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Compte rendu - Nicolas Bourguinat (dir.)

2015, Clio. Femmes, Genre, Histoire

Clio. Femmes, Genre, Histoire 41 | 2015 Le « socialisme réel » à l'épreuve du genre Nicolas BOURGUINAT (dir.), Voyageuses dans l’Europe des confins, XVIIIe-XXe siècles Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2014, 158 p. Delphine Diaz Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/clio/12600 DOI : 10.4000/clio.12600 ISSN : 1777-5299 Éditeur Belin Édition imprimée Date de publication : 10 juin 2015 Pagination : 333-333 ISBN : 9782701194318 ISSN : 1252-7017 Référence électronique Delphine Diaz, « Nicolas BOURGUINAT (dir.), Voyageuses dans l’Europe des confins, XVIIIe-XXe siècles », Clio. Femmes, Genre, Histoire [En ligne], 41 | 2015, mis en ligne le 15 juillet 2015, consulté le 25 novembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/clio/12600 ; DOI : https://doi.org/10.4000/clio. 12600 Ce document a été généré automatiquement le 25 novembre 2020. Tous droits réservés Nicolas Bourguinat (dir.), Voyageuses dans l’Europe des confins, xviiie-xxe s... Nicolas BOURGUINAT (dir.), Voyageuses dans l’Europe des confins, XVIIIe-XXe siècles Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2014, 158 p. Delphine Diaz RÉFÉRENCE Nicolas BOURGUINAT (dir.), Voyageuses dans l’Europe des confins, xviiie-xxe siècles, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2014, 158 p. 1 Placé sous la direction de Nicolas Bourguinat, le livre collectif Voyageuses dans l’Europe des confins, XVIIIe-XXe siècles rassemble plusieurs communications prononcées lors d’une journée d’études organisée à l’Université de Strasbourg en 2010. L’ouvrage permet de relier les travaux sur le voyage et la différence des sexes, deux thématiques de plus en plus associées dans l’historiographie depuis une trentaine d’années. Le livre se distingue d’abord par la diversité des espaces abordés par les voyageuses qui sont ici suivies dans leur périple : de ce point de vue, le pari « de ne pas privilégier une région géographique particulière, mais de décloisonner des domaines traditionnellement éloignés les uns des autres », s’avère réussi. Les études de cas réunies embrassent aussi bien les confins de l’Europe méridionale – non pas les étapes classiques du Grand Tour, mais les espaces insulaires, Sicile ou Baléares – que ceux de l’Europe du Nord, avec les régions privilégiées par le Northern Tour britannique – Écosse, Scandinavie, mais aussi Russie, souvent amalgamée par les Britanniques aux « pays du Nord » en raison de sa contiguïté avec la mer Baltique. En revanche, du point de vue des origines des voyageuses évoquées, on peut souligner la nette prépondérance des femmes britanniques (avec sept contributions sur neuf évoquant celles-ci). Cela s’explique par la chronologie propre à la mode du voyage féminin, plus précoce en Grande-Bretagne qu’ailleurs : alors que la pratique s’y est ouverte aux femmes dès les années 1770-1780, Clio. Femmes, Genre, Histoire, 41 | 2015 1 Nicolas Bourguinat (dir.), Voyageuses dans l’Europe des confins, xviiie-xxe s... il faut attendre les années 1820-1830 pour qu’il en soit de même en France ou dans les États allemands. L’intérêt de l’ouvrage est néanmoins d’embrasser l’itinéraire de voyageuses venues d’autres horizons : russe, pour Natalia Ogareva au milieu du XIXe siècle, ou encore américain, avec Martha Gellhorn, témoin privilégié de la guerre d’Espagne. 2 Les femmes qui prennent le parti de parcourir l’Europe des confins entre le XVIIIe et le XXe siècles n’encourent néanmoins pas les mêmes risques selon les époques et selon la configuration de leur voyage. Certaines d’entre elles, comme Mary Wollstonecraft partie en Scandinavie en 1795, ou Dorothy Wordsworth, en quête d’une Écosse romantique en 1803, sont accompagnées de leurs proches, en l’occurrence d’une mère pour la première et d’un frère pour la seconde. D’autres, plus audacieuses, comme Emily Loewe, font le choix d’explorer seules une frontière de l’Europe, comme la Sicile du milieu du XIXe siècle. Quant à la finalité du voyage, elle s’avère variable selon les femmes étudiées, et cette diversité répond à la large définition du « voyage » donnée dans l’introduction : simple voyage d’agrément ; déplacement à visée utilitaire et même économique, comme celui entrepris par les préceptrices françaises et anglaises à destination de la Russie, étudiées par Nicolas Bourguinat ; voyage « humanitaire » avant la lettre, comme celui de la journaliste française Louise Weiss qui part « aider les affamés de la Volga » en 1921. Le voyage peut même acquérir une dimension historique et politique, comme en témoigne le cas de la Britannique Rebecca West : celle-ci se rend entre 1935 et 1938 dans les Balkans et en tire un récit qui relie l’histoire de cette région à celle de l’Europe, tout en articulant étroitement son texte à l’agenda politique des autorités britanniques de l’époque. Les transformations subies par le voyage au cours de la période sont remises en perspective dans les contributions. La politisation de la pratique s’affirme nettement dans l’entre-deux-guerres (contributions d’Évelyne Winkler et de Maureen Mulligan). Mais elle change aussi de dimension, avec la massification connue par le phénomène au milieu du XXe siècle (article de José Ruiz Mas). Des Britanniques décrivent ainsi les mutations de l’île de Majorque, havre de paix transformé en station touristique bon marché, promettant « soleil, sexe et sangria » (p. 138) : tantôt pour déplorer l’effritement de la spiritualité autochtone, tantôt pour se réjouir, au contraire, de la libération sexuelle des Majorquines au contact des étrangers. 3 Au-delà de ce que les contributions disent de ces femmes itinérantes, les études réunies dans le volume éclairent la perception contrastée des paysages et des habitants rencontrés par les voyageuses au cours de leur périple. Si prévaut chez nombre de femmes britanniques un scenic tourism, consistant à prêter davantage attention au paysage qu’à ses habitants, Dorothy Wordsworth en Écosse s’en démarque, puisqu’elle s’intéresse aussi bien aux mœurs domestiques qu’à l’économie ménagère. De même, Emily Loewe, fille d’un juge aux Indes, émet un jugement acéré sur les mœurs siciliennes et relaie le stéréotype colonial de la laziness – la paresse des indigènes – en l’appliquant aux lazzaroni croisés sur son chemin. Le discours tenu par les préceptrices françaises et anglaises circulant dans la Russie du XIXe siècle s’avère généralement désenchanté sur la société russe et témoigne de la violence des rapports familiaux et conjugaux. La méfiance, ou même la condescendance manifestée par les voyageuses, ne sont néanmoins pas propres aux récits datant du XIXe siècle : dans les années 1930, les Britanniques Beckett qui voyagent en couple à Majorque portent un regard méprisant sur leurs employés de maisons, qu’ils considèrent comme maladroits et lents d’esprit. Clio. Femmes, Genre, Histoire, 41 | 2015 2 Nicolas Bourguinat (dir.), Voyageuses dans l’Europe des confins, xviiie-xxe s... 4 Tandis que la perception des habitants par les voyageuses est abondamment éclairée, le regard que les premiers portent sur les secondes l’est bien moins. De même, les conséquences que peut avoir la pratique du voyage pour ces femmes itinérantes, notamment du point de vue de leur émancipation sociale ou sexuelle, constituent un point relativement peu abordé dans l’ouvrage. À l’issue de la lecture, on peut aussi se demander s’il existe véritablement une « approche féminine de l’étranger », comme l’introduction en pose l’hypothèse, et si les récits rassemblés et comparés sont marqués par une écriture spécifiquement féminine du voyage. Cette dernière notion mérite aussi d’être interrogée : peut-on réellement qualifier de « voyageuse » la Britannique Louise Hamilton, qui épouse en 1880 un propriétaire sicilien et s’installe dans le village de Montedoro, ne le quittant que très brièvement par la suite de son existence (contribution de Giorgia Alù) ? Si l’éclairage donné sur la rencontre – sociale, mais aussi visuelle – de la photographe Louise Hamilton Caico avec les Siciliens est original, il aurait été intéressant d’en savoir plus sur son voyage d’expatriation. Malgré ces réserves mineures, l’ouvrage collectif Voyageuses dans l’Europe des confins apporte une précieuse contribution à l’histoire croisée du genre et du voyage, constamment confrontés à d’autres objets – l’écriture féminine, l’impérialisme, la naissance du journalisme et du reportage – qui peuvent s’avérer particulièrement riches pour leur compréhension. AUTEURS DELPHINE DIAZ Université de Reims Champagne-Ardenne Centre d’études et de recherche en histoire culturelle (CERHiC) Clio. Femmes, Genre, Histoire, 41 | 2015 3