FONDEMENTS
UTOPIE, DYSTOPIE ET LEURS AVATARS
Sébastien CHONAVEY
Université Libre de Bruxelles
s.chonavey@gmail.com
Abstract:
The term « dystopia » first appeared during the 19th century, and has been
used since then in various contexts with different meanings. Just like the concept of
« utopia », from which it originated, the dystopian genre has been the subject of
numerous scientifical definitions, often complementary, sometimes contradictory,
mixing terms as diverse as « anti-utopia », « counter-utopia », « atopia », « uchronia»
and « paratopia ». If the present article proposes to point out the lack of clarity of the
notion (1), it will show subsequently the need to come back to the utopian genre (2),
in an effort to clarify the relationships with its derivatives (3) and propose a new,
consistent definition (4).
Keywords:
Utopia, dystopia, uchronia, heterotopia, contre utopia, anti-utopia, literary genre.
Résumé:
Apparu pour la première fois au XIXe siècle, le terme « dystopie » a été
employé dans divers contextes avec un signifié très différent. À l'image de l'utopie dont
elle est issue, le genre dystopique a fait l'objet de nombreuses définitions scientifiques
souvent complémentaires, parfois contradictoires mêlant des termes aussi divers
qu'« anti-utopie », « contre-utopie », « atopie », « uchronie » et « paratopie ». Si le
présent article se propose de pointer le manque de clarté de la notion (1), il montrera
ensuite la nécessité de revenir sur le genre de l'utopie (2) afin de clarifier les relations
avec ses dérivés (3) et en proposer une nouvelle définition cohérente (4).
Mots clé:
Utopie, dystopie, uchronie, hétérotopie, contre utopie, anti-utopie, genre littéraire
Rezumat:
Termenul de „distopie” a apărut pentru prima dată în secolul al XIX-lea și a
fost folosit de atunci în diferite contexte cu semnificații diferite. La fel ca și „utopia”,
7
Diversité et Identité Culturelle en Europe
de la cares-a format, genul distopian a fost subiectul numeroaselor definiții
științifice, adesea complementare, uneori contradictorii, care amestecau termeni la
fel de diferiți precum „anti-utopia”, „contra-utopia”, „atopia” , „Uchronia” și
„paratopia”. Dacă prezentul articol propune să sublinieze lipsa de claritate a noțiunii
(1), va arăta ulterior necesitatea revenirii la genul utopic (2), într-un efort de a
clarifica relațiile cu derivatele sale (3) și propune o nouă definiție coerentă (4).
Cuvinte-cheie:
Utopie, distopie, ucronie, heterotopie, contra-utopie, anti-utopie, gen literar.
1. La dystopie : un flou conceptuel
Se lancer dans l'approche et la compréhension des dystopies n'est pas
une chose aisée. Non que la bibliographie s'y afférant ne soit pas disponible
ou peu nombreuse, mais surtout parce que le concept que nous cherchons à
étudier semble s'échapper, se dérober sous nos yeux, disparaître
systématiquement sous une autre identité, une autre étiquette.
Que l'on y songe ; dans un même ouvrage de référence1, le terme
« dystopie » peut être utilisé comme synonyme d'une dizaine d'autres mots :
contre-utopie, utopie, science-fiction, uchronie, mythe, atopie, fiction,
anticipation, millénarisme et hétérotopie.
Au fond, si ce flou conceptuel demeure si vaste, c'est peut-être que le
mot « dystopie » s'est construit à partir de celui d' « utopie ». Or le sens de ce
dernier est lui-même extrêmement trouble en raison de son ancienneté et de
son hybridation. C'est d'ailleurs ce que rapporte le professeur Peter Kuon :
«L'utopie ne se contente pas de détailler l'image d'une société
radicalement autre, mais tente de spécifier et, par moments, de
brouiller le sens du projet utopique, en l'associant à différentes
formes d'expression, telles que le dialogue, la satire, l'allégorie, le
récit de voyage, le songe, le roman d'aventures ou de formation,
qui varient dans le temps. »2
1
Ici la revue D. James-Raoul (dir.), « L'utopie entre eutopie et dystopie », Eidôlon, n°110,
Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2013.
2
Peter Kuon et Gérard Peylet (dir.), L'utopie entre eutopie et dystopie, Eidôlon, n°110,
Bordeaux,Presses universitaires de Bordeaux, 2013, p. 21.
8
Diversité et Identité Culturelle en Europe
Avant de pouvoir donc démêler le moindre fil de signification du
concept de « dystopie », il convient tout d'abord de tenter de mieux
comprendre celui d' « utopie ».
2. Un retour nécessaire vers le genre originel : l'utopie
Si comme nous venons de le voir, le terme de dystopie engendre un
flou conceptuel persistant, cela semble plus vrai encore pour le concept dont
il est dérivé, à savoir l'« utopie ». Nous le verrons, ce terme jouit, dès son
apparition, d'une ambiguïté constitutive qui rejaillira sur l'entièreté de son
histoire (2.1) donnant lieu à quantité de définitions. Nous en ferons le rappel
(2.2) pour ensuite observer leurs limites, voire leurs contradictions (2.3). Bien
évidemment, nous tenterons de déduire de ces observations les attributs
essentiels d'une nouvelle définition (2.4).
2.1. L'utopie et son histoire
On sait aujourd'hui, grâce à l'étude de sa correspondance avec Érasme –
et notamment dans ses lettres du 12 novembre et du 4 décembre 1516 3 - que
c'est Thomas More qui a construit pour la première fois le terme « utopie ».
Ce dernier remplace un autre mot d'origine latine, « nusquama » (qui signifie
« pays de nulle part ») mais qui n'a pas les faveurs de More pour le titre de
son livre De optimo reipublicae statu deque nova insula Utopia libellus,
publié à Louvain en 1516.
Le néologisme « utopia » est donc construit à partir du préfixe « ou »
(dont le sens est privatif) et le mot « topos » signifiant « lieu ». De fait, le
terme « utopie » paraît simplement signifier « lieu qui n'existe pas ».
Cependant, dans le sizain qu'il place en exergue de son œuvre, More rajoute
qu' « Eutopie, à bon droit, c'est le nom que l'on me doit. » Or, le préfixe « eu »
signifie en grec, bonheur, ce qui fait de l'utopie à la fois le « lieu de nulle
part » mais aussi « le pays du bonheur ». Cette ambivalence constitutive du
terme, aura de nombreuses conséquences tant sur la compréhension de celuici que sur son étude.
C'est Rabelais qui l'utilisera le premier (et le francisera donc) dans son
Pantagruel (1532) à l'intérieur de la lettre que Gargantua envoie à son fils
afin de relater des événements se déroulant en utopie – synonyme alors de
3
Thierry Paquot, Utopies et utopistes, Paris, La Découverte, 2018, p. 5.
9
Diversité et Identité Culturelle en Europe
pays imaginaire. Comme le note le philosophe Thierry Paquot, « on peut
imaginer que ce mot pénètre la langue française, doté de ce sens particulier. »4
Le terme apparaît d'ailleurs pour la première fois dans un dictionnaire
en 16115, et signifie justement « un endroit ou une région imaginaire. »6 Il
gardera cette signification tout au long du XVIIe et même une partie du
XVIIIe siècle où il entre dans d'autres dictionnaires (Trévoux en 1752 ou de
l'Académie française de 1762) toujours sous la même acception.
Ce n'est qu'à partir de la fin du XVIIIe siècle et notamment dans la
cinquième édition du Dictionnaire de l'Académie française en 1798 que le
mot « Utopie » se charge d'un sens qu'il n'avait pas jusqu'alors : « Utopie se
dit en général d'un plan de Gouvernement imaginaire, où tout est parfaitement
réglé pour le bonheur commun, comme dans le Pays fabuleux d'Utopie décrit
dans un livre de Thomas Morus qui porte ce titre. Chaque rêveur imagine son
Utopie. »7 Du reste, c'est déjà le sens que lui avaient attribué plusieurs auteurs
de l'époque : Diderot dans Apologie à l'abbé Galiani (1770) ou encore
Mirabeau qui, dans une lettre datée de 1789, parle de « utopiens » pour
désigner des charlatans.
Au XIXe siècle, si le terme est repris et associé par les théoriciens du
socialisme naissant sous une forme positive (on songe ici à Charles Fourrier
ou à Jospeh Proudhon) pour désigner la recherche d'une société plus juste et
plus égalitaire, il n'en demeure pas moins que les dictionnaires (par exemple
le Dictionnaire universel de la langue française de P.-Cl. Victoire Boiste en
1800 ou encore le Dictionnaire général et grammatical des dictionnaires
français de Napoléon Landais en 1834) maintiendront le sens « chimérique
et impossible » accolé à l'utopie dès le siècle précédent. C'est pour cette raison
que Marx et Engels prendront soin, dès 18788 de distinguer le « socialisme
utopique » de leur vision du socialisme proclamé « socialisme scientifique »,
c’est-à-dire réalisable.
Ces trois acceptions (pays situé nulle part, pays heureux ou rêverie
irréalisable) ont perduré jusqu'à notre époque, même si le sens « irréalisable »
semble largement dominer comme en témoigne l'utilisation courante du terme
4
Ibidem, p. 6.
Randle Cotgrave, A Dictionarie of the French and English Tongue, 1611.
6
Thierry Paquot, op. cit., p. 6.
7
Dictionaire de l'Académie française de 1798 cité par Thierry Paquot, op. cit., pp. 7-8.
8
Friedrich Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique , trad. Paul Lafargue, Paris,
Derveaux, 1880.
5
10
Diversité et Identité Culturelle en Europe
« utopique » ou encore la définition fournie par le Robert en ligne, édition
2017 : « idéal, vue politique ou sociale qui ne tient pas compte de la réalité ;
conception ou projet qui paraît irréalisable ».
2.2. Les principales propositions de définitions de l'utopie
Du côté de la recherche, les définitions de l'utopie sont nombreuses et
très inégales. Elles vont des définitions réductionnistes (un trait) jusqu'aux
définitions complexes comptant une dizaine de caractéristiques différentes
pour certains « utopilogues »9.
Il en va ainsi de la définition de Lyman Tower Sargent qui précise que
l'utopie est : « une société inexistante décrite dans les menus détails et située
normalement dans le temps et l'espace »10. Dans un article dédié justement à
la clarification des différents termes liés à l'utopie, Corin Braga, la définit
comme un « virtuel positif impossible, une construction fantastique,
métaphysique, qui fait le saut dans l'incroyable, dans l'extraordinaire »11.
Francesco Muzzioli ajoute très sobrement qu'il s'agit d'une : « représentation
idéale du meilleur des mondes (…) utopie comme eu-topia, le lieu
heureux »12, insistant alors sur l'idéal commun à atteindre. Enfin, toujours
dans un style épuré, Thierry Paquot définit l'utopie comme un « projet
politique visant au bonheur de chacun et de tous et aussi de rêves irréalisables
écrits pour dénoncer la triste réalité et conforter sa dérision »13 relevant ainsi
ce qu'aucun autre spécialiste n'a explicitement énoncé dans sa définition :
l'écrit utopique se signale par la dénonciation induite de la société
contemporaine de l'auteur.
On est forcé de constater, dans cette première série de définitions,
l'accord général des auteurs sur quelques attributs essentiels de l'utopie : il
s'agit d'un projet imaginaire de société dont l'objectif est le bonheur général.
Ici, les seuls attributs réellement discutés sont les caractères de situation dans
le temps et l'espace.
9
Terme emprunté à Thierry Paquot, op. cit., p. 10.
Lyman Tower Sargent, « The Three Faces of Utopianism Revisited », in Utopian Studies,
Pensylvanie, PSUP, 1994, p. 15.
11
Corin Braga, « Utopie, eutopie, dystopie et anti-utopie », Metabasis, n°2, septembre 2006, p. 19.
12
Francesco Muzzioli, « Postface : Fins du monde. Configurations et perspectives du genre
dystopiques », dans Clément Dessy et Valérie Stiénon, (Bé)vues du futur – Les imaginaires
visuels de la dystopie (1840-1940), Villeneuve d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion,
2015, pp. 284-285.
13
Thierry Paquot, op. cit., p. 4.
10
11
Diversité et Identité Culturelle en Europe
Les définitions plus complexes quant à elles, partent des mêmes
prémisses pour ajouter d'autres attributs. Ainsi, pour Cioran, l'utopie décrit
une cité parfaite dans laquelle le mal n'existe pas :
„Et d'où seraient-elles ces cités que le mal n'effleure pas, où l'on bénit
le travail et où personne ne craint la mort ? On y est astreint à un
bonheur fait d'idylles géométriques, d'extases réglementées, de mille
merveilles écœurantes, telles qu'en présente nécessairement le
spectacle d'un monde parfait, d'un monde fabriqué”14.
Jean-Michel Racault15 ajoute que
«la description est détaillée, introduite par un récit ou intégrée à
un récit » et qu'il s'agit «d'un espace imaginaire clos,
géographiquement plausible et soumis aux lois de la physique du
monde réel, habité par une collectivité individualisée d'êtres
raisonnables dont les rapports mutuels comme les relations avec
l'univers matériel et spirituel sont régis par une organisation
rationnellement justifiée saisie dans son fonctionnement concret.»
La définition que ce dernier propose rejoint, avec Anne-Marie DrouinHans et Raymond Trousson, l'idée que seules les utopies littéraires doivent
être prises en compte. Dans le cas contraire, l'imagination et les plans d'une
société idéale seraient trop nombreux et largement antérieurs à la création du
mot par Thomas More pour ne pas achever l'idée même de possibilité
d'établissement d'une définition. Dans ce cas-ci, il y a donc réduction de
l'utopie à un véritable genre littéraire16.
Vis-à-vis des autres définitions, Anne-Marie Drouin-Hans, insistant
davantage sur la notion de bonheur, donne la définition suivante :
„Les utopies sont des descriptions précises de pays imaginaires,
conçus comme meilleurs, mieux organisés que les pays réels, et
qui se donnent au moins pour logiquement possibles ; les hommes
y sont les artisans de leur bonheur par structure et les principes de
vie qu'ils ont construits ou ont acceptés [...] l'utopie est une fiction
14
Émile Michel Cioran, Histoire et utopie, « Folio Essais », Paris Gallimard, 1960, p. 96.
Jean-Michel Racault, L'utopie narrative en France et Angleterre (1675-1761), Oxford, The
Voltaire Foundation, 1991, p. 22.
16
Bronislaw Baczko, Michel Porret et François Rosset (dir.), Dictionnaire critique de l'utopie
au temps des Lumières, Genève, Georg, 2016, p. 129.
15
12
Diversité et Identité Culturelle en Europe
qui décrit un État particulier, ou une communauté, et son objet est
la structure politique de cet État.”17
Enfin, Raymond Trousson se fait le plus exhaustif de tous les auteurs (si
l'on excepte l'idée explicitement formulée, chère à Paquot, de dénonciation par
l'auteur de sa société) en avançant une dizaine d'attributs essentiels du genre. Ceuxci lui permettent d'exclure d’emblée un certain nombre de genres connexes:
„nous proposerons donc ici de parler d'utopie lorsque, dans le
cadre d'un récit (ce qui exclut les traités politiques), se trouve
décrite une communauté (ce qui exclut la robinsonnade),
organisée selon certains principes politiques, économiques,
éthiques, restituant la complexité de l'existence sociale (ce qui
exclut le monde à l'envers, l'âge d'or, Cocagne ou l'arcadie),
qu'elle soit présentée comme idéal à réaliser (utopie positive) ou
comme la prévision d'un enfer (l'anti-utopie), qu'elle soit située
dans un espace réel, imaginaire ou encore dans le temps, qu'elle
soit enfin décrite au terme d'un voyage imaginaire vraisemblable
ou non.”18
Ces évocations des attributs essentiels selon différents auteurs, nous
permettent d'établir le tableau comparatif des définitions apportées à l'utopie
(cf. Tableau 1). À sa lecture, nous pouvons observer que la difficulté de cette
conceptualisation ne réside pas tant dans le fait de présenter des traits
distinctifs d'un genre littéraire, mais en réalité, dans la possibilité de faire en
sorte que la cohérence de ses critères notionnels soit maintenue (c'est le cas
par exemple des critères de localisation temporelle et géographique). Voyons
concrètement comment cela se traduit.
2.3. Une définition cohérente des « pays de nulle part » difficile à trouver
Comme nous venons de le souligner, le problème posé par les
définitions de l'utopie n'est pas leur multiplicité, mais bien leurs antagonismes
ou leurs contradictions. Afin de les observer et de les mettre en exergue, nous
17
Anne-Marie Drouin-Hans, Éducation et utopies, Paris, Librairie Philosophique J.Vrin,
2004, pp. 43-46.
18
Raymond Trousson, Voyages aux pays de nulle part : histoire littéraire de la pensée
utopique, troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Éditions de l'Université de
Bruxelles, 1999, p. 24.
13
Diversité et Identité Culturelle en Europe
avons choisi de nous concentrer uniquement sur les deux derniers auteurs
évoqués plus haut : Anne-Marie Drouin-Hans et Raymond Trousson. En
effet, ces auteurs ont, comparativement, proposé une définition détaillée et
l'ont accompagné d'un grand nombre d'illustrations concrètes.
Les deux principaux problèmes logiques posés par l'application de la
définition d'Anne-Marie Drouin-Hans aux potentielles utopies sont d'un côté
le rejet des éléments antiques du genre et de l'autre l'insertion dans le corpus
utopique d'éléments modernes pourtant assimilés à des dystopies.
Ainsi, concrètement, Anne-Marie Drouin-Hans explique qu'il est
préférable de ne pas intégrer La République de Platon à la tradition utopique
parce qu'il ne pratiquerait pas l'affabulation (ce qui en ferait, selon elle, un
texte, qui ne mime pas assez « le récit d'une histoire authentique »19).
Cependant, elle n'intègre pas non plus le Timée et le Critias alors que ces
textes présentent non seulement les caractéristiques des textes utopiques
qu'elles mentionnent, mais aussi, comme le souligne Raymond Trousson,
celui de l'affabulation20.
De plus, pour Anne-Marie Drouin-Hans, les utopies se caractérisent
par le fait que « les hommes y sont les artisans de leur bonheur par la structure
et les principes de vie qu'ils ont construits ou ont acceptés. »21 Cependant,
celle-ci mentionne dans son corpus le Nous autres d'Evguéni Zamiatine,
considéré par ailleurs comme une dystopie ou une contre-utopie, c'est-à-dire
un récit dans lequel les hommes se voient définitivement confisquer la
possibilité de construire un bonheur personnel, différent de celui qui leur est
imposé par l'état. Dès lors, il semble difficile de justifier une telle application
de sa définition à cet élément de son corpus puisque précisément, chez
Zamiatine, le héros s'oppose à son environnement totalitaire.
De son côté, Raymond Trousson rend lui aussi précaire sa définition
au regard des exemples qu'il choisit d'incorporer au corpus de la littérature
utopique. En effet, dans la vaste bibliographie des utopies qu'il met à
disposition à la fin de son ouvrage22, il fait débuter le genre par Thomas More
19
Anne-Marie Drouin-Hans, Éducation et utopies, Paris, Librairie Philosophique J.Vrin,
2004, pp. 40-43.
20
Raymond Trousson, op. cit., p. 31.
21
Anne-Marie Drouin-Hans, Op. cit., pp. 43-40.
22
Raymond Trousson, op. cit., p. 275.
14
Diversité et Identité Culturelle en Europe
tout en mentionnant, que c'est Platon qui est « l'inventeur de l'utopie telle que
nous l'avons décrite (...) en tant qu'auteur du Timée et du Critias. »23
Cet élément se retrouve régulièrement dans ses écrits ou ses cours
portant sur les utopies. Ainsi, on peut trouver dans les notes de son cours de
littérature comparée : « Platon sera également le créateur de l'utopie au sens
littéraire du terme. Dans certaines œuvres telles que Le Timée ou Le Critias,
il quitte le mode de réflexion utopique pour envisager une société en action,
en mouvement. »24 Ou encore : « quoi qu’il en soit, les œuvres citées jusqu'à
présent nous prouvent que le genre utopique était constitué dès l'antiquité, et
ne sera pas une invention de la Renaissance, tout au plus pourrait-on parler à
propos de la Renaissance, de résurgence. »25
2.4. Notre définition de l'utopie littéraire
Malgré certains problèmes logiques posés par quelques parties de ces
différentes définitions, nous estimons néanmoins qu'elles possèdent une force
explicative et synthétique dont il convient, selon nous, davantage de discuter
l'application que les fondements.
C'est donc en nous appuyant sur ces bases théoriques que nous
formulons la définition temporaire sous laquelle nous entendrons dans cette
étude le mot « utopie ». Selon nous, celui-ci se définit comme suit :
„Un genre littéraire contenant un récit qui présente le fonctionnement
(politique, social ou culturel) d'une cité ou d'une société imaginaire.
Celle-ci est conçue et justifiée comme un espace clos ayant pour but
d'assurer le bonheur de tous ses habitants. Cette organisation fait dans le
récit l'objet d'une quête ou d'une défense de la part d'un personnage
principal. Cela permet à l'auteur de l'utopie de critiquer indirectement la
société dans laquelle il vit [les grasses sont de nous]”.
Bien sûr, notre définition demeure prudente et tâche, sur les conseils
de Raymond Trousson lui-même de se garder de limiter l'utopie littéraire à
une « conception de genre trop rigide et statique »26.
23
Raymond Trousson, op. cit., p. 29.
Raymond Trousson, Littérature comparée. L'utopie : notes prises au cours de R. Trousson,
Bruxelles, P.U.B., 1983, p. 31.
25
Ibidem, p. 32.
26
Raymond Trousson, « Synthèse », dans Vita Fortunati et Raymond Trousson (dir.),
Dictionary of literary utopias, Paris, Honoré Champion Éditeur, 2000, p.636.
24
15
Diversité et Identité Culturelle en Europe
3. Les « descendants » de l'utopie littéraire
Autour de ce noyau conceptuel originel de l'utopie, d'autres genres
sont apparus en y faisant directement ou indirectement référence. Ceux-ci ont
été qualifiés de différentes façons par les auteurs ou les théories littéraires, et
ce, en utilisant systématiquement des préfixes accolés au terme « utopie »
(3.1). Cependant, bien que disposant chacun d'une signification propre, ces
nouveaux termes ont parfois été utilisés pour désigner les mêmes réalités. Il
nous faudra donc tenter d'étudier ce que peuvent recouvrir les « anti, les
contre et les dystopies » (3.2), les « uchronies » (3.3) et les « hétérotopies »
(3.4) à l'aune de leurs utilisations par les chercheurs pour ensuite tenter d'en
donner une classification basée sur la signification de leur préfixe (3.5). Nous
pourrons ainsi éclaircir les contours génériques de la dystopie et en proposer
une définition rénovée (4).
3.1. « Anti », « contre », « dys », etc.: quand les préfixes s'emmêlent
Le premier élément bibliographique qu'il nous a été donné de lire au
sujet de l'utopie et de ses dérivés est un dictionnaire de l'utopie dirigé par
Michèle Riot-Sarcey27. À sa lecture et à celle des autres ouvrages de la
bibliographie, nous avons croisé régulièrement la route de six termes
récurrents. Ces termes, dérivés de l'utopie, en précisaient chaque fois des
formes particulières. Ces mots sont les suivants : anti-utopie, contre-utopie,
dystopie, atopie, hétérotopie et uchronie. Ces six concepts partagent avec
l'utopie le fait de posséder, selon les auteurs, des définitions et des utilisations
floues, voire paradoxales. Pour rajouter à la difficulté, ces termes ne disposent
pas d'entrées dans les dictionnaires historiques habituels (Académie ou Littré).
Afin de pouvoir clarifier ces concepts, nous avons donc choisi, dans
un premier temps, d'étudier ce que la recherche proposait conceptuellement
sur la matière, pour dans un second temps, privilégier les pistes qui nous
semblent les plus cohérentes et proposer nos définitions.
3.1.1 Démêler les concepts par le choix d'un corpus de recherches
Ce faisant, nous ne pouvons que songer aux avertissements énoncés
par Paolo Cannettieri lorsqu’il compare le processus de définition d’un genre
pour l’historien littéraire à celui de la classification pour le naturaliste.
27
Michèle Riot-Sarcey, Thomas le Bouchet et Antoine Picon (dir.) Dictionnaire des Utopies,
Paris, Larousse, 2002.
16
Diversité et Identité Culturelle en Europe
In tal senso è più chiaro ai naturalisti che agli storici della letteratura
che il processo di classificazione non deve essere confuso con quello
di identificazione: nella classificazione è necessario adottare un
procedimento induttivo, ordinando gli oggetti a seconda della loro
parentela o affinità, mentre per l'identificazione si mette in opera il
metodo deduttivo, collocando l'oggetto nell'ambito della classe già
stabilita con il procedimento induttivo. 28
Dégager une définition des termes mentionnés revient donc à pouvoir
sélectionner au sein d’un corpus, des traits qui nous semblent relever du genre
recherché. Bien évidemment, nous sommes conscients du fait que la
définition évoluera en fonction de la littérature de base choisie. Pour ce qui
concerne uniquement les dérivés de l'utopie – mais peut-être est-ce là une
problématique qui concerne l’étude générique dans son ensemble – la
difficulté réside dans le fait que les auteurs ne sont absolument pas d’accord
ni sur les pièces qui composent ce corpus ni sur leur utilisation.
Pour clarifier ces concepts, nous nous sommes astreint
méthodologiquement à sélectionner pour notre approche les monographies,
les ouvrages collectifs ou les articles susceptibles de proposer une définition
de ces termes. De fait, n'ont été étudiés que les ouvrages avançant une
approche globale de l'utopie et donc de ses dérivés. Afin de limiter notre
enquête sur le corpus bibliographique francophone, nous avons également
choisi de nous concentrer sur les textes postérieurs à 1950. Parfois, en raison
de la diversité de son œuvre et de l'étude spécifique qu'il a pu consacrer à tel
ou tel terme, nous nous sommes attachés à inclure dans la liste plusieurs
ouvrages d'un même auteur. En l'occurrence, ici, il s'agit de quatre ouvrages écrits
ou coécrits par Raymond Trousson. En conséquence, notre travail de synthèse
s'est concentré ; classés par ordre chronologique sur les travaux suivants:
RUYER, Raymond, L'utopie et les utopies, Paris, P.U.F., 1950.
VUARNET, Jean-Noël, « Utopie et atopie », Littérature, n°21
28
En ce sens, il est plus clair pour les naturalistes que pour les historiens littéraires que le
processus de classification ne doit pas être confondu avec celui d’identification: dans la
classification, il est nécessaire d’adopter une procédure inductive, ordonnant les objets en
fonction de leur parenté ou de leur affinité,; tandis que pour l'identification la méthode
déductive est mise en place, plaçant l'objet dans la classe déjà établie avec le processus
inductif. (notre traduction) v. Paolo Canettieri, « Appunti per la classificazione dei generi
trobadorici », Cognitive Philology, n°4 (2011), pp. 1-2.
17
Diversité et Identité Culturelle en Europe
(1976), pp. 3-9.
SERVIER, Jean, L'utopie, « Que sais-je ? », Paris, P.U.F., 1979.
IMBROSCIO, C. (coord.), Requiem pour l'utopie ? Tendances
autodestructives du paradigme utopique, Pise, Éditrice Libreria
Goliardica, 1986.
RAULET, Gérard, « L'utopie est-elle un concept ? », Lignes
1992/3 (n°17), pp. 102-117.
JEAN, Georges, Voyages en utopie, Paris, Gallimard, 1994.
TROUSSON, Raymond, Voyages aux pays de nulle part : histoire
littéraire de la pensée utopique, troisième édition revue et
augmentée, Bruxelles, Éditions de l'Université de Bruxelles, 1999.
RIOT-SARCEY, Michèle; BOUCHET, Thomas; PICON,
Antoine (dir.), Dictionnaire des Utopies, Paris, Larousse, 2002.
TROUSSON, Raymond, Sciences, techniques et utopies. Du
paradis à l'enfer, Paris, L'Harmattan, 2003.
DROUIN-HANS, Anne-Marie, Éducation et utopies, Paris,
Librairie Philosophique J.Vrin, 2004.
FORTUNATI, Vita; TROUSSON, Raymond (coord.), Histoire
transnationale de l'utopie littéraire et de l'utopisme, Paris, Honoré
Champion Éditeur, 2008.
DESPRÉS, Élaine (dir.), « Dossier Utopie/Dystopie : entre
imaginaire et réalité », Posture, Hors série n°2 (2010).
GODIN, Christian, « Sens de la contre-utopie », Cités, n°42
(2010/2), pp. 61-68.
KUON, Peter; PEYLET, Gérard (dir.), L'utopie entre eutopie et
dystopie, Eidôlon, n°110, Bordeaux,Presses universitaires de
Bordeaux, 2013.
DESSY, Clément; STIÉNON, Valérie, (Bé)vues du futur – Les
imaginaires visuels de la dystopie (1840-1940), Villeneuve
d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2015.
BACZKO, Bronislaw; PORRET, Michel; ROSSET François
(dir.), Dictionnaire critique de l'utopie au temps des Lumières,
Genève, Georg, 2016.
PAQUOT, Thierry, Utopies et utopistes, Paris, La Découverte, 2018.
18
Diversité et Identité Culturelle en Europe
3.1.2. Un tableau synthétique autorisant une vue d'ensemble
Même si elle fut chronophage, la consultation complète de ces
ouvrages (ne serait-ce que pour observer l'utilisation d'un terme) autorise une
vision globale du concept d'utopie et de ses dérivés.
Ensuite, afin d'éventuellement déjà effectuer quelques constats, nous
avons construit une synthèse reprenant les auteurs cités et leurs éventuelles
utilisations des termes dérivés de l'utopie. Nous avons organisé cette synthèse
sous forme de tableau et placé celui-ci en annexes (cf. Tableau 2).
D'emblée, à partir de cette modeste synthèse, deux observations
peuvent être formulées. D'un côté, nous pouvons remarquer que les termes
« anti-utopie », « contre-utopie » et « dystopie » sont souvent utilisés pour
désigner des réalités similaires. Dans le détail, ils rendent régulièrement compte
d'une réalité inverse ou malheureuse de l'utopie, mais sans plus d'éclaircissements.
D'ailleurs, même si les mots « anti-utopie » et « contre-utopie » sont très tôt
utilisés, le terme de dystopie n'apparaît que très tard (1986) dans les études
scientifiques. En outre, et le nombre de synonymies en rend compte, leurs
différences conceptuelles sont quasi inexistantes. D'un autre côté, nous
pouvons constater que le terme « atopie » est très peu utilisé par les auteurs.
Ainsi, il n'apparaît qu'une seule fois dans l'article de Jean-Noël Vuarnet29
(pourtant consacré à ce concept) et dans le dictionnaire de Riot-Sarcey30 pour
désigner une utopie négative. D'ailleurs, en grec ancien, le terme désignait
semble-t-il le fait de « n'être pas à sa place, l'étrangeté, voire l'extravagance
déplacée »31. Nous considérerons donc que ce terme n'est guère relevant pour
comprendre les dérivés du genre utopique et a fortiori la dystopie.
Passons à présent à l'étude détaillée des définitions proposées par les
auteurs. Afin d'en faciliter la présentation, nous distinguerons trois moments.
Tout d'abord, nous présenterons les points de vue des auteurs sur les concepts
souvent synonymes de « contre-utopie », « anti-utopie » et de « dystopie »
(3.2), puis nous passerons en revue celui d'uchronie (3.3) et enfin, celui
d'hétérotopie (3.4).
29
Jean-Noël Vuarnet, « Utopie et atopie », Littérature, n°21 (1976), p. 9.
Jean-François Chevrier, « partages de l'art », dans Michèle Riot-Sarcey, Thomas le
Bouchet et Antoine Picon (dir.) Dictionnaire des Utopies, Paris: Larousse, 2002, p. 176.
31
Armelle Deschard, « Utopie et dystopie antiques : l'erreur d'Hippolyte dans la Phèdre de
Sénèque », Eidôlon, n°110 (2013), Bordeaux: Presses Universitaires de Bordeaux, p. 31.
30
19
Diversité et Identité Culturelle en Europe
3.2. Comparer les définitions des anti, des contre et des dystopies
Si, dans la littérature consultée, le concept de « dystopie » n'apparaît
qu'en 1986 avec l'ouvrage coordonné par C. Imbroscio32, les termes de
« contre-utopie » et « anti-utopie » désignent des éléments davantage
synonymes que distincts.
3.2.1. La recherche avant les années ‘80
Ainsi, Jean Servier ne recourt-il qu'à l'utilisation du second terme pour
décrire la tradition opposée à l'utopie et ainsi englober des auteurs aussi
éloignés historiquement que Lucien de Samosate, Jonathan Swift ou encore
Aldous Huxley33. Il en est de même déjà en 1950 chez Raymond Ruyer qui n'utilise
les deux termes que pour les inscrire dans une tradition critique dont l'anti-utopie
serait le modèle annonciateur du genre34. L'anti-utopie ou la contre-utopie, ne
feraient chacune que caricaturer les projets utopiques, avec pour la deuxième,
une spécificité due à l'émergence de la société industrielle : la critique du Progrès
dans un cadre romanesque où les ennemis politiques d'hier se retrouvent « dans
la production en série et la consommation obligatoire »35.
3.2.2. L'entrée de la dystopie : un concept flou de plus
À quelques rares exceptions près36, la situation ne se clarifie pas avec
l'arrivée dans notre corpus du terme « dystopie ». En effet, pour Carmelia
Imbroscio, l'anti-utopie, la contre-utopie et la dystopie se rejoignent en ce
qu'elles partagent une volonté certaine de préservation du présent contre les
tentatives hypothétiques ou réelles de le transformer en utopie. Ce faisant, elle
reprend à son compte les analyses du Professeur Domenichelli qui abordait
déjà cette attitude conservatrice : « è più radicalmente utopica dell'utopia
stessa, proprio costituendosi a negazione di essa efacendo riemergere cià che
32
C. Imbroscio (coord.), Requiem pour l'utopie ? Tendances autodestructives du paradigme
utopique, Pise, Éditrice Libreria Goliardica, 1986.
33
Jean Servier, L'utopie, « Que sais-je ? », Paris: P.U.F., 1979.
34
Raymond Ruyer, L'utopie et les utopies, Paris: P.U.F., 1950, p. 233.
35
Ibidem, p. 274.
36
À savoir Raymond Trousson, Peter Kuon et Bronislaw Baczko dans respectivement :
Raymond Trousson, Voyages aux pays de nulle part : histoire littéraire de la pensée
utopique, troisième édition revue et augmentée, Bruxelles, Éditions de l'Université de
Bruxelles, 1999, Peter Kuon et Gérard Peylet (dir.), « L'utopie entre eutopie et dystopie »,
Eidôlon, n°110, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2013 et Bronislaw Baczko,
Michel Porret et François Rosset (dir.), Dictionnaire critique de l'utopie au temps des
Lumières, Genève, Georg, 2016.
20
Diversité et Identité Culturelle en Europe
in essa si occulta : la conservazione del presente »37. Cependant, elle ne
distingue les trois concepts visés que pour en faire des synonymes où leur
attribuer un corpus similaire38 (en l'occurrence ici, le Nous Autres d'Evguéni
Zamiatine39). Même s'il ne distingue pas la dystopie, Gérard Raulet s'inscrit
dans le même courant que Carmelia Imbroscio puisqu'il leur attribue une
tradition commune : la critique, dès le XVIIIe de l'utopie, de son infaisabilité
et de ses périls40 :
„Certes les systèmes utopiques conservent la clôture comme
caractéristique structurelle, mais c'est aussi pourquoi se
développent au XIXe siècle les critiques des « utopies abstraites»
- et les « anti-utopies » ! On connaît bien sûr la critique de Marx
et d'Engels - sur laquelle je devrai malgré tout revenir. Mais dès
le XVIIIe Mandeville et Swift en Angleterre (Fable of the Bees,
1714; Voyages de Gulliver, 1726), Prévost en France (Cleveland,
1731) avaient souligné les périls de la réalisation. La critique de Marx,
pour la résumer d'une phrase, insiste sur la non-réalisabilité immédiate
- c'est-à-dire sans médiation dialectique - des systèmes utopiques”41.
Georges Jean, dans son ouvrage très illustré sur l'utopie, ne démentira
pas cette similarité des termes en lui assignant des auteurs communs qualifiés à
certains moments d'anti-utopiques42 et à d'autres de contre-utopiques 43. Pourtant,
il se distingue en faisant remonter la tradition critique de l'utopie non pas au
XVIIIe siècle, mais à l'Antiquité. Et de prendre en exemple Aristophane :
Dès le début du IVe siècle av. J.-C., se développe ce que l'on
appellera plus tard la contre-utopie, notamment dans le théâtre
d'Aristophane – Les Oiseaux (414 av. J.-C. à Athènes) ou, plus
encore, L'Assemblée des femmes. La contre-utopie est une
réaction aux rêves des réformateurs qui imposent un idéal
37
M. Domenichelli, L'infondazione di Babele : l'antiutopia, Milano: Franco Angeli Editore,
1983, p. 102.
38
Carmelina Imbroscio (coord.), Requiem pour l'utopie ? Tendances autodestructives du
paradigme utopique, Pise: Éditrice Libreria Goliardica, 1986, p. 13.
39
Evguéni Zamiatine, Мы [Nous autres], 1920.
40
Gérard Raulet, « L'utopie est-elle un concept ? », Lignes 1992/3 (n°17), p. 113.
41
Ibidem.
42
Georges Jean, Voyages en utopie, Paris: Gallimard, 1994, p. 121.
43
Ibidem, p. 112.
21
Diversité et Identité Culturelle en Europe
communautaire au nom du bonheur des citoyens. Elle en expose
les dangers, montrant que le bonheur collectif fait le malheur des
hommes en les privant de leur liberté individuelle. La première
forme de l'anti-utopie est théâtrale; comme si le théâtre, par la
force empirique de sa représentation, désarmait toute construction
théorique. Chantre de la liberté, Aristophane souhaite libérer les
Grecs de leurs dieux et de leurs illusions politiques. Il est le
premier à jeter le doute sur la promesse de bonheur des paradis
communistes. [les grasses sont de nous]44.
Malgré un emploi synonymique excluant la dystopie, Georges Jean
identifie le terme « anti-utopie » à une tradition du renversement (chez
Rabelais par exemple45) et de la « désacralisation de l'utopie par la satire et
l'ironie »46. Celui de « contre-utopie », quant à lui, est associé à une mise en garde
de l'utopie47, et plus particulièrement de son recours abusif au machinisme48 et
du poids excessif que son appareil étatique fait peser sur l'individu49.
3.2.3. Raymond Trousson : vers une première partition des termes
Les mêmes nuances entre anti-utopie et contre-utopie ont été
observées par Raymond Trousson dans ses nombreuses études consacrées au
genre utopique. D'ailleurs, son approche nous a semblé devoir faire l'objet
d'une étude plus poussée dans notre travail, et ce, pour plusieurs raisons. En
effet, depuis 197450, Raymond Trousson a su véritablement s'emparer de ce
champ d'étude durant de nombreuses années. Jusqu'à sa mort, survenue en
2013, il ne s'était pratiquement jamais écoulé deux ans sans qu'il n'apporte
une contribution aux recherches dans ce domaine. Professeur à l'ULB,
Raymond Trousson nous a légué un nombre d'observations et de réflexions
sur l'utopie d'autant plus intéressantes qu'elles ont bien évidemment évolué
au cours du temps et que, en outre, elles concernaient la conceptualisation des
44
Georges Jean, Voyages en utopie, Paris : Gallimard, 1994, p. 26.
Ibidem, p. 46.
46
Ibidem, p. 66.
47
Ibidem, p. 105.
48
Ibidem, p. 112.
49
Ibidem.
50
Raymond Trousson, « Utopie et roman utopique », Revue des Sciences Humaines, 155,
1974, pp. 367-378.
45
22
Diversité et Identité Culturelle en Europe
termes qui nous occupent. Enfin, bénéficiant de la collaboration de la
bibliothèque de notre Alma mater et de notre professeur Valérie André,
chargée de la préparation de l'Anthologie des œuvres de Raymond Trousson
aux éditions Champion, nous ne pouvions que nous intéresser davantage aux
fluctuations de ses travaux.
Précisons au préalable deux éléments sur l'appréciation des
différences entre anti-utopie, contre-utopie et dystopie chez Raymond
Trousson. Dans un premier temps, mentionnons le fait que ce dernier terme
n'a fait de sa part l'objet d'une utilisation ou d'une définition qu'à partir de la
fin des années quatre-vingt. En effet, le terme « dystopie » n'est ni employé
dans les éditions 1973 ou 1979 de son livre sur l'utopie51, ni dans les notes de
son cours de littérature comparée de 198352, ni encore dans ses articles
antérieurs à 1986 et sa collaboration avec Carmelina Imbroscio53. Dans un
deuxième temps, malgré des définitions différentes et des applications larges,
Raymond Trousson a systématiquement opposé d'un côté l'anti-utopie et de
l'autre la contre-utopie et la dystopie. D'ailleurs, ces derniers termes finissent
par, non seulement, devenir synonymes, mais en plus, par être utilisés de
manière unique pour désigner la même chose. C'est par exemple le cas de son
dictionnaire des utopies littéraires (coordonné avec Vita Fortunati) dans
lequel contre-utopie ou dystopie désignent la même réalité voire le même
corpus54 mais aussi de son ouvrage dédié au rapport entre la technologie et
l'utopie55 où Raymond Trousson n'utilise que le terme « dystopie » pour
englober pourtant le même corpus que le terme « contre-utopie ».
Si l'on rentre dans le détail des définitions proposées par les textes de
Raymond Trousson figurant dans notre corpus, on peut distinguer trois
51
Raymond Trousson, Voyages aux pays de nulle part : histoire littéraire de la pensée
utopique, troisième édition revue et augmentée, Bruxelles: Éditions de l'Université de
Bruxelles, 1999.
52
Raymond Trousson, Littérature comparée. L'utopie : notes prises au cours de R. Trousson,
Bruxelles: P.U.B., 1983.
53
Carmelina Imbroscio (coord.), Requiem pour l'utopie ? Tendances autodestructives du
paradigme utopique, Pise, Éditrice Libreria Goliardica, 1986, et Raymond Trousson, « La distopia
e la sua storia », dans Utopia e distopia. A cura di A.Colombo. Milano, 1987, pp. 19-34.
54
Maurizio Cambi, « Republicae Christianopolitanae Descriptio », dans Vita Fortunati et
Raymond Trousson (coord.), Histoire transnationale de l'utopie littéraire et de l'utopisme,
Paris: Honoré Champion Éditeur, 2008, p. 113.
55
Raymond Trousson, Sciences, techniques et utopies. Du paradis à l'enfer, Paris:
L'Harmattan, 2003, p. 10.
23
Diversité et Identité Culturelle en Europe
phases. Une première, illustrée par la troisième édition de son Voyages aux
pays de nulle part dans laquelle il utilise les trois termes de manière
interchangeable pour désigner un même corpus d'auteurs56. Notons-y tout de
même le début d'un emploi détaché du terme « anti-utopie » pour désigner un
emploi caricatural et grotesque de l'utopie57 et du terme « dystopie » qui
recouvre les concrétisations du socialisme58.
Nous observons ensuite une seconde phase, illustrée par son ouvrage
Sciences, techniques et utopies dans lequel Raymond Trousson maintient son
premier emploi du terme « anti-utopie » mais isole le genre de la dystopie en
faisant remonter sa création au Monde tel qu'il sera d'Émile Souvestre (1846)
et surtout en le détachant d'un genre lui aussi abondamment illustré au XIXe
siècle, la science-fiction :
„On a cherché ici à mettre en lumière l'importance croissante des
sciences et des techniques dans l'élaboration des sociétés
imaginaires. Même si, depuis Wells, l'utopie a tendance à
rejoindre la science-fiction, il convient de marquer la différence.
Alors que la science-fiction se borne souvent à rapporter une
aventure dans un monde technologiquement plus avancé que le
nôtre, l'utopie continue de contenir un jugement sur cette aventure
et cet univers. Elle n'analyse pas tant - Huxley y insistera en 1946
- les possibilités futures de la science et de la technique, que leur
effet sur l'homme, sa nature et son comportement”59.
Enfin, nous pouvons isoler une troisième phase figurée par sa
collaboration avec Vita Fortunati ainsi que dans les livres suivants où
Raymond Trousson explicite les fondements qui permettent d'expliquer les
trois concepts. Ici, l'anti-utopie désigne un genre dans lequel l'idée d'utopie
est traitée avec ironie en raison d'un scepticisme manifeste de l'auteur vis-à-
56
Raymond Trousson, Voyages aux pays de nulle part : histoire littéraire de la pensée
utopique, troisième édition revue et augmentée, Bruxelles: Éditions de l'Université de
Bruxelles, 1999, p. 18 ou encore p. 85.
57
Raymond Trousson, op. cit., p. 18 ou encore p. 155.
58
Raymond Trousson, op. cit., p. 222.
59
Raymond Trousson, Sciences, techniques et utopies. Du paradis à l'enfer, Paris :
L'Harmattan, 2003, p.10.
24
Diversité et Identité Culturelle en Europe
vis de la perfectibilité de l'homme60. La dystopie, quant à elle, incarne un
synonyme d'origine anglaise désignant le même signifié61 que son homologue
francophone : la contre-utopie. Raymond Trousson fait alors de celle-ci un
genre opposé à l'utopie en ce que la société imaginaire présentée ne corrige
pas les défauts de la société de référence mais les aggrave62.
Utilisant parfois un corpus inadéquat afin d'illustrer un genre pourtant
défini en particulier, Raymond Trousson ne manque pas de créer des
situations délicates vis-à-vis de ses définitions : c'est le cas, par exemple,
lorsqu'il mentionne l'auteur Evguéni Zamiatine (catégorisé pourtant en
contre-utopie) en parlant de l'anti-utopie63 ou lorsque Mandeville (rangé par
ailleurs dans les anti-utopie) est invoqué pour illustrer l'inversion critique des
dystopies64. Néanmoins, cela n'entache pas la rigueur de ses travaux ainsi que
la quantité gigantesque des sources mobilisées. D'ailleurs, nous l'avons vu,
l'évolution des pistes conceptuelles fournies par Raymond Trousson souligne
déjà à elles seules la qualité de son travail sur laquelle nous ne manquerons
pas de nous appuyer dans la suite de cette étude – et notamment quand il
s'agira de proposer notre définition.
3.2.4. Un dictionnaire des utopies riche en possibilités
La régularité définitive des bases conceptuelles fournies par Raymond
Trousson contraste singulièrement avec le foisonnement des réflexions
parfois contradictoires du dictionnaire dirigé par Michèle Riot-Sarcey,
60
Vita Fortunati, « Gulliver's Travels », dans Vita Fortunati et Raymond Trousson (coord.),
Histoire transnationale de l'utopie littéraire et de l'utopisme, Paris: Honoré Champion
Éditeur, 2008, p. 348.
61
Raymond Trousson, « Synthèse », dans Vita Fortunati et Raymond Trousson (coord.),
Histoire transnationale de l'utopie littéraire et de l'utopisme, Paris: Honoré Champion
Éditeur, 2008, p. 903.
62
Maurizio Cambi, « Republicae Christianopolitanae Descriptio », dans Vita Fortunati et
Raymond Trousson (coord.), Histoire transnationale de l'utopie littéraire et de l'utopisme,
Paris: Honoré Champion Éditeur, 2008, p. 112.
63
Biagio D'Angelo, « My / We (Nous Autres) », dans Vita Fortunati et Raymond Trousson
(coord.), Histoire transnationale de l'utopie littéraire et de l'utopisme, Paris: Honoré
Champion Éditeur, 2008, p. 943.
64
Nadia Minerva, « Utopie et bonheur », dans Vita Fortunati et Raymond Trousson (coord.),
Histoire transnationale de l'utopie littéraire et de l'utopisme, Paris: Honoré Champion
Éditeur, 2008, p. 408.
25
Diversité et Identité Culturelle en Europe
Thomas Bouchet et Antoine Picon65. En effet, en fonction des auteurs qui s'y
succèdent, les frontières des concepts bougent, se transforment et tendent
même à se mêler. Ceci étant précisé, nous pouvons tâcher de souligner
certaines pistes de réflexion.
Ainsi, assimilant le genre utopique à un type de raisonnement antique
appelé « eunomie »66 (qui tente de proposer un plan d'une cité où régneraient
les meilleures lois), Gérard Klein, dans un article dédié pourtant à la sciencefiction, tente de classifier les différents genres. Même si dans le même temps
les entrées « Huxley », « Orwell » ou « Zamiatine » du dictionnaire renvoient
à l'article contre-utopie, il décrit les productions du XIXe et du début du XXe
siècle et nomme ces différents auteurs. Plaçant l'anti-utopie et la dystopie à
l'opposé de l'eunomie, il reprend de fait à son compte l'idée selon laquelle « la
dystopie serait la description d'un monde futur qui a mal tourné à partir de
l'exacerbation nocive d'un trait de notre société. »67
Précisément, Claude Mouchard, dans l'entrée dédiée aux contreutopies, tente d'établir les traits caractéristiques de celles-ci. Cependant,
contrairement à Gérard Klein, il n'explique pas les fondements qui ont présidé
au choix de ces trois romans en dehors de signaler qu'ils sont « souvent
comme anti-utopie »68. Ainsi, mentionnant des caractéristiques diégétiques
(la dissolution de l'individu par un contrôle étatique étouffant et une
homogénéité imposée, l'aspect sombre des sociétés, leur manque de
jugements critiques et de liberté, la résistance individuelle qui s'y déploie,
mais qui est finalement vaincue) ainsi que la volonté sibylline des auteurs,
Claude Mouchard prend le risque d'exposer sa description à des contreexemples ou, comme c'est le cas à l'intérieur de l'ouvrage (cf. supra) à d'autres
propositions de classification.
Dans un ouvrage consacré à l'éducation en Utopie, Anne-Marie
Drouin-Hans, se signale en n'utilisant guère le terme « anti-utopie » ou de
« dystopie », et ce, au profit de celui de « contre-utopie »69. Elle caractérise
65
Michèle Riot-Sarcey, Thomas le Bouchet et Antoine Picon (dir.) Dictionnaire des Utopies,
Paris: Larousse, 2002.
66
Gérard Klein, « Science-fiction », dans Michèle Riot-Sarcey, Thomas le Bouchet et
Antoine Picon (dir.) Dictionnaire des Utopies, Paris: Larousse, 2002, p. 211.
67
Ibidem, p. 214.
68
Claude Mouchard, « Contre-utopie », dans Michèle Riot-Sarcey, Thomas le Bouchet et
Antoine Picon (dir.), Dictionnaire des Utopies, Paris, Larousse, 2002, p. 65.
69
Anne-Marie Drouin-Hans, Éducation et utopies, Paris: Librairie Philosophique J.Vrin, 2004.
26
Diversité et Identité Culturelle en Europe
alors ce dernier en affirmant qu'il s'agit d'un lieu où le bonheur est imposé
collectivement, mais dont la réalisation est impossible70. Cependant, comme
nous l'avons objecté au moment de la définition de l'utopie (cf. supra) et à
l'image de Gérard Klein, Anne-Marie Drouin-Hans relie de manière
problématique cette définition à un corpus dont elle mentionne par ailleurs
l'appartenance à l'utopie.
3.2.5. Elaine Desprès et Christian Godin : pour une distinction de langue
Dans un dossier consacré à l'utopie et à la dystopie, Élaine Després,
prend le soin de rappeler la synonymie des termes « dystopie » et « contreutopie » en signalant que le second est davantage utilisé en France 71. Même
si, en revanche, elle ne mentionne pas l'anti-utopie, nous pouvons relever
qu'elle définit l'emploi du mot « dystopie ». En outre, elle mentionne le fait
que, consécutif aux Guerres mondiales, ce genre renvoie à un avertissement
fait aux lecteurs systématiquement actualisable au cours du temps :
„D'un autre côté, on peut voir la dystopie comme un espoir
d’éviter le pire. Tel un avertissement, il s’agit le plus souvent de
projeter dans l’avenir, en les amplifiant, les défauts d’une société
perfectible. Le XXe siècle et ses régimes totalitaires ont d’ailleurs
inspiré de nombreux créateurs. Pensons seulement à Eugène
Zamiatine, Aldous Huxley, George Orwell, Ray Bradbury, Jorge
Luis Borges, Jean-Luc Godard ou, plus récemment, Michel
Houellebecq, Schuiten et Peeters, Enki Bilal, Terry Gilliam… À
l’aube du XXIe siècle, les grands bouleversements sociaux qui
ont marqué les cinq dernières décennies et la redéfinition d’une
responsabilité morale globale alimentent toujours ces réflexions
et revendications à saveur utopique, et ce, tant sur la scène
politique, que sociale ou artistique”72.
Cette distinction entre anti-utopie et dystopie ne semble pas pertinente
pour certains auteurs et notamment pour Thierry Paquot. En effet, s'il assimile
effectivement la contre-utopie à la dystopie, celuic- fait de même avec l'antiutopie. Ainsi, malgré ses rappels encadrés (sur lesquels nous reviendrons
70
Ibidem, 2004, p. 44.
Élaine Després (dir.), « Dossier Utopie/Dystopie : entre imaginaire et réalité », Posture,
Hors série n°2, 2010, p. 60.
72
Ibidem, p. 10.
71
27
Diversité et Identité Culturelle en Europe
d'ailleurs infra) à propos des origines du mot « dystopie », les œuvres
d'Huxley ou d'Orwell se voient tour à tour qualifiées tantôt d'anti-utopie tantôt
de dystopie73.
C'est d'ailleurs dans la droite ligne de cet emploi du mot « dystopie »
comme synonyme de « contre-utopie » que s'inscrit Christian Godin, à ceci
près qu'il lui préfère l'usage de son homologue francophone 74.
Contextualisant l'emploi de la contre-utopie, il précise d'emblée qu'elle
constitue un « double inversé de l'utopie »75 et d'ajouter à cet effet qu'elle
« délivre l’image d’une société de cauchemar là où l’utopie faisait le tableau
d’une société de rêve »76. Cette inversion s'applique aussi, selon lui, aux
valeurs morales et à l'épanouissement des individus puisque, dans la contreutopie, ces deux éléments tendent à disparaître77. Sur ce point, Christian
Godin résume en une formule attrayante cette opposition fondatrice des
genres : « l'utopie était l’expression de l’humanisme, la contre-utopie est celle
de l’inhumain »78. Cependant, il ajoute aussitôt que le caractère inquiétant des
contre-utopies pour le lecteur ne résulte pas de l'exotisme du lieu décrit
(comme dans l'utopie) mais, au contraire, de sa ressemblance avec nos
sociétés. Et de conclure : « ses lieux [en parlant de ceux de la contre-utopie]
sont nos pays et si son temps est autre, il est déjà le nôtre. Nous sommes déjà
en contre-utopie, nous y logeons. »79
En outre, Christian Godin prend soin, à l'image de Gérard Klein, de
distinguer contre-utopie et science-fiction. Il nuance tout de même fortement
le constat posé par ce dernier tant ces genres tendent à se rejoindre dans la
production contemporaine :
„Dans la contre-utopie l’innovation technique (le télécran de
Metropolis de Fritz Lang, l’ectogenese dans Le Meilleur des
mondes) n’est pas une donnée dont la série des conséquences est
déroulée, mais le résultat et le moyen d’une volonté politique de
surveillance qui, comme dans les régimes totalitaires, entend ne rien
73
Voir par exemple, Thierry Paquot, Utopies et utopistes, Paris: La Découverte, 2018, p. 52,
puis en page 109.
74
Christian Godin, « Sens de la contre-utopie », Cités, n°42 (2010/2), p. 61.
75
Ibidem.
76
Ibidem.
77
Ibidem.
78
Ibidem, p. 62.
79
Ibidem, p. 66.
28
Diversité et Identité Culturelle en Europe
laisser échapper. Dans la science-fiction la description des inventions
futuristes est une fin en soi et la dimension politico-sociale du récit
n’apparaît souvent que de manière périphérique. Cela dit, dans la
mesure où les auteurs de science-fiction contemporains
s’intéressent de plus en plus aux questions de pouvoir et de
société, la différence entre science-fiction et contre-utopie tend
a s’estomper d’autant qu’a de rares exceptions près la peinture
du futur faite par la science-fiction d’aujourd’hui est
particulièrement sombre”80.
3.2.6. Kuon et Peylet : une approche transhistorique de la dystopie
Privilégiant une approche transhistorique, Kuon et Peylet ont réuni
des études basées sur des textes issus de la tradition antique, médiévale,
moderne et contemporaine auxquels ils confrontent les notions dérivées de
l'utopie. À l'image du titre de leur ouvrage81, ils privilégient l'emploi du terme
« dystopie » plutôt que « contre-utopie »82. Ce faisant, en compagnie
d'autres auteurs, ils relèvent des caractéristiques propres à l'anti-utopie.
Florence Boulerie, abordant Tiphaigne de la Roche et son Histoire des
Galligènes (1765), attribue ainsi à l'anti-utopie des caractéristiques
problématisantes voire parodiques vis-à-vis de l'utopie83. Ces attributs, selon
Peter Kuon trouveraient leurs origines dans la prégnance du paradigme propre
au XVIIIe : celui de s'interroger sur la faisabilité de sociétés dirigées par des
hommes enclins aux passions84. Cela lui permet dès lors de construire un corpus
anti-utopique où l'on retrouve des auteurs usant de la moquerie ou de l'ironie :
„Quelques auteurs du XVIIIe siècle rétablissent la vieille
conception de l'utopie, en tant qu'image hypothétique d'une
société idéale, pour la retourner contre l'idée d'une utopie
réalisable. La liste des textes qui s'inspirent de la verve satirique
80
Christian Godin, « Sens de la contre-utopie », Cités, n°42 (2010/2), p. 62.
Peter Kuon et Gérard Peylet (dir.), L'utopie entre eutopie et dystopie, Eidôlon, n°110,
Bordeaux: Presses universitaires de Bordeaux, 2013.
82
Peter Kuon, « Brève histoire de l'utopie littéraire », dans Peter Kuon et Gérard Peylet (dir.),
L'utopie entre eutopie et dystopie, Eidôlon, n°110, Bordeaux: Presses universitaires de
Bordeaux, 2013, p. 23.
83
Florence Boulerie, « L'utopie entre eutopie et dystopie », Eidôlon, n°110, Bordeaux:
Presses universitaires de Bordeaux, 2013, p. 23.
84
Peter Kuon, op. cit., p. 23.
81
29
Diversité et Identité Culturelle en Europe
d'un Lucien ou d'un Cyrano va de la Fable of the bees (Fable des
abeilles, 1714) de Bernard de Mandeville au Candide (1759) de
Voltaire, en passant par Gulliver's Travels ( 1726) de Swift et
Nicolaii Klimii iter subterraneum. (Niels Klim. dans le monde
souterrain, 1741) d'Holberg. Forts de l'argument anthropologique
selon lequel la perfection sociale serait incompatible avec la
nature humaine, les auteurs parodient l'utopie réaliste : l'île
volante de Laputa et l'Académie de Lagado chez Swift se
présentent comme des parodies de la New Atlantis de Bacon”85.
S'appuyant sur une définition et un corpus attribués à l'anti-utopie,
Peter Kuon peut alors, par comparaison, explorer davantage la notion de
« dystopie ». De fait, il relève que le personnage principal auquel est censé
s'identifier le lecteur passe du statut de guide dans les anti-utopies (ou les
utopies) à celui d'un habitant tyrannisé par l'état dystopique86. Dans le même
temps, Peter Kuon observe que le ton passe du satirico-parodique
caractéristique des anti-utopies à un mode narratif grave et sérieux87.
Disposant d'une fonction d'avertissement88, la dystopie apparaît, toujours
selon Peter Kuon, au XIXe siècle. Ces caractéristiques fixées, ce dernier peut
alors reconstituer un corpus cohérent qu'il fait commencer avec Émile
Souvestre et Jules Verne tout en se prolongeant avec Evguéni Zamiatine et
George Orwell89.
3.2.7. Une tentative de définition par le biais des imaginaires visuels
Cette vision de la dystopie semble être approuvée par Clément Dessy
et Valérie Stiénon dans l'ouvrage qu'ils ont dirigé ensemble (Bé)vues du futur,
les imaginaires visuels de la dystopie (1840-1940). Ils précisent néanmoins
celle-ci en ajoutant, non sans nuances, que la caractéristique invariable de la
dystopie est qu'elle tente d'observer une société humaine en associant
85
Peter Kuon et Gérard Peylet (dir.), L'utopie entre eutopie et dystopie, Eidôlon, n°110,
Bordeaux: Presses universitaires de Bordeaux, 2013, p. 23.
86
Peter Kuon, « Brève histoire de l'utopie littéraire », dans Peter Kuon et Gérard Peylet (dir.),
L'utopie entre eutopie et dystopie, Eidôlon, n°110, Bordeaux: Presses universitaires de
Bordeaux, 2013, p. 27.
87
Ibidem.
88
Ibidem.
89
Ibidem.
30
Diversité et Identité Culturelle en Europe
« l'anticipation rationnelle à un traitement déceptif ou critique »90. Dans le
même ouvrage, Francesco Muzzioli prolonge les vues de Chrisian Godin en
montrant que la dystopie ne fait qu'accentuer les problèmes de la société de
référence de l'auteur91. Afin d'en révéler les dangers de manière plus flagrante
aux lecteurs, pour qui « le simple réalisme est noyé dans l'accoutumance »92, la
dystopie recourt, toujours selon Francesco Muzzioli, à la figure de l'hyperbole :
„pour nous tirer du sommeil de l'aliénation quotidienne, il faut
brutalement nous mettre sous les yeux ce qui nous attend if this
goes on, si les choses continuent de la même manière et si nous
persistons dans l'indifférence. En ce sens, la dystopie fonctionne
comme un signal d'alarme [...] la dystopie est une fiction qui ne
veut pas devenir vraie, se réaliser. L'impératif qu'elle envoie à son
lecteur est celui de la démentir”93.
3.2.8. Une somme et des précisions sur l'anti-utopie
Nous ne pourrions clore ce passage en revue de la littérature
concernant les différences entre anti-utopie, contre-utopie et dystopie sans
aborder l'imposant (1407 pages) Dictionnaire critique de l'utopie au temps
des Lumières, documenté, illustré et dirigé par Bronislaw Baczko, Michel
Porret et François Rosset94. En effet, sur le sujet des utopies, cet ouvrage se
distingue par la présence de nombreuses réflexions sur l'anti-utopie, un genre
particulièrement exploité au XVIIe et XVIIIe siècle. Sur le plan des
différences conceptuelles, les auteurs de l'ouvrage établissent une équivalence
entre anti-utopie et contre-utopie95, et ce, même si ce premier terme est
davantage usité que le second. D'ailleurs, ces concepts sont tous deux opposés
90
Clément Dessy et Valérie Stiénon, (Bé)vues du futur – Les imaginaires visuels de la
dystopie (1840-1940), Villeneuve d'Ascq: Presses Universitaires du Septentrion, 2015, p. 14.
91
Francesco Muzzioli, « Postface : Fins du monde. Configurations et perspectives du genre
dystopiques », dans Clément Dessy et Valérie Stiénon, (Bé)vues du futur – Les imaginaires
visuels de la dystopie (1840-1940), Villeneuve d'Ascq: Presses Universitaires du Septentrion,
2015, p. 283.
92
Ibidem, p. 284.
93
Francesco Muzzioli, dans (Bé)vues du futur – Les imaginaires visuels de la dystopie (18401940), Villeneuve d'Ascq: Presses Universitaires du Septentrion, 2015, p. 284.
94
Bronislaw Baczko, Michel Porret et François Rosset (dir.), Dictionnaire critique de l'utopie
au temps des Lumières, Genève: Georg, 2016.
95
Didier Masseau, « Anti-utopie », dans Michèle Riot-Sarcey, Thomas le Bouchet et Antoine
Picon (dir.) Dictionnaire des Utopies, Paris: Larousse, 2002, p. 129.
31
Diversité et Identité Culturelle en Europe
à celui de dystopie96en ce qu'il résulterait de la transformation au XXe siècle
de ces derniers grâce à l'utilisation paroxystique du procédé de l'exagération97.
Quant au genre anti-utopique, l'ouvrage donne de nombreuses
précisions précieuses sur ses caractéristiques tout en y apportant de multiples
exemples. Pour les auteurs de l'ouvrage, même si l'anti-utopie essaye de
remettre en cause la pertinence de la réforme utopienne98, ses critiques ne
parviendront pas à faire rejeter l'utopie par leurs contemporains à cause du regard
culturel positif porté par leur époque sur l'ensemble de la tradition antique99.
Pour autant, l'anti-utopie ancre solidement sa critique sur deux
éléments. D'abord, sur la dénonciation d'une forme moderne d'hybris propre
à plonger l'homme dans le danger : « Ils flairent un danger toujours présent
dans cette manifestation d'une autonomie, visant un absolu qui n'appartient
qu'à Dieu. La raison impose à l'homme l'idée qu'il ne peut agir que dans le
relatif, pour tenter d'atténuer le mal par des actions vertueuses »100.
Ensuite, l'anti-utopie se fonde sur une réserve sceptique vis-à-vis de la
morale humaine101 ou de l'idée du Progrès102. Selon les auteurs et plus
précisément ici Didier Masseau, pour alimenter sa distance vis-à-vis de
l'utopie, le récit anti-utopique, fidèle à la tradition iconoclaste et critique de
son époque103, recourt à l'inversion104, la dérision105 et à la parodie106 dans un
96
Michel Porret, « Famille et éducation », dans dans Michèle Riot-Sarcey, Thomas le
Bouchet et Antoine Picon (dir.) Dictionnaire des Utopies, Paris: Larousse, 2002, p. 452.
97
Gionvanni Paoletti, « Anciens et Modernes », dans Bronislaw Baczko, Michel Porret et
François Rosset (dir.), Dictionnaire critique de l'utopie au temps des LumièresLumières,
Genève: Georg, 2016, p. 89.
98
Didier Masseau, « Anti-utopie », dans Bronislaw Baczko, Michel Porret et François Rosset
(dir.), Dictionnaire critique de l'utopie au temps des Lumières, Genève: Georg, 2016, p. 129.
99
Gionvanni Paoletti, op. cit., p. 95.
100
Didier Masseau, « Anti-utopie », dans Bronislaw Baczko, Michel Porret et François Rosset
(dir.), Dictionnaire critique de l'utopie au temps des Lumières, Genève: Georg, 2016, p. 133.
101
Didier Masseau, op. cit., p. 129.
102
Antoine Litti, « Homme de lettres », dans Bronislaw Baczko, Michel Porret et François Rosset
(dir.), Dictionnaire critique de l'utopie au temps des Lumières, Genève: Georg, 2016, p. 559.
103
Didier Masseau, op. cit., p. 129.
104
Didier Masseau, op. cit., p. 130.
105
Didier Masseau, op. cit., p. 149.
106
Vincent Milliot, « Ville », dans Bronislaw Baczko, Michel Porret et François Rosset (dir.),
Dictionnaire critique de l'utopie au temps des Lumières, Genève: Georg, 2016, p. 1332.
32
Diversité et Identité Culturelle en Europe
registre assimilé à la satire107. Celle-ci nourrit vis-à-vis de l'utopie un propos
qui peut se décliner dans trois attitudes différentes mais complémentaires.
Illustrée notamment par les Voyages de Gulliver (1726) de Jonathan
Swift, la première voie se propose de moquer et de remettre en cause l'idée
même d'une possibilité utopique108.
La seconde, plus agressive, fait montre d'une hostilité marquée 109 à
l'endroit des écrivains, mais aussi des philosophes dits utopistes (on retrouve
ici l'évolution du mot « utopie » telle que nous l'avons abordée supra), alors
assimilés à des déséquilibrés dangereux110 promouvant le retour à l'état
sauvage111. Cette attitude, que l'on retrouve davantage à la fin du XVIIIe, se trouve,
par exemple, incarnée dans le roman Les Helviennes (1784-1788) de l'abbé Augustin
Barruel, pour qui la Révolution française, réduite à la Terreur robespierriste, ne sera
qu'une démonstration sous forme de mise en acte de l'utopie112.
La dernière voie, selon l'auteur, a pour objet de se pencher sur
l'entreprise utopique tout en la questionnant. Cette attitude serait
particulièrement illustrée chez Tiphaigne de la Roche, par exemple dans
l'Histoire des Galligènes, ou Mémoires du Duncan (1765), où, tout en
conservant un regard satirique, sa présentation d'une utopie en mouvement
donne lieu dans le récit à une « confrontation d'idées [...] pour accumuler
questionnements et paradoxes »113. Dans cette voie, c'est à la fois la
pertinence du projet utopique mais également la vision du Progrès humain et
scientifique qui serait questionné114. D'ailleurs, l'auteur souligne que c'est
cette dernière critique qui déclenchera, chez d'autres auteurs comme Mercier
et Condorcet115, une réaffirmation de l'idéologie du Progrès accouchant d'un
renouvellement du genre utopique avec l'uchronie116.
Ce tour d'horizon étant clôturé – du moins, en ce qui concerne notre
corpus bibliographique – nous reviendrons sur divers éléments présentés ici
107
Antoine Litti, op. cit., p. 557.
Didier Masseau, op. cit., p. 132.
109
Ibidem, p. 130.
110
Ibidem,p. 135.
111
Ibidem,p. 138.
112
Ibidem,p. 133.
113
Ibidem,p. 140.
114
Ibidem,p. 150.
115
Gionvanni Paoletti, op. cit., p. 89.
116
Antoine Litti, op. cit., p. 559.
108
33
Diversité et Identité Culturelle en Europe
afin de préposer notre définition. Mais avant cela, il nous faut d'abord analyser
également le concept d'uchronie (3.3) et d'hétérotopie (3.4).
3.3. Les « uchronies »
Nous venons de voir, avec Antoine Litti et Gionvanni Paoletti, que
l'émergence des uchronies constituait une forme de réaction à la remise en
doute de la logique du Progrès telle qu'elle apparaît formulée au XVIIIe siècle.
Ce point de vue est globalement accepté par l'ensemble des recherches menées
sur la question, tout comme l'est d'ailleurs la définition même du concept.
Comme le souligne Anne-Marie Drouet Hans, le néologisme
« uchronie » » a été inventé par Charles Renouvier en 1857 pour désigner un
récit dans laquelle « il s'agissait d'imaginer ce qu'aurait été l'histoire de
l'humanité sans l'avènement du christianisme »117. Pour Renouvier, l'uchronie
consiste à littéralement imaginer une version alternative de l'histoire :
« supposant alors que certains personnages eussent pris d'autres résolutions
qu'ils n'ont fait il y a quinze cents ans, et ces résolutions-là sont celles qu'ils
ont véritablement prises, il montre en peu de mots les conséquences de leurs
actes, il fait pressentir toute la suite des calamités possibles, interminables,
qui en seraient sorties; et ces calamités sont celles qu'ont éprouvées nos pères
et qui pèsent sur nous encore »118.
Pourtant, le procédé n'était pas neuf puisque, comme le relate Thierry
Paquot, « le procédé a été défloré avant lui [...] c'est Louis Geoffroy (1803-1858)
qui, avec Napoléon et la conquête du monde 1812-1832. Histoire de la
monarchie universelle, réécrit très sérieusement l'histoire du monde à partir de la
victoire de Napoléon, et le lecteur découvre alors de manière vraisemblable une
géopolitique bien différente de celle qu'il peut observer »119.
Utilisé majoritairement pour désigner une version alternative de la
réalité devenue presque parfaite, le terme englobera par la suite les utopies
situées dans un avenir déterminé, renouvelant ainsi le genre au XVIIIe siècle.
Et pour cause, comme l'indique Georges Jean, « au XVIIIe siècle, le schéma
117
Anne-Marie Drouin-Hans, Éducation et utopies, Paris: Librairie Philosophique J.Vrin,
2004, p. 44.
118
Charles Renouvier, Uchronie (L'utopie dans l'histoire). Esquisse historique apocryphe du
développement de la civilisation européenne tel qu'il n'a pas été, tel qu'il aurait pu être, Paris:
Fayard, 1988, p.10.
119
Thierry Paquot, Utopies et utopistes, Paris: La Découverte, 2018, pp. 99-100.
34
Diversité et Identité Culturelle en Europe
classique du voyage et du naufrage s'use et s'épuise ; il fait place alors au
voyage dans le temps »120.
Aidés de cette première caractéristique, les écrits scientifiques de
notre corpus semblent s'accorder sur le fait que c'est Louis-Sébastien Mercier
qui fut l'auteur de la première uchronie121. Le principe utilisé dans le récit, et
que l'on retrouve à la même époque chez d'autres auteurs, comme Condorcet
avec son Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain
(1795)122, consiste à décrire une société qui réalise une utopie grâce à
l'adoption de principes jugés fondateurs et à l'écoulement du temps. Ces
écrivains, comme nous avons déjà eu l'occasion de le souligner, semblent
réaffirmer par là, « leur foi dans le progrès universel de l'humanité »123. Or,
comme le rappelle Michèle Riot Sarcey, c'est précisément ce courant de pensée
qui traverse la société occidentale du XVIIIe : « Mercier écrit son uchronie au
moment où la philosophie de l'Histoire est en train de naître, où l'Histoire, chez
Turgot ou Condorcet, devient le tableau des progrès de l'esprit humain »124.
Certains auteurs nuancent la nouveauté et la particularité de ce
principe, arguant alors que, dans ce cas-là, toutes les utopies seraient des
uchronies puisqu'elles recourent toutes à des dates plus ou moins fictives125.
Cependant, comme le souligne systématiquement Raymond Trousson 126 ou
Gérard Raulet, le décalage spatial utilisé de ces récits, tel que seule le XVIIIe
siècle pouvait le formuler, dénote tout de même singulièrement avec le
décalage géographique utilisé jusque-là. Ainsi, « l'utopie et l'uchronie sont
120
Georges Jean, Voyages en utopie, Paris: Gallimard, 1994, p.68.
Notamment Georges Jean, Op. cit., p.68., Raymond Trousson, Voyages aux pays de nulle
part : histoire littéraire de la pensée utopique, Troisième édition revue et augmentée,
Bruxelles: Éditions de l'Université de Bruxelles, 1999, p.14., Michèle Riot-Sarcey, Thomas
Bouchet et Antoine Picon (dir.), Dictionnaire des Utopies, Paris: Larousse, 2002, p.2.
122
Vincenzo Ferrone, « Droits de l'homme », dans Bronislaw Baczko, Michel Porret et
François Rosset (dir.), Dictionnaire critique de l'utopie au temps des Lumières, Genève:
Georg, 2016, p. 337.
123
Georges Jean, op. cit., p.69.
124
Olivier Christin, « Ananbaptismes », dans Michèle Riot-Sarcey, Thomas Bouchet et
Antoine Picon (dir.), Dictionnaire des Utopies, Paris: Larousse, 2002, p.3.
125
Jean Servier, Histoire de l'utopie, Paris: Gallimard, 1967, p.100.
126
Raymond Trousson, Op. cit., p.13, Raymond Trousson, Sciences, techniques et utopies.
Du paradis à l'enfer, Paris: L'Harmattan, 2003, p.154, ou encore Raymond Trousson,
« Synthèse », dans Vita Fortunati et Raymond Trousson (coord.), Histoire transnationale de
l'utopie littéraire et de l'utopisme, Paris: Honoré Champion Éditeur, 2008, p. 625.
121
35
Diversité et Identité Culturelle en Europe
prises en charge par la Raison et inscrites dans le grand mouvement historique
du progrès »127.
Enfin, valorisant la nature humaine et situant la réalisation de l'utopie
dans le futur, l'uchronie incarne aux yeux de certains auteurs, comme
Vincenzo Ferrone dans la somme réalisée sur l'utopie au temps des Lumières,
une marque importante de l'apparition des Lumières tardives :
„cette phase de la vie culturelle européenne intense est finalement
considérée comme une époque historique autonome avec des
traits caractéristiques par rapport aux traditionnelles lectures
téléologiques des Lumières de fin de siècle, définies seulement à
partir de leurs liens avec les origines intellectuelles et sociales de
la Révolution française. L'uchronie appartient de droit à cette
culture de la fin des Lumières profondément marquée par deux
caractères fondamentaux et originaux: d'une part, la forte
«politisation» de la république des Lettres et, d'autre part, l'affirmation
rapide du «néo-naturalisme» comme transformation radicale de la
représentation de la nature et des images de la science”128.
Dans ces conditions, nous nous contenterons de ces remarques
ponctuelles au sujet de l'uchronie puisque nous pouvons déjà observer que ce
concept ne semble pas avoir davantage de lien avec la dystopie.
3.4. Le concept d' « hétérotopie »
En tant que dérivé de l'utopie, le terme d' « hétérotopie » semble être
repris régulièrement par les chercheurs, et ce, dans un sens assez univoque
puisque ce concept a été formulé par Michel Foucault129 pour désigner « cet
endroit, où les règles du monde extérieur sont suspendues, forme l'espace
protégé où la parole de l'homme peut s'épanouir librement [...] et qui, tel un
jardin, forme un espace autre »130.
127
Gérard Raulet, « L'utopie est-elle un concept ? », Lignes 1992/3 (n°17), p. 111.
Vincenzo Ferrone, « Droits de l'homme », dans Bronislaw Baczko, Michel Porret et
François Rosset (dir.), Dictionnaire critique de l'utopie au temps des Lumières, Genève :
Georg, 2016, p. 334.
129
Jean-François Chevrier, « partages de l'art », dans Michèle Riot-Sarcey, Thomas le
Bouchet et Antoine Picon (dir.) Dictionnaire des Utopies, Paris: Larousse, 2002, p. 177.
130
Michel Foucault, Dits et écrits 1954-1988, tome ll (1976-1988), Paris: Gallimard, 2001,
pp. 1571-1581.
128
36
Diversité et Identité Culturelle en Europe
Faisant pour la première fois l'objet d'une définition dans les années
soixante, ce terme semble, selon Vita Fortunati, Paola Spinozzi et Raymond
Trousson, avoir ouvert de nouveaux champs d'investigation capables de
penser les rapports entre l'espace et le corps social :
„Par le terme hétérotopie, Foucault repense les relations
humaines, dans lesquelles les interactions sont codifiées et
hiérarchisées, en termes « d'emplacements » et de « contreemplacements ». Le philosophe français met l'accent sur la
capacité des hommes et des groupes sociaux à récupérer des
espaces autres dans les emplacements où ils vivent et travaillent.
L'hétérotopie ne se présente pas comme une délimitation des
espaces, mais suppose la possibilité d'y entrer et d'en sortir, et
privilégie l'espace liminal, le seuil”131.
En lien avec le concept de paratopie132, l'hétérotopie formule donc une
réalité intéressante à exploiter, mais qui ne requiert pas de notre part une
enquête plus poussée dans la mesure où elle ne semble correspondre ni au
corpus littéraire que nous travaillons ni à la thématique de la dystopie.
3.5. Notre proposition de mise en cohérence des concepts
Après avoir passé en revue les explications théoriques au sujet des
« descendants » de l'utopie, nous avons eu l'occasion de voir que les termes
qui intéressaient davantage ce travail étaient, étonnamment, ceux pour qui les
définitions étaient les moins consensuelles. Analysant les différences entre
utopie, contre-utopie, anti-utopie et dystopie, nous allons donc tenter ici de
les ordonner sur une base logique en essayant de tenir compte de la
signification de leur préfixe, mais aussi des propositions effectuées par les
chercheurs sur ce sujet. Pour ce faire, nous aurons recours à l'analyse de
différents critères établis par ceux-ci que nous tâcherons alors de mettre
en évidence dans un tableau reprenant en vis-à-vis les concepts abordés
(cf. Tableau 3).
131
Vita Fortunati et Raymond Trousson (coord.), Histoire transnationale de l'utopie littéraire
et de l'utopisme, Paris : Honoré Champion Éditeur, 2008, p. 28.
132
Élaine Després (dir.), « Dossier Utopie/Dystopie : entre imaginaire et réalité », Posture,
Hors série n°2 (2010), p.60.
37
Diversité et Identité Culturelle en Europe
3.5.1. Une opposition fondatrice : l'idéal et l'infernal
Nous avions vu précédemment que le mot « utopie » avait été formé
sur les racines « eu » ou « ou », l'un signifiant « bon » (le « bon lieu ») et
l'autre disposant d'un sens privatif (« le lieu de nulle part ») (voir supra). Si
l'on compare la construction de ce terme vis-à-vis de ce qu'il désigne, et
surtout en comparaison avec les autres concepts abordés, nous pouvons
observer que ce qui distingue particulièrement l'utopie n'est pas tant que la
société qui est présentée n'existe pas, mais plutôt qu'elle y soit présentée
comme un modèle. Cette idée, comme nous l'avons déjà souligné, semble
consensuelle chez les chercheurs, mais se trouve particulièrement développée
chez Georges Jean133, tant en ce qui concerne le personnage principal du récit
que l'auteur vis-à-vis des utopies. C'est la raison pour laquelle nous avons
décidé de comparer ces critères aux autres groupes de récits envisagés (cf.
critères 1.2 et 2.2 du Tableau 3).
En cela, les préfixes « anti » et « contre » ne renseignent guère sur la
qualité de la société présentée pour l'auteur ou le personnage du récit puisqu'ils
portent tous deux sur l'entièreté du terme « utopie ». Dès lors, malgré « les
lacunes du mot »134, seul le terme « dystopie » semble, comme le souligne
Francsco Muzzioli135, véritablement signifier le contraire de l'utopie :
„La première distinction s'opère bien entre utopie et dystopie. Elle
est établie (...) ontologiquement pour signifier qu'ici se situe le
bon état des choses et là, à l'inverse, le mauvais. (...) Selon la
langue grecque, on devrait plutôt l'appeler caco-topie, mais le
préfixe « dis » appelle d'autres nuances : en plus de la
soustraction et de la négation, il indique aussi l'altération et le
déplacement potentiellement négatif”136.
133
Georges Jean, Voyages en utopie, Paris: Gallimard, 1994, p.67 et p. 114.
Clément Dessy et Valérie Stiénon, (Bé)vues du futur – Les imaginaires visuels de la
dystopie (1840-1940), Villeneuve d'Ascq: Presses Universitaires du Septentrion, 2015, p. 12
135
L'antonymie est également soulignée chez, par exemple, Didier Masseau, « Anti-utopie »,
dans Michèle Riot-Sarcey, Thomas le Bouchet et Antoine Picon (dir.) Dictionnaire des
Utopies, Paris: Larousse, 2002, p. 129., Hinrich Hudde et Peter Kuon (éd.), De l'utopie à
l'uchronie : formes, significations, fonctions, Actes du colloque d'Erlangen, 16-18 octobre
1986, Tubingen: Gunter Narr Verlag, 1988, p. 32., Corin Braga, « Utopie, eutopie, dystopie
et anti-utopie », Metabasis, n°2, septembre 2006, p.6, ou encore chez Thierry Paquot, Utopies
et utopistes, Paris: La Découverte, 2018, p. 109.
136
Francesco Muzzioli, « Postface : Fins du monde. Configurations et perspectives du genre
dystopiques », dans Clément Dessy et Valérie Stiénon, (Bé)vues du futur – Les imaginaires
134
38
Diversité et Identité Culturelle en Europe
3.5.2. L'exagération : un trait de l'anti-utopie
Le préfixe « anti », renvoie, comme nous l'avions vu supra à une
opposition, une hostilité voire une neutralisation qui porte ici sur l'entièreté
du terme « utopie ». On songe tout d'abord à un positionnement hostile vis-àvis de ce dernier, et notamment, avec Catherine Larrère137, au sens qu'il
revêtait à partir du XVIIIe siècle, c'est-à-dire, un projet impossible pour
l'auteur du récit. Il nous semble trouver là un critère supplémentaire auquel
nous pouvons comparer les autres concepts (cf. critère 2.1 du Tableau 3). De
manière complémentaire, nous avons vu que l'anti-utopie pouvait renvoyer
aux procédés d'inversion ou d'exagération parodique utilisés dans le récit pour
critiquer les changements proposés et décrits par les utopies. Cette opposition,
présentée par Didier Masseau dans le Dictionnaire critique de l'utopie au
temps des Lumières138, possède pour corollaire un certain type d'attitude de
l'auteur vis-à-vis de la société dans laquelle il vit. En effet, comme le rappelle
M. Domenichelli, face à certaines propositions de réforme typique des
utopies, une volonté de préservation du présent se retrouve dans les textes
habituellement attribués à l'anti-utopie139 et nous permet dès lors de comparer
cette attitude aux autres récits. Nous avons là deux autres critères que nous
rangeons aux points 2.3 et 2.5 de notre tableau (cf. Tableau 3).
3.5.3. Souhait ou espérance utopique et mise en garde dystopique
Plus globalement, plusieurs auteurs pointent les fonctions
essentiellement opposées que sont censées remplir les présentations de
l'utopie d'une part et de la contre-utopie d'autre part sur les lecteurs140. Dans
visuels de la dystopie (1840-1940), Villeneuve d'Ascq: Presses Universitaires du Septentrion,
2015, p. 286.
137
Catherine Larrère, « Législation », dans Bronislaw Baczko, Michel Porret et François
Rosset (dir.), Dictionnaire critique de l'utopie au temps des Lumières, Genève: Georg, 2016,
pp. 655-656.
138
Didier Masseau, « Anti-utopie », dans Bronislaw Baczko, Michel Porret et François Rosset
(dir.), Dictionnaire critique de l'utopie au temps des Lumières, Genève: Georg, 2016, p. 130.
139
M. Domenichelli, L'infondazione di Babele : l'antiutopia, Milano: Franco Angeli Editore,
1983, p. 102
140
Par exemple : Georges Jean, Voyages en utopie, Paris: Gallimard, 1994, p.112., Peter
Kuon et Gérard Peylet (dir.), L'utopie entre eutopie et dystopie, Eidôlon, n°110, Bordeaux:
Presses universitaires de Bordeaux, 2013, p. 21., Anne-Marie Drouin-Hans, Éducation et
utopies, Paris: Librairie Philosophique J.Vrin, 2004, pp. 40-43., ou encore Élaine Després
(dir.), « Dossier Utopie/Dystopie : entre imaginaire et réalité », Posture, Hors série n°2
(2010), p. 60.
39
Diversité et Identité Culturelle en Europe
le cas de la première, l'auteur la souhaite plus qu'il ne l'espère (pour
paraphraser les mots de Thomas More lui-même), tandis que dans la seconde,
il tente d'alerter les lecteurs : « Briefly, dystopian literature is specifically that
literature wich situates itself in direct opposition top utopian thought, warning
against the potential negative consequences of arrant utopianism »141.
Or, pour que cette mise en garde fonctionne réellement sur le lecteur,
Francesco Muzzioli démontre qu'il faut nécessairement que l'élément
amplifié (cf. 2.5 du Tableau 3) soit déjà présent dans ses habitudes, qu'en
quelque sorte, il fasse déjà partie son « aliénation quotidienne »142. Cette
situation temporelle de l'auteur vis-à-vis des changements menant à la société
utopique de son livre et l'utilité qu'il attribue à celui-ci sur le lecteur
constituent deux autres critères supplémentaires de comparaison des
concepts, respectivement 2.4 et 3 de notre tableau (cf. Tableau 3).
3.5.4. Des sociétés achevées : anti-utopie contre utopie et dystopie
Si, comme « anti », le préfixe « contre » porte lui aussi une
signification d'opposition, une fois accolé au mot « utopie », il revêt
également un sens de proximité et de substitution. Dans ce cadre, Christian
Godin pousse son étude sur le Sens de la contre-utopie au point de constater
que cette dernière « est sans fin »143. De fait, même si nous avions déjà eu
l'occasion de souligner la synonymie chez les chercheurs de la dystopie et de
la contre-utopie (voir supra), il est intéressant de constater que les textes
majoritairement classés par les chercheurs du côté de la contre-utopie ont
tendance à présenter, comme dans les utopies, des sociétés inamovibles dans
lesquelles le progrès semble avoir trouvé sa fin, « comme si l'histoire suivait
une évolution d'où toute révolution serait bannie »144. Or, c'est cet
immobilisme qui rend compte de la perfection de l''utopie ou de l'horreur de
la contre-utopie.
141
En bref, la littérature dystopique est spécifiquement cette littérature qui se situe dans
l'opposition directe de la pensée utopique suprême, mettant en garde contre les conséquences
négatives potentielles de l'utopisme persistant. (notre traduction) v. Keith Booker, Dystopian
Literature : A Theory and Research Guide, Westport, Connecticut et Londres: Greenwood
Press, 1994, p. 3.
142
Francesco Muzzioli, « Postface : Fins du monde. Configurations et perspectives du genre
dystopiques », dans Clément Dessy et Valérie Stiénon, (Bé)vues du futur – Les imaginaires
visuels de la dystopie (1840-1940), Villeneuve d'Ascq: Presses Universitaires du Septentrion,
2015, p. 285.
143
Christian Godin, « Sens de la contre-utopie », Cités, n°42 (2010/2), p.64.
144
Georges Jean, Voyages en utopie, Paris: Gallimard, 1994, p.114.
40
Diversité et Identité Culturelle en Europe
Précisément, comme le soulignent Hinrich Hudde et Peter Kuon, c'est
ce qui amène le personnage principal du récit à résoudre d'une certaine
manière le lien qu'il noue avec la société présentée par l'auteur145. Soit parce
que dans les utopies, il quitte à regret la société ou il décide d'y rester, soit
parce que dans les dystopies, au contraire, il n'arrive pas à s'en échapper. Sur
modèle de Gérard Raulet146, c'est d'ailleurs ce qui nous pousse à observer une
profonde différence de statut des personnages principaux entre les textes
classés sous l'étiquette « anti-utopie » et ceux de la « dystopie », tantôt
simples visiteurs voire personnages extérieurs, tantôt habitants définitifs de la
communauté exposée.
Ces trois derniers critères nous permettent de clore le tableau
temporaire des différences entre utopie, anti-utopie et dystopie en ajoutant les
critères 1.1, 1.4 et 1.3 (cf. Tableau 3). Les observations contenues dans les
colonnes ont été remplies en conformité avec les textes étudiés tout au long
de ce point et nous permettent à présent d'envisager clairement les différences
entre ces trois genres. Surtout, cet exercice conceptuel semble nous autoriser
à construire notre définition de la dystopie sur des bases théoriques plus
solides. Cependant, nous restons évidemment conscient du caractère formel
et théorique de ce genre d'exercices et faisons entièrement nôtres,
l'observation de Francesco Muzzioli : « Encore faut-il préciser que,
concrètement, dans les textes, la division n'est pas aussi nette [...] néanmoins,
le discours théorique peut recourir à cette distinction pour mieux organiser
son corpus. »147
4. Pour une définition rénovée de la dystopie et de son corpus
Nous l'avons indirectement énoncé, notre définition doit beaucoup
aux écrits de Francesco Muzzioli, Keith Booker et Raymond Trousson148 sur
145
Hinrich Hudde et Peter Kuon (éd.), De l'utopie à l'uchronie : formes, significations,
fonctions, Actes du colloque d'Erlangen, 16-18 octobre 1986, Tubingen: Gunter Narr Verlag,
1988, p. 27.
146
Gérard Raulet, « L'utopie est-elle un concept ? », Lignes 1992/3 (n°17), p. 116.
147
Francesco Muzzioli, « Postface : Fins du monde. Configurations et perspectives du genre
dystopiques », dans Clément Dessy et Valérie Stiénon, (Bé)vues du futur – Les imaginaires
visuels de la dystopie (1840-1940), Villeneuve d'Ascq: Presses Universitaires du Septentrion,
2015, p. 286.
148
Ibidem, pp. 283 – 296., Keith Booker, Dystopian Literature : A Theory and Research
Guide, Westport, Connecticut et Londres: Greenwood Press, 1994 et Raymond Trousson,
41
Diversité et Identité Culturelle en Europe
lesquels nous nous sommes largement appuyé, notamment pour compléter
notre tableau synthétisant les différences génériques entre utopie, anti-utopie
et dystopie.
Nous nous permettons tout d'abord de rappeler que nous préférons le
terme « dystopie » à celui de « contre-utopie » en ce qu'étymologiquement, il
incarne plus clairement l'opposé de l'utopie. De plus, c'est un terme utilisé
dans ce sens précis depuis longtemps, comme le rappelle d'ailleurs Thierry
Paquot en renvoyant à son premier usage effectué par John Stuart Mill (18061873) « lors d'un discours parlementaire dénonçant la politique du RoyaumeUni en Irlande »149.
En relevant les attributs essentiels de la dystopie, c'est-à-dire ceux qui
permettent à la fois de le distinguer d'autres concepts proches, mais également
de lui attribuer un corpus textuel, nous pouvons établir une définition
personnelle et temporaire de la dystopie littéraire comme étant :
„Un genre littéraire contenant un récit qui présente le
fonctionnement (politique, social ou culturel) d'une cité ou
d'une société imaginaire dont le degré d'achèvement est
complet. Celle-ci est conçue sur une volonté politique totalitaire
de surveillance rendue possible par de la technologie et des
principes déjà présents à l'époque du lecteur, mais qui ont été
anticipés voire amplifiés au maximum afin de créer chez le
lecteur un sentiment d'identification vis-à-vis du personnage
principal. Ce procédé, développant aussi une sensation de malaise
et d'oppression, vise à renforcer le message de mise en garde
construit par l'auteur à son adresse. Sous forme de critique
indirecte, l'auteur tente ainsi d'avertir le lecteur des dangers de la
réalisation d'une utopie dont il pense que certaines prémices sont
déjà réalisées au moment où il écrit le récit. Sur un plan
diégétique, la dystopie met en scène au moins un personnage
principal, habitant à part entière de la communauté, avec
laquelle il se heurte dans ses principes ou dans son
fonctionnement. Cela donnera lieu à des pérégrinations durant
lesquelles, le personnage passera par des émotions allant de
Voyages aux pays de nulle part : histoire littéraire de la pensée utopique, Troisième édition
revue et augmentée, Bruxelles: Éditions de l'Université de Bruxelles, 1999.
149
Thierry Paquot, Utopies et utopistes, Paris: La Découverte, 2018, p. 109.
42
Diversité et Identité Culturelle en Europe
l'hostilité à l'envie (ou l'inverse) et qui se solderont par le
maintien définitif sous le contrôle de la société du
personnage.” [les grasses sont de nous].
Nous avons choisi, dans cette définition, de restreindre au maximum
les caractéristiques du genre en tentant de les réduire à celles qui nous
apparaissent comme des invariantes. Bien évidemment, en dehors des
considérations propres à l'établissement d'un corpus correspondant à cette
définition (contexte de naissance, causes d'apparition, établissement d'une
liste exhaustive des œuvres, etc.), nous ne pouvons pas ne pas mentionner
quelques traits complémentaires semblant, selon d'autres chercheurs,
apparaître régulièrement dans les dystopies.
Ainsi, Thierry Paquot par exemple, souligne le rôle essentiel de
l'amour dans la prise de conscience chez le personnage principal du caractère
totalitaire de la société dans laquelle il vit. Ce sentiment paraît endosser un
rôle beaucoup plus fort que celui de la simple intrigue amoureuse puisque
c'est par lui que le personnage principal arrive « à enrayer la machine sociale
qui uniformise les individus comme elle homogénéise les
comportements »150. D'autres auteurs relèvent de leur côté la récurrence de
certaines thématiques croisant la route de la dystopie comme la prégnance du
sentiment conservateur151, de la portée prophétique de son récit152, ou encore
celle de l'éducation153.
Notre définition étant posée, tâchons à présent de voir quelle est
l'étendue du corpus textuel lié à cette tradition générique.
Pour commencer, il nous faut bien constater que le débat que nous
avions présenté au sujet des origines de l'utopie est entièrement transposable
aux dystopies. Afin d'en simplifier l'approche, nous pouvons affirmer qu'il
oppose lui aussi l'idée de « continuité » à celle de « singularité ». La première
150
Ibidem, p. 108.
Francesco Muzzioli, « Postface : Fins du monde. Configurations et perspectives du genre
dystopiques », dans Clément Dessy et Valérie Stiénon, (Bé)vues du futur – Les imaginaires
visuels de la dystopie (1840-1940), Villeneuve d'Ascq: Presses Universitaires du Septentrion,
2015, p. 287.
152
Christian Godin, « Sens de la contre-utopie », Cités, n°42 (2010/2), p. 62.
153
Anne-Marie Drouin-Hans, Éducation et utopies, Paris: Librairie Philosophique J.Vrin, 2004.
151
43
Diversité et Identité Culturelle en Europe
thèse, défendue par exemple par Jean Servier ou Sandrine Doré154, affirme que
l'utopie (ou la dystopie) ne fait que « reprendre, au fil des siècles, les mêmes thèmes
qu'ils ont illustrés d'images analogues, inconsciemment empruntées au
symbolisme des songes [...] jusqu'à l'organisation et aux lois contraignantes de la
cité traditionnelle »155. Dans ce contexte, rien n'interdit d'estimer alors que les
dystopies ne sont pas « l'apanage exclusif du siècle des totalitarismes, vu qu'elles
sont nées en même temps que l'Utopie de Thomas More »156.
La seconde thèse soutient en revanche que la dystopie est née de la
situation particulière du XIXe et du début du XXe siècle, contexte qui a vu
l'émergence de l'industrialisation, des premières guerres modernes, du
développement des sciences, de formes totalitaires du pouvoir et d'une
certaine « déception historique »157 Regroupant une majorité des auteurs que
nous avons étudiés, cette thèse fait débuter l'histoire de la dystopie avec Le
monde tel qu'il sera d'Émile Souvestre (1846) et le fait se prolonger avec de
nombreux autres ouvrages comme : Les Morticoles de Léon Daudet, (1875),
Les Cinq Cents Millions de la Bégum de Jules Verne (1879), La fin des livres
de Octove Uzane (1895), La Machine à explorer le temps d'Herbet George
Wells (1895), Le Talon de fer de Jack London (1907), La Peste écarlate du
même auteur (1912), Les condamnés à mort de Claude Farrière (1920), Nous
autres d' Evguéni Zamiatine (1920), La Cité dans les fers de Ubald Paquin
(1926), Le Chantier d'Andreï Platonov (1930), Le Meilleur des mondes
d'Aldous Huxley (1932), La Cité des asphyxiés de Régis Messac (1937), La
Kollocaïne de Karin Boye (1940), 1984 de George Orwell (1949), Fahrenheit
451 de Ray Bradbury (1953), Yapou, bétail humain de Shozo Numa (1956),
Le voyageur imprudent (1958) de René Barjavel, L'Orange Mécanique
d'Anthony Brugess (1962), Un bonheur insoutenable de Ira Levin (1970), Les
Monades urbaines de Robert Silverberg (1971), Les Dépossédés d'Ursula Le
Guin (1975), La Servante écarlate de Margaret Atwood (1985), La Zone du
154
Et magnifiquement illustrée dans, par exemple, Peter Kuon et Gérard Peylet (dir.),
L'utopie entre eutopie et dystopie, Eidôlon, n°110, Bordeaux: Presses universitaires de
Bordeaux, 2013.
155
Jean Servier, Histoire de l'utopie, Paris: Gallimard, 1967, p. 94.
156
Sandrine Doré, « Une vision de la fin des arts : Robida et le futur de l'image », dans
Clément Dessy et Valérie Stiénon, (Bé)vues du futur – Les imaginaires visuels de la dystopie
(1840-1940), Villeneuve d'Ascq: Presses Universitaires du Septentrion, 2015, p. 125.
157
Raymond Trousson, Littérature comparée – L'utopie : notes prises au cours de R.
Trousson, Bruxelles: P.U.B., 1983, p. 19.
44
Diversité et Identité Culturelle en Europe
dehors d’Alain Damasio (1999), La Tyranie de l'arc-en-ciel de Jasper Fforde
(2009), pour ne citer que les plus célèbres.
Plutôt que d'être contraint d'inscrire notre étude dans l'une ou l'autre
thèse, nous aimerions pointer, en guise de conclusion de cet article, leur
complète complémentarité. En effet, bien que constituant des regards
opposés, ces deux approches s'illustrent surtout par le fait qu'elles utilisent
deux angles différents - un point de vue large et un point de vue réduit - sur
le même objet d'étude. Puisque chacune de ces perspectives proposent des
données pertinentes à exploiter, il n'y a aucune raison de choisir
définitivement entre les deux. C'est d'ailleurs ce que faisait déjà remarquer en
son temps Fernand Braudel au sujet des débats sur l'existence d'une entité
civilisationnelle européenne : « Disons seulement qu'ils ont regardé de trop
près les carreaux d'une mosaïque, qui, vue de haut, relève de nets dessins
d'ensemble. Pourquoi faudrait-il choisir, une fois pour toutes, entre l'ensemble
et le détail ? Les deux vérités ne s'excluent pas. »158. Force est de constater
que cette observation est tout entière transposable à la problématique des
origines de la dystopie.
Bibliographie
BACZKO, Bronislaw; PORRET, Michel; ROSSET, François (dir.), 2016,
Dictionnaire critique de l'utopie au temps des Lumières, Genève: Georg.
BOOKER, Keith, 1994, Dystopian Literature : A Theory and Research
Guide, Westport, Connecticut et Londres: Greenwood Press.
BOULERIE, Florence, 2013, « L'utopie entre eutopie et dystopie », Eidôlon,
n°110, Bordeaux: Presses universitaires de Bordeaux.
BRAGA, Corin, 2006, « Utopie, eutopie, dystopie et anti-utopie »,
Metabasis, n°2, septembre.
BRAUDEL, Fernand, 1993, Grammaire des civilisations, Paris: Flammarion.
CAMBI, Maurizio, 2008, « Republicae Christianopolitanae Descriptio »,
dans Vita Fortunati et TROUSSON, Raymond (coord.), Histoire
transnationale de l'utopie littéraire et de l'utopisme, Paris: Honoré
Champion Éditeur.
CHEVRIER, Jean-François, 2002, « partages de l'art », dans Michèle RiotSarcey, Thomas le Bouchet et Antoine Picon (dir.) Dictionnaire des
Utopies, Paris: Larousse.
158
Fernand Braudel, Grammaire des civilisations, Paris, Flammarion, 1993, p. 529.
45
Diversité et Identité Culturelle en Europe
CHRISTIN, Olivier, 2002, « Ananbaptismes », dans Michèle Riot-Sarcey,
Thomas Bouchet et Antoine Picon (dir.), Dictionnaire des Utopies,
Paris: Larousse.
CIORAN, Émile Michel, 1960, Histoire et utopie, « Folio Essais », Paris: Gallimard.
COTGRAVE, Randle, 1611, A Dictionarie of the French and English Tongue.
D'ANGELO, Biagio, 2008, « My / We (Nous Autres) », dans Vita Fortunati
et Raymond Trousson (coord.), Histoire transnationale de l'utopie
littéraire et de l'utopisme, Paris: Honoré Champion Éditeur.
DESPRÉS, Élaine (dir.), 2010, « Dossier Utopie/Dystopie : entre imaginaire
et réalité », Posture, Hors série n°2.
DESSY, Clément; STIÉNON, Valérie, 2015, (Bé)vues du futur – Les
imaginaires visuels de la dystopie (1840-1940), Villeneuve d'Ascq:
Presses Universitaires du Septentrion.
DOMENICHELLI, M., 1983, L'infondazione di Babele : l'antiutopia,
Milano: Franco Angeli Editore.
DROUIN-HANS, Anne-Marie, 2004, Éducation et utopies, Paris: Librairie
Philosophique J.Vrin.
ENGELS, Friedrich, 1880, Socialisme utopique et socialisme scientifique,
trad. Paul Lafargue, Paris: Derveaux.
FERRONE, Vincenzo, 2016, « Droits de l'homme », dans Bronislaw Baczko,
Michel Porret et François Rosset (dir.), Dictionnaire critique de
l'utopie au temps des Lumières, Genève: Georg.
FORTUNATI, Vita, 2008, « Gulliver's Travels », dans Vita Fortunati et
Raymond Trousson (coord.), Histoire transnationale de l'utopie
littéraire et de l'utopisme, Paris: Honoré Champion Éditeur.
FORTUNATI, Vita; TROUSSON, Raymond (coord.), 2008, Histoire
transnationale de l'utopie littéraire et de l'utopisme, Paris: Honoré
Champion Éditeur.
FOUCAULT, Michel, 2001, 2010/2, Dits et écrits 1954-1988, tome ll (19761988), Paris: Gallimard.
GODIN, Christian, « Sens de la contre-utopie », Cités, n°42.
HUDDE, Hinrich; KUON, Peter (éd.), 1988, De l'utopie à l'uchronie : formes,
significations, fonctions, Actes du colloque d'Erlangen, 16-18 octobre
1986, Tubingen: Gunter Narr Verlag.
IMBROSCIO, Carmelina (coord.), 1986, Requiem pour l'utopie ? Tendances
autodestructives du paradigme utopique, Pise: Éditrice Libreria Goliardica.
46
Diversité et Identité Culturelle en Europe
JAMES-RAOUL, D. (dir.), 2013, « L'utopie entre eutopie et dystopie »,
Eidôlon, n°110, Bordeaux: Presses universitaires de Bordeaux.
JEAN, Georges, 1994, Voyages en utopie, Paris: Gallimard.
KLEIN, Gérard, 2002, « Science-fiction », dans Michèle Riot-Sarcey,
Thomas le Bouchet et Antoine Picon (dir.), Dictionnaire des Utopies,
Paris: Larousse.
KUON, Peter; PEYLET, Gérard (dir.), 2013, L'utopie entre eutopie et dystopie,
Eidôlon, n°110, Bordeaux: Presses universitaires de Bordeaux.
KUON, Peter, 2013, « Brève histoire de l'utopie littéraire », dans Peter Kuon
et Gérard Peylet (dir.), L'utopie entre eutopie et dystopie, Eidôlon,
n°110, Bordeaux: Presses universitaires de Bordeaux.
LARRÈRE, Catherine, 2016, « Législation », dans Bronislaw Baczko,
Michel Porret et François Rosset (dir.), Dictionnaire critique de
l'utopie au temps des Lumières, Genève: Georg.
LITTI, Antoine, 2016, « Homme de lettres », dans Bronislaw Baczko, Michel
Porret et François Rosset (dir.), Dictionnaire critique de l'utopie au
temps des Lumières, Genève: Georg.
MASSEAU, Didier, 2016, « Anti-utopie », dans Bronislaw Baczko, Michel
Porret et François Rosset (dir.), Dictionnaire critique de l'utopie au
temps des Lumières, Genève: Georg.
MASSEAU, Didier, 2002, « Anti-utopie », dans Michèle Riot-Sarcey,
Thomas le Bouchet et Antoine Picon (dir.) Dictionnaire des Utopies,
Paris: Larousse.
MAURIZIO, Cambi, 2008, « Republicae Christianopolitanae Descriptio »,
dans Vita Fortunati et TROUSSON, Raymond (coord.), Histoire
transnationale de l'utopie littéraire et de l'utopisme, Paris: Honoré
Champion Éditeur.
MILLIOT, Vincent, 2016, « Ville », dans Bronislaw Baczko, Michel Porret
et François Rosset (dir.), Dictionnaire critique de l'utopie au temps
des Lumières, Genève: Georg.
MINERVA, Nadia, 2008, « Utopie et bonheur », dans Vita Fortunati et
Raymond Trousson (coord.), Histoire transnationale de l'utopie
littéraire et de l'utopisme, Paris: Honoré Champion Éditeur.
MOUCHARD, Claude, 2002, « Contre-utopie », dans Michèle Riot-Sarcey,
Thomas le Bouchet et Antoine Picon (dir.), Dictionnaire des Utopies,
Paris: Larousse.
47
Diversité et Identité Culturelle en Europe
MUZZIOLI, Francesco, 2015, « Postface : Fins du monde. Configurations et
perspectives du genre dystopiques », dans Clément Dessy et Valérie
Stiénon, (Bé)vues du futur – Les imaginaires visuels de la dystopie
(1840-1940), Villeneuve d'Ascq: Presses Universitaires du
Septentrion.
PAOLETTI, Gionvanni, 2016, « Anciens et Modernes », dans Bronislaw
Baczko, Michel Porret et François Rosset (dir.), Dictionnaire critique
de l'utopie au temps des LumièresLumières, Genève: Georg.
PAQUOT, Thierry, 2018, Utopies et utopistes, Paris: La Découverte.
PORRET, Michel, 2002, « Famille et éducation », dans Michèle Riot-Sarcey,
Thomas le Bouchet et Antoine Picon (dir.) Dictionnaire des Utopies,
Paris: Larousse.
RACAULT, Jean-Michel, 1991, L'utopie narrative en France et Angleterre
(1675-1761), Oxford: The Voltaire Foundation.
RAULET, Gérard, 1992/3, « L'utopie est-elle un concept ? », Lignes (n°17).
RENOUVIER, Charles, 1988, Uchronie (L'utopie dans l'histoire). Esquisse
historique apocryphe du développement de la civilisation européenne
tel qu'il n'a pas été, tel qu'il aurait pu être, Paris: Fayard.
RIOT-SARCEY, Michèle; BOUCHET, Thomas; PICON, Antoine (dir.),
2002, Dictionnaire des Utopies, Paris: Larousse.
RUYER Raymond, 1950, L'utopie et les utopies, Paris: P.U.F.
SARGENT, Lyman Tower, 1994, « The Three Faces of Utopianism
Revisited », in Utopian Studies, Pensylvanie: PSUP.
SERVIER Jean, 1979, L'utopie, « Que sais-je ? », Paris: P.U.F.
SERVIER, Jean, 1967, Histoire de l'utopie, Paris: Gallimard.
TROUSSON, Raymond, 2003, Sciences, techniques et utopies. Du paradis à
l'enfer, Paris: L'Harmattan.
TROUSSON, Raymond, 1999, Voyages aux pays de nulle part : histoire
littéraire de la pensée utopique, troisième édition revue et augmentée,
Bruxelles: Éditions de l'Université de Bruxelles.
TROUSSON, Raymond, 1987, « La distopia e la sua storia », dans A.
Colombo (A cura di), Utopia e distopia, Milano.
TROUSSON, Raymond, 2000, « Synthèse », dans Vita Fortunati et Raymond
Trousson (dir.), Dictionary of literary utopias, Paris: Honoré
Champion Éditeur.
48
Diversité et Identité Culturelle en Europe
TROUSSON, Raymond, 2008, « Synthèse », dans Vita Fortunati et Raymond
Trousson (coord.), Histoire transnationale de l'utopie littéraire et de
l'utopisme, Paris: Honoré Champion Éditeur.
TROUSSON, Raymond, 1974, « Utopie et roman utopique », Revue des
Sciences Humaines, 155, pp. 367-378.
TROUSSON, Raymond, 1983, Littérature comparée – L'utopie : notes prises
au cours de R. Trousson, Bruxelles: P.U.B.
TROUSSON, Raymond, 2003, Sciences, techniques et utopies. Du paradis à
l'enfer, Paris: L'Harmattan.
TROUSSON, Raymond, 1999, Voyages aux pays de nulle part : histoire
littéraire de la pensée utopique, troisième édition revue et augmentée,
Bruxelles: Éditions de l'Université de Bruxelles.
VUARNET, Jean-Noël, 1976, « Utopie et atopie », Littérature, n°21, pp. 3-9.
ZAMIATINE, Evguéni, 1920, Мы [Nous autres].
49
Diversité et Identité Culturelle en Europe
Jean-michel
Racault (1991)
OUI
OUI OUI
Lyman Tower
Sargent (1994)
OUI
OUI
OUI
« plausible »
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI OUI OUI OUI
OUI
Anne-Marie
Drouin-Hans
(2004)
OUI OUI OUI OUI
Corin Braga
(2006)
OUI
Francesco
Muzzioli (2015)
OUI
OUI
Thierry Paquot
(2018)
OUI
OUI
OUI
« plausible »
OUI
OUI OUI
Raymond
Trousson (1999)
OUI
« plausible »
N'existe pas ou relève de
l'irréalisable
Critique indirectement la
société de l'auteur
OUI
« plausible »
OUI
Introduite par un récit
NON
Son but est le bonheur de
tous ses membres
NON
Constitue un espace clos
Est située dans l'espace
Son organisation est justifiée
Fait l'objet d'une description
précise
OUI
Est située dans le temps
Emile Cioran
(1960)
Est une cité ou une ville
Constitue une société ou un
projet politique
Attributs/
Auteurs et années
Tableau 1 – Synthèse des définitions de l'utopie
OUI OUI
OUI OUI OUI
NON
NON
« métaphysique »« métaphysique »
OUI
OUI OUI
Tableau 1 – Le présent tableau reprend en abscisse les attributs essentiels
proposés par les définitions et en ordonnée les auteurs repris dans l'ordre
chronologique de publication. Les cases vides suggèrent que ces derniers ne se
sont pas positionnés sur l'attribut mentionné. Le cas échéant, les qualificatifs
exacts utilisés par les auteurs sont précisés à l'intérieur de la case
50
Diversité et Identité Culturelle en Europe
Raymond Ruyer (1950)
Jean Vuarnet (1976)
Uchronie
Hétérotopie
X
Atopie
X
Dystopie
Contre-utopie
Dérivés
Auteurs et années
Anti-utopie
Tableau 2 – Utilisation des dérivés de l'utopie par les auteurs
X
Jean Servier (1979)
X
X
C. Imbroscio (1986)
=
=
Gérard Raulet (1992)
=
=
X
Georges Jean (1994)
=
=
X
R. Trousson (1999)
X
=
Riot Sarcey (2002)
=
=
R. Trousson (2003)
X
A-M Drouin-Hans (2004)
Trousson Fortunati (2008)
X
X
=
=
=
X
=
X
X
X
X
X
X
=
=
X
X
Élaine Despres (2010)
X
X
X
X
Christian Godin (2010)
=
=
X
X
Kuon et Peylet (2013)
X
X
X
Dessy et Stiénon (2015)
=
X
=
Bronislaw Baczko et alii
(2016)
=
=
X
Thierry Paquot (2018)
X
X
X
Tableau 2 – Le présent tableau reprend en abscisse les termes dérivés de
l'utopie et en ordonnée les auteurs repris dans l'ordre chronologique de
publication. Les cases vides suggèrent que ces derniers ne se sont pas
positionnés sur le terme. Dans le cas contraire, un X est mentionné. Le signe
= apparaît lorsque l'auteur renvoie à une synonymie des termes.
51
Diversité et Identité Culturelle en Europe
Tableau 3 – Différenciation de l'utopie, l'anti-utopie et de la contre-utopie
ou dystopie
Utopie
Anti-utopie
Dystopie
Contre-utopie
1.1 Degré d'achèvement de la société idéale
présentée dans le livre
Semble
achevée
Au bord de
l'effondrement
Semble achevée
1.2 Rapport du personnage principal à la société
idéale présentée dans le livre
Envie
Déception /
Répulsion
Hostilité/Envie
1.3 Qualité du personnage principal vis-à-vis de
la société idéale présentée dans le livre
Visiteur /
Extérieur
Visiteur / Extérieur
Habitant
Quitte avec plaisir
N'arrive pas à quitter
Humainement
impossible
Faisable et en partie
déjà effectuée
Hostilité, doute et
ironie
Critique inquiète
d'une société
effrayante
Critères / Genres
Critères intradiégétiques
1.4 Résolution du lien entre la société idéale Quitte à regret
présentée dans le livre et le personnage principal
/ reste
Critères relatifs à l'auteur
2.1 Faisabilité d'une société utopique pour
l'auteur
Possible
2.2 Rapport de l'auteur à la société utopique de Souhait d'une
son livre
société
parfaite
2.3 Rapport de l'auteur à la société dans laquelle
il vit
Critique
Souhaite la
préserver
Critique
2.4 Situation temporelle de l'auteur vis-à-vis des
changements menant à la société utopique de son
livre
Passés,
ailleurs ou à
venir
Sont en germe dans
la volonté de
certains de ses
contemporains
Déjà présents
2.5 Procédé utilisé par l'auteur vis-à-vis des
changements menant à la société utopique de son
livre
Description
Inversion et
exagération
parodique
Amplification
maximale
Faire désirer
Moquer ou faire
douter
Mettre en garde
Critère relatif aux lecteurs
3. Utilité selon l'auteur de la présentation de la
société utopique du récit pour les lecteurs
Tableau 3 – Le présent tableau reprend en abscisse les critères dégagés à
partir de la revue de la littérature selon des données intradiégétiques,
relatives à l'auteur ou aux lecteurs.En ordonnée sont repris les concepts
proches abordés. Comme indiqué, nous avons maintenu la synonymie du
terme dystopie et contre-utopie.
52