule
sur l’Œta, de percer le flanc qui l’a porté10, ainsi que ceux de Jocaste enjoignant
à son bras, dans l’Œdipe de Sénèque, de frapper le ventre qui sut porter à la fois
un époux et un fils11. Le « uentrem feri » de Tacite fait aussi écho, bien sûr, aux
paroles prêtées à Agrippine par le poète de l’Octavie : « hic est, hic est fodiendus
ait / ferro monstrum qui tale tulit », « “c’est lui, c’est lui qu’il faut transpercer
avec le fer” dit-elle, “lui qui a porté un tel monstre”12 ».
A. Malissard a montré, pour sa part, que le chapitre consacré par Tacite
à la mort d’Agrippine proprement dite reposait sur une véritable mise en scène
théâtrale, avec, en guise de décor, une chambre dépourvue d’ornement et,
pour protagonistes, un nombre restreint de personnages aux mouvements bien
définis : les assassins qui entrent, la servante qui s’enfuit, l’impératrice enfin qui,
immobile et éclairée par une faible lueur, meurt après une dernière réplique13.
P. Schunck, en outre, a signalé que la foule qui se rassemble sur le rivage à la
nouvelle du naufrage dont Agrippine vient d’être victime et qui s’apprête à se
réjouir de la savoir saine et sauve14 semble remplir la même fonction que certains
chœurs à qui Sophocle fait tenir, peu avant la catastrophe, des propos joyeux
tranchant sur le danger qui menace15. Ajoutons que le Néron de Tacite, comme
d’ailleurs celui de Suétone et de Dion Cassius, est en proie, une fois le crime
consommé, à l’épouvante et à l’égarement16, ce qui est caractéristique du criminel
tragique, généralement poursuivi par sa victime dans le monde des vivants17.
La coloration pathétique donnée par Tacite à son récit de la mort d’Agrippine,
comme à celui de la mort d’Octavie, est, à tout le moins, indéniable18 et prouve,
même si l’on choisit de ne pas considérer l’auteur des Annales comme un
8.– Tac., An. XIV 9, 3.
9.– Tac., An. XIV 8, 5. Voir aussi DC., LXI 13, 5.
10.– Ps. Sen., Herc. Œt. 991-1000.
11.– Sen., Œd. 1039-1040. La présence, au sein du récit que Tacite consacre au meurtre d’Agrippine, de l’épisode de l’inceste (Tac., An. XIV 2), pouvait favoriser l’émergence du modèle
de Jocaste.
12.– Ps. Sen., Oct. 371-372 (trad. F.-R. Chaumartin).
13.– Malissard 1998, p. 218-219. Voir aussi Malissard 1990a, p. 216-217, où le chercheur
repère, au sein du récit tacitéen relatif à la mort d’Agrippine, une alternance de monologues, de dialogues et de parties narratives qui n’est pas sans évoquer les schémas
théâtraux antiques.
14.– Tac., An. XIV 8, 1.
15.– Schunck 1955, p. 98-99, au sujet de Soph., O. R. 1086-1109 ; Aj., 693-717. Une fonction
similaire est remplie par un des chœurs de l’Octavie (Ps. Sen., Oct. 762-777).
16.– Tac., An. XIV 10, 1 ; Suet., Ner. 34, 7 (où Néron se déclare poursuivi par le fantôme de sa
mère et les torches des Furies) ; DC., LXI 14, 4.
17.– Voir notamment Esch., Eum. 94-139, où le spectre de Clytemnestre demande aux Érinyes
de poursuivre Oreste. Sur l’assimilation de Néron à Oreste, voir infra, p. 219-223.
18.– Chez Dion Cassius, de même, l’épisode de la mort d’Agrippine est mis sous le signe du
théâtre et plus précisément de la tragédie (voir infra, p. 244).
64
Laurie Lefebvre
lecteur de l’Octavie, que l’historien avait pris acte de la potentialité tragique
que présentait le traitement de la vie de Néron.
Un Néron à la limite de la comédie
Ce n’est cependant pas cette grille de lecture que retiendra, de manière générale,
l’historiographie antique. L’image de Néron que fournit l’Octavie constitue, en
fait, un cas hétérodoxe : le Néron des historiens va s’avérer souvent très différent
de ce Néron-là. Ces différences ayant été présentées dans notre article « Néron
acteur de tragédies, ou la perversion du tragique dans les récits historiographiques »19, nous nous en tiendrons ici aux points essentiels.
Contrairement à ce qui se passe dans l’Octavie, Néron apparaît plutôt, chez les
prosateurs antiques (païens, du moins), comme un personnage sans envergure,
un lâche, qui, loin du caractère certes monstrueux mais sublime des tyrans
tragiques, est souvent paralysé par la crainte20, manipulé par son entourage21,
asservi à tous ceux qui lui procurent du plaisir. Il est, à cet égard, plus proche des
iuuenes de la comédie latine, redoutant la colère des senes, laissant la conduite des
affaires à un seruus callidus et menés par le bout du nez par leur puella, que des
tyrans de la tragédie. La description physique que Suétone fait de Néron, dont
les jambes grêles contrastent avec le ventre proéminent22, semble même nous
plonger dans l’univers de la farce.
Même chez Tacite, où un intertexte tragique se laisse souvent percevoir,
les éléments ridicules voire « farcesques » ne manquent pas. A. Foucher23
a notamment fait remarquer que les références aux tragédies de Sénèque qui
parsèment manifestement le récit tacitéen de la mort d’Agrippine, en révélant
la petitesse de Néron, ont pour effet, finalement, de faire tomber le récit moins
dans la tragédie que dans la tragi-comédie : par exemple, si le « uentrem feri »
d’Agrippine fait écho aux accents de Déjanire, le contexte des deux épisodes
est très différent, puisque là où Déjanire cherchait à convaincre son fils Hyllus
résolu à empêcher sa mère de mourir, Agrippine parle au centurion envoyé par
un fils cherchant à tuer sa mère par tous les moyens mais n’ayant pas le courage
d’accomplir lui-même le forfait.
De manière générale, au sein des traitements littéraires de la figure de Néron,
les épisodes minables ou ridicules abondent : on y croise Néron qui, oublieux de
la proverbiale fides punica, part à la recherche du trésor de Didon sur les conseils
19.– Lefebvre 2009.
20.– Voir par exemple Tac., An. XIII 15, 1 ; 20, 1 ; XIV 7, 2 ; 10, 1 ; 62, 1 ; XV 36, 2 ; XVI 15, 1 ; Suet.,
Ner. 34, 2 ; DC., LXIII 28, 2.
21.– Sur l’influence de Poppée, voir Tac., An. XIV 1, 1 ; 61, 2-4. Sur le rôle de Tigellin, voir Tac.,
H. I 72 ; An. XIV 51, 3 ; 57, 1-3 ; XV 50, 3 ; XVI 20, 2. Sur la manipulation de Néron par
l’affranchi Pâris, voir Tac., An. XIII 20, 1. Voir aussi DC., LXI 12, 1. Au motif tragique de la
toute-puissance du tyran a ainsi été substitué le topos, cher à l’historiographie latine, de la
manipulation de l’empereur par un conseiller malfaisant (penser, par exemple, au couple
Séjan / Tibère).
22.– Suet., Ner. 51, 1.
23.– Foucher 2000, p. 795 et 797. Pour une remise en cause de la « force tragique » du Néron
de Tacite, voir aussi Billot 2003, p. 126-141.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
65
d’un Carthaginois24 ; qui consacre son premier soin, au moment de préparer une
expédition contre Vindex, à faire tondre ses concubines et à les attifer comme des
Amazones25 ; qui « fait bien rire » les Romains, « γέλωτα ἰσχυρὸν παρέσχεν »,
car il punit les autres pour des crimes qu’il commet lui-même26 ; qui se dérobe
piteusement au moment de mourir27.
Bien sûr, le motif qui fait le plus éclater le ridicule de Néron – motif qui est
l’un des éléments favoris des auteurs de notre corpus mais qui est tu, tout naturellement, dans l’Octavie – est le thème de l’empereur histrion28. Le commentaire
de Dion Cassius sur la participation de Néron aux Juvénales est tout à fait significatif à cet égard :
« Auguste chanta sur la lyre un Attis ou les Bacchantes, tandis que de nombreux
soldats se tenaient auprès et qu’étaient assis autant de gens du peuple que
pouvaient en accueillir les sièges ; lui-même cependant avait une voix, d’après
la tradition, faible et sourde, si bien qu’il provoqua chez tous à la fois le rire
(γέλωτα) et les larmes. » (DC., LXI 20, 2 ; cf. Suet., Ner. 20, 2)
Dans la Vie d’Apollonios de Tyane, de la même manière, Ménippe déclare que
les Grecs doivent se rendre « en pouffant de rire », « ξὺν ὅλῳ γέλωτι », aux jeux
auxquels participe Néron29.
Lâcheté, bassesse, ridicule, à quoi il convient d’ajouter la mollesse et la
débauche : ces thèmes, amplement développés par les auteurs antiques, ne
pouvaient trouver leur place dans l’Octavie. Tout se passe comme si cette tragédie
avait fourni une grille de lecture possible qui sera, finalement, assez peu exploitée
par les historiens postérieurs.
La double polarité des portraits de Néron
Feritas et uanitas
La figure de Néron présente ainsi deux polarités principales et pour ainsi dire
antithétiques, la feritas, c’est-à-dire ce qui a trait à la cruauté et à la soif de sang,
thème qui éclate avec force dans l’Octavie, et ce qui fait au contraire de Néron un
être efféminé et mou, la vie voluptueuse, le goût du luxe, les activités artistiques,
la faiblesse de caractère, traits qu’Y. A. Dauge, dans son essai sur la notion de
24.– Tac., An. XVI 1, 1.
25.– Suet., Ner. 44, 1.
26.– DC., LXI 7, 6.
27.– Suet., Ner. 47-49 ; DC., LXIII 27-29. Les correspondances verbales entre les récits suétoniens relatifs aux fins respectives de Néron et d’Othon, en soulignant fortement le contraste
entre les deux morts, font à ce titre particulièrement ressortir la lâcheté de l’attitude de
Néron : « Il saisit deux poignards qu’il avait emportés avec lui et, après en avoir essayé le
tranchant, les remit dans leur gaine, prétextant que “l’heure de sa mort n’était pas encore
venue” » (Suet., Ner. 49, 2) ; « Ensuite, ayant étanché sa soif en buvant de l’eau fraîche,
il saisit deux poignards et, après en avoir vérifié le tranchant, en mit un sous son oreiller,
ferma la porte et dormit du plus profond sommeil. Il ne s’éveilla que vers le lever du jour et
se transperça d’un seul coup au-dessous du sein gauche » (Suet., Oth. 11, 2-3).
28.– Sur ce motif, voir infra, p. 112-122.
29.– Philstr., V. Ap. V 7, 1. Sur la voix de Néron, voir Neraudau 1982 et 1985.
66
Laurie Lefebvre
barbarus à Rome, regroupe sous le nom de uanitas30. Entre ces deux pôles, le
« dosage » a pu varier suivant les œuvres et les projets littéraires, Néron étant
tiré tantôt d’un côté, tantôt de l’autre.
Cette double polarité, que la figure de Néron partage avec les princes
orientaux tels que les décrit l’historiographie latine mais qu’elle possède à un
degré rarement atteint avant elle, a été parfaitement saisie par Augustin qui, dans
un de ses sermons, qualifie Néron de « superbus et fluidus », « tyrannique et
mou », et se demande s’il doit le déclarer « féroce ou amolli », « nescio utrum
dicam saeuiente an fluente31 ». Dans la Cité de Dieu, de la même manière, Néron
est caractérisé à la fois par sa luxuries et sa crudelitas :
« Mais Néron fut le premier à atteindre le faîte de ce vice et pour ainsi dire son
sommet ; sa vie était si pleine de voluptés que rien de viril ne semblerait devoir
être à redouter de sa part, si pleine de manifestations de cruauté qu’il passerait
pour n’avoir rien d’efféminé, si on ne le connaissait pas. » (Aug., Civ. V 229)
La structure binaire de la phrase met particulièrement en relief la bipolarité
de la figure de Néron et le caractère antithétique de ses deux facettes principales,
elle qui fut conçue comme l’incarnation à la fois de la mollesse et de la sauvagerie. Ces deux faces avaient déjà été pointées par Tacite, qui fait dire à Galba
dans les Histoires que Néron a été perdu par sa « férocité », « immanitas », et
sa « débauche », « luxuria32 ». De la même manière, Apollonios de Tyane, dans
l’ouvrage que lui consacre Philostrate, se demande, au sujet de la réaction des
Grecs face à la tournée artistique de Néron, si on le prendra pour un « Xerxès
dévastateur », « Ξέρξην καταπιμπράντα », ou un « Néron chanteur »,
« Νέρωνα ᾄδοντα33 » : d’un côté, Néron, en se produisant sur scène, est ridicule ;
d’un autre, les exactions commises lors de son voyage font planer la désolation
sur la Grèce.
Il est intéressant de constater que les deux axes autour desquels se sont articulées
les condamnations de Néron, la masculine cruauté du tyran et le manque de
uirilitas de l’artiste, correspondent, en négatif, aux deux directions prises par la
propagande favorable à l’empereur. Comme l’a montré C. Schubert34, Néron
a en effet été loué sous son règne soit en tant que chef idéal, soit en tant qu’artiste
de talent et nouvel Apollon, thématiques dont la figure du tyran cruel et celle
du prince artiste, grotesque et efféminé constituent les exacts contrepoints : les
auteurs antiques ayant contribué au développement de la légende noire de Néron
n’ont donc fait que renverser ce sur quoi le dernier Julio-claudien avait appuyé
sa propagande. Il n’est d’autre part pas impossible que la présence forte de la
thématique de la férocité au sein des portraits suétonien et tacitéen de Néron
30.– Le terme est appliqué à Néron par Tacite (Tac., An. XVI 1, 1). Sur la définition de la uanitas
et son opposition à la feritas, voir Dauge 1981, p. 435-436 ; p. 657-662.
31.– Aug., Serm. 296, 6.
32.– Tac., H. I 16.
33.– Philstr., V. Ap. V 7, 3.
34.– Schubert 1998, p. 413.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
67
soit, en partie, une projection de la cruauté caractéristique de Domitien, dont le
dernier Julio-claudien a pu, de manière rétroactive, hériter certains traits35.
Projets littéraires et stratégies argumentatives
La littérature antique nous a donc, à certains égards, laissé le portrait non pas
tant de Néron que de plusieurs Nérons parfois fort différents les uns des autres,
suivant que les auteurs faisaient le choix de mettre l’accent sur tel ou tel aspect :
l’on a ainsi peine à reconnaître, dans la figure ridicule qui chante nu dans une
taverne chez Philostrate36, le tyran froid et odieux de l’Octavie. C’est ici qu’intervient la nécessité de prendre fortement en considération, dans le cadre de toute
étude sur la construction de la figure du monstre Néron, la question des stratégies
argumentatives auxquelles les portraits impériaux étaient censés répondre.
L’importance de la prise en compte du projet littéraire propre à chaque auteur
apparaît clairement à la lecture du poème que Stace composa à l’occasion de la
célébration de la mémoire de Lucain, dont l’éloge s’accompagne de la déploration de sa fin prématurée et, par voie de conséquence, de la condamnation de
celui qui priva la terre des talents du jeune prodige. Un tel sujet, qui exigeait un
ton grave et élevé, se prêtait fort bien à un traitement tragique et à la présentation d’un Néron fort proche de celui de l’Octavie.
Dans la pièce 7 du livre II des Silves, Stace met en scène Calliope portant
dans ses bras Lucain nouveau-né et prédisant le talent du futur poète, comparé
à Orphée. La muse déplore alors la mort à venir de son protégé, la qualifiant
au vers 100 de « rabidi nefas tyranni », « acte sacrilège d’un tyran enragé »,
et au vers 104 de « dirum scelus », « crime affreux ». Les termes « nefas »,
« tyranni » et « scelus », chers à la tragédie latine, font du Néron de Stace un
héritier des tyrans tragiques latins, cruels, sauvages, impies et caractérisés par leur
ferocia ; c’est d’ailleurs le qualificatif « ferus » que Stace décide, dans une autre
de ses pièces, d’appliquer à Néron37.
C’est également sous l’aspect d’un tyran cruel que Néron apparaît dans la
pièce de circonstance que Martial consacra, lui aussi, à la célébration du jour
anniversaire de la naissance de Lucain :
« Hélas ! Cruel Néron, qu’aucune autre victime ne rendit plus odieux, ce
forfait au moins n’aurait pas dû t’être permis. » (Mart., VII 21, 3-4)
L’emploi par Martial des termes « cruel », « crudelis », et « victime »,
« umbra », ainsi que l’interjection initiale donnent à la figure de Néron, comme
chez Stace, une coloration tragique. Bien sûr Stace et Martial, dans leur souci de
glorifier la mémoire de Lucain, taisent la cause de sa mort (en l’occurrence son
implication dans la conjuration de Pison) et surtout la lâcheté dont les historiens
35.– Sur la folie meurtrière de Néron chez Tacite, voir Tac., An. XIII 15-17 ; XIV 1-8 ; 57-59 ; 64 ;
XV 60-71 ; le livre XVI est presque tout entier consacré à la démonstration de la cruauté de
Néron et au récit des multiples meurtres perpétrés au sein du Sénat. Chez Suétone : Suet.,
Ner. 33-38. Sur la cruauté de Domitien et la terreur qu’il fit régner parmi les sénateurs, voir
Tac., Agr. 2 ; 41 ; 42, 4-5 ; 43, 6 ; Suet., Dom. 10-11 ; 15, 1.
36.– Philstr., V. Ap. IV 42, 1.
37.– Stat., S. V 2, 33.
68
Laurie Lefebvre
l’accusaient d’avoir fait preuve au moment de la découverte du complot38 : ce
faisant, Stace et Martial privent l’acte de Néron de toute justification et donnent
de l’empereur l’image inquiétante d’un tyran à la cruauté aveugle.
De la même manière, Martial, dans l’épigramme célébrant le courage de
Q. Ovidius qui accompagna son ami Caesonius exilé par Néron, le loue pour
avoir osé braver « la colère du tyran furieux », « domini furentis iras », expression
qui rappelle le ton enflammé de l’Octavie ; Martial fait d’ailleurs intervenir un
intertexte mythique cher à la tragédie, puisqu’il célèbre Ovidius tel un nouveau
Pylade. L’action d’Ovidius apparaît même comme plus héroïque que celle de
son homologue mythologique grec :
« Ce Maximus, tu l’as suivi sur les mers de Sicile, Ovidius, toi dont nulle
bouche ne doit taire le nom, et tu as méprisé la colère du tyran furieux. Que
la postérité admire son Pylade, compagnon inséparable d’un ami exilé par sa
mère. Qui songerait à comparer les périls encourus par vous deux ? Tu as été
le compagnon inséparable d’un ami exilé par Néron. » (Mart., VII 45, 5-1139)
C’est également sous les traits d’un tyran féroce et d’un bourreau sanguinaire que Néron est dépeint, de manière générale, chez les auteurs chrétiens,
qui, soucieux de rehausser le prestige des premiers martyrs, se bornèrent bien
souvent, comme nous l’avons vu, à présenter Néron comme le premier persécuteur, le bourreau de Pierre et de Paul, voire l’Antéchrist ou sa préfiguration.
Cela est particulièrement net chez Eusèbe de Césarée, dont on a analysé la
réécriture partiale du texte de Flavius Josèphe, ainsi que chez Lactance, qui
réduit Néron aux qualificatifs « tyran exécrable et funeste », « execrabilis ac
nocens tyrannus », et « tyran effréné », « tyrannus impotens40 », ce qui n’est
pas sans évoquer le ton de Stace condamnant le rabidus tyrannus responsable de
la mort de Lucain.
En revanche, chez la majorité des auteurs païens, la uanitas l’emporte manifestement, au sein des portraits de Néron, sur la feritas : comme nous l’avons vu
dans le chapitre précédent, le goût immodéré de Néron pour le luxe et la volupté
est le travers privilégié par Pline l’Ancien dans ses condamnations du dernier
Julio-claudien ; Pline le Jeune critique la mollesse de Néron et sa passion pour
la citharédie, mais n’évoque pas ses meurtres ; la thématique du ridicule et du
manque de uirilitas du prince artiste est particulièrement développée par Dion
Cassius, Philostrate et l’auteur du dialogue Néron ou le percement de l’Isthme ;
c’est en tant que citharède que Julien l’Apostat convoque Néron.
Ajoutons que Juvénal fait une grande place, dans ses Satires, à l’image du
Néron voluptueux41 ; que Suétone, bien qu’il développe beaucoup ce qui a trait
38.– Lucain aurait dénoncé sa mère, pourtant innocente, pensant ainsi obtenir de l’empereur
matricide un traitement de faveur (Tac., An. XV 56, 4 ; Suet., Vit. Luc.).
39.– Voir aussi Mart., VII 44, où le poète dit d’Ovidius qu’il osa franchir avec Caesonius les
écueils de Scylla.
40.– Lact., Mort. 2, 6-7.
41.– Juv., IV 136-139 ; VIII 198-199 ; 224-230 ; X 306-309.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
69
à la cruauté néronienne, développe plus encore ce qui a trait à la uanitas42 ; que
Néron, au sein de l’Histoire Auguste, apparaît bien souvent comme le champion
de la débauche43. La définition, prêtée au Sénat, que l’Histoire Auguste donne de
Commode, qualifié de tyran « saeuior Domitiano, impurior Nerone », « plus
cruel que Domitien, plus corrompu que Néron », fait bien de la débauche la
caractéristique principale de Néron, tandis que la cruauté est l’apanage de
Domitien44. La même idée avait été exprimée déjà par Philostrate, qui déclare
que si les détracteurs d’Apollonios pouvaient dire qu’il ne fallait pas grand
courage pour attaquer Néron, qui menait une vie de joueuse de flûte ou de
lyre, en revanche ils ne pouvaient minimiser la bravoure qu’il lui fallut pour
s’en prendre à Domitien, qui était robuste, méprisait les plaisirs de la musique,
se faisait une joie des souffrances des autres et tua nombre de sénateurs45. À
nouveau, la uanitas s’impose comme la caractéristique maîtresse de Néron.
La richesse de la geste du dernier Julio-claudien et la grande variété des
crimes qu’il passait pour avoir commis ouvraient ainsi de larges perspectives aux
auteurs : la figure de Néron pouvait incarner toutes les facettes possibles de la
monstruosité, et libre ensuite à chaque écrivain d’en privilégier l’une ou l’autre
en fonction de son projet.
Les fluctuations de la légende
Les innovations
Le phénomène des exagérations
Forte de ces différents « visages », la figure de Néron s’est par ailleurs, au fil des
siècles, enrichie d’éléments nouveaux. Très souvent on voit ainsi Dion Cassius
exagérer et broder à partir des matériaux présents chez ses prédécesseurs. Par
exemple, là où Tacite et Suétone déplorent la violence du comportement du
jeune Néron lors de ses virées nocturnes et précisent que les passants étaient
parfois blessés, Dion Cassius va plus loin et déclare que Néron allait jusqu’à
tuer46 ; selon Dion Cassius toujours, des hommes et des femmes moururent
étouffés ou écharpés lors du banquet de Tigellin, détail que l’on ne trouve pas
chez Tacite47.
La possibilité de telles exagérations montre que, au début du IIIe siècle, la
figure de Néron laisse désormais place à la broderie : l’individu Néron est
résolument devenu un tyran-type capable de tous les crimes – et incapable,
partant, de toute bonne action : alors que Tacite convient que Néron, suite à
42.– Suet., Ner. 20-25 (activités artistiques) ; 26-27 (festins) ; 28-29 (débauche et perversions
d’ordre sexuel) ; 30-31 (goût du luxe) ; voir aussi Ner. 40, 2 ; 41, 2 ; 42, 2 ; 43, 3 ; 44,1 ; 51,
2 ; 54.
43.– HA., Alb. 13, 8 ; Comm. 19, 2 ; Hel. 18, 4 ; 33, 1 ; Alex., 9, 4.
44.– HA., Comm. 19, 2. De la même manière, Sidoine Apollinaire, dans une de ses Lettres,
applique à Néron le qualificatif d’« impurior », tandis que la cruauté est réservée à
Domitien (Sidon., Ep. V 7).
45.– Philstr., V. Ap. VII 4, 1.
46.– Tac., An. XIII 25, 1 ; Suet., Ner. 26, 2 ; DC., LXI 9, 2.
47.– Tac., An. XV 37 ; DC., LXII 15, 6. Voir Gowing 1997, p. 2574.
70
Laurie Lefebvre
l’incendie de 64, prit des mesures pour soulager le peuple, Dion Cassius ne
mentionne pas de telles actions, privant ainsi l’empereur du seul élément qui
aurait pu atténuer la noirceur de son portrait48.
Le cas d’Orose illustre parfaitement le phénomène. L’historien chrétien
impute ainsi à Néron des outrages d’ordre sexuel commis envers « toutes les
personnes que le partage du même sang impose de respecter », « ullaue consanguinitatis reuerentia49 », ce qui est, bien évidemment, hyperbolique. De la même
manière, Eusèbe de Césarée attribue à Néron des « meurtres par milliers »,
« μυρίων ὅσων ἀπωλείας », commis qui plus est au sein même de la gens julioclaudienne, puisqu’« il fit périr de la même manière mère, frère et sœur, femme
ainsi que mille autres personnes qui lui étaient unies par le sang », « μητέρα δὲ
ὁμοίως καὶ ἀδελφοὺς καὶ γυναῖκα σὺν καὶ ἄλλοις μυρίοις τῷ γένει προσήκουσιν […]
διαχρήσασθαι50 ».
Les exagérations que l’on observe chez les historiens tardifs sont souvent
dues à des généralisations et des raccourcis abusifs. Le Pseudo-Aurelius Victor
déclare par exemple que Néron épousa Octavie et Poppée après avoir fait
périr leurs maris respectifs, « uiris earum trucidatis51 ». Or il s’agit là d’une
déformation de la tradition : d’une part, si le précédent fiancé d’Octavie,
L. Iunius Silanus, succomba à une fausse accusation (en l’occurrence celle
d’inceste avec sa sœur), Néron ne fut jamais mêlé par les auteurs antiques à
cette affaire, qui passe pour avoir été orchestrée par Agrippine52 ; d’autre part,
le premier mari de Poppée, Rufrius Crispinus, fut certes tué, mais après la mort
de cette dernière53, et son second mari, Othon, ne fut pas assassiné par Néron
mais éloigné en Lusitanie54. C’est en fait le mari de sa troisième femme, Statilia
Messalina, que Néron, selon Suétone, fit assassiner afin d’avoir le champ libre55.
Il apparaît donc que le Pseudo-Aurelius Victor a procédé à une généralisation
abusive et appliqué aux deux premières femmes de Néron un élément que
Suétone réservait à la troisième.
Un autre exemple de raccourci, relevé par L. Bessone56, nous est fourni par
Eutrope, qui affirme dans son Abrégé d’histoire romaine que Néron « fit périr une
partie considérable du Sénat », « infinitam senatus partem interfecit57 », alors
que Suétone, qui constitue pourtant la source directe ou indirecte d’Eutrope,
fait apparaître la disparition à grande échelle du Sénat seulement comme un
projet58. Plus tard, Orose ira encore plus loin, puisqu’il soutiendra que Néron
48.– Tac., An. XV 39, 2 ; DC., LXII 16-18. Voir Heinz 1948, p. 44-46 ; Gowing 1997, p. 2574.
49.– Oros., Hist. VII 7, 2.
50.– Eus., Hist. eccl. II 25, 2.
51.– Ps. Aur.-Vict., Epit. 5, 5.
52.– Tac., An. XII 4 et 8, 1 ; XIII 1, 1.
53.– Tac., An. XVI 17, 1.
54.– Tac., An. XIII 45-46 ; H. I, 13 ; Suet., Oth., 3 ; Plut., Galb. 19-20 ; DC., LXI 11, 1.
55.– Suet., Ner. 35, 2.
56.– Bessone 1988, p. 52.
57.– Eutr., VII 14, 1.
58.– Suet., Ner. 37, 5 : « Souvent il lança nombre d’allusions fort claires, signifiant qu’il n’épargnerait pas non plus le reste des sénateurs, qu’il ferait un jour disparaître cet ordre de l’État
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
71
non seulement se débarrassa presque en totalité de l’ordre sénatorial mais
s’attaqua aussi à l’ordre équestre, là où Suétone déclare au contraire que Néron
voulait confier aux chevaliers les provinces et les armées59. Comme l’a montré
L. Bessone, la différence entre les versions de Suétone et d’Orose est sans doute
moins due à une source alternative qu’au penchant de l’écrivain chrétien pour les
exagérations à but polémique ou apologétique.
Outre la tendance à l’exagération, on note chez les historiens tardifs un goût
prononcé pour la dramatisation. Cette tendance se donne notamment à lire
dans le récit consacré par Aurelius Victor à la fin de Néron. Ce dernier, une
fois appris le soulèvement des armées, décida de fuir et de se cacher dans les
faubourgs de Rome, accompagné dans sa fuite de trois ou quatre affranchis :
telle est la version de Flavius Josèphe, de Suétone, de Dion Cassius et du PseudoAurelius Victor60. Ce n’est pourtant pas celle que retient Aurelius Victor, qui
déclare que Néron fut « abandonné de tous, à l’exception d’un eunuque »,
« desertus undique nisi ab spadone61 » : comme l’a noté P. Dufraigne dans son
édition du Livre des Césars, Aurelius Victor accentue ainsi l’isolement de Néron
à la fin de sa vie et supprime les nuances, sacrifiées à l’intensité dramatique et à
l’esprit moralisateur62.
Le même phénomène se donne à lire dans le long passage que l’abréviateur
consacre à l’inceste entre Agrippine et Néron :
« Et parmi tous ses forfaits, beaucoup pensent qu’il souilla même sa mère,
tandis que, de son côté, et dans sa passion du pouvoir, elle désirait, au prix
de n’importe quel crime, subjuguer son fils. Bien que les avis diffèrent à ce
sujet, je tiens le fait pour véridique. En effet, quand les vices se sont emparés
de l’âme, on n’accorde nullement à des étrangers, en vertu du lien qui unit
les hommes, le droit d’être respectés, et l’habitude du mal, qui recherche des
jouissances nouvelles et par là-même plus agréables, finit par se porter sur les
proches parents. Cela fut prouvé une fois de plus par l’exemple de Néron et
d’Agrippine, car cette dernière, comme par une sorte de progression dans le
mal, après d’autres liaisons, en vint à épouser son oncle, et, après avoir fait
torturer des personnes étrangères à sa famille, à assassiner son mari ; Néron en
arrive peu à peu à souiller une Vestale, puis à se prostituer lui-même ; enfin ils
en vinrent à porter l’un sur l’autre leurs désirs criminels. » (Aur.-Vict., 5, 8-11 ;
trad. P. Dufraigne)
Aurelius Victor pose ici la progression dans le mal comme une loi générale de
la nature humaine : une personne dans laquelle s’est insinué le vice continuera
et qu’il confierait les provinces et les armées à des chevaliers romains et à des affranchis. »
Voir aussi Suet., Ner. 43, 1.
59.– Oros., Hist. VII 7, 9 ; cf. Suet., Ner. 37, 5. Pas plus que Suétone, Eutrope et Jérôme, qui constituent les sources d’Orose, n’attribuent à Néron le projet de tuer les chevaliers.
60.– Jos., B. J. IV 493 ; Suet., Ner. 48, 1 ; DC., LXIII 27, 3 ; Ps. Aur.-Vict., Epit. 5, 7.
61.– Aur.-Vict., 5, 16.
62.– Aurelius Victor, Livre des Césars, éd. Dufraigne, p. 84, n. 25. En outre, en réduisant
l’unique compagnon de Néron au qualificatif de « spado » (l’abréviateur désigne Sporus,
que Néron avait fait émasculer), Aurelius Victor donne au principat de Néron un parfum
de cour orientale.
72
Laurie Lefebvre
forcément sur cette voie et commettra des turpitudes et des crimes de plus en
plus atroces, l’abréviateur plaçant, au sommet de l’échelle, les crimes commis
entre membres de la même famille. La croyance en cette règle de base conduit
ici Aurelius Victor à considérer comme « véridique » un fait pourtant discuté
et sujet à caution chez les autres historiens, en l’occurrence l’inceste de Néron et
d’Agrippine : ce crime, dont Dion Cassius doutait de la véracité63, passe ainsi de
l’état d’hypothèse à celui de fait avéré, sur la simple base du fait qu’un tyran ou
un monstre commet forcément les pires atrocités.
Aurelius Victor contamine même ici diverses traditions, donnant par là plus
de noirceur au récit : alors que Tacite et Dion Cassius, suivant la version de
Cluvius Rufus, imputaient à Agrippine l’initiative de l’inceste64, et que Fabius
Rusticus, suivi par Suétone, le Pseudo-Aurelius Victor et Orose, l’imputait au
prince65, Aurelius Victor, mêlant les deux versions, affirme que Néron souilla sa
mère qui de son côté cherchait à augmenter son emprise sur son fils. Aurelius
Victor a subordonné sa version des faits à sa recherche de dramatisation.
La multiplication des hapax
Non contents d’exagérer certains détails, les auteurs ont eu, à partir du IVe s.,
tendance à ajouter, à une légende pourtant déjà bien riche, des éléments inédits.
Aurelius Victor est, de ce point de vue, l’auteur chez qui nous trouvons la
plus grande concentration d’hapax : nous avons vu à ce titre, dans le premier
chapitre, qu’il (ou sa source, bien sûr) avait ajouté au portrait de Néron le motif
du quinquennium Neronis ; celui du transfert du siège du pouvoir ; l’anecdote
de l’ambassadeur parthe, à qui Néron aurait offert de choisir qui il voulait parmi
l’assistance. Nous avons vu aussi que l’insertion de ce dernier élément devait
trouver sa justification dans le contexte de composition du Livre des Césars,
écrit à une époque où le Parthe/Perse représentait l’ennemi par excellence des
Romains et où prêter des relations particulières entre les Parthes et un empereur
signalait automatiquement ce dernier comme tyran.
L’attribution au dernier Julio-claudien, par Aurelius Victor, de crimes que
les historiens antérieurs ne lui imputaient pas confirme que Néron avait fini par
devenir un personnage capable de tout : à partir du moment où il était considéré
comme un tyran, toute accusation formulée à son encontre devenait plausible.
C’est ainsi que l’on peut lire, chez Philostrate, que l’une des occupations
favorites de Néron était de participer aux combats de gladiateurs66 : cette information, qui contredit la tradition historiographique (laquelle n’attribue à
Néron qu’une passion pour les courses de char, la musique et le théâtre67), n’a
63.– DC., LXI 11, 4 : « Mais ce fait a-t-il réellement eu lieu ou a-t-il été forgé d’après leurs
mœurs, c’est une chose que je ne sais dire. »
64.– Tac., An. XIV 2 ; DC., LXI 11, 3-4.
65.– Suet., Ner. 28, 5-6 ; Ps. Aur.-Vict., Epit. 5, 5 ; Oros., Hist. VII 7, 2. La version de Fabius
Rusticus est rapportée dans Tac., An. XIV 2.
66.– Philstr., V. Ap. IV 36, 2.
67.– Tout au plus Suétone attribue-t-il à Néron le projet de tuer un lion dans l’amphithéâtre,
afin d’imiter par là les exploits d’Hercule (Suet., Ner. 53, 3). On est loin de l’imputation à
Néron, par Philostrate, de la pratique assidue de la gladiature.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
73
cependant rien d’invraisemblable de la part d’un tyran – Caligula et surtout
Commode, à la mort duquel Philostrate devait avoir environ vingt ans, étaient
bien connus pour s’être adonnés à la gladiature68.
Jérôme, pour sa part, écrit dans la Chronique que Néron se faisait verser, par
décret du Sénat, dix millions de sesterces par an pour ses dépenses69 et Orose
déclare que l’empereur rafla en un seul jour les biens de tous les marchands
importants, après leur avoir appliqué la torture70 : il s’agit, là encore, de motifs
inédits, qui montrent que le dernier Julio-claudien avait fini par être senti
comme le champion de la prodigalité et de la cupidité.
Jean Chrysostome, quant à lui, accuse à plusieurs reprises Néron d’avoir
voulu passer pour un dieu et substitué son culte à tous les autres71. Cette
accusation n’avait encore jamais été formulée à l’encontre de Néron (elle l’avait
été, en revanche, à l’encontre de Caligula et de Domitien72) ; elle fut assurément
motivée par la volonté de l’auteur de faire de Néron le pire monstre qui fût, ce
qui revenait, pour un Chrétien, à le déclarer coupable d’avoir voulu usurper la
place de Dieu.
Dans l’Histoire Auguste, il apparaît que Néron est mort assassiné, alors que les
historiens antiques sont unanimes pour affirmer qu’il se suicida :
« Passant ensuite en revue tous les princes qui avaient été tués, il déclara
qu’ils avaient, pour une raison ou une autre, mérité d’être tués et que l’on ne
trouverait pas facilement un bon prince qui eût été vaincu par un tyran ou
tué ; que Néron avait mérité de mourir, qu’il avait fallu que Caligula pérît,
qu’Othon et Vitellius n’avaient pas même voulu être empereurs. Il portait
le même jugement sur Pertinax et Galba, disant que l’avarice était chez un
empereur le plus pénible des vices. » (HA., Avid. 8, 4-5)
Le biographe, qui rapporte ici des propos qu’aurait tenus Marc-Aurèle, insère
ainsi Néron dans une liste d’empereurs qui moururent tués, « occisi », Caligula,
Galba, Vitellius, Pertinax, auxquels il ajoute Othon, ce qui, comme dans le cas
de Néron, constitue une erreur, Othon passant pour s’être suicidé. Voilà donc
Néron tombé sous les coups d’un tyrannicide : la vérité historique est sacrifiée à
la démonstration de l’auteur, soucieux de prouver que les bons princes n’ont rien
à craindre et que seuls les tyrans meurent assassinés. Le biographe d’Élagabal, de
la même manière, déplore que personne ne se soit trouvé « pour enlever à cet
68.– Suet., Calig. 54, 2 ; HA., Comm. 2, 9 ; 5, 5 ; 11, 10-12 ; 12, 10-12 ; 13, 3 ; 16, 6 ; 17, 10 ; 18, 3-4
et 12 ; 19, 1 et 3.
69.– Hier., Chron., p. 184g (repris dans Oros., Hist. VII 7, 8).
70.– Oros., Hist. VII 7, 8.
71.– Chrys., Hom. 2 ep. Thess. IV 1 ; Hom. 2 ep. Tim. IV 3. Jean Chrysostome ajoute aussi à la
« vulgate » païenne des anecdotes probablement tirées d’écrits apocryphes, par exemple
celle expliquant que Néron tua Paul parce qu’il avait converti une de ses concubines et un
de ses échansons : Chrys., Oppug. monas. vit. I 3 ; Hom. 2 ep. Tim. III 1 ; Hom. 2 ep. Tim. X
2 ; Hom. Act. Apost. XLVI 3.
72.– Suet., Calig. 22, 3-5 ; Dom. 13, 4 ; Eutr., VII 23, 2. Une telle accusation est également formulée à l’encontre de Commode dans l’Histoire Auguste (HA., Comm. 8, 9 ; 9, 2).
74
Laurie Lefebvre
homme les rênes de la majesté romaine, alors que Néron, Vitellius, Caligula et
les autres tyrans de cette espèce eurent toujours un tyrannicide73 ».
Un nouvel hapax apparaît dans les Oracles sibyllins, lesquels, dans un passage
évoquant la présence, chez les Parthes, du roi de Rome qui perça l’isthme de
Corinthe, joua dans des spectacles théâtraux et tua de nombreux hommes ainsi
que sa mère (ce qui désigne immanquablement Néron), attribuent en outre à
ce dernier, de manière anachronique, la destruction du Temple74 : là encore la
mémoire du dernier Julio-Claudien a été noircie davantage, en fonction des
préoccupations et des besoins de l’auteur.
Orose, enfin, est l’auteur d’un hapax dont l’interprétation est délicate. Il
semblerait en effet qu’il impute à Néron un inceste avec sa sœur :
« De plus, il fut tourmenté par tant de désirs déréglés (libidinibus) qu’on
rapporte qu’il ne se tint pas même à l’écart de sa mère, de sa sœur ou d’aucune
personne que le partage du même sang impose de respecter. » (Oros., Hist.
VII 7, 2)
Les violences commises par Néron à l’égard de sa mère et de sa sœur étant
mises ici sur le compte de la libido, c’est sans nul doute à des incestes que songe
Orose. Or, si l’accusation d’inceste avec Agrippine est tout à fait canonique, il
n’en va pas de même du motif de l’inceste commis avec une sœur. Néron avait
deux sœurs par adoption, en l’occurrence les deux filles de Claude, Octavie et
Claudia Antonia ; Claudia Antonia n’apparaissant que très peu dans les textes
antiques relatifs à Néron75, il est peu probable qu’Orose songe ici à elle. S’il
désigne quelqu’un, il ne peut donc s’agir que d’Octavie.
Or, même s’il est vrai que Néron, du fait de son adoption par Claude et
de son mariage avec Octavie, était du même coup à la fois l’époux et le frère
de cette dernière, aucune thématique incestueuse n’apparaît dans les récits
antiques relatifs au couple Néron-Octavie76 ; Dion Cassius nous apprend de fait
qu’Octavie avait été, peu avant son mariage avec Néron, adoptée dans une autre
famille77. Suétone, une des sources principales d’Orose, ne désigne ainsi jamais
Octavie comme la sœur mais toujours et seulement comme l’épouse du prince ;
73.– HA., Hel. 34, 1 (voir aussi Hel. 1, 3).
74.– Or. sib. 5, 137-154.
75.– Suétone rapporte seulement que Néron la fit périr pour avoir refusé de se marier avec lui
après la mort de Poppée (Suet., Ner. 35, 8).
76.– La littérature défavorable à Néron semble à ce titre, pour le coup, avoir intégré le message
de la propagande impériale, qui, comme le montre la numismatique, avait pris grand soin
de présenter Octavie comme l’épouse de Néron, et non comme sa sœur (Moreau 2002,
p. 261 et p. 271-272, n. 26).
77.– DC., LX 33, 2 : « Après avoir adopté le fils d’Agrippine, il l’appela Tibère Claude Néron
Drusus Germanicus César, sans faire cas du fait que ce jour-là le ciel parut être en feu.
Ensuite, après avoir fait entrer sa fille Octavie dans une autre famille, afin de ne pas paraître
unir un frère et une sœur, il la lui donna en mariage » (d’après Zonaras) ; « Lorsque Claude
eut adopté Néron, le fils d’Agrippine, et qu’il en eut fait son gendre – il avait fait adopter
sa fille dans une autre famille, afin de ne pas paraître unir un frère et une sœur – un grand
prodige se produisit : ce jour-là le ciel parut en effet être en feu » (d’après Xiphilin).
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
75
quant à Plutarque, s’il qualifie bien Octavie de sœur et d’épouse de Néron, il
cherche uniquement à présenter ce dernier comme un champion du parricide78.
En dehors de Plutarque, le seul texte qui souligne le double statut occupé par
Octavie, à la fois sœur et épouse du prince, est la tragédie du Pseudo-Sénèque,
où la jeune femme et Néron sont désignés à plusieurs reprises comme frère et
sœur et où apparaît souvent le modèle du couple incestueux formé par Jupiter
et Junon79. Cependant, le statut de sœur et d’épouse occupé par Octavie n’est à
aucun moment condamné : il est au contraire pleinement revendiqué, en tant
qu’il est censé protéger la jeune femme, ce qui ne sera pas le cas. L’insistance
sur ce motif sert donc moins la dénonciation d’un crime qu’elle n’est le moyen
d’exacerber le pathétique de la situation.
Orose est donc bien le seul à condamner Néron pour avoir eu des relations
coupables avec sa sœur : ce faisant, il déforme et aggrave la geste du dernier
Julio-claudien.
Les contaminations
Les déformations successives qui vinrent informer la figure du monstre Néron,
sous forme d’ajouts, d’exagérations, de conclusions hâtives ou de généralisations abusives, peuvent recevoir diverses explications : le caractère abrégé des
notices consacrées par les historiens tardifs à Néron les contraignait à gommer
les détails et les nuances ; une mauvaise lecture de leurs sources et notamment de
Suétone pouvait les amener à commettre des erreurs ; ils n’avaient, sans doute,
aucun scrupule à sacrifier la précision et l’exactitude, pour des faits remontant à
plusieurs siècles. L’apparition d’hapax au sein de la légende de Néron s’explique
par ailleurs aussi par un phénomène de contamination : la geste du dernier Julioclaudien s’est chargée des crimes des autres.
La scène de l’orgue hydraulique
Nombre de motifs inédits sont ainsi des emprunts à la figure de Caligula. Un
exemple nous est fourni par le livre LXIII de l’Histoire romaine, où l’on voit
Néron, tout juste informé de la révolte de Vindex, convoquer une nuit, à la hâte,
les plus importants sénateurs et chevaliers comme pour les consulter sur les
affaires de l’État ; en réalité l’empereur souhaite leur parler d’orgue hydraulique
et partager ses réflexions quant au moyen d’améliorer le son de cet instrument :
Νύκτωρ ποτὲ τοὺς πρώτους τῶν βουλευτῶν καὶ τῶν ἱππέων ἐξαπίνης σπουδῇ,
ὡς καὶ περὶ τῶν παρόντων τι κοινώσων σφίσι, μεταπέμψας “ἐξεύρηκα” ἔφη
“πῶς ἡ ὕδραυλις” (αὐτὸ γὰρ τὸ ῥηθὲν γραφήσεται) “καὶ μεῖζον καὶ ἐμμελέστερον
φθέγξεται”. (DC., LXIII 26, 4)
« Une nuit, ayant mandé soudain en hâte les principaux sénateurs et chevaliers comme pour leur faire part d’une information concernant les affaires
78.– Plut., Galb. 19, 9 : « Il est surprenant que Néron, qui fit tuer sa femme et sœur pour épouser
Poppée, ait épargné Othon ».
79.– Ps. Sen., Oct. 46-48 ; 220 ; 284 ; 535 ; 658 ; 828 ; 909-910. Voir aussi Tac., An. XIV 64, 1,
où Octavie, face aux hommes envoyés pour l’assassiner, proteste qu’elle n’est plus que la
sœur du prince ; dans ce passage, cependant, Octavie et Néron ont déjà divorcé et aucune
thématique incestueuse ne transparaît donc.
76
Laurie Lefebvre
présentes, il leur dit : “J’ai trouvé comment faire sonner l’orgue hydraulique
(je rapporterai ses propres paroles) plus fort et plus harmonieusement”. »
Suétone rapporte également cette anecdote, mais de façon légèrement différente. D’après le biographe, Néron, suite à la nouvelle de la révolte, « fit venir
chez lui certains des principaux hommes de la cité et, après avoir à la hâte tenu
conseil avec eux, leur fit voir pendant le reste de la journée des orgues hydrauliques d’un genre nouveau et inconnu80 ».
Dion Cassius a apporté à la version suétonienne de l’épisode diverses modifications : la scène est chez lui située de nuit, « νύκτωρ » ; la convocation des
principaux citoyens se fait à la hâte, « σπουδῇ » (chez Suétone la hâte concerne
la façon dont fut tenu le conseil) ; aucun conseil n’a d’ailleurs lieu, même
rapidement, la tenue d’une réunion n’étant que le but supposé de la convocation, « ὡς καὶ ».
Les différences que l’on note entre les deux versions de l’épisode s’éclairent
si l’on examine le récit que Dion Cassius a, quatre livres auparavant, fait d’un
épisode de la vie de Caligula. Au livre LIX, Dion Cassius, reprenant à peu de
choses près la version que l’on trouve dans la Vie de Caligula de Suétone81, raconte
ainsi que Caligula convoqua, de nuit, des sénateurs, non, comme on pouvait s’y
attendre, pour des affaires importantes, mais pour exécuter une danse devant
eux. Le récit que Dion Cassius consacre à la scène de l’orgue hydraulique dans
les livres néroniens de l’Histoire romaine est le parfait écho de ce passage. Nous
avons mis en gras, dans les deux passages de Dion, les expressions identiques :
Ἅπαξ δέ ποτε τοὺς πρώτους τῆς γερουσίας σπουδῇ νυκτὸς ὡς καὶ ἐπ´ ἀναγκαῖόν
τι βούλευμα μεταπεμψάμενος ὠρχήσατο. (DC., LIX 5, 5)
« Une fois il manda en hâte de nuit les principaux membres du Sénat comme
pour une délibération d’une grande importance, et dansa devant eux. »
Les éléments nouveaux que Dion Cassius apporte dans sa version de
l’anecdote néronienne s’expliquent ainsi parfaitement à la lumière des lignes
que l’historien avait consacrées à Caligula : le portrait de l’un a été calqué sur le
portrait de l’autre.
De la même manière, Dion Cassius est le seul à nous indiquer que Néron
décorait les chevaux illustres de toges et qu’il leur versait une pension alimentaire82 : or cette attitude n’est pas sans évoquer la passion de Caligula pour son
cheval Incitatus, au sujet duquel Dion Cassius raconte que Caligula projetait
de le créer consul ; qu’il lui servait de l’orge dorée et lui donnait à boire du vin
dans des coupes d’or ; qu’il jurait par le salut et la fortune de ce cheval83. On
peut dès lors se demander si Dion Cassius n’a pas, dans ses livres consacrés à
Néron, brodé à partir d’un motif appartenant en fait au portrait de Caligula.
Cette hypothèse est d’autant plus vraisemblable que le chapitre où Dion Cassius
80.– Suet., Ner. 41, 4.
81.– Suet., Calig. 54, 4.
82.– DC., LXI 6, 1.
83.– DC., LIX 14, 7. Sur Caligula et son cheval, voir aussi Suet., Calig. 55, 8.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
77
évoque les égards dont Néron entoura certains chevaux suit directement celui
où l’historien affirme que Néron s’était efforcé d’égaler et même de surpasser
Caligula84.
Les emprunts tardifs à la Vita C. Caligulae
De manière générale, il s’est manifestement produit, chez les historiens tardifs
(dont les récits, comme nous l’avons vu, doivent beaucoup à Suétone), des transferts entre les notices que le biographe antonin consacrait à Caligula et à Néron.
Aurelius Victor utilise ainsi, dans sa notice relative à Néron, une expression
tirée de la Vie de Caligula. Pour définir la débauche néronienne, l’abréviateur
emploie en effet l’expression « neque suae neque aliorum pudicitiae parcens85 »,
« n’épargnant ni sa pudeur ni celle des autres », ce qui est un emprunt manifeste
à la biographie suétonienne de Caligula, accusé de n’avoir « épargné ni sa
pudeur ni celle d’autrui », « pudicitiae neque suae neque alienae pepercit86 ».
Cependant l’emprunt stylistique n’entraîne ici aucune modification au sein de
la légende de Néron.
En revanche, la lecture d’Eutrope nous présente un phénomène de contamination à l’origine d’une légère déformation. Au livre VII 14, 1, nous pouvons
lire en effet que Néron, « à l’exemple de C. Caligula, se baignait dans des eaux
parfumées chaudes et froides », « exemplo C. Caligulae in calidis et frigidis lauaret
unguentis ». S’il est bien question, dans la Vita Neronis de Suétone, de bains
chauds ou froids que prenait Néron87, l’expression d’Eutrope se trouve être le
calque d’une phrase tirée de la Vita C. Caligulae, « ut calidis frigidisque unguentis
lauaretur88 » : le portrait de Néron brossé par Eutrope mêle ainsi les portraits
suétoniens de Néron et de Caligula – l’expression « exemplo C. Caligulae » par
laquelle Eutrope introduit l’évocation des bains de Néron laisse d’ailleurs penser
que l’abréviateur était parfaitement conscient de l’emprunt qu’il faisait. Mais,
ce faisant, Eutrope a légèrement modifié la description des bains néroniens telle
que la présentait sa source (chez Suétone, en effet, il n’est pas question d’eaux
parfumées), et a, du même coup, « orientalisé » davantage le personnage.
Certaines des exagérations ou innovations tardives relevées précédemment
peuvent elles aussi s’expliquer à la lumière de la Vie de Caligula. Nous avons
vu qu’Orose prétend que Néron songeait à tuer sénateurs et chevaliers, là où
Suétone affirme au contraire que Néron voulait certes tuer les sénateurs, mais
confier aux chevaliers les provinces et les armées89 ; nous avons vu également
qu’Orose impute à Néron des relations criminelles avec sa sœur, motif absent de
84.– DC., LXI 5, 1 : « À la fin il perdit toute pudeur, et violant et foulant aux pieds tous leurs
préceptes [i. e. ceux de Sénèque et de Burrus] il s’efforça de ressembler à Caligula. Une fois
qu’il eut conçu le désir de l’imiter, il le surpassa même, pensant que c’était une des fonctions du pouvoir impérial que de n’être inférieur à personne même dans les choses les plus
détestables. »
85.– Aur.-Vict., 5, 5.
86.– Suet., Calig. 36, 1. Ce parallèle a été noté par Bessone 1988, p. 58, n. 14.
87.– Suet., Ner. 27, 2 : « Il prolongeait les festins depuis le milieu du jour jusqu’au milieu de la
nuit, et prenait bien souvent des bains chauds ou, l’été, rafraîchis avec de la neige. »
88.– Suet., Calig. 37, 1. Voir Bessone 1988, p. 52, n. 4.
89.– Suet., Ner. 37, 5 ; Oros., Hist. VII 7, 9.
78
Laurie Lefebvre
ses sources et notamment de la Vie de Néron de Suétone90. L’insertion par Orose
de ces deux motifs inédits – insertion qui, fût-elle délibérée ou imputable à une
erreur, a pour effet de noircir encore davantage le portrait de Néron – a sans
aucun doute été favorisée par la lecture de la Vie de Caligula, où l’on peut lire
précisément que Caligula songeait à faire périr les membres les plus éminents
des deux ordres91 et qu’il avait commis l’inceste avec ses trois sœurs92. Voilà donc
à nouveau Néron présenté sous les traits de son oncle.
Aurelius Victor et la nouvelle sedes regni
Mais le phénomène de contamination le plus intéressant entre les figures de
Néron et de Caligula est probablement celui que l’on peut lire dans le Livre des
Césars d’Aurelius Victor93. L’auteur nous y apprend que Néron « avait décidé
de faire disparaître la ville dans un incendie, la plèbe en lâchant dans la foule des
bêtes fauves, les sénateurs en leur infligeant à tous une mort semblable, une fois
cherché un nouveau siège pour l’Empire (noua sede regno quaesita)94 », passage
qui s’inspire ostensiblement du chapitre de la Vita Neronis où Suétone énumère
les projets abominables formés par Néron à la nouvelle de l’insurrection
menée par Vindex, notamment « empoisonner le Sénat tout entier au cours
de festins » et « incendier la ville après avoir lâché contre le peuple des bêtes
fauves », « senatum uniuersum ueneno per conuiuia necare ; urbem incendere
feris in populum immissis95 ».
Si les deux passages sont similaires, nulle trace cependant, chez Suétone, du
projet de transfert de la sedes regni mentionné par Aurelius Victor. Au mieux
Suétone précise-t-il, plus loin dans la biographie, que Néron pensa en dernier
recours demander la préfecture d’Égypte96 : mais il s’agit là davantage d’un
projet de « reconversion » que d’un déplacement du siège de l’Empire. De la
même manière, Dion Cassius, évoquant de façon similaire les desseins ultimes
de Néron une fois abandonné de tous (tuer tous les sénateurs, incendier Rome
et partir à Alexandrie), associe ce départ en Égypte moins à une tentative de
déplacement de la capitale qu’à une fuite et une reconversion, puisqu’il s’agit si
besoin d’y vivre de ses talents musicaux97.
90.– Oros., Hist. VII 7, 2.
91.– Suet., Calig. 49, 4. Voir à ce sujet Bessone 1988, p. 52 et surtout p. 53, n. 6.
92.– Suet., Calig. 24 ; 36, 4. Voir aussi Jos., A. J. XIX 204 ; DC., LIX 11 ; 22, 6 ; 26, 5 ; Aur.-Vict.,
3, 10 ; Eutr., VII 12, 3 ; Ps. Aur.-Vict., Epit. 3, 4 ; Oros., Hist. VII 5, 9.
93.– Pour une analyse détaillée de cette question, voir Lefebvre 2011.
94.– Aur.-Vict., 5, 14. Antoine et César s’étaient eux aussi vus imputer le projet de déplacer la
capitale (N. Dam., Caes. 20 ; Suet., Caes. 79, 4 ; DC., L 4, 1) ; à ce sujet, voir Ceauşescu
1976, p. 79-108. À ces figures de tyrans ayant songé à déplacer le siège de l’empire, s’oppose Camille qui convainquit ses concitoyens de ne pas transférer la capitale à Véies (Liv.,
V 51-54).
95.– Suet., Ner. 43, 1.
96.– Suet., Ner. 47, 2.
97.– DC., LXIII 27, 2 : « Une fois abandonné semblablement par tous, il forma le projet de
tuer les sénateurs, de brûler entièrement Rome et de s’embarquer pour Alexandrie, ayant
annoncé que “même s’il tombait du pouvoir, cependant ses modestes talents le nourriraient là-bas”. Il en était en effet venu à un tel degré de folie qu’il croyait pouvoir vivre en
simple particulier et tout spécialement surtout en joueur de lyre. » Sur le projet de fuite
de Néron en Égypte, voir aussi Plut., Galb. 2, 1 ; Galb. 14, 2. Denys de Syracuse, chassé du
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
79
On est donc bien loin encore de l’accusation formulée par Aurelius Victor.
En revanche, comme l’a noté P. Dufraigne98, Suétone attribue explicitement
à Caligula le projet de déplacer le siège du pouvoir, en l’occurrence à Antium :
« on rapporte même que dégoûté de Rome, il avait formé le projet d’y transférer
le centre et le siège de l’empire (sedem ac domicilium imperii)99 ». Par ailleurs,
plus loin dans la biographie de Caligula, Suétone prête à l’empereur à la fin de sa
vie des desseins fort semblables à ceux qu’il attribue à Néron à la fin de la sienne :
« Il périt moins de quatre mois plus tard, après avoir osé des crimes immenses
et tandis qu’il en méditait d’encore plus grands, puisqu’il avait résolu de se
transporter à Antium, puis à Alexandrie, après avoir fait périr les membres les
plus éminents des deux ordres. » (Suet., Calig. 49, 4)
On a donc, d’un côté, un empereur encore en place, Caligula, qui songe
à tuer sénateurs et chevaliers avant de s’installer à Antium (où il passait pour
vouloir transférer le siège de l’Empire) ou à Alexandrie ; de l’autre, un prince
déchu, Néron, qui veut se venger en tuant les sénateurs et les habitants de Rome
et fuir à Alexandrie, afin d’y refaire sa vie. La proximité entre les deux schémas
a sans aucun doute pu favoriser la confusion entre les projets de Caligula et de
Néron et donc l’émergence, chez Aurelius Victor, d’un motif nouveau.
La polysémie des motifs
Riche d’éléments inédits, la légende de Néron a également, au fil du temps,
vu certains de ses motifs constitutifs connaître des glissements de sens : un
changement d’éclairage et de perspective pouvait ainsi amener les auteurs à
attribuer, à un même épisode, une interprétation et une portée différentes.
Ces glissements de sens pouvaient être plus ou moins radicaux et affecter
plus ou moins la signification globale de l’épisode : notre analyse partira ainsi
d’un cas d’altération sémantique évident pour parvenir aux exemples les plus
imperceptibles.
Un exemple d’altération sémantique : le chant de Néron
L’épisode où l’on voit Néron, en 64 de notre ère, chanter la ruine de Troie et
rappeler les malheurs de Priam devant Rome ravagée par les flammes est l’un des
plus célèbres de sa geste100. La première version de l’épisode nous est fournie par
Tacite, qui évoque des rumeurs selon lesquelles Néron, lors de l’incendie, serait
monté sur une scène privée pour chanter la destruction d’Ilion et comparer les
maux des Romains avec ceux des Troyens :
pouvoir par Dion, passait pour s’être réfugié à Corinthe et y être devenu maître d’école
(Cic., Tusc. III 27 ; Val.-Max., VI 9, ext. 6 ; Quint., VIII 6, 52 ; Plut., M. 176c-d ; Just.,
XXI 5). Un motif semblable apparaît dans la geste d’Antoine, qui, une fois vaincu, aurait
demandé au futur Auguste de le laisser vivre à Athènes en simple citoyen (Plut., Ant. 72).
98.– Livre des Césars, éd. Dufraigne, p. 84 (voir aussi Bird 1994, p. 67-68, n. 19).
99.– Suet., Calig. 8, 12.
100.– Tac., An. XV 39, 3 ; Suet., Ner. 38, 6 ; DC., LXII 16, 2 ; Eutr., VII 14, 3 ; Hier., Chron.,
p. 183g ; Aug., Serm. 296, 6 ; Oros., Hist. VII 7, 4 ; 39, 16. Juvénal nous apprend que Néron
était de fait l’auteur d’un poème sur Troie, les Troica (Juv., VIII 221).
80
Laurie Lefebvre
« Le bruit s’était répandu qu’au moment même où Rome était en flammes, le
prince était monté sur son théâtre personnel et avait chanté la ruine de Troie,
assimilant les maux actuels aux désastres d’antan. » (Tac., An. XV 39, 3)
L’incendie de Rome et l’idée qui vint à Néron d’assimiler ce désastre aux
malheurs de Troie sont présentés ici comme concomitants : il apparaît que Néron
profita de l’inspiration que lui donna la vue de Rome en flammes pour chanter la
destruction de la cité phrygienne. Étant données les circonstances et la gravité du
désastre, cette initiative artistique était du plus mauvais goût : l’épisode donne
donc de l’empereur l’image d’un tyran sadique insensible au sort de ses sujets et
chantant plutôt que de leur venir en aide. À aucun moment cependant Tacite ne
fait apparaître l’assimilation de Rome à Troie comme préméditée.
Pour sa part, Suétone (qui fait partie des auteurs, nombreux dans l’Antiquité,
à considérer l’incendie de 64 comme allumé sur ordre de Néron) associe l’idée de
détruire Rome par les flammes à un bon mot prononcé un jour par l’empereur :
« Cependant il n’épargna ni son peuple ni les murs de sa patrie. Un jour que
quelqu’un était en train de dire, lors d’une conversation générale : “à ma mort,
que la terre soit mêlée au feu”, il répondit : “que ce soit plutôt de mon vivant”,
et c’est exactement ce qu’il fit. » (Suet., Ner. 38, 1-2)
Le détail est important, et nous y reviendrons. Suit la description de l’incendie
puis l’épisode du chant assimilant la ruine de Rome à la prise de Troie :
« Néron contemplait cet incendie du haut de la tour de Mécène et réjoui,
disait-il, “de la beauté des flammes”, il chanta la prise d’Ilion dans son costume
de scène. » (Suet., Ner. 38, 6)
Comme on peut le voir, Suétone continue à faire, à l’instar de Tacite, du
chant de Néron le fruit de l’inspiration du moment. Une étape supplémentaire
a cependant été franchie : d’une rumeur, nous sommes passés à un fait avéré,
comme le montre l’emploi de l’indicatif « chanta », « decantauit ».
Dion Cassius, à peu près un siècle plus tard, reprend le ton affirmatif de
Suétone et soutient que Néron chanta la prise d’Ilion lors de l’incendie de
Rome101. L’interprétation de l’épisode a cependant changé. Avant de commencer
la description de l’incendie et d’en venir au chant de Néron, Dion Cassius écrit
en effet ceci :
« Ensuite il désira réaliser ce qu’il avait probablement toujours souhaité,
détruire de son vivant la cité tout entière et l’Empire : ce qu’il y a de sûr, c’est
que lui aussi enviait à Priam le rare bonheur d’avoir vu la destruction de sa
patrie ainsi que de son royaume. » (DC., LXII 16 1-2)
101.– DC., LXII 18, 1 : « Tandis que tous les Romains étaient dans ces dispositions et que beaucoup d’hommes même, poussés par la douleur, se jetaient dans les flammes, Néron monta
sur le sommet du Palatin, d’où l’on pouvait le mieux embrasser du regard la plupart des
quartiers embrasés, et chanta, revêtu de son costume de citharède, la prise d’Ilion, comme
il le disait lui-même ; mais pour les spectateurs, il s’agissait de celle de Rome. » Le lieu a
changé : la scène se déroule désormais sur le Palatin.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
81
À la comparaison ponctuelle entre Rome et Troie que Néron, selon Tacite
et Suétone, aurait établie au seul moment de l’incendie, Dion Cassius ajoute le
motif d’une admiration réelle, et antérieure au désastre, de Néron pour Priam.
Dion Cassius suggère ainsi que c’est le désir de l’empereur de vivre une expérience
comparable à celle qu’avait vécue le roi troyen qui fut à l’origine de l’incendie ;
disparaissent d’ailleurs parallèlement, chez Dion Cassius, les diverses causes de
l’incendie qu’avançaient Tacite et Suétone, telles que la thèse de l’accident102,
le souhait de Néron de rebâtir Rome103, ou son désir de mettre la main sur des
terrains qu’il convoitait pour la construction de la maison dorée104.
Il est possible que la version de Dion Cassius provienne d’une contamination avec la figure de Tibère, qui passait pour avoir répété souvent qu’il enviait
à Priam la chance d’avoir vu sa patrie tout entière périr avec lui et qui aurait,
pour cette raison, fait mourir un grand nombre de citoyens et de sénateurs105.
Dion Cassius connaissait cette anecdote106 ; d’ailleurs, le « lui aussi », « καὶ
αὐτὸς », par lequel l’historien qualifie Néron enviant Priam semble bien faire
référence au cas de Tibère. Il est à ce titre intéressant de noter que le vers « à
ma mort, que la terre soit mêlée au feu », « ἐμοῦ θανόντος γαῖα μειχθήτω πυρί »,
qui, d’après Suétone, aurait inspiré à Néron le désir de mettre le feu à Rome,
passait pour un des mots favoris de Tibère107. Dion Cassius connaissait ce mot :
il le cite dans l’Histoire romaine, LVIII 23, 4, conjointement à l’évocation de la
jalousie de Tibère envers Priam. Sans doute cela a-t-il favorisé la confusion entre
les figures de Néron et de son ancêtre : Dion Cassius, ayant sous les yeux une
version semblable à celle de Suétone, a très bien pu, trompé par le souvenir des
deux expressions favorites de Tibère, à attribuer l’une à Néron, là où Suétone lui
attribuait l’autre.
Surtout, là où le biographe faisait de l’incendie une fantaisie conjoncturelle,
l’historien l’impute à une forme de jalousie de Néron à l’égard de Priam et du
sort qui avait frappé Troie ; là où le biographe attribuait à Néron le désir de
détruire sa patrie, l’historien lui prête une admiration pour quelqu’un qui avait
vu (« εἶδεν ») une telle destruction. Nous ne sommes désormais plus loin de la
version de l’événement que l’on trouvera ensuite chez les historiens tardifs.
Voici la description de l’incendie de Rome que nous a laissée Eutrope :
« Il incendia la ville de Rome, afin de voir l’image du spectacle qu’avait offert
autrefois Troie prise et en flammes. » (Eutr., VII 14, 3)
102.– Tac., An. XV 38, 1 : « forte an dolo principis », « par hasard ou suite à un attentat du
prince ».
103.– Tac., An. XV 40, 2 (« Néron passait pour rechercher la gloire de fonder une ville nouvelle
et de lui donner son nom ») ; Suet., Ner. 38, 3 (« sous prétexte qu’il était choqué par la
laideur des édifices anciens et par l’étroitesse et la sinuosité des rues, il incendia la ville »).
104.– Suet., Ner. 38, 3 : « certains entrepôts qui se trouvaient autour de la maison dorée et dont le
prince convoitait très vivement l’espace furent renversés au moyen de machines de guerre
et incendiés ».
105.– Suet., Tib. 62, 6.
106.– DC., LVIII 23, 4.
107.– Cic., Fin. III 64 ; Sen., Clem. II 2, 2.
82
Laurie Lefebvre
Si Eutrope n’a sans doute pas lu Dion Cassius, il a cependant pris acte de
la progressive altération sémantique qui était venue, au fil du temps, affecter le
motif du chant de Néron devant Rome en flammes et dont l’Histoire romaine
constitue un des jalons : l’abréviateur mêle ainsi la version originelle présentant
Néron en train d’assimiler, pendant l’incendie même, la ruine de Rome à la prise
de Troie et la version de Dion Cassius, où intervenaient le désir d’égaler Priam
et la notion de spectacle.
Mais là où Dion Cassius ne faisait que suggérer que Néron avait brûlé Rome
pour égaler Priam, Eutrope devient explicite et affirme catégoriquement que
l’empereur voulait voir le spectacle offert jadis par la ruine de Troie ; effort de
synthèse oblige, il n’est plus même question, chez Eutrope, de chant entonné
pendant l’incendie. Cette version sera reprise très exactement par Jérôme108 et
Augustin109 et laissera aussi des traces chez Orose qui, malgré son apparente
fidélité à la version de Suétone110, reprendra cependant l’idée, chère à Eutrope,
selon laquelle Néron brûla Rome pour pouvoir jouir d’un spectacle grandiose,
puisqu’il qualifie l’incendie d’« embrasement suscité par l’empereur Néron qui
voulait s’en offrir le spectacle », « exhibitam Neronis imperatoris sui spectaculis
inflammationem », où le groupe « sui spectaculis » ne peut se comprendre que
comme un datif de but indiquant la motivation de l’acte111.
D’après une version dont se sont faits l’écho Tacite et Suétone, ce sont les
délires architecturaux et mégalomaniaques de Néron qui le poussèrent à mettre
le feu à Rome ainsi que sa cupidité et sa volonté de faire main basse sur certains
terrains ; d’après Suétone à nouveau et d’après Dion Cassius, ce sont la cruauté
de Néron et son désir de détruire sa patrie ; d’après Dion Cassius encore, c’est
l’envie de vivre une expérience semblable à celle de Priam ; d’après les historiens
tardifs, désormais, ce sont uniquement une curiosité morbide et la recherche
d’un grandiose spectaculum.
Chez les romanciers modernes, l’épisode changera encore d’aspect.
H. Sienkiewicz fait ainsi de l’incendie le résultat du fantasme d’un artiste
torturé en quête d’inspiration pour finir ses Troica ; de façon analogue, chez
H. Monteilhet, Néron veut profiter de l’incendie pour composer des vers
grandioses et mettre la touche finale à son poème – sans succès d’ailleurs, car
face au spectacle indicible et extraordinaire de la Ville en flammes Néron reste
muet et finit par pleurer d’impuissance et de déception112.
108.– Hier., Chron., p. 183g : « Néron, afin de voir l’image de Troie en flammes, incendia la plus
grande partie de la ville de Rome. »
109.– Aug., Serm. 296, 6 : « ordre a été donné par Néron, l’empereur de Rome même, l’esclave
des idoles, le bourreau des apôtres, ordre a été donné, et Rome fut incendiée. Pourquoi,
croyez-vous, pour quelle raison ? Cet homme gonflé d’orgueil, tyrannique et mou, trouva
du plaisir dans l’incendie de Rome. Je veux voir, dit-il, comment a brûlé Troie. »
110.– Oros., Hist. VII 7, 6 : « Néron, contemplant cela du plus haut point de la tour de Mécène et
charmé, disait-il, par la beauté des flammes, chantait l’Iliade dans son costume de tragédien. » Ce passage est un calque de Suet., Ner. 38, 6.
111.– Oros., Hist. VII 39, 16 ; voir aussi Hist. VII 7, 4.
112.– Sienkiewicz 2001, p. 386 ; p. 400-401 ; p. 413 ; Monteilhet 1984, p. 689-691.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
83
Orose et son adaptation des catégories suétoniennes
Un nouvel exemple d’altération sémantique nous est offert par Orose et sa
redistribution des crimes néroniens tels qu’ils avaient été classés par sa source
Suétone.
Au chapitre 7, 1 du livre VII de l’Historia aduersus paganos, Orose dresse
une liste des vices de Néron, « petulantiam libidinem luxuriam auaritiam
crudelitatem », « débordements, débauche, prodigalité, rapacité, cruauté »,
laquelle s’avère être un véritable programme : l’historien va en effet ensuite
illustrer d’exemples chacun de ces vices en suivant scrupuleusement l’ordre ainsi
annoncé113. Ce programme correspond exactement à celui adopté par Suétone
qui, dans la Vie de Néron, après avoir condamné la passion impériale pour le
théâtre et les courses de char et critiqué ses prestations scéniques, énumérait ses
autres travers, « petulantiam, libidinem, luxuriam, auaritiam, crudelitatem114 »,
et les développait ensuite dans cet ordre, des chapitres 26 à 38. Non seulement
Orose emprunte à Suétone son programme et ses species, mais il lui emprunte
aussi, la plupart du temps, les crimes qu’il choisit de reprocher au dernier Julioclaudien ainsi que ses expressions115. À première vue, Orose ne semble donc être
qu’un copieur pâle et fidèle de la biographie suétonienne. Le classement des vices
et des actes de Néron sous les cinq species citées ci-dessus va s’avérer cependant
fort différent chez Suétone et chez Orose.
Sous la catégorie « petulantia », Suétone classait les virées nocturnes de
Néron, son habitude de frapper et de blesser les passants ainsi que des débordements divers : festins durant la moitié du jour, bains chauds ou rafraîchis avec de
la neige en été, dîners en public, installation, le long du Tibre ou sur le golfe de
Baïes, de tavernes et de cabarets116. Suétone entend donc « petulantia » à la fois
au sens propre de « caractère querelleur » et au sens dérivé de « désordre » et de
« manque de retenue ». Chez Orose, en revanche, le motif des bains est classé
dans la catégorie « luxuria » (comme il l’était d’ailleurs chez Jérôme et avant lui
chez Eutrope, qui ne faisait lui-même que reprendre une classification adoptée
par Suétone dans sa Vie de Caligula117) ; quant aux autres débordements de Néron,
ils ne sont pas cités par l’historien chrétien, qui choisit de les remplacer par les
113.– Oros., Hist. VII 7, 1 : petulantia ; 7, 2 : libido ; 7, 3-6 : luxuria ; 7, 7-8 : auaritia ; 7, 9 :
crudelitas.
114.– Suet., Ner. 26, 1.
115.– Comparer par exemple Suet., Ner. 30, 8 et Oros., Hist. VII 7, 3 (« on dit qu’il ne voyageait
jamais avec moins de mille voitures ») ; Suet., Ner. 38, 3 (« certains entrepôts qui se trouvaient autour de la maison dorée […] furent renversés au moyen de machines de guerre et
incendiés – en effet ils avaient été construits en pierre ») et Oros., Hist. VII 7, 5 (« les entrepôts construits en pierre de taille et ces grands îlots d’immeubles anciens que la flamme
qui courait çà et là ne pouvait atteindre furent renversés par de grandes machines préparées
autrefois pour les guerres extérieures, et incendiés »).
116.– Suet., Ner. 26-27.
117.– Oros., Hist. VII 7, 3. Cf. Eutr., VII 14, 1 ; Hier., Chron., p. 182g. Nous avons vu qu’Eutrope calquait sa description des bains de Néron sur la description suétonienne de ceux de
Caligula, lesquels étaient classés sous l’étiquette « prodigalité » (Suet., Calig. 37, 1 : « Par
ses dépenses il surpassa en prodigalité tout ce que les dissipateurs avaient pu inventer. Il
imagina des bains d’un nouveau genre […] : se laver dans des huiles parfumées chaudes et
froides »).
84
Laurie Lefebvre
prestations scéniques, qualifiées à cette occasion de « honte », « dedecus118 »
(ces activités étaient en revanche, chez Suétone, hors classement) : la petulantia
néronienne est ainsi clairement tirée, chez Orose, du côté du manque de pudor
et de decentia.
Outre le motif des bains, Orose ajoute également, dans la catégorie
« luxuria », la description de l’incendie de Rome119, qui représentait pourtant
chez Suétone le point culminant de la crudelitas néronienne. Cela constitue
assurément une grande originalité de la part d’Orose ; mais une telle requalification de l’incendie se comprend si l’on se souvient que cet épisode avait fini par
être perçu, par les historiens tardifs, comme motivé par le désir de Néron de jouir
d’un spectacle grandiose : le déplacement par Orose de l’épisode de l’incendie
de la crudelitas à la luxuria (qui ne désigne donc plus tant la prodigalité en particulier que l’exubérance et les excès en général ; M.-P. Arnaud-Lindet, traduit
d’ailleurs le terme par « démesure ») n’est donc que la conséquence logique et
la confirmation de l’évolution de la signification de l’épisode.
Mais en déplaçant la description de l’incendie de Rome, Orose rendait
vacante la place de faîte de la crudelitas néronienne, que le terrible sinistre de
64 ap. J.-C. occupait chez Suétone. L’historien chrétien, de manière très habile,
a alors comblé le vide ainsi créé par un événement qui faisait partie, chez
Suétone, des actes non répréhensibles voire même dignes d’éloges accomplis par
le dernier Julio-claudien, et qui ne pouvait résolument rester à cette place : la
persécution des fidèles du Christ, qui devient chez Orose la nouvelle acmé des
crimes néroniens120. Sous couvert de respecter scrupuleusement sa source, Orose
a ainsi procédé à de savantes manipulations narratives : si les constituants de la
figure de Néron sont, chez Suétone et Orose, morphologiquement identiques,
ils sont néanmoins, du point de vue sémantique, fort différents.
La hiérarchie des crimes néroniens
Chaque motif constitutif de la figure de Néron se distingue ainsi par sa plurivocité et sa capacité à recevoir plusieurs significations différentes. La hiérarchisation de ces motifs a elle aussi été sujette à variations.
Dans sa section consacrée à la cruauté impériale, Suétone choisit de classer
les divers meurtres commis par Néron selon une gradation censée démontrer
l’aggravation de sa monstruosité. Suétone commence ainsi par exposer les
meurtres, par Néron, de ses proches parents, Claude, Britannicus, Agrippine,
Octavie, Poppée121 ; ensuite il élargit son propos en déclarant que Néron n’épargna
« aucune catégorie de parents », « nullum adeo necessitudinis genus » et évoque
le meurtre de Claudia Antonia, la seconde sœur par adoption de Néron122 ; il
passe à la disparition « des autres personnes qui étaient ses parents par une
alliance ou un lien quelconque », « ceteros aut affinitate aliqua sibi aut propin118.– Oros., Hist. VII 7, 1.
119.– Oros., Hist. VII 7, 4-6.
120.– Suet., Ner. 16, 3 ; Oros., Hist. VII 7, 10.
121.– Suet., Ner. 33-35, 6.
122.– Suet., Ner. 35, 7-8.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
85
quitate coniunctos », Aulus Plautius (un rival potentiel), le fils de Poppée Rufrius
Crispinus, Caecina Tuscus, qui était le frère de lait de l’empereur, Sénèque,
Burrus ainsi que les affranchis qui avaient préparé son avènement à l’Empire123 ;
Suétone en vient alors à la mise à mort de personnes étrangères à la maison du
prince, en l’occurrence les citoyens impliqués dans la conjuration de Pison124 ;
il en arrive à la condamnation arbitraire de n’importe quelles personnes sous
n’importe quel prétexte125 et, finalement, à la mort des habitants de Rome dans
l’incendie de 64 de notre ère126.
Pour Suétone, les violences exercées contre des étrangers sont donc présentées
comme les pires crimes possibles, car plus arbitraires. Aurelius Victor, de son
côté, soutiendra la thèse exactement inverse. L’abréviateur, qui applique sa
démonstration aux crimes ayant trait non seulement à la cruauté mais surtout à
la lubricité et la perversion, voit en effet le signe de l’aggravation du cas de Néron
dans le fait qu’il finit par s’en prendre à sa famille : dans le passage qu’il consacre
à l’inceste entre Néron et Agrippine, Aurelius Victor soutient à ce titre que
l’homme perverti commence d’abord par s’en prendre aux étrangers, puis aux
plus proches parents127. L’abréviateur déclare, à l’appui de sa thèse, qu’Agrippine,
après diverses liaisons, épousa son oncle et, après avoir fait torturer des gens qui
lui étaient étrangers, assassina celui-ci ; que Néron, pour sa part, souilla une
Vestale puis se souilla lui-même (il y a sans doute là une allusion aux mariages de
Néron avec Pythagoras et Sporus) et qu’enfin la mère et le fils portèrent l’un sur
l’autre leurs désirs criminels.
Or à l’inverse de ce que prétend Aurelius Victor, l’inceste de Néron et
d’Agrippine ne constitue pas l’aboutissement de la débauche du prince :
Agrippine a été assassinée en 59 (l’inceste est donc nécessairement antérieur à
cette date) ; le mariage de Néron avec Pythagoras est situé par Tacite en 64, à
l’occasion du banquet donné par Tigellin ; l’union avec Sporus eut lieu, d’après
Dion Cassius, lors de la tournée artistique de Néron en Grèce, soit en 66 ou
67. Aurelius Victor, profitant de l’absence de précisions chronologiques chez sa
source Suétone, a ainsi recréé une chronologie fictive en fonction de ses besoins.
La création de cette nouvelle chronologie et l’inversion que l’abréviateur opère
par rapport à la hiérarchie des crimes qu’avait posée Suétone montrent que la
figure de Néron est devenue un objet reconfigurable à souhait.
Schématisation et passage au type
Un portrait morphologiquement stable
La standardisation du mythe
Ces multiples exemples de resémantisations et ces nouvelles configurations ne
doivent cependant pas nous faire perdre de vue l’incroyable consensus général
123.– Suet., Ner. 35, 8-12.
124.– Suet., Ner. 36.
125.– Suet., Ner. 37.
126.– Suet., Ner. 38.
127.– Aur.-Vict., 5, 8-11 (cité supra, p. 71).
86
Laurie Lefebvre
des auteurs, dont la condamnation s’est vite uniformisée et cristallisée autour de
quelques thèmes précis. Les écarts constatés précédemment entre les différents
portraits que nous a laissés la littérature antique reposent à ce titre moins sur
l’apparition d’éléments inédits que sur des réajustements de motifs préexistants :
mis à part l’ajout, par les auteurs chrétiens, des motifs du martyre de Pierre et
de Paul et du retour de Néron à la fin des temps, le portrait du dernier Julioclaudien est resté, de manière générale, morphologiquement stable.
Dès lors que les textes antiques nous présentent une description condensée de
l’ensemble des crimes de Néron, ce sont ainsi les mêmes motifs qui sont chaque
fois privilégiés. Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, Flavius
Josèphe, qui constitue, en l’état actuel de nos sources, le premier historien à avoir
établi un résumé des forfaits de l’empereur, retient les meurtres de son frère, de
son épouse et de sa mère, les violences commises à l’égard de l’élite de Rome et
enfin les prestations théâtrales128 ; Juvénal, lorsqu’il compare, dans sa huitième
satire, Néron et Oreste, opère une sélection similaire puisqu’il choisit de retenir,
parmi l’ensemble des travers et des crimes attribués au dernier Julio-claudien,
les parricides (meurtres de la mère, du frère et/ou sœur, de l’épouse et empoisonnement des proches) et les activités artistiques129 ; de la même manière, dans
la Vie de Galba de Plutarque, l’on voit le tribun militaire Antonius Honoratus
rappeler que Néron a tué sa mère, sa femme et qu’il s’exhibait dans des spectacles
lyriques et tragiques, ce qui correspond de nouveau au canon ébauché par
Flavius Josèphe130 ; de façon analogue là encore, Tacite, dans les Annales, place
dans la bouche du tribun Subrius Flavus la phrase suivante : « j’ai commencé
à te haïr, après que tu t’es révélé être le meurtrier de ta mère et de ta femme,
un conducteur de char, un histrion et un incendiaire131 ». Matricide, meurtre
de l’épouse, participation à des courses et des spectacles, auxquels le tribun
ajoute l’incendie de Rome, tels sont les crimes que comprend ce résumé de la
« carrière » néronienne.
Le canon des crimes néroniens ébauché sous les Flaviens puis confirmé à
l’époque antonine ne connaîtra ensuite plus vraiment de modification. Ainsi,
lorsque Philostrate mentionne, par l’intermédiaire du philosophe Philolaos de
Cittium, les occupations favorites de l’empereur, qui « conduit des chars en
public, entre en tant que chanteur dans les théâtres des Romains, vit avec les
gladiateurs, combat lui-même comme gladiateur et égorge132 », on retrouve bien
là les deux pôles de la figure néronienne tels qu’ils apparaissaient dans le canon
de Josèphe, en l’occurrence la participation aux jeux et aux spectacles ainsi que
les meurtres. La notice synthétique élaborée par Flavius Josèphe sera par ailleurs
copiée, comme nous l’avons vu, par Eusèbe de Césarée133, qui tait cependant,
dans son énumération, la question des prestations scéniques ; nous avons vu
128.– Jos., B. J. II 250-251, cité supra, p. 30.
129.– Juv., VIII 215-230, cité supra, p. 36.
130.– Plut., Galb. 14, 3.
131.– Tac., An. XV 67, 2.
132.– Philstr., V. Ap. IV 36, 2.
133.– Eus., Hist. eccl. II 25, 2, cité supra, p. 52.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
87
pourquoi. La seule exception dans la fixation du canon des crimes néroniens
nous est fournie par Sulpice Sévère, qui, parmi les horreurs et les crimes commis
par Néron, choisit de mentionner le matricide et, cette fois, non plus les prestations artistiques mais le mariage avec Pythagoras :
« Je me contente de signaler seulement qu’à travers toute sorte d’horreurs et de
cruautés, il en vint au meurtre de sa mère et même, par la suite, à prendre pour
mari, selon le rite des mariages solennels, un certain Pythagore. » (Sulp. Sev.,
Chron. II 28, 1 ; trad. G. de Senneville-Grave)
Peut-être la mentalité chrétienne de Sulpice Sévère a-t-elle conduit celui-ci à
être choqué davantage par le motif du mariage homosexuel que par celui de la
montée sur scène.
La condamnation de Néron s’est donc figée en un canon, comprenant,
d’une part, les prestations théâtrales, d’autre part, les parricides, parmi lesquels
ont été privilégiés le meurtre de la mère et celui de l’épouse. Si l’on observe,
dans l’annexe 1, les tableaux dressant la liste des crimes et des travers imputés à
Néron dans l’Antiquité et la fréquence de leurs évocations à travers les siècles, on
constate, de fait, que l’épisode du matricide (tableau 1a) et le motif des activités
théâtrales (tableau 2a) font partie des éléments qui ont fait couler le plus d’encre
et qu’ils ont été évoqués de façon à la fois continue et particulièrement intense à
travers les premiers siècles de notre ère.
Ces deux motifs se sont ainsi véritablement imposés comme les « marques
de fabrique » de la figure de Néron : ce dernier est, par excellence et avant tout,
l’empereur matricide et citharède. Dans le Banquet de l’empereur Julien, où le
lecteur voit passer sous ses yeux, un par un, tous les maîtres de Rome, raillés
par Silène qui les réduit chaque fois à leurs traits les plus caractéristiques, c’est
en chanteur que se présente Néron134 : la cithare et la couronne de laurier sont
choisies comme ses attributs typiques. Ce sont également les prestations artistiques qui caractérisent Néron dans le Contre Eutrope de Claudien :
« Regardez en arrière les crimes qu’offre la lecture des annales de tous les
temps, parcourez les siècles anciens en passant les fastes en revue : la Caprée du
vieillard monstrueux et le théâtre de Néron offrent-ils rien de semblable ? Un
eunuque revêtu du manteau de Romulus s’est assis parmi les lares d’Auguste. »
(Claud., Eutr. II 58-63)
L’attaque vise ici Eutrope, qui était le favori de l’empereur Arcadius et fut
le premier eunuque à devenir consul : cherchant, sans succès, dans l’histoire
antérieure un crime équivalent à cette infamie, le poète convoque ceux qu’il
134.– Jul., Caes. 310c-d : « Tandis que Silène parle ainsi, Néron fait son entrée, avec sa cithare
et sa couronne de laurier. Alors Silène, se tournant vers Apollon : “en voilà un, dit-il, qui
se modèle sur toi !”. Et le seigneur Apollon de répondre : “eh bien moi je vais le découronner sur-le-champ, car il ne m’imite pas en tout et là où il m’imite, il est un mauvais
imitateur.” Une fois découronné, il fut aussitôt emporté par le Cocyte. » Néron se fait ici
renvoyer de l’Olympe précisément par la divinité sous le patronage de laquelle il avait
placé sa pratique artistique.
88
Laurie Lefebvre
considère comme les deux pires monstres de l’histoire, Tibère et Néron, et c’est
en acteur qu’il fait apparaître ce dernier.
Sous les Antonins, déjà, les auteurs se plaisaient à réduire Néron à son
costume de musicien. Dion Chrysostome, dans son troisième Discours sur la
royauté, oppose ainsi, nous l’avons vu, au bon roi qui s’adonne à la chasse cet
empereur qui était passionné par le chant et passait son temps à faire entendre
des murmures plaintifs et des gémissements sur la scène des théâtres135 ; Pline
le Jeune, louant dans son Panégyrique l’empereur Trajan pour avoir banni les
pantomimes du théâtre, et se réjouissant de voir que le peuple lui-même désirait
les voir bannis, rappelle que « naguère ce même peuple regardait et applaudissait
un empereur comédien », « idem ergo populus ille aliquando scaenici imperatoris
spectator et applausor136 » ; Juvénal, condamnant parmi ses contemporains les
nobles qui se produisent au théâtre, conclut qu’« il n’y a rien d’étonnant, quand
on a vu un prince citharède, à ce qu’un noble soit mime », « res haut mira tamen
citharoedo principe mimus / nobilis137 ».
Le prince chanteur de Dion Chrysostome, le scaenicus imperator de Pline et
le citharoedus princeps de Juvénal désignent immanquablement Néron138, dont
le goût prononcé pour les arts de la scène et les prestations théâtrales en public
étaient bien connues dans l’Antiquité139. C’est d’ailleurs également au moyen
du substantif « citharoedus » que Néron est désigné, chez Tacite, par Subrius
Flavus, qui, impliqué dans la conjuration de Pison, aurait dit que « la honte
serait la même si l’on chassait un citharède pour le remplacer par un tragédien »,
« non referre dedecori, si citharoedus demoueretur et tragoedus succederet140 ».
Des phénomènes similaires se laissent observer au sujet du motif du
matricide. Dans Néron ou le percement de l’Isthme, l’assassinat d’Agrippine est le
seul forfait sans lien direct avec le sujet du dialogue qui soit évoqué141 ; ce crime
est également le seul qu’Ausone ait, dans les vers qu’il consacre à Néron, choisi
de spécifier142 ; de la même manière, parmi l’éventail de meurtres commis par
Néron, seul celui d’Agrippine, outre la question de la persécution, est conservé
par Sulpice Sévère143 ; dans la plainte que Prudence place dans la bouche de
135.– D. Chr., III 133-134, évoqué supra, p. 34-35.
136.– Plin., Pan. 46, 4.
137.– Juv., VIII 198-199.
138.– Selon Benoist 2003, p. 50, n. 1, le « prince citharède » condamné par Juvénal et Pline
désigne Domitien. Il est vrai que le chapitre 46 du Panégyrique de Pline oppose Trajan à
un prince ayant aboli le spectacle des pantomimes, et Domitien est à ce titre connu pour
avoir interdit la scène aux histrions (Suet., Dom. 7, 1). Mais Néron aussi prit une mesure de
ce type (Suet., Ner. 16, 3 : relégation des pantomimes) ; en outre, Domitien n’est traditionnellement jamais présenté comme un empereur citharède.
139.– Caligula se passionnait lui aussi pour les arts de la scène, la danse et le chant (Phil., Leg.
42 ; Suet., Calig. 11, 1 ; 54, 2-4 ; DC., LIX 5) ; il n’y a cependant là rien de comparable à la
fréquence des évocations de la passion de Néron pour la citharédie et le théâtre.
140.– Tac., An. XV 65 (trad. P. Wuilleumier). Le « tragoedus » désigne ici Pison.
141.– Ps. Luc., Ner. 10.
142.– Aus., Caes., Mon. 35.
143.– Sulp. Sev., Chron. II 28, 1.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
89
Rome personnifiée, le matricide est, là encore, le seul à apparaître, aux côtés de la
persécution des Chrétiens144.
En outre, de même que la lecture du substantif « citharoedus » suffit à faire
apparaître le spectre de Néron, de même le mot « matricide » est immédiatement compris comme une allusion au dernier Julio-claudien : c’est ainsi que
Lactance, citant les vers extraits des Oracles sibyllins où est prophétisé le retour
d’un matricide en fuite, déclare que ces vers étaient compris comme désignant
Néron145. La figure de Néron s’est donc, de manière générale, standardisée et
resserrée autour d’un canon plus ou moins figé, plus qu’elle n’a changé et gagné
des éléments nouveaux.
Le travail des abréviateurs
La schématisation et l’homogénéisation de la figure de Néron ont surtout été le
résultat du travail des abréviateurs tardifs : Aurelius Victor, Eutrope, Jérôme, le
Pseudo-Aurelius Victor et Orose ayant tous, directement ou indirectement et de
façon plus ou moins flagrante, puisé à la même source, en l’occurrence à la Vie de
Néron de Suétone (Sulpice Sévère est la seule exception), leurs Nérons respectifs
présentent, de fait, de grandes similitudes. Par ailleurs, les abréviateurs tardifs,
en condensant l’ensemble de la geste néronienne en quelques paragraphes, ne
pouvaient faire autrement que de supprimer un certain nombre de motifs.
Si l’on examine les tableaux présentés dans l’annexe 1, l’on peut voir que
certains motifs, pourtant bien représentés dans la tradition, ont quasiment voire
complètement disparu après le IIIe siècle ap. J.-C., tels que les virées nocturnes de
Néron (tableau 2b), le pillage d’œuvres d’art (tableau 2c) ou la toute-puissance
des affranchis et des scélérats (tableau 3a). Aurelius Victor et Jérôme sont
par ailleurs les seuls à évoquer encore la conjuration de Pison et sa répression
(tableau 1b) ; Aurelius Victor est le seul également à mentionner le viol d’une
Vestale (tableau 2b).
De la même manière, parmi les nombreux exemples de prodigalité notés
par Suétone dans le chapitre 30 de la Vie de Néron, les abréviateurs tardifs n’en
ont retenu que trois (tableau 2c : les parties de pêche avec des filets tissés d’or,
le motif des mille voitures emportées en voyage, les bains d’huiles parfumées),
dont l’un, qui plus est, constitue en fait, on l’a vu, un emprunt au portrait de
Caligula. Le motif de la construction de la domus aurea (tableau 2c), quant à lui,
s’est complètement éclipsé – exception faite d’une rapide mention chez Orose
– et ce depuis le IIe siècle de notre ère d’ailleurs : Dion Cassius n’en disait déjà
plus mot (on ne peut cependant savoir si cet « oubli » est le fait de l’historien
antique ou de ses compilateurs byzantins).
144.– Prud., Sym. II 669-671, cité supra, p. 57.
145.– Lact., Mort. 2, 8-9 : « Certains extravagants croient qu’il (i. e. Néron) a été transporté
ailleurs et maintenu en vie – la Sibylle dit en effet qu’un matricide en fuite viendra des
confins de la terre – pour être le dernier persécuteur, puisqu’il a été le premier, et précéder
la venue de l’Antéchrist » (citant Or. sib. 5, 363-364 et 8, 70-71).
90
Laurie Lefebvre
L’examen du travail effectué par les abréviateurs des IVe et Ve siècles sur le
matériau suétonien dans leurs récits respectifs de la fin de Néron146 permettra de
se rendre compte que ces auteurs ont davantage « péché par omission147 » que
par propension à l’originalité.
En annexe 2 sont présentés les récits en question. Les différences de détail
entre les cinq versions sont nombreuses : Eutrope et Orose écrivent que Néron
a été déclaré ennemi public, détail qui n’apparaît pas dans les autres récits ; chez
Aurelius Victor et Orose il n’est pas question du châtiment auquel le Sénat a
condamné Néron ; Orose est le seul à déclarer que Néron perdit complètement
courage et espoir à la nouvelle de la défection de Galba ; le Pseudo-Aurelius
Victor est le seul à attribuer à Néron la phrase « N’ai-je donc ni ami ni ennemi ?
J’ai vécu dans l’infamie, je mourrai plus honteusement encore » ; il présente
Néron entouré de quatre compagnons, alors qu’Aurelius Victor n’en mentionne
qu’un et les autres abréviateurs aucun ; Aurelius Victor ne parle pas de fuite.
L’examen du tableau de correspondance entre les divers éléments avancés
par les historiens tardifs et ce que l’on trouve dans la Vie de Néron de Suétone
montre cependant que ces différences ne constituent en aucun cas des hapax :
mis à part l’assertion d’Eutrope selon laquelle Néron devait être précipité de la
roche Tarpéienne, et mis à part le détail des noms des compagnons de Néron
que l’on trouve chez le Pseudo-Aurelius Victor, les éléments avancés par les
abréviateurs étudiés, loin d’être inédits, se trouvaient tous déjà chez Suétone.
Les différences constatées sont donc dues non à des erreurs ou des innovations,
mais à des omissions et des silences : les historiens tardifs n’ont, au sein du
matériau suétonien, pas opéré la même sélection. Il n’en reste pas moins que les
cinq récits correspondent tous étroitement à la version originelle de Suétone :
le portrait de Néron s’est avant tout, sous la plume des historiens tardifs, réduit,
schématisé et standardisé.
La perte progressive de la contextualisation
L’effacement des détails
La cristallisation des forfaits du tyran autour de quelques thèmes précis,
processus favorisé par le succès de la version suétonienne des faits, s’est accompagnée d’une perte progressive des détails et de la contextualisation, laquelle
a abouti au passage de l’individu Néron à une figure type, incarnation de la
tyrannie elle-même.
Pour en revenir à l’épisode de la mort de Néron, nombreux sont à ce titre les
éléments qui n’apparaissent plus nulle part chez les auteurs tardifs : le nom de
Vindex n’apparaît jamais plus après Dion Cassius ; le célèbre mot « qualis artifex
pereo » que Néron aurait prononcé avant de mourir148 n’apparaît plus non plus ;
il n’est plus nulle part question du projet de Néron de fuir à Alexandrie et de s’y
146.– Aur.-Vict., 5, 16-17 ; Eutr., VII 15 ; Hier., Chron., p. 185h ; Ps. Aur.-Vict., Epit. 5, 7-8 ; Oros.,
Hist. VII 7, 13.
147.– Nous empruntons l’expression à Bessone 1988, p. 60.
148.– Suet., Ner. 49, 1 ; DC., LXIII 29, 2.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
91
reconvertir149. Néron a vu, sous la plume des abréviateurs, son portrait se vider
de ses détails.
Comme nous venons de le voir, le motif de la construction de la domus aurea
disparut, de même, assez vite : après Suétone, plus aucun auteur (hormis Orose,
qui en signale la destruction dans un incendie sous Trajan) ne fait allusion au
gigantesque palais sur lequel nombre d’auteurs de l’époque flavienne et antonine
avaient pourtant tiré à boulets rouges150. L’importance de la thématique de
l’urbanisme dans la propagande flavienne avait conduit les auteurs de la fin du
Ier siècle à accorder une place importante au motif de la domus aurea ; la première
génération d’écrivains antonins, qui puisait ses informations chez les historiens
flaviens, reproduisit ensuite leur condamnation du palais néronien, dont elle
devait encore avoir les stigmates sous les yeux ; plus tard, cependant, le motif
devait n’être plus d’aucune actualité, ce qui explique sans doute son abandon.
De manière générale, tout ce qui était trop circonstancié et trop individualisé finit par disparaître. Si l’on examine, dans l’annexe 1, le tableau 1b, on
constate que les noms des Romains de haute naissance tués sur l’ordre de Néron
se sont progressivement éclipsés : seuls sont encore cités, au IVe siècle, Lucain
et Sénèque, en l’occurrence dans la Chronique de Jérôme, ainsi que Corbulon,
dans les Histoires d’Ammien Marcellin. Le nom des plus illustres victimes de
Néron, à savoir Britannicus, Agrippine ou Octavie, a commencé, de la même
manière, à disparaître très vite (tableau 1a). Déjà Flavius Josèphe, s’il mentionne
dans ses Antiquités juives le meurtre, par Néron, de son frère Britannicus, de sa
mère Agrippine et de son épouse Octavie151, n’emploie dans la Guerre des Juifs
que des substantifs, l’historien juif déclarant que Néron s’en prit « à son frère,
à son épouse et à sa mère152 ». De la même manière, Plutarque, quand il rappelle
dans la Vie de Galba que Néron a tué sa mère et sa femme, n’emploie pas des
noms propres mais les substantifs « μητρὸς » et « γυναικός153 ».
À partir du IVe siècle, la disparition du nom des parents victimes de Néron
devient systématique (la seule exception est fournie par Jérôme, qui nomme
Agrippine et Octavie154) : Eusèbe de Césarée, qui, on l’a vu, a manifestement
eu sous les yeux la Guerre des Juifs de Flavius Josèphe, écrit que Néron a tué
« de la même manière mère, frère et sœur, femme », « μητέρα δὲ ὁμοίως καὶ
ἀδελφοὺς καὶ γυναῖκα155 » ; Eutrope résume les parricides de Néron au moyen de
149.– Sur les projets de fuite de Néron, voir supra, p. 78. Si Aurelius Victor, lorsqu’il impute
à Néron le souhait de transférer le siège du pouvoir, évoque bien de ce fait un projet de
départ pour l’étranger, il ne s’agit en aucun cas d’un projet de fuite et Néron, à ce stade
de la notice de l’abréviateur, n’a pas encore été désavoué. En outre il n’est, chez Aurelius
Victor, nullement question de l’Égypte.
150.– Pour les références des textes antiques traitant de la domus aurea, voir l’annexe 1
(tableau 2c).
151.– Jos., A. J. XX 153.
152.– Jos., B. J. II 250.
153.– Plut., Galb. 14, 3.
154.– Hier., Chron., p. 182f et 184h.
155.– Eus., Hist. eccl. II 25, 2.
92
Laurie Lefebvre
l’ablatif absolu « fratre, uxore, matre interfectis156 », « frère, épouse, mère ayant
été tués » ; Orose a recours à la liste « matrem, fratrem, sororem, uxorem157 ».
Le caractère imprécis de ces listes a posé aux commentateurs de nombreux
problèmes d’interprétation. Si l’identification de la mère et du frère est évidente,
il n’en va pas de même de la question de la sœur et de l’épouse : Néron a tué en effet
deux sœurs, Octavie et Claudia Antonia, et deux épouses, Octavie et Poppée ;
le double statut occupé par Octavie, à la fois femme et sœur de l’empereur,
complique encore davantage la situation. Il est peu probable qu’Eusèbe et Orose
aient songé, en mentionnant le meurtre de la sœur, à la mort de Claudia Antonia,
laquelle n’est évoquée que chez Suétone et ce fort brièvement158 : il s’agirait donc
plutôt d’Octavie.
Mais dans ce cas, qui est désigné, chez ces auteurs, par les termes « γυναῖκα »
et « uxorem » ? M.-P. Arnaud-Lindet, dans son édition de l’Historia aduersus
paganos, considère que l’épouse en question est Poppée159. Rien n’est moins sûr.
Le meurtre de Poppée a en effet laissé, dans la tradition, beaucoup moins de
traces que celui d’Octavie160. Jérôme, dont Orose avait consulté la Chronique,
qualifie en outre Octavie d’« uxor » de Néron. De la même manière, au trio de
substantifs « frère », « épouse » et « mère » que Flavius Josèphe utilise, dans la
Guerre des Juifs, pour qualifier les parricides de Néron, répond dans les Antiquités
juives le trio Britannicus, Octavie et Agrippine : là encore c’est Octavie qui est
mentionnée, et non Poppée.
W. Jakob-Sonnabend, pour sa part, considère la mention du meurtre de
l’épouse chez Orose comme une référence à Octavie161 et propose de voir du
coup, dans la mention du meurtre de la sœur, une erreur volontaire162 : Orose
serait parti du texte de la Chronique de Jérôme, selon lequel Néron tua sa mère
Agrippine ainsi que la sœur de son père, « sororem patris163 », et aurait délibérément omis le « patris » et transformé de ce fait le meurtre de la tante en meurtre
de la sœur, afin de dramatiser davantage le récit. Cependant, la présentation par
liste de substantifs qu’Orose emploie pour évoquer les parricides de Néron ne
trouve aucun équivalent chez Jérôme (qui, par ailleurs, n’évoque pas le meurtre
de Britannicus, contrairement à Orose), alors qu’elle en trouve chez Eutrope et
Eusèbe de Césarée : nous ne pensons donc pas qu’Orose se soit inspiré, sur ce
point, de la Chronique hiéronymienne. La liste d’Orose semble plutôt, d’une
156.– Eutr., VII 14, 3.
157.– Oros., Hist. VII 7, 9.
158.– Suet., Ner. 35, 6.
159.– Orose, Histoires, éd. Arnaud-Lindet, p. 34, n. 6.
160.– Il n’en est explicitement question que chez Tacite, Suétone et Dion Cassius (Tac., An. XVI
6, 1 ; Suet., Ner. 35, 5 ; DC., LXII 27, 4). Non seulement la mort d’Octavie est, chez les trois
historiens, bien plus développée que celle de Poppée, mais en outre il en est aussi explicitement question chez Flavius Josèphe (Jos., A. J. XX 153), Plutarque (Plut., Galb. 19, 9)
et Jérôme (Hier, Chron. éd. Helm, p. 184h). Le destin tragique d’Octavie est par ailleurs
abondamment développé dans la pièce du Pseudo-Sénèque.
161.– Jakob-Sonnabend 1990, p. 34, n. 85.
162.– Jakob-Sonnabend 1990, p. 73-74 ; p. 79, n. 192.
163.– Hier., Chron., p. 182f.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
93
manière ou d’une autre, provenir d’Eusèbe, où il était déjà question du meurtre
d’« ἀδελφοὺς », dont le « fratrem, sororem » d’Orose est un parfait équivalent.
Peut-être Eusèbe, reprenant la liste frère-épouse-mère qu’il trouvait chez
Flavius Josèphe (où l’épouse désigne, on l’a vu, Octavie), a-t-il troqué le
singulier « ἀδελφὸν » pour un pluriel parce qu’il savait qu’Octavie était la sœur
adoptive de Néron ; ce faisant il citait, par inadvertance ou peut-être tout à fait
consciemment, deux fois le même meurtre, Octavie étant désignée à la fois en
tant que femme et en tant que sœur. Il n’est pas impossible que les meurtres de
la sœur et de l’épouse évoqués par Orose désignent là encore tous deux un seul
et même crime.
Eusèbe, Eutrope et Orose, en reprenant une liste toute faite de substantifs
telle qu’elle avait été ébauchée par Flavius Josèphe, avaient par ailleurs sans
doute, d’une certaine manière, eux-mêmes perdu de vue qui était désigné par
les substantifs en question : en tout cas, si Orose, qui connaissait manifestement
très bien l’œuvre de Suétone, devait savoir que Néron passait pour avoir tué
Britannicus, Agrippine, Octavie et Poppée, il n’est pas impossible qu’Eusèbe et
même Eutrope aient puisé uniquement à une source où les victimes de Néron
n’étaient pas précisées.
Le caractère évasif de ces listes, en tout cas, est l’une des pièces du processus
de schématisation qui fit passer Néron du statut d’individu à celui de figure.
En se contentant d’employer des substantifs généraux désignant des membres
de la famille, les auteurs antiques ont fait de Néron non un personnage historiquement daté ayant commis des crimes précis sur tels ou tels individus particuliers, mais un monstre-type ayant commis des violences envers tous les liens de
parenté : à l’individu Néron ayant assassiné les individus Britannicus, Agrippine,
Octavie, Poppée a été progressivement substitué un tyran parricide assassinant
frère, mère, sœur et épouse. Les deux directions prises par la légende de Néron, à
la fois en perpétuelle évolution, comme nous l’avons vu, et en voie de schématisation, ne doivent pas pour autant sembler paradoxales : c’est bien cette schématisation et le passage au statut de type qui ont permis, en « désincarnant »
Néron, l’émergence de motifs nouveaux au sein de sa légende.
Le phénomène de la substantivation
Ultime degré de la schématisation : le passage du nom propre au nom commun,
décelable dans l’emploi de pluriels tels que « Nerones ».
Nous avons vu que le premier emploi d’un pluriel de ce type date du De
pallio de Tertullien, qui qualifie de « Nérons » ceux qui se distinguent par leur
passion excessive pour la bonne chère et leur manque de retenue164. Le procédé
sera ensuite abondamment exploité dans l’Histoire Auguste, où le pluriel Nerones
apparaît huit fois. Dans la Vie de Carus, qui s’ouvre sur la présentation par ordre
chronologique de tous les tyrans et bons princes s’étant succédé à la tête de
l’Empire depuis ses origines, c’est le substantif « Nerones » qui sert à désigner
les mauvais empereurs qui gouvernèrent Rome d’Auguste à Vespasien :
164.– Tert., Pall. V 7, cité supra, p. 40.
94
Laurie Lefebvre
« [La République] fut ensuite remise sur pied par Auguste, si tant est que
l’on puisse dire qu’elle fut remise sur pied alors que la liberté était abattue.
Quoi qu’il en soit cependant, bien qu’affligée au-dedans, elle fut florissante
auprès des nations étrangères. Après avoir souffert tant de Nérons successifs,
elle releva la tête sous Vespasien. » (HA., Car. 3, 1-2)
Dans la Vie de Lucius Verus et la Vie d’Alexandre Sévère, le pluriel « Nérons »
est entendu comme un synonyme de tyran noceur et débauché, Lucius Verus
étant qualifié, pour ce qui est des débauches nocturnes, d’« émule des Caligulas,
des Nérons et des Vitellius », « Gaianorum et Neronianorum ac Vitellianorum
[...] aemulum165 », tandis qu’Élagabal est dit dépasser en turpitudo et en luxuries
« les Nérons, les Vitellius, les Commodes », « Nerones, Vitellios, Commodos166 ».
Dans les biographies de Clodius Albinus, d’Élagabal, d’Aurélien et de
Tacite, le mot « Nerones » sert à désigner tous les mali principes que l’Empire
romain a connus antérieurement : « si le Sénat du peuple romain possédait
son antique puissance et qu’un tel Empire ne reposât sur le pouvoir d’un seul
homme, le destin de l’État ne serait pas échu aux Vitellius, aux Nérons et aux
Domitiens167 » ; « jamais je n’aurais mis par écrit la vie d’Antonin Élagabal, que
l’on appela également Varius, et fait savoir à quiconque qu’il avait été l’empereur
des Romains, si avant lui ce même Empire n’avait pas eu des Caligulas, des
Nérons et des Vitellius168 » ; « et pourtant quelle série de mauvais princes ! En
effet si nous laissons de côté les Vitellius, les Caligulas et les Nérons, qui pourrait
supporter les Maximins, les Philippes et toute cette lie confuse et foisonnante169 ? » ; « si en effet vous vouliez passer en revue ces anciens monstres, je
veux dire les Nérons, les Élagabals et les Commodes, qui étaient plutôt toujours
Incommodes, vous verriez que leurs vices ne furent pas tant la faute des hommes
que celle des temps170 ».
Il arrive même que le pluriel « Nerones » soit employé en référence non plus
aux despotes passés, mais aux monstres futurs. C’est ainsi que l’on peut lire,
dans la Vie de Carus, que la mort de Probus « réduisit les vœux publics à un tel
désespoir que tous craignirent des Domitiens, des Vitellius et des Nérons171 » :
Néron est devenu le tyran-type toujours susceptible d’advenir.
165.– HA., Ver. 4, 6.
166.– HA., Alex. 9, 4.
167.– HA., Alb. 13, 5.
168.– HA., Hel. 1, 1.
169.– HA., Aur. 42, 6.
170.– HA., Tac. 6, 4.
171.– HA., Car. 1, 3.
Chapitre trois. Néronologie structurale, I.
Néron l’anti-princeps
Après avoir étudié l’évolution de la légende de Néron à travers les siècles, nous
allons tâcher ici d’en analyser la structure et les constituants de manière synchronique : défi périlleux si ce n’est impossible car, comme chacun sait, configuration
et signification d’un mythe ne sont jamais figées. Or la perspective synchronique qui présidera aux deux chapitres qui vont suivre nous amènera à analyser
conjointement des ouvrages composés à des époques très différentes, relevant
de genres multiples et répondant, à ce titre, à des objectifs variés. Nous voulons
néanmoins croire que la communauté de culture de la plupart des auteurs traités
rend possible, malgré l’évolution constante de la légende de Néron, l’identification d’une configuration relativement homogène de celle-ci.
C’est donc la structure de la figure de Néron que nous allons examiner ici, ses
éléments constitutifs, leur signification au regard de la pensée antique, les liens
qu’ils entretiennent avec la culture gréco-romaine, les traditions dont ils sont
issus, leur fonctionnement comme balises destinées à signaler le tyran en Néron.
Car rien n’a été laissé au hasard et tout a été savamment agencé pour que le
dernier Julio-claudien soit immédiatement reconnaissable comme un monstre.
Cette structure sera analysée en deux temps, correspondant aux deux facettes de
la figure de Néron telles qu’elles ont été identifiées précédemment : ce qui a trait
à la uanitas d’une part ; à la feritas de l’autre.
Une cité sans prince
Néron et le « métier » d’empereur
L’indifférence aux affaires publiques
Nous commencerons l’analyse par l’une des impressions générales qui se
dégagent à la lecture des portraits antiques de Néron : à savoir que ce dernier
s’occupe de tout sauf de ce dont il devrait s’occuper, et ne semble avoir cure de
95
96
Laurie Lefebvre
ce qui concerne l’Empire. Cela est particulièrement net chez Suétone, qui nous
montre Néron, occupé par sa tournée artistique en Grèce, négliger clairement la
conduite de l’Empire :
« Et afin que rien ne vînt le distraire ou le déranger au milieu de ces occupations, comme l’affranchi Helius l’avertissait que les affaires de Rome réclamaient sa présence, en retour il lui écrivit ceci : “Quoique maintenant ton avis
et ton souhait soient que je revienne prestement, tu devrais cependant plutôt
me conseiller et me souhaiter de revenir digne de Néron.” » (Suet., Ner. 23, 2)
Autrement dit, la gloire artistique passe avant tout et Néron ne rentrera que
lorsqu’il aura remporté tous les jeux grecs.
De manière générale, Néron est présenté comme absent de la scène politique
et militaire, notamment étrangère. L’organisation des quatre livres des Annales
consacrés au principat néronien est tout à fait révélatrice à ce sujet. Tacite, fidèle
aux principes de l’écriture annalistique et notamment au modèle proposé par
Tite-Live, choisit de faire alterner affaires intérieures et affaires extérieures. Or
dans les chapitres consacrés aux affaires externes, Néron chaque fois disparaît de
la scène pour laisser la vedette à d’autres personnages, tels Suetonius Paulinus
et surtout Corbulon, ce qui donne au lecteur l’impression que Néron ne joue
aucun rôle dans la politique étrangère.
Si les chapitres 6 à 9 du livre XIII des Annales, consacrés à la situation en
Arménie, montrent Néron complétant les légions d’Orient, faisant jeter des
ponts sur l’Euphrate, demandant aux rois alliés de tenir leurs troupes prêtes
à l’offensive, c’est-à-dire prenant la situation en main, il s’agit d’un cas exceptionnel, correspondant aux débuts prometteurs (nous y reviendrons) du
principat de Néron et qui ne se reproduira plus par la suite ; les mesures ici prises
par l’empereur ne servent, par ailleurs, à rien, Tacite finissant par déclarer que les
Parthes, dérangés par une autre affaire, se retirèrent d’eux-mêmes d’Arménie1.
Plus nous avançons dans la lecture des Annales, moins Néron se préoccupe
de l’Empire. Déjà dans la deuxième section du livre XIII traitant des affaires
d’Arménie (An. XIII 34-41), Néron n’apparaît qu’à l’ouverture, dans la formule
indiquant les consuls en place, et à la fin, où on le voit, en raison des succès
remportés par l’armée romaine, être salué du titre d’imperator et recevoir
statues, arcs de triomphe et consulats successifs2 ; au centre, il n’est question
que de Corbulon. Plus loin, dans la section du livre XIII consacrée aux affaires
de Germanie, lorsque Tacite écrit que des Frisons allèrent à Rome demander
audience au prince, l’historien ajoute que l’ambassade dut attendre, Néron étant
« occupé à d’autres soins », « aliis curiis intentum3 ».
L’absence de Néron de la scène politique internationale se confirme au
livre XIV pour s’amplifier encore au livre XV. Les chapitres qui y traitent de
l’Arménie et de la Bretagne (An. XIV 23-26 ; 29-39 ; XV 1-17 ; 24-31) ne donnent
1.– Tac., An. XIII 7, 2.
2.– Tac., An. XIII 34, 1 ; 41, 4.
3.– Tac., An. XIII 54, 3.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
97
en effet, à nouveau, que peu de place à Néron, au profit de Corbulon et de
Suetonius Paulinus4 ; une des seules apparitions de Néron le montre en train
d’envoyer en Bretagne, pour y examiner la situation, un affranchi qui fut la risée
des ennemis5. D’autre part, la seule mention des soucis que les affaires extérieures
posaient à Néron, « rerum externarum curis », apparaît dans une phrase où il est
dit que Néron cherchait à dissimuler les soucis en question en faisant détruire du
blé gâté par le temps, afin de montrer que le ravitaillement était assuré6 : Tacite
nous présente ainsi un prince hypocrite s’employant à nier les difficultés plutôt
qu’à les surmonter.
L’indifférence de Néron aux affaires publiques est également suggérée par
des jeux de contrastes, mis en place dans les textes antiques, entre la diligence
des généraux et l’attitude de Néron. Au livre XIV des Annales, le chapitre 23, où
Tacite reprend la narration des affaires d’Arménie, fait ainsi suite à un passage où
l’on voit Néron se baigner dans des eaux sacrées ; au livre XV, les chapitres 24 à 31,
qui voient la résolution des affaires d’Arménie, sont précédés par la mention des
périls à venir de Thrasea Paetus et de Sénèque, et suivis des débuts de Néron sur
une scène publique. L’alternance, chez Tacite, entre les turpitudes et crimes de
Néron et les actions engagées pour l’Empire par Corbulon, qu’O. Devillers
invite à mettre en parallèle avec Germanicus7 et que Tacite compare avec Pompée
et Lucullus8, a pour effet de souligner fortement les failles impériales.
Dion Cassius, de la même manière, fait contraster les activités de Corbulon à
l’Est et celles de Néron à Rome9. C’est en effet après la description de l’incendie
de 64, la mention des contributions que Néron imposa suite au désastre et
l’évocation de la suppression, par l’empereur, des distributions de blé que l’on
peut lire le récit des hauts faits de Corbulon en Arménie, récit introduit comme
suit : « πράσσοντι δὲ αὐτῷ ταῦτα ἀγγελία ἐξ Ἀρμενίας καὶ δάφνη ἐπὶ τῇ νίκῃ αὖθις
ἦλθεν », « tandis qu’il était ainsi occupé, des nouvelles arrivèrent d’Arménie
ainsi qu’une couronne de laurier en l’honneur de la nouvelle victoire remportée
là-bas10 » ; suit une énumération des victoires remportées par Corbulon, dont
Dion Cassius loue l’illustration de la race, la vigueur, la sagesse et la justice,
qualités qui amènent l’historien à égaler le général aux anciens Romains. La
tournure participiale « πράσσοντι δὲ αὐτῷ ταῦτα » ne sert pas seulement, à
notre sens, à situer chronologiquement les événements les uns par rapport aux
autres. Elle souligne surtout le contraste entre les activités de Néron et celles
de Corbulon : d’un côté nous avons un empereur incendiaire affamant son
peuple et l’écrasant de nouvelles contributions, de l’autre un général victorieux
incarnant le mos maiorum et les antiques vertus romaines.
4.– Parmi les apparitions de Néron dans les chapitres des livres XIV et XV des Annales consacrés aux affaires extérieures, seules cinq nous le montrent en train de prendre des mesures
et de donner des instructions (An. XIV 26, 1 ; 38, 1 ; 39, 1 ; XV 17, 2 ; 25, 2).
5.– Tac., An. XIV 39, 1-2.
6.– Tac., An. XV 18, 2.
7.– Devillers 1994, p. 83 ; p. 145. Voir aussi Fabbrini 1989, p. 82.
8.– Tac., An. XV 25, 3 ; 27, 1.
9.– Gowing 1997, p. 2575.
10.– DC., LXII 19, 1.
98
Laurie Lefebvre
Une tournure analogue au « πράσσοντι δὲ αὐτῷ ταῦτα » introduit les affaires
de Bretagne : « ἐν ῷ δὲ ταῦτα ἐν τῇ Ῥώμῃ ἐπαίζετο, πάθος ἐν τῇ Βρεττανίᾳ δεινὸν
συνηνέχθη », « pendant que ces divertissements avaient lieu à Rome, un désastre
terrible survint en Bretagne11 » ; les divertissements en question désignent l’instauration par Néron des Juvénales et des Neronia. La dissonance, renforcée par la
contiguïté des deux termes, entre « ἐπαίζετο » et « πάθος », souligne là encore le
contraste entre l’attitude de Néron à Rome et les affaires extérieures, auxquelles
l’empereur semble, du même coup, complètement indifférent.
Chez Suétone, à l’attitude de Néron sont opposées les activités non des
généraux, mais des ennemis. Le biographe retranscrit en effet l’épigramme
suivante :
« Notre homme tend les cordes de sa cithare, le Parthe celle de son arc :
notre homme sera Péan, l’autre Hécatébélétès. » (Suet., Ner. 39, 3)
L’épigramme repose sur le double sens du verbe tendere et joue sur deux
épiclèses d’Apollon : d’un côté, Néron, accordant son instrument, est qualifié
de « Péan », épithète désignant ici Apollon musicien ; de l’autre, le Parthe,
bandant son arc, est « Hécatébélétès », ce qui signifie « qui lance au loin ses
traits » et désigne l’Apollon archer. Le sens de l’épigramme est clair : pendant
que les ennemis se préparent pour la bataille, Néron fait de la musique.
Il existait encore d’autres moyens de minimiser l’activité diplomatique
déployée par Néron. Tacite tait par exemple l’inclusion des Alpes Cottiennes
dans l’Empire ainsi que l’annexion du royaume du Pont de Polémon II,
pourtant mentionnées par Suétone12 : l’omission de ces deux succès diplomatiques contribue à donner de Néron l’image d’un prince ne se souciant guère de
la gestion de l’Empire.
Notons qu’Eutrope, s’il évoque à la suite de Suétone ces deux annexions,
adopte une formulation qui tend, là aussi, à minimiser l’activité diplomatique
de Néron :
« Deux provinces cependant furent créées (factae sunt) sous son règne (sub
eo) : le Pont Polémoniaque, cédé par le roi Polémon (concedente rege Polemone),
et les Alpes Cottiennes, après la mort du roi Cottius (Cottio rege defuncto). »
(Eutr., VII 14, 5 ; trad. J. Hellegouarc’h)
Comme l’a noté S. Ratti, Néron n’est ici, du fait de l’emploi du passif
« factae sunt », pas présenté comme l’auteur des annexions, dont les deux
ablatifs absolus, « concedente rege Polemone » et « Cottio rege defuncto », font,
respectivement, un cadeau et un concours de circonstances13. Les deux succès
apparaissent du coup moins comme le résultat de l’activité de Néron que comme
des événements fortuits qui se trouvent avoir eu lieu sous son règne, « sub eo ».
11.– DC., LXII 1, 1.
12.– Suet., Ner. 18, 2 (qui sera repris par Eutr., VII 14, 5 ; Aur.-Vict., 5, 2 ; Ps. Aur.-Vict., Epit.
5, 4 ; Hier., Chron., p. 184b ; voir aussi HA., Aur. 21, 11). Sur le silence de Tacite, voir
Devillers 1994, p. 282.
13.– Ratti 1996, p. 217-218.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
99
Aurelius Victor écrit pour sa part que Néron réduisit, « redegit », en
provinces le Pont et les Alpes Cottiennes, formulation qui, en faisant de Néron
le sujet d’un verbe d’action, semble plus favorable à l’empereur :
« Les cinq premières années de son règne furent si glorieuses, surtout par les
agrandissements de la ville, que Trajan avait raison d’attester souvent que tous
les autres règnes étaient loin de valoir les cinq premières années de Néron ;
c’est au cours de cette période qu’il réduisit en province romaine le Pont, avec
le consentement de Polémon (c’est pourquoi on appelle cette province le Pont
Polémoniaque) ; de même les Alpes Cottiennes, à la mort du roi Cottius. »
(Aur.-Vict., 5, 2 ; trad. P. Dufraigne)
Cependant, Aurelius Victor date (de manière fantaisiste, comme nous le
verrons) ces deux annexions du quinquennium Neronis, c’est-à-dire des cinq
années au cours desquelles Néron se comporta tel le meilleur des princes :
autrement dit, les succès de Néron en politique étrangère ne furent que des
exceptions, limitée à une période particulière de son règne.
La « passivité » de Néron est d’autant plus inexcusable que son règne vit,
aux confins de l’Empire, deux conflits importants : les Bretons, menés par la
reine Boudicca, se soulevèrent en 61 ap. J.-C. ; les Parthes de Vologèse s’opposèrent violemment aux Romains pour le contrôle de l’Arménie.
Le conflit avec les Parthes, surtout, vit en 62 ap. J.-C. la honteuse capitulation
de L. Caesennius Paetus à Rhandeia, défaite qui permit aux ennemis vainqueurs
de faire passer les légions romaines sous le joug. L’événement est signalé
par Tacite, Suétone, Eutrope, Festus et Orose14 : le fait que trois abréviateurs
tardifs aient choisi de conserver cet élément prouve l’importance de l’épisode,
assurément réactualisé, au IVe siècle, par les multiples conflits qui opposèrent
alors les Romains et les Parthes. Passer sous le joug constitue en effet, pour un
Romain, le comble du déshonneur, « extremo dedecore », comme le rappelle
Festus. Le règne de Néron fit ainsi revivre le traumatisme de la bataille des
Fourches Caudines, événement qui avait vu les Samnites vainqueurs faire passer
les Romains sous le joug et qui fut ressenti comme l’une des plus grandes hontes
de l’histoire de Rome15.
L’impression de passivité dans le domaine militaire qui se dégage à la lecture
de la geste néronienne s’est donc doublée de l’image d’un règne ayant connu
de graves débâcles, dont Néron finira par être présenté directement comme le
responsable. Alors que Suétone présente les revers subis sous Néron comme des
calamités « dues au hasard », « fortuita16 », Eutrope en revanche en attribue
clairement la responsabilité à Néron. L’abréviateur écrit en effet que l’empereur,
« qui n’osa absolument rien en matière militaire, faillit perdre la Bretagne »,
« in re militari nihil omnino ausus Britanniam paene amisit17 », phrase qui
s’inspire d’un passage de Suétone (Ner. 40, 4 : « Britannia Armeniaque amissa
14.– Tac., An. XV 15, 2 ; Suet., Ner. 39, 1 ; Eutr., VII 14, 4 ; Ruf., Brev. 20, 1 ; Oros., Hist. VII 7, 12.
15.– Liv., IX 1-7. Sur ce parallèle, voir Woodman 1998, p. 183.
16.– Suet., Ner. 39, 1.
17.– Eutr., VII 14, 4.
100
Laurie Lefebvre
ac rursus utraque recepta », « la Bretagne et l’Arménie ayant été perdues puis
récupérées l’une et l’autre18 ») : non seulement Eutrope troque la formule passive
« Britannia […] amissa » pour une tournure active mettant Néron directement
en cause, mais il passe sous silence la mention suétonienne de la récupération du
territoire. Peut-être afin d’encourager Valens à reprendre l’Arménie aux Parthes
en lui suggérant que tolérer l’occupation de ce territoire est digne d’un Néron19,
Eutrope impose ainsi du dernier Julio-claudien l’image d’un princeps poltron
(« nihil omnino ausus ») et n’entraînant que des catastrophes.
Un nouveau scandale des Bacchanales
Parallèlement au peu d’intérêt pour les affaires publiques qu’ils s’accordent
à attribuer à Néron, les auteurs antiques, recourant au topos de la uoluptas du
tyran, ont doté le prince d’un goût prononcé pour la fête, les banquets, l’alcool
et la luxure. La stigmatisation de la vie de débauches menée par Néron est en
effet l’un des éléments les plus récurrents dans les portraits antiques du dernier
Julio-claudien : Suétone consacre à la petulantia et à la libido de Néron les
chapitres 26 à 29 de la Vita Neronis ; le motif du goût de Néron pour le stupre, le
vin et les festins parcourt toute l’œuvre de Tacite20 et celle de Dion Cassius (qui
dès le début de sa section consacrée à Néron affirme que ce dernier, sans ardeur
aucune pour le travail, préférait vivre « dans la mollesse », « ἐν ῥᾳστώνῃ21 ») ;
les réjouissances impériales sont stigmatisées dans l’une des Satires de Juvénal22
et sont évoquées aussi par Pline l’Ancien, Philostrate, Aurelius Victor ainsi que
certains auteurs chrétiens23.
Ces auteurs nous montrent ainsi Néron fréquentant assidûment les cabarets,
caché sous un déguisement ; faisant des virées nocturnes au cours desquelles
il malmenait les passants ; donnant des festins interminables où régnait la
débauche, tel le fameux banquet de Tigellin ; faisant installer des tavernes sur
la côte lorsqu’il longeait en bateau le golfe de Baïes. Quant à ses déviances
sexuelles, les plus célèbres sont ses mariages solennels avec Pythagoras24 puis
l’eunuque Sporus, ainsi que son jeu consistant à se jeter, déguisé en bête fauve,
sur les parties génitales d’hommes et de femmes attachés à des poteaux, à quoi il
18.– Une formulation similaire est employée par Tacite dans l’Agricola, 16.
19.– Ratti 1996, p. 217.
20.– Tac., An. XIII 25 (où Tacite oppose la paix du dehors aux désordres honteux ayant lieu à
Rome, « otium foris, foeda domi lasciuia ») ; 47, 2 ; XV 37 ; H. I 73.
21.– DC., LXI 4, 1. Voir aussi DC., LXI 4, 3-4 ; 8, 1-3 ; 9, 2-4 ; LXII 14, 2 ; 15, 2-6.
22.– Juv., IV 136-139 : « C’est que Montanus avait connu jadis le luxe impérial, les nuits de Néron
prolongées jusqu’au milieu de leurs cours, et son appétit renouvelé quand ses poumons
s’embrasaient de Falerne » (trad. P. de Labriolle et F. Villeneuve).
23.– Plin., N. H. XIII 126 ; Philstr., V. Ap. V 7, 3 ; 10, 2 ; Aur.-Vict., 5, 4-11 ; Ps. Aur.-Vict., Epit. 5,
5 ; Chrys., Oppug. monas. vit. 1, 3 ; Oros., Hist. VII 7, 2.
24.– Aujourd’hui ce mariage n’est généralement plus perçu par les historiens comme une
déviance sexuelle, mais comme un acte religieux lié à un culte oriental (Colin 1955-1956,
p. 142-191 ; Allen 1962, p. 104-109 ; Verdière 1975, p. 20-21 ; Fernández Uriel 1994,
p. 111-124) ou comme un acte politique et un renversement volontaire des normes sociales
(Champlin 2003, p. 145-150 ; 160-171).
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
101
faut ajouter, bien sûr, l’inceste que commirent (ou faillirent commettre) Néron
et sa mère Agrippine25.
Les excès de Néron se manifestant dans tous les domaines, on lui attribue
aussi une prodigalité remarquable26 ; l’anecdote suétonienne qui nous montre
l’empereur en train de pêcher avec un filet doré retenu par des câbles de pourpre a
d’ailleurs particulièrement marqué les historiens tardifs. Pline est probablement
l’auteur qui s’est le plus insurgé contre le luxe excessif déployé par Néron ; il
donne notamment, pour illustrer les utilisations aberrantes du lin, matière
particulièrement luxueuse, l’exemple de l’amphithéâtre de Néron, recouvert de
tissus ornés d’étoiles et couleur de ciel, critique immédiatement précédée de la
mention de la proverbiale austérité de Caton l’Ancien : « comme les choses ont
changé depuis les mœurs de Caton le censeur, qui voulait que l’on couvrît de
cailloux pointus le sol même du forum ! », « quantum mutati a moribus Catonis
censorii qui sternendum quoque forum muricibus censuerat ! », s’exclame ainsi le
naturaliste27. Néron, champion de la débauche, des excès et du luxe inutile, est
un anti-Caton.
Débauche, luxure, orgies : de telles accusations sont usuelles. Ainsi, la mollesse
et le goût pour les festins sont également la caractéristique d’un Vitellius28, tandis
que les virées nocturnes et les railleries ou agressions diverses sont aussi le fait
d’Antoine, de Caligula, d’Othon, de Lucius Verus et de Commode29.
La τρυφή, ou vie passée dans la mollesse et la volupté, est en fait un motif
ancien : comme l’a montré A. Passerini, il était déjà typique des tyrans dans
l’historiographie hellénistique30. À Rome, le motif a été développé, surtout, par
la tradition de l’invective politique de la fin de la République31 : les adversaires
de Cicéron, Catilina et ses acolytes, Antoine, Verrès, Pison, Clodius, sont tous
décrits comme des viveurs invétérés, champions de l’immoralité et de la volupté,
amateurs d’orgies et de festins arrosés32. Antoine, que Cicéron qualifie en passant
de « meretrix », aurait notamment eu avec Curion une relation de type matrimonial33, accusation qui sera précisément formulée, on l’a vu, à l’encontre de
Néron et de Pythagoras ; Clodius, de son côté, est accusé par Cicéron d’avoir
entretenu des relations incestueuses avec ses sœurs34, comme ce sera plus tard le
cas de Néron avec sa mère ; Cicéron lui-même se voit accusé d’inceste avec sa
fille Tullia dans l’Invective de Salluste contre Cicéron, pièce apocryphe sortie très
25.– Pour les références, voir, dans l’annexe 1, le tableau 2b.
26.– Pour les références, voir, dans l’annexe 1, le tableau 2c.
27.– Plin., N. H. XIX 24.
28.– Tac., H. II 87 ; Suet., Vit. 13.
29.– Plut., Ant. 29, 2-3 ; Suet., Calig. 11, 1 ; Oth. 2, 2 ; HA., Ver. 4 ; Comm. 3, 7.
30.– Passerini 1934, p. 35-56.
31.– Pour la dette de Suétone vis-à-vis de la tradition rhétorique de l’invective, voir Barton
1994, p. 50-58. De manière générale, les thématiques exploitées à l’encontre de Néron,
débauche, excès, incompétence (politique, militaire et oratoire), font précisément partie
des motifs privilégiés par Cicéron dans ses invectives (Achard 1981, p. 230-258).
32.– Cic., Cat. II 10 ; 22 ; Phil. II 63 ; 101 ; 104-105 ; XIII 24 ; Verr. II 6 ; III 23 ; Pis. 13 ; 67 ; Sen.
14-15 ; Sest. 23-24. Voir aussi Sall., J. 85, 41-43.
33.– Cic., Phil. II 44.
34.– Cic., Pis. 28 ; Sest. 16 ; Cael. 32 ; 36 ; 78 ; Har. 4 ; 8.
102
Laurie Lefebvre
probablement d’une école de rhétorique35. Les accusations de débauche et de
luxure formulées à l’encontre de Néron font donc depuis longtemps partie de
l’arsenal habituel des avocats et des rhéteurs – ce qui ne veut pas forcément dire
qu’elles n’aient été fondées : il s’agit seulement ici de signaler, sur ce point, le
caractère somme toute très conventionnel de la légende néronienne.
Autre aspect conventionnel des condamnations de Néron : l’articulation
entre dérèglements impériaux et retombées funestes sur l’Empire. Déjà dans
l’historiographie hellénistique la τρυφή caractéristique des tyrans était toujours
présentée comme la cause de la ruine de l’État : la présence de ce motif n’est
pas un simple topos destiné à embellir le récit, mais un principe de l’évolution
politique36. Polybe, de la même façon, fait du goût du luxe l’un des facteurs
responsables de la dégradation de la royauté en tyrannie37 ; de manière générale,
le faste excessif, dont Néron s’est fait un des champions, est représenté à Rome
comme le vecteur de la ruine de la res publica38.
Ce motif est abondamment exploité dans les portraits de Néron. Dion
Cassius déclare par exemple qu’en se livrant à ses excès en public, Néron non
seulement couvrit de honte le peuple romain mais en outre lui causa de terribles
maux39 ; il explique notamment qu’au cours de leurs amusements, le prince et ses
amis commettaient continuellement violences, vols, meurtres, et qu’il ne faisait
pas bon mettre le nez dehors quand Néron était de sortie40 ; il déclare aussi que
Néron retira les soldats en charge de la surveillance des assemblées du peuple afin
que les fauteurs de troubles eussent davantage de liberté41.
Suétone, de son côté, rapporte que Néron dînait parfois dans des lieux publics,
tels que la naumachie d’Auguste, le Champ de Mars ou le Circus maximus, où il
se faisait servir par des courtisanes42 : là encore, les vices de Néron envahissent
le domaine public. De la même manière, Tacite écrit, à l’ouverture du chapitre
traitant du banquet de Tigellin, que Néron « se mit à user de la Ville entière
comme de sa demeure », « totaque Vrbe quasi domo uti », et que des débauches
de toute sorte envahirent alors l’espace public43.
Or la conjonction des motifs de la débauche et du désordre public est précisément ce qui se trouvait au cœur du scandale des Bacchanales, qui ébranla Rome
en 186 avant notre ère44. En décrivant les excès de Néron comme ils l’ont fait,
c’est-à-dire en établissant, de manière insistante, un lien entre ces excès et la vie
35.– Ps. Sall., Cic. 2 (voir aussi DC., XLVI 18, 6).
36.– Passerini 1934, p. 44-48 ; p. 51.
37.– Pol., VI 7.
38.– Voir par exemple Sall., C. 11-13 ; Juv., VI 292-300.
39.– DC., LXI 5, 2 : « D’abord il se livra à ces vices en privé et au milieu de ses familiers, puis il
le fit en public, si bien qu’il infligea un grand déshonneur au peuple de Rome tout entier, et
qu’il lui causa de nombreux maux ».
40.– DC., LXI 5, 3 ; 9, 2-4.
41.– DC., LXI 8, 3.
42.– Suet., Ner. 27, 2.
43.– Tac., An. XV 37 (voir aussi DC., LXII 15, 4-6). Sur la façon dont Tacite dépeint l’utilisation
de l’espace public par les empereurs, voir Rouveret 1991.
44.– Liv., XXXIX 8-19. Sur cet épisode, voir Scheid 1981, p. 158-159 ; Pailler 1988.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
103
publique, les auteurs antiques faisaient tomber les mœurs de l’aula néronienne
sous les mêmes coups que les activités des groupes bachiques : débauches de
toutes sortes favorisées par l’ivresse, la nuit et le mélange des sexes, atteintes
à l’ordre public, à quoi s’ajoutent des meurtres et des extorsions. Les caractéristiques traditionnellement rattachées par l’opinion à l’initiation bachique,
contestation des traditions romaines, perversion des cérémonies officielles,
pratique de l’orgie, semblent en tout cas avoir été le cadre à partir duquel les
lecteurs antiques étaient invités à se représenter les débauches néroniennes45.
Au souvenir du scandale des Bacchanales se greffe manifestement aussi
l’image des Saturnales. Les auteurs antiques présentent, de fait, les loisirs de
Néron comme une inversion systématique de l’ordre social et de la normalité :
lorsque Néron se rend la nuit dans les tavernes, il revêt, selon Tacite, un
« vêtement d’esclave », « ueste seruili46 » (selon Suétone, le déguisement
consiste en un pilleus, le bonnet des affranchis qui, précisément, était porté par
les Romains lors des Saturnales47) ; lors du banquet de Tigellin, lequel a lieu
sur un plan d’eau et non, comme on pourrait s’y attendre, sur la terre ferme,
des femmes de haut rang font office de prostituées dans des lupanars, le bois
voisin étincèle de lumières malgré la profondeur de la nuit, un empereur devient
l’épouse d’un affranchi48. Les historiens antiques ont fait de la Rome néronienne
une société où tout est sens dessus dessous, et où le princeps Saturnalicius n’est
autre que Néron lui-même49.
Le travestissement des mesures impériales
Si Néron paraît à ce point indifférent aux affaires publiques, c’est surtout que
les auteurs antiques se sont employés à opérer des raccourcis tendancieux voire
à gommer les raisons ayant poussé Néron à agir comme il l’a fait, privant du
même coup les actions du prince de toute explication logique et de toute justification. Une des seules fois où Tacite évoque la politique économique de Néron
nous montre ainsi l’empereur en train d’envisager, pour soulager le peuple écrasé
par les excès des publicains, d’abolir tous les impôts indirects ; suit dans le texte
des Annales la réaction du Sénat, contraint d’arrêter l’élan du prince dont le
plan risque d’entraîner la diminution des ressources assurant la grandeur et la
puissance de l’Empire50. Le projet fiscal de Néron, qui devait probablement
reposer sur une étude précise du problème, se voit donc réduit par Tacite à une
démonstration de liberalitas excessive et insensée.
45.– Ce qui n’exclut pas la possibilité que les mœurs de Néron aient été réellement inspirées
des pratiques dionysiaques et bachiques (Perrin 1993, p. 105) ou du moins conçues par
l’empereur comme des perversions de l’ordre social (Champlin 2003, p. 145-177).
46.– Tac., An. XIII 25, 1.
47.– Suet., Ner. 26, 2. E. Champlin fait remarquer que le vêtement, normalement réservé à
un usage privé, que Néron, selon Suétone, portait souvent en public, la synthesina (Suet.,
Ner. 51, 2), n’était porté par le Romain, en dehors de chez lui, que pendant les Saturnales
(Champlin 2003, p. 170).
48.– Tac., An. XV 37, 2-4. Sur ce passage, voir infra, p. 233-235 ; p. 240-241.
49.– Champlin 2003, p. 159-160.
50.– Tac., An. XIII 50.
104
Laurie Lefebvre
Les mesures que Néron prit en tant qu’empereur ont ainsi été lues à la lumière
de ses crimes et de ses travers : les options politiques du princeps sont devenues
de simples illustrations des vices du tyran51. Deux exemples suffiront à démontrer
ce point : l’attitude prêtée à Néron lors de l’incendie de Rome, et le projet de
percement d’un canal devant relier le lac Averne au Latium.
Les décombres de Rome
Le pessimus princeps ne pouvant être qu’indifférent au sort de ses sujets, Suétone
s’ingénie à transformer en marques de cruauté et de mépris envers le peuple
les mesures que Néron, à l’occasion du terrible incendie de 64 ap. J.-C., ne prit
assurément que pour le soulager. La comparaison avec Tacite est à ce titre tout à
fait édifiante52.
Premier point : chez Tacite comme chez Suétone, il est question de bâtiments
volontairement détruits pendant l’incendie53 ; or si cette destruction est présentée
par Tacite – qui se fait peut-être là l’écho de la littérature de cour contemporaine
de Néron – comme une mesure prise pour stopper l’incendie en opposant à sa
violence une plaine dénudée, chez Suétone, la mesure en question devient un
moyen pour l’empereur de se rendre maître d’une zone qu’il convoitait pour
son palais.
Nous voyons ensuite, chez les deux auteurs, Néron prendre en charge les
travaux de déblaiement54 : selon Tacite, il s’agissait de rendre à chaque propriétaire un terrain parfaitement dégagé, afin assurément de faciliter et d’accélérer
la phase de reconstruction ; selon Suétone, la mesure est présentée comme une
manœuvre hypocrite destinée à empêcher les propriétaires d’accéder à leurs
biens afin que Néron pût mettre la main sur autant de butin qu’il le pourrait.
Enfin, les lieux dans lesquels la foule devenue sans abri trouva refuge, ouverts
chez Tacite par Néron lui-même qui offrit jusqu’à ses propres jardins pour
soulager le peuple, deviennent sous la plume de Suétone des monuments et des
tombeaux dans lesquels la foule se réfugia d’elle-même faute de mieux55.
Si Suétone et Tacite rapportent les mêmes faits, leur présentation en est donc
fort différente : les mesures que le Néron de Tacite prit au cours et à la suite de
l’incendie pour en limiter les ravages et en réparer les dégâts deviennent, chez
Suétone, des marques d’auaritia et de crudelitas. Nous avons donc affaire là, de
la part assurément de Suétone plutôt que de Tacite, à un bel exemple de manipulation narrative56.
Notons que si Tacite est moins sévère que Suétone dans sa présentation de
l’attitude de Néron lors de l’incendie de Rome, l’historien n’en profite pas
moins pour mettre en lumière à cette occasion l’indifférence de l’empereur aux
51.– Cizek 1972, p. 6.
52.– Sordi 1999, p. 106-107.
53.– Tac., An. XV 40, 1 ; Suet., Ner. 38, 3.
54.– Tac., An. XV 43, 2 ; Suet., Ner. 38, 7.
55.– Tac., An. XV 39, 2 ; Suet., Ner. 38, 4.
56.– Comparer aussi Tac., An. XV 39, 2 (où l’historien affirme que Néron, pour soulager le
peuple suite à l’incendie, diminua le prix du blé) et DC., LXII 18, 5 (où l’on peut lire au
contraire que Néron en supprima les distributions).
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
105
affaires publiques. Tacite précise en effet qu’au moment de l’incendie, « Néron,
qui séjournait à Antium, ne revint pas dans la Ville avant le moment où le feu
s’approcha de sa maison », « Nero, Antii agens, non ante in Vrbem regressus
est quam domui eius […] ignis propinquaret57 ». D’une part, donc, Néron, au
moment de la catastrophe, ne se trouve pas à Rome, mais à Antium, où le lecteur
comprend que le prince est en train, non de régler les affaires de l’Empire, mais
assurément de se donner du bon temps ; d’autre part, Néron ne revient à Rome
qu’à partir du moment où sa propriété est menacée par les flammes, ce qui
suggère son égoïsme ; enfin, le « non ante [...] quam » donne à entendre que
Néron, à l’annonce de l’incendie, ne rentra pas immédiatement à Rome mais au
contraire tarda à s’y rendre, ce qui suggère son indifférence au malheur public.
L’attitude de Néron telle que la décrit Tacite prend tout son sens dès lors
qu’on la remet en perspective et la compare à ce qu’était, dans la pensée romaine
(et encore aujourd’hui d’ailleurs), le comportement du bon chef. Cicéron,
dans son discours Contre Pison, rappelle que les consuls se sont toujours fait un
devoir d’accourir dès qu’un incendie important se déclarait à Rome58 ; Dion
Cassius rapporte à ce titre que le fils de Tibère, Drusus II, fut obligé, pendant
son consulat, d’aller avec ses gardes porter secours aux victimes d’un incendie59.
Chez Suétone, l’on voit Livie, lors d’un incendie ravageant le temple de Vesta,
se tenir aux côtés du peuple et des soldats et les exhorter à combattre le feu avec
ardeur60 ; l’on voit aussi Claude, pendant un incendie dans le quartier Émilien,
faire appeler à l’aide la plèbe des autres quartiers et encourager lui-même la foule
à prêter secours61 ; l’on voit enfin Titus, suite à l’éruption du Vésuve et à un
incendie s’étant déclaré à Rome, procurer au peuple tous les secours qui étaient
en son pouvoir et surtout prendre à sa charge toutes les pertes que l’incendie
avait causé à Rome, notamment en donnant aux monuments reconstruits les
objets d’art de ses maisons de campagne62. Dion Cassius, de même, affirme
que Titus, pour rétablir les zones dévastées par l’éruption du Vésuve, n’eut pas
recours à l’argent des villes ou des particuliers63 : il déclare au contraire, de même
que Tacite et Suétone, que Néron leva suite à l’incendie de 64 ap. J.-C. des
contributions diverses qui passent pour avoir écrasé ses sujets64. Ainsi le princeps
Néron manque à tous ses devoirs.
Le canal du lac Averne
La présentation que les auteurs antiques ont faite du projet néronien de
percement d’un canal entre le lac Averne, en Campanie, et le Tibre, semble, elle
aussi, être le résultat d’un processus de déformation historique.
57.– Tac., An. XV 39, 1. À ce sujet, voir Yavetz 1975, p. 193.
58.– Cic., Pis. 26.
59.– DC., LVII 14, 10.
60.– Suet., Tib. 50, 5.
61.– Suet., Claud. 18, 2.
62.– Suet., Tit. 8, 7-10.
63.– DC., LXVI 24, 4.
64.– Tac., An. XV 45, 1 ; Suet., Ner. 38, 7 ; DC., LXII 18, 5.
106
Laurie Lefebvre
Le projet est évoqué par Tacite au chapitre 42 du livre XV des Annales, c’està-dire dans le passage consacré à la construction de la gigantesque domus aurea.
La mention des deux maîtres d’œuvre du palais, Severus et Celer, et du caractère
insensé et sacrilège de leurs projets architecturaux amène en effet Tacite à évoquer
le projet de percement du canal, lequel est alors décrit comme une entreprise
« dépassant les forces humaines et sans grande justification », « intolerandus
labor nec satis causae65 » : l’évocation du projet sert donc à illustrer, à l’instar de
la maison dorée, le caractère démesuré et futile des constructions néroniennes.
Or, comme l’a noté A. Balland, cet ouvrage devait pourtant répondre à
des besoins économiques et annonaires réels et viser à résoudre les problèmes
d’approvisionnement de la capitale, en facilitant le transport, jusqu’à Rome, des
denrées en provenance de la Sicile et de l’Afrique du Nord, et qui débarquaient
d’abord à Pouzzoles, en Campanie66 ; E. Koestermann ajoute à ce titre que
le projet trouvait assurément sa justification dans les dangers de la navigation le
long des côtes entre le golfe de Naples et le Latium67. D’ailleurs, quatre chapitres
après l’évocation du canal, Tacite relate effectivement le naufrage d’un grand
nombre de trirèmes au large du cap Misène (naufrage dont, soit dit en passant,
Tacite attribue la cause à l’imprévoyance et au caprice de Néron, lequel aurait
ordonné à la flotte d’arriver absolument un jour précis, sans prendre en compte
les hasards de la navigation, obligeant ainsi les pilotes à partir en mer malgré la
tempête68).
Comme l’a noté O. Devillers, les deux événements, le naufrage et
le percement du canal, devaient sans doute être liés : il est fort probable que
nous ayons là un exemple de « disjonction », procédé consistant à rompre
la continuité d’un récit en faisant éclater en différents endroits de la diégèse
des faits historiquement liés69. En déconnectant le projet de percement d’un
canal du paragraphe relatif aux dangers du cap Misène, Tacite ôte au projet en
question sa justification pratique pour n’en faire que l’illustration de la mégalomanie impériale.
Un phénomène similaire se donne à lire chez Suétone qui, comme Tacite,
associe la description du projet de percement et l’évocation de la domus aurea :
« Cependant il ne se ruina (damnosior) jamais autant qu’en construction : il
fit bâtir une maison qui s’étendait du Palatin à l’Esquilin et qui fut appelée
d’abord “maison du passage” puis, après sa destruction dans un incendie et sa
reconstruction, “maison dorée”. […] En outre il entreprit de faire construire
un bassin depuis Misène jusqu’au lac Averne, couvert et entouré de portiques,
dans lequel convergeât tout ce qu’il y avait d’eaux chaudes dans tout Baïes ; un
canal depuis l’Averne jusqu’à Ostie, de façon à ce qu’on se déplaçât en navires
mais non par mer, d’une longueur de cent soixante milles, et d’une largeur telle
65.– Tac., An. XV 42, 2 ; trad. P. Grimal, dans la Bibliothèque de la Pléiade.
66.– Balland 1965, p. 379-381. Voir aussi Alcock 1994, p. 102.
67.– Koestermann 1968, p. 263.
68.– Tac., An. XV 46, 2.
69.– Devillers 1994, p. 179-182. M. Rambaud qualifie ce procédé d’« escamotage historique » (Rambaud 1966, p. 98-111).
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
107
que des galères à cinq rangs de rames pussent se croiser. […] Ce qui le poussait
à cette fureur de dépenses (impendiorum furorem), outre la confiance qu’il
avait en son pouvoir, c’était aussi un espoir soudain de s’emparer de richesses
immenses et cachées, d’après les indications d’un chevalier romain l’assurant
que l’ancien trésor que la reine Didon, dans sa fuite, avait emporté de Tyr se
trouvait caché dans de très vastes cavernes en Afrique, et qu’il pouvait les en
extraire avec peu de peine. » (Suet., Ner. 31)
En classant le projet de percement du canal dans un chapitre consacré à la
prodigalité démesurée de Néron et introduit par le comparatif « damnosior »,
Suétone réduit cette vaste entreprise à un simple et nouvel exemple d’excès et
de gaspillage gratuit, d’autant plus que, comme à son habitude, il en dévoile à
peine le contexte, l’objectif étant évoqué dans une phrase très brève et assez peu
claire, « ut nauibus nec tamen mari iretur », « de façon à ce qu’on se déplaçât
en navires mais non par mer ». Suétone conclut en mettant le projet sur le
compte de l’« impendiorum furorem » de Néron, ce qui en confirme la futilité
et l’exubérance.
Tacite et Suétone ne sont pas les seuls à avoir oblitéré la justification du projet
néronien. Dans l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien, où l’on peut lire que le
canal de Néron a causé la perte du vin de Cécube70, le projet devient le facteur
de la disparition d’un vignoble réputé. Dans le poème des Silves où Stace fait
l’éloge de la voie domitienne reliant Pouzzoles à Rome, il apparaît que l’entreprise néronienne n’a consisté qu’à frayer un chemin à d’« affreux marécages »,
« sordidas paludes » :
« Quel terrible fracas du dur silex heurté par le fer lourd a retenti le long
de la Voie Appienne, du côté où, pierreuse, elle borde la mer ? Assurément,
ce ne sont pas les bandes libyennes qui font ce bruit, ni le capitaine venu de
là-bas qui, dans une guerre déloyale, ébranle sans relâche le territoire de la
Campanie ; ce n’est pas non plus Néron ouvrant des bas-fonds et taillant les
montagnes pour y faire un chemin à d’affreux marécages » (Stat., S. IV 3, 1-8 ;
trad. H. J. Izaak)
Stace oppose ici, aux travaux d’urbanisme utiles et bienfaisants de Domitien,
la figure d’Hannibal ravageant le sud de l’Italie et celle de Néron ordonnant des
travaux à la Xerxès (« taillant les montagnes », « montibus caesis ») et nuisibles.
Là encore, l’intérêt du projet néronien disparaît.
Notons que Néron ne faisait pourtant là que reprendre un projet envisagé
déjà par César, qui, chez Plutarque qui le décrit, n’est pas taxé de folie pour
autant, bien au contraire : il s’agissait d’ouvrir au commerce une route plus sûre
et d’assécher les marais Pontins, zone insalubre qui aurait alors pu laisser la place
à des champs cultivables71. Le « sordidas paludes » de Stace semble d’ailleurs
70.– Plin., N. H. XIV 61 : « Auparavant on louait fort l’excellence du vin de Cécube, qui venait
des peupleraies marécageuses du golfe d’Amynclée, et qui à présent a disparu à cause de
l’incurie des propriétaires et de l’exigüité du lieu, mais plus encore à cause du canal navigable que Néron avait entrepris de faire creuser du lac de Baïes à Ostie » (trad. J. André).
71.– Plut., Caes. 58.
108
Laurie Lefebvre
prouver que Néron avait lui aussi en vue l’asséchement bénéfique de ces marais –
mais ce n’est assurément pas ce qu’insinue le poète latin.
Pour une étiologie de l’incompétence néronienne
La reconstruction de la jeunesse de Néron
Le caractère remarquable de l’indifférence voire de la nullité de Néron en
matière d’administration de l’État prend place dans un système cohérent, ces
travers apparaissant souvent comme la conséquence de l’éducation reçue par
Néron, dont l’enfance et la jeunesse ont été, de manière rétroactive, lues et
réinterprétées à la lumière des événements postérieurs.
Diverses explications tirées de l’enfance de Néron ont, de fait, été avancées
par les auteurs antiques pour justifier son comportement futur. Suétone prétend
ainsi que Néron eut pour maître un danseur et un barbier72 : avec une telle
éducation, le lecteur ne s’étonne guère ensuite de la frivolité et de l’incompétence de l’empereur. De telles allégations doivent beaucoup à la tradition
de l’invective, dans laquelle apparaît fréquemment, en lien avec le motif de la
débauche, celui de la danse : comme nous l’apprend Cicéron, Murena s’était vu
traité de saltator par Caton73 ; Cicéron traite, de la même manière, Gabinius de
saltator à de multiples reprises74 ; Caligula, à son tour, sera qualifié de danseur
par Suétone75. Faire du premier précepteur de Néron un danseur est ainsi un
moyen, pour le biographe, de signifier la médiocrité de l’éducation reçue par le
dernier Julio-claudien et de rendre prévisibles ses débauches futures.
Suétone affirme par ailleurs que Néron fut détourné de la philosophie par
une mère tyrannique qui estimait qu’il s’agissait d’une science nuisible à un
souverain, et de l’étude des anciens orateurs par un précepteur jaloux, Sénèque76 ;
ce faisant, le biographe propose des causes possibles au penchant de Néron pour
la poésie, la peinture et la sculpture, c’est-à-dire pour des arts non nécessaires à
l’apprentissage du métier d’empereur.
Tacite, de façon similaire, déclare que Néron, au lieu de s’attacher à l’éloquence, avait dès son plus jeune âge « détourné », « detorsit », son esprit vers
d’autres activités, la gravure, la peinture, le chant, la conduite des chevaux77.
Tacite se sert de cette affirmation pour expliquer le fait que, lors de l’oraison
funèbre de Claude, Néron ait été « le premier, parmi ceux qui avaient détenu
le pouvoir, à avoir eu besoin de l’éloquence d’autrui78 » (en l’occurrence celle
de Sénèque), phrase qui stigmatise l’attitude de remise en cause, par Néron,
de la tradition romaine en vertu de laquelle, comme Fronton le rappelle avec
72.– Suet., Ner. 6, 5.
73.– Cic., Mur. 13.
74.– Cic., Dom. 60 ; Pis. 10 ; Planc. 87.
75.– Suet., Calig. 54, 2.
76.– Suet., Ner. 52, 1.
77.– Tac., An. XIII 3, 3. On est ainsi bien loin de l’éducation idéale que prônait Tacite dans le
Dialogue des orateurs, où est posée en exemple l’attitude de Cornelia, d’Aurelia et d’Atia,
qui surent diriger l’éducation des Gracques, de César et d’Auguste avec discipline et sévérité en réglant non seulement leurs études mais aussi leurs jeux (Tac., D. 28, 6-7 ; 34).
78.– Tac., An. XIII 3, 2.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
109
insistance à Marc-Aurèle79, l’homme politique se doit de maîtriser l’art oratoire :
pour reprendre les mots d’A. Guaglianone, Tacite fait ainsi de Néron un
« rovesciamento in toto della figura tradizionale dell’imperatore80 ». Le thème
de l’éducation dévoyée sera ensuite repris par Pausanias :
« Longtemps plus tard le pouvoir sur les Romains revint à Néron, et Néron
rendit à la Grèce sa totale indépendance […]. Quand j’ai examiné cette action
de Néron, il m’a semblé que Platon avait eu parfaitement raison de dire que
tous les forfaits qui l’emportent en importance et en audace sont le fait non
des premiers venus, mais d’hommes dont l’âme noble a été détruite par une
éducation inconvenante. » (Paus., VII 17, 3)
L’on sait pourtant que Néron était suffisamment versé dans l’art oratoire,
comme Tacite l’avoue d’ailleurs lui-même, puisqu’il écrit au livre XII des
Annales que le futur empereur plaida dans sa jeunesse plusieurs causes, et ce avec
éloquence, « facunde81 ». L’éducation princière a manifestement été noircie.
Attribuer à la mauvaise éducation de Néron la responsabilité de ses écarts
n’empêchait pas de tirer argument aussi de l’hérédité : il n’y a rien là de contradictoire avec la croyance, commune à nombre de Romains, selon laquelle le
caractère est fixé dès la naissance. Les deux conceptions, poids de l’hérédité
et influence de l’éducation, ont ainsi, dans le cas de Néron, été combinées : la
manière dont a été formé le futur empereur n’a fait que pousser davantage ce
dernier sur la mauvaise voie que sa généalogie lui avait préparée.
Dans les chapitres 2 à 5 de la Vita Neronis, Suétone passe ainsi en revue les
quelques actions d’éclat mais surtout les crimes les plus notoires des ancêtres
de Néron. Cette revue, qui fonctionne comme une annonce des crimes à venir,
a pour but d’expliciter l’origine des vices du futur empereur, lesquels sont
présentés par Suétone comme un héritage génétique :
« Je crois qu’il importe de faire connaître plusieurs membres de cette famille,
afin qu’il apparaisse plus clairement que si Néron a dégénéré des vertus de
ses ancêtres, il a, à l’inverse, reproduit les vices de chacun d’eux, comme s’il
s’agissait d’un héritage transmis avec le sang. » (Suet., Ner. 1, 6)
Rappeler quels abominables personnages avaient été les ancêtres de Néron
était un moyen de souligner la fatalité génétique qui ne pouvait que faire de lui
un monstre, tel un fruit gâté dès l’origine.
Le recours aux ancêtres est typique du genre épidictique. Lorsque l’auteur
de la Rhétorique à Herennius en vient à examiner la diuisio, il affirme à ce titre
que le tableau de la vie du personnage que l’on souhaite louer ou blâmer doit
commencer par la question de sa naissance et de ses ancêtres. Dans le cas d’un
blâme, deux possibilités s’offrent à l’orateur : si celui dont on parle est issu
d’une race illustre, l’on va s’attacher à montrer qu’il l’a déshonorée ; si elle est
79.– Front., Eloq. II 6 ; Caes. III 1 ; Ver. II 9-12.
80.– Guaglianone 1977, p. 102-103. Voir aussi Bardon 1968, p. 195.
81.– Tac., An. XII 58. Voir aussi Suet., Ner. 7, 7 ; 10, 5.
110
Laurie Lefebvre
obscure, l’on montrera qu’il a trouvé le moyen de la rabaisser plus encore82.
Or l’on constate que Suétone a habilement mêlé les deux options : la mise en
parallèle des groupes « dégénéré des vertus de ses ancêtres », « degenerasse a
suorum uirtutibus », et « reproduit les vices de chacun d’eux », « uitia cuiusque
[…] rettulerit », montre en effet que Néron non seulement s’est révélé indigne
des qualités de ses aïeux, mais en outre en a cumulé absolument toutes les
tares. Là encore le portrait se fait démonstration, et la rhétorique fonctionne à
plein régime.
Chronologie fictive et topos des débuts prometteurs
Parallèlement à la recherche des causes des débauches néroniennes, les auteurs
antiques ont tenté d’en reconstruire les étapes. Tacite, reprenant le motif de
l’influence néfaste d’un « mauvais génie », date ainsi le début de la décadence
impériale de la passion de Néron pour Poppée, passion qualifiée de « début de
grands malheurs pour l’État », « magnorum rei publicae malorum initium83 » ;
cette expression est immédiatement suivie de la phrase « hactenus Nero flagitiis
et sceleribus uelamenta quaesiuit84 », « à partir de là, Néron ne chercha plus à
voiler ses débauches et ses crimes », où le « hactenus » fait clairement coïncider
la rencontre avec Poppée et l’épanouissement total des vices impériaux.
Une deuxième étape est franchie, dans la chronologie mise en place par Tacite,
au moment de la mort d’Agrippine : la section des Annales consacrée au récit du
matricide se clôt en effet sur les mots « [Néron] monta au Capitole, rendit grâce
aux dieux, et s’abandonna à toutes ses passions, mal réprimées jusqu’alors, mais
dont le respect à l’égard d’une mère, quelle qu’elle fût, avait retardé le débordement85 ». Le meurtre d’Agrippine est ainsi présenté par l’historien comme la
disparition du dernier frein qui retenait Néron, sur le modèle de l’évolution de
Tibère, que Tacite dépeint se précipitant dans les crimes une fois disparus Livie
et Séjan86.
La chronologie mise en place par Dion Cassius est quelque peu différente.
La mort d’Agrippine n’est, en effet, pas présentée comme le facteur de l’aggravation des vices de Néron : ces derniers avaient, aux dires de l’historien, empiré
auparavant déjà. Dion Cassius explique en effet que le jeune prince, ne voyant
personne lui faire de reproche et remarquant que les affaires de l’État, gérées
alors par Sénèque, Burrus et Agrippine, ne pâtissaient pas de ses débauches, finit
tout naturellement par se livrer au stupre davantage87 : la licence, « ἐξουσία »,
apparaît ainsi comme le principe de la perversion de Néron – ce en quoi
Aurelius Victor rejoindra Dion Cassius, puisqu’il fait lui aussi de la licentia le
principe de la dégradation du principat néronien88. L’épanouissement complet
82.– Rhet. Her. III, 13.
83.– Tac., An. XIII 45, 1.
84.– Tac., An. XIII 47, 1.
85.– Tac., An. XIV 13, 2. Trad. P. Wuilleumier.
86.– Tac., An. VI 51, 3.
87.– DC., LXI 4, 2-3 ; 11, 1. Cf. Tac., An. XIV 14, 2-3.
88.– Aur.-Vict., 5, 3 : « Ainsi est-il suffisamment prouvé que la jeunesse n’empêche pas la vertu,
mais que cette dernière se perd facilement si le naturel est corrompu par le relâchement des
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
111
des vices de Néron est ensuite daté par Dion Cassius des lendemains de la mort
de Britannicus, moment où Sénèque et Burrus auraient renoncé à s’occuper
pleinement des affaires publiques et où Néron, par conséquent, aurait définitivement perdu tout garde-fou89.
La tentation des auteurs antiques de retracer et de dater le cheminement de
la perversité néronienne a donné lieu à l’émergence d’un motif célèbre : celui du
quinquennium Neronis, expression que l’on doit à Aurelius Victor, qui inaugure
son chapitre consacré à Néron par l’évocation de l’opinion, qu’il prête à Trajan,
selon laquelle l’Empire ne connut jamais rien de mieux que, mot-à-mot, les
« cinq années de Néron90 ».
La détermination des cinq années en question a beaucoup divisé les
chercheurs, certains considérant que l’expression se réfère aux premières années
du règne91, là où d’autres proposent au contraire de placer le quinquennium
entre 60 et 65 voire entre 63 et 68, en se fondant notamment sur le fait qu’Aurelius Victor date du quinquennium les travaux d’urbanisme de Néron (dont
les plus importants furent réalisés après l’incendie de 64), l’annexion du Pont
Polémoniaque (qui eut lieu en 63) et celle des Alpes Cottiennes (qui se situe
entre 58 et 64)92. L’évocation du quinquennium étant l’occasion pour Aurelius
Victor d’émettre une loi générale sur l’absence d’incompatibilité entre jeunesse
et vertu, il convient cependant, à notre sens, de considérer qu’Aurelius Victor
datait le quinquennium des débuts du règne de Néron ; par ailleurs, la chronologie des abréviateurs est souvent flottante : comme l’a montré E. Cizek, les
problèmes de datation que pose le texte d’Aurelius Victor peuvent très bien
s’expliquer par le fait que l’abréviateur puise ses renseignements chez Suétone
qui, faisant fi de la chronologie, rapporte la politique édilitaire néronienne et les
annexions au début de la biographie93.
L’origine du motif du quinquennium est tout aussi débattue. O. Murray a
émis l’hypothèse selon laquelle l’expression aurait été élaborée par le biographe
de Thrasea Paetus, Q. Iunius Arulenus Rusticus, de façon à justifier la présence
du philosophe stoïcien auprès de Néron au début de son principat et à faire
coïncider la détérioration du règne avec la brouille des deux personnages, que le
savant situe en 5994. J. G. F. Hind, acceptant la version d’Aurelius Victor, pense
que Trajan est à l’origine du mythe du quiquennium Neronis95 ; F. A. Lepper
estime au contraire que la remarque attribuée à Trajan est probablement
mœurs, et que ce qui est pour ainsi dire une loi de la jeunesse, si on le néglige, se retrouve
par la suite plus dangereusement encore. » (trad. P. Dufraigne).
89.– DC., LXI 7, 5-6.
90.– Aur.-Vict., 5, 2.
91.– Lepper 1957, p. 95-103 ; Murray 1965, p. 41-61 ; Cizek 1999, p. 23-24.
92.– Anderson 1911, p. 173-179 ; Hind 1971, p. 490-504 ; Thornton 1973, p. 570-582.
93.– Cizek 1999, p. 25.
94.– Murray 1965, p. 41-61, se fondant sur Tac., An. XIV 12, 1.
95.– Hind 1971, p. 488-505.
112
Laurie Lefebvre
apocryphe et qu’elle fut inventée entre le IIe et le IVe s.96 ; pour E. Cizek, il n’est
pas exclu qu’Aurelius Victor l’ait inventée lui-même97.
La détermination précise de la date à laquelle cette expression a été forgée et
de l’auteur auquel on la doit ne nous semble pouvoir rester qu’à l’état d’hypothèses. Quoi qu’il en soit, si Aurelius Victor a peut-être forgé l’expression, il n’en
a pas inventé le concept. L’idée selon laquelle Néron, suite à plusieurs années
prometteuses, a finalement basculé dans la noirceur la plus totale ne constitue en
effet que l’objectivation d’un topos cher à l’historiographie romaine, celui du chef
ayant bien commencé mais mal fini98. Ce topos apparaît clairement chez Tacite,
qui prête à Néron, au début de son principat, c’est-à-dire dans le livre XIII des
Annales, un certain nombre de mesures et d’actions louables99. C’est aussi par ce
topos qu’Eusèbe de Césarée explique le fait que Néron laissa partir Paul lors de sa
première arrestation100 : la clémence impériale à l’égard du missionnaire ne peut,
aux yeux de l’historien chrétien, s’expliquer que par le fait que Néron n’était
alors pas encore le monstre et le tyran qu’il deviendra plus tard.
L’empereur citharède
La marque de fabrique de Néron
Le faîte des crimes néroniens
Les attaques contre l’incompétence de Néron, son indifférence à ce qui touche
la gestion de l’Empire, son choix d’une vie de débauche et d’indécence se sont
cristallisées autour d’un motif particulier : celui de l’empereur citharède.
Les activités artistiques auxquelles s’adonna Néron, la citharoedia, la tragoedia,
la participation à des concours de hérauts et de poésie ou, dans un autre registre,
à des courses de char101, constituent un des motifs les plus souvent cités dans les
textes antiques décrivant Néron102. Suétone, Tacite et Dion Cassius consacrent de
nombreuses pages aux prestations artistiques de Néron, qui apparaît, de surcroît,
comme un chanteur bien médiocre103. Les activités artistiques et sportives de
Néron sont également évoquées chez Pline l’Ancien, qui est notamment amené,
en tant que naturaliste, à énumérer les remèdes employés par Néron pour entretenir sa voix104. Le motif apparaît aussi chez Flavius Josèphe, Plutarque, Pline le
Jeune, Juvénal, Dion Chrysostome, l’empereur Julien, Claudien, ainsi que chez
les historiens tardifs, Eutrope, Aurelius Victor, Jérôme et Orose. La tournée artistique que Néron effectua en Grèce en 66-67 ap. J.-C. et, de manière générale, la
96.– Lepper 1957, p. 95-103.
97.– Cizek 1999, p. 23-24.
98.– Voir par exemple Sall., C. 11, 4 ; Tac., H. I 50, 4 (contre-exemple) ; Suet., Tib. 26, 1 ; 33, 1 ;
42, 1 ; Dom. 3, 3 ; 10, 1 ; Aur.-Vict., 2, 1.
99.– Voir notamment An. XIII 4-5, 1 ; 8, 1 ; 10-11 ; 51.
100.– Eus., Hist. eccl. II 22, 8 ; voir aussi Hier., Vir. ill. 5, 6.
101.– Dion Chrysostome et Suétone ajoutent la pratique de la lutte (D. Chr., LXXI 9 ; Suet., Ner.
53, 2).
102.– Pour les références, voir, dans l’annexe 1, le tableau 2b.
103.– Suet., Ner. 20, 2 ; DC., LXI 20, 2 ; LXII 6, 4.
104.– Plin., N. H. XXVIII 238.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
113
passion de l’empereur pour le chant constituent en outre la toile de fond du
dialogue Néron ou le percement de l’Isthme du Pseudo-Lucien, ainsi que d’une
partie conséquente de la Vie d’Apollonios de Tyane de Philostrate. Suétone, Dion
Cassius et Eutrope vont même, par une exagération manifeste, jusqu’à prêter à
Néron le désir de danser comme pantomime105.
Signe distinctif de la figure de Néron, la passion impériale pour les arts de
la scène a aussi été perçue comme une acmé possible des crimes néroniens.
Juvénal, dressant dans la huitième pièce de ses Satires la liste des forfaits de
Néron, et mentionnant en dernier lieu les prestations artistiques de l’empereur,
conclut ainsi :
« [...] Quel forfait eurent à punir davantage les armes de Verginius, avec celles
de Vindex et de Galba, parmi ceux qu’a commis Néron dans une si brutale et
cruelle tyrannie ? » ( Juv., VIII 221-223)
La question rhétorique, qui se situe au cœur de la condamnation, par le poète,
de la montée de Néron sur une scène (v. 220 et v. 224-226), vise donc manifestement les prestations artistiques en question : ce sont elles, comme le suggère
le « davantage », « magis », que le poète place au faîte des crimes impériaux.
Flavius Josèphe, dans sa présentation condensée des crimes de Néron au
livre II du Bellum Judaicum, place, de la même manière, la montée sur scène en
dernier. Nous nous permettons de reproduire ici, de nouveau, un passage déjà
cité, mais pour d’autres raisons, dans le premier chapitre de l’étude :
« Tous les actes d’insolence que Néron commit envers la fortune une fois
rendu fou par l’excès de son bonheur et de sa richesse, de quelle manière il s’en
prit successivement à son frère, à son épouse et à sa mère, à la suite desquels il
reporta sa cruauté sur les hommes de la plus noble origine, et comment à la fin
il alla, poussé par la démence, échouer sur la scène et sur le théâtre, puisque ces
faits sont bien connus de tous, je les laisserai de côté et me tournerai vers ce qui
est arrivé aux Juifs sous son règne. » ( Jos., B. J. II 250-251)
Flavius Josèphe recrée ici une chronologie imaginaire : le verbe « διεξῆλθεν »
(traduit ici par « il s’en prit successivement »), qui implique l’idée d’un
parcours, l’expression « à la suite desquels », « ἀφ’ ὧν », ainsi que la tournure
« à la fin », « τελευταῖον », inscrivent clairement les crimes de Néron dans
une suite chronologique, qui ne correspond cependant pas à la chronologie
réelle des faits106. Cette présentation se double d’un crescendo, chaque nouveau
105.– Suet., Ner. 54, 1 ; DC., LXIII 18, 1 ; Eutr., VII 14, 2. Le goût de Néron pour la danse est sans
doute emprunté au portrait de Caligula (Suet., Calig. 11, 1 ; 54, 2-4 ; DC., LIX 5, 5) ; sur
cette question, voir Garelli-François 2004 et 2007 (surtout p. 62 sqq. ; p. 187 sqq. ;
p. 271 sqq. ; p. 313 sqq.), où est montré que l’image d’un Néron pantomime est, du point
de vue historique, fausse.
106.– Le meurtre d’Octavie a eu lieu après celui d’Agrippine ; les prestations scéniques de Néron
se sont déroulées tout au long de son principat, et non uniquement à la fin de celui-ci
(Néron serait monté pour la première fois sur scène en 59 ap. J.-C., lors des Juvénales –
Tac., An. XIV 15, 4) ; la cruauté de Néron envers les Romains les plus nobles ne s’exerça pas
seulement après les parricides, Cornelius Sylla et Rubellius Plautus, par exemple, ayant été
114
Laurie Lefebvre
crime demandant à être lu comme le franchissement d’une étape supplémentaire
dans le vice. La place finale, au sein de ce schéma, est occupée par le motif de
la montée de l’empereur sur scène : ce motif apparaît donc comme l’aboutissement, tant sur le plan chronologique que qualitatif, de la carrière criminelle
de Néron. L’emploi du verbe « ἐξώκειλεν », « il alla échouer », en introduisant
l’idée d’un naufrage, renforce d’ailleurs l’idée que les prestations artistiques de
Néron constituent l’aboutissement de la déchéance croissante de l’empereur : en
montant sur scène, Néron a, véritablement, touché le fond.
Une impression similaire se dégage à la lecture d’Eutrope, qui introduit la
phrase où l’on voit Néron monter sur scène par la locution temporelle « ad
postremum », « à la fin107 » : Eutrope, jouant lui aussi avec la chronologie, inscrit
ainsi les prestations scéniques de Néron dans une perspective téléologique et
place le forfait au terme de la progression de l’empereur dans le vice.
L’arrière-plan juridique
Or comme le rappelle Cornelius Nepos dans sa Vie d’Épaminondas, la pratique
de la musique, art réputé et digne d’éloges chez les Grecs, est, pour les Romains,
méprisable et indigne d’un chef108. Si les activités artistiques de Néron s’inscrivirent dans une tradition qui était louée par les Grecs, et si le chant et la musique
avaient comme patron Apollon, comme le rappelle d’ailleurs Néron lui-même
dans un discours que lui prête Tacite109, c’est au moyen de la grille de lecture
désapprobatrice des Romains traditionalistes que ces activités furent décrites. Il
est important, par conséquent, de replacer les accusations formulées à l’égard de
l’artiste Néron dans le contexte idéologique romain qui les vit naître.
La cité romaine considérait, de fait, le métier d’acteur comme incompatible
avec la dignité civique : quoique jouissant souvent d’un immense prestige et d’une
grande popularité110, les comédiens étaient, chez les Romains, frappés d’infamie,
laquelle consistait, pour les citoyens, en une perte des droits politiques et en une
restriction des droits civils. Les comédiens ne pouvaient donc prétendre aux
magistratures, ni même voter ; interdiction avait été faite aux sénateurs et aux
chevaliers de paraître sur scène ou dans l’arène, sous peine de radiation111.
Ajoutons que les comédiens étaient majoritairement, dans l’Occident romain
du moins, d’origine servile112 ; par ailleurs, Tite-Live nous apprend que les acteurs
ne pouvaient être soldats et le Digeste qu’à l’inverse les soldats ne pouvaient être
bannis respectivement en 58 et en 60 ap. J.-C. avant d’être assassinés en 62 (Tac., An. XIII
47 ; XIV 22, 1-3 ; 57-59).
107.– Eutr., VII 14, 2 : « À la fin, il se prostitua avec tant d’ignominie qu’il dansait et chantait
sur scène, en costume de citharède ou de tragédien. » (trad. J. Hellegouarc’h).
108.– Nep., 15, 1, 2.
109.– Tac., An. XIV 14, 1.
110.– On connaît la célébrité de l’acteur Roscius. Certains membres de l’élite semblent même
avoir choisi de descendre dans l’arène ou sur scène (Juv., VIII 183-210 ; Tac., An. XIV 15,
1-2 ; Suet., Ner. 4, 2 ; 11, 2). Les apparitions de Néron sur scène correspondent donc sans
doute plus à l’apogée d’une mode qu’à une aberration particulière (Edwards 1994, p. 86).
111.– Suet., Tib. 35, 3.
112.– Edwards 1994, p. 83-86 ; Hugoniot 2004, p. 213-236.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
115
acteurs, sous peine d’être condamnés à mort113. L’incompatibilité entre le monde
du théâtre et celui de la guerre est inscrite dans les Fastes d’Ovide, qui, dans les
vers où il évoque les fêtes données en l’honneur de Mars Ultor, clame que « les
jeux de la scène n’ont pas paru convenables au dieu du courage », « non uisa est
fortem scaena decere deum114 ». Monter sur scène apparaît donc, dans la culture
romaine, comme inconciliable avec la uirtus et la fortitudo. Le métier d’acteur
était également lié aux notions de licence, de scandale et de violence : les histrions
passaient pour troubler la paix publique, et l’on connaît à ce titre de nombreux
cas d’exclusion des acteurs de l’Italie sous la République et l’Empire115.
Ce détour par l’arrière-plan juridique et culturel permet de comprendre le
scandale que pouvait constituer, pour les Romains traditionalistes et conservateurs, le motif d’un empereur montant sur la scène, et passant même pour avoir
envisagé de devenir un acteur professionnel116 : un tel empereur est un esclave aux
yeux de la loi, un fauteur de trouble, une antithèse du citoyen. En d’autres termes,
un empereur histrion est un oxymore. Tacite multiplie ainsi, à l’occasion des
évocations des prétentions artistiques de Néron, les termes signifiant la honte,
foedus, foedare, pudor, dedecus, flagitium, dehonestari, deformitas, inhonestus117.
Dion Cassius souligne même explicitement l’incompatibilité totale entre l’art
du citharède et le métier de maître de l’Empire :
« […] en montant sur les cothurnes il tombait du pouvoir, en se couvrant
du masque il perdait la dignité du commandement, était attaché comme
un esclave fugitif, était guidé comme un aveugle, était enceinte, accouchait,
délirait, était chassé, jouant la plupart du temps Œdipe, Thyeste, Héraclès,
Alcméon, Oreste. » (DC., LXIII 9, 4)
Philostrate, de la même manière, écrit que Néron, « […] débarrassé du
costume d’Auguste et de Jules, revêt désormais celui d’Amébée et de Terpnus118 »,
« τὴν Αὐγούστου τε καὶ Ἰουλίου σκευὴν ῥίψαντα μεταμφιέννυσθαι νῦν τὴν Ἀμοιβέως
καὶ Τερπνοῦ » ; articulant la critique des prestations artistiques impériales à la
condamnation du fait qu’elles eurent lieu à l’étranger, il ajoute que Néron, au
mépris de sa dignité d’empereur et de Romain, s’occupe désormais de régler sa
voix au lieu de régler l’État, et fait l’histrion hors de la ville où doit siéger sans
cesse celui qui a entre ses mains le sort du monde. Néron, en montant sur les
cothurnes, est tombé de son trône : revêtir un costume de scène revenait à ôter
celui d’empereur.
113.– Liv., VII 2, 12 ; Dig. XLVII 19, 14.
114.– Ov., F. V 598.
115.– Voir par exemple Tac., An. IV 14, 3 (sous Tibère) ; Suet., Ner. 16, 3 (sous Néron) ; Dom.
7, 1 (sous Domitien). L’exclusion périodique des histrions ou des pantomimes ne devait
pas être sans rapport avec l’interprétation contemporaine qu’il était possible de faire des
paroles des acteurs.
116.– Suet., Ner. 21, 3 (comme un préteur lui offrait un million de sesterces, Néron aurait songé à
participer, avec des professionnels, à des spectacles privés). Contra, voir DC., LXIII 21, 2,
où l’on voit Néron refuser l’offre.
117.– Tac., An. XIV 14, 1-3 ; 15, 1 ; XV 65 ; XVI 4, 1 et 4 ; 5, 1. Voir Devillers 2007, p. 273.
118.– Philstr., V. Ap. V 7. Amébée et Terpnus sont des joueurs de cithare contemporains de Néron.
116
Laurie Lefebvre
De scènes privées en spectacles publics
De même que les débauches multiples de Néron furent critiquées surtout pour
leurs répercussions sur l’État, de même la gravité du crime que l’empereur
commit en revêtant le costume de citharède fut située par les écrivains antiques
dans l’incidence d’un tel comportement sur la vie publique119.
La condamnation par Tacite des prestations de Néron comme aurige ou
citharède s’articule ainsi à la notion d’espaces, privés ou publics. L’historien, afin
de suggérer la déchéance de Néron, s’est attaché en effet à souligner chaque fois
le contexte dans lequel s’est manifestée la passion de l’empereur pour les courses
de char et les arts du spectacle et à ménager, à ce sujet, une progression :
− au livre XIV des Annales, Tacite écrit que Sénèque et Burrus prirent bien
soin de cacher au public les premières performances de Néron : « clausumque ualle Vaticana spatium, in quo equos regeret, haud promisco spectaculo », « on fit fermer un espace dans la vallée du Vatican, de façon à ce
qu’il pût y conduire des chevaux, sans que le spectacle fût public120 » ;
− la manœuvre de Sénèque et de Burrus est cependant bien vaine : bientôt
le peuple est invité à assister aux performances privées de l’empereur puis
celui-ci, n’osant pas encore se déshonorer sur une scène publique, se met à
pousser les nobles à se donner en spectacle et institue à cette fin les jeux des
Juvénales121 ;
− finalement Néron monte lui-même sur scène lors de ces jeux, « ipse scaenam
incedit122 ».
Il ne s’agit là, cependant, pas encore d’une prestation sur une scène publique :
les Juvénales étaient en effet des jeux célébrés dans un cadre privé, et c’est dans sa
demeure ou ses jardins que Néron se produisit123. C’est au livre XV des Annales
que nous voyons, enfin, Néron franchir la dernière étape et se produire sur une
scène publique, à Naples124.
La progression mise en place par Tacite, qui nous fait passer, d’un spectacle
privé donné face à une audience réduite, puis devant le peuple, à un spectacle
donné dans un espace appartenant à l’État, souligne bien le fait que c’est le
caractère public des prestations néroniennes qui est au cœur du scandale.
Le problème que pose l’articulation entre la passion de Néron pour les arts
de la scène et la notion d’espace public est double. Il réside d’une part dans la
« publicité » dont bénéficie le déshonneur de Néron : en se produisant sur des
scènes publiques, l’empereur, plutôt que de cacher son avilissement, l’affiche
ostensiblement. Il tient d’autre part aux répercussions directes de cette passion
sur la vie publique : en se produisant sur scène, Néron non seulement affiche
son crime, mais sème le chaos autour de lui125. Tacite décrit ainsi les Juvénales
119.– Benoist 1999, p. 105-113 ; Benoist 2003, p. 59.
120.– Tac., An. XIV 14, 2.
121.– Tac., An. XIV 14, 2 et 15, 1.
122.– Tac., An. XIV 15, 4.
123.– Tac., An. XV 33, 1.
124.– Tac., An. XV 33-34.
125.– Devillers 2007, p. 274-275.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
117
comme le lieu de tous les scandales et de toutes les infamies126 ; il affirme aussi
que les Neronia de 65 ap. J.-C. furent l’occasion d’un certain nombre de morts
parmi le public de l’empereur127. Comme l’a montré O. Devillers, Tacite lie,
en outre, les activités spectaculaires et les grands crimes de Néron128 : les débuts
du princeps comme aurige (An. XIV 14) suivent les chapitres racontant la mort
d’Agrippine ; aux chapitres décrivant les Neronia de 65 ap. J.-C. (An. XVI 4-5)
est juxtaposé le récit de la mort de Poppée (An. XVI 6).
La Vie d’Apollonios de Tyane de Philostrate dresse, au sujet de la tournée artistique de Néron en Grèce, un tableau plus grave encore, puisque cette tournée
aurait entraîné des exactions en nombre, pillages, viols, mises en accusation et
condamnations diverses129. La même idée est exprimée par Dion Cassius : Néron,
lors de sa tournée, ruina la Grèce entière, commit des meurtres innombrables,
spolia les habitants de leurs héritages, pilla les temples, tandis que, parallèlement,
Rome était mise à sac par Helius, l’affranchi chargé par Néron de le remplacer
pendant son absence130. Comme l’a noté A. M. Gowing, Dion Cassius a pris
soin d’établir un lien étroit entre le motif de la destruction et les performances
théâtrales de Néron, de façon à montrer que c’est dans l’obsession impériale
pour la scène que se situe la faillite de Néron en tant qu’empereur131 : un prince
histrion est une catastrophe pour l’Empire et ses habitants.
En outre, les textes antiques font de la politique spectaculaire de Néron
l’illustration du caractère tyrannique de son principat. Tacite, Suétone, Dion
Cassius et Philostrate insistent tous sur l’interdiction qui était faite aux spectateurs de sortir du théâtre pendant que Néron y chantait132. Selon Tacite, cette
interdiction entraîna même des morts à l’occasion des Neronia de 65 ap. J.-C.133 :
beaucoup de spectateurs auraient été atteints d’une maladie mortelle à force de
rester constamment sur leur siège. Les auteurs antiques parlent même d’espions
chargés d’épier les visages des spectateurs ainsi que leurs entrées et sorties, afin de
repérer et de faire punir ceux qui manqueraient d’enthousiasme134. Dion Cassius,
enfin, prenant au pied de la lettre les paroles des Augustians, « claque » enrôlée
par Néron pour l’acclamer et vanter ses talents lorsqu’il se produisait sur scène et
qui se présentait elle-même comme la milice triomphale de l’empereur artiste135,
définit ces derniers comme des soldats et les montre en train de contraindre
les spectateurs à acclamer le tyran136 (là où Tacite et Suétone écrivent que ce
126.– Tac., An. XIV 15, 2-3.
127.– Tac., An. XVI 5, 2.
128.– Devillers 2007, p. 275.
129.– Philstr., V. Ap. V 7, 3.
130.– DC., LXIII 11-12.
131.– Gowing 1997, p. 2570 ; p. 2579.
132.– Tac., An. XVI 5, 2 ; Suet., Ner. 23, 3 ; DC., LXIII 15, 3 ; Philstr., V. Ap. V 7, 3.
133.– Tac., An. XVI 5, 2.
134.– Tac., An. XVI 5, 2-3 ; DC., LXIII 15, 2 ; Philstr., V. Ap. V 7, 3. On racontait à ce titre que
Vespasien fut banni de la cour pour s’être endormi ou avoir fait une grimace lors d’une
prestation de Néron (Tac., An. XVI 5, 3 ; Suet., Vesp. 4, 8 ; DC., LXIII 10, 1 ; LXVI 11, 2).
135.– Suet., Ner. 25, 1. Sur les Augustians, voir Mourgues 1990, p. 196-210 ; Perrin 1993, p. 104.
136.– DC., LXI 20, 3-5. Chez Tacite ce sont non les Augustians mais les soldats qui forcent les
applaudissements (Tac., An. XVI 5, 1).
118
Laurie Lefebvre
corps était composé de chevaliers et avait seulement pour fonction d’applaudir
Néron137).
Les répercussions de la passion de Néron sur la vie publique sont d’autant plus
fortes que l’empereur, à la lecture des textes antiques, semble s’être comporté,
à tout moment et en tout lieu, comme un acteur, voire comme les personnages dont il était amené à interpréter les rôles. Comme cela a été maintes fois
souligné, les textes antiques non seulement décrivent les prestations scéniques
de Néron, mais en outre donnent l’impression que le goût de Néron pour la
scène a largement débordé les limites du théâtre, voire que le prince confondait
réalité et tragédie.
C’est ainsi qu’on le voit se prendre pour Priam face à Rome en flammes138 ;
emprunter à un mécanisme de théâtre le navire truqué sur lequel Agrippine sera
censée trouver la mort139 ; faire périr le jeune Rufrius Crispinus, fils que Poppée
eut de son premier mariage, selon le même mode opératoire que celui qu’employèrent Ulysse et Diomède pour faire périr Palamède140 ; se distinguer, de
manière générale, par sa capacité à simuler et à voiler ses sentiments141. Comme
l’a montré A. M. Gowing, c’est probablement chez Dion Cassius que le
monde du théâtre est le plus présent dans le portrait du dernier Julio-claudien et
que l’on a le plus l’impression que Néron se comporte continuellement comme
un acteur142.
Cela a amené certains chercheurs à affirmer que Néron s’efforça véritablement de modeler son comportement et ses actes sur ceux des personnages
de la mythologie grecque143, voire même qu’il ne cessait de confondre le réel et
l’imaginaire et qu’il vivait la réalité comme une tragédie144. Il a été démontré
depuis qu’« en réalité le théâtre n’a pas influencé Néron, mais ses biographes,
qui se sont servis du monde de la scène pour créer leur propre “spectacle littéraire” avec Néron comme protagoniste145 ». L’omniprésence de la thématique
théâtrale dans les récits antiques relatifs à Néron est moins l’expression d’une
folie réelle de l’empereur, que le moyen métaphorique de souligner l’incidence
de la passion de Néron pour le théâtre sur la société romaine dans son ensemble.
137.– Tac., An. XIV 15, 5 ; Suet., Ner. 20, 6. Suétone ajoute qu’aux personnes issues de l’ordre
équestre Néron adjoignit cinq mille plébéiens ; il ne dit pas qu’il s’agissait de soldats.
138.– Sur cet épisode, voir supra, p. 79-82.
139.– Voir surtout DC., LXI 12, 2. Voir aussi Tac., An. XIV 3, 3 ; 6, 1 (où est employé le terme
« machinamentum », « machinerie », allusion probable à un artifice théâtral).
140.– Suet., Ner. 35, 9 : « Informé que son beau-fils Rufrius Crispinus, le fils de Poppée, encore
enfant, se donnait dans ses jeux le rôle de général et d’empereur, il chargea ses propres
esclaves de le noyer dans la mer, pendant qu’il pêchait » (trad. H. Ailloud). Cet assassinat semble calqué sur la mort de Palamède, qui, selon une version que nous a conservée
Pausanias qui la déclare tirée des Chants Cypriens (Paus., X 31, 2), fut noyé par Ulysse et
Diomède alors qu’il était parti pêcher (parallèle souligné par Frazer 1966, p. 19).
141.– Voir notamment Tac., An. XIV 4, 4 ; 56, 3 ; XVI 4, 4.
142.– Gowing 1997, p. 2568-2580.
143.– Frazer 1966, p. 17-20 ; Baldwin 1979, p. 380-381.
144.– Martin 1991, p. 264 ; Croisille 1994, p. 126 et 137.
145.– Di Branco 2002, p. 480-481. Voir aussi Gowing 1997, p. 2571 ; Bartsch 1994, p. 1-62.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
119
L’antihéros
L’antithèse du soldat
Comme nous l’avons vu, être un acteur c’est nier les valeurs, fondamentales aux
yeux d’un Romain, de uirtus et de fortitudo : un empereur histrion est, par excellence, la négation du miles et du dux.
Dans les textes antiques, l’importance que Néron accorde aux arts de la scène
apparaît, de fait, comme le facteur de la perversion des rapports de l’empereur
avec l’armée : chez Suétone, l’on voit Néron refuser de haranguer l’armée pour
préserver sa voix146 ; on le voit aussi, alors qu’il s’apprête à partir en expédition
contre Vindex, consacrer ses premiers soins à composer un hymne de victoire
et à s’occuper du transport de ses orgues de théâtre147 ; chez Tacite, on le voit
utiliser les soldats comme audience pour ses performances théâtrales148.
C’est chez Dion Cassius que l’articulation entre les figures de l’empereur
artiste et de l’antisoldat est la plus nette. L’historien écrit en effet, en guise
d’introduction à sa description de la tournée artistique de Néron, qu’« il passa
en Grèce non comme ses ancêtres Flamininus, Mummius, Agrippa et Auguste,
mais pour y conduire des chars, chanter en s’accompagnant de la cithare, lutter
avec des hérauts et jouer la tragédie149 ». Dion Cassius pose ici en modèles les
grands hommes qui allèrent en Grèce en tant que généraux : Flamininus, qui
battit Philippe V de Macédoine à Cynoscéphales en 197 av. J.-C. ; le consul
L. Mummius, qui mit Corinthe à sac en 146 av. J.C., imposant ainsi à l’Achaïe
le joug romain ; Auguste, qui, aidé d’Agrippa, alla vaincre Antoine à Actium en
31 avant notre ère. À l’inverse de ces figures de généraux, Néron est présenté par
Dion Cassius comme une sorte de touriste dément qui ne cherchait, par son
voyage, qu’à se donner du bon temps en se produisant au théâtre ou au cirque.
La suite de la section consacrée par Dion Cassius à la tournée artistique de
Néron voit se confirmer l’assimilation de l’impérial citharède à un antisoldat :
« Il emmena avec lui une foule non seulement d’Augustians mais aussi
d’autres hommes, autant qu’il en aurait fallu, si cette foule était destinée à
faire la guerre, pour dompter à la fois les Parthes et les autres nations. Mais ces
hommes étaient tels que pouvaient être des soldats de Néron, et ils portaient,
en guise d’armes, des cithares, des archers, des masques et des cothurnes. Il
remporta des victoires telles qu’il convenait à une pareille armée, et il renversa
Terpnus, Diodore et Pamménès, comme s’il vainquait Philippe, Persée ou
Antiochus. » (DC., LXIII 8, 3-4)
La tournée de Néron est placée par Dion Cassius sous le signe de la perversion,
laquelle est mise en valeur, notamment, par la juxtaposition des termes « armes »
et « cithares », « ὅπλα κιθάρας » : les instruments de musique et les déguisements de théâtre ont remplacé les armes du soldat ; les joueurs de cithare ont
146.– Suet., Ner. 25, 5.
147.– Suet., Ner. 43, 3 ; 44, 1.
148.– Tac., An. XIV 15, 4 ; 33, 3.
149.– DC., LXIII 8, 2.
120
Laurie Lefebvre
remplacé, en guise d’adversaires, les grands ennemis de Rome ; les victoires sur la
scène ont remplacé les victoires militaires.
Pourtant, comme l’a noté Y. Perrin150, si Néron était, sans aucun doute, un
esthète, sa conception du pouvoir n’évacuait pas l’armée et les valeurs militaires
traditionnelles : à partir de 66 ap. J.-C., le mot « imperator » est adopté dans la
titulature impériale ; des séries monétaires montrent Néron revêtu du paludamentum et de la cuirasse151. Il a été démontré, en outre, que la tournée artistique
de Néron n’avait pas pour but d’abolir les valeurs militaires : l’artiste Néron ne
se voulait pas la négation du soldat, mais un soldat d’un nouveau genre, un soldat
de la paix152. Cependant, en gommant la dimension politique de sa tournée, les
auteurs antiques n’ont laissé de Néron que l’image d’un prince extravagant,
foulant au pied les valeurs de Rome.
La négation du mâle
La figure de l’empereur citharède, négation du miles, est aussi, plus généralement, l’antithèse du uir : un empereur histrion n’est pas un homme, mais une
femme. C’est ce que nous enseigne, dans l’Histoire romaine de Dion Cassius,
le discours prêté à la reine Boudicca, chef de file des Bretons qui se révoltèrent
en 61 ap. J.-C. contre la domination romaine. La Boudicca que Dion Cassius
met en scène s’exclame, en effet, que Néron « porte bien le nom d’un homme,
mais est en réalité une femme : la preuve, c’est qu’il chante, joue de la cithare
et se pare153 ». Dion Cassius établit ici, clairement, un lien entre les prestations
artistiques de Néron et sa féminité. La fin du discours de Boudicca confirme
cette équation :
« Puisse donc cette Neronis Domitia ne plus régner ni sur moi ni sur vous ;
que celle-ci soit, tandis qu’elle chante, la maîtresse des Romains (ils sont dignes
en effet d’être les esclaves d’une telle femme, dont ils supportent la tyrannie
depuis si longtemps déjà) ; mais toi, maîtresse154, puisses-tu toujours être la
seule à marcher à notre tête. » (DC., LXII 6, 5)
Là encore, ce sont les activités artistiques de Néron qui sont le vecteur de
l’assimilation de l’empereur à une femme. Dion Cassius, par l’intermédiaire de
la harangue de Boudicca, va même jusqu’à entériner la féminisation de Néron en
transformant son nom, Νέρων Δομίτιος, en un « ἡ Νερωνὶς ἡ Δομιτία ».
La féminisation du personnage de Néron est accentuée par l’insistance
toute particulière de Dion Cassius sur le caractère masculin du personnage de
Boudicca155. Dans l’Histoire romaine, la reine bretonne se comporte en effet en
véritable chef militaire : on la voit rassembler une armée, monter sur une tribune,
puis, une lance à la main, haranguer ses troupes. Elle est décrite, en outre, comme
ayant « un courage plus grand que celui d’une femme », « μεῖζον ἢ κατὰ γυναῖκα
150.– Perrin 2003, p. 349.
151.– Alföldi 1977, p. 125 ; p. 155.
152.– Benoist 2003, p. 62-66 ; Hoët-Van Cauwenberghe 2007a, p. 237.
153.– DC., LXII 6, 3.
154.– Boudicca s’adresse ici à la divinité Adrastée.
155.– Gowing 1997, p. 2580.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
121
φρόνημα » ; on apprend aussi que « sa taille était très grande, son aspect très
effrayant, son regard très perçant, sa voix rauque », « ἦν δὲ καὶ τὸ σῶμα μεγίστη
καὶ τὸ εἶδος βλοσυρωτάτη τό τε βλέμμα δριμυτάτη, καὶ τὸ φθέγμα τραχὺ εἶχε156 ».
Le personnage de Boudicca se voit ainsi pourvu de toutes les caractéristiques
masculines qui font défaut au personnage de Néron.
L’on comprend alors que la phrase par laquelle Dion Cassius introduit le
récit des revers subis par les Romains en Bretagne, « ταῦτα μέντοι πάντα ὑπὸ
γυναικὸς αὐτοῖς συνηνέχθη157 », « tout cela cependant leur arriva par le fait
d’une femme », cache une double signification. Dans le « γυναικὸς », le lecteur
comprend d’abord Boudicca. Cependant, en soulignant les caractéristiques
masculines de la reine et en dénonçant, par l’intermédiaire du discours de cette
dernière, l’absence totale de virilité chez Néron, Dion Cassius semble suggérer
que la femme à qui les Romains doivent leur défaite est, non la reine Boudicca,
mais l’empereur lui-même.
La condamnation du caractère féminin de celui qui pratique le chant dans un
théâtre, particulièrement exacerbée chez Dion Cassius, ne lui est cependant pas
propre. Déjà Tacite, à l’occasion de la mention de la création des Juvénales et de
la participation, à ces jeux, de personnages issus de la nobilitas ou ayant rempli
des charges, déplorait qu’ils aient pu pratiquer l’art des histrions et s’abaisser
à « des gestes et des chants indignes d’un homme », « gestus modosque haud
uiriles158 ». Or ce sont précisément ces chants « haud uiriles » auxquels Néron
s’adonnera lui-même dès la fin du chapitre. Au livre XII des Annales, l’on
pouvait lire pourtant que c’est pour sa qualité de « rejeton mâle », « suboles
uirilis », de Germanicus, que le futur Néron bénéficiait de la faveur particulière
du peuple159 : au fil des livres des Annales, l’on voit donc Néron perdre progressivement sa uirilitas, à mesure qu’il monte davantage sur scène.
Juvénal, pour sa part, écrit ceci :
« Voilà les travaux, voilà les talents d’un prince de haute naissance : il prenait
plaisir à se prostituer (prostitui) sur des tréteaux étrangers, dans l’appareil
honteux d’un chanteur, et à remporter l’ache de la couronne grecque. » ( Juv.,
VIII 224-226)
Le terme « prostitui » est ambigu. Au sens propre, il signifie « s’exhiber »,
comme un acteur sur une scène, et est à ce titre tout à fait approprié à la situation
de Néron se montrant en spectacle. Mais il signifie aussi « se prostituer » : à
l’image de l’acteur se greffe ainsi celle du mignon ou de la courtisane.
La « prostitution » de Néron est double : non seulement Néron a chanté sur
les planches des théâtres, mais en outre il a chanté à l’étranger (« peregrina ad
pulpita »). Il a donc perdu à la fois sa qualité de ciues et sa qualité de Romanus.
Il a aussi, par la même occasion, subverti la noble pratique des arts libéraux
(auxquels l’expression « talents d’un prince de haute naissance », « generosi
156.– DC., LXII 2, 2-4.
157.– DC., LXII 1, 1.
158.– Tac., An. XIV 15, 1.
159.– Tac., An. XI 12, 1.
122
Laurie Lefebvre
principis artes », fait manifestement allusion) en y introduisant un art, la citharédie, qui n’en faisait assurément pas partie.
Si Néron est présenté, à de multiples reprises, telle une femme, interprétant
le rôle de Canacé en couches160, devenant, on l’a vu, l’épouse de Pythagoras, et
prenant en outre, selon Pline l’Ancien, un trop grand soin de son apparence161,
à l’inverse, l’on voit sans cesse, dans les récits antiques relatifs à Néron, des
femmes assumer des fonctions viriles : chez Suétone, des concubines sont
armées comme des Amazones et tondues comme des hommes dans le but d’être
envoyées en expédition contre Vindex162 ; chez Tacite, l’on voit Agrippine la
Jeune réduire Rome à un « esclavage sévère, comme par le fait d’un homme »,
« adductum et quasi uirile seruitium163 » ; nous avons signalé déjà, chez Dion
Cassius, le cas de Boudicca. Les textes antiques ont fait du règne de Néron le
lieu de l’inversion de tous les rôles.
En faisant l’acteur, Néron a foulé au pied la traditionnelle uirtus romaine
dans tous les sens du terme : il a troqué le courage et la gloire militaire, si chers
aux yeux des Romains164, contre une passion honteuse, et il a troqué ce qui faisait
de lui un homme contre des atours féminins, laissant à d’autres le rôle, vacant, de
chef de l’Empire et des armées. Cité privée de prince, la Rome de Néron est aussi
décrite comme une cité privée de citoyens, chassés de l’Vrbs par la construction
de la domus aurea.
Néron et le scandale de la domus aurea
Préambule : la tradition de l’ekphrasis
Pour les chercheurs modernes, la domus aurea pose un certain nombre de
problèmes de définition165. Pour les uns, la maison dorée n’est rien d’autre qu’une
uilla de campagne traditionnelle, héritière des riches demeures républicaines du
Ier siècle av. J.-C. et semblable à celles que l’on pouvait trouver en Campanie,
mais transposée en ville et réalisée dans des proportions gigantesques166 ; pour
d’autres au contraire, le complexe néronien constitue une véritable parenthèse
en rupture avec les constructions romaines antérieures167 et ne s’explique que par
160.– Suet., Ner. 21, 5 ; DC., LXIII 9, 4 ; 10, 2.
161.– Plin., N. H. XIII 22.
162.– Suet., Ner. 44, 1.
163.– Tac., An. XII 7, 3.
164.– Dans l’un des discours Sur la royauté que Dion Chrysostome adresse à Trajan, est posée
une antithèse entre le bon roi, qui estime que la seule distraction digne de lui est la chasse
qui fortifie le corps et le courage, et ce prince qui trouvait son plaisir à faire l’acteur (III
134-135). Dans l’Octavie, l’héroïne et sa nourrice, dans leurs éloges de Claude, insistent
tout particulièrement sur ses qualités militaires et ses victorieuses conquêtes (Ps. Sen.,
Oct. 25-29 ; 38-44).
165.– La bibliographie relative à la domus aurea est immense. En dernier lieu, voir Ball 2003.
166.– Boëthius 1960, p. 96-97 ; Grimal 1969, p. 233 ; p. 344 ; Voisin 1987, p. 515, n. 17 ;
Perrin 1987, p. 362 ; Blaison 1998, p. 619 et 624 ; Royo 1999, p. 206 ; Benoist 2003,
p. 65-66. M. Tarpin qualifie la domus aurea de demeure « somme toute assez peu innovante » (Tarpin 2001, p. 171-172).
167.– Frézouls 1987, p. 451-452 ; p. 455.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
123
la comparaison avec les jardins et les palais de l’Orient hellénistique168 ; à côté
des influences romaines traditionnelles et des modèles hellénistiques ont aussi
été avancés des précédents perses ou encore égyptiens169, bien que le caractère
solaire de la domus aurea soit contesté aujourd’hui. Ce qui est néanmoins admis,
au sein de la recherche actuelle, est la bipolarité du complexe néronien, qui aurait
concentré l’espace privé sur l’Esquilin et réservé le Palatin aux parties publiques.
Il est de fait difficile de retrouver, à partir des descriptions antiques de la
domus aurea, l’architecture véritable de la demeure de Néron. Car ce que nous
en apprend l’archéologie actuelle est passablement différent des évocations
littéraires postérieures au règne de Néron, lesquelles se distinguent toutes par
leur hostilité à l’égard du projet impérial. Et même si les travaux archéologiques récents montrent que la très détaillée description suétonienne des lieux
correspond dans une certaine mesure à la réalité, il n’en reste pas moins, comme
l’a noté M. Blaison170, que la description en question fait largement écho à
des précédents littéraires. Le passage que consacre Suétone à la domus aurea
s’inscrit en effet dans une tradition littéraire précise, celle de l’ekphrasis d’une
demeure somptueuse :
« Sur son étendue et sa magnificence, il suffira de dire ceci : elle avait un
vestibule dans lequel on avait pu dresser une statue colossale de Néron de cent
vingt pieds de haut ; elle était si vaste qu’elle renfermait des portiques à trois
rangs de colonnes et longs de mille pas ; elle contenait en outre une pièce d’eau
semblable à une mer et entourée d’édifices qui semblaient former autant de
villes ; de surcroît il y avait des campagnes aux aspects variés, champs cultivés,
vignobles, pâturages, forêts, peuplées d’une multitude d’animaux domestiques et sauvages de toute sorte. Dans les autres parties de la maison tout était
recouvert d’or et rehaussé de pierres précieuses et de coquillages à perles ; les
plafonds des salles à manger étaient lambrissés de tablettes d’ivoire mobiles
de façon à pouvoir, par des ouvertures, répandre d’en haut sur les convives des
fleurs et des parfums ; la salle à manger principale était ronde et tournait continuellement nuit et jour pour imiter le mouvement du monde ; les bains étaient
alimentés par les eaux de la mer et par celles d’Albula. » (Suet., Ner. 31, 1-3)
Si cette description a pour objet une construction réelle, il s’agit aussi, pour
citer M. Blaison, d’une « évocation topique » correspondant à une « tradition
séculaire » qui remonte à la description homérique de l’antre de Calypso ou
du palais d’Alkinoos171 et qui était très en vogue aux deux premiers siècles de
notre ère : tant Martial que Pline le Jeune, Stace ou Apulée ont composé des
168.– Nielsen 1994, p. 178-180. Voir aussi Grimal 1969, p. 231, où la domus aurea est comparée
au palais macédonien de Palatitza, construit au début du IIIe siècle avant notre ère. Les
tenants de la thèse assimilant domus aurea et uillae romaines traditionnelles rappellent
cependant que ces dernières avaient toutes fini par être fortement influencées par les
modèles architecturaux hellénistiques : le caractère oriental de la domus aurea ne serait
donc pas incompatible avec son inscription dans la tradition des villas romaines classiques
(Boëthius 1960, p. 96-97).
169.– L’Orange 1942, p. 68-100 ; Voisin 1987, p. 537-541 ; Perrin 1987, p. 366-367.
170.– Blaison 1998, p. 620-623. Voir aussi Royo 2007, p. 383.
171.– Hom., Od. V 59-73 ; VII 84-132.
124
Laurie Lefebvre
ekphraseis172. M. Blaison note surtout des parallèles avec l’ekphrasis du palais
du Soleil qui ouvre le deuxième livre des Métamorphoses d’Ovide173. L’intérêt
de Suétone pour le parc de la maison dorée, pour le caractère luxuriant de sa
faune et de sa flore ainsi que pour le faste des installations correspond en tout cas
parfaitement aux motifs principaux de ce genre de descriptions, qui s’articulent
en général autour de deux thèmes, le caractère enchanteur du site au milieu
duquel se trouve la demeure et la beauté de ses constructions.
L’existence de précédents littéraires nous invite à lire les descriptions de la
maison dorée moins comme des témoignages objectifs sur une réalité concrète
que comme les produits d’une stylisation partiale et tendancieuse. Peut-être,
comme se le demande M. Blaison, Suétone s’inspira-t-il volontairement
d’Ovide « pour servir sa thèse d’un dangereux souverain, tyran mégalomane,
aspirant à régner en dieu174 ». Sans aller jusque là, il est clair en tout cas que la
description suétonienne de la domus aurea fait de celle-ci, tel le palais du Soleil,
la demeure prétentieuse d’un souverain tout-puissant et arrogant.
« Roma domus fiet »
Une demeure tentaculaire
Alors que les chercheurs modernes donnent à la domus aurea des interprétations diverses, les auteurs antiques, en revanche, se sont embarrassés de moins
de questions : tous s’accordent à voir dans la domus aurea un palais dont le luxe
outrancier, les installations extravagantes et l’ampleur démesurée trahissent le
caractère tyrannique et mégalomane de celui qui l’habite. Chez Suétone, la
description de la domus aurea, qui vient clore la liste des marques de la prodigalité effrénée de Néron et en constitue le point culminant, se cristallise ainsi,
tout particulièrement, autour du caractère incroyable de ses aménagements et de
sa taille : elle était d’« une telle étendue », « tanta laxitas », qu’elle renfermait
une statue colossale de cent vingt pieds de haut, des portiques à trois rangs de
colonnes et longs de mille pas, une pièce d’eau semblable à une mer, des champs,
des vignobles et des espaces boisés.
Tacite, dont la description de la domus aurea illustre cette fois non, comme
chez Suétone, la prodigalité de l’empereur mais son hybris, insiste également sur
les dimensions monstrueuses du domaine :
« Quoi qu’il en soit, Néron mit à profit les ruines de sa patrie et construisit
une demeure dans laquelle ce qu’il y avait de merveilleux n’était pas tant les
pierres précieuses et l’or, luxe depuis longtemps habituel et commun, que
les champs cultivés, les pièces d’eau et, comme dans les lieux déserts, ici des
forêts, là des espaces découverts et des perspectives, travaux conçus et dirigés
par Severus et Celer, dont le génie et l’audace étaient tels qu’ils tentaient de
réaliser par artifice ce que la nature avait refusé et jouaient avec les ressources
du prince. » (Tac., An. XV 42, 1)
172.– M. Blaison cite Mart., IV 64 ; XII 31 ; Stat., S. I 3 ; II 2 ; Plin., Ep. II 17 ; V 6 ; Apul., M. V 1.
173.– Ov., M. II 1-18.
174.– Blaison 1998, p. 621.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
125
Plus loin, dans le passage des Annales consacré à la reconstruction de Rome
après l’incendie de 64 ap. J.-C., Tacite choisit, pour désigner les quartiers de la
ville qui ne faisaient pas partie de la demeure de Néron, l’expression « Vrbis quae
domui supererant », « les quartiers de la ville que sa demeure avait épargnés »,
expression qui, en faisant de ces quartiers un simple surplus, suggère de même le
caractère gigantesque de la maison dorée175.
Pline l’Ancien, se pliant aux règles de l’exercice de style, stigmatise lui aussi
le caractère tentaculaire de la domus aurea, qui était si vaste qu’elle encerclait la
ville entière : « deux fois nous avons vu la ville tout entière entourée des maisons
des empereurs Gaius et Néron, celle de ce dernier qui plus est, afin que rien ne
manquât, toute dorée176 ». Ailleurs, le naturaliste, après avoir énuméré les objets
précieux que l’on vit sous César, Caligula, Claude ou Néron, conclut son propos
en s’exclamant que cela ne représente qu’une faible part de ce que contenait « la
maison dorée qui entourait la ville », « aureae domus ambientis urbem177 ».
La confiscation de l’espace des citoyens
Suétone va plus loin. Le biographe reproduit ainsi une épigramme qui établit
une équivalence totale entre la domus aurea et l’espace entier de Rome :
« Rome deviendra sa maison : migrez à Véies, Quirites,
si cette maison ne finit pas par englober aussi Véies. » (Suet., Ner. 39, 3)
Le motif de l’émigration à Véies constitue ici une référence au projet, proposé
par les tribuns au début du IVe siècle avant notre ère, d’aller trouver refuge à
Véies suite à la destruction de Rome par les Gaulois, projet qui fut abandonné
grâce à l’intervention de Camille178 ; l’emploi de l’archaïque « Quirites » a d’ailleurs peut-être pour fonction de signaler la présence d’une allusion au passé de
Rome. Ainsi, à la figure de Camille qui convainquit les Romains de reconstruire
leur cité détruite par les Sénons plutôt que de la quitter pour aller s’installer
à Véies, s’oppose celle de Néron qui, en reconstruisant Rome pour son propre
compte, ne semblait pas laisser à ses sujets d’autre choix que de s’exiler dans la
cité étrusque.
L’expression « Rome deviendra sa maison », « Roma domus fiet », en
assimilant l’espace public et une demeure privée, souligne fortement le scandale
de la construction de la domus aurea : elle signifie l’appropriation totale par un
seul homme de l’espace des citoyens et est donc signe de tyrannie179. L’hommage
que rend Martial à la nouvelle géographie de Rome que les Flaviens substituèrent
à l’organisation néronienne est à ce titre tout à fait révélateur :
175.– Tac., An. XV 43, 1.
176.– Plin., N. H. XXXVI 111. La phrase vise probablement non seulement les palais de Caligula
et de Néron mais aussi les jardins qui avaient fini par tomber dans le domaine impérial et
qui formaient une véritable « ceinture verte » autour de Rome (Royo 2007, p. 385-396).
177.– Plin., N. H. XXXIII 54.
178.– Liv., V 50.
179.– D’après E. Champlin, Néron voulait effectivement inclure la cité dans sa maison, mais
non pour en exclure le peuple : il s’agissait au contraire de montrer aux Romains que l’empereur et eux étaient des necessitudines, appartenant à la même famille et partageant la
même maison (Champlin 2003, p. 208).
126
Laurie Lefebvre
« Là où le colosse étincelant voit les astres de plus près et où s’élèvent, au
milieu de la voie publique, de hauts échafaudages, brillait l’odieux palais d’un
farouche tyran (inuidiosa feri […] atria regis), et une seule demeure occupait
alors la ville entière ; là où se dresse et s’offre à la vue la masse vénérable de
l’Amphithéâtre, étaient les étangs de Néron ; là où nous admirons les Thermes
dus à la prompte munificence de César, une propriété insolente avait arraché
leurs toits aux malheureux ; là où le portique de Claude déploie son étendue
d’ombre, était l’extrémité du palais, qui finissait là. Rome a été rendue à
elle-même et sous ton empire, César, ce qui avait fait les délices d’un maître
(domini) fait désormais les délices du peuple. » (Mart., Spect. II)
L’épigramme de Martial, qui s’inscrit dans la tradition de la laus urbis et
témoigne de la reprise en main et du soin apporté au centre monumental de
Rome par les Flaviens180, énumère les édifices publics que Vespasien et ses successeurs firent construire en lieu et place de la domus aurea, laquelle est présentée
comme le palais d’un tyran ayant usurpé, pour construire une habitation privée,
des espaces qui auraient dû être à la disposition du peuple et que les Flaviens
s’empresseront de lui rendre : la domus aurea, ce que souligne l’expression « atria
regis », apparaît ainsi comme le symbole par excellence d’un pouvoir tyrannique
subordonnant égoïstement le plan de la ville aux désirs d’un seul homme181. La
structure répétitive du poème, lequel est rythmé par l’anaphore en « là où »,
« hic ubi », et qui de manière régulière fait alterner formes verbales au présent
et verbes à l’imparfait ou au plus-que-parfait de l’indicatif182, souligne fortement
le contraste entre la Rome de Néron et la cité flavienne.
Le corollaire de la confiscation égoïste de l’espace public est l’expulsion des
citoyens. Martial, au vers 8 de son épigramme, condamne de fait Néron pour
avoir privé les citoyens de leurs toits, « abstulerat miseris tecta superbus ager » ;
de même, le passage de l’Octavie où la jeune épouse de Néron accuse son impérial
époux d’avoir « chassé les dieux de leurs temples et les citoyens de leur patrie »,
« templis expulit superos suis / ciuesque patria » (Oct. 241-242), tout en désignant
sans doute les nombreux exils ordonnés par Néron, constitue peut-être, en même
temps, une allusion anachronique à l’appropriation, par Néron, de l’espace public
afin de pouvoir déployer son palais. Le grief sera repris par Tacite qui le place
dans la bouche de Pison, lequel, dans le débat l’opposant aux autres conjurés
quant au choix du lieu du tyrannicide, propose la domus aurea, en tant qu’elle a
été « construite sur les dépouilles des citoyens », « spoliis ciuium exstructa183 »,
expression que la recherche actuelle s’accorde à considérer, de même que le vers
180.– Voir aussi Mart., Spect. XXVIII 11, où est célébrée la naumachie de Titus, laquelle éclipse
celle « du cruel Néron », « diri […] Neronis ». Sur la restructuration flavienne de la
domus aurea et la destruction planifiée des réalisations urbanistiques néroniennes, voir en
dernier lieu Rosso 2008, p. 43-78.
181.– Morford 1968, p. 166-167.
182.– Coleman 2006, p. 15 et 18-19.
183.– Tac., An. XV 52, 1.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
127
de Martial, comme une allusion aux expropriations auxquelles aurait donné lieu
la construction du domaine néronien184.
Expulsion des citoyens donc, mais aussi mort de ces derniers : car il nous
semble que les mots « spoliis ciuium exstructa » offrent la possibilité d’une
seconde lecture. L’expression que Tacite prête à Pison peut en effet désigner
non seulement les citoyens expropriés mais aussi le grand nombre de victimes de
l’incendie de Rome, dont Néron profita pour construire sa demeure : l’expression
signifierait non seulement que la maison dorée fut construite sur les terrains de
citoyens chassés de leurs demeures, mais aussi qu’elle le fut sur des cadavres. Car
les mots de Pison font manifestement écho aux termes que Tacite employait dix
chapitres plus tôt, dans la phrase introduisant la description de la domus aurea
et liant clairement incendie, ruine de Rome et construction du palais : « Néron
mit à profit les ruines de sa patrie et construisit une demeure185 ». La maison
tentaculaire se fait meurtrière.
Si Néron s’est réservé une part énorme du sol de Rome pour construire sa
demeure, il s’est aussi accaparé une multitude d’œuvres d’art pour la décorer,
s’inscrivant ainsi dans la lignée des tyrans orientalisants qui, tels Antoine
ou Caligula, réservent le luxe à leur usage personnel, par opposition aux
optimi principes qui savent faire preuve de liberalitas publique, tels Auguste et
Vespasien186. Pline l’Ancien plaint ainsi le peintre Famulus dont presque toutes
les œuvres furent enfermées dans la domus aurea, qualifiée à ce titre de « prison
de son art », « carcer eius artis187 », et accuse plus généralement Néron d’avoir
confisqué et cloîtré dans son palais une foule d’objets que Vespasien, au contraire,
placera dans des bâtiments ouverts au public :
« Et parmi toutes les œuvres dont j’ai parlé, les plus illustres sont celles dédiées
à Rome par l’empereur Vespasien dans le temple de la Paix et dans les autres
édifices qu’il a fait élever ; elles avaient été réunies dans la ville par la férocité
de Néron et placées dans les salons de sa maison dorée. » (Plin., N. H. XXXIV
84)
Bien plus, la domus aurea englobe des édifices sacrés : comme le souligne
Pline l’Ancien, Néron « embrassa dans sa maison dorée le temple de la Fortune,
qu’on appelait temple de Séjan et qui avait été consacré par le roi Servius »,
« aedem Fortunae, quam Seiani appellant, a Seruio rege sacratam, amplexus
aurea domo188 ».
Les précédents rhétoriques et littéraires
De telles accusations formulées à l’encontre de la maison dorée ne sont pas
neuves. Le motif de l’opposition entre le plaisir égoïste du riche propriétaire
enfermé dans sa maison fastueuse et les bienfaits qui profitent à tous les citoyens
est ainsi un thème connu. Dans l’une des Controverses de Sénèque le Père, un
184.– Voir notamment Morford 1968, p. 159-163 ; Coleman 2006, p. 28-29 ; p. 33.
185.– Tac., An. XV 42, 1.
186.– Ripoll 1998, p. 146.
187.– Plin., N. H. XXXV 120.
188.– Plin., N. H. XXXVI 163.
128
Laurie Lefebvre
humble propriétaire, qui a vu sa demeure incendiée par un riche voisin désireux
de dégager la vue, s’exclame « infinitis porrectae spatiis ambulationes et urbium
solo aedificatae domus non nos prope a publico excludunt189 ? », « vos parcs
s’étendant à l’infini et vos maisons bâties sur des espaces pouvant contenir des
villes entières ne nous chassent-ils pas déjà presque de tous les lieux publics ? »,
phrase accusant les riches de s’approprier égoïstement, pour leurs constructions
privées, les espaces publics et d’en exclure les plus humbles.
Au topos de l’appropriation égoïste de l’espace par les riches propriétaires au
détriment des plus pauvres s’articule, dans la plainte citée ci-dessus comme dans
les descriptions antiques de la maison dorée, un second motif topique, celui de
l’équation domus = urbs, qui, dans le cas de la domus aurea, apparaît clairement
dans l’expression « Roma domus fiet » que l’on peut lire chez Suétone. Comme
l’a noté K. M. Coleman190, cette équation est une accusation usuelle dont on
trouve de nombreux exemples dans les condamnations du luxe. Salluste, dans sa
diatribe contre la corruption et la décadence de Rome qui ouvre la Conjuration
de Catilina, nous invite précisément à regarder « les maisons de ville et de
campagne désormais bâties à l’échelle des villes », « domos atque uillas […] in
urbium modum exaedificatas191 » ; Sénèque clame que les hommes d’autrefois
« n’avaient pas de maisons grandes comme des villes », « non habebant domos
instar urbium192 » ; Hérodien affirmera que le palais des Sévères est « plus grand
qu’une ville entière », « πάσης πόλεως μείζονι193 ».
De même Ovide, dans ses Fastes, dit de la demeure de Vedius Pollion, rasée
sur ordre d’Auguste et remplacée par le Portique de Livie, qu’elle avait les
dimensions d’une véritable cité : « à elle seule, cette demeure correspondait à
l’étendue d’une ville et occupait une superficie supérieure à celle qu’occupent
beaucoup de cités à l’intérieur de leurs murs. Elle fut nivelée au sol, non pas
que son propriétaire fût accusé d’aspirer à la royauté, mais parce que ce luxe
paraissait un précédent dangereux », « urbis opus domus una fuit spatiumque
tenebat / quo breuius muris oppida multa tenent. / Haec aequata solo est, nullo
sub crimine regni, / sed quia luxuria uisa nocere sua194 ». Notons que l’équation
domus = urbs est ici non seulement liée à la condamnation du luxe, « luxuria »,
mais en outre est mise en relation avec une potentielle accusation d’aspiration à
la royauté, « crimine regni » : accusation que Martial formulera explicitement
à l’encontre de Néron, en qualifiant le maître de la gigantesque domus aurea de
rex et de dominus195.
Le dernier Julio-claudien apparaît d’autant plus comme un tyran égoïste
ne faisant aucun cas des citoyens de Rome que non content de construire une
189.– Sen. Rhet., Contr. V 5.
190.– Coleman 2006, p. 30.
191.– Sall., C. 12, 3.
192.– Sen., Ep. 90, 43.
193.– Hdn., IV 1.
194.– Ov., F. VI 641-644 (trad. R. Schilling).
195.– Le terme dominus employé par Martial désigne en Néron à la fois le tyran et le maître de
maison : le poète joue ainsi habilement avec les diverses potentialités sémantiques du mot
(Coleman 2006, p. 36).
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
129
résidence privée gigantesque au lieu de songer à élever des édifices publics, il
passait, selon Tacite, « pour rechercher la gloire de fonder une ville nouvelle et
de lui donner son nom », « uidebaturque Nero condendae urbis nouae et cognomento suo appellandae gloriam quaerere196 ». Suétone, de même, rapporte que
Néron voulait nommer Rome « Néropolis197 ».
Selon A. Balland, l’appellation « noua urbs » par laquelle Tacite désigne
la Rome reconstruite par Néron suite à l’incendie de 64 ap. J.-C. fait probablement écho à la propagande impériale et à la volonté de l’empereur de se
présenter comme l’instaurateur d’un nouvel âge d’or et le refondateur de la
ville198. Les termes employés par Tacite sont cependant peut-être moins le reflet
de la propagande impériale que l’expression d’une critique.
En effet, si l’on met la phrase de Tacite en relation avec le fait que c’est précisément la rumeur selon laquelle Néron voulait fonder une ville nouvelle qui
était une des raisons de son incrimination comme responsable de l’incendie,
et si l’on se souvient que la culture romaine se méfiait de la nouveauté et n’y
voyait souvent qu’une révolution destinée à renverser l’ordre respectable établi
par les ancêtres, on peut imaginer combien le geste de refondation de Néron dut
être mal perçu. D’autant plus que l’appellation « ville nouvelle » devait probablement faire surgir dans l’esprit des lecteurs antiques son équivalent grec « νέα
πόλις » et inviter du coup à mettre la Rome voulue par Néron en relation avec
les réalisations urbanistiques grecques et hellénistiques s’inspirant des théories
d’Hippodamos de Milet et dont Alexandrie fournissait tout particulièrement
l’illustration.
C’est donc le spectre d’Alexandre le Grand qui semble surgir à la lecture des
termes « urbis nouae », ce que confirme le fait que Tacite et Suétone imputent
à Néron la volonté de donner son nom à Rome pour en faire une Néropolis, sur
le modèle des nombreuses Alexandries fondées le long du parcours du grand
conquérant macédonien. Comme A. Balland le précise, « l’idée de créer
une “neapolis” de type grec, que Néron l’ait réellement conçue ou non, devait
choquer bien des secteurs de l’opinion contemporaine, dans la mesure où elle
aurait dénotée chez l’empereur la volonté de rompre avec les traditions sur
lesquelles Rome avait vécu pendant des siècles pour faire surgir, tel un souverain
hellénistique, une ville totalement neuve, née uniquement de la volonté du
prince199 ».
Un édifice inutile
Du point de vue politique : le critère du bien public
Née de la volonté du prince, mais aussi par caprice : car de manière générale, la
construction de la maison dorée est systématiquement, dans les textes antiques,
mise au compte de la futilité et des rêves néroniens de réalisations fantasques.
Dans son discours visant à défendre son projet d’embellissement de la ville de
196.– Tac., An. XV 40, 2. Voir aussi Suet., Ner. 16, 1.
197.– Suet., Ner. 55.
198.– Balland 1960, p. 360-363.
199.– Balland 1960, p. 366.
130
Laurie Lefebvre
Pruse face à des détracteurs y voyant une manifestation d’ambition, d’impiété et
de manque de patriotisme local, Dion Chrysostome, lorsqu’il en vient à opposer
son projet à l’inutilité des bâtiments construits dans un but uniquement ostentatoire, cite précisément, en dernier lieu, la domus aurea de Néron :
« Que voulez-vous donc ? Je vous le jure par tous les dieux, si je devais causer
du chagrin à vous tous ou à certains d’entre vous ou passer pour une source de
peines, assurément je préfèrerais ne pas avoir pour propriété personnelle les
résidences royales de Darius ou de Crésus ni même ma propre demeure paternelle, véritablement en or, non comme celle de Néron qui n’a de dorée que
le nom. En effet il n’y a aucune utilité dans une maison d’or (οὐδὲ γὰρ ὄφελος
οὐδὲν οἰκίας χρυσῆς), pas plus qu’il n’y en a dans un pot doré ou le platane d’or
des Perses. Au contraire il est utile d’avoir une cité à la belle apparence, plus
aérée, avec des espaces découverts, de l’ombre en été, du soleil à l’abri d’un toit
en hiver, et des demeures hautes et dignes d’une grande cité plutôt que des
ruines sans valeur et misérables. » (D. Chr., XLVII 14-15)
Tacite, de la même manière, réduit la domus aurea à un caprice futile,
exorbitant et sans justification aucune : dans le chapitre consacré par l’historien à la maison dorée, Néron se voit ainsi attribuer l’épithète d’« incredibilium cupitor200 », « avide de choses incroyables ». Suétone, de même, attribue
le complexe impérial à la folie de dépenses, « impendiorum furorem », de
l’empereur dans le domaine des constructions201.
J. Elsner202 a souligné surtout que, si les documents archéologiques et
numismatiques montrent que Néron s’est efforcé de doter Rome de constructions publiques liées aux besoins et aux divertissements du peuple, les sources
littéraires au contraire sont on ne peut plus discrètes à ce sujet. Elles taisent la
reconstruction du temple de Vesta par Néron pour n’en citer que sa destruction
lors de l’incendie de 64 ap. J.-C.203 ; par ailleurs, la construction de l’amphithéâtre de bois, des thermes et du gymnase de Néron n’est que fort brièvement
évoquée204, Tacite préfèrant insister sur le fait que le gymnase fut frappé par la
foudre et la statue qui s’y trouvait fondue en une masse informe205, tandis que
Philostrate profite de la mention de l’inauguration dudit gymnase pour faire
tenir au philosophe cynique Démétrios une diatribe contre les baigneurs, êtres
efféminés qui se souillent au lieu de se nettoyer dans ce qui n’est qu’une vaine
recherche de luxe206.
Alors que de nombreuses monnaies associent Néron à des édifices publics
ou sacrés, les textes se sont donc plutôt focalisés sur un autre secteur de l’activité
architecturale de Néron, la construction d’édifices privés. Seules les mesures
200.– Tac., An. XV 42, 2.
201.– Suet., Ner. 31, 7.
202.– Elsner 1994, p. 119-120.
203.– Tac., An. XV 41, 1.
204.– Stat., S. I 5, 62 ; Suet., Ner. 12, 2 et 7 ; Tac., An. XIV 47, 2 ; Eutr., VII 15, 2 ; Ps. Aur.-Vict.,
Epit. 5, 3.
205.– Tac., An. XV 22, 2.
206.– Philstr., V. Ap. IV 42, 1.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
131
prises par l’empereur pour prévenir et combattre plus facilement les incendies
échappent à la critique207 ; cependant Tacite clôt le chapitre consacré à ces
mesures en rapportant leur condamnation par certains Romains, qui préféraient
leur ancienne cité et regrettaient les hauts immeubles et les ruelles étroites,
protection selon eux contre l’ardeur du soleil.
En tant que construction inutile, la domus aurea fait apparaître le spectre de
l’Orient. Superficialité, vanité, futilité, sont en effet caractéristiques du monde
oriental ; d’ailleurs, le discours de Dion Chrysostome précédemment cité met en
parallèle l’inutile domus aurea, la résidence royale de Darius, le palais de Crésus
et le célèbre platane d’or des Perses. Comme nous le rappelle Frontin au début
du IIe siècle de notre ère, la vanité est la caractéristique des constructions orientales : « tot aquarum tam multis necessariis molibus pyramidas uidelicet otiosas
compares aut cetera inertia sed fama celebrata opera Graecorum208 », « compare,
aux masses nécessaires et si nombreuses de tant d’aqueducs, les pyramides
assurément inutiles ou les constructions sans intérêt mais célébrées partout des
Grecs ». À l’inutilité de la plupart des édifices grecs et égyptiens, construits par
pure ostentation, est ainsi censée s’opposer la valeur fonctionnelle des bâtiments
romains : la domus aurea, telle que la décrivent les textes antiques, ne remplit
manifestement pas ce critère.
Du point de vue philosophique : la condamnation du superflu
Les descriptions de la domus aurea et de son luxe incroyable demandent aussi
à être mises en parallèle avec les théories philosophiques et les argumentations rhétoriques condamnant pour eux-mêmes le faste et le confort, en tant
qu’éléments inutiles et superflus. L’expression de Dion Chrysostome, « ὄφελος
οὐδὲν οἰκίας χρυσῆς », fait ainsi, en substance, écho à une phrase de Sénèque
qui, invitant les hommes à mépriser les biens extérieurs, écrit dans une de ses
Lettres à Lucilius que « le chaume protège l’homme aussi bien que l’or », « tam
bene hominem culmo quam auro tegi209 » : un logement doit être un abri contre
l’inclémence des saisons, ornements et décorations ne sont que superfluités.
Déjà Horace qualifiait l’or d’inutile, « aurum et inutile210 ».
Dans sa lettre 90, Sénèque condamne à nouveau l’architecture de son
temps, colonnades à perte de vue, salles à manger aux plafonds mobiles, tuyaux
permettant la circulation de parfums, appliques d’or, pierreries, ivoire, canaux,
architecture vaine et superflue, illustration de la recherche du luxe et de la
cupidité qui ont envahi Rome, alors que la nature offre d’elle-même de quoi
satisfaire nos besoins. Une telle description n’est pas sans rappeler les évocations antiques de la domus aurea, et la condamnation que présente le philosophe
à l’encontre de la vanité du luxe peut tout à fait s’appliquer à la demeure du
dernier Julio-claudien211.
207.– Tac., An. XV 43 ; Suet., Ner. 16, 1-2.
208.– Frontin., Aq. 16. Voir Dauge 1981, p. 648.
209.– Sen., Ep. 8, 5.
210.– Hor., O. III 24, 48.
211.– F. Préchac pense à ce titre que la lettre 90 de Sénèque fait directement allusion à la
domus aurea alors en construction (Préchac 1914, p. 232 ; voir aussi Morford 1968,
132
Laurie Lefebvre
Le luxe architectural est ainsi en parfaite opposition avec le précepte philosophique nous enjoignant de vivre en accord avec la nature212. La débauche de
luxe est d’autant plus vaine et superflue qu’elle ne préserve ni des soucis ni de
la mort, celui qui possède beaucoup étant même plus que les autres sujet aux
alarmes. Cicéron se sert ainsi du cas de Damoclès pour condamner le luxe vain et
tapageur213 ; Virgile, dans ses Géorgiques, fait un éloge vibrant des paysans vivant
modestement des ressources de la terre, loin des tracas qu’apportent la richesse
et l’aisance214 ; Horace clame que le riche, comme le pauvre, devra se soumettre
à Orcus215 ; le déclamateur Porcius Latron, cité par Sénèque le Père, pose que l’or
et l’argent sont les jouets de la fortune, qu’ils ne donnent qu’un bonheur fragile
et chancelant et que l’on a déjà vu souvent des hommes opulents précipités dans
la misère216 ; le Thyeste de Sénèque rappelle que c’est dans l’or que l’on boit le
poison217 ; Pline l’Ancien signale que le luxe peut partir en fumée et est encore
plus périssable que l’homme218.
Bien plus, les demeures luxueuses, loin d’être uniquement des constructions vaines et superflues, mettent même en péril ceux qui les habitent. Papirius
Fabianus, cité par Sénèque le Père dans ses Controverses, avance ainsi que les
maisons, corrompues par la richesse, s’élèvent désormais si haut qu’elles sont
devenues un véritable danger, alors qu’elles devraient être un abri commode et
sûr : si elles brûlent ou si elles croulent, on ne peut plus en effet, étant données
leur taille et l’étroitesse des rues, trouver de refuge ni de salut nulle part219.
Les demeures des riches sont même plus que les autres exposées au danger. Si
un incendie se déclare, les maîtres seront en effet massacrés dans leur propre
demeure par les pillards attirés par l’appât du gain : car le faste attise la convoitise
et en poussera même certains à allumer des incendies criminels afin de s’emparer,
tel un butin, des objets de luxe dans les ruines encore chaudes de la maison d’un
riche voisin220. Comme le rappelle Horace dans ses Satires, le riche vit sans cesse
dans la crainte des voleurs et des incendies221.
Le luxe excessif de certaines demeures, dont la littérature antique, des œuvres
de Salluste aux Odes d’Horace ou aux Controverses de Sénèque le Père222, nous a
p. 175-177). Même si ce n’était pas le cas, la lettre n’en demeure pas moins intéressante au
sens où elle illustre bien le caractère topique et l’orientation morale des accusations faites
aux demeures trop luxueuses.
212.– Hor., Ep. I 10, 12-25 ; Sen., Ep. 16, 8 ; 90, 18-19 ; 122, 8.
213.– Cic., Tusc. V 61-62.
214.– Virg., G. II 458-474.
215.– Hor., O. II 18, 29-36. Voir aussi II 14, 21-24 ; III 1 ; 24.
216.– Sen. Rhet., Contr. II 1, 1.
217.– Sen., Thy. 453.
218.– Plin., N. H. XXXVI 110.
219.– Sen. Rhet., Contr. II 1, 11.
220.– Sen. Rhet., Contr. II 1, 12.
221.– Hor., S. I 1, 76-78.
222.– Voir par exemple Sall., C. 10-13 ; Hor., O. II 15 ; 18 ; III 24, 1-16 ; Sen. Rhet., Contr. II 1,
11-13 ; V 5. Voir aussi Sen., Ep. 86 ; 114, 9 ; 115, 8-9. Sur le lien entre le luxe en général et la
décadence de Rome, voir surtout le discours de Caton l’Ancien s’opposant à l’abrogation
de la loi Oppia relative au luxe des femmes (Liv., XXXIV 5). À ce sujet, voir Morford
1968, p. 167-170.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
133
conservé nombre de condamnations, est ainsi devenu le symbole par excellence
de la décadence morale de Rome. Les auteurs antiques ne cessent, parallèlement,
de poser en modèles les austères habitations des grands hommes d’autrefois :
dans sa lettre 86, Sénèque loue l’exemple de la modeste maison de campagne et
des bains grossiers de l’illustre Scipion l’Africain, qui savait que l’on n’a besoin
ni d’or ni de marbre pour se laver. Les grands hommes de l’ancienne Rome
savaient se contenter du strict nécessaire et bannissaient de leur train de vie le
confort superflu, ce que Pline l’Ancien rappelle avec force lorsqu’il condamne
l’ampleur monstrueuse des demeures de Caligula et de Néron. Comme le note
le naturaliste avec ironie, on est bien loin des demeures discrètes et des modestes
champs des grands généraux d’autrefois à qui les Romains doivent la gloire et la
grandeur de l’Empire :
« Ce sont assurément de telles maisons qu’avaient habitées ceux qui rendirent
cet empire si grand, quittant leur charrue ou leur foyer pour aller vaincre les
peuples et remporter des triomphes, eux dont les champs mêmes occupèrent
moins de terrain que les boudoirs de ces princes ! » (Plin., N. H. XXXVI 111)
La phrase de Pline rappelle à la mémoire du lecteur la noble et austère figure
de Cincinnatus, qui travaillait à sa charrue lorsque les sénateurs vinrent le
trouver pour combattre les Èques et qui retourna modestement à ses champs
après avoir sauvé Rome de la menace ennemie. En insistant sur le luxe incroyable
de la maison dorée, les auteurs antiques cherchaient manifestement à montrer à
quel point Néron avait, à nouveau, foulé aux pieds le modèle des grands chefs
romains d’autrefois.
Un espace de transgression
« Rus in urbe »
La domus aurea est aussi, telle que la décrivent Tacite et Suétone, un espace de
transgression au sens où elle introduit dans la ville des éléments qui ne sont pas
censés s’y trouver. Tacite et Suétone déroulent ainsi sous nos yeux des bois, des
perspectives, de grands espaces, des animaux sauvages : or tout cela appartient
en propre à la nature non domestiquée et n’a rien à faire en ville. Tacite déclare
de fait que le complexe néronien fut conçu sur le modèle des grandes solitudes
désertes, « in modum solitudinum223 ».
Non content d’avoir introduit la nature sauvage en plein cœur de la ville,
Néron y a aussi introduit la campagne : champs cultivés, vignobles, pâturages,
animaux domestiques, font en effet, selon Tacite et Suétone, partie intégrante
du parc de la domus aurea, et le biographe des Césars emploie tout bonnement,
dans sa description de la demeure de Néron, le terme « rura224 ». De nombreux
chercheurs considèrent de fait que la domus aurea a été conçue comme une uilla
de campagne en plein cœur de Rome : le complexe palatial néronien établit la
campagne dans la ville, « rus in urbe », pour citer A. Boëthius qui reprend
223.– Tac., An. XV 42, 1.
224.– Suet., Ner. 31, 2.
134
Laurie Lefebvre
là une expression de Martial225 ; il s’agit d’une « uilla-domus » (ou d’une
« domus-uilla ») inspirée des modèles architecturaux fournis par les maisons de
campagne, pour reprendre les termes de M. Royo226.
Pire : la domus aurea, avec ses longues colonnades, ses portiques, son plan
d’eau, son luxe, son parc, fait songer plus précisément aux grandes villas aristocratiques que les riches Romains possédaient en Campanie, lieu de villégiature
privilégié de la haute société et bien connu pour être le rendez-vous de tous les
plaisirs227. M. Tarpin définit à ce titre la domus aurea comme « un cas unique
d’intrusion de l’architecture de plaisance dans la ville228 ». Ce sont donc toutes
les débauches de Baïes que Néron a amenées au cœur même de Rome.
Certes introduire la campagne dans la ville n’entraînait pas une condamnation systématique : l’expression « rus in urbe » qu’A. Boëthius et d’autres
à sa suite emprunteront à Martial prend, dans les Épigrammes, place dans un
contexte où le poète envie Sparsus de pouvoir fuir le bruit incessant de Rome en
se réfugiant dans le domaine de Petilius, havre de paix et de tranquillité en pleine
ville. D’autre part, il faut noter que la ville de Rome était depuis longtemps
accoutumée à voir certains de ses quartiers couverts de jardins et d’enclaves
champêtres : il y avait à Rome, depuis la fin de la République, de grands horti, qui
avaient fini par tomber dans le domaine impérial et par devenir, de suburbains,
intra-urbains, tels les célèbres jardins de Salluste, de Lucullus ou de Pompée229.
De la même manière, transformer la nature afin d’aménager son domaine
à sa guise, dompter les rochers, aplanir les montagnes, mettre des bâtiments
en lieu et place des antres des bêtes, faire naître une forêt, sont des transformations qui n’ont pas toujours été condamnées : Stace, faisant dans ses Silves
l’éloge de la villa de Pollius qui domine la baie de Pouzzoles, s’émerveille devant
la nature vaincue230.
Mais si Néron ne fit que suivre ces prédécesseurs en matière de constructions
privées, c’est cependant bien comme un espace de transgression que la domus
aurea apparaît dans les textes antiques. Selon Tacite, la domus aurea fut conçue
par des architectes désireux de réaliser grâce à l’art, « per artem », ce que la nature
refuse, « quae natura denegauisset » (An. XV 42, 1). Et c’est bien à un bouleversement des lois de la nature qu’Eumolpe, à l’occasion du poème sur la guerre
civile qu’il récite dans le Satiricon de Pétrone, assimile, dans une description qui
évoque étrangement la domus aurea de Néron231, les uillae luxueuses de la fin de
la République :
225.– Boëthius 1960, p. 105 (l’expression est tirée de Mart., XII 57, 21). Voir aussi Griffin
2002, p. 159 ; Richardson 1992, p. 119-121 ; Elsner 1994, p. 121 ; Segala 1999, p. 5-15 ;
Wood 2004.
226.– Royo 1999, p. 206. Voir aussi Carandini 1990, p. 10-15.
227.– Champlin 2003, p. 208.
228.– Tarpin 2001, p. 166-167. Voir aussi Stucchi 2014.
229.– Sur le sujet, voir bien sûr Grimal 1969.
230.– Stat., S. II 2, 31 ; 52-62.
231.– M. P. O. Morford pense précisément que le Satiricon de Pétrone contient une condamnation implicite des projets urbanistiques de Néron (Morford 1968, p. 171-172). Il a été
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
135
« Ils bâtissent des maisons d’or dont le front s’élève jusqu’aux astres ; ils font
reculer les eaux devant la pierre, naître la mer où se trouvaient les champs,
et bouleversant l’ordre des choses, se rebellent contre la nature. » (Petr., 120,
87-89 ; trad. A. Ernout)
Les projets de Néron prévoyaient précisément, on l’a vu, l’établissement, au
sein du complexe, d’un point d’eau semblable à une mer et développaient un
tel luxe que la demeure impériale reçut l’épithète d’aurea. Le texte de Pétrone
semble donc montrer du doigt le palais de Néron, surtout si l’on ajoute à ce
passage la description de la salle de banquet de Trimalcion, dont on voit le
plafond s’ouvrir pour laisser descendre des couronnes dorées et des flacons de
parfums suspendus à un immense cerceau232 : cela n’est pas sans rappeler les
plafonds des salles à manger de la domus aurea, lambrissés, d’après Suétone, de
tablettes mobiles afin que l’on pût répandre sur les convives fleurs et parfums233.
Or le poème que Pétrone prête à Eumolpe révèle bien le caractère contre nature
qui pouvait être attribué aux demeures outrageusement luxueuses (des condamnations similaires se trouvaient déjà dans les Odes d’Horace234) ; c’est d’ailleurs
sur le compte de l’« insaniam » de Néron que Pline l’Ancien met la construction
de la maison dorée235.
Un palais à l’orientale
Espace d’intrusion de la campagne et de la nature sauvage dans la ville, la fastueuse
domus aurea apparaît aussi, dans les textes antiques, comme le lieu de l’introduction, en plein cœur de Rome, du spectre de l’Orient. La culture romaine
attribuait en effet traditionnellement au luxe une origine orientale : c’est suite
aux conquêtes romaines en Asie que le luxe aurait été introduit à Rome. Tite-Live
qualifie à ce titre le luxe d’étranger et fait remonter son introduction dans la
Ville au retour, en 187 av. J.-C., de l’armée d’Asie et de son général Cn. Manlius
Vulso, dont les soldats furent les premiers à rapporter à Rome des lits aux décors
de bronze, des tapis précieux, des étoffes, des tentures, ainsi que des habitudes de
faste et de somptuosité dans la préparation des repas236. D’après Salluste, l’introduction à Rome du goût pour le luxe et les objets d’art, statues, tableaux, vases
ciselés, doit être attribuée au retour de l’armée de Sylla, revenue victorieuse du
Pont237. Velleius Paterculus affirme pour sa part que c’est Lucullus, qui combattit
de nombreuses années dans cette même province orientale, qui fut le premier à
introduire le luxe effréné dans les édifices, les festins et les meubles238.
démontré d’ailleurs que le Satiricon a été écrit durant la période flavienne, ce qui corrobore
cette hypothèse (Yeh 2007).
232.– Petr., 60.
233.– Le motif de la pluie de fleurs répandue sur les invités au cours d’un festin au moyen de
plaques mobiles réapparaît dans la condamnation des festins d’Élagabal (HA., Hel. 21, 5).
234.– Hor., O. II 18, 20-22 ; III 1, 33-37 ; 24, 3-4.
235.– Plin., N. H. XXXVI 113.
236.– Liv., XXXIX 6, 7-9.
237.– Sall., C. 11, 5-6.
238.– Vell., II 33, 4. Pour le lien entre luxe et mœurs étrangères, voir aussi Juv., VI 298-299.
136
Laurie Lefebvre
La domus aurea, telle que la décrivent les textes de l’Antiquité, correspond de
fait parfaitement à un palais oriental. L’ampleur gigantesque de la maison dorée,
sur laquelle les auteurs antiques, on l’a vu, ont beaucoup insisté, rappelle ainsi ce
que nous apprend Strabon sur le palais royal d’Alexandrie, que les rois successifs
avaient tellement augmenté de bâtiments nouveaux qu’il couvrait une grande
partie de la ville239. En outre, d’après Strabon toujours, les palais d’Alexandrie
renfermaient, entre autres, le Museum avec ses portiques et son exèdre, des
logements innombrables de style varié, des bois et un port artificiel que les
rois avaient fait creuser pour leur usage personnel ; les Mémoires de Ptolémée
Évergète, enfin, nous apprennent que les palais d’Alexandrie renfermaient des
animaux240. Or cela n’est pas sans rappeler la description que Tacite et Suétone
nous donnent du palais de Néron, lequel contenait champs, pièces d’eau, forêts,
espaces découverts, perspectives et animaux divers.
L’envergure des parcs et la présence d’animaux sont surtout typiques des
paradis perses : Xénophon évoque le parc empli de bêtes fauves que Cyrus le
Jeune possédait à Célènes en Phrygie241 ; Quinte-Curce décrit les parcs immenses
enfermant des bêtes sauvages qu’Alexandre le Grand découvrit en Sogdiane,
région conquise par les Perses242 ; Appien, de même, nous apprend que Tigrane
avait, dans les faubourgs de la ville arménienne de Tigranocerte, construit de
grands parcs clôturés pour les animaux sauvages243. Selon Plutarque, d’autre part,
le Perse Tissapherne possédait des jardins réputés pour leurs espaces verts et
leurs eaux rafraîchissantes, et qui offraient des retraites et des refuges aménagés
de façon royale et extraordinaire244.
Le motif du bouleversement des lois de la nature, récurrent dans les descriptions antiques des projets architecturaux de Néron, semble, lui aussi, être un
héritage barbare et oriental : les fameux jardins suspendus de Babylone passaient
pour avoir été conçus de manière à imiter par des artifices les paysages particuliers de la Perse245 ; les palais de la reine Sémiramis étaient connus pour leur
magnificence et les prouesses techniques auxquelles leur construction donna
lieu, le cours de l’Euphrate ayant été un temps modifié afin de permettre le
creusement d’une galerie souterraine passant sous le fleuve246.
Enfin, le luxe déployé dans le palais de Néron, recouvert d’or et de pierres
précieuses, s’inscrit dans la continuité de la splendeur du palais flottant de
Ptolémée Philopator dont Athénée nous a conservé la description247. Lucain, de
même, condamne le luxe architectural de la demeure de Cléopâtre, aux voûtes,
aux murs et aux sols couverts d’or, de marbre, de pierres précieuses, d’ébène,
239.– Str., XVII 1, 8-9.
240.– Ath., 654c. Voir Woodman 1998, p. 180-181.
241.– Xen., An. I 2, 7.
242.– Curt., VIII 1, 11-12.
243.– App., Mithr. 84.
244.– Plut., Alc. 24, 7.
245.– DS., II 10 ; Curt., V 1, 35. Sur les jardins suspendus de Babylone, voir aussi Str., XVI 1, 5.
246.– DS., II 8.
247.– Ath., 204d-206d.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
137
d’ivoire et d’écailles de tortues coloriées à la main248. Peut-être Lucain avait-il
les projets de Néron en tête ; teindre les écailles de tortues dans l’ébénisterie
est ainsi une invention monstrueuse que Pline l’Ancien attribue au règne de
Néron249. Quoi qu’il en soit, il convient surtout de noter le lien que les vers du
poète épique établissent entre tyrannie orientale et luxe outrageant du complexe
palatial : pour un Romain, l’extravagance de la taille, du luxe et des installations
d’un palais tel que la domus aurea trahit nécessairement le caractère oriental, et
partant tyrannique, du règne de son occupant.
Le mépris de la nature et des dieux
En tant que défi lancé aux lois de la nature, c’est-à-dire aux lois divines, la domus
aurea apparaît, surtout, comme une œuvre sacrilège. Elle l’est même à double
titre : en effet, non content de mépriser les bornes dans lesquelles les dieux ont
voulu contenir les possibilités de l’action humaine, Néron, se prenant pour un
créateur divin, s’est aménagé à sa guise, dans sa domus aurea, un véritable monde
en miniature. Suétone écrit ainsi que la domus aurea contenait une pièce d’eau
« semblable à une mer », « instar maris », des bâtiments « formant comme des
villes », « ad urbium speciem250 », une salle à manger « imitant le mouvement du
monde », « uice mundi251 », ce qui donne l’image impie d’un Néron démiurge
recréant la nature à son gré. Les descriptions de la domus aurea convoquent de
fait tous les éléments constitutifs du monde, la terre et l’eau, la campagne et la
ville, les lieux sauvages et les zones arrangées par la main de l’homme, la faune
et la flore.
En outre, le palais de Néron effectue la jonction entre des monts distincts,
puisque, comme le note Suétone, on le vit s’étendre « du Palatin jusqu’à
l’Esquilin », « a Palatio Esquilias usque » ; Tacite, de même, écrit que la
demeure de Néron (il ne s’agit là pas encore de la domus aurea, mais de la
demeure précédente de l’empereur) faisait se joindre le Palatin et les jardins de
Mécène, lesquels se trouvaient sur l’Esquilin252. Ce faisant, Néron modifiait la
topographie de Rome.
La domus aurea apparaît donc comme un espace de transgression et une
construction contra naturam à plusieurs titres : elle est un morceau de nature faux
et artificiel ; elle est un microcosme autonome, fruit des caprices d’un empereur
usurpant le pouvoir démiurgique des dieux ; elle se moque de la topographie
naturelle de Rome en effaçant la distinction entre ses collines et en introduisant
248.– Luc., Phars. X 111-126.
249.– Plin., N. H. XVI 233.
250.– Selon M. Tarpin, le fait que la domus aurea ait fini par ressembler à une ville est en fait un
héritage républicain : les grandes maisons pompéiennes récupéraient ainsi des éléments
du décor urbain pour entretenir une confusion entre privé et public (Tarpin 2001,
p. 172). Contrairement à ce que laisse entendre Suétone, la demeure de Néron, conçue
comme une ville, ne serait donc en cela pas très innovante.
251.– Suet., Ner. 31, 2-3. Y. Perrin note que la description de Suétone fait de la domus aurea
une métonymie du monde (Perrin 1987, p. 366). A. Cassatella définit de même la
domus aurea comme un véritable microcosme séparé du reste de la ville (Cassatella
1995, p. 49).
252.– Tac., An. XV 39, 1.
138
Laurie Lefebvre
une faune et une flore qui ne devraient pas s’y trouver ; bien plus, ces éléments
naturels, qui ne sont pas compatibles avec le milieu, urbain, dans lequel ils ont
été introduits, ne sont même pas conciliables entre eux, puisqu’ils sont l’attribut
à la fois de la campagne domestiquée et de la nature sauvage ; avec ses équipements luxueux et futiles, elle est enfin, comme nous l’a montré la lettre 90 de
Sénèque précédemment évoquée, la stricte antithèse de ce que la nature nous
offre d’elle-même pour assurer notre subsistance.
Dénonciation de l’inutilité du luxe excessif, fantôme du faste des cours
orientales, appel au respect des lois de la nature, condamnation de l’égoïsme du
tyran et de son mépris du bien public, les auteurs antiques ont exploité, dans
leurs ekphraseis de la domus aurea, tout le matériel et le stock de lieux communs
relatifs aux constructions que mettaient à leur disposition les déclamations
rhétoriques, les traités philosophiques ou les œuvres des poètes. De même que la
maison dorée se trouve au cœur de Rome, ses descriptions se situent au carrefour
de multiples traditions littéraires, toutes exploitées dans un seul et même but :
faire apparaître Néron comme un autocrate dangereux.
Les condamnations de la domus aurea ont contribué à exacerber le motif
de subversion néronienne du métier d’empereur : la Rome de Néron, cité sans
prince et lieu d’un otium permanent, où l’empereur, au mépris de sa dignité
de princeps, se produit sur scène tel un vulgaire histrion, se livre à des passions
honteuses, gaspille l’argent, ne songe en rien au bien de ses concitoyens, devient,
dans les textes antiques, une cité sans citoyens et une domus privée : Néron, dont
l’action est qualifiée, vers la fin du livre XV des Annales, de « dominationis253 »,
exerce désormais son pouvoir tel un dominus, c’est-à-dire, au sens propre, tel le
maître d’une domus, laquelle « n’est autre que Rome tout entière254 ».
Le personnage de Néron, débauché et efféminé, citharède et noceur, fastueux
et dissipateur, n’a donc pas l’étoffe d’un princeps. À l’empereur dépravé s’ajoute
un tyran cruel et sanguinaire : la figure du dernier Julio-claudien, conçue comme
un anti-princeps, se présente aussi comme un facteur de destruction, un antipater, qui tue ses sujets et assoit son pouvoir sur une ville en cendres.
253.– Tac., An. XV 69, 1.
254.– Cogitore 2002, p. 272.
Chapitre quatre. Néronologie structurale, II.
Néron l’anti-pater
Lorsque Plutarque, évoquant dans la biographie d’Antoine les descendants de ce
dernier, en vient à Néron, c’est la notion de ruine de Rome qu’en dernier lieu le
biographe choisit de lui associer :
« Ce dernier, qui a régné de nos jours, a tué sa mère et peu s’en est fallu dans sa
démence et sa folie qu’il ne bouleversât l’Empire romain. » (Plut., Ant. 87, 9)
Eutrope, de la même manière, ouvre la section de son Abrégé d’histoire
romaine consacrée au dernier Julio-claudien en affirmant qu’il « dégrada et
affaiblit l’Empire romain », « Romanum imperium et deformauit et diminuit1 ».
C’est que le Néron de la littérature antique, bien loin de se comporter en père
pour ses sujets et de veiller au bien de son Empire, fait planer la désolation et la
mort au-dessus de tous et de tout : des exécutions en nombre, l’anéantissement
de l’espace de la cité, la dégradation même de toute forme de vie, font partie des
crimes que les Anciens ne manquèrent pas d’imputer à Néron.
Les martyrs du tyran
La mise à mort des élites
Un motif récurrent
La condamnation par Néron des élites politiques, intellectuelles ou militaires
de Rome revient comme un véritable leitmotiv dans l’historiographie antique2 :
tant Tacite que Suétone et Dion Cassius retracent la disparition impitoyable et
inexorable, sous le règne du dernier Julio-claudien, de tous les hommes de valeur,
ceux qui, par leur courage, leur sagesse ou leur gravité, garantissaient le bien de
l’Empire et la grandeur de Rome. Le motif de la mise à mort ou, au mieux, de
1.– Eutr., VII 14, 1.
2.– Voir, dans l’annexe 1, le tableau 1b.
139
140
Laurie Lefebvre
l’exil des plus hauts magistrats et des plus nobles personnages de Rome apparaît
également dans l’Octavie du Pseudo-Sénèque, chez Pline l’Ancien, Flavius
Josèphe, Martial, Juvénal, Pline le Jeune, Plutarque et Philostrate. Le thème de
la condamnation des élites par Néron fait, surtout, partie de manière quasiment
systématique des éléments sélectionnés par les abréviateurs et historiens tardifs.
Après la mort de Burrus, que de nombreux Romains et parmi eux Suétone
et Dion Cassius imputèrent à Néron3, nous assistons ainsi, entre autres, à celle
de Sénèque, à celle du sénateur et stoïcien Thrasea Paetus, à celle aussi de
l’illustre chef de guerre Corbulon ; le tyran Néron se défit, d’autre part, implacablement de tous ceux qui, par leur naissance, représentaient des rivaux potentiels, Britannicus, Rubellius Plautus, Cornelius Sylla. À l’élimination de l’élite
politique de Rome s’ajoute celle des intellectuels et des philosophes : outre
les morts de Sénèque et de Thrasea Paetus, signalées ci-dessus, on peut ajouter
l’exil des philosophes Cornutus et Démétrios et le sort misérable du philosophe
Musonius, condamné à travailler au percement de l’isthme de Corinthe4.
Dion Cassius déclare de fait que Néron était l’ennemi de tous ceux qui se
distinguaient par quelque mérite ou une origine illustre5 ; Suétone va même
jusqu’à imputer à Néron le projet de faire disparaître le Sénat tout entier,
allégation qui sera reprise par Dion Cassius et Aurelius Victor6 ; Tacite introduit,
quant à lui, l’épisode de la mort de Thrasea et de l’ancien proconsul d’Asie Barea
Soranus en écrivant qu’« après avoir massacré tant d’hommes distingués, Néron
finit par concevoir le désir d’exterminer la vertu elle-même », « trucidatis tot
insignibus uiris, ad postremum Nero uirtutem ipsam exscindere concupiuit7 ».
Les racines grecques
Comme D. Lanza l’a montré8, la figure païenne de Néron est dictée par des
topoi grecs que Rome réélabore : pour les Grecs, le tyran est l’antithèse de la
polis, pour les penseurs de l’Empire, il est l’antithèse de l’humanité. Ainsi, on
ne peut comprendre la noirceur de la figure de Néron sans prendre en compte
la culture philosophique (notamment stoïcienne) de ses détracteurs au sein de
l’oligarchie romaine.
Dans le cas présent, le motif de la cruauté de Néron envers les élites et
notamment le Sénat de Rome, tout en s’appuyant indéniablement sur des faits
avérés (toute autocratie a son lot de meurtres politiques), est assurément tributaire aussi de la tradition d’origine grecque associant systématiquement tyrannie
et nécessité de priver l’État de ses grands hommes. La mise à mort des élites
apparaît en effet, dans le système d’Aristote ou de Platon, comme l’une des
caractéristiques majeures du tyran, obligé pour se maintenir de se débarrasser des
éléments éminents, en tant qu’ils représentent des conspirateurs en puissance9.
3.– Tac., An. XIV 51, 1-2 ; Suet., Ner. 35, 12 ; DC., LXII 13, 3.
4.– Hier., Chron., p. 184h ; Philstr., V. Ap. IV 35 ; 42, 2 ; 47 ; V 19, 2.
5.– DC., LXI 5, 6.
6.– Suet., Ner. 37, 5 ; 43, 1 ; DC., LXIII 27, 2 ; Aur.-Vict., 5, 14.
7.– Tac., An. XVI 21, 1 (trad. P. Wuilleumier).
8.– Lanza 1997.
9.– Plat., Rsp. VIII 567b-c ; Gorg. 510b ; Arstt., Pol. V 1311a ; 1313a.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
141
C’est le sens de la célèbre métaphore des épis de blé : comme Thrasybule recevait
un jour la visite d’un héraut envoyé par Périandre de Corinthe (lequel souhaitait
connaître le moyen de se maintenir en place), il l’emmena, en guise de réponse,
dans un champ de blé où il arracha les épis qui s’élevaient au-dessus des autres,
signe de la nécessité, pour le tyran, de faire périr les personnalités importantes.
Cette caractéristique du tyran grec passa ensuite dans la culture romaine :
J. R. Dunkle a montré que la cruauté proverbiale de figures comme Marius, Sylla
ou Cinna, bien connues pour avoir utilisé le meurtre politique comme moyen
de consolider leur pouvoir, si elle repose sur une réalité, est aussi un héritage de
la représentation du tyran dans la philosophie grecque10. Antoine, de la même
manière, fut accusé par Cicéron de chercher à détruire le Sénat11, accusation
qu’encourront ensuite tous les empereurs traditionnellement considérés comme
mauvais. L’insistance toute particulière des auteurs sur le sort malheureux des
élites sous Néron répond donc assurément moins à un souci de relater des faits
qu’à la volonté d’inscrire le dernier Julio-claudien dans la série des pessimi.
Le règne des scélérats
Le motif de l’élimination des forces vives de la cité s’est accompagné, parallèlement, de celui de la promotion des individus de la pire espèce. Le personnage
de Néron a en effet un penchant certain pour les méchants : son entourage
regorge véritablement d’hommes aux mœurs bien peu recommandables, tels
Vatinius, Othon, Vitellius12 et surtout Tigellin, dont les historiens antiques
firent un monstre d’infamie13. Tacite va même jusqu’à déclarer que jamais cour
ne produisit davantage de scélérats que celle de Néron14 : cette affirmation fait
du règne de ce dernier un comble en matière de vices.
L’association de la tyrannie au règne des scélérats, dans laquelle transparaît
la crainte du clan sénatorial face à la nouvelle géométrie du pouvoir imposée par
le principat et à l’affirmation grandissante du consilium principis, est, comme la
thématique de la mise à mort des élites, un motif ancien. Platon et Xénophon
expliquaient déjà que le tyran, obligé pour se maintenir de supprimer toute
personne de mérite, est par conséquent contraint de s’entourer de bons à rien15.
Le motif connaîtra ensuite une grande fortune à Rome16 : ceux que Cicéron
considérait comme des ennemis de l’État et des tyrans en puissance se virent
tous pourvus d’une bande de débauchés et de scélérats17. Pline le Jeune, de la
10.– Dunkle 1967, p. 151-171.
11.– Cic., Phil. IV 14.
12.– Plut., Galb. 19, 4 ; Tac., An. XIV 51, 2-3 ; 52, 1 ; 57, 1 ; XV 34, 2 ; 50, 3 ; Suet., Oth. 2, 3 ; Vit.
4 ; DC., LXI 11, 2 ; LXIII 12, 3.
13.– Tac., An. XIV 51, 2 ; DC., LXII 13, 3. Plutarque fait de Tigellin le précepteur de Néron
en matière de tyrannie (Plut., Galb. 17, 3). Le couple Néron-Tigellin a, comme précédent
célèbre, le couple Tibère-Séjan ; plus tard, l’on trouvera le couple Septime Sévère-Plautianus
(DC., LXXV 15, 1).
14.– Tac., An. XIV 13, 1.
15.– Plat., Rsp. VIII 567c-d ; Xen., Hier. 5.
16.– Voir Gowing 1997, p. 2566.
17.– Cic., Cat. II 4 ; 7-8 ; Phil. VII 18 ; XI 2 ; 10-12. Voir aussi Sall., C. 14, 1-3 ; Plut., Ant. 2, 4-6 ;
9, 7.
142
Laurie Lefebvre
même manière, montre à Trajan que « les princes précédents […] se réjouissaient de voir chez les citoyens du vice plutôt que de la vertu », « priores quidem
principes [...] uitiis potius ciuium, quam uirtutibus laetabantur18 ». Le motif de
l’entourage funeste du tyran sera ensuite adapté par les auteurs chrétiens : Jean
Chrysostome par exemple attribue l’impulsion des premières guerres menées
contre l’Église aux courtisans qui gravitaient autour des princes païens19.
Sous l’Empire, la critique de l’entourage peu recommandable du princeps se
doubla de la condamnation de la présence des affranchis, qui avaient, de fait,
fini par acquérir un pouvoir considérable. Le motif, qui s’explique assurément
par le contexte sénatorial et conservateur dans lequel nos sources virent le jour,
est déjà bien fixé à la fin du Ier siècle de notre ère : le Panégyrique de Trajan
associe clairement mauvais principat et toute-puissance des liberti20. Or c’est
un affranchi, Anicetus, qui se chargea de l’exécution d’Agrippine21 ; c’est un
affranchi que Néron envoya en Bretagne afin d’y examiner la situation22 ; c’est le
fils d’une affranchie, Nymphidius Sabinus, que l’empereur préposa à la tête des
cohortes prétoriennes à la place de Faenius Rufus23 ; c’est à un affranchi, Helius,
qu’il confia Rome lors de sa tournée en Grèce24 ; ce sont des affranchis, Phaon,
Épaphrodite, Sporus (un eunuque, de surcroît), qu’il eut pour seuls compagnons
dans sa fuite25.
Néron ne vaut donc pas mieux que Claude, et contrairement à la promesse
qu’il avait faite au début de son principat de distinguer sa maison et l’État,
« discretam domum et rem publicam26 », sans cesse voit-on les membres
de sa familia interférer dans les affaires de l’Empire, ce qui assurément sert à
démasquer le pessimus princeps en Néron. Flavius Josèphe, écrivant dans sa
Guerre des Juifs que le dernier Julio-claudien confiait le gouvernement aux pires
scélérats, désigne d’ailleurs Tigellin comme un ἐξελεύθερος27, ce qui n’était pas
le cas : l’erreur commise ici démontre le caractère systématique de l’association
entre tyrannie et affranchis.
La mort de Sénèque
Sénèque, Socrate, Caton
Les récits antiques de la conjuration de Pison offraient particulièrement
l’occasion de montrer Néron en train de décimer les rangs de la haute société
romaine. La répression de la conjuration vit en effet tomber, tant chez les
sénateurs et les chevaliers que chez les militaires, un nombre impressionnant de
18.– Plin., Pan. 45, 1.
19.– Chrys., Contr. Jud. Gent. 15.
20.– Plin., Pan. 88, 1. Sur la condamnation du pouvoir des affranchis, voir aussi HA., Hadr. 21, 2 ;
Ver. 9, 3-5 ; 8, 6 et 8 ; Alex. 23, 3.
21.– Tac., An. XIV 7, 5.
22.– Tac., An. XIV 39, 1-2.
23.– Tac., An. XV 72 ; H. I 5 ; Plut., Galb. 9.
24.– DC., LXIII 12, 1-2.
25.– Jos., B. J. IV 493 ; Suet., Ner. 48, 1 ; DC., LXIII 27, 3.
26.– Tac., An. XIII 4, 2. Au sujet de ce passage, voir Pavis d’Escurac 1987, p. 410.
27.– Jos., B. J. IV 492-493.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
143
personnalités importantes28. Tacite va même jusqu’à écrire que « la Ville pendant
ce temps se remplissait de funérailles, le Capitole de victimes », « compleri
interim Vrbs funeribus, Capitolium uictimis29 ». De la même manière, Dion
Cassius écrit que « cela serait une bien grande tâche que de parler de toutes
les victimes » de la répression30 : le recours au procédé de la prétérition a pour
fonction de suggérer l’ampleur du massacre.
C’est en tout cas à l’occasion de la répression de 65 ap. J.-C. que Néron
fit sans nul doute sa plus illustre victime : Sénèque. L’épisode de la mort de
Sénèque, particulièrement travaillé chez Tacite qui y consacre cinq chapitres31,
est un exemple admirable de fermeté et de force d’âme, le suicide du philosophe
ayant été modelé à l’image des préceptes que ce dernier professa durant sa vie et
qui enjoignaient de savoir faire face avec courage aux coups du sort : Sénèque,
une fois annoncé l’ordre de l’empereur lui intimant de mettre fin à ses jours,
s’adresse sans se troubler à ses amis qu’il rappelle à la fermeté ; il s’entaille ensuite
les bras, les jambes et les jarrets et renvoie sa femme Pauline, afin que la vue de
leurs souffrances mutuelles ne leur fasse pas perdre courage ; la mort tardant à
venir, il boit du poison, qui se révèle inefficace, puis enfin entre dans un bain
d’eau chaude et en asperge ceux qui l’entourent en guise de libation à Jupiter
Libérateur, avant de mourir suffoqué par la vapeur (la tradition présente, de la
même manière, Thrasea Paetus faisant avec son sang, au moment de mourir, une
libation similaire32).
La sérénité et la résignation de Sénèque face à la mort ne sont pas sans
évoquer la figure de Socrate, qui discourut sereinement avec ses amis jusqu’au
moment de boire le poison fatal et dont la fin constituait dans l’Antiquité le
paradigme de la mort héroïque du philosophe martyr condamné pour ses
idées et acceptant son sort sans effroi33. Tacite précise d’ailleurs, au moment
où est mentionné le poison que Sénèque ingéra dans le but d’accélérer sa mort,
qu’il s’agissait du breuvage « au moyen duquel les Athéniens faisaient mourir
les hommes condamnés par un jugement public », « uenenum quo damnati
publico Atheniensium iudicio exstinguerentur34 » : l’évocation d’Athènes et de la
coutume de faire périr certains condamnés par le poison est une allusion transparente à la mort de Socrate par ingestion de ciguë.
Cette précision de Tacite quant aux modalités de la mort de Sénèque nous
invite à penser que l’historien a conformé le récit de cet épisode sur celui de la fin
28.– Tac., An. XV 59-71 ; Suet., Ner. 36 ; DC., LXII 24-25. Jérôme, dans sa Chronique, note, pour
l’année 65 ap. J.-C., que « nombre de nobles furent tués à Rome par Néron », « multi nobilium Romae a Nerone interfecti » (Hier., Chron., p. 184c).
29.– Tac., An. XV 71, 1.
30.– DC., LXII 25, 1 : περὶ μὲν οὖν τῶν ἄλλων τῶν ἀπολωλότων πολὺ ἔργον εἰπεῖν.
31.– Tac., An. XV 60-64. Voir aussi, dans l’annexe 1, le tableau 1b.
32.– Tac., An. XVI 35, 1 ; DC., LXII 26, 4. Sur la ressemblance entre les suicides de Sénèque et de
Thrasea, voir Koestermann 1968, p. 301 ; Castro 1972, p. 237-238 ; Cizek 1982, p. 265 ;
Morford 1990, p. 1599 et 1623 ; Devillers 2002, p. 303.
33.– Sur la figure de Socrate dans la littérature latine, voir par exemple Cic., de Or. I, 231 ; Tusc. I
71 ; Sen., Prov. 3, 12 ; Ep. 70, 9.
34.– Tac., An. XV 64, 3. Sur la présence de la figure de Socrate dans le récit tacitéen de la mort
de Sénèque, voir Koestermann 1968, p. 307-308.
144
Laurie Lefebvre
du philosophe grec. Les parallèles entre le récit tacitéen de la mort de Sénèque
et celui que fait Platon de la mort de Socrate à la fin du Phédon sont, de fait,
multiples : Sénèque rappelle à son entourage qu’il faut être ferme face à la mort,
comme Socrate avait reproché à ses amis de manquer de courage ; Sénèque fait
sortir son épouse, comme Socrate avait renvoyé les femmes pour éviter les lamentations déplacées ; Sénèque fait une libation à Jupiter Libérateur, comme Socrate
avait voulu verser un peu de ciguë en libation à quelque dieu et avait finalement
demandé à Criton d’offrir un coq à Asclépios.
Outre la figure de Socrate apparaît, en filigrane, celle de Caton d’Utique qui,
suite à la victoire de César face aux Pompéiens, se perça de son épée afin de ne
pas survivre à la mort de la liberté et dont le suicide était également perçu dans
l’Antiquité comme le paradigme de la mort héroïque35. R. Fabbri a noté, à ce
titre, que l’expression « tot per annos meditata ratio », « la doctrine méditée
pendant tant d’années », que Tacite place dans la bouche de Sénèque semble
faire écho à l’apostrophe que ce dernier attribuait à Caton dans le De prouidentia,
« accomplis, mon âme, l’œuvre longtemps méditée », « aggredere, anime, diu
meditatum opus36 ». E. Cizek ajoute l’influence de la figure de Cicéron, dont la
littérature latine avait fait le symbole du citoyen persécuté37.
Il a été montré par les chercheurs que, de manière générale, les récits de la fin
des grandes victimes de Néron s’inscrivent dans la tradition des exitus uirorum
illustrium, sorte d’oraisons funèbres des victimes de la tyrannie très en vogue
sous les Antonins38. L’on sait notamment que C. Fannius, un ami de Pline le
Jeune, consacra plusieurs livres à l’histoire des victimes de Néron, et qu’un
certain Cn. Octavius Titinius Capito dédia un recueil d’exitus aux victimes de
Domitien39. Tacite, en inscrivant le récit de la mort de Sénèque dans la tradition
qui célébrait la mémoire des « martyrs » de la Philosophie ou de la Liberté,
tels Socrate, Caton, Cicéron ou les victimes des mauvais empereurs, accentue du
même coup le caractère tyrannique et oppressif du principat néronien.
Un meurtre gratuit
Notons pour finir que si la mort de Sénèque eut la répression de la conjuration
de Pison pour prétexte, ce n’est cependant pas, d’après Tacite, parce que Néron
était assuré de la participation du vieux philosophe au complot que ce dernier
fut contraint à se donner la mort40 : Néron le haïssait depuis longtemps et avait
déjà essayé de le tuer par le poison41. Suétone, dans sa mention de la mort de
35.– Voir par exemple Liv., Per. CXIV ; Sen., Prov. 3, 14 ; Plut., Cato mi. 67-70. Cicéron avait écrit
un Éloge de Caton, et Curiatius Maternus lui avait consacré une tragédie.
36.– Tac., An. XV 62, 2 ; Sen., Prov. 2, 10. Voir Fabbri 1978-1979, p. 418-419.
37.– Cizek 1995, p. 182. Sur la mort de Cicéron, voir par exemple Liv., Per. CXX ; Sen. Rhet.,
Suas. VI, 17-22.
38.– Marx 1937-1938, p. 83-103 ; Ronconi 1940, p. 3-32 ; Syme 1958, p. 298 ; Koestermann
1968, p. 142 ; Guttila 1972-1973, p. 153-179 ; Bellardi 1974, p. 129-137 ; Morford
1990, p. 1616 ; Sage 1990, p. 1017.
39.– Cizek 1995, p. 199-200 ; Devillers 2003, p. 44-45.
40.– Tac., An. XV 60, 2. Dion Cassius, dont l’ouvrage est assez défavorable à Sénèque, le présente
pour sa part comme un conjuré (DC., LXII 24, 1).
41.– Tac., An. XV 45, 1. Sur la haine de Néron pour Sénèque, voir Tac., An. XIV 56, 3.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
145
Sénèque, n’en précise d’ailleurs même pas les motifs ; le biographe insiste par
contre fortement sur l’hypocrisie et l’ingratitude de l’empereur, auquel Sénèque
voulait faire don de tous ses biens et qui avait juré à son ancien précepteur que
jamais il ne lui ferait de mal42. La mort de Sénèque apparaît donc comme la
conséquence d’une haine personnelle, non comme un acte politique ; Tacite
explique d’ailleurs que ceux qui cherchaient à perdre Sénèque excitèrent Néron
contre lui en lui disant que le philosophe voulait surpasser le prince par la magnificence de ses villas et qu’il critiquait ses talents d’aurige et de chanteur43.
C’est que, contrairement cette fois au tyran de la philosophie grecque, dont
l’action contre les personnalités éminentes de la cité correspond à un principe de
gouvernement conscient et raisonné, le tyran de la littérature latine s’en prend,
bien souvent, aux citoyens puissants moins par nécessité politique que pour des
motifs futiles44. Le Néron de Suétone en est le parfait exemple :
« Désormais, sans faire aucun choix, ni garder aucune mesure, il fit périr
suivant ses caprices n’importe quelles personnes, sous n’importe quels
prétextes. » (Suet., Ner. 37, 1 ; trad. H. Ailloud)
La persécution des élites est ici clairement placée sous le signe du caprice et
de la gratuité. Et si la plupart des meurtres ordonnés par Néron, comme celui
de Britannicus ou du prétendant potentiel au trône Rubellius Plautus, furent
manifestement motivés par la « raison d’État » et par la nécessité d’étouffer
tout risque de complot, les auteurs antiques se sont cependant employés à ôter
aux crimes de Néron toute justification politique et à priver ainsi l’empereur de
toute forme d’« excuse » : les meurtres sont passés du registre politique à celui
du dérèglement et de la folie.
La mort du consul Atticus Vestinus, ordonnée par Néron, est par exemple
attribuée par Tacite et Suétone au fait que le consul avait épousé Statilia
Messalina, laquelle se trouvait être la maîtresse de Néron ou du moins sur
laquelle Néron avait des vues45 ; si l’ancien préfet du prétoire Rufrius Crispinus
fut banni, ce fut, nous dit l’auteur des Annales, parce qu’il avait le malheur
d’être l’ancien mari de Poppée46 ; c’est parce qu’il s’était baigné dans des bains
construits pour l’empereur que le procurateur d’Égypte passe pour avoir été
exécuté47 ; la mort de Thrasea est, quant à elle, attribuée par Suétone à sa seule
mine renfrognée de pédagogue48.
De la même manière, la condamnation de Cassius Longinus, accusé d’avoir
laissé, sur un ancien tableau généalogique de sa famille, le portrait du Cassius
meurtrier de César, ainsi que celle de Salvidienus Orfitus, poursuivi pour avoir
42.– Suet., Ner. 35, 11. Voir aussi DC., LXII 25, 3.
43.– Tac., An. XIV 52, 2-3.
44.– Voir par exemple Suet., Calig. 27, 5 ; Dom. 10, 2-3.
45.– Tac., An. XV 68, 3 ; Suet., Ner. 35, 2. La version des deux auteurs est un peu différente : selon
Tacite, Néron fit tuer Vestinus parce qu’il avait épousé sa maîtresse Statilia Messalina ;
selon Suétone, Néron fit périr Vestinus pour pouvoir épouser Statilia Messalina.
46.– Tac., An. XV 71, 4.
47.– Suet., Ner. 35, 10 ; DC., LXIII 18, 1.
48.– Suet., Ner. 37, 2.
146
Laurie Lefebvre
loué à des députés certaines pièces de sa maison49, condamnations qui devaient
trouver leur explication dans la nécessité politique de prévenir tout risque de
conjuration et d’interdire la tenue de réunions pouvant passer pour des préparatifs de complots50, perdent, chez Suétone, toute justification : le biographe s’en
sert en effet comme illustration de l’affirmation, citée ci-dessus, de la gratuité
totale des crimes de Néron.
La condamnation de Salvidienus Orfitus et de Cassius Longinus est rapportée
également par Dion Cassius, dans un chapitre clairement placé, là encore, sous
le signe du caprice et de l’extravagance :
« Et qui pourrait s’étonner que de telles accusations (i. e. celles de Thrasea
Paetus et de Barea Soranus) aient été intentées, quand un homme parce qu’il
habitait près du forum et qu’il louait des boutiques ou y recevait des amis, un
autre parce qu’il possédait l’image de Cassius, le meurtrier de César, furent
poursuivis en justice et tués ? » (DC., LXII 27, 1)
L’expression « qui pourrait s’étonner » (« τί ἄν τις θαυμάσειεν ») implique
l’idée que les accusations de Néron avaient un caractère farfelu. Le motif de la
gratuité des meurtres ordonnés par Néron, typique des mauvais empereurs et
particulièrement exploité par Suétone (le projet littéraire du biographe et sa
présentation par rubriques, en amenant celui-ci à effacer le contexte des événements, étaient propices au développement d’un tel motif ), signale la tyrannie.
Le thème du caprice et de la gratuité, qui était venu s’ajouter au motif grec
de la crainte du tyran vis-à-vis des personnalités éminentes de la cité, sera ensuite
repris dans la littérature chrétienne, tout en subissant cependant un infléchissement : alors que, chez les auteurs païens, Néron tue, de manière générale, pour
des motifs certes futiles, mais offrant tout de même aux meurtres une forme de
justification, chez les auteurs chrétiens, Néron tue sans raison du tout, poussé
par sa seule folie et la soif de sang. Eusèbe de Césarée, qui impute à Néron,
de façon hyperbolique, des meurtres par milliers, attribue ainsi ces crimes à la
« μανίας » de l’empereur, et déclare qu’ils étaient commis « sans raison », « οὐ
μετὰ λογισμοῦ51 ». C’est bien évidemment dans les récits chrétiens relatifs à la
persécution que sera particulièrement développé le motif de la cruauté gratuite
du tyran sanguinaire : nous y reviendrons.
L’image de la contagion
L’élite dans l’arène
Les auteurs antiques ont surtout fait du principat néronien une époque de chaos
social : l’élite de Rome, quand elle n’est pas condamnée à mort ou bannie, nous
apparaît complètement souillée par l’empereur, dont les vices semblent s’être
répandus, en une terrible contagion, à travers toute la société romaine.
49.– Suet., Ner. 37, 2.
50.– C’est ce qu’explique d’ailleurs Tacite (Tac., An. XVI 7, 2).
51.– Eus., Hist. eccl. II 25, 2.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
147
Néron est accusé en effet d’avoir entraîné, dans sa débauche, sénateurs et
chevaliers en les forçant à descendre sur scène ou dans l’arène52. Dion Cassius
déplore vivement la participation de membres de l’ordre équestre et sénatorial,
aussi bien hommes que femmes, aux jeux que Néron donna après la mort de sa
mère, jeux au cours desquels l’honneur des grandes gentes romaines fut, d’après
l’historien, véritablement foulé au pied :
« Les hommes d’alors virent les grandes familles, les Furii, les Horatii, les
Fabii, les Porcii, les Valerii, et toutes celles dont les trophées, dont les temples
pouvaient être contemplés, se tenir en dessous d’eux et faire des gestes dont ils
n’auraient pas même regardé certains, s’ils avaient été accomplis par d’autres.
Et ils se les montraient du doigt les uns aux autres : les Macédoniens disaient
“voilà le descendant de Paul-Émile” ; les Grecs, “voilà celui de Mummius” ;
les Siciliens, “voyez Claudius” ; les Épirotes, “voyez Appius” ; les Asiatiques
désignaient Lucius, les Espagnols Publius, les Carthaginois l’Africain, les
Romains les désignaient tous. » (DC., LXI 17, 4-5)
L’énumération de noms de gentes illustres qui participèrent aux jeux souligne
l’ampleur de la corruption, d’autant plus que les spectateurs d’alors sont les
grands vaincus d’autrefois : le public désignant du doigt les nobles Romains qui
se fourvoient, tels de vulgaires histrions, est ainsi composé des descendants des
peuples étrangers qui avaient été vaincus autrefois par les glorieux ancêtres des
Romains qui évoluent désormais sur scène.
Le texte de Dion Cassius convoque en effet les grands noms et les grandes
batailles qui assurèrent à Rome la domination de la Méditerranée53 : la victoire
de Paul-Émile sur les Macédoniens et sur Persée à Pydna en 168 av. J.-C. ; le sac de
Corinthe par Mummius Achaicus en 146 av. J.-C. ; le débarquement de Claudius
Caudex en Sicile en 264 av. J.-C. et la prise de Syracuse par Claudius Marcellus
en 212 av. J.-C. ; la fermeté d’Appius Claudius Caecus face au roi d’Épire Pyrrhus
en 279 av. J.-C. ; les conquêtes de Lucius Cornelius Sylla en Asie au début du
Ier siècle avant notre ère ; le siège de l’espagnole Numance par Publius Scipion
Émilien en 133 av. J.-C. ; la victoire de Scipion l’Africain sur les Carthaginois au
terme de la deuxième guerre punique. La formulation adoptée par l’historien
cherche manifestement à souligner avec force à quel point l’élite romaine s’est,
sous Néron, éloignée des grands standards du passé.
Pire : Dion Cassius précise que certains se produisirent comme histrions
ou comme gladiateurs volontairement, « ἐθελονταὶ54 ». Tacite note, de même,
que les membres des hautes classes s’inscrivirent en foule pour participer aux
52.– Juv., VIII 193 ; Tac., An. XIV 14, 3 ; XV 32 ; DC., LXI 17 et 19. Suétone, en revanche, ne
condamne pas la participation de l’aristocratie romaine aux spectacles donnés par Néron
(Suet., Ner. 11, 2 et 4 ; 12, 3 ; voir aussi Suet., Calig. 18, 5). F. Dupont pense qu’il s’agissait
d’offrir aux aristocrates l’occasion de prouver leur excellence à la façon grecque (Dupont
1985, p. 428).
53.– Pour une liste semblable, voir Vell., II 38-39. Tacite, à l’inverse, se refuse, par respect pour
leurs ancêtres, à nommer les Romains que Néron aurait forcés à se produire sur scène (Tac.,
An. XIV 14, 3).
54.– DC., LXI 17, 3.
148
Laurie Lefebvre
Juvénales, que ni la noblesse ni l’âge ne les empêcha d’avoir des gestes indignes
d’un homme, que même des femmes de haut rang s’abaissèrent à étudier des rôles
indécents55 ; l’historien parle même d’« émulation dans le vice », « certamina
uitiorum », et écrit que « rien, malgré la corruption déjà ancienne des mœurs,
n’offrit plus d’occasions de débauche que cette fange », « nec ulla, moribus
olim corruptis, plus libidinum circumdedit quam illa conluuies56 ». L’emploi de
la tournure comparative fait du principat de Néron, là encore, un sommet en
matière de vices et de corruption.
Les citoyens de Rome, entre lâcheté et vilenie
Les jeux et les spectacles ne sont pas les seules occasions où l’élite de la Rome
néronienne soit présentée, dans la littérature antique, comme agissant de
manière indigne. Tacite s’est en effet ingénié, en de nombreux endroits, à
montrer l’étendue de la corruption touchant les hautes sphères de la société sous
Néron. Nous retiendrons deux exemples : celui de la conjuration de Pison et
celui de la mort de Sénèque.
L’épisode de la conjuration de Pison, on l’a vu, fonctionne comme une
martyrologie célébrant les victimes du tyran : mais il constitue aussi et surtout
une martyrologie ratée57. Seul le consul désigné Lateranus est dit mû par l’amour
du bien public : la plupart des autres conjurés voulaient bien plutôt venger des
affronts personnels, tel Lucain, dont Néron cherchait par jalousie à étouffer la
renommée poétique, ou Afranius Quintianus, diffamé par Néron dans des vers
satiriques58. Les actes des conjurés ne sont pas plus glorieux que leurs intentions :
les complices s’éternisent en entretiens et en paroles, ils temporisent59, et c’est à
une affranchie, Épicharis, que le mouvement doit d’avoir été accéléré60.
L’attitude des conjurés au moment de la répression, enfin, ne fut pas plus
noble que celle qu’ils avaient eue pendant la mise au point de leur projet : la
dénonciation par Lucain de sa propre mère, pourtant innocente, dans l’espoir
d’obtenir la grâce du matricide Néron, est sévèrement condamnée tant par Tacite
que par Suétone61. Tacite condamne également l’attitude du tribun Silvanus, qui
se rendit chez Sénèque lui notifier sa condamnation alors qu’il faisait lui-même
partie des conjurés62, ainsi que celle de Faenius Rufus, qui, à la fois enquêteur
et membre du complot, tortura ses propres complices63. Tacite, finalement,
s’étonne qu’Épicharis, une femme et une affranchie de surcroît, ait, pendant les
interrogatoires, montré une force d’âme que ne surent pas avoir des hommes de
haute naissance64.
55.– Tac., An. XIV 15, 1-2.
56.– Tac., An. XIV 15, 3. Voir aussi Tac., H. I 13, 3 (« aemulatione luxus », au sujet d’Othon et
de Néron).
57.– Sur la faillite de la conjuration de Pison, voir Woodman 1998, p. 190-217.
58.– Tac., An. XV 49, 3-4.
59.– Tac., An. XV 50, 1 et 4 : 51, 1.
60.– Tac., An. XV 51.
61.– Tac., An. XV 56, 4 ; Suet., Vit. Luc.
62.– Tac., An. XV 61, 4.
63.– Tac., An. XV 58, 3 ; 66, 1.
64.– Tac., An. XV 57, 2.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
149
L’épisode tacitéen de la mort de Sénèque illustre lui aussi la décadence de
Rome. Nous avons vu que Tacite convoque, dans son récit du suicide de Sénèque,
le modèle de la fin de Socrate, et que les passages consacrés par Platon et Tacite
à la mort des deux philosophes présentent de nombreuses similitudes. Les différences entre les deux figures sont cependant si nombreuses que le récit tacitéen
semble se donner à lire comme l’antithèse même de son équivalent grec65.
Alors que l’on voit Socrate mourir dans une totale sérénité et ne faire paraître
à aucun moment le moindre signe de faiblesse, Sénèque est en effet accablé de
cruelles tortures, « saeuisque cruciatibus defessus », et renvoie sa femme parce
qu’il craint, entre autres, de se montrer lâche s’il voit les souffrances qu’elle
endure ; alors que Socrate passe ses derniers instants à discuter avec ses disciples
et à pratiquer avec eux un échange intellectuel, Sénèque dicte sa pensée à des
secrétaires ; la ciguë, surtout, n’a aucun effet sur le philosophe romain, dont
la coupure des veines n’avait déjà pas fonctionné et qui se voit contraint de
choisir comme mode de suicide, en lieu et place de la mort à la façon de Socrate
(l’empoisonnement) et du suicide à la manière stoïcienne (l’incision des veines),
l’étouffement dans la vapeur.
Non seulement les sénateurs et les chevaliers, mais aussi les soldats semblent
atteints par la corruption qui souffle à Rome sous Néron : les Histoires de
Tacite s’ouvrent ainsi sur l’assertion que la sévérité de Galba alarmait les
esprits « dégoûtés de l’ancienne discipline et qui avaient été habitués pendant
quatorze ans par Néron à aimer les vices des princes autant qu’ils révéraient
autrefois leurs vertus66 ».
Les vices de Néron paraissent en fait agir comme une véritable épidémie.
Comme l’a montré A. Malissard67, la progression de la description tacitéenne
du banquet de Tigellin au livre XV des Annales, laquelle se focalise d’abord sur le
radeau de Néron, s’étend ensuite aux bateaux qui le remorquent et aux débauchés
y faisant office de rameurs, pour s’arrêter sur les lupanars recouvrant les berges
de l’étang et sur les désordres abrités par le bois voisin et les maisons d’alentour,
suggère l’idée de propagation du mal. C’est que, pour citer M. ColtelloniTrannoy, dans l’Antiquité le mauvais empereur « insuffl[e] à l’Empire les
germes de folie qui [sont] en lui68 » : Néron, n’échappant pas à la règle, souille
d’une manière ou d’une autre ceux qui l’approchent. Les motifs de l’élimination
des élites politiques et intellectuelles de Rome, de la toute-puissance des bons à
rien et des affranchis, de l’avilissement contraint puis volontaire des membres
des hautes classes, de l’indocilité de l’armée, thèmes chers à Tacite mais aussi
65.– Comparer en particulier Plat., Phaed. 117a-118a et Tac., An. XV 63, 3 et 64, 3. Sur la
condamnation du personnage de Sénèque chez Tacite, voir Alexander 1953, p. 474-495 ;
Henry, Walker 1963, p. 98-110 ; Dyson 1970, p. 71-83. Les doutes des chercheurs quant
au caractère élogieux du portrait tacitéen de Sénèque (et de Thrasea également) sont liés à
un passage de la Vie d’Agricola, où l’historien oppose l’attitude de son beau-père à ceux qui,
sous les mauvais princes, ont cherché la gloire dans une mort tapageuse et sans avantage
pour l’État (Agr. 42, 6).
66.– Tac., H. I 5.
67.– Malissard 2002, p. 189-190, au sujet de Tac., An. XV 37, 2-3.
68.– Coltelloni-Trannoy 2006, p. 324.
150
Laurie Lefebvre
à Suétone ou à Dion Cassius et qui s’inscrivent dans une longue tradition,
suggèrent, par leur concentration, la gravité de l’aliénation romaine sous Néron.
Du point de vue chrétien : Néron le persécuteur
Incertitudes modernes
Au Néron assassin des élites romaines répond, dans la littérature chrétienne,
celui qui aurait été l’instigateur de la première persécution des fidèles du Christ.
Si nous employons le conditionnel, c’est que la définition exacte de l’entreprise
menée par Néron contre les Chrétiens, ses motifs, ses modalités, son application,
a été et est encore débattue par la recherche moderne.
Son déclenchement, tout d’abord. D’après Tacite, c’est à l’occasion de
l’incendie qui ravagea Rome en 64 de notre ère que Néron, accusé par des
rumeurs persistantes d’être à l’origine du désastre et soucieux de trouver des
boucs émissaires, s’en prit aux malheureux Chrétiens69 :
« En conséquence, pour étouffer la rumeur, Néron produisit comme inculpés
et livra aux tourments les plus raffinés des gens, détestés pour leurs turpitudes, que la foule appelait “chrétiens”. Ce nom leur vient de Christ, que, sous
le principat de Tibère, le procurateur Ponce Pilate avait livré au supplice ;
réprimée sur le moment, cette exécrable superstition faisait de nouveau
irruption, non seulement en Judée, berceau du mal, mais encore à Rome, où
tout ce qu’il y a d’affreux ou de honteux dans le monde converge et se répand.
On commença donc par poursuivre ceux qui avouaient, puis, sur leur dénonciation, une multitude immense, et ils furent reconnus coupables, moins du
crime d’incendie qu’en raison de leur haine pour le genre humain. À leur
exécution on ajouta des dérisions, en les couvrant de peaux de bêtes pour
qu’ils périssent sous la morsure des chiens, ou en les attachant à des croix, pour
que, après la chute du jour, utilisés comme des torches nocturnes, ils fussent
consumés. Néron avait offert ses jardins pour ce spectacle, et il donnait des
jeux de cirque, se mêlant à la plèbe en costume d’aurige, ou debout sur un char.
Aussi, bien que ces hommes fussent coupables et eussent mérité les dernières
rigueurs, soulevaient-ils la compassion, à la pensée que ce n’était pas dans
l’intérêt général, mais à la cruauté d’un seul qu’ils étaient sacrifiés. » (Tac.,
An. XV 44, 2-5 ; trad. P. Wuilleumier)
Mais ce que nous lisons là est-il bien le texte de Tacite ? Ce passage pose en
effet de nombreux problèmes d’établissement et de traduction70. Tacite, surtout,
est le seul, avec Sulpice Sévère – qui présente un texte quasiment identique71
69.– Sur les raisons possibles du choix des Chrétiens comme boucs émissaires, voir Gray-Fow
1998, p. 595-616.
70.– Pour une synthèse des problèmes posés par le texte de Tacite, voir Segura Ramos 2002,
p. 445-451.
71.– Sulp. Sev., Chron. II 29, 1 : « il détourna donc la haine sur les Chrétiens, et des tortures
d’une extrême cruauté furent infligées à des innocents. Pire encore, on imagina des morts
inédites : des hommes recouverts de peaux de bêtes périrent déchirés par des chiens ; beaucoup furent fixés à des croix ou brûlés dans le feu ; à un grand nombre fut réservé ce traitement : à la chute du jour, ils étaient brûlés pour servir d’éclairage nocturne » (trad. G. de
Senneville-Grave).
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
151
– et l’auteur inconnu de la correspondance apocryphe de Sénèque et de Paul72,
à faire de la condamnation des Chrétiens la conséquence de l’incendie de 64
ap. J.-C. ; Tacite est également le seul à prétendre que Néron fit condamner les
Chrétiens pour faire taire les rumeurs quant à sa culpabilité73. Suétone, qui est,
exception faite de Tacite, le seul auteur païen à évoquer à la fois l’incendie et la
persécution, les mentionne dans des chapitres différents et n’établit aucun lien
entre eux74 ; mais cela n’est sans doute que la conséquence de la composition par
species adoptée par le biographe. Ce qui est plus troublant, c’est qu’aucun texte
chrétien relatant la persécution, en dehors des extraits de Sulpice Sévère et de la
Correspondance de Sénèque et de Paul, n’établit de lien avec l’incendie.
Cela (ajouté à d’autres éléments problématiques) a amené certains
chercheurs à considérer le passage de Tacite comme apocryphe : il s’agirait d’un
ajout tardif, inspiré de la Chronique de Sulpice Sévère75. Cette hypothèse est
séduisante ; mais il est cependant difficile de trancher. L’absence de lien entre
la persécution et l’incendie chez les auteurs chrétiens pourrait tout simplement
s’expliquer par la volonté desdits auteurs d’attribuer l’action de Néron à la seule
bestialité de ce dernier, et non à une circonstance particulière76. L’existence du
texte de Sulpice Sévère et de la lettre de la Correspondance (laquelle présente des
détails absents des Annales, comme le nombre de maisons incendiées) prouve
par ailleurs la diffusion, à un moment donné, d’une croyance selon laquelle
la persécution aurait été la conséquence directe de l’incendie, même si cette
tradition ne remonte pas à Tacite.
Outre le problème du lien entre l’incendie et la persécution, une autre
question s’est posée, suscitant de vives controverses parmi les chercheurs : la
détermination des bases juridiques sur lesquelles s’appuya l’action néronienne77.
En d’autres termes, s’est-il agi d’une persécution au sens propre ?
72.– Ps. Sen., Ep. Paul. 11 : « On sait très bien quelle est l’origine des incendies qui ravagent
fréquemment la ville de Rome. Mais si de simples mortels avaient pu dire quelle en est la
cause et s’il était permis de parler impunément dans ces ténèbres, alors tout serait clair
aux yeux de tous. Chrétiens et Juifs sont sans cesse conduits au supplice – hélas ! – comme
coupables d’incendie. Ce bandit, quel qu’il soit, dont le plaisir est d’être un bourreau et qui
se cache dans le mensonge, est réservé pour le temps qui lui a été fixé […]. Cent trente deux
maisons, quatre mille immeubles brûlèrent pendant six jours ; le septième, le feu s’arrêta.
Porte-toi bien, mon frère. Lettre donnée le 28 mars, sous le consulat de Frugi et Bassus. »
73.– Sordi 1999, p. 107-108.
74.– Suet., Ner. 16, 3 ; 38.
75.– Hochart 1884 est l’un des premiers à avoir émis des doutes quant à l’authenticité du
texte de Tacite. Contra, voir notamment Beaujeu 1960. C. Saumagne a avancé une autre
hypothèse : le passage tacitéen relatif aux Chrétiens serait bien de la main de l’historien
latin, mais aurait à l’origine figuré dans le livre VI des Histoires, avant d’être déplacé dans
le livre XV des Annales au IIIe ou au IVe siècle, époque à laquelle l’on aurait commencé à
établir un lien entre l’incendie de Rome et la persécution ; le texte originel des Annales
aurait seulement comporté le récit de la résolution de Néron de produire des accusés ainsi
que la description des arrestations et des supplices des coupables trouvés pour l’occasion,
sans qu’il fût question de Chrétiens (Saumagne 1962 et 1964).
76.– Clayton 1947, p. 82.
77.– Voir surtout Ronconi 1956, p. 615-628 ; Beaujeu 1960, p. 72-77 et 297-304 ; Saumagne
1962, p. 344-358 ; Sainte Croix 1963 et 1964 ; Barnes 1968, p. 32-50 ; Yavetz 1975,
p. 182 et 195 ; Sordi 1999, p. 109-112 ; Segura Ramos 2002, p. 456-459.
152
Laurie Lefebvre
Certains savants ont par exemple considéré qu’il existait déjà, sous Néron,
une loi (qui aurait été édictée sous ce dernier ou sous Tibère) autorisant à
punir les Chrétiens pour leur foi seule. Cette théorie s’appuie notamment sur
Tertullien qui, dans le Ad nationes, évoque un « institutum neronianum78 »,
ce qui laisserait à penser que l’on promulgua véritablement sous Néron un édit
général dirigé spécifiquement contre les Chrétiens et les condamnant pour le
nomen ipsum. Les mesures prises sous Néron contre les Chrétiens relèveraient
alors d’une véritable persécution, c’est-à-dire d’une entreprise de répression
arbitraire et systématique d’un groupe religieux.
Les chercheurs, cependant, s’accordent aujourd’hui pour traduire
l’expression de Tertullien non par « décret de Néron » mais par « usage nouveau
introduit par Néron » et nient l’existence d’une telle loi avant la promulgation
de l’édit de Dèce au milieu du IIIe siècle de notre ère79 : les mesures de Néron
ne constituèrent pas une véritable persécution, mais une action limitée contre
des hommes, non condamnés pour le nomen ipsum, mais convaincus d’un crime
particulier et conjoncturel. Les Chrétiens auraient ainsi été poursuivis en vertu
de lois préexistantes et accusés de crimes tombant sous le coup de la lex Iulia de
maiestate, sans qu’un véritable délit de christianisme soit alors défini80.
Conviction antique
Mais si les savants modernes se montrent prudents voire sceptiques dès lors
qu’il s’agit de définir exactement l’entreprise néronienne, c’est en revanche
et unanimement comme une persécution au sens propre, s’étant abattue
sur des hommes poursuivis pour le seul fait d’être christiani, que les auteurs
chrétiens des premiers siècles de notre ère ont pour leur part systématiquement
présenté l’affaire.
Tertullien, résumant dans son traité Ad nationes la naissance et le développement de la secte chrétienne, écrit en effet : « Le nom chrétien est né sous le
principat d’Auguste, sa doctrine a commencé à briller sous Tibère, sa condamnation a pris des forces sous Néron81 ». Le caractère ramassé de l’expression de
Tertullien, en rapprochant les termes « nom » (« nomen ») et « condamnation » (« damnatio »), a pour effet de faire apparaître le grief à l’origine de
la condamnation des Chrétiens sous Néron comme le seul nom de christianus.
De la même manière, dans l’Apologétique, Tertullien ne précise pas l’origine
des mesures néroniennes : « Néron fut le premier à sévir (ferocisse) avec le
glaive des Césars contre notre secte, au moment précisément où elle se levait à
Rome82 ». Les mesures apparaissent ici comme le résultat non d’une accusation
conjoncturelle, mais de la seule cruauté de Néron, qui, par l’emploi du verbe
« ferocisse », est assimilé à une bête fauve. Cette impression est confirmée
quelques chapitres plus loin, où l’on peut lire qu’après la montée du Christ au
78.– Tert., Nat. I 7, 9. Plus tard, au début du Ve siècle, Prudence parlera de « legibus Neronis »
(Prud., Perist. XII 11).
79.– Sordi 1999, p. 110-111 ; Carrié, Rousselle 1999, p. 114.
80.– Sur cette question, voir notamment Lepelley 1969.
81.– Tert., Nat. I 7, 8.
82.– Tert., Apol. V 3.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
153
ciel, ses disciples « finalement semèrent à Rome avec joie le sang chrétien, à
cause de la cruauté de Néron », « libenter Romae postremo per Neronis saeuitiam
sanguinem Christianum seminauerunt83 ». Là encore, la persécution apparaît
comme due uniquement à la saeuitia du prince.
Un peu plus d’un siècle plus tard, Lactance, dans son De mortibus persecutorum, reprend la thèse de Tertullien : les mesures de Néron visaient tout
bonnement à éradiquer la secte chrétienne. Le martyre de Pierre, crucifié, et de
Paul, décapité, apparaît en effet comme dû à un tyran qui cherchait « à renverser
le temple céleste et détruire la foi des justes », « ad excidendum caeleste templum
delendamque iustitiam », furieux de voir qu’une foule immense, convaincue
par Pierre, se convertissait chaque jour au christianisme84. De la même manière,
Jean Chrysostome et Sulpice Sévère mettent en relation la condamnation des
Chrétiens par Néron et le succès de la prédication de Pierre et de Paul85.
Chez Eusèbe de Césarée, Néron est qualifié de « πρῶτος αὐτοκρατόρων τῆς
εἰς τὸ θεῖον εὐσεβείας πολέμιος86 », « le premier des empereurs à être l’ennemi
de la piété envers Dieu », expression qui fait apparaître la persécution, à
nouveau, comme motivée par la haine de la religion chrétienne en tant que telle.
La mention de la persécution, qui plus est, intervient après une évocation de
la méchanceté et de la cruauté de Néron, dont Eusèbe rappelle qu’il a tué les
membres de sa propre famille87. Un tel agencement des faits tend à montrer
qu’Eusèbe attribuait les attaques de Néron contre la secte chrétienne à la sauvagerie et à la férocité innées de l’empereur.
Hilaire de Poitiers, quant à lui, déclare qu’il aurait voulu vivre à l’époque
de Néron ou de Dèce, car alors il aurait pu subir le martyre, que les circonstances lui refusent88 : autrement dit, ce qui eut lieu sous Néron est perçu par
Hilaire comme similaire à ce qui eut lieu sous Dèce, en l’occurrence comme une
persécution au sens propre, qu’Hilaire met en relation, lui aussi, avec la cruauté
de Néron89.
La présentation de la persécution par Orose, enfin, calque celle d’Eusèbe :
comme dans l’Histoire ecclésiastique en effet, la persécution est, dans l’Historia
aduersus paganos, introduite par le rappel des parricides commis par Néron90,
ce qui fait apparaître la persécution comme motivée par la férocité impériale91.
83.– Tert., Apol. XXI 25. Voir aussi Tert., Scorp. XV 3 : « Nous avons lu les vies des Césars : le
premier Néron ensanglanta à Rome la foi naissante ».
84.– Lact., Mort. 2, 5-6.
85.– Chrys., Prof. evang. 4 ; Sulp. Sev., Chron. II 28, 2. Sulpice Sévère, en outre, présente à son tour
l’action de Néron comme une tentative d’éradication totale de la secte chrétienne : « cet
homme fut le premier qui entreprit de supprimer le nom chrétien » (Sulp. Sev., Chron. II 28,
1 ; trad. G. de Senneville-Grave).
86.– Eus., Hist. eccl. II 25, 3.
87.– Eus., Hist. eccl. II 25, 2.
88.– Hil., C. Const. 4.
89.– Hil., C. Const. 8 : « nous sommes davantage redevables à votre cruauté, Néron, Dèce,
Galère ».
90.– Oros., Hist. VII 7, 9.
91.– Contrairement à cette vulgate, Clément de Rome présente la « persécution » néronienne
comme la conséquence non de la sauvagerie de Néron (qui n’est d’ailleurs même pas nommé
154
Laurie Lefebvre
Une étape supplémentaire est cependant franchie par Orose, qui amplifie le
motif de la persécution des Chrétiens en en faisant un événement à portée
internationale intéressant toutes les provinces :
« Le premier, il fit subir aux Chrétiens les supplices et la mort et ordonna de les
torturer par une persécution égale à travers toutes les provinces, et, s’efforçant
d’extirper leur nom même, il fit périr les très saints apôtres du Christ, Pierre
par la croix, Paul par l’épée. » (Oros., Hist. VII 7, 10)
L’exagération d’Orose quant à la portée de la persécution n’est que la
conséquence logique de la présentation des faits qu’avaient adoptée ses prédécesseurs : le caractère universel qu’Orose prête à la persécution de Néron est
parfaitement cohérent avec la croyance selon laquelle l’empereur avait cherché
à faire disparaître non quelques Chrétiens accusés d’un crime particulier, mais
leur nom même.
Le martyre de Pierre et de Paul
Pour les Chrétiens des premiers siècles, c’est donc bien pour le nomen ipsum et
leur foi seule que Néron s’acharna à poursuivre leur secte. La qualité de persecutor attribuée au dernier Julio-claudien (et même, nous l’avons vu dans le
premier chapitre de l’étude, de primus persecutor) est, sans nul doute, ce qui a
le plus contribué à la fortune de la légende néronienne ; un rapide examen de la
place qu’occupe la figure de Néron au sein de la Chronique de Sulpice Sévère est
tout à fait significatif à cet égard.
Sulpice Sévère, qui choisit de ne retenir de l’histoire que ce qui intéresse la
religion judéo-chrétienne, passe en effet directement de la naissance de Jésus
(Chron. II 27) au portrait de Néron et au récit de sa persécution (Chron. II
28-29) ; il tait les noms d’Auguste et de Tibère, sous lesquels se situent pourtant
la naissance et la crucifixion du Christ ; il tait aussi les « démêlés » de Caligula
avec les Juifs. Cela fait de Néron le premier prince romain à être nommé dans la
Chronique ; la place que l’historien accorde à cet empereur (deux chapitres) est
en outre particulièrement importante, si l’on considère que la Chronique, qui
ne comprend que deux livres, est extrêmement condensée. Dans la réécriture de
l’histoire opérée par les Chrétiens, Néron occupe ainsi une place de choix, qui
lui restera à jamais assurée par la victoire du christianisme en Occident.
La « célébrité » de Néron s’explique surtout par le fait que c’est sous son
règne que les auteurs chrétiens situaient la crucifixion de Pierre et la décapitation
de Paul. Notre premier témoignage sur les martyres de Pierre et de Paul remonte
à l’Épître aux Corinthiens, que Clément de Rome rédigea dans les dernières
années du Ier siècle92. Le développement de la littérature hagiographique relative
aux deux martyrs et la célébration de leur mort, tant par les Pères de l’Église que
dans l’Épître), mais de la jalousie et de la discorde, ce qui semble désigner des dissensions
internes (Clem., Cor. 5). Sur cette question, voir Clément de Rome, Épître aux Corinthiens,
éd. Jaubert, p. 30, n. 5.
92.– Clem., Cor. 5, 4-7 ; le martyre de Pierre est cependant déjà prophétisé dans Jn 21, 18-19.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
155
dans les Actes apocryphes, ont ensuite entraîné, en parallèle, la multiplication des
mentions du nom de Néron93.
Des développements divers sont même venus alimenter la « légende » de
Pierre et de Paul : Néron aurait fait mettre Paul à mort parce qu’il avait converti
au christianisme un de ses échansons et une de ses concubines94 ; les adversaires
de Paul, pour perdre ce dernier, alors en prison, auraient prêché la parole de Dieu
et fait augmenter ainsi le nombre de disciples du Christ, dans l’espoir d’exciter
davantage la haine de Néron contre Paul et de pousser le tyran à le traiter avec
plus de cruauté95 ; Néron aurait reproché à Agrippa d’avoir mis à mort Pierre
alors qu’il n’avait donné l’ordre que de l’arrêter afin de pouvoir lui infliger
des supplices variés96 ; Néron en voulait à Pierre et à Paul de s’être mesurés au
magicien Simon, que l’empereur aimait particulièrement97.
Condamnation du tyran et martyrologie vont toujours de paire98 : le motif
des exécutions en série est un passage obligé de la littérature relative aux mauvais
princes, et le monstre Néron ne peut à ce titre s’élever que sur des cadavres, que
l’on se situe en contexte païen ou chrétien. Ce qui ne signifie pas pour autant
qu’il s’agisse chaque fois d’un motif inventé (il n’est pas question de nier la
réalité de la mort des victimes de Néron) : ce que nous voulons suggérer ici, c’est
qu’un tel motif fut, dans les textes antiques relatifs au dernier Julio-claudien,
convoqué souvent moins par souci de décrire une réalité précise qu’en tant que
moyen de le signaler comme tyran.
L’incendie de Rome
Le Néron de la littérature antique ne se contenta pas de chercher à corrompre
la cité et à en éliminer les membres les plus éminents : on le voit aussi, et c’est
là l’un des éléments les plus célèbres du mythe, souhaiter ardemment et au sens
propre la ruine de la ville de Rome. Nous avons vu à ce titre que Suétone, Dion
Cassius et Aurelius Victor racontent que le dernier Julio-claudien conçut, à la
veille de sa chute, le projet de détruire Rome en l’incendiant99 : la coïncidence
entre la fin du tyran et le paroxysme de sa cruauté est un topos fréquent100. Dans
l’Octavie, de même, l’on voit Néron émettre le souhait d’anéantir Rome dans un
incendie, afin de punir le peuple, à son goût un peu trop favorable à Octavie101.
Que les auteurs antiques aient prêté de tels projets à Néron n’a rien de
surprenant : les ennemis de Rome, de Sylla aux adversaires de Cicéron, ont tous
93.– Voir, dans l’annexe 1, le tableau 1c. Pour les Actes apocryphes, voir par exemple les Actes de
Paul XIV ; les Actes de Pierre 1 et 37-38 ; les Actes de Tite 6.
94.– Chrys., Oppug. monas. vit, I 3. ; Hom. 2 ep. Tim. III 1 ; Hom. 2 ep. Tim. X 2 ; Hom. Act. Apost.
XLVI 3.
95.– Chrys., Hom. Paul. IV ; Prof. evang. 9 ; Hom. ep. Phil. II 3.
96.– Actes de Pierre 41 ; Passion de Pierre 17.
97.– Passion de Pierre 17 ; Sulp. Sev., Chron. II 28, 2.
98.– Voir notamment Philstr., V. Ap. VII 1-4, où la tyrannie est définie comme l’épreuve la plus
décisive des philosophes.
99.– Suet., Ner. 43, 1 ; Aur.-Vict., 5, 14 ; DC., LXIII 27, 2.
100.– Voir par exemple Suet., Calig. 49, 4.
101.– Ps. Sen., Oct. 831.
156
Laurie Lefebvre
été présentés comme des incendiaires ayant tenté de détruire une partie voire
la totalité de la ville de Rome102. Le motif du prince destructeur de sa cité est
ainsi un véritable topos, et l’on prêtera d’ailleurs aussi à Commode le projet de
mettre le feu à l’Vrbs103. Les auteurs antiques ont cependant fait franchir à Néron
une étape supplémentaire puisque, bien loin de se contenter de lui prêter un tel
projet criminel, ils l’ont représenté en train de passer l’acte.
L’incendie qui ravagea Rome en 64 de notre ère fait ainsi partie des épisodes
qui occupent une place centrale au sein de la légende de Néron : il est, de fait, l’un
des éléments les plus récurrents des récits consacrés dans l’Antiquité au dernier
Julio-claudien104. Comme le montre la situation de cet épisode au chapitre 38
de la Vita Neronis de Suétone, c’est-à-dire au terme de la section consacrée aux
meurtres de Néron (et même, de manière plus générale, au terme du catalogue
de tous les forfaits et travers impériaux, exposés depuis le chapitre 20) et au
seuil du récit de sa chute, l’incendie constitue, surtout, un faîte possible des
crimes néroniens105.
Néron, principe de destruction
La question de la culpabilité de Néron
Dans la recherche des causes de l’incendie de 64 de notre ère, les chercheurs
déclarent aujourd’hui, majoritairement, Néron innocent106, et rappellent à ce
propos la fréquence des incendies à Rome dans l’Antiquité107. En revanche,
les auteurs antiques souscrivent tous sans hésiter – exception faite de Tacite
qui avance deux hypothèses, l’accident ou l’attentat du prince, « forte an dolo
principis108 », et de Sulpice Sévère, qui parle de « rumeur », « opinio109 » –
à la thèse de la culpabilité de l’empereur110. La responsabilité de Néron dans
l’incendie de 64 est ainsi certifiée par Suétone, Dion Cassius, Eutrope et
Jérôme111. Dion Cassius et Suétone précisent en outre, pour corroborer la thèse
du crime, que certains personnages furent envoyés par Néron pour allumer et
propager l’incendie112.
102.– Pour Sylla, voir Plut., Syll. 9, 12-13 ; pour Catilina, voir par exemple Sall., C. 43, 2 ; 52, 36 ;
Juv., VIII 232-233. Sur la présence du thème de l’incendie dans les invectives de Cicéron,
voir Achard 1981, p. 348-351.
103.– HA., Comm. 15.
104.– Pour les références, voir, dans l’annexe 1, le tableau 1d.
105.– Cizek 1961, p. 358 ; Cizek 1977, p. 126.
106.– Pour une bibliographie sur le sujet, voir Sablayrolles 1996, p. 788-793.
107.– Nous possédons ainsi de nombreux témoignages sur des incendies antérieurs au désastre
de 64 ap. J.C. : Oros., Hist. VI 14, 5 ; VII 2, 11 ; 39, 15 (incendie de 54 av. J.-C.) ; Tac., An. IV
64, 1 (27 ap. J.-C.) ; VI 45, 1 (36 ap. J.-C.) ; DC., LX 33, 12 (principat de Claude).
108.– Tac., An. XV 38, 1. La thèse de la responsabilité de Néron dans le désastre est, à deux
reprises, présentée par l’historien comme une simple rumeur : Tac., An. XV 40, 2 (« infamiae ») ; 44, 2 (« infamia » ; « crederetur »). Sur la circulation de bruits infamants, voir
aussi DC., LXII 18, 3.
109.– Sulp. Sev., Chron. II 29, 1.
110.– Voir Sordi 1999, p. 105, dont nous complétons ici l’analyse.
111.– Suet., Ner. 38, 3 ; DC., LXII 16, 2 ; Eutr., VII 14, 3 ; Hier., Chron., p. 183g. Suétone ajoute un
« tam palam » qui montre Néron ne se cachant même pas de son noir dessein.
112.– Suet., Ner. 38, 3 ; DC., LXII 16, 2.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
157
Les tournures que l’on trouve chez Pline l’Ancien et Stace, pour être moins
explicites, n’en désignent pas moins indubitablement Néron comme le coupable
dans cette affaire. Pline, parlant des micocouliers qui se trouvaient à Rome sur la
propriété du censeur L. Crassus, écrit ceci :
« [...] et ils durèrent – puisque nous avons aussi parlé de la longévité des
arbres – jusqu’à l’incendie de l’empereur Néron et seraient restés, grâce aux
soins, verts et jeunes, si cet empereur n’avait pas accéléré même la mort des
arbres. » (Plin., N. H. XVII 5)
L’équation est simple : Néron, comme l’affirme ici Pline, est responsable de la
mort des arbres ; or les arbres ont péri dans un incendie ; donc Néron est responsable de l’incendie en question, dans lequel il faut voir, sans doute possible,
celui de 64 de notre ère. On notera aussi qu’au moment de désigner l’incendie,
Pline, plutôt que de le contextualiser par l’emploi d’un complément circonstanciel de temps du type « Neronianis temporibus », a opté pour un « jusqu’à
l’incendie de l’empereur Néron », « Neronis principis incendia », expression
dont la concision, en faisant de l’empereur le complément du nom « incendie »,
suggère clairement que Pline attribuait la responsabilité du désastre au princeps.
Une tournure analogue au « Neronis principis incendia » de Pline apparaît
chez Stace. Dans le septième poème du livre II des Silves, Stace, imaginant
Calliope en train de prophétiser la composition des œuvres de Lucain – dont,
comme l’a montré H.J. Van Dam, le De incendio Vrbis113 – double l’allusion à ce
poème d’un clin d’œil à l’incendie de 64 ap. J.-C. et écrit : « Tu diras les flammes
sacrilèges du tyran coupable se répandant à travers les collines de Rémus114 ». Si
Néron n’est pas nommé ici, l’on comprend néanmoins que c’est lui qui se cache
derrière le « tyran coupable », « domini nocentis115 ». De même donc que Pline,
Stace fait de Néron le complément d’un nom désignant l’incendie, en l’occurrence ici « ignes », formulation qui tend à présenter le tyran comme l’auteur du
feu en question116.
L’attribution à Néron de la responsabilité du désastre fait également l’unanimité côté chrétien. Elle ne fait en l’occurrence pas de doute chez Augustin117,
pas plus que dans la lettre apocryphe où Sénèque, s’adressant à Paul, traite de
113.– Van Dam 1984, p. 480-481.
114.– Stat., S. II 7, 60-61.
115.– L’empereur est en effet cité nommément par Stace trois vers plus haut. Le qualificatif
« nocentis » est en outre celui utilisé par le poète, au vers 117, pour désigner ceux, dont
Néron, qui hantent le Tartare.
116.– L’adjectif « nocentis », s’il peut constituer une référence à la responsabilité de Néron dans
la mort de Lucain, déplorée aux vers 100-104, ou dans le meurtre d’Agrippine dont il sera
question plus loin (Stat., S. II 7, 118-119), constitue en outre probablement aussi une mise
en accusation du dominus Néron dans l’affaire de l’incendie. Il est possible que le poème
De incendio Vrbis consistât déjà en une mise en accusation de Néron et que Stace n’ait fait
que paraphraser Lucain (Champlin 2003, p. 320, n. 17).
117.– Aug., Serm. 296, 6 : « ordre a été donné par Néron, l’empereur de Rome même, l’esclave
des idoles, le bourreau des apôtres, ordre a été donné, et Rome fut incendiée. »
158
Laurie Lefebvre
l’incendie ; l’empereur y apparaît même comme un récidiviste118. La position
d’Orose peut sembler plus ambiguë :
« Enfin, il fit de l’incendie de Rome un spectacle pour son plaisir : pendant
six jours et sept nuits la cité en flammes émut les regards du roi. » (Oros., Hist.
VII 7, 4 ; trad. M.-P. Arnaud-Lindet)
Comme on le voit, Orose ne désigne explicitement aucun coupable. Il
convient cependant là de se souvenir que l’incendie sert ici d’illustration à la
démesure de Néron119 : or on comprendrait mal ce qu’il y aurait de « démesuré »,
de la part de l’empereur, dans le fait de profiter d’un incendie dont il ne serait
pas responsable pour jouir du spectacle des flammes : cela relèverait plutôt d’une
forme de folie et de cruauté.
La démesure de l’acte de Néron s’éclaire par contre totalement si l’on
comprend que le prince causa volontairement un incendie uniquement pour
pouvoir profiter de la beauté du spectacle ; peut-être même peut-on donner
au verbe « fecit », traduit ici par « il fit », son sens fort de « produire »,
« causer », et comprendre la phrase comme suit : « enfin il provoqua l’incendie
de la ville de Rome pour en jouir du spectacle ». La phrase par laquelle Orose
introduit le désastre ne peut donc se comprendre que si l’on considère que l’historien souscrivait, lui aussi, à la thèse de la culpabilité néronienne ; nul doute,
par ailleurs, qu’Orose, qui s’inspire ostensiblement de Suétone dans tout le
chapitre néronien, n’ait fait sienne la conviction de sa source quant à la responsabilité de l’empereur120.
Les dégâts matériels et humains
Néron passait donc généralement dans l’Antiquité pour être la cause de
l’incendie de 64 de notre ère. Ce faisant il détruisait volontairement la ville de
Rome, crime innommable et sacrilège digne du pire des monstres et des tyrans :
car comme le rappelle Cicéron dans le De officiis, le lien qui unit un homme à
sa patrie est le plus puissant et le plus précieux de tous121. La figure de Néron se
situe ainsi aux antipodes de celle du pater patriae, et Orose de manière tout à fait
118.– Ps. Sen., Ep. Paul. 11 (pour le texte complet, voir supra, p. 151) : « on sait très bien quelle
est l’origine (unde) des incendies qui ravagent fréquemment la ville de Rome » ; c’est ici
Néron qui est mis en cause par le « unde ». D’après Bocciolini Palagi 1985, p. 126-127,
l’auteur a sans doute combiné deux traditions, celle attribuant à Néron la responsabilité
de l’incendie de 64 ap. J.-C. et celle qui faisait de ce désastre un « casus in urbe frequens »
(Mart., III 52, 2).
119.– Voir supra, p. 82.
120.– Bessone 1988, p. 54. On a vu d’autre part qu’Augustin considérait Néron comme le
responsable de l’incendie : Orose partageait certainement les convictions de celui à la
demande duquel il avait entrepris la rédaction de son ouvrage. Par ailleurs, plus loin dans
l’Historia aduersus paganos, Orose désigne l’incendie de 64 ap. J.-C. au moyen d’une tournure analogue à celles de Pline et de Stace, « Neronis imperatoris […] inflammationem »,
où, de nouveau, Néron est le complément d’un nom désignant l’incendie (Oros., Hist.
VII 39, 16). Orose, surtout, utilise dans ce même passage la proposition relative « quod
excitauerat lasciuia principis », « [incendie] qu’avait provoqué la débauche du prince »,
proposition qui, en faisant d’un des vices de Néron le sujet du verbe d’action excitare,
suggère clairement que l’empereur fut à l’origine de l’embrasement.
121.– Cic., Off. I 57.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
159
significative compare l’attitude de Néron, l’incendiaire et le spoliateur, à celle
d’Auguste le bâtisseur :
« Néron se montra d’une cupidité si brutale qu’après cet incendie de la ville
qu’Auguste s’était vanté d’avoir rendue de marbre après l’avoir trouvée en
briques, il ne laissa personne s’approcher des restes de ses propres biens. »
(Oros., Hist. VII 7, 7)
Chez Suétone l’image de l’anti-pater est, de même, très nette, l’incendie
étant introduit par les mots « nec populo aut moenibus patriae pepercit », « il
n’épargna ni le peuple ni les murs de sa patrie » (Ner. 38, 1).
Le crime de Néron est d’autant plus grave que l’incendie fut important. Il
convient à ce titre de souligner l’insistance particulière des auteurs antiques sur
l’ampleur du désastre. Celui-ci est décrit comme ayant duré six jours et sept
nuits chez Suétone et Orose122 ; cette version est reprise dans la Correspondance
de Sénèque et de Paul, où l’auteur écrit que Rome brûla pendant six jours et
que l’incendie fut stoppé le septième123 ; selon Dion Cassius, l’incendie dura
plusieurs jours et le même nombre de nuits124 ; Tacite écrit que l’incendie fut
stoppé le sixième jour, mais qu’il reprit125 ; une lex arae datant de l’époque de
Domitien fait, quant à elle, état d’une durée de neuf jours126, ce qui correspond
peut-être à l’addition de la première phase de l’incendie (en l’occurrence les six
jours dont parlent Suétone, Orose et l’auteur de la Correspondance de Sénèque et
de Paul) et de la seconde, évoquée par Tacite.
Au cours de cette semaine, le feu eut le temps de détruire une part immense de
Rome. Selon Suétone, l’incendie détruisit un « nombre infini d’immeubles »,
« immensum numerum insularum127 ». D’après Tacite, l’incendie détruisit dix
des quatorze régions de Rome, dont trois complètement :
« Rome est divisée en quatorze régions, dont quatre demeuraient intactes,
trois étaient rasées jusqu’au sol (solo tenus), sept conservaient dans leurs restes
les vestiges d’un petit nombre de toits, délabrés et à demi brûlés. » (Tac., An.
XV 40, 2)
Le « solo tenus » qualifiant les quatre régions les plus atteintes est particulièrement lourd de significations, le reste de la phrase donnant quant à lui à
entendre qu’il ne restait pas grand’ chose non plus des sept autres quartiers.
L’ampleur de l’incendie est suggérée par Tacite à d’autres reprises : à
l’ouverture du passage consacré à la description du désastre, l’historien déclare
que la catastrophe fut « plus grave et plus terrible que toutes celles que la ville de
Rome subit de la violence des flammes », « omnibus quae huic Vrbi per uiolentiam
122.– Suet., Ner. 38, 4 ; Oros., Hist. VII 7, 4.
123.– Ps. Sen., Ep. Paul. 11.
124.– DC., LXII 17, 1.
125.– Tac., An. XV 40, 1.
126.– CIL 6, 826 et CIL 6, 30837b : […] quando urbs per nouem dies arsit Neronianis temporibus
(« […] quand la ville brûla pendant neuf jours à l’époque de Néron »). L’inscription a été
retrouvée sur l’autel du Quirinal, restauré sur ordre de Domitien.
127.– Suet., Ner. 38, 5.
160
Laurie Lefebvre
ignium acciderunt grauior atque atrocior128 », phrase où les deux comparatifs et le
« omnibus » soulignent bien la gravité de l’événement ; plus loin, Tacite évoque
la « foule des indigents », « mutitudinem inopem129 », expression qui, en soulignant le nombre de Romains devenus sans abri, confirme l’ampleur des dégâts.
Dion Cassius, selon lequel les deux tiers de la ville furent détruits130, confirme
le rapport de dix régions touchées sur quatorze établi par Tacite ; Jérôme,
pour sa part, écrit que la plus grande partie de Rome, « plurimam partem
Romanae urbis », fut incendiée131. On trouve enfin, dans la onzième lettre de
la Correspondance de Sénèque et de Paul, des détails curieux car inédits, l’auteur
précisant que 132 domus et 4 000 insulae brûlèrent dans l’incendie132.
Pour ce qui est des pertes humaines, c’est chez Dion Cassius qu’il en est le
plus question. En effet, si Tacite s’intéresse davantage aux efforts désespérés des
Romains encerclés de toute part par le feu pour échapper à la mort, évoquant dans
un chapitre empreint de pathétique les lamentations des femmes, l’image des
vieillards affaiblis, le désespoir de ceux qui n’avaient pu sauver les leurs133, Dion
Cassius précise que d’« innombrables hommes », « ἄνθρωποι ἀναρίθμητοι134 »,
périrent et ajoute même des détails quant aux différents genres de mort :
« Beaucoup (συχνοὶ) étaient asphyxiés, beaucoup (συχνοὶ) étaient écrasés,
si bien qu’aucun des maux susceptibles de frapper les hommes dans de telles
circonstances ne leur fut épargné. En effet ils ne pouvaient pas même trouver
facilement quelque refuge : et si l’on réussissait à échapper au danger sur le
moment, il s’en dressait un autre dans lequel on périssait. » (DC., LXII 16, 7)
La répétition de l’adjectif « συχνοὶ » et la présence des négations soulignent
à la fois l’importance du nombre de personnes victimes du désastre ainsi que
l’absence totale de toute échappatoire. Dion ajoute que « beaucoup d’hommes
même se jetaient dans les flammes, poussés par la douleur », « πολλῶν καὶ ἐς
αὐτὸ τὸ πῦρ ὑπὸ τοῦ πάθους ἐμπηδώντων135 ».
L’insistance sur l’ampleur des dégâts, sur l’étendue des ruines, sur le nombre
de victimes et de Romains sans abri, sur la diversité des genres de mort, démontre,
si l’on se souvient que c’est Néron qui passe pour avoir allumé le feu, la brutalité
et la barbarie de ce dernier.
La ruine du patrimoine culturel et religieux romain
Outre la destruction de l’espace physique de la cité et de ses habitants, Néron
apparaît, plus largement, comme le destructeur de l’histoire de Rome, de ses
gloires passées et de son patrimoine culturel.
128.– Tac., An. XV 38, 1.
129.– Tac., An. XV 39, 2. Voir aussi Suet., Ner. 38, 4 et Oros., Hist. VII 7, 5.
130.– DC., LXII 18, 2.
131.– Hier., Chron., p. 183g.
132.– À ce sujet, voir Liénard 1939, p. 55-57 ; Momigliano 1950, p. 332 ; Beaujeu 1960,
p. 68-69 et p. 76 ; Bocciolini Palagi 1985, p. 44 et p. 133.
133.– Tac., An. XV 38, 4-6.
134.– DC., LXII 18, 2.
135.– DC., LXII 18, 1.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
161
Tacite, dans son énumération des édifices détruits par l’incendie, déclare en
effet que furent consumés « […] les plus antiques monuments de la religion, celui
que Servius Tullius avait dédié à la Lune, le Grand Autel et la chapelle consacrés
à Hercule secourable par l’Arcadien Évandre, le temple de Jupiter Stator, voué
par Romulus, le palais royal de Numa et le sanctuaire de Vesta, avec les Pénates
du peuple romain136 ». Les monuments ici cités appartiennent à la plus haute
antiquité : ils renvoient tous au passé mythique de Rome (autel d’Évandre) et
à l’époque royale (temples de Romulus, de Numa et de Servius Tullius). Tacite,
enfonçant le clou, déplore ensuite dans le même chapitre la destruction des
richesses acquises au cours des victoires romaines, des merveilles de l’art grec,
des œuvres des grands génies littéraires que le temps avait pourtant conservées,
trésors dont la perte « ne pouvait être réparée », « quae reparari nequibant ».
La destruction des temples consacrés par les anciens rois et celle des
dépouilles prises aux ennemis sont mentionnées également par Suétone, qui y
ajoute la perte des temples consacrés lors des guerres puniques et des conflits
contre les Gaulois :
« […] brûlèrent alors les maisons des généraux d’autrefois, encore parées des
dépouilles ennemies, les temples des dieux voués et consacrés par les rois et
ensuite lors des guerres contre Carthage et contre les Gaulois, ainsi que tout ce
que le passé nous avait laissé de curieux et de mémorable. » (Suet., Ner. 38, 5.)
L’exagération et la généralisation finales, en englobant dans les pertes dues à
l’incendie de 64 ap. J.-C. tous les bâtiments ou objets remarquables que Rome
tenait de son passé, souligne le caractère irréparable du crime commis par Néron.
Dion Cassius, pour sa part, cite, parmi les destructions, l’amphithéâtre
de Statilius Taurus, premier amphithéâtre permanent construit à Rome, sous
Auguste, sur le Champ de Mars, ainsi que la totalité du mont Palatin, « τό τε
γὰρ Παλάντιον τὸ ὄρος σύμπαν137 », ce qui sous-entend des pertes énormes : le
Palatin comprenait en effet, outre des résidences d’empereurs et de familles patriciennes, le temple de Magna Mater, celui d’Apollon et le Lupercal, où Romulus
et Remus avaient été allaités par la louve ; c’est en outre sur le mont Palatin que
Romulus décida de fonder Rome. Cela fait de cette colline, pour les Romains,
l’une des plus importantes de l’Vrbs, et de sa destruction par le feu une catastrophe considérable.
Voir, au sein des listes de destructions dressées par les auteurs antiques, celle
du temple de Vesta, devait avoir sur les lecteurs de l’époque un effet particulièrement fort. C’est là en effet que se trouvait le feu sacré, autrement dit l’âme
même de Rome : le temple de Vesta et le feu qu’il renfermait symbolisaient
l’éternité de l’Empire. C’est là en outre qu’étaient conservés les objets sacrés
de Rome, objets qui garantissaient le salut et la sécurité de la Ville, notamment
le Palladium, statue d’Athéna qu’Énée emmena de Troie en Italie, ainsi que les
Pénates du peuple romain et le fascinus, phallus apotropaïque censé protéger la
136.– Tac., An. XV 41, 1 (trad. P. Wuilleumier).
137.– DC., LXII 18, 2.
162
Laurie Lefebvre
cité. C’est donc non seulement le passé de Rome mais aussi ce qui garantissait sa
prospérité future qui s’envolèrent en fumée à cause de Néron.
Un nouveau tumultus gallicus
Le spectre gaulois
La tradition, ajoutant au grief de destruction volontaire de la cité des circonstances aggravantes, rapporte, on l’a vu, que Néron, face au spectacle de sa ville
en flammes, chanta la prise et la ruine d’Ilion, tel un nouveau Priam138. Mais ce
n’est pas à la noble prise de Troie que les Romains, d’après Tacite, comparèrent
l’incendie de Rome, c’est à la prise de l’Vrbs par les Gaulois en 390 av. J.-C. :
« Il y en eut certains qui (fuere qui) remarquèrent que l’incendie avait
commencé le quatorze avant les calendes d’août, le jour même où les Sénons
avaient pris et brûlé Rome. D’autres poussèrent leurs recherches jusqu’à
calculer qu’il y avait eu le même nombre d’années, de mois et de jours entre les
deux incendies. » (Tac., An. XV 41, 2)
L’incendie se serait donc déclaré le jour anniversaire de la prise et de
l’incendie de Rome par les Gaulois, un 19 juillet, ce qui ne pouvait effectivement
manquer de marquer les esprits. La mention de l’incendie des Gaulois réapparaîtra plus loin chez Tacite, sans le truchement d’un « fuere qui » cette fois, dans
un passage où l’historien compare la reconstruction de Rome après l’incendie
de 64 ap. J.-C. à celle qui avait suivi le départ des Gaulois139.
Il est en outre possible, comme l’a suggéré E. Champlin140, que le choix
qu’opère Tacite lorsqu’il dresse la liste des bâtiments détruits par l’incendie
(parmi les destructions, il énumère en détail les monuments qui datent des temps
les plus reculés de l’histoire de Rome, tandis qu’il n’évoque que rapidement
ceux qui sont plus récents) n’ait eu pour d’autre finalité, par l’accent mis sur
les constructions antérieures à 390 av. J.-C., que de souligner le parallèle entre
l’incendie de 64 de notre ère et celui qui avait eu lieu environ quatre cents
ans auparavant.
Le même épisode douloureux du passé de Rome apparaît également chez
Suétone, au sujet de la construction de la domus aurea, bâtie sur les ruines laissées
par l’incendie. Nous avons vu à ce titre que le biographe rapporte, au chapitre 39
de la Vita Neronis, une épigramme conseillant aux Romains, chassés par la
construction du palais néronien, de fuir à Véies, et qu’il s’agit là d’une allusion
très claire au projet, proposé par les tribuns de l’époque, de trouver refuge dans
cette cité, suite à l’invasion de Rome par les Gaulois au début du IVe siècle avant
notre ère141.
138.– Voir supra, p. 79-82.
139.– Tac., An. XV 43, 1 : « Par ailleurs, les quartiers de la Ville que sa demeure avait épargnés
ne furent pas, comme après l’incendie des Gaulois, rebâtis sans ordre et confusément. »
140.– Champlin 2003, p. 324, n. 51.
141.– Liv., V 50. Sur l’épigramme suétonienne, voir supra, p. 125.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
163
Le traumatisme de la prise de Rome par les Sénons apparaît aussi chez Dion
Cassius, qui attribue le rapprochement entre les deux événements à la foule des
Romains contemplant le désastre :
« […] tous ceux qui restaient, se tenant dans un lieu sûr, regardaient le spectacle
comme ils auraient regardé des îles ou de nombreuses villes brûlant toutes
en même temps ; ils ne s’affligeaient plus sur leurs pertes particulières, mais
pleuraient le malheur public et se rappelaient que déjà autrefois la plus grande
partie de la ville avait été ainsi détruite par les Gaulois. » (DC., LXII 17, 3)
Dion Cassius répète ensuite que « la ville subit alors un désastre tel que,
ni auparavant ni plus tard, elle n’en eut jamais à subir, si ce n’est de la part des
Gaulois », « τοιούτῳ μὲν δὴ πάθει τότε ἡ πόλις ἐχρήσατο οἵῳ οὔτε πρότερόν ποτε
οὔθ´ ὕστερον, πλὴν τοῦ Γαλατικοῦ142 ».
Ainsi, quoiqu’il cherchât à comparer l’incendie de Rome à celui d’Ilion,
Néron, bien loin de ressusciter l’acte fondateur de Rome que fut la chute de
Troie avec les suites que l’on sait, n’est qu’un nouveau tumultus Gallicus et un
anti-Camille ; de manière générale, il est l’antithèse de toutes les figures de
fondateurs, Énée, Romulus, Auguste.
La loi des séries
Néron peut même être fier de lui : son incendie, intégré à la série des pires fléaux
qui aient ébranlé Rome, fera désormais, auprès de la postérité, office de point de
repère au même titre que celui des Gaulois, comme l’illustrent certains passages
d’Augustin et d’Orose consacrés à la prise et à l’incendie de Rome par Alaric en
410 de notre ère.
C’est ainsi qu’Augustin, soucieux de rassurer les Chrétiens accusés par les
païens d’être responsables de la catastrophe en tant que leur culte impie a causé
la colère des dieux, déclare que l’incendie de 410 n’est pas le premier de l’histoire
de Rome, laquelle a déjà été réduite en cendres deux fois alors qu’on y offrait
encore des sacrifices païens, en l’occurrence par les Gaulois, puis par Néron :
« Comme le rapporte leur récit des faits, comme le rapportent leurs propres
écrits, l’incendie de la ville de Rome qui vient de se produire est le troisième. La
ville qui a brûlé une fois seulement au milieu des sacrifices chrétiens, avait déjà
brûlé deux fois au milieu des sacrifices païens. Elle fut incendiée une première
fois par les Gaulois, par lesquels seule la colline du Capitole fut épargnée ; elle
le fut une seconde fois par Néron – je ne sais si je dois dire dans sa rage ou
dans sa débauche –, une seconde fois Rome fut la proie du feu. » (Aug., Serm.
296, 6)
En présentant l’incendie de 410 ap. J.-C. comme le troisième qu’ait connu
Rome, Augustin opère un raccourci : Rome avait en effet, avant l’époque
d’Augustin, brûlé bien plus de deux fois. La liste ici reproduite ne contient en fait
que les incendies les plus traumatisants, ceux qui occupent une place particulière
142.– DC., LXII 18, 2.
164
Laurie Lefebvre
dans l’imaginaire des Romains : or l’on constate que ce sont les incendies de 390
av. J.-C. et de 64 de notre ère qui ont été retenus par la postérité.
Orose, en réponse aux païens qui rendent les Chrétiens responsables du
désastre de 410 ap. J.-C., dresse une liste similaire de précédents :
« De fait, si j’examine en détail l’embrasement suscité par l’empereur Néron
qui voulait s’en offrir le spectacle, sans aucun doute cet incendie qu’avait
provoqué la débauche du prince ne pourra en rien être mis sur le même plan
que celui que causa de nos jours la colère du vainqueur. Je ne dois pas non
plus, dans un rapprochement de ce genre, rappeler l’incendie des Gaulois,
qui, pendant presque toute la durée de l’année qui le suivit, eurent en leur
possession les cendres écrasées de la Ville incendiée et détruite. » (Oros., Hist.
VII 39, 16-17 ; trad. M.-P. Arnaud-Lindet, légèrement modifiée)
Orose veut ici rappeler que l’incendie de 410 ap. J.-C. n’est en rien comparable à celui de 64 de notre ère ou à celui allumé jadis par les Gaulois : voilà donc,
à nouveau, Néron et les Sénons réunis par la postérité.
Il faut noter que si les descriptions antiques de la destruction de Rome en
64 de notre ère, et notamment celle de Tacite, font intervenir le souvenir de
l’incendie de 390 av. J.-C., il est possible qu’elles aient été aussi influencées par
des traumatismes plus récents. Tite-Live, si l’on en croit Orose143, aurait ainsi
écrit que l’incendie qui ravagea Rome en 54 avant notre ère fut le plus grand
incendie par lequel Rome fut jamais ravagée et que quatorze quartiers de la ville
partirent alors en fumée. Cela n’est pas sans évoquer la description de l’incendie
de 64 ap. J.-C. par Tacite qui, on l’a vu, dresse le bilan quantitatif du désastre
et le qualifie de plus grande catastrophe que Rome ait connue. Peut-être le
passage tacitéen fait-il volontairement écho à la description livienne ; la perte
des derniers livres de l’Histoire romaine ne nous permet cependant pas d’aller
plus avant dans l’examen de cette hypothèse.
Il est possible d’autre part que la description tacitéenne de l’incendie de
64 ait été influencée par des événements postérieurs au principat néronien. La
guerre civile de 69, au moment de laquelle Tacite avait environ 13 ans, avait vu
en effet les Flaviens, des torches à la main, livrer au pillage et au feu la ville de
Crémone, tenue par les partisans de Vitellius ; elle avait été, surtout, le théâtre de
l’incendie du Capitole. Or ces deux événements ont été décrits par Tacite dans
ses Histoires144, ce qui a pu influencer la description que l’historien fera plus tard,
dans les Annales, de l’incendie de 64.
143.– Oros., Hist. VII 2, 11 : « En effet, la sept centième année de la fondation de Rome, le feu
consuma ses quatorze quartiers, sans que l’on sût d’où il était parti et jamais, comme le dit
Tite-Live, Rome ne fut dévastée par un plus grand incendie ; si bien que quelques années
plus tard César Auguste, pour reconstruire ce qui avait alors brûlé, donna en abondance de
l’argent tiré du trésor public. » Si la mention de l’incendie de 54 av. J.-C. est suivie, chez
Orose, de l’évocation de la générosité d’Auguste, la description du désastre de 64 ap. J.-C.,
en revanche, est suivie de celle de la cupidité de Néron (Oros., Hist. VII 7, 7) : les deux
passages se répondent étroitement.
144.– Tac., H. III 33 ; 72-73.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
165
Les récits tacitéens des événements de 64 et de 69 présentent de fait un
certain nombre de similitudes : dans le cas de l’incendie de Crémone comme
de celui de Rome, l’on voit des hommes, des torches à la main, en train de piller
les maisons145 (motif classique, me direz-vous, car toute catastrophe a son lot
de pillards) ; la façon dont Tacite introduit dans les Annales la description du
désastre de 64, présenté, on l’a vu, comme le plus grave incendie que Rome ait
jamais connu, est d’autre part similaire à la manière avec laquelle il avait présenté
l’incendie du Capitole : « id facinus post conditam Vrbem luctuosissimum foedissimumque rei publicae populi Romani accidit », « ce crime fut depuis la fondation
de la Ville le plus déplorable et le plus affreux qui eût touché l’État du peuple
romain146 » ; en outre, dans le cas de l’incendie du Capitole comme de celui de
Rome, Tacite insiste sur l’antiquité de ce qui a été détruit et remonte à l’époque
royale147 ; dans les deux cas aussi est rappelé le précédent que constitua l’incendie
de Rome par les Gaulois148.
Les échos entre tous ces textes, s’ils ne sont pas assez nets pour nous permettre
de considérer la description du désastre de 64 ap. J.-C. comme une allusion
précise aux traumatismes de 54 av. J.-C. ou de 69 de notre ère, montrent du moins
le caractère topique des expressions et des motifs utilisés par Tacite pour décrire
l’incendie de Rome au livre XV des Annales : l’insistance sur le caractère sans
précédent de l’événement, le recours à la comparaison avec l’incendie de 390
av. J.-C., l’évocation des dégâts et notamment de la valeur et de l’antiquité des
bâtiments détruits, l’image du pillage, sont des éléments récurrents, des passages
obligés même, dans les descriptions antiques d’incendie. La réalité historique
s’efface devant les règles de la composition littéraire.
Rome en état de guerre
La comparaison de l’incendie de 64 ap. J.-C. avec celui allumé par les Gaulois
ainsi que la reproduction par Tacite, dans le livre XV des Annales, du même
schéma narratif et des mêmes motifs que ceux qu’il avait utilisés pour les
incendies qui se produisirent lors des conflits opposant Flaviens et Vitelliens
nous invitent à considérer un autre aspect des descriptions antiques du désastre
qui se produisit sous Néron : de même que les incendies de 390 av. J.-C. et de 69
de notre ère eurent lieu dans le cadre de guerres et de conflits armés, de même
la Rome incendiée sous Néron apparaît comme une ville prise, et l’empereur
incendiaire comme un hostis149.
Dion Cassius compare de fait Rome en flammes à un camp, « στρατοπέδῳ150 » :
ce faisant, l’historien introduit une image militaire au cœur de la description
de l’incendie. De la même manière, lorsque Suétone déclare que des entrepôts
furent abattus près de l’emplacement de la future maison dorée, le biographe
145.– Tac., H. III 33 et An. XV 38, 7.
146.– Tac., H. III 72.
147.– Déplorant la destruction du temple de Jupiter Capitolin, Tacite rappelle sa fondation et sa
construction par Tarquin l’Ancien, Servius Tullius puis Tarquin le Superbe.
148.– Tac., H. III 72. Voir aussi H. IV 54.
149.– À ce sujet, voir Woodman 1998, p. 171 et 185.
150.– DC., LXII 16, 3.
166
Laurie Lefebvre
spécifie que ce fut avec des « machines de guerre », « bellicis machinis151 ».
Orose, reprenant l’idée exprimée par Suétone, va même plus loin, puisqu’il
précise qu’il s’agissait de « machines préparées autrefois pour les guerres
extérieures », « machinis quondam ad externa bella praeparatis152 ».
Suétone affirme ensuite que Néron se chargea de faire enlever les cadavres et
les décombres dans le but de ramasser « autant de butin et de dépouilles qu’il
le pourrait », « quantum posset praedae et manubiarum153 », ce qui a pour effet
d’assimiler Rome à une ville prise et mise à sac. Il est également question de
pillage chez Tacite et chez Dion Cassius, qui situent la mise à sac non, comme
Suétone, aux lendemains de l’incendie, mais pendant l’incendie même154.
Néron, enfin, nous dit Suétone, exigea des contributions de la part des
provinces et des particuliers155 : après le siège de la ville et sa mise à sac, voici donc
l’ennemi Néron en train d’imposer un tribut au peuple vaincu. Chez Tacite, de
même, l’on peut lire que, pour faire rentrer de l’argent, l’Italie fut ravagée et les
provinces ainsi que les peuples alliés et les cités dites libres ruinés156.
Rome fut donc incendiée et pillée comme après un siège. L’incendie de
64 fait en outre apparaître, aux côtés de l’image du sac de la ville prise par des
ennemis étrangers, celle de la guerre civile. Dion Cassius déclare ainsi que les
esprits romains étaient, devant leur ville en ruines, troublés par le souvenir d’un
oracle qui avait circulé au temps de Tibère et qui prévoyait la destruction de
Rome dans une guerre civile :
« Le souvenir de l’oracle qui avait circulé autrefois sous Tibère, par-dessus
tout, les troublait. Cet oracle disait : “quand trois fois trois cents ans seront
passés, une guerre civile détruira les Romains”. » (DC., LXII 18, 3157)
Si à l’origine l’oracle ici cité ne concernait pas le désastre de 64 de notre ère,
sa présence à cet instant de l’Histoire romaine montre que la notion de guerre
civile, ἔμφυλος στάσις, pouvait tout à fait être appliquée à cet événement.
Il n’y a pas qu’à l’occasion de l’incendie de 64 que Néron se comporte tel
un ennemi. La description de la répression de la conjuration de Pison par Tacite
présente là aussi Rome comme une ville prise : « quin et Vrbem, per manipulos
occupatis moenibus, insesso etiam mari et amne, uelut in custodiam dedit158 »,
« bien plus, il fit couvrir les murailles de manipules, occuper même la mer et le
fleuve, et tint pour ainsi dire la Ville en prison ». Tacite ajoute que l’on voyait
partout, non seulement à Rome mais dans les municipes les plus proches, des
cavaliers et des fantassins, qui ramenaient des files continues de prisonniers.
L’assimilation de Néron à un hostis est claire.
151.– Suet., Ner. 38, 3.
152.– Oros., Hist. VII 7, 5.
153.– Suet., Ner. 38, 7. Voir aussi Oros., Hist. VII 7, 7.
154.– Tac., An. XV 38, 7 ; DC., LXII 16, 6 ; 17, 1.
155.– Suet., Ner. 38, 7.
156.– Tac., An. XV 45, 1. Voir aussi DC., LXII 18, 5.
157.– Sur la circulation de cet oracle sous Tibère, voir DC., LVII 18, 4-5.
158.– Tac., An. XV 58, 2-3.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
167
La période Néron ou l’agonie d’un monde
La négation de la vie
Les médecins de Néron : des pourvoyeurs de mort
L’hostis Néron apparaît même, dans la littérature antique, comme un facteur
de destruction systématique. L. Muller a souligné à ce sujet un fait particulièrement intéressant : les médecins mis en scène dans les récits suétoniens
et tacitéens relatifs à Néron n’apportent jamais la guérison mais la mort, leur
présence se résumant « essentiellement à la complicité directe d’assassinat159 ».
Force est, effectivement, de le constater : les médecins néroniens ont un
étrange rapport à la guérison. Cela est patent dans le récit dressé par Suétone
de la fin de Domitia Lepida, la tante paternelle de Néron : comme son jeune et
impérial neveu lui rendait visite, Domitia Lepida, alitée par suite d’une constipation, lui dit d’un ton caressant qu’elle consentait à mourir sitôt qu’elle aurait
reçu en cadeau sa barbe naissante. Mal lui en prit : Néron, prenant les mots de
sa tante au pied de la lettre et répondant, comme pour plaisanter, qu’il allait
alors la couper sur-le-champ, « ordonna aux médecins de purger copieusement
la malade », « praecepitque medicis ut largius purgarent aegram », ce qui causa
bien vite la mort de la pauvre femme160.
C’est à nouveau par les mains d’un médecin que l’on voit le consul Vestinus,
haï de Néron, trouver la mort : tandis que le consul donnait un banquet, des
soldats entrèrent et l’enfermèrent dans sa chambre, où un médecin l’attendait
pour lui trancher les veines161. L’envoi d’un médecin auprès des personnages
condamnés à mourir par Néron est même désigné, chez Suétone, comme le
modus operandi habituel de l’empereur :
« Il ne donnait à ceux qui avaient reçu l’ordre de mourir que quelques heures
de répit ; et pour éviter tout délai, il envoyait des médecins pour “soigner”
(curarent) sur-le-champ ceux qui hésiteraient : c’est en effet ainsi qu’il désignait
le fait d’ouvrir les veines (uenas incidere) pour causer la mort. » (Suet., Ner.
37, 3)
L’emploi de l’imparfait dénonce la fréquence, sous Néron, du recours aux
médecins dans l’exécution des meurtres. La perversion consistant à convertir des
mains guérisseuses en instruments mortifères est même présentée par Suétone
comme pleinement revendiquée par Néron, que l’on voit employer ironiquement le verbe curare en lieu et place de l’expression uenas incidere.
À ces divers exemples cités par L. Muller, ajoutons celui du préfet du
prétoire Burrus, qui goûta lui aussi à la « médecine » de Néron. Suétone déclare
en effet qu’« ayant promis au préfet Burrus un remède pour sa gorge, [Néron]
lui envoya un poison », « Burro praefecto remedium ad fauces pollicitus toxicum
misit162 » ; Tacite rapporte de même que beaucoup affirmaient que « sur ordre de
159.– Muller 1999, p. 128-134.
160.– Suet., Ner. 34, 9.
161.– Tac., An. XV 69, 2.
162.– Suet., Ner. 35, 12.
168
Laurie Lefebvre
Néron, sous prétexte de lui appliquer un remède, on enduisit le palais de Burrus
d’une drogue nocive », « iussu Neronis, quasi remedium adhiberetur, inlitum
palatum eius noxio medicamine163 ». Le principat du dernier Julio-claudien est
une époque où il ne fait décidément pas bon être malade… N’oublions pas que
Néron a été à bonne école : déjà sa mère, lors de l’assassinat de Claude, s’était
assuré la complicité du médecin Xénophon, qui, sous prétexte d’aider l’empereur
à vomir, lui avait enfoncé dans le gosier une plume enduite de poison164.
Comme le note L. Muller, cette assimilation des médecins de Néron à
un « bataillon d’exécuteurs » est bien un « effet de composition littéraire »
de la part de Tacite et de Suétone165. Ailleurs, en effet, sont mentionnées des
actions médicales neutres voire positives qui sont tues par le biographe et l’historien dans les pages qu’ils consacrent à Néron : Galien désigne Andromachos,
médecin de Néron, comme l’auteur d’une célèbre recette de thériaque166 ; Pline
l’Ancien écrit que Néron fit venir un médecin pour soigner un de ses amis atteint
de lichen167 ; Suétone, dans la Vie de Vespasien, rapporte qu’un médecin montra
au futur empereur une dent qu’il venait d’arracher à Néron168. Il semble donc
bien que Tacite et Suétone aient, dans les derniers livres des Annales et la Vita
Neronis, gommé les exemples de médecins agissant dans le respect de la tradition
hippocratique pour ne laisser que des docteurs meurtriers et corroborer ainsi
l’image d’un principat consistant en une inversion systématique des valeurs.
La nature mise à mal
Outre la perversion des symboles de guérison et de salut que sont censés être
les médecins, le règne de Néron connaît, de manière générale, la perturbation
du cycle naturel et la mort du monde végétal. On a vu déjà que Pline l’Ancien,
dans le passage où est mentionné l’incendie de 64 ap. J.-C., accuse Néron d’avoir
accéléré jusqu’à la mort des arbres169. Pline, parlant d’un micocoulier qui passait
pour être aussi vieux que Rome elle-même, et ajoutant qu’il existait un cyprès
du même âge, précise que le cyprès en question « tomba vers la fin du règne
de Néron », « circa suprema Neronis principis prolapsa170 » : bien qu’il s’agisse
sans doute d’une coïncidence fortuite, une telle précision chronologique, en
associant la mort d’un arbre centenaire et le principat de Néron, fait de celui-ci,
dans l’esprit du lecteur, le lieu du déclin du monde végétal.
D’autre part, le livre XIII des Annales de Tacite, qui correspond à
l’année 58 de notre ère, se clôt sur le desséchement du figuier Ruminal, qui se
trouvait sur le forum et passait pour avoir abrité Romulus et Remus avant qu’ils
ne fussent recueillis par Faustulus ; on considéra comme un mauvais présage
163.– Tac., An. XIV 51, 1 (trad. P. Wuilleumier).
164.– Tac., An. XII 67, 2.
165.– Muller 1999, p. 131-132. Sur le motif de la perversion de la médecine, voir aussi Suet.,
Calig. 29.
166.– Gal., 14, 211.
167.– Plin., N. H. XXIX 93.
168.– Suet., Vesp. 5, 8.
169.– Plin., N. H. XVII 5. Voir supra, p. 157.
170.– Plin., N. H. XVI 236.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
169
la dégénérescence de l’arbre, qui finit cependant par reverdir171. Comme les
commentateurs l’ont noté172, la mort puis la renaissance de l’arbre qui, par son
association à la légende de la fondation de la Ville, symbolisait Rome elle-même,
annonce sans nul doute les drames à venir et la fin des Julio-claudiens puis l’avènement futur des Flaviens voire la pérennité finale de l’Empire. C’est donc par
la dégénérescence végétale qu’est symbolisé le principat néronien.
La pollution touche aussi l’air et les astres. L’auteur de l’Octavie fait ainsi dire
à son héroïne, au sujet d’une comète aperçue dans le ciel, que « l’éther lui-même
est pollué par le souffle malfaisant du chef cruel » et que « les astres menacent de
nouveaux désastres les peuples que gouverne le chef impie », « ipse diro spiritu
saeui ducis / polluitur aether, gentibus clades nouas / minantur astra, quas regit
dux impius173 » : en commettant des crimes atroces et sacrilèges, Néron, provoquant la colère des dieux, cause l’apparition de prodiges menaçants et trouble
jusqu’au ciel. C’est donc au sens propre qu’il faut comprendre le qualificatif
de « pestis » attribué à l’empereur par l’auteur de l’Octavie174 : Néron est une
maladie contagieuse et une épidémie.
Par ailleurs, Néron, comme l’a montré E. Gowers, perturbe de manière
générale les cycles naturels175. On a vu à ce titre que, selon Suétone, le prince
répondit à sa tante Domitia Lepida, qui avait eu la malencontreuse idée de déclarer
qu’elle mourrait contente une fois qu’elle aurait reçu en cadeau la première
barbe de son neveu, qu’il allait la couper immédiatement, avant d’ordonner aux
médecins de la faire périr. Néron se présente ainsi comme voulant hâter à la fois
sa puberté et le décès de sa tante : dans le passage de Suétone, les deux pôles de la
vie sont réunis de manière anormale dans le même instant.
Chez Tacite, l’on assiste au trépas, voulu par Néron, d’une fille, de son père
et de la grand-mère, c’est-à-dire à la mort simultanée, et partant contre nature,
de trois générations176 : l’ancien consul Antistius Vetus, sa belle-mère Sextia et
sa fille Pollitta, haïs par l’empereur et allant au-devant d’une mort inévitable,
s’ouvrent les veines « dans la même chambre », « eodem in cubiculo », « avec
la même lame », « eodem ferro », avant de se plonger dans un bain bouillant, où
ils périssent, « le père les yeux fixés sur sa fille, la grand-mère sur sa petite-fille,
celle-ci sur les deux autres », « pater filiam, auia neptem, illa utrosque intuens »,
expression qui, en juxtaposant des mots désignant divers liens de parenté et
divers âges de la vie, souligne le mépris de l’ordre naturel à l’œuvre dans cette
scène de trépas.
Ère de perturbation du cycle naturel, le principat néronien est aussi un temps
marqué par l’infertilité. Le motif de la stérilité est en effet récurrent dans les
portraits antiques de Néron. Après avoir répudié sa première épouse, Octavie,
171.– Tac., An. XIII 58.
172.– Kroll 1924, p. 373 ; McCulloch 1980, p. 237-242. Contra, voir Segal 1973, p. 111-122,
où la renaissance du figuier est considérée comme ironique.
173.– Ps. Sen., Oct. 235-237.
174.– Ps. Sen., Oct. 240.
175.– Gowers 1994, p. 133-139.
176.– Tac., An. XVI 10-11.
170
Laurie Lefebvre
sous prétexte qu’elle était stérile177, Néron jeta son dévolu sur Poppée, dont la
fille qu’elle donna au prince, Claudia Augusta, mourut moins de quatre mois
après sa naissance178. Néron tuera ensuite Poppée et par la même occasion
leur deuxième enfant, qu’elle portait179. L’empereur, poussé par le regret de
Poppée, épousera en Grèce, parce qu’il ressemblait à sa défunte épouse, le jeune
Sporus, préalablement castré ; Néron s’était au préalable déjà marié à l’affranchi
Pythagoras180. Aux mariages stériles avec Octavie et Poppée, on voit donc Néron
ajouter l’union inféconde avec deux individus de sexe masculin.
À ces images de desséchement végétal et de stérilité s’ajoutent même des
images de putréfaction. Les derniers instants de Néron sont ainsi, chez Suétone,
marqués, tel un présage sinistre, par l’image d’un cadavre en train de pourrir que
Néron, dans sa fuite, vit sur son chemin et dont l’odeur effaroucha le cheval du
prince181. Enfin, comme l’a noté, là encore, E. Gowers, la description physique
que Suétone fait de Néron, qui, aux dires du biographe, avait « un corps maculé
de taches et puant », « corpore maculoso et fetido182 », si elle repose probablement en partie sur une réalité physique (les « taches » désignent sans doute
des taches de rousseur), n’est pas sans évoquer une plante en train de pourrir ;
le reste du corps de Néron, caractérisé par des jambes fort grêles soutenant un
ventre proéminent, apparaît pour sa part comme le corps déformé et contre
nature d’un monstre183.
La fin d’un cycle
Nero insitiuus
Pas étonnant que Néron ressemble à une plante pourrissante et monstrueuse : il
est, dès l’origine, le résultat d’une mauvaise greffe. Nombre d’auteurs antiques
ont ainsi mis un point d’honneur à mettre en lumière le caractère illégitime
de l’accession de Néron au pouvoir : son père biologique n’est en effet qu’un
Domitius Ahenobarbus, et il n’est de l’empereur Claude que le fils adoptif,
contrairement à Britannicus.
Les auteurs antiques ont, pour exprimer cette idée, eu recours à la métaphore
végétale traditionnelle de la greffe : dans l’Octavie, Néron est désigné par les mots
« Nero insitiuus Domitio genitus patre184 », « Néron le greffé, fils de Domitius » ;
la nourrice d’Octavie se demande en outre comment Claude « put préférer, à son
propre fils, un être né d’un sang étranger », « nato suo / praeferre potuit sanguine
alieno satum185 », phrase où l’emploi du participe du verbe serere, « semer »,
177.– Tac., An. XIV 60, 1 ; Suet., Ner. 35, 4.
178.– Tac., An. XV 23, 3 ; Suet., Ner. 35, 6.
179.– Tac., An. XVI 6, 1 ; Suet., Ner. 35, 5 ; DC., LXII 27, 4.
180.– Pour les références des textes antiques traitant des mariages de Néron avec Pythagoras et
Sporus, voir, dans l’annexe 1, le tableau 2b.
181.– Suet., Ner. 48, 3.
182.– Suet., Ner. 51, 1. Voir Gowers 1994, p. 139.
183.– Sur les portraits physiques des Césars dans les Vies de Suétone et leur lien possible avec
les traités de physiognomonie, voir Couissin 1953, p. 234-256 ; Evans 1969. Contra, voir
Gascou 1984, p. 592-615.
184.– Ps. Sen., Oct. 249.
185.– Ps. Sen., Oct. 139-140.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
171
nous renvoie, là encore, au monde végétal. Chez Tacite, Britannicus est désigné
par Agrippine comme la « véritable et digne pousse », « ueram dignamque
stirpem », issue de la souche claudienne, tandis que Néron n’est qu’« insitus et
adoptiuus186 », c’est-à-dire le « produit d’une greffe et d’une adoption ». Le
motif de l’usurpation se double, chez Tacite, de celui de la nouveauté, l’historien
notant qu’il n’y avait eu, avant Néron, aucune adoption dans la branche patricienne des Claudii187 : l’adoption de Néron constitue ainsi une greffe inédite sur
la souche jusque-là inaltérée de la gens Claudia.
Comme l’a noté C. Schubert, le motif du Nero insitiuus est typiquement
flavien : il correspond à la volonté du nouveau pouvoir d’asseoir sa légitimité
en affirmant sa continuité par rapport aux Julio-claudiens et en présentant
parallèlement Néron comme un usurpateur et une funeste parenthèse188. Si la
propagande flavienne montre que la nouvelle dynastie régnante s’efforça effectivement de faire de Néron un intrus et de se présenter comme la digne héritière
d’un Claude au souvenir réhabilité, les passages précédemment cités de Tacite
montrent que le motif du Nero insitiuus ne disparut cependant pas de la littérature avec la fin de la dynastie flavienne.
Quand l’image de la greffe n’apparaît pas, du moins l’appartenance de
Néron à la gens Domitia et l’absence de parenté proche entre Néron et Claude,
qui par le sang n’est que son grand-oncle, sont clairement soulignées. Pline
l’Ancien désigne à de nombreuses reprises Néron par l’expression « Domitius
Nero189 ». Flavius Josèphe, relatant le mariage d’Agrippine avec Claude, écrit
qu’elle apportait avec elle « son fils Domitius, du nom de son père », « παῖδα
Δομέτιον ὁμώνυμον τῷ πατρί190 ». C’est sous le nom de Lucius Domitius que
Néron fait son apparition sur la scène des Annales, Tacite rappelant qu’il ne fut
appelé Néron que plus tard, après son adoption191 ; plus loin Néron est désigné
comme le fils « qu’Agrippine avait eu avec Cn. Ahenobarbus », « quem ex
Cn. Ahenobarbo genuerat192 ».
Suétone, pour sa part, commence sa Vie de Néron en établissant longuement
l’arbre généalogique des Domitii193 et écrit vers la fin de la biographie que Vindex,
dans ses discours contre l’empereur, le nommait Ahenobarbus au lieu de Néron,
ce qui revenait à annuler l’adoption de ce dernier par Claude194. Aurelius Victor,
à la suite de Suétone, introduit son chapitre consacré à Néron par la phrase
« eo modo Lucius Domitius (nam id certe nomen Neroni, patre Domitio, erat)
imperator factus est195 », « c’est ainsi que Lucius Domitius (c’était là de fait le
186.– Tac., An. XIII 14, 2.
187.– Tac., An. XII 25, 2.
188.– Schubert 1998, p. 287-288 ; p. 439-440.
189.– Plin., N. H. II 92 ; IV 10 ; 22 ; VII 71 ; XI 238 ; XXXVII 50. Voir Schubert 1998, p. 313
et 322.
190.– Jos., A. J. XX 149.
191.– Tac., An. XI 11, 2. Voir aussi Tac., An. XII 8, 2 ; 9, 1-2 ; 25, 1-2 ; 26, 1 ; 41, 3.
192.– Tac., An. XII 3, 2.
193.– Suet., Ner. 1-5.
194.– Suet., Ner. 41, 2.
195.– Aur.-Vict., 5, 1.
172
Laurie Lefebvre
nom de Néron, dont le père était un Domitius) devint empereur ». Le PseudoAurelius Victor, de même, désigne Néron par la formule « Domitius Nero, patre
Domitio Ahenobarbo genitus, matre Agrippina196 », « Domitius Néron, né de
Domitius Ahenobarbus et d’Agrippine ».
Dans l’Histoire romaine de Dion Cassius, la première apparition de Néron a
lieu à l’occasion du récit du mariage de Claude avec Agrippine, désignée alors
comme « la mère du Domitius surnommé Néron », « τὴν τοῦ Δομιτίου τοῦ
Νέρωνος ἐπονομασθέντος μητέρα197 » ; Dion Cassius emploie à nouveau, dans le
chapitre suivant, le qualificatif « Δομίτιον » pour désigner Néron198 ; décrivant
un peu plus loin les menées d’Agrippine pour assurer le trône à son fils, l’historien définit ce dernier comme l’« enfant qu’elle avait eu de son précédent
mari, Domitius », « παιδὶ ἐκ τοῦ προτέρον ἀνδρὸς αὐτῆς Δομιτίου199 ». Dion
rappelle donc à trois reprises que Néron est un Domitius.
Ce faisant, les historiens antiques respectaient, certes, les faits et la chronologie
des différentes dénominations de Néron, qui fit effectivement son entrée sur la
scène de l’Histoire sous le nom de Domitius et n’en changea qu’en 50 ap. J.-C. ;
mais l’insistance des auteurs antiques sur l’appartenance du princeps à la gens
Domitia est telle qu’il est légitime de se demander si ces précisions sur son ascendance paternelle ne répondent pas moins à un scrupule historiographique qu’à
la volonté de souligner avec force son illégitimité par rapport à Britannicus200.
La désignation de Néron comme un intrus dans la famille de Claude correspond
de fait clairement à une présentation tendancieuse et partiale des faits. Néron
appartient en effet de plein droit à la gens Julia par sa grand-mère Agrippine
l’Ancienne, et à la gens Claudia par son grand-père Germanicus : Néron est donc,
du côté maternel, un Julio-claudien de pure souche201. Le silence des auteurs sur
la noblesse de son ascendance maternelle et leur focalisation exclusive sur ses
origines paternelles et la question de son adoption, tout en correspondant à une
réalité, relèvent clairement d’un choix.
La fin de la gens julio-claudienne
Non contents de présenter Néron comme un « intrus » au sein du clan julioclaudien, les historiens antiques ont également pris bien soin de souligner que ce
clan s’éteignit avec lui. Ils attribuent en effet au règne néronien le desséchement
total du bois de lauriers qui se trouvait sur la propriété de Livie, ainsi que la mort
de toutes les poules qui y étaient élevées202. C’est à l’époque du mariage de Livie
196.– Ps. Aur.-Vict., Epit. 5, 1.
197.– DC., LX 31, 6.
198.– DC., LX 32, 2.
199.– DC., LX 34, 1.
200.– Suétone, pour sa part, désigne l’empereur toujours par le nom de Néron, même dans le
chapitre où il traite de sa prime enfance et donc de la période antérieure à l’adoption
(Suet., Ner. 6). Tacite et Dion Cassius auraient donc de même pu choisir d’employer Nero
plutôt que Domitius.
201.– Néron descend même d’Auguste en ligne plus directe que Britannicus. Britannicus n’est
en effet que l’arrière-petit-neveu d’Auguste, là où Néron est son arrière-arrière-petit-fils.
À ce sujet, voir l’annexe 3.
202.– Suet., Galb. 1, 1-3 ; DC., LXIII 29, 3 ; Aur.-Vict., 5, 17.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
173
avec Auguste que le premier laurier avait été planté et la première poule nourrie ;
le bois et l’élevage n’avaient ensuite cessé de prospérer sous les premiers Césars.
Le présage qui se produisit à la fin du règne de Néron signifiait donc clairement
l’extinction, avec la chute de celui-ci, de la famille des Césars, de même d’ailleurs
que la mort du figuier Ruminal, précédemment évoquée, peut être interprétée
comme symbolisant la fin de la dynastie julio-claudienne203. La mauvaise greffe
a fait pourrir la souche.
C’est ainsi que la Vie de Galba de Suétone s’ouvre sur les mots « progenies
Caesarum in Nerone defecit », « la lignée des Césars s’éteignit en Néron » ;
que Tacite, dans ses Histoires, prête à Galba la phrase « la famille des Jules et des
Claudes est éteinte », « finita Iuliorum Claudiorumque domo » ; qu’Aurelius
Victor conclut son récit de la mort de Néron par « hic finis Caesarum genti
fuit », « celui-ci fut le dernier de la race des Césars » ; qu’Eutrope clôt sa notice
biographique par la phrase « in eo omnis Augusti familia consumpta est », « avec
lui s’éteignit toute la famille d’Auguste », expression qui sera reprise mot pour
mot par Jérôme et, à peu de choses près, par Orose204.
Le motif de l’extinction, avec Néron, de la lignée des Césars apparaît en
outre à plusieurs reprises chez Dion Cassius. À l’occasion de la description de
l’incendie de Rome, l’on apprend que le peuple fit circuler un faux oracle disant
« ἔσχατος Αἰνεαδῶν μητροκτόνος ἡγεμονεύσει205 », « dernier membre de la race
d’Énée, un matricide règnera », prophétie qui désigne immanquablement
Néron et qui le présente comme le dernier descendant du fondateur de la gens
Julia. Dion Cassius, donnant raison à l’oracle, conclut d’ailleurs :
« Et il en fut ainsi, soit que le vers fût véritablement une prédiction inspirée par
quelque dieu, soit qu’il fût alors prophétisé par le peuple au vu de la situation
actuelle : en effet Néron fut le dernier empereur de la famille des Jules, qui
descendaient d’Énée. » (DC., LXII 18, 4-5)
Le dernier chapitre consacré par Dion Cassius au règne de Néron reprendra
la même idée, puisque l’empereur y est qualifié d’« ἔσχατος τῶν ἀπὸ τοῦ Αἰνείου
καὶ ἀπὸ τοῦ Αὐγούστου γεγονότων », « dernier des descendants d’Énée et
d’Auguste206 ». Ces mots trouveront un écho chez Ausone, qui définit Néron
ainsi :
« Celui qui fut le sixième et dernier héritier de la race d’Énée,
Néron, souilla et acheva l’héritage sacré des Jules. »
(Aus., Caes., Tetr. 25-26207)
203.– Voir supra, p. 168-169.
204.– Suet., Galb. 1, 1 ; Tac., H. I 16 ; Aur.-Vict., 5, 17 ; Eutr., VII 15, 3 ; Hier., Chron., p. 185h ;
Oros., Hist. VII 7, 13.
205.– DC., LXII 18, 4.
206.– DC., LXIII 29, 3.
207.– Voir aussi Aus., Caes., Mon. 11, où Néron est désigné par les mots « ultimus Aeneadum »,
« le dernier des descendants d’Énée ».
174
Laurie Lefebvre
Ainsi, à la figure d’Énée à qui revient la gloire d’avoir fondé la gens Julia (qui
devint, avec l’accession de Tibère au pouvoir, la race des Julio-claudiens), répond
celle de Néron responsable de la fin de cette dynastie.
Néron était effectivement le dernier descendant des gentes Claudia et Julia,
dont il s’acharna, tout au long de son principat, à faire périr les derniers rejetons,
ainsi que tous ceux qui leur étaient apparentés. L’arbre généalogique présenté
en annexe 3 met en évidence les victimes que fit Néron dans sa famille : une
tradition faisait de lui le complice de la mort de Claude208, dont il passait en
outre pour avoir aboli le culte et outragé la mémoire209 ; les historiens antiques
lui imputent unanimement les meurtres d’Octavie, de Britannicus (lequel est
d’ailleurs qualifié par Tacite de « supremum Claudiorum sanguinem210 ») et
d’Agrippine, qui descendait par sa mère d’Auguste et par son père des Tiberii
Claudii ; ils lui attribuent également la mort de la fille de Claude et d’Aelia
Paetina, Claudia Antonia211 ; celles de son cousin Cornelius Sylla, fils de Domitia
Lepida Minor, et de Rubellius Plautus, qui était l’arrière-petit-fils de Tibère212 ;
celles de D. Iunius Silanus Torquatus213, de son frère214 et du fils de ce dernier215,
lesquels étaient des descendants directs d’Auguste par Aemilia Lepida.
Ce n’est donc pas le hasard qui a fait de Néron le dernier représentant de la
gens julio-claudienne : Néron a lui-même et sciemment, dans sa volonté d’éliminer tous ses rivaux, causé l’extinction de cette famille. A. M. Gowing a noté
à ce titre l’insistance toute particulière de Dion Cassius sur l’origine des victimes
de Néron, quand celles-ci sont des descendants d’Auguste216 : l’historien prend en
effet bien soin de préciser qu’Agrippine était la fille de Germanicus, la petite-fille
d’Agrippa et donc la descendante d’Auguste ; lors du récit de la mort d’Octavie,
il désigne la jeune femme par l’expression « Ὀκταβίαν τὴν Αὔγουσταν » ; il
précise de même que Iunius Torquatus était le descendant d’Auguste.
La fréquence avec laquelle le motif de l’extinction de la famille julioclaudienne apparaît dans la tradition littéraire démontre son importance aux
yeux des Romains : c’est que la notion de gens est au cœur de leur culture,
comme le prouve par exemple l’habitude de Suétone de commencer ses biographies impériales par un arbre généalogique, dont le plus célèbre est celui de la
gens Claudia qui ouvre la Vie de Tibère. L’on sait aussi que les Romains avaient
coutume, lors des cérémonies funèbres, de sortir les images de leurs ancêtres. Le
facteur aggravant, dans le cas qui nous occupe, est, comme le soulignent Dion
208.– Suet., Ner. 33, 1.
209.– Suet., Claud. 45, 2 ; Ner. 33, 2 ; Vesp. 9, 1.
210.– Tac., An. XIII 17, 2. Au sujet de ces parricides, voir, dans l’annexe 1, le tableau 1a. La plupart
des historiens modernes estime que Britannicus a succombé en réalité à une attaque d’épilepsie (Martin 1999, p. 75-85).
211.– Suet., Ner. 35, 8.
212.– Ps. Sen., Oct. 438-438bis ; Tac., An. XIV 57-59.
213.– Tac., An. XV 35.
214.– Plin., N. H. VII 58. Contra, voir Tac., An. XIII 1, 1, où le meurtre est présenté comme ayant
eu lieu à l’insu de Néron, « ignaro Nerone ».
215.– Tac., An. XVI 7-9 ; DC., LXII 27, 2.
216.– Gowing 1997, p. 2584. Voir DC., LXI 14, 1 ; LXII 13, 1 ; 27, 2.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
175
Cassius et Ausone, que Néron a causé l’extinction d’une lignée qui passait pour
descendre d’Énée, c’est-à-dire qui remontait à la plus haute antiquité. Cette
situation de Néron, au crépuscule d’un cycle de l’histoire de Rome, est sans
aucun doute l’une des causes qui explique l’importance prise par sa figure dans
l’imaginaire antique et donc le développement de sa légende.
Le sacrilège Néron face au pius Aeneas : la question du matricide
Anti-Énée, Néron l’est à double titre : d’une part parce qu’il a causé la fin de la
race fondée par le héros troyen ; de l’autre en tant qu’il a fait périr celle qui, en
le faisant adopter par Claude, lui avait offert le trône. C’est le sens de l’une des
épigrammes rapportées par Suétone au chapitre 39 de la Vita Neronis :
« Qui prétend que Néron n’est pas de la race illustre d’Énée ?
Celui-ci a emporté (sustulit) sa mère, celui-là a porté (sustulit) son père. »
(Suet., Ner. 39, 3)
Cette épigramme repose sur un habile jeu de mots et sur le double sens du
verbe « sustulit » : bel exemple de piété filiale que Néron faisant disparaître
Agrippine, face à Énée transportant Anchise sur son dos ! Le motif du Nero
insitiuus se double ainsi, dans la littérature antique, de celui du Nero ingratus. Le
thème de l’ingratitude du fils et du sacrifice inutile de la mère se prêtait bien au
pathétique de la tragédie, et l’Octavie du Pseudo-Sénèque l’a à ce titre beaucoup
exploité217. Notons qu’une tradition attribuait le meurtre d’Agrippine, non
seulement à la volonté de Néron de se défaire d’une femme devenue gênante et
trop autoritaire, mais aussi aux exigences de Poppée218 : cette version, en subordonnant le meurtre d’une mère aux caprices d’une maîtresse, ne fait que renforcer
l’impression d’ingratitude qui se dégage à la lecture de la geste de Néron.
La pietas, dont Énée avait été fait le champion par Virgile et que la culture
romaine tenait traditionnellement pour la garante de la précieuse pax deorum, a
donc été foulée au pied par Néron le jour où il tua sa mère. Car le matricide est,
pour un Romain, un crime à caractère religieux : un tel meurtre souille la communauté tout entière. C’est le sens du châtiment réservé au parricide, enfermé dans
un sac avec un serpent, un singe, un coq et un chien, puis jeté dans la mer ou dans
une rivière, châtiment que les Romains, selon Suétone, réservaient précisément
à Néron219 : il s’agit de mettre radicalement à l’écart le parricide et de purifier
ainsi la communauté220. Cicéron, dans le De legibus, assimile d’ailleurs l’homme
coupable d’avoir volé un objet de culte à un parricide, ce qui montre bien que le
parricidium était perçu comme un sacrilège221.
217.– Ps. Sen., Oct. 93-98 ; 333-334 ; 600-602. Le thème de l’ingratitude, appliqué cette fois à
l’attitude de Néron vis-à-vis de Lucain qui avait pourtant composé des Laudes Neronis, est
exploité également par Stace (Stat., S. II 7, 58).
218.– Ps. Sen., Oct. 125-127 ; Tac., An. XIV 1.
219.– Suet., Ner. 45, 4. Voir aussi Juv., VIII 213-214 : « Pour son supplice ce n’est pas un seul
singe, un seul serpent ni un seul sac de cuir qu’il aurait fallu préparer. »
220.– Scheid 1981, p. 147.
221.– Cic., Leg. II 22.
176
Laurie Lefebvre
Le caractère religieux du matricide commis par Néron transparaît clairement
dans les évocations antiques de l’épisode et de ses suites. Ainsi, lorsque Martial se
plaint de ce que les flots ont causé la perte d’une certaine Cerellia et convoque,
en guise de point de comparaison, le naufrage raté par lequel Néron tenta de
faire périr Agrippine, c’est au moyen du terme religieux « monstra », lequel
désigne une violation de l’ordre naturel des choses, un phénomène hideux dont
l’apparition entraîne une souillure pour la communauté, que le poète désigne le
crime de Néron :
« En cherchant, depuis Baules, à gagner Baïes, Cerellia, mère de famille, périt,
engloutie par le crime des eaux insensées. Quelle gloire avez-vous perdue ! Ce
prodige (haec monstra), ô flots, vous ne l’aviez pas exécuté jadis pour Néron,
malgré l’ordre reçu. » (Mart., IV 63)
Dion Cassius, de la même manière, emploie, dans son récit de l’épisode
du matricide, le substantif « ἀνοσιουργίας222 », « sacrilège ». Tacite et Dion
Cassius rapportent en outre que divers prodiges se produisirent après la mort
d’Agrippine223. Suétone, quant à lui, déclare que Néron, qui n’avait jamais rêvé
jusqu’au jour du meurtre de sa mère, fut, à partir de ce moment-là, épouvanté
par des songes présageant sa fin future224 : le lien que Suétone établit entre le
meurtre d’Agrippine et la manifestation de présages, que les Romains considéraient comme des interventions divines, montre que le matricide est un crime
intéressant les dieux.
Le sacrilège commis par Néron s’accompagne, chez les historiens antiques,
de circonstances aggravantes. Tacite et Dion Cassius insistent tout particulièrement sur le fait que c’est, précisément, par des manifestations de piété filiale
que Néron fit tomber Agrippine dans le piège225 : c’est en feignant de rechercher
la réconciliation que Néron réussit à attirer sa mère à Baïes ; là il l’invita à un
festin où il l’entoura de prévenances et lui prodigua toutes sortes de caresses ;
il présenta le navire fatal comme un cadeau. C’est même sur le mot « pietati »
que se termine le chapitre où Tacite décrit le moyen choisi par Néron pour faire
périr Agrippine226.
Non content d’avoir dénaturé les valeurs romaines traditionnelles, Néron a
aussi perverti les cérémonies officielles : le récit tacitéen du matricide, au lieu
d’être suivi de la description du châtiment du coupable, se clôt ainsi sur des
sacrifices offerts par les municipes campaniens en témoignage de leur allégresse
et sur de pieuses cérémonies et des actions de grâce rendues aux dieux sur le
Capitole227. C’est que, comme l’explique Tacite, « chaque fois que le prince a
222.– DC., LXI 13, 3.
223.– Tac., An. XIV 10, 3 ; 12, 2 ; DC., LXI 16, 4-5.
224.– Suet., Ner. 46, 1-2.
225.– Tac., An. XIV 4 ; DC., LXI 13, 1-2.
226.– Tac., An. XIV 3, 3 : faire périr Agrippine dans un simulacre de naufrage permettrait au
prince d’élever « à la défunte un temple, des autels et tout ce dont fait étalage la piété
filiale » (trad. P. Wuilleumier).
227.– Tac., An. XIV 10, 2 ; 13, 2. Voir aussi DC., LXI 16, 1. Dion Cassius précise qu’en privé les
gens ne cessaient de déchirer Néron, ce que ne dit pas Tacite : la présentation tacitéenne
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
177
ordonné des exils et des meurtres, autant de fois des actions de grâces furent
rendues aux dieux et que ce qui marquait jadis nos succès fut alors le signe des
calamités publiques228 ».
Le sacrilège du matricide se double, en outre, de la souillure de l’inceste,
crime que Néron et Agrippine passaient traditionnellement pour avoir commis
ou failli commettre. Or l’inceste est un crime terrible, une atteinte au fas et à
l’ordre du monde, un sacrilège : Dion Cassius qualifie de fait l’inceste de Néron
et d’Agrippine d’« acte le plus impie qui soit », « ἔργον ἀνοσιώτατον229 ».
Néron est même présenté, dans les textes antiques, comme le champion du
parricide et des relations sexuelles sacrilèges : outre les meurtres de Claude, de
Britannicus et d’Octavie, évoqués plus haut, on peut signaler qu’une tradition,
rapportée par Tacite qui la déclare tirée de la plupart des historiens du temps,
accusait Néron d’avoir abusé de Britannicus à maintes reprises, dans les jours qui
précédèrent le meurtre230 ; nous avons vu également qu’Orose impute à Néron
des relations incestueuses avec sa sœur231.
À ces incestes perpétrés à l’intérieur du cadre de la famille s’ajoute le viol que
Néron passait pour avoir commis sur la personne de la Vestale Rubria232, acte qui
était, dans l’Antiquité, considéré comme un incestus ; ce substantif désignait en
effet, en droit romain, deux délits précis, les relations sexuelles prohibées entre
parents d’une part et celles entre un homme et une Vestale d’autre part233. Néron
apparaît donc comme un uir incestus dans tous les sens du terme.
Souillure et piaculum
Or l’inceste, comme le parricide, passait pour provoquer un châtiment pour
la communauté : les coupables perdaient leur rang social et étaient exilés, les
pontifes offraient des piacula234. À nouveau, le fond du problème est que le crime
de Néron dépasse largement la sphère privée et intéresse la cité tout entière. Tacite
lie d’ailleurs, à plusieurs reprises, crimes de Néron et calamités publiques : suite
au meurtre d’Agrippine, la foudre frappa les quatorze régions de Rome ; divers
prodiges vinrent annoncer la conjuration de Pison et sa répression sanglante,
coups de foudre, comète, apparition d’êtres monstrueux ; l’année 65, déjà
« souillée par tant de crimes », « tot facinorum foedum annum », fut marquée
aussi « de tempêtes et de maladies », « tempestatibus et morbis », en l’occurrence un ouragan qui détruisit la Campanie et une épidémie qui sévit à Rome235.
En associant désastres divers et forfaits néroniens, Tacite traduit l’étroite
solidarité qui liait, dans la pensée romaine, piété et intérêt public : les sacrilèges
insiste donc, plus que celle de Dion Cassius, sur le thème de la perversion des cérémonies officielles.
228.– Tac., An. XIV 64, 3 (trad. P. Wuilleumier).
229.– DC., LXI 11, 3.
230.– Tac., An. XIII 17, 2.
231.– Oros., Hist. VII 7, 2. Voir supra, p. 74.
232.– Suet., Ner. 28, 1 ; Aur.-Vict., 5, 11.
233.– Moreau 2002, p. 17-19.
234.– Tac., An. XII 5, 1 ; 8, 1. Voir Moreau 2002, p. 43-52.
235.– Tac., An. XIV 12, 2 ; XV 47, 1 ; XVI 13, 1. Sur les prodiges datés du règne de Néron, voir
aussi Plin., N. H. II 92 ; Suet., Ner. 6, 2 ; DC., LX 33, 2 ; LXI 16, 4-5 ; 18, 2 ; LXIII 26, 5.
178
Laurie Lefebvre
de Néron troublent la pax deorum236. On a vu à l’instant que Martial qualifie
le matricide de « monstra » : de la même manière, Claudien désigne Tibère et
Néron comme des « monstruosités », « portenta237 » ; ce dernier est d’autre
part, dans l’Histoire Auguste, inclus dans la liste des « prodigiosos tyrannos » et
des « prodigia238 ».
De manière générale, la littérature antique, exploitant le topos de l’impiété
du tyran, montre Néron en train de multiplier les offenses faites aux dieux : il
pille leurs temples sans vergogne239 ; dépossède Apollon du territoire de Cirrha
et supprime l’oracle en jetant des hommes égorgés dans l’ouverture même d’où
sort le souffle sacré240 ; urine sur la statue d’une déesse syrienne241 ; s’adonne
à la magie242 ; se baigne dans l’eau sacrée de la source Marcia, ce qui vaudra à
l’empereur une grave maladie, signe de la colère des dieux, « iram deorum243 ».
La tragédie se prêtant bien au développement du motif de l’impiété, l’Octavie
multiplie l’adjectif « impius », attribué à Néron par Octavie, le chœur ou
Agrippine244. Le point de vue chrétien imposera définitivement l’image d’un
princeps impie.
C’est à la lumière de l’impiété de Néron que doivent être lus les récits antiques
relatifs à la mort honteuse du tyran. Suétone, qui date les premiers songes
annonciateurs de la fin de Néron des lendemains du meurtre d’Agrippine245, fait
effectivement apparaître la mort du tyran comme la conséquence du sacrilège
commis ; le biographe précise également que Néron mourut « le jour même
où il avait autrefois fait tuer Octavie », « die quo quondam Octauiam interemerat246 », expression qui lie, comme pour le matricide, le meurtre impie de la
jeune femme et la mort du coupable.
Comme l’a montré J. Scheid, nous sommes par là invités à lire la mort de
Néron comme un piaculum destiné à purifier la communauté du monstrum :
« fréquemment les impiétés ou les délits des empereurs détestés annoncent et
justifient, dans les chroniques impériales, la mort de l’impie et bien entendu
la damnatio memoriae grâce à laquelle la cité pieuse se désolidarisait des actes
impies qu’elle avait été obligée de tolérer ; la mort du monstre peut dans une
certaine mesure être assimilée à un sacrifice expiatoire247 ». Le texte de Suétone
met d’ailleurs clairement en relation la chute de Néron avec la notion d’élimination d’un monstre :
236.– Scheid 1981, p. 156.
237.– Claud., IV Cons. Hon. 313.
238.– HA., Hel. 1, 2 ; HA., Tac. 6, 4.
239.– Pour les références, voir, dans l’annexe 2, le tableau 2c.
240.– DC., LXIII 14, 2.
241.– Suet., Ner. 56. Selon Suétone, l’attitude de Néron en matière de religion se caractérise par
deux traits opposés, un scepticisme méprisant et une dévotion superstitieuse et exclusive
(Méthy 2000, p. 391).
242.– Plin., N. H. XXX 14-17.
243.– Tac., An. XIV 22, 4. Voir aussi Tac., An. XVI 16, 2 (« ira illa numinum »).
244.– Ps. Sen., Oct. 225 ; 237 ; 363 ; 619. Voir aussi Ps. Sen., Oct. 89 ; 240-242 ; 449.
245.– Suet., Ner. 46, 2.
246.– Suet., Ner. 57, 1.
247.– Scheid 1981, p. 142, n. 94.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
179
« Le monde (terrarum orbis), après avoir supporté un tel empereur pendant un
peu moins de quatorze ans, le supprima (destituit) enfin. » (Suet., Ner. 40, 1)
L’emploi de l’expression « terrarum orbis » ainsi que du verbe destituere
(lequel signifie, au sens propre, « placer à part »), suggère qu’il s’agissait bien
de purifier la terre en écartant l’origine du mal ; la mort de Néron est d’ailleurs
située dans une retraite éloignée, à la limite de l’ager Romanus, aux marges de
l’espace civique. Chez les Chrétiens, la notion de piaculum sera remplacée par
celle de châtiment divin248.
La mort du dernier Julio-claudien est ainsi devenue, dans les textes antiques,
la preuve rétroactive de la culpabilité du tyran : la figure de Néron est un système
à la fois complexe et cohérent où chaque motif, chaque crime, chaque épisode
est conçu comme la cause, la conséquence ou la justification des autres motifs,
crimes et épisodes.
Chaque élément ne prend, en outre, tout son sens que par rapport aux
traditions diverses (philosophiques, rhétoriques, poétiques) dans lesquelles il a
été inséré. Car pour que Néron fût perçu par les lecteurs antiques comme un
tyran, il fallait qu’on le montrât se comportant comme tel : la condamnation
des crimes néroniens s’est ainsi doublée constamment de la convocation de
multiples traumatismes qui hantaient le souvenir des Romains – l’invasion
gauloise de 390 av. J.-C., le scandale des Bacchanales, les Fourches Caudines,
les sorts malheureux d’Agrippine l’Aînée, de Livilla, des deux Julie – ainsi que
de multiples figures – le Socrate de Platon, le Camille de la tradition historiographique, les victimes célébrées par les exitus uirorum illustrium – qui vinrent
appuyer la condamnation et lui donner son sens. C’est ainsi l’ensemble des
monstres de l’imaginaire romain qui semble converger en Néron.
248.– Lactance déclare par exemple que « ce ne fut pas impunément » que Néron persécuta
les Chrétiens, « car Dieu eut égard aux souffrances de son peuple. Aussi, ce tyran effréné,
déchu de la puissance suprême, renversé du haut de sa grandeur, disparut soudain : on ne
put même pas découvrir sur terre la sépulture de cette bête malfaisante » (Lact., Mort. 2,
6-7 ; trad. J. Moreau).
Chapitre cinq. Tyrans en série
Geste néronienne et épisodes topiques
À y regarder de plus près, le portrait du dernier Julio-claudien semble bien n’être
qu’une juxtaposition d’actes que d’autres figures négatives avaient commis avant
lui. Les auteurs antiques se sont en effet ingéniés à inscrire les épisodes de la vie
de Néron dans une série et à les relier à des événements antérieurs, quand ils ne
les ont pas tout bonnement calqués sur des épisodes exemplaires tirés de la geste
des tyrans les plus illustres, qui apparaissent au grand complet dans les récits
antiques relatifs à Néron.
Il convient de préciser au préalable que l’analyse qui va suivre, en s’en tenant
à quelques épisodes significatifs, mêlera de façon hétérogène, et sans que soit
examinée la question de la véracité, éléments de pure fiction et composants basés
sur une réalité historique. Car que les éléments avancés par les auteurs antiques
soient une complète invention destinée à noircir davantage l’image de Néron ou
qu’il s’agisse de faits avérés mais choisis et mis en forme de manière à corroborer
l’assimilation de Néron à un tyran, l’effet recherché est semblable : produire
une peinture cohérente où le caractère tyrannique du principat néronien sera
immédiatement identifiable.
Néron et le percement de l’Isthme
Un projet digne d’un tyrannus
Dans le chapitre 19 de la Vita Neronis, Suétone mentionne la tentative de
percement de l’isthme de Corinthe entreprise par Néron, projet célèbre1
puisqu’il fit même l’objet d’un dialogue longtemps attribué à Lucien, Néron ou
le percement de l’Isthme. Suétone raconte à ce sujet que Néron, « ayant entrepris
en Achaïe de percer l’Isthme, harangua les prétoriens pour les exciter au travail,
donna au signal de la trompette les premiers coups de bêche et emporta sur ses
1.– Plin., N. H. IV 10 ; Jos., B. J. III 540 (où Vespasien envoie à Néron, alors à Corinthe,
6 000 prisonniers juifs, sans aucun doute pour qu’ils servent d’ouvriers) ; Suet., Ner. 19, 3 ;
37, 6 ; DC., LXIII 16 ; Philstr., V. Ap. IV 24, 2-3 ; V 7, 4 ; 19, 2.
181
182
Laurie Lefebvre
épaules une hotte de terre2 » : le projet ne fait ici, on le voit, l’objet d’aucune
condamnation de la part du biographe et se trouve d’ailleurs inséré dans la
partie de la biographie consacrée aux actes de Néron non répréhensibles voire
dignes d’éloges. Et lorsque Suétone fait une seconde fois allusion à la tentative
de percement de l’Isthme au chapitre 37, 6 de la Vita Neronis, c’est-à-dire dans
la section de la biographie consacrée à la condamnation de l’empereur, ce n’est
pas l’entreprise en elle-même qui est critiquée, mais le fait que Néron, dans son
discours d’inauguration des travaux, ne mentionna pas le Sénat ; de la même
manière, l’évocation par Suétone des semblables projets de César et de Caligula
ne présente aucune forme de condamnation3. La réalisation de cette ambitieuse
entreprise, comme le noteront Philostrate et l’auteur du dialogue Néron ou le
percement de l’Isthme, aurait en effet permis de faire gagner un temps précieux
aux navires jusque-là contraints de faire le tour de la péninsule4.
Cette vision somme toute assez neutre de l’événement n’a cependant pas fait
l’unanimité chez les auteurs antiques. L’entreprise est clairement condamnée
par Pline l’Ancien, dont voici le témoignage :
« Le roi Démétrios, le dictateur César, l’empereur Caligula, Domitius Néron
tentèrent de creuser la partie la plus étroite de l’Isthme d’un canal navigable,
entreprise funeste, comme l’a montré le sort de tous ces hommes. » (Plin.,
N. H. IV 10)
Le qualificatif de « funeste », « nefasto », ici employé par Pline et mis en
relation avec la fin tragique des personnages cités5 laisse peu de doutes quant
à l’opinion du naturaliste sur le sujet. Par ailleurs, il ne devait pas échapper au
lecteur antique que la liste de noms qui est ici dressée par Pline et dont Néron
constitue le dernier terme est une succession de personnages tyranniques ou
criminels à des degrés divers : Démétrios Poliorcète, fils d’un des généraux
d’Alexandre le Grand, était clairement perçu dans l’Antiquité comme un tyran
(son association à Marc Antoine, dans les Vies parallèles de Plutarque, est à ce
titre tout à fait significative6) ; si la figure de César est plus ambigüe, les traditions qui lui étaient hostiles abondent et l’accusation de tyrannie plane sans cesse
au-dessus du personnage7 ; la monstruosité de Caligula se passe de commentaires.
Le projet de percement de l’Isthme pouvait donc potentiellement apparaître
comme l’apanage de tyrans ou de figures négatives. Et pour cause : comme le
2.– Suet., Ner. 19, 3.
3.– Suet., Caes. 44, 5 ; Calig. 21, 4.
4.– Philstr., V. Ap. IV 24, 2 ; Ps. Luc., Ner. 1.
5.– Démétrios Poliorcète mourut en captivité, César et Caligula furent assassinés, Néron dut se
suicider. Le projet de percement de l’Isthme fut également attribué à Périandre de Corinthe
(DL., I 99) et à Hérode Atticus (Philstr., V. soph. II 551).
6.– Voir surtout Plut., Dem. 1, 6. La biographie de Plutarque devant sans doute beaucoup aux
historiens hellénistiques Phylarque et Duris de Samos, on est enclin à croire que les accusations qui y sont portées contre Démétrios sont le fruit d’une longue tradition, qui devait
probablement être connue de Pline l’Ancien et de ses lecteurs. Les mentions que fait Élien
de Démétrios dans ses Histoires variées confirmeront ensuite l’étiquette négative attribuée à
ce dernier dans l’Antiquité (III 16 ; IX 9 ; XII 17).
7.– Sur les propensions tyranniques de César, voir notamment Suet., Caes. 76-79.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
183
souligne Pline l’Ancien dans l’extrait précédemment cité, percer l’isthme de
Corinthe est un acte impie et sacrilège. B. Gerster, dans un article consacré
aux diverses tentatives de percement de l’isthme de Corinthe, a ainsi noté que
« c’était une croyance générale dans l’Antiquité, que tout ouvrage de ce genre
était un attentat contre les dieux : la nature a bien fait ce qu’elle a fait ; porter
la main à ce qui existe, c’est outrager la divinité8 ». Le récit de Dion Cassius
consacré au percement de l’Isthme par Néron souligne de fait avec force le
caractère sacrilège du projet :
« Néron entama les travaux malgré les réticences des ouvriers : en effet du
sang avait jailli sur les premiers à avoir frappé la terre, des lamentations et des
gémissements se faisaient entendre, et de nombreux spectres apparaissaient.
Prenant donc lui-même un hoyau Néron se mit à creuser et força ainsi les
autres à l’imiter. » (DC., LXIII 16, 1-2)
Là où l’on avait, chez Suétone, un Néron soucieux de montrer l’exemple,
on trouve ainsi, chez Dion Cassius, un tyran sacrilège qui ne prit lui-même les
travaux en main que pour forcer à se mettre au travail les ouvriers effrayés par des
avertissements funestes très clairs.
Néron et Xerxès
On est alors tenté de rapprocher Néron d’un tyran bien connu pour son orgueil
sacrilège et son mépris des lois de la nature, Xerxès, lequel, non content de faire
percer l’isthme qui unissait le mont Athos au continent afin de donner passage
à sa flotte, jeta un pont de bateaux au-dessus de l’Hellespont afin de franchir
ce détroit, actes qui furent toujours cités dans l’Antiquité comme exemples de
démesure et d’impiété9.
Cette intuition se trouve confirmée par les textes antiques eux-mêmes. Car
c’est effectivement à Xerxès que Philostrate compare Néron, l’auteur louant le
roi perse d’avoir réussi dans son entreprise et critiquant l’empereur romain pour
avoir abandonné la sienne :
« Il me semble, dit-il, Damis, que le caractère inachevé de l’entreprise le
discrédite : il creuse de manière imparfaite, comme il chante de manière imparfaite. Quand je songe aux actes de Xerxès, je le loue, non d’avoir enchaîné
l’Hellespont, mais de l’avoir traversé ; quant à Néron, je vois qu’il ne naviguera
pas à travers l’Isthme, et qu’il n’ira pas jusqu’au bout de son entreprise. Et il
me semble même, à moins que la vérité ne soit plus, qu’il s’est enfui de Grèce
tout tremblant. » (Philstr., V. Ap. V 7, 4 ; voir aussi V. Ap. IV 24, 3)
Si, on l’a vu, Suétone ne critique pas l’entreprise de Néron, de même ici le
projet n’est pas condamné en lui-même. C’est l’abandon du projet, prouvant
la lâcheté et le manque de fermeté de l’empereur histrion, qui est critiqué ; on
trouve d’ailleurs, chez Flavius Josèphe, le même type de critique à l’encontre
8.– Gerster 1884, p. 227.
9.– Voir Hdt., VII 21-24 (où l’entreprise est mise en relation avec l’orgueil, « μεγαλοφροσύνης »,
de Xerxès) et 33-36. Chez Sénèque, Xerxès est le type même du tyran fou furieux qui s’est
perdu par orgueil (Brev. 18, 5, où à Xerxès est comparé Caligula ; Ben. VI 31 ; Ir. III 16, 4).
184
Laurie Lefebvre
de Caligula, lequel est condamné par l’auteur juif pour n’avoir pas su mener
à bonne fin des travaux entrepris dans les environs de Rhegium et de la Sicile10.
Quoi qu’il en soit, l’on voit que, face à Néron, Xerxès devient chez
Philostrate digne de louanges, ce qui n’est pas peu dire… Le nom de Xerxès
apparaît également dans le dialogue du Pseudo-Lucien, où Musonius déclare
que Néron avait probablement dû songer au roi perse lorsque l’idée lui vint de
percer l’isthme de Corinthe11.
L’apparition du fantôme de Xerxès dans ces textes relatifs au projet de
percement de l’Isthme par Néron n’a rien pour étonner, le nom du roi perse
ayant toujours été, dans l’Antiquité, irrémédiablement attaché à tout projet
de construction gigantesque et extravagant : c’est, nous dit Suétone, au désir
d’imiter Xerxès que la plupart des Romains attribuèrent la construction par
Caligula d’un pont de bateaux entre Baïes et la digue de Pouzzoles12 ; c’est à
Xerxès aussi, d’après Velleius Paterculus, que Pompée assimilait Lucullus, lequel
avait lancé des digues dans la mer et aplani des montagnes pour faire pénétrer
les eaux au milieu des terres13 ; c’est aux travaux de Xerxès encore que Lucain
compare ceux de César14.
Caligula, César, Démétrios Poliorcète, Xerxès, la liste de tyrans avec lesquels,
par la seule tentative de percement de l’isthme de Corinthe, le dernier Julioclaudien fut mis en relation dans la littérature antique est déjà bien conséquente ;
or Néron commit bien d’autres crimes et folies.
La mort de Poppée
Les récits de Tacite, Suétone et Dion Cassius
Nous avons vu déjà que Néron passait pour avoir causé la mort de ses deux
premières femmes, Octavie et Poppée ; nous n’avons cependant pas encore
examiné les étranges circonstances de la mort de cette dernière. Selon Tacite,
Néron, dans un accès de colère, donna un jour un violent coup de pied à son
épouse Poppée alors enceinte, laquelle succomba :
« Après la fin des jeux Poppée décéda (Poppaea mortem obiit), suite à un coup
de colère fortuit de son mari, dont elle reçut un coup de pied alors qu’elle était
enceinte. » (Tac., An. XVI 6, 115)
Suétone donne à ce sujet davantage de précisions et explique que l’accès de
colère de Néron fut provoqué par les blâmes dont Poppée, enceinte et malade
10.– Jos., A. J. XIX 206.
11.– Ps. Luc., Ner. 2. Avant de citer Xerxès, le philosophe Musonius déclarait que Néron avait
voulu imiter le roi qui, pour conduire les Grecs devant Troie, sépara l’Eubée de la Béotie par
le canal de l’Euripe (sans doute s’agit-il d’une allusion à Agamemnon), ainsi que Darius, qui
jeta un pont sur le Bosphore afin de descendre chez les Scythes.
12.– Suet., Calig. 19, 3.
13.– Vell., II 33, 4.
14.– Luc., Phars. II 672-677.
15.– Tacite mentionne également dans ce chapitre une autre version de la mort de Poppée, selon
laquelle elle aurait été empoisonnée.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
185
de surcroît, accabla un soir son impérial époux, pour être revenu tardivement
au palais :
« Il chérit par-dessus tout Poppée, qu’il avait épousée onze jours après son
divorce avec Octavie ; et pourtant elle aussi il la tua (occidit), d’un coup de
pied, parce que, enceinte et malade, elle l’avait accablé de reproches tandis
qu’il rentrait tard d’une course de char. » (Suet., Ner. 35, 5).
Il est intéressant de noter que la formulation choisie par Suétone, qui fait
de Néron le sujet du verbe « occidit », accentue la responsabilité de l’empereur
dans la mort de Poppée et est du coup beaucoup plus défavorable à Néron que
celle de Tacite, qui préfère un « Poppaea mortem obiit » et ajoute, à côté de la
mention de la colère du prince, l’adjectif « fortuita », « fortuite ». Le récit de
Dion Cassius semble précisément faire écho à ces deux options, puisqu’on y lit
que le coup de pied fut donné soit par mégarde, ce qui rappelle le « fortuita » de
Tacite, soit avec intention, où l’on retrouve le ton accusateur de Suétone :
« Sabine aussi périt alors du fait de Néron : en effet il s’était élancé sur elle
alors qu’elle était enceinte, lui donnant un coup de pied intentionnel ou
involontaire. » (DC., LXII 27, 4)
Un crime topique
Cet accès fatal de brutalité à l’égard d’une épouse enceinte n’est pas le premier
de l’histoire de la tyrannie16 : chez Hérodote, on apprend que le roi perse
Cambyse, qui était bien connu pour sa cruauté17, frappa au ventre, pris de fureur,
son épouse enceinte, laquelle accoucha prématurément et mourut18. Le récit de
la mort de Poppée tel que nous l’ont transmis Tacite, Suétone et Dion Cassius
semble ainsi être moins un élément à prendre au pied de la lettre qu’un épisode
emprunté au répertoire des crimes traditionnellement imputés aux despotes et
un moyen d’assimiler Néron à un tyran typique19.
Nombreux sont d’ailleurs les personnages qui furent, dans l’Antiquité,
accusés de s’être jetés sur leur épouse enceinte et d’avoir par là causé la mort de
cette dernière ainsi que celle de l’enfant. Périandre notamment, trompé par les
calomnies de ses concubines, aurait, aux dires de Diogène Laërce, tué dans un
accès de colère sa femme Mélissa d’un coup de pied dans le ventre alors qu’elle
était enceinte20.
Comme dans le cas de Cambyse et celui de Néron, le motif du décès de
l’épouse enceinte suite à une fureur subite du mari est ici attribué à une figure
tyrannique : car si Périandre fut parfois inclus dans la liste des Sept Sages21, des
traditions hostiles au personnage se développèrent très tôt. Hérodote déjà,
16.– Mayer 1982, p. 248-249 ; Holztrattner 1995, p. 130-131.
17.– Hdt., III 30-38 ; V 25 ; Plat., Leg. III 695b ; Sen., Ir. III 14.
18.– Hdt., III 32.
19.– Les historiens pensent aujourd’hui que Poppée est en réalité morte de complications consécutives à sa grossesse, éclampsie, fausse couche ou autres (Martin 1999, p. 82).
20.– DL., I 94.
21.– DL., I 99. Diogène Laërce se fait ailleurs l’écho d’une tradition selon laquelle il y aurait eu
deux Périandre, le tyran de Corinthe et un sage né en Ambracie (I 98).
186
Laurie Lefebvre
dans un discours prêté à Sosiclès tentant de convaincre les Spartiates de ne
pas rétablir la tyrannie à Athènes, dit que Périandre fut « plus meurtrier »,
« μιαιφονώτερος », que son père Cypsélos et qu’il fit exiler et tuer toutes les
personnalités éminentes de la cité22. Platon de fait n’inclut pas Périandre dans sa
liste des Sept Sages23. Diogène Laërce, quant à lui, raconte que Périandre fut le
premier à s’entourer de gardes du corps, apanage typique du tyran24, et qu’il ne
laissait pas même vivre dans la cité tous ceux qui le voulaient25 ; Diogène Laërce
déclare tirer ces éléments d’Éphore et d’Aristote, ce qui montre que la tradition
hostile à Périandre était déjà bien développée à l’époque du Stagirite. Périandre
aurait en outre songé (lui aussi !) à percer l’isthme de Corinthe26 et il était de
notoriété publique qu’il avait eu une liaison avec sa mère Crateia27, accusation
qui sera précisément formulée à l’encontre de Néron.
Hérode Atticus ensuite, à qui est attribué, là encore, un projet de percement
de l’isthme de Corinthe28 et qui avait été accusé de tyrannie par les Athéniens29,
aurait, selon Philostrate, ordonné à son affranchi Alcimédon de battre sa femme
Régilla alors enceinte de huit mois, laquelle fut alors frappée au ventre et mourut
en mettant l’enfant au monde prématurément30.
Et c’est de manière analogue en donnant un coup de pied dans le ventre de
son épouse enceinte que Novatus, prêtre de Carthage et tête de file des partisans
de la réintégration dans les églises de ceux qui avaient renié la foi chrétienne lors
de la persécution de Dèce, aurait, selon Cyprien de Carthage, provoqué chez sa
femme un accouchement prématuré et la mort de l’enfant31.
On retrouve même un schéma identique dans le roman de Chariton d’Aphrodisias, où l’on voit le héros, Chéréas, trompé par des calomnies (comme l’avait
été Périandre), frapper au ventre, sous le coup de la colère, son épouse Callirhoé,
laquelle tomba à terre, inanimée, et fut alors laissée pour morte32.
Le parallèle entre tous ces récits a de quoi troubler, et signale le lieu commun.
Comme l’a noté F. Holztrattner au sujet du récit tacitéen de la mort de
Poppée, « Tacitus in ann.16, 6 nicht von den historischen Umständen des Todes
der Poppaea berichtet, sondern ein Element der Tyrannentopik benutzt33 ».
22.– Hdt., V 92f-g.
23.– Plat., Prot. 343a. Voir aussi Rsp. I 336a.
24.– DL., I 66 ; voir aussi Hdt., I 59 ; Arstt., Ath. 14 ; Rhet. I 1357b ; Plut., Sol. 30 ; El., V. H. VIII
16. Une escorte similaire est attribuée à Romulus (Liv., I 15, 8 ; Plut., Rom. 26 ; Num. 7 ;
DH., II 13 ; 64), Servius Tullius (Liv., I 41, 6 ; DH., IV, 5) et Tarquin le Superbe (Liv., I 49,
2 ; DH., IV 41).
25.– DL., I 98.
26.– DL., I 99.
27.– DL., I 96 ; Parth., 17 ; Plut., M. 146d.
28.– Philstr., V. soph. II 551.
29.– Hoët-Van Cauwenberghe 2007b, p. 153-180.
30.– Philstr., V. soph. II 555.
31.– Cypr., Ep. 52, 2, 5. Sur ce texte, voir Jacques 1982, p. 921-949.
32.– Charit., I 4, 12.
33.– Holztrattner 1995, p. 130.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
187
Une tentative de tyrannicide manquée : le cas Pison
Néron, donc, tel Cambyse ou Périandre, est un tyran. En tant que tel, il doit
être tué : toutes les histoires de tyrans ont leur tyrannicide. Le voilà précisément
qui apparaît, en la personne de Caius Calpurnius Pison, en l’an 65 de notre ère.
Le récit de la conjuration de Pison occupe les vingt-sept derniers chapitres du
livre XV des Annales de Tacite ; le chapitre 36 de la Vita Neronis de Suétone (qui,
étant donné que son ouvrage est tout entier focalisé sur la personne et les actes
de Néron, s’intéresse moins à la conjuration en elle-même qu’à sa répression
par l’empereur) ; les chapitres 24 à 27 du livre LXII de l’Histoire romaine de
Dion Cassius.
Voici les grandes lignes de l’épisode : une foule de personnes d’origines
diverses, sénateurs, chevaliers, soldats, femmes, décide de tramer un complot
contre Néron ; au-delà de la diversité de leurs motivations34, les conjurés se
perçoivent tous comme des sauveurs de la République. Tacite, rapportant les
propos des conjurés, écrit qu’il s’agissait pour eux de trouver quelqu’un « qui
pût secourir l’État épuisé », « qui fessis rebus succurreret35 », expression qui,
en insinuant que Néron a diminué l’État, constitue l’exacte antithèse de la
formule traditionnelle de sortie de charge des consuls, lesquels devaient jurer
avoir conservé ou augmenté la République. Pison déclare ainsi que le meurtre
de Néron sera perpétré pour le bien de l’État, « pro re publica36 », et le tribun
Subrius Flavus, qui songea un instant tuer Néron alors qu’il chantait sur scène,
voulait par là que le peuple tout entier fût témoin d’un « acte aussi glorieux »,
« tanti decoris37 ».
Dans la Vie de Lucain de Suétone, l’on voit de même le poète, impliqué
dans la conjuration, célébrer sans s’en cacher la « gloire des tyrannicides »,
« gloria tyrannicidarum ». Il s’agit donc bien de renverser un tyran et de libérer
la république de son fardeau, ce qui nous invite à comparer les récits antiques
de la conjuration de Pison avec les tyrannicides célèbres de l’histoire grecque
et romaine.
L’action d’Harmodios et d’Aristogiton
À la conjuration de Pison avait pris part une affranchie, Épicharis, dont il est
question chez Tacite et Dion Cassius. Cette femme est, véritablement, l’héroïne
de la conspiration : c’est elle qui, excédée de la lenteur et des tergiversations de
ses complices, essaya d’enrôler les chefs de la flotte de Misène38 ; c’est elle surtout
qui, une fois la conjuration mise au jour, se tut obstinément lors des interrogatoires auxquels la soumirent les bourreaux et ne révéla jamais le nom de ses
34.– Tac., An. XV 48, 1 (haine à l’encontre de Néron ; sympathie pour Pison) ; 49, 3-4 (amour du
bien public ; vengeance d’affronts personnels) ; DC., LXII 24, 1 (les conjurés ne pouvaient
plus supporter les désordres et la cruauté de Néron).
35.– Tac., An. XV 50, 1. Une des conjurée, Épicharis, parle de même de la « république renversée », « euersae rei publicae » (Tac., An. XV 51, 3).
36.– Tac., An. XV 52, 1.
37.– Tac., An. XV 50, 4.
38.– Tac., An. XV 51.
188
Laurie Lefebvre
complices, malgré les tortures terribles qu’on lui fit endurer39. Elle finit par se
pendre au moyen du ruban qui lui maintenait la poitrine, dans la chaise à porteur
qui la ramenait au supplice, sans avoir jamais rien révélé de la conspiration.
Cet exemple admirable de courage et de loyauté fourni par une femme
taisant même sous la torture le nom des tyrannicides a un illustre précédent :
celui de la courtisane Leaena qui, mise à la torture, ne dénonça cependant pas
les tyrannoctones Harmodios et Aristogiton, qui avaient assassiné le Pisistratide
Hipparque40. La mémoire de Leaena fut honorée par les Athéniens qui lui décernèrent une statue de lionne, fameuse dans l’Antiquité, ce qui nous assure de la
célébrité de la courtisane. Le personnage d’Épicharis correspond ainsi avant
tout à un type : les récits antiques relatifs à la conjuration de Pison portent la
trace de schémas préétablis.
Les ides de mars 44 av. J.-C.
Si le personnage d’Épicharis est modelé sur celui de Leaena, le sénateur Flavius
Scaevinus et le consul Lateranus reprennent pour leur part le rôle de Tillius
Cimber et de Casca, deux des meurtriers de Jules César. Car, derrière le récit de
la conjuration de Pison, c’est, bien sûr, l’assassinat du dictateur lors des ides de
mars 44 qui apparaît.
Le plan des membres de la conjuration de Pison rappelle en effet étrangement les circonstances de la mort de César. Alors que Jules César s’asseyait
dans la curie, les conjurés l’entourèrent, sous prétexte de lui rendre hommage ;
Tillius Cimber s’approcha comme pour lui demander une faveur et saisit la toge
du dictateur aux épaules ; Casca alors le blessa par derrière, aidé bientôt des
autres conjurés41.
De leur côté, les complices de Pison prévoyaient d’attaquer Néron lors des
Cerealia, à l’occasion de jeux du cirque ; Lateranus, comme pour implorer le
secours de l’empereur pour les besoins de sa famille, prendrait une attitude
suppliante et tomberait aux genoux du prince ; il le renverserait et le maintiendrait au sol avec les autres conjurés ; Scaevinus, quant à lui, réclamait l’exécution
de l’action centrale et gardait pour ce faire un poignard toujours avec lui42.
Comme cela a été souvent noté, les gestes que Lateranus était censé accomplir
sont, à peu de choses près, exactement ceux de Tillius Cimber, tandis que
Scaevinus se réservait le rôle de Casca43.
Ce qui motive surtout une telle lecture est la présence, au sein des récits
antiques relatifs à la conjuration de Pison, de la figure de Cassius, un des chefs de
la conspiration fomentée contre César. Tacite nous apprend en effet, au début
du livre XVI des Annales, quelques chapitres donc seulement après le récit de
la conjuration de Pison, que Néron fit condamner à l’exil C. Cassius Longinus,
sous prétexte qu’il honorait parmi les images de ses ancêtres le portrait du
39.– Tac., An. XV 57 ; DC., LXII 27, 3.
40.– Plin., N. H. VII 87 ; XXXIV 72 ; Plut., M. 505e ; Paus., I 23, 1-2.
41.– Suet., Caes. 82, 1-2.
42.– Tac., An. XV 53, 1-2.
43.– La Ville de Mirmont 1914, p. 306 ; Koestermann 1968, p. 279 ; Woodman 1998,
p. 193.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
189
meurtrier de César, ce qui, au dires de l’empereur, revenait à jeter « des semences
de guerre civile », « semina belli ciuilis44 ». Suétone rapporte cet épisode dans
le chapitre qui suit immédiatement celui où il est question de la conjuration de
Pison45, et Dion Cassius le mentionne au cœur même du passage de l’Histoire
romaine consacré à la conjuration et à ses suites, juste avant d’en venir à la mort
héroïque d’Épicharis46.
Ces diverses mentions du nom propre Cassius, auxquelles on peut peut-être
ajouter la présence d’un soldat dénommé Cassius dans le récit tacitéen consacré
à la conspiration47, ont pour effet de réveiller le souvenir des ides de mars, qui
vient se superposer à la lecture de la vie de Néron. S’inspirant de l’assimilation
de la conjuration de Pison au meurtre de César que suggéraient les auteurs
antiques, D. Kosztolányi, dans son roman consacré à Néron, écrira que deux
des conjurés se faisaient, précisément, appeler Cassius et Brutus48…
L’apparition de Cassius aux marges des récits consacrés au complot dirigé
contre le tyran Néron n’a rien pour étonner. Cassius était en effet le type même
du tyrannicide, comme cela apparaît clairement à l’occasion d’une anecdote
que nous rapportent Suétone et Dion Cassius : Caligula, avant d’être assassiné
par Chaerea, avait été averti par un présage de se garder de Cassius ; Caligula
avait alors fait mettre aux fers le gouverneur d’Asie C. Cassius Longinus, parce
qu’il était un descendant du Cassius qui avait assassiné Jules César ; mais en
réalité le ciel désignait Cassius Chaerea49. Suétone ajoute qu’avant le meurtre de
Caligula, un certain Cassius prétendit avoir reçu en rêve l’ordre d’immoler un
taureau à Jupiter, et que le Capitole de Capoue fut frappé de la foudre le jour des
ides de mars, ce qui, comme le conjecturèrent beaucoup de gens, annonçait un
assassinat digne de celui qui avait été commis autrefois à pareille date, allusion
transparente au meurtre de Jules César50. C’est donc bien le meurtre des ides de
mars 44 qui constituait, pour les Romains, le paradigme du tyrannicide.
La conjuration de Cassius Chaerea
Le meurtre de Caligula, outre celui de César, constitue par ailleurs un autre
précédent célèbre à la tentative d’assassinat de Néron par les conjurés de 65 de
notre ère. Les deux conjurations, celles de Cassius Chaerea et celle de Pison,
présentent à plusieurs égards, telles notamment que les racontent Suétone et
Tacite, un schéma identique : les deux événements prirent place au cours de
jeux, les jeux palatins dans le cas de Caligula51, les jeux des Cerealia dans celui de
Néron ; les deux récits s’articulent autour d’un couple de personnages, Chaerea
et Sabinus dans un cas52, Scaevinus et Lateranus dans l’autre ; Suétone et Tacite,
44.– Tac., An. XVI 7, 2.
45.– Suet., Ner. 37, 2. D’après Suétone, Cassius ne fut pas déporté mais mis à mort.
46.– DC., LXII 27, 1.
47.– Tac., An. XV 66, 2.
48.– Kosztolányi 1944, p. 224 et 227.
49.– Suet., Calig. 57, 6 ; DC., LIX 29, 3.
50.– Suet., Calig. 57, 2-4. Sur le parallèle entre la conjuration de Chaerea et le meurtre de Jules
César par Cassius et Brutus, voir Jos., A. J. XIX 184.
51.– Jos., A. J. XIX 75 ; Suet., Calig. 56, 4 ; DC., LIX 29, 4.
52.– Jos., A. J. XIX 48 ; Suet., Calig. 58, 3 ; DC., LIX 29, 1.
190
Laurie Lefebvre
prêtant à Chaerea et à Scaevinus une attitude comparable, les montrent tous
deux en train de réclamer le premier rôle, « primas partes », dans l’exécution du
tyran53. La similitude textuelle et contextuelle entre les deux présentations tend à
montrer que les deux événements, meurtre de Caligula et complot contre Néron,
étaient dans l’Antiquité perçus comme appartenant au même type d’épisode et
que leur mise en récit mobilisait du coup les mêmes ressources54.
Les liens nombreux que les récits antiques de la conjuration de Pison tissent
avec des événements marquants de l’histoire gréco-romaine, action d’Harmodios et d’Aristogiton, ides de mars 44, meurtre de Caligula, nous indiquent
comment il convient de lire cette conspiration : comme une véritable tentative
de tyrannicide. Mais comme une tentative seulement : car Pison échoua et ne fut
pas le Brutus capable de chasser Néron-Tarquin55. Comme le déclare le chœur
de l’Octavie avec nostalgie, la vaillance véritable, celle des premiers Romains qui
chassèrent les Tarquin et vengèrent Lucrèce, appartient à un passé révolu56.
De manière générale, derrière chaque épisode de la vie de Néron se donne
à voir un autre événement, dont la présence vient orienter notre lecture, tout
en montrant à quel point la figure de l’empereur histrion est inscrite dans une
série : les événements de la vie de Néron ici étudiés, travaux sacrilèges, meurtre
de l’épouse enceinte, tyrannicide, qu’ils reposent ou non sur des faits réels,
ont été conçus comme des scènes typiques qui se doivent de figurer dans une
biographie de tyran et qui, en retour, signalent au lecteur leur protagoniste
comme tyrannique.
Mais plus qu’à des types d’épisodes, c’est à des séries de personnages que les
portraits de Néron nous confrontent : la lecture de la geste néronienne nous
ouvre en effet les portes de la vaste collection de portraits des plus grands
hostes romani.
Sur les traces des ennemis de Rome
Le spectre de l’antique Royauté
Néron et les Tarquins
Lors de son premier chant, le chœur de l’Octavie, regrettant l’antique vertu
des premiers Romains, rappelle comment ils vengèrent le viol de Lucrèce et
53.– Suet., Calig. 56, 4 ; Tac., An. XV 53, 2. L’expression « primas partes » est appliquée également par Suétone à Tillius Cimber dans son récit du meurtre de César (Suet., Caes. 82, 1).
54.– Voir McMullen 1966, p. 71 (au sujet des meurtres de César et de Caligula) : « the full
descriptions which appear in Nicolaus end the Josephus source, and which were evidently
available to chroniclers of last hours of the Athenian Hipparchus, or Nero, or Commodus,
belonged to a genre. Literature in this way exercised an inspiring and formative influence
over men’s imaginations ». R. McMullen rappelle que l’éloge des tyrannicides était un
des exercices pratiqués dans les écoles de rhétorique.
55.– Sur la faillite de la conjuration de Pison, voir infra, p. 245.
56.– Ps. Sen., Oct. 291-296 : « Vraie fut autrefois la vaillance des premiers Romains ; ces hommes
étaient les vrais fils, le vrai sang de Mars. Eux chassèrent de notre ville les rois superbes ; ils
vengèrent bien tes mânes. » Le Brutus qui chassa les Tarquin était, comme celui qui tua
César, le type du tyrannicide et du libérateur.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
191
chassèrent les rois superbes, c’est-à-dire les Tarquins, dernière dynastie à avoir
régné sur Rome avant l’instauration de la République57. Le chœur rappelle aussi
que Tarquin le Superbe et son épouse Tullia payèrent de leur vie le meurtre du
père de cette dernière, Servius Tullius, assassiné par Tarquin sur les conseils de
sa femme afin qu’il régnât seul.
Or la mention de ce parricide est immédiatement suivie par le récit du meurtre
d’Agrippine par Néron, les deux épisodes étant liés par un « haec quoque nati
uidere nefas / saecula magnum58 », « notre époque aussi vit l’immense sacrilège
d’un fils », expression qui, par son « quoque », souligne bien l’équivalence entre
les deux forfaits tout en effaçant la distance chronologique qui les sépare : comme
l’a noté L. Herrmann dans son édition de l’Octavie59, le chœur passe ici directement des crimes de Tarquin à ceux de Néron « de manière à assimiler ainsi
l’empereur aux rois que Rome a chassés jadis ». C’est un parricide qui apporta à
Néron l’affranchissement de la tutelle maternelle et au couple Tullia / Tarquin le
pouvoir personnel, le principat néronien ravivant du même coup le traumatisme
que constitua le règne du dernier roi de Rome, prototype du rex superbus.
Aux côtés du motif du parricide originel sur lequel le chœur de l’Octavie
appuie son assimilation de Néron à Tarquin le Superbe, ces personnages correspondent d’autre part tous deux au tyran tel que l’ont défini les théories philosophiques grecques. C’est ainsi que l’on voit le dernier représentant de la dynastie
julio-claudienne, digne héritier du dernier roi de Rome, partager avec lui la
même cruauté et le même mode de gouvernement : mise à mort des membres
éminents du Sénat, exil et condamnation à mort des personnages fortunés,
procès à répétition, terreur générale60, ce qui correspond à plusieurs des procédés
de maintien au pouvoir répertoriés par Aristote dans sa définition du tyran61.
On peut noter enfin qu’à la fière Tullia livienne, cherchant à exciter Tarquin
et à le pousser au régicide en lui reprochant sa lâcheté62, correspond auprès du
Néron de Tacite l’orgueilleuse Poppée, s’ingéniant à force de reproches et de
plaintes à attiser la crainte et la colère de l’empereur afin d’obtenir de lui les
morts d’Agrippine et d’Octavie63 : à nouveau le rôle joué par Poppée a un air de
déjà-vu.
À l’aube du principat de Néron apparaissait déjà le fantôme des derniers
rois de Rome. Tacite et Suétone rapportent en effet qu’Agrippine, voyant les
sentiments de son impérial époux changer et craignant qu’il n’eût un retour
de tendresse pour Britannicus, décida de hâter la mort de Claude en l’empoisonnant, puis tint son décès secret et fit croire qu’il était malade, jusqu’à ce
que tout fût réglé afin d’assurer la succession à Néron64. Il s’agit là d’un schéma
57.– Ps. Sen., Oct. 291-309.
58.– Ps. Sen., Oct. 310-311.
59.– Sénèque, Tragédies, t. II, éd. Herrmann, p. 226.
60.– Liv., I 49 ; DH., IV 42.
61.– Arist., Pol. V 1313a.
62.– Liv., I 47, 3-6. Voir aussi DH., IV 39, 2.
63.– Tac., An. XIV 1 ; 61, 2-4.
64.– Tac., An. XII 66-69 ; Suet., Claud. 43-45.
192
Laurie Lefebvre
topique dont on trouve de nombreux exemples dans l’historiographie antique :
des bruits analogues couraient en effet au sujet d’Auguste, dont le décès aurait
été tenu secret jusqu’à ce que tout fût prêt pour l’avènement de Tibère65, ainsi
qu’au sujet de Philippe V de Macédoine, dont le médecin Calligène cacha la
mort à tous ceux qui étaient hors du palais afin de laisser le temps à Persée de
revenir s’emparer du trône66 ; des rumeurs similaires coururent même au sujet de
Dioclétien, dont certains crurent que l’on cachait la mort en attendant l’arrivée
de Galère67.
Or le modèle en la matière est offert par les récits relatifs aux premiers temps
de l’histoire de Rome. On racontait en effet que Tanaquil, l’épouse de Tarquin
l’Ancien, comme ce dernier venait d’être assassiné à l’instigation des deux fils
d’Ancus Marcius enragés d’avoir été écartés du trône, ferma le palais, fit croire
au peuple que le roi n’avait pas succombé à sa blessure, et annonça enfin que
Servius Tullius remplirait les fonctions royales en attendant le rétablissement de
son époux ; ainsi, lorsque la mort de Tarquin fut annoncée, l’autorité de Servius
était désormais bien affermie et la succession lui était assurée68.
Le parallélisme que nous décelons aujourd’hui entre l’avènement de Néron
et celui du sixième roi de Rome devait assurément être présent à l’esprit des
lecteurs antiques. La preuve, s’il en fallait, est qu’Aurelius Victor, dans son Livre
des Césars, souligne explicitement le parallèle : on le voit ainsi écrire, au terme du
chapitre consacré au principat de Claude, que « la mort de l’empereur, comme
jadis dans le cas de Tarquin l’Ancien, fut longtemps tenue cachée », « ceterum
funus, ut quondam in Prisco Tarquinio, diu occultatum69 ». L’auteur de l’Abrégé
des Césars reprendra exactement les termes de Victor70.
La narration d’Aurelius Victor accentue par ailleurs le parallélisme entre
l’avènement de Néron et celui de Servius Tullius. L’abréviateur ajoute en effet,
au récit de la mort de Claude, un élément que l’on ne trouve ni chez Tacite ni
chez Suétone, à savoir que « les gardes firent passer l’empereur pour malade
et feignirent que le soin de l’État avait été confié par Claude pour un moment
à son beau-fils, qu’il avait admis peu de temps auparavant au nombre de ses
enfants71 ». Néron apparaît du coup comme ayant assuré la régence pendant la
feinte maladie de Claude, version des faits que l’on ne trouve nulle part ailleurs
et qui est sans aucun doute calquée sur l’épisode de Tanaquil annonçant au
peuple que Servius Tullius allait assumer la charge de l’État jusqu’à la guérison
de Tarquin. Le texte d’Aurelius Victor illustre de manière flagrante comment un
épisode de l’histoire romaine (en l’occurrence l’avènement de Néron) pouvait
être modelé sur des récits similaires circulant sur les figures célèbres du passé.
65.– Tac., An. I 5 ; Suet., Tib. 22, 1 ; DC., LVI 31, 1.
66.– Liv., XL 56, 11.
67.– Lact., Mort. 17, 7.
68.– Cic., Rep. II 38 ; Liv., I 41 ; DH., IV 4-5 ; Flor., I 6 ; Ps. Aur.-Vict., Vir. 7.
69.– Aur.-Vict., 4, 15. Aurelius Victor compare souvent les empereurs et les premiers rois de
Rome (cf. Aur.-Vict., 3, 14 ; 11, 12 ; 35, 12), ce qui s’explique sans nul doute par sa conception
cyclique du temps (Aur.-Vict., 35, 13).
70.– Ps. Aur.-Vict., Epit. 4, 11.
71.– Aur.-Vict., 4, 15.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
193
On peut se demander également si l’établissement d’un parallèle entre Néron
et un ancien roi de Rome, dont on connaît la haine tenace pour la royauté, ne
jetait pas une ombre inquiétante sur le dernier Julio-claudien. Certes, comme l’a
noté M. P. Charlesworth dans un article comparant la version tacitéenne
du rôle de Livie dans l’avènement de Tibère avec les figures de Tanaquil et
d’Agrippine la Jeune, Tanaquil bénéficiait dans l’Antiquité d’une réputation
fort honorable72, bien meilleure en tout cas que celle d’Agrippine. En effet, alors
que c’est Agrippine qui assassina son époux et retarda l’annonce de sa mort afin
d’assurer le trône à son fils, Tarquin périt sous les coups des fils d’Ancus Marcius,
et Tanaquil apparaît dans la tradition comme une femme ayant fait preuve de
prudence et de sang-froid, non comme une comploteuse. D’autre part, Servius
Tullius est souvent considéré comme un roi « démocratique », voire comme un
second fondateur de Rome.
On serait de fait bien en peine de pousser trop loin la comparaison entre
Tarquin-Tanaquil-Servius et Claude-Agrippine-Néron. Cependant, contrairement à ce qu’a soutenu M. P. Charlesworth, il convient de relativiser
l’honorabilité de l’acte de Tanaquil et de Servius Tullius. Car la tradition fait
manifestement planer, au-dessus de l’avènement de ce dernier, un air de tyrannie,
dont les premiers signes remontent à Tarquin l’Ancien et qui éclatera avec force
avec Tarquin le Superbe : les récits de Tite-Live et de Denys d’Halicarnasse
relatifs aux trois derniers rois de Rome se montrent ainsi soucieux de montrer
l’évolution de la monarchie vers la tyrannie que causa l’arrivée des Étrusques au
pouvoir, la tradition faisant de l’avènement de Tarquin l’Ancien le « début du
processus de dégradation monarchique73 ».
Jusqu’à cet avènement, les rois de Rome avaient toujours, à partir de Numa,
été choisis par le Sénat puis élus par le peuple, sous réserve de ratification du vote
populaire par les Pères74 : or c’est à partir de Tarquin l’Ancien que l’on voit se
dégrader ce processus et que l’on commence à noter des irrégularités. En effet, si
Tarquin l’Ancien fut élu de manière régulière, c’est cependant, d’après Tite-Live,
par l’adresse et la ruse et à force d’ambition75 qu’il parvint au trône. Tarquin
chercha surtout à s’appuyer sur la plèbe, ce qui est une pratique tyrannique76, et
eut recours à des manœuvres suspectes afin de se maintenir au pouvoir, comme
72.– Charlesworth 1927, p. 56. Sur le parallélisme entre les récits tacitéens de la mort d’Auguste, cachée par Livie, et de Claude, cachée par Agrippine (Tac., An. I 5 et XII 66-69), voir
aussi Martin 1955, p. 123-128 ; Walker 1960, p. 70, n. 2 ; Cattaneo 1958, p. 476-482.
Plusieurs de ces chercheurs voient dans l’épisode tacitéen de la mort d’Auguste le résultat d’une imitation à rebours : cet épisode aurait été écrit d’après l’épisode de la mort de
Claude, et non l’inverse.
73.– Martin 1982, p. 49. Voir aussi Ruch 1969, p. 107-112.
74.– Cic., Rep. II 25 ; 31 ; Liv., I 17-18 ; 22, 1 ; 32, 1 ; DH., IV 40, 2.
75.– Liv., I 34, 1 ; 34, 4 ; 34, 7 ; 34, 12 ; 35, 2 ; 35, 6 ; 40, 2. Voir aussi Ps. Aur.-Vict., Vir. 6, où l’on
peut lire que Tarquin a dérobé, « intercepit », le pouvoir. Polybe, Cicéron et Denys d’Halicarnasse, s’ils ne font pas apparaître dans leurs récits le motif de l’ambition délibérée, attribuent cependant l’ascension de Tarquin à son charme et aux grâces de la séduction, ce qui
est une marque de la dégradation des valeurs qui s’est opérée depuis l’élection d’un Numa,
choisi pour sa seule vertu (Pol., VI 2 ; Cic., Rep. II 20, 35 ; DH., III 48).
76.– Aristote définit les tyrans comme des démagogues (Arstt., Pol. V 1310b).
194
Laurie Lefebvre
de nommer des nouveaux sénateurs de manière à se créer un parti et d’entreprendre une série de guerres et de travaux afin de maintenir le peuple occupé77.
Tanaquil n’est, du point de vue de l’ambition et de l’orgueil, pas en reste vis-à-vis
de son époux : c’est elle qui, dans l’espoir de voir son mari dans les honneurs, le
poussa à quitter Tarquinies pour Rome78 ; c’est elle aussi qui empêcha Servius
Tullius, qui songeait à déposer la royauté, de se défaire du trône79.
Le processus de dégradation de la monarchie va ensuite s’accentuer avec
Servius Tullius, qui apparaît comme le premier roi de Rome à ne pas avoir été élu
régulièrement, puisqu’il prit le pouvoir sans désignation par le Sénat, sans vote
populaire, sans ratification des Pères, et qu’il monta sur le trône soutenu par une
garde solide80, ce qui a un goût certain de tyrannie. D’autre part, comme Tarquin
l’Ancien, Servius Tullius apparaît dans la tradition comme un roi qui appuya son
pouvoir sur le peuple81, et de même que Tarquin avait, immédiatement après
son avènement, lancé Rome dans une série de guerres afin d’occuper le peuple,
Servius vit, grâce au conflit avec les Véiens, sa tranquillité assurée82.
D’un roi élu régulièrement mais coupable de fraude et d’ambition, Tarquin
l’Ancien, on passa ainsi à un roi ayant usurpé le trône et n’ayant été légalisé
qu’après coup, Servius Tullius, pour arriver enfin à un pur tyran, Tarquin le
Superbe, qui devra son arrivée au pouvoir à la force armée, ne sera jamais soutenu
ni par le peuple ni par les Pères et réunira toutes les caractéristiques du tyran
grec. Il existait donc bien dans l’Antiquité une tradition tenace qui attribuait
à l’arrivée des Étrusques la dégradation de la monarchie en tyrannie et qui, en
particulier, faisait de l’avènement de Servius Tullius une usurpation et un coup
de force.
Il n’est donc pas impossible que l’assimilation de Néron à Servius ait eu pour
effet de donner à l’empereur une posture tyrannique et de souligner sa qualité
d’usurpateur. La convocation de la figure de Servius Tullius et du souvenir de son
avènement illégal en arrière-plan des récits antiques relatifs à la mort de Claude
et à l’avènement de son fils adoptif devait en tout cas contribuer à souligner le
caractère irrégulier et frauduleux de l’arrivée au pouvoir de Néron.
« Antiquas fratrum discordias »
Un autre épisode de la geste néronienne semble porter la trace d’un rapprochement du principat de Néron avec l’antique royauté : c’est celui de la mort
de Britannicus, que, d’après Tacite, l’empereur aurait assassiné afin de se débarrasser d’un rival gênant. Tacite, décrivant la réaction de la plupart des Romains
face à ce meurtre, l’exprime par ces mots : « facinus cui plerique etiam hominum
77.– Liv., I 35, 6-9. Faire la guerre et mettre en place de grands travaux sont, d’après Aristote,
deux des moyens grâce auxquels le tyran va maintenir son pouvoir, au sens où cela va priver
le peuple de loisir et l’appauvrir (Pol. V 1313b).
78.– Liv., I 34, 5.
79.– Plut., M. 323d.
80.– Liv., I 41, 6 (sur ce passage, voir Martin 1982, p. 50-51). Voir aussi Cic., Rep. II 37-38 ; Liv.,
I 46, 1 ; 47, 10 ; DH., IV 5, 3 ; 40, 1.
81.– DH., IV 8, 3 ; 12 ; 40, 3.
82.– Liv., I 42, 2.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
195
ignoscebant, antiquas fratrum discordias et insociabile regnum aestimantes83 »,
« un forfait que bien des gens excusaient, estimant les discordes entre frères
éternelles et le trône impossible à partager ».
E. Koestermann et É. Aubrion voient, dans l’expression « antiquas
fratrum discordias », une allusion à la légende d’Atrée et de Thyeste84. Cependant,
l’expression de Tacite est très large : comme l’indique le pluriel, ce n’est pas
seulement la légende des fils de Pélops qui est ici convoquée, mais toutes les
luttes fratricides qui peuplent en nombre la mythologie ou l’histoire. É. Jacob
et H. Furneaux ajoutent ainsi, à côté d’Atrée et de Thyeste, les noms d’Étéocle
et de Polynice, de Romulus et de Remus, de Cyrus le Jeune et d’Artaxerxès85 ; on
peut penser encore à Octavien faisant exécuter Césarion, et aux inimitiés entre
les fils de Philippe V de Macédoine ou entre Jugurtha et ses frères adoptifs. Le
motif des rivalités fraternelles et de l’impossible partage du pouvoir est ainsi
un élément topique de l’historiographie antique86 ; le thème de la rivalité entre
frères est même l’un des principes organisateurs du texte de Tacite : les Annales
sont rythmées par les récits de luttes ou, à l’inverse, d’entente exceptionnelle
entre fratres87.
Cependant, l’emploi par Tacite de l’adjectif « antiquas » ainsi que celui,
pensons-nous, du terme « regnum » nous invitent à rester dans le domaine du
passé lointain et légendaire. Si le mot « regnum » apparaît à maintes reprises
dans les Annales, il s’agit presque exclusivement de désigner les royaumes qui
bordent l’Empire romain (celui des Parthes et l’Arménie notamment) et le
terme a donc une acception technique très particulière88 : ce qui n’est pas le
cas ici. Lorsqu’il s’agit d’exprimer l’idée de « pouvoir », ce sont les termes
« potentia » ou « dominatio » qui sont habituellement privilégiés : ainsi, lorsque
Tacite, évoquant la concordia exceptionnelle entre Sénèque et Burrus, cherche à
exprimer la même idée que l’expression « insociabile regnum » qui nous occupe,
ce sont les termes « rarum in societate potentiae », « phénomène rare dans le
partage du pouvoir », qui sont employés89. De même, au livre IV 4 des Annales,
au moment d’exprimer cette même idée, c’est à nouveau le terme potentia qui
83.– Tac., An. XIII 17, 1.
84.– Koestermann 1968, p. 266 ; Aubrion 1985, p. 701.
85.– Jacob 1886, p. 146 ; Furneaux 1907, p. 174.
86.– Voir par exemple Phil., Leg. 68 (la foule justifie le meurtre de Tiberius Gemellus, petit-fils
de Tibère, par Caligula, en rappelant que l’empire est une chose indivisible) ; Plut., Dem.
3, 3 (Plutarque, convaincu que le pouvoir est difficile à partager, s’étonne que la maison
d’Antigone Monophtalmos, général et successeur d’Alexandre, ait pu se conserver pure de
crimes familiaux).
87.– Tac., An. II 9-10 (rivalité entre Arminius et Flavus) ; II 43, 6 (entente de Germanicus et de
Drusus II) ; IV 60, 3 (rivalité entre les deux fils de Germanicus, Néron César et Drusus III) ;
XV 2, 1 (Vologèse, le roi des Parthes, se flatte d’avoir mis fin aux « antiques haines fraternelles », « uetera fratrum odia », en mettant son frère Tiridate en possession de l’Arménie). À ce sujet, voir McCulloch 1984, p. 102.
88.– Il n’y a dans les Annales que six autres occurrences de « regnum » au sens de « pouvoir »
(IV 1, 3 ; 3, 3 ; XII 7, 3 ; 65, 2 ; 66, 2 ; XIII 14, 1). Il est intéressant de constater que sur ces six
occurrences, quatre apparaissent dans les livres consacrés au développement de l’influence
d’Agrippine et aux débuts du règne de Néron.
89.– Tac., An. XIII 2, 1.
196
Laurie Lefebvre
apparaît : « quamquam arduum sit eodem loci potentiam et concordiam esse »,
« bien qu’il soit difficile de réunir pouvoir et entente au même endroit ».
Il est donc légitime de se demander si l’emploi de « regnum » au lieu d’un
« potentiam » plus attendu ne confèrerait pas au passage, notamment du fait
de la proximité de l’adjectif « antiquas », une coloration archaïque, et s’il ne
contiendrait pas une allusion directe à l’antique royauté romaine. H. Furneaux
et E. Koestermann soulignent de fait que l’expression « insociabile regnum »
est une réminiscence d’un passage de l’Histoire romaine de Tite-Live où il est
question de la « societatem regni » de Romulus et de Tatius, ce qui nous renvoie,
précisément, au passé mythique de Rome et à la tradition d’un règne – ou d’une
tentative de règne – commun90. Le passé romain est effectivement rempli d’histoires de luttes intestines : outre le meurtre de Remus par Romulus, on peut citer
la lutte d’Énée contre les Italiens, le conflit entre Amulius et Numitor, l’épisode
des Sabines empêchant leurs maris de combattre leurs pères, la guerre entre
Rome et Albe, le combat entre Horaces et Curiaces.
Rome et l’odium regni
L’expression de Tacite devait donc avoir pour effet de convoquer, dans le portrait
de Néron, le spectre de l’époque royale. Or, de manière générale, les Romains
éprouvaient pour ainsi dire instinctivement une irrépressible répulsion envers
l’idée monarchique, l’odium regni, qui d’après la tradition était né de la tyrannie
de Tarquin le Superbe, avait été entretenu et développé sous la République et ne
cessa ensuite de se manifester à travers les siècles91.
La lecture des historiens de Rome fourmille d’attestations de cet odium regni,
qui prit bien souvent la forme de haine du nom même de « rex » : elle nous
apprend par exemple que le consul Spurius Cassius fut soupçonné d’aspirer
à la royauté et finalement condamné à mort en 485 av. J.-C.92 ; que Spurius
Maelius, en 439 av. J.C., fut tué par le maître de cavalerie Servilius Ahala pour
avoir voulu devenir roi93 ; l’histoire compte une nouvelle affaire d’adfectatio
regni en la personne de Marcus Manlius Capitolinus, qui fut précipité de la
roche Tarpéienne en 384 av. J.C.94 ; Scipion l’Africain refusa le titre de roi que
voulaient lui conférer les Espagnols et leur répondit que ce nom était intolérable
à Rome95 ; Tiberius Gracchus fut assassiné au pied de la statue des rois par des
sénateurs persuadés qu’il avait demandé le diadème royal96 ; une tradition tenace
attribuait le geste des conjurés des ides de mars 44 av. J.-C. au projet de César de
se faire nommer roi97 ; de manière générale, les factions dont les innombrables
luttes pour le pouvoir gangrenèrent la République se réclamèrent toutes de la
90.– Liv., I 14, 3. Sur ce parallèle, voir Furneaux 1907, p. 174 ; Koestermann 1968, p. 266.
91.– Voir notamment Cic., Rep. I 62 ; II 52 ; Liv., II 1.
92.– Liv., II 41 ; DH., VIII 69-79.
93.– Liv., IV 13-14 ; DH., XII 1-4.
94.– Liv., VI 19-20.
95.– Pol., X 38-40 ; Liv., XXVII 19, 4-5.
96.– App., Civ. I 16 ; Plut., Grac. 19 ; Flor., II 2.
97.– Suet., Caes. 80, 1 ; App., Civ. II 110-111 ; Plut., Caes. 60, 1 ; 64, 3 ; DC., XLIV 15, 3-4. Cicéron
pour sa part présente César comme un roi de fait (Cic., Phil. II 114).
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
197
défense de la libertas et de la haine du regnum98. L’Empire s’est ainsi construit
en affirmant sa résistance à l’idée de royauté, et l’idéologie officielle s’efforcera
continuellement d’élever une barrière entre l’empereur et les rois99.
Faire apparaître, derrière la figure de Néron, le spectre des rois de Rome,
qui plus est des rois étrusques, c’est-à-dire étrangers, revenait donc à réveiller
dans l’âme du lecteur antique cet odium regni ancestral. À l’époque où écrivait
Aurelius Victor, qui assimile explicitement la mort de Claude et l’avènement
de Néron à la mort de Tarquin et à l’usurpation de Servius, la malédiction qui
pesait sur le nomen regium, qui avait été réservé au domaine religieux, aux spéculations philosophiques d’origine grecque ou aux royaumes étrangers, n’était
toujours pas complètement levée et d’ailleurs aucun empereur, alors même que
la forme monarchique s’était définitivement imposée, ne prit jamais le titre de
rex : « proscrite du vocabulaire officiel de Rome, réservée à l’étranger, voire à
l’ennemi, la royauté était une notion dévaluée qui n’avait d’autre rôle que de
faire mieux ressortir, par contraste, le caractère prééminent et universel du
populus d’abord, et ensuite, de la monarchie impériale100 ».
Néron et les ennemis de la République
Ennemis extérieurs
La figure de Néron cumule également les traits caractéristiques des ennemis de
la Res Publica Romana, en particulier des ennemis extérieurs. La liste des points
communs susceptibles d’être relevés entre les portraits de ces derniers et ceux
de Néron sont en effet nombreux : on a vu déjà, dans le chapitre précédent, que
l’incendie de Rome de 64 ap. J.-C. fut comparé dans l’Antiquité à l’invasion
gauloise de 390 avant notre ère. De manière générale, la perfidie, la férocité,
l’impiété, défauts traditionnellement imputés à Hannibal et que partagent
Jugurtha et autres Mithridates, se retrouvent dans le portrait de Néron. Nous ne
retiendrons ici que quelques exemples.
Suétone nous apprend que Néron, à la nouvelle de l’insurrection menée par
Vindex en Gaule, aurait, afin de prévenir une augmentation du nombre des
personnes susceptibles de se retourner contre lui et pour punir ceux qu’il tenait
pour des conspirateurs, formé le projet de faire massacrer les gouverneurs de
province, les chefs d’armées, les exilés, les Gaulois se trouvant à Rome, et de tuer
aussi les sénateurs au cours de festins101 ; Néron avait d’ailleurs déjà expérimenté
un tel procédé lorsque, comme le rapporte Suétone, il fit empoisonner certains
enfants des membres de la conjuration de Pison au cours de leur repas102.
Or ces projets sont dignes de Mithridate qui, lors du conflit qui l’opposa
à Sylla, passait pour avoir, lors d’un banquet, fait mettre à mort, avec femmes
98.– Martin 1994, p. 107-184.
99.– Gagé 1959, p. 221-260.
100.– Reydellet 1981, p. 27-28. Il faudra attendre le milieu du Ve siècle et la constitution des
royaumes romano-germaniques pour voir la notion de rex complètement réhabilitée
(M. Reydellet date du milieu du IVe siècle le début du processus de réhabilitation et
l’explique notamment par les réflexions chrétiennes sur la notion de Christ Roi).
101.– Suet., Ner. 43, 1.
102.– Suet., Ner. 36, 4.
198
Laurie Lefebvre
et enfants, les tétrarques de Galatie, qu’il suspectait de pouvoir se retourner
contre lui103. Tite-Live raconte de même qu’en 182 av. J.-C., Philippe V, aigri
par les murmures soulevés contre lui dans toute la Macédoine et ne se croyant
pas en sûreté, songea à se débarrasser l’un après l’autre des enfants de ceux qu’il
avait mis à mort104. Dans les trois cas, le schéma est identique : le tyran se sent
menacé ; il décide de prévenir tout danger en tuant les conspirateurs potentiels ;
ses mesures touchent surtout les enfants ; dans le cas de Néron comme dans celui
de Mithridate, les banquets sont le lieu choisi pour perpétrer les assassinats.
D’autre part, le penchant certain de Néron à commettre des crimes à l’intérieur même de sa propre famille, notamment par peur d’y voir surgir un rival, est
un trait typique des rois et des chefs barbares que Rome eut à affronter au cours
de son histoire. Certains pensaient en effet qu’Antiochus le Grand, puissant roi
séleucide qui, aidé d’Hannibal, fit la guerre aux Romains aux lendemains de la
deuxième guerre punique, avait fait empoisonner son fils parce que ce dernier
était impatient de succéder à son père105. Persée, désireux de se débarrasser de
son frère, passait pour avoir, à force de complots et de machinations, réussi à
pousser leur père, Philippe V de Macédoine, à faire empoisonner son fils106 ;
non content d’avoir obtenu la mort de son frère, Persée aurait, après la mort de
son père, tué sa femme de ses propres mains107. Salluste raconte que Jugurtha,
adopté par son oncle Micipsa, fit assassiner son frère adoptif Hiempsal et chassa
son deuxième frère adoptif Adherbal du royaume de son père, avant de le tuer
à son tour108. Mithridate, roi du Pont et grand adversaire de Sylla, passait pour
avoir fait mettre à mort sa mère, son frère, trois filles et trois fils, avant d’être
trahi à son tour, aux dires d’Appien, par son fils Pharnace109. Cléopâtre aurait
fait assassiner sa sœur Arsinoé et son frère Ptolémée XIV110 ; Plutarque convient
de fait que les dynasties qui avaient succédé à Alexandre le Grand furent presque
toutes emplies de meurtres d’enfants, de mères, d’épouses et surtout de frères111.
La littérature latine a surtout fait du meurtre du père, du frère ou de l’oncle la
règle de succession classique chez les Parthes112. Les meurtres commis au sein de
la famille étant proverbialement la caractéristique des rois barbares, l’insistance
des auteurs antiques sur les parricides commis par Néron devait avoir pour effet
d’assimiler les méthodes de gouvernement du dernier Julio-claudien à celles des
rois étrangers.
Néron partage également avec ceux-ci le goût, en opposition totale avec la
frugalité prônée par les Romains traditionalistes, pour les plaisirs de la chair et de
103.– App., Mithr. 46 ; 54 ; 58.
104.– Liv., XL 3, 7.
105.– Liv., XXXV 15, 4.
106.– Liv., XL 24 ; XLII 5, 4.
107.– Liv., XLII 5, 4.
108.– Sall., J. 24, 6.
109.– App., Mithr. 64 ; 110-112. Tigrane de même tua un de ses fils pour avoir un jour mis le
diadème royal sur sa tête (App., Mithr. 104).
110.– Jos., Ap. II 57-58 ; A. J. XV 89.
111.– Plut., Dem. 3, 3.
112.– Tac., An. XII 44-47 ; XIII 37, 3 ; Just., LXII 4, 16.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
199
la table. La cour des Lagides était proverbialement le lieu de toutes les débauches.
Antiochus le Grand, nous raconte Tite-Live, aurait à Chalcis passé un hiver
entier dans les plaisirs, les festins et le sommeil, alors même qu’il se trouvait en
guerre avec les Romains113. L’armée carthaginoise d’Hannibal, de même, aurait
succombé aux fameux « délices de Capoue », épisode que Sénèque choisit,
dans une des ses Lettres à Lucilius, pour démontrer les dangers de la Campanie
et notamment de Baïes, qualifiée de rendez-vous du vice où il ne fait pas bon
séjourner trop longtemps114. Or c’est précisément à Baïes ou à Antium que les
textes antiques situent régulièrement Néron…
Ennemis intérieurs
L’analyse ici menée sur les monarques étrangers pourrait être élargie à tous ceux
qui furent, à un moment donné, considérés comme des dangers pour la romanitas,
tels les généraux romains que Sénèque condamne, dans le De beneficiis, pour
s’être révoltés contre leur propre patrie et avoir voulu l’anéantir115 : Coriolan, qui,
condamné et poussé à l’exil par le peuple affamé pour n’avoir pas voulu baisser
le prix du blé, marcha sur Rome à la tête des Volsques au début du Ve s. av. J.-C. ;
Marius, qui en 100 av. J.-C. noya dans le sang les troubles qui agitaient la capitale
et y apporta à nouveau le massacre en 87 lorsque, profitant du départ de Sylla
pour le Pont, il marcha sur Rome afin de s’emparer du pouvoir ; Sylla, qui
renouvela dans l’Vrbs, quelques années plus tard, les combats et le carnage et
procéda à de terribles proscriptions ; Catilina, qui voulut ruiner Rome et leva
pour ce faire une armée en 63 av. J.-C. ; Pompée, qui sacrifia la république à son
ambition et se la partagea avec César et Crassus lors de ce qu’on appelle communément le « premier Triumvirat » ; César, qui, en 49 av. J.-C., vint des Gaules
apporter la guerre jusque dans Rome ; Antoine enfin, qui voulut livrer la res
publica à des Égyptiens.
Or on pourrait légitimement ajouter Néron dans la liste : ne passait-il pas
pour avoir mis le feu à Rome et projeté, à la fin de sa vie, de faire périr le Sénat
tout entier et de lâcher contre le peuple des bêtes fauves ? Néron, surtout, fut
déclaré hostis par le Sénat en 68 ap. J.-C.116 : par ce seul fait, le dernier Julioclaudien rejoignait la grande famille des citoyens romains qui furent déclarés,
par l’assemblée sénatoriale, ennemis publics de Rome et virent leur mémoire
condamnée, Marius et ses partisans, Sylla, Catilina, Antoine117 et avant eux les
Gracques qui, s’ils ne furent pas déclarés hostes rei publicae (cette procédure ne
fut initiée qu’en 88 av. J.C., par Sylla118), avaient fini par être considérés comme
113.– Liv., XXXVI 11, 1-5.
114.– Sen., Ep. 51.
115.– Sen., Ben. V 16.
116.– Plin., N. H. VII 46 ; Suet., Ner. 49, 2 ; Oros., Hist. VII 7, 13.
117.– Pour les marianistes, voir Cic., Brut. 168 ; Liv., Per. LXXVII ; Val.-Max., I 5, 5 ; III 8, 5 ; Plut.,
Caes. 5, 2 ; App., Civ. I, 60. Pour Sylla et ses partisans : App., Civ. I 73 ; 77 ; 81 ; 86 ; Mithr.
51 ; 60. Pour Catilina : Sall., C. 36, 2 ; 44, 6. Pour Antoine : Suet., Aug. 17, 2. Les emplois de
« hostis » par Cicéron dans ses discours contre Catilina sont d’autre part nombreux (voir
notamment Cat. I 5, 11 ; II 1 ; 2 ; 5 ; 6 ; 8 ; III 7).
118.– Bats 2007, p. 22-31.
200
Laurie Lefebvre
tels119. La simple lecture du qualificatif d’« hostis » dans les notices biographiques relatives à Néron devait suffire à faire surgir, dans l’esprit des Romains,
le spectre de tous ceux qui passaient pour avoir semé le trouble à Rome et avoir
trahi la République, des Gracques à Antoine.
Les pages antiques consacrées à Néron semblent tout particulièrement
s’inspirer des invectives cicéroniennes et réactualiser à ce titre les crimes des
principaux ennemis de l’Arpinate, tel l’instigateur de la conjuration qui fit écrire
à l’orateur parmi ses discours les plus véhéments. On retrouve en effet dans le
portrait de Néron un grand nombre de traits de caractère que Cicéron mais
aussi Salluste ou Plutarque attribuaient à Catilina120 : fourberie et dissimulation ;
cupidité, prodigalité et démesure ; ivresse, débauche et mollesse ; entourage
infâme et peu recommandable ; relations criminelles avec une Vestale, inceste ;
atteintes multiples contre les sénateurs ; parricides.
Nous n’avons cependant là rien qui soit bien surprenant et que Catilina
et Néron ne partageraient avec d’autres figures. De fait, les griefs que Néron
a en commun avec les grands ennemis, intérieurs ou extérieurs, de Rome font
tous partie de séries d’accusations topiques largement diffusées et banalisées à
Rome par l’invective politique de la fin de la République : comme l’a montré
J. R. Dunkle121, les réquisitoires des auteurs antiques, tant des orateurs que des
historiens, reposent presque toujours sur les mêmes arguments, et les adversaires
d’un Cicéron se virent à ce titre tous reprocher les mêmes travers. Les accusations formulées à l’encontre de Néron ne dérogent pas à la règle, et si le dernier
Julio-claudien ressemble aux grandes figures négatives qui l’ont précédé, c’est
en tant qu’il appartient, comme elles, à la grande famille des contretypes de la
romanité, dont les portraits ont tous été construits à partir des mêmes grilles de
lecture et au moyen des mêmes codes.
Un motif néanmoins semble lier plus particulièrement les figures de Catilina
et de Néron : celui de l’incendie de la capitale. On a vu que les auteurs antiques
accusent presque unanimement Néron d’avoir volontairement porté le feu à
Rome, causant par là même la destruction d’un grand nombre d’édifices publics
et sacrés. Or, parmi les ennemis intérieurs de Rome, un personnage semble se
distinguer tout particulièrement pour sa pyromanie obsessionnelle : Catilina,
dont les projets d’incendie sont signalés non seulement par Cicéron, qui
impute de toute façon ce grief à tous ses ennemis122, mais aussi par Salluste et par
Juvénal, ce qui prouve le caractère traditionnel de l’association entre Catilina et
le crime d’incendie123.
119.– Val.-Max., IV 7, 1.
120.– Voir notamment Cic., Cat. I 7 ; 14 ; II 4 ; 7-8 ; 10 ; Sall., C. 14, 1-3 ; 15, 1 ; 27, 2-3 ; Plut., Cic.
10, 3 ; Syl. 32, 3.
121.– Dunkle 1967, p. 156-171 ; Dunkle 1971, p. 15-19.
122.– Sur Clodius et ses partisans : Cic., Mil. 33 ; 61 ; 73 ; 90-91 ; Sest. 84 ; 90 ; 121 ; Sen. 18 ; Dom.
62 ; Har. 6 ; 15 ; 33 ; 39 ; Pis. 15 ; 26 ; 52 ; Planc. 95 ; Cael. 78. Sur Antoine et ses compagnons :
Cic., Phil. II 91 ; III 30 ; XI 37.
123.– Cic., Cat. II 6 ; 19 ; III 1-2 ; 8 ; 15 ; 25 ; IV 4 ; 10 ; Flac. 95 ; 102 ; Pis. 5 ; Sall., C. 43, 2 ; 52,
36 ; Juv., VIII 232-233.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
201
Catilina aurait ainsi confié à ses complices la mission de mettre le feu à
Rome et d’y tuer les citoyens, quitte à détruire temples et sanctuaires ; Catilina
désirait même, aux dires de Cicéron, « ravager la terre entière par le massacre
et l’incendie », « orbem terrae caede atque incendiis uastare cupientem124 ».
Anéantissement de Rome tout entière, au mépris du sort de ses habitants,
destruction sacrilège des temples des dieux, massacre généralisé : tous les
fantasmes traditionnellement imputés à Catilina seront actualisés dans la figure
de Néron. Notons que, dans sa huitième satire, Juvénal, qui met l’incendie de
Catilina, comme ce sera le cas de celui de Néron, en relation avec l’invasion
gauloise de 390 av. J.-C.125, choisit précisément de juxtaposer les figures des
deux hommes126 : ce sont elles qui viennent clore la liste des citoyens nobles qui
se montrèrent indignes de leur nom. Voilà donc Catilina et Néron réunis par
Juvénal dans une désapprobation commune.
D’autres liens entre les vies de Néron et de Catilina sont suggérés par Tacite,
qui s’est à plusieurs reprises servi directement de la Conjuration de Catilina
de Salluste dans la rédaction des quatre derniers livres des Annales. Comme
beaucoup de chercheurs l’ont noté127, le portrait tacitéen de Poppée est ainsi
calqué sur celui de la Sempronia sallustienne. Voici le texte de Salluste :
« Cette femme, par sa naissance et sa beauté, ainsi que par son mari et ses
enfants, avait été bien traitée par la fortune ; instruite aux lettres grecques et
latines, elle jouait de la cithare et dansait avec plus d’art qu’il ne convient à
une honnête femme, sans compter qu’elle avait bien d’autres talents, instruments de la débauche. Mais tout lui fut toujours plus cher que l’honneur et la
pudeur ; de son argent ou de sa réputation, on n’aurait pu dire lequel des deux
elle ménageait le moins ; elle brûlait d’une telle sensualité qu’elle sollicitait les
hommes plus qu’elle n’en était sollicitée. Souvent auparavant elle avait trahi sa
parole, nié solennellement une dette, été complice de meurtres ; la débauche
et le manque de ressources l’avaient précipitée la tête la première dans l’abîme.
Pourtant son esprit ne manquait pas d’agrément : elle savait tourner les vers,
lancer une plaisanterie, tenir une conversation tantôt modeste, tantôt tendre,
tantôt provocante ; bref il y avait en elle beaucoup de finesse et de charme. »
(Sall., C. 25, 2-5)
Voici maintenant celui de Tacite :
« Cette femme possédait tout, sauf une âme honnête : de fait, sa mère, qui
surpassait en grâce toutes les femmes de son temps, lui avait donné à la fois la
gloire et la beauté ; ses richesses suffisaient à l’éclat de sa race ; sa conversation
était affable et son esprit ne manquait pas d’agrément. Sous des dehors réservés,
elle se livrait à la débauche ; elle sortait rarement en public, et toujours à demi
voilée, pour ne pas rassasier les regards ou parce que cela lui allait bien. Jamais
124.– Cic., Cat. I 3. Voir aussi Sall., C. 24, 4 ; 27, 2 ; 32, 2 ; 48, 4.
125.– Juv., VIII 234.
126.– Juv., VIII 211-230 : Néron ; 231-244 : Catilina.
127.– Syme 1958, p. 353 ; Walker 1960, p. 76 ; Martin 1969, p. 139 ; Devillers 1994, p. 169 ;
Devillers 1995, p. 328.
202
Laurie Lefebvre
elle ne ménagea sa réputation, ne faisant aucune distinction entre ses maris
et ses amants ; sans se laisser lier ni par ses affections ni par celles d’autrui,
partout où elle voyait son intérêt, elle portait ses désirs. » (Tac., An. XIII 45,
2-3 ; trad. P. Wuilleumier, légèrement modifiée)
L’épouse de Néron et la complice de Catilina sont ainsi toutes deux de belles
femmes, riches, bien nées et instruites, mais particulièrement débauchées et
impudiques. Aurelia Orestilla, l’épouse de Catilina, appartient au même type
de personnage et est décrite en des termes similaires, Salluste écrivant à son
propos que chez elle « aucun homme de bien ne loua jamais rien en dehors de la
beauté », « praeter formam nihil umquam bonus laudauit128 ».
Un autre passage des Annales de Tacite est modelé sur un épisode de la
Conjuration de Catilina de Salluste : le procès d’Antistius Sosianus, qui eut
lieu en 62 de notre ère et dont le récit occupe le chapitre 48 du livre XIV
des Annales. Voici les faits, tels que les rapporte Tacite : Antistius Sosianus,
préteur, lut lors d’un festin des vers satiriques dirigés contre Néron et qu’il
avait composés. Un certain Cossutianus Capito l’accusa alors de lèse-majesté.
Le consul désigné, Iunius Marullus, proposa qu’Antistius fût mis à mort. Tous
les autres se rangeaient à son avis, lorsque Thrasea Paetus, tout en critiquant
vivement Antistius, exposa que le Sénat devait s’abstenir de prononcer un tel
châtiment, si mérité fût-il ; que le recours à un bourreau était depuis longtemps
supprimé et qu’il existait des peines fixées par les lois ; s’en tenir à ces peines
soustrairait les juges à l’accusation de cruauté excessive et offrirait un exemple
de la clémence publique, tout en ne laissant pas le coupable impuni. Thrasea
conclut en proposant de confisquer les biens d’Antistius et de le reléguer dans
une île, où il pourrait traîner une existence coupable et ressentir longtemps son
malheur privé. Les sénateurs se rangèrent finalement à l’avis de Thrasea et Néron
en fut fort mécontent.
Or, comme l’a noté R. S. Rogers129, ce récit, qui présente de nombreux
échos avec le récit tacitéen du procès de Clutorius Priscus en 21 ap. J.-C.130, est
une réminiscence du procès des conjurés associés à Catilina, tel que le rapporte
Salluste131, procès fameux dans l’Antiquité et dont le schéma devait probablement être étudié dans les écoles de rhétorique : le Sénat s’est rassemblé pour
délibérer sur le sort des conjurés faits prisonniers ; le consul désigné, D. Iunius
Silanus, propose de livrer les détenus au supplice ; César cependant est d’avis
de s’en tenir aux peines prévues par les lois, en l’occurrence de confisquer les
128.– Sall., C. 15, 2. À ce type appartient aussi l’épouse de Pison (le conjuré de 65 ap. J.-C.), Satria
Galla (Tac., An. XV 59, 5).
129.– Rogers 1953b, p. 711-718. Voir aussi Martin 1969, p. 139.
130.– Tac., An. III 49-51. Les échos entre les récits tacitéens des deux procès conduisent
R. S. Rogers à douter de l’authenticité du procès d’Antistius et à y voir une invention
de Tacite destinée à glorifier Thrasea et à déprécier Néron. Par ailleurs, J. Ginsburg a
montré que le discours de C. Cassius Longinus au Sénat au sujet de la peine à infliger à
la domesticité de Pedanius Secundus, assassiné par l’un de ses esclaves (Tac., An. XIV
43-44) fait lui aussi écho au débat de la Conjuration de Catilina de Salluste (Ginsburg
1993, p. 86-103).
131.– Sall., C. 50-51.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
203
biens des conjurés et de les mettre aux fers dans un municipe, arguant que le
châtiment proposé par Silanus est étranger à l’esprit de la république romaine
et que la condamnation à mort, loin d’être un supplice, reviendrait à accorder
aux conjurés la délivrance et le repos. Le schéma du procès d’Antistius Sosianus
est identique.
Un indice confirme la présence du procès des partisans de Catilina derrière
celui du préteur Antistius : c’est un mot de Cossutianus Capito, notre accusateur,
qui, au livre XVI des Annales, compare explicitement l’opposition entre Néron
et Thrasea (dont un des premiers jalons fut le procès d’Antistius) avec celle
de César et de Caton132 (ce qui est, sans nul doute, une allusion au conflit qui
opposa les deux hommes lors de l’affaire Catilina). Ainsi le souvenir traumatisant de Catilina sous-tend de manière constante les livres des Annales consacrés
à Néron.
La geste néronienne semble réactualiser également les exactions de Verrès,
propréteur de Sicile de 73 à 71 av. J.-C. et surtout pilleur le plus célèbre de
temples et de patrimoines. Les fameuses Verrines que Cicéron publia en 70
av. J.-C. ont fait de Verrès le symbole même du gouverneur romain corrompu et
passé expert dans l’art de la malversation : levées inhabituelles d’argent, procès
malhonnêtes, bannissement et mise à mort d’hommes innocents mais riches,
accaparement d’héritages, pillage de monuments, sont les expédients habituels
dont Cicéron accuse Verrès d’avoir usé pour s’enrichir pendant ses magistratures133. Les Verrines, et plus précisément le quatrième discours de l’actio secunda,
le De signis, ont surtout définitivement consacré Verrès comme le champion de
l’appropriation des œuvres d’art et du pillage des temples : c’est ainsi que l’on
voit, dans les discours de Cicéron, l’impie Verrès priver de leurs sculptures et
de leurs offrandes, pour les enfermer égoïstement dans sa maison, les temples
de Minerve à Athènes, d’Apollon à Délos, de Junon à Samos, de Diane à Perga,
ceux de la ville pamphylienne d’Aspendus, puis enfin les sanctuaires de la Sicile.
Or Néron est, lui aussi, un pilleur chevronné : le chapitre 32 de la Vita Neronis
de Suétone énumère à ce titre toutes les rapines et exactions dont l’empereur,
poussé par les énormes besoins d’argent créés par sa prodigalité, se rendit
coupable, appropriation d’héritages, procès abusifs destinés à lui permettre de
faire main basse sur les biens des particuliers, pillage des temples, fonte des statues
d’or et d’argent, y compris celles des dieux Pénates, à quoi Dion Cassius ajoute
la mise en place de taxes nouvelles134. Néron est accusé, d’autre part, d’avoir fait
mourir sa tante Domitia Lepida dans le seul but de s’emparer de ses possessions,
après avoir bien pris soin de faire disparaître son testament, afin qu’aucun de
ses biens ne lui échappât135 ; d’avoir condamné à mort l’affranchi Pallas parce
qu’il était immensément riche136 ; d’avoir profité de l’incendie de Rome pour
132.– Tac., An. XVI 22, 2.
133.– Sur l’association traditionnelle entre la figure de Verrès et le motif du vol, voir aussi Juv.,
II 25-26.
134.– DC., LXI 5, 5.
135.– Suet., Ner. 34, 9 ; DC., LXI 17, 1-2.
136.– DC., LXII 14, 3.
204
Laurie Lefebvre
s’enrichir137. Tacite ajoute que les dieux eux-mêmes durent contribuer au butin
que Néron fit récolter aux lendemains de l’incendie de 64, et qu’objets en
or, offrandes et statues furent arrachés aux temples des dieux à Rome et dans
les provinces138.
À la lecture de Dion Cassius et de Philostrate139, il apparaît que c’est en Grèce
que Néron se livra le plus au pillage et à la rapine : l’empereur aurait profité
de sa tournée artistique pour récupérer des héritages, dépouiller les condamnés,
chasser les particuliers de leurs maisons, ôter une multitude d’offrandes des
temples, bref ruiner la province entière, exactions auxquelles Philostrate ajoute
les violences commises par Néron envers les femmes et les enfants ; Verrès, aux
dires de Cicéron, avait précisément fait des épouses et des enfants des provinces
dont il avait la charge des victimes de sa lubricité140. Dion Cassius de conclure,
dans le discours qu’il prête à Vindex : « πᾶσαν τὴν τῶν Ῥωμαίων οἰκουμένην
σεσύληκεν141 », « il dépouilla l’univers romain tout entier ».
Nul doute que de telles accusations à l’encontre de Néron faisaient apparaître
en filigrane la figure de Verrès, le plus illustre représentant de la famille des tyrans
accapareurs, lui qui, lorsqu’il administrait l’Asie, la Pamphylie puis la Sicile, pilla
nombre de maisons, de villes et de lieux consacrés. D’autant plus que Néron
s’est spécialisé dans le même domaine que Verrès : le pillage d’œuvres d’art, en
particulier en provenance des temples142. Pausanias fait les comptes : il accuse
Néron d’avoir enlevé au temple d’Apollon à Delphes cinq cents statues de
bronze ; fait transporter d’Olympie à Rome une statue d’Ulysse ; ôté du bois
sacré d’Olympie plusieurs des statues qu’un certain Mikythos avait offertes ;
pillé aussi le sanctuaire de Thespies143. Dion Chrysostome, dans son Discours aux
Rhodiens, ajoute au pillage des sanctuaires d’Olympie et de Delphes l’appropriation de la plupart des statues qui se trouvaient sur l’Acropole d’Athènes et de
celles qui étaient à Pergame144 : les pillages de Néron semblent être devenus aussi
célèbres que ceux de Verrès.
Dans un chapitre précédent, nous avons vu, en outre, que Pline l’Ancien
accuse Néron d’avoir cloîtré dans la domus aurea une foule d’œuvres d’art, qui
furent ensuite rendues au public par Vespasien145 : ainsi, tout comme Verrès,
Néron apparaît sous les traits d’un tyran égoïste ayant enfermé des œuvres
volées dans une demeure privée. Il est par ailleurs intéressant de noter que dans
137.– Tac., An. XV 45, 1 ; Suet., Ner. 38, 7 ; DC., LXII 18, 5 ; Oros., Hist. VII 7, 7.
138.– Tac., An. XV 45, 1-2. Voir aussi Tac., An. XVI 23, 1 ; Agr. 6, 6.
139.– DC., LXIII 11 ; 17, 1 ; Philstr., V. Ap. V 7, 3.
140.– Cic., Verr. prim. 14 ; Verr. I 62.
141.– DC., LXIII 22, 3.
142.– D’après S. E. Alcock, le geste de Néron s’emparant d’œuvres d’art en Grèce, plutôt que
le signe de la perversion et de la cupidité impériales, devait être, en réalité, un acte politique, s’inscrivant dans une longue tradition : comme ses prédécesseurs Marcellus, Sylla
ou Auguste, Néron aurait voulu marquer la domination et le contrôle de Rome sur les
provinces conquises, et étouffer l’identité propre des communautés soumises (Alcock
1994, p. 100-101).
143.– Paus., V 25, 8 ; 26, 3 ; IX 27, 3-4 ; X 7, 1 ; 19, 2.
144.– D. Chr., XXXI 148.
145.– Plin., N. H. XXXIV 84 (voir aussi N. H. XXXV 120). Voir supra, p. 127.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
205
le livre XXXIV de l’Histoire Naturelle, où sont énumérés tous les cas d’accaparement d’œuvres d’art à des fins privées, sont évoquées précisément, juste avant
les vols de Néron, les spoliations de Verrès : le naturaliste cite en effet, à la suite
l’un de l’autre, l’exemple de l’orateur Hortensius qui emportait toujours en
voyage un Sphinx qu’il s’était fait donner par Verrès, et celui de Néron faisant
porter partout où il allait une Amazone réalisée par le sculpteur Strongylion146.
Les figures de Néron et de Verrès sont ainsi clairement mises en relation par
Pline l’Ancien.
Néron, Antoine et l’Égypte
Parmi les ennemis traditionnels de la République que des décennies de propagande, cicéronienne ou autre, avaient profondément ancrés dans l’imaginaire
collectif romain, il faut évidemment faire un sort particulier à Antoine. Car ici le
lien entre les deux hommes n’est pas seulement rhétorique : il est aussi familial,
Néron se trouvant être un descendant direct de celui qui fut l’ennemi juré du
futur Auguste et finira réduit au rang d’hostis publicus à la mémoire condamnée.
Néron descendait même d’Antoine à double titre : par son père Cn. Domitius
Ahenobarbus, qui était le fils d’Antonia l’Aînée, première des filles d’Antoine, et
par sa mère Agrippine, petite-fille, par son père Germanicus, d’Antonia la Jeune.
Cela seul faisait planer une ombre inquiétante sur le dernier Julio-claudien :
il était dès lors tentant, pour les auteurs antiques, d’exploiter abondamment
cette filiation – elle est effectivement clairement soulignée par Plutarque, qui, à
la fin de la Vie d’Antoine, consacre un chapitre à sa descendance et y mentionne,
en toute fin, Néron147 : c’est donc le nom du dernier Julio-claudien qui vient
clore la généalogie établie (en faisant périr les enfants de Claude ainsi que
Rubellius Plautus, Néron avait, de fait, activement participé à l’extinction des
autres descendants d’Antoine), ce qui, du coup, le fait apparaître comme celui
en qui aboutit et culmine la lignée d’un des plus célèbres hostes publici de Rome.
Cette filiation fut d’ailleurs pleinement revendiquée par Néron de son
vivant : contrairement aux modèles négatifs examinés précédemment et imposés
a posteriori par ceux qui contribuèrent à forger la légende noire de Néron, le
modèle antonien faisait partie des figures auxquelles l’empereur se référait
lui-même : les auteurs antiques n’eurent donc, en la matière, qu’à renverser un
des aspects de la propagande impériale.
L’attrait de Néron pour l’Égypte, probablement lié au désir de mener la « vie
inimitable » d’un Antoine à la mémoire réhabilitée (et sans doute au fantasme
d’incarner, par-delà Antoine, un nouvel Alexandre), bien loin de constituer
un élément porté au crédit du dernier Julio-claudien, est ainsi devenu l’un des
éléments de la condamnation.
Les portraits antiques de Néron contiennent en effet de nombreuses allusions
à l’Égypte et à Alexandrie, auxquelles le nom d’Antoine était, dans l’Antiquité, irrémédiablement attaché. Tacite nous apprend par exemple que Néron,
« renonçant pour le moment à la Grèce, regagna Rome, les pensées secrètement
146.– Plin., N. H. XXXIV 48. Sur cette Amazone, voir aussi Plin., N. H. XXXIV 82.
147.– Plut., Ant. 87, 9.
206
Laurie Lefebvre
tournées vers les provinces d’Orient, et surtout vers l’Égypte », « omissa in
praesens Achaia […] urbem reuisit, prouincias Orientis, maxime Aegyptum,
secretis imaginationibus agitans » (An. XV 36, 1). La mention de l’Égypte est
ici quelque peu inattendue, si l’on songe que c’est la Grèce, et non l’Égypte,
qui est présentée par Tacite à l’ouverture de la phrase comme la destination où
souhaite se rendre Néron ; cet effet de surprise, associé à l’adverbe au superlatif « maxime » et à l’expression « secretis imaginationibus agitans » qui, en
donnant au désir de Néron un aspect confidentiel et obsessionnel, en trahit du
coup le caractère coupable, montre de la part de Tacite la volonté nette de mettre
en valeur la mention de l’Égypte : cette mention, loin d’être un simple élément
donné à titre informatif, apparaît bien plutôt comme un moyen de présenter
Néron sous le jour le moins favorable possible, en lui prêtant une obsession pour
une contrée haïe des Romains traditionalistes148.
Suétone, comme Tacite, prend soin de mentionner les projets égyptiens de
Néron. Le biographe nous apprend ainsi que l’empereur envisageait un voyage
à Alexandrie, quand une crainte religieuse le fit changer d’avis149 ; ce projet de
voyage réapparaît au chapitre 35, 10, où il est dit que Néron relégua le procurateur
d’Égypte Caecina Tuscus pour s’être baigné dans les bains construits en vue de
l’arrivée de l’empereur ; l’anecdote est racontée également par Dion Cassius150.
Suétone affirme enfin, au chapitre 47, 2, que Néron, suite au soulèvement et à la
défection de ses armées, pensa demander le gouvernement de l’Égypte ; la Vie de
Galba de Plutarque nous apprend de même qu’« il était clair qu’il allait s’enfuir
secrètement en Égypte », « δῆλος ἦν ἀποδρασόμενος εἰς Αἴγυπτον151 ». Le motif
du départ en Égypte suite au soulèvement des armées sera développé par Dion
Cassius, qui prête à l’empereur le projet de partir à Alexandrie vivre de son art
en simple particulier152.
Y. Perrin, dans un article consacré aux liens idéologiques entre Antoine
et Néron, nous invite pourtant à nuancer l’importance réelle de l’Égypte dans
les projets néroniens, lesquels auraient accordé une place bien plus grande à la
Grèce153 ; s’il est vrai que Néron se souciait peu de l’Égypte, il est alors d’autant
plus significatif que les auteurs antiques lui aient tout de même prêté des projets
égyptiens de manière récurrente.
Imputer à un personnage des projets concernant l’Égypte constitue de fait
une accusation particulièrement grave. Comme le souligne Plutarque dans une
harangue prêtée au tribun Antonius Honoratus, ce ne sont pas les multiples
crimes impériaux qui convainquirent les soldats de faire défection : c’est
148.– Sur les projets égyptiens de Néron, voir aussi Tac., H. I 70, 1 (où il est question de l’aile de
cavalerie mandée par Néron pour le précéder en Égypte).
149.– Suet., Ner. 19, 1.
150.– DC., LXIII 18, 1.
151.– Plut., Galb. 2, 1.
152.– DC., LXIII 27, 2.
153.– Perrin 1993, p. 99. Contra, voir Voisin 1987, p. 520-537 ; Cizek 1993, p. 118 ; Champlin
2003, p. 174.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
207
l’annonce, par le préfet du prétoire Nymphidius Sabinus, que Néron les avait
« abandonnés le premier et qu’il se trouvait avoir fui en Égypte154. »
Le récit, par Flavius Josèphe, de la conjuration de Chaerea contre Caligula
établit lui aussi un lien entre le projet de l’empereur de partir pour Alexandrie
afin de visiter l’Égypte et le passage à l’acte des conjurés155. Titus quant à lui,
d’après Suétone, se hâta de revenir en Italie précisément pour démentir certaines
rumeurs selon lesquelles il voulait se faire couronner roi d’Orient, soupçon qui
s’accrut lorsque, sur la route d’Alexandrie, il se coiffa du diadème au moment de
consacrer à Memphis le bœuf Apis156. Titus, rétablit vite Suétone, ne faisait en
cela que se conformer au rite ; le biographe précise que beaucoup interprétèrent
cependant ce geste autrement… La tentation orientale, associée à la tentation
monarchique, revient ainsi comme un leitmotiv dans l’Antiquité dès qu’il s’agit
de désigner un pessimus princeps potentiel.
L’Égypte était en effet perçue, si l’on en croit la littérature antique de souche
traditionaliste, comme l’envers de toutes les valeurs romaines, une terre de dépravation et de vice, le berceau des superstitions les plus ridicules, un pays étranger
aux lois et habité par un peuple à la fois frivole, perfide, féroce et sauvage157, en
un mot une contrée dangereuse pour Rome. Si une telle propagande hostile
à l’Égypte est ancienne et qu’on en trouve déjà des traces chez Polybe158, elle
se développa surtout, comme on sait, à l’occasion des rivalités entre Antoine
et le futur Auguste, dont la propagande eut pour effet de faire d’Alexandrie le
symbole par excellence de la corruption orientale et d’associer à jamais à l’image
de la capitale égyptienne le nom de son rival, présenté comme le traître qui
sacrifia le bien de Rome aux charmes de l’Égypte et de Cléopâtre.
Négation des saines traditions romaines, l’Égypte était donc aussi marquée
du sceau des guerres civiles qui déchirèrent Rome : c’est près d’Alexandrie, à
Péluse, que Pompée fut assassiné en 48 avant notre ère après la bataille de
Pharsale qui l’avait opposé à César, et c’est en Égypte qu’Antoine se donna la
mort peu après sa défaite à Actium face à Octave. C’est ce qui, dans l’Octavie,
vaut à l’Égypte l’épithète d’« incesta » :
« L’Égypte impure but à nouveau le sang d’un général romain, et elle
recouvre deux ombres rien moins que légères. C’est là que fut ensevelie une
guerre civile longue et impie. » (Ps. Sen., Oct. 521-524)
154.– Plut., Galb. 14, 4.
155.– Jos., A. J. XIX 80-83.
156.– Suet., Tit. 5, 4-5.
157.– Dauge 1981, p. 193-194 ; p. 472. Voir notamment Caes., C. III 110, 2 ; Ps. Caes., Alex. 7, 2-3 ;
24, 1 ; Cic., Tusc. V 27, 78 ; Sen., Helv. 9, 8 ; 19, 6 ; Juv., VI 81-84 ; XV ; Plin., Pan. 31 ; Tac.,
H. I 11, 1 ; DC., L 24, 6-7. Il convient cependant d’insister sur l’ambiguïté fondamentale
de l’Égypte, à la fois terre de corruption et pays dont l’incroyable fertilité étonne et dont
l’Antiquité et la sagesse inspirent le respect (Ov., M. I 422-429 ; Luc., Phars. X 176-331 ;
Sen., Nat. IV 1-2 ; Tac., An. II 60).
158.– Pol., XL 12.
208
Laurie Lefebvre
Insister sur les projets égyptiens de Néron revenait donc à le présenter
comme une nouvelle victime des tentations orientales et comme l’ennemi de
Rome, dans la lignée d’Antoine.
Nombreux d’ailleurs sont les motifs qui font de l’image du dernier Julioclaudien un calque de celle de Marc Antoine tel notamment que l’avaient
défini les Philippiques de Cicéron et la biographie de Plutarque. Tous deux sont
condamnés pour avoir célébré des parodies de triomphe, Néron suite, non à
des victoires militaires, mais à des victoires artistiques ; Antoine, non à Rome
mais à Alexandrie159. Le Néron se produisant nu comme chanteur dans une
taverne rappelle le Marc Antoine qui, en 44 avant notre ère, courut nu lors des
Lupercales160. Antoine et Néron, d’autre part, sont tous deux accusés d’avoir
contracté des mariages homosexuels, Antoine avec le jeune Curion161, Néron
avec Pythagoras puis Sporus.
Tous deux, surtout, se plaisent d’après les textes antiques à vivre à l’orientale,
autrement dit dans l’oisiveté et les plaisirs : en vivant dans la mollesse et au
milieu des orgies, Néron adoptait le même style de vie que son aïeul162. Le plaisir
prime tellement dans les portraits d’Antoine qu’on le voit remplir Alexandrie de
festins et de débauches alors même que vient de lui être annoncée la nouvelle de
la perte de son armée d’Actium ; Néron, de même, se distingue pour son insouciance à l’annonce de la révolte des armées163.
Antoine et Néron partagent, de manière générale, les mêmes amusements.
Pline l’Ancien, Tacite, Suétone et Dion Cassius évoquent tous les débauches
nocturnes de Néron qui, déguisé en esclave, rôdait dans les rues et les tavernes
de Rome accompagné d’une bande qui agressait les passants ; Néron passait
d’ailleurs pour avoir reçu des coups lui-même164. Si ces virées rappellent les
amusements de Caligula165, elles évoquent aussi et surtout ce que Plutarque
raconte au sujet d’Antoine, lequel parcourait, la nuit, avec Cléopâtre, les rues
d’Alexandrie déguisé en serviteur et raillait les habitants, ce qui lui valut des
injures et des coups166.
Néron partage également avec Antoine la même conception de l’argent.
Cicéron accuse ainsi Antoine d’avoir dilapidé les immenses richesses laissées
par Pompée en un temps record ; Antoine aurait surtout laissé les pires vauriens,
159.– Antoine : Vell., II 82, 3 ; Plut., Ant. 50, 6 ; DC., XLIX 40, 3. Néron : Suet., Ner. 25 ; DC.,
LXIII 20.
160.– Antoine : Cic., Phil. II 34, 86. Néron : Philstr., V. Ap. IV 42, 1. Voir Benoist 2003, p. 61.
161.– Cic., Phil. II 44-45.
162.– Antoine : Cic., Phil. II 63 ; 104-105 ; Plut., Ant. 9, 5-6 ; 24, 1-2 ; 28, 1-2 ; 56, 7-10 ; 57, 1 ; 71,
3-5. Néron : Tac., An. XIV 2, 1 ; XV 37 ; 52, 1 ; Suet., Ner. 27. Selon E. Cizek, Néron adopta
la « vie inimitable » d’Antoine et Cléopâtre dans le but d’implanter à Rome de nouvelles
mentalités, inspirées de valeurs gréco-égyptiennes (Cizek 1993, p. 122). Sur la réforme
néronienne des mentalités, voir aussi Picard 1962, p. 199-233 ; Perrin 1985, p. 97-109 ;
Cizek 1987, p. 31-39.
163.– Antoine : Plut., Ant. 71. Néron : Suet., Ner. 23, 2 ; 40, 6 ; 41, 4 ; 42, 2.
164.– Plin., N. H. XIII 126 ; Tac., An. XIII 25, 1 ; Suet., Ner. 26 ; DC., LXI 9, 2-4.
165.– À ce sujet, voir infra, p. 212.
166.– Plut., Ant. 29, 2-3.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
209
des comédiens, des esclaves, piller les richesses en question167. Or d’après
Suétone, Néron, qui admirait son oncle Caligula précisément parce qu’il avait
gaspillé en très peu de temps les biens de Tibère, ne garda à son tour aucune
mesure dans ses dépenses et enrichit de patrimoines et de domaines un joueur
de cithare, un gladiateur et un usurier168.
Pour illustrer la prodigalité de Néron, Dion Cassius rapporte notamment
l’anecdote suivante : un jour que l’empereur avait demandé que l’on donnât
2 500 000 drachmes à Doryphore, Agrippine eut l’idée de faire mettre les pièces
en tas devant son impérial fils ; elle espérait que la vue de l’énormité du monticule
l’amènerait à changer d’avis. Sans succès : à la vue de l’amas de pièces, Néron
demanda combien cela représentait et doubla alors la somme, s’exclamant qu’il
ne savait pas qu’il avait donné si peu169. Or Plutarque avait, au sujet d’Antoine,
rapporté une histoire similaire : un jour qu’Antoine avait demandé que l’on
donnât 250 000 drachmes à l’un de ses amis, l’intendant, étonné de l’invraisemblance du don, étala la somme devant Antoine, afin qu’il pût en juger lui-même ;
Antoine demanda ce que le tas représentait et ordonna alors à l’intendant de
doubler la somme, disant qu’il ne pensait pas que 250 000 drachmes soient si
peu de choses170.
Nous avons affaire là, manifestement, de la part de Dion Cassius, à une
confusion entre les figures de Néron et d’Antoine : Dion Cassius est en effet le
seul à rapporter une telle anecdote au sujet de Néron ; d’autre part l’historien ne
la rapporte pas au sujet d’Antoine. La possibilité d’une telle confusion prouve
la proximité entre les deux figures. L’identité parfaite entre les deux anecdotes
montre en outre qu’il s’agit, dans le cas de Néron assurément mais aussi, sans nul
doute, dans celui d’Antoine, de pures inventions, destinées à illustrer de manière
frappante la prodigalité excessive des deux personnages171.
Ainsi l’histoire se répète, jusque dans la présence inquiétante, aux côtés de
Néron, de la manipulatrice Poppée, qui chassa de son lit la jeune Octavie, comme
Cléopâtre, qui avait complètement subjugué Antoine, poussa son amant à se
défaire de son épouse (laquelle se nommait d’ailleurs, elle aussi, Octavie). Néron
connaîtra par ailleurs la même fin que son aïeul. On se souvient en effet que
suite à l’annonce de la révolte de ses armées Néron aurait, selon Dion Cassius,
exprimé le désir de partir vivre à Alexandrie en simple citoyen172 : or d’après
Plutarque, Antoine, suite à sa défaite à Actium, aurait, de la même manière, fait
demander à Octave de le laisser vivre, à Athènes cette fois, en simple particulier,
« ἰδιώτης καταβιῶναι173 », et Strabon raconte qu’après Actium, abandonné de
tous ses partisans, Antoine se retira à Alexandrie, décidé à vivre tel un nouveau
167.– Cic., Phil. II 66-67. Voir aussi Plut., Ant. 4, 7-9 ; 9, 8 ; 21, 3 ; 24, 5-6.
168.– Suet., Ner. 30, 5-6.
169.– DC., LXI 5, 4.
170.– Plut., Ant. 4, 7-9.
171.– Champlin 2003, p. 171-172.
172.– DC., LXIII 27, 2.
173.– Plut., Ant. 72, 1.
210
Laurie Lefebvre
Timon174. Les lecteurs de l’Antiquité ne durent pas manquer de noter les
nombreuses similitudes relevées ci-dessus entre les portraits d’Antoine et de
Néron ; les deux figures se superposent ainsi l’une à l’autre, créant un phénomène
de surimpression.
Bien sûr, derrière la figure d’Antoine, se devine celle d’Alexandre le Grand175.
Toutes les évocations d’Alexandrie dans les textes relatifs à Néron ne devaient
pas manquer de faire surgir l’image de son fondateur, lequel apparaît par ailleurs
directement chez Suétone, qui nous apprend que Néron songeait à préparer une
expédition aux Portes Caspiennes et avait pour cela levé une légion nommée,
pour l’occasion, la phalange d’Alexandre le Grand, « Magni Alexandri
phalanga176 ». Or l’on sait à quel point la figure d’Alexandre, en même temps
qu’elle engendrait la fascination des généraux et des empereurs, constituait un
repoussoir : c’est ainsi que Lucain, dans sa Pharsale, qualifie le conquérant de
« fatal fléau de la terre », « terrarum fatale malum » et d’« astre ennemi du
genre humain », « sidus iniquum gentibus177 » ; M. A. Levi considère d’ailleurs
les mots de Lucain comme une critique dirigée contre Néron178.
Tyrans impériaux
Une généalogie sélective
Outre les ennemis apportés à Rome par les siècles de Royauté puis de République,
la figure de Néron entretient, bien évidemment, des liens avec les tyrans qui
firent leur apparition sous l’Empire, c’est-à-dire avec les « monstres » de sa
propre dynastie.
Les considérations généalogiques sont un élément important de l’historiographie antique : les historiens anciens se plaisent à établir des liens entre les
personnages dont ils traitent et leurs ancêtres179. L’arbre généalogique de Néron,
dont un exemplaire est présenté dans l’annexe 3, contient à ce titre plusieurs
figures remarquables. Par sa mère Agrippine la Jeune, Néron est par exemple
un descendant direct d’Auguste. Or ce lien de parenté, pourtant fondamental,
est étrangement négligé par les auteurs antiques, qui ont préféré présenter
Néron comme le digne héritier de Tibère, dont la mémoire était sensiblement
moins éclatante.
Les chercheurs ont à ce titre noté que, dans les Annales, les figures des deux
empereurs, Néron et Tibère, doivent à de nombreux égards se lire en regard
l’une de l’autre. Un des parallélismes les plus frappants est la similitude, maintes
fois signalée180, entre le début du livre I, où le règne de Tibère est inauguré par
les termes « primum facinus noui principatu », et celui du livre XIII, où le
174.– Str., XVII 1, 9.
175.– De nombreux chercheurs ont souligné l’influence du souvenir d’Alexandre sur l’idéologie
néronienne, ce qui se reflète notamment dans le monnayage de l’époque (voir par exemple
Balland 1965, p. 375).
176.– Suet., Ner. 19, 4.
177.– Luc., Phars. X 20-48.
178.– Levi 1949, p. 65.
179.– McCulloch 1984, p. 81.
180.– Voir Devillers 1994, p. 150 pour la bibliographie à ce sujet.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
211
principat de Néron s’ouvre sur l’expression « prima nouo principatu mors181 ».
Tacite suggère de fait, à de nombreuses reprises, un parallèle entre le rôle joué
par Agrippine auprès de Claude dans l’accession au pouvoir de son fils Néron
et le rôle de Livie auprès d’Auguste pour assurer le trône à son fils Tibère. Les
deux femmes sont, chez Tacite, présentées comme le contretype de la matrone
romaine et sont qualifiées de marâtres, « nouercae », en raison de leur comportement vis-à-vis des prétendants au trône qu’elles convoitaient pour leurs fils182 ;
d’autre part, parmi les six occurrences du terme « impotens » ou « impotentia »
dans les Annales, quatre concernent Livie ou Agrippine183. R. H. Martin, de
son côté, a relevé toutes les correspondances verbales entre les récits tacitéens
de la mort d’Auguste et de la mort de Claude184. Le livre XII des Annales, qui se
clôt sur les funérailles de Claude, se termine d’ailleurs par les mots « aemulante
Agrippina proauiae Liuae magnificentiam185 », « Agrippine rivalisant de magnificence avec sa bisaïeule Livie ».
O. Devillers a noté d’autres parallélismes entre les portraits tacitéens
de Tibère et de Néron186 : les deux hommes ont dévoilé leurs vices progressivement et se sont faits les champions de la dissimulation ; ils se sont tous deux
entourés de personnalités néfastes, Séjan étant présenté comme l’« initium »
et la « causa » du changement de comportement de Tibère, Poppée comme
l’« initium » des malheurs publics sous Néron187 ; Tacite, dans les deux cas,
trace ainsi une ligne causale identique, la détérioration des règnes de Tibère et
de Néron étant attribuée à l’influence de personnalités funestes, accrue une fois
obtenues, respectivement, la mort de Drusus II et celle d’Agrippine188.
Néron et Caligula
Au sein de la dynastie julio-claudienne, ce n’est cependant pas avec Tibère que
la figure de Néron présente le plus de liens : c’est évidemment avec son oncle
maternel Caligula189.
Les dossiers de Néron et de son parent sont en effet fort proches et
comprennent un grand nombre de chefs d’accusation identiques. Ils sont
accusés tous deux d’avoir trempé dans des histoires d’inceste, Néron avec sa
181.– Tac., An. I 6, 1 et XIII 1, 1.
182.– Pour Livie : Tac., An. I 3, 3 ; 6, 2 ; 10, 5 ; 33, 3. Pour Agrippine : Tac., An. XII 2, 1 ; 26, 2 ; 41,
3 ; 65, 2 (parallèles notés par McCulloch 1984, p. 111-114).
183.– Tac., An. I 4, 5 ; IV 57, 3 ; V 1, 3 ; XII 57, 2. Les deux autres occurrences se trouvent en III
33, 4 et XIV 31, 3.
184.– Martin 1955, p. 123. Voir aussi Charlesworth 1923, p. 145-157 ; Charlesworth
1927, p. 55-57 ; McCulloch 1984, p. 113, n. 30.
185.– Tac., An. XII 69, 3.
186.– Devillers 1994, p. 150-151 et surtout p. 160-163.
187.– Pour Séjan : Tac., An. IV 1, 1. Poppée : Tac., An. XIII 45, 1. Sur la ressemblance que le récit
de Tacite établit entre Poppée et Séjan, voir McCulloch 1984, p. 121-123 ; Devillers
1995, p. 327.
188.– McCulloch 1984, p. 122.
189.– Les considérations qui vont suivre reprennent en grande partie les conclusions de notre
article « Néron, ou le digne neveu de Caligula » (Lefebvre 2010).
212
Laurie Lefebvre
mère Agrippine et Caligula avec ses sœurs190. Ils apparaissent tous deux comme
des débauchés dont la lubricité souilla aussi bien des hommes que des femmes
mariées191. Dans leur jeunesse ils passaient l’un comme l’autre la nuit à parcourir
les tavernes et les mauvais lieux, camouflés sous un déguisement192. Ils sont
tous deux présentés comme des pilleurs de temples193 et ne cessent de manière
générale de se signaler pour leur impiété, Caligula ayant fait scier la tête du Zeus
Olympien pour la remplacer par la sienne et Néron ayant uriné sur la statue
d’une déesse syrienne194.
Ils sont accusés d’autre part d’avoir commis des exactions financières sans
nombre et de toute sorte195, exactions que Suétone met chaque fois en relation
avec la prodigalité effrénée de ces princes196, notamment dans le domaine des
constructions et des travaux aberrants, irréalisables et défiant les lois de la
nature197. Le biographe introduit même les chapitres consacrés aux dépenses
exorbitantes des deux empereurs en des termes similaires : à la phrase « épuisé
par conséquent et appauvri (exhaustus igitur atque egens), il tourna son esprit vers
la rapine (ad rapinas conuertit animum) et imagina des formes diverses et particulièrement ingénieuses de chicanes (calumniarum), d’enchères et d’impôts »
(Calig. 38, 1) répond, dans la Vita Neronis, l’expression « déçu et désormais si
épuisé et si appauvri (ita iam exhaustus et egens) qu’il fut contraint de remettre
à plus tard et de différer même la paie des soldats et les pensions des vétérans,
il appliqua son esprit à la chicane et à la rapine (calumniis rapinisque intendit
animum) » (Ner. 32, 1).
À cette passion pour le luxe s’ajoute, entre autres, un amour inconditionnel
pour les arts de la scène198 ainsi que pour les courses de char, les deux empereurs
ayant donné leurs suffrages à la même faction, celles des Verts199. À Néron et à
Caligula est imputé en outre un manque total de moderatio et de maîtrise de
soi, ces vertus si chères aux philosophes : en témoignent notamment l’affliction
excessive manifestée par Caligula à la mort de sa sœur Drusilla et le chagrin
190.– Sur l’inceste de Néron et d’Agrippine, voir, dans l’annexe 1, le tableau 2b. Sur l’inceste
de Caligula avec ses sœurs, voir Jos., A. J. XIX 204 ; Suet., Calig. 24 ; 36, 4 ; DC., LIX 11 ;
22, 6 ; 26, 5 ; Aur.Vict., 3, 10 ; Eutr., VII 12, 3 (où il est aussi question de relations sexuelles
entre Caligula et une nièce, mais peut-être s’agit-il d’une confusion avec Domitien,
cf. Suet., Dom. 22, 2) ; Ps. Aur.-Vict., Epit. 3, 4. Suétone ajoute que Caligula clamait que sa
mère Agrippine était le fruit d’un inceste entre Auguste et sa fille Julie (Suet., Calig. 23, 2).
Il est possible que la qualification incestueuse de la relation entretenue par Caligula avec
ses sœurs ait répondu à un but politique précis : l’instauration progressive à Rome d’une
monarchie de type oriental, telle qu’elle était pratiquée par exemple en Égypte.
191.– Suet., Calig. 36 et Ner. 28-29.
192.– Suet., Calig. 11, 1 ; Ner. 26 ; Tac., An. XIII 25, 1 ; DC., LXI 9, 2-4 ; Plin., N. H. XIII 126.
193.– Jos., A. J. XIX 7-8 ; Suet., Calig. 22, 3 ; Ner. 32, 7 ; Tac., An. XV 45, 1-2.
194.– Suet., Calig. 22, 3 ; Ner. 56.
195.– Suet., Calig. 38-42 et Ner. 32.
196.– Suet., Calig. 37 et Ner. 30-31. Le même lien entre prodigalité et exactions apparaît dans
Tac., H. I 20.
197.– Voir notamment Suet., Calig. 19, 1 ; 37, 4-5 ; Ner. 31, 1-5 ; Tac., An. XV 42 ; DC., LIX 17, 1-3.
198.– Phil., Leg. 42 ; Tac., An. XIV 14-15 ; Suet., Calig. 11, 1 ; 54, 2-4 ; Ner. 20-25 ; DC., LIX 5 ; LXI
20, 1-3 ; LXII 6, 3 ; LXIII 1, 1 ; 6, 3 ; 21, 2.
199.– Suet., Calig. 55, 7 ; Ner. 22, 1 ; DC., LIX 14.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
213
immodéré de Néron à la mort de sa fille, l’expression « maeroris impatiens »,
« incapable de maîtriser son chagrin », employée par Suétone pour qualifier
l’attitude de Caligula rappelant les mots « maeroris immodicus », « sans mesure
dans son chagrin », par lesquels Tacite désigne la réaction de Néron200.
Les deux empereurs sont accusés également d’avoir méprisé et mis à mal
l’ordre sénatorial201 et d’avoir trahi de manière générale les intérêts nationaux de
Rome, ce dont témoigne la fascination pour l’Égypte qui leur est attribuée202.
Les auteurs antiques leur imputent surtout d’innombrables exécutions, tant à
l’intérieur de leur propre famille – Suétone attribue ainsi à Caligula la mort
de sa grand-mère Antonia la Jeune, de son cousin Tiberius Gemellus et de son
beau-père203 – qu’à l’extérieur, les crimes de Caligula et de Néron se trouvant, là
aussi, introduits chez Suétone en des termes similaires : « il déploya à l’égard de
presque tous les hommes de toutes les époques non moins de jalousie et de haine
que d’orgueil et de cruauté (nec minore liuore ac malignitate quam superbia
saeuitiaque […] grassatus est) », peut-on lire dans la biographie de Caligula ;
« il déploya non moins de cruauté en dehors de sa maison et contre les étrangers
(nec minore saeuitia […] grassatus est) », lit-on dans celle de Néron204. Ces
innombrables crimes leur valurent, enfin, d’être poursuivis tous deux par les
Furies vengeresses205.
Prodigalité, faste excessif, rapines, meurtres, inceste, impiété à l’égard des
dieux et de la famille, incapacité à se maîtriser, passions indignes d’un empereur,
mépris et crimes à l’encontre du Sénat, trahison envers la patrie, nombreux sont
les traits communs à Caligula et à Néron. Cependant, l’oncle et le neveu ne font
en cela, comme nous l’avons déjà évoqué, que partager les vices et les crimes
qui sont ceux de tout tyran qui se respecte : Commode par exemple est lui aussi
présenté comme un prince incestueux206 ; Caracalla de même est accusé d’inceste
avec Julia Domna207 et sera, comme Caligula et Néron, victime des Furies pour
avoir tué son frère Geta, si l’on en croit le Pseudo-Aurelius Victor208.
Un certain nombre d’éléments nous autorise cependant à lier de manière
particulière la figure de Néron à celle de Caligula. C’est que les auteurs antiques
rapprochent fréquemment et explicitement les deux personnages – ce qui
constituait un moyen sûr de signaler le dernier Julio-claudien comme tyran209 :
Tacite fait dire à Curtius Montanus dans les Histoires IV 42 que Néron fut
« plus détestable et plus cruel », « intestabilior et saeuior », que Tibère et que
200.– Suet., Calig. 24, 4 (voir aussi Sen., Polyb. 17, 4-5, où la réaction de Caligula est qualifiée
d’immodérée, « intemperie ») ; Tac., An. XV 23, 3.
201.– Voir notamment Sen., Ir. III 19 ; Suet., Calig. 26, 2-4 ; 49, 1-4 ; Ner. 43, 1.
202.– Pour les projets égyptiens de Caligula, voir Jos., A. J. XIX 81 ; Suet., Calig. 49, 4.
203.– Suet., Calig. 23, 4-5 ; voir aussi Phil., Leg. 62-68.
204.– Suet., Calig. 34, 1 ; Ner. 36, 1.
205.– Suet., Ner. 34, 7 ; Jul., Caes. 310a.
206.– HA., Comm. 5.
207.– HA., Carac. 10.
208.– Ps. Aur.-Vict., Epit. 21, 3.
209.– Voir Bessone 1988, p. 51, où la comparaison de Néron avec Caligula est définie comme
« un accostamento divenuto quasi topico ».
214
Laurie Lefebvre
Caligula ; Néron fut « tout à fait semblable à son oncle Caligula », « Caligulae
auunculo suo simillimus », affirme Eutrope au livre VII 14, 1 de son Abrégé
d’histoire romaine ; de même, selon Orose, le dernier Julio-claudien fut « Gai
Caligulae auunculi sui erga omnia uitia ac scelera sectator immo transgressor210 »,
« un émule, pour ce qui est de tous les vices et crimes, de son oncle Caius
Caligula, qu’il surpassa même ».
Il est intéressant de remarquer qu’Eutrope et Orose, par l’emploi du terme
« auunculus », ont pris soin de souligner nettement la parenté liant Néron
à Caligula ; Jérôme, dans la Chronique, introduit de même le passage relatif à
Néron, outre la mention de la durée de son règne, par les mots : « huius auunculus
fuit Gaius Caligula211 ». L’arbre généalogique des Julio-claudiens était complexe
certes, mais ses principales ramifications étaient-elles à ce point oubliées que
les auteurs antiques dussent rappeler que Caligula était l’oncle de Néron ? Il
semble bien que cette indication avait moins pour but d’apporter un éclaircissement que de suggérer l’idée d’une sorte d’hérédité ou de fatalité, comme si
le statut de neveu du monstre Caligula expliquait le monstre Néron ; peut-être
l’insistance sur le terme « auunculus », qui signifie « oncle maternel », avaitelle également pour but de faire apparaître, en arrière-plan, l’inquiétante figure
d’Agrippine la Jeune.
L’association entre Caligula et Néron se produisit en fait très tôt, puisqu’elle
apparaît déjà à maintes reprises dans l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien,
publiée dix ans seulement après la mort de Néron. Au livre VII 45, où il est
question du phénomène, qualifié de contre nature, consistant à naître les pieds
en avant, Pline affirme ainsi que Caligula et Néron, mis au monde précisément
de cette manière, furent « tous deux des fléaux du genre humain », « totidem
faces generis humani ».
Les deux empereurs sont à nouveau réunis au livre XIII 22, au sujet de l’utilisation abusive de parfum, Néron s’en répandant sur la plante des pieds, Caligula
en faisant arroser ses baignoires ; ce luxe inutile est violemment condamné par
Pline. Au livre XXXIII 53-54, à Caligula faisant paraître dans un cirque une
machinerie supportant 124 000 livres d’argent, répond Néron faisant recouvrir
d’or le théâtre de Pompée à l’occasion de la venue à Rome de Tiridate. C’est
à nouveau le luxe démesuré des deux empereurs et leur mégalomanie qui sont
stigmatisés au livre XXXVI 111 de l’Histoire naturelle, où Pline condamne
l’ampleur monstrueuse des palais de Caligula et de Néron, si vastes qu’ils entouraient la ville entière. C’est donc, on le voit, sur l’accusation de prodigalité et de
passion effrénée pour le luxe que se rejoignent, chez Pline l’Ancien, les figures
de Néron et de Caligula. On peut encore citer à ce titre le passage de l’Histoire
naturelle où il est question des bottines en perles que portait Caligula et des
perles dont Néron aimait à faire garnir les objets (N. H. XXXVII 17).
Pline l’Ancien réunit en outre les figures de Caligula et de Néron, aux
côtés de celles de César et de Démétrios Poliorcète, en IV 10, à l’occasion de
210.– Oros., Hist. VII 7, 1.
211.– Hier., Chron., p. 181f.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
215
la condamnation précédemment citée du caractère sacrilège du percement de
l’isthme de Corinthe tenté par ces hommes212. C’est aussi pour leur impiété que
les deux empereurs sont rapprochés chez Pausanias, qui indique qu’ils dépouillèrent les Thespiens, qui honoraient Éros, de leur statue de culte, anecdote
qui vaut à Caligula et à Néron d’être réunis sous une même dénomination,
« ἀσεβησάντων ἐς τὸν θεὸν », « hommes impies à l’égard du dieu » :
« On dit que Caligula lorsqu’il était le maître de Rome enleva le premier la
statue d’Éros, que Claude ensuite la renvoya aux Thespiens mais que Néron la
fit une seconde fois transporter à Rome. […] Des deux empereurs qui avaient
commis une impiété envers la divinité, l’un, donnant toujours à un soldat le
même mot de passe accompagné d’une raillerie déguisée, mit le soldat dans
une telle colère que ce dernier le tua alors qu’il donnait le mot de passe ;
quant à l’autre, il faut compter, outre les impudences exécrables et détestables commises envers sa mère, celles commises contre les femmes mariées. »
(Paus., IX 27, 3-4)
La mise en parallèle de Néron et de Caligula apparaît également chez
Suétone, dès le début de la biographie consacrée au dernier Julio-claudien.
Suétone raconte ainsi que la nuit suivant sa nomination en tant que précepteur
du futur prince, « Sénèque rêva qu’il était précepteur de Caligula », et que
« Néron donna bientôt crédit à ce songe en donnant, le plus tôt qu’il put, des
marques de la barbarie de sa nature213 ». La mention de ce rêve a pour mérite
de donner immédiatement le ton et de mettre en condition le lecteur, qui ne
sera donc pas surpris à la lecture des nombreux vices et crimes de Néron ; l’évocation des circonstances de la naissance de ce dernier avait déjà, au chapitre
précédent, fourni à Suétone l’occasion de faire apparaître, tel un présage
sinistre, la figure de Caligula, lequel aurait, lors de la lustratio de Néron et alors
qu’on lui demandait de choisir le nom de l’enfant, donné celui de Claude qui
était alors la risée de la cour214.
Le rapprochement de Néron et de Caligula réapparaît au chapitre 30 de
la Vita Neronis, où sont abordées les relations de Néron avec les richesses et
l’argent :
« Il considérait que la seule manière d’utiliser richesses et argent était de les
gaspiller, regardant comme sordides et avares ceux qui tiennent un compte
exact de leurs dépenses, comme fastueux et vraiment magnifiques ceux qui
abusent et dilapident. Il louait et admirait son oncle Gaius avant tout parce
qu’il avait gaspillé en peu de temps les richesses immenses laissées par Tibère. »
(Suet., Ner. 30, 1-2)
La mise en parallèle des deux princes repose ici, comme chez Pline l’Ancien,
sur le motif de la prodigalité ; comme ce sera plus tard le cas chez Eutrope, Orose
et Jérôme, le lien de parenté entre les deux hommes est soigneusement précisé.
212.– Voir supra, p. 181-184.
213.– Suet., Ner. 7, 3.
214.– Suet., Ner. 6, 3.
216
Laurie Lefebvre
La façon dont le biographe amène le rapprochement est cependant fort différente de ce que l’on trouve dans la plupart des cas précédemment exposés, où la
mise en relation procédait d’un jugement extérieur opéré par l’auteur (comme
dans le cas de Pline l’Ancien) ou par l’un des personnages (comme dans le cas
de Curtius Montanus chez Tacite), sous forme de comparaisons ou de mises
en parallèle.
La mention de Caligula intervient en effet chez Suétone dans le cadre d’une
opinion prêtée à Néron lui-même, lequel est présenté comme un admirateur
conscient de son oncle maternel. La mise en relation entre les deux princes, de
procédé extra-diégétique, devient ainsi un élément de l’histoire et de la psychologie de Néron, un fait historique et avéré, ce qui lui confère une apparence
d’objectivité.
Un tel procédé apparaîtra encore plus nettement chez Dion Cassius, qui
prête à Néron le désir affiché d’imiter Caligula et même de le surpasser :
« À la fin il perdit toute pudeur, et violant et foulant aux pieds tous leurs
préceptes [i. e. ceux de Sénèque et de Burrus] il s’efforça de ressembler à
Caligula. Une fois qu’il eut conçu le désir de l’imiter, il le surpassa même,
pensant que c’était une des fonctions du pouvoir impérial que de n’être
inférieur à personne même dans les choses les plus détestables. » (DC., LXI
5, 1)
Orose de même, comme on vient de le voir, qualifie Néron de « sectator » et
de « transgressor » de son oncle Caligula.
Les figures de Néron et de Caligula étaient donc dans l’Antiquité indéniablement perçues comme particulièrement proches ; c’est cette proximité qui
explique probablement le phénomène de contamination entre les deux portraits
que nous avons analysé dans le deuxième chapitre. Cependant, si l’on regarde
nos textes de plus près, on constate que la figure de Néron non seulement rejoint
celle de Caligula, mais la dépasse. Les comparatifs « intestabilior et saeuior »
que Tacite a mis dans la bouche de Curtius Montanus (H. IV 42) sont à ce
titre tout à fait révélateurs, de même que le terme « transgressor » employé par
Orose, et l’on vient de voir que Dion Cassius déclarait que Néron avait fini par
surpasser Caligula.
La supériorité de Néron sur Caligula dans le vice se trouvait déjà chez Pline
l’Ancien, dans la condamnation, citée précédemment215, du caractère démesuré
des demeures de ces princes (N. H. XXXVI 111), l’expression « celle de ce
dernier qui plus est, afin que rien ne manquât, toute dorée », « huius quidem,
ne quid deesset, aurea », montrant bien à quel point le neveu réussit à surpasser
l’oncle. H. Sienkiewicz l’a bien senti, qui, dans son roman, fait dire à Pétrone :
« Caligula avait une case en moins, mais Néron est vraiment en dehors de la
215.– Voir supra, p. 125.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
217
nature216 ». F. Ripoll, dans un article consacré à l’image de Néron au début
de l’ère flavienne, parle à juste titre de « surenchère par rapport à Caligula217 ».
La construction des biographies de Caligula et de Néron chez Suétone
illustre de manière particulièrement subtile cette « surenchère ». Bien souvent
en effet Néron y apparaît en train de réaliser ce qui n’était qu’un souhait chez
son oncle. Le biographe nous apprend ainsi que Caligula se passionnait pour les
arts de la scène, la danse et le chant (Calig. 11 et 54) mais qu’il ne se produisit
jamais publiquement : il se contentait lors des spectacles d’accompagner la voix
de l’acteur tragique et d’imiter les gestes de l’histrion. En fait, le jour de sa mort,
il comptait semble-t-il monter sur scène pour la première fois : « Le jour où il
périt, il avait ordonné une veille pour aucune autre raison, semble-t-il, que pour
pouvoir faire ses débuts sur scène, à la faveur de la nuit218 ».
Or si Caligula fut assassiné avant que l’irréparable ne se produisît, Néron
au contraire parvint à se produire sur scène et répéta même l’expérience à
plusieurs reprises (Ner. 20-24), franchissant ainsi une étape supplémentaire dans
la perversion par rapport à son oncle ; H. Monteilhet écrira à ce titre, dans
le chapitre où l’on voit Néron s’apprêter à monter à Naples sur la scène d’un
théâtre construit pour l’occasion, que « même un Caligula n’avait osé aller
aussi loin dans le dédain le plus provocant de toutes les meilleures traditions
romaines219 ».
D’autre part, au Caligula de Suétone déplorant l’absence de catastrophes
publiques sous son règne, enviant à Tibère l’écroulement de l’amphithéâtre de
Fidènes et appelant de ses vœux « le massacre des armées, la famine, la peste, des
incendies, un tremblement de terre », « exercituum caedes, famem, pestilentiam,
incendia, hiatum aliquem terrae220 », répond chez le biographe un Néron
pouvant se targuer d’avoir vu sous son règne, précisément, un tremblement de
terre, « motu terrae », lequel ébranla le théâtre de Naples221 ; la famine publique,
« publica fame222 » ; une épidémie de peste, « pestilentia », ainsi que des
désastres militaires, en Bretagne et en Orient223.
La liste de calamités publiques que Suétone attribue au règne de Néron
semble ainsi répondre mot pour mot aux désirs vains de Caligula, surtout si l’on
y ajoute l’incendie qui détruisit une partie immense de Rome en 64 ap. J.-C. et
dont le biographe impute la responsabilité à Néron dans un chapitre accusant
216.– Sienkiewicz 2001, p. 402.
217.– Ripoll 1999, p. 147, n. 55.
218.– Suet., Calig. 54, 3.
219.– Monteilhet 1984, p. 548.
220.– Suet., Calig. 31.
221.– Suet., Ner. 20, 3. D’après Suétone, le théâtre de Naples fut ébranlé alors même que Néron
était en train d’y chanter. Tacite donne une version assez différente de l’événement : selon
lui, le théâtre ne se contente pas d’être ébranlé mais s’écroule, l’accident a lieu juste après
la représentation et non pendant le déroulement de celle-ci et surtout il n’est pas question
de tremblement de terre (An. XV 34, 1). Il est par contre question chez Tacite d’un tremblement de terre à Laodicée en 60 ap. J.-C. (An. XIV 27, 1) et à Pompéi deux ans plus tard
(An. XV 22, 2).
222.– Suet., Ner. 45, 1.
223.– Suet., Ner. 39, 1. La peste est également décrite par Tacite (An. XVI 13, 1-2).
218
Laurie Lefebvre
le prince d’avoir nui à ses sujets : « il n’épargna ni le peuple ni les murs de sa
patrie224 ». Néron réalise du coup un autre désir resté inassouvi chez Caligula,
lequel souhaitait profondément nuire à Rome et regrettait que le peuple n’eût
pas une seule tête pour pouvoir la couper225. Caligula, qui avait pourtant réussi
à « faire oublier même les ignominies de Tibère226 », fut ainsi surpassé par son
élève Néron.
Notons enfin que, si la littérature antique avait très vite présenté le modèle
privilégié de Néron qu’est Caligula comme un véritable tyran (en témoignent la
Legatio ad Gaium de Philon d’Alexandrie et un certain nombre d’ouvrages philosophiques de Sénèque227, notamment le De tranquillitate animi, où Caligula est,
au chapitre 14, 4, assimilé à Phalaris, le tyran d’Agrigente qui faisait brûler ses
victimes dans un taureau d’airain incandescent), les textes principaux qui feront
de Caligula ce tyran228 font partie d’œuvres qui traitent aussi de Néron car postérieures aux deux hommes. Si Caligula était déjà un monstre sous Claude et sous
Néron, son portrait fut donc en réalité essentiellement constitué en même temps
que celui de son neveu ; sans doute même Caligula a-t-il bénéficié, par ricochet,
de la sinistre célébrité de Néron229. La construction de la figure modèle et celle
de la figure héritière furent ainsi contemporaines et simultanées, Caligula ne
devant son statut de modèle de Néron, pour ainsi dire, qu’aux quelques pages
séparant dans les textes le récit de son règne de celui du dernier Julio-claudien.
Rois de Rome, Antoine, Tibère, Caligula, auxquels il convient d’ajouter
les Gracques, Marius, Sylla, Verrès, Catilina ainsi que les rois barbares ennemis
des Romains, ces personnages sont tous, à des degrés divers, des modèles dont
la figure de Néron apparaît comme la digne héritière. Néron a en outre une
circonstance aggravante : Hannibal, Jugurtha, Mithridate, Sylla, Antoine,
malgré leur scélératesse, leur infamie ou leur cruauté, sont présentés, du moins,
comme de grands chefs militaires, endurants, indomptables et fiers ; Catilina
lui-même eut le mérite de finir ses jours en brave soldat et en bon général et de
périr en combattant. Si l’on en croit les textes antiques, Néron, lui, ne mena
jamais aucun combat, était la négation même de l’imperator et choisit une fuite
indigne et lamentable.
La figure de Néron n’a pas seulement été conçue comme une imitation
des grands monstres de l’Histoire. Les auteurs antiques, loin de s’en tenir aux
modèles tyranniques que leur offrait l’historiographie, les ont aussi empruntés à
224.– Suet., Ner. 38, 1. On peut ajouter l’incendie qui ravagea Lyon sous le règne de Néron et
dont il est question chez Tacite (An. XVI 13, 3) ; voir aussi Sen., Ep. 91.
225.– Suet., Calig. 30, 6.
226.– Eutr., VII 12, 1 : « C. Caesar, […] qui etiam Tiberii dedecora purgauerit ».
227.– Sen., Ir. I 20, 4 ; II 33, 3-4 ; Brev. 18, 5-6 ; Polyb. 17, 4 ; Helv. 10, 4.
228.– Notamment les livres XVIII et XIX des Antiquités juives de Flavius Josèphe, la biographie
de Suétone, le livre LIX de l’Histoire romaine de Dion Cassius et, sans aucun doute, les
livres perdus des Annales.
229.– Chez Juvénal, Caligula est ainsi désigné par la périphrase « l’oncle de Néron », « auunculus ille Neronis » (Juv., VI 615).
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
219
la mythologie et à la tragédie, faisant ainsi du règne de Néron l’actualisation des
plus grands mythes.
Néron et les criminels tragiques
Les monstres de la mythologie
À plusieurs reprises, dans les textes anciens, nous voyons Néron être assimilé aux
monstres dont regorgeait l’imaginaire mythologique antique. La monstruosité
de Néron, qui étale devant le peuple sa honte, ne craint pas de promener des
chars, de chanter en public, et se plaît à égorger des hommes, lui vaut par exemple
d’être comparé au Cyclope par Philolaos de Cittium, dans la Vie d’Apollonios
de Tyane de Philostrate. Apollonios, estimant qu’il n’y a pas de spectacle plus
intéressant pour les hommes instruits que la vue d’un empereur se déshonorant
comme le fait Néron, décide de se rendre à Rome, malgré le danger que représente, pour un philosophe, un séjour dans l’Vrbs. Philolaos, désireux de le mettre
en garde, lui déclare alors :
« Si tu es emmené et mis à mort et que Néron te dévore vivant sans que tu aies
rien vu de ses occupations, il t’en aura coûté cher de l’avoir rencontré et même
plus cher qu’à Ulysse, lorsqu’il vint chez le Cyclope. Ulysse en effet perdit
beaucoup de ses compagnons pour avoir voulu voir le Cyclope et s’être laissé
séduire par le spectacle d’un être monstrueux (ἀτόπου) et cruel. » (Philst.,
V. Ap. IV 36, 3)
Ce à quoi Apollonios répond, non sans malice, que Néron ne doit pas être
bien plus clairvoyant que le Cyclope, étant données la conduite qu’il adopte et
la honte qu’il étale.
La cruauté de Néron lui vaut, d’autre part, d’être qualifié dans l’Octavie de
« fléau plus terrible », « grauior […] pestis230 » que Typhon, être monstrueux et
horrible que Gaia, mécontente de la défaite des Géants, avait mis au monde afin
de se venger de Zeus et qui fit trembler tous les habitants des cieux.
C’est cependant avec les criminels et les monstres tragiques que la figure de
Néron présente le plus d’affinités. Meurtre de Claude, le père adoptif, fratricide,
matricide, inceste, sur fond de cupido dominandi, de tyrannie et d’intrigues,
l’histoire du règne de Néron recèle en effet tous les ingrédients de la tragédie
antique. De là à assimiler Néron aux grands criminels tragiques, il n’y avait
qu’un pas, que les Anciens ne se sont pas privés de franchir.
Le modèle d’Oreste et d’Alcméon
« Νέρων Ὀρέστης Ἀλκμέων »
Nous commencerons l’examen par un des actes qui valut à Néron sa renommée :
l’assassinat d’Agrippine la Jeune, perpétré un beau jour de mars 59 ap. J.-C.
à l’instigation de son propre fils, qui rejoignit du coup les rangs des célèbres
matricides dont l’imaginaire antique était peuplé. Ainsi, parmi les railleries
230.– Ps. Sen., Oct. 240.
220
Laurie Lefebvre
répandues par les Romains afin de déchirer Néron et dont Suétone dresse la
liste au chapitre 39, 3 de la Vita Neronis, nous voyons apparaître l’épigramme
suivante : « Νέρων Ὀρέστης Ἀλκμέων μητροκτόνος231 ».
Le sens de cette épigramme, qui est également citée par Dion Cassius et
Philostrate232, est clair : c’est le meurtre d’Agrippine par Néron qui fonde
l’assimilation du prince aux deux matricides mythologiques que sont Oreste
et Alcméon, figures qui firent l’objet de nombreux traitements tragiques, tant
en Grèce qu’à Rome233, et qui furent très vite associées234. Ainsi Oreste tua sa
mère Clytemnestre pour venger le meurtre de son père Agamemnon et Alcméon
tua la sienne, Ériphyle, à la demande de son père Amphiaraos, que son épouse,
corrompue par un présent, avait contraint à prendre part à la guerre contre
Thèbes où il savait très bien, en tant que devin, devoir mourir ; Amphiaraos avait
donc fait jurer à son fils de venger sa mort.
H. Ailloud, dans son édition des Vies des douze Césars, traduit l’épigramme par « Néron, Oreste, Alcméon : matricides ». B. H. Warmington,
dans son commentaire de la Vita Neronis, a cependant noté, à juste titre, que le
mot signifiant « matricide », s’il se trouve certes au pluriel chez Dion Cassius
et Philostrate, est au singulier chez Suétone235. Il rapproche alors l’épigramme
telle que citée par Suétone d’un passage de Dion Cassius où est rapportée une
harangue de Vindex, selon qui ce ne sont pas les noms de César et d’Auguste que
Néron devrait porter :
« Ensuite on appellera un pareil être César, Empereur et Auguste ? Non,
non ; que personne n’outrage ces noms sacrés. Ces noms, en effet, Auguste
et Claude les ont portés ; mais lui, il serait plus juste de l’appeler Thyeste et
Œdipe, Alcméon et Oreste. » (DC., LXIII 22, 5-6)
L’épigramme de Suétone signifierait donc, d’après B. H. Warmington,
non pas « Néron, Oreste, Alcméon sont des matricides » mais « Néron Oreste
Alcméon est un matricide ». Hypothèse de lecture particulièrement intéressante, et qui montre Néron non plus comparé à des criminels mythologiques,
mais confondu avec eux dans une nouvelle titulature impériale. Il ne s’agit dès
lors plus de comparaison mais d’identité : Néron se voulait César Auguste,
Apollon Pythien et Hercule236, nouveau dieu sur terre, il ne sera qu’Oreste
Alcméon, criminel impie.
231.– La comparaison avec Oreste est, en fait, un motif utilisé dans l’invective politique de la
fin de la République : Cicéron qualifie ainsi Pison d’homme plus insensé qu’Oreste ou
Athamas (Pis. 20).
232.– DC., LXI 16, 2 ; Philstr., V. soph. I 481 : « Νέρων Ὀρέστης Ἀλκμέων μητροκτόνοι ».
233.– Si Oreste nous est aujourd’hui beaucoup plus familier qu’Alcméon, il faut rappeler
qu’Aristote cite ce dernier, en premier d’ailleurs, parmi les plus belles tragédies composées à son époque, aux côtés de celles d’Œdipe et d’Oreste (Poet. 1453a). On a, du côté
romain, conservé quelques fragments de l’Alcmeo d’Ennius et d’autres tirés de l’Alcmeo et
de l’Alphesiboea d’Accius (Alphésibée est le nom de la première femme d’Alcméon).
234.– Voir par exemple Plat., Alc. 2, 143c ; Arstt., Poet. 1453b.
235.– Warmington 1977, p. 105.
236.– Suet., Ner. 53, 3 : « Il avait même résolu d’imiter aussi les exploits d’Hercule : il avait, diton, fait préparer un lion qu’il devait, paraissant tout nu dans l’arène de l’amphithéâtre,
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
221
Les furies d’Agrippine
Les jalons de l’assimilation entre Néron et Oreste avaient déjà été posés par
Suétone quelques chapitres avant la mention de l’épigramme. Comme l’a noté
S. Bartsch237, la partie de la biographie suétonienne consacrée aux vices de
Néron commence par la passion de l’empereur pour les arts du spectacle et par la
liste, dressée au chapitre 21, des rôles qu’il joua (parmi lesquels Suétone cite celui
d’Oreste meurtrier de sa mère) ; le lecteur est donc averti que Néron a interprété
le matricide Oreste avant de lire le récit du meurtre d’Agrippine, lequel intervient au chapitre 34. Ainsi la structure de la Vita Neronis a d’ores et déjà préparé
le lecteur à considérer les actions de Néron à travers le prisme des rôles joués
par lui. De la même manière, le fait d’avoir lu, au chapitre 21, c’est-à-dire avant
la mention de l’inceste commis avec Agrippine (Ner. 28), que Néron a incarné
Œdipe, nous prépare à assimiler l’empereur à l’incestueux fils de Jocaste.
L’assimilation de Néron avec Oreste, préparée chez Suétone dès le
chapitre 21, se confirme ensuite au chapitre 34. On se souvient en effet qu’Oreste
fut poursuivi par les Érinyes pour avoir tué sa mère ; ce fut également le cas
d’Alcméon, harcelé par le visage des Euménides et l’ombre d’Ériphyle238. Or
Suétone représente explicitement le matricide Néron poursuivi par les Furies et
le visage d’Agrippine :
« Toutefois, il ne put jamais, ni sur le moment ni plus tard, étouffer ses
remords, et souvent il avoua qu’il était poursuivi par le fantôme de sa mère,
par les fouets et les torches ardentes des Furies. » (Suet., Ner. 34, 7 ; trad.
H. Ailloud)
La mention des Furies a pour effet de confirmer la culpabilité de Néron dans
le meurtre de sa mère et de justifier du coup la version de l’événement que vient
d’en donner Suétone. Le biographe n’est par ailleurs pas le seul à avoir présenté
Néron tourmenté par le fantôme d’Agrippine et par les Furies : Stace, dans le
poème dédié à Lucain, montre, enfermé dans le Tartare, un « Néron tout pâle à
la vue de la torche que tient sa mère », « pallidumque uisa matris lampade […]
Neronem239 » ; Dion Cassius, de même, écrit que lors de son voyage en Grèce,
Néron refusa de se rendre à Athènes à cause de la tradition liant les Érinyes à
la ville grecque (LXIII 14, 3). Au fil des siècles, effort de rationalisation oblige,
les déesses vengeresses poursuivant le meurtrier Néron se transformeront, chez
H. Monteilhet, en « furies du remords240 ».
soit assommer à coups de massue, soit étouffer entre ses bras, sous les regards du peuple. »
H. Monteilhet, dans son roman Néropolis, écrira non sans malice au sujet de cet
épisode que « l’épreuve avait été décommandée, faute d’animal assez complaisant »
(Monteilhet 1984, p. 430). Voir aussi Ps. Luc., Ner. 3, où l’on voit Musonius déclarer
que Néron, après avoir à Corinthe frappé la terre par trois fois afin d’inaugurer les travaux,
se retira persuadé d’avoir surpassé tous les Travaux d’Hercule.
237.– Bartsch 1994, p. 42-43.
238.– Cic., Ac. 2, 88-89 (où est cité un extrait de l’Alcmeo d’Ennius) ; Ov., M. IX 407-410 ; Prop.,
III 5, 40 ; Apd., III 7, 5 ; Hyg., Fab. 73, 3.
239.– Stat., S. II 7, 118-119.
240.– Monteilhet 1984, p. 442.
222
Laurie Lefebvre
Si les Furies n’apparaissent pas chez Tacite, l’historien mentionne toutefois
des crises d’épouvante et d’égarement de Néron consécutives au matricide :
« Pendant le reste de la nuit, tantôt figé dans le silence, mais plus souvent se
dressant, privé de raison (mentis inops), il attendait le lever du jour, comme s’il
devait lui apporter le trépas241 », phrase où le « mentis inops » semble faire
écho à l’expression « exul mentis » par laquelle Ovide, dans les Métamorphoses,
désigne Alcméon poursuivi par les Furies242. Il est aussi question, chez Tacite, de
trompettes que certains auraient entendues sur les coteaux autour de la sépulture
d’Agrippine ainsi que de plaintes sortant de son tombeau243 : ces bruits sont
manifestement des signes funestes qui attestent la défaveur divine pesant sur
Néron et annoncent le châtiment du criminel.
Quand Néron surpasse ses maîtres
Si les présages sinistres et la persécution par les Furies placent Néron sur un pied
d’égalité avec Oreste et Alcméon, il faut noter cependant qu’il s’agit d’une égalité
toute relative : car alors qu’Alcméon peut être qualifié de « pius » par Ovide (M.
IX 408) parce qu’en tuant sa mère il vengeait son père (de même Oreste), Néron
n’avait nul désir de venger Claude et est même présenté comme le complice de
son meurtre par Suétone et Dion Cassius244. Une comparaison particulièrement
édifiante de Néron et d’Oreste fait d’ailleurs l’objet d’un ample développement
de Juvénal, cité dans le premier chapitre mais que nous reproduisons ici :
« Le crime du fils d’Agamemnon fut pareil, mais le motif rend le cas différent :
il était, lui, sur l’initiative des dieux, le vengeur d’un père massacré au milieu
des coupes, et il ne se souilla point de l’égorgement d’Électre ou du sang de son
épouse spartiate, il ne fit de mixture d’aconit pour aucun de ses proches, il ne
chanta jamais sur un théâtre, cet Oreste, il n’écrivit pas de poème sur Troie. »
( Juv., VIII 215-221 ; trad. P. De Labriolle et F. Villeneuve)
Comme on le voit, la comparaison entre Néron et Oreste ne tourne pas à
l’avantage de l’empereur, lui dont le matricide ne procède ni d’un ordre divin
ni d’un devoir de piété filiale, lui en outre qui, non content de tuer sa mère, tua
celle qui était à la fois sa sœur et son épouse, Octavie (sans compter sa seconde
femme Poppée et son frère Britannicus), fit périr nombre de ses proches (dont
sa tante) et chanta sur un théâtre tel un vulgaire histrion : Oreste, lui, ne se
déshonora jamais de la sorte et ne porta atteinte ni à sa sœur Électre ni à son
épouse Hermione.
La même idée est exprimée par le Pseudo-Lucien dans le dialogue Néron
ou le percement de l’isthme, 10, où le philosophe Musonius dit à Ménécrate
que la Pythie avait mis Néron au rang des Orestes et des Alcméons, mais que
241.– Tac., An. XIV 10, 1.
242.– Ov., M. IX 409. Dans les Annales, toutes les autres occurrences du terme inops ont le sens,
premier et concret, de pauvreté et d’indigence.
243.– Tac., An. XIV 10, 3. Dion Cassius (LXI 14, 4) parle lui aussi de trompettes, mais le phénomène est présenté chez lui comme un fait avéré, entendu par Néron, et non comme une
croyance de certains quidams, comme chez Tacite.
244.– Suet., Ner. 33, 1 ; DC., LX 35, 2.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
223
contrairement à ces derniers, qui retirèrent du meurtre de leur mère une sorte de
gloire puisqu’ils ne l’avaient entrepris que pour venger leur père, Néron pour sa
part ne pouvait dire qu’il eût quelqu’un à venger. Le même motif apparaît dans
La Vie d’Apollonios de Tyane :
« En outre, tu ne peux dire des bêtes qu’elles ont un jour mangé leurs propres
mères, tandis que Néron s’est gorgé de pâture. Si cela s’est produit aussi avec
Oreste et Alcméon, ils avaient au moins pour prétexte leurs pères, dont l’un
avait été tué par sa femme, l’autre vendu contre un collier. » (Philstr., V. Ap.
IV 38, 3)
La comparaison entre Néron et Oreste/Alcméon telle qu’elle apparaît dans
l’épigramme citée par Suétone et Dion Cassius se fonde ainsi uniquement sur
le fait que ces trois personnages ont tué leur mère et été à ce titre poursuivis par
les Érinyes ou les Furies : c’est donc, pour ainsi dire, une version simplifiée du
mythe d’Oreste et d’Alcméon qui est convoquée245, et Néron semble bien avoir
dépassé ses maîtres.
Néron, Atrée et autres Polynices
La mort de Britannicus
Avec le meurtre de sa mère, Néron n’en est pas à son premier coup d’essai :
l’empereur avait auparavant fait mourir son frère Britannicus, acte qui, à nouveau,
nous plonge dans l’univers de la tragédie. Nous avons vu que ce fratricide fut,
d’après Tacite, directement mis en relation, par les Romains eux-mêmes, avec
les antiques luttes fraternelles, « antiquas fratrum discordias246 » : si nous avons
montré que la phrase de Tacite évoquait le souvenir des luttes fratricides qui
avaient marqué l’époque de la Rome royale, il nous reste maintenant à explorer
le versant mythologique de la question.
Les mythes sont en effet peuplés de fratricides, auxquels fait sans nul doute
référence la phrase de Tacite. Un des plus célèbres est le conflit qui opposa les
fils d’Œdipe, Étéocle et Polynice, et qui inspira de nombreuses œuvres dans
l’Antiquité, des Sept contre Thèbes d’Eschyle aux Phéniciennes de Sénèque et à
la Thébaïde de Stace. Alcméon, ce double mythique de Néron, est d’ailleurs lui
aussi lié de près au motif des haines entre frères, en tant que membre de l’expédition des Épigones, ces descendants des sept chefs qui avaient combattu devant
Thèbes aux côtés de Polynice contre son frère Étéocle. Outre Étéocle et Polynice,
il convient de citer Atrée et Thyeste, dont la lutte pour le pouvoir engendra des
crimes particulièrement monstrueux qui avaient fait l’objet de nombreux traitements tragiques, dont l’Atrée d’Accius et le Thyeste de Sénèque.
245.– Voir Coleman 1990, p. 67 : « Greco-Roman mythology provided an all-encompassing
frame of reference for everyday Roman experience. A superficial appropriateness was
quite adequate; points of detail did not have to correspond ». Voir aussi Bartsch 1994,
p. 39.
246.– Tac., An. XIII 17, 1. Voir supra, p. 194-196.
224
Laurie Lefebvre
Famille des Atrides et Julio-claudiens : Néron, Atrée et Thyeste
Atrée et Thyeste, s’ils partagent avec le dernier Julio-claudien le motif des luttes
fraternelles, sont en fait des modèles de l’empereur à des titres divers. Nombre
de chercheurs modernes ont ainsi vu un nouvel Atrée dans la figure de Néron
telle qu’elle nous a été transmise par les textes antiques. Il est vrai qu’Atrée était
dans l’Antiquité le paradigme du tyran, et on connaît la fortune de l’exclamation
qu’Accius lui prêta dans sa pièce, le fameux « oderint dum metuant247 », « qu’ils
me haïssent pourvu qu’ils me craignent ». Or Néron, considéré et présenté lui
aussi comme un tyran, partage à ce titre avec Atrée de nombreuses caractéristiques, la haine inspirée aux sujets, le climat de crainte, la cruauté et la barbarie.
C’est bien entendu le Néron tragique de l’Octavie qui est le plus proche
d’Atrée ; la figure d’Atrée se donne cependant à lire aussi derrière le Néron des
historiens. On peut noter, à ce titre, que la description que font les historiens
antiques du complot ourdi contre Agrippine par Néron, qui attira sa mère dans
le piège en feignant la réconciliation et en lui faisant croire à un possible retour
à la cour, ressemble à s’y méprendre à la machination d’Atrée, qui, comptant sur
le désir que Thyeste a toujours de régner, va prétendre vouloir faire la paix avec
son frère pour parvenir à l’attirer dans le palais248.
La figure de Néron, d’un autre côté, possède un grand nombre de traits qui
la rapprochent de celle de Thyeste249. En effet, l’énumération des forfaits de
ce dernier par Atrée dans la pièce de Sénèque250 présente Thyeste comme un
perfidus, qui, par ses « insidiis », ses « ruses », a séduit la femme d’Atrée et lui a
ravi le trône ; or Néron, lui dont les épouses, Octavie, Poppée, Statilia Messalina,
furent chaque fois sournoisement enlevées à leurs précédents maris ou fiancés et
qui ravit le trône à Britannicus, est justement caractérisé par sa perfidia. Tacite
multiplie ainsi les termes comme simulatio, insidia, dolus, fallax, confingere,
moliri, auxquels il ajoute des quasi et des tamquam, ce qui donne de l’empereur
l’image d’un homme fourbe et trompeur251.
Néron ne cesse de fait, dans les Annales ou la Vita Neronis, d’ourdir des machinations, de manipuler son entourage ainsi que l’opinion, notamment pour faire
tomber ceux qu’il a pris en haine : manigances pour tuer Britannicus d’abord ;
ruse ensuite pour piéger Agrippine, la faire monter sur le navire fatal, et enfin la
faire accuser d’avoir voulu tuer le prince ; intrigues pour abattre Octavie en lui
prêtant un adultère avec un affranchi ; envoi d’Othon en Lusitanie afin d’avoir
le champ libre avec Poppée.
247.– Voir Cic., Off. I 97 ; Sen., Ir. I 20, 4 ; Clem. I 12, 4 ; II 2, 2 ; Suet., Calig. 30, 3.
248.– Tac., An. XIV 4 ; Suet., Ner. 34, 3 ; DC., LXI 13, 1-2 ; Sen., Thy. 288-304. Le motif de la
feinte réconciliation n’apparaît pas dans l’Octavie. La ressemblance entre le complot de
Néron et celui d’Atrée est suggérée par Bauduceau-Cros 2005, p. 263 et 419.
249.– Dion Cassius, dans le discours prêté à Vindex, donne même comme surnom à Néron, à
côté de ceux d’Œdipe, d’Alcméon et d’Oreste, celui de Thyeste (LXIII 22, 6) ; mais il est
vrai que cette liste correspond en fait à des rôles que Néron a interprétés (cf. LXIII 9, 4).
Sur le parallèle Néron-Thyeste, voir surtout Monteleone 1988, p. 91-113.
250.– Sen., Th. 220-223 et 238-240.
251.– Voir par exemple Tac., An. XIII 15, 3 ; 16, 1 ; 27, 3 ; XIV 6, 1 ; 10, 2 ; 56, 3.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
225
Les motifs d’assimilation entre Néron et les fils de Pélops sont donc
nombreux, surtout si l’on ajoute le fait qu’Atrée et Thyeste se sont, eux aussi,
dans leur jeunesse, souillés d’un fratricide : car ils ont, à l’instigation de leur mère
Hippodamie, assassiné leur demi-frère Chrysippos252. Néron, suivant les aspects
envisagés, est donc mi-Thyeste mi-Atrée, dont il est déjà fort proche, on l’a vu,
du petit-fils, Oreste253.
Le tyran Néron n’a donc rien à envier aux criminels mythologiques et l’histoire de son règne se prête à ce titre fort bien, telle la légende des Atrides ou
celle des Sept contre Thèbes, à un traitement tragique, comme nous l’avons
déjà souligné au sujet du récit du meurtre d’Agrippine et comme le démontre
l’existence même de l’Octavie. Agrippine a donc raison de qualifier sa famille
d’« infelicis domus », « maison infortunée », selon le mot que lui prête Tacite
au livre XIII 14, 3 des Annales, et c’est à juste titre que Britannicus, lorsque Néron
lui demande d’entonner un chant lors des Saturnales, choisit, afin de dépeindre
le malheur de sa situation, lui qui a été privé du pouvoir qui lui revenait de droit,
des vers tirés probablement d’une tragédie254.
Bien plus, la complexité des liens de parenté dans le clan Néron (Agrippine,
nièce de son mari, est de ce fait la belle-mère de son cousin, tandis que Néron
est le petit-neveu de son père adoptif, le petit cousin de son frère et finalement
l’époux de sa sœur) en fait une famille des Atrides en condensé : ainsi, en
faisant mettre à mort sa femme Octavie, Néron fait d’une pierre deux coups et
commet en même temps un fratricide. En outre, les crimes que les Atrides (ou
autres familles apparentées) avaient commis sur plusieurs générations sont ici
perpétrés seulement par une mère et son fils, Agrippine et Néron, ce qui crée un
effet de concentration sur lequel l’auteur de l’Octavie insiste à plusieurs reprises :
« il succombe au crime de son épouse ; celle-ci, bientôt après, à celui de son
fils ; le frère de ce dernier gît empoisonné et sa malheureuse sœur, qui est aussi
son épouse, se morfond », dira la nourrice d’Octavie255 ; « l’épouse de Claude
prépara pour son époux le poison cruel, et elle-même succomba bientôt après
au crime de son fils », répétera-t-elle plus loin256. Il est intéressant de noter que
ce dernier extrait s’insère, comme l’a montré R. Ferri, dans un passage inspiré
de la représentation ovidienne de l’Âge de Fer dans les Métamorphoses257 : quelle
ironie, si l’on songe que Néron voulait passer pour l’instaurateur d’un nouvel
Âge d’Or…
252.– Hyg., Fab. 85 ; 243 ; Paus., VI 20, 7 ; Tzetz., Chil. I 418-423.
253.– Les liens entretenus par l’histoire du règne de Néron avec la famille des Atrides sont donc
multiples. D. Kosztolányi l’a bien senti, qui fait raconter à Néron, lors du banquet au
cours duquel succomba Britannicus, le mythe d’Atrée et de Thyeste ; qui plus tard lui
fait appeler sa mère Clytemnestre ; l’imagine en costume d’Oreste lorsque l’on vient lui
annoncer la mort de sa mère (Kosztolányi 1944, p. 100-101 et p. 199). Dans le roman de
H. Monteilhet, de même, Silanus s’exclame : « la légende des Atrides n’est que petite
bière gauloise à côté de la réalité julio-claudienne » (Monteilhet 1984, p. 216).
254.– Tac., An. XIII 15, 2.
255.– Ps. Sen., Oct. 44-47.
256.– Ps. Sen., Oct. 164-166.
257.– Ferri 2003, p. 175.
226
Laurie Lefebvre
Famille des Atrides et Julio-claudiens : Octavie et Électre
Octavie, quant à elle, apparaît comme une nouvelle Électre258. Les points de
jonction entre le mythe d’Électre et l’histoire d’Octavie sont nombreux : les
deux jeunes femmes ont vu leur père être assassiné ; elles ont toutes deux été
privées de leur frère ; elles sont toutes deux en danger au sein même de leur
propre famille, Électre devant se méfier de Clytemnestre et d’Égisthe, Octavie
de Néron, d’Agrippine et de Poppée.
Le sort d’Électre est cependant présenté dans l’Octavie comme plus enviable
que celui de la jeune impératrice. L’héroïne grecque a en effet vu son frère
revenir et venger le meurtre d’Agamemnon, tandis que, comme le souligne le
personnage d’Octavie dans la pièce du Pseudo-Sénèque, Britannicus est mort et
que l’ombre de Claude ne voit venir aucun vengeur :
« Ô mon sort que ne peut égaler aucun malheur, même si je rappelle tes
chagrins (luctus tuos), Électre : toi, il te fut permis quand tu étais affligée
de pleurer ton père assassiné, de punir le crime en trouvant un vengeur en
ton frère, que ta piété enleva (rapuit) à l’ennemi et que protégea ta fidélité.
Moi, la crainte m’empêche de me lamenter (lugere) sur mes parents enlevés
(raptos) par un sort cruel et m’interdit de pleurer la mort de mon frère, dans
lequel j’avais placé mon seul espoir et la brève consolation à tant de maux.
Aujourd’hui, sauvée pour mon malheur (luctus meos), je ne suis plus que
l’ombre d’un grand nom. » (Ps. Sen., Oct. 57-71)
Comme les critiques l’ont noté259, la comparaison établie par Octavie entre
son sort et celui d’Électre est soulignée par un jeu de répétitions que nous avons
signifiées ci-dessus au moyen de caractères gras.
La plainte d’Octavie correspond à un topos de la littérature tragique : très
souvent, en effet, les poètes se plaisent à évoquer d’illustres précédents mythologiques dont ils présentent la situation comme égalée ou dépassée par les malheurs
de leur héros ; la première apparition d’Octavie sur la scène de la tragédie du
Pseudo-Sénèque la montre d’ailleurs en train de déclarer son sort plus terrible
que celui de Philomèle et de sa sœur Procné260.
Mais si la comparaison d’Octavie et d’Électre correspond à un trait typique
de l’écriture tragique, le pathétique de la situation n’en a pas pour autant moins
de force, si l’on se souvient qu’Électre, par rapport à laquelle Octavie se déclare
plus infortunée, était dans l’Antiquité un des paradigmes par excellence de
l’héroïne tragique, comme en témoigne le nombre important de tragédies qui
lui furent consacrées261. L’auteur accentue également le pathétique de la situation
par le biais d’une habile manipulation rhétorique, le personnage d’Octavie
appuyant en effet sa démonstration sur l’affirmation qu’il fut permis à Électre
258.– Sur le parallèle Électre / Octavie voir par exemple Juv., VIII 217-219, cité supra, p. 222.
259.– Barbera 2000, ad 69 ; Boyle 2008, ad 57.
260.– Ps. Sen., Oct. 5-9.
261.– Le mythe d’Électre fut notamment traité dans les Choéphores d’Eschyle, l’Électre et l’Alétès
de Sophocle, l’Électre et l’Oreste d’Euripide, l’Agamemnon de Sénèque. Le poète Atilius
avait d’autre part traduit en latin l’Électre de Sophocle (Cic., Fin. I 2, 5 ; Suet., Caes. 84, 3).
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
227
de pleurer son défunt père, alors même qu’Électre, dans la lamentation que lui
prête Sophocle et dont le Pseudo-Sénèque s’est inspiré ici, se plaignait précisément de ne pouvoir pleurer ouvertement comme elle le voudrait262.
Un prince cumulant les forfaits et les travers d’Atrée et de Thyeste, un crime
moins excusable que celui d’Oreste, une jeune femme plus à plaindre qu’Électre :
la légende de Néron est pire encore que le mythe des Atrides.
Vestigia sequi, « suivre les traces » : telle est la définition que les Romains
donnaient de l’éducation, laquelle se voulait imitation des ancêtres. Les Romains
faisaient en effet de l’imitation des grands modèles un des éléments essentiels
de l’instruction : comme l’a souligné H.-I. Marrou, « l’éducation morale du
jeune Romain était, comme celle du Grec, alimentée par un choix d’exemples
offerts à son admiration263 ». Le jeune Romain était ainsi invité à modeler son
comportement sur les modèles que lui offraient ses ancêtres et plus largement
les grands personnages de l’histoire de Rome. Sénèque lui-même, dans son De
clementia, s’était efforcé d’amener Néron à faire mieux que ses ancêtres par une
saine émulation avec eux264…
C’est précisément à rebours de l’antique tradition romaine d’imitatio des
grands ancêtres que la figure de Néron a été construite, lui qui est présenté
comme ayant suivi les pires exemples possibles et adopté les mots et l’attitude des
figures que la tradition avait hissées au rang de contre-modèles. Mais les auteurs
antiques ne se sont pas contentés de faire de Néron un émule des tyrans et des
ennemis de Rome : la figure du dernier Julio-claudien en cumule absolument
tous les traits, orgueil impie de Xerxès, cruauté de Sylla, rapacité de Verrès,
mollesse d’Antoine, hypocrisie de Tibère, prodigalité de Caligula, sans compter
les travers que Néron partage avec les criminels mythologiques.
La construction de la figure de Néron procède ainsi d’une surabondance
topique. Agrippine, dans l’Octavie, déclare à ce titre que l’Érinye vengeresse
prépare à Néron « des châtiments qui laissent loin derrière eux la soif de Tantale,
les terribles efforts de Sisyphe, l’oiseau de Tityos et la roue qui emporte les
membres d’Ixion265 », signifiant par là à quel point les crimes de Néron éclipsent
ceux des monstres mythologiques : « digne membre de la lignée des grands
ennemis publics de l’Histoire de Rome, [Néron] les dépasse par l’ampleur de la
menace qu’il constitue266 ».
262.– Soph., El. 285-286.
263.– Marrou 1965, p. 347.
264.– Voir surtout Sen., Clem. I 9-10, où Sénèque expose à Néron l’exemple d’Auguste.
265.– Ps. Sen., Oct. 621-623 (trad. G. Liberman, dans la coll. Classiques en poche).
266.– Ripoll 1999, p. 145.
Chapitre six. Le paradigme Néron
Néron l’hyperbarbare, ou l’émergence d’un contre-modèle absolu
L’étude de la légende de Néron nous confronte à un paradoxe. Néron parlait
grec et était un grand philhellène : la littérature antique en a pourtant fait
un βάρβαρος au sens où les Grecs entendaient ce terme, c’est-à-dire à la fois
un non-Grec et un « “antimodèle” culturel », incarnant « le despotisme
et la servilité, le luxe excessif, la cruauté et la grossièreté »1 ; à la définition de
« non-Grec » s’ajoutera ensuite, à Rome, celle de « non-Romain » et d’ennemi
potentiel de l’État. La feritas et la uanitas, la masculine cruauté et la féminine
mollesse, toutes deux caractéristiques de Néron, correspondent ainsi, comme l’a
montré Y. A. Dauge, aux deux pôles de la barbarie dans la pensée romaine, celle
des peuples du Nord, sauvages et bestiaux, et celle des hommes du Sud, fourbes,
voluptueux et débauchés2. La figure de Néron, qui réunit toutes les définitions
possibles de la barbarie, est celle d’un « hyperbarbare3 ».
La victoire de l’alienus sur le Romanus
Portraits néroniens et représentations antiques de l’altérité
Le thème du Romain pire que le barbare était fréquemment utilisé dans la
polémique latine ; Cicéron par exemple déclare la cruauté d’Antoine plus
terrible que celle des étrangers et se demande dans quel autre pays on vit jamais
tyran aussi abominable que lui4. Le poète de l’Octavie, reprenant ce lieu commun
de l’invective politique en le doublant d’une référence aux épisodes mythologiques du sacrifice d’Iphigénie et du transfert de celle-ci en Tauride, pays où
1.– Lévy 1984, p. 5.
2.– Dauge 1981, p. 435-436 ; p. 657-662.
3.– Nous empruntons ce terme à Y. A. Dauge (Dauge 1981, p. 481-494 ; p. 554-560). Nous en
avons cependant infléchi le sens : Y. A. Dauge définit l’hyperbarbarie comme une inversion
de la uirtus romaine, développée dans un sens négatif et transformée du coup en barbarie
extrême ; nous l’entendons au sens de cumulation de tous les traits traditionnellement attribués au barbarus dans la pensée antique.
4.– Cic., Phil. XI 6 ; XIII 18.
229
230
Laurie Lefebvre
l’on sacrifiait les étrangers capturés, clôt sa pièce sur les mots « Aulis et la terre
barbare des Taures sont plus douces que notre Ville : là-bas c’est le meurtre de
l’étranger qui apaise les dieux d’en haut ; Rome, elle, se réjouit de voir couler le
sang des citoyens5 ». Pline l’Ancien, de la même manière, déclare qu’« il n’y eut
assurément aucun sacrifice, aucun rite, si barbare et cruel fût-il, qui n’eût été plus
doux que les pensées de Néron6 ».
Si Dion Cassius ne déclare pas explicitement Néron pire que les barbares, le
passage que l’historien consacre à la venue à Rome de Tiridate en 66 ap. J.-C. ne
suggère pas moins clairement cette idée. L’épisode est, en effet, introduit ainsi :
« Sous le consulat de Caius Telesinus et de Suetonius Paulinus, se produisirent
en même temps un fait très glorieux et un autre très honteux. Néron en effet
concourut parmi les joueurs de cithare et après que Ménécrate, son professeur
de citharédie, eut célébré sa victoire dans le cirque, il conduisit un char ;
Tiridate fit route vers Rome, emmenant avec lui non seulement ses enfants
mais aussi ceux de Vologèse, de Pacorus et de Monobaze, et leur marche à
travers toute la terre depuis l’Euphrate fut telle qu’un cortège triomphal. »
(DC., LXIII 1, 1-2)
Dion Cassius oppose ici deux personnages et deux attitudes : d’un côté, l’on
voit Néron remporter un prix de citharédie et conduire un char, ce que l’historien qualifie de « très honteux », « αἴσχιστον » ; de l’autre, l’on voit le Parthe
Tiridate venir à Rome tel un triomphateur, « ὥσπερ ἐν ἐπινικίοις », événement
auquel est attribué le superlatif « εὐδοξότατόν », « très glorieux ». L’affirmation
de la contiguïté temporelle entre les deux événements (« en même temps »,
« ἅμα ») souligne le contraste. Le récit se poursuit par la mention de la beauté et
de l’intelligence de Tiridate7 ; on le voit ensuite, lors d’un combat de gladiateurs
donné par Néron en son honneur, tuer d’une seule flèche deux taureaux à la fois8.
En choisissant le personnage d’un barbare comme contrepoint à Néron, Dion
Cassius ne révèle que davantage l’abjection de ce dernier : même un barbare sait
faire preuve de plus de noblesse et de virilité que l’empereur.
Afin de dénoncer le caractère barbare du principat néronien, les auteurs
antiques s’employèrent aussi à donner un relief particulier aux relations que
Néron entretenait avec les peuples traditionnellement considérés comme
barbari. Nous avons déjà signalé, au sein des portraits antiques de Néron, l’omniprésence de l’Égypte9. Néron apparaît, surtout, comme un ami des Parthes.
Pline l’Ancien place ainsi les tentatives de l’empereur pour s’initier à la magie
sous les auspices de Tiridate10. Suétone et le Pseudo-Aurelius Victor déclarent
5.– Ps. Sen., Oct. 979-983.
6.– Plin., N. H. XXX 15.
7.– DC., LXIII 2, 1.
8.– DC., LXIII 3, 2.
9.– Voir supra, p. 205-207.
10.– Plin., N. H. XXX 16-17. Selon Dion Cassius, Tiridate initia en réalité Néron au culte de
Mithra (DC., LXIII 5, 2).
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
231
que Vologèse réclama que l’on rendît un culte à la mémoire de Néron11. D’après
Suétone et Dion Cassius, c’est chez les Parthes que seraient apparus, sous Titus
et Domitien, des « faux Nérons » ; Suétone précise même que le nom de Néron
valut, à l’imposteur qui parut en 88 ap. J.-C., une grande faveur chez les Parthes12.
Aurelius Victor, surtout, déclare que c’est sur les instances d’un ambassadeur
parthe que Néron songea à transférer le siège de son pouvoir13.
Ces indications recouvrent une réalité : la résolution du conflit parthe fut
un des axes majeurs de la politique extérieure de Néron ; il n’est pas impossible
que celui-ci se soit fait initier à un culte oriental par Tiridate ; c’est de Néron
que ce dernier reçut le gouvernement de l’Arménie. Néanmoins, en revenant
avec insistance sur les rapports que Néron entretenait avec les Parthes et surtout
en lui prêtant avec eux des relations qui dépassaient le strict cadre politique, les
auteurs antiques voulaient surtout, manifestement, jeter une ombre inquiétante
sur le dernier Julio-claudien.
Car dans la pensée romaine, le Parthe est le principal représentant de la
barbarie en Orient : « Les Romains, qui ont alors sous les yeux une étonnante
galerie de despotes cruels, fourbes et arrogants, Artaban, Vardanes, Gotarzès,
Vologèse, et qui discernent dans cet étrange empire la luxuria des Achéménides
mêlée à la violence des Arsacides, considèrent l’univers parthe comme un orbis
alius, une image inversée de la romanité14 ». Le traumatisme de la mort de
Crassus et de la défaite romaine à Carrhes face aux Parthes en 53 av. J.-C. devait
être pour beaucoup dans cette haine farouche, laquelle fut entretenue ensuite
continuellement et connut un regain de vigueur au IVe s. ap. J.-C., suite aux
âpres conflits entre les Romains et les Perses. Les évocations de Néron en train,
non de combattre les barbares, mais de se lier d’amitié avec eux, pire, de se faire
initier par un des leurs, fonctionnent comme des balises indiquant la présence
d’un tyran.
Non contents de présenter Néron comme un allié des barbares, les auteurs
antiques ont, d’autre part, fait en sorte qu’il apparût véritablement tel un
alienus. C’est ainsi que Suétone nous montre l’empereur en train d’adorer une
déesse syrienne15 ; que l’auteur des Annales insiste sur le fait que le corps de
Poppée fut non pas incinéré, « selon l’usage romain », « ut Romanus mos »,
mais embaumé, « à la manière des rois étrangers », « regum externorum consuetudine16 » ; que Néron est, de manière générale, présenté comme un champion
du luxe et de la volupté, auxquels les Romains attribuaient traditionnellement
une origine orientale.
11.– Suet., Ner. 57, 3 ; Ps. Aur.-Vict., Epit. 5, 8. A. Balland note à ce propos que le soutien apporté par les Parthes à la mémoire de Néron était sans doute dû à leur crainte de voir remis en
cause les acquis de 66 ap. J.-C. (Balland 1965, p. 378, n. 1).
12.– Suet., Ner. 57, 4 ; DC., LXVI 19, 3.
13.– Aur.-Vict., 5, 14.
14.– Dauge 1981, p. 134-135.
15.– Suet., Ner. 56.
16.– Tac., An. XVI 6, 2. L’embaumement des morts est une coutume égyptienne (Cic., Tusc. I
108).
232
Laurie Lefebvre
Nous avons vu en outre, dans le chapitre trois, que Néron apparaît dans les
textes antiques comme l’inversion du uir et du miles ; qu’on le voit, notamment
chez Dion Cassius et Philostrate, se comporter comme une femme tandis que les
femmes, telle Boudicca, remplissent les fonctions viriles ; qu’il passait pour s’être
laissé épouser, telle une jeune mariée, par Pythagoras. Or comme l’a montré
F. Hartog, l’inversion des rôles entre l’homme/la guerre et la femme/le
mariage est un cas typique de représentation de l’altérité17 : le thème de l’absence
de virilité, omniprésent dans les portraits de Néron, faisait en effet partie des
motifs constitutifs de la représentation romaine des barbares et plus précisément
des Orientaux18.
De la même manière, l’inceste, que Néron passait pour avoir commis avec sa
mère puis, chez Orose, avec sa sœur, apparaît dans la littérature romaine comme
une coutume typiquement barbare : l’union entre une mère et son fils était, de
fait, considérée comme une pratique habituelle des Parthes et des Perses, tandis
que l’inceste avec la sœur passait pour être l’apanage des Macédoniens et surtout
des Égyptiens19.
Il n’est pas impossible, en outre, que l’habitude, attribuée par la littérature
antique à Néron, de se faire apporter les têtes de ses victimes et de faire de leurs
cadavres un objet de ludibrium soit également un moyen de dénoncer le barbarus
en lui20. Une tradition rapportait que celui-ci avait observé le cadavre de sa mère
Agrippine et fait divers commentaires à son sujet21 ; qu’il se fit apporter la tête
de Rubellius Plautus, dont il aurait raillé la taille du nez22 ; qu’on lui présenta
la tête de Sylla, dont il se moqua23 ; que la tête d’Octavie fut exposée aux yeux
de Poppée24.
Or de telles pratiques sont fréquemment associées, dans la littérature antique,
aux étrangers. Salluste déclare de fait que les Numides rapportèrent à Jugurtha
la tête de Hiempsal25. Les Égyptiens étaient bien connus pour avoir coupé la
17.– Hartog 1991, p. 229.
18.– Voir par exemple Cic., Har. 44 ; Cat. II 22 ; Virg., En. IV 615 ; IX 614-620 ; Mart., III 91, 2 ;
Ath., 206d (l’accusation d’absence de virilité est ici associée à la pratique de la flûte ; c’est
de même au motif de la pratique de la musique que s’articule généralement la peinture de
Néron en être efféminé).
19.– Catul., 90 ; Curt., VIII 2, 19 ; Luc., Phars. VIII 404-410 ; Sen., Apoc. 8, 2 ; Tert., Apol. IX 16 ;
Minuc., 31, 3. À ce sujet, voir Moreau 2002, p. 87-88.
20.– La question est délicate. Comme l’a montré J.-L. Voisin, la pratique de la tête coupée était
courante à Rome et même institutionnalisée (Voisin 1984, p. 241-293) : sur la colonne
Trajane, notamment, l’on voit la tête de Décébale être présentée comme un trophée à l’armée romaine. Le point de vue de J.-L. Voisin est, cependant, uniquement historique : or
si les Romains coupaient fréquemment des têtes, cela n’empêche pas de considérer que
cette pratique ait pu être perçue par les Romains traditionalistes comme typiquement
barbare. D’ailleurs J.-L. Voisin note bien que l’attitude de Néron est clairement placée par
les auteurs antiques sous le signe de la crudelitas : recevoir une tête chez soi et non dans un
lieu public, la contempler longuement, émettre des plaisanteries à son sujet sont des signes
de cruauté.
21.– Tac., An. XIV 9, 1 ; Suet., Ner. 34, 6 ; DC., LXI 14, 2.
22.– Tac., An. XIV 59, 3 ; DC., LXII 14, 1.
23.– Tac., An. XIV 57, 4.
24.– Tac., An. XIV 64, 2.
25.– Sall., J. 12, 6.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
233
tête de Pompée et l’avoir présentée à César, qui en aurait détourné les yeux
avec horreur26. Antoine, considéré traditionnellement comme un émule des
Orientaux, avait réclamé la tête et la main de Cicéron et se serait longuement
rassasié du spectacle27. C’est bien en tout cas comme un acte barbare que
Tacite nous invite à lire l’assassinat de Rubellius Plautus et le transport de sa
tête à Rome : l’historien écrit en effet que Néron chargea de veiller au meurtre
de Rubellius Plautus un eunuque, placé à la tête du manipule chargé de l’exécution comme « le ministre d’un roi à celle de satellites », « quasi satellitibus
ministrum regium28 ». La présence de l’eunuque et la référence à un roi entouré
de satellites assimilent clairement les modalités du meurtre de Rubellius Plautus
à un crime digne d’un rex oriental.
La description tacitéenne du banquet de Tigellin
Parmi les constituants de la geste néronienne faisant surgir le mieux le spectre de
la barbaria se place à plus d’un titre la longue et célèbre description du banquet
de Tigellin29 par Tacite, au livre XV des Annales :
« Quant à lui, afin d’accréditer l’idée qu’il n’est nulle part aussi heureux qu’à
Rome, il donne des banquets dans les lieux publics et use de la ville entière
comme de sa demeure personnelle. Et le plus fameux de ces banquets par le
luxe et le renom fut celui dont Tigellin fit les apprêts et que je citerai comme
exemple, afin de n’avoir pas à raconter trop souvent la même profusion. On
construisit donc sur l’étang d’Agrippa un radeau, où l’on disposa le festin,
pour le faire remorquer par d’autres navires. Ces vaisseaux étaient rehaussés
d’or et d’ivoire, les rameurs, des débauchés, rangés selon leur âge et leurs
talents érotiques. Il y avait des oiseaux et des bêtes, venus de pays lointains
et jusqu’à des animaux marins, amenés de l’Océan. Sur les quais de l’étang se
dressaient des lupanars, remplis par des femmes de haut rang, face auxquelles
on voyait des prostituées toutes nues. Ce furent d’abord des gestes et des
danses obscènes ; puis, à mesure que les ténèbres descendaient, tout le bois
voisin et les maisons d’alentour retentirent de chants, étincelèrent de lumières.
Le prince lui-même, souillé de toutes les voluptés licites et illicites, semblait
n’avoir négligé aucune honte qui pût accroître sa dépravation, si, quelques
jours après, il n’avait pris, dans ce troupeau d’hommes impurs, un individu,
nommé Pythagoras, pour l’épouser avec toutes les solennités du mariage : on
mit sur la tête de l’empereur le voile sacré ; on fit prendre les auspices ; il y eut
dot, lit nuptial et flambeaux d’hyménée ; tout enfin fut offert en spectacle,
26.– Plut., Caes. 48, 2.
27.– Plut., Ant. 20, 3-4.
28.– Tac., An. XIV 59, 2.
29.– Ce banquet a, du point de vue historique, reçu diverses interprétations. Certains estiment qu’il s’agit d’une étape dans l’initiation de Néron au culte de Mithra (Allen 1962,
p. 99-109) ; d’autres qu’il s’inspire des fêtes de tradition orientale (telles celles données
par Caligula sur les pontons du lac de Némi) et qu’il dérive des divertissements de
harem des pharaons, avec des éléments empruntés à des cultes naturalistes et aux Floralia
(Picard 1962, p. 201-203, qui ajoute que le banquet fut un des moyens pour Néron d’asseoir sa révolution culturelle et de détruire, en les défiant, les valeurs morales traditionnelles qui s’opposaient au nouvel idéal).
234
Laurie Lefebvre
même ce que, dans le cas d’une femme, la nuit couvre de son ombre. » (Tac.,
An. XV 37 ; trad. P. Wuilleumier, légèrement modifiée)
Avec ces lupanars installés sur les bords de l’étang d’Agrippa, ces prostituées nues, ces rameurs classés par talent érotique, il souffle à ce banquet un
air de luxure, de licence et de débauche qui n’est pas sans rappeler la uoluptas
et la licentia qui sont l’apanage traditionnel des nations orientales dans la
culture romaine.
En outre, les modalités étranges du banquet, installé sur un plan d’eau,
l’apparition d’animaux exotiques, aussi bien terrestres qu’aquatiques, la présence
inattendue de femmes de haut rang dans les lupanars, le bois alentour de plus en
plus illuminé au fur et à mesure que les ténèbres s’épaississent pourtant, font du
festin une concentration de paradoxes et de curiosités. Or le θαῦμα, merveille,
catégorie du récit ethnographique, fait précisément partie, comme l’a montré
F. Hartog, des procédés de la rhétorique de l’altérité30 : il a pour fonction de
signifier ce qui est alienus.
A. J. Woodman31 a démontré que Tacite s’était, de fait, ingénié dans ce
passage à assimiler Rome à une capitale orientale, plus précisément à Alexandrie.
Le chercheur souligne tout d’abord que la description du banquet de Tigellin
suit un chapitre mentionnant l’obsession de Néron pour l’Égypte et faisant
allusion à un projet avorté de voyage à Alexandrie32 ; ajoutons que le banquet est
même présenté ici comme la conséquence directe de l’annulation dudit voyage,
puisqu’il s’agit, soi-disant, d’apaiser l’inquiétude des habitants de Rome quant à
l’éventualité d’un départ du prince en leur prouvant que ce dernier ne se plaît et
ne s’amuse nulle part autant que dans la capitale. Une telle organisation du récit
par Tacite laisse entendre que Néron a transféré à Rome les plaisirs qu’il pensait
trouver à Alexandrie.
A. J. Woodman nous invite alors à rapprocher le faste déployé sur les navires
qui étaient chargés de remorquer le radeau dans l’étang d’Agrippa et qui étaient
« rehaussés d’or et d’ivoire », « auro et ebore distinctae », du luxe du navire sur
lequel Cléopâtre se rendit auprès d’Antoine pour leur première entrevue et qui,
aux dires de Plutarque, avait une poupe d’or, des voiles de pourpre et des rames
d’argent33. Plutarque ajoute qu’Antoine, invité ensuite à dîner par Cléopâtre, fut,
lors du festin, avant tout frappé par l’abondance des lumières34 : or Tacite, dans
sa description du banquet de Tigellin, souligne de la même manière les lumières
qui se mirent à éclairer les rives de l’étang une fois la nuit tombée.
À cela, on peut ajouter que le faste du banquet néronien, qualifié par Tacite
au moyen des termes « luxu » et « prodigentia », n’est pas sans rappeler la
description que fait Lucain du festin donné par Cléopâtre en l’honneur de César,
30.– Hartog 1991, p. 243 ; voir aussi Woodman 1998, p. 172-179.
31.– Woodman 1998, p. 179-189.
32.– Tac., An. XV 36, 1.
33.– Plut., Ant. 26, 1.
34.– Plut., Ant. 26, 6-7.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
235
et dont les maîtres mots sont or, ivoire, onyx et pierres précieuses35. En outre,
de même que, chez Lucain, l’on voit la salle de banquet se remplir d’une foule
d’esclaves d’âge divers et d’origines variées, de même, chez Tacite, le radeau de
Néron a, en guise de rameurs, des débauchés d’âge varié et aux talents multiples
en matière de plaisirs.
Enfin, quelques jours après ce festin, Néron se serait marié avec un certain
Pythagoras, choisi parmi un « troupeau d’hommes impurs », « contaminatorum grege ». Comme cela a été souvent souligné, cette expression est une
allusion à la fameuse Ode d’Horace où il est question de la reine d’Alexandrie,
Cléopâtre, et de son « troupeau impur d’hommes infâmes et débauchés »,
« contaminato cum grege turpium / morbo uirorum36 ». A. J. Woodman ajoute
que l’expression « nox operit » employée par Tacite pour clore le chapitre
consacré au banquet de Tigellin et au mariage de Néron avec Pythagoras est
empruntée à un passage du quatrième livre de l’Énéide de Virgile37 où l’on voit
Énée s’adresser à la reine Didon, que de nombreux commentateurs considèrent
comme l’allégorie de Cléopâtre38.
Par la présence de l’Égypte au seuil du passage consacré au banquet de
Tigellin, par l’atmosphère orientale qui se dégage de la description, et enfin par
les emprunts à l’Énéide et surtout à l’Ode d’Horace consacrée à Cléopâtre, Tacite
donne au lecteur l’impression inquiétante que Néron est en train de transformer
Rome en Alexandrie.
La victoire de l’animalité sur la civilisation
Le ferus Nero
Lieu de l’intrusion, à Rome, des pires mœurs barbares, le principat de Néron
fut aussi représenté comme une ère marquée par le recul de la civilisation et la
victoire de la bestialité. La comparaison du tyran avec un animal sauvage est une
image chère à Platon, qui pose, dans la République, que le tyran, après avoir goûté
au sang de sa propre tribu, par des accusations injustes, des condamnations en
nombre, des exils et des exécutions, finit nécessairement par se transformer en
loup39. La comparaison platonicienne du tyran et de l’animal est exploitée par
Philostrate, qui utilise précisément, dans la Vie d’Apollonios de Tyane, la thématique de la bestialité afin de définir la tyrannie de Néron :
« Quant à cette bête que beaucoup appellent tyran, je ne sais combien elle a
de têtes ni si elle a des griffes crochues et des dents acérées. Quoi qu’il en soit,
cette bête est, dit-on, urbaine, habite au cœur des villes et est d’autant plus
sauvage par rapport aux bêtes des montagnes et des forêts, que les lions et les
35.– Luc., Phars. X 111-135.
36.– Hor., O. I 37, 9-10. Voir Furneaux 1907, p. 362 ; Koestermann 1968, p. 233 ; Woodman
1998, p. 181.
37.– Virg., En. IV 352. L’expression « nox operit » apparaît dans un passage où il est question
de royaumes étrangers, « externa […] regna » (v. 350). Elle est également employée par
Stace (Th. I 455), dans un contexte où il est question de voyage depuis des terres éloignées
et notamment de Calydon, la patrie des monstres.
38.– Voir à ce sujet Pease 1935, p. 24-28.
39.– Plat., Rsp. VIII 565d-566a.
236
Laurie Lefebvre
léopards, parfois, quand on les flatte, s’apprivoisent et changent de caractère.
Cette bête-ci au contraire, excitée par ceux qui la caressent, devient plus
sauvage qu’elle ne l’était et dévore tout. En outre, tu ne peux dire des bêtes
qu’elles ont un jour mangé leurs propres mères, tandis que Néron s’est gorgé
de cette pâture. » (Philstr., V. Ap. IV 38, 340)
Dans ce passage, non seulement Philostrate assimile Néron à une bête féroce,
mais présente même le comportement de l’empereur matricide comme pire que
celui d’un animal. De la même manière, dans l’Octavie, l’héroïne déclare qu’il lui
serait plus facile de vaincre « les lions et les tigres », « leones / tigresque », que
de triompher de Néron41.
Les crimes imputés à Néron font de lui une bête à double titre : non seulement
sa cruauté mais aussi la perversion de ses jeux sexuels signalent l’animal en Néron.
Les deux pôles de sa figure, la feritas et la uanitas, convergent dans l’image du
Néron-bestia. Chez Suétone, l’image de la bête apparaît ainsi à la fois lorsqu’est
signalée la croyance selon laquelle l’empereur « désirait donner des hommes à
dépecer et à dévorer vivants à un Égyptien vorace, habitué à manger de la chair
crue et tout ce qu’on lui présentait42 », et lorsque le biographe affirme que
Néron se déguisait en bête et se jetait, ainsi accoutré, sur les organes génitaux de
personnes liées à des poteaux :
« Quant à sa propre pudeur, il la prostitua à un tel point qu’après avoir souillé
presque tous les membres de son corps, il finit par inventer pour ainsi dire une
sorte de jeu, où il s’élançait d’une cage, couvert d’une peau de bête, se jetait
sur les parties génitales d’hommes et de femmes attachés à un poteau et, une
fois sa sauvagerie suffisamment satisfaite, se livrait finalement à son affranchi
Doryphore. » (Suet., Ner. 29, 1)
Les expressions « couvert d’une peau de bête », « ferae pelle contectus »,
« cage », « cauea » et « une fois sa sauvagerie satisfaite », « desaeuisset »,
signalent clairement le caractère animal des activités de Néron. Il est possible
que l’anecdote, que rapportent également Dion Cassius, Aurelius Victor et son
abréviateur43, provienne d’une déformation des faits et que ce qui est présenté ici
comme une déviance sexuelle corresponde en réalité, comme cela a été suggéré,
à une initiation à un culte oriental44 : sous la plume des historiens antiques,
l’acte est devenu la marque d’une sexualité monstrueuse et le signe ultime de
l’abandon de la civilisation par Néron.
L’inceste, crime typiquement imputé aux barbares, était d’ailleurs aussi,
dans l’Antiquité, traditionnellement perçu comme caractéristique des mœurs
animales. Déjà Aristote notait, dans son Histoire des animaux, que les chevaux
montent indifféremment leurs mères et leurs filles ; le philosophe stoïcien
40.– Voir aussi Philstr., V. Ap. VII 14, 4.
41.– Ps. Sen., Oct. 86-88.
42.– Suet., Ner. 37, 4.
43.– DC., LXIII 13, 2 ; Aur.-Vict., 5, 7 ; Ps. Aur.-Vict., Epit. 5, 5.
44.– Il pourrait s’agir d’une initiation au grade de Leo dans le culte mithraïque (Allen 1962,
p. 106).
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
237
Chrysippe, cité par Plutarque, rattache aux bêtes sauvages, θηρία, la pratique de
l’inceste ; Myrrha, dans les Métamorphoses d’Ovide, tente d’excuser la passion
qu’elle ressent pour son père Cinyras en rappelant que les animaux, génisses,
chevaux, boucs, oiseaux, s’accouplent indistinctement et sans choix ; Dion
Chrysostome, énumérant dans un de ses discours les êtres tolérant l’inceste, cite,
aux côtés des Perses, les coqs, les chiens et les ânes45. Faire de Néron un être incestueux revenait donc à l’assimiler à un animal.
Le récit suétonien de la fin de Néron parfait la bestialisation progressive de ce
dernier. Suétone précise en effet que l’empereur, après avoir refusé de se cacher
dans un specus, ce qui, au sens premier, désigne une caverne, finit néanmoins
par pénétrer à quatre pattes, « quadripes », par une « cauerna », un « trou »,
dans un réduit46 ; Dion Cassius situe, de la même manière, la fin de Néron dans
une grotte, « ἄντρον47 ». C’est donc sous les traits d’une bête que Néron, ayant
dépouillé toute humanité, est décrit à ses derniers instants48.
La jonction entre la figure du Néron cruel et sanguinaire et l’image de la
bête fauve trouvera, à partir du début du IIIe siècle de notre ère, un nouvel élan
chez les auteurs chrétiens : l’image traditionnelle du troupeau et des brebis
pour désigner les Chrétiens avait contribué en effet à réactualiser l’assimilation
païenne du tyran à un animal féroce et en particulier à un loup49. De même que
Dèce est qualifié par Lactance de « bête exécrable50 », nous trouvons ainsi,
au détour des œuvres chrétiennes condamnant Néron et son action contre les
fidèles du Christ, les termes « ferocisse », « saeuitiam », « malae bestiae »,
« θηρίον », « θηριῶδες », « saeuus », « saeuiente », « efferatus »51. Néron est
même désigné, chez Sulpice Sévère, comme « la plus ignoble des bêtes féroces »,
« inmanium bestiarum sordidissimus52 ».
L’assimilation de Néron à une bête fauve par les auteurs chrétiens a surtout
été favorisée par le travail exégétique que ces derniers menèrent sur les écrits de
Paul. Dans la Deuxième épître à Timothée, Paul déclare que, lors de sa première
venue à Rome, il ne fut pas condamné mais fut délivré de la « gueule du lion »,
« de ore leonis » / « ἐκ στόματος λέοντος53 ». Étant donné que Paul passait
pour être venu à Rome sous Néron, le mot fut interprété comme une référence
à l’empereur, que l’apôtre aurait appelé « lion » du fait de sa cruauté, « διὰ τὸ
ὠμόθυμον » / « propter crudelitatem54 », ou à cause de la sauvagerie et de la force
45.– Arstt., H. A. 576a ; Plut., M. 1044f-1045a ; Ov., M. X 324-328 ; D. Chr., X 30.
46.– Suet., Ner. 48, 5-6.
47.– DC., LXIII 29, 2.
48.– Scheid 1984, p. 185.
49.– Lact., Mort. 16, 9 ; 52, 2.
50.– Lact., Mort. 4 : « execrabile animal Decius ».
51.– Tert., Apol. V 3 ; XXI 25 ; Lact., Mort. 2, 7 ; Chrys., Hom. Paul. IV ; Hom. 2 ep. Tim. X 2 ;
Prud., Sym. II 671 ; Aug., Serm. 296, 6 ; Oros., Hist. VII 7, 9.
52.– Sulp. Sev., Chron. II 28, 1.
53.– 2 Tim. 4, 17.
54.– Eus., Hist. eccl. II 22, 4 ; Hier., Vir. ill. 5, 7.
238
Laurie Lefebvre
de son pouvoir, « διὰ τὸ θηριῶδες καὶ ἰσχυρὸν τῆς βασιλείας αὐτοῦ55 ». L’optique
chrétienne a ainsi consacré Néron au rang de bête fauve.
Néron l’Antéchrist
La dernière étape dans l’assimilation de Néron à un animal féroce fut son identification à la Bête de l’Apocalypse. La légende de Néron-Antéchrist ou du moins
du retour de Néron à la fin des temps pour précéder la venue de la Bête, déjà
bien développée au IIIe siècle de notre ère56, était largement diffusée au IVe et
au Ve siècles57. Nous avons vu, dans le premier chapitre, que la croyance en cette
légende avait été alimentée par l’apparition de faux Nérons ; par le mystère
qui entourait la fin de l’empereur, dont le corps passait pour n’avoir jamais été
retrouvé ; par la circulation des Oracles sibyllins, qui prévoyaient le retour apocalyptique d’un matricide fugitif et que le peuple chrétien devait prendre pour
argent comptant.
À cela s’ajoute, pour expliquer l’existence et la persistance de la légende de
Néron-Antéchrist, d’autres raisons, relevées par J.-M. Poinsotte58. De même
que le statut de dernier membre de la gens Julia avait conféré à Néron une importance toute particulière dans l’imaginaire païen, de même sa place de premier
persécuteur lui valait, dans l’esprit des Chrétiens, de devoir nécessairement
jouer un rôle primordial dans l’ultime grande persécution. Le lien entre le statut
de primus persecutor et celui d’ultime bourreau est précisément ce sur quoi,
d’après Lactance, les Chrétiens qui souscrivaient à la thèse du retour de Néron
appuyaient leur croyance59. L’importance de la thématique de l’Orient dans les
portraits de Néron (non seulement les textes antiques prêtaient à ce dernier des
relations particulières avec l’Orient, mais en outre, d’après les Oracles sibyllins,
c’est chez les Parthes que Néron avait fui60) est, sans nul doute, un autre facteur
susceptible d’avoir appuyé l’identification du dernier Julio-claudien à l’Antéchrist, qui passait pour devoir venir des contrées orientales61.
55.– Chrys., Hom. 2 ep. Tim. X 2.
56.– Victorin.-Poet., Comm. in Apoc. 13, 2-3 ; Commod., Apol. 823-935 ; Instr. 1, 41. Elle apparaît
déjà dans l’Ascension d’Isaïe 4, 2-3, écrit apocryphe chrétien rédigé probablement à la fin du
Ier siècle ap. J.-C. ou au début du IIe.
57.– Lact., Mort. 2, 8-9 ; Ps. Sen., Ep. Paul. 11 ; Sulp. Sev., Chron. II 28, 1 ; 29, 3 ; Dial. II 14 ;
Aug., Civ. XX 450. Si Lactance et Augustin réfutent la légende du Nero rediuiuus, Victorin
de Poetovio, Commodien et Sulpice Sévère, par contre, croient en sa réalité. Selon Jean
Chrysostome, Néron ne va pas revenir pour précéder l’Antéchrist mais a, de son vivant,
été le type de l’Antéchrist (Chrys., Hom. 2 ep. Thess. IV 1). Voir aussi Hier., Daniel 11, 30 ;
Ep. 121, 11.
58.– Poinsotte 1999, p. 202-204.
59.– Lact., Mort. 2, 8-9 : « Certains extravagants croient qu’il a été transporté ailleurs et maintenu en vie […] pour être le dernier persécuteur, puisqu’il a été le premier, et précéder la venue
de l’Antéchrist ». Une idée similaire est exprimée par Sulpice Sévère (Sulp. Sev., Chron. II
28, 1).
60.– Or. sib. 5, 147-148.
61.– J.-M. Poinsotte note l’importance, à cet égard, du contresens commis par Eusèbe de
Césarée, qui traduit la phrase de Tertullien « Néron fut le premier à sévir avec le glaive
impérial contre notre secte, précisément quand elle se levait à Rome » (Tert., Apol. V 3)
par « Néron fut le premier à persécuter cette croyance, surtout au moment où, après avoir
soumis le Levant tout entier, il se montrait à Rome cruel envers tous » (Hist. eccl. II 25, 4).
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
239
L’assimilation de Néron à l’Antéchrist ou du moins à son précurseur avait,
surtout, été favorisée par l’accumulation, sur la figure de Néron, de tous les
crimes et de toutes les turpitudes possibles : comme l’a noté J.-M. Poinsotte,
Néron incarnait la « quintessence de la monstruosité » et il existait une
« parenté naturelle » entre l’image de Néron et celle de l’Antéchrist. Jérôme,
dans un commentaire de l’épître où Paul expose que l’Antéchrist viendra en
son temps mais que « le mystère d’iniquité est déjà à l’œuvre », « iam enim
mysterium iniquitatis operatur62 », phrase généralement interprétée, on l’a vu,
comme désignant Néron63, explique ainsi que la désignation, par l’apôtre, du
dernier Julio-claudien comme le « mysterium iniquitatis » se justifie par les
« maux nombreux et les péchés dont Néron, le plus impur des Césars, accable
le monde », « multis malis atque peccatis, quibus Nero impurissimus Caesarum
mundum premitur64 ».
Jean Chrysostome dit d’ailleurs explicitement de la méchanceté de Néron
qu’elle vaut bien celle, à venir, de l’Antéchrist65 : tout en refusant la thèse de la
survie de Néron et de son retour à la fin des temps, Jean Chrysostome admet
que le dernier Julio-claudien a, de son vivant, été le type de l’Antéchrist, selon
la formule de la typologie donnée par Paul pour l’Ancien Testament66. C’est
ainsi la surabondance topique à l’œuvre dans les portraits antiques de Néron,
champion de l’Orient, maître en matière de luxure et de sauvagerie, bête féroce
et sanguinaire, qui permit l’émergence du motif de Néron-Antéchrist.
Le monstrum littéraire
Lieu de la convergence de l’ensemble des topoi relatifs au tyran ou au persécuteur, la figure de Néron est, en même temps et par voie de conséquence, une
figure paradoxale et emplie de contradictions : au sein de la légende néronienne,
la plus cruelle sauvagerie côtoie la féminine mollesse, les prétentions ridicules de
l’artiste indifférent à la gestion de l’État voisinent avec les mesures politiques et
arbitraires prises par un maître tyrannique, le grotesque fraye avec le tragique.
En d’autres termes, Néron est une figure atopos.
La lecture des textes antiques relatifs au dernier Julio-claudien nous fait d’ailleurs croiser à deux reprises l’adjectif grec « ἄτοπος ». Chez Dion Cassius, le
terme sert à signifier l’incompatibilité entre la fonction impériale et les occupations de Néron :
« Cependant comment pourrait-on supporter, je ne dis pas de voir, mais
d’entendre parler d’un homme Romain, sénateur, patricien, grand pontife,
César, empereur, Auguste, inscrivant son nom sur la liste des compétiteurs,
exerçant sa voix […], et faisant tout cela pour, après avoir été vainqueur dans
62.– 2 Thess. 2, 6-7.
63.– Chrys., Eleem. 1 ; Hom. ep. Rom. XXXI 5 ; Hom. 2 ep. Thess. IV 1 ; Sulp. Sev., Chron. II 28, 3.
Voir supra, p. 41.
64.– Hier., Ep. 121, 11 (trad. J. Labourt). Voir aussi Hier., Daniel 11, 30, où est expliqué que l’assimilation de Néron à l’Antéchrist par de nombreux Chrétiens repose sur « la grandeur de
la cruauté et de l’ignominie » impériales (« ob saeuitiae et turpitudinis magnitudinem »).
65.– Chrys., Hom. 2 ep. Thess. IV 1, cité supra, p. 58.
66.– 1 Cor. 10, 11.
240
Laurie Lefebvre
le combat des citharèdes, des acteurs tragiques et des hérauts, être vaincu dans
celui des Césars ? […] Quelle victoire plus déplacée (« ἀτοπωτέρα ») que celle
dans laquelle, ayant reçu la couronne d’olivier, de laurier, de persil ou de pin, il
perdit la couronne de citoyen ? » (DC., LXIII 9, 1-3)
Le terme apparaît également chez Pausanias, qui, s’étonnant qu’un tyran
comme Néron ait pu rendre la liberté à la Grèce et lui offrir ainsi un bienfait
inestimable, impute ce paradoxe à l’« ἀτόπου παιδείας », l’« éducation inappropriée », de l’empereur67.
Figure sur laquelle achoppe la pensée, Néron met aussi à mal le cadre des
genres qui se sont essayés à le décrire.
L’inadéquation du genre historique à dire Néron ?
À l’ouverture de son Épître aux Pisons, Horace pose comme une nécessaire
exigence de la composition poétique la disposition harmonieuse des différentes
parties d’un poème : un poème dont les éléments ne sont pas ajustés entre eux
est une monstruosité, telle l’image d’un être ayant une tête de femme, un cou
de cheval, un corps d’oiseau et une queue de poisson68. Or la question de la
cohérence et de l’homogénéité du texte est précisément le problème que pose
la représentation de Néron. Sans cesse, en effet, voyons-nous les textes décrivant
le dernier Julio-claudien basculer d’un genre à l’autre et mêler des éléments
hétéroclites, ce que l’on pourrait lire comme une sorte de traduction, sur le plan
littéraire, du renversement des valeurs à l’œuvre sous le principat néronien. Il est
vrai que certaines époques, comme la période antonine, appréciaient particulièrement le mélange des genres, qui n’a donc pas toujours été spécifique à la représentation de la monstruosité néronienne : dans ce cas alors, force est de constater
que cette monstruosité se prêtait fort bien au mélange en question.
Comme l’a montré A. J. Woodman69, la description tacitéenne du banquet
de Tigellin au livre XV 37 des Annales est ainsi le lieu d’une incursion forte, au
sein de l’historia (que les Anciens définissaient comme un récit reproduisant des
faits vrais), de la fabula, laquelle ne se revendique ni vraie ni vraisemblable et
est donc l’antithèse même de l’histoire : chez Tite-Live, le terme fabula sert, de
fait, à désigner l’épisode de la louve s’occupant de Romulus et de Remus ; chez
Tacite, il qualifie les récits concernant Troie ; chez Suétone, le terme fabula est
mis en relation avec Hécube, Achille et les Sirènes ; le biographe associe par
ailleurs, à l’adjectif fabulosus, le terme commenticius, qui désigne ce qui relève de
la pure invention70.
Or, à l’occasion de la description du banquet de Tigellin, Tacite évoque le
mariage pour le moins non conventionnel de Néron avec un certain Pythagoras,
description ayant un précédent dans les Annales, en l’occurrence l’union
67.– Paus., VII 17, 3.
68.– Hor., P. 1-9.
69.– Woodman 1998, p. 185-189.
70.– Liv., I 4, 7 ; Tac., An. XII 58, 1 (voir aussi G. 46, où il est question des Helluses et des Osiones,
dont on racontait qu’ils avaient des têtes humaines mais le corps de bêtes sauvages) ; Suet.,
Caes. 81, 3 ; Tib. 70, 5. Sur la définition antique de la fabula et de l’historia, voir Cic., Inv. I
27 ; Rhet. Her. I 13.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
241
aberrante, rapportée au livre XI, de Messaline, déjà mariée à Claude, et du
consul désigné Silius. Or le mariage de Messaline et de Silius était introduit par
les mots suivants : « haud sum ignarus fabulosum uisum iri71 », « je n’ignore
pas que cela paraîtra une histoire inventée ». La similitude entre les deux récits
(dans les deux cas, les solennités du mariage sont respectées mais l’union défie
les normes sociales) invite le lecteur à placer le second, lui aussi, sous le signe de
la fabula, d’autant plus que le chapitre où est décrit le mariage de Néron et de
Pythagoras fourmille, comme nous l’avons vu, d’évocations étranges, animaux
exotiques, ténèbres illuminés, banquet installé sur l’eau. Voici donc Tacite qui,
pour signifier le caractère anormal et incroyable du comportement de Néron, se
mue en paradoxographe.
À la présence, au sein des portraits historiographiques de Néron, de la fabula,
s’ajoute celle de la comoedia. L’épisode des amours de Néron, de Poppée et
d’Othon semble ainsi emprunter le canevas des comédies latines. Voici l’intrigue
telle que nous la rapporte la plupart des historiens antiques72 : Néron tombe
un jour éperdument amoureux de la belle et débauchée Poppée, alors mariée
à un certain Rufrius Crispinus. Néron, qui est alors marié à Octavie et craint
beaucoup Agrippine, ne peut encore déclarer sa passion au grand jour et confie
donc sa maîtresse, que l’on a au préalable poussée à divorcer, en dépôt à son ami
Othon, en attendant d’être débarrassé d’Octavie. Mais Othon, mari factice de
Poppée, prend tellement son rôle au sérieux qu’il finit par tomber à son tour
éperdument amoureux de celle-ci. Le voilà donc qui refuse de rendre Poppée à
Néron et qui ferme même sa porte à l’empereur : ce dernier, pour recouvrer son
dépôt, envoie alors Othon en Lusitanie.
Un jeune amoureux, une courtisane minaudant, un entremetteur, un rival,
sur fond d’amours contrariées et de complications diverses, les ingrédients
d’une bonne comédie sont là : l’histoire est d’ailleurs qualifiée de « farce »,
« mimum », par Suétone dans sa Vie d’Othon73. À ce sujet, A. Hermant, dans
son roman Poppée, l’Amante de l’Antéchrist, écrira à juste titre : « on ne peut
imaginer sans un véritable marivaudage l’espèce de proverbe balancé qu’ont joué
là Néron, Othon et Poppée d’après le témoignage des auteurs latins eux-mêmes,
qui n’y ont d’ailleurs rien compris. Le mot marivaudage peut choquer d’abord,
par son défaut de convenance apparente avec les atrocités qui se mêlent le plus
romantiquement du monde à l’amoureuse comédie ; mais nul autre ne caractérise mieux que ce terme anachronique les complications sentimentales que les
trois acteurs du triangle souffrirent sans doute à leur insu74 ».
71.– Tac., An. XI 27, 1 (trad. P. Grimal).
72.– Suet., Oth. 3 ; Tac., H. I 13, 3 ; Plut., Galb. 19 ; DC., LXI 11, 2. D’après Plutarque, c’est
Othon qui fut chargé de séduire Poppée et de la pousser au divorce. Tacite rapporte une
autre version des faits, à l’intrigue moins compliquée : Poppée était la femme d’Othon ; ce
dernier en vanta imprudemment la beauté et les charmes à Néron, qui tomba amoureux de
la jeune femme ; Néron se débarrassa du mari gênant en l’envoyant en Lusitanie (An. XIII
45-46).
73.– Suet., Oth. 3, 4.
74.– Hermant 1987, p. 74-75.
242
Laurie Lefebvre
D’autres éléments farcesques parsèment les portraits de Néron. Dion Cassius
emploie ainsi le terme « γέλωτα » à deux reprises : la première fois, au sujet du
rire provoqué par Néron et sa tendance à punir les autres pour des crimes qu’il
commettait lui-même75 ; la seconde, au sujet des moqueries que fit naître sa voix
sourde lors de ses prestations scéniques à l’occasion des Juvénales76. J. Tresch
et A. J. Woodman ont, d’autre part, noté que l’épisode tacitéen du trésor caché
de Didon, à la recherche duquel l’on voit partir Néron, convaincu par les délires,
« uaecordia », d’un Carthaginois, à l’ouverture du livre XVI des Annales,
semble remplir la fonction de l’exodium comique qui suivait les représentations
tragiques, en l’occurrence ici la tragédie de la conspiration de Pison sur laquelle
s’était clos le livre XV77.
Nous avons vu, enfin, que les historiens rapportent que Néron rôdait la
nuit, déguisé en esclave et accompagné d’une bande qui agressait les passants,
dans les rues et les tavernes de Rome et que des histoires similaires circulaient
au sujet d’Antoine78. Or Plutarque, rapportant la réaction des Alexandrins,
place clairement les amusements d’Antoine sous le signe de la comédie : les
Alexandrins disaient ainsi qu’Antoine « portait le masque de la tragédie pour
les Romains, celui de la comédie pour eux », « τῷ τραγικῷ πρὸς τοὺς Ῥωμαίους
χρῆται προσώπῳ, τῷ δὲ κωμικῷ πρὸς αὐτούς79 ». La remarque pourrait être
appliquée à la figure de Néron.
À la fabula et à la comoedia se greffe, en outre, la tragoedia : nous avons vu à
ce titre, dans le deuxième chapitre de l’étude, que les récits tacitéens de la mort
d’Agrippine et de la répudiation d’Octavie laissaient percevoir clairement un
intertexte tragique. Il faut encore signaler que les portraits de Néron sont le lieu
d’une incursion forte du biographique dans l’historiographique. L’accumulation
de tous les pouvoirs sur un seul homme et l’ingérence de la sphère privée dans
la vie publique ont ainsi conduit un historien comme Dion Cassius à adopter
une composition présentant un curieux mélange entre la méthode historique
tacitéenne et celle, biographique, de Suétone, et à se focaliser presque exclusivement, tel un biographe, sur la personne de Néron et quelques individualités80 :
comme l’a montré C. Pelling au sujet de la figure de Jules César, prendre
comme sujet un personnage ayant franchi au cours de sa vie de nombreuses
limites conduisait nécessairement historiens et biographes à transgresser les
limites traditionnelles de leurs genres81.
Parallèlement à l’intrusion, dans l’historia, de traits empruntés à d’autres
genres, on note la disparition d’éléments pourtant traditionnellement attachés à
l’écriture de l’histoire. O. Devillers82 fait ainsi remarquer qu’un des éléments
75.– DC., LXI 7, 6.
76.– DC., LXI 20, 2.
77.– Tresch 1965, p. 173 et Woodman 1998, p. 217, au sujet de Tac., An. XVI 1-3.
78.– Voir supra, p. 208.
79.– Plut., Ant. 29, 4.
80.– Questa 1967, p. 253-269 ; Pelling 1997, p. 117-144.
81.– Pelling 2006, p. 255-279.
82.– Devillers 1994, p. 293-306 ; Devillers 2002, p. 309-310.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
243
prisés par les historiens antiques, en l’occurrence la rédaction de notices nécrologiques, entendues au sens de brèves biographies de défunts morts de façon
naturelle, disparaît au fur et à mesure que l’on avance dans la lecture des quatre
derniers livres des Annales de Tacite. Ces notices sont, en effet, au nombre de
quinze dans les livres des Annales consacrés au principat de Tibère, tandis qu’on
n’en compte plus que trois dans les livres néroniens ; il n’y a plus aucune notice de
ce genre après celle consacrée à Memmius Regulus, au livre XIV 47 des Annales.
Les notices nécrologiques, typiques de l’historiographie annalistique83, disparaissent ainsi au cours de la narration consacrée à Néron, pour être remplacées
par des récits inspirés des exitus uirorum illustrium, c’est-à-dire des morts causées
par la cruauté du prince, dont les crimes semblent rythmer seuls, désormais, la
vie de l’État : après le chapitre consacré à la mort de Memmius Regulus, tous
les décès sont dus à Néron84. En outre, alors que les notices nécrologiques sont
habituellement placées à la fin du récit d’une année, les passages consacrés aux
décès situés sous le règne de Néron sont, du fait de leur multiplication, intégrés
par Tacite à la narration. L’historien, soucieux de montrer les limites de l’historiographie lorsqu’il s’agit de parler du dernier Julio-claudien, suggère ainsi que
la tyrannie néronienne a fait « éclater les cadres traditionnels dans lesquels se
développe la narration historique85 » ; la disparition des notices nécrologiques
est aussi le moyen de suggérer le durcissement du régime néronien ainsi que la fin
d’une époque, celle où l’on pouvait encore s’illustrer sans mettre sa vie en péril86.
L’impossibilité d’écrire l’histoire comme avant et le mélange des genres
à l’œuvre dans les portraits antiques de Néron est à l’image de la complexité
de cette figure : par son comportement hors norme, par ses attitudes ridicules
côtoyant les crimes les plus atroces, par les retombées de ses passions privées
sur les affaires de l’État, le Néron des historiens antiques est un monstrum littéraire mêlant histoire, biographie, récit mythique, tragédie et comédie. Peut-être
cette confusion générique constitue-t-elle un écho à l’esthétique néronienne et
à la révolution culturelle entreprise par le dernier Julio-claudien, laquelle était
fondée sur une transgression délibérée de toutes les règles : la confusion de ces
portraits serait ainsi à l’image de la politique de Néron lui-même.
Les tragédies manquées
Figure marquant la limite du genre historique, Néron met aussi à mal la tragédie.
La description étrange et quelque peu déroutante du plan imaginé pour faire
périr Agrippine est tout à fait significative à cet égard. Voici le scénario proposé
par l’affranchi Anicetus, tel que le rapporte Tacite87 : un navire sera aménagé de
façon à ce qu’une partie se disloque artificiellement, « per artem », en pleine
mer, précipitant ainsi Agrippine dans les flots ; on fera croire à un accident et
83.– Ginsburg 1984, p. 35 ; Martin 1990, p. 1536.
84.– Les seules exceptions sont la mort de la vestale Laelia (Tac., An. XV 22, 2) et celle de la fille
de Néron et de Poppée (Tac., An. XV 23, 3).
85.– Devillers 1994, p. 305. À cela s’ajoute la mutation que fait subir Tacite aux listes de
prodiges, autre type de passage traditionnel dans l’historiographie.
86.– Morford 1990, p. 1604 ; Devillers 1994, p. 295.
87.– Tac., An. XIV 3, 3.
244
Laurie Lefebvre
le drame se terminera par des manifestations de piété filiale et l’élévation d’un
temple en l’honneur de la défunte. Mais rien ne marche comme prévu : la mer est
trop calme pour rendre le naufrage plausible ; lorsque le plafond de la pièce où
se trouve Agrippine s’effondre, cette dernière est protégée par les montants du
lit ; le navire tarde à se disloquer ; les matelots qui ne font pas partie du complot
gênent la manœuvre des conjurés ; on tente alors de faire chavirer l’embarcation
en se portant tous du même côté, là encore on s’y prend mal, bref Agrippine s’en
sort, comprend qu’elle est la victime d’un coup monté et décide à son tour de
jouer dans la pièce en feignant88 de ne rien avoir compris.
Non seulement le récit tacitéen est celui d’un échec, mais il présente des
incohérences certaines89. On ne peut que s’étonner de l’étrange ajout, dans le
scénario, du motif du plafond qui s’effondre, lequel ne figure pas dans le plan
initial d’Anicetus. Suétone rattache la chute du plafond à un autre plan, prévu
pour être mis à exécution dans la demeure même d’Agrippine mais finalement
abandonné parce que le secret fut mal gardé90 ; d’après le biographe, le plan du
navire truqué prévoyait non pas la chute du plafond de la pièce dans laquelle
se trouverait Agrippine, mais la chute du pont. Peut-être l’étrangeté du récit
tacitéen est-elle volontaire et a-t-elle pour fonction de faire apparaître l’échec du
« dramaturge » Néron dans la mise en scène de sa pièce.
Car c’est bien d’une pièce qu’il s’agit : chez Tacite comme chez Dion
Cassius, l’épisode est clairement mis sous le signe du théâtre. Ainsi, dans les
Annales, lorsqu’Agrippine, sortie indemne du naufrage, se remémore la scène,
c’est le terme « machinamentum », « machinerie », qui lui vient à l’esprit91.
Dion Cassius va plus loin : selon l’historien grec, c’est en voyant « au théâtre »,
« ἐν τῷ θεάτρῳ », une embarcation s’ouvrir toute seule et laisser s’échapper des
animaux, que les meurtriers eurent l’idée de construire un navire de ce type92 ;
plus loin l’historien ajoute que « la mer refusa d’être complice de la tragédie qui
s’apprêtait à se produire sur elle », « οὐ γὰρ ἤνεγκεν ἡ θάλασσα τὴν μέλλουσαν
ἐπ´ αὐτῇ τραγῳδίαν ἔσεσθαι93 ». Tacite et Dion Cassius nous invitent donc bien
à lire le meurtre d’Agrippine comme un spectacle tragique, mais un spectacle qui
dérape : la lâcheté de Néron, qui n’a eu recours au plan compliqué d’Anicetus
que parce qu’il craignait que l’emploi du poison ou du fer ne trahît le meurtrier94,
a rendu l’illusion injouable et la bonne marche de la tragédie impossible.
88.– Tacite emploie l’expression « securitate simulata » (Tac., An. XIV 6, 3). Voir aussi DC.,
LXI 13, 4.
89.– Martin 1999, p. 80-81.
90.– Suet., Ner. 34, 2.
91.– Tac., An. XIV 6, 1. A. Foucher note que si le terme « machinamentum » n’est attesté au
sens de machinerie théâtrale que dans ce passage de Tacite, le mot cependant dont il dérive,
machina, désigne fréquemment un mécanisme spécifique du théâtre romain (Foucher
2000b, p. 794).
92.– DC., LXI 12, 2.
93.– DC., LXI 13, 3.
94.– Tac., An. XIV 3, 2.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
245
Les Annales de Tacite comptent une deuxième tragédie ratée : la conjuration
de Pison95. Nous avons déjà eu l’occasion d’étudier les causes mises en avant par
Tacite pour expliquer son échec96 : motivations douteuses des conjurés, tergiversations, lenteur d’exécution, à quoi s’ajoute la lâcheté générale au moment
de la répression. Or ce récit est, lui aussi, placé sous le signe du théâtre. Tacite
prête en effet au sénateur Scaevinus le désir de jouer dans le drame le « premier
rôle », « primas sibi partes expostulante Scaeuino97 », ce qui est une expression
empruntée au monde du théâtre. Les conjurés apparaissent ainsi comme des
acteurs se proposant de représenter, lors d’une nouvelle tragédie prétexte, le
meurtre de César des ides de mars 44.
Mais comme pour le meurtre d’Agrippine, là encore, la pièce jouée rate :
le complot est découvert et l’action des conjurés, censée libérer Rome du joug
néronien, ne fera que provoquer le durcissement de la tyrannie. A. J. Woodman
a noté, en outre, que le nom de l’affranchi qui trahira le complot est Milichus98,
autrement dit « le Doux », ce qui est en opposition totale avec la fourberie et
l’ingratitude du traître qui le porte : or les jeux ironiques sur le nom des personnages sont un ressort connu non de la tragédie, mais de la comédie99.
La figure de Néron n’est pas pour autant réfractaire à toute forme de tragédie :
l’existence de l’Octavie en est la preuve. Mais l’Octavie, précisément, n’a pu rester
dans les limites du genre tragique qu’au prix du sacrifice d’une partie importante de la figure de Néron, dont nombre de caractéristiques majeures n’apparaissent pas dans la pièce. Ailleurs, la tragédie se mêle d’éléments grotesques,
tombe dans la tragi-comédie, échoue ; dans le récit tacitéen de la répudiation
d’Octavie, passage qui, nous l’avons vu, laisse percevoir indéniablement un
intertexte tragique, Néron précisément n’apparaît presque pas du tout : il n’y
joue un rôle qu’à l’ouverture du chapitre, et disparaît dès la première phrase du
récit100. L’inadéquation de la tragédie à dire Néron traduit certainement, sur le
plan littéraire, l’inversion néronienne de la noble uirtus romaine en lâcheté, en
mollesse et en honte.
L’impossible respect des convenances
En tant que monstre, la figure de Néron constitue, en outre, une entorse au
respect des convenances : elle oblige les auteurs à dévoiler des crimes odieux qu’il
aurait, selon les préceptes horatiens, été indigne de produire sous les yeux du
spectateur101. Les auteurs antiques sont ainsi nombreux à déclarer que la pudeur
les empêche de raconter la vie du dernier Julio-claudien : « Néron passa le reste
de sa vie dans une telle infamie qu’on a de la répugnance et de la honte (pigeat
pudeatque) à rappeler l’existence d’un tel homme, à plus forte raison quand il
95.– Woodman 1998, p. 190-217.
96.– Voir supra, p. 148.
97.– Tac., An. XV 53, 2.
98.– Tac., An. XV 54, 4.
99.– Woodman 1998, p. 198, n. 29.
100.– Tac., An. XIV 63, 1.
101.– Hor., P. 185-188.
246
Laurie Lefebvre
s’agit du souverain des nations », déclare Aurelius Victor102 ; on peut lire des
tournures similaires chez le Pseudo-Aurelius Victor, Ausone et Sulpice Sévère103.
De telles formules sont, bien sûr, des lieux communs de l’historiographie et
surtout des artifices rhétoriques permettant à ces auteurs de notices abrégées de
réduire leur propos et d’excuser leurs silences. Les abréviateurs tardifs ne sont
cependant pas les seuls à prétendre qu’il leur est impossible de décrire la tyrannie
néronienne. Dion Cassius, dans le discours qu’il prête à Vindex, affirme lui
aussi l’impossibilité de trouver des mots à la hauteur des crimes du dernier
Julio-claudien :
« Car pour ce qui est des meurtres, des rapines et des outrages, beaucoup ont
souvent été commis aussi par d’autres ; mais le reste de ses crimes, comment
pourrait-on en parler de manière appropriée (κατ’ ἀξίαν) ? » (DC., LXIII
22, 4)
Le procédé de la prétérition n’est donc pas qu’une astuce employée par les
historiens pour justifier leur silence : elle est, surtout, la seule figure rhétorique
capable d’exprimer la monstruosité de Néron, dont la barbarie apparaît comme
d’autant plus grande qu’elle semble vouer la littérature à l’échec. Néron est, en
quelque sorte, un adunaton.
Conçue comme la négation de la romanité et même de l’humanité en
général, la figure de Néron est celle d’un prince qui « s’est ouvert à toutes les
influences pernicieuses […] pour devenir le type même du tyran, réunissant
en lui, à un degré rarement atteint, l’ensemble des défauts caractéristiques du
monde barbare104 ».
Parfait émule des tyrans qui l’avaient précédé, le monstre Néron pouvait
alors devenir, de disciple, la tête de file des pessimi principes à venir, prenant la
place de modèle tyrannique occupée précédemment par d’autres : c’est ainsi
qu’Ausone se contente, pour définir Othon, de le qualifier d’« aemula […]
Neroni105 » ; qu’Eutrope impute l’assassinat de Vitellius à la volonté de ce dernier
de ressembler à Néron106 ; que l’on apprend, chez Suétone, que l’on craignait
que Titus ne fût un autre Néron, « alium Neronem107 » ; que l’on voit Juvénal
et Tertullien qualifier Domitien respectivement de « caluo Neroni108 » et de
« Subneronem109 » ; que, dans l’Histoire Auguste, Commode est dit « similis
102.– Aur.-Vict., 5, 4.
103.– Ps. Aur.-Vict., Epit. 5, 5 ; Aus., Caes., Tetr. 27-28 ; Sulp. Sev., Chron. II 28, 1 (emprunt à Sall.,
J. 95, 4).
104.– Dauge 1981, p. 264.
105.– Aus., Caes., Tetr. 33.
106.– Eutr., VII 18, 4 : « Comme il voulait être semblable à Néron et qu’il en faisait un tel étalage
qu’il honora même les restes de Néron, qui avaient été ensevelis sans prétention, il fut tué
par les généraux de Vespasien » (cf. Tac., H. II 95 ; Suet., Vit. 11, 3).
107.– Suet., Tit. 7, 1.
108.– Juv., IV 38 ; voir aussi Aus., Caes., Mon. 17.
109.– Tert., Pall. IV 5. Voir aussi Tert., Apol. V 4 ; Eus., Hist. eccl. III 17 ; 20, 7.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
247
Neroni », que Lucius Verus est appelé « Nero », qu’Élagabal déclare « imiter
Néron », « Neronem [...] imitari110 ».
Et de même que les portraits de Caligula ont, comme on l’a vu dans le
deuxième chapitre, contaminé ceux de Néron, de même ces derniers ont-ils fini
par affecter à leur tour les biographies postérieures. Dans l’Histoire auguste, le
tableau des règnes de Lucius Verus et d’Élagabal est ainsi, à certains endroits,
manifestement inspiré du Néron de Suétone : le passage qui montre Lucius
Verus en train de courir les tavernes, la tête couverte d’un capuchon, et de se
battre avant de rentrer bleui de coups fait bien évidemment écho aux accusations analogues formulées par Suétone à l’encontre du dernier Julio-claudien111 ;
de la même manière, quand le biographe d’Élagabal déclare que ce dernier ne
porta jamais deux fois les mêmes chaussures ni les mêmes bagues, cela rappelle le
passage de la Vita Neronis où l’on peut lire que Néron ne porta jamais deux fois
le même vêtement112.
Lucius Verus et Élagabal ont-ils réellement et consciemment cherché à imiter
le dernier Julio-claudien, ou s’agit-il (ce qui d’ailleurs n’est pas incompatible)
d’échos textuels ménagés par les biographes de ces empereurs de manière à
suggérer plus sûrement leur tyrannie en faisant surgir, dans l’esprit d’un lecteur
cultivé, le spectre de Néron ? Nous avouons pencher pour la deuxième option.
L’instrumentalisation de la figure de Néron
La figure de Néron, instrument de création : Néron et l’inuentio
En contexte rhétorique : l’argument Néron
L’accumulation de topoi sur le dernier Julio-claudien ayant fait de celui-ci le
paradigme du tyran et un parangon de monstruosité, il devenait susceptible
d’être décliné sous différentes formes et de remplir diverses fonctions ; il constituait notamment un sujet de choix pour les rhéteurs désireux d’illustrer leur
propos par un exemple frappant. La figure de Néron n’est, de fait, pas seulement
le lieu d’une accumulation de lieux communs : elle fait aussi partie intégrante des
topoi au sens strict et rhétorique du terme, c’est-à-dire des « réservoirs d’arguments » dans lesquels l’avocat, le poète, le philosophe et le rhéteur allaient
puiser au moment de l’inuentio113.
Les crimes traditionnellement imputés à Néron servent ainsi à maintes
reprises, dans les discours de Dion Chrysostome, à nourrir la démonstration de
l’orateur. Dans le discours qu’il adresse aux Alexandrins, auxquels il reproche leur
110.– HA., M. Aur. 28, 10 ; Ver. 10, 8 ; Hel. 18, 4.
111.– HA., Ver. 4, 6 : « on rapporte […] qu’il chercha tellement à imiter les vices des Caligulas,
des Nérons et des Vitellius qu’il courait, la nuit, les tavernes et les lupanars la tête couverte
d’un banal capuchon de voyageur, qu’il faisait la fête avec ceux qui cherchaient la bagarre,
qu’il engageait des rixes, cachant qui il était, qu’il revenait souvent meurtri et le visage
bleui de coups, et qu’il était bien connu dans les tavernes, bien qu’il se déguisât. » Cf. Suet.,
Ner. 26.
112.– HA., Hel. 32, 1 et Suet., Ner. 30, 7.
113.– Cic., Top. 7-8 ; de Or. II 146.
248
Laurie Lefebvre
comportement déplacé dès qu’ils entendent de la musique, Dion Chrysostome,
pour les convaincre de la frivolité de leur attitude, fait intervenir l’exemple de la
passion de Néron pour la citharédie :
« Voulez-vous (car je me suis mis moi aussi à comparer les gens du peuple aux
rois) ressembler à Néron et être atteint du même mal que lui ? Mais même
lui ne tira pas de profit de sa connaissance excessive et de sa passion pour cet
art. Et combien vaut-il mieux imiter l’empereur actuel quand il s’attache à la
culture et à la raison ! » (D. Chr., XXXII 60)
Ailleurs, Dion Chrysostome avance, pour réfuter l’opinion de ceux qui
croient qu’un philosophe doit être en toute chose meilleur que les autres,
l’exemple de la parfaite maîtrise de la musique par Néron, que l’on ne considère
pas comme un homme sage pour autant :
« Cependant, un des rois actuels désirait être versé dans le type de sagesse
que voici et croyait l’être le plus possible – il ne s’agissait néanmoins pas de
ces arts qui ne sont l’objet d’aucune admiration auprès des hommes, mais de
ceux pour lesquels il est permis d’être couronné : faire le héraut, chanter au
son de la cithare, jouer la tragédie, lutter, pratiquer le pancrace. On dit qu’il
était également capable de peindre et de sculpter ; de jouer de la flûte aussi,
avec sa bouche et en plaçant une outre de peau sous ses aisselles, de façon à
éviter d’être enlaidi comme Athéna114. N’est-il donc pas un homme sage ? »
(D. Chr., LXXI 9)
Dans le Discours aux Rhodiens, dans lequel Dion Chrysostome cherche à
démontrer à ses auditeurs le caractère sacré de leur cité, l’orateur rappelle que
Néron pilla de nombreux sanctuaires mais n’osa pas toucher aux statues de
Rhodes, ce qui prouve bien le statut particulier de cette dernière :
« Pourquoi Néron lui-même, qui avait une telle passion et un tel enthousiasme pour ce genre d’affaires qu’il ne se tint à l’écart ni des trésors d’Olympie
ni de ceux de Delphes – sanctuaires qu’il honorait pourtant par-dessus
tout – et qu’en outre il emporta la plupart de ceux qui se trouvaient sur
l’Acropole d’Athènes et beaucoup de ceux de Pergame, bien que ce sanctuaire
lui appartînt – quelle nécessité y a-t-il de parler des trésors qui se trouvent
ailleurs ? – pourquoi donc Néron laissa-t-il uniquement les trésors qui se
trouvaient chez vous, et montra envers vous à la fois une telle bienveillance et
un tel respect qu’il jugea cette cité tout entière plus sacrée que les sanctuaires
les plus importants ? » (D. Chr., XXXI 148)
Dans le discours Sur la beauté, les dérèglements de Néron en matière de
passion amoureuse servent à illustrer les conséquences de l’ἐξουσία, c’est-à-dire
de l’incapacité à se fixer des limites :
114.– L’expression fait référence à la déformation du visage qui se produit lorsque le musicien
souffle dans l’aulos, qui passait pour avoir été inventé par Athéna ; d’où l’intérêt de la
cornemuse. Sur la pratique de la cornemuse par Néron, voir aussi Suet., Ner. 54, 1.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
249
« Chez les hommes aussi le pouvoir illimité est une chose contraire aux lois.
Nous savons tous en tout cas qu’à notre époque Néron non seulement a castré
son amant, mais aussi changea son nom pour un nom de femme, celui de
son amante et épouse, qu’il avait désirée et épousée après avoir répudié, sans
s’en cacher, sa femme précédente, grâce à laquelle il avait pris le pouvoir. »
(D. Chr., XXI 6)
Dion Chrysostome évoque ici l’amour de Néron pour Sporus, émasculé
et renommé Sabine (du nom de Poppaea Sabina), la passion de l’empereur
pour cette dernière ainsi que la répudiation d’Octavie. Plus loin l’orateur tire
également argument de la prodigalité excessive de l’empereur115.
Néron au service du raisonnement philosophique
La diversité des crimes commis par Néron envers la vertu en faisait, surtout, un
contre-exemple commode pour les philosophes cherchant à défendre certains
préceptes moraux. Les recours à la geste du dernier Julio-claudien dans les
œuvres morales de Plutarque sont, à ce titre, nombreux : le philosophe s’en sert
par exemple pour illustrer les méfaits de la flatterie, et affirme à ce titre que Néron
fut poussé sur la scène par la louange des flatteurs qui l’assimilaient à Apollon
quand il chantait116 ; quand il cherche à montrer qu’il n’est pas bon de multiplier
ses amis, car nous avons toujours part aux malheurs qui les touchent, Plutarque
cite le sort que Néron réserva aux amis de son rival Rubellius Plautus117 ; ailleurs
le philosophe se sert du cas des gens de Pergame dont Néron avait ordonné de
rafler les statues pour illustrer l’attitude que doit avoir l’homme d’État lorsque
sa cité court un danger118.
Les traités philosophiques de Plutarque ont même gardé trace d’anecdotes
inconnues par ailleurs. Dans l’ouvrage Du contrôle de la colère, Plutarque, après
avoir vanté les vertus de la simplicité et prescrit de s’abstenir de posséder des
objets trop précieux, de peur de ne pas savoir maîtriser sa colère en cas de perte,
cite l’exemple de Néron et de son goût démesuré pour le faste :
« Voilà pourquoi, comme Néron avait fait faire un pavillon octogonal,
merveilleux à voir par sa beauté et sa magnificence, Sénèque dit “tu t’es
convaincu de pauvreté : car si tu viens à le perdre, tu ne t’en procuras pas un
autre qui soit semblable.” Et en effet il arriva que le pavillon périt au cours du
naufrage du navire où il se trouvait ; Néron, se rappelant le mot de Sénèque,
supporta cette perte avec plus de mesure. » (Plut., M. 461f-462a)
Plutarque tire ici argument d’un épisode de la vie de Néron pour démontrer
la vanité du luxe. Si le goût de Néron pour le faste excessif fait partie de
la « vulgate » communément admise au sujet du dernier Julio-claudien,
l’anecdote racontée ici et le mot prêté à Sénèque sont, en revanche, inédits : on
115.– D. Chr., XXI 9.
116.– Plut., M. 56e-f.
117.– Plut., M. 96b ; cf. Tac., An. XVI 10, 1 ; 23, 1 ; 30, 1.
118.– Plut., M. 815d. Pour d’autres exemples d’exploitation du personnage de Néron en contexte
philosophique, voir par exemple Tert., An. 44, 2 ; 49, 2 (cf. Suet., Ner. 46, 2) ; Epict., Diatr.
IV 5, 17-18.
250
Laurie Lefebvre
ne trouve nulle part ailleurs trace de ce pavillon luxueux que Néron aurait perdu
au cours d’un naufrage, et l’on peut s’interroger sur la manière dont Plutarque a
pu avoir une connaissance aussi précise de ce que Sénèque aurait dit à l’empereur
à ce sujet.
La documentation de Plutarque relative à Néron était, sans nul doute, plus
riche que la nôtre ; on est cependant en droit de se demander dans quelle mesure
l’anecdote n’aurait pas été inventée par Plutarque pour les besoins de sa démonstration, d’autant plus que, dans le traité De la tranquillité de l’âme, Sénèque, afin
d’illustrer les soucis causés par le luxe, met précisément en scène Zénon qui,
après avoir perdu toutes ses richesses dans un naufrage, supporta néanmoins cette
perte avec patience, considérant finalement ce malheur comme une libération119.
Le personnage de Néron représenté par Plutarque, supportant son malheur
avec mesure grâce à la philosophie professée par Sénèque, semble bien avoir été
modelé sur le type du personnage de Zénon auquel Sénèque avait lui-même eu
recours dans un de ses traités. L’on voit bien surtout que dans le discours philosophique de Plutarque, comme dans tout discours historiographique antique,
la véracité du fait avancé compte finalement moins que sa vraisemblance : peu
importe que l’exemplum ici présenté soit vrai, du moment qu’il est crédible et
sert la démonstration.
L’ouvrage Du contrôle de la colère n’est pas le seul où Plutarque utilise, pour
illustrer son propos, un « mot » inédit supposément tiré de la geste néronienne.
Dans Les Moyens de distinguer le flatteur d’avec l’ami, le philosophe cite ainsi
l’exemple de reproches que Pétrone aurait adressés au prodigue Néron :
« Et encore, graves et corrupteurs pour les sots sont les procédés consistant
à faire porter la critique sur les passions et les défauts contraires (comme le
flatteur Himerios accusant le plus mesquin et le plus avare des riches Athéniens
d’être prodigue et insouciant et l’avertissant qu’il souffrirait misérablement
de la faim avec ses enfants) ou à reprocher, à l’inverse, aux prodigues et aux
dépensiers leur parcimonie et leur avarice (comme Titus Petronius à Néron). »
(Plut., M. 60d)
Dans les Préceptes politiques, Plutarque, afin de montrer que l’homme d’État
doit savoir reconnaître les belles actions de ses adversaires, cite un mot que
Néron aurait prononcé peu avant d’ordonner le meurtre de Thrasea Paetus :
« C’est ainsi que le fameux Néron, peu avant de faire tuer Thrasea, qu’il
haïssait et redoutait au plus haut point, répondit pourtant à quelqu’un qui
accusait le personnage d’avoir rendu contre lui une sentence mauvaise et
injuste : “Je voudrais que Thraséa m’aimât autant qu’il est excellent juge !”. »
(Plut., M. 810a ; trad. J.-C. Carrière et M. Cuvigny)
Comme dans le cas des paroles mises dans la bouche de Sénèque, les mots ici
prêtés à Pétrone et à Néron sont vraisemblables ; rien, dans le reste de l’abondante littérature relative au dernier Julio-claudien, ne vient cependant confirmer
119.– Sen., Tranq. 14, 3.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
251
ces anecdotes. Là encore, il n’est pas impossible que Plutarque, en employant la
figure de Néron comme pièce de sa démonstration, ait procédé à certains « arrangements » afin de la faire correspondre à son propos. L’instrumentalisation de la
figure de Néron a ainsi pour corollaire de constants réajustements ou resémantisations de celle-ci.
La figure de Néron, instrument de lutte : la polémique chrétienne
Les orateurs et philosophes païens ne sont pas les seuls à avoir exploité (voire,
au besoin, réarrangé) la geste du dernier Julio-claudien comme argument pour
soutenir leurs démonstrations. Les crimes traditionnellement attachés à Néron
constituaient en effet, surtout, une arme redoutable aux mains des Chrétiens :
quoi de plus aisé, en effet, pour démontrer l’innocence et la vertu d’un groupe,
que de pouvoir s’appuyer sur les vices de son persécuteur, et qui de plus vicié
que Néron ? C’est ainsi que Lactance se sert du destin funeste de celui-ci pour
prouver que Dieu punit toujours ceux qui se sont attaqués aux siens ; cette
argumentation sera reprise par l’évêque donatiste Pétilien, cité par Augustin120.
Nous voudrions ici développer trois exemples : ceux fournis par Tertullien, Jean
Chrysostome et Orose.
Les visées apologétiques de Tertullien
À la fin du IIe siècle de notre ère, le paganisme est tout-puissant et la position
des Chrétiens fragile : Tertullien a donc fort à faire, lorsqu’il s’attaque, dans
ses œuvres polémiques, aux accusations formulées par les païens à l’égard de ses
coreligionnaires. Heureusement, la maîtrise de la rhétorique par l’apologiste est
grande et celui-ci n’a pas de mal à réfuter une par une les attaques de ses adversaires. C’est ainsi que Tertullien se sert de la monstruosité de Néron, thèse à
laquelle souscrivent les païens eux-mêmes, pour démontrer le bien-fondé de la
religion chrétienne :
« Consultez vos archives, vous y trouverez que Néron fut le premier à sévir
avec le glaive impérial contre notre secte, précisément quand elle se levait à
Rome. Nous nous glorifions même que la condamnation des nôtres ait eu un
tel auteur : car qui le connaît est à même de comprendre que rien si ce n’est un
grand bien n’a été condamné par Néron. » (Tert., Apol. V 3)
Le syllogisme qui sous-tend la démonstration de Tertullien est clair : Néron
est un monstre qui s’est acharné contre la vertu et le bien ; or Néron a persécuté
les Chrétiens ; donc la religion des Chrétiens est un bien. La majeure du raisonnement constitue la reprise d’un topos cher à la littérature latine et que nous
avons eu l’occasion d’analyser dans un chapitre précédent : le tyran est, par
définition, l’ennemi des personnages méritants121.
120.– Aug., Petil. II 202 : « Sans parler de Néron, qui le premier persécuta les Chrétiens, de
Domitien, qui était la copie de Néron en de très nombreux points, de Trajan, de Geta, de
Dèce, de Valérien, de Dioclétien, Galère aussi a péri. »
121.– Voir par exemple Plin., Pan. 44, 6 ; 45, 1-2 ; Tac., An. XVI 21, 1 ; Sulp. Sev., Chron. II 28, 1.
Sur ce topos, voir supra, p. 139-140.
252
Laurie Lefebvre
L’habileté rhétorique de Tertullien réside dans le fait qu’il se place entièrement sur le terrain des païens qui condamnent les siens : c’est en effet de leurs
propres écrits, « commentarios uestros », qu’il déclare tirer ses informations.
Tertullien ne fait donc qu’exploiter les condamnations formulées par ses adversaires eux-mêmes. Le même procédé est employé dans le traité Ad Nationes :
« Le nom chrétien est né sous le principat d’Auguste, sa doctrine a commencé
à briller sous Tibère, sa condamnation a pris des forces sous Néron, si bien que
déjà vous pouvez en juger d’après la personne du persécuteur : si ce prince fut
pieux, les Chrétiens sont impies ; s’il fut juste, s’il fut chaste, les Chrétiens sont
injustes et incestueux ; s’il ne fut pas ennemi public, nous sommes ennemis
publics : ce que nous sommes, notre persécuteur l’a montré lui-même, car il ne
pouvait punir que ce qui lui était opposé. » (Tert., Nat. I 7, 8-9)
Les accusations ici appliquées ironiquement aux Chrétiens, impiété,
injustice, débauche, ruine de l’État, reprennent, à peu de choses près, la liste de
griefs habituellement retenus contre ces derniers telle que Tertullien la dresse
dans l’Apologétique122. Mais ils correspondent, aussi et surtout, aux qualificatifs appliqués traditionnellement à Néron, qui était caractérisé, dans l’historiographie païenne, par son impiété, la gratuité de ses mises en accusation, sa
lubricité et qui fut précisément déclaré ennemi public à la fin de son règne. À
nouveau, Tertullien récupère les constituants de l’invective adverse à son profit.
Le terme Néron, au centre de l’équation, reste inchangé.
Le paulinisme de Jean Chrysostome
Jean Chrysostome, qui a souvent recours au couple antithétique Paul / Néron
pour démontrer ses vues et combattre la position de ses adversaires, qu’il s’agisse
de Juifs, de païens ou même de Chrétiens, a fait, en revanche, le choix inverse : afin
de démontrer la valeur de Paul et, par ce biais, l’excellence de ceux qui respectent
les préceptes de l’apôtre, le prêtre d’Antioche, plutôt que de tirer argument de
la monstruosité de Néron, a modifié en profondeur l’image traditionnellement
admise de ce dernier. Comme nous l’avons évoqué dans le premier chapitre de
ce travail, Jean Chrysostome fait de Néron, dans la Quatrième homélie sur la
deuxième épître à Timothée, une peinture étrange qui ne correspond pas aux
portraits habituels du dernier Julio-claudien : celui-ci y est en effet décrit comme
un prince qui, de son vivant, fut honoré comme un dieu, remporta de nombreux
succès, érigea des trophées, allait à la guerre couvert de pierreries, était auréolé
de gloire, et s’entendait appeler « maître de la terre et de la mer », « γῆς καὶ
θαλάττης δεσπότης123 ».
Cette peinture inédite s’explique par la stratégie argumentative de Jean
Chrysostome. En accusant le contraste entre la situation de Néron, prince
éminent, et celle de Paul, que Jean Chrysostome dépeint comme un homme
misérable, prisonnier, pauvre, nu et affamé, l’auteur démontre l’impuissance de
Néron et la vanité de sa gloire, puisqu’il n’a pu vaincre Paul, dont la victoire est
122.– Tert., Apol. II 4.
123.– Chrys., Hom. 2 ep. Tim. X 3.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
253
d’autant plus admirable qu’elle a été remportée avec peu de ressources sur un
adversaire tout-puissant ; il prouve que la gloire d’ici-bas, aussi grande soit-elle,
n’a aucune valeur et que seule compte la gloire aux cieux. L’admiration de Jean
Chrysostome pour Paul l’a donc conduit à adapter l’image de Néron aux besoins
de sa cause et à en dresser, à certains égards, un portrait flatteur.
Une stratégie similaire transparaît dans la Première homélie sur l’épître aux
Philippiens, où Jean Chrysostome déclare qu’en affrontant le tout-puissant
Néron, Paul montrait qu’il souffrait pour Dieu et que c’est de Dieu qu’il
attendait sa récompense ; car nul n’aurait osé se mesurer à un homme tel que
Néron s’il n’avait devant les yeux un être bien plus grand. La puissance de Néron
devient ainsi la preuve de la force de Paul et du caractère divin de sa mission124.
Pour que l’histoire eût un sens, il fallait bien, cependant, que Néron fût, d’une
manière ou d’une autre, puni pour le martyre de Paul et les crimes commis contre
la foi chrétienne. Là encore, la position de Jean Chrysostome est originale. Pour
mettre en garde ceux qui, selon lui, se dressent contre Dieu, il ne va pas, en effet,
tirer argument, à la manière de Lactance, de la fin ignominieuse de l’empereur :
il va se servir de son destin posthume.
Dans le discours Contre les adversaires de la vie monastique, Jean
Chrysostome, qui a appris que certains hommes, qui se prétendent pourtant
chrétiens, persécutent ceux qui propagent l’amour d’une vie conforme à la
philosophie chrétienne, décide de les prévenir que ceux qui déclarent la guerre
à Dieu sont infailliblement punis. C’est à ce stade de l’argumentation qu’intervient l’exemple de Néron, dont la punition pour les crimes commis contre Dieu
réside dans la haine et le mépris généralisés dans lequel le dernier Julio-claudien
est tenu :
« Quel tort (tί βλάβος) a donc résulté pour celui qui était malmené (τῷ
παθόντι κακῶς) par cet homme ? Quel profit (tί ὄφελος) pour celui qui
malmenait (τῷ δράσαντι κακῶς) ? Quel profit (tί ὄφελος) n’a pas résulté pour
Paul alors emmené (ἀναιρεθέντι) de force ? Quel tort (tί βλάβος) n’a pas résulté
pour Néron qui l’emmenait (ἀνελόντι) ? Celui-là n’est-il pas chanté comme
un ange à travers toute la terre (je parlerai en effet tout le temps de la situation
actuelle) ; l’autre n’est-il pas calomnié par tous comme un véritable fléau et un
démon sauvage ? » (Chrys., Oppug. monas. vit. I 3-4)
Comme Jean Chrysostome le précise dans la parenthèse, sa démonstration
repose sur l’examen de la situation « actuelle » de Paul et de Néron, dont
l’auteur souligne l’opposition au moyen de l’anaphore en « τί », « quel », et
des répétitions : tandis que le martyre de Paul a donné à ce dernier le plus grand
éclat et que toute la terre chante la gloire du saint, son persécuteur, Néron, se
trouve au contraire désormais couvert d’ignominie et est considéré par tous
comme un monstre de barbarie. Jean Chrysostome, prenant acte de la caractérisation monstrueuse du dernier Julio-claudien généralement admise par ses
124.– Chrys., Hom. ep. Phil. I 3. Sur Paul vainqueur de Néron, voir aussi Chrys., Hom. Matth.
XXXIII.
254
Laurie Lefebvre
contemporains, exploite la damnatio memoriae dont l’empereur a été frappé
pour démontrer la victoire du christianisme125.
La conception orosienne de l’histoire
Un autre cas d’exploitation de la figure de Néron à des fins polémiques est fourni
par l’Historia aduersus paganos d’Orose.
Reprenant la conception du sens de l’histoire, initiée par Eusèbe de Césarée
et Lactance, en tant que « mise en évidence d’une économie divine du progrès
du peuple chrétien dans un Empire hostile126 », le disciple d’Augustin veut, dans
son ouvrage historiographique, démontrer l’intervention de Dieu dans l’histoire et la prédestination de l’Empire romain à offrir un cadre à la Révélation
et à l’expansion chrétienne. Pour ce faire, Orose avance qu’au fur et à mesure
que l’Église s’est développée et que la foi en Dieu a grandi, les malheurs de
l’humanité, présentés comme les conséquences des péchés des hommes et de
leur impiété, se sont petit à petit atténués127. Et lorsqu’il n’est pas possible à l’historien de nier l’existence ou l’importance de calamités s’étant produites après la
naissance du Christ, son principal expédient est alors de les présenter comme des
punitions divines consécutives aux persécutions.
C’est dans le cadre général de cette démonstration que s’inscrit le passage
qu’Orose consacre aux calamités qui se sont produites sous le règne de Néron :
« Bientôt (mox) des calamités naissant de toute part accablèrent en masse
la malheureuse cité ; en effet, l’automne suivant (subsequente autumno), une
telle peste s’abattit sur Rome que trente mille convois funèbres vinrent s’inscrire sur le registre de Libitine. Immédiatement après (deinde e uestigio), en
Bretagne, un désastre survint au cours duquel deux des principales places
fortes furent mises à sac, avec un grand et désastreux massacre de citoyens et
d’alliés. En outre, en Orient, suite à la perte des grandes provinces d’Arménie,
les légions romaines passèrent sous le joug des Parthes et c’est avec peine que
la Syrie fut conservée. En Asie trois cités, en l’occurrence Laodicée, Hiérapolis
et Colosses, furent détruites par un tremblement de terre. » (Oros., Hist. VII
7, 11-12)
Orose reprend ici, à peu de choses près, les mots de Suétone (seule la mention
du tremblement de terre ayant détruit trois villes d’Asie constitue un ajout, tiré
de Jérôme128) :
« À de si grands maux et opprobres dus au prince s’ajoutèrent certains fléaux
accidentels (fortuita) : une peste qui, en un automne (unius autumni), fit
s’inscrire trente mille convois funèbres sur le registre de Libitine ; un désastre
en Bretagne, au cours duquel deux des principales places fortes furent mises
125.– Voir aussi Chrys., Hom. 2 ep. Tim. X 4 (Néron est poursuivi par les injures de tous, alors que
Paul est unanimement célébré).
126.– Carrié, Rousselle 1999, p. 506.
127.– Voir notamment Oros., Hist. I Prol. 13-14 ; I 20, 6 ; II 14, 1-3 ; III 3, 2-3 ; V 11, 6. Sur l’optimisme d’Orose, voir Fabbrini 1979, p. 373.
128.– Hier., Chron., p. 183h. Tacite ne mentionne que Laodicée (An. XIV 27, 1) et Suétone ne
parle que d’un tremblement de terre à Naples (Ner. 20, 3).
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
255
à sac, avec un grand massacre de citoyens et d’alliés ; la honte du côté de
l’Orient, les légions étant en Arménie passées sous le joug et la Syrie ayant été
conservée avec peine. » (Suet., Ner. 39, 1)
Non seulement Orose réutilise les mots de Suétone, mais il lui emprunte aussi
l’architecture générale de sa notice consacrée à Néron. À l’instar du biographe
antonin, Orose situe en effet le chapitre relatant ces diverses catastrophes entre la
section consacrée aux crimes de Néron et le récit de sa chute. Seulement, comme
nous l’avons vu dans le second chapitre de l’étude, Orose a déplacé la description
de l’incendie de Rome, qui constituait chez Suétone l’acmé des crimes néroniens
et précédait directement le récit des calamités qui nous occupent ici, pour la
remplacer par la mention de la persécution des fidèles du Christ. C’est donc,
chez l’historien chrétien, la condamnation de l’impiété de Néron qui précède
désormais la liste de sinistres naturels et de désastres militaires : le terrain était
tout préparé pour faire apparaître ceux-ci comme la conséquence des actes sacrilèges commis par Néron, autrement dit comme un châtiment divin.
Orose n’a pas seulement modifié subrepticement la structure de la biographie
suétonienne dont il s’inspire : il a aussi changé la phrase introductive de
l’épisode. Là où Suétone écrivait « accesserunt tantis ex principe malis probrisque
quaedam et fortuita », « à de si grands maux et opprobres dus au prince s’ajoutèrent certains fléaux accidentels », Orose opte pour un « mox aceruatim
miseram ciuitatem obortae undique oppressere clades », « bientôt des calamités
naissant de toute part accablèrent en masse la malheureuse cité ». Le « mox »,
en établissant une proximité temporelle entre les manifestations de l’impiété de
l’empereur et les calamités publiques, fait paraître du coup ces dernières comme
la conséquence directe de la persécution et comme la punition infligée à ce titre
par Dieu ; Orose a d’ailleurs pris bien soin de faire disparaître le « fortuita » de
Suétone. L’historien poursuit en troquant le « unius autumni » (par lequel le
biographe indiquait la durée de la peste) pour un « subsequente autumno » qui
la situe chronologiquement ; il ajoute aussi, au moment où il évoque le désastre
breton, un « deinde » absent du passage suétonien.
Or une telle chronologie est fausse : si l’on en croit Tacite, le tremblement
de terre de Laodicée eut lieu en 60 ap. J.-C., le désastre breton en 61, la défaite
romaine en Arménie et l’humiliation du joug en 62, donc avant la persécution
des Chrétiens, laquelle fut postérieure à l’incendie de Rome de 64129. Profitant
de la présentation non chronologique des faits chez sa source principale Suétone,
Orose a recréé une chronologie imaginaire faisant des désastres et des revers
romains la suite logique en même temps que temporelle de l’impiété impériale :
il a manipulé la vie de Néron afin de la rendre conforme au sens qu’il voulait
donner à l’histoire.
129.– Tac., An. XIV 27, 1 ; XIV 31-33 ; XV 15, 2. D’après Hier., Chron., p. 183h, le tremblement
de terre eut lieu en 64. Cependant la persécution des Chrétiens et le martyre de Pierre et
de Paul sont, dans la Chronique, placés en 68 (Chron., p. 185c) : la chronologie adoptée par
Orose ne correspond donc pas non plus à celle de Jérôme.
256
Laurie Lefebvre
L’utilisation de la figure de Néron afin de prouver la pertinence de la notion
de punition divine réapparaît, de manière encore plus nette, dans le chapitre
consacré à Trajan. Après avoir évoqué les mesures prises par celui-ci contre les
Chrétiens, Orose mentionne en effet un incendie qui aurait alors détruit la
domus aurea, événement que l’historien commente ainsi :
« Mais cependant, aussitôt après (continuo), à Rome, la maison dorée, que
Néron avait fait construire en y employant la totalité de sa fortune personnelle ainsi que les biens publics, brûla dans un incendie soudain, afin que l’on
comprît que la persécution, même ordonnée par un autre [i. e. par Trajan],
était de préférence punie (puniri) dans les monuments de celui-là même qui
le premier l’avait fait naître, et dans la personne même de son initiateur. »
(Oros., Hist. VII 12, 4)
L’incendie de la maison dorée, réalisation la plus emblématique du règne de
Néron, est ici directement présenté comme une punition (« puniri ») destinée
à sanctionner les actions menées par Trajan contre les Chrétiens, thèse qu’Orose
justifie gauchement en ayant recours au statut de premier persécuteur occupé
par le dernier Julio-claudien. De même, surtout, que nous trouvions, dans la
section énumérant les calamités datées du principat de Néron, un « mox » liant
les calamités en question et l’impiété de ce dernier, de même ici l’incendie du
palais néronien est introduit par un « continuo » qui fait de cet événement la
suite immédiate de la persécution ordonnée par Trajan et décrite en VII 12, 3. Or
la Chronique de Jérôme, qui situe l’incendie de la domus aurea en 104 ap. J.-C., le
place avant la persécution de Trajan, laquelle est datée de 107130 : à nouveau Orose
a retravaillé la chronologie et organisé la matière en fonction de son projet.
En tout cas, démonstration est faite, grâce au cas de Néron et à celui des
autres persécuteurs, que si calamité il y eut sous l’Empire romain, il s’est agi des
effets de la colère divine. Orose peut alors conclure :
« L’Église du Christ a supporté dix persécutions depuis Néron jusqu’à
Maximien : suivirent sur le champ neuf vengeances, selon ma propre expression,
calamités, comme eux-mêmes ne le nient pas. » (Oros., Hist. VII 26, 9131)
Orose compare ensuite les calamités consécutives aux persécutions aux plaies
infligées aux Égyptiens pour avoir maltraité les Hébreux132. Dans ce schéma
faisant des plaies d’Égypte la préfiguration des punitions infligées par Dieu aux
persécuteurs romains, les désastres du règne de Néron se trouvent comparés à la
première plaie, celle au cours de laquelle le sang suinta des puits ou coula dans
130.– Hier., Chron., p. 194c et f.
131.– Dans le système d’Orose, la dixième et ultime calamité réside dans le règne de Constantin,
que l’historien considère comme une punition pour les païens, étant donné qu’il a marqué
la perdition de toutes les idoles (Oros., Hist. VII 27, 13-16 et 28, 2-3).
132.– Oros., Hist. VII 27, 2-3. Cette idée est combattue par Augustin (Civ. XVIII 338-339).
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
257
les fleuves133. Voilà donc le règne de Néron, préfiguré par l’histoire des Hébreux,
inscrit par Orose dans le plan divin.
La figure de Néron, instrument d’analyse politique
Les manières dont les auteurs chrétiens usèrent de l’arme polémique que représentait la figure de Néron furent multiples : chez Tertullien, l’argumentation
repose sur la monstruosité et la carrière criminelle du dernier Julio-claudien ;
chez Jean Chrysostome, sur la damnatio memoriae de ce dernier ; chez Orose,
sur certains événements marquants de son règne. Instrument de discours épidictiques, philosophiques ou polémiques, la figure de Néron pouvait revêtir,
surtout, une valeur d’exhortation : la présentation des tares du dernier Julioclaudien, loin d’être gratuite, indique sans cesse en négatif, aux destinataires des
discours, et en priorité au prince régnant, la marche à suivre.
C’est ainsi que la mise en scène du personnage de Néron permet à un historien
sénatorial comme Tacite de s’interroger sur l’essence du Principat : raconter les
excentricités néroniennes, telle la perspective farfelue de s’emparer du légendaire
trésor de Didon, est par exemple un moyen pour l’écrivain de révéler les dysfonctionnements causés par la centralisation des pouvoirs. En l’occurrence ici, la foi
insensée du prince en ce trésor, en tant qu’elle attise la luxuria impériale, est
accusée explicitement d’avoir conduit à un appauvrissement de l’État :
« Pendant ce temps, sur ce vain espoir, la dissipation ne faisait que croître, […]
et l’attente des richesses devenait une des causes de la pauvreté publique. »
(Tac., An. XVI 3, 1 ; trad. P Wuilleumier)
La convocation de la figure de Néron s’intègre ainsi bien souvent à des
réflexions générales sur le pouvoir, ou sur les qualités que doit posséder son
détenteur. Comme le rappelle M. Reydellet, la définition du bon empereur,
à Rome, s’appuie essentiellement sur le recours à des figures antérieures : les
Romains se représentent le princeps idéal moins d’après des définitions philosophiques abstraites qu’en se référant à des précédents historiques, qui font office
de modèles ou de contre-exemples ; « ainsi l’empereur n’est-il pas l’incarnation
d’une idée, mais la reproduction d’un modèle vivant pris à l’histoire même de
Rome134 ». Comme le pose effectivement Pline dans le Panégyrique de Trajan,
« il n’y a pas de bon éloge sans comparaison. En outre le premier devoir des
citoyens reconnaissants envers le meilleur des princes est de poursuivre ceux qui
ne lui ressemblent pas. N’aime pas assez les bons princes qui ne hait pas assez les
mauvais135 ». Dans ce système, il était logique que l’empereur Néron, paradigme
du mauvais prince, fût utilisé de manière privilégiée comme repoussoir des bons.
133.– Oros., Hist. VII 27, 4 : « Ici, la première plaie, sous Néron, réclama que partout le sang des
mourants fût ou bien corrompu à Rome par les maladies, ou bien versé au combat dans le
monde ».
134.– Reydellet 1981, p. 18-19.
135.– Plin., Pan. 53, 1-2 (trad. M. Durry).
258
Laurie Lefebvre
Néron et la définition de l’optimus princeps
Cette fonction lui avait été attribuée par la propagande flavienne puis antonine
qui, en cherchant à faire des Flaviens et de Trajan des princes idéaux, avait en
parallèle figé Néron dans la posture du pessimus princeps : Trajan, selon un mot
rapporté par Pline le Jeune, aurait notamment déclaré, aux accusateurs de son
affranchi Eurythmus qui songeaient à abandonner les charges, « nec ille Polyclitus
est nec ego Nero136 », « il n’est pas Polyclète, et moi je ne suis pas Néron ».
Le recours à l’exemplum Néron permet ainsi à Pline le Jeune d’illustrer, dans
le Panégyrique de Trajan, un certain nombre d’écueils qu’un prince se doit
d’éviter. Pline oppose par exemple, à la piété de Trajan et aux honneurs qu’il
rendit à Nerva, l’attitude de Néron envers Claude, que le dernier Julio-claudien
ne consacra au nombre des divinités que pour mieux s’en moquer :
« Néron proclama la déification de Claude, mais pour le tourner en ridicule
[…]. Toi, tu as placé ton père parmi les astres non pour inquiéter les citoyens,
non pour injurier les divinités, non pour être personnellement honoré, mais
parce que tu le crois dieu. » (Plin., Pan. 11, 1-2)
Ce passage, qui fait vraisemblablement allusion à la parution de l’Apocoloquintose du divin Claude, est l’un des seuls où Néron soit nommé : Pline, de
manière générale, se montre avare de noms propres et n’évoque souvent les
tyrans du siècle précédent que de manière allusive, ce qui lui permet de donner
à son propos un air de généralité. Néron n’en est pas moins fort reconnaissable
derrière un grand nombre d’attaques.
Lorsque Pline oppose à la moderatio de Trajan, qui a refusé le troisième
consulat qu’on lui offrait pour laisser de simples particuliers occuper cette
fonction, le comportement de celui qui se montra « capable, à la fin de son
principat, d’arracher et de ravir un consulat qu’il avait donné lui-même et qui
était déjà accompli en grande part137 », on reconnaît là Néron, qui avait, en
68 ap. J.-C., privé les consuls Silius Italicus et Galerius Trachalus de leur charge
pour se mettre seul à leur place138. Lorsque Pline compare la simplicitas de Trajan,
qui mit fin au misérable esprit d’adulation des temps précédents, et l’orgueil
des princes qui se faisaient dédier des mois par des sénateurs contraints aux
plus basses flatteries, l’attaque englobe assurément Néron, dont le nom avait
été donné au mois d’avril139. Lorsque Pline loue Nerva pour avoir adopté Trajan
dans le but de donner à l’Empire le prince le meilleur, et non de complaire à une
épouse, le panégyriste condamne implicitement l’adoption, par Auguste et par
Claude, de Tibère et de Néron, fils de leurs épouses respectives140.
136.– Plin., Ep. VI 31, 9. Polyclète était un affranchi de Néron (Tac., An. XIV 39, 1).
137.– Plin., Pan. 57, 2.
138.– Suet., Ner. 43, 2.
139.– Plin., Pan. 54, 4. Caligula avait donné le nom de Germanicus à septembre ; Néron, le sien à
avril, celui de Claude à mai et celui de Germanicus à juin ; Domitien, celui de Germanicus
à septembre et le sien à octobre (Tac., An. XV 74, 1 ; XVI 12, 2 ; Suet., Calig. 15, 3 ; Ner. 55 ;
Dom. 13, 9).
140.– Plin., Pan. 7, 4.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
259
En outre, quand Pline met dos à dos Trajan loué pour sa pietas, son abstinentia et sa mansuetudo, et le prince acclamé pour ses attitudes et sa voix, il
songe manifestement à Néron applaudi par le peuple et les Augustians lors de
ses prestations scéniques141. Quand il rappelle que « ce même peuple, spectateur
jadis et acclamateur d’un empereur comédien, déteste et condamne aujourd’hui,
jusque dans les pantomimes, les arts efféminés et les goûts indignes du siècle »,
c’est à nouveau Néron qui est visé142. Quand il loue Trajan d’avoir donné des
munera, spectacles virils et enseignant le mépris de la mort, et non des spectacles
efféminés qui amollissent les âmes, il pense sans nul doute, entre autres, aux
Juvénales et aux Neronia143.
De manière générale, dès lors que Pline sait gré à Trajan d’avoir rétabli la
discipline dans les camps et banni les fléaux du siècle précédent, la paresse, l’indocilité et la désobéissance144 ; qu’il loue la générosité désintéressée de Trajan, par
opposition aux princes qui n’octroyaient des bienfaits que pour racheter leurs
crimes145 ; qu’il fait allusion aux princes qui remplissaient les îles d’hommes
innocents, faisaient main basse sur les héritages, préféraient dans les citoyens les
vices aux vertus, craignaient les jeunes gens nobles, passaient leurs loisirs dans
les voluptés et le stupre146, Néron, dont nous avons pu mesurer la débauche, la
haine à l’encontre des Romains distingués, la prodigalité et les rapines dans les
chapitres précédents, fait assurément partie des tyrans incriminés.
Les allusions aux crimes et aux travers traditionnellement imputés à Néron
viennent ainsi, tout au long du Panégyrique de Trajan, nourrir la réflexion de
Pline sur l’optimus princeps, dont la définition s’appuie tout entière sur un
perpétuel jeu de contrastes entre l’attitude de Trajan et celle de ses prédécesseurs. Nous avons évoqué précédemment la question de l’inadéquation du
genre historique à dire Néron : or c’est précisément parce que la figure de Néron
déborde sans cesse les limites de l’historiographie, s’échappant du champ de la
loupe de l’historien, qu’elle a pu acquérir une sorte d’intemporalité la rendant
apte à être évoquée de manière récurrente et privilégiée à toutes les époques, en
contrepoint d’événements ou de personnages.
En faisant de Néron un point de référence par rapport auquel il compare
Trajan, Pline procède cependant à une manipulation : Néron est sans doute
moins le repère par rapport auquel l’optimus princeps Trajan s’est construit que
la figure de Trajan n’a été ici l’étalon de celle de Néron. La volonté de mettre
141.– Plin., Pan. 2, 6. Cf. Tac., An. XIV 14, 2 ; 15, 5 ; Suet., Ner. 20, 6.
142.– Plin., Pan. 46, 4 (trad. M. Durry, légèrement modifiée).
143.– Plin., Pan. 33, 1. Domitien avait, lui aussi, institué un concours quinquennal à la fois musical, équestre et gymnique (Suet., Dom. 4, 8-10).
144.– Plin., Pan. 18, 1. D’après M. Durry, le trait vise ici Domitien (Panégyrique de Trajan,
éd. M. Durry, p. 190) : les soldats passaient cependant pour avoir, sous Néron, appris à
mépriser l’antique discipline (Tac., H. I 5).
145.– Plin., Pan. 28, 2-3. Cf. Tac., An. XIII 18, 1 (Néron, suite au meurtre de Britannicus, combla
de largesses ses principaux amis, afin d’enchaîner par des dons les personnages puissants) ;
XV 72, 1 (Néron distribua aux soldats, après la répression de la conjuration de Pison, deux
mille sesterces chacun).
146.– Plin., Pan. 35, 2 ; 43 ; 44, 6 ; 45, 1-2 ; 69, 5 ; 82, 9.
260
Laurie Lefebvre
en lumière la moderatio de Trajan conduit ainsi Pline le Jeune à présenter la
décision, prise par Néron sans nul doute pour répondre à une situation de crise,
de s’arroger le consulat en 68 comme une simple manifestation de tyrannie et
de cupiditas. De la même manière, le recours au motif du prince citharède et
efféminé, convoqué à plusieurs reprises dans le Panégyrique, n’a de sens que parce
que l’optimus princeps, incarné par Trajan, est un chef militaire. Néron sert de
référence dans la définition du bon prince, mais c’est cette même définition qui
a informé les représentations antiques de Néron et leur a donné une structure et
une signification.
L’anti-Auguste
Construit par opposition à Trajan, Néron, en tant qu’il incarnait le pessimus
princeps, fut confronté, aussi et surtout, à la figure d’Auguste, traditionnellement
considéré comme le modèle des bons empereurs. Celui que Sénèque, dans son
De clementia, posait comme un émule d’Auguste147 devint, dans la littérature
postérieure, son exact contrepoint.
Lorsqu’Orose décrit l’attitude de Néron lors de l’incendie de 64 ap. J.-C.,
dont l’historien tenait le prince pour responsable, il convoque ainsi, en négatif,
l’image d’Auguste s’étant vanté d’avoir transformé une Rome de briques en une
ville de marbre148. Augustin, qui établit dans sa Cité de Dieu une série de couples
antithétiques de bons et de mauvais princes, choisit, pour la dynastie julioclaudienne, de retenir et d’opposer les noms d’Auguste et de Néron149. Dion
Cassius utilise avec sarcasme le titre d’Auguste pour désigner Néron quand il est
dans les pires postures possibles : Néron est en effet appelé Auguste quand il monte
sur scène lors des Juvénales150 et quand il part en Grèce remporter des victoires
artistiques151. L’historien oppose, de manière générale, la figure d’Auguste ayant
conservé aux Romains leur liberté et celle de Néron les réduisant en esclavage152.
La mise dos à dos des exemples de comportement fournis par Auguste et
par Néron est particulièrement nette dans les descriptions que Suétone et Dion
Cassius nous ont laissées du triomphe que le dernier Julio-claudien célébra à son
retour de Grèce153. Ces historiens racontent que lorsqu’il revint de sa tournée
artistique, Néron, après avoir paradé à Naples, à Antium et dans sa propriété
d’Albe, entra à Rome par une brèche ouverte dans la muraille (Dion Cassius
147.– Sen., Clem. I 11, 1 (Néron, dont la clémence se manifesta très tôt, est en cela supérieur
à Auguste, qui ne fut clément que dans sa vieillesse et dont le jeune âge fut souillé par
les terribles proscriptions). Le Néron de l’Octavie, qui se sert lui-même, afin de définir sa
vision du pouvoir, de la figure d’Auguste, dont il présente les actes de répression comme
un précédent justifiant sa propre cruauté (Ps. Sen., Oct. 503-532), semble répondre précisément au De clementia.
148.– Oros., Hist. VII 7, 7.
149.– Aug., Civ. V 233.
150.– DC., LXI 20, 1-2 et 5.
151.– DC., LXIII 9, 1 ; 10, 1.
152.– DC., LVI 43, 4 ; LXI 15, 3 ; LXII 3 ; 4, 3 ; 6, 4 ; 24, 2 ; LXIII 5, 1-2 ; 6, 4 ; 12, 2. Sur l’opposition entre les figures d’Auguste et de Néron chez Dion Cassius, voir Gowing 1997,
p. 2583-2584. Sur l’incompatibilité entre l’attitude de Néron et le titre d’Auguste, voir
DC., LXIII 22, 5-6 ; Philstr., V. Ap. V 7, 2.
153.– Suet., Ner. 25 ; DC., LXIII 20-21.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
261
ajoute, à la destruction d’un pan des remparts, l’enfoncement de portes), sur le
char sur lequel Auguste avait triomphé autrefois ; Néron avait alors la couronne
olympique sur la tête, la couronne pythique à la main, était précédé d’un cortège
portant ses trophées et des pancartes énumérant ses victoires artistiques, et était
suivi des Augustians qui l’acclamaient.
Comme les critiques l’ont noté et comme Suétone l’avance lui-même, le
défilé néronien mêle la cérémonie romaine du triomphe militaire et la parade
des athlètes victorieux, auxquels Néron a ajouté des éléments personnels et
nouveaux154. En se servant du char d’Auguste, Néron voulait sans nul doute
inscrire sa politique dans le respect du fondateur du régime impérial et affirmer,
malgré la révolution culturelle qu’il mettait en place, son imitatio Augusti155 ; en
tout cas, il ne devait assurément pas s’agir, de la part de Néron, d’une parodie des
triomphes augustéens.
C’est cependant sous un jour nettement négatif et comme un anti-Augustus
que Suétone et Dion Cassius présentent l’empereur citharède célébrant ses
victoires. Suétone classe ainsi la description de la parade dans la partie défavorable de la biographie de Néron. Il clôt en outre son chapitre en signalant que
l’empereur, afin de préserver sa voix, n’adressa ensuite plus jamais de harangue
aux soldats156 : en juxtaposant ainsi la description du triomphe et une anecdote
illustrant les répercussions funestes de la passion de Néron sur ses devoirs en
tant qu’empereur, Suétone jette une ombre manifeste sur la réinterprétation
néronienne du triomphe d’Auguste.
Enfin, comme l’a noté O. Devillers, la section consacrée par le biographe
au triomphe néronien constitue l’exact pendant du passage, situé cette fois dans
la partie positive de la biographie, où est décrite la venue à Rome de Tiridate157.
Les structures respectives des deux rubriques, en effet, sont similaires et se
répondent : dans les chapitres 11 à 13, le biographe énumère les spectacles divers
offerts par l’empereur puis décrit, plus particulièrement, la venue de Tiridate à
Rome ; dans les chapitres 20 à 25, Suétone critique les activités de Néron comme
citharède et conducteur de char puis évoque un événement précis, la tournée
en Grèce et le triomphe final. En outre, de même que Suétone prend soin,
dans sa description de l’entrée de Tiridate, de souligner le caractère militaire
du cérémonial déployé (des cohortes en armes sont placées près des temples du
forum ; Néron est en habit de triomphateur ; il reçoit à deux reprises les supplications de Tiridate, qui s’agenouille devant lui ; le prince est finalement salué
imperator158), de même la thématique militaire est omniprésente dans l’évocation
du triomphe de Néron.
Le contraste entre les deux événements recouvre une opposition entre deux
conceptions de la gloire impériale : d’un côté, l’on assiste à un triomphe, loué
154.– Picard 1962, p. 230-232 ; Cizek 1972, p. 220-222 ; Cizek 1982, p. 157-161 ; Griffin 2002,
p. 192 ; De Souza 2002, p. 74-81 ; Champlin 2003, p. 229-234.
155.– Benoist 2003, p. 65.
156.– Suet., Ner. 25, 5.
157.– Devillers 2009, p. 61-72.
158.– Suet., Ner. 13, 2-4.
262
Laurie Lefebvre
par Suétone, s’inscrivant dans la tradition augustéenne et se traduisant par la
soumission de l’ennemi ; de l’autre, l’on voit Néron parodier le cérémonial
triomphal d’Auguste et substituer des valeurs artistiques à la gloire militaire, ce
que Suétone condamne.
Chez Dion Cassius, le passage consacré au triomphe de Néron (LXIII 20-21)
est immédiatement suivi du récit de sa chute, qui commence au chapitre 22 : l’historien crée ainsi un lien entre la fin de l’empereur et la célébration, par ce dernier,
de ses victoires artistiques. En outre, là où Suétone se contente d’écrire que
Néron se servit du « char avec lequel Auguste avait triomphé autrefois », « eo
curru, quo Augustus olim triumphauerat », Dion Cassius précise qu’il s’agissait
du « char triomphal sur lequel autrefois Auguste avait célébré ses nombreuses et
fameuses victoires », « ἅρματος ἐπινικίου, ἐν ᾧ ποτε ὁ Αὔγουστος τὰ πολλὰ ἐκεῖνα
νικητήρια ἐπεπόμφει159 » : l’ajout de l’adjectif « πολλὰ » et du démonstratif à
valeur laudative « ἐκεῖνα », en soulignant la gloire militaire d’Auguste, accuse le
contraste entre le triomphe célébré par Néron et celui de son ancêtre.
Dion Cassius, enfin, écrit, comme on l’a vu, que non seulement une partie de
la muraille de Rome fut abattue, mais qu’une portion des portes fut enfoncée,
détail que l’on ne trouve pas chez Suétone. Or cette innovation semble correspondre, comme l’a suggéré M. De Souza, à une évolution dans le statut des
portes de Rome au fil des premiers siècles de notre ère160. À l’époque de Suétone,
si les murailles de Rome sont considérées comme sacrées (les modalités du
triomphe de Néron, qui abattit une partie des murs, pouvaient donc passer
pour sacrilèges), en revanche les portes ne le sont pas161. À l’époque de Dion
Cassius, par contre, les portes sont considérées comme des res sanctae au même
titre que les murs et leur violation entraîne la peine capitale162 : en ajoutant, au
motif du rempart abattu, celui des portes enfoncées, c’est-à-dire en adaptant sa
description du triomphe aux interdits de son temps, il n’est pas impossible que
Dion Cassius ait voulu renforcer le caractère spectaculaire et sacrilège de l’entrée
néronienne.
Si Néron avait Antoine pour ancêtre, il descendait aussi, au même niveau,
d’Auguste par sa grand-mère Agrippine l’Aînée, qui était la fille d’Agrippa et
de Julie et donc la petite-fille d’Auguste. Les auteurs antiques ont cependant tu
les liens qui unissaient Néron au fondateur du principat et ont réduit le dernier
Julio-claudien au statut d’imitateur d’Antoine et de double négatif d’Auguste.
Ainsi inséré dans un système binaire de bons et de mauvais chefs, Néron forme
avec Auguste un couple antithétique incarnant les deux faces du pouvoir, le
gouvernement idéal et la plus terrible tyrannie.
159.– Suet., Ner. 25, 1 ; DC., LXIII 20, 3. Auguste célébra, en 29 av. J.-C., un triple triomphe, sur
la Dalmatie, sur Actium et sur Alexandrie (Suet., Aug. 22, 2).
160.– De Souza 2002, p. 80-81.
161.– Cic., Nat. III 94 ; Plut., Rom. 11, 5 ; M. 271a ; Dig. I 8, 11.
162.– Gai., Inst. II 8.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
263
La stratégie du masque
Lorsque Dion Cassius rapporte les acclamations qui accompagnèrent Néron à
l’occasion de sa montée sur scène lors des Juvénales ou de son retour triomphal
de Grèce, l’historien ajoute, par rapport aux récits de Tacite et de Suétone, un
détail curieux. Les clameurs qui célébrèrent alors le prince identifié à Apollon,
prononcées selon les historiens antonins par les seuls Augustians, le furent
surtout, selon Dion Cassius, par les sénateurs163.
Cette modification s’explique si l’on regarde le livre LXXII de l’Histoire
romaine. L’historien y raconte en effet qu’il vit personnellement combattre
Commode dans l’arène ; il raconte surtout qu’il a alors été contraint, avec
les autres sénateurs, à l’acclamer et à le qualifier d’Ἀμαζόνιος164. Le paradigme
Néron s’est manifestement chargé des souvenirs et des traumatismes personnels
de l’auteur. Les deux passages, celui consacré au triomphe de Néron et celui où
il est question des combats de Commode, présentent d’ailleurs des similitudes
verbales :
« Il monta au Capitole […], tandis que tout le monde et les sénateurs
eux-mêmes le plus possible criaient “Olympionique, oh, Pythonique, oh […]”.
Pourquoi en effet faudrait-il parler avec ambages et ne pas reproduire leurs
propres expressions ? Car rapporter les mots utilisés ne déshonore en rien mon
ouvrage : bien au contraire, ne cacher aucun d’eux est un ornement. » (DC.,
LXIII 19, 4-6)
« […] aussi bien le peuple que nous tous à l’instant même avons crié ce que l’on
a coutume de dire dans les banquets, “Santé”. Et que personne ne s’imagine
qu’en rapportant aussi de pareils faits je souille la majesté de l’histoire. […] J’ai
estimé juste de ne cacher aucun d’eux. » (DC., LXXII 18, 2-3)
Au sujet de la prestation de Commode, Dion Cassius évoque par ailleurs le
cas du sénateur Claudius Pompeianus, qui refusa d’assister aux jeux et déclara
préférer mourir que de voir l’empereur se déshonorer ainsi. Le souvenir de
Claudius Pompeianus se trouvait probablement dans l’esprit de Dion Cassius
lorsqu’il cite l’attitude de Thrasea Paetus se refusant à écouter Néron chanter sur
la lyre et à sacrifier à la voix du prince165.
A. M. Gowing a noté un autre exemple de l’influence, sur les livres néroniens
de l’Histoire romaine, des événements contemporains de l’auteur166. Dion Cassius
affirme, au livre LXI, que des matrones romaines se produisirent dans des
combats de gladiateurs, à l’occasion des jeux donnés après la mort d’Agrippine167.
Si Tacite et Suétone mentionnent, certes, la participation de femmes de haute
naissance à des spectacles théâtraux sous Néron168, nulle part dans leurs ouvrages
163.– Tac., An. XIV 15, 5 ; Suet., Ner. 25, 1 ; DC., LXI 20, 4-5 ; LXIII 19, 5.
164.– DC., LXXII 18, 2-3 ; 20, 2.
165.– DC., LXI 20, 4 ; LXII 26, 3. Voir Gowing 1997, p. 2576, n. 69, qui cite également les figures
de Victorinus (LXXII 11), de Cassius Clemens (LXXIV 9) et de Quintillus Plautianus
(LXXVI 7, 35).
166.– Gowing 1997, p. 2571, n. 52.
167.– DC., LXI 17, 3.
168.– Tac., An. XIV 15, 2 ; Suet., Ner. 11, 2 et 4.
264
Laurie Lefebvre
il n’est question de femmes participant à des munera. L’innovation de Dion
Cassius a probablement été conçue comme un contrepoint proleptique à la
mention de l’interdiction faite aux femmes, par Septime Sévère, de concourir
dans des combats de gladiateurs169.
De la même manière, la description de la « parodie » de triomphe organisée
par Néron ainsi que celle, particulièrement élogieuse, de la pompe triomphale de
Tiridate lors de sa venue à Rome170 ont sans doute été influencées par le souvenir
de plusieurs spectacles de ce type auxquels avait assisté Dion Cassius : l’entrée
triomphale de Septime Sévère à Rome lors de son avènement en 193 ap. J.-C.,
événement que Dion Cassius décrit comme le plus beau spectacle qu’il ait jamais
vu ; l’arrivée à Rome d’Aurelius Zoticus, athlète amené de Smyrne par Élagabal
en 220171.
Dion Cassius a ainsi raconté les faits et gestes de Néron à travers le filtre
d’expériences qu’il avait personnellement vécues : le dernier Julio-claudien a,
sur ce point, été conçu comme un double du dernier Antonin, ou l’antithèse
de Septime Sévère. Qu’il s’agisse d’exalter le princeps en place ou de condamner
le tyran sous lequel ils avaient souffert, les auteurs antiques se donnaient moins
pour but de décrire avec exactitude le principat néronien que d’en faire le reflet
et le vecteur des préoccupations qui leur étaient contemporaines : la figure
de Néron participe toujours d’un discours masqué sur le présent. Comme l’a
souligné E. Rosso au sujet du poème consacré à la domus aurea par Martial
dans le Liber spectaculorum, ce texte dit davantage sur les Flaviens qu’il ne parle
de Néron : « il est possible que, dans notre évaluation de la tradition antinéronienne, nous soyons victimes d’une erreur de perspective en considérant que
l’idéologie flavienne s’est structurée en contrepoint par rapport à l’idéologie de
Néron : en effet, il se pourrait que ce soit au contraire la vision rétrospective de
l’entreprise de Néron qui ait été élaborée en forme de double négatif de celle des
Flaviens en fonction de leurs propres exigences démonstratives. […] Le Néron
de cette tradition est une création ad hoc, forgée en négatif et en fonction des
intentions de la nouvelle dynastie172 ».
La figure de Néron a ainsi, sans cesse, été vue à travers des « figures intermédiaires », tant positives que négatives, Vespasien, Domitien, Hadrien,
Commode, Septime Sévère, Caracalla, Élagabal ou encore Constantin, et
constitue un formidable outil d’analyse de la situation contemporaine des
auteurs. Nous avons déjà eu l’occasion de suggérer que la peinture inquiétante
du principat néronien par Tacite avait sans doute subi l’influence du souvenir
de la tyrannie de Domitien ; que le Néron qui apparaît dans le Panégyrique de
Trajan en dit moins sur le dernier Julio-claudien que sur les valeurs de Pline le
169.– DC., LXXV 16, 1.
170.– DC., LXIII 1-4.
171.– DC., LXXIV 1, 35 (comparer surtout LXIII 4, 1-2 et LXXIV 1, 3-4) ; LXXIX 16, 2 (l’entrée
à Rome de Zoticus est d’ailleurs ici comparée explicitement à la pompe déployée pour
Tiridate sous Néron). Sur ces liens, voir Gowing 1997, p. 2576-2577.
172.– Rosso 2008, p. 57.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
265
Jeune et sur Trajan lui-même ; nous avons évoqué à l’instant la dette du Néron
de Dion Cassius vis-à-vis de Commode.
Dans l’Histoire romaine, la figure de Néron a sans nul doute aussi été construite
comme un double d’Élagabal173. L’insistance particulière de l’historien sur le
motif des prestations scéniques néroniennes, que nous sommes invités à lire
en regard des exhibitions de Commode, s’explique en effet également par le
souvenir d’Élagabal, qui conduisait des chars en privé et chantait dans l’orchestre
du théâtre174. En outre, de même que les passages consacrés aux prestations de
l’artiste Néron et du gladiateur Commode présentent des similitudes verbales,
de même la manière dont Dion rapporte les virées nocturnes d’Élagabal, qui
« entrait, de nuit, dans des cabarets, affublé de perruques, et faisait office de
cabaretière », « ἐς καπηλεῖα ἐσῄει νύκτωρ, περιθέταις κόμαις χρώμενος, καὶ τὰ τῶν
καπηλίδων εὶργάζετο175 », est sensiblement la même que la façon avec laquelle il
avait présenté les virées de Néron :
« Et il se livrait, dissimulé d’une manière ou d’une autre, à de nombreux excès,
tant chez lui que dans la ville, de nuit (νύκτωρ) comme de jour, et entrait dans
des cabarets (ἔς τε καπηλεῖα ἐσῄει) […]. Il faisait la noce, en cachette, de nuit
(νύκτωρ), à travers toute la ville : il commettait des violences envers les femmes,
se livrait à des excès envers les adolescents, détroussait ceux qui résistaient,
frappait, blessait, tuait. Il croyait passer en quelque manière inaperçu (en effet
il s’affublait de vêtements variés et de perruques (κόμαις περιθέτοις ἐχρῆτο)
chaque fois différentes), mais il était confondu par sa suite et par ses actes. »
(DC., LXΙ, 8, 1 et 9, 2)
Dans la version tacitéenne et suétonienne de l’épisode, il n’est pas question,
comme ici, de perruque : le déguisement revêtu par Néron lors de ses sorties
consiste uniquement en vêtements176. Il en est par contre question dans la
description des virées d’Élagabal. L’innovation de Dion Cassius, en soulignant
le parallèle entre l’attitude de Néron et celle de ce dernier, prouve la propension
de l’historien à percevoir des similitudes entre les événements passés et contemporains ; de fait Élagabal possède avec Néron, de manière générale, de nombreux
points communs : Élagabal souilla une Vestale et se maria même avec elle ; il
se fit épouser par Hiéroclès, un esclave carien qu’il aimait éperdument ; il est
violemment condamné par Dion pour ses manières féminines177. En racontant
le principat du dernier Julio-claudien, Dion Cassius dénonce en même temps les
travers des empereurs de son temps.
Les charges contre Néron donnent à lire, en creux, des manuels politiques : les
portraits du dernier Julio-claudien n’omettent rien de ce qui fait débat dans les
173.– Gowing 1997, p. 2569.
174.– DC., LXXIX 14, 2-3. De la même manière, Caracalla, tyran caractérisé par sa saeuitia,
apprenait, selon Dion Cassius, à jouer de la lyre (DC., LXXVII 13, 7).
175.– DC., LXXIX 13, 2.
176.– Tac., An. XIII 25, 1 : « ueste seruili » ; Suet., Ner. 26, 2 : « pilleo et galero ».
177.– DC., LXXIX 9, 3 ; 13, 2-4 ; 14, 1 et 4 ; 15.
266
Laurie Lefebvre
réflexions sur l’optimus princeps ou, de manière générale, dans l’histoire contemporaine. Nous avons vu, à ce titre, dans le premier chapitre, qu’Hilaire de Poitiers
et Ammien Marcellin utilisent la figure de Néron pour stigmatiser la tyrannie de
Constance II ; qu’elle permettra plus tard à Rutilius Namatianus de signifier la
monstruosité de Stilichon ; qu’Aurelius Victor tire profit du motif des relations
de Néron avec les Parthes pour véhiculer sa haine farouche, caractéristique des
Romains de son époque, envers les Perses ; qu’Eutrope et Festus se servent de
l’épisode de la défaite de l’armée romaine à Rhandeia sous Néron pour adresser
un message à Valens ; que Claudien emploie Néron dans un discours sur le bon
prince adressé à Honorius.
La figure de Néron constitue ainsi un formidable outil idéologique, d’autant
plus commode que sa richesse permet aux auteurs de tout dire à travers elle. Là
réside sans doute la raison de l’acharnement avec lequel le dernier Julio-claudien
a été, dans la littérature, condamné sans interruption au fil des siècles : en faisant
de la peinture du principat néronien le prétexte d’un discours sur le présent, les
auteurs antiques véhiculaient à travers elle leurs propres craintes, leurs rancunes,
leurs désillusions, la chargeant ainsi, chaque fois, de leurs préoccupations
contemporaines. En somme, la figure de Néron est d’une incroyable actualité.
Conclusion générale
Le nombre de textes antiques ayant, aux premiers siècles de notre ère, convoqué
le souvenir du dernier Julio-claudien, explicitement ou de manière allusive, est
considérable. Tant les historiens que les poètes, les encyclopédistes, les rhéteurs et
les exégètes, tant les païens que les Juifs et les Chrétiens, tant les auteurs proches
du pouvoir impérial que ses opposants ont exploité tout ou partie des multiples
potentialités offertes par la figure de Néron, contribuant ainsi au développement
et à la pérennité de la légende négative qui s’est, dès le lendemain de 68 ap. J.-C.,
formée autour de l’empereur, au point de pouvoir prétendre aujourd’hui au
statut de véritable mythe.
Cette légende s’est, très vite, standardisée autour d’une vulgate et cristallisée en un canon. Parmi la diversité des crimes imputés traditionnellement au
dernier Julio-claudien, deux éléments se sont imposés comme les caractéristiques
majeures de sa figure et les axes principaux autour desquels la flétrissure de sa
mémoire a été articulée : les prestations artistiques et les parricides. La relecture
chrétienne de la geste néronienne ajoutera à ce canon un nouveau crime : la
première persécution des fidèles du Christ et la mise à mort de Pierre et de Paul.
Pour la postérité, Néron est, avant tout et presque exclusivement, l’empereur
citharède, le prince matricide et le primus persecutor Christianorum.
Pourtant, parallèlement au phénomène, auquel contribua beaucoup le succès
de Suétone auprès des historiens tardifs, de fixation et de stabilisation morphologiques du mythe, celui-ci connaissait, entre le principat des Flaviens, sous
lesquels il reçut ses premières mises en forme, et le début du Ve siècle de notre
ère, des infléchissements divers. Des motifs nouveaux et contredisant la tradition
historiographique ont, de manière ponctuelle, été ajoutés : on croise ainsi, dans
la Vie d’Apollonios de Tyane de Philostrate, un Néron pratiquant la gladiature ;
chez Jean Chrysostome, on voit le dernier Julio-claudien exiger d’être honoré
de son vivant comme un dieu ; Aurelius Victor attribue à l’empereur le projet de
267
268
Laurie Lefebvre
déplacer le siège de l’Empire ; dans l’Histoire Auguste, il apparaît que Néron est
mort assassiné.
Ces hapax prirent, le plus souvent, la forme d’exagérations dérivées des
crimes et des travers traditionnellement imputés au dernier Julio-claudien : on a
vu Eusèbe de Césarée affirmer que l’empereur commit, au sein même de sa gens,
des meurtres par milliers ; Orose l’accuser d’avoir eu des relations coupables non
seulement avec sa mère, mais aussi avec une sœur et, plus généralement, toutes
les femmes de sa famille ; soutenir que Néron fit disparaître la quasi-totalité non
seulement de l’ordre sénatorial, mais encore de l’ordre équestre.
À l’apparition de motifs nouveaux s’ajoutèrent des phénomènes de contamination et de confusion : il n’est pas rare de voir les abréviateurs tardifs
attribuer à Néron des crimes imputés originellement à Caligula et mêler, dans
leur réécriture de la geste du dernier Julio-claudien, des éléments tirés de la Vita
Neronis et de la Vita C. Caligulae de Suétone. De manière générale, sans aller
toujours jusqu’à introduire des éléments inédits, les auteurs antiques ont sans
cesse attribué aux épisodes constitutifs de la vie de Néron des interprétations
nouvelles, en fonction des besoins de leur cause.
Il existait, en effet, diverses façons de présenter chaque événement et diverses
leçons à en tirer : les constituants de la légende de Néron, quoique morphologiquement stables, ont ainsi connu de multiples fluctuations sémantiques.
La hiérarchie des crimes néroniens a, notamment, beaucoup changé au fil du
temps : par exemple, là où les auteurs de langue grecque du début du IIIe siècle,
Dion Cassius, Philostrate, l’auteur du dialogue Néron ou le percement de l’Isthme,
mettaient l’accent sur l’image de l’empereur citharède, les auteurs chrétiens
privilégiaient et exacerbaient la thématique de la cruauté et de la bestialité.
Les actes relatés et la façon avec laquelle ils ont été relatés relèvent donc de
choix, dictés aux écrivains anciens par l’optique de leur milieu, le contexte de
production de leurs œuvres respectives ou encore les règles de composition
inhérentes au genre littéraire auquel se rattachait chacune d’elles. L’appartenance
de Tacite à l’ordre sénatorial explique par exemple l’insistance particulière de
l’historien sur le motif de la toute-puissance des affranchis ; le partage de la
foi chrétienne par Eusèbe de Césarée amène l’auteur de l’Histoire ecclésiastique
à privilégier, dans son portrait de Néron, l’image de la bête fauve ; l’actualité
des conflits entre les Romains et les Perses pousse Aurelius Victor et Eutrope à
mettre en relief la question parthe ; l’insertion de la figure de Néron dans une
tragédie conduit l’auteur de l’Octavie à effacer de son portrait de l’empereur les
éléments susceptibles de le faire basculer dans le ridicule.
Le mythe Néron a donc évolué selon deux principes, à première vue, contradictoires : la mutation et la permanence. Il est cependant possible de résoudre
cette apparente contradiction et de définir un dénominateur commun : le
passage de Néron au statut de type. L’homogénéisation de la figure de Néron
et sa réduction autour de certains motifs privilégiés s’accompagnèrent en
effet d’un phénomène de schématisation progressive et d’un effacement des
détails (perceptible notamment dans la disparition des noms des victimes de
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
269
l’empereur), ce qui transforma insensiblement le dernier Julio-claudien en un
type atemporel et anhistorique, déconnecté de sa réalité primitive. Or c’est
précisément parce que Néron était perçu moins comme un individu précis et
daté que comme une incarnation impersonnelle de la tyrannie que la réécriture
de sa vie tolérait l’ajout de crimes nouveaux qui, pour être historiquement
faux, n’en étaient pas moins vraisemblables : au-delà de la diversité des choix
opérés par les auteurs, de la variété des points de vue à partir desquels ils observèrent la figure de Néron et de l’hétérogénéité de leurs projets, l’assimilation du
dernier Julio-claudien à un pessimus princeps fit en tout cas, partout et en tout
temps, l’unanimité au sein des milieux sénatorial et chrétien, dont les optiques
respectives sont, pour ce qui nous concerne, celles qui se sont imposées dans la
culture occidentale.
Les inflexions données par les auteurs antiques à la légende de Néron
visent ainsi, invariablement et quelle que soit la configuration adoptée, à faire
apparaître celui-ci tel un parfait tyran-type. Au cours de leur travail de mise en
récit des faits que présentait leur documentation, les écrivains anciens ont ajusté
les matériaux à leur disposition afin de composer un portrait cohérent où le
caractère tyrannique du principat néronien serait immédiatement et clairement
perceptible : ils ont, en quelque sorte, mis en place des balises et élaboré une
signalétique complexe destinées à manifester l’adéquation de Néron au type du
tyran et du monstre.
Pour ce faire, les auteurs antiques se sont, d’une part, employés à gommer
ou à altérer les raisons susceptibles de justifier les actes de Néron et ont fait de
ceux-ci l’illustration d’un certain nombre de vices topiques : les mesures louables
prises par l’empereur au lendemain de l’incendie de Rome sont devenues, chez
Suétone, des marques de cupidité ; la tournée artistique du prince, laquelle
répondait à une nouvelle conception du pouvoir fondée sur des valeurs de paix,
apparaît dans les textes antiques comme une aberration et le signe de la folie d’un
princeps se moquant de ses devoirs et du sort de l’Empire ; nombre de meurtres
ordonnés par Néron pour des raisons d’État ont été réduits à des crimes gratuits
et à de simples manifestations de cruauté.
Afin de signaler le tyran en Néron, les auteurs antiques ont, d’autre part,
exploité diverses traditions : l’attribution à l’empereur, par Suétone, d’un
danseur comme pédagogue est un héritage de l’invective politique cicéronienne ; les critiques adressées à l’encontre de la splendeur excessive et de
l’ampleur démesurée de la domus aurea s’inscrivent dans la lignée des condamnations traditionnelles du luxe oriental ; le thème de la mise à mort des élites et
le motif corollaire de la promotion de la canaille et des sbires impériaux, tout
en reflétant une réalité politique, constituent aussi une reprise de la tradition
philosophique grecque relative au tyran. De manière générale, les accusations
formulées à l’encontre de Néron ont, chaque fois, des précédents rhétoricolittéraires qui en révèlent le caractère topique.
Les auteurs antiques ont ainsi exprimé la monstruosité de Néron à partir
de schémas préexistants. La description tacitéenne de l’incendie de Rome en
270
Laurie Lefebvre
64 de notre ère emprunte le même canevas que les récits relatant l’incendie du
Capitole par les Vitelliens ou celui qui ravagea l’Vrbs en 54 av. J.-C. ; le récit de
la mort de Sénèque par Tacite fait intervenir le modèle fourni par la description
platonicienne de la mort de Socrate ; la mise en récit de la conjuration de Pison
en 65 ap. J.-C. mobilise les mêmes expressions et les mêmes images que le
meurtre de César ou la conspiration formée contre Caligula ; la représentation
des débauches néroniennes a été modelée sur le paradigme offert par le scandale
des Bacchanales.
Les auteurs anciens, surtout, firent de Néron l’héritier de toutes les figures
tyranniques qui peuplaient l’imaginaire antique et la négation même des valeurs
romaines traditionnelles : la geste du dernier Julio-claudien a été façonnée de
manière à faire surgir le spectre de l’impiété de Xerxès, l’image de la cruauté de
Cambyse ou de Sylla, l’ombre du despotisme de Tarquin le Superbe, le souvenir
de la cupidité de Verrès, de la dépravation d’Antoine ou de la folie de Caligula.
Les portraits du dernier Julio-claudien réunissent, de ce fait, tous les
registres du monstrueux1. Le Néron de la littérature antique est, tout d’abord,
un monstrum au sens où l’entendait la religion romaine traditionnelle, c’est-àdire un être à caractère extranaturel et une souillure pour la communauté : à
de nombreuses reprises les textes relatifs à Néron font intervenir les notions
religieuses de colère divine, d’impiété et de piacula. Le dernier Julio-claudien
est, ensuite, l’émule des monstres fantastiques de la mythologie : il est, dans
l’Octavie du Pseudo-Sénèque, un second Typhon, et un nouveau Cyclope dans
la Vie d’Apollonios de Tyane. Ses portraits correspondent aussi à la notion philosophique de monstruosité morale : la geste de Néron donne à voir, en effet,
un processus de dénaturation ayant éloigné progressivement le prince de son
humanité pour le réduire à l’état de bête et de barbare. La mise en récit de la
naissance, de l’évolution et de la mort du monstre Néron entraîna, en outre, des
monstruosités littéraires, telles que l’incursion de la fabula ou de la comédie au
sein de l’historia. Néron apparaît, enfin, comme un monstre au sens moderne du
terme : le portrait physique de l’empereur par Suétone nous met en effet sous les
yeux un être difforme au corps hideux, maculé de taches et puant, aux jambes
grêles et au ventre proéminent.
L’accumulation, sur la figure de Néron, de divers lieux communs et de
multiples balises appuyant l’assimilation de son règne à une tyrannie faisait du
prince citharède et matricide un paradigme du Tyran et du Monstre, c’est-à-dire
un modèle présentant toutes les variations possibles du type. À ce titre, celui
qui avait été présenté comme le disciple et l’émule des despotes qui l’avaient
précédé devint le maître des tyrans futurs : c’est par le recours au nom de Néron
que les auteurs antiques signifieront la monstruosité de Vitellius, de Domitien
(qualifié, selon le mot fameux de Juvénal, de « Néron chauve »), de Lucius Verus
ou encore d’Élagabal. Plus qu’un paradigme, Néron est même devenu un nom
commun, synonyme de tyrannus. La substantivation du nom « Néron », qui se
donne à voir dans l’emploi de pluriels de type « Nerones » et dont la première
1.– Sur les différentes acceptions du latin monstrum, voir Cuny-Le Callet 2005, p. 33-39.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
271
attestation remonte au De Pallio de Tertullien, se développera pleinement dans
l’Histoire Auguste, où le dernier Julio-claudien constitue le symbole privilégié du
vice et de la barbarie.
À cette perception « lectoriale », pour ainsi dire, de la figure de Néron,
c’est-à-dire conforme à l’ordre naturel et logique dans lequel se donnent à lire
les événements et faisant de Néron l’émule de ses prédécesseurs tyranniques
et le modèle des tyrans qui lui furent postérieurs, se superpose cependant une
autre lecture possible, selon laquelle le dernier Julio-claudien apparaît, par un
mouvement inverse, comme l’héritier des pessimi principes qui lui ont succédé.
Les auteurs antiques ont, en effet, sans cesse chargé la légende de Néron de
motifs propres aux tyrans qui vécurent après lui et de significations nouvelles
que leur suggéraient les événements dont ils avaient été les témoins : la cruauté
du dernier Julio-claudien donne à voir, chez Tacite, la sauvagerie de Domitien ;
ses débauches font, chez Dion Cassius, écho à celles de Commode et d’Élagabal ;
ses échecs face aux Parthes contrastent avec les succès qu’Eutrope souhaite à
Valens dans sa campagne contre les Perses. Les figures postérieures à l’époque
de Néron, mais antérieures ou contemporaines à l’élaboration des portraits de
ce dernier, servent ainsi, elles aussi, d’« intertextes » aux passages relatifs au
dernier Julio-claudien.
L’enrichissement de la figure de Néron au contact de l’histoire s’est perpétué
au fil des siècles2. Dans le roman Néropolis d’H. Monteilhet, paru en 1984,
Sénèque, face à l’annonce du supplice prochain des Chrétiens, se met à penser
ainsi : « ce règne était vraiment celui des pires nouveautés. Au sortir de la plus
monstrueuse partouze de mémoire d’homme, on allait aussi, pour la première
fois, exterminer froidement une foule d’individus, tenus pour criminels inassimilables en vertu de critères douteux. Il ne s’agissait plus de passer au fil de l’épée,
dans la chaleur de l’action, les habitants d’une ville prise d’assaut, ni d’égorger
des proscrits dans la haineuse excitation d’une guerre civile. Néron et Tigellin
venaient d’inventer le génocide pour raison d’État, et après y avoir mûrement
réfléchi ». Quelques pages plus loin, le romancier poursuit : « si l’on avait dit
à Paul que, mille neuf cents ans plus tard, Néron reviendrait avec des moyens,
une détermination accrus, et à l’échelle de la planète, où Jésus aurait été annoncé
partout, il aurait répondu que cette apostasie générale présageait probablement
la fin du monde. Si on lui avait dit encore que de nouveaux Nérons incendiaires
joueraient avec les atomes d’Épicure, il eût considéré l’Apocalypse comme
imminente3 ». Sous la plume du romancier, Néron et ses crimes sont devenus, à
la fin du XXe siècle, une préfiguration d’Hitler, des horreurs de la Shoah et du
traumatisme d’Hiroshima.
C’est que Néron est resté, de l’Antiquité à nos jours, une figure porteuse de
symboles, choisie de façon privilégiée dès qu’il s’agit de désigner un personnage
tyrannique ou fou furieux. Dans Jane Eyre de C. Brontë, paru en 1847,
2.– Voir notamment les actes du colloque Neronia V (Croisille 1999), ainsi que ceux du
colloque Figures du tyran antique au Moyen Âge et à la Renaissance (Bjaï, Menegaldo
2009). Voir aussi Gwyn 1991, p. 421-455 ; Perrin 1992, p. 237-263.
3.– Monteilhet 1984, p. 717 et 737.
272
Laurie Lefebvre
l’héroïne s’écrie, face à son cousin John Reed qui ne cesse de la malmener, qu’il
est un empereur romain, un Néron, un Caligula4. Dans le roman de F. Vargas,
Ceux qui vont mourir te saluent, publié en 1994, un des héros, David Larmier,
est surnommé Néron à cause de ses mauvais instincts5. La même année paraissait
L’Île du jour d’avant d’U. Eco, où l’on voit le père Caspar, décrivant comment
sera Dieu pour les hommes condamnés à l’Enfer, déclarer qu’Il deviendra pour
eux un nouveau Néron6.
Qui ne connaît et ne condamne, siècle après siècle, les crimes de Néron : le
mot de Claudien, écrit en 398 ap. J.-C., s’applique toujours aujourd’hui.
4.– Brontë 1967 [éd. originale 1847], p. 22.
5.– Vargas 1994, p. 20.
6.– Eco 1998 [éd. originale 1994], p. 448.
Annexe 1 : Crimes et travers imputés
à Néron à travers les siècles
Les tableaux ci-après listent les références des extraits antiques faisant figurer le
dernier Julio-claudien, classées à la fois par crime ou type de vice évoqué et selon
un critère chronologique. Ces tableaux permettent de rendre compte des motifs
qui ont été privilégiés au fil des siècles, de ceux qui ont disparu, de ceux qui
ont été ajoutés tardivement. Les références suivies d’un point d’interrogation
correspondent à des évocations allusives dont l’interprétation n’est pas sûre.
La geste de Néron est cependant trop riche pour que nous puissions faire
apparaître ici l’ensemble des événements que les auteurs antiques situaient sous
son règne : une présentation en tout point détaillée et exhaustive aurait nui en
effet à la lisibilité des tableaux. Nous avons donc fait les choix suivants.
D’une part, nous n’avons pas catalogué l’intégralité des accusations
formulées par Tacite, Suétone et Dion Cassius : de manière générale, sauf exceptions nécessitées par les besoins de l’étude, nous n’avons mentionné, parmi les
crimes et travers évoqués par ces trois auteurs, que ceux qui apparaissent aussi
ailleurs. D’autre part, nous n’avons pas fait figurer les actions éventuellement
louées ou présentées de façon neutre.
Le découpage chronologique correspond aux périodes selon lesquelles a été
organisé le premier chapitre de l’étude. La distinction entre les crimes relevant
de la feritas de Néron et ceux relevant de sa uanitas correspond à la bipolarité de
la figure de Néron telle qu’elle a été définie dans le deuxième chapitre.
273
274
Laurie Lefebvre
Marques de feritas
Tableau 1a : parricides (présentés par ordre chronologique)
Époque
flavienne
Domitia
Lepida
Maior
Britanni‑ Ps. Sen., Oct.
cus
45-46 ; 112-113 ;
178 ; 242 ; Jos.,
A. J. XX 153
Fratricide Jos., B. J. II 250
(sans le
nom de la
victime)
Agrippine Ps. Sen., Oct.
45 ; 95-96 ;
126-129 ;
165-166 ; 243 ;
310-376 ;
598-609 ;
954-957 ; Plin.,
N. H. XXII 92 ;
Jos., A. J. XX 153
Matricide Jos., B. J. II 250 ;
(sans le Mart., IV 63 ;
nom de la Stat., S. II 7,
victime) 118-119
Octavie
Poppée
Meurtre
de
l’épouse
(sans le
nom de la
victime)
Début de
Milieu IIe s. –
l’époque
milieu IIIe s.
antonine
Suet., Ner. 34, 9 DC., LXI 1-2
Tac., An. XIII
15-17 ; Suet.,
Ner. 33, 3-7
IVe s. –
début du Ve s.
Hier., Chron., p. 182f
(nom de la tante non
précisé)
DC., LXI 7, 4
Eus., Hist. eccl. II 25,
2 ; Eutr., VII 14, 3 ;
Oros., Hist. VII 7, 9
Juv., VIII
217-218
Tac., An. XIV
3-9 ; Suet., Ner.
34 ; Plut., Ant.
87, 9
DC., LXI 12-14 Aur. -Vict., 5, 12 ;
Hier., Chron., p. 182f
Tac., An. XV 67,
2 ; Plut., Galb.
14, 3 ; Juv., VIII
215-216
Paus., IX 27,
4 ? ; DC., LXIII
22, 3 ; Ps. Luc.,
Ner. 10 ; Philstr.,
V. Ap. IV 38, 3 ;
V 10, 2 ; V. soph.
I 481
Eus., Hist. eccl. II 25,
2 ; Eutr., VII 14, 3 ;
Aus., Caes., Mon. 35 ;
Ps. Aur.-Vict., Epit. 5,
5 ; Sulp. Sev., Chron.
II 28, 1 ; Prud., Sym. II
669 ; Oros., Hist. VII
7, 9 ; Rutil., II 57-60
Hier, Chron., p. 184h
Ps. Sen., Oct. ;
Tac., An. XIV
DC., LXII 13,
Jos., A. J. XX 153 64, 1-2 ; Suet.,
1-2
Ner. 35, 4 ; Plut.,
Galb. 19, 9
Ps. Sen., Oct.
Tac., An. XVI
DC., LXII 27, 4
728-733 ?
6, 1 ; Suet., Ner.
35, 5
Jos., B. J. II 250 Tac., An. XV 67,
Eus., Hist. eccl. II 25,
2 ; Plut., Galb.
2 ; Eutr., VII 14, 3 ;
14, 3 ; Juv., VIII
Oros., Hist. VII 7, 9
218-219
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Époque
flavienne
Claudia
Antonia
Tous les
parents et
proches
Début de
l’époque
antonine
Suet., Ner. 35, 6
Milieu IIe s. –
milieu IIIe s.
275
IVe s. –
début du Ve s.
Eus., Hist. eccl. II 25,
2 ; Oros., Hist. VII
7, 9
Tableau 1b : condamnation à mort ou bannissement des rivaux potentiels et des
opposants politiques (par ordre chronologique)
M. Iunius
Silanus
Burrus
Plautus et
Sylla
Répression
de la conju‑
ration de
Pison
Plautius
Lateranus
Sénèque
Lucain
Rufrius
Crispinus
ou son fils
Caesonius
Maximus
Cassius
Longinus
Proches et
alliés de
Plautus
Thrasea
Paetus
Époque
flavienne
Plin., N. H.
VII 58
Ps. Sen., Oct.
438-438bis
Jos., A. J. XX
153
Début de l’époque
Milieu IIe s. –
antonine
milieu IIIe s.
Contra : Tac., An.
XIII 1, 1
Tac., An. XIV 51, 1-2 ; DC., LXII 13, 3
Suet., Ner. 35, 12 ;
Tac., An. XIV 57-59
Tac., An. XV 56-71 ;
Suet., Ner. 36, 2-4
DC., LXII 25 ;
27, 3
Tac., An. XV 60, 1 ;
Juv., X 15-18
Tac., An. XV 60-64 ; DC., LXII 25
Suet., Ner. 35, 11 ; Juv.,
X 15-18
Tac., An. XV 70, 1
Mart., VII 21,
3-4 ; Stat., S. II
7, 100-104
Ps. Sen., Oct. Tac., An. XV 71, 4 ;
728-733 ?
Suet., Ner. 35, 9
Mart., VII
44 ; 45
Tac., An. XV 71, 5
Tac., An. XVI 7, 2 ;
DC., LXII 27, 1
Suet., Ner. 37, 2 ; Juv.,
X 15-18
Tac., An. XVI 10, 1 ;
23, 1 ; 30, 1 ; Plut.,
M. 96b
Tac., An. XVI 34-35 ; DC., LXII 26
Suet., Ner. 37, 2 ;
Plut., M. 810a
IVe s. –
début du Ve s.
Aur.-Vict., 5, 14 ;
Hier, Chron.,
p. 183f
Hier, Chron.,
p. 184e
Hier, Chron.,
p. 183f
276
Laurie Lefebvre
Époque
flavienne
Corbulon
Crassus
Frugi
Romains
illustres
et rivaux
potentiels
(sans autre
précision)
Début de l’époque
antonine
Tac., H. II 76
Milieu IIe s. –
milieu IIIe s.
DC., LXIII 17,
5-6
IVe s. –
début du Ve s.
Amm., XV 2, 5
Tac., H. IV 7 ; Suet.,
Galb. 10, 1 ; Plut.,
Galb. 3, 5 ; 5, 2 ; Plin.,
Ep. V 3, 6 ; 5, 3
DC., LXIII 22,
3 ; Philstr., V. Ap.
IV 36, 2 ; V 33,
5 ; VI 32, 2 ; VII
14, 4
Suet., Ner. 43, 1
DC., LXIII
27, 2
Aur.- Vict., 5,
13 ; Eutr., VII
14, 1 ; Hier,
Chron., p. 184h ;
Ps. Aur.-Vict.,
Epit. 5, 5 ; Oros.,
Hist. VII 7, 9
Aur.-Vict., 5, 14 ;
Oros., Hist. VII
7, 13 ?
Plut., Galb. 23, 2
Ps. Sen., Oct.
89 ; Plin.,
N. H. XVIII
35 ; XXX 15 ;
Jos., B. J. II
250 ; Turnus,
Schol. Juv. I 71
Ordre
sénatorial
tout entier
(projet)
Ordre
équestre
tout entier
(projet)
Philosophes
Oros., Hist. VII
7, 9
DC., LXII 27,
Hier, Chron.,
4 ; Ps. Luc.,
p. 184h
Ner. 4 ; Philstr.,
V. Ap. IV 35-36 ;
42, 2 ; 47 ; V
19, 2
Tableau 1c : persécution des Chrétiens et martyre de Pierre et de Paul
Époque
flavienne
Début de
l’époque
antonine
Tac., An.
XV 44, 2-5 ;
Suet., Ner.
16, 3
Milieu IIe s. –
milieu IIIe s.
Tert., Apol. V
3 ; XXI 25 ;
Nat. I 7, 8 ;
Scorp. XV 3 ;
Commod.,
Apol. 827-828
IVe s. – début du Ve s.
Lact., Mort. 2, 6 ; Eus., Hist. eccl. II 22, 8 ;
25, 1-5 ; III 1, 3 ; Hil., C. Const. 4 ; 7 ; 8 ;
11 ; Chrys., Oppug. monas. vit. I 3-4 ; Hom.
Matth. XXXIII ; Contr. Jud. Gent. 15 ;
Hom. 2 ep. Tim. III 1 ; Hom. 2 ep. Tim. IV
4 ; Hom. 2 ep. Tim. X 2 ; Hom. Act. Apost.
XLVI, 3 ; Hier., Chron., p. 185c ; Vir. ill. 1,
1 ; 5, 8 ; Ps. Sen., Ep. Paul. 11 ; Sulp. Sev.,
Chron. II 29, 1-2 ; Ep. II 9 ; Prud., Perist.
II 469-472 ; XII 11-12 ; 23-24 ; Sym. II
669-671 ; Oros., Hist. VII 7, 10 ; Aug.,
Serm. 296, 6 ; Civ. XVIII 339 ; Petil. II 202
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
277
Tableau 1d : incendie de Rome1
Époque
flavienne
Incendie de
64 ap. J.‑C.
Début de
Milieu IIe s.
l’époque anto‑
– milieu
nine
IIIe s.
Ps. Sen., Oct. Tac., An. XV
DC., LXII
831-833 ? ;
38-45 ; 67, 2 ;
16-18
Plin., N. H. Suet., Ner. 38
XVII 5 ; Stat.,
S. II 7, 60-61
Suet., Ner. 43, 1
Incendie
projeté par
Néron au
moment de sa
chute
DC., LXIII
27, 2
IVe s. – début du Ve s.
Eutr., VII 14, 3 ; Hier,
Chron., p. 183g ;
Sulp. Sev., Chron. II 29,
1 ; Ps. Sen., Ep. Paul.
11 ; Oros., Hist. VII
7, 4-6 ; 39, 16 ; Aug.,
Serm. 296, 6
Aur.-Vict., 5, 14 ; Oros.,
Hist. VII 7, 13 ?
Marques de uanitas
Tableau 2a : activités artistiques et sportives
Époque
flavienne
Citharédie Plin., N. H. XIX
et récitations 108 ; XXX 14 ;
tragiques XXXIV 166 ;
XXXVII 19 ;
Jos., B. J. II 251
Conduite
de char
Pantomime
Gladiature
Plin., N. H.
XXXIII 90
Début de l’époque
antonine
Tac., An. XIV 14,
1 ; 15, 4 ; XV 33-34 ;
65 ; 67, 2 ; XVI 4 ;
H. II 71 ; Suet.,
Ner. 20-21 ; 22, 5-9 ;
23-25 ; Vit. 4 ; Vesp.
4, 8 ; Plin., Pan. 2,
6 ; 46, 4 ; D. Chr.,
III 134-135 ; XXXII
60 ; LXXI 9 ; Plut.,
M. 56e ; Galb., 3 ;
Juv., VIII, 198-199 ;
220-230
Tac., An. XIV 14,
1-2 ; XV 67, 2 ;
Suet., Ner. 22, 1-4
Suet., Ner. 54, 1
Suet., Ner. 53, 3
Milieu IIe s. –
milieu IIIe s.
DC., LXI
20-21 ; LXII 6,
4 ; 29, 1 ; LXIII
1, 1 ; 6, 3 ; 8-10 ;
14 ; 20-21 ; 22,
4-5 ; Ps. Luc.,
Ner. 2 ; 6-7 ; 9 ;
Philstr., V. Ap.
IV 36, 2 ; 42, 1 ;
44, 1 ; V 7-10 ;
28, 1 ; VII 12, 3
IVe s. – début
du Ve s.
Aur.- Vict., 5,
5 ; Eutr., VII 14,
2 ; Jul., Caes.
310c-d ; Hier,
Chron., p. 182h ;
183e ; 184d ;
184f ; Claud.,
Eutr. II 61-62 ;
Oros., Hist. VII
7, 1
DC., LXII 15,
1 ; LXIII 1, 1 ;
6, 3 ; 8, 2 ; 9, 2 ;
Philstr., V. Ap.
IV 36, 2
DC., LXIII 18, 1
Philstr., V. Ap.
IV 36, 2
Hier, Chron.,
p. 184d ; Oros.,
Hist. VII 7, 1
Eutr., VII 14, 2
1.– Chez les auteurs tardifs, l’incendie de 64 est cependant moins une marque de feritas que de
démesure.
278
Laurie Lefebvre
Tableau 2b : vie voluptueuse et débauche
Époque
flavienne
Débauches
diverses
Jos., B. J. VI
337
Excès de table
Virées noc‑ Plin., N. H.
turnes,
XIII 126
bagarres,
fréquentation
des cabarets
Inceste avec
Agrippine
Inceste avec
une sœur
Mariage avec Mart., XI 6,
Pythagoras ou 10 (la relation
avec Sporus de Néron avec
Pythagoras
n’est cependant ici pas
condamnée)
Viol d’une
Vestale
Revêtu d’une
peau de bête,
Néron se jette
sur les parties
génitales de
gens attachés à
des poteaux
Début de
l’époque anto‑
nine
Tac., An. XV
37, 2-3 ; H. I 22 ;
73 ; Suet., Ner.
27, 3 ; Oth. 2, 3 ;
Juv., X 306-309
Suet., Ner. 27,
2 et 4 ; Juv., IV
136-139
Tac., An. XIII
25, 1 ; 74, 2 ;
Suet., Ner. 26
Milieu IIe s.
IVe s. –
– milieu
début du Ve s.
e
III s.
Paus., IX 27, HA., Hel. 33, 1 ; Alex.
4 ; DC., LXI 9, 4 ; Chrys., Oppug.
4, 3-4 ; LXII monas. vit. I 3
15, 2-6
Tert., Pall.
V7
HA., Hel. 18, 4
DC., LXI
8, 1 ; 9, 2-4 ;
LXII 14, 2
HA., Ver. 4, 6
Tac., An. XIV
2 ; Suet., Ner.
28, 5-6
Paus., IX 27,
4 ? ; DC.,
LXI 11, 3-4 ;
LXIII 22, 3
Aur.- Vict., 5, 8 ;
Ps. Aur.-Vict., Epit.
5, 5 ; Oros., Hist. VII
7, 2
Oros., Hist. VII 7, 2
Tac., An. XV
37, 4 ; Suet.,
Ner. 28, 3-4 ; 29,
1 (avec erreur
sur le nom
de l’époux) ;
D. Chr., XXI
6-7
DC., LXII
28, 2-3 ;
LXIII 13,
1-2 ; 22, 4
Aur. -Vict., 5, 5 ;
Ps. Aur.-Vict., Epit. 5,
5 ; Sulp. Sev., Chron.
II 28, 1 ; Oros., Hist.
VII 7, 2
Évocation de la
castration de Sporus,
sans mention du
mariage : Aur.- Vict.,
5, 16 ; Ps. Aur.-Vict.,
Epit. 5, 7
Aur.- Vict., 5, 11
Suet., Ner. 28, 1
Suet., Ner. 29, 1
DC., LXIII
13, 2
Aur.- Vict., 5, 7 ;
Ps. Aur.-Vict., Epit.
5, 5
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
279
Tableau 2c : prodigalité et cupidité
Époque flavienne
Début de
Milieu IIe s. –
l’époque
milieu IIIe s.
antonine
Prodigalités Plin., N. H. XII
Tac., H. I 20 ; An. DC., LXI 5,
diverses 83 ; XIII 22 ; XIX XVI 3, 1 ; Suet.,
3-4 ; 18, 1-2
24; XXXIII 54 ; Ner. 30, 1-7 ;
90 ; XXXIV 46 ; D. Chr., XXI 9 ;
63 ; XXXV 51 ;
Plut., M. 60d ;
XXXVII 17 ; 20 ; Galb. 16, 1
45 ; 50 ; 64 ; 118
Parties de
Suet., Ner. 30, 7
pêche avec
un filet doré
Bains
d’huiles
parfumées
Voyage
avec mille
voitures
Domus
aurea
Suet., Ner. 30, 8
Ps. Sen., Oct.
624-625 ; Plin.,
N. H. XXXIII
54 ; XXXIV 84 ;
XXXV 120 ;
XXXVI 111 ;
XXXVI 163 ;
Mart., Spect. II
Exactions
diverses
Pillage
Plin., N. H.
d’œuvres XXXIV 48 ; 82 ;
d’art,
84 ; XXXV 120
notamment
celles des
temples
Tac., An. XV
42, 1 ; Suet., Ner.
31, 1-3 ; D. Chr.,
XLVII 14-15
Tac., An. XV 45,
1 ; Suet., Ner. 32 ;
38, 7 ; 39, 4 ; Juv.,
XII 128-130
Tac., An. XV
45, 1-2 ; XVI
23, 1, ; Agr. 6, 6 ;
Suet., Ner. 32, 7 ;
D. Chr., XXXI
148 et 150 ; Plut.,
M. 815d
DC., LXI 5,
4-5 ; 17, 1-2 ;
LXII 14, 3 ; 18,
5 ; LXIII 11 ; 17,
1 ; Philstr., V. Ap.
V 7, 3
Paus., V 25, 8 ;
26, 3 ; IX 27,
3-4 ; X 7, 1 ; 19,
2 ; DC., LXIII
11, 3 ; Philstr.,
V. Ap. V 7, 3
a. Il est là question non de mille mais de cinq cents voitures.
IVe s. –
début du Ve s.
Eutr., VII 14, 1 ;
Hier., Chron.,
p. 182g ; Oros.,
Hist. VII 7, 3
Eutr., VII 14, 1 ;
Hier., Chron.,
p. 182g ; Oros.,
Hist. VII 7, 3
HA., Hel. 31, 5a ;
Oros., Hist. VII
7, 3
Oros., Hist. VII
12, 4
Chrys., Prof.
evang. 4 ;
Hier., Chron.,
p. 184g ; 185b ;
Oros., Hist. VII
7, 7-8
280
Laurie Lefebvre
Crimes et événements divers
Tableau 3a : suppression de la libertas et gouvernement arbitraire
Époque
Début de l’époque
flavienne
antonine
Toute‑
Jos., B. J. IV 492 Tac., An. XIV 7, 5 ;
puissance des
13, 1 ; 39, 1-2, ; 51,
scélérats et des
2-3, ; 52, 1, ; XV 34,
affranchis
2, ; 50, 3 ; 72 ; H. I
5 ; Suet., Oth. 2, 3 ;
Vit. 4 ; Plut., Galb.
9 ; 17, 2-4 ; 19, 4 ;
29, 5
Néron s’arroge
Suet., Ner. 43, 2 ;
le consulat en
Plin., Pan. 57, 2
68
Transfert
du siège de
l’Empire
Libération de Plin., N. H. XX Suet., Ner. 57, 1
l’Empire à la 160 ; Mart., VII
mort de Néron 63, 9-12
Milieu IIe s. – IVe s. – début
milieu IIIe s.
du Ve s.
DC., LXI 11,
2 ; LXII 13, 3 ;
LXIII 12, 1-3 ;
Philstr., V. Ap.
IV 42, 2 ; 44
Aur.- Vict.,
5, 14
Ps. Aur.-Vict.,
Epit. 5, 9
Tableau 3b : événements funestes
Époque
flavienne
Prodiges
Désastres
militaires
Début de
l’époque
antonine
Ps. Sen., Oct. Tac., An. XIII 58 ;
231-237 ; Plin., XIV 12, 2 ; XV
N. H. II 92
47, 1 ; XVI 13, 1 ;
Suet., Ner. 6, 2
Tac., An. XIV
31-33 ; XV 15, 2 ;
Suet., Ner. 39, 1
Séismes
Peste
Dégénéres‑ Plin., N. H.
cence végétale XVI 236 ;
XVII 5
Milieu IIe s. –
milieu IIIe s.
IVe s. –
début du Ve s.
DC., LX 33, 2 ; Aur.- Vict., 5,
LXI 16, 4-5 ; 18, 17 ; Hier, Chron.,
2 ; LXIII 26, 5
p. 183a
DC., LXII 1 ; 21 Eutr., VII 14, 4 ;
Ruf., Brev. 20, 1 ;
Oros., Hist. VII 7,
11-12 ; 27, 4
Tac., An. XIV
Hier, Chron.,
27, 1
p. 183h ; Oros.,
Hist. VII 7, 12
Tac., An. XVI 13,
Oros., Hist. VII 7,
1-2 ; Suet., Ner.
11 ; 27, 4
39, 1
281
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Tableau 3c : impiété
Époque flavienne
Impiétés
diverses
Ps. Sen., Oct. 89 ;
225 ; 237 ; 240-241 ;
363 ; 449 ; 619 ;
Plin., N. H. IV 10
Voir tableau 2c
Début de
l’époque
antonine
Tac., An. XIV
22, 4 ; Suet.,
Ner. 56
Pillage des
temples
Pratique de la Plin., N. H. XXX
magie
14-17
Persécution
Néron se prend
pour un dieu
Milieu IIe s. –
IVe s. –
e
milieu III s. début du Ve s.
DC., LXIII
14, 2
Voir tableau 1c
Chrys., Hom.
2 ep. Tim. IV 3
Tableau 3d : mort
Époque
flavienne
Fuite
et suicide
Variante :
Néron
assassiné
Survie de
Néron et
retour de
celui‑ci à la
fin des temps
Ps. Sen., Oct.
619-620 ;
629-631 ;
728-733 ? ; Jos.,
B. J. IV 493
Début de
l’époque
antonine
Tac., H. III
68 ; Suet., Ner.
47-49 ; Plut.,
Galb. 14, 4
Ascension d’Isaïe
4, 2-3 ; Or. sib.
4, 119-124 ;
137-139 ;
5, 137-154 ;
214-227 ;
363-364
Milieu IIe s. –
milieu IIIe s.
IVe s. –
début du Ve s.
DC., LXIII
27-29
Aur.- Vict., 5,
16 ; Eutr., VII 15,
1 ; Aus., Caes.,
Mon. 35 ; Hier.,
Chron., p. 185h ;
Ps. Aur.-Vict.,
Epit. 5, 7 ; Oros.,
Hist. VII 7, 13
HA., Avid. 8, 4 ;
Hel. 34, 1
Victorin.-Poet.,
Comm. in
Apoc. 13, 2-3 ;
Commod., Apol.
823-935 ; Instr.
1, 41 ; Or. sib. 8,
70-71 ; 139-159
Sulp. Sev., Chron.
II 28, 1 ; 29, 3 ;
Dial. II 14 ;
Ps. Sen., Ep. Paul.
11
Croyance réfutée :
Lact., Mort. 2,
8-9 ; Aug., Civ.
XX 450
Annexe 2 : Les récits tardifs de la fin de Néron :
tableaux comparatifs
Deux tableaux sont ici présentés :
− le premier contient, en traduction, les récits consacrés par les auteurs tardifs
à la fin de Néron, en l’occurrence les textes d’Aurelius Victor, d’Eutrope,
de Jérôme, du Pseudo-Aurelius Victor et d’Orose. Sulpice Sévère, s’il
mentionne bien la fin de Néron, n’en fait pas le récit détaillé : il ne la cite en
effet que pour évoquer le motif du retour de l’empereur à la fin des temps ;
− le deuxième établit la correspondance entre les divers éléments contenus
dans ces récits et la Vie de Néron de Suétone, qui constitue, directement ou
indirectement, la source de ces textes.
283
284
Aur.‑Vict., 5,
16‑17
Mais abandonné, à
l’approche
de Galba, de
toutes parts
à l’exception
d’un eunuque
qu’il avait
autrefois, en
le mutilant,
essayé de
transformer
en femme, il
se donna luimême le coup
fatal, étant
donné que,
bien qu’ayant
longtemps
réclamé un
assassin, il
n’avait même
pour mourir
obtenu l’aide
de personne.
Celui-ci fut
le dernier de
la race des
Césars.
Laurie Lefebvre
Eutr., VII 15, 1
Haï pour cela du
monde romain,
il fut abandonné
de tous à la fois
et déclaré ennemi public par le
Sénat ; comme
on le cherchait
pour lui infliger
le châtiment qui
consistait en ce
que, traîné nu en
public, la tête enserrée dans une
fourche, il soit
battu de verges
jusqu’à la mort
et précipité ainsi
du haut de la
Roche, il s’enfuit
du palais et, dans
la propriété de
banlieue d’un
de ses affranchis
située entre les
voies Salaria et
Nomentana, à
quatre milles
de la Ville, il se
donna la mort.
[…] Il mourut
dans sa trentedeuxième année,
la quatorzième
de son règne, et
avec lui s’éteignit
toute la famille
d’Auguste.
(trad. J. Hellegouarc’h,
légèrement
modifiée)
Hier., Chron.,
p. 185h
Néron, comme
le Sénat le
cherchait pour
lui infliger le
châtiment,
fuyant le palais
à quatre milles
de la Ville dans
la propriété de
banlieue d’un
de ses affranchis entre les
voies Salaria et
Nomentana, se
donna la mort
dans sa trentedeuxième
année, et avec
lui s’éteignit
toute la famille
d’Auguste.
Ps. Aur.‑Vict.,
Epit. 5, 7‑8
À la nouvelle de
l’arrivée de Galba
et de la décision du
Sénat ordonnant,
selon l’usage des
Anciens, de lui
passer le cou dans
une fourche et de
le battre de verges
jusqu’à la mort,
Néron, abandonné
de toutes parts,
sortit de Rome au
milieu de la nuit,
suivi de Phaon,
Épaphrodite,
Néophyte et de
l’eunuque Sporus,
qu’il avait autrefois, en le mutilant,
essayé de transformer en femme ; il
se perça lui-même
d’un coup d’épée,
l’infâme eunuque
dont nous avons
parlé soutenant sa
main tremblante ;
n’ayant d’abord
trouvé personne
pour le frapper, il
s’écriait : « N’aije donc ni ami ni
ennemi ? J’ai vécu
dans l’infamie,
je mourrai plus
honteusement
encore. » Il périt
dans sa trente-deuxième année.
(trad. M. Festy)
Oros., Hist.
VII 7, 13
Cependant,
après que Néron apprit que
Galba avait
été proclamé
empereur
par l’armée
en Espagne,
il s’effondra
complètement, perdant
courage et
espoir. Et, alors
qu’il méditait
des méfaits
incroyables
pour bouleverser, que dis-je !
anéantir, la
république,
il fut déclaré
ennemi public
par le Sénat
et, fuyant de la
manière la plus
ignominieuse,
il se tua luimême à quatre
milles de
Rome et, avec
lui, s’éteignit
toute la famille
des Césars.
(trad. M.P. ArnaudLindet)
285
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Correspondance des motifs chez Suétone
Suétone, Ner.
42, 1 : Néron apprend la
défection de Galba
42, 1 : Néron s’effondre
43, 1 : Néron méditait des
projets abominables
47, 4-5 : Néron est
abandonné de tous
47, 5 : Néron ne trouve
personne pour le tuer
47, 5 : Néron s’exclame
« je n’ai ni ami ni
ennemi »
48, 1 : Néron décide de
fuir dans une retraite
écartée
48, 1 : Néron est
accompagné de quatre
personnes, dont Phaon et
Sporus
28, 3 : Néron avait essayé
de transformer Sporus en
femme
48, 1 : Néron fuit à quatre
milles de Rome
48, 1 : la retraite se trouve
entre les voies Salaria et
Nomentana
49, 2 : le Sénat déclare
Néron ennemi public
49, 2 : Néron est recherché pour être puni selon
la coutume des anciens
49, 2 : le châtiment
consiste à dévêtir le
condamné, à lui passer le
cou dans une fourche et à
le battre de verges jusqu’à
la mort
Aur.‑Vict.
X
Eutrope
Jérôme Ps. Aur.‑Vict. Orose
X
X
X
X
X
a
X
X
X
X
X
X
X
Variante :
seul Sporus
est présent
X
X
Variante :
ajout du
nom des
deux autres
compagnons
X
X
X
X
X
X
X
X
X
Variante : ajout
d’une précision inédite
(condamné jeté
du haut de la
Roche)
X
X
X
X
286
Laurie Lefebvre
Suétone, Ner.
49, 3 : Néron, se reprochant sa lâcheté, déclare
« uiuo deformiter, turpiter », « je vis ignoblement, honteusement »
Aur.‑Vict.
Eutrope
49, 5 : Néron se tue
lui-même
49, 5 : il se tue par le fer
49, 5 : il est aidé
d’Épaphrodite
X
X
Jérôme Ps. Aur.‑Vict. Orose
Variante :
Néron déclare
« Dedecorose
uixi, turpius
peream »
(trad.
ci-dessus)
X
X
X
X
X
X
Variante :
c’est Sporus
qui aide
Néron
X
X
X
57, 1 : âge de Néron au
moment de sa mort
Suet., Galb. 1, 1 :
extinction de la famille
d’Auguste
X
X
X
a. Aurelius Victor mentionne ces projets, mais les déplace : il les situe non pas après la nouvelle
de l’insurrection des armées, mais après la répression de la conjuration de Pison (Aur.-Vict.,
5, 14).
Annexe 3 : Arbre généalogique de Néron
L’arbre ci-après présente l’ascendance de Néron. Seuls apparaissent les personnages intéressant l’analyse de la légende du dernier Julio-claudien. Nous n’avons,
notamment, pas fait figurer l’ensemble des enfants d’Agrippa et de Julie ni
l’ensemble des enfants de Germanicus et d’Agrippine l’Aînée.
Les noms en caractères gras correspondent à des personnages dont certaines
traditions imputaient la mort à Néron.
287
Annexe 4 : Textes antiques
Ne sont présentés ici que les extraits ayant, au sein de l’étude, fait l’objet d’une
traduction sans que le texte original pût être cité ; ils sont classés par ordre alphabétique d’auteur.
Aug., Civ. V 229 :
Sed huius uitii summitatem et quasi arcem quandam Nero Caesar primus obtinuit
cuius fuit tanta luxuries, ut nihil ab eo putaretur uirile metuendum ; tanta crudelitas,
ut nihil molle habere crederetur, si nesciretur.
Aug., Civ. XVIII 339 :
Cur ergo eis a Nerone uidetur ordiendum, cum ad Neronis tempora inter atrocissimas
persecutiones, de quibus nimis longum est cuncta dicere, ecclesia crescendo peruenerit ?
Aug., Civ. XX 450 :
[…] nonnulli ipsum resurrecturum et futurum Antichristum suspicantur ; alii uero
nec occisum putant, sed subtractum potius, ut putaretur occisum, et uiuum occultari in
uigore ipsius aetatis, in qua fuit, cum crederetur extinctus, donec suo tempore reueletur et
restituatur in regnum. Sed multum mihi mira est haec opinantium tanta praesumptio.
Aug., Petil. II 202 :
Vt relinquam Neronem, qui primus persecutus est christianos, Domitianum similiter
Neronis maximam partem, Traianum Getam Decium Valerianum Diocletianum,
perit etiam Maximianus.
Aug., Serm. 296, 6 :
Sicut habet historia eorum, sicut habent litterae ipsorum, incendium Romanae urbis,
quod modo contigit, tertium est. Quae modo semel arsit inter sacrificia christianorum,
iam bis arserat inter sacrificia paganorum. Semel a Gallis sic incensa est, ut solus collis
Capitolinus remaneret ; secundo a Nerone, nescio utrum dicam saeuiente an fluente,
secundo igne Roma flagrauit. Iussit Nero imperator ipsius Romae, seruus idolorum,
interfector apostolorum, iussit, et incensa est Roma. Quare, putatis, qua causa ? Homo
289
290
Laurie Lefebvre
elatus, superbus et fluidus delectatus est Romano incendio. Videre uolo, dixit, quomodo
arsit Troia.
Aur.‑Vict., 4, 15 :
Custodes aegrum simulant, atque ab eo mandatam interim priuigno, quem paulo ante
in liberos asciuerat, curam rei publicae.
Aur.‑Vict., 5, 2 :
Quinquennium tamen tantus fuit, augenda urbe maxime, uti merito Traianus saepe
testaretur procul differre cunctos principes Neronis quinquennio ; quo etiam Pontum in
ius provinciae, Polemonis permissu, redegit, cuius gratia Polemoniacus Pontus appellatur, itemque Cottias Alpes, Cottio rege mortuo.
Aur.‑Vict., 5, 3 :
Quare satis compertum est neque aeuum impedimento uirtuti esse ; eam facile mutari,
corrupto per licentiam ingenio, omissamque adolescentiae quasi legem perniciosius
repeti.
Aur.‑Vict., 5, 4 :
Eo dedecore reliquum uitae egit, uti pigeat pudeatque memorare huiuscemodi
quempiam, nedum rectorem gentium, fuisse.
Aur.‑Vict., 5, 8‑11 :
Atque inter haec matrem etiam contaminauisse plures habent, dum ea quoque,
ardore dominandi, scelere quolibet subici filium cupit. Id ego, quanquam scriptoribus
diuersa firmantibus, uerum puto. Namque ubi mentem inuaserint uitia, nequaquam
uerecundiae externis societate humana ius datur ; peccandi consuetudo, noua et eo
dulciora affectans, ad extremum in suos agit. Quod his proditum magis, dum, quasi
quodam progressu, illa per alteros ad patrui nuptias atque alienorum cruciatibus
mariti exitium, hic paulatim ad sacerdotem Vestae, deinde se, postremo uterque in sui
scelus processerint.
Aur.‑Vict., 5, 14 :
Vrbem incendio, plebem feris uulgo missis, senatum pari morte tollere decreuerat, noua
sede regno quaesita, maximeque incitante legato Parthorum, qui forte inter epulas,
aulicis, uti mos est, canentibus, cum sibi citharistam poposcisset, responso dato liberum
esse, adiecerat sumeret ipse quem uellet e suis, ostentans, qui conuiuio aderant, quod
liber sub imperio nullus haberetur.
Aur.‑Vict., 5, 16‑17 :
Verum eius aduentu desertus undique nisi ab spadone, quem quondam exsectum
formare in mulierem tentauerat, semet ictu transegit, cum implorans percussorem diu,
ne ad mortem quidem meruisset cuiusquam officium. Hic finis Caesarum genti fuit
[…].
Aus., Caes., Mon. 35 :
Matricida Nero proprii uim pertulit ensis.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
291
Aus., Caes., Tetr. 25‑28 :
Aeneadum generis qui sextus et ultimus heres,
polluit et clausit Iulia sacra Nero.
Nomina quot pietas, tot habet quoque crimina uitae.
Disce ex Tranquillo : set meminisse piget.
Chrys., Oppug. monas. vit. I 3‑4 :
Τί οὖν ἀπὸ τούτου γέγονε βλάβος τῷ παθόντι κακῶς ; Τί δὲ ὄφελος τῷ δράσαντι κακῶς ;
Τί μὲν οὐκ ὄφελος τῷ τότε ἀναιρεθέντι Παύλῳ ; Τί δὲ οὐ βλάβος τῷ ἀνελόντι Νέρωνι ;
Οὺχ ὁ μὲν ὥσπερ ἄγγελος πανταχοῦ τῆς οἰκουμένης ᾄδεται (τὰ γὰρ παρόντα τέως ἐρῶ) ·
ὁ δὲ, ὥσπερ ὄντως λυμεὼν καὶ δαίμων ἄγριος πρὸς πάντας διαβέβληται ;
Chrys., Hom. 2 ep. Thess. IV 1 :
Εἰ γὰρ πρὸ τοῦ χρόνου ἐκείνου ἀνευρέθη, φησὶν, ὃς οὐ πολὺ τοῦ ἀντιχρίστου ἐλείπετο
κατὰ τὴν κακίαν, τί θαυμαστὸν, εἰ ἤδη ἔσται.
Claud., IV Cons. Hon. 311‑315 :
Annales ueterum delicta loquuntur :
haerebunt maculae. Quis non per saecula damnat
Caesareae portenta domus ? Quem dira Neronis
funera, quem rupes Caprearum taetra latebit
incesto possessa seni ?
Claud., Eutr. II 58‑63 :
[…] Exquirite retro
crimina continui lectis annalibus aeui,
prisca recensitis euoluite saecula fastis :
quid senis infandi Capreae, quid scaena Neronis
tale ferunt ? Spado Romuleo succinctus amictu
sedit in Augustis laribus.
Commod., Apol. 827‑830 :
Dicimus hunc autem Neronem esse uetustum,
Qui Petrum et Paulum prius puniuit in urbem.
Ipse redit iterum sub ipso saeculi fine
Ex locis apocryphis, qui fuit reseruatus in ista.
Commod., Apol. 871‑873 :
Participes autem duo<s> sibi Caesares addit,
cum quibus hunc populum persequatur diro furore.
Mittunt et edicta per iudices omnes ubique.
Commod., Apol. 880 :
Sed cruor ubique manat, quem describere uincor.
Commod., Apol. 883‑884 :
Per mare, per terras, per insulas atque latebras
scrutaturque diu. […]
292
Laurie Lefebvre
DC., LX 33, 2, d’après Xiphilin1 :
Ὁπότε δὲ ὀ Κλαύδιος τὸν Νέρωνα τὸν υἱὸν αὐτῆς ἐσεποιήσατό τε καἰ γαμβρὸν ἐποιήσατο,
τὴν θυγατέρα ἐς ἕτερόν τι γένος ἐκποιήσας ἵνα μὴ ἀδελφοὺς συνοικίζειν δοκῇ, τέρας οὐ
μικρὸν ἐγένετο · καίεσθαι γὰρ ὁ οὐρανὸς τὴν ἡμἐραν ἐκείνην ἔδοξεν.
DC., LX 33, 2, d’après Zonaras :
Tὸν υἱὸν αὐτῆς εἰσποιησάμενος μετωνόμασε Τιβέριον Κλαύδιον Νέρωνα Δροῦσον
Γερμανικὸν Καίσαρα, μηδὲν φροντίσας ὅτι καίεσθαι ὁ οὐρανὸς τὴν ἡμἐραν ἐκείνην
ἔδοξε. Καἰ μετὰ τοῦτο τὴν θυγατέρα τὴν Ὀκταβίαν εἰς ἕτερόν τι γένος εἰσαγαγών, ἵνα μὴ
ἀδελφοὺς συνοικίζειν δοκῇ, ἐνηγγύησεν αὐτῷ.
DC., LXI 5, 1 :
Τέλος ἀπηρυθρίασε, καὶ πάντα τὰ παραγγέλματα αὐτῶν συγχέας καὶ καταπατήσας
πρὸς τὸν Γάιον ἔτεινεν. Ὡς δ’ ἅπαξ ζηλῶσαι αὐτὸν ἐπεθύμησε, καὶ ὑπερεβάλετο, νομίζων
τῆς αὐτοκρατορικῆς καὶ τοῦτ’ ἰσχύος ἔργον εἶναι, τὸ μηδὲ ἐν τοῖς κακίστοις μηδενὸς
ὑστερίζειν.
DC., LXI 5, 2 :
Tὸ μὲν πρῶτον οἴκοι καὶ παρὰ τοῖς συνοῦσίν οἱ ἐχειρούργησεν αὐτά, ἔπειτα καὶ
ἐδημοσίευσεν, ὥστε πολλὴν μὲν αἰσχύνην παντὶ τῷ Ῥωμαίων γένει προσθεῖναι, πολλὰ δὲ
καὶ δεινὰ αὐτοὺς ἐργάσασθαι.
DC., LXΙ 8, 1 et 9, 2 :
Καὶ πολλὰ μὲν οἴκοι πολλὰ δὲ καὶ ἐν τῇ πόλει, νύκτωρ καὶ μεθ’ ἡμέραν, ἐπικρυπτόμενός
πῃ ἠσέλγαινεν, καὶ ἔς τε καπηλεῖα ἐσῄει [...]. Κρύφα δὲ νύκτωρ ἐκώμαζε κατὰ πᾶσαν
τὴν πόλιν, ὑβρίζων ἐς τὰς γυναῖκας καὶ ἀσελγαίνων ἐς τὰ μειράκια, ἀποδύων τε τοὺς
ἀπαντῶντας, παίων τιτρώσκων φονεύων. Καὶ ἐδόκει μέν πως λανθάνειν (καὶ γὰρ ἐσθῆσι
ποικίλαις καὶ κόμαις περιθέτοις ἄλλοτε ἄλλαις ἐχρῆτο), ἠλέγχετο δὲ ἔκ τε τῆς ἀκολουθίας
καὶ ἐκ τῶν ἔργων.
DC., LXI 11, 4 :
Ἀλλ´ ἐκεῖνο μὲν εἴτ´ ἀληθῶς ἐγένετο εἴτε πρὸς τὸν τρόπον αὐτῶν ἐπλάσθη οὐκ οἶδα.
DC., LXI 17, 4‑5 :
[…] εἶδον οἱ τότε ἄνθρωποι τὰ γένη τὰ μεγάλα, τοὺς Φουρίους τοὺς Ὀρατίους τοὺς
Φαβίους τοὺς Πορκίους τοὺς Οὐαλερίους, τἆλλα πάντα ὧν τὰ τρόπαια ὧν οἱ ναοὶ
ἑωρῶντο, κάτω τε ἑστηκότας καὶ τοιαῦτα δρῶντας ὧν ἔνια οὐδ´ ὑπ´ ἄλλων γινόμενα
ἐθεώρουν. Καὶ ἐδακτυλοδείκτουν γε αὐτοὺς ἀλλήλοις, καὶ ἐπέλεγον Μακεδόνες μέν
« οὗτός ἐστιν ὁ τοῦ Παύλου ἔκγονος », Ἕλληνες δὲ « οὗτος τοῦ Μομμίου », Σικελιῶται
« ἴδετε τὸν Κλαύδιον », Ἠπειρῶται « ἴδετε τὸν Ἄππιον », Ἀσιανοὶ τὸν Λούκιον, Ἴβηρες
τὸν Πούπλιον, Καρχηδόνιοι Ἀφρικανόν, Ῥωμαῖοι δὲ πάντας.
DC., LXI 20, 2 :
[...] ἐκιθαρῴδησέ τε Ἄττιν τινὰ ἢ Βάκχας ὁ Αὔγουστος, πολλῶν μὲν στρατιωτῶν
παρεστηκότων, παντὸς δὲ τοῦ δήμου, ὅσον αἱ ἕδραι ἐχώρησαν, καθημένου, καίτοι καὶ
βραχὺ καὶ μέλαν, ὥς γε παραδέδοται, φώνημα ἔχων, ὥστε καὶ γέλωτα ἅμα καὶ δάκρυα
πᾶσι κινῆσαι.
1.– Le texte de l’Histoire romaine de Dion Cassius utilisé dans cette étude est celui de l’édition
d’E. Cary.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
293
DC., LXII 6, 3‑5 :
Ὄνομα μὲν γὰρ ἀνδρὸς ἔχει, ἔργῳ δὲ γυνή ἐστι· σημεῖον δέ, ᾄδει καὶ κιθαρίζει καὶ
καλλωπίζεται. […] Μὴ γάρ τοι μήτ´ ἐμοῦ μήθ´ ὑμῶν ἔτι βασιλεύσειεν ἡ Νερωνὶς ἡ
Δομιτία, ἀλλ´ ἐκείνη μὲν Ῥωμαίων ᾄδουσα δεσποζέτω (καὶ γὰρ ἄξιοι τοιαύτῃ γυναικὶ
δουλεύειν, ἧς τοσοῦτον ἤδη χρόνον ἀνέχονται τυραννούσης), ἡμῶν δὲ σὺ ὦ δέσποινα ἀεὶ
μόνη προστατοίης.
DC., LXII 16, 1‑2 :
Μετὰ δὲ ταῦτα ἐπεθύμησεν ὅπερ που ἀεὶ ηὔχετο, τήν τε πόλιν ὅλην καὶ τὴν βασιλείαν
ζῶν ἀναλῶσαι· τὸν γοῦν Πρίαμον καὶ αὐτὸς θαυμαστῶς ἐμακάριζεν ὅτι καὶ τὴν πατρίδα
ἅμα καὶ τὴν ἀρχὴν ἀπολομένας εἶδεν.
DC., LXII 16, 7 :
Καὶ συχνοὶ μὲν ἀπεπνίγοντο, συχνοὶ δὲ συνετρίβοντο, ὥστε σφίσι μηδὲν ὅ τι τῶν
δυναμένων ἀνθρώποις ἐν τῷ τοιούτῳ πάθει κακῶν συμβῆναι μὴ συνενεχθῆναι. Οὐδὲ γὰρ
οὐδ’ ἀποφυγεῖν που ῥᾳδίως ἐδύναντο · κἂν ἐκ τοῦ παρόντος τις περιεσώθη, ἐς ἕτερον
ἐμπεσὼν ἐφθείρετο.
DC., LXII 17, 3 :
[…] πάντας δὲ τοὺς λοιποὺς ἑστῶτάς που ἐν ἀσφαλεῖ τινι ὁρᾶν ὥσπερ νήσους τινὰς καὶ
πόλεις ἅμα πολλὰς φλεγομένας, καὶ ἐπὶ μὲν τοῖς σφετέροις μηδὲν ἔτι λυπεῖσθαι, τὸ δὲ
δημόσιον ὀδυρομένους ἀναμιμνήσκεσθαι ὅτι καὶ πρότερόν ποτε οὕτως ὑπὸ τῶν Γαλατῶν
τὸ πλεῖον τῆς πόλεως διεφθάρη.
DC., LXII 18, 1 :
Πάντων δὲ δὴ τῶν ἄλλων οὕτω διακειμένων, καὶ πολλῶν καὶ ἐς αὐτὸ τὸ πῦρ ὑπὸ τοῦ
πάθους ἐμπηδώντων, ὁ Νέρων ἔς τε τὸ ἄκρον τοῦ παλατίου, ὅθεν μάλιστα σύνοπτα τὰ
πολλὰ τῶν καιομένων ἦν, ἀνῆλθε, καὶ τὴν σκευὴν τὴν κιθαρῳδικὴν λαβὼν ᾖσεν ἅλωσιν,
ὡς μὲν αὐτὸς ἔλεγεν, Ἰλίου, ὡς δὲ ἑωρᾶτο, Ῥώμης.
DC., LXII 18, 3 :
Aὐτοὺς ἡ μνήμη τοῦ λογίου τοῦ κατὰ τὸν Τιβέριόν ποτε ᾀσθέντος ἐθορύβει. Ἦν δὲ τοῦτο
« τρὶς δὲ τριηκοσίων περιτελλομένων ἐνιαυτῶν Ῥωμαίους ἔμφυλος ὀλεῖ στάσις ».
DC., LXII 18, 4‑5 :
Καὶ ἔσχεν οὕτως, εἴτε καὶ ὡς ἀληθῶς θεομαντείᾳ τινὶ προλεχθέν, εἴτε καὶ τότε ὑπὸ
τοῦ ὁμίλου πρὸς τὰ παρόντα θειασθέν · τελευταῖος γὰρ τῶν Ἰουλίων τῶν ἀπὸ Αἰνείου
γενομένων ἐμονάρχησε.
DC., LXII 27, 1 :
Καὶ τί ἄν τις θαυμάσειεν εἰ τοιαῦτα … ἐπήχθη, ὁπότε τις, ὅτι πρὸς τῇ ἀγορᾷ ᾤκει καὶ
ἐργαστήρια ἐξεμίσθου ἢ καὶ φίλους τινὰς εἰς αὐτὰ ὑπεδέχετο, καὶ ἄλλος, ὅτι τοῦ Κασσίου
τοῦ τὸν Καίσαρα ἀποκτείναντος εἰκόνα εἶχε, καὶ ἐκρίθησαν καὶ ἐφονεύθησαν.
DC., LXII 27, 4 :
Καὶ ἡ Σαβῖνα ὑπὸ τοῦ Νέρωνος τότε ἀπέθανε · κυούσῃ γὰρ αὐτῇ λάξ, εἴτε ἑκὼν εἴτε καὶ
ἄκων, ἐνέθορεν.
294
Laurie Lefebvre
DC., LXIII 1, 1‑2 :
Ἐπὶ δὲ Γαίου Τελεσίνου καὶ ἐπὶ Σουητωνίου Παυλίνου ὑπάτων εὐδοξότατόν τε ἅμα
ἔργον καὶ ἕτερον αἴσχιστον ἐγένετο. Ὅ τε γὰρ Νέρων ἐν τοῖς κιθαρῳδοῖς ἠγωνίσατο,
καὶ νικητήρια αὐτῷ Μενεκράτους τοῦ τῆς κιθαρῳδίας διδασκάλου ἐν τῷ ἱπποδρόμῳ
ποιήσαντος ἡνιόχησε · καὶ ὁ Τιριδάτης ἐς τὴν Ῥώμην, οὐχ ὅτι τοὺς ἑαυτοῦ παῖδας ἀλλὰ
καὶ τοὺς τοῦ Οὐολογαίσου τοῦ τε Πακόρου καὶ τοῦ Μονοβάζου ἄγων, ἀνήχθη, καὶ
ἐγένετο αὐτῶν πομπὴ διὰ πάσης τῆς ἀπὸ τοῦ Εὐφράτου γῆς ὥσπερ ἐν ἐπινικίοις.
DC., LXIII 8, 2‑4 :
Ἐς δὲ δὴ τὴν Ἑλλάδα ἐπεραιώθη, οὔτι γε ὡς Φλαμινῖνος οὐδ’ ὡς Μόμμιος ἢ καὶ Ἀγρίππας
καὶ Αὔγουστος οἱ πρόγονοι αὐτοῦ, ἀλλ’ ἐπί τε ἡνιοχήσει καὶ κιθαρῳδήσει κηρύξει τε καὶ
τραγῳδίας ὑποκρίσει. […] Τοσοῦτόν γε πλῆθος οὐχ ὅτι τῶν Αὐγουστείων ἀλλὰ καὶ τῶν
ἄλλων ἀνθρώπων ἐπηγάγετο ὅσον, εἴπερ ἐμπολέμιον ἦν, καὶ Πάρθους ἂν καὶ τὰ ἄλλα
ἔθνη ἐχειρώσατο. Ἀλλ´ ἦσαν οἷοι Νερώνειοι ἂν στρατιῶται γένοιντο, καὶ ὅπλα κιθάρας
τε καὶ πλῆκτρα προσωπεῖά τε καὶ ἐμβάτας ἔφερον. Καὶ ἐνίκησε νίκας οἵας στρατοπέδῳ
τοιούτῳ ἔπρεπε, καὶ κατέλυσε Τέρπνον καὶ Διόδωρον καὶ Παμμένην ὡς Φίλιππον ἢ
Περσέα ἢ Ἀντίοχον.
DC., LXIII 9, 1‑3 :
Καίτοι πῶς ἂν τις καὶ ἀκοῦσαι, μὴ ὅτι ἰδεῖν, ὑπομείνειεν ἄνδρα Ῥωμαῖον βουλευτὴν
εὐπατρίδην ἀρχιερέα Καίσαρα αὐτοκράτορα Αὔγουστον ἔς τε τὸ λεύκωμα ἐν τοῖς
ἀγωνισταῖς ἐγγραφόμενον καὶ τὴν φωνὴν ἀσκοῦντα [...], καὶ ταῦτα μέντοι πάντα
ποιοῦντα ἵνα τὸν τῶν κιθαρῳδῶν καὶ τῶν τραγῳδῶν καὶ τῶν κηρύκων ἀγῶνα νικήσας
ἡττηθῇ τὸν τῶν Καισάρων ; [...] Τίς δὲ νίκη ἀτοπωτέρα, ἐν ᾗ τὸν κότινον, ἢ τὴν δάφνην
ἢ τὸ σέλινον ἢ τὴν πίτυν λαβὼν ἀπώλεσε τὸν πολιτικόν ;
DC., LXIII 9, 4 :
[...] ἐπὶ τοὺς ἐμβάτας ἀναβαίνων κατέπιπτεν ἀπὸ τοῦ κράτους, καὶ τὸ προσωπεῖον
ὑποδύνων ἀπέβαλλε τὸ τῆς ἡγεμονίας ἀξίωμα, ἐδεῖτο ὡς δραπέτης, ἐποδηγεῖτο ὡς τυφλός,
ἐκύει ἔτικτεν ἐμαίνετο ἠλᾶτο, τόν τε Οἰδίποδα καὶ τὸν Θυέστην τόν τε Ἡρακλέα καὶ τὸν
Ἀλκμέωνα τόν τε Ὀρέστην ὡς πλήθει ὑποκρινόμενος.
DC., LXIII 16, 1‑2 :
Ἤρξατο τοῦ ἔργου καίπερ τῶν ἀνθρώπων ὀκνούντων· αἷμα τε γὰρ τοῖς πρώτοις
ἁψαμένοις τῆς γῆς ἀνέβλυσεν, καὶ οἰμωγαὶ μυκηθμοί τέ τινες ἐξηκούοντο, καὶ εἴδωλα
πολλὰ ἐφαντάζετο. Λαβὼν δὲ αὐτὸς δίκελλαν καί τι καὶ ἀνασκάψας ἔπεισε καὶ τοὺς
ἄλλους ἀνάγκῃ αὐτὸν μιμήσασθαι.
DC., LXIII 19, 4‑6 :
Ἐς τὸ Καπιτώλιον ἀνέβη […], πάντων δὲ τῶν ἀνθρώπων, καὶ αὐτῶν τῶν βουλευτῶν
ὅτι μάλιστα, συμβοώντων « Ὀλυμπιονῖκα οὐᾶ, Πυθιονῖκα οὐᾶ […] ». Τί γὰρ δεῖ
περιπλέκειν καὶ οὐκ αὐτὰ τὰ λεχθέντα δηλοῦν ; οὐδὲ γὰρ οὐδ´ αἰσχύνην τινὰ τῇ συγγραφῇ
τὰ ῥηθέντα, ἀλλὰ καὶ κόσμον τὸ μηδὲν αὐτῶν ἀποκρυφθῆναι φέρει ;
Cf. DC., LXXII 18, 2‑3 : […] καὶ ὁ δῆμος καὶ ἡμεῖς παραχρῆμα πάντες τοῦτο
δὴ τὸ ἐν τοῖς συμποσίοις εἰωθὸς λέγεσθαι ἐξεβοήσαμεν, « ζήσειας ». Καὶ μή μέ
τις κηλιδοῦν τὸν τῆς ἱστορίας ὄγκον, ὅτι καὶ τὰ τοιαῦτα συγγράφω, νομίσῃ. […]
Δίκαιον ἡγησάμην μηδὲν αὐτῶν ἀποκρύψασθαι.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
295
DC., LXIII 22, 4 :
Σφαγαὶ μὲν γὰρ καὶ ἁρπαγαὶ καὶ ὕβρεις καὶ ὑπ´ ἄλλων πολλαὶ πολλάκις ἐγένοντο · τὰ δὲ
δὴ λοιπὰ πῶς ἄν τις κατ´ ἀξίαν εἰπεῖν δυνηθείη ;
DC., LXIII 22, 5‑6 :
Εἶτα τις τὸν τοιοῦτον Καίσαρα καὶ αὐτοκράτορα καὶ Αὔγουστον ὀνομάσει ; Μηδαμῶς·
μηδεὶς ὑβριζέτω τὰ ἱερὰ ἐκεῖνα ὀνόματα. Ταῦτα μὲν γὰρ Αὔγουστος καὶ Κλαύδιος ἔσχον·
οὗτος δὲ δή, Θυέστης τε καὶ Οἰδίπους, Ἀλκμαίων τε καὶ Ὀρέστης δικαιότατ’ ἂν καλοῖτο.
DC., LXIII 26, 4 :
Νύκτωρ ποτὲ τοὺς πρώτους τῶν βουλευτῶν καὶ τῶν ἱππέων ἐξαπίνης σπουδῇ, ὡς καὶ περὶ
τῶν παρόντων τι κοινώσων σφίσι, μεταπέμψας « ἐξεύρηκα » ἔφη « πῶς ἡ ὕδραυλις »
(αὐτὸ γὰρ τὸ ῥηθὲν γραφήσεται) « καὶ μεῖζον καὶ ἐμμελέστερον φθέγξεται ».
DC., LXIII 27, 2 :
Ὑπὸ πάντων δὲ ὁμοίως ἐγκαταλειφθεὶς ἐβουλεύσατο μὲν τούς τε βουλευτὰς ἀποκτεῖναι
καὶ τὴν πόλιν καταπρῆσαι ἔς τε τὴν Ἀλεξάνδρειαν πλεῦσαι, ὑπειπὼν ὅτι « ἂν καὶ ἐκ τῆς
ἀρχῆς ἐκπέσωμεν, ἀλλὰ τό γε τέχνιον ἡμᾶς ἐκεῖ διαθρέψει » · ἐς τοῦτο γὰρ ἀνοίας ἐληλύθει
ὥστε καὶ πιστεῦσαι ὅτι ἄλλως τε ἰδιωτεῦσαι καὶ προσέτι καὶ κιθαρῳδεῖν δυνήσεται.
D. Chr., XXI 6 :
Ἐν δὲ τοῖς ἀνθρώποις καὶ ἡ ἐξουσία παράνομόν τί ἐστι. Νέρωνα γοῦν πάντες ἐπιστάμεθα
ἐφ´ ἡμῶν ὅτι οὐ μόνον ἐξέτεμε τὸν ἐρώμενον, ἀλλὰ καὶ τὸ ὄνομα αὐτοῦ μετωνόμασε
γυναικεῖον, τῆς αὑτοῦ ἐρωμένης καὶ γυναικός, ἧς ἐκεῖνος ἐπιθυμήσας ἔγημεν, ἀναφανδὸν
εἴρξας τὴν πρόσθεν, ἐφ´ ᾗ τὴν βασιλείαν εἰλήφει.
D. Chr., XXXI 148 :
Ὅπου καὶ Νέρων, τοσαύτην ἐπιθυμίαν καὶ σπουδὴν περὶ τοῦτο ἔχων, ὥστε μηδὲ τῶν ἐξ
Ὀλυμπίας ἀποσχέσθαι μηδὲ τῶν ἐκ Δελφῶν, καίτοι πάντων μάλιστα τιμήσας ταῦτα τὰ
ἱερά, ἔτι δὲ τοὺς πλείστους τῶν ἐκ τῆς ἀκροπόλεως Ἀθήνηθεν μετενεγκεῖν καὶ τῶν ἐκ
Περγάμου πολλούς, αὐτῷ προσήκοντος ἐκείνου τοῦ τεμένους · περὶ μὲν γὰρ τῶν παρ’
ἄλλοις τί δεῖ λέγειν ; Τοὺς παρὰ μόνοις ὑμῖν εἴασε, καὶ τοσαύτην ἐπεδείξατο εὔνοιαν καὶ
τιμὴν ἅμα πρὸς ὑμᾶς, ὥστε τὴν πόλιν ἅπασαν ἱερωτέραν κρῖναι τῶν πρώτων ἱερῶν ;
D. Chr., XXXII 60 :
Ἢ βούλεσθε, ἐπειδὴ τοῖς βασιλεῦσι τοὺς δήμους κἀγὼ παρέβαλον, Νέρωνι φαίνεσθαι τὴν
αὐτὴν ἔχοντες νόσον ; Ἀλλ´ οὐδ´ ἐκεῖνον ὤνησεν ἡ λίαν ἐμπειρία περὶ τοῦτο καὶ σπουδή.
Καὶ πόσῳ κρεῖττον μιμεῖσθαι τὸν νῦν ἄρχοντα παιδείᾳ καὶ λόγῳ προσέχοντα ;
D. Chr., XLVII 14‑15 :
Τί οὖν βούλεσθε ; Ἐγὼ γὰρ ὄμνυμι τοὺς θεοὺς ὑμῖν ἅπαντας, ἦ μὴν ἀντὶ τοῦ λυπεῖν ὑμᾶς
ἤ τινας ὑμῶν ἢ δοκεῖν βαρὺς οὐκ ἂν ἑλοίμην ἴδιά μοι γενέσθαι τὰ Δαρείου βασίλεια ἢ τὰ
Κροίσου ἢ τὴν οἰκίαν τὴν πατρῴαν τὴν ἐμὴν χρυσῆν τῷ ὄντι, ἀλλὰ μὴ ὥσπερ ὀνόματι
μόνον τὴν τοῦ Νέρωνος καλοῦσιν. Οὐδὲ γὰρ ὄφελος οὐδὲν οἰκίας χρυσῆς, οὐ μᾶλλον ἢ
χύτρας χρυσῆς ἢ τῆς πλατάνου τῆς ἐν Πέρσαις. Πόλεως δὲ ὄφελος εὐπρεποῦς γιγνομένης,
ἀέρα πλείονα λαμβανούσης, εὐρυχωρίαν, τοῦ μὲν θέρους σκίαν, τοῦ δὲ χειμῶνος ἥλιον
ὑπὸ στέγῃ, ἀντὶ φαύλων καὶ ταπεινῶν ἐρειπίων οἰκήματα ὑψηλὰ καὶ μεγάλης πόλεως
ἄξια.
296
Laurie Lefebvre
D. Chr., LXXI 9 :
Kαίτοι τῶν νῦν βασιλέων τις ἐπεθύμει σοφὸς εἶναι τὴν τοιαύτην σοφίαν, ὡς πλεῖστα
ἐπιστάμενος · οὐ μέντοι τὰ τοιαῦτα, ἃ μὴ θαυμάζεται παρὰ τοῖς ἀνθρώποις, ἀλλὰ ἐφ´ οἷς
στεφανωθῆναι ἔστι, κηρύττειν καὶ ᾄδειν πρὸς κιθάραν καὶ τραγῳδεῖν καὶ παλαίειν καὶ
παγκρατιάζειν. Φασὶ δὲ καὶ γράφειν καὶ πλάττειν ἱκανὸν αὐτὸν εἶναι · καὶ αὐλεῖν τῷ τε
στόματι καὶ ταῖς μασχάλαις ἀσκὸν ὑποβάλλοντα, ὅπως διαπεφευγὼς ᾖ τὸ αἰσχρὸν τὸ
τῆς Ἀθηνᾶς. Οὔκουν ὑπῆρχε σοφός ;
Eus., Hist. eccl. II 25, 1‑2 :
Κραταιουμένης δ´ ἤδη τῷ Νέρωνι τῆς ἀρχῆς, εἰς ἀνοσίους ὀκείλας ἐπιτηδεύσεις, κατ´
αὐτῆς ὡπλίζετο τῆς εἰς τὸν τῶν ὅλων θεὸν εὐσεβείας. Γράφειν μὲν οὖν οἷός τις οὗτος
γεγένηται τὴν μοχθηρίαν, οὐ τῆς παρούσης γένοιτ’ ἄν σχολῆς · πολλῶν γε μὴν τὰ κατ’
αὐτὸν ἀκριβεστάταις παραδεδωκότων διηγήσεσιν, πάρεστιν ὅτῳ φίλον, ἐξ αὐτῶν τὴν
σκαιότητα τῆς τἀνδρὸς ἐκτόcπου καταθεωρῆσαι μανίας, καθ’ ἣν οὺ μετὰ λογισμοῦ μυρίων
ὅσων ἀπωλείας διεξελθών, ἐπὶ τοσαύτην ἤλασε μιαιφονίαν, ὡς μηδὲ τῶν οἰκειοτάτων
τε καὶ φιλτάτων ἐπισχεῖν, μητέρα δὲ ὁμοίως καὶ ἀδελφοὺς καὶ γυναῖκα σὺν καὶ ἄλλοις
μυρίοις τῷ γένει προσήκουσιν τρόπον ἐχθρῶν καὶ πολεμίων ποικίλιαις θανάτων ἰδέαις
διαχρήσασθαι.
Eus., Hist. eccl. II 25, 4 :
Πρῶτον Νέρωνα τοῦτο τὸ δόγμα, ἡνίκα μάλιστα ἐν Ῥώμῃ, τὴν ἀνατολὴν πᾶσαν
ὑποτάξας, ὠμὸς ἦν εἰς πάντας, διώξαντα.
Eutr., VII 14, 1 :
Successit huic Nero, Caligulae auunculo suo simillimus, qui Romanum imperium
et deformauit et diminuit, inusitatae luxuriae sumptuumque, ut qui exemplo
C. Caligulae in calidis et frigidis lauaret unguentis.
Eutr., VII 14, 2 :
Ad postremum se tanto dedecore prostituit ut et saltaret et cantaret in scaena citharoedico habitu uel tragico.
Eutr., VII 14, 3 :
Vrbem Romam incendit, ut spectaculi eius imaginem cerneret quali olim Troia capta
arserat.
Eutr., VII 14, 5 :
Duae tamen sub eo prouinciae factae sunt, Pontus Polemoniacus, concedente rege
Polemone, et Alpes Cottiae, Cottio rege defuncto.
Eutr., VII 15, 1‑3 :
Per haec Romano orbi execrabilis ab omnibus simul destitutus est et a senatu hostis
iudicatus ; cum quaereretur ad poenam, quae poena erat talis ut nudus per publicum
ductus, furca capiti eius inserta, uirgis usque ad mortem caederetur atque ita praecipitaretur e saxo, e Palatio fugit et in suburbano liberti sui, quod est inter Salariam
et Nomentanam uiam ad quartum Vrbis miliarium, se interfecit. Aedificauit Romae
thermas, quae ante Neronianae dictae, nunc Alexandrianae appellantur. Obiit
tricesimo et altero aetatis anno, imperii quarto decimo, atque in eo omnis Augusti
familia consumpta est.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
297
Eutr., VII 18, 4 :
Hic cum Neroni similis esse uellet atque id adeo prae se ferret ut etiam exequias Neronis,
quae humiliter sepultae fuerant, honoraret, a Vespasiani ducibus occisus est.
HA., Alb. 13, 5 :
Si senatus p. R. suum illud uetus haberet imperium nec in unius potestate res tanta
consisteret, non ad Vitellios neque ad Nerones neque ad Domitianos publica fata
uenissent.
HA., Alex. 9, 4 (au sujet d’Élagabal) :
[…] in turpitudine atque luxurie Nerones, Vitellios, Commodos uinceret.
HA., Aur. 42, 6 :
At contra quae series malorum ! Vt enim omittamus Vitellios, Caligulas et Nerones,
quis ferat Maximinos et Filippos atque illam inconditae multitudinis faecem ?
HA., Avid. 8, 4‑5 (citant les paroles de Marc‑Aurèle) :
Enumerauit deinde omnes principes, qui occisi essent, habuisse causas, quibus
mererentur occidi nec quemquam facile bonum uel uictum a tyranno uel occisum, dicens
meruisse Neronem, debuisse Caligulam, Othonem et Vitellium nec imperare uoluisse.
Nam de Pertinace et Galba paria sentiebat, cum diceret in imperatore auaritiam esse
acerbissimum malum.
HA., Car. 1, 3 :
In eam desperationem uotum publicum redegit, ut timerent omnes Domitianos,
Vitellios et Nerones.
HA., Car. 3, 1‑2 :
Per Augustum deinde reparata, si reparata dici potest libertate deposita. Tamen
utcumque, etiamsi domi tristis fuit, apud exteras gentes effloruit ; passa deinceps tot
Nerones, per Vespasianum extulit caput.
HA., Hel. 1, 1 :
Vitam Heliogabali Antonini, qui Varius etiam dictus est, numquam in litteras
misissem, ne quis fuisse Romanorum principem sciret, nisi ante Caligulas et Nerones et
Vitellios hoc idem habuisset imperium.
HA., Hel. 18, 4 :
Ea prodenda censui, quae ad luxuriam pertinebant, quorum aliqua priuatus, aliqua
iam imperator fecisse perhibetur, cum ipse priuatus diceret se Apicium, imperatorem
uero Neronem, Othonem et Vitellium imitari.
HA., Hel. 31, 5 :
Imperator uero etiam sescenta uehicula dicitur duxisse, adserens […] Neronem
quingentis carrucis iter inisse.
HA., Hel. 33, 1 :
Libidinum genera quaedam inuenit, […] et omnis apparatus Tiberii et Caligulae et
Neronis norat.
298
Laurie Lefebvre
HA., Hel. 34, 1 :
Ita nemo in re p. tum fuit, qui istum a gubernaculis Romanae maiestatis abduceret,
cum Neroni, Vitellio, Caligulae ceterisque huius modi numquam tyrannicida defuerit.
HA., M. Aur. 28, 10 :
Fertur filium mori uoluisse […], ne, ut ipse dicebat, similis Neroni, Caligulae et
Domitiano esset.
HA., Tac. 6, 4 :
Enimuero si recolere uelitis uetusta illa prodigia, Nerones dico et Heliogabalos et
Commodos seu potius semper Incommodos, certe non hominum magis uitia illa quam
aetatum fuerunt.
HA., Ver. 4, 6 :
Fertur […] in tantum uitiorum Gaianorum et Neronianorum ac Vitellianorum fuisse
aemulum, ut uagaretur nocte per tabernas ac lupanaria obtecto capite cucullione
uulgari uiatorio et comisaretur cum triconibus, committeret rixas, dissimulans quis
esset, saepeque efflictum liuida facie redisse et in tabernis agnitum, cum sese absconderet.
Hier., Chron., p. 182h :
Nero tantae luxuriae fuit, ut frigidis et calidis lauaretur unguentis retibusque aureis
piscaretur, quae purpureis funibus extrahebat.
Hier., Chron., p. 183g :
Nero, ut similitudinem Troiae ardentis inspiceret, plurimam partem Romanae urbis
incendit.
Hier., Chron., p. 183h :
In Asia tres urbes terrae motu conciderunt, Laodicia Hierapolis Colossae.
Hier., Chron., p. 185h :
Nero cum a senatu quaereretur ad poenam, e Palatio fugiens ad quartum urbis
miliarium in suburbano liberti sui inter Salariam et Nomentanam uiam semet interficit anno aetatis XXXII atque in eo omnis Augusti familia consumpta est.
Hil., C. Const. 7 :
Proclamo tibi, Constanti, quod Neroni locuturus fuissem, quod ex me Decius et
Maximianus2 audirent : contra Deum pugnas, contra Ecclesiam saeuis, sanctos persequeris, praedicatores Christi odis, religionem tollis, tyrannus non iam humanorum sed
diuinorum.
Hil., C. Const. 8 :
Plus crudelitati uestrae, Nero, Deci, Maximiane, debemus. Diabolum enim per uos
uicimus.
2.– Le « Maximianus » désigne sans nul doute ici le César Maximien Galère, et non l’Auguste
Maximien Hercule. Galère passait en effet pour avoir été le véritable instigateur de la
« grande persécution » de 302-304 (Lact., Mort. 10, 6).
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
299
Jos., B. J. II 250‑251 :
Ὅσα μὲν οὖν Νέρων δι’ ὑπερβολὴν εὐδαιμονίας τε καὶ πλούτου παραφρονήσας
ἐξύβρισεν εἰς τὴν τύχην, ἢ τίνα τρόπον τόν τε ἀδελφὸν καὶ τὴν γυναῖκα καὶ τὴν μητέρα
διεξῆλθεν, ἀφ’ ὧν ἐπὶ τοὺς εὐγενεστάτους μετήνεγκεν τὴν ὠμότητα, καὶ ὡς τελευταῖον
ὑπὸ φρενοβλαβείας ἐξώκειλεν εἰς σκηνὴν καὶ θέατρον, ἐπειδὴ δι’ ὄχλου πᾶσίν ἐστιν,
παραλείψω, τρέψομαι δὲ ἐπὶ τὰ Ἰουδαίοις κατ’ αὐτὸν γενόμενα.
Jos., B. J. IV 496 :
Πάντα ταῦτα διεξιέναι μὲν ἐπ’ ἀκριβὲς παρῃτησάμην, ἐπειδὴ δι’ ὄχλου πᾶσίν ἐστιν καὶ
πολλοῖς Ἑλλήνων τε καὶ Ῥωμαίων ἀναγέγραπται.
Jos., A. J. XX 154 :
Ἀλλὰ περὶ μὲν τούτων ἐῶ πλείω γράφειν · πολλοὶ γὰρ τὴν περὶ Νέρωνα συντετάχασιν
ἱστορίαν.
Jul., Caes. 310c‑d :
Ἐπεισέρχεται λέγοντι τῷ Σειληνῷ Νέρων μετὰ τῆς κιθάρας καὶ τῆς δάφνης. Εἶτα
ἀποβλέψας ἐκεῖνος πρὸς τὸν Ἀπόλλωνα· « Οὗτος », εἶπεν, « ἐπὶ σὲ παρασκευάζεται
». Καὶ ὁ βασιλεὺς Ἀπόλλων · « Ἀλλ´ ἔγωγε αὐτόν », εἶπεν, « ἀποστεφανώσω
ταχέως, ὅτι με μὴ πάντα μιμεῖται μηδὲ ἐν οἷς με μιμεῖται γίγνεταί μου μιμητὴς δίκαιος ».
Ἀποστεφανωθέντα δὲ αὐτὸν ὁ Κωκυτὸς εὐθέως ἥρπασεν.
Juv., IV 136‑139 :
[…] Nouerat ille
luxuriam inperii ueterem noctesque Neronis
iam medias aliamque famem, cum pulmo Falerno
arderet. […]
Juv., VIII 213‑226 :
Cuius supplicio non debuit una parari
simia nec serpens unus nec culleus unus.
Par Agamemnonidae crimen, sed causa facit rem
dissimilem ; quippe ille deis auctoribus ultor
patris erat caesi media inter pocula, sed nec
Electrae iugulo se polluit aut Spartani
sanguine coniugii, nullis aconita propinquis
miscuit, in scaena numquam cantauit Orestes,
Troica non scripsit. Quid enim Verginius armis
debuit ulcisci magis aut cum Vindice Galba,
quod Nero tam saeua crudaque tyrannide fecit ?
Haec opera atque hae sunt generosi principis artes,
gaudentis foedo peregrina ad pulpita cantu
prostitui Graiaeque apium meruisse coronae.
Lact., Mort. 2, 6‑7 :
Primus omnium persecutus dei seruos Petrum cruci adfixit, Paulum interfecit. Nec
tamen habuit impune. Respexit enim deus vexationem populi sui. Deiectus itaque
fastigio imperii ac deuolutus a summo tyrannus impotens nusquam repente comparuit,
ut ne sepulturae quidem locus in terra tam malae bestiae appareret.
300
Laurie Lefebvre
Lact., Mort. 2, 8‑9 :
Illum quidam deliri credunt esse translatum ac uiuum reseruatum, Sibylla dicente :
matricidam profugum a finibus <terrae> esse uenturum, ut quia primus persecutus est,
idem etiam nouissimus persequatur et antichristi praecedat aduentum.
Mart., IV 63 :
Dum petit a Baulis mater Caerellia Baias,
occidit insani crimine mersa freti.
Gloria quanta perit uobis ! Haec monstra Neroni
nec iussae quondam praestiteratis, aquae.
Mart., VII 21, 3‑4 :
Heu ! Nero crudelis nullaque inuisior umbra,
debuit hoc saltem non licuisse tibi.
Mart., VII 45, 5‑11 :
Hunc tu per Siculas secutus undas,
o nullis, Ouidi, tacende linguis,
spreuisti domini furentis iras.
Miretur Pyladen suum uetustas,
haesit qui comes exuli parentis.
Quis discrimina comparet duorum ?
Haesisti comes exuli Neronis.
Mart., Spect. II :
Hic ubi sidereus propius uidet astra colossus
et crescunt media pegmata celsa uia,
inuidiosa feri radiabant atria regis
unaque iam tota stabat in urbe domus ;
hic ubi conspicui uenerabilis Amphitheatri
erigitur moles, stagna Neronis erant ;
hic ubi miramur uelocia munera thermas,
abstulerat miseris tecta superbus ager ;
Claudia diffusas ubi porticus explicat umbras,
Ultima pars aulae deficientis erat.
Reddita Roma sibi est et sunt te praeside, Caesar,
Deliciae populi, quae fuerant domini.
Oros., Hist. VII 2, 11 :
Nam septingentesimo conditionis suae anno quattuordecim uicos eius incertum unde
consurgens flamma consumpsit, nec umquam, ut ait Liuius, maiore incendio uastata
est ; adeo, ut post aliquot annos Caesar Augustus ad reparationem eorum, quae tunc
exusta erant, magnam uim pecuniae ex aerario publico largitus sit.
Oros., Hist. VII 7, 1 :
Gai Caligulae auunculi sui erga omnia uitia ac scelera sectator immo transgressor.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
301
Oros., Hist. VII 7, 2 :
Libidinibus porro tantis exagitatus est ut ne a matre quidem uel sorore ullaue consanguinitatis reuerentia abstinuisse referatur.
Oros., Hist. VII 7, 3 :
Luxuriae uero tam effrenatae fuit ut retibus aureis piscaretur quae purpureis funibus
extrahebantur ; frigidis et calidis lauaret unguentis. Qui etiam numquam minus mille
carrucis confecisse iter traditur.
Oros., Hist. VII 7, 4 :
Denique urbis Romae incendium uoluptati suae spectaculum fecit : per sex dies
septemque noctes ardens ciuitas regios pauit aspectus.
Oros., Hist. VII 7, 5 :
Horrea quadro structa lapide magnaeque illae ueterum insulae quas discurrens
adire flamma non poterat, magnis machinis quondam ad externa bella praeparatis
labefactae atque inflammatae sunt.
Oros., Hist. VII 7, 6 :
Quod ipse ex altissima illa Maecenatiana turre prospectans laetusque flammae, ut
aiebat, pulchritudine tragico habitu Iliadam decantabat.
Oros., Hist. VII 7, 7 :
Auaritiae autem tam praeruptae exstitit ut post hoc incendium Vrbis quam se Augustus
ex latericia marmoream reddidisse iactauerat, neminem ad reliquias rerum suarum
adire permiserit.
Oros., Hist. VII 7, 9 :
Crudelitatis autem rabie ita efferatus est, ut plurimam senatus partem interfecerit,
equestrem ordinem paene destituerit. Sed ne parricidiis quidem abstinuit : matrem
fratrem sororem uxorem ceterosque omnes cognatos et propinquos sine haesitatione
prostrauit.
Oros., Hist. VII 7, 10 :
Primus Romae Christianos supliciis et mortibus affecit ac per omnes prouincias pari
persecutione excruciari imperauit, ipsumque nomen exstirpare conatus beatissimos
Christi apostolos Petrum cruce, Paulum gladio occidit.
Oros., Hist. VII 7, 11‑12 :
Mox aceruatim miseram ciuitatem obortae undique oppressere clades ; nam subsequente
autumno tanta Vrbi pestilentia incubuit ut triginta milia funerum in rationem
Libitinae uenirent. Britannica deinde clades e uestigio accidit qua duo praecipua
oppida magna ciuium sociorumque clade et caede direpta sunt. Praeterea in Oriente,
magnis Armeniae prouinciis amissis, Romanae legiones sub iugum Parthicum missae
aegreque Syria retenta est. In Asia tres urbes, hoc est Laodicia, Hierapolis, Colossae,
terrae motu conciderunt.
Oros., Hist. VII 7, 13 :
At uero Nero postquam Galbam in Hispania imperatorem creatum ab exercitu
cognouit, totus animo ac spe concidit. Cumque incredibilia perturbandae, immo !
302
Laurie Lefebvre
subruendae reipublicae mala moliretur, hostis a senatu pronuntiatus et ignominiosissime fugiens, ad quartum ab Vrbe lapidem sese ipse interfecit, atque in eo omnis
Caesarum familia consumpta est.
Oros., Hist. VII 12, 4 :
Verumtamen continuo Romae aurea domus, a Nerone totis priuatis publicisque rebus
inpensis condita, repentino conflagrauit incendio, ut intellegeretur missa etiam ab
alio persecutio in ipsius potissime monumentis, a quo primum exorta est, atque in ipso
auctore puniri.
Oros., Hist. VII 26, 9 :
Decem persecutiones a Nerone usque ad Maximianum Ecclesia Christi passa est :
nouem, ut ego dixi, ultiones, ut ipsi non negant, calamitates e uestigiis consecutae sunt.
Oros., Hist. VII 27, 4 :
Hic prima sub Nerone exegit plaga ut ubique morientium sanguis esset, uel morbis in
Vrbe corruptus, uel bellis in Orbe profusus.
Oros., Hist. VII 39, 16‑17 :
Nam si exhibitam Neronis imperatoris sui spectaculis inflammationem recenseam,
procul dubio nulla comparatione aequiperabitur secundum id quod excitauerat
lasciuia principis, hoc quod nunc intulit ira uictoris. Neque uero Gallorum meminisse
in huiusmodi conlatione debeo, qui continuo paene anni spatio incensae euersaeque
Vrbis adtritos cineres possederunt.
Or. sib. 5, 363‑364 :
Ἥξει δ’ἐκ περάτων γαίης μητροκτόνος ἀνὴρ
φεύγων […].
Or. sib. 8, 70‑71 :
[…] Ἐπανέλθῃ
ἐκ περάτων γαίης ὁ φυγὰς μητροκτόνος αἴθων.
Paus., VII 17, 3 :
Χρόνῳ δὲ ὕστερον ἐς Νέρωνα ἡ βασιλεία περιῆλθεν ἡ Ῥωμαίων, καὶ ἐλεύθερον ὁ Νέρων
ἀφίησιν ἁπάντων […]. Ἀπιδόντι οὖν ἐς τοῦτό μοι τοῦ Νέρωνος τὸ ἔργον ὀρθότατα
εἰρηκέναι Πλάτων ἐφαίνετο ὁ Ἀρίστωνος, ὁπόσα ἀδικήματα μεγέθει καὶ τολμήματί
ἐστιν ὑπερηρκότα, οὐ τῶν ἐπιτυχόντων εἶναι ταῦτα ἀνθρώπων, ψυχῆς δὲ γενναίας ὑπὸ
ἀτόπου παιδείας διεφθαρμένης.
Paus., IX 27, 3‑4 :
Πρῶτον δὲ τὸ ἄγαλμα κινῆσαι τοῦ Ἔρωτος λέγουσι Γάιον δυναστεύσαντα ἐν Ῥώμῃ,
Κλαυδίου δὲ ὀπίσω Θεσπιεῦσιν ἀποπέπψαντος Νέρωνα αὖθις δεύτερα ἀνάσπαστον
ποιῆσαι. [...] Τῶν δὲ ἀσεβησάντων ἐς τὸν θεὸν ὁ μὲν ἀνθρώπῳ στρατιώτῃ διδοὺς ἀεὶ τὸ
αὐτὸ σύνθημα μετὰ ὑπούλου χλευασίας ἐς τοσοῦτο προήγαγε θυμοῦ τὸν ἄνθρωπον ὥστε
σύνθημα διδόντα αὐτὸν διεργάζεται, Νέρωνι δὲ παρὲξ ἢ τὰ ἐς τὴν μητέρα ἐστὶ καὶ ἐς
γυναῖκας γαμετὰς ἐναγῆ τε καὶ ἀνέραστα τολμήματα.
Petr., 120, 87‑89 :
Aedificant auro sedesque ad sidera mittunt,
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
303
Expelluntur aquae saxis, mare nascitur aruis,
Et permutata rerum statione rebellant.
Philstr., V. Ap. IV 36, 2 :
« Ἡνιοχεῖ » ἔφη « δημοσίᾳ, καὶ ᾄδει παριὼν ἐς τὰ Ῥωμαίων θέατρα καὶ μετὰ τῶν
μονομαχούντων ζῇ, μονομαχεῖ δὲ καὶ αὐτὸς καὶ ἀποσφάττει. »
Philst., V. Ap. IV 36, 3 :
Εἰ δὲ ἀπόλοιο ἀναχθεὶς καὶ Νέρων σε ὠμὸν φάγοι μηδὲν ἰδόντα ὧν πράττει, ἐπὶ πολλῷ
ἔσται σοι τὸ ἐντυχεῖν αὐτῷ καὶ ἐπὶ πλείονι ἢ τῷ Ὀδυσσεῖ ἐγένετο, ὁπότε παρὰ τὸν
Κύκλωπα ἦλθεν. Ἀπώλεσε γὰρ πολλοὺς τῶν ἑταίρων ποθήσας ἰδεῖν αὐτὸν καὶ ἡττηθεὶς
ἀτόπου καὶ ὠμοῦ θεάματος.
Philstr., V. Ap. IV 38, 3 :
Tὸ δὲ θηρίον τοῦτο, ὃ καλοῦσιν οἱ πολλοὶ τύραννον, οὔτε ὁπόσαι κεφαλαὶ αὐτῷ οἶδα,
οὔτε εἰ γαμψώνυχόν τε καὶ καρχαρόδουν ἐστί. Καίτοι πολιτικὸν μὲν εἴναι τὸ θηρίον
τοῦτο λέγεται καὶ τὰ μέσα τῶν πόλεων οἰκεῖν, τοσούτῳ δὲ ἀγριώτερον διάκειται τῶν
ὀρεινῶν τε καὶ ὑλαίων, ὅσῳ λέοντες μὲν καὶ παρδάλεις ἐνίοτε κολακευόμενοι ἡμεροῦνται
καὶ μεταβάλλουσι τοῦ ἤθους. Τουτὶ δὲ ὑπὸ τῶν καταψηχόντων ἐπαιρόμενον ἀγριώτερον
αὑτοῦ γίγνεται καὶ λαφύσσει πάντα. Περὶ μέν γε θηρίων οὐκ ἂν εἴποις, ὅτι τὰς μητέρας
ποτὲ τὰς αὑτῶν ἐδαισαντο, Νέρων δὲ ἐμπεφόρηται τῆς βορᾶς ταύτης. Εἰ δὲ καὶ ταῦτα
γέγονεν ἐπ’ Ὀρέστῃ καὶ Ἀλκμαίωνι, ἀλλ’ ἑκείνοις σχῆμα τοῦ ἔργου πατέρες ἦσαν ὁ μὲν
ἀποθανὼν ὑπὸ τῆς ἑαυτοῦ γυναικός, ὁ δὲ ὅρμου πραθείς.
Philstr., V. Ap. V 7, 4 :
Δοκεῖ μὲν, ἔφη, κἀμοι, ὦ Δάμι, τὸ δὲ ἀτελὲς αὐτῆς διαβάλλει αὐτόν, ὡς ἀτελῆ μὲν
ᾄδοντα, ἀτελῆ δὲ ὀρύττοντα. Τά τοι Ξέρξου ἀναλεγόμενος ἐπαινῶ τὸν ἄνδρα, οὐχ ὅτι
τὸν Ἑλλήσποντον ἔζευξεν, ἀλλ’ ὅτι διέβη αὐτόν, Νέρωνα δὲ οὔτε πλευσούμενον διὰ τοῦ
Ἰσθμοῦ ὁρῶ οὔτε ἐς τέρμα τῆς ὀρυχῆς ἥξοντα, δοκεῖ δέ μοι καὶ φόβου μεστὸς ἀναχωρῆσαι
τῆς Ἑλλάδος, εἰ μὴ ἡ ἀλήθεια ἀπόλωλεν.
Plin., N. H. IV 10 :
Perfodere nauigabili alueo angustias eas temptauere Demetrius rex, dictator Caesar,
Gaius princeps, Domitius Nero, nefasto, ut omnium exitu patuit, incepto.
Plin., N. H. XIV 61 :
Antea Caecubo erat generositas celeberrima in palustribus populetis sinu Amynclano,
quod iam intercidit incuria coloni locique angustia, magis tamen fossa Neronis, quam
a Baiano lacu Ostiam usque nauigabilem incohauerat.
Plin., N. H. XVII 5 :
[…] duraueruntque - quoniam et de longissimo aeuo arborum diximus - ad Neronis
principis incendia cultu uirides iuuenesque, ni princeps ille adcelerasset etiam arborum
mortem.
Plin., N. H. XXX 15 :
Nulla profecto sacra, barbari licet ferique ritus, non mitiora quam cogitationes eius
fuissent.
304
Laurie Lefebvre
Plin., N. H. XXXIV 84 :
Atque ex omnibus quae rettuli clarissima quaeque in urbe iam sunt dicata a Vespasiano
principe in templo Pacis aliisque eius operibus, uiolentia Neronis in urbem conuecta et
in sellariis domus aureae disposita.
Plin., N. H. XXXVI 111 :
Bis uidimus urbem totam cingi domibus principum Gai et Neronis, huius quidem, ne
quid deesset, aurea. Nimirum sic habitauerant illi qui hoc imperium fecere tantum, ad
deuincendas gentes triumphosque referendos ab aratro aut foco exeuntes, quorum agri
quoque minorem modum optinuere quam sellaria istorum !
Plin., Pan. 11, 1‑2 :
Dicauit caelo […] Claudium Nero, sed ut irrideret […]. Tu sideribus patrem intulisti
non ad metum ciuium, non in contumeliam numinum, non in honorem tuum, sed
quia deum credis.
Plin., Pan. 46, 4 :
Idem ergo populus ille, aliquando scaenici imperatoris spectator et plausor, nunc in
pantomimis quoque auersatur et damnat effeminas artes et indecora saeculo studia.
Plin., Pan. 53, 1‑2 :
Nihil non parum grate sine comparatione laudatur. Praeterea hoc primum erga
optimum imperatorem piorum ciuium officium est insequi dissimiles. Neque enim satis
amarit bonos principes qui malos satis non oderit.
Plin., Pan. 53, 5 :
Quare ego, Caesar, muneribus tuis omnibus comparo, multis antepono, quod licet nobis
et in praeteritum de malis imperatoribus quotidie uindicari, et futuros sub exemplo
praemonere, nullum locum, nullum esse tempus, quo funestorum principum manes a
posterorum exsecrationibus conquiescant.
Plin., Pan. 55, 9 :
Vt quisque factus est princeps, extemplo fama eius, incertum bona an mala, ceterum
aeterna est.
Plin., Pan. 57, 2 :
Fuit etiam qui in principatus sui fine consulatum, quem dederat ipse, magna ex parte
iam gestum extorqueret et raperet.
Plut., Ant. 87, 9 :
Οὗτος ἄρξας ἐφ’ ἡμῶν ἀπέκτεινε τὴν μητέρα καὶ μικρὸν ἐδέησεν ὑπ’ ἐμπληξίας καὶ
παραφροσύνης ἀνατρέψαι τὴν Ῥωμαίων ἡγεμονίαν.
Plut., Galb. 14, 3 :
Τὰ μὲν πρῶτα προφάσεις ἔχειν τὰ Νέρωνος ἐγκλήματα · νῦν δὲ Γάλβαν προδιδόναι,
τίνα φόνον μητρὸς ἐγκαλοῦντας ἢ σφαγὴν γυναικός, ἢ ποίαν αἰδουμένους θυμέλην ἢ
τραγῳδίαν τοῦ αὐτοκράτορος ;
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
305
Plut., Galb. 14, 4 :
Ἀλλ’ οὐδὲ ἐκεῖνον ἐπὶ τούτοις ὑπεμείναμεν ἐγκαταλιπεῖν, ἀλλὰ Νυμφιδίῳ πεισθέντες ὅτι
πρῶτος ἡμᾶς ἐγκατέλιπε καὶ πέφευγεν εἰς Αἴγυπτον.
Plut., Galb. 19, 9 :
Παράλογον ἦν ὅτι τὴν γυναῖκα καὶ ἀδελφὴν ἀποκτείνας διὰ τὸν Ποππαίας γάμον
ἐφείσατο τοῦ ῎Οθωνος.
Plut., M. 60d :
Ἐκεῖνα δ´ ἤδη χαλεπὰ καὶ λυμαινόμενα τοὺς ἀνοήτους, ὅταν εἰς τὰ ἐναντία πάθη
καὶ νοσήματα κατηγορῶσιν (ὥσπερ Ἱμέριος ὁ κόλαξ τῶν πλουσίων τινὰ <τὸν>
ἀνελευθερώτατον καὶ φιλαργυρώτατον Ἀθήνησιν ὡς ἄσωτον ἐλοιδόρει καὶ ἀμελῆ
καὶ πεινήσοντα κακῶς μετὰ τῶν τέκνων) ἢ τοὺς ἀσώτους αὖ πάλιν καὶ πολυτελεῖς εἰς
μικρολογίαν καὶ ῥυπαρίαν ὀνειδίζωσιν (ὥσπερ Νέρωνα Τίτος Πετρώνιος).
Plut., M. 461f‑462a :
Διὸ καὶ τοῦ Νέρωνος ὀκτάγωνόν τινα σκηνὴν ὑπερφυὲς κάλλει καὶ πολυτελείᾳ θέαμα
κατασκευάσαντος · « ἤλεγξας, ἔφη ὁ Σενέκας, πένητα σεαυτόν · ἐὰν γὰρ ταύτην
ἀπολέσῃς, ἑτέραν οὐ κτήσῃ τοιαύτην ». Καὶ μέντοι καὶ συνέπεσε τοῦ πλοίου καταδύντος
ἀπολέσθαι τὴν σκηνήν · ὁ δὲ Νέρων ἀναμνησθεὶς τοῦ Σενέκα μετριώτερον ἤνεγκεν.
Plut., M. 810a :
῞Ωσπερ ὁ Νέρων ἐκεῖνος ὀλίγον ἔμπροσθεν ἢ κτεῖναι τὸν Θρασέαν, μάλιστα μισῶν καὶ
φοβούμενος, ὅμως, ἐγκαλοῦντός τινος ὡς κακῶς κεκριμένου καὶ ἀδίκως, « Ἐβουλόμην
ἄν, ἔφη, Θρασέαν οὕτως ἐμὲ φιλεῖν ὡς δικαστὴς ἄριστός ἐστιν ».
Prud., Perist. XII 23‑24 :
Euomit in iugulum Pauli Nero feruidum furorem,
iubet feriri gentium magistrum.
Prud., Sym. II 669‑671 :
Illius3 instinctu primus Nero, matre perempta,
sanguinem apostolicum bibit, ac me strage piorum
polluit, et proprium facinus mihi saeuus inussit.
Ps. Aur.‑Vict., Epit. 5, 7‑8 :
Vbi aduentare Nero Galbam didicit senatusque sententia constitutum ut, more
maiorum collo in furcam coniecto, uirgis ad necem caederetur, desertus undique, noctis
medio egressus Vrbe sequentibus Phaone, Epaphrodito Neophytoque et spadone Sporo,
quem quondam exsectum formare in mulierem temptauerat, semet ictu gladii transegit
adiuuante trepidantem manum impuro, de quo diximus eunucho, cum sane prius
nullo reperto a quo feriretur exclamaret : « Itane nec amicum habeo nec inimicum ?
Dedecorose uixi, turpius peream ». Periit anno aetatis tricesimo secundo. Hunc Persae
in tantum dilexerant ut legatos mitterent orantes copiam construendi monumenti.
Ps. Sen., Ep. Paul. 11 :
Incendium urbs Romana manifeste saepe unde patiatur constat. Sed si effari humilitas
humana potuisset quid causae sit et impune in his tenebris loqui liceret, iam omnes
3.– Le démonstratif désigne ici Jupiter.
306
Laurie Lefebvre
omnia uiderent. Christiani et Iudaei quasi machinatores incendii – pro ! – supplicio
adfecti fieri solent. Grassator iste quisquis est, cui uoluptas carnificina est et mendacium
uelamentum, tempori suo destinatus est […]. Centum triginta duae domus, insulae
quattuor milia sex diebus arsere ; septimus pausam dedit. Bene te ualere, frater, opto.
Data V. Kal. Apr. Frugi et Basso consulibus.
Ps. Sen., Oct. 44‑474 :
Coniugis scelere occidit ;
mox illa nati : cuius exstinctus iacet
frater uenenis. Maeret infelix soror
eademque coniunx.
Ps. Sen., Oct. 57‑71 :
O mea nullis aequanda malis
fortuna, licet
repetam luctus, Electra, tuos :
tibi maerenti caesum licuit
flere parentem,
scelus ulcisci uindice fratre,
tua quem pietas hosti rapuit
texitque fides.
Me crudeli sorte parentes
raptos prohibet lugere timor
fratrisque necem deflere uetat
in quo fuerat spes una mihi
totque malorum breue solamen.
Nunc in luctus seruata meos
magni resto nominis umbra.
Ps. Sen., Oct. 164‑166 :
Miscuit coniunx uiro
uenena saeua, cecidit atque eadem sui
mox scelere nati.
Ps. Sen., Oct. 291‑296 :
Vera priorum uirtus quondam
Romana fuit uerumque genus
Martis in illis sanguisque uiris.
Illi reges hac expulerunt
urbe superbos ; ultique tuos
sunt bene manes.
Ps. Sen., Oct. 438‑438bis :
Perage imperata : mitte qui Plauti mihi
Sullaeque caesi referat abscisum caput.
4.– Le texte de l’Octavie utilisé dans cette étude est celui de l’édition de F.-R. Chaumartin.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Ps. Sen., Oct. 521‑524 :
Hausit cruorem incesta Romani ducis
Aegyptus iterum, nec leues umbras tegit.
Illic sepultum est impie gestum diu
ciuile bellum.
Ps. Sen., Oct. 621‑623 :
Poenasque quis et Tantali uincat sitim,
dirum laborem Sisyphi, Tityi alitem
Ixionisque membra rapientem rotam.
Ps. Sen., Oct. 728‑733 :
[…] uenientem intuor
comitante turba coniugem quondam meum
natumque ; properat petere complexus meos
Crispinus, intermissa libare oscula ;
irrupit intra tecta cum trepidus mea
ensemque iugulo condidit saeuum Nero.
Ps. Sen., Oct. 929‑957 :
Animum firment exempla tuum
iam multa domus quae uestra tulit.
Quid saeuior est Fortuna tibi ?
Tu mihi primum tot natorum
memoranda parens,
nata Agrippae, nurus Augusti,
Caesaris uxor, cuius nomen
clarum toto fulsit in orbe,
utero totiens enixa graui
pignora pacis, mox exilium,
uerbera, saeuas passa catenas,
funera, luctus, tandem letum
cruciata diu. Felix thalamis
Liuia Drusi natisque ferum
ruit in facinus poenamque suam.
Iulia matris fata secuta est ;
post longa tamen tempora ferro
caesa est, quamuis crimine nullo.
Quid non potuit quondam genetrix
tua quae rexit principis aulam
cara marito partuque potens ?
Eadem famulo subiecta suo
cecidit diri militis ense.
Quid, cui licuit regnum in caelum
sperare, parens tanta Neronis ?
Non funesta uiolata manu
remigis ante,
307
308
Laurie Lefebvre
mox et ferro lacerata diu
saeui iacuit uictima nati ?
Ps. Sen., Oct. 979‑983 :
Vrbe est nostra mitior Aulis
et Taurorum barbara tellus :
hospitis illic caede litatur
numen Superum,
ciuis gaudet Roma cruore.
Ruf., Brev. 20, 1 :
Nero, quem turpissimum imperatorem Romana est passa res publica, amisit Armeniam.
Duae tunc Romanae legiones sub iugum a Parthis missae extremo dedecore Romani
exercitus sacramenta foedarunt.
Rutil., II 57‑60 :
Omnia Tartarei cessent tormenta Neronis ;
consumat Stygias tristior umbra faces ;
hic immortalem, mortalem perculit ille,
hic mundi matrem perculit, ille suam.
Sall., C. 25, 2‑5 :
Haec mulier genere atque forma, praeterea uiro liberis satis fortunata fuit ; litteris
Graecis et Latinis docta, psallere, saltare elegantius quam necesse est probae, multa
alia, quae instrumenta luxuriae sunt. Sed ei cariora semper omnia quam decus atque
pudicitia fuit ; pecuniae an famae minus parceret haud facile discerneres ; lubido sic
accensa ut saepius peteret uiros quam peteretur. Sed ea saepe antehac fidem prodiderat,
creditum abiurauerat, caedis conscia fuerat, luxuria atque inopia praeceps abierat.
Verum ingenium eius haud absurdum : posse uersus facere, iocum mouere, sermone
uti uel modesto, uel molli, uel procaci ; prorsus multae facetiae multusque lepos inerat.
Stat., S. II 7, 60‑61 :
Dices culminibus Remi uagantis
Infandos domini nocentis ignes.
Stat., S. IV 3, 1‑8 :
Quis duri silicis grauisque ferri
immanis sonus aequori propinquum
saxosae latus Appiae repleuit ?
Certe non Libycae sonant cateruae
nec dux aduena peierante bello
Campanos quatit inquietus agros,
nec frangit uada montibusque caesis
inducit Nero sordidas paludes.
Suet., Calig. 8, 12 :
Tradaturque etiam sedem ac domicilium imperii taedio urbis transferre eo destinasse.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
309
Suet., Calig. 34, 1 :
Nec minore liuore ac malignitate quam superbia saeuitiaque paene aduersus omnis
aeui hominum genus grassatus est.
Suet., Calig. 37, 1 :
Nepotatus sumptibus omnium prodigorum ingenia superauit, commentus nouum
balnearum usum […], ut calidis frigidisque unguentis lauaretur.
Suet., Calig. 38, 1 :
Exhaustus igitur atque egens ad rapinas conuertit animum uario et exquisitissimo
calumniarum et auctionum et uectigalium genere.
Suet., Calig. 49, 4 :
Intraque quartum mensem periit, ingentia facinora ausus et aliquanto maiora moliens,
siquidem proposuerat Antium, deinde Alexandream commigrare interempto prius
utriusque ordinis electissimo quoque.
Suet., Calig. 54, 3 :
Nec alia de causa uidetur eo die, quo periit, peruigilium indixisse quam ut initium in
scaenam prodeundi licentia temporis auspicaretur.
Suet., Ner. 1, 6 :
Pluris e familia cognosci referre arbitror, quo facilius appareat ita degenerasse a suorum
uirtutibus Nero, ut tamen uitia cuiusque quasi tradita et ingenita rettulerit.
Suet., Ner. 7, 3 :
Ferunt Senecam proxima nocte uisum sibi per quietem C. Caesari praecipere, et
fidem somnio Nero breui fecit prodita immanitate naturae quibus primum potuit
experimentis.
Suet., Ner. 19, 3 :
In Achaia Isthmum perfodere adgressus praetorianos pro contione ad incohandum opus
cohortatus est tubaque signo dato primus rastello humum effodit et corbulae congestam
umeris extulit.
Suet., Ner. 19, 5 :
Haec partim nulla reprehensione, partim etiam non mediocri laude digna in unum
contuli, ut secernerem a probris ac sceleribus eius, de quibus dehinc dicam.
Suet., Ner. 23, 2 :
Ac ne quid circa haec occupatum auocaret detineretue, cum praesentia eius urbicas
res egere a liberto Helio admoneretur, rescripsit his uerbis : « Quamuis nunc tuum
consilium sit et uotum celeriter reuerti me, tamen suadere et optare potius debes, ut
Nerone dignus reuertar ».
Suet., Ner. 27, 2 :
Epulas a medio die ad mediam noctem protrahebat, refotus saepius calidis piscinis ac
tempore aestiuo niuatis.
310
Laurie Lefebvre
Suet., Ner. 29, 1 :
Suam quidem pudicitiam usque adeo prostituit, ut contaminatis paene omnibus
membris nouissime quasi genus lusus excogitaret, quo ferae pelle contectus emitteretur
e cauea uirorumque ac feminarum ad stipitem deligatorum inguina inuaderet et, cum
affatim desaeuisset, conficeretur a Doryphoro liberto.
Suet., Ner. 30, 1‑2 :
Diuitiarum et pecuniae fructum non alium putabat quam profusionem, sordidos ac
deparcos esse quibus impensarum ratio constaret, praelautos uereque magnificos, qui
abuterentur ac perderent. Laudabat mirabaturque auunculum Gaium nullo magis
nomine, quam quod ingentis a Tiberio relictas opes in breui spatio prodegisset.
Suet., Ner. 30, 8 :
Numquam minus mille carrucis fecisse iter traditur.
Suet., Ner. 31 :
Non in alia re tamen damnosior quam in aedificando, domum a Palatio Esquilias
usque fecit, quam primo transitoriam, mox incendio absumptam restitutamque
auream nominauit. De cuius spatio atque cultu suffecerit haec rettulisse. Vestibulum
eius fuit, in quo colossus CXX pedum staret ipsius effigie ; tanta laxitas, ut porticus
triplices miliarias haberet ; item stagnum maris instar, circumsaeptum aedificiis ad
urbium speciem ; rura insuper aruis atque uinetis et pascuis siluisque uaria, cum multitudine omnis generis pecudum ac ferarum. In ceteris partibus cuncta auro lita, distincta
gemmis unionumque conchis erant ; cenationes laqueatae tabulis eburneis uersatilibus,
ut flores, fistulatis, ut unguenta desuper spargerentur ; praecipua cenationum rotunda,
quae perpetuo diebus ac noctibus uice mundi circumageretur ; balineae marinis
et Albulis fluentes aquis. Eius modi domum cum absolutam dedicaret, hactenus
comprobauit, ut se diceret « quasi hominem tandem habitare coepisse ». Praeterea
incohabat piscinam a Miseno ad Auernum lacum contectam porticibusque conclusam,
quo quidquid totis Bais calidarum aquarum esset conuerteretur ; fossam ab Auerno
Ostiam usque, ut nauibus nec tamen mari iretur, longitudinis per centum sexaginta
milia, latitudinis, qua contrariae quinqueremes commearent. […] Ad hunc impendiorum furorem, super fiduciam imperii, etiam spe quadam repentina immensarum
et reconditarum opum impulsus est ex indicio equitis Romani pro comperto pollicentis
thesauros antiquissimae gazae, quos Dido regina fugiens Tyro secum extulisset, esse in
Africa uastissimis specubus abditos ac posse erui paruula molientium opera.
Suet., Ner. 32, 1 :
Destitutus atque ita iam exhaustus et egens ut stipendia quoque militum et commoda
ueteranorum protrahi ac differri necesse esset, calumniis rapinisque intendit animum.
Suet., Ner. 34, 7 :
Neque tamen conscientiam sceleris […] aut statim aut umquam postea ferre potuit, saepe
confessus exagitari se materna specie uerberibusque Furiarum ac taedis ardentibus.
Suet., Ner. 35, 5 :
Poppaeam duodecimo die post diuortium Octauiae in matrimonium acceptam dilexit
unice ; et tamen ipsam quoque ictu calcis occidit, quod se ex aurigatione sero reuersum
grauida et aegra conuiciis incesserat.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
311
Suet., Ner. 35, 9 :
Priuignum Rufrium Crispinum Poppaea natum, impuberem adhuc, quia ferebatur
ducatus et imperia ludere, mergendum mari, dum piscaretur, seruis ipsius demandauit.
Suet., Ner. 36, 1 :
Nec minore saeuitia foris et in exteros grassatus est.
Suet., Ner. 37, 1 :
Nullus posthac adhibitus dilectus aut modus interemendi quoscumque libuisset
quacumque de causa.
Suet., Ner. 37, 3 :
Mori iussis non amplius quam horarum spatium dabat ; ac ne quid morae interueniret, medicos admouebat qui cunctantes continuo « curarent » : ita enim uocabatur
uenas mortis gratia incidere.
Suet., Ner. 37, 4 :
Creditur etiam polyphago cuidam Aegypti generis, crudam carnem et quidquid daretur
mandere assueto, concupisse uiuos homines laniandos absumendosque obicere.
Suet., Ner. 37, 5 :
Multasque nec dubias significationes saepe iecit, ne reliquis quidem se parsurum senatoribus, eumque ordinem sublaturum quandoque e re p. ac provincias et exercitus equiti
R. ac libertis permissurum.
Suet., Ner. 38, 1‑3 :
Sed nec populo aut moenibus patriae pepercit. Dicente quodam in sermone communi :
« Ἐμοῦ θανόντος γαῖα μειχθήτω πυρί », « Immo », inquit, « ἐμοῦ ζῶντος » planeque
ita fecit. Nam quasi offensus deformitate ueterum aedificiorum et angustiis flexurisque
uicorum, incendit urbem tam palam, ut plerique consulares cubicularios eius cum
stuppa taedaque in praediis suis deprehensos non attigerint, et quaedam horrea circum
domum Auream, quorum spatium maxime desiderabat, ut bellicis machinis labefacta
atque inflammata sint, quod saxeo muro constructa erant.
Suet., Ner. 38, 5 :
[...] domus priscorum ducum arserunt hostilibus adhuc spoliis adornatae deorumque
aedes ab regibus ac deinde Punicis et Gallicis bellis uotae dedicataeque, et quidquid
uisendum atque memorabile ex antiquitate durauerat.
Suet., Ner. 38, 6 :
Hoc incendium e turre Maecenatiana prospectans laetusque « flammae », ut aiebat,
« pulchritudine », Halosin Ilii in illo suo scaenico habitu decantauit.
Suet., Ner. 39, 1 :
Accesserunt tantis ex principe malis probrisque quaedam et fortuita : pestilentia
unius autumni, quo triginta funerum milia in rationem Libitinae uenerunt ; clades
Britannica, qua duo praecipua oppida magna ciuium sociorumque caede direpta
sunt ; ignominia ad Orientem legionibus in Armenia sub iugum missis aegreque Syria
retentav
312
Laurie Lefebvre
Suet., Ner. 39, 3 :
Quis negat Aeneae magna de stirpe Neronem ?
Sustulit hic matrem, sustulit ille patrem.
Dum tendit citharam noster, dum cornua Parthus,
Noster erit Paean, ille Hecatebeletes.
Roma domus fiet : Veios migrate, Quirites,
Si non et Veios occupat ista domus.
Suet., Ner. 40, 1 :
Talem principem paulo minus quattuordecim annos perpessus terrarum orbis tandem
destituit.
Suet., Ner. 41, 4 :
Quosdam e primoribus uiris euocauit transactaque raptim consultatione reliquam diei
partem per organa hydraulica noui et ignotis generis circumduxit.
Suet., Ner. 49, 2 :
Duos pugiones, quos secum extulerat, arripuit temptataque utriusque acie rursus
condidit, causatus, « nondum adesse fatalem horam ».
Suet., Ner. 53, 3 :
Destinauerat etiam […] imitari et Herculis facta ; praeparatumque leonem aiunt,
quem uel claua uel brachiorum nexibus in amphitheatri harena spectante populo
nudus elideret.
Suet., Oth. 11, 2‑3 :
Post hoc sedata siti gelidae aquae potione arripuit duos pugiones et explorata utriusque
acie, cum alterum puluino subdidisset, foribus adopertis artissimo somno quieuit. Et
circa lucem demum expergefactus uno se traiecit ictu infra laeuam papillam.
Sulp. Sev., Chron. II 28, 1 :
Apostolorum actus Lucas edidit usque in tempus, quo Paulus Romam deductus est
Nerone imperante. Qui non dicam regum, sed omnium hominum et uel immanium
bestiarum sordidissimus dignus exstitit, qui persecutionem primus inciperet. Nescio
an et postremus explerit, siquidem opinione multorum receptum sit ipsum ante
Antichristum uenturum. Huius uitia ut plenius exponerem res admonebat, nisi non
esset huius operis tam uasta ingredi. Id tantum annotasse contentus sum, hunc per
omnia foedissima et crudelissima eo processisse, ut matrem interficeret, post etiam
Pythagorae cuidam in modum sollemnium coniugiorum denuberet : inditumque
imperatori flammeum ; dos et genialis torus et faces nuptiales, cuncta denique, quae
uel in feminis non sine uerecundia conspiciuntur, spectata. Reliqua uero eius incertum
pigeat an pudeat magis disserere. Hic primus christianum nomen tollere aggressus est :
quippe semper inimica uirtutibus uitia sunt et optimi quique ab improbis quasi exprobrantes aspiciuntur.
Cf. Tac., An. XV 37, 4 : Ipse, per licita atque inlicita foedatus, nihil flagitii
reliquerat, quo corruptior ageret, nisi, paucos post dies, uni ex illo contaminatorum grege – nomen Pythagorae fuit – in modum solemnium coniugiorum
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
313
denupsisset : inditum imperatori flammeum ; missi auspices ; dos et genialis torus
et faces nuptiales, cuncta denique spectata, quae etiam in femina nox operit.
Sulp. Sev., Chron. II 29, 1 :
Igitur uertit inuidiam in christianos, actaeque in innoxios crudelissimae quaestiones :
quin et nouae mortes excogitatae, ut ferarum tergis contecti laniatu canum interirent,
multi crucibus affixi aut flamma usti, plerique in id reseruati, ut cum defecisset dies, in
usum nocturni luminis urerentur.
Cf. Tac., An. XV 44, 4 : […] et pereuntibus addita ludibria, ut ferarum tergis
contecti laniatu canum interirent, aut crucibus adfixi, [aut flammandi atque]
ubi defecisset dies, in usum nocturni luminis urerentur.
Sulp. Sev., Ep. II 9 :
Quodsi ei Neronianis Decianisque temporibus in illa, quae tunc extitit, dimicare
congressione licuisset, testor Deum caeli atque terrae, sponte eculeum ascendisset, ultro
se ignibus intulisset, Hebraeisque pueris aequandus inter flammarum globos media
licet hymnum Domini in fornace cantasset.
Tac., An. XIII 3, 25 :
Adnotabant seniores […] primum ex iis, qui rerum potiti essent, Neronem alienae
facundiae eguisse.
Tac., An. XIII 45, 2‑3 :
Huic mulieri cuncta alia fuere, praeter honestum animum : quippe mater eius, aetatis
suae feminas pulchritudine supergressa, gloriam pariter et formam dederat ; ; opes
claritudini generis sufficiebant ; sermo comis nec absurdum ingenium ; modestiam
praeferre et lasciuia uti ; rarus in publicum egressus, idque uelata parte oris, ne satiaret
aspectum, uel quia sic decebat. Famae numquam pepercit, maritos et adulteros non
distinguens ; neque adfectui suo aut alieno obnoxia, unde utilitas ostenderetur, illuc
libidinem transferebat.
Tac., An. XIV 3, 3 :
Ergo nauem posse componi docet, cuius pars, ipso in mari per artem soluta, effunderet
ignaram ; nihil tam capax fortuitorum quam mare, et, si naufragio intercepta sit,
quem adeo iniquum ut sceleri adsignet quod uenti et fluctus deliquerint ? Additurum
principem defunctae templum et aras et cetera ostentandae pietati.
Tac., An. XIV 10, 1 :
Reliquo noctis, modo per silentium defixus, saepius exsurgens et mentis inops lucem
opperiebatur tamquam exitium adlaturam.
Tac., An. XIV 13, 2 :
Capitolium adiit, grates exsoluit, seque in omnes libidines effudit, quas, male coercitas,
qualiscumque matris reuerentia tardauerat.
5.– Le texte des Annales de Tacite utilisé dans cette étude est celui de l’édition de P. Wuilleumier.
314
Laurie Lefebvre
Tac., An. XIV 63, 2‑3 :
Non alia exul uisentium oculos maiore misericordia adfecit. Meminerant adhuc quidam
Agrippinae, a Tiberio, recentior Iuliae memoria obuersabatur, a Claudio pulsae ; sed
illis robur aetatis adfuerat ; laeta aliqua uiderant et praesentem saeuitiam melioris
olim fortunae recordatione adleuabant. Huic primum nuptiarum dies loco funeris fuit,
deductae in domum in qua nihil nisi luctuosum haberet, erepto per uenenum patre et
statim fratre ; tum ancilla domina ualidior, et Poppaea non nisi in perniciem uxoris
nupta ; postremo crimen, omni exitio grauius.
Tac., An. XIV 64, 3 :
Quicumque casus temporum illorum nobis uel aliis auctoribus noscent, praesumptum
habeant, quotiens fugas et caedes iussit princeps, totiens grates deis actas, quaeque
rerum secundarum olim, tum publicae cladis insignia fuisse.
Tac., An. XV 37 :
Ipse, quo fidem adquireret nihil usquam perinde laetum sibi, publicis locis struere
conuiuia totaque Vrbe quasi domo uti. Et celeberrimae luxu famaque epulae fuere, quas
a Tigellino paratas, ut exemplum referam, ne saepius eadem prodigentia narranda sit.
Igitur in stagno Agrippae fabricatus est ratem, cui superpositum conuiuium nauium
aliarum tractu moueretur. Naues auro et ebore distinctae, remigesque, exoleti, per
aetates et scientiam libidinum componebantur. Volucres et feras diuersis et terris at
animalia maris Oceano abusque petiuerat. Crepidinibus stagni lupanaria adstabant,
inlustribus feminis completa, et contra scorta uisebantur nudis corporibus. Iam gestus
motusque obsceni, et, postquam tenebrae incedebant, quantum iuxta nemoris et circiumiecta tecta consonare cantu et luminibus clarescere. Ipse, per licita atque inlicita
foedatus, nihil flagitii reliquerat, quo corruptior ageret, nisi, paucos post dies, uni ex illo
contaminatorum grege – nomen Pythagorae fuit – in modum solemnium coniugiorum
denupsisset : inditum imperatori flammeum ; missi auspices ; dos et genialis torus et
faces nuptiales, cuncta denique spectata, quae etiam in femina nox operit.
Tac., An. XV 39, 3 :
Peruaserat rumor ipso tempore flagrantis urbis inisse eum domesticam scaenam et
cecinisse Troianum excidium, praesentia mala uetustis cladibus adsimulantem.
Tac., An. XV 40, 2 :
Plusque infamiae id incendium habuit, quia praediis Tigillini Aemilianis proruperat
uidebaturque Nero condendae urbis nouae e cognomento suo appellandae gloriam
quaerere. Quippe in regiones quattuordecim Roma diuiditur, quarum quattuor
integrae manebant, tres solo tenus deiectae, septem reliquis pauca tectorum uestigia
supererant, lacera et semusta.
Tac., An. XV 41, 1 :
[...] uetustissima religione, quod Seruius Tullius Lunae et magna ara fanumque quae
praesenti Herculi Arcas Euander sacrauerat, aedesque Statoris Iouis uota Romulo
Numaeque regia et delubrum Vestae cum Penatibus populi Romani exusta.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
315
Tac., An. XV 41, 2 :
Fuere qui adnotarent XIIII Kal. Sextilis principium incendii huius ortum, et quo
Senones captam urbem inflammauerint. Alii eo usque cura progressi sunt ut totidem
annos mensisque et dies inter utraque incendia numerent.
Tac., An. XV 42, 1 :
Ceterum Nero usus est patriae ruinis extruxitque domum in qua haud proinde
gemmae et aurum miraculo essent, solita pridem et luxu uulgata, quam arua et stagna
et in modum solitudinum hinc siluae, inde aperta spatia et prospectus, magistris et
machinatoribus Seuero et Celere, quibus ingenium et audacia erat etiam quae natura
denegauisset per artem temptare et uiribus principis inludere.
Tac., An. XV 43, 1 :
Ceterum Vrbis quae domui supererant non, ut post Gallica incendia, nulla distinctione
nec passim erecta.
Tac., An. XV 44, 2‑5 :
Ergo abolendo rumori Nero subdidit reos et quaesitissimis poenis adfecit quos, per
flagitia inuisos, uulgus Chrestianos appellabat. Auctor nominis eius Christus Tibero
imperitante per procuratorem Pontium Pilatum supplicio adfectus erat ; repressaque
in praesens exitiabilis superstitio rursum erumpebat, non modo per Iudaeam, originem
eius mali, sed per urbem etiam, quo cuncta undique atrocia aut pudenda confluunt
celebranturque. Igitur primum correpti qui fatebantur, deinde indicio eorum multitudo
ingens haud proinde in crimine incendii quam odio humani generis conuicti sunt. Et
pereuntibus addita ludibria, ut ferarum tergis contecti laniatu canum interirent, aut
crucibus adfixi, [aut flammandi atque] ubi defecisset dies, in usum nocturni luminis
urerentur. Hortos suos ei spectaculo Nero obtulerat, et circense ludicrum edebat, habitu
aurigae permixtus plebi, uel curriculo insistens. Vnde, quamquam aduersus sontes et
nouissima exempla meritos, miseratio oriebatur, tamquam non utilitate publica, sed in
saeuitiam unius absumerentur.
Tac., An. XV 67, 2 :
Odisse coepi, postquam parricida matris et uxoris, auriga et histrio et incendiarius
exstitisti.
Tac., An. XVI 3, 1 :
Gliscebat interim luxuria spe inani, […] et diuitiarum exspectatio inter causas paupertatis publicae erat.
Tac., An. XVI 6, 1 :
Post finem ludicri Poppaea mortem obiit, fortuita mariti iracundia, a quo grauida ictu
calcis adflicta est.
Tac., H. I 5 :
[…] aspernantes ueterem disciplinam atque ita quattuordecim annis a Nerone adsuefactos ut haud minus uitia principum amarent quam olim uirtutes uerebantur.
316
Laurie Lefebvre
Tert., Apol. V 3 :
Consulite commentarios uestros, illic reperietis primum Neronem in hanc sectam cum
maxime Romae orientem Caesariano gladio ferocisse. Tali dedicatore damnationis
nostrae etiam gloriamur : qui enim scit illum, intellegere potest non nisi grande aliquod
bonum a Nerone damnatum.
Tert., Nat. I 7, 8‑9 :
Principe Augusto nomen hoc ortum est, Tiberio disciplina eius inluxit, Nerone
damnatio inualuit, ut iam hinc de persona persecutoris ponderetis : si pius ille princeps,
impii Christiani ; si iustus, si castus, iniusti et incesti Christiani ; si non hostis publicus,
nos publici hostes : quales simus, damnator ipse demonstrauit, utique aemula sibi
puniens.
Tert., Scorp. XV 3 :
Vitas Caesarum legimus : orientem fidem Romae primus Nero cruentauit.
Victorin.‑Poet., Comm. in Apoc. 13, 2 :
« Et reges septem sunt : quinque ceciderunt, unus est, et alius nondum uenit ; et
cum uenerit, breui tempore erit. Et bestia quam uidisti de septem est et octaua est. »
Intellegi igitur oportet <tempus>, quo scribitur Apocalypsis, quoniam tunc erat Caesar
Domitianus. Ante illum autem fuerat Titus frater ipsius et Vespasianus pater ipsorum,
Otho, Vitellius et Galba. Hi sunt « quinque qui ceciderunt » ; « unus est », ait, sub
quo scripta Apocalypsis dicitur, scilicet Domitianus. « Alius nondum uenit » : Neruam
dicit. Qui « cum uenerit, breui tempore erit » : biennium enim non impleuit. « Et
bestia quam uidisti, inquit, de septem est » : quoniam ante istos reges Nero regnauit.
Victorin.‑Poet., Comm. in Apoc. 13, 3 :
« Unum autem de capitibus occisum in mortem et plaga mortis eius curata est » :
Neronem dicit. Constat enim, cum eundem insequeretur equitatus missus a senatu,
ipsum sibi gulam succidisse.
Bibliographie
Éditions et commentaires d’auteurs anciens
Ammien Marcellin
Histoires, t. I : livres XIV-XVI, éd. E. Galletier, avec la coll. de J. Fontaine, CUF,
1968
Augustin
Sancti Aurelii Augustini opera. Sectio VII, pars II : scripta contra Donatistas,
éd. M. Petschenig, CSEL 52, 1909
Sancti Aurelii Augustini episcopi De civitate Dei Libri XXII4, éd. R. Dombart et
A. Kalb, Teubner, 1928-1929
Miscellanea Agostiniana, vol. I : Sancti Augustini sermones post Maurinos reperti,
éd. G. Morin, Rome, 1930, p. 401-412
Œuvres de Saint Augustin. 37, La cité de Dieu. Livres XIX-XXII, trad. G. Combès,
Desclée de Brouwer, 1960
Aurelius Victor
Livre des Césars, éd. P. Dufraigne, CUF, 1975
Sextus Aurelius Victor, , Livre des Césars. Édition critique et traduction, précédées d’une
étude de la tradition manuscrite, éd. M. Festy, Thèse de Doctorat, Université Paul
Valéry – Montpellier 3, 1991
De Caesaribus, éd. H. W. Bird, Liverpool, 1994
Aurelius Victor (Pseudo‑)
Abrégé des Césars, éd. M. Festy, CUF, 1999
Ausone
Decimi Magni Ausonii Burdigalensis opuscula, éd. S. Prete, Teubner, 1978
Claudien
Œuvres. Tome II, 2e partie : poèmes politiques (395-398), éd. J.-L. Charlet, CUF, 2000
Invectives contre Eutrope, éd. P. Fargues, Paris, 1933
317
318
Laurie Lefebvre
Commodien
Carmen apologeticum, éd. A. Salvatore, Turin, 1977
Instructiones, éd. A. Salvatore, Naples, 1965-1968
Correspondance de Sénèque et de Paul
Epistolario apocrifo di Seneca e san Paolo, éd. L. Bocciolini Palagi, Florence, 1985
Dion Cassius
Cassii Dionis Cocceiani Historiarum romanarum quae supersunt, éd. U. P. Boissevain,
Berlin, 1895-1901
Roman History, éd. E. Cary, d’après la version de H. B. Foster, The Lœb Classical
Library, 1914-1927
Dio : the Julio-Claudians. Selections from Books 58-63 of the Roman History of Cassius
Dio, éd. J. Edmondson, Londres, 1992
Dion Chrysostome
Discourses, éd. J. W. Cohoon et H. Lamar Crosby, The Lœb Classical Library,
1932-1951
Écrits apocryphes chrétiens
Écrits apocryphes chrétiens, t. I, dir. F. Bovon et P. Geoltrain, Paris, 1997
Écrits apocryphes chrétiens, t. II, dir. P. Geoltrain et J.-D. Kaestli, Paris, 2005
Eusèbe de Césarée
Histoire ecclésiastique, l. I-IV éd. E. Schwartz, trad. G. Bardy, SC 31, 1952
Eutrope
The Breviarum ab urbe condita of Eutropius, éd. H. W. Bird, Liverpool, 1993
Les Empereurs romains d’Auguste à Dioclétien dans le Bréviaire d’Eutrope. Les livres 7
à 9 du Bréviaire d’Eutrope : introduction, traduction et commentaire, éd. S. Ratti,
Paris, 1996
Abrégé d’histoire romaine, éd. J. Hellegouarc’h, CUF, 1999
Festus (Rufus ou Rufius)
The Breviarium of Festus. A Critical Edition with Historical Commentary, éd. J. W. Eadie,
Londres, 1967
Abrégé des hauts faits du peuple romain, éd. M.-P. Arnaud-Lindet, CUF, 1994
Flavius Josèphe
Jewish Antiquities, éd. H. St. J. Thackeray, R. Marcus, A. Wikgren et
L. H. Feldmann, The Lœb Classical Library, 1930-1965
Les Antiquités juives, Livres I à III, éd. É. Nodet, avec la coll. de G. Berceville et
É. Warschawski, Paris, 1992
Guerre des Juifs, éd. A. Pelletier, CUF, 1975-1982
Hilaire de Poitiers
Contre Constance, éd. A. Rocher, SC 334, 1987
Histoire Auguste
Histoire Auguste : les empereurs romains des IIe et IIIe siècles, éd. A. Chastagnol, Paris,
1994
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
319
Jean Chrysostome
Œuvres complètes, d’après toutes les éditions faites jusqu’à ce jour, éd. J. Bareille, Paris,
1865-1878
Jérôme
Lettres, t. VII, éd. J. Labourt, CUF, 1961
Sancti Hieronymi presbyteri opera. Pars I, 5 : Commentariorum in Danielem libri III
(IV), éd. F. Glorie, CC Series Latina 75A, 1964
Eusebius Werke, siebenter Band. Die Chronik des Hieronymus, éd. R. Helm, Berlin,
1984
Gli Uomini illustri (De uiris illustribus), éd. A. Ceresa-Gastaldo, Florence, 1988
Julien
Œuvres complètes, t. II, 2e partie, éd. C. Lacombrade, CUF, 1964
Juvénal
Satires5, éd. P. de Labriolle et F. Villeneuve, CUF, 1951
Thirteen Satires of Juvenal, with a commentary, éd. J. E. B. Mayor, Hildesheim, nouvelle
éd. 1966
A Commentary on the Satires of Juvenal, éd. E. Courtney, Londres, 1980
Lactance
De la mort des persécuteurs, éd. J. Moreau, SC 39, 1954
Lucien (Pseudo‑)
Nero, dans Lucian, t. VIII, éd. M. D. MacLeod, The Lœb Classical Library, 1967,
p. 505-521
Martial
Épigrammes, éd. H. J. Izaak, CUF, 1930-1933
M. Valerii Martialis Liber Spectaculorum, edited with introduction, translation and
commentary, éd. K. M. Coleman, Oxford, 2006
Oracles sibyllins
Die Oracula Sibyllina, éd. J. Geffcken, Leipzig, 1902
Orose
Histoires (contre les païens), éd. M.-P. Arnaud-Lindet, CUF, 1990-1991
Pausanias
Description of Greece, éd. W. H. S. Jones et H. A. Ormerod, The Lœb Classical
Library, 1918-1935
Philostrate
The Lives of the Sophists, éd. W. C. Wright, The Lœb Classical Library, 1921
The Life of Apollonius of Tyana, éd. C. P. Jones, The Lœb Classical Library, 2005
Pline l’Ancien
Histoire Naturelle, 37 vol., CUF, 1947-1998
Pline le Jeune
Lettres, t. III. Livre VI-IX éd. A.-M. Guillemin, CUF, 1928
320
Laurie Lefebvre
Lettres, t. IV. Livre X : Panégyrique de Trajan, éd. M. Durry, CUF, 1947
Plutarque
Œuvres morales, t. I, 2e partie : traités 3-9, éd. R. Klaerr, A. PHilippon et J. Sirinelli,
CUF, 1989
Œuvres morales, t. VII, 1re partie : traités 27-36, éd. J. Dumortier, avec la coll. de
J. Defradas, CUF, 1975
Œuvres morales, t. VII, 2e partie : traités 37-41, éd. R. Klaerr et Y. Vernière, CUF,
1974
Œuvres morales, t. XI, 2e partie : traités 52-53, éd. J.-C. Carrière et M. Cuvigny, CUF,
1984
Vies, t. XIII : Démétrios – Antoine, éd. R. Flacelière et É. Chambry, CUF, 1977
Vies, t. XV : Artaxerxès, Aratos, Galba, Othon, éd. R. Flacelière et É. Chambry,
CUF, 1979
Prudence
Œuvres. Tome III3, éd. M. Lavarenne, revue et corrigée par J.-L. Charlet, CUF, 1992
Œuvres. Tome IV2, éd. M. Lavarenne, CUF, 1963
Rutilius Namatianus
Sur son retour, éd. É. Wolff, avec la coll. de S. Lancel et J. Soler, CUF, 2007
Sénèque (Pseudo‑), Octavie
Tragédies, t. II, éd. L. Herrmann, CUF, 1926
Ottavia, éd. G. Ballaira, 1974
The Octavia. Introduction, Text, and Commentary, éd. L. Y. Whitman, Berne /
Stuttgart, 1978
Octavie, éd. G. Liberman, Classiques en poche, 1998
Tragédies, t. III, éd. F.R. Chaumartin, CUF, 1999
Ottavia, éd. E. Barbera, Lecce, 2000
Octavia, a play attributed to Seneca, éd. R. Ferri, Cambridge / New York / Port
Melbourne, 2003
Octavia, attributed to Seneca, éd. A. J. Boyle, Oxford, 2008
Stace
Silves, éd. H. Frère et H. J. Izaak, CUF, 1943
P. Papinius Statius Silvae Book II. A Commentary, éd. H.-J. Van Dam, Leyde, 1984
Suétone
Vies des douze Césars, 3 vol., éd. H. Ailloud, CUF, 1931-1932
Nero, éd. B. H. Warmington, Bristol, 1977
Suetonius’ Life of Nero, an historical commentary, éd. K. R. Bradley, Bruxelles, 1978
The Lives of illustrious Men, dans Suetonius, t. II, éd. J. C. Rolfe, The Lœb Classical
Library, 1914, p. 387-507
Sulpice Sévère
Sulpicii Severi libri qui supersunt, éd. K. Halm, CSEL 1, 1866, p. 138-151
Chroniques, éd. G. Senneville-Grave, SC 441, 1999
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
321
Gallus : dialogues sur les « vertus » de saint Martin, éd. J. Fontaine, avec la coll. de
N. Dupré, SC 510, 2006
Tacite, Annales
Œuvres de Tacite. Annales, livres XI-XVI2, éd. É. Jacob, Paris, 1886
The Annals of Tacitus, vol. II, books XI-XVI2, éd. H. Furneaux, revue par H. F. Pelham
et C. D. Fisher, Oxford, 1907
P. Cornelii Taciti libri qui supersunt. T. I, éd. E. Kœstermann, Teubner, 1960
Cornelius Tacitus, Annalen, Band IV Buch 14-16, éd. E. Kœstermann, Heidelberg,
1968
Annales, éd. P. Wuilleumier, CUF, 1974-1978
Œuvres complètes, trad. P. Grimal, Paris, 1989
Tacite, autres œuvres
Dialogue des orateurs, éd. H. Gœlzer et H. Bornecque, CUF, 1936
La Germanie, éd. J. Perret, CUF, 1949
Vie d’Agricola3, éd. E. de Saint-Denis, CUF, 1956
Histoires, éd. P. Wuilleumier, H. Le Bonniec et J. Hellegouarc’h, CUF,
1987-1992
Tertullien
Apologétique, éd. J.-P. Waltzing, avec la coll. de A. Severyns, CUF, 1929
Tertulliani De anima, edited with introduction and commentary, éd. J. H. Waszink,
Amsterdam, 1947
Le premier livre Ad Nationes de Tertullien : introduction, texte, traduction et commentaire, éd. A. Schneider, Rome, 1968
Scorpiace, éd. G. Azzali Bernardelli, Florence, 1990
Le Manteau (De Pallio), éd. M. Turcan, SC 513, 2007
Turnus
Fragmenta pœtarum latinorum epicorum et lyricorum, praeter Ennium et Lucilium,
éd. J. Blänsdorf, d’après W. Morel et K. Büchner, Teubner, 1995
Victorin de Pœtovio
Sur l’Apocalypse, et autres écrits, éd. M. Dulaey, SC 423, 1997
Études modernes
Achard 1981
Albanese 1982
Alcock 1994
Alexander 1953
G. Achard, Pratique rhétorique et idéologie politique dans les
discours « optimates » de Cicéron, Leyde, 1981
B. Albanese, « Tacito, i cristiani e l’incendio neroniano
(Ann. 15, 44) », SDHI 48 (1982), p. 455-470
S. E. Alcock, « Nero at play ? The Emperor’s Grecian
Odyssey », dans J. Elsner, J. Masters (éd.), Reflections of
Nero, Londres, 1994, p. 98-111
W. H. Alexander, « The Tacitean non liquet on Seneca »,
REL 31 (1953), p. 474-495
322
Laurie Lefebvre
A. Alföldi, Die Kontorniaten. Ein verkanntes
Propagandamittel der Stadt-römischen heidnischen
Aristokratie in ihrem Kampfe gegen das christliche Kaisertum,
Budapest, 1943
Alföldi 1977
A. Alföldi, Die monarchische Repräsentation im römischen
Kaiserreiche, Darmstadt, 1977
Allen 1962
W. Allen Jr., « Nero’s Excentricities before the Fire »,
Numen 9 (1962), p. 99-109
Anderson 1911
J. G. C. Anderson, « Trajan on the Quinquennium
Neronis », JRS 1 (1911), p. 173-179
André, Hus 1974
J.-M. André, A. Hus, L’Histoire à Rome : historiens et
biographes dans la littérature latine, Paris, 1974
Arafat 1996
K. W. Arafat, Pausanias’ Greece : Ancient Artists and Roman
Rulers, Cambridge / New-York, 1996
Arnaud 2004
P. Arnaud, « L’empereur, l’histrion et la claque : un jeu
réglé et ses dérèglements », dans C. Hugoniot, F. Hurlet,
S. Milanezi (éd.), Le Statut de l’acteur dans l’Antiquité
grecque et romaine. Actes du colloque de Tours, 3-4 mai 2002,
Tours, 2004, p. 275-306
Arnaud-Lindet 2001 M.-P. Arnaud-Lindet, Histoire et politique à Rome : les historiens romains, IIIe siècle av. J.-C. – Ve siècle ap. J.-C., Rosny,
2001
Ash 2006
R. Ash, Tacitus. Ancients in Action, Londres, 2006
Aubrion 1985
É. Aubrion, Rhétorique et histoire chez Tacite, Metz, 1985
Aubrion 1990
É. Aubrion, « L’historien Tacite face à l’évolution des jeux
et des autres spectacles », dans J. Blänsdorf (éd.), Theater
und Gesellschaft im Imperium romanum, Tübingen, 1990,
p. 197-211
Aubrion 1991
É. Aubrion, « L’eloquentia de Tacite et sa fides d’historien », ANRW II, 33, 4 (1991), p. 2597-2688
Aziza 2006
C. Aziza, Néron, le mal aimé de l’Histoire, Paris, 2006
Bacha 1906
E. Bacha, Le Génie de Tacite. La création des Annales,
Bruxelles, 1906
Badilita 2005
C. Badilita, Métamorphoses de l’Antichrist chez les Pères de
l’Église, Paris, 2005
Baldwin 1967
B. Baldwin, « Executions, Trials and Punishment in the
Reign of Nero », La Parola del passato 22 (1967), p. 425-439
Baldwin 1972
B. Baldwin, « Women in Tacitus », Prudentia 4, 2 (1972),
p. 83-101
Baldwin 1974
B. Baldwin, « Themes, Personalities and Distortions in
Tacitus », Athenaeum 52 (1974), p. 70-81
Baldwin 1977
B. Baldwin, « Tacitean Humour », Wiener Studien 11
(1977), p. 128-144
Baldwin 1979
B. Baldwin, « Nero and his mother’s corpse », Mnemosyne
32 (1979), p. 380-381
Alföldi 1943
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Ball 2003
Balland 1965
Bardon 1936
Bardon 1968
Barnes 1968
Barnes 1982
Barnes 1984
Barton 1994
Bartsch 1994
Bastomsky 1969
Bastomsky 1972
Bats 2007
BauduceauCros 2005
Baudy 1991
Beaujeu 1960
Bélis 1989
Bellardi 1974
323
L. F. Ball, The Domus Aurea and the Roman Architectural
Revolution, Cambridge, 2003
A. Balland, « Noua Urbs et Neapolis. Remarques sur
les projets urbanistiques de Néron », MEFR 77 (1965),
p. 349-393
H. Bardon, « Les Poésies de Néron », REL 14 (1936),
p. 337-349
H. Bardon, Les Empereurs et les lettres latines d’Auguste à
Hadrien2, Paris, 1968
T. D. Barnes, « Legislation against the Christians », JRS 58
(1968), p. 32-50
T. D. Barnes, « The Date of the Octavia », Museum
Helveticum 39 (1982), p. 215-217
T. D. Barnes, « The Composition of Dio’s History »,
Phœnix 38 (1984), p. 240-255
T. Barton, « The inuentio of Nero : Suetonius », dans
J. Elsner, J. Masters (éd.), Reflections of Nero, Londres, 1994,
p. 48-63
S. Bartsch, Actors in the Audience. Theatricality and
Doublespeak from Nero to Hadrian, Cambridge,
Mass. / Londres, 1994
S. J. Bastomsky, « The Emperor Nero in Talmuldic
Legend », JQR 59 (1969), p. 321-325
S. J. Bastomsky, « Tacitus Annals 14, 53, 2. The Pathos of the
Tacitean Seneca’s Request to Nero », Latomus 31 (1972),
p. 174-178
M. Bats, « La damnatio memoriae a-t-elle des origines
républicaines ? Les procédures de condamnation politique
des Gracques aux proscriptions de Sylla », dans S. Benoist
(éd.), avec la coll. de A. Daguet-Gagey, Mémoire et histoire,
Metz, 2007, p. 21-39
N. Bauduceau-Cros, L’Empereur et le tragique. Interactions
du tragique et de la politique dans les relations de Sénèque
et Néron, Thèse de Doctorat, Université Paris X Nanterre,
2005
G. J. Baudy, Die Brände Roms. Ein apokalyptisches Motiv
in der antiken Historiographie, Hildesheim / Zurich / New
York, 1991
J. Beaujeu, « L’Incendie de Rome en 64 et les chrétiens »,
Latomus 19 (1960), p. 65-80 et p. 291-311
A. Bélis, « Néron musicien », CRAI 1989, p. 747-768
G. Bellardi, « Gli exitus illustrium uirorum e il l. XVI degli
Annali tacitiani », A&R 19 (1974), p. 129-137
324
Benoist 1999
Benoist 2003
Benoist 2007
Benoist 2008
Benoist 2009
Béranger 1953
Béranger 1975
Bessone 1979
Bessone 1988
Betensky 1978
Billerbeck 1988
Billerbeck 1991
Billot 2003
Bishop 1964
Bjaï,
Menegaldo 2009
Blaison 1998
Bodinger 1989
Boëthius 1960
Laurie Lefebvre
S. Benoist, La Fête à Rome au premier siècle de l’Empire.
Recherche sur l’univers festif sous les règnes d’Auguste et des
Julio-Claudiens, Bruxelles, 1999
S. Benoist, « Imperator scaenicus, citharœdus princeps.
Théâtre et politique à Rome, ou le “métier” d’empereur
selon Néron », dans P. Defosse (éd.), Hommages à Carl
Deroux. III, Histoire et épigraphie, Droit, Bruxelles, 2003,
p. 50-66
S. Benoist (éd.), avec la coll. de A. Daguet-Gagey, Mémoire
et histoire : les procédures de condamnation dans l’Antiquité
romaine, Metz, 2007
S. Benoist, A. Daguet-Gagey (éd.), Un discours en images de
la condamnation de mémoire, Metz, 2008
S. Benoist, A. Daguet-Gagey, C. Hoët Van-Cauwenberghe,
S. Lefebvre (éd.), Mémoires partagées, mémoires disputées.
Écriture et réécriture de l’histoire, Metz, 2009
J. Béranger, Recherches sur l’aspect idéologique du principat,
Bâle, 1953
J. Béranger, Principatus. Études de notions et d’histoire
politiques dans l’Antiquité gréco-romaine2, Genève, 1975
L. Bessone, « Pitagora e Sporo, non dorifori », Giornale
filologico ferrarese 2 (1979), p. 105-114
L. Bessone, « Nerone nel tardo antico », AFLM 21 (1988),
p. 51-61
A. Betensky, « Neronian Style, Tacitean Content. The Use
of Ambiguous Confrontations in the Annals », Latomus 37
(1978), p. 419-435
M. Billerbeck, Senecas Tragödien : sprachliche und stilistische
Untersuchungen, Leyde, 1988
M. Billerbeck, « Die dramatische Kunst des Tacitus »,
ANRW II, 33, 4 (1991), p. 2752-2771
F. Billot, « Tacitus Responds : Annals 14 and the Octavia »,
dans M. Wilson (éd.), The Tragedy of Nero’s Wife. Studies on
the Octavia Praetexta, Auckland, 2003, p. 126-141
J. Bishop, Nero. The Man and the Legend, Londres, 1964
D. Bjaï, S. Menegaldo (éd.), Figures du tyran antique au
Moyen Âge et à la Renaissance. Néron, Caligula et les autres,
Paris, 2009
M. Blaison, « Suétone et l’ekphrasis de la Domus Aurea
(Suét., Ner. 31) », Latomus 57 (1998), p. 617-624
M. Bodinger, « Le mythe de Néron, de l’Apocalypse de saint
Jean au Talmud de Babylone », RHR 206 (1989), p. 21-40
A. Boëthius, The Golden House of Nero. Some Aspects of
Roman Architecture, Ann Arbor, 1960
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
325
G. Bonamente, « Il canone dei Divi e la Historia Augusta »,
dans G. Bonamente, N. Duval (éd.), Historiae Augustae
Colloquium Parisinum (Chantilly, 1990), Macerata, 1991,
p. 59-82
Bönisch-Meyer 2014 S. Bönisch-Meyer, L. Cordes, V. Schulz, A. Wolsfeld,
M. Ziegert (éd.), Nero und Domitian. Mediale Diskurse der
Herrscherrepräsentation im Vergleich, Tübingen, 2014
Bourne 1950
F. C. Bourne, « Pœtic Economy in the Annals of Tacitus »,
CJ 46 (1950), p. 171-176
Bowersock 1969
G. W. Bowersock, Greek Sophists in the Roman Empire,
Oxford, 1969
Bowersock 1997
G. W. Bowersock, Fiction as History : Nero to Julian,
Berkeley, 1997
Braccesi,
L. Braccesi, A. Coppola, « Il matricida : Nerone, Agrippina
Coppola 1997
e l’imitatio Alexandri », DHA 23, 1 (1997), p. 189-194
Bradley 1973
K. R. Bradley, « The Composition of Suetonius’ Caesares
again », JIES 1 (1973), p. 257-263
Bradley 1976
K. R. Bradley, « Imperial Virtues in Suetonius’ Caesares »,
JIES 4 (1976), p. 245-253
Bradley 1981
K. R. Bradley, « The Significance of the Spectacula in
Suetonius’ Caesares », RSA 11 (1981), p. 129-137
Bradley 1991
K. R. Bradley, « The Imperial Ideal in Suetonius’ Caesares »,
ANRW II, 33, 5 (1991), p. 3701-3732
Bruère 1954
R. T. Bruère, « Tacitus and Pliny’s Panegyricus », CPh 49
(1954), p. 161-176
Brunt 1980
P. A. Brunt, « On Historical Fragments and Epitomes »,
CQ 30 (1980), p. 477-494
E. Buckley, M. T. Dinter (éd.), A Companion to the Neronian
Buckley,
Dinter 2013
Age, Malden, 2013
Cameron 1990
A. Cameron (éd.), History as Text. The Writing of Ancient
History, Chapel Hill, 1990
Capocci 1962
V. Capocci, « Christiana I. Per il testo di Tacito, Annales 15,
44 4 (sulle pene inflitte ai Cristiani nel 64 d. Cr.) », SDHI
28 (1962), p. 65-99
Capocci 1970
V. Capocci, « Christiana II. Nota sulla persecuzione
neroniana contro i Cristiani in Roma l’anno 64 d. Cr. e sulla
sua base giuridica », SDHI 36 (1970), p. 21-123
Carandini 1990
A. Carandini, « Il giardino romano nell’età tardo repubblicana e giulo-claudia », dans G. Morganti (éd.), Gli Orti
Farnesiani sul Palatino. Actes du colloque international de
Rome organisé par le Ministero dei beni culturali e ambientali, la Soprintendenza archeologica di Roma et l’École
française de Rome, Rome, 1990, p. 10-15
Carbone 1977
M. E. Carbone, « The Octavia : Structure, Date, and
Authenticity », Phœnix 31 (1977), p. 48-67
Bonamente 1991
326
Carney 1968
Carré 1994
Carrié,
Rousselle 1999
Cassatella 1995
Castro 1972
Cattaneo 1958
Ceauşescu 1976
Champlin 2003
Chappuis
Sandoz 2008
Charles 2002
Charlesworth 1923
Charlesworth 1927
Charlesworth 1937
Charlesworth 1950
Chastagnol 1970
Chevallier 1980
Ciaceri 1918
Cizek 1961
Laurie Lefebvre
T. F. Carney, « How Suetonius’ Lives reflect on Hadrian »,
Proceedings of the African Classical Association 11 (1968),
p. 7-24
R. Carré, « L’image de Néron dans les Histoires de Tacite »,
dans M.-M. Mactoux, É. Geny (éd.), Mélanges Pierre
Lévêque, 8 : Religion, anthropologie et société, Paris, 1994,
p. 43-59
J.-M. Carrié, A. Rousselle, L’Empire romain en mutation,
des Sévères à Constantin, 192-337, Paris, 1999
A. Cassatella, Lexicon Topographicum Urbis Romae II
(1995), s. v. « Domus Aurea », p. 49-50
A. D. Castro, Tacitus and the « Virtues » of the Roman
Emperor : the Role of Imperial Propaganda in the
Historiography of Tacitus, Indianapolis, 1972
E. Cattaneo, « Sul parallelismo degli episodi della morte
di Augusto e di Claudio negli Annali di Tacito », RIL 92
(1958), p. 476-482
P. Ceauşescu, « Altera Roma. Histoire d’une folie
politique », Historia 25 (1976), p. 79-108
E. Champlin, Nero, Cambridge, Mass., 2003
L. Chappuis Sandoz, « La survie des monstres : ethnographie fantastique et handicap à Rome, la force de l’imagination », Latomus 67 (2008), p. 21-36
M. B. Charles, « “Caluus Nero” : Domitian and the
Mechanics of Predecessor Denigration », AClass 45 (2002),
p. 19-49
M. P. Charlesworth, « Tiberius and the Death of
Augustus », AJPh 44 (1923), p. 145-157
M. P. Charlesworth, « Livia and Tanaquil », CR 41 (1927),
p. 55-57
M. P. Charlesworth, « The Virtues of a Roman Emperor :
Propaganda and the Creation of Belief », PBA 23 (1937),
p. 105-134
M. P. Charlesworth, « Nero, some Aspects », JRS 40
(1950), p. 69-72
A. Chastagnol, Recherches sur l’Histoire Auguste. Avec un
rapport sur les progrès de la Historia Augusta-Forschung
depuis 1963, Bonn, 1970
R. Chevallier (éd.), Colloque Histoire et historiographie :
Clio. 8-9 décembre 1978, Paris, 1980
E. Ciaceri, Processi politici e relazioni internazionali.
Studi sulla storia politica e sulla tradizione letteraria della
Repubblica e dell’Impero, Rome, 1918
E. Cizek, « Sur la composition des Vitae Caesarum de
Suétone », StudClas 3 (1961), p. 355-360
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Cizek 1972
Cizek 1975
Cizek 1977
Cizek 1982
Cizek 1987
Cizek 1993
Cizek 1995
Cizek 1999
Clayton 1947
Cogitore 2002
Cohn 1884
Coleman 1990
Colin 1955-1956
ColtelloniTrannoy 2006
Corsi Zoli 1972
Couissin 1953
Crawford 1996
Croisille 1969-1970
327
E. Cizek, L’Époque de Néron et ses controverses idéologiques,
Leyde, 1972
E. Cizek, « Suétone et le théâtre », Actes du IXe Congrès de
l’Association Guillaume Budé, Paris, 1975, p. 480-485
E. Cizek, Structures et idéologie dans Les Vies des douze
Césars de Suétone, Bucarest / Paris, 1977
E. Cizek, Néron, Paris, 1982
E. Cizek, « La nova urbs e la riforma assiologica neroniana », dans M. A. Levi (éd.), Neronia III, Rome, 1987, p. 31-39
E. Cizek, « L’idéologie antonienne et Néron », dans Marc
Antoine, son idéologie et sa descendance. Actes du colloque
organisé à Lyon le 28 juin 1990, Lyon / Paris, 1993, p. 107-126
E. Cizek, Histoire et historiens à Rome dans l’Antiquité,
Lyon, 1995
E. Cizek, « Néron chez certains auteurs d’abrégés du IVe s.
ap. J.-C. (Aurélius Victor et Festus) », dans J.-M. Croisille,
R. Martin, Y. Perrin (éd.), Neronia V Bruxelles, 1999, p. 21-35
F. W. Clayton, « Tacitus and Nero’s Persecution of the
Christians », CQ 41 (1947), p. 81-85
I. Cogitore, « Rome dans la conspiration de Pison », dans
J.-M. Croisille, Y. Perrin (éd.), Neronia VI, Bruxelles, 2002
p. 261-272
A. Cohn, Quibus e fontibus Sex. Aurelii Victoris et libri de
Caesaribus et Epitomes XI capita priora fluxerint, Berlin,
1884
K. M. Coleman, « Fatal Charades : Roman Executions
Staged as Mythological Enactments », JRS 80 (1990),
p. 44-73
J. Colin, « Juvénal et le mariage mystique de Gracchus ( Juv.,
Sat., II, 117-142) », AAT 90 (1955-1956), p. 114-216
M. Coltelloni-Trannoy, « Le corps du prince furieux, image
de la terreur politique », dans G. Urso (éd.), Terror et pavor.
Violenza, intimidazione, clandestinità nel mondo antico.
Atti del convegno internazionale della Fondazione Niccolò
Canussio, Cividale del Friuli, 22-24 settembre 2005, Pise,
2006, p. 302-333
D. Corsi Zoli, « Aspetti inavvertiti della congiura
Pisoniana », StudRom 20 (1972), p. 329-339
J. Couissin, « Suétone physiognomiste dans les Vies des XII
Césars », REL 31 (1953), p. 234-256
M. H. Crawford, Roman Statutes, vol. I, Londres, 1996
J.-M. Croisille, « L’Art de la composition chez Suétone,
d’après les Vies de Claude et de Néron », AIIS 2 (1969-1970),
p. 73-87
328
Laurie Lefebvre
J.-M. Croisille (éd.), Neronia IV. Alejandro Magno, modelo
de los emperadores romanos. Actes du IVe colloque international de la SIEN, Madrid, 1987, Bruxelles, 1990
Croisille 1994
J.-M. Croisille, Néron a tué Agrippine, Bruxelles, 1994
Croisille 1999
J.-M. Croisille, R. Martin, Y. Perrin (éd.), Neronia V. Néron :
histoire et légende. Actes du Ve colloque international de la
SIEN, Clermont-Ferrand et Saint-Étienne, 2-6 novembre
1994, Bruxelles, 1999
Croisille 2002
J.-M. Croisille, Y. Perrin (éd.), Neronia VI. Rome à l’époque
néronienne : institutions et vie politique, économie et société,
vie intellectuelle, artistique et spirituelle. Actes du VIe colloque
international de la SIEN, Rome, 19-23 mai 1999, Bruxelles,
2002
Cumont 1933
F. Cumont, « L’iniziazione di Nerone da parte di Tiridate
d’Armenia », RFIC 11 (1933), p. 145-154
Cuny-Le Callet 2005 B. Cuny-Le Callet, Rome et ses monstres : naissance d’un
concept philosophique et rhétorique, vol. 1, Grenoble, 2005
Daitz 1960
S. G. Daitz, « Tacitus’ Technique of Character Portrayal »,
AJPh 81 (1960), p. 30-52
D’Anna 1954
G. D’Anna, Le Idee letterarie di Suetonio, Florence, 1954
Dauge 1981
Y. A. Dauge, Le Barbare. Recherches sur la conception
romaine de la barbarie et de la civilisation, Bruxelles, 1981
Dawson 1969
A. Dawson, « Whatever happened to Lady Agrippina ? »,
CJ 64 (1969), p. 253-267
De Franco 1946
U. De Franco, L’Incendio di Roma e la congiura di Pisone,
Catane, 1946
De Giorgio,
J.-P. De Giorgio, F. Galtier (éd.), Le monstre et sa lignée.
Galtier 2012
Filiations et générations monstrueuses dans la littérature
latine et sa postérité, Paris, 2012
Della Corte 1958
F. Della Corte, Suetonio eques Romanus, Milan, 1958
Den Bœr 1972
W. Den Bœr, Some Minor Roman Historians, Leyde, 1972
Desbordes 1996
F. Desbordes, La Rhétorique antique : l’art de persuader,
Paris, 1996
De Souza 2002
M. De Souza, « Néron, une brèche dans la muraille de
Rome », dans Y. Perrin (éd.), Neronia VII, Bruxelles, 2002,
p. 74-81
Develin 1983
R. Develin, « Tacitus and Techniques of Insidious
Suggestion », Antichthon 17 (1983), p. 64-95
Devillers 1994
O. Devillers, L’Art de la persuasion dans les Annales de
Tacite, Bruxelles, 1994
Devillers 1995
O. Devillers, « Tacite, les sources et les impératifs de la
narration : le récit de la mort d’Agrippine (Annales XIV
1-13) », Latomus 54 (1995), p. 324-345
Croisille 1990
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Devillers 1999
Devillers 2001
Devillers 2002
Devillers 2003
Devillers 2007
Devillers 2009
Devillers 2014
Devillers 2015
De Vivo 1980
Di Branco 1996
Di Branco 2002
Diderot 1782
Dorey 1967
Dorey 1969
Ducroux 1978
Duncker 1880
329
O. Devillers, « Le récit de la conjuration de Pison dans
les Annales de Tacite (XV 48-74) : quelques aspects »,
dans J.-M. Croisille, R. Martin, Y. Perrin (éd.), Neronia V
Bruxelles, 1999, p. 45-65
O. Devillers, « Néron se réconcilie avec Thrasea Paetus : à
propos de Tacite An. XV 23, 4 », ACD 37 (2001), p. 39-51
O. Devillers, « Le rôle des passages relatifs à Thrasea Paetus
dans les Annales de Tacite », dans J.-M. Croisille, Y. Perrin
(éd.), Neronia VI, Bruxelles, 2002, p. 296-311
O. Devillers, Tacite et les sources des Annales. Enquêtes sur la
méthode historique, Louvain / Paris, 2003
O. Devillers, « Néron et les spectacles d’après les Annales de
Tacite », dans Y. Perrin (éd.), Neronia VII, Bruxelles, 2007,
p. 271-284
O. Devillers, « Observations sur la représentation de
la politique spectaculaire de Néron. Pour une comparaison entre Tacite, Suétone et Dion Cassius », dans
R. Poignault (éd.), Présence de Suétone. Actes du colloque
tenu à Clermont-Ferrand (25-27 novembre 2004),
Clermont-Ferrand, p. 61-72
O. Devillers (éd.), Neronia IX. La villégiature dans le monde
romain de Tibère à Hadrien. Actes du IXe congrès international de la SIEN (Villa Vigoni, 3-6 octobre 2012), Bordeaux,
2014
O. Devillers, « Néron selon Pline le Jeune : entre Pline
l’Ancien, Tacite et Trajan », dans O. Devillers (éd.), Autour
de Pline le Jeune : en hommage à Nicole Méthy. Bordeaux,
2015, p. 61-74
A. De Vivo, Tacito e Claudio : storia e codificazione letteraria,
Naples, 1980
M. Di Branco, « L’erœ greco e il paradigma del tiranno :
alle radici del “mito” di Nerone », Métis 11 (1996), p. 101-122
M. Di Branco, « “Eroizzazione” di un imperatore : alle
radici del mito di Nerone », dans J.-M. Croisille, Y. Perrin
(éd.), Neronia VI, Bruxelles, 2002, p. 479-492
D. Diderot, Essai sur les règnes de Claude et de Néron, et
sur les mœurs et les écrits de Sénèque, pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe, Société typographique de
Bouillon, 1782
T. A. Dorey (éd.), Latin Biography, Londres, 1967
T. A. Dorey (éd.), Tacitus, Londres, 1969
J. Ducroux, « Histoire d’un portrait, portraits d’historiens.
Tacite lecteur de Salluste », MEFRA 90 (1978), p. 293-315
R. Duncker, De Paeanio Eutropii interprete, Prog.
Greiffenberg, 1880
330
Dunkle 1967
Laurie Lefebvre
J. R. Dunkle, « The Greek Tyrant and Roman Political
Invective of the Late Republic », TAPhA 98 (1967),
p. 151-171
Dunkle 1971
J. R. Dunkle, « Rhetorical Tyrant in Roman Historiography :
Sallust, Livy and Tacitus », CW 65 (1971), p. 12-20
Dyson 1970
S. L. Dyson, « The Portrait of Seneca in Tacitus », Arethusa
3 (1970), p. 71-83
Eck 2002
W. Eck, « Die Vernichtung der Memoria Neros : Inschriften
der neronischer Zeit aus Rom », dans J.-M. Croisille,
Y. Perrin (éd.), Neronia VI, Bruxelles, 2002, p. 285-295
Edwards 1993
C. Edwards, The Politics of Immorality in Ancient Rome,
Cambridge, 1993
Edwards 1994
C. Edwards, « Beware of Imitations : Theatre and the
Subversion of Imperial Identity », dans J. Elsner, J. Masters
(éd.), Reflections of Nero, Londres, 1994, p. 83-97
Edwards, Swain 1997 M. J. Edwards, S. Swain (éd.), Portraits. Biographical
Representation in the Greek and Latin Literature of the
Roman Empire, Oxford, 1997
Ehlers 1998
W.W. Ehlers (éd.), La Biographie antique : huit exposés
suivis de discussions, Vandœuvres-Genève, 25-29 août 1997,
Vandœuvres-Genève, 1998
Ektor 1980
J. Ektor, « L’impassibilité et l’objectivité de Suétone »,
LEC 48 (1980), p. 317-326
Elsner 1994
J. Elsner, « Constructing Decadence : the Representation of
Nero as Imperial Builder », dans J. Elsner, J. Masters J. (éd.),
Reflections of Nero, Londres, 1994, p. 112-127
J. Elsner, J. Masters J. (éd.), Reflections of Nero : Culture,
Elsner,
Masters 1994
History and Representation, Londres, 1994
Enmann 1884
A. Enmann, « Eine verlorene Geschichte der römischen
Kaiser und das Buch De viris illustribus urbis Romae.
Quellenstudien », Philologus suppl. 4 (1884), p. 335-501
Epstein 1992
S. J. Epstein, « More Speech and Allusion in Tacitus’
Annales XIV », Latomus 51 (1992), p. 868-871
Evans 1969
E. C. Evans, Physiognomics in the Ancient World,
Philadelphia, 1969
Evers,
C. Evers, A. Tsingarida (éd.), Rome et ses provinces. Genèse et
Tsingarida 2001
diffusion d’une image du pouvoir (hommages à J.-C. Balty),
Bruxelles, 2001
Fabia 1893
P. Fabia, Les Sources de Tacite dans les Histoires et les
Annales, Paris, 1893
Fabia,
P. Fabia, P. Wuilleumier, Tacite, l’homme et l’œuvre, Paris,
Wuilleumier 1949
1949
Fabbri 1978-1979
R. Fabbri, « La pagina senecana di Tacito (Ann. 15,
60-65) », AIV 137 (1978-1979), p. 409-427
Fabbrini 1979
F. Fabbrini, Paolo Orosio. Uno storico, Rome, 1979
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Fabbrini 1989
Fernández
Uriel 1994
Ferrero 1970
Ferri 1998
Fini 1993
Flach 1972
Flach 1973
Flach 1985
Flower 2006
Fornara 1983
Foucault 1969
Foucher 2000a
Foucher 2000b
Fraschetti 1994
Frazer 1966
Frazer 1971
Frezouls 1987
Funaioli 1927
FusarImperatore 1978
Gabba 1955
Gabba 1981
331
F. Fabbrini, « Tacito tra storiografia e tragedia », I racconti
di Clio : tecniche narrative della storiografia. Atti del convegno di studi, Arezzo 6-8 novembre 1986, Pise, p. 53-103
P. Fernández Uriel, « Tácito, Annales XV 37, 8 y Suetonio,
Nero, XXVIII y XXIX : interprétación sexual o religiosa ? », dans J. Almar, C. Blánquez, C. G. Wagner (éd.), Sexo,
muerte y religión en el mundo clásico, Madrid, p. 111-124
L. Ferrero, Rerum scriptor. Saggi sulla storiografia romana,
Rome, 1970
R. Ferri, « Octavia’s Heroines : Tacitus Annales 14.63-64
and the Praetexta Octavia », HSPh 98 (1998), p. 339-356
M. Fini, Nerone. Duemilia anni di calunnie, Milan, 1993
D. Flach, « Zum Quellenwert der Kaiserbiographien
Suetons », Gymnasium 79 (1972), p. 273-289
D. Flach, Tacitus in der Tradition der antiken
Geschichtsschreibung, Göttingen, 1973
D. Flach, Einführung in die Römische Geschichtsschreibung,
Darmstadt, 1985
H. I. Flower, The Art of Forgetting. Disgrace and Oblivion in
Roman Political Culture, Chapel Hill, 2006
C. W. Fornara, The Nature of History in Ancient Greece and
Rome, Berkeley, 1983
M. Foucault, L’Archéologie du savoir, Paris, 1969
A. Foucher, Historia proxima pœtis. L’influence de la poésie
épique sur le style des historiens latins de Salluste à Ammien
Marcellin, Bruxelles, 2000
A. Foucher, « Nature et formes de l’“histoire tragique” à
Rome », Latomus 59 (2000), p. 773-801
A. Fraschetti, Rome et le prince, trad. V. Jolivet, Paris, 1994
R. M. Frazer, « Nero the Artist-Criminal », CJ 62, 1 (1966),
p. 17-20
R. M. Frazer, « Nero the Singing Animal », Arethusa 4
(1971), p. 215-218
E. Frezouls, « Les Julio-Claudiens et le Palatium », dans
E. Lévy (éd.), Le Système palatial en Orient, en Grèce et à
Rome. Actes du colloque de Strasbourg, 19-22 juin 1985, Leyde,
1987, p. 445-462
G. Funaioli, « I Cesari di Suetonio », Raccolta di scritti in
onore di Felice Ramorino, Milan, 1927, p. 1-26
G. Fusar-Imperatore, Saggio di analisi critica della bibliografia neroniana dal 1934 al 1975, Milan, 1978
E. Gabba, « Sulla Storia Romana di Cassio Dione », RSI
67, 3 (1955), p. 289-333
E. Gabba, « True History and False History in Classical
Antiquity », JRS 71 (1981), p. 50-62
332
Gagé 1959
Galimberti 2001
Galimberti,
Ramelli 2001
Gallivan 1973a
Gallivan 1973b
Gallivan 1974a
Gallivan 1974b
Galtier 1999
Galtier 2002
Galtier 2011
Gangloff 2009
GarelliFrançois 1998
GarelliFrançois 2004
GarelliFrançois 2007
Garnsey 1970
Garson 1975
Gascou 1984
Geiser 2007
Genette 1991
Laurie Lefebvre
J. Gagé, « L’empereur romain et les rois. Politique et protocole », RH 221 (1959), p. 221-260
A. Galimberti, I Giulio-Claudi in Flavio Giuseppe (AI
XVIII-XX), Alessandria, 2001
A. Galimberti, I. Ramelli, « L’Octavia e il suo autore :
P. Pomponio Secondo ? », Aevum 75 (2001), p. 79-99
P. A. Gallivan, « The False Neros : a Re-examination »,
Historia 22, 2 (1973), p. 364-365
P. A. Gallivan, « Nero’s Liberation of Greece », Hermès 101
(1973), p. 230-234
P. A. Gallivan, « Suetonius and Chronology in the De Vita
Neronis », Historia 23 (1974), p. 297-318
P. A. Gallivan, « Historical Comments on Suetonius, Nero
6 », Latomus 33 (1974), p. 385-396
F. Galtier, « Néron, personnage tragique », dans
J.-M. Croisille, R. Martin, Y. Perrin (éd.), Neronia V
Bruxelles, 1999, p. 66-74
F. Galtier, « L’Opposition symbolique des figures de
Néron et Thrasea Paetus (Annales XVI, 21-35) », dans
J.-M. Croisille, Y. Perrin (éd.), Neronia VI, Bruxelles, 2002,
p. 312-321
F. Galtier, L’image tragique de l’Histoire chez Tacite. Étude
des schèmes tragiques dans les Histoires et les Annales,
Bruxelles, 2011
A. Gangloff, « Le sophiste Dion de Pruse, le bon roi et
l’empereur », RH 311 (2009), p. 3-38
M.-H. Garelli-François (éd.), Rome et le tragique : colloque
international du CRATA, 26, 27, 28 mars 1998, Toulouse,
1998
M.-H. Garelli-François, « Néron et la pantomime », dans
C. Hugoniot, F. Hurlet, S. Milanezi (éd.), Le Statut de
l’acteur dans l’Antiquité grecque et romaine. Actes du colloque
de Tours, 3-4 mai 2002, Tours, 2004, p. 353-368
M.-H. Garelli-François, Danser le mythe. La pantomime et
sa réflexion dans la culture antique, Louvain, 2007
P. Garnsey, Social Status and Legal Privilege in the Roman
Empire, Oxford, 1970
R. W. Garson, « The Pseudo-Senecan Octavia : a Plea for
Nero ? », Latomus 34 (1975), p. 754-756
J. Gascou, Suétone historien, Rome, 1984
M. Geiser, Personendarstellung bei Tacitus am Beispiel von
Cn. Domitius Corbulo und Ser. Sulpicius Galba, Remscheid,
2007
G. Genette, Fiction et diction, Paris, 1991
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Gerster 1884
Giancotti 1981
Gillis 1963
Ginsburg 1981
Ginsburg 1986
Ginsburg 1993
Ginsburg 2006
Giovannini 1984
Giovannini 1996
Gowers 1994
Gowing 1997
Graf 1931
Grant 1995
Grau 2015
Gray-Fow 1998
Griffe 1967
Griffin 1976
Griffin 2002
Grimal 1960
Grimal 1967
Grimal 1969
Grimal 1979
333
B. Gerster, « L’Isthme de Corinthe : tentatives de percement dans l’Antiquité », Bulletin de correspondance hellénique 8 (1884), p. 225-232
F. Giancotti, « Persons in Octavia », Dioniso 52 (1981),
p. 67-107
D. Gillis, « The Portrait of Afranius Burrus in
Tacitus’Annales », PP 18 (1963), p. 5-22
J. Ginsburg, Tradition and Theme in the Annals of Tacitus,
Salem, 1981
J. Ginsburg, « Speech and Allusion in Tacitus Annals
3.49-51 and 14.48-49 », AJPh 107 (1986), p. 525-541
J. Ginsburg, « In maiores certamina : Past and Present in the
Annals », dans T. J. Luce, A. J. Woodman (éd.), Tacitus and
the Tacitean tradition, Princeton, 1993, p. 86-103
J. Ginsburg, Representing Agrippina. Constructions of Female
Power in the Early Roman Empire, Oxford, 2006
A. Giovannini, « Tacite, l’“Incendium Neronis” et les
Chrétiens », REA 30 (1984), p. 3-23
A. Giovannini, « L’interdit contre les chrétiens : raison
d’état ou mesure de police ? », Cahiers Glotz 7 (1996),
p. 103-134
E. Gowers, « Persius and the decoction of Nero », dans
J. Elsner, J. Masters (éd.), Reflections of Nero, Londres, 1994,
p. 131-150
A. M. Gowing, « Cassius Dio on the Reign of Nero »,
ANRW II, 34, 3 (1997), p. 2558-2590
F. Graf, Untersuchungen über die Komposition der Annalen
des Tacitus, Thun, 1931
M. Grant, Greek and Roman Historians. Information and
Misinformation, Londres / New York, 1995
D. Grau, Néron en Occident. Une figure de l’histoire, Paris,
2015
M. J. G. Gray-Fow, « Why the Christians ? Nero and the
great Fire », Latomus 57 (1998), p. 595-616
É. Griffe, Les Persécutions contre les chrétiens aux Ier et
IIe siècles, Paris, 1967
M. T. Griffin, Seneca. A Philosopher in Politics, Oxford, 1976
M. T. Griffin, Néron ou la fin d’une dynastie, trad. A. d’Hautcourt, Gollion, 2002 [éd. originale 1984]
P. Grimal, « L’Éloge de Néron au début de la Pharsale est-il
ironique ? », REL 38 (1960), p. 296-305
P. Grimal, « Le Discours de Sénèque à Néron dans les
Annales de Tacite », GIF 20 (1967), p. 131-138
P. Grimal, Les Jardins romains2, Paris, 1969
P. Grimal, Sénèque ou la conscience de l’Empire, Paris, 1979
334
Laurie Lefebvre
P. Grimal, Tacite, Paris, 1990
F. Grosso, « La Vita di Apollonio di Tiana come fonte storica », Acme 7 (1055), p. 333-532
Guaglianone 1977
A. Guaglianone, « Nerone “cantautore” », AFLM 10
(1077), p. 91-134
Guttila 1972-1973
G. Guttila, « La Morte di Cremuzio Cordo nella Consolatio
ad Marciam. Appunti per una storia degli exitus », ALGP
9-10 (1972-1973), p. 153-179
Gwyn 1991
W. B. Gwyn, « Cruel Nero : the Concept of the Tyrant and
the Image of Nero in Western Political Thought », HPTh
12, 3 (1991), p. 421-455
Hamman 1975
A. Hamman, « Chrétiens et christianisme vus et jugés par
Suétone, Tacite et Pline le Jeune », Forma futuri : Studi in
onore del cardinale M. Pellegrino, Turin, 1975, p. 91-109
Hanslik 1963
R. Hanslik, « Der Erzählungscomplex von Brand Roms
und der Christenverfolgung bei Tacitus », WS 76 (1963),
p. 92-109
Hartog 1991
F. Hartog, Le Miroir d’Hérodote : essai sur la représentation
de l’autre, Paris, nouvelle éd. 1991
Heinz 1948
K. Heinz, Das Bild Kaiser Neros bei Seneca, Tacitus, Sueton
und Cassius Dio. Historisch-philologische Synopsis, Biel, 1948
Hellegouarc’h 1972 J. Hellegouarc’h, Le Vocabulaire latin des relations et des
partis politiques sous la République2, Paris, 1972
Henderson 1903
B. W. Henderson, The Life and Principate of the Emperor
Nero, Londres, 1903
Henderson 1989
J. Henderson, « Tacitus : the World in Pieces », Ramus 18
(1989), p. 167-210
Henry, Walker 1963 D. Henry, B. Walker, « Tacitus and Seneca », G&R 10
(1963), p. 98-110
Herington 1961
C. J. Herington, « Octavia Praetexta : a Survey », CQ 11
(1961), p. 18-30
Herrmann 1924
L. Herrmann, Octavie tragédie prétexte, Paris, 1924
Herrmann 1949
L. Herrmann, « Quels Chrétiens ont incendié Rome ? »,
RBPh 27 (1949), p. 633-651
Hind 1971
J. G. F. Hind, « The Middle Years of Nero’s Reign »,
Historia 20 (1971), p. 488-505
Hind 1972
J. G. F. Hind, « The Death of Agrippina and the Finale of
the Œdipus of Seneca », AUMLA 38 (1972), p. 204-211
Hochart 1884
P. Hochart, « La Persécution des chrétiens sous Néron.
Étude historique », Annales de la Faculté des lettres de
Bordeaux, n. s., I, 2 (1884), p. 44-168
Hoët-Van
C. Hoët-Van Cauwenberghe, « Condamnation de la
Cauwenberghe
mémoire de Néron en Grèce : réalité ou mythe ? », dans
2007a
Y. Perrin (éd.), Neronia VII, Bruxelles, 2007, p. 225-249
Grimal 1979
Grosso 1955
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Hoët-Van
Cauwenberghe
2007b
335
C. Hoët-Van Cauwenberghe, « La Fin des princes hellénistiques en Achaïe romaine au Ier siècle après J.C. », dans
S. Benoist (éd.), avec la coll. de A. Daguet-Gagey, Mémoire
et histoire, Metz, 2007, p. 153-180
Hoët-Van
C. Hoët-Van Cauwenberghe, « Les Princesses de la famille
Cauwenberghe
impériale et le Péloponnèse sous les Julio-claudiens »,
2008
dans C. Grandjean (éd.), Le Péloponnèse d’Épaminondas
à Hadrien. Colloque de Tours, 6-7 octobre 2005, Bordeaux /
Paris, 2008, p. 121-144
Hohl 1935
E. Hohl, « Primum facinus noui principatus », Hermès 70
(1935), p. 350-355
Holland 2000
R. Holland, The Man behind the Myth, Stroud, 2000
Holson 1976
P. Holson, « Nero and the Fire of Rome. Fact and Fiction »,
Pegasus 19 (1976), p. 37-44
Holztrattner 1995 F. Holztrattner, Poppaea Neronis potens : die Gestalt der
Poppaea Sabina in den Nerobüchern des Tacitus, mit einem
Anhang zu Claudia Acte, Horn, 1995
Hugoniot 2004
C. Hugoniot, « De l’infamie à la contrainte. Évolution de
la condition sociale des comédiens sous l’Empire romain »,
dans C. Hugoniot, F. Hurlet, S. Milanezi (éd.), Le Statut de
l’acteur dans l’Antiquité grecque et romaine. Actes du colloque
de Tours, 3 et 4 mai 2002, Tours, 2004, p. 213-240
Inglebert 1996
H. Inglebert, Les Romains chrétiens face à l’histoire de
Rome : histoire, christianisme et romanités en Occident dans
l’Antiquité tardive (IIIe-Ve siècles), Paris, 1996
Inglebert 2001
H. Inglebert, Interpretatio christiana : les mutations des
savoirs (cosmographie, géographie, ethnographie, histoire)
dans l’Antiquité chrétienne, 30-630 après J.-C., Paris, 2001
Jacques 1982
F. Jacques, « Le schismatique, tyran furieux. Le discours
polémique de Cyprien de Carthage », MEFRA 94, 2
(1982), p. 921-949
Jacques, Scheid 1992 F. Jacques, J. Scheid, Rome et l’intégration de l’Empire, I : les
structures de l’Empire romain2, Paris, 1992
Jacquin 2003
G. Jacquin (éd.), Le Récit de la mort. Écriture et histoire,
Rennes, 2003
Jahn 1920
J. N. H. Jahn, A Critical Study of the Sources of the History of
the Emperor Nero, s. l., 1920
JakobW. Jakob-Sonnabend, Untersuchungen zum Nero-Bild der
Sonnabend 1990
Spätantike, Hildesheim / Zurich / New-York, 1990
Jal 1963
P. Jal, La Guerre civile à Rome : étude littéraire et morale,
Paris, 1963
Jal 1987
P. Jal, « Pline et l’historiographie latine », dans J. Pigeaud,
J. Oroz (éd.), Pline l’Ancien témoin de son temps, Nantes,
1987, p. 487-502
336
Jenks 1991
Jerphagnon 1984
Jerphagnon 2004
Kajanto 1970
Keitel 1978
Kennel 1989
Keresztes 1979
Kleijwegt 2000
Korver 1950
Kragelund 1988
Kragelund 2000
Krämer 1965
Krappe 1940
Kraus 1999
Kraus,
Woodman 1997
Krauss 1930
Kroll 1924
Lachenaud,
Longrée 2003
Laurie Lefebvre
G. C. Jenks, The Origins and Early Development of the
Antichrist Myth, Berlin / New York, 1991
L. Jerphagnon, « Que le tyran est contre-nature : sur
quelques clichés de l’historiographie romaine », Actes du
colloque La Tyrannie, mai 1984, Caen, 1984, p. 39-50
L. Jerphagnon, Les Divins Césars : idéologie et pouvoir dans
la Rome impériale, Paris, nouv. éd. 2004
I. Kajanto, « Tacitus on the Slaves : an interpretation of the
Annals, XIV 42-45 », Arctos 6 (1970), p. 43-60
E. Keitel, « The Role of Parthia and Armenia in Tacitus
Annals 11 and 12 », AJPh 99 (1978), p. 462-473
N. M. Kennel, « Νέρων περιοδονίκης », AJPh 109 (1989),
p. 239-251
P. Keresztes, « The Imperial Roman Government and the
Christian Church I. From Nero to Severi », ANRW II, 23,
1 (1979), p. 247-315
M. Kleijwegt, « Nero’s Helpers : The Role of the Neronian
Courtier in Tacitus’ Annals », Classics Ireland 7 (2000)
J. Korver, « Néron et Musonius. À propos du dialogue
du pseudo-Lucien Néron ou le percement de l’isthme de
Corinthe », Mnemosyne 4 (1950), p. 319-329
P. Kragelund, « The Prefect’s Dilemma and the Date of the
Octavia », CQ 38 (1988), p. 492-508
P. Kragelund, « Nero’s luxuria, in Tacitus and in the
Octavia », CQ 50 (2000), p. 494-515
H. J. Krämer, « Die Sage von Romulus und Remus in der
lateinischen Literatur », dans H. Flashar, K. Gaiser (éd.),
Synusia. Festgabe für Wolfgang Schadewaldt zum 15. März
1965, Pfullingen, 1965, p. 355-402
A. H. Krappe, « La fin d’Agrippine », REA 42 (1940),
p. 466-472
C. S. Kraus (éd.), The Limits of Historiography : Genre and
Narrative in Ancient Historical Texts, Leyde, 1999
C. S. Kraus, A. J. Woodman, Latin Historians, Oxford, 1997
F. B. Krauss, An Interpretation of the Omens, Portents
and Prodigies recorded by Livy, Suetonius and Tacitus,
Philadelphie, 1930
W. Kroll, Studien zum Verständnis der römischen Literatur,
Stuttgart, 1924
G. Lachenaud, D. Longrée (éd.), Grecs et Romains aux prises
avec l’histoire : représentations, récits et idéologie. Colloque de
Nantes et Angers, 12-15 septembre 2001, Rennes, 2003
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Ladek 1909
Lanza 1997
Lavency 1974
La Ville de
Mirmont 1913
La Ville de
Mirmont 1914
Le Bœuffle 1999
Leclant,
Chamoux 2001
Lefebvre 2009
Lefebvre 2010
Lefebvre 2011
Lefebvre 2013
Lefebvre 2016
Le Gall,
Le Glay 1987
Le Glay 1992
Lepelley 1969
Lepore 1948
337
F. Ladek, « Die römische Tragödie Octavia und die Elektra
des Sophokles », dans Wiener Eranos, Vienne, 1909,
p. 189-199
D. Lanza, Le Tyran et son public, Paris, 1997
M. Lavency, « Néron et la persécution des Chrétiens d’après
Tacite, Annales, XV 44. I : commentaire linguistique »,
Humanités Chrétiennes 17 (1974), p. 280-288
H. de La Ville de Mirmont, « C. Calpurnius Piso et la
conspiration de l’an 818 / 65 », REA 15 (1913), p. 405-420
H. de La Ville de Mirmont, « C. Calpurnius Piso et la
conspiration de l’an 818 / 65 », REA 16 (1914), p. 45-62 ;
p. 197-209 ; p. 295-316
A. Le Bœuffle, « Le pouvoir et la “rétro-prédestination”, ou
l’art de la déformation… astrologique », dans É. Smadja,
É. Geny (éd.), Pouvoir, divination, prédestination dans le
monde antique, Paris, 1999, p. 273-282
J. Leclant, F. Chamoux (éd.), Histoire et historiographie
dans l’Antiquité : actes du 11e colloque de la villa Kérylos à
Beaulieu-sur-mer, 13-14 octobre 2000, Paris, 2001
L. Lefebvre, « Néron acteur de tragédie, ou la perversion
du tragique dans les récits historiographiques », Mosaïque 1
(2009), p. 1-18 [http://revuemosaique.net]
L. Lefebvre, « Néron ou le digne neveu de Caligula »,
dans M. Blandenet, C. Chillet, C. Courrier (éd.), Figures
de l’identité. Naissance et destin des modèles communautaires
dans le monde romain, Lyon, 2010, p. 147-161
L. Lefebvre, « Néron a-t-il voulu déplacer le siège de
l’Empire ? À propos d’Aurelius Victor, Livre des Césars, 5,
14 », REL 88 (2011), p. 172-187
L. Lefebvre, « Réécrire l’histoire : l’utilisation du matériau
suétonien par un historien chrétien, Orose », Latomus 72,
2 (2013), p. 492-501
L. Lefebvre, « L’historien antique face à ses sources : Eusèbe
de Césarée lecteur de Flavius Josèphe », dans M. Crété
(éd.), Discours et systèmes de représentation : modèles et transferts de l’écrit dans l’Empire romain, Presses universitaires de
Franche-Comté, p. 181-188
J. Le Gall, M. Le Glay, L’Empire romain, I : Le Haut-Empire,
de la bataille d’Actium (31 av. J.-C.) à l’assassinat de Sévère
Alexandre (235 ap. J.-C.), Paris, 1987
M. Le Glay, Rome, grandeur et déclin de l’Empire, Paris, 1992
C. Lepelley, L’Empire romain et le christianisme, Paris, 1969
E. Lepore, « Per la storia del principato neroniano », PP 3
(1948), p. 81-100
338
Laurie Lefebvre
F. A. Lepper, « Some Reflections on the Quinquennium
Neronis », JRS 47 (1957), p. 95-103
Lesky 1949
A. Lesky, « Neroniana », Mélanges Henri Grégoire,
Bruxelles, 1949, p. 385-389
Levi 1949
M. A. Levi, Nerone e i suoi tempi, Milan, 1949
Levi 1987
M. A. Levi (éd.), Neronia III. Actes du 3e colloque international de la SIEN, Varennes, juin 1982, Rome, 1987
Lévy 1984
E. Lévy, « Naissance du concept de barbare », Ktema 9
(1984), p. 5-14
Lewis 1991
R. G. Lewis, « Suetonius’ Caesares and their Literary
Antecedents », ANRW II, 33, 5 (1991), p. 3623-3674
Liénard 1939
E. Liénard, « Les dégâts matériels causés par l’incendie de
64 », Latomus 3 (1939), p. 52-57
Löfstedt 1958
E. Löfstedt, Roman Literary Portraits, trad. P. M. Frazer,
Oxford, 1958
Longrée 2003a
D. Longrée, « Tacite et Suétone : étude linguistique comparative et genres littéraires », dans G. Lachenaud, D. Longrée
(éd.), Grecs et Romains aux prises avec l’histoire : représentations, récits et idéologie. Colloque de Nantes et Angers,
12-15 septembre 2001, Rennes, 2003, p. 315-326
Longrée 2003b
D. Longrée, « Trépas impériaux : une étude comparative
de l’expression narrative chez Tacite et Suétone », dans
G. Jacquin (éd.), Le Récit de la mort. Écriture et histoire,
Rennes, 2003, p. 53-70
L’Orange 1942
H. P. L’Orange, « Domus Aurea – der Sonnenpalast », SO
suppl. 11 (1942), p. 68-100
Lounsbury 1987
R. C. Lounsbury, The Arts of Suetonius : an Introduction,
New York, 1987
Lounsbury 1991
R. C. Lounsbury, « Inter quos et Sporus erat : the Making
of Suetonius’ Nero », ANRW II, 33, 5 (1991), p. 3748-3779
Luce, Woodman 1993 T. J. Luce, A. J. Woodman (éd.), Tacitus and the Tacitean
tradition, Princeton, 1993
Magdelain 1947
A. Magdelain, Auctoritas principis, Paris, 1947
Malissard 1990a
A. Malissard, « Tacite et le théâtre ou la mort en scène »,
dans J. Blänsdorf (éd.), Theater und Gesellschaft im Imperium
romanum, Tübingen, 1990, p. 213-222
Malissard 1990b
A. Malissard, « L’histoire : écriture ou vérité ? À propos de
Pline (Ep. 6, 16 et 20) et de Tacite (Ann., 14, 3-9) », dans
M. M. Mactoux, É. Geny (éd.), Mélanges Pierre Lévêque, 5 :
Anthropologie et société, Paris, 1990, p. 227-244
Malissard 1991
A. Malissard, « Le décor dans les Histoires et les Annales.
Du stéréotype à l’intention signifiante », ANRW II, 33, 4
(1991), p. 2832-2878
Lepper 1957
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Malissard 1998
339
A. Malissard, « Tacite et l’espace tragique », dans
M.-H. Garelli-François (éd.), Rome et le tragique, Toulouse,
1998, p. 211-224
Malissard 2002
A. Malissard, « Néron, Tacite et la question de l’espace
romain », dans J.-M. Croisille, Y. Perrin (éd.), Neronia VI,
Bruxelles, 2002, p. 178-192
Mambwini
J. Mambwini Kivuila-Kiaku, « Histoire et rhétorique dans
Kivuila-Kiaku 2004 la textualité de la mort d’Agrippine (Tacite, Annales XIV
1-13) », Revista de estudios latinos, 4, p. 87-101
Manning 1975
C. E. Manning, « Acting and Nero’s Conception of the
Principate », G&R 22, 2 (1975), p. 164-175
Manuwald 2001
G. Manuwald, Fabulae praetextae : Spuren einer literarischen
Gattung der Römer, Munich, 2001
Manuwald 2003
G. Manuwald, « The Concept of Tyranny in Seneca’s
Thyestes and in Octauia », dans M. Wilson (éd.), The
Tragedy of Nero’s Wife. Studies on the Octavia Praetexta,
Auckland, 2003, p. 37-59
Manuwald 2013
G. Manuwald, Nero in Opera : Librettos as Transformations
of Ancient Sources, Berlin / Boston, 2013
Maraval 1992
P. Maraval, Les Persécutions des chrétiens durant les quatre
premiers siècles, Paris, 1992
Marin 1981
L. Marin, Le Portrait du roi, Paris, 1981
Marincola 1999
J. Marincola, « Genre, Convention and Innovation in
Greco-Roman Historiography », dans C. S. Kraus (éd.),
The Limits of Historiography, Leyde, 1999, p. 281-324
Marrou 1965
H.-I. Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité6, Paris,
1965
Martin 1982
P. M. Martin, L’Idée de royauté à Rome, 1 : de la Rome royale
au consensus républicain, Clermont-Ferrand, 1982
Martin 1994
P. M. Martin, L’Idée de royauté à Rome, 2 : haine de la royauté et séductions monarchiques (du IVe siècle av. J.C. au principat augustéen), Clermont-Ferrand, 1994
Martin 1999
R. Martin, « Les récits tacitéens des crimes de Néron
sont-ils fiables ? », dans J.-M. Croisille, R. Martin, Y. Perrin
(éd.), Neronia V, Bruxelles, 1999, p. 75-85
Martin 2009
R. Martin, « Les grands crimes de Néron vus par Tacite
et Suétone », dans R. Poignault (éd.), Présence de Suétone.
Actes du colloque tenu à Clermont-Ferrand (25-27 novembre
2004), Clermont-Ferrand, 2009, p. 73-84
Martin 1991
R. F. Martin, Les Douze Césars, du mythe à la réalité, Paris,
1991
Martin 1955
R. H. Martin, « Tacitus and the Death of Augustus », CQ
5 (1955), p. 123-128
Martin 1969
R. H. Martin, « Tacitus and his Predecessors », dans
T. A. Dorey (éd.), Tacitus, Londres, 1969, p. 117-147
340
Martin 1981
Martin 1990
Marx 1937-1938
Mayer 1982
Mazzarino 1959
McAlindon 1956
McCulloch 1980
McCulloch 1984
McCulloch 1991
McGing,
Mossman 2006
McMullen 1966
Mellor 1999
Mendell 1935
Meslin 1970
Méthy 2000
Meulder 2002
Michel 1966
Millar 1964
Millar 1977
Miller 1964
Miller 1977
Mimouni,
Maraval 2006
Mittag 1999
Laurie Lefebvre
R. H. Martin, Tacitus, Londres, 1981
R. H. Martin, « Structure and Interpretation in the Annals
of Tacitus », ANRW II, 33, 2 (1990), p. 1500-1581
F. A. Marx, « Tacitus und die Literatur der exitus illustrium
uirorum », Philologus 92 (1937-1938), p. 83-103
R. Mayer, « What caused Poppaea’s Death ? », Historia 31
(1982), p. 248-249
S. Mazzarino, Enciclopedia dell’arte antica, classica e orientale II (1959), s. v. « Contorniati », p. 784-791
D. McAlindon, « Senatorial Opposition to Claudius and
Nero », AJPh 77 (1956), p. 113-132
H. Y. Jr. McCulloch, « Literary Augury at the End of
Annals 13 », Phœnix 34 (1980), p. 237-242
H. Y. Jr. McCulloch, Narrative Cause in the Annals of
Tacitus, Königstein, 1984
H. Y. Jr. McCulloch, « The Historical Process and Theories
of History in the Annals and Histories of Tacitus », ANRW
II, 33, 4 (1991), p. 2928-2948
B. McGing, J. Mossman (éd.), The Limits of Ancient
Biography, Swansea, 2006
R. McMullen, Enemies of the Roman Order : Treason, Unrest,
and Alienation in the Empire, Cambridge, Mass., 1966
R. Mellor, The Roman Historians, Londres / New York,
1999
C. W. Mendell, « Dramatic Construction of Tacitus’
Annals », YClS 5 (1935), p. 3-53
M. Meslin, Le Christianisme dans l’Empire romain, Paris,
1970
N. Méthy, « Néron : mage ou monstre ? Sur un passage
de Pline l’Ancien (NH 30, 14-17) », RhM 143, 3-4 (2000),
p. 381-399
M. Meulder, « Histoire et mythe dans la Vita Neronis de
Suétone », Latomus 61 (2002), p. 362-387
A. Michel, Tacite et le destin de l’Empire, Paris, 1966
F. Millar, A Study of Cassius Dio, Oxford, 1964
F. Millar, The Emperor in the Roman world, 31 B.C.-A.D. 337,
Londres, 1977
N. P. Miller, « Dramatic Speech in Tacitus », AJPh 85
(1964), p. 279-296
N. P. Miller, « Tacitus’ Narrative Technique », G&R 24
(1977), p. 13-22
S. Mimouni, P. Maraval, Le Christianisme : des origines à
Constantin, Paris, 2006
P. F. Mittag, Alte Köpfe in neuen Händen : Urheber und
Funktion der Kontorniaten, Bonn, 1999
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Momigliano 1932
Momigliano 1950
Monteleone 1975
Monteleone 1988
Moreau 1956
Moreau 2002
Morford 1968
Morford 1990
Mouchova 1968
Mourgues 1988
Mourgues 1990
Muller 1994
Muller 1999
Murray 1965
Néraudau 1982
Néraudau 1985
Nero 2016
Newbold 1974
Newbold 1975
Nielsen 1994
341
A. Momigliano, « Osservazioni sulle fonti per la storia di
Caligola, Claudio, Nerone », RAL serie sesta, t. VIII (1932),
p. 293-336
A. Momigliano, « Note sulla leggenda del Cristianesimo di
Seneca », RSI 62 (1950), p. 325-344
C. Monteleone, « Un procedimento stilistico in Tacito,
Annali 14, 8-9 », RFIC 103 (1975), p. 302-306
C. Monteleone, « Alle radici di una tragedia tacitea »,
AFLB 31 (1988), p. 91-113
J. Moreau, La Persécution du christianisme dans l’Empire
romain, Paris, 1956
P. Moreau, Incestus et prohibitae nuptiae. Conception
romaine de l’inceste et histoire des prohibitions matrimoniales
pour cause de parenté dans la Rome antique, Paris, 2002
M. Morford, « The distortion of the Domus Aurea tradition », Eranos 66 (1968), p. 158-179
M. Morford, « Tacitus’ Historical Methods in the Neronian
Books of the Annals », ANRW II, 33, 2 (1990), p. 1582-1627
B. Mouchova, Studie zu Kaiserbiographien Suetons, Prague,
1968
J.-L. Mourgues, « Les Augustians et l’expérience théâtrale
néronienne », REL 66 (1988), p. 156-181
J.-L. Mourgues, « Néron et les monarchies hellénistiques :
le cas des Augustians », dans J.-M. Croisille (éd.), Neronia
IV Bruxelles, 1990, p. 196-210
L. Muller, « La Mort d’Agrippine (Tacite, Annales, XIV
1-13). Quelques éléments tragiques de la composition du
récit », LEC 62 (1994), p. 27-43
L. Muller, « Soulagement, diagnostic et mise à mort : Néron
et les médecins », dans J.-M. Croisille, R. Martin, Y. Perrin
(éd.), Neronia V Bruxelles, 1999, p. 125-134
O. Murray, « The Quinquennium Neronis and the Stoics »,
Historia 14 (1965), p. 41-61
J.-P. Néraudau, « La parole et la voix », dans M. A. Levi
(éd.), Neronia III, Rome, 1982, p. 101-124
J.-P. Néraudau, « Néron et le nouveau chant de Troie »,
ANRW II, 32, 3 (1985), p. 2032-2045
Nero, Kaiser, Künstler und Tyrann, exposition du rheinisches
Landesmuseum de Trèves, 14 mai-16 octobre 2016
R. F. Newbold, « Some Social and Economic Consequences
of the A.D. 64 Fire at Rome », Latomus 33 (1974), p. 858-869
R. F. Newbold, « Cassius Dio and the Games », AC 44
(1975), p. 589-604
I. Nielsen, Hellenistic Palaces. Tradition and Renewal,
Aarhus, 1994
342
Laurie Lefebvre
G. Nordmeyer, De Octaviae fabula, Leipzig, 1892
E. O’Gorman, Irony and misreading in the Annals of Tacitus,
Cambridge, 2000
Oliveira 1992
F. de Oliveira, Les Idées politiques et morales de Pline l’Ancien,
Coïmbre, 1992
Pagán 2009
V. E. Pagán, Conspiracy Narratives in Roman History,
Austin, 2009
Pagán 2012
V. E. Pagán (éd.), A Companion to Tacitus. Blackwell
companions to the ancient world, Malden, MA / Oxford /
Chichester, 2012
Pailler 1988
J.-M. Pailler, Bacchanalia. La répression de 186 av. J.-C. à
Rome et en Italie : vestiges, images, tradition, Paris / Rome,
1988
Paratore 1959
E. Paratore, « Claude et Néron chez Suétone », RCCM 1
(1959), p. 326-341
Paratore 1962
E. Paratore, Tacito2, Rome, 1962
Parker 1946
E. Parker, « Education of Heirs in Julio-Claudian Family »,
AJPh 67 (1946), p. 44-48
Parks 1945
E. P. Parks, The Roman Rhetorical Schools as a Preparation
for the Courts under the Early Empire, Baltimore, 1945
Pascal 1900
C. Pascal, L’Incendio di Roma e i primi Cristiani2, Turin,
1900
Pascal 1923
C. Pascal, Nerone nella storia aneddotica e nella leggenda,
Milan, 1923
Passerini 1934
A. Passerini, « La τρυφή nella storiografia ellenistica »,
SIFC n. s. 11 (1934), p. 35-56
Pavis d’Escurac 1987 H. Pavis d’Escurac, « La Familia Caesaris et les affaires
publiques : discretam domum et rempublicam (Tacite,
Annales, XIII, 4) », dans E. Lévy (éd.), Le Système palatial
en Orient, en Grèce et à Rome. Actes du colloque de Strasbourg,
19-22 juin 1985, Leyde, 1987, p. 393-410
Pelling 1997
C. Pelling, « Biographical History ? Cassius Dio on the
Early Principate », dans M. J. Edwards, S. Swain (éd.),
Portraits. Biographical Representation in the Greek and Latin
Literature of the Roman Empire, Oxford, 1997, p. 117-144
Pelling 2006
C. Pelling, « Breaking the Bounds : Writing about Caesar »,
dans B. McGing, J. Mossman (éd.), The Limits of Ancient
Biography, Swansea, 2006, p. 255-279
Perrin 1985
Y. Perrin, « La fête néronienne », Actes des Premières
Rencontres Internationales sur le carnaval, la fête et la
communication, Nice, 8-10 mars 1984, Nice, 1985, p. 97-109
Perrin 1987
Y. Perrin, « La domus aurea et l’idéologie néronienne »,
dans E. Lévy (éd.), Le Système palatial en Orient, en Grèce
et à Rome. Actes du colloque de Strasbourg, 19-22 juin 1985,
Leyde, 1987, p. 359-391
Nordmeyer 1892
O’Gorman 2000
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Perrin 1992
Perrin 1993
Perrin 2003
Perrin 2007
Picard 1962
Pichon 1961
Pichon 1971
Pippidi 1944
Plass 1988
Pœ 1989
Poinsotte 1996
Poinsotte 1999
Power, Gibson 2014
Préchac 1914
Profumo 1905
Purcell 1987
343
Y. Perrin, « Le Prince, le Diable, le Bon Dieu et la Grenouille :
images médiévales de Néron », Maisons de Dieu et hommes
d’Église, florilège en l’honneur de Pierre-Roger Gaussin,
Saint-Étienne, 1992, p. 237-263
Y. Perrin, « Néron, Antoine, Alexandrie. Quelques notes
sur un paradoxe », Marc Antoine, son idéologie et sa descendance. Actes du colloque organisé à Lyon le jeudi 28 juin 1990,
Lyon / Paris, 1993, p. 93-106
Y. Perrin, « Imperii arx : métaphore ou réalité ? Les fonctions
de la domus tiberiana néronienne », dans P. Defosse (éd.),
Hommages à Carl Deroux. III, Histoire et épigraphie, Droit,
Bruxelles, 2003, p. 340-355
Y. Perrin, Neronia VII. Rome, l’Italie et la Grèce : hellénisme et philhellénisme au premier siècle ap. J.-C. Actes du
VIIe colloque international de la SIEN, Athènes, 21-23 octobre
2004, Bruxelles, 2007
G.-Ch. Picard, Auguste et Néron, le secret de l’Empire, Paris,
1962
J.-C. Pichon, Saint Néron, Paris, 1961
J.-C. Pichon, Néron et le mystère des origines chrétiennes,
Paris, 1971
D. M. Pippidi, « Tacite et Tibère. Une contribution à
l’étude du portrait dans l’historiographie latine », dans
D. M. Pippidi, Autour de Tibère, Bucarest, 1944, p. 11-87
P. Plass, Wit and the Writing of History : the Rhetoric of
Historiography in Imperial Rome, Madison, 1988
J. P. Pœ, « Octavia Praetexta and its Senecan Model »,
AJPh 110 (1989), p. 434-459
J.-M. Poinsotte, « Commodien dit de Gaza », REL 74
(1996), p. 270-281
J.-M. Poinsotte, « Un Nero rediuiuus chez un poète apocalyptique du IIIe siècle (Commodien) », dans J.-M. Croisille,
R. Martin, Y. Perrin (éd.), Neronia V Bruxelles, 1999,
p. 201-213
T. Power, R. K. Gibson (éd.), Suetonius, the Biographer :
Studies in Roman Lives, Oxford / New York, 2014
F. Préchac, « Sénèque et la Maison d’Or », CRAI 58 (1914),
p. 231-242
A. Profumo, Le Fonti ed i tempori dello incendio Neroniano,
Rome, 1905
N. Purcell, « Town in country and Country in Town »,
dans E. B. McDougall (éd.), Ancient Roman Villa Gardens.
Dumbarton Oaks Colloquium on the History of Landscape
Architecture, X Washington, 1987, p. 185-203
344
Questa 1957
Questa 1967
Quinn 1963
Raabe 1872
Ramage 1983
Rambaud 1966
Rambaud 1970
Ramelli 2002
Ratti 2009
Reydellet 1981
Richardson 1992
Ripoll 1999
Roberts 1988
Robichon 1985
Robin 1973
Rochette 2003
Rogers 1953a
Rogers 1953b
Rolfe 1913
Laurie Lefebvre
C. Questa, « Tecnica biografica e tecnica annalistica nel
libri LIII-LXIII di Cassio Dione », Studi urbinati di storia,
filosofia e letteratura 31 (1957), p. 37-53
C. Questa, Studi sulle fonti degli Annales di Tacito2, Rome,
1967
K. Quinn, « Tacitus’ Narrative Technique », dans
K. Quinn, Latin Explorations : Critical Studies in Roman
Literature, Londres, 1963, p. 110-129
A. H. Raabe, Geschichte und Bild von Nero, Utrecht, 1872
E. S. Ramage, « Denigration of Predecessor under Claudius,
Galba and Vespasian », Historia 32 (1983), p. 201-214
M. Rambaud, L’Art de la déformation historique dans les
Commentaires de César2, Paris, 1966
M. Rambaud, « Recherches sur le portrait dans l’historiographie romaine », LEC 38 (1970), p. 417-447
I. Ramelli, « Ipotesi sulla datazione e sull’attribuzione dell’Octavia », dans L. Castagna, G. Vogt-Spira,
G. Galimberti Biffino, B. Rommel (éd.), Pervertere : Ästhetik
der Verkehrung. Literatur und Kultur neronischer Zeit und
ihre Rezeption, Munich / Leipzig, 2002, p. 75-76
S. Ratti, avec la coll. de J. Y. Guillaumin, P. M. Martin,
É. Wolff, Écrire l’histoire à Rome, Paris, 2009
M. Reydellet, La Royauté dans la littérature latine de Sidoine
Apollinaire à Isidore de Séville, Rome, 1981
L. Richardson Jr., A New Topographical Dictionary of Ancient
Rome, Baltimore, 1992
F. Ripoll, « Aspects et fonction de Néron dans la propagande impériale flavienne », dans J.-M. Croisille, R. Martin,
Y. Perrin (éd.), Neronia V Bruxelles, 1999, p. 137-151
M. Roberts, « The Revolt of Boudicca (Tacitus, Annals
14.29-39) and the Assertion of Libertas in Neronian
Rome », AJPh 109 (1988), p. 118-132
J. Robichon, Néron ou la Comédie du pouvoir, Paris, 1985
P. Robin, L’Ironie chez Tacite, Villeneuve d’Ascq, 1973
B. Rochette, « Néron et la magie », Latomus 62, 4 (2003),
p. 835-843
R. S. Rogers, « The Neronian Comets », TAPhA 84 (1953),
p. 237-249
R. S. Rogers, « The Tacitean Account of a Neronian Trial »,
dans G. E. Mylonas, D. Raymond (éd.), Studies presented to
David Moore Robinson on his Seventieth Birthday II, Saint
Louis, 1953, p. 711-718
J. C. Rolfe, « Suetonius and his Biographies », PAPhS 52
(1913), p. 206-225
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Roman 2001
Ronconi 1940
Ronconi 1956
Roper 1979
Rosso 2008
Rougé 1978
Rouveret 1991
Royo 1983
Royo 1999
Royo 2007
Ruch 1969
Rutland 1978-1979
Ryberg 1942
Sablayrolles 1996
Sage 1990
Sainte Croix 1963
Sainte Croix 1964
Santoro
L’Hoir 2006
345
Y. Roman, Empereurs et sénateurs. Une histoire politique de
l’Empire romain : Ier-IVe siècle, Paris, 2001
A. Ronconi, « Exitus illustrium virorum », SIFC 17 (1940),
p. 3-32
A. Ronconi, « Tacito, Plinio e i Cristiani », dans Studi in
onore di Ugo Enrico Paoli, Florence, 1956, p. 615-628
J. K. Roper, « Nero, Seneca and Tigellinus », Historia 28
(1979), p. 346-357
E. Rosso, « Les Destins multiples de la domus Aurea.
L’exploitation de la condamnation de Néron dans l’idéologie flavienne », dans S. Benoist, A. Daguet-Gagey (éd.),
Un discours en images de la condamnation de mémoire, Metz,
2008, p. 43-78
J. Rougé, « Néron à la fin du IVe siècle », Latomus 37
(1978), p. 73-87
A. Rouveret, « Tacite et les monuments », ANRW II, 33, 4
(1991), p. 3051-3099
M. Royo, « L’Octavie entre Néron et les premiers
Antonins », REL 61 (1983), p. 189-200
M. Royo, Domus imperatoriae. Topographie, formation et
imaginaire des palais impériaux du Palatin (IIe siècle av. J.-C.
– Ier siècle ap. J.-C.), Rome, 1999
M. Royo, « Bis vidimus urbem totam… (Pline, NH 36,
111). Les résidences de Caligula et de Néron, entre topos
rhétorique et réalité topographique », dans Y. Perrin (éd.),
Neronia VII, Bruxelles, 2007, p. 378-405
M. Ruch, « L’art de la narration au service des idées chez
Tite-Live : de la monarchie à la tyrannie (I, 46-52) »,
Caesarodunum 3 (1969), p. 107-112
L. W. Rutland, « Women as Makers of Kings in Tacitus’
Annals », CW 72 (1978-1979), p. 15-29
I. S. Ryberg, « Tacitus’ Art of Innuendo », TAPhA 73
(1942), p. 383-404
R. Sablayrolles, Libertinus miles. Les cohortes de vigiles,
Rome, 1996
M. M. Sage, « Tacitus’ Historical Works : a Survey
and Appraisal », ANRW II, 33, 2 (1990), p. 851-1030 ;
p. 1629-1647
G. E. M. de Sainte Croix, « Why were the early Christians
persecuted ? », P&P 26 (1963), p. 6-38
G. E. M. de Sainte Croix, « Why were the early Christians
persecuted ? – A Rejoinder », P&P 27 (1964), p. 28-33
F. Santoro L’Hoir, Tragedy, Rhetoric, and the Historiography
of Tacitus’ Annales, Ann Arbor, 2006
346
Saumagne 1955
Saumagne 1962
Saumagne 1964
Scheid 1981
Scheid 1984
Schiller 1872
Schmidt 1985
Schmidt 1990
Schubert 1998
Schunck 1955
Scott 1998
Scott 1974
Segal 1973
Segala,
Sciortino 1999
Segura Ramos 1998
Segura Ramos 2002
Seita 1979
Laurie Lefebvre
C. Saumagne, « La “passion” de Thraséa », REL 33 (1955),
p. 241-257
C. Saumagne, « Les incendiaires de Rome (ann. 64 p. C.)
et les lois pénales des Romains (Tacite, Annales, XV 44) »,
RH 227 (1962), p. 337-360
C. Saumagne, « Tacite et Saint Paul », RH 232 (1964),
p. 67-110
J. Scheid, « Le délit religieux dans la Rome tardo-républicaine », Le Délit religieux dans la cité antique. Table ronde,
Rome, 6-7 avril 1978, Rome, 1981, p. 117-171
J. Scheid, « La Mort du tyran. Chronique de quelques
morts programmées », Du châtiment dans la cité : supplices
corporels et peine de mort dans le monde antique. Table ronde,
Rome, 9-11 novembre 1982, Paris / Rome, 1984, p. 177-193
H. Schiller, Geschichte des römischen Kaiserreichs unter des
Nero, Berlin, 1872
P. L. Schmidt, « Die Pœtisierung und Mythisierung der
Geschichte in der Tragödie Octavia », ANRW II, 32, 2
(1985), p. 1421-1453
P. L. Schmidt, « Nero und das Theater », dans J. Blänsdorf
(éd.), Theater und Gesellschaft im Imperium romanum,
Tübingen, 1990, p. 149-169
C. Schubert, Studien zum Nerobild in der lateinischen
Dichtung der Antike, Stuttgart / Leipzig, 1998
P. Schunck, Römisches Sterben. Studien zu Sterbeszenen
in der kaiserzeitlichen Literatur, insbesondere bei Tacitus,
Heidelberg, 1955
J. M. Scott, « The Rhetoric of Suppressed Speech : Tacitus’
Omission of Direct Discourse in his Annals as a Technique
of Character Denigration », AHB 12 (1998), p. 8-18
R. D. Scott, « The Death of Nero’s Mother », Latomus 33
(1974), p. 105-115
C. Segal, « Tacitus and Pœtic History. The End of Annals
XIII », Ramus 2 (1973), p. 107-126
E. Segala, I. Sciortino, Domus Aurea, Milan (1999)
B. Segura Ramos, « Tacite ou la tragédie du pouvoir », dans
M.-H. Garelli-François (éd.), Rome et le tragique, Toulouse,
1998, p. 225-235
B. Segura Ramos, « Tácito y los cristianos. La primera
persecución », CFC(L) 22, 2 (2002), p. 445-461
M. Seita, « Seneca e il matricido di Nerone : analisi d’una
drammatica notte », Rivista di studi classici 27 (1979),
p. 447-453
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
347
Sherwin-White 1964 A. N. Sherwin-White, « Why were the Early Christians
Persecuted ? – An Amendment », P&P 27 (1964), p. 23-27
Shiel 1975-1976
N. Shiel, « Nero citharœdus », Euphrosyne 7 (1975-1976),
p. 175-179
Shotter 1991
D. C. A. Shotter, « Tacitus’ View of Emperors and the
Principate », ANRW II, 33, 5 (1991), p. 3263-3331
Simon, Benoît 1968 M. Simon, A. Benoît, Le Judaïsme et le christianisme antique,
d’Antiochus Épiphane à Constantin, Paris, 1968
Slater 1996
N. Slater, « Nero’s Mask », CW 90 (1996), p. 33-40
Smith 2003
J. A. Smith, « Flavian Drama : Looking back with Octavia »,
dans A. J. Boyle, W. J. Dominik (éd.), Flavian Rome. Culture,
Image, Text, Leyde / Boston, 2003, p. 391-430
Sordi 1986
M. Sordi, The Christians and the Roman Empire, Norman,
1986
Sordi 1999
M. Sordi, « L’incendio neroniano e la persecuzione dei
Cristiani nella storiografia antica », dans J.-M. Croisille,
R. Martin, Y. Perrin (éd.), Neronia V Bruxelles, 1999,
p. 105-112
Späth 1994
T. Späth, « Texte et Tacite. Proposition d’un modèle du
texte historiographique », SStor 26 (1994), p. 3-38
Speyer 1971
W. Speyer, « Tacitus Annalen 14, 53-56 und ein angeblicher
Briefwechsel zwischen Seneca und Nero », RhM 114 (1971),
p. 351-359
Steidle 1963
W. Steidle, Sueton und die antike Biographie2, Munich, 1963
Stucchi 2014
S. Stucchi, « Nerone e il rovesciamento dei codici comportamentali : la Domus Aurea e la villeggiatura in città », dans
O. Devillers (éd.), Neronia IX Bordeaux, 2014, p. 297-308
Sullivan 1985
J. P. Sullivan, Literature and Politics in the Age of Nero,
Ithaca / Londres, 1985
Sutton 1983
D. F. Sutton, The Dramaturgy of the Octavia, Königstein,
1983
Syme 1958
Sir R. Syme, Tacitus, Oxford, 1958
Syme 1980
Sir R. Syme, « Biographers of the Caesars », MH 37 (1980),
p. 104-128
Tarpin 2001
M. Tarpin, Roma fortunata. Identité et mutations d’une ville
éternelle, Gollion, 2001
Thornton 1973
M. K. Thornton, « The Enigma of Nero’s Quinquennium »,
Historia 22 (1973), p. 570-582
Townend 1961
G. B. Townend, « Traces in Dio Cassius of Cluvius, Aufidius
and Pliny », Hermès 89 (1961), p. 227-248
Townend 1967
G. B. Townend, « Suetonius and his Influence », dans
T. A. Dorey (éd.), Latin Biography, Londres, 1967, p. 98-106
Toynbee 1945
J. M. C. Toynbee, compte-rendu de A. Alföldi, Die
Kontorniaten, Budapest, 1943, JRS 35 (1945), p. 115-121
348
Laurie Lefebvre
J. Tresch, Die Nero-Bücher in den Annalen des Tacitus :
Tradition und Leistung, Heidelberg, 1965
Ullman 1942
B. L. Ullman, « History and Tragedy », TAPhA 73 (1942),
p. 25-53
Valenti Pagnini 1987 R. Valenti Pagnini, Il Potere e la sua immagine : semantica di
species in Tacito, Naples, 1987
Van Haeperen 2005 F. Van Haeperen, « L’Impiété, une caractéristique des
“mauvais” empereurs », FEC 10 (2005) [http://bcs.fltr.ucl.
ac.be/FE/10/impiete.htm]
Verdière 1960
R. Verdière, « Le baiser d’adieu de Néron », dans Hommages
à L. Herrmann, Bruxelles, 1960, p. 774-776
Verdière 1975
R. Verdière, « À verser au dossier sexuel de Néron », PP 30
(1975), p. 5-22
Veyne 1971
P. Veyne, Comment on écrit l’histoire. Essai d’épistémologie,
Paris, 1971
Voisin 1984
J.-L. Voisin, « Les Romains, chasseurs de têtes », dans Du
châtiment dans la cité : supplices corporels et peine de mort
dans le monde antique. Table ronde, Rome, 9-11 novembre
1982, Paris / Rome, 1984, p. 241-293
Voisin 1987
J.-L. Voisin, « Exoriente sole (Suétone, Ner. 6). D’Alexandrie
à la domus aurea », dans L’Urbs : espace urbain et histoire
(Ier s. av. J.-C. - IIIe s. ap. J.-C.). Actes du colloque international organisé par le CNRS et l’École française de Rome (Rome,
8-12 mai 1985), Rome, 1987, p. 509-543
Vout 2002
C. Vout, « Nero and Sporus », dans J.-M. Croisille, Y. Perrin
(éd.), Neronia VI, Bruxelles, 2002, p. 493-502
Vretska 1977
K. Vretska, Studien zur biographischen Technik Suetons,
Vienne / Bonn / Graz, 1977
Walbank 1955
F. W. Walbank, « Tragic History : a Reconsideration »,
BICS 2 (1955), p. 4-14
Walbank 1960
F. W. Walbank, « History and Tragedy », Historia 9 (1960),
p. 216-234
Walde 2013
C. Walde, Neros Wirklichkeiten : zur Rezeption einer
umstrittenen Gestalt, Rahden, 2013
Walker 1960
B. Walker, The Annals of Tacitus : a Study in the Writing of
History2, Manchester, 1960
WallaceA. Wallace-Hadrill, « The Emperor and his Virtues »,
Hadrill 1981
Historia 30 (1981), p. 298-323
WallaceA. Wallace-Hadrill, Suetonius : the Scholar and his Caesars,
Hadrill 1983
Londres, 1983
WallaceA. Wallace-Hadrill, Suetonius, Bristol, 1995
Hadrill 1995
Wankenne 1981
J. Wankenne, « Faut-il réhabiliter l’empereur Néron ? »,
LEC 49 (1981), p. 135-152
Tresch 1965
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Wankenne 1974
Warmington 1969
Weigall 1930
Williams 1994
Wiseman 1979
Wolff 2003
Wood 2004
Woodman 1988
Woodman 1998
Wuilleumier 1976
Yavetz 1975
Yeh 2007
349
L. Wankenne, « Néron et la persécution des Chrétiens
d’après Tacite, Annales, XV 44. II : commentaire historique », Humanités Chrétiennes 17 (1974), p. 288-302
B. H. Warmington, Nero, Reality and Legend, Londres,
1969
A. Weigall, Nero, Emperor of Rome, Londres, 1930
G. Williams, « Nero, Seneca and Stoicism in the Octavia »,
dans J. Elsner, J. Masters (éd.), Reflections of Nero, Londres,
1994, p. 178-195
T. P. Wiseman, Clio’s Cosmetics : Three Studies in
Greco-Roman Literature, Leicester, 1979
É. Wolff, « La “Cena Trimalchionis” : au-delà des
apparences », Pallas 61 (2003), p. 341-348
S. Wood, « Rus in Urbe : The Domus Aurea and the Neronian
Horti in the city of Rome », The School of Historical Studies,
Postgraduate Forum e-Journal 3 (2004), p. 1-11
A. J. Woodman, Rhetoric in Roman Historiography : four
Studies, Londres / Sydney, 1988
A. J. Woodman, Tacitus Reviewed, Oxford, 1998
[contient notamment : « Nero’s Alien Capital : Tacitus
as Paradoxographer (Annals 15. 36-7) », p. 168-189 ;
« Amateur Dramatics at the Court of Nero (Annals 15.
48-74) », p. 190-217]
P. Wuilleumier, « L’empoisonnement de Claude »,
dans Mélanges offerts à Jacques Heurgon II, Rome, 1976,
p. 1033-1034
Z. Yavetz, « Forte an dolo principis (Tac., Ann. 15. 38) »,
dans B. Levick, The Ancient Historian and his Materials.
Essays in honour of C. E. Stevens on his seventieth birthday,
Farnborough, 1975, p. 181-197
W.-J. Yeh, Structures métriques des poésies de Pétrone : pour
quel art poétique ?, Louvain, 2007
La postérité de la légende
La liste des œuvres, tant littéraires, cinématographiques que musicales, qui
convoquent la figure de Néron à un degré ou à un autre est immense ; n’apparaissent ici que les quelques ouvrages cités au cours de la présente étude.
Brontë 1967
Eco 1998
Hermant 1987
C. Brontë, Jane Eyre, trad. C. Maurat, Paris, 1967
[éd. originale 1847]
U. Eco, L’Île du jour d’avant, trad. J.-N. Schifano, Paris,
1998 [éd. originale 1994]
A. Hermant, Poppée, l’Amante de l’Antéchrist, Puiseaux,
1987 [éd. originale 1935]
350
Kosztolányi 1944
Monteilhet 1984
Sienkiewicz 2001
Vargas 1994
Xenakis 2001
Laurie Lefebvre
D. Kosztolányi, Néron, le poète sanglant, trad. E. Kovacs,
Paris, 1944 [éd. originale 1921]
H. Monteilhet, Néropolis, roman des temps néroniens,
Paris, 1984
H. Sienkiewicz, Quo vadis ?, trad. B. Kozakiewicz et
J.-L. de Janasz, éd. revue par M. Żurowska, Paris, 2001 [éd.
originale 1896]
F. Vargas, Ceux qui vont mourir te saluent, Paris, 1994
F. Xenakis, Maman, je veux pas être empereur, Paris, 2001
Index nominum
Afin de ne pas alourdir l’index nominum, nous n’y avons pas fait apparaître le
nom des auteurs de notre corpus ; à ce sujet on se reportera à l’index locorum. Les
noms sont donnés sous leur forme latine.
Adherbal – 198.
Aelia Paetina – 174.
Aelius Seianus, L. – 64, 110, 141, 211.
Aemilia Lepida – 174.
Aemilius Paulus, L. – 147.
Aeneas – 161, 163, 173, 174, 175, 196, 235.
Afranius Burrus, Sex. – 77, 85, 110, 116, 140, 167,
195, 216, 275.
Afranius Quintianus – 148.
Agamemno – 36, 184, 220, 222, 226.
Agaue – 118.
Agricola, voir Iulius Agricola.
Agrippa, voir Vipsanius Agrippa.
Agrippina Maior – 61, 62, 172, 179, 262.
Agrippina Minor – 23, 25, 30, 31, 32, 33, 34, 38,
42, 44, 62, 63, 64, 70, 71, 72, 74, 84, 85, 88,
91, 92, 93, 101, 110, 113, 117, 118, 122, 142, 157,
171, 172, 174, 175, 176, 177, 178, 191, 193, 195,
209, 210, 211, 212, 214, 219, 220, 221, 222, 224,
225, 226, 227, 232, 241, 242, 243, 244, 245,
263, 274, 278.
Alaricus – 54, 59, 163.
Alcinous – 123.
Alcmeo – 115, 219, 220, 221, 222, 223, 224.
Alexander Magnus – 129, 136, 182, 198, 205, 210.
Alexander Seuerus – 23, 24.
Amazones – 65, 122.
Amphiaraus – 220.
Amulius – 196.
Anchises – 175.
Ancus Marcius – 192.
Andromachus (médecin de Néron) – 168.
Anicetus – 142, 243, 244.
Annaeus Lucanus, M. – 31, 55, 67, 68, 91, 136,
148, 157, 175, 187, 210, 221, 234, 275.
Annaeus Seneca, L. – 26, 34, 36, 55, 77, 85, 91, 97,
108, 110, 116, 140, 142, 143, 144, 145, 148, 149,
157, 195, 215, 216, 227, 249, 250, 270, 271, 275.
Antiochus III (Antiochus le Grand) – 119, 198,
199.
Antiochus IV (Épiphane) – 96.
Antistius Sosianus – 202, 203.
Antistius Vetus, L. – 169.
Antonia Maior – 205.
Antonia Minor – 205, 213.
Antoninus Pius – 24.
Antonius Honoratus – 37, 86, 206.
Antonius, M. (Marc Antoine) – 47, 78, 79, 101,
119, 127, 139, 141, 182, 199, 200, 205, 206, 207,
208, 209, 210, 218, 227, 229, 233, 234, 242,
262, 270.
Apicius, voir Gauius Apicius.
Apollo – 66, 87, 98, 114, 161, 178, 203, 204, 220,
249, 263.
Apollonius Tyaneus – 44, 66, 69, 219.
Arcadius – 50, 87.
Aristogiton – 187, 188, 190.
Arius – 56.
351
352
Arsinoe (sœur de Cléopâtre) – 198.
Artabanus – 40, 231.
Artaxerxes – 195.
Asclepius – 144.
Atia – 108.
Atilius (traducteur de l’Électre de Sophocle) –
226.
Atreus – 34, 195, 223, 224, 225, 227.
Augustiani – 117, 119, 259, 261, 263.
Augustus, imp. – 24, 31, 39, 49, 50, 59, 79, 87, 93,
102, 108, 119, 127, 128, 154, 159, 161, 163, 164,
172, 173, 174, 192, 193, 195, 204, 207, 210, 211,
212, 220, 227, 252, 258, 260, 261, 262.
Aurelia (mère de César) – 108.
Aurelianus, imp. – 94.
Aurelia Orestilla (épouse de Catilina) – 202.
Barea Soranus – 140, 146.
Boudicca – 48, 99, 120, 121, 122, 232.
Britannicus – 30, 33, 46, 84, 91, 92, 93, 111, 140,
145, 170, 171, 172, 174, 177, 191, 194, 222, 223,
224, 225, 226, 259, 274.
Brutus, voir Iunius Brutus.
Burrus, voir Afranius Burrus.
Caecina Tuscus, C. – 85, 206.
Caesario – 195.
Caesar ( Jules César) – 17, 47, 55, 59, 78, 107, 108,
125, 144, 145, 182, 184, 188, 189, 190, 196, 199,
202, 203, 207, 214, 233, 234, 242, 245, 270.
Caesennius Paetus, L. – 48, 99.
Caesonius (ou Caesennius) Maximus – 31, 68,
275.
Caligula, imp. – 12, 27, 29, 30, 39, 51, 73, 75, 76,
77, 78, 79, 83, 88, 89, 94, 101, 108, 113, 125, 127,
133, 154, 182, 183, 184, 189, 190, 195, 207, 208,
209, 211, 212, 213, 214, 215, 216, 217, 218, 227,
233, 258, 268, 270, 272.
Calliope – 67, 157.
Callirhoe – 186.
Calpurnius Piso, C. (conjuré de 65 ap. J.-C.) –
30, 55, 67, 85, 88, 89, 126, 127, 142, 144, 148,
166, 177, 187, 188, 189, 190, 197, 202, 242, 245,
259, 270, 275, 286.
Calpurnius Piso, L. (ennemi de Cicéron) – 101,
220.
Calypso – 123.
Cambyses – 185, 187, 270.
Camillus, voir Furius Camillus.
Canace – 122.
Caracalla, imp. – 43, 213, 264, 265.
Carinus, imp. – 51.
Casca, voir Seruilius Casca.
Cassius Chaerea – 189, 190, 207.
Cassius Longinus, C. (banni sous Néron) – 36,
145, 146, 188, 189, 202, 275.
Laurie Lefebvre
Cassius Longinus, C. (meurtrier de César) –
145, 188, 189.
Catilina, voir Sergius Catilina.
Cato, voir Porcius Cato.
Celer (architecte de Néron) – 106.
Cerellia – 176.
Chaereas (héros du roman de Chariton
d’Aphrodisias) – 186.
Chrysippus – 225.
Cincinnatus, voir Quinctius Cincinnatus.
Cinna, voir Cornelius Cinna.
Cinyras – 237.
Claudia Antonia (fille de Claude) – 74, 84, 92,
174, 275.
Claudia Augusta (fille de Néron) – 170, 243.
Claudius Caecus, Ap. – 147.
Claudius Caudex, Ap. – 147.
Claudius, imp. – 12, 23, 26, 29, 33, 35, 46, 62, 74,
84, 105, 108, 122, 125, 142, 168, 170, 171, 172,
174, 175, 177, 191, 192, 193, 194, 197, 205, 211,
215, 218, 219, 220, 222, 225, 226, 241, 258.
Claudius Marcellus, M. – 147.
Cleopatra – 136, 198, 207, 208, 209, 234, 235.
Clodius Albinus – 94.
Clodius Pulcher, P. (ennemi de Cicéron) – 101,
200.
Cluuius Rufus – 25, 72.
Clytemnestra – 63, 220, 225, 226.
Commodus, imp. – 24, 25, 51, 69, 73, 94, 101,
156, 213, 246, 263, 264, 265, 271.
Constantinus, imp. – 45, 47, 52, 56, 59, 175, 256,
264.
Constantius II, imp. – 49, 52, 56, 57, 266.
Corbulo, voir Domitius Corbulo – 50.
Coriolanus, voir Marcius Coriolanus – 199.
Cornelia (mère des Gracques) – 108.
Cornelius Cinna – 141
Cornelius Scipio Aemilianus, P. – 147.
Cornelius Scipio Africanus, P. – 133, 147, 196.
Cornelius Sulla, F. (gendre de Claude) – 33, 34,
113, 140, 174, 232, 275.
Cornelius Sulla, L. (le dictateur) – 135, 141, 147,
155, 156, 197, 198, 199, 204, 218, 227, 270.
Cornelius Verres, C. – 101, 203, 204, 218, 227,
270.
Cornutus – 55, 56, 140.
Cossutianus Capito – 202, 203.
Cottius – 98, 99.
Crassus, voir Licinius Crassus.
Crateia (mère de Périandre de Corinthe) – 186.
Crito – 144.
Croesus – 130, 131.
Curiatii – 196.
Curtius Montanus – 213, 216.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Cyclops – 219, 270.
Cyrus (Cyrus le Jeune) – 136, 195.
Damocles – 132.
Darius – 130, 131, 184.
Decius, imp. – 56, 57, 152, 153, 186, 237, 251.
Deianira – 63, 64.
Demetrius (Démétrios Poliorcète) – 182, 184,
214.
Demetrius (philosophe cynique) – 130, 140.
Dido – 235, 242, 257.
Diocletianus, imp. – 42, 52, 192, 251.
Diodorus (joueur de cithare) – 119.
Diomedes – 118.
Dionysius (Denys de Syracuse) – 78.
Domitia Lepida – 55, 167, 169, 203, 274.
Domitianus, imp. – 20, 21, 26, 31, 33, 35, 36, 40,
41, 42, 51, 55, 59, 67, 69, 73, 88, 94, 107, 115,
144, 159, 212, 231, 246, 251, 258, 259, 264, 270,
271.
Domitius Ahenobarbus, Cn. – 170, 172, 205.
Domitius Corbulo, Cn. – 24, 25, 91, 96, 97, 140,
276.
Doryphorus – 209, 236.
Drusilla (sœur de Caligula) – 212.
Drusus II – 62, 105, 195, 211.
Drusus III – 195.
Elagabalus, imp. – 51, 94, 135, 247, 264, 265, 270,
271.
Electra – 36, 222, 226, 227.
Epaphroditus – 36, 142, 286.
Epicharis – 148, 187, 188, 189.
Eriphyla – 220, 221.
Eteocles – 195, 223.
Euander – 161.
Eurythmus (affranchi de Trajan) – 258.
Fabius Rusticus – 25, 26, 72.
Faenius Rufus, L. – 142, 148.
Fannius, C. – 144.
Flamininus, voir Quinctius Flamininus.
Flavius Scaeuinus – 188, 189, 190, 245.
Furiae – 63, 213, 221, 222, 223, 227.
Furius Camillus, M. – 78, 125, 163, 179.
Gabinius, A. (complice de Catilina) – 108.
Galba, imp. – 31, 32, 36, 42, 51, 66, 73, 90, 113,
149, 173, 285.
Galerius, imp. – 56, 57, 153, 192, 251, 298.
Galerius Trachalus – 258.
Gallienus, imp. – 51.
Gauius Apicius – 40.
Germanicus – 97, 121, 172, 174, 195, 258.
Geta, imp. – 43, 213, 251.
Gracchi, voir Sempronii Gracchi.
Hadrianus, imp. – 20, 21, 36, 51, 264.
Hannibal – 197, 198, 199, 218.
353
Harmodius – 187, 188, 190.
Helius (affranchi de Néron) – 117, 142.
Heluidius Priscus, C. – 25.
Hercules – 72, 115, 161, 220.
Hermione – 222.
Herodes Atticus – 182, 186.
Hiempsal – 198, 232.
Hipparchus – 188.
Hippodamia – 225.
Honorius, imp. – 50, 266.
Horatii – 196.
Hortensius, Q. (ennemi de Cicéron) – 205.
Hyllus – 63, 64.
Iocasta – 63, 221.
Iouianus, imp. – 47, 48.
Iphigenia – 229.
Iugurtha – 195, 197, 198, 218, 232.
Iulia Domna – 44, 213.
Iulia (fille d’Auguste) – 212, 262.
Iulia (fille de Drusus II et de Liuilla) – 61, 62.
Iulia (fille de Titus) – 33.
Iulia Liuilla (sœur de Caligula) – 179.
Iulianus, imp. – 46, 47, 52, 59, 68, 87.
Iulius Agricola, Cn. – 21.
Iulius Vindex, C. – 23, 24, 29, 31, 33, 36, 44, 65,
75, 90, 113, 119, 122, 171, 197, 204, 220, 224,
246.
Iunius Arulenus Rusticus, Q. – 25, 111.
Iunius Brutus, L. (fondateur de la République)
– 189, 190.
Iunius Silanus Torquatus, D. – 174.
Iunius Silanus Torquatus, L. – 70.
Iunius Silanus Torquatus, M. – 174, 275.
Iuno – 75, 203.
Iuppiter – 38, 75, 143, 144, 161, 165, 189.
Ixion – 227.
Leaena – 188.
Licinius Crassus Frugi, M. (consul condamné
sous Néron) – 276.
Licinius Crassus, L. (censeur en 92 av. J.-C.) –
157.
Licinius Crassus, M. (le triumvir) – 199, 231.
Licinius Lucullus, L. – 97, 134, 135, 184.
Licinius Murena– 108.
Liuia (mère d’Auguste) – 105, 110, 128, 172, 193,
211.
Liuilla (épouse de Drusus II) – 62, 179.
Locusta – 31.
Lucanus, voir Annaeus Lucanus.
Lucius Verus – 51, 94, 101, 247, 270.
Lucretia – 190.
Lucullus, voir Licinius Lucullus.
Macrinus, imp. – 24.
Maecenas – 82, 137.
354
Magnentius, imp. – 56.
Manlius Capitolinus, M. – 196.
Manlius Vulso, Cn. – 135.
Marcius (Ancus Marcius) – 193.
Marcus Aurelius, imp. – 41, 73, 109, 297.
Marius, C. – 59, 141, 199, 218.
Martinus (Martin de Tours) – 57.
Maximianus, imp. (Maximien Hercule) – 298.
Maximinus, imp. – 51.
Melissa (épouse de Cambyse) – 185.
Memmius Regulus, P. – 243.
Menecrates – 230.
Menippus – 65.
Messalina – 62, 241.
Micipsa – 198.
Milichus – 245.
Mithras – 230, 233.
Mithridates – 197, 198, 218.
Mummius Achaicus, L. – 119, 147.
Murena, voir Licinius Murena.
Musonius Rufus, C. – 44, 140, 184, 221, 222.
Myrrha – 237.
Nero Caesar (fils de Germinacus) – 195.
Nerua, imp. – 42, 258.
Nouatus – 186.
Numa – 161, 193.
Numitor – 196.
Nymphidius Sabinus, C. – 142, 207.
Octauia (épouse de Néron) – 33, 37, 46, 49, 55,
61, 62, 63, 70, 74, 75, 84, 91, 92, 93, 113, 126,
155, 169, 174, 177, 178, 184, 185, 209, 222, 224,
225, 226, 232, 236, 241, 242, 245, 249, 274.
Octauius Titinius Capito, Cn. – 144.
Œdipus – 115, 220, 221, 223, 224.
Ofonius Tigellinus, C. – 64, 69, 85, 100, 102,
103, 141, 142, 149, 233, 234, 235, 240, 271.
Orcus – 132.
Orestes – 36, 63, 86, 115, 219, 220, 221, 222, 223,
224, 225, 227.
Otho, imp. – 26, 42, 51, 65, 70, 73, 101, 141, 148,
224, 241, 246.
Ouidius (proche de Caesonius Maximus) – 31,
68.
Palamedes – 118.
Pallas (affranchi d’Agrippine) – 203.
Pammenes – 119.
Paris (affranchi de Domitia Lepida) – 64.
Paulina (épouse de Sénèque) – 143.
Paulus – 12, 39, 41, 42, 43, 53, 54, 55, 57, 58, 59,
68, 73, 86, 112, 153, 154, 155, 157, 237, 239, 252,
253, 254, 255, 267, 271, 276.
Pedanius Secundus, L. – 202.
Periander – 141, 182, 185, 186, 187.
Perses (fils de Philippe V) – 119, 147, 192, 198.
Laurie Lefebvre
Pertinax, imp. – 24, 51, 73.
Petilianus – 251.
Petronius, T. – 134, 135, 216, 250.
Petrus (apôtre) – 39, 42, 43, 53, 54, 55, 59, 68, 86,
153, 154, 155, 255, 267, 276.
Phalaris – 218.
Phaon – 142, 285.
Pharnaces – 198.
Philippus, imp. (Philippe l’Arabe) – 51.
Philippus V (de Macédoine) – 119, 192, 195, 198.
Philolaus Citiensis – 86, 219.
Philomela – 226.
Piso, voir Calpurnius Piso.
Plautianus – 141.
Plautius, A. – 85.
Plautius Lateranus – 36, 148, 188, 189, 275.
Polemo II – 98, 99.
Polla Argentaria (épouse de Lucain) – 31.
Pollitta (fille d’Antistius Vetus) – 169.
Polyclitus (affranchi de Néron) – 258.
Polynices – 195, 223.
Pompeius Magnus, Cn. – 97, 134, 184, 199, 207,
208, 214, 233.
Poppaea – 30, 33, 34, 37, 46, 49, 64, 70, 74, 84,
92, 93, 110, 117, 118, 145, 170, 175, 184, 185, 186,
191, 201, 209, 211, 222, 224, 226, 231, 232, 241,
249, 274.
Porcius Cato, M. (Caton d’Utique) – 108, 142,
144, 203.
Porcius Cato, M. (Caton l’Ancien) – 101, 132.
Priamus – 79, 81, 82, 118, 162.
Probus – 94.
Procne – 226.
Ptolemaeus III (Ptolémée Évergète) – 136.
Ptolemaeus IV (Ptolémée Philopator) – 136.
Ptolemaeus XIV (frère de Cléopâtre) – 198.
Pylades – 68.
Pyrrhus (roi d’Épire) – 147.
Pythagoras – 53, 85, 87, 100, 101, 122, 170, 208,
232, 233, 235, 240, 241, 278.
Quinctius Cincinnatus – 133
Quinctius Flamininus, T. – 37, 119.
Regilla (épouse d’Hérode Atticus) – 186.
Remus – 161, 168, 195, 196, 240.
Romulus – 50, 87, 161, 163, 168, 186, 195, 196,
240.
Rubellius Blandus, C. – 36.
Rubellius Plautus – 33, 34, 113, 140, 145, 174, 205,
232, 233, 249, 275.
Rubria (Vestale) – 177.
Rufrius Crispinus (fils de Poppée) – 85, 118, 275.
Rufrius Crispinus (premier mari de Poppée) –
33, 34, 70, 145, 241, 275.
Rufus (gourmet célèbre) – 40.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Sabinae – 196.
Saluidienus Orfitus – 145, 146.
Sapor II – 47.
Satria Galla – 202.
Scipio, voir Cornelius Scipio.
Scribonius Curio, C. (ami de Marc Antoine) –
101.
Scylla – 68.
Seianus, voir Aelius Seianus – 211.
Semiramis – 136.
Sempronia (complice de Catilina) – 201.
Sempronii Gracchi, T. et C. – 108, 196, 199, 218.
Seneca, voir Annaeus Seneca.
Senecio, voir Herennius ou Claudius Senecio.
Septimius Seuerus, imp. – 44, 51, 141, 264.
Sergius Catilina, L. – 101, 156, 199, 200, 201, 202,
203, 218.
Seruilius Ahala, C. – 196.
Seruilius Casca, P. – 188.
Seruius Tullius – 127, 161, 165, 186, 191, 192, 193,
194, 197.
Seuerus (architecte de Néron) – 106.
Sextia (belle-mère d’Antistius Vetus) – 169.
Silenus – 87.
Silius Italicus – 32, 258.
Simon magus – 155.
Sisyphus – 227.
Socrates – 142, 143, 144, 149, 179, 270.
Sol – 124.
Sporus – 71, 85, 100, 142, 170, 208, 249, 278, 285,
286.
Spurius Cassius – 196.
Spurius Maelius – 196.
Statilia Messalina (épouse de Néron) – 49, 70,
145, 224.
Statilius Taurus, T. – 161.
Stilicho – 50, 266.
Subrius Flauus – 30, 86, 88, 187.
Suetonius Paulinus, C. – 96, 97, 230.
Sulla, voir Cornelius Sulla.
Tacitus, imp. – 94.
Tanaquil – 192, 193, 194.
Tantalus – 227.
Tarquinius Priscus – 165, 192, 193, 194, 197.
Tarquinius Superbus – 165, 186, 190, 191, 193,
194, 196, 270.
Tatius – 196.
355
Terentius Maximus – 40, 41.
Terpnus – 115, 119.
Theodosius, imp. – 11, 46, 49, 50.
Thrasea Paetus, P. – 25, 38, 97, 111, 140, 143, 145,
146, 202, 203, 250, 263, 275.
Thrasybulus – 141.
Thyestes – 115, 132, 195, 220, 223, 224, 225, 227.
Tiberius Gemellus – 195, 213.
Tiberius, imp. – 11, 12, 23, 39, 51, 62, 64, 81, 88,
110, 115, 141, 152, 154, 166, 174, 178, 192, 193,
209, 210, 211, 213, 215, 217, 218, 227, 243, 252,
258.
Tigellinus, voir Ofonius Tigellinus.
Tigranes – 136, 198.
Tillius Cimber – 188, 190.
Timon – 210.
Tiridates – 28, 33, 195, 214, 230, 231, 261, 264.
Tissaphernes – 136.
Titus, imp. – 14, 25, 28, 29, 31, 39, 40, 42, 59, 105,
126, 207, 231, 246.
Tityos – 227.
Traianus, imp. – 20, 21, 26, 35, 36, 47, 88, 91, 99,
111, 122, 142, 251, 256, 258, 259, 260, 265.
Tullia (épouse de Tarquin le Superbe) – 191.
Tullia (fille de Cicéron) – 101.
Tullius Cicero, M. – 144, 155, 200, 233.
Typhon – 219, 270.
Valens, imp. – 47, 48, 100, 266, 271.
Valerianus, imp. – 251.
Vatinius – 141.
Verginius Rufus, L. – 36, 113.
Verres, voir Cornelius Verres.
Vespasianus, imp. – 14, 21, 25, 26, 27, 28, 29, 31,
32, 36, 39, 42, 59, 93, 117, 126, 127, 168, 181,
204, 246, 264.
Vesta – 105, 130, 161.
Vestinus Atticus, M. – 145, 167.
Vindex, voir Iulius Vindex.
Vipsanius Agrippa, M. (ami et compagnon
d’Auguste) – 119, 174, 262.
Vitellius, imp. – 21, 26, 42, 51, 73, 94, 101, 141,
164, 246, 247, 270.
Vlixes – 118, 204, 219.
Vologesus – 48, 99, 195, 230, 231.
Vrsicinus – 49.
Xenophon (médecin de Claude) – 168.
Xerxes – 66, 107, 183, 184, 227, 270.
Index locorum
Les abréviations d’œuvres et d’auteurs anciens ici utilisées sont, de manière
générale, celles des dictionnaires Gaffiot et Bailly, au besoin complétées selon les
normes en usage. Pour les ouvrages de Jean Chrysostome, dont le dictionnaire
Bailly ne présente pas le détail, nous avons employé les abréviations suivantes :
− Oppug. monas. vit. : Contre les adversaires de la vie monastique
− Contr. Jud. Gent. : Contre les Juifs et les païens, ou que le Christ est Dieu
− Eleem. : De l’aumône (De Eleemosyna)
− Prof. evang. : Homélie sur les mots « Que le Christ soit annoncé » (De profectu
euangelii)
− Hom. Paul. : Homélies sur saint Paul
− Hom. Matth. : Homélies sur saint Matthieu
− Hom. Act. Apost. : Homélies sur les Actes des Apôtres
− Hom. ep. Rom. : Homélies sur l’épître aux Romains
− Hom. ep. Phil. : Homélies sur l’épître aux Philippiens
− Hom. 2 ep. Thess. : Homélies sur la deuxième épître aux Thessaloniciens
− Hom. 2 ep. Tim. : Homélies sur la deuxième épître à Timothée
1 Cor. – 58, 239.
2 Thess. – 41, 239.
2 Tim. – 237.
Acc., Alcmeo – 220.
Acc., Atreus – 34, 63, 223, 224.
Actes de Paul – 39, 155.
Actes de Pierre – 39, 155.
Actes de Tite – 155.
Amm. – 50, 276.
Apd. – 221.
Apoc. – 41, 42.
App., Civ. – 196, 199.
App., Mithr. – 136, 198, 199.
Apul., M. – 124.
Arstt., Ath. – 186.
Arstt., H. A. – 237.
Arstt., Poet. – 220.
Arstt., Pol. – 140, 191, 193, 194.
Arstt., Rhet. – 186.
Ascension d’Isaïe – 39, 42, 238, 281.
Ath. – 136, 232.
Aug., Civ. V – 59, 66, 260, 289.
Aug., Civ. XVIII – 39, 59, 256, 276, 289.
Aug., Civ. XX – 41, 59, 238, 281, 289.
Aug., Petil. – 251, 276, 289.
Aug., Serm. – 58, 59, 66, 79, 82, 157, 237, 276, 277,
289.
Aug., Serm. 296, 6 – 163.
357
358
Aur.-Vict., 2 – 112.
Aur.-Vict., 3 – 78, 192, 212.
Aur.-Vict., 4 – 192, 290.
Aur.-Vict., 5, 1 – 171.
Aur.-Vict., 5, 2 – 22, 46, 47, 51, 98, 99, 111, 290.
Aur.-Vict., 5, 3 – 22, 47, 111, 290.
Aur.-Vict., 5, 4 – 100, 246, 290.
Aur.-Vict., 5, 5 – 46, 77, 246, 277, 278.
Aur.-Vict., 5, 6 – 46.
Aur.-Vict., 5, 7 – 236, 278.
Aur.-Vict., 5, 8-11 – 47, 71, 85, 177, 278, 290.
Aur.-Vict., 5, 12 – 274.
Aur.-Vict., 5, 13 – 46, 276.
Aur.-Vict., 5, 14 – 33, 46, 47, 78, 140, 155, 231, 275,
276, 277, 280, 286, 290.
Aur.-Vict., 5, 15-17 – 46, 49, 71, 90, 172, 173, 278,
280, 281, 290, 284.
Aur.-Vict., 35 – 192.
Aus., Caes., Mon. – 36, 55, 88, 173, 246, 281, , 290.
Aus., Caes., Tetr. – 55, 173, 246, 291.
Caes., C. – 207.
Catul. – 232.
Charit. – 186.
Chrys., Contr. Jud. Gent. – 39, 142, 276.
Chrys., Eleem. – 41, 239.
Chrys., Hom. 2 ep. Thess. – 41, 58, 73, 238, 239,
291.
Chrys., Hom. 2 ep. Tim. – 41, 57, 58, 73, 155, 237,
238, 252, 254, 276, 281.
Chrys., Hom. Act. Apost. – 73, 155, 276.
Chrys., Hom. ep. Phil. – 57, 155, 253.
Chrys., Hom. ep. Rom. – 41, 239.
Chrys., Hom. Matth. – 58, 253, 276.
Chrys., Hom. Paul. – 57, 155, 237.
Chrys., Oppug. monas. vit. – 57, 58, 73, 100, 155,
253, 276, 278, 291.
Chrys., Prof. evang. – 58, 153, 155, 279.
Cic., Ac. – 221.
Cic., Arch. – 15.
Cic., Brut. – 199.
Cic., Cael. – 101, 200.
Cic., Cat. – 101, 141, 199, 200, 201, 232.
Cic., de Or. – 143, 247.
Cic., Dom. – 108, 200.
Cic., Fin. – 15, 81, 226.
Cic., Flac. – 200.
Cic., Har. – 101, 200, 232.
Cic., Inv. – 240.
Cic., Leg. – 175.
Cic., Mil. – 200.
Cic., Mur. – 108.
Cic., Nat. – 262.
Cic., Off. – 34, 158, 224.
Cic., Phil. – 101, 141, 196, 200, 208, 209, 229.
Laurie Lefebvre
Cic., Pis. – 101, 105, 108, 200, 220.
Cic., Planc. – 108, 200.
Cic., Rep. – 192, 193, 194, 196.
Cic., Sen. – 101, 200.
Cic., Sest. – 101, 200.
Cic., Top. – 247.
Cic., Tusc. – 79, 132, 143, 207, 231.
Cic., Verr. – 101, 204.
CIL – 159.
Claud., Eutr. – 11, 50, 87, 277, 291.
Claud., IV Cons. Hon. – 11, 50, 178, 291.
Clem., Cor. – 39, 154.
Commod., Apol. – 42, 43, 238, 276, 281, 291.
Commod., Instr. – 42, 238, 281.
Curt. – 136, 232.
Cypr., Ep. – 186.
D. Chr. – 36, 37, 40, 88, 112, 122, 130, 204, 237,
248, 249, 277, 278, 279, 295, 296.
DC., L – 78, 207.
DC., LVI – 192, 260.
DC., LVII – 105, 166.
DC., LVIII – 81.
DC., LIX – 76, 78, 88, 113, 189, 212.
DC., LX – 74, 156, 172, 177, 222, 280, 292.
DC., LXI 1-2 – 274.
DC., LXI 4-6 – 25, 76, 77, 100, 102, 110, 140,
203, 209, 216, 278, 279, 292.
DC., LXI 7 – 65, 111, 242, 274.
DC., LXI 8-9 – 69, 100, 102, 208, 212, 265, 278,
292.
DC., LXI 11 – 70, 72, 110, 141, 177, 241, 278, 280,
292.
DC., LXI 12-16 – 63, 64, 118, 174, 176, 177, 220,
222, 224, 232, 244, 260, 274, 280.
DC., LXI 17 – 147, 203, 263, 279, 292.
DC., LXI 18 – 177, 279, 280.
DC., LXI 19-21 – 65, 112, 117, 212, 242, 260, 263,
277, 292.
DC., LXII 1-12 – 98, 112, 120, 121, 212, 260, 277,
280, 293.
DC., LXII 13 – 140, 141, 174, 274, 275, 280.
DC., LXII 14 – 100, 203, 232, 278, 279.
DC., LXII 15 – 69, 100, 102, 277, 278.
DC., LXII 16-18 – 70, 79, 80, 104, 105, 156, 159,
160, 161, 163, 165, 166, 173, 204, 277, 279, 293.
DC., LXII 19-23 – 97, 280.
DC., LXII 24-27 – 92, 143, 144, 145, 146, 170,
174, 185, 187, 188, 189, 260, 263, 274, 275, 276,
293.
DC., LXII 28 – 278.
DC., LXII 29 – 277.
DC., LXIII 1-7 – 212, 230, 260, 264, 277, 294.
DC., LXIII 8-19 – 25, 44, 113, 115, 117, 119, 122,
141, 142, 145, 178, 204, 206, 221, 224, 236,
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
240, 260, 263, 277, 278, 279, 280, 281, 294.
DC., LXIII 13 (mariage avec Sporus) – 278.
DC., LXIII 16 (percement de l’Isthme) –
181, 183, 294.
DC., LXIII 20-21 – 115, 208, 212, 260, 262, 277.
DC., LXIII 22-26 – 44, 75, 177, 204, 220, 224,
246, 260, 274, 276, 277, 278, 280, 295.
DC., LXIII 27-29 – 32, 33, 64, 65, 71, 78, 90,
140, 142, 155, 172, 173, 206, 209, 237, 277, 278,
281, 295.
DC., LXIV – 26, 40.
DC., LXVI – 40, 105, 117, 231.
DC., LXXII – 263, 294.
DC., LXXIV – 263, 264.
DC., LXXV – 141, 264.
DC., LXXVI – 263.
DC., LXXVII – 265.
DC., LXXIX – 264, 265.
DC., XLIV – 196.
DC., XLVI – 102.
DC., XLIX – 208.
DH. – 186, 191, 192, 193, 194, 196.
Dig. – 115, 262.
DL. – 182, 185, 186.
DS. – 136.
El., V. H. – 182, 186.
Enn., Alcmeo – 220, 221.
Epict., Diatr. – 249.
Esch., Eum. – 63.
Eus., Hist. eccl. II – 31, 39, 52, 70, 86, 91, 112, 146,
153, 237, 238, 274, 275, 276, 296.
Eus., Hist. eccl. III – 39, 246, 276.
Eutr., VII 12 – 78, 212, 218.
Eutr., VII 14 – 48, 55, 70, 77, 79, 81, 83, 92, 98,
99, 113, 114, 139, 156, 214, 274, 276, 277, 279,
280, 296.
Eutr., VII 15 – 55, 90, 130, 173, 281, 296, 284.
Eutr., VII 18 – 246, 297.
Eutr., VII 23 – 73.
Flor. – 192, 196.
Front., Caes. – 109.
Front., Eloq. – 109.
Frontin., Aq. – 131.
Front., Ver. – 109.
Gai., Inst. – 262.
Gal. – 168.
HA., Alb. – 51, 69, 94, 297.
HA., Alex. – 51, 69, 94, 142, 278, 297.
HA., Aur. – 51, 94, 98, 297.
HA., Avid. – 51, 73, 281, 297.
HA., Car. – 51, 94, 297.
HA., Carac. – 213.
HA., Comm. – 40, 51, 69, 73, 101, 156, 213.
HA., Hadr. – 142.
359
HA., Hel. – 51, 69, 74, 94, 135, 178, 247, 278, 279,
281, 297, 298.
HA., M. Aur. – 51, 247, 298.
HA., Tac. – 51, 94, 178, 298.
HA., Ver. – 51, 94, 101, 142, 247, 278, 298.
Hdn. – 49, 128.
Hdt. – 183, 185, 186.
Hier., Chron., p. 181-186 – 39, 55, 73, 79, 82, 83,
90, 91, 92, 98, 140, 143, 156, 160, 173, 214, 254,
255, 256, 274, 275, 276, 277, 279, 280, 281, 298,
284, 298.
Hier., Daniel – 238, 239.
Hier., Ep. – 41, 238, 239.
Hier., Vir. ill. – 39, 55, 112, 237, 276.
Hil., C. Const. – 56, 153, 276, 298.
Hom., Od. – 123.
Hor., Ep. – 132.
Hor., O. – 131, 132, 135, 235.
Hor., P. – 240, 245.
Hor., S. – 132.
Hyg., Fab. – 221, 225.
Jn – 154.
Jos., A. J. XV – 29, 198.
Jos., A. J. XVIII – 29, 30.
Jos., A. J. XIX – 30, 78, 184, 189, 207, 212, 213.
Jos., A. J. XX (notamment 149-154) – 26, 29, 30,
91, 92, 171, 274, 275, 299.
Jos., Ap. II – 198.
Jos., B. J. I – 29.
Jos., B. J. II (notamment 248-251) – 25, 29, 30,
52, 86, 91, 113, 274, 276, 277, 299.
Jos., B. J. III – 29, 181.
Jos., B. J. IV – 26, 29, 30, 71, 142, 280, 281, 299.
Jos., B. J. VI – 29, 30, 278.
Jul., Caes. – 46, 87, 213, 277, 299.
Just. – 47, 79, 198.
Juv., II – 203.
Juv., IV – 36, 68, 100, 246, 278, 299.
Juv., VI – 102, 135, 207, 218.
Juv., VIII – 36, 68, 79, 86, 88, 113, 114, 121, 147,
156, 175, 200, 201, 222, 226, 274, 277, 299.
Juv., X – 36, 68, 275, 278.
Juv., XII – 36, 279.
Juv., XV – 207.
Lact., Mort. – 39, 41, 53, 57, 68, 89, 153, 179, 192,
237, 238, 276, 281, 298, 299, 300.
Lex de Imperio Vespasiani – 27.
Liv., I – 186, 191, 192, 193, 194, 196, 240.
Liv., II-IX – 78, 99, 115, 125, 162, 196.
Liv., XXI-XXX – 196.
Liv., XXXIV-XLII – 102, 132, 135, 192, 198, 199.
Liv., Per. LXXVII – 199.
Liv., Per. CXIV – 144.
Liv., Per. CXX – 144.
360
Luc., Phars. – 137, 184, 207, 210, 232, 235.
Mart., III – 158, 232.
Mart., IV – 31, 124, 176, 274, 300.
Mart., VII – 27, 31, 32, 67, 68, 275, 280, 300.
Mart., XI – 278.
Mart., XII – 124, 134.
Mart., Spect. – 31, 126, 279, 300.
Minuc. – 232.
N. Dam., Caes. – 78.
Nep. – 114.
Oros., Hist. I-V – 254.
Oros., Hist. VI – 156.
Oros., Hist. VII 2 – 156, 164, 300.
Oros., Hist. VII 5 – 78.
Oros., Hist. VII 7, 1 – 83, 84, 214, 216, 277, 300.
Oros., Hist. VII 7, 2 – 70, 72, 74, 78, 83, 100, 177,
278, 301.
Oros., Hist. VII 7, 3 – 83, 279, 301.
Oros., Hist. VII 7, 4-6 – 79, 82, 83, 84, 158, 159,
160, 166, 277, 301.
Oros., Hist. VII 7, 7-8 – 73, 83, 159, 164, 166,
204, 260, 279, 301.
Oros., Hist. VII 7, 9 – 54, 71, 77, 83, 92, 153, 237,
274, 275, 276, 301.
Oros., Hist. VII 7, 10 – 39, 54, 84, 154, 276, 301.
Oros., Hist. VII 7, 11-12 – 48, 99, 254, 280, 301.
Oros., Hist. VII 7, 13 – 90, 173, 199, 277, 278, 281,
301, 284.
Oros., Hist. VII 10-28 – 39, 54, 256, 302.
Oros., Hist. VII 12, 4 (incendie de la maison
dorée) – 54, 256, 279, 302.
Oros., Hist. VII 27, 4 (parallèle règne de
Néron/première plaie d’Égypte) – 54, 257,
280, 302.
Oros., Hist. VII 39 – 54, 79, 82, 156, 158, 164,
277, 302.
Or. sib. – 41, 74, 89, 238, 281, 302.
Ov., F. – 115, 128.
Ov., H. – 62.
Ov., M. – 62, 124, 207, 221, 222, 237.
Parth. – 186.
Passion de Pierre – 155.
Paus. – 38, 109, 118, 188, 204, 215, 225, 240, 274,
278, 279, 302.
Petr. – 135, 302.
Phil., Leg. – 88, 195, 212, 213.
Philstr., V. Ap. IV – 44, 45, 67, 72, 86, 130, 140,
181, 182, 183, 208, 219, 223, 236, 274, 276, 277,
280, 303.
Philstr., V. Ap. V – 38, 44, 45, 65, 66, 100, 115,
117, 140, 181, 183, 204, 260, 274, 276, 277, 279,
303.
Philstr., V. Ap. VI – 276.
Laurie Lefebvre
Philstr., V. Ap. VII – 44, 69, 155, 236, 256, 276,
277.
Philstr., V. soph. – 44, 182, 186, 220, 274.
Plat., Alc. 2 – 220.
Plat., Gorg. – 140.
Plat., Leg. – 185.
Plat., Phaed. – 149.
Plat., Prot. – 186.
Plat., Rsp. – 140, 141, 186, 235.
Plin., Ep. – 21, 35, 124, 258, 276.
Plin., N. H. II – 27, 28, 171, 177, 280.
Plin., N. H. IV – 27, 28, 37, 171, 181, 182, 214, 281,
303.
Plin., N. H. VI – 27, 28.
Plin., N. H. VII – 27, 28, 171, 174, 188, 199, 214,
275.
Plin., N. H. VIII – 27, 28.
Plin., N. H. XI – 28, 171.
Plin., N. H. XII – 28, 279.
Plin., N. H. XIII – 27, 28, 100, 122, 208, 212, 214,
278, 279.
Plin., N. H. XIV – 27, 107, 303.
Plin., N. H. XVI – 27, 28, 137, 168, 280.
Plin., N. H. XVII – 27, 28, 157, 168, 277, 280, 303.
Plin., N. H. XVIII – 27, 28, 276.
Plin., N. H. XIX – 27, 28, 101, 277, 279.
Plin., N. H. XX – 28, 29, 280.
Plin., N. H. XXII – 27, 28, 274.
Plin., N. H. XXVIII – 28, 112.
Plin., N. H. XXIX – 27, 168.
Plin., N. H. XXX – 27, 28, 178, 230, 277, 278,
281, 303.
Plin., N. H. XXXI – 28.
Plin., N. H. XXXIII – 27, 28, 125, 214, 277, 279.
Plin., N. H. XXXIV – 27, 28, 29, 127, 188, 204,
205, 277, 279, 304.
Plin., N. H. XXXV – 27, 28, 127, 204, 279.
Plin., N. H. XXXVI – 27, 28, 29, 125, 127, 132, 133,
135, 214, 216, 279, 304.
Plin., N. H. XXXVII – 27, 28, 171, 214, 277, 279.
Plin., Pan. – 12, 35, 36, 88, 142, 207, 251, 257, 258,
259, 277, 280, 304.
Plut., Alc. – 136.
Plut., Ant. – 31, 79, 101, 139, 141, 205, 208, 209,
233, 234, 242, 274, 304.
Plut., Caes. – 107, 196, 199, 233.
Plut., Cato mi. – 144.
Plut., Cic. – 200.
Plut., Dem. – 182, 195, 198.
Plut., Flam. – 37.
Plut., Galb. – 37, 70, 75, 78, 86, 91, 92, 141, 206,
207, 241, 274, 275, 276, 279, 280, 281, 304,
305.
Plut., Grac. – 196.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Plut., M. – 37, 38, 79, 186, 188, 194, 237, 249, 250,
262, 275, 279, 305.
Plut., Num. – 186.
Plut., Oth. – 26, 37.
Plut., Rom. – 186, 262.
Plut., Sol. – 186.
Plut., Syll. – 156.
Pol. – 102, 193, 196, 207.
Prop. – 221.
Prud., Perist. – 57, 152, 276, 305.
Prud., Sym. – 57, 89, 237, 274, 276, 305.
Ps. Aur.-Vict., Epit. 3 – 78, 212.
Ps. Aur.-Vict., Epit. 4 – 192.
Ps. Aur.-Vict., Epit. 5 – 49, 70, 71, 72, 90, 98,
100, 130, 172, 231, 236, 276, 278, 279, 280, 281,
305, 284.
Ps. Aur.-Vict., Epit. 21 – 213.
Ps. Aur.-Vict., Vir. – 192, 193.
Ps. Caes., Alex. – 207.
Ps. Luc., Ner. – 44, 88, 182, 184, 221, 274, 276,
277.
Ps. Sall., Cic. – 102.
Ps. Sen., Ep. Paul. – 41, 151, 158, 159, 238, 276, 277,
281, 305.
Ps. Sen., Herc. Œt. – 63.
Ps. Sen., Oct. 1-33 – 35, 62, 122, 226.
Ps. Sen., Oct. 34-56 – 33, 34, 35, 75, 122, 225, 274,
306.
Ps. Sen., Oct. 57-71 – 226, 306.
Ps. Sen., Oct. 86-98 – 33, 175, 178, 236, 274, 276,
281.
Ps. Sen., Oct. 112-113 – 33, 274.
Ps. Sen., Oct. 125-133 – 33, 34, 175, 274.
Ps. Sen., Oct. 137-154 – 33, 35, 170.
Ps. Sen., Oct. 164-166 – 33, 225, 274, 306.
Ps. Sen., Oct. 196-221 – 75.
Ps. Sen., Oct. 222-251 – 33, 35, 126, 169, 170, 178,
219, 274, 280, 281, 282.
Ps. Sen., Oct. 273-290 – 34, 75.
Ps. Sen., Oct. 291-309 – 190, 191, 306.
Ps. Sen., Oct. 310-376 – 33, 34, 63, 175, 178, 191,
274, 281.
Ps. Sen., Oct. 438-438bis – 33, 34, 174, 275, 306.
Ps. Sen., Oct. 440-592 – 34, 35, 75, 178, 207, 260,
281, 307.
Ps. Sen., Oct. 593-645 – 32, 33, 34, 175, 178, 227,
279, 281, , 307.
Ps. Sen., Oct. 658 – 62, 75.
Ps. Sen., Oct. 675 – 34.
Ps. Sen., Oct. 728-733 – 33, 275, 281, , 307.
Ps. Sen., Oct. 762-777 – 63.
Ps. Sen., Oct. 786-787 – 34.
Ps. Sen., Oct. 820-843 – 33, 34, 75, 155, 277.
Ps. Sen., Oct. 848-857 – 34.
361
Ps. Sen., Oct. 899-972 – 33, 62, 75, 274, 307.
Ps. Sen., Oct. 979-983 – 230, 308.
Quint. – 79.
Rhet. Her. – 110, 240.
Ruf., Brev. – 48, 99, 280, 308.
Rutil. – 50, 308.
Sall., C. – 102, 112, 128, 132, 135, 141, 156, 199, 200,
201, 202, 308.
Sall., J. – 101, 198, 232, 246.
Schol. Juv. – 31, 276.
Sen. Rhet., Contr. – 128, 132.
Sen. Rhet., Suas. – 144.
Sen., Apoc. – 232.
Sen., Ben. – 183, 199.
Sen., Brev. – 183, 218.
Sen., Clem. – 34, 81, 224, 227, 260.
Sen., Ep. – 128, 131, 132, 143, 199, 218.
Sen., Helv. – 207, 218.
Sen., Ir. – 34, 183, 185, 213, 218, 224.
Sen., Nat. – 207.
Sen., Œd. – 62, 63.
Sen., Polyb. – 213, 218.
Sen., Prov. – 143, 144.
Sen., Th. – 223, 224.
Sen., Thy. – 132, 224.
Sen., Tranq. – 218, 250.
Sidon., Ep. – 69.
Soph., Aj. – 63.
Soph., El. – 227.
Soph., O. R. – 63.
Stat., S. – 31, 67, 107, 124, 130, 134, 157, 175, 221,
274, 275, 277, 308.
Stat., Th. – 235.
Str. – 136, 210.
Suet., Aug. – 22, 199, 262.
Suet., Caes. – 78, 182, 188, 190, 196, 226, 240.
Suet., Calig. – 22, 34, 73, 76, 77, 78, 79, 83, 88,
101, 108, 113, 145, 147, 155, 168, 182, 184, 189,
190, 212, 213, 217, 218, 224, 258, 308, 309.
Suet., Claud. – 23, 29, 105, 174, 191.
Suet., Dom. – 21, 36, 67, 73, 88, 112, 115, 145, 212,
258, 259.
Suet., Galb. – 46, 172, 173, 276, 286.
Suet., Ner. 1-5 – 109, 114, 171, 309.
Suet., Ner. 6 – 108, 172, 177, 215, 280.
Suet., Ner. 7 – 109, 215, 309.
Suet., Ner. 10 – 109.
Suet., Ner. 11-13 – 114, 130, 147, 261, 263.
Suet., Ner. 16 – 84, 88, 115, 129, 131, 151, 276.
Suet., Ner. 18 – 46, 98.
Suet., Ner. 19 – 22, 181, 182, 206, 210, 309.
Suet., Ner. 20-25 – 46, 65, 69, 96, 112, 115, 117,
118, 119, 122, 208, 212, 217, 254, 259, 260, 261,
262, 263, 277, 309.
362
Suet., Ner. 26-27 – 22, 40, 69, 77, 83, 102, 103,
208, 212, 247, 265, 278, 309.
Suet., Ner. 28-29 – 22, 46, 69, 72, 177, 212, 236,
278, 310.
Suet., Ner. 30-31 – 22, 51, 69, 83, 107, 123, 130, 133,
137, 209, 212, 215, 247, 279, 310.
Suet., Ner. 32 – 22, 212, 279, 310.
Suet., Ner. 33 – 22, 67, 174, 222, 274.
Suet., Ner. 34 – 46, 63, 64, 84, 167, 203, 213, 221,
224, 232, 244, 274, 310.
Suet., Ner. 35 – 49, 70, 74, 84, 85, 92, 118, 140,
145, 167, 170, 174, 185, 274, 275, 310, 311.
Suet., Ner. 36 – 85, 143, 187, 197, 213, 275, 311.
Suet., Ner. 37 – 70, 71, 77, 85, 140, 145, 146, 167,
181, 189, 236, 275, 311.
Suet., Ner. 38 – 79, 80, 81, 82, 83, 85, 104, 105, 151,
156, 159, 160, 161, 166, 204, 218, 277, 279, 311.
Suet., Ner. 39 – 37, 48, 98, 99, 125, 175, 217, 255,
279, 280, 311, 312.
Suet., Ner. 40 – 48, 69, 99, 179, 312.
Suet., Ner. 41 – 69, 76, 171, 312.
Suet., Ner. 42 – 69.
Suet., Ner. 43 – 33, 35, 46, 69, 71, 78, 119, 140, 155,
197, 213, 258, 276, 277, 280.
Suet., Ner. 44 – 23, 65, 69, 122.
Suet., Ner. 45 – 175, 217.
Suet., Ner. 46 – 176, 178, 249.
Suet., Ner. 47 – 32, 46, 49, 78, 281.
Suet., Ner. 48 – 49, 71, 142, 170, 237.
Suet., Ner. 49 – 36, 42, 46, 49, 65, 90, 199, 312.
Suet., Ner. 50 – 41.
Suet., Ner. 51 – 64, 69, 103, 170.
Suet., Ner. 52 – 108.
Suet., Ner. 53 – 72, 112, 220, 277, 312.
Suet., Ner. 54 – 69, 113, 248, 277.
Suet., Ner. 55 – 129, 258.
Suet., Ner. 56 – 23, 178, 212, 231, 281.
Suet., Ner. 57 – 26, 40, 41, 49, 178, 231, 280.
Suet., Oth. – 26, 65, 70, 101, 141, 241, 278, 280,
312.
Suet., Tib. – 81, 105, 112, 114, 192, 240.
Suet., Tit. – 105, 207, 246.
Suet., Vesp. – 117, 168, 174, 277.
Suet., Vit. – 26, 101, 141, 246, 277, 280.
Suet., Vit. Luc. – 68, 148.
Sulp. Sev., Chron. – 41, 53, 54, 87, 88, 150, 153,
154, 155, 156, 237, 238, 239, 246, 251, 276, 277,
278, 281, 312, 313.
Sulp. Sev., Dial. – 41, 238, 281.
Sulp. Sev., Ep. – 57, 276, 313.
Tac., Agr. – 21, 48, 67, 100, 149, 204, 279.
Tac., An. I – 192, 193, 211.
Tac., An. II – 195, 207.
Tac., An. III – 202, 211.
Laurie Lefebvre
Tac., An. IV – 115, 156, 195, 211.
Tac., An. V – 211.
Tac., An. VI – 110, 156.
Tac., An. XI – 121, 171, 241.
Tac., An. XII – 23, 29, 70, 109, 122, 168, 171, 177,
191, 193, 195, 198, 211, 240.
Tac., An. XIII 1 – 70, 174, 211, 275.
Tac., An. XIII 2 – 195.
Tac., An. XIII 3 – 108, 313.
Tac., An. XIII 4-5 – 112, 142.
Tac., An. XIII 6-9 – 96, 112.
Tac., An. XIII 14 – 171, 195, 225.
Tac., An. XIII 15-17 – 64, 67, 174, 177, 195, 223,
224, 225, 274.
Tac., An. XIII 18 – 259.
Tac., An. XIII 20 – 25, 64.
Tac., An. XIII 25 – 69, 100, 103, 208, 212, 265,
278.
Tac., An. XIII 27 – 224.
Tac., An. XIII 31 – 25.
Tac., An. XIII 34-41 – 96, 198.
Tac., An. XIII 45-46 – 70, 110, 202, 211, 241, 313.
Tac., An. XIII 47 – 100, 110, 114.
Tac., An. XIII 50-51 – 103, 112.
Tac., An. XIII 54 – 96.
Tac., An. XIII 58 – 169, 280.
Tac., An. XIII 74 – 278.
Tac., An. XIV 1-13 – 63, 64, 67, 110, 111, 118, 141,
142, 175, 176, 177, 191, 222, 224, 232, 243, 244,
274, 280, 313.
Tac., An. XIV 2 (inceste avec Agrippine) –
25, 63, 72, 208, 278.
Tac., An. XIV 14-15 – 50, 110, 113, 114, 115, 116,
117, 118, 119, 121, 147, 148, 212, 259, 263, 277.
Tac., An. XIV 22 – 97, 114, 178, 281.
Tac., An. XIV 23-26 – 96, 97.
Tac., An. XIV 27 – 217, 254, 255, 280.
Tac., An. XIV 29-39 – 48, 96, 97, 119, 142, 211,
255, 258, 280.
Tac., An. XIV 42-45 – 202.
Tac., An. XIV 47 – 130, 243.
Tac., An. XIV 48 – 202.
Tac., An. XIV 51 – 64, 140, 141, 168, 275, 280.
Tac., An. XIV 52-56 – 118, 141, 144, 145, 224,
280.
Tac., An. XIV 57-59 – 64, 67, 114, 141, 170, 174,
232, 233, 275.
Tac., An. XIV 60-64 – 61, 62, 64, 67, 75, 177, 191,
232, 245, 274, 314.
Tac., An. XV 1-17 – 25, 48, 96, 97, 99, 195, 255,
280.
Tac., An. XV 18 – 97.
Tac., An. XV 22 – 130, 217, 243.
Tac., An. XV 23 – 97, 170, 213, 243.
Le mythe Néron. La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Tac., An. XV 24-31 – 96, 97.
Tac., An. XV 32 – 147.
Tac., An. XV 33-34 – 97, 116, 141, 217, 277, 280.
Tac., An. XV 35 – 174.
Tac., An. XV 36 – 64, 206, 234.
Tac., An. XV 37 – 53, 69, 100, 102, 103, 149, 208,
234, 240, 278, 312, 314.
Tac., An. XV 38-45 – 25, 53, 70, 79, 80, 81, 104,
105, 125, 129, 130, 131, 137, 144, 150, 156, 159,
160, 161, 162, 165, 166, 204, 212, 276, 277, 279,
313, 314, 315.
Tac., An. XV 42 (maison dorée) – 106, 124,
127, 130, 133, 134, 212, 279, 315.
Tac., An. XV 46 – 106.
Tac., An. XV 47 – 177, 280.
Tac., An. XV 48-53 – 64, 126, 141, 148, 187, 188,
190, 208, 245, 280.
Tac., An. XV 54-71 – 30, 67, 68, 86, 88, 115, 138,
143, 145, 148, 166, 167, 188, 189, 202, 245, 274,
275, 277, 315.
Tac., An. XV 60-64 (mort de Sénèque) – 25,
143, 144, 148, 149, 187, 275.
Tac., An. XV 72-74 – 142, 258, 259, 280.
Tac., An. XVI 1-3 – 65, 66, 242, 257, 279, 315.
Tac., An. XVI 4-5 – 115, 117, 118, 277.
Tac., An. XVI 6 – 92, 117, 170, 184, 231, 274, 315.
Tac., An. XVI 7-9 – 146, 174, 189, 275.
Tac., An. XVI 10-11 – 37, 169, 249, 275.
Tac., An. XVI 12 – 258.
Tac., An. XVI 13 – 177, 217, 218, 280.
Tac., An. XVI 14-15 – 64.
Tac., An. XVI 16 – 178.
Tac., An. XVI 17-19 – 70.
Tac., An. XVI 20 – 64.
Tac., An. XVI 21-35 – 37, 140, 143, 203, 204, 249,
251, 275, 279.
363
Tac., D. – 108.
Tac., G. – 240.
Tac., H. I 2 – 41.
Tac., H. I 5 – 142, 149, 259, 280, 315.
Tac., H. I 11 – 207.
Tac., H. I 13 – 70, 148, 241.
Tac., H. I 16 – 66, 173.
Tac., H. I 20 – 212, 279.
Tac., H. I 22 – 278.
Tac., H. I 50 – 112.
Tac., H. I 70 – 206.
Tac., H. I 72 – 64.
Tac., H. I 73 – 100, 278.
Tac., H. I 78 – 26.
Tac., H. II – 21, 40, 101, 246, 276, 277.
Tac., H. III – 21, 164, 165, 281.
Tac., H. IV – 165, 213, 216, 276.
Tert., An. – 249.
Tert., Apol. II – 252.
Tert., Apol. V – 39, 40, 152, 237, 238, 246, 251,
276, 316.
Tert., Apol. IX – 232.
Tert., Apol. XXI – 39, 40, 153, 237, 276.
Tert., Bapt. XVII – 39.
Tert., Nat. – 39, 152, 252, 276, 316.
Tert., Pall. – 40, 93, 246, 278.
Tert., Scorp. – 39, 153, 276, 316.
Tzetz., Chil. – 225.
Val.-Max. – 79, 199, 200.
Vell. – 135, 147, 184, 208.
Victorin.-Poet., Comm. in Apoc. – 42, 238, 281,
316.
Virg., En. – 62, 232, 235.
Virg., G. – 132.
Xen., An. – 136.
Xen., Hier. – 141.
Le mythe Néron
La fabrique d’un monstre dans la littérature antique (Ier-Ve s.)
Laurie Lefebvre
également disponible en versions ePub et papier
sur le site des Presses Universitaires du Septentrion
ePub - ISBN 978-2-7574-1741-6 : 21 €
livre broché - ISBN 978-2-7574-1729-4 : 28 €
lot numérique - ISBN 978-2-7574-1765-2 : 31 €
Retrouvez notre catalogue sur www.septentrion.com
et rejoignez-nous sur notre page Facebook
et sur Twitter.
Ouvrage composé par
Émilie Duvinage
Ouvrage réalisé avec
La chaîne d’édition structurée XML-TEI Métopes
Méthodes et outils pour l’édition structurée
1 761e volume édité par les
Presses Universitaires du Septention
Villeneuve d’Ascq – France