Survivre dans l'absence.
Pulsion de conservation et pulsion de mort : de leur rapport et de
leur valeur clinique eu égard au trauma et à la psychopathologie
grave
Cordelia Schmidt-Hellereau
Dans Revue française de psychanalyse 2007/2 (Vol. 71),
71) pages 555 à 580
Éditions Presses Universitaires de France
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ISSN 0035-2942
ISBN 9782130561583
DOI 10.3917/rfp.712.0555
Hors thème
Survivre dans l’absence.
Pulsion de conservation et pulsion de mort :
de leur rapport et de leur valeur clinique
eu égard au trauma et à la psychopathologie grave*
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Il fallut de nombreuses années d’analyse avant que je n’apprenne quelque
chose du début de la vie de Sam. Ce patient n’avait pas de souvenir de son
enfance. Il était venu me voir parce qu’il craignait de laisser tomber ses études.
Il ne pouvait se résoudre à faire ce qu’il devait faire mais disait vouloir s’améliorer. Au cours de la première séance avec lui, je m’étais hasardée à mettre en
rapport deux des pensées qu’il m’avait fait partager. Sam s’était montré intéressé. Puis, lors de notre seconde rencontre, il mit fondamentalement en doute
la valeur de tout ce qu’il avait d’abord apprécié. Cela devint une caractéristique
générale présente tout au long de nombreuses années de notre travail analytique. Une forte réaction thérapeutique négative nous faisait reculer chaque
fois que nous semblions avoir acquis quelque élément d’un nouvel insight. Il
paraissait souvent que, après avoir fait un pas en avant, nous en faisions
ensuite un ou deux en arrière.
Pendant longtemps, je ne sus presque rien de lui et de sa vie quotidienne.
Sam parlait à contrecœur et en disait le moins long possible. Beaucoup manquait dans ce qu’il me disait. Sam lui-même manquait aussi. Le temps que nous
travaillions encore au rythme d’une séance par semaine, il ne venait souvent
* Une version abrégée de cet exposé a été présentée le 21 octobre 2004 à la Société psychanalytique finlandaise, à Helsinki, le 29 juillet 2005 au 44e Congrès de l’API sur le trauma, à Rio de Janeiro,
et le 24 septembre 2005 à la Société psychanalytique de Baltimore-Washington. La première publication de cet article était en langue anglaise : « Surviving in absence. On the preservative and death drives and their clinical utility », in The Psychoanalytic Quaterly, vol. 75, no 5, 2006, 1057-1095.
Rev. franç. Psychanal., 2/2007
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Cordelia SCHMIDT-HELLERAU
Cordelia Schmidt-Hellerau
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qu’à la seconde moitié de celle-ci. Quand, au bout d’un an, nous passâmes à
deux séances hebdomadaires (parce que, lui semblait-il, il ne progressait pas
comme il l’avait espéré), il ne venait régulièrement qu’à l’une de ces deux
séances. Malgré ces fréquentes absences, nous convînmes d’essayer une analyse
sur le divan au rythme de quatre séances hebdomadaires. Il me rapporta alors
son premier rêve, le seul depuis des années : il se trouvait avec quelqu’un sur un
bateau à voiles au milieu de l’océan en route vers l’Amérique. Il régnait un calme
plat, il n’y avait pas de vent du tout et il ne savait que faire, comment naviguer. La
seule association à ce rêve fut qu’il le trouvait dépourvu de sens. Pour ma part,
je l’associai au long voyage que nous nous apprêtions à faire et pensai qu’il me
faisait savoir ce qui allait se passer. Au commencement de l’analyse, Sam venait
habituellement à ses quatre séances mais restait silencieux la première moitié
du temps de chacune d’elles. Parfois, il ne venait pas du tout ; il payait toutefois
toutes ses séances et cela ne posa jamais problème. Du fait qu’il occupait entièrement l’espace de son analyse (en étant là ou pas, en parlant ou pas), je supposai finalement qu’à travers ces absences et silences il apportait une part manquante, absente, muette de son self. Son ne-pas-être-là était là, quelque part
dans l’analyse. Puis Sam cessa complètement de parler. Il arrivait à l’heure,
s’allongeait et restait silencieux jusqu’à ce que le temps de la séance se soit
écoulé ; il se levait alors et s’en allait. Non pas que je n’aie essayé de nombreuses façons d’entrer en contact avec lui. Rien ne marchait. Je me taisais donc
aussi moi-même la plupart du temps, ayant le sentiment que nous devions seulement supporter le calme, y survivre. Nous étions tous deux là, silencieux dans
le cadre de nos quatre séances, comme dans une sorte de nature morte, tandis
que quelque chose de non partagé se passait dans nos têtes. Mais bien que, pendant longtemps, il ne m’eut dit que quelques phrases ou mots, je ne perdis
jamais l’espoir avec lui qu’un jour nous avancerions.
Des années plus tard, je travaille toujours avec Sam qui est maintenant dans
sa quinzième année d’analyse. Beaucoup de choses ont évolué depuis et, en
même temps, il reste beaucoup à faire. Avant de développer quelques difficultés
de son analyse en rapport avec le sujet de mon exposé, je voudrais tout d’abord
traiter de la façon dont nous pouvons penser une pathologie spécifique de fonctionnement mental que nous rencontrons dans notre travail avec des patients
comme Sam. Je me suis demandée comment l’absence pouvait être représentée
dans l’esprit de nos patients. Que signifie-t-elle ? Comment est-elle ressentie ?
Qu’est-ce qui pouvait les empêcher de retrouver l’absent, ou y faire obstacle ?
Je voudrais explorer quelques-unes de ces questions en grande partie en
essayant de retrouver la valeur théorique et clinique de deux concepts freudiens
qui ont été très absents de nos discussions psychanalytiques générales : la pulsion de conservation et la pulsion de mort. Pendant un certain temps, la théorie
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L’AGRESSIVITÉ
Comme je l’ai montré ailleurs (1997, 2001, 2002, 2003, 2005 a, 2005 b),
c’est en 1920 qu’intervient le changement le plus important dans la théorie des
pulsions de Freud, quand il remplace son antagonisme original des pulsions
d’autoconservation et pulsions sexuelles en introduisant deux nouvelles notions
pour ses deux pulsions primaires, celles de pulsion de vie et de pulsion de mort.
Aussi irrésistible cette idée ait-elle été pour lui, le passage de sa première à sa
seconde théorie des pulsions lui donna quelques maux de tête. La pulsion
sexuelle pouvait aisément être vue comme représentant de la pulsion de vie.
Toutefois, son ancien opposé, la pulsion d’autoconservation, semblait contredire le concept d’une pulsion de mort. Freud décida donc de dissoudre son
ancien antagonisme et de subsumer les pulsions d’autoconservation et sexuelle
sous l’égide d’une pulsion de vie (Éros), tandis que la nouvelle pulsion de mort
fut finalement définie comme pulsion agressive. Cette transformation particulière fit émerger la sexualité et l’agressivité et les amena à prévaloir comme les
deux facteurs de motivation fondamentaux dans la vie mentale – et il en est
encore ainsi aujourd’hui, même pour ceux qui se sont complètement détournés
de la théorie des pulsions.
Il va sans dire que l’agressivité est un phénomène important dans le comportement et la vie mentale des humains et Freud l’avait certainement compris ;
sa place dans son modèle de l’esprit a toutefois évolué avec le temps. En 1905, il
la voyait comme une composante des pulsions sexuelles ; en 1909, comme une
capacité des deux pulsions ; en 1917, il la concevait comme ayant son origine
dans les pulsions d’autoconservation. Dans ces trois versions, l’agressivité était
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des pulsions dans son ensemble a semblé connaître un déclin dans de nombreux
pays (mais pas en France). Elle a été considérée comme inutile, démodée, voire
nocive (cf. Schmidt-Hellerau, 2001, 2005 b) ; largement critiquée et rejetée, elle
a semblé avoir perdu le vif intérêt qui pouvait éventuellement inspirer l’esprit
de l’analyste. En contradiction avec ces points de vue, je pense qu’il est temps
de redécouvrir l’un des outils les plus puissants et fertiles sur le plan heuristique
tant de notre théorie psychanalytique que de notre travail clinique. Je pense
également que l’exploration du concept de pulsion de conservation, qui reste
entièrement à découvrir, comme s’inscrivant dans un travail de recherche – les
extrêmes de celle-ci constituant ce qu’un concept de pulsion de mort peut saisir –, vivifiera notre pensée et ouvrira de nouvelles perspectives sur la vie
psychique.
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conçue simplement comme un renforcement de la pulsion primaire correspondante, nécessaire afin de vaincre tout obstacle à sa satisfaction. Néanmoins,
dans « Au-delà du principe de plaisir » (1920), la pulsion de mort, aussi appelée
pulsion agressive ou destructrice, acquiert le statut de pulsion primaire, faisant
de l’agressivité et de la destruction un but en soi. La plupart des analystes rejetèrent l’idée d’une pulsion de mort mais tous adoptèrent le même concept sous
la notion de pulsion agressive ou de destruction.
Comme je l’ai montré ailleurs (Schmidt-Hellerau, 2001, 2002, 2005 a,
2005 b), je doute qu’il soit judicieux de concevoir l’agressivité comme une pulsion primaire ou comme un facteur motivant en lui-même. En revanche, j’ai
suggéré de la concevoir comme l’expression de l’intensité de l’énergie pulsionnelle engagée pour ajuster ou surmonter la distance à l’objet de la satisfaction.
L’argument est le suivant : l’appareil psychique doit engager autant d’énergie
pulsionnelle que nécessaire pour atteindre son but. Le but se trouve toujours à
une certaine distance du sujet, au sens géométrique du terme, mais aussi sur le
plan psychologique : ce n’est évidemment pas la même chose que l’objet semble
psychiquement absent ou présent, qu’il semble se replier ou approcher. L’intensité de l’énergie pulsionnelle correspond donc à la distance psycho-géométrique
d’un objet telle qu’elle est anticipée. Si l’anticipation est juste, l’agressivité n’interviendra que si cela est nécessaire (par exemple, pour se défendre soi-même).
Toutefois, si la représentation mentale de là où l’objet se trouve est déformée de
façon névrotique, il semble alors, par exemple, que l’objet sexuel ou de conservation soit trop éloigné et de ce fait inatteignable, ou trop proche et de ce
fait menaçant. Il s’ensuit que la distance à l’objet d’une pulsion telle qu’elle
est représentée dans l’esprit sera un facteur1 important permettant de saisir
pourquoi l’agressivité survient en général, mais aussi, comme nous le verrons,
pourquoi la pulsion de mort en particulier a été comprise comme une pulsion
agressive.
LA PULSION DE CONSERVATION
COMME COMPOSANTE DE LA PULSION DE MORT
Après le passage opéré par Freud en 1920, l’exploration psychanalytique se
concentra sur l’agressivité ; la pulsion d’autoconservation perdit son intérêt et
devint une tache aveugle dans notre perception. Je considère toutefois que
1. Un autre facteur a été développé (2002) : celui de la quantité de structures régulatrices en jeu
dans un processus psychique ; nous ne sommes donc pas surpris que les états régressifs donnent
davantage lieu à de l’agressivité que les états bien structurés.
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l’autoconservation est une pulsion primaire, fondamentale et puissante dans la
vie d’un être humain, parfois même plus puissante que la sexualité. J’irai même
plus loin : je pense que les premières méditations de Freud sur la conception
d’une pulsion de mort en rapport avec une pulsion d’autoconservation ont un
potentiel considérable et ouvriront de nouvelles perspectives pour notre pensée
et compréhension de la vie mentale. Affirmer cela, c’est finalement résoudre un
problème qui, avant d’induire Freud en erreur, l’avait d’abord laissé perplexe :
Comment penser l’autoconservation comme faisant partie d’une pulsion de mort
générale1 ?
Partons des notions de pulsion de vie et de pulsion de mort, telles que Freud
les a conçues en 1920. Ne nous laissons pas distraire par ce que « vie » et
« mort » peuvent signifier et attachons-nous plutôt à examiner leur antagonisme, une direction moins et une direction plus. Cela nous permet de comprendre le concept de pulsion dans le sens d’une force unidirectionnelle, allant
pratiquement sans fin dans une seule direction. Pour le nouveau-né, tout est
alors une question de vie et de mort. La sexualité et l’autoconservation ne sont
introduites que par l’intervention de l’objet aimant et apportant des soins2. Comment comprendre cela ? Quand le bébé a faim, il ne fait peut-être que l’expérience d’une catastrophe, d’une menace sans nom (Bion), d’une tension dangereuse de tout le système, d’une douleur terrible qui le fait crier et donner des
coups de pied. Ce n’est que quand la mère qui allaite intervient que ces efforts
vigoureux, stimulés par la faim, cessent, trouvent leur premier objet, le sein, et
1. De façon intéressante, la pulsion de mort, bien que rejetée par la majorité des analystes, a
toujours gardé une aura qui a ensorcelé nos esprits pendant des dizaines d’années. Melanie Klein et ses
disciples se sont emparés de la notion freudienne d’une pulsion de mort pour leur conception particulière d’une agressivité primaire qui produit l’angoisse de l’anéantissement ; néanmoins, l’activité pulsionnelle et donc l’idée d’une pulsion de mort se situent davantage à l’arrière-plan abstrait, un peu
éloigné, de leur pensée théorique. Bion a largement exploré la sphère de la mort psychique et développé un langage complexe pour parler de ses processus qu’il ne rattache pas à une pulsion de mort,
mais à une force négative ou destructrice. L’école française (Green, Rosenberg, Guillaumin et d’autres)
a pensé de différentes façons et plus directement comment l’activité d’une pulsion de mort et le négatif
(Green) pouvaient avoir un impact sur la vie mentale dans les pathologies sévères. Tous pensent, avec
Freud, que la pulsion de mort se manifeste de façon agressive. Seul Bergeret (1995) pose l’existence
d’une « violence fondamentale » comme un instinct naturel de survie qui correspond à la pulsion
d’autoconservation de Freud, non pas à une pulsion de mort ou destructrice. Dans de nombreuses
autres contributions, le concept d’une pulsion de mort est considéré comme ayant une valeur plutôt
spéculative ou philosophique que clinique. Ikonen et Rechardt ont développé un point de vue différent ; alors qu’ils voient la pulsion de mort comme l’origine de l’agressivité (Rechardt, 1986), ils redéfinissent son but comme une tendance pacifiante, un effort pour la « paix, sous une forme ou une
autre » (1993 a, 1993 b, p. 84).
2. Green a suggéré une idée similaire eu égard aux pulsions en général (bien qu’il tienne à la
fonction autodestructrice de la pulsion de mort et ne pense pas à une relation entre pulsion de mort et
pulsion d’autoconservation). Il affirme : « ... même si on pose les pulsions comme des entités premières, fondamentales, c’est-à-dire originaires, il faut néanmoins admettre que l’objet est le révélateur des
pulsions. Il ne les crée pas – et sans doute peut-on dire qu’il est créé par elle au moins en partie mais il
est la condition de leur venue à l’existence » (1993, p. 117).
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la satisfaction d’être nourri. L’intervention de l’objet arrête pour ainsi dire cette
pulsion générale dite de mort (ou pulsion moins) et définit ce qu’est (à ce
moment-là) l’autoconservation – à savoir, la faim, la soif et être nourri, mais
aussi être au sec, propre, avoir chaud, se sentir bien, en sécurité, etc.
Comme Freud (1895, 1900, 1911) et d’autres l’ont montré, et comme je l’ai
moi-même développé ailleurs (1997, 2000, 2001), l’intervention répétée de l’objet qui donne des soins construit une trace mnésique, une structure qui contient
la représentation du self affamé et de l’objet allaitant, mais aussi toute la
séquence interactionnelle qui produit la satisfaction. Dès lors, cette structure, la
première représentation encore indifférenciée du self et de l’objet1, « coupe » la
pulsion de mort en deux ; ensuite seulement, c’est cette activité pulsionnelle
– qui monte de ses sources2 et finit d’abord au sein de la mère, puis dans le réinvestissement de la représentation mentale du couple allaitant – que nous appelons pulsion d’autoconservation. En conséquence, les activités pulsionnelles qui
vont au-delà de cette structure sont ce que nous appelons pulsion de mort (cf. le
graphique 1).
Comme nous pouvons le voir, la notion freudienne de « pulsion d’autoconservation » sous-entendait deux choses qui n’ont pas de sens :
1 / La première est que cette pulsion « sait » en quelque sorte d’elle-même
ou par nature ce qu’est l’autoconservation. L’autoconservation est cependant
une chose qu’il faut apprendre de a à z (même les oiseaux apprennent à leurs
petits comment attraper un ver). Bien que certaines dimensions de l’autoconservation et de la survie soient ancrées biologiquement, et donc plus fondamentales, réflexives et spontanées que d’autres, la façon de nous protéger le
mieux possible nécessite une certaine activité mentale et nous devons y penser
tout au long de la vie (la richesse de la littérature sur la diététique, la forme et la
santé démontre amplement la difficulté de cette entreprise).
2 / Ensuite, cette pulsion dite d’autoconservation ne concerne pas que nousmêmes. En 1915, Freud affirme que l’objet « est ce qu’il y a de plus variable dans
la pulsion, il ne lui est pas originellement connecté... » (1915, [1988, p. 168] ; les
italiques sont ajoutés). Le self n’est donc pas le seul objet de cette pulsion ; il y en
a d’autres, et c’est pourquoi nous préférons parler simplement de pulsion de
1. J’ai appelé ces traces mnésiques, qui relient les microstructures des systèmes d’énergies pulsionnelles, perceptuel et moteur, unités E-P-M (2001). Kernberg appelle les « unités de self et les représentations d’objet (et les dispositions de l’affect qui les relient) les composantes fondamentales sur lesquelles reposent les développements ultérieurs des représentations internalisées de l’objet et du self,
puis, plus tard, toute la structure tripartite (Moi, Surmoi, Ça) » (1980, 17).
2. J’ai suggéré que les organes intérieurs étaient la source des pulsions de vie et de mort et je les
ai appelés zones biogènes (2001), par analogie avec les zones érogènes. Cela nous permet, comme cet
article le montrera, de résoudre un autre problème qui est de désigner les sources, la pression, le but et
l’objet de la pulsion de mort.
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conservation. Cela nous aidera à comprendre que, de la même façon que la
pulsion sexuelle peut investir son propre self (narcissisme) et ses objets
– montrant ainsi l’amour de soi et/ou l’amour de l’objet –, la pulsion de
conservation peut être dirigée vers le self ou n’importe quel objet, exprimant des
efforts de conservation du soi et/ou de l’objet. (Voici juste un exemple de ce que
je viens d’énoncer : le besoin de la mère de prendre soin de son nourrisson, mais
aussi le besoin des parents de s’occuper et de protéger leurs enfants, voire de
donner leur vie pour sauver celle de leurs enfants, montre on ne peut mieux que
la conservation de l’objet est une chose à laquelle nous sommes littéralement
poussés.)
3 / Alors que Freud travaillait confortablement avec la notion de libido,
désignant l’énergie de la pulsion de vie (ou Éros), il ne trouva jamais dans le
domaine de l’énergie de terme qui convienne pour la pulsion de mort et de
conservation – cela rendant difficile de penser les différents investissements et
activités de cette pulsion et d’en parler. C’est pourquoi j’ai proposé « léthé »1
comme terme désignant l’énergie de la pulsion de mort et de conservation
(1997, 2001). Le concept grec de léthé (l’oubli) indique une tendance de type
« moins » qui a des fonctions indispensables et saines (dans l’arrêt, le repos, le
sommeil) mais peut également dérailler et s’exprimer alors de façon pathologique (comme je le montrerai plus loin). Afin d’établir une comparaison approximative entre libido et léthé, on peut dire que la libido tend vers des états
psychiques que nous pouvons décrire comme légers ou dirigés vers l’extérieur
– c’est-à-dire la gaieté, la vigueur, la mobilité, etc., alors que le léthé est considéré comme tendant vers la pesanteur et le repli, par exemple, dans le calme, le
silence, l’immobilité, etc. ; les investissements libidinaux favorisent en général
1. Dans la mythologie grecque, le Léthé est le fleuve de l’oubli. (N.d.T.).
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Graphique 1. — La bobine en bois (structure)
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l’amour et la joie, alors que les investissements léthiques ont trait à la préoccupation et au chagrin. Avec ce terme de « léthé », se rapportant à l’énergie, nous
pouvons maintenant parler de tendances, d’activités et d’investissements léthiques, d’objets léthiques – principalement des objets qui nourrissent ou qu’il
faut nourrir – chaque fois que les activités de la pulsion de conservation sont
prédominantes.
LA BOBINE EN BOIS (STRUCTURE)
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« L’enfant avait une bobine en bois autour de laquelle était enroulée une ficelle. Il ne lui
venait jamais à l’idée, par exemple, de la traîner derrière lui pour jouer avec elle à la
voiture ; mais il jetait avec une grande adresse la bobine tenue par la ficelle par-dessus le
bord de son petit lit à rideaux, si bien qu’elle disparaissait ; il disait alors son o-o-o-o
plein de satisfaction ; ensuite, par la ficelle, il retirait la bobine hors du lit, tout en saluant
maintenant son apparition d’un joyeux “da” [là]. Tel était donc le jeu complet :
disparaître et revenir, ce dont, la plupart du temps, il ne nous était donné de voir que le
premier acte, et celui-ci était inlassablement répété comme jeu à lui tout seul, bien que le
plus grand plaisir fût indubitablement attaché au second acte » (p. 285).
Freud voit dans le jeu une façon dont le petit garçon traite la perte (temporaire) de sa mère. Il décrit ce jeu non seulement comme une façon de transformer le passif en actif, mais aussi comme « un moyen pour faire de ce qui est en
soi empreint de déplaisir l’objet du souvenir et de l’élaboration animique »
(ibid., p. 288). Bien que de nombreux auteurs aient réfléchi et écrit sur le jeu de
la bobine en bois, je voudrais à mon tour examiner ce travail qui se fait dans
l’esprit. André Green (1970) s’est tout particulièrement intéressé à la relation
du sujet et de l’objet dans ce jeu :
« Nous avons affaire à l’objet double et en fait deux fois double. La position de l’objet dans cette organisation symbolique nous fait dire qu’il est important pour paraphraser Winnicott sur l’objet transitionnel, que la bobine soit et ne soit pas la mère. (...)
À ce statut double et clivé de l’objet, nous mettrons en parallèle un statut double et
clivé du sujet. Ici deux interprétations du sujet s’opposent. Dans l’interprétation
classique, le sujet c’est l’enfant comme pôle actif du jeu, comme agent du jeu. C’est
l’enfant qui met en scène le jeu, c’est lui qui lance la bobine et la ramène, c’est lui qui
constate l’absence ou la présence de l’objet, c’est lui enfin qui en articule les phases par
l’émission du fort-da. (...) Il joue à faire disparaître et réapparaître la mère alors qu’il est
joué par elle dans son absence. Il ne joue que pour autant qu’il est joué, quelque prouesse
qu’il accomplisse à renverser cette situation de passivité en activité » (1970, p. 466).
La belle description de Green saisit un moment important de la construction d’une structure. À ce point, la question : « Qui est actif et qui est passif ? »
est en même temps celle de savoir : « Qui est qui ? » Quand la mère s’en va et
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Le passage le plus connu d’ « Au-delà du principe de plaisir » (1920 [1996])
est peut-être celui où Freud décrit et commente un jeu auquel joue son petit-fils
âgé d’un an et demi :
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est « perdue », le self de l’enfant (le sentiment qu’il a de son self) s’en va avec
elle, arraché, peut-être comme si elle le déchirait, et il est aussi perdu (ou bien
oublié). Il est donc essentiel que l’enfant puisse se représenter et se souvenir de
son self et de l’objet en l’absence de leur unité concrète. En fait, de par sa forme
même, la bobine en bois symbolise les deux représentations, le self et l’objet,
dans le rapport qu’ils ont l’un avec l’autre.
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Ni Freud ni Green n’ont développé ici la « portée » spécifique de l’activité
pulsionnelle impliquée. La ficelle symbolise la pulsion, la longueur de la ficelle
limite le lancé ; la bobine s’arrête chaque fois que la ficelle s’est déroulée au
maximum. Mon argument est le suivant : d’abord, l’enfant doit activer une certaine quantité d’énergie pulsionnelle (crier) afin d’atteindre l’objet réel et arrêter l’activité pulsionnelle (à l’objet qui allaite). En l’absence de la mère, on peut
voir dans l’acte par lequel le petit garçon lance la bobine un pas intermédiaire,
une « action mentale » exprimant son besoin d’arriver à la réunion concrète de
la mère et de l’enfant et à sa représentation mentale, la capacité de la penser. La
longueur de la bobine l’aide à ressentir combien d’énergie il doit mettre dans
son lancé et à quelle distance la bobine se trouvera alors, tout en restant reliée à
lui. La signification de cette action détermine à quel point (dans l’appareil mental) la représentation du self et de l’objet sera activée et soutenue.
Il me semble important de noter que notre conception des pulsions
s’applique à l’appareil mental, non pas à la réalité. Une pulsion n’investit donc
pas directement un objet dans le monde extérieur. Les pulsions investissent
l’objet mental tel qu’il est représenté (quand il n’est pas là) ou tel qu’il est
représenté et perçu (quand l’objet lui-même ou son remplaçant est là à
l’extérieur). C’est ainsi la distance psycho-géométrique anticipée/représentée dans
l’espace-temps mental qui détermine la quantité d’énergie pulsionnelle qui sera
activée pour réinvestir la représentation mentale, puis l’objet réel à l’extérieur.
Il y a maintenant les possibilités de la mère concrète présente et de la mère
absente ou « au loin » dont le sujet se souvient (cet « au loin-ci » de la mère
[Green, 1970, p. 470] ou le non-sein dont parle Bion) et largement derrière ce
réseau de représentations émergeant, il y aurait son, ou plutôt un « au loin
indéfini » (Green, ibid., p. 470), un rien absolu (comme un trou noir), et ce rien
est à la portée de la pulsion de mort.
Qu’en est-il maintenant de la deuxième position, celle du da ? Le premier
coup avait enlevé la bobine de la vue, représentant ainsi la perte de l’objet
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LA BOBINE EN BOIS (PULSION)
Cordelia Schmidt-Hellerau
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léthique (ou dyade self-objet). Même si c’est l’activité de l’enfant qui lance la
bobine, c’est, comme le note Green, la mère-partie qui joue l’enfant et fait
naître ses besoins léthiques. Nous pouvons donc dire à peu près ceci : le premier coup est joué par l’objet léthique (la mère-partie) et active les efforts
d’autoconservation de l’enfant (le self dans le besoin). L’acte suivant consiste à
tirer la bobine jusqu’à ce qu’elle puisse être vue de nouveau et soit accueillie
avec joie comme là. Allant avec la disposition antagoniste des deux pulsions
fondamentales, je suggérerai que le second mouvement, celui consistant à tirer
sur la ficelle et à faire réapparaître la bobine, est lancé par les pulsions sexuelles
(Éros). L’excitation de l’enfant et la joie qu’il ressent en voyant la bobine (ou la
mère) semble au moins présenter une forte imprégnation libidinale. Tandis que
le moment-parti provoque de la tristesse, le moment-là provoque de la gaieté.
La bobine-là symbolise ainsi le self libidinal réuni avec l’objet libidinal dans
leur relation agréable. En d’autres termes, dès que l’enfant a atteint la position
de l’absence, celle où le couple léthique mère-enfant est représenté, il est pour
ainsi dire dans son esprit déplacé de là où il se trouve en réalité (dans son lit)
vers ce lieu d’absence (uni avec la mère). Ce serait ensuite de là que, dans son
esprit, il (ou tous les deux) active(nt) des efforts libidinaux qui tendent vers le
self qu’il est (l’enfant dans son lit) et le rencontre joyeusement là dès que la
bobine réapparaît au bord de son lit. Manifestement, la joie de l’enfant reflète
l’excitation joyeuse de la mère quand elle retrouve son enfant. Elle ne joue pas
seulement avec l’enfant quand elle part, mais aussi en revenant.
Graphique 2. — La bobine en bois (pulsion)
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J’ai suggéré ailleurs que toute structure est formée et tenue par un investissement libidinal et un investissement léthique1. Le jeu démontre ainsi une autre
relation : le self-et-objet-au loin et le self-et-objet-là sont liés dans cette tension
spécifique entre efforts léthiques et efforts libidinaux (déployés entre la position
de l’absence et la position de la réapparition). Cette tension entre une quantité
spécifique d’énergies en opposition définit la stabilité dynamique de cette unité
structurelle – en fait, une autre bobine en grand de par sa forme. Alors que le
côté léthique de cette représentation désigne le potentiel de perte, sa contrepartie libidinale désigne le potentiel d’espoir, que l’on s’en rappelle ou qu’on la
retrouve. Dans cet exemple particulier, la prédominance de l’énergie léthique
(la flèche vers la gauche) peut être maintenue en équilibre par une assez petite
part d’énergie libidinale (la flèche vers la droite).
Si nous conceptualisons pour chaque représentation deux côtés qui
déterminent la tension spécifique entre investissement léthique et investissement
libidinal – une tension comme la stabilité dynamique de cette structure
spécifique –, et si nous pensons ces représentations comme situées à différents
endroits sur toute l’échelle entre la mort et la vie, nous supposons alors que
chacune d’elles sera définie par différentes proportions d’énergie léthique et
libidinale. On pourrait ainsi définir la représentation d’un « self mort » comme
en équilibre dans une prédominance d’énergies léthiques, par exemple dans une
proportion hypothétique de 10 contre 0 ou 9 contre 1, alors que l’on peut (à
l’autre extrémité du spectre) considérer un self maniaque comme correspondant
à une proportion inverse de 1 contre 9 ou 10 contre 0 (manquant des effets
d’immobilisation propres aux énergies léthiques). Ce qui est donc établi comme
un équilibre entre efforts léthiques et efforts libidinaux se révèle différent dans
chaque cas. Je pense que de concevoir des représentations de cette façon sera
utile quand nous parlons à nos patients. Cela nous fait prendre conscience des
équilibres précaires entre amour et attention, fondamentaux dans ces
représentations ; et si son sentiment d’équilibre se trouve trop menacé par ce
dont nous traitons dans nos interventions (par exemple, du besoin léthique de se
replier en opposition avec le désir libidinal de tendre la main vers nous), le
patient peut se fermer ou réagir par un « retrait psychique » (Steiner, 1993).
1. Green a proposé de concevoir le « narcissisme primaire » comme une structure constituée par
les pulsions de vie et les pulsions de mort, montrant ainsi deux visages, comme Janus, l’un tourné vers
la vie, l’autre vers la mort. Ce dernier, le narcissisme « négatif » ou « narcissisme primaire absolu, veut
le repos mimétique de la mort » (1983, p. 278).
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Survivre dans l’absence
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Tandis que les nombreuses interactions entre le nourrisson et la personne
qui prend soin de lui aboutissent à la construction de structures de représentations de soi formant un bouclier, mur ou écran contre l’effroi du rien absolu, les
efforts d’autoconservation deviennent plus différenciés, plus déterminés et développent de nombreux traits spécifiques. Nous pouvons supposer que des
efforts léthiques sont en rapport avec l’absorption de nourriture (la faim et la
soif), construisant l’écran du nourrissage. Il y a des efforts léthiques ayant trait à
tous ces processus palpables et sensibles qui continuent dans le ventre, construisant l’écran de la digestion. D’autres efforts léthiques concentrés sur cracher,
roter, uriner, déféquer et évacuer des gaz formeront un écran de l’excrétion. Les
efforts léthiques centrés sur le sommeil et le repos constitueront l’écran du sommeil (ou l’écran blanc du rêve de Lewin, 1946, 1948). Il y a également des efforts
léthiques mis en œuvre pour avoir chaud et se trouver dans des positions où
l’on se sent bien, représentés en un écran de confort, etc. Toutes ces possibilités
nous donnent seulement une idée préliminaire du tissu que composent les couches multiples des structures émergentes de l’autoconservation et qui, de plus
en plus, vont tenir, contenir et spécifier les efforts léthiques en rapport avec le
besoin. Ces écrans et les représentations dont ils sont faits forment les buts mentaux ( « objets » ) des différentes pulsions de conservation partielles. Et ces activités pulsionnelles ne sont pas limitées aux besoins physiques. Absorber, digérer, évacuer quelque chose, se reposer et se sentir à l’aise sont des aspects
psychologiques essentiels qui, bien que principalement liés à des besoins physiques, deviennent des capacités psychologiques qui transforment et subliment la
totalité des besoins du corps sur le plan de la satisfaction physique concrète en
un plaisir nourrissant : celui d’une pensée cohérente.
En même temps qu’elle construit les différents écrans de l’autoconservation, l’unité self-objet, d’abord indifférenciée (de Jacobson, 1964, à Milrod,
2002), se partage peu à peu en deux groupes de représentations, différenciant
progressivement le self et l’objet. Avec la capacité grandissante de l’enfant de
s’occuper de lui, les représentations d’objets (une poupée, un frère ou une sœur,
un animal domestique), qui ont besoin que l’on s’occupe d’eux, sont créées.
Ainsi, l’écran protecteur ne s’ « épaissit » pas seulement, pour ainsi dire, mais il
s’ « élargit » aussi et distingue de plus en plus soi et conservation de soi, objet et
conservation de l’objet.
Ce n’est qu’autour de l’âge de 4 ans que le concept de mort émerge
(Weininger, 1996), présentant un nouveau défi à l’esprit de l’enfant : celui de
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LES ÉCRANS DE CONSERVATION
Survivre dans l’absence
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LE TRAUMA
Freud fait dériver du trauma un argument central pour un au-delà du principe de plaisir. Le trauma est décrit comme l’effet des « excitations venant de
l’extérieur, assez fortes pour faire effraction dans le pare-stimuli » (1920 [1996,
p. 300]). En conséquence de cette « effraction large » (ibid., p. 302), les énergies
de l’extérieur ne cessent d’affluer au centre de l’appareil mental. Freud pose la
question suivante :
« Et à quoi pouvons-nous nous attendre comme réaction de la vie d’âme à cette irruption ? De tous côtés, l’énergie d’investissement est convoquée pour créer, dans le voisinage du lieu d’irruption, des investissements d’énergie d’une hauteur correspondante.
Il s’instaure un contre-investissement de grande envergure en faveur duquel les autres
systèmes psychiques s’appauvrissent, de sorte qu’il en résulte une paralysie ou une
diminution étendues du reste du fonctionnement psychique » (ibid., p. 301).
Freud suppose que ces anti-investissements mis en place pour finalement
fermer la brèche sont puisés dans le réservoir libidinal (narcissique). Aussi familière cette approche puisse-t-elle paraître, elle est en réalité tout à fait étonnante. Freud réfléchit sur les effets de traumas physiques et psychiques graves,
d’accidents, de blessures de guerre, etc., et si son idée d’une pulsion de conservation devait un jour devenir nécessaire, cela eût bien été le moment : si nous
sommes blessés et traumatisés, nous pouvons supposer que nous avons une
réaction vigoureuse visant à nous protéger et à nous rétablir1. Freud dit que le
1. Freud reconnaît la fonction réparatrice des rêves qui répète le trauma : « Ces rêves cherchent
à procéder au rattrapage, sous développement d’angoisse, de la maîtrise du stimulus, elle dont le
manque est devenu la cause de la névrose traumatique » (1920 [1996, p. 303]). Mais il n’attribue pas ce
travail du rêve aux pulsions de conservation.
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construire un écran mort, supposé arrêter définitivement la pulsion de mort (les
nombreuses versions religieuses et mythologiques de là où les morts « vont »
– assis comme des anges sur un nuage, séjournant au ciel [ou au paradis],
renaissant, etc. – ne font, d’un point de vue psychanalytique, qu’élaborer cet
écran afin d’améliorer sa fonction protectrice). Alors, seulement, les
représentations de « ce que mort signifie » émergent. Quand la mort nous faire
perdre un objet et quand nous avons terminé le processus de deuil, la
représentation de cet objet doit passer derrière l’écran contre la mort. Nous
pouvons continuer de l’aimer (là-bas) mais devons néanmoins cesser d’essayer
de le conserver (en nous en préoccupant ou occupant inconsciemment, ou à
travers des fantasmes de sauvetage ; autrement, nous restons figés dans un
processus de deuil inapproprié ou continuant de façon pathologique.
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Graphique 3
Et ma conception de l’agressivité entre ici en jeu :
1 / Le « self mort » ou l’ « objet mort » traumatisé se trouvant alors beaucoup plus éloigné, à plus grande distance des origines du besoin, et c’est pourquoi des quantités d’énergie beaucoup plus importantes doivent être mobilisées
afin d’atteindre et de réinvestir les structures du self mort.
2 / Du fait que (dans ce modèle du trauma) les écrans de la conservation ont
été en partie détruits par l’impact traumatique, il manquera des structures qui
pourraient moduler (contenir) et ainsi briser l’intensité croissante des efforts
léthiques.
1. L’investissement libidinal de l’effraction traumatique aurait pour résultat une sexualisation du
trauma, ce qui, en fait, est peut-être une conséquence de cela mais certainement pas la seule.
2. Nous pouvons penser ici aux observations bien connues de Spitz (1945) et Spitz et Wolf (1946)
sur des nourrissons amenés dans des hospices pour enfants trouvés après que leurs mères se furent occupées d’eux les trois à six premiers mois de leur vie, période au cours de laquelle ils s’étaient développés normalement. La perte de leur mère et le manque de soins individuels dans ces hospices amenèrent chez ces
nourrissons le développement des symptômes suivants : d’abord, ils réagissaient en pleurant davantage,
puis se repliaient, regardant fixement dans le vide, les yeux grands ouverts et sans expression, le visage
détourné, figé, immobile, un air absent, comme hébété ; ils développaient « une curieuse répugnance à
toucher les objets », perdaient du poids, devenaient insomniaques et, finalement, présentaient un tableau
de « catatonie de stupeur » (Spitz et Wolf, 1946). Chez ces nourrissons, le taux de mortalité passait de
31,7 % au cours de leur première année de vie à 75 % à la fin de leur seconde année (Spitz, 1942).
Winnicott (1971 [1975]) souligne que, quand ces nourrissons souffrent de séparations insupportables et
donc traumatiques, la mère n’est pas seulement « morte » mais la mort envahit toute la structure et tout le
sens de la réalité : alors « ... la seule chose réelle est la lacune, c’est-à-dire la mort, l’absence ou
l’amnésie (...). L’amnésie est réelle, alors que ce qui est oublié a perdu sa réalité » (p. 35).
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trauma est paralysant parce que toute la libido se trouve dirigée vers la brèche
traumatique1 – le système est ainsi épuisé, toutes les autres fonctions psychiques
sont privées d’énergie. Je dirai, quant à moi, que le trauma est paralysant parce
que la blessure traumatique active des quantités inhabituelles d’énergies léthiques dans un effort de réparation. J’ai, plus haut, défini les énergies léthiques
comme énergies (–) dirigées vers l’attention et le chagrin, mais aussi vers un ralentissement général, la lourdeur et le repli, et c’est pourquoi un trauma finit
par avoir un effet paralysant, voire étouffant2.
Je suggère ainsi que le trauma perce le bouclier protecteur des écrans de la
conservation et enfonce la représentation du self et/ou de l’objet dans l’arrièrecour de la mort.
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3 / C’est l’intensité des efforts visant à conserver (qui ressuscitent le self ou
l’objet) qui finit par avoir un effet destructeur. Et c’est l’intensité des efforts
léthiques cherchant à arriver au-delà des écrans de conservation du self et de
l’objet dont nous faisons l’expérience clinique sous la forme des effets autodestructeurs de la pulsion de mort.
Cela crée maintenant un paradoxe et met souvent en place un cercle vicieux clinique. Au sein de la psyché traumatisée, des énergies plus léthiques
sont mobilisées afin de réinvestir et retrouver le self et l’objet. Toutefois, une
modulation structurale manquant, ces énergies plus importantes deviennent si
intenses qu’elles poussent le self ou l’objet traumatisé encore plus loin en direction d’une sorte d’écran mort. Il n’y a pas de dosage habile, mais seulement un
désir sauvage, intense, léthique de récupérer ce qui a été perdu ou, peut-être, est
devenu un self (–) ou un objet (–) [(–) indiquant un hyperinvestissement de
léthé], voire un self mort ou un objet mort.
C’est là où nous pouvons rejoindre Freud, Klein, Bion, Green et tous les
autres qui ont apporté tant de contributions riches – aussi bien sur le plan théorique que sur le plan clinique – à la conceptualisation de la pulsion de mort en
la pensant comme une pulsion destructrice. Du point de vue développé ici,
l’agressivité et la destructivité apparaissent dans la sphère de la pulsion de
mort ; je penserai néanmoins l’agressivité comme une conséquence non pas
comme une cause. L’agressivité, me semble-t-il, apparaît non pas parce qu’une
pulsion de mort serait conceptualisée comme uniquement et fondamentalement agressive et destructrice, mais – dans le cas du trauma et de la pathologie
grave – parce qu’un manque ou un déplacement de structures de conservation
modulatrices faisant obstacle mène à une intensification destructrice des efforts
léthiques, aspect caractéristique de nombreuses activités dans la sphère de la
pulsion de mort. En bref, tout ce que nous avons appris de ces cliniciens expérimentés (mentionnés ci-dessus) sur la pathologie et le fonctionnement psychique
des patients présentant un narcissisme agressif ou négatif (Rosenfeld, 1971 ;
Green, 1983) qui semblent, pour évoquer une notion de Betty Joseph (1982)
« s’adonner à la mort imminente », reste précieux. Je suggérerai toutefois que
ce qui nous apparaît comme (et est objectivement) autodestructeur et destructeur de l’objet, c’est l’effort intensifié du patient pour se conserver lui-même,
pour survivre et pour atteindre l’objet éloigné (du point de vue du sujet).
LA SPHÈRE DE LA PULSION DE MORT
Afin de compléter le tableau des forces léthiques, je voudrais au moins esquisser quelques remarques sur certains phénomènes malins se produisant audelà des écrans de la conservation, dans la sphère de la pulsion de mort.
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Survivre dans l’absence
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Il y a les différents troubles du comportement alimentaire, addictions et négligences physiques qui créent des représentations très particulières (objets mentaux) qui semblent tous exprimer un excès (satisfaction ou privation) de conservation du self et de l’objet ou un conflit à cet égard, se battent avec la mort et ont
souvent tendance à aller vers celle-ci. Mentionnons également l’hypochondrie,
finalement toujours liée à la peur de la mort et exprimant les idées (fantasmes,
préoccupations) d’une pulsion d’autoconservation considérablement intensifiée,
ou encore les maladies psychosomatiques qui ont été explorées par la psychanalyse et ont amené à l’élaboration de concepts centrés autour d’un manque, un
moins sur le plan de la représentation psychique et de la symbolisation (comme
dans l’ « alexithymie » de Sifneos ou la « pensée opérationnelle » ou « dépression essentielle » de Marty). Il y a ensuite la dépression et les troubles obsessionnels compulsifs, le mutisme, la catatonie et la stupeur, puis, comme Green le souligne, « la série “blanche” : hallucination négative, psychose blanche et deuil
blanc, tous relatifs à ce qu’on pourrait appeler la clinique du vide, ou la clinique
du négatif (...) traces dans l’inconscient sous la forme de “trous psychiques” »
(1983, p. 226). Cela veut dire que, ou bien à cause d’un trauma soudain ou cumulatif (M. Kahn), ou bien par une négligence continue et subtile, ou par suite
d’une dépendance progressive, le self et l’objet peuvent être poussés ou glisser
au-delà de la sphère des écrans de la conservation du self et de l’objet sains
et aboutir à une représentation contaminée, malade, endommagée, déprimée,
avide et insatiable, ou être menacés de mort. Et c’est au-delà de ces représentations d’un self et d’un objet endommagé ou malade que vont se cacher celles que
nous pourrions appeler un self mort (ou self-partiel) et un objet mort (ou objetpartiel). C’est ce dont les patients font l’expérience – une « présence de la mort
dans la vie » (Green, 1993) – sans que ce soit toutefois la fin de toute activité pulsionnelle, mais, comme l’affirme Bion, la frontière d’une transgression permanente de la puissance ne s’arrêtant jamais d’une « force qui continue de s’exercer
après que le . [signification] a été annihilé et qui détruit l’existence, le temps et
l’espace » (1965 [1982, p. 117])1 ; ou bien (en termes plus freudiens) il s’agit là de
l’infinitude virtuelle des efforts de la pulsion de mort.
1. Bion décrit cette force comme un pouvoir « violent, avide, envieux, cruel, meurtrier et prédateur,
sans respect aucun envers la vérité, les personnes ou les choses. Il est, dirions-nous, ce que Pirandello a
appelé un “personnage en quête d’auteur”. Dans la mesure où il a trouvé son “auteur”, il se révèle être une
conscience totalement immorale. Cette force est dominée par l’intention envieuse de posséder tout ce que
possèdent les objets existants, y compris leur existence même » (1965 [1982, p. 118]). Voilà sans doute une
description précise des états mentaux de ces patients. Toutefois, la caractérisation du mal rend difficile de
voir autre chose qu’un processus destructeur et malin, bien que Bion saisisse également cette « quête
d’auteur » et de l’ « existence elle-même ». Je considère, pour ma part, que, bien que cette quête du self
mort soit désespérée, sauvage et non civilisée (avide, cruelle, meurtrière), il ne s’agit pas là de destruction
mais de survie.
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Le tableau théorique que je décris ici est fondamentalement simple : c’est la
place sur l’axe des pulsions et le détail (l’intensité) de l’investissement d’énergie
qui définissent ce qui est représenté et comment ces représentations sont vécues.
Au début, aussi longtemps que des structures n’ont pas été construites, toute
l’activité pulsionnelle sur l’axe des efforts (principalement) léthiques est potentiellement infinie ou « étouffante ». Après que les différents écrans de la conservation du self et de l’objet ont été assez solidement établis, les structures audelà de ces écrans sont celles que nous définissons, comme un self ou un objet
(à des degrés différents) pathologique (ou également comme une relation selfobjet pathologique). C’est là que le visage négatif du Janus de Green (son
« narcissisme de mort ») regarde ; c’est là que son travail du négatif domine et
que se produit l’hallucination négative. Toutefois, je ne concevrai pas ces processus – comme Green – dans le sens d’une fonction désobjectalisante de la pulsion de mort. Je dirai plutôt que les représentations du self et de l’objet restent
là, également dans la sphère de la pulsion de mort. Mais elles sont principalement (ou parfois uniquement) investies d’une énergie léthique, c’est-à-dire négative ou moins. Cela en fait – ce que nous pourrions appeler – des représentations moins, le self négatif et les objets négatifs, les représentations du self et de
l’objet perdues, ou absentes, ou mortes. Elles semblent se perdre, disparaître
dans l’hallucination négative, ou devenir complètement inconscientes, comme
si elles n’existaient plus ; elles peuvent toutefois, comme le prouve la mère
morte de Green, rester puissamment investies et s’accrocher aux énergies visant
à la conservation et pourtant effectivement paralysantes de la pulsion de mort.
COMMENT ALLUMER UN FEU
Quelque part dans la sphère de la pulsion de mort, une part du self de Sam
était comme il a longtemps été avec moi : manquant, silencieux, absent pendant
qu’il était là et qu’il gardait sa place sur le divan, dans mon cabinet, mais aussi
dans ma vie. Sam était né sans avoir été désiré et avec le mauvais sexe. Ses
parents lui avaient avoué que, après avoir eu ses trois frères de huit, dix et onze
ans ses aînés, ils n’avaient pas l’intention d’avoir d’autres enfants, en tout cas
pas un autre garçon. Il me disait souvent : « Je ne devrais pas exister du tout »,
ou encore : « La façon parfaite de disparaître serait de me mettre dans une baignoire remplie d’acide et me dissoudre entièrement. Il ne devrait rien rester. » Il
disparaîtrait sans laisser de traces. Toutefois, pour autant que je puisse le dire,
Sam n’était jamais suicidaire. Nous avons finalement compris que, lorsqu’il ne
venait pas ou restait silencieux pendant ses séances, c’était comme s’il satisfai-
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Survivre dans l’absence
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sait le désir de sa mère de ne pas l’avoir. Son ne pas être là était sa façon de rester le plus proche d’elle (de moi), sa façon d’être celui qu’elle voulait qu’il soit :
l’absent.
Ce fut dans cette phase de son analyse que je développai un symptôme en
rapport uniquement avec ses séances : dans les minutes avant qu’il n’arrive
(parfois il arrivait en effet, parfois pas) à mon cabinet, alors que j’étais occupée
à des activités habituelles pendant une pause de dix minutes, je ne cessais de me
surprendre à penser qu’il était déjà entré et assis en silence dans la salle
d’attente, que je ne m’en étais pas rendu compte, que je l’avais complètement
oublié, de même que le début de notre séance. Cette pensée me bouleversait et,
bien que notre séance n’ait souvent dû commencer que dans quelques minutes,
je ne pouvais m’empêcher d’aller voir si la porte d’entrée de la salle d’attente
était encore ouverte (dans ce cas, Sam n’était pas encore arrivé) ou si elle était
fermée (Sam se trouvait alors dans la salle d’attente). Bien que je me sois rendu
compte de la répétition de cette idée compulsive et l’ait analysée, je devais ouvrir
la porte, je devais faire quelque chose1. Mon symptôme a certainement de nombreuses significations mais je n’en mentionnerai que quelques-unes en rapport
avec mon sujet. D’une part, il indiquait une tendance de sa façon de se perdre
ou d’être représenté comme mort dans mon esprit / dans l’esprit de sa mère, la
dominance d’un investissement léthique de son self. D’autre part, il se peut que
ce symptôme ait représenté sa façon d’être secrètement avec moi et de « faire
attention à moi », de s’être établi lui-même dans une part temporairement
« absente » de mon esprit dont il sautait en quelque sorte pour tomber dans ma
conscience, ou dont quelque chose en moi essayait inconsciemment de le tirer.
Plus particulièrement, mon symptôme semblait avoir également répété sa conception surprise par sa mère. Cela se trouva en fait, un jour, mis en acte : Sam
(l’enfant qu’il ne fallait pas) arriva à une heure erronée et je le fis entrer (sur le
moment troublée et pensant qu’il avait peut-être raison). Sam s’allongea sur le
divan et la sonnerie de la porte retentit de nouveau. Je me rendis alors compte,
bouleversée, que Sam ne devait pas être ici et que le « bon » patient (prévu à
cette heure-là) était arrivé. Mais, Sam étant déjà installé sur le divan, je ne pouvais simplement le renvoyer (je m’arrangeais pour trouver une séance de remplacement pour l’autre patient). Nous parlâmes beaucoup de cette « erreur » ;
mais bien que j’aie de toute évidence décidé de garder Sam à ce moment, il
insista pour dire que je n’avais en fait pas voulu le garder.
Un aspect essentiel de mon travail dans cette analyse avec lui était que je
pouvais continuer de penser à lui comme étant là même quand il n’était pas
1. Le problème de la porte ouverte ou fermée semble symboliser la relation entre un self et un
objet étouffés et un self et un objet bien conservés. Cf. Schmidt-Hellerau (2005 c).
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présent physiquement. Cela nous amène à nous demander comment nous pouvons travailler avec des patients dans l’absence, soumis à ces puissants efforts
léthiques (allant dans une direction opposée à la vie) souvent vécus comme
« force d’attraction » ou un « désir ardent » de rester étouffé. Plus qu’avec les
névrosés que nous avons habituellement comme patients, toute l’entreprise de
la psychanalyse œuvre ici dès le début contre cette force d’attraction. Les
patients dont une part importante de leur self et de leurs objets se situe dans la
sphère de la pulsion de mort luttent en général à la fois contre les interprétations de leur analyste et contre un progrès vers la vie normale. En faisant cela et
en se servant désespérément de tout ce qu’ils peuvent pour nous éviter et subvertir le processus analytique, ils révèlent finalement ce self partiel ou objet partiel envieux, arrogant, malicieux et triomphant ou ce Surmoi primitif et sadique
qui se trouvent abondamment décrits dans la littérature. Nous interprétons leur
destructivité tant et tant de fois, et nos patients finissent par très bien la connaître. J’ai toutefois trouvé que cela ne menait souvent pas à l’insight qui modifierait leur attitude mentale. Ils insistent au contraire pour dire que ce que nous
appelons destructeur est la part d’eux-mêmes qui les protège du mal que l’on
pourrait leur faire – alors que nous (en tant qu’analystes) les menaçons et les
mettons en danger. Ils parlent d’autoconservation là où nous parlons
d’autodestruction. Nos patients ont-ils tellement tort ? Où est notre empathie
quand nous (de notre point de vue « extérieur) concluons, avec justesse, que
leur protecteur est un gang mafieux pervers, sadique (Rosenfeld, 1971) qui ne
les sauve pas mais veut au contraire les détruire ? Le patient exprime sa vérité
intérieure : aussi malins les processus de sa pensée puissent-ils nous paraître,
c’est sa lutte à lui pour survivre dans l’absence. Pour lui, c’est la seule façon de
garder une part essentielle de lui – un self mort (endormi) ou un objet mort
(endormi) – vivant.
Il me semble que cette lutte pour survivre comporte deux aspects, l’un
léthique, l’autre libidinal. Du côté léthique, les attaques contre le self du patient
sont en fait – et de façon assez paradoxale – censées être conservatrices ; elles
sont des investissements léthiques intensifiés de cette part de self ou d’objet très
éloignée dans la sphère de la mort. Arrêter ces attaques signifierait pour le patient de ne pas redonner de l’énergie à ces représentations et qu’elles soient ainsi
définitivement dissoutes, qu’elles disparaissent. De l’autre côté, la beaucoup
trop petite part d’énergie libidinale doit faire contrepoids à cette représentation
étouffée dans un équilibre précaire de 9 contre 1, par exemple. Il n’y a donc
pas de libido disponible pour atteindre l’objet aimant (d’autant moins que
l’objet semble de toute façon trop éloigné dans l’esprit du patient qui, par
conséquent, s’accroche à là où il se trouve, dans la position inanimée de
l’absence).
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Sam ne cessait de me répéter : « Vous me laisserez de toute façon tomber. »
Sa peur était aussi grande que sa conviction de tomber dans un abîme mortel
dès qu’il aurait confiance en moi. Cette conviction se dressa pendant des années
comme un roc au milieu de notre chemin analytique. La précarité de sa position se trouvait toutefois encore renforcée par une autre inquiétude qu’il finit
par révéler : « Je ne peux faire un pas en avant, car, à chaque déplacement, je
dépenserais et diminuerais le tout petit peu d’énergie qui me reste. Je préfère
donc rester immobile dans mon bain tiède de misère. » Comme son affirmation
le laisse entendre, c’est parce que Sam avait peur de mourir psychiquement, de
tomber dans un abîme de mort et de perdre le reste de son sentiment d’être
encore là, bien que misérable, qu’il s’accrochait anxieusement à son self tel qu’il
se trouvait représenté en lui, c’est-à-dire déprimé, seul, un raté dans un cercueil.
Et avec lui, il y avait moi, l’objet « moins » ou négatif, la mère transférentielle
décevante qui le laisserait de toute façon tomber parce qu’elle ne l’aimait pas et
voulait qu’on la laisse tranquille.
Une constellation comme celle-ci peut conduire à une impasse analytique :
si l’analyste se concentre principalement sur la pensée et le comportement destructeurs du patient, il ou elle ne risque pas seulement de faire obstacle aux
efforts conservateurs de celui-ci (eu égard à ses représentations étouffées), mais
aussi aux prudents investissements libidinaux de l’objet (analyste), souvent trop
subtils pour être remarqués (Sam en vint à en parler plus récemment comme de
son « histoire d’amour secrète »).
D’autre part, l’investissement « doux » (léthique et libidinal) de l’analyste
à l’égard du patient peut lui sembler menaçant, voire persécuteur, non pas seulement par suite d’un contre-mouvement léthique visant à rétablir l’équilibre
habituel de la misère, mais aussi parce que, dans la sphère de la pulsion de mort,
la perception que le patient aura de la « vigueur » de l’analyste peut être fondamentalement différente de ce que l’analyste pense. Sam m’a aidé à comprendre
sa perception particulière du monde extérieur quand il m’a dit, il y a de
nombreuses années : « Quand je conduis une voiture, je ne m’approche pas des
choses. Ce sont plutôt les choses qui s’approchent de moi et je dois me battre
pour éviter des collisions. Et c’est comme cela avec tout. Les choses me sont seulement lancées et je dois sans cesse me défendre et me cacher. » Il se voyait et se
ressentait lui-même comme immobile. Ainsi, ses propres actions, mais aussi
celles de qui que ce soit d’autre – et donc les interventions de l’analyste – ne faisaient que le bombarder et l’amener à se retirer encore plus loin dans sa cachette.
En fait, il semble y avoir eu une immobilité très particulière dans la vie de
Sam – déjà perceptible dans son premier rêve de bateau à voiles, un trauma que
nous n’avons découvert qu’au bout de nombreuses années de travail analytique. Sam avait alors à peu près 5 ans et jouait seul devant la maison de ses
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parents quand arriva la nouvelle que son parrain (le frère de sa mère) était mort
en tombant dans la machine à débiter le bois de sa propre usine. Sa mère ne
lui dit que récemment que, bien que l’on ait toujours parlé d’ « accident », elle
avait immédiatement compris qu’il s’agissait d’un suicide. La vie intérieure de
Sam – travaillant sur un amour œdipien de sa mère plutôt anxieux et honteux –
semble s’être arrêtée là. Il semble que, dès lors, non seulement son amour ait été
accueilli par une mère déprimée et, à ce moment, tourmentée par la culpabilité,
mais aussi qu’il ait perdu sa mère désormais tournée vers l’objet mort, son parrain. Le rival mort vers lequel sa mère dirigeait son attention était invincible.
Une façon de réagir à une perte traumatique est de s’identifier à l’objet perdu.
Dans le cas de Sam, il y avait deux objets perdus : le parrain et la mère œdipienne. Dans le cercueil de son esprit, nous avons trouvé d’abord lui et moi
puis le père (parrain) chéri et mort qui n’était pas (plus) là et la mère déprimée
que Sam devait aider, nourrir, ranimer, dont il lui fallait prendre soin1. Cet événement au début de la vie de Sam ne rend certainement pas compte à lui seul de
tout son retrait mental mais il traumatisa gravement son développement libidinal – d’autant plus que Sam a dû être menacé de mort quand son père, peu
après l’accident, lui montra la machine à débiter le bois dans laquelle le corps
du parrain avait été coupé en morceaux. Cette machinerie de mort et les
fantasmes qu’elle suscita lui furent littéralement « lancés » et ne cessèrent de le
persécuter.
Cela a pu, dans l’esprit de Sam, établir un lien particulier entre l’angoisse
« blanche » de la perte de l’objet œdipien et l’angoisse « rouge » de la castration
et de la mutilation corporelle. Green différencie une angoisse « rouge », liée au
sang et à une blessure – comme dans l’angoisse de castration –, et les
« ... couleurs du deuil : noir ou blanc. Noir comme dans la dépression grave,
blanc comme dans les états de vide » (1983, p. 226). De mon point de vue, les
angoisses rouges suscitent des mesures autoconservatrices plus saines, tandis
que le blanc ou le noir sont en rapport avec la sphère de la pulsion de mort.
Sam présentait des angoisses « rouges » récurrentes dans le contexte de peurs
de la castration. Alors qu’il s’était cassé une jambe plusieurs années auparavant, il ne cessait d’être horrifié à l’idée de ce qui aurait pu arriver s’il s’était
servi de sa jambe et avait appuyé dessus trop tôt ; il imaginait comment elle se
serait effondrée en une purée d’os et de sang. Cette angoisse l’amenait à protéger sa jambe et à se montrer en général d’une prudence excessive.
Avec le temps – et certainement après de nombreuses erreurs –, j’ai appris
à mieux comprendre où Sam se trouve dans une séance, de quoi il a peur, ce
1. Il y a beaucoup de points communs avec ce sur quoi Green a attiré l’attention dans « La mère
morte » (1983).
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« Si vous voulez faire cela », me dit-il, « disons, pour faire chauffer une casserole d’eau
froide, par exemple quand vous randonnez dans la montagne, il faut d’abord laisser le
feu brûler un moment. Cela permet au bois de chauffer et de développer le gaz à
l’intérieur qui brûle et entretient le feu. Si vous mettez la casserole froide trop tôt sur le
feu, elle enlève prématurément la chaleur du bois et le feu ne peut vraiment se
développer. Il y aussi trois erreurs possibles quand on fait du feu : 1 / vous le laissez
mourir en ne l’alimentant pas en bois ; 2 / vous l’alimentez trop en bois et, par là même,
vous l’étouffez ; 3 / vous ne lui donnez pas un aliment qui convient, par exemple, des
bûches humides. Toutefois, si le bois brûle déjà bien et si vous mettez quelques bûches
humides dessus, alors ça va ; à ce moment-là, le feu est assez vigoureux et peut d’abord
sécher puis brûler le bois. » Après un instant, il continua : « Dans mon enfance, j’aimais
m’asseoir auprès du feu et lire ou regarder les braises. Mais je ne me souviens pas avoir
jamais allumé le feu moi-même ou que quelqu’un m’ait un jour appris à le faire. »
La métaphore sur la façon dont on allume un feu me paraît particulièrement
utile dans mon travail avec des patients comme Sam. Il faut beaucoup de temps
pour réchauffer le self mort d’un patient, tapi dans le froid et l’obscurité de sa
tombe intérieure. Et, quand il se réchauffe – souvent le temps de quelques instants –, nous devons l’aider à entretenir la flamme, chaque fois un peu plus
longtemps. Bien entendu, nous échouons de nombreuses fois et notre attitude
la plus patiente communique peut-être encore au patient une incitation à se
presser, et peut-être la ressent-il comme telle. Une façon de faire du feu est de
commencer par rassembler les nombreuses fines branches de ses préoccupations et activités léthiques, notamment tout ce dont il nous parle qui ne marche
pas. Nous passerons ensuite beaucoup de temps à explorer ses défenses et ses
efforts léthiques. C’est comme rassembler des matériaux en bois, tout ce qui est
en jeu1 (bûcher funéraire). J’en suis toutefois venue à me rendre compte qu’une
exploration approfondie des défenses de Sam devenait finalement une autre
défense, comme une accentuation de son « non » intérieur, ou une confirmation
de sa conviction que cela ne marchera jamais. L’impression était que le tas de
bois devenait de plus en plus haut et étouffait ainsi les minuscules flammes qui
s’élevaient parfois. C’est pourquoi, je pense, il nous faut souligner prudemment
1. L’expression employée en anglais est at stake, stake voulant aussi dire « bûcher » (N.d.T.).
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que ses pensées et ses sentiments expriment inconsciemment et veulent élaborer, mais aussi ce qu’il peut et ne peut pas supporter de moi. En fait, Sam
m’a appris à travailler avec lui ; ce qu’il a un jour exprimé par une belle métaphore. Il venait de parler de sa peur que tous les projets dans lesquels il s’engageait ne partent rapidement en fumée comme des feux de paille ; ils mouraient, perdaient leur caractère excitant, leur vivacité. Comment empêcher un
feu de mourir ? Il se souvint alors avoir récemment appris à allumer un feu
dehors :
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(investir de façon libidinale) des questions mineures, des petits mouvements
apparemment « sans importance » que le patient semble provoquer lui-même.
Parfois, seulement une impression d’une certaine chaleur ou vivacité dans la
voix du patient peut indiquer un tel changement. Bien entendu, le patient sera
vigilant et soupçonneux à l’égard de tout ce que nous faisons. Il a peur que
nous le brûlions, il prend garde que nous ne faisions un feu de paille de ces premières petites flammes. Mais il peut finalement accepter une part de l’intérêt
que nous lui portons et qu’il ressent quand nous abordons quelque chose. Il se
peut que nous ne puissions pendant longtemps parler à son état inanimé, à ses
souvenirs d’enfance douloureux et d’autres choses de ce genre. Ce serait comme
poser trop tôt le pot d’eau froide ou une grosse bûche humide sur une toute
petite flamme : cela tuerait la flamme immédiatement. Ce n’est qu’après qu’un
feu (plus ou moins) constant a brûlé pendant un certain temps que nous pouvons oser mettre des bûches plus grosses, la « casserole d’eau froide » dessus.
Le feu peut alors sembler momentanément s’éteindre mais il pourra reprendre,
brûler de nouveau et réchauffer la casserole d’eau froide. Les désirs cachés et
les sentiments affectueux entrent alors en jeu – bien que toujours liés à la peur
du patient d’avoir trop chaud et donc de brûler. Je pense que ce sont les chaudes larmes intérieures qui ont jadis mouillé la bûche et éteint le feu. Je ressentais cette douleur quand Sam retrouvait certains de ces sentiments et disait :
« Être tellement délaissé, n’avoir aucunement accès à la personne aimée, être
tellement seul avec tous ces sentiments, cette envie, ce besoin urgent... qui fait
tellement mal. »
Eu égard à la technique, je propose le choix d’un « contenu » spécifique sur
le plan pulsionnel, en plus de l’attention minutieuse que nous portons à
l’interaction dynamique entre les désirs et les défenses de nos patients, à leurs
mouvements progressifs et régressifs. En bref, outre ce que nous pouvons
comprendre du processus, nous pourrions réfléchir aux proportions de
questions libidinales et léthiques présentes dans le contenu du matériel. En
fonction du sentiment que nous avons de l’équilibre du patient (où il se situe
approximativement sur toute l’échelle entre vie et mort), nous pourrions choisir
ce que nous traitons, le côté léthique ou libidinal du matériel. La tâche est
compliquée, car nous devons, d’une part, apprécier les investissements léthiques
du self et de l’objet dans leur intention conservatrice, même là où ils paraissent
destructeurs. Cela veut dire qu’il s’agit d’interpréter les effets destructeurs de
ces efforts non sans les relier aux peurs du patient et à sa lutte pour survivre,
et montrer ainsi leur intention essentiellement conservatrice. D’autre part, il
nous faut essayer de mettre peu à peu en évidence l’investissement libidinal de ces représentations qui sont établies au-delà des écrans d’une conservation sûre du self et de l’objet sans trop mettre en question l’équilibre du
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patient1 (et provoquer ainsi un clivage ou une réaction thérapeutique négative).
Une dernière tâche aussi importante consiste en ceci que nous devons donner un
sens à la concrétude du matériel du patient afin de stimuler les processus de
symbolisation, ce qui en soi pourrait se révéler être essentiellement une liaison
avec la libido. Il y a là matière à réflexion.
Nous, analystes, devons marcher sur un fil et il nous arrive de tomber bien
des fois dans l’abîme. C’est le sentiment que le patient redoute et que nous
redoutons aussi. Nous pouvons toutefois apprendre à nous trouver parfois
dans l’obscurité et à remonter de nouveau à la lumière. Savoir comment nos
patients luttent pour survivre dans l’absence peut nous aider à survivre dans
l’analyse et finalement rendre la vie supportable, puis même agréable.
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1. La suggestion de Coen (2003, 2005) de se servir du jeu (avec la prudence nécessaire) comme
technique pour engager des patients distants semble aller dans cette direction.Toutefois, du fait que ces
patients ne montrent longtemps leurs états d’esprit – ou, plutôt, ont besoin de démontrer –, il me
semble que le « jeu » ne devient possible qu’à des stades ultérieurs de ce type de traitement.
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(Traduit de l’anglais par Anne-Lise Hacker.)
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