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Journée Métal France 2023

2023, HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe)

Le corpus de sculptures en bronze et alliages de plomb présenté au jardin du Carrousel à Paris, géré par le Louvre, pose de sérieuses problématiques d'entretien liées à un public nombreux et varié. Soumises aux intempéries mais aussi aux contacts répétés des visiteurs, aux volatiles, au vandalisme volontaire comme à l'escalade innocente, les oeuvres présentent des usures de patine localisées et une consommation accélérée des protections de surface. Après presque quatre décennies de présentation et huit ans d'entretien par nos soins, nous nous proposons de faire un retour d'expérience sur les fréquences et méthodes de protection (cirage) adoptées et sur leur efficacité pour essayer de faire perdurer les patines originelles (« patines fondeur»), encore perceptibles. Résumé

Journée Métal France 2023 Lise Bastardoz, Antoine Amarger, Clémence Cauvin-Hardy, Marie Fays, Marine Bayle, Léa Freydefont, Catherine Didelot, Marie-Anne Loeper-Attia, Philippe Pagnon, Aymeric Raimon, et al. To cite this version: Lise Bastardoz, Antoine Amarger, Clémence Cauvin-Hardy, Marie Fays, Marine Bayle, et al.. Journée Métal France 2023 : Protection du patrimoine métallique Entre efficacité, réversibilité, esthétisme et illusions. Elodie Guilminot Arc’Antique, 2023. ฀hal-03981126฀ HAL Id: hal-03981126 https://hal.science/hal-03981126 Submitted on 9 Feb 2023 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. 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JOURNEE METAL FRANCE 2023 ICOM France 2023 Protection du patrimoine métallique Entre efficacité, réversibilité, esthétisme et illusions, © LRMH, 2015 Musee des Arts Decoratifs Lundi 16 janvier 2023 Organisation • Arc’Antique : Jane Echinard et Elodie Guilminot • MAD (Musee des Arts Decoratifs) : Catherine Didelot • Anne Genachte - Le Bail • Luc Robbiola • Cristina Chiavari PAGE 2 PAGE 3 Table des matieres Programme de la Journée Session 1 - Protection en extérieur – Cas d’étude Présentation 1 Lise Bastardoz, Diana Da Silva Entretien de sculptures métalliques en milieu agressif : le cas des Maillol du jardin du Louvre 5 11 Présentation 2 21 Antoine Amarger Étude préalable à la restauration du Monument aux combattants et défenseurs du Tarn et Garonne de 1870 par Bourdelle à Montauban pour le musée Ingres-Bourdelle Session 2 - Protection en extérieur – Étude et retour d’expérience Présentation 3 Aurelia Azema, Anne-Marie Geffroy Parer et protéger la fonte de fer : témoignages de la diversité des pratiques entre le XIXe et le XXe siècle 29 Présentation 4 41 Charlène Pelé Meziani, Gilles Baron, Elodie Guilminot, Loretta Rossetti L’exposition des objets du patrimoine de grandes dimensions : quand la protection devient le dernier rempart aux reprises de corrosion Présentation 5 Silvia Lob, Delphine Neff Protection des cuivres historiques par des sol-gels dopés par des acides carboxyliques Session 3 - Protection en intérieur Présentation 6 Marie Fays, Jean-Bernard Memet, Marine Crouzet, Paul Houssin Les défis de la protection de l’Espadon : seul sous-marin à flot visitable en France 51 61 Présentation 7 71 Géraldine Aubert, Annabelle Collinet Conservation des alliages de cuivre et des incrustations métalliques du département des arts de l’Islam, musée du Louvre—2010-2022 Présentation 8 Eve Paillaux, Florence Dussère, Édith Joseph Protéger le mobilier archéologique en alliage cuivreux à l’aide des champignons : une solution ? 81 PAGE 4 Table des matieres Session 4 - Protection en intérieur – Conservation Préventive Présentation 9 Louis Lecoubet, Anne Genachte-Le Bail, Aurélie Tournié, Monika Neuner Recherche d’un système pour la protection d’un tain à l’argent contre le ternissement : réflexion entre efficacité, impact matériel et visuel Présentation 10 Marie-Anne Loeper-Attia, Oulfa Belhadj, Jean Thomas Vié, Émeline Gouillart, Eliott Mestrallet Le Tyvek® et les métaux : toujours un bon choix ? 91 101 Présentation 11 107 Michaela Florescu, Stavroula Golfomitsou, Elyse Canosa, Mariateresa Pullano, Malin Borin, Eva Nygårds, Karin Hermerén Suivi de l’état de conservation des sculptures en métal et de leur environnement dans les musées d’art en Suède Session Posters Poster 1 Clémence Cauvin-Hardy, Charlotte Trigance, Anna Solon État des lieux de la passerelle métallique de l’ancien site ouvrier de Noisiel 122 Poster 2 Marine Bayle, Marie Fays, Philippe de Viviés Re-ternissement de l’argent post-nettoyage : étude de différents systèmes de protection 124 Poster 3 Léa Freydefont, Marie-Anne Loeper-Attia, Barbara Laik, Stéphane Crevat Le cyclodécane comme protection temporaire pour le traitement électrochimique d’un baiser de paix en argent et vermeil 126 Poster 4 Marie-Anne Loeper-Attia, Laura Caru, Catherine Didelot, Léa Freydefont Veille sanitaire sur les argents : un chantier-école de l’Inp au MAD 128 Poster 5 Philippe Pagnon Restauration de la statue équestre de Napoléon 1er pour la ville de Rouen 130 Poster 6 132 Aymeric Raimon, Lara Bonnin, Charlène Pelé-Meziani Recherche appliquée sur la chalconatronite : réflexions autour de la protection d’une corrosion mal connue Contacts Organisateurs 134 PAGE 5 Programme de la conférence Lundi 16 Janvier 2023 8:30-8:55 : Accueil des participants 9:00 : Introduction à la journée Session 1 : Protection en extérieur – Cas d’étude 9:05 Lise Bastardoz, Conservatrice-restauratrice, Indépendante Entretien de sculptures métalliques en milieu agressif : le cas des Maillol du jardin du Louvre 9:30 Antoine Amarger, Conservateur-restaurateur, Indépendant Étude préalable à la restauration du Monument aux combattants et défenseurs du Tarn et Garonne de 1870 par Bourdelle à Montauban pour le musée Ingres-Bourdelle Session Posters : Présentation Flash des Posters Poster 1 Clémence Cauvin-Hardy, Chargée de projets, Sherlock Patrimoine État des lieux de la passerelle métallique de l’ancien site ouvrier de Noisiel Poster 2 Marie Fays, Conservatrice-restauratrice, Marine Bayle, Ingénieure de Recherche, Philippe de Viviés, Conservateur-restaurateur, A-Corros Re-ternissement de l’argent post-nettoyage : étude de différents systèmes de protection Poster 3 Léa Freydefont, Conservatrice-restauratrice Conservation-restauration d’un baiser de paix en argent et vermeil, musée du Louvre - le cyclododécane comme protection temporaire Poster 4 Marie-Anne Loeper-Attia, Conservatrice-restauratrice, Cité de la Musique Veille sanitaire sur les argents : un chantier-école de l’Inp au MAD Poster 5 Philippe Pagnon, Fonderie Coubertin Restauration de la statue équestre de Napoléon 1er pour la ville de Rouen Poster 6 Aymeric Raimon, Conservateur-restaurateur, Laboratoire Arc’Antique Recherche appliquée sur la chalconatronite : réflexions autour de la protection d’une corrosion mal connue 10H30 – 11H00 Pause-Café autour des Posters Session 2 : Protection en extérieur – Étude et retour d’expérience 11:00 Aurelia Azema, Ingénieure de recherche, LRMH-CRC (UAR 3224), Anne-Marie Geffroy, Conservatricerestauratrice, EIRL ICARE METAL Parer et protéger la fonte de fer : témoignages de la diversité des pratiques entre le XIXe et le XXe siècle PAGE 6 11:25 Charlène Pelé Meziani, Ingénieure d’étude, Laboratoire Arc’Antique L’exposition des objets du patrimoine de grandes dimensions : quand la protection devient le dernier rempart aux reprises de corrosion 11:50 Silvia Lob, Post-Doctorante, LAPA, NIMBEIRAMAT Protection des cuivres historiques par des sol-gels dopés par des acides carboxyliques 12H15-13H55 : Pause Repas Session 3 : Protection en intérieur 14:00 Marie Fays, Conservatrice-restauratrice, A-Corros Les défis de la protection de l’Espadon : seul sous-marin à flot visitable en France 14:25 Géraldine Aubert, Conservatrice-restauratrice, Indépendante, Annabelle Collinet, Ingénieure de recherche, Musée du Louvre Conservation des alliages de cuivre et des incrustations métalliques du département des arts de l’Islam, musée du Louvre—2010-2022 14:50 Eve Paillaux, Conservatrice-restauratrice, CREAM Protéger le mobilier archéologique en alliage cuivreux à l’aide des champignons : une solution ? 15H15 – 15H45 Pause-Café autour des Posters Session 4 : Protection en intérieur – Conservation Préventive 15:45 Louis Lecoubet, Conservateur-restaurateur Recherche d’un système pour la protection d’un tain à l’argent contre le ternissement : réflexion entre efficacité, impact matériel et visuel 16:10 Marie-Anne Loeper-Attia, Conservatrice-restauratrice, Cité de la Musique Le Tyvek® et les métaux : toujours un bon choix ? 16:35 Michaela Florescu, Conservatrice-restauratrice, Moderna Museet, Stockholm, Suède Suivi de l’état de conservation des sculptures en métal et de leur environnement dans les musées d’art en Suède 17H00-17H15 : Discussion sur les protections et Bilan de la journée 17H30 - Clôture de la journée PAGE 7 Articles PAGE 8 PAGE 9 Session 1 Protection en exterieur – Cas d’etudes PAGE 10 Présentation 1 Lise Bastardoz et Diana Da Silva PAGE 11 ENTRETIEN DE SCULPTURES MÉTALLIQUES EN MILIEU AGRESSIF : LE CAS DES MAILLOL DU JARDIN DU LOUVRE Lise Bastardoz* Conservatrice-restauratrice indépendante L.bastardoz@gmail.com Diana Da Silva, Conservatrice-restauratrice indépendante atelier.dianadasilva@gmail.com * Autrice correspondante Résumé Le corpus de sculptures en bronze et alliages de plomb présenté au jardin du Carrousel à Paris, géré par le Louvre, pose de sérieuses problématiques d’entretien liées à un public nombreux et varié. Soumises aux intempéries mais aussi aux contacts répétés des visiteurs, aux volatiles, au vandalisme volontaire comme à l’escalade innocente, les œuvres présentent des usures de patine localisées et une consommation accélérée des protections de surface. Après presque quatre décennies de présentation et huit ans d’entretien par nos soins, nous nous proposons de faire un retour d’expérience sur les fréquences et méthodes de protection (cirage) adoptées et sur leur efficacité pour essayer de faire perdurer les patines originelles (« patines fondeur»), encore perceptibles. Mots clés Bronze, Plomb, Entretien, Extérieur, Vandalisme, Art public, Retour d’expérience Introduction Le jardin du Carrousel situé entre les ailes du Louvre à Paris présente depuis 1964-1965 une vingtaine de sculptures d’Aristide Maillol en bronze ou alliage de plomb, dans une disposition choisie par l’ayant droit de l’artiste, Dina Vierny. Les sculptures, placées sur des socles volontairement très bas et très étroits, émergent partiellement des topiaires favorisant un rapport intimiste avec les publics. Après plusieurs décennies, les impacts du contexte de présentation sont tangibles sur les œuvres. L’augmentation graduelle de la fréquentation du musée par un public qui poursuit bien souvent sa visite par ce jardin, et sa chute liée à la pandémie de 2020, ont eu un impact direct sur l’entretien des œuvres. Entre riverains qui utilisent les bases des sculptures pour s’asseoir et poser leurs effets personnels lors de leurs activités quotidiennes (pique-nique, yoga, promenade de chiens), scolaires jouant au ballon ou à chat perché, touristes en quête d’un cliché malicieux avec la tour Eiffel en arrière-plan, ce sont près de 8,3 millions de visiteurs en 2007 et 10,11 millions en 2018 qui ont sans doute profité de ce jardin. En 2020, seulement 2,7 millions de personnes auraient fréquenté le Louvre [1]. Présentation 1 Lise Bastardoz et Diana Da Silva PAGE 12 Problématiques de conservation-restauration Les œuvres sont en majorité des fontes posthumes réalisées en 1964-1965 par Georges Rudier et validées par Dina Vierny. Seules L’Action enchaînée et La Baigneuse à la draperie sont des fontes réalisées du vivant de Maillol ; La Douleur est une fonte Valsuani de 1965 ; la Jeune Fille allongée et la Pomone vêtue sont des fontes récentes ajoutées en 1995 [2]. Jusque dans les années 2000, le statut principalement décoratif attribué à ce corpus ainsi qu’une gestion déléguée aux ayants droit ont laissé libre champ à des repatines, dirigées par Dina Vierny, qui ne sont malheureusement ni documentées ni datées. Les surfaces présentent ainsi des « patines fondeur », le plus souvent d’un vert émeraude vif, très fines mais opaques, sur des surfaces lisses et des formes tendues pour les fontes base cuivre. Les fontes en alliage de plomb présentent également des patines homogènes et lisses. Ces mises en teintes ont été obtenues chimiquement et sont additionnées d’un revêtement de surface organique afin de les protéger et de les faire perdurer. Ces protections semblent s’apparenter à des cires naturelles directement appliquées et généreusement lustrées par le fondeur, dont le vieillissement se traduit par un jaunissement. Le corpus est donc d’aspect relativement homogène malgré des opérations ponctuelles non datées. Il a longtemps bénéficié d’un suivi basé sur des critères de goût, incluant des opérations de rénovation de surface fréquents, selon une approche conservatoire des sculptures en ellemême, en considérant patines et protections de surface comme pouvant être éliminées et recréées sans encombre. L’état actuel se traduit par la concomitance de zones bien conservées, où les patines intentionnelles persistent, et de zones d’usure de surface importantes où les pertes s’étendent jusqu’au modelé qui est atténué et où les teintes de surfaces sont différentes. Depuis 2014, le Département des Sculptures puis la Direction du Patrimoine Architectural et des Jardins du Louvre ont souhaité mettre en place un entretien régulier qu’il nous a été donné de calibrer en fonction des besoins. La prise en charge de l’entretien de la collection a tout d’abord débuté par l’identification des problématiques de conservation-restauration. En premier lieu, nous trouvons des problématiques caractéristiques des œuvres présentées dans un jardin urbain. L’usure et le vieillissement des revêtements, qui se traduit par des lacunes ponctuelles et un jaunissement léger généralisé, laissent peu à peu les « patines fondeurs » évoluer. La patine naturelle qui s’y développe présente des accumulations de dépôts minéralisés dans les zones protégées et la croissance de produits de corrosion pour les surfaces exposées aux intempéries [3]. Ce faciès d’altération (Figure 1) se traduit ici par un ternissement brun rouge des zones lessivées (sans doute des oxydes de cuivre) et des accumulations indurées de calcaire clair dans les zones protégées (à mettre en relation avec les poussières dégagées par le stabilisé des alléesmélange de sable et de chaux). L’absence de croissance de produits de corrosion verts classiques (principalement hydroxysulfates de cuivre) en contexte extérieur peut s’expliquer par une usure mécanique importante liée aux contacts répétés des visiteurs. Ainsi, les zones d’escalade (pieds, terrasses), les surfaces d’appui (cuisses) et les zones de contact privilégiées (hanches, poitrine, épaules) sont usées, de la protection de surface jusqu’au métal, du fait de contacts répétés. Les abrasions ne laissent la place qu’à la croissance d’un ternissement brun qui recouvre les modelés. Ce ternissement ne suffit pas à protéger la surface des fientes de volatiles qui créent des zones décapées localisées (Figure 2) et ne permet pas de rééquilibrer la résistance à la corrosion à l’échelle de la sculpture. De même, l’action chimique des dépôts organiques liés aux contacts des visiteurs influe également sur la croissance de ce film qui est donc usé mécaniquement et chimiquement et se renouvelle constamment, engendrant très progressivement une diminution d’épaisseur du métal. En parallèle de ces altérations générales, le fait que le jardin du Carrousel soit gratuit et soit le seul jardin ouvert de nuit dans Paris participe à la prolifération d’actes de vandalisme dont le paroxysme a été atteint en juin 2016 lors de l’Euro de football : outre une suraccumulation de déchets de pique-nique dans tout le jardin, nous avons constaté de nombreux tags peints ou graffitis (Figure 3), le plus souvent gravés dans les sculptures en plomb, une augmentation des impacts de projectiles type bouteilles en verre et capsules, ainsi que des dépôts alimentaires. Si ces traces sont parfois « bon enfant » et témoignent d’une appropriation des œuvres (maquillage, ajout de fausse pilosité (Figure 4) elles relèvent le plus souvent d’une volonté de détérioration manifeste (Figure 5). Présentation 1 Lise Bastardoz et Diana Da Silva PAGE 13 Figure 1. Usures de patine liées au temps et aux contacts des visiteurs marquées par une surface oxydée brune, Flore. © Lise Bastardoz 2015. Figure 2. Attaque chimique par les fientes de volatiles, Baigneuse se coiffant. © Lise Bastardoz 2022. Figure 3. Graffiti peint, L’Air. ©Emmanuelle Héran 2015. Présentation 1 Lise Bastardoz et Diana Da Silva PAGE 14 Politique d’entretien mise en place En réponse à la demande d’entretien des œuvres en 2014 et selon un budget déterminé, notre équipe (Diana Da Silva et Lise Bastardoz) a proposé quatre nettoyages par an qui consistaient en un dépoussiérage, un nettoyage aqueux et le retrait des dépôts variés. Le besoin de compléments de protection s’est assez vite révélé et a été ajouté à la prestation dès 2015 à la demande d’Emmanuelle Héran, conservatrice en chef, responsable des collections des jardins. Un budget d’intervention d’urgence, principalement utilisé pour le retrait de graffitis en moins de 48 heures, a également été provisionné et largement utilisé. Figure 4. Dépôts alimentaires volontaires, Trois Grâces. ©Lise Bastardoz 2021. Figure 5. Gravure dans une œuvre en plomb, L’Air. ©Lise Bastardoz 2021. En 2015, neuf passages par an ont pu être effectués avec une fréquence mensuelle à la pleine saison touristique et une fréquence allégée en hiver. Une campagne de protection par recirage complet des œuvres a été menée en juillet avec la mise en place de retouches dans les zones d’usure. Les revêtements organiques de surface ont ainsi été renforcés en juillet, après nettoyage approfondi par brossage aqueux, séchage au chiffon microfibre et chauffage naturel des œuvres au soleil. Une couche de cire microcristalline Cosmoloid H80 à 20% en poids, dans le whitespirit, a été appliquée au pinceau et lustrée à la brosse tampico sur toute la surface. La présence des protections initiales des fondeurs, la logistique limitée par le contexte du jardin et la possibilité d’entretien fréquent ont orienté notre protocole vers un cirage à froid. Les œuvres en alliage de plomb, qui forment une patine naturellement protectrice, ont été également intégrées au corpus à cirer après quelques retraits de graffitis ayant révélé la porosité et la sensibilité à l’abrasion de ces patines qui induisait la subsistance de fantômes après retrait des tags (Figure 6). L’ayant droit du sculpteur en a accepté le principe, malgré le fait que le plomb perde ainsi sa matité chère à Maillol. Présentation 1 Lise Bastardoz et Diana Da Silva PAGE 15 Figure 6. Fantôme de tag et rayures liées à l’escalade sur La Jeune Fille allongée. © Lise Bastardoz 2021. Pour les retouches, les Maimeri Restauro (résine mastic) ont été préférées aux cires pigmentées en raison de leur plus grande résistance mécanique. Elles ont été appliquées directement sur les surfaces pour une meilleure accroche. Or dès le mois suivant, les retouches étaient largement entamées dans les zones de contact, révélant ainsi une vitesse d’usure mécanique bien plus importante qu’attendue. En 2016, les neuf nettoyages par an ont été complétés par des recirages au cas par cas : toujours à l’aide de l’application de cire Cosmoloid H80 à 20% dans le white spirit, les œuvres bénéficient de compléments de protection ponctuels sur les zones d’usures (dessus des têtes, épaules, poitrine, hanches, pieds, terrasses) et, au besoin, de recirages complets. Guidées par la réactivité des surfaces lors du nettoyage, nos interventions des années suivantes se sont peu à peu orientées vers une fréquence régulière de recirage. Tandis que les bronzes sont recirés localement tous les deux mois en haute saison et complètement deux fois par an, les alliages de plomb ne font l’objet que d’un recirage complet par an et de rares recirages ponctuels. La nature de la patine des plombs semble en effet moins réactive aux attaques chimiques ou, du moins, laisse place à la croissance d’un film d’oxydes de teinte homogène et en correspondance avec l’aspect général de la surface. Malgré un changement d’équipe à partir de 2018 (départ de Diana Da Silva et remplacement par Manon Joubert), la continuité de cette politique d’intervention a été assurée jusqu’en 2022. Entre autres paramètres, les effets de la baisse de fréquentation du musée se sont répercutés directement sur les traitements puisque les besoins en termes de recirages complets ont diminué (un recirage par an sur bronzes et plombs au lieu de deux sur les bronzes) et les recirages ponctuels ont été largement espacés tout en conservant la fréquence d’entretien de base qui semble minimale pour limiter la progression des altérations. La mise en place de cet entretien régulier s’est avérée bénéfique pour les œuvres dans la mesure où elle a ralenti le phénomène d’usure sur les bronzes (Figures 7 et 8) ; mais la brillance des plombs cirés pose un indéniable problème esthétique par rapport à la volonté de l’ayant droit. Nous ne pouvons que constater des altérations irréversibles de la surface (perte de patine, usure des modelés et accidents ponctuels). De fait, un certain nombre de problématiques de long terme restent à traiter en adaptant l’entretien mais aussi en prenant des mesures de conservation préventive et en programmant des interventions fondamentales. Présentation 1 Lise Bastardoz et Diana Da Silva PAGE 16 Figure 7. La Nuit en 2014. ©Lise Bastardoz 2014. Figure 8. La Nuit en 2022. ©Lise Bastardoz 2022. Perspectives La conservation des patines sur les zones peu sollicitées et la prolongation de l’efficacité des protections organiques de surface mises en place par les fondeurs ne suffisent malheureusement pas à conserver et mettre en valeur les sculptures dans leur globalité. A l’heure actuelle, il reste à traiter les problématiques de dépôts calcaires, qui semblent s’être accentuées et à prévoir la gestion du vieillissement des protections qui peuvent faire l’objet d’interventions de conservation-restauration. La réfection progressive des sols-sables stabilisés du jardin, commencée en 2017, et les travaux de taille de pierre menés en 2020-2022 sur la terrasse des Tuileries sont sans doute à mettre en relation avec les dépôts calcaires grandissants observés. Une baisse des besoins en termes de protection sans doute liée, entre autres, à la baisse de fréquentation du jardin a été observée. Les budgets d’entretien peuvent donc être réorientés vers l’étude de solutions pour traiter ces problématiques de plus long terme. Enfin, ce programme ne saurait être pertinent sans une augmentation des mesures de conservation préventive, déjà mises en place, qui permettent d’intervenir sur le contexte de présentation et donc une prise en charge plus efficace des problématiques. L’association des conservateurs-restaurateurs à ces démarches a permis, nous l’espérons, de formuler des propositions abouties qui prennent en compte tant les besoins en conservation-restauration des œuvres que la réalité de ce jardin particulier. En parallèle, une réflexion sur les solutions de traitement des altérations irréversibles de surface, telles que la perte de patine, des enfoncements, des pertes de matière et des gravures, est menée par la conservation. Présentation 1 Lise Bastardoz et Diana Da Silva PAGE 17 Conservation-restauration à prévoir La présence de sol-sable stabilisé sur les allées du jardin crée une poussière calcaire qui recouvre les sculptures et se retrouve véhiculée par le vent, les eaux de pluie et d’arrosages. Des dépôts sous forme de gouttes blanches se forment ainsi sur les surfaces et des dépôts indurés ont lieu au pourtour des zones de rétention d’eau. Ce phénomène semble s’être accentué ces dernières années ce qui pourrait être mis en relation, entre autres, avec le vieillissement des protections qui deviennent plus poreuses, la nature du stabilisé et les travaux sur le bâtiment formant écrin au jardin. Ces dépôts sont adhérents et nécessitent une action mécanique importante et longue pour leur retrait qui est partiellement intégré à l’entretien depuis la baisse de fréquence des recirages. Il est à noter qu’à la prise en charge du corpus, des dépôts de longue date étaient déjà incrustés sur certaines œuvres et que leur élimination complète ne pouvait s’envisager sans porter atteinte aux protections en place. Ces dépôts prennent deux formes. Tout d’abord un voile léger se développe chaque mois, de manière homogène ou sous forme de traces de gouttes (Figure 9). Il peut être éliminé partiellement par abrasion douce, avec grande précaution pour limiter l’impact sur les surfaces sous-jacentes (brosses nylon dures, laines synthétiques douces et usées). Cette couche fine laisse place dans les zones de rétention d’eau, à des croûtes marquant le front des eaux stagnantes et de leurs phases d’évaporation (Figure 10). Ces dépôts peuvent être clivés à l’aide d’outils en bois ou en plastique lorsqu’ils s’installent en épaisseur. Sur les œuvres en alliage de plomb, la surface molle et la patine peu adhérente ne permettent pas leur retrait mécanique sans rayures. Des essais ont donc été réalisés à l’acide acétique à 10% et à l’acide sulfurique à 10%. De même, un essai de microgommage à la poudre de noyau d’abricot a été effectué. Seul l’acide sulfurique s’est révélé efficace couplé à une action mécanique mais chronophage et nécessitant un apport conséquent de solution, ce qui pose la question du rinçage dans un contexte où l’accès à l’eau est complexe. Une dissolution du métal et de la patine a lieu lors de ces travaux, bien que cette dernière soit reformée par l’action de l’acide sulfurique sous forme d’une couche stable et protectrice sur les alliages de plomb. Le microgommage s’est révélé plus efficace bien qu’irrégulier mais induit un décapage de surface du métal qui n’est pas sans conséquence sur la conservation du modelé. Ces solutions sont donc consommatrices de la matière des œuvres et ne peuvent être mises en place mensuellement, d’autant plus que les dépôts calcaires se réinstallent rapidement et sont visibles dès le mois suivant. Figure 10. Dépôts calcaires en concrétions, La Douleur. ©Lise Bastardoz 2015. Figure 9. Dépôts calcaires en forme de gouttes, Pomone drapée. ©Lise Bastardoz 2022. Présentation 1 Lise Bastardoz et Diana Da Silva PAGE 18 Les limites de notre politique d’entretien commencent également à se profiler. Les recirages fréquents laissent peu à peu apparaître des surépaisseurs de cire dans les zones abritées, en raison de la difficulté à cirer localement sans débordements et de l’application à froid qui pénètre moins dans la matière. En parallèle la perte de plasticité progressive des revêtements organiques mis en place par le fondeur donne lieu à la formation d’écaillages ponctuels depuis deux ans. La question d’une reprise fondamentale des protections se pose donc : elle permettrait d’éliminer les cires vieillies et les dépôts calcaires incrustés et de mettre en place une protection à chaud homogène, plus pérenne et efficace que les recirages à froid. Le protocole classique de nettoyage par projection d’abrasifs végétaux serait adapté aux bronzes mais pose question sur les plombs puisqu’il induit une perte de matière (dureté de l’abrasif supérieure à l’alliage soit 3,5 Mohs pour la poudre de noyau d’abricot). Des essais par cryogénie pourraient s’avérer pertinents pour conserver la surface de l’alliage (dureté 2 Mohs, action par choc thermique sur les cires), mais nécessitent des moyens plus conséquents. Ces opérations de renouvellement des protections sont à programmer à moyen terme. Dans ce contexte, la question d’un traitement fondamental des patines et du modelé a été posée par la conservation sur ce corpus aux finitions de surface bien identifiables. Or, si la création d’une nouvelle patine sur des fontes posthumes n’est pas déontologiquement gênante, elle l’est pour les œuvres dont la patine a été validée par l’artiste. Rénovations envisageables La question des lacunes importantes de patine dans les zones d’usure, mais aussi de la perte du modelé, voire de formes complètes, influe directement sur l’appréciation des œuvres. En effet, au fur et à mesure des contacts et agressions, la patine puis le métal sont peu à peu dissous et les reliefs sont adoucis. Les détails de surface sont ainsi effacés et la teinte uniforme de chaque œuvre disparaît au profit d’une bichromie verte et brune. Les impacts de projectiles qui ont parfois enfoncé, parfois déformé les surfaces, perturbent les formes tendues des œuvres et les rayures intentionnelles les ponctuent d’inscriptions parfois grossières. C’est donc la lisibilité même des sculptures qui est en jeu à moyen terme. L’essai de retouches s’est révélé inadapté au contexte de présentation et les solutions de bouchages par mastics de surfaces de rayures très fines ou d’impacts étendus sur surfaces lisses présentent les mêmes limites. Dans une optique de mise en exergue de la valeur esthétique de ces œuvres, la question d’une rénovation par un fondeur, d’une nouvelle patine, pourrait alors être envisagée. Il est à noter que cette politique résolument interventionniste relève bien de la rénovation puisqu’elle permettrait de remettre à neuf les œuvres dont les patines sont encore identifiables et les modelés connus par d’autres exemplaires, en recourant à des techniques de fabrication irréversibles, qui sortent ainsi clairement du champ déontologique d’intervention des conservateurs-restaurateurs. Dans le cas où la conservation adopterait cette politique, une documentation précise de l’état avant intervention, des méthodes et produits employés et de l’état après intervention seraient nécessaires à ces travaux sur des œuvres patrimoniales. Dès lors, le conservateur-restaurateur peut apporter ses compétences comme assistant à la maitrise d’œuvre en : - aidant à la rédaction d’un cahier des charges pour la consultation des fondeurs et artistes et en cernant les techniques de travail envisageables pour leur stabilité ; - déterminant le niveau utile de documentation des œuvres voire en réalisant une campagne de documentation avant et après traitement ; - participant au suivi des prestations. Mesures de conservation préventive Le suivi sur le long terme d’un corpus a également permis de pousser la réflexion sur le diagnostic des altérations jusqu’à une vision globale à l’échelle du jardin. Les dispositifs de présentation, la gestion de la faune et de la flore, la sécurisation et la surveillance du site et sa fréquentation sont autant de paramètres qui influent sur les altérations des œuvres. Plusieurs essais ont ainsi été menés par la conservation pour améliorer ce contexte et leurs effets ont pu être observés directement sur les œuvres. La documentation précise et datée des altérations des œuvres apportée par notre entretien permet également d’appuyer ces démarches d’amélioration du contexte de présentation des œuvres. Présentation 1 Lise Bastardoz et Diana Da Silva PAGE 19 A l’initiative d’Emmanuelle Héran, un premier essai de mise à distance végétale a été mené autour de deux œuvres particulièrement vandalisées : L’Air et La Rivière. Les statues sont protégées par des haies de deux types d’épineux différents et une mise à distance par piquets et cordelette. Ce dispositif a pris en compte le besoin d’entretien en mettant en place un passe-pied gravillonné de 60 cm de large, autour des socles, qui permet également de limiter la stagnation d’humidité liée aux végétaux au plus proche des œuvres. Ces essais se sont révélés efficaces pour limiter l’escalade des œuvres et les usures de patine. Toutefois, elles n’empêchent pas les jets de projectiles (Figure 11) et laissent plus de tranquillité aux volatiles pour se percher sur les œuvres. Ces démarches limitent les désordres créés par un public innocent sans pouvoir empêcher les actes de vandalisme volontaire. La sécurisation du site se poursuit donc aujourd’hui par les travaux de clôture du jardin qui devraient permettre de limiter le vandalisme nocturne. Un projet de refonte complète du jardin qui permettrait de positionner les œuvres au sein des pelouses, plus loin du stabilisé, et sur des socles-podiums en hauteur, avec mises à distances végétales conséquentes, est en cours de réflexion. Dans cette démarche, la consultation de notre équipe a permis d’affiner les questions pratiques quant à l’entretien et de valider les solutions envisagées du point de vue de la conservation des œuvres. Figure 11. Déformations liées à des projectiles, La Montagne ©Lise bastardoz 2015. Conclusion Cette collaboration entre la conservation et les conservateurs-restaurateurs témoigne d’une vision globale et d’un travail d’équipe efficace dans l’amélioration d’un contexte de présentation particulièrement difficile pour des œuvres patrimoniales. La connaissance sur le long terme d’un corpus, le dialogue fréquent sur toutes les dimensions du jardin et l’approche collaborative permettent ici de limiter les altérations bien plus que le seul entretien ne pourrait le faire. Présentation 1 Lise Bastardoz et Diana Da Silva PAGE 20 L’entretien fréquent de ces œuvres reste ici une base nécessaire à leur pérennité. Il permet de limiter l’étendue des altérations et de ralentir certains phénomènes, d’espacer les interventions fondamentales mais ne saurait régler toutes les problématiques. Sa définition a nécessité au moins un an d’observation et des réadaptations successives. Le contexte évoluant et les problématiques de long terme apparaissant peu à peu, il est en constante évolution. La documentation réalisée à cette occasion s’avère être un outil utile au montage de projets de conservation préventive qui sont intégrés à la réflexion pour une conservation optimisée des œuvres. Remerciements Emmanuelle Héran, conservatrice en chef, responsable des collections des jardins du musée du Louvre Tous les collègues qui sont intervenus ponctuellement sur le corpus, souvent en urgence, pour leur disponibilité et notamment Manon Joubert. Références [1] https://fr.statista.com/statistiques/490848/visiteurs-annuels-musee-du-louvre-france/, consulté le 25/06/2022 [2] Héran Emmanuelle, « Maillol au Carrousel. L'histoire mouvementée d'un jardin de sculptures », conférence donnée par Emmanuelle Héran le 7 avril 2022, Auditorium du Louvre, Paris. (Communication) [3] Robbiola Luc, Chiavari Cristina, Bernardi Elena, Bignozzi Maria Chiara, Martini Carla, General understanding of outdoor bronze corrosion, an overiew, Métal à ciel ouvert, 15ème journées d’étude de la SFIIC (2014), Paris, ICOMOS France- LRMH, pages 146-153, ISBN: 2-905430-18-4. Présentation 2 Antoine Amarger PAGE 21 ÉTUDE PRÉALABLE À LA RESTAURATION DU MONUMENT AUX COMBATTANTS ET DÉFENSEURS DU TARN ET GARONNE DE 1870 PAR BOURDELLE À MONTAUBAN POUR LE MUSÉE INGRES-BOURDELLE. Antoine Amarger Conservateur-restaurateur indépendant antoine.amarger@orange.fr / www.antoineamarger.com Résumé A travers l’exemple de l’étude préalable du Monument aux morts de 1870 par Bourdelle à Montauban (1902), l’importance de construire un projet de restauration en intégrant attentivement plusieurs disciplines est soulignée. Le croisement attentif entre la recherche documentaire, les analyses scientifiques et un examen technique circonstancié permet de préparer une intervention de restauration en adéquation avec les différents paramètres culturels en jeu. Le rôle du restaurateur est essentiel pour indiquer les questions historiques cruciales et pour focaliser les éventuelles analyses physico-chimiques sur des sujets en rapport avec les problématiques de la restauration. Dans le cadre d’une étude, il est par ailleurs souvent préférable de présenter les diverses solutions envisageables avant d’argumenter les raisons qui peuvent amener à privilégier telle ou telle option de traitement. Cet aspect pédagogique peut aider les décideurs à éviter les réflexes conditionnés, aussi bien rétrogrades que plus ou moins novateurs, en matière de restauration. Mots clés Statuaire monumental, Plein-air, Constat d’état, Méthodologie Présentation Le Monument aux morts de 1870 par Bourdelle à Montauban, érigé en 1902, est une œuvre importante pour ce sculpteur parce qu’il se situe dans sa ville natale et surtout parce qu’il lui a donné l’occasion d’élaborer plusieurs figures qu’il a ensuite largement déclinées individuellement (Figure 1). Il a constitué une sorte de matrice pour son œuvre, un peu à l’image de ce que la Porte de l’Enfer a été pour Rodin. Ce monument a été déplacé à plusieurs reprises pour faciliter la circulation automobile, syndrome fréquent des monuments commémoratifs érigés dans des contextes urbains. Et il a vraisemblablement fait l’objet de traitements de surface anciens, non documentés ou non retracés à ce jour. L’étude préalable à la restauration a été réalisée en 2021 à la demande du musée Ingres Bourdelle et financée par la municipalité de Montauban. Il s’agissait d’évaluer l’état de conservation de ce bronze, tant d’un point de vue structurel que d’un point de vue des états de surface, et d’établir des préconisations de traitement avec un calendrier et un budget estimatifs. L’examen du bronze s’est fait à partir d’une nacelle (Figure 2) avec dépose d’un fragment d’épée (réfection récente en résine) de façon à pouvoir préparer une réfection en bronze. La base en pierre et brique a été étudiée par Elise Rachez et Stéphane Moreau, restaurateurs de sculpture spécialisés dans ce domaine et domiciliés dans la région de Montauban. Présentation 2 Antoine Amarger PAGE 22 Figure 1. Vue générale du bronze de Bourdelle « Monument aux combattants et défenseurs du Tarn et Garonne, 1870 », érigé à Montauban en 1902. © A. Amarger Figure 2 : Examen de l’œuvre avec une nacelle – © A. Amarger Examen Structure Ce bronze a été coulé « au sable », en différents éléments séparés, réunis par des assemblages manchonnés et goujonnés, vers 1901 par la Société nationale des bronzes, fonderie Petermann à Bruxelles. Cette technique de fabrication était la plus courante à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle en Europe du nord dans un contexte de production statuaire à une échelle quasi industrielle. Aucun accès naturel ne permet dans ce cas d’observer l’intérieur du bronze et de préciser ainsi les détails techniques de la fabrication et surtout les éventuelles altérations. Il n’est par ailleurs pas possible, vu sa taille, de soulever partiellement ce groupe pour observer l’intérieur, comme on peut être amené à le faire sur des œuvres plus petites. L’analyse structurelle s’est donc faite à partir de ce que nous pouvions observer de l’extérieur et surtout en se référant à une œuvre similaire coulée par la même fonderie et à la même période. La signature du fondeur inscrite sur le bronze s’est en effet révélée dans ce cas très parlante, parce que son libellé particulier n’a été utilisé pour la même fonderie que pendant quelques années, entre deux autres libellés différents (Lebon, 2003). Nous avions analysé en 1999, l’exemplaire des Bourgeois de Calais par Rodin (1903) conservé au parc de Mariemont en Belgique qui porte exactement la même signature. Un Présentation 2 Antoine Amarger PAGE 23 levage partiel au cric hydraulique avait alors permis d’examiner le dessous et de constater le caractère très solide de la fabrication et la présence d’une boulonnerie complète en alliage cuivreux. Nous avons donc raisonnablement pu émettre l’hypothèse que le mode de fabrication du bronze de Bourdelle pouvait être très proche. Et cette hypothèse est rassurante, parce que nous évitons ainsi a priori le syndrome récurrent des bronzes de cette époque, à savoir l’usage d’une boulonnerie en acier sensible aux phénomènes de corrosion. L’enthousiasme soulevé par le formidable essor de la sidérurgie industrielle à la fin du XIXe siècle avait fait en effet quelque peu perdre de vue les phénomènes de corrosion galvanique entre métaux de potentiels différents, mieux pris en compte auparavant. Les altérations structurelles les plus évidentes sur ce bronze sont un élément manquant (l’extrémité d’une lame de sabre) et une déformation en partie haute du drapé (Figure 3), deux dommages vraisemblablement liés à un élingage maladroit lors des déplacements récents. Le drapé complexe en partie haute (« grande fleur de tourmente » pour Bourdelle) ne rendait pas, il est vrai cet exercice facile. Figure 3. Vue sommitale montrant au centre un joint ouvert sur le drapé. © A. Amarger Une caractérisation de l’alliage cuivreux a été réalisée par spectrométrie de fluorescence X portable. Il s’agit d’un alliage quaternaire (cuivre, étain, zinc, plomb) dans la droite ligne des productions françaises des XVIIe et XVIIIe. Cette analyse ne fournit pas dans ce cas de résultats directement exploitables en termes de restauration. Il n’est en particulier pas possible de déduire de la composition de l’alliage la possibilité ou non de redresser la déformation au niveau du drapé, parce que beaucoup d’autres paramètres peuvent intervenir. Mais c’est une information qui permet de constater que la composition du métal est cohérente sur l’ensemble d’un groupe qui est composé de nombreuses parties coulées séparément et elle peut nourrir les corpus existants d’analyses comparables. Surface D’un point de vue des états de surface, nous retrouvons l’aspect habituel des alliages cuivreux conservés longtemps sans protection en extérieur. A savoir une corrosion verte et des dépôts noirs, répartis principalement en fonction du ruissellement des eaux de pluie (Figure 4). Schématiquement, le soufre, longtemps principal polluant de l’atmosphère, présent sous la forme de divers composés, réagit avec le cuivre, principal composant de l’alliage, pour former sur la surface une couche de sulfates de cuivre verdâtres. Dans les zones régulièrement rincées par les eaux de pluie le métal s’érode et s’oxyde en vert. Dans les zones plus abritées, les divers dépôts de l’atmosphère non lessivées par la pluie, s’incrustent au travers de la corrosion et donnent une teinte noirâtre. Cette couche de corrosion Présentation 2 Antoine Amarger PAGE 24 lentement établie en relation avec son contexte environnemental est relativement stable. Et depuis quelques dizaines d’années, on tend en général à conserver l’aspect ancien globalement verdâtre moyennant des opérations de retouche et de protection. Auparavant les restaurations d’œuvre monumentale de ce type étaient confiées à des fonderies qui procédaient le plus souvent à des « remises à neuf » avec décapage complet jusqu’au métal nu, suivi de repatine chimique complète et d’une protection avec un vernis ou une cire. Ce traitement drastique est parfois nécessaire, mais la plupart du temps des solutions techniquement moins invasives et plus respectueuses du caractère ancien des œuvres sont préférables. Figure 4. Vue des états de surface – dépôts noirs et patine verte aux endroits de ruissellement des eaux de pluie. © A. Amarger Préconisations Une phase d’étude préalable ne peut pas remplacer l’inévitable phase expérimentale au début du travail de restauration (l’épreuve de la réalité). C’est pourquoi il est souvent un peu « hors-sol » de prévoir un protocole hyper détaillé, même si c’est un élément rassurant pour les institutions commanditaires. Il y a forcément un cadre général d’intervention, avec des paramètres techniques et déontologiques. Mais les travaux pratiques génèrent toujours des découvertes « sur le tas » qui peuvent grandement infléchir les préconisations initiales et amener à faire évoluer les traitements mis en œuvre, en concertation avec les autorités compétentes. D’où l’utilité de rappeler dans le cadre d’une étude que plusieurs solutions sont envisageables, tout en expliquant pourquoi, parmi ces différentes options, telle ou telle nous semble préférable. Structure Les préconisations structurelles consistent à approfondir autant que possible l’examen de l’intérieur du bronze, en espérant que l’accès à partir de l’échafaudage soit plus pratique que l’accès à la nacelle. La réfection de l’extrémité de la lame de sabre peut se faire d’après les photos anciennes existantes. Elle est proposée en alliage cuivreux pour des questions de durabilité et de compatibilité électrochimique avec le bronze avec un assemblage manchonné et vissé sur l’existant, dans l’esprit des assemblages d’origine. La déformation du drapé en partie haute fera l’objet d’une tentative de redressage à la sangle à cliquet. Pour la réfection en bronze comme il s’agit d’une fabrication en tôle épaisse et non pas d’un bronze coulé, on privilégie un alliage cuivreux standard, laiton en l’occurrence, pour faciliter la mise en forme, les soudures et les modifications sur site, par rapport à une recherche et emploi d’un alliage exactement semblable qui pourrait en théorie paraître souhaitable mais qui n’aurait pas vraiment de pertinence d’un point de vue technique. Même si l’alliage était exactement semblable, il y aurait un couple galvanique à cause de la différence des microstructures, liée à différents paramètres dont la vitesse de refroidissement du métal. Présentation 2 Antoine Amarger PAGE 25 Surface Le traitement de surface préconisé se décompose en trois phases : nettoyage, retouche et protection. Le nettoyage sera réalisé par projection d’abrasifs végétaux (poudre de noyaux d’abricot 200/300 microns) de façon à éliminer les divers dépôts et la couche pulvérulente de corrosion tout en conservant la couche verte sous-jacente plus cohérente. La retouche sera effectuée dans ce cas par repatine chimique (essentiellement solutions aqueuses de nitrate de cuivre) au-dessus de la corrosion existante, en alternant des phases de chauffe, d’application de réactifs et de rinçage. La protection consistera à appliquer au pinceau une couche de cire microcristalline, puis à la brosser. Conclusion C’est probablement dans les phases d’étude que l’on perçoit le mieux que l’activité du restaurateur se situe au carrefour de plusieurs disciplines, historique, scientifique et artistique. Et c’est le croisement attentif de ces différentes disciplines qui permet de construire un projet et éventuellement d’aboutir à une intervention cohérente avec son temps et avec son contexte. L’analyse documentaire peut gagner à se focaliser sur les problèmes techniques précis qui se posent au restaurateur (de quand date ce manque ou cette adjonction, comment l’environnement architectural a pu évoluer, quel évènement s’est déroulé ici, etc.). De même pour les analyses scientifiques, il est préférable que le restaurateur précise ses besoins pour éviter la tendance naturelle des laboratoires à préconiser des analyses qui correspondent plus à leur savoir-faire qu’aux nécessités du travail à réaliser. Et il n’est par ailleurs jamais inutile de rappeler que la mise en œuvre des travaux pratiques, par exemple le réglage d’un aspect de surface (couleur, tonalité, matité ou brillance, etc.) parfois considéré à tort comme une notion subjective ou aléatoire, peut présenter le même degré d’exigence et de précision qu’une équation mathématique. Référence Elisabeth Lebon, Dictionnaire des Fondeurs de bronze d’art (France 1890-1950), Marjon éditions, 2003. PAGE 26 PAGE 27 Session 2 Protection en exterieur – Etude et retour d’experience PAGE 28 Présentation 3 Aurelia Azema et Anne-Marie Geffroy PAGE 29 PARER ET PROTÉGER LA FONTE DE FER : TÉMOIGNAGES DE LA DIVERSITÉ DES PRATIQUES ENTRE LE XIXe ET LE XXe SIÈCLE Aurelia Azema* Ingénieure de Recherche, LRMH – Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques ; Centre de Recherche sur la Conservation (CRC, UAR 3224), Muséum National d’Histoire Naturelle, CNRS, Ministère de la Culture aurelia.azema@culture.gouv.fr Anne-Marie Geffroy* Conservatrice-restauratrice, EIRL ICARE METAL amgeffroy@yahoo.fr * Autrices correspondantes Résumé La fonte d’art connait un essor entre la seconde moitié du XIXe siècle et le début du XXe siècle. Elle est employée comme ornement ou comme structure, revêt souvent ces deux fonctions simultanément. Elle s’expose à l’intérieur mais aussi à l’extérieur des édifices, embellit les jardins. Ce métal est systématiquement revêtu, tant pour des raisons d’esthétisme que de protection mais aussi, parfois, pour donner l’illusion d’un matériau plus noble. La diversité des traitements de surface développés lors de cette période est attestée par les documents d’archives et est clairement constatée sur le terrain : peintures, revêtements métalliques (feuilles, dépôts électrolytiques, paillettes), patines. En complément des travaux présentés lors du colloque Métal à ciel ouvert en 2014, nous proposons, lors de cette communication, à travers une sélection d’œuvres et d’ouvrages, de témoigner de la diversité des pratiques de revêtements de ce métal entre le XIXe et le XXe siècle, redécouvertes lors de chantiers de restauration. Ces traitements, qui font illusion en masquant presque systématiquement la nature du métal sous-jacent, nous parviennent parfois intacts ou altérés. Cependant le plus souvent, ils sont recouverts par plusieurs couches attestant des changements de couleurs opérés à chaque réappropriation de l’œuvre au contexte culturel et historique depuis sa création. Ces connaissances acquises n’ont jusqu’à présent que peu (voire pas) fait l’objet d’une diffusion étendue auprès de la communauté des différents acteurs œuvrant à la conservation du patrimoine métallique. Seront abordés, notamment, à travers deux thèmes, celui des fontes de fer comme élément d’architecture et celui des sculptures en fonte, les exemples suivants : la rose et le baldaquin de l’église Saint-Augustin à Paris, la porte et les bénitiers de l’église Saint-Vincent de Paul, la fonte d’art du Chili, la sculpture de Sapho du musée des arts de Nantes, les monuments aux morts. Mots clés Fonte de fer, Pigment métallique, Cuivrage, Peinture, Protection Présentation 3 Aurelia Azema et Anne-Marie Geffroy PAGE 30 Introduction La fonte d’art connait un essor entre la seconde moitié du XIXe siècle et le début du XXe siècle dans les grandes réalisations architecturales et urbaines. Contribuant à la stabilité d’une structure et/ou de son ornementation, elle s’expose à l’intérieur mais aussi à l’extérieur des édifices, elle embellit les jardins. La fonte de fer est systématiquement revêtue, tant pour des raisons d’esthétisme que de protection mais aussi, parfois, pour donner l’illusion d’un matériau plus noble. La multitude de traitements de surface qui ont été développées et testés lors de cette période ont été à l’origine d’un foisonnement de couleurs : peintures, revêtements métalliques (feuilles, dépôts électrolytiques, paillettes), patines. Les interactions entre ces revêtements avec un environnement plus ou moins agressif, ainsi que les diverses interventions d’entretien nécessaires ont peu à peu masqué voire fait disparaitre le témoignage de cette polychromie jusque dans nos mémoires. Mais la diversité des documents d’archives tels que les photographies ou encore les manuels dédiés au revêtement des métaux attestent de leur existence. Les vestiges de ces revêtements sont progressivement mis au jour à l’occasion de restaurations. Cependant, se pose la question de la conservation de ces témoignages s’ils existent encore et surtout de leur restitution avec des matériaux conformes aux principes éthiques de la conservation-restauration (réversibilité, conservation ou restitution d’une esthétique la plus fidèle à la mémoire de l’œuvre) tout en ayant une durabilité maximale et répondant aux normes sanitaires en vigueur. Nous proposons dans cet article, à travers plusieurs exemples, de témoigner de la diversité des revêtements appliqués sur des œuvres en fonte de fer d’architecture ou de sculptures entre le XIXe et le XXe siècle dans la continuité des travaux présentés lors du colloque Métal à ciel ouvert en 2014 [1]. Les dépôts électrolytiques En plein essor de l’emploi de la fonte de fer d’art, face la faible durabilité des peintures appliquées et afin de diminuer le coût d’entretiens réguliers nécessaires des sculptures, le développement des revêtements métalliques par électrolyse au cours du XIXe siècle, et plus particulièrement le cuivrage, a permis de proposer des solutions alternatives de protection des sculptures en fonte monumentales, jusqu’à parfois faire perdre la mémoire du matériau constitutif de l’œuvre au profit d’un autre. Le cuivrage a été appliqué non seulement sur des réalisations neuves mais aussi sur des fontes plus anciennes comme solution durable de protection anti-corrosion de la fonte de fer. Ce fut le cas des fontaines des jardins des Champs-Elysées, on encore des fontaines de la Concorde. En effet, le cuivre possède une meilleure résistance à la corrosion que la fonte de fer. Cependant, l’efficacité de ce système est remise en cause dès lors que la couche de cuivre se fissure et permet l’infiltration d’eau à l’interface entre le cuivre et la fonte de fer. On se retrouve alors dans une configuration de corrosion galvanique qui accélère significativement l’altération de la fonte de fer. Les fontaines des jardins des Champs-Elysées, réalisées en 1840 (dessins de Jacques Hittorff, sculptures de Francisque Duret, Jean-Auguste Barre, fontes de fer par François Calla), ont été cuivrées par le procédé Oudry, à peine vingt ans plus tard. Dans le cadre de leur restauration prochaine, un examen de leur état de conservation a permis de constater que cette couche de cuivrage était toujours présente. Cette dernière est parfois masquée par un revêtement par peinture, dans un état de dégradation plus ou moins avancé selon les zones considérées (en contact ou non avec les eaux de ruissellement lors de la mise en fonction des fontaines), mais globalement bien préservée (Figure 1) [2]. Ce n’était pas le cas de la fontaine des mers ornant la place de la Concorde (Jacques Hittorff en 1840, fonderie Muel), également cuivrée une première fois un an après sa mise en place puis une seconde fois vingt ans après. Avec les années, la couche de cuivre s’est altérée, laissant passer l’eau au contact de la fonte. De plus, la mise en place de rivets en alliage cuivreux, a contribué à intensifier le phénomène de corrosion galvanique, jusqu’à une graphitisation de la fonte dans certaines zones (Figure 2) [3]. Le revêtement métallique a été complètement retiré lors de la restauration de 2000 pour être remplacé par un système de protection par peinture. Présentation 3 Aurelia Azema et Anne-Marie Geffroy PAGE 31 Figure 1. A gauche, cuivrage de la fontaine de la Grille du Coq, dans les jardins des Champs-Élysées ©LRMH 2022. Figure 2. Cuivrage de fontaine des mers de la place de la Concorde ; à gauche, sculpture avant restauration ; à droite, élément de sculpture décapé faisant apparaître les rivets en cuivre et les zones noires de graphitisation de la fonte de fer ©LRMH 2000. Présentation 3 Aurelia Azema et Anne-Marie Geffroy PAGE 32 Les pigments métalliques Les pigments métalliques sont constitués de particules ou paillettes de métal de dimension et de forme variables, dispersées dans un liant. L’effet optique créé est basé sur la réflexion de la lumière sur la surface lisse des paillettes à laquelle s’ajoute la diffusion de la lumière sur leurs bordures. Cet effet dépendra du diamètre de ces particules, de leur orientation, de leur forme et de leur répartition dans la couche picturale. L’église Saint-Augustin édifiée dans le 8e arrondissement de Paris (1871, sous la direction de l’architecte Victor Baltard) est un exemple de l’emploi de pigments métalliques sur de la fonte de fer, sur le mobilier conservé en intérieur mais aussi sur les éléments d’architectures donnant sur l’extérieur. La polychromie du baldaquin placé dans le chœur de l’église associe le vert, l’or et la couleur bronze. D’après les résultats des analyses réalisées en laboratoire à partir de coupes stratigraphiques (microscopie optique et MEBEDS), quelle que soit la couleur de surface considérée (hors dôme et intérieur du baldaquin), le traitement des couches inférieures est identique : la fonte a été revêtue d’une couche de minium de plomb (protection anticorrosion). La couche jaune appliquée par-dessus se compose de blanc de plomb (+ charge en grains de calcite) et d’ocre jaune. Une troisième couche, de couleur verte est un mélange de blanc de plomb, de barite et de terre verte. Ensuite, selon les zones considérées, cette couche verte est soit laissée libre, soit dorée à la feuille, soit recouverte d’une « bronzine » constituée de paillettes de laiton de forme grossière (diamètre : 0,2 mm en moyenne) dispersées dans un liant organique de type cire leur conférant un aspect brun-rougeâtre. Les paillettes de métal ne recouvrent que partiellement la couche verte sous-jacente. Elles ont été appliquées pour former des rehauts, donnant du relief à l’architecture du baldaquin (Figure 3) [4]. L’ensemble des surfaces de l’œuvre étaient dans un état de conservation très satisfaisant. Le protocole de restauration, essentiellement basé sur un nettoyage de l’ensemble, a été établi de manière à conserver totalement ce jeu de polychromie [5]. Figure 3. Description de la polychromie du baldaquin de l’église Saint-Augustin ©LRMH 2018. Présentation 3 Aurelia Azema et Anne-Marie Geffroy PAGE 33 Avant sa restauration en 2016, la rose de l’église Saint-Augustin, également en fonte de fer, apparaissait verte (Figure 4). Figure 4. Rose en fonte de fer de l’église Saint-Augustin, Paris, 8e arrondissement. L’état de surface était beaucoup plus altéré et la stratigraphie des couches beaucoup plus dense que sur le baldaquin. Contrairement à ce dernier, plusieurs remises en peinture, mettant notamment en œuvre des paillettes métalliques de cuivre et de la dorure ont été mises en évidence (Figure 5). Figure 5. Description des différents revêtements de la rose de l’église Saint-Augustin ©LRMH 2017. Présentation 3 Aurelia Azema et Anne-Marie Geffroy PAGE 34 Dans certaines zones, les paillettes sont présentes deux fois dans la stratigraphie : dans une couche à proximité de l’interface avec la fonte de fer et dans la dernière couche appliquée sur l’objet, c’est-à-dire à l’interface avec l’environnement extérieur. La couche en contact avec la fonte est présente sur tous les prélèvements réalisés. S’il s’agit du premier état de la rose, alors elle avait une seule teinte cuivrée qui a évolué, avec la corrosion du cuivre, vers le vert. Cet état est d’ailleurs représenté sur une carte postale colorisée de 1905, soit 36 ans après la construction de l’église (Figure 6, à gauche). Ensuite, cette première couche de paillettes de cuivre semble avoir été recouverte d’une peinture jaunâtre et d’une feuille d’or. Cependant, cette dernière n’est pas systématiquement observée, ce qui laisse penser que la dorure n’a été que partielle, sous forme de rehauts. Ensuite, un nouveau système de peinture a été appliqué : couche de minium de plomb puis peinture jaunâtre et, sur les décors en relief, à l’instar du dessin de V. Baltard (Figure 6, à droite) [6] ; la couche de paillettes de cuivre qui apparaît corrodée en 2011 (bleuvert) (Figure 4). Il n’existe malheureusement pas de documentation précise quant aux éventuelles interventions entre la création de la rose et 2016. Lors de sa récente restauration, le choix a été fait de redorer entièrement la rose. Figure 6. A gauche, carte postale colorisée, 1905. CC BY-NC-SA 2.0 ; à droite, élévation de la façade principale entre 1860 et 1871, Plume et encre, rehauts d'aquarelle et d'or par Victor Baltard, H. 60,1; L. 42,2 cm © RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay). Plusieurs ouvrages faisant partie de l’église de Saint-Vincent de Paul présentent également ces effets polychromes employant des revêtements métalliques. C’est le cas de la porte monumentale de l’entrée principale composée de motifs floraux qui encadrent plusieurs niches abritant les sculptures des Apôtres et du Christ (dessins de J. Hittorff, fondus par Calle en 1844, figures sculptées par J.-B. Farochon) [7]. Avant sa restauration en 2015, elle était recouverte d’une seule et même peinture de couleur verte similaire à celle de la rose de l’église Saint-Augustin. Les dé- Présentation 3 Aurelia Azema et Anne-Marie Geffroy PAGE 35 tails des décors étaient très atténués par la multiplicité des couches de revêtement sous-jacentes. En effet, une analyse stratigraphique a mis en évidence au moins dix couches de revêtement témoignant des repeints successifs. D’après les archives, la porte était polychrome : les sculptures de couleur bronze devaient ressortir sur le fond vert des battants. Le décapage et l’analyse des couches en contact avec la fonte l’ont confirmé, à la différence près que la couche de peinture des fonds apparaissait plutôt noire que verte (Figure 7 à gauche). Les sculptures étaient en effet recouvertes de cuivre, comme l’a révélé l’élimination des couches plus récentes, et comme cela a été confirmé par une analyse en spectrométrie de fluorescence X portable. Cependant, les prélèvements réalisés pour l’étude stratigraphique n’étaient pas suffisamment complets pour que la nature de la couche de cuivre puisse être caractérisée (paillettes, feuilles, cuivrage ?) (Figure 7 à droite). Enfin, si le programme de la restauration n’a pas été réorienté suite à ces découvertes, les travaux réalisés ont permis de retrouver les détails des décors de la porte et de mettre en valeur ses volumes. Figure 7. A gauche, porte principale de l’église Saint-Vincent de Paul, avant restauration, Paris ©Perdu ; à droite, statue de Saint Barthélemy dans sa niche, après décapage des couches de peinture ©LRMH 2015. L’usage des pigments métalliques a également été observé sur des sculptures en fonte de fer exposées au Chili. Il s’agit de sculptures d’importation française, provenant de la fonderie Val d’Osne principalement. Elles ornent parcs et monuments prestigieux de différentes villes du Chili. Une étude a été menée en 2005 sur ces ensembles. Des prélèvements stratigraphiques ont été effectués sur des sculptures exposées en extérieur et celles conservées en intérieur. Les sculptures exposées en extérieur sont recouvertes de multiples couches de peinture liées à des campagnes d’entretien régulières. Les couches les plus profondes ont mis en évidence la présence d’une couche de paillettes métalliques dans un liant (Figure 8). Une analyse sous MEB-EDS a permis de préciser la nature de ces paillettes : il s’agit soit d’un mélange de paillettes en cuivre et de paillettes en laiton (alliage cuivre-zinc), soit de paillettes de cuivre. Il est fort probable de ces couches profondes correspondent aux finitions originelles. Présentation 3 Aurelia Azema et Anne-Marie Geffroy PAGE 36 Figure 8. Détails de coupe stratigraphique de la fontaine de l’ex-congrès national, Santiago du Chili ; à gauche, microscope optique ; à droite, microscope électronique à balayage ©LRMH 2005. Les sculptures conservées en intérieur possèdent une très belle finition de surface imitant de façon remarquable un bronze patiné (Figure 9). Ces sculptures présentent un très bon état de conservation. Les examens stratigraphiques et analyses réalisées au MEB-EDS ont également démontré l’existence d’une couche de paillettes métalliques, de type cuivre, dans un liant organique [8, 9]. Dans le cas de ces fontes d’art, le but était clairement de donner l’illusion d’un matériau plus noble à savoir un bronze patiné. Avec ces couches de finition, on recherche à masquer le matériau sous-jacent, tout en le protégeant de la corrosion. De par leur nature physico-chimique, elles s’apparentent donc plus à des couches de peintures. Figure 9. Vues de la sculpture Saint Jean conservée dans la chapelle Mc Kenna, Cerro Santa Lucia, Santiago du Chili © Geffroy, 2005 Les revêtements par peintures L’emploi de peintures avec plusieurs couches dont une sous-couche anticorrosion reste le système de finition le plus répandu sur les fontes de fer et cela dès le XIXe siècle. Il permet à la fois de protéger la fonte de fer des phénomènes de corrosion et lui donner un aspect autre que le métal sous-jacent. Dans les exemples précédents la finition Présentation 3 Aurelia Azema et Anne-Marie Geffroy PAGE 37 recherchait à donner l’illusion d’un bronze. Au musée des arts de Nantes, sur une sculpture de Sapho d’Armand Auguste, datée de 1894, les finitions de fines couches de peinture recouvrant une sous couche de minium de plomb imitent l’aspect d’un autre métal de couleur grise (Figure 10). Le revêtement de surface, dans les zones non usées, suggère soit un argent patiné soit un plomb. Malheureusement lors de l’intervention de conservation-restauration aucune étude stratigraphique n’a été réalisée pour des raisons budgétaires et de délai. La nature chimique de ces couches n’est pas identifiée. Cependant visuellement il s’agit encore de donner l’illusion d’une surface métallique. Figure 10. Sapho devant Phaon, 1894, sculpture en fonte de fer peinte d’Armand Auguste, musée des arts, Nantes, © Geffroy. Dans d’autres cas, les couches de peinture sont blanches et l’effet recherché s’apparenterait plus à donner l’aspect de la pierre, de type calcaire. Lors de l’étude des sculptures du Chili, nous avons constaté que de nombreux ensembles de fonte fer étaient peints en blanc. Est-ce une volonté dès l’origine d’imiter un autre matériau plus prestigieux ou est-ce un choix pour faciliter l’entretien de ces sculptures ? En effet un ensemble de fontes de fer peintes en blanc avait été traité avant l’étude de 2005 (Figure 11). Elles avaient toutes été décapées avant remises en peinture et l’examen des coupes stratigraphiques dans des zones de recoin n’a pas permis de mettre en évidence de façon explicite la présence d’une autre finition (de type paillettes métalliques) ou d’une autre couleur que le blanc. Figure 11. Enfant au mouton, Diane, Faune à la flûte, parc Lota, Chili, © Geffroy 2005. Présentation 3 Aurelia Azema et Anne-Marie Geffroy PAGE 38 L’étude du revêtement d’une sculpture de Diane (fonderie J.J. Ducel, XIXe), exposée dans les jardins de La Lanterne à Versailles met également en lumière différents repeints. Chacune de ces interventions a complétement changé l’aspect de l’œuvre. En partant de la fonte qui est le support (du bas vers le haut sur le schéma de la figure 12), une couche de minium de plomb a d’abord été appliquée comme protection anti-corrosion. Elle a été recouverte d’une peinture d’aspect gris-bleu qui peut être considérée comme la couche d’origine. Elle correspond à un mélange de pigments (jaune de chrome et bleu de Prusse) que l’on peut associer à la dénomination « vert anglais » dont les teintes peuvent varier fortement entre le vert-jaune et le vert-bleu-gris. Cette couche bleue a ensuite été recouverte de deux couches de peinture blanche de natures différentes qui ne sont peut-être pas contemporaines. Estce une volonté de donner un aspect couleur marbre à la sculpture ? Enfin, la dernière couche est de couleur marron (Figure 12). Ces pigments de la première couche bleue sont plutôt stables. En conséquence, la couleur observée sous les couches ultérieures a probablement peu, voire pas évolué, et a été considérée comme celle d’origine. La restauration par les ateliers de restauration de la Fonderie de Coubertin a été orienté d’après ce résultat afin de restituer l’aspect d’origine de la sculpture [10]. Figure 12. Description des différents revêtements de la statue de Diane, jardins de La Lanterne, Versailles ©LRMH, 2022. Les sculptures en fonte de fer ont également été très employées pour la construction des monuments aux morts suite à la première guerre mondiale, dans les années 1920. En effet cela permettait de produire à bas coût et en série un modèle dont le client pouvait choisir la finition. Il n’est donc pas rare de voir le même modèle avec des couleurs de peintures très différentes et ne recherchant nécessairement pas à imiter un matériau plus noble. Parfois même les sculptures sont polychromes afin de redonner chair à ces soldats morts pour la France (Figure 13). Présentation 3 Aurelia Azema et Anne-Marie Geffroy PAGE 39 Figure 13. Saint Chabrais (Creuse)© Geffroy, Rouvray sur Audry (Ardennes) © Casier. Conclusion Les fontes de fer qu’elles soient éléments d’architecture, mobiliers urbains ou sculptures sont systématiquement, et cela dès l’origine, revêtues. Les techniques et matériaux de protection appliqués dès la fabrication sont multiples : ils ne répondent pas forcément à la même intention esthétique d’une part et ne confèrent pas la même durabilité de protection contre la corrosion d’autre part. Les campagnes d’entretien, traditionnellement par l’application d’une nouvelle couche de peinture, masquent parfois la finition originale, quand cette dernière n’a pas été complétement éliminée. Il est donc primordial, avant un traitement de restauration de ces œuvres, de mettre en place une étude stratigraphique afin de mieux comprendre leur finition, et de rechercher d’éventuelles traces de couches profondes. En effet, ce travail peut contribuer à mettre en lumière soit la technique de revêtement employée soit l’intention esthétique recherchée par le commanditaire de l’œuvre. Ces études permettent ainsi de mieux appréhender l’élément décoratif et d’orienter le traitement de conservation – restauration dans le respect de l’intention d’origine, sans oublier l’aspect sanitaire. En effet, la présence de minium de plomb, comme revêtement anti-corrosion intermédiaire, a été pendant longtemps la technique traditionnellement employée sur les matériaux ferreux peints. L’étude préalable doit donc intégrer également un diagnostic plomb pour aider à l’élaboration du cahier des charges des travaux futurs. Remerciements L’ensemble des travaux illustrant le propos de notre article a été réalisé à l’occasion de chantiers de restauration. Nous remercions l’ensemble des maîtrises d’œuvre et d’ouvrage qui étaient en charge de ces interventions. Nous remercions également l’ensemble des acteurs intervenus dans le cadre de la coopération franco-chilienne pour la conservation-restauration des sculptures publiques du Chili (entre octobre 2005 et mars 2006) : Pascale Mauny, le Consejo de monumentos nacionales Chili, la fondation Carnot. Enfin un grand merci à Annick Texier qui a été un moteur et un pilier pour l’ensemble de ces études. Présentation 3 Aurelia Azema et Anne-Marie Geffroy PAGE 40 Références [1] Texier A., La couleur de la fonte : entre esthétisme et protection, In : Métal à ciel ouvert. La sculpture métallique d'extérieur du XIXe au début du XXe siècle : identification, conservation, restauration (2014), 15es journées d'étude de la SFIIC, 4-5 décembre 2014, Paris Aurélia Azéma, Annick Texier, eds, p. 43-53. [2] Azéma A., Ensemble de fontaines du jardin des Champs-Elysées, Paris 8e, FD-2022-249741, note LRMH, (2022). [3] Texier A., La restauration de la fontaine des Mers place de la Concorde, Paris, 2001, In : Monumental, Jardins historiques, Direction du patrimoine, (2001), p. 144-145. [4] Azéma A., Église Saint-Augustin. Baldaquin et torchères du chœur. Identification des revêtements polychromes sur métal, Paris, 8e, R1442A, rapport LRMH (2018). [5] Perdu B., Enclos central du chœur rehaussé sur la crypte. Baldaquin central. Fonte de fer peinte, doré et rehaussé de polychromie. Eglise Saint-Augustin – Paris 8ème, rapport d’intervention (2018). [6] Texier A., Azéma A., Eglise Saint-Augustin. Etude des revêtements de surface de la rose, Paris, 8e, FD160284, rapport LRMH (2017). [7] Perdu B., Imbert N., Dumery L., Volant J. Portes monumentales principales en fonte de fer. Eglise saint Vincentde-Paul – Paris 10e, rapport d’intervention – 2e version, (2015). [8] Geffroy A.-M., Texier A., 2006, Les fontes d’art au Chili : historique, études et analyses stratigraphiques », in Journées de la section française du groupe Métal d’ICOM-CC, 28 et 29 septembre 2006, Paris, (2006), conservationrestauration des biens culturels, cahier technique n°17, p. 37-40. [9] Texier A., Geffroy A.-M., Les traitements de finition sur la fonte d’art aux XIXe et XXe siècles, état des recherches, In Monumental, semestriel 2 (2010), éditions du patrimoine, Paris, p. 112-113. [10] Azéma A., Etude des revêtements de surface d’une sculpture de Diane à la biche de la fonderie J.J. Ducel exposée dans les jardins du pavillon de la Lanterne, Versailles, FD2022, note LRMH, (2022). Présentation 4 Charlène Pelé Meziani et al. PAGE 41 L’EXPOSITION DES OBJETS DU PATRIMOINE DE GRANDES DIMENSIONS : QUAND LA PROTECTION DEVIENT LE DERNIER REMPART AUX REPRISES DE CORROSION. RETOURS D’EXPÉRIENCE SUR LES TESTS MENÉS AVEC DES PROTECTIONS MINÉRALES ET BIOLOGIQUES. Charlène Pelé-Meziani* Ingénieure d’étude, Arc’Antique Charlene.Pele-Meziani@loire-atlantique.fr Gilles Baron, Responsable du Patrimoine sous-marin, Arc’Antique Gilles.Baron@loire-atlantique.fr Elodie Guilminot, Ingénieure de recherche, Arc’Antique Elodie.Guilminot@Loire-Atlantique.fr Loretta Rossetti, Conservatrice-restauratrice, Arc’Antique Loretta.Rossetti@Loire-Atlantique.fr * Autrice correspondante Résumé La stabilisation des objets archéologiques sous-marins est une étape capitale du traitement de conservationrestauration. Cependant la présence de sels résiduels, la dimension des objets et les conditions d’exposition font de la protection un élément essentiel pour la préservation de ce mobilier. De nombreux objets issus du patrimoine sous-marin sont de grandes dimensions et généralement réexposés en extérieur (front de mer, place communale, remparts…). Les conservateurs-restaurateurs œuvrent de longs mois pour assurer la stabilisation des objets ferreux ou cuivreux. L’étape finale reste la protection de ces objets afin de limiter les reprises de corrosion et ainsi de sécuriser leur valorisation lorsqu’ils seront exposés. La notion d’efficacité, de faisabilité et d’impact environnemental prend tout son sens dans le choix de la protection. Cette intervention a pour objectif de présenter les essais menés au laboratoire Arc’Antique avec plusieurs protections de composition minérale ou biologique, appliquées respectivement sur les alliages ferreux ou cuivreux, ainsi que les retours d’expérience des conservateurs-restaurateurs. Bien que les choix des protections aient été portés par des critères objectifs (possibilité d’application, coût, résistance à des conditions extrêmes, pollution, réversibilité), leur mise en application repose toujours sur la conviction des conservateurs-restaurateurs en termes de résultats visuels et esthétiques. Mots clés Protections, Patrimoine, Cuivreux, Ferreux, Applications, Retours d’expérience Présentation 4 Charlène Pelé Meziani et al. PAGE 42 Introduction Épaves et cargaisons ont depuis de nombreuses années fait l’objet de fouilles sous-marines. Leur découverte a amené nombres d’objets à être excavés. Ces objets (canons, ancres, boulets…) se doivent d’être traités dès leur découverte afin d’éviter leur destruction. En effet, ces objets, bien que fragilisés par leur enfouissement, ont pendant des années établi un équilibre avec leur milieu. Cet équilibre leur assure la survie. Mais lors de leur excavation, ce dernier est rompu et un cycle de dégradation physico-chimique s’enclenche pouvant entrainer leur ruine. Le protocole de traitement réalisé à Arc’Antique comprend cinq phases [1] : le dégangage, la stabilisation, le rinçage, la restauration et la protection. Ce texte se focalise sur cette dernière étape. En effet, bien que stabilisés, les objets de grandes dimensions sont généralement voués à être exposés dans un environnement non contrôlé parfois agressif comme les fronts de mer ou sur les ports. C’est là que l’étape de la protection prend toute son importance : limiter les reprises de corrosion dues aux embruns ou aux sels résiduels qui seraient réactivés par un environnement agressif (Figure 1). Figure 1. Canon traité par Arc’Antique en 1998, protégé par des couches de résines polyuréthane et époxyde, exposé à proximité de l’océan Atlantique sur l’île d’Oléron. Depuis près de 30 ans, Arc’Antique a eu l’opportunité de traiter nombre d’objets issus du patrimoine sous-marin, à savoir canons, ancres, pièces d’artillerie diverses en alliages cuivreux et ferreux. Les protections appliquées ont évidemment évolué au cours des années. D’abord via les retours d’expérience, puis via les recherches publiées, le choix des protections s’est vite confronté à diverses contraintes spécifiques aux objets de grandes dimensions. En effet, le compromis efficacité et praticité est ici évident. Cas des objets archéologiques ferreux En 2008, le laboratoire Arc’Antique décide de réaliser un constat d’état sur une dizaine d’objets ferreux afin d’évaluer l’évolution des objets et de leur protection [2,3]. Plusieurs protections avaient été appliquées à l’époque selon les dates de traitement. Globalement, tous les canons ont présenté des reprises de corrosion. Ceux qui en présentaient le moins avaient subi une application à chaud de cire (canons exposés à Gétigné et aux Sables d’Olonne), ou avaient été protégés par un mélange graisseux (mélange de graisse et d’huile de vidange) exposés dans un environnement agressif à Fort La Latte. En revanche, les protections dites multicouches (de type époxy 20/20®, polyuréthane) (canons exposés à Carantec et à l’île d’Oléron) se sont révélées peu efficaces, les canons présentaient de nombreuses reprises de corrosion et ce, malgré l’intervention de certains dépositaires pour tenter de réappliquer certaines protections au cours des années. Présentation 4 Charlène Pelé Meziani et al. PAGE 43 Figure 2. Comparaison des protections, agencées selon leur efficacité - du moins efficace (en bas) au plus efficace (en haut). Ce constat d’état avait pour but d’initier une étude plus approfondie afin de déterminer un protocole de « protection » optimal à travers des tests réalisés sur un même corpus exposé dans les mêmes conditions (un environnement agressif) avec les protections concernées (Figure 2). Le corpus sélectionné concerne des plaques d’acier industriel ainsi que des objets archéologiques provenant du milieu marin comme boulets, boulets ramés, mis à disposition par le Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines - DRASSM (Figure 3a). Ces objets ont été exposés entre 2008 et 2012 sur une plateforme du port de Saint-Nazaire (Figure 3b). Figure 3. (a) Objets exposés après avoir été protégés. (b) Plateforme du port de Saint-Nazaire avec les objets exposés. Mais qu’est-ce qu’une protection efficace ? Cette question est importante car elle conditionne les critères à observer pour discriminer les protections entre elles. Mais l’efficacité est-elle le seul critère important de l’étude ? Les retours d’expériences sont ici intéressants car illustrent de façon évidente l’inclusion d’autres contraintes : opératoires, environnementales, esthétiques, financières et celles répondant aux règles d’hygiène et de sécurité. Celles-ci conditionnent indirectement le choix des protections qui n’est donc pas basé uniquement sur les reprises ou non de corrosion. Tous ces critères ont été inclus dans une étude menée en 2012 par le laboratoire Arc’Antique et chaque protection a été évaluée dans sa globalité : expérimentation et retour d’expérience, mise en œuvre, durée de la protection, aspect esthétique, entretien ou renouvellement et respect de la déontologie. Vingt critères d’évaluation notés de 1 (insatisfaisant) à 5 (très satisfaisant) avec des coefficients entre 1 et 2 selon leur importance particulière ont été définis (Figure 4). Le croisement de l’évaluation des critères fait ressortir le « Mélange Fort La Latte » (mélange d’huile de vidange et graisse de moteur usagée), comme le traitement globalement le plus satisfaisant (Figure 5). Ce mélange est facilement renouvelable et améliore considérablement la protection des fers forgés. Malheureusement cette solution reste salissante pendant plusieurs semaines après son application, ce qui représente une contrainte de taille lorsque les objets sont accessibles au public. De plus la question de la toxicité du composant à base d’huile de vidange est rédhibitoire (présence de métaux lourds, dérivés dégradés de produits pétroliers etc.). Présentation 4 Charlène Pelé Meziani et al. PAGE 44 Figure 4. Liste des critères utilisés pour l’évaluation par pondération des protections. Figure 5. Boulet protégé par le mélange « Fort La Latte » avant (à gauche) et après 7 mois d’exposition (à droite). Dans le cas des canons protégés par la cire (en extérieur à Gétigné et sous abri aux Sables d’Olonne), le lieu d’exposition n’était pas le plus agressif. Mais les tests réalisés au port de Saint Nazaire confirment la qualité des protections associant cire et agent passivant (mélange 10%v acide tannique / 36%v acide orthophosphorique / 54%v éthanol) (Figure 6). Le principal inconvénient de cette protection est son application fastidieuse (cire appliquée à chaud), ce qui implique des coûts fonctionnels élevés ainsi qu’un savoir-faire ne permettant pas au dépositaire de réaliser lui-même l’entretien. Par ailleurs, les bons résultats obtenus sur les fontes ne se confirment pas entièrement sur les fers forgés : les reprises de corrosion apparaissent beaucoup plus rapidement sur les fers forgés. Figure 6. Boulet ramé protégé par la cire microcristalline avec et sans agent passivant, avant (à gauche) et après 7 mois d’exposition (à droite). Présentation 4 Charlène Pelé Meziani et al. PAGE 45 Enfin, les solutions multicouches sont intéressantes mais pour être efficaces, doivent être appliquées sur des surfaces métalliques, avec un métal mis à nu, ce qui n’est pas possible pour beaucoup des objets en fonte de fer traités. Leur faible adhérence sur les produits de corrosion entraine un écaillage rapide de la surface lors de la manutention du canon, au contact du public et avec les intempéries. Des reprises de corrosion localisée sont donc rapidement constatées. De plus, le renouvellement de cette protection est contraignant car normalement nécessite l’élimination de l’ancienne protection, des conditions climatiques adéquates, le séchage de l’objet pour l’application de la nouvelle protection. Il faut aussi noter que l’élimination des anciennes protections entraine une altération de la surface de l’objet. Enfin, l’aspect esthétique de l’objet n’est pas toujours adapté (aspect brillant, voir « plastique ») (Figure 7). Figure 7. Boulet ramé protégé par le polyuréthane avec et sans carboxylate (acide laurique 30g/l dans 50-50%v eau-éthanol) avant et après 7 mois d’exposition. Le bilan de ces travaux n’a montré qu’aucune solution n’était vraiment satisfaisante. Les conclusions les plus raisonnables seraient de privilégier une exposition dans un environnement protégé et contrôlé. Ceci semble objectivement illusoire au regard de la taille des objets concernés et des places disponibles dans les zones dépositaires, à quelques exceptions près. Pourtant, nous devons répondre à des demandes de traitement. Même si aucune solution « idéale » ne s’en est dégagée, il est toutefois possible d’envisager, en détails, les avantages et les inconvénients de chaque traitement, permettant ainsi un choix adapté aux contraintes du dépositaire de l’objet. Cas des objets archéologiques cuivreux Au même titre que les canons en fer issus du milieu marin, les canons en bronze, même après stabilisation, sont sensibles aux reprises de corrosion. Des protections sont donc appliquées pour limiter ces reprises, mais ce n’est pas leur seul rôle. En effet, le point de vue esthétique est ici un critère essentiel dans le choix de la protection. Le phénomène de corrosion des alliages cuivreux conduit à la formation d’une couche de produits de corrosion du cuivre communément appelée patine qui va donner à l’objet sa couleur caractéristique. Les attentes font que cette couche et sa couleur soient maintenues ou recouvrées d’abord pour des raisons esthétiques. Application du nitrate de cuivre, à chaud. La patine dite chimique est ici obtenue par application à la surface d’une solution de nitrate de cuivre, nitrate de fer et dichromate de potassium (environ 10% en masse dans l’eau). Cette patine a été appliquée par le laboratoire Arc’Antique sur plusieurs canons dont celui en bronze découvert au large de Bidart en 1979 (référence Arc’Antique : 2015434) (Figure 8). Présentation 4 Charlène Pelé Meziani et al. PAGE 46 Figure 8. Canon en bronze découvert au large de Bidart en 1979, avant restauration. Figure 9. Canon en alliage cuivreux découvert au large de Bidart en 1979 – photos avant restauration (à gauche) et après restauration, avec l’application de la patine chimique (à droite). Les applications ont été réalisées par aspersion et au pinceau à chaud. Aucun moyen logistique spécifique n’est nécessaire, excepté pour la manutention de l’objet. Son application est considérée par les collègues comme relativement aisée. En revanche, ce produit est un puissant comburant, corrosif et dangereux pour l’environnement ce qui oblige de se munir d’équipements de protections individuelles. Les résultats ont été considérés satisfaisants avec l’objectif atteint en termes d’aspect de surface. Sur la nouvelle patine chimique on pose une couche de cire, qui va être renouvelée périodiquement (maintenance). En plus d’apporter une protection complémentaire à la patine, la cire permet d’uniformiser l’aspect et d’apporter de la profondeur aux détails et de la brillance (Figure 9). Présentation 4 Charlène Pelé Meziani et al. PAGE 47 Retours d’expérience pour l’utilisation de la méthode alternative : la biopatine Un canon en bronze découvert au large de Dieppe (Arsenal de Brest) présent au laboratoire Arc’Antique en 2014 montrait d’importantes dépôts de corrosion ferreuse à sa surface, provenant des tiges utilisées pour sa fabrication ou d’objets environnants. Ces zones étaient considérées comme gênantes pour la lisibilité de l’objet. Il a donc été demandé de les atténuer. L’application de la patine chimique n’a malheureusement pas atteint l’objectif escompté (Figure 10). Figure 10. Photos d’une partie du canon avant (à gauche) et après (à droite) application de la patine chimique. Figure 11. Application du gel chargée de souches fongiques et mise en place du film microperforé sur le canon en bronze. Il a été donc décidé de tester une nouvelle méthode basée sur l’utilisation de souches fongiques, qui depuis quelques années, donnait des résultats prometteurs sur des sculptures en plein air. La biopatine (résultat de l’application de composés fongiques sur les alliages cuivreux) permet la stabilisation du processus de corrosion des objets en alliages cuivreux tout en limitant la variation chromatique. L’application de ces souches à la surface de l’objet donne lieu à la formation d’une couche d’oxalate de cuivre, stable chimiquement et insoluble [4]. Le laboratoire Arc’Antique a eu la possibilité de tester ce traitement sur quatre types d’objets archéologiques : un canon en alliage cuivreux récupéré au large de Dieppe par la Marine Nationale, un fragment en bronze provenant d’une statue de l’art Khmer et deux monnaies. Les conservateurs-restaurateurs en charge des objets ont été accompagnés par Edith Joseph et Lidia Mathys pour les premières applications. Bien que la préparation du gel avec les souches fongiques nécessite une rigueur pour éviter toute contamination biologique externe, son application sur les objets reste relativement simple. Après un nettoyage à l’éthanol 70% de la surface à traiter, le gel est appliqué sur une épaisseur allant de 0,5 à 1 cm. Un film microperforé est ensuite appliqué tout autour de l’objet, qui est lui-même placé dans une caisse dont l’environnement doit être proche des 100%RH (Figure 11). Le développement des champignons est visible et permet un contrôle simple de leur réactivité avec la surface de l’objet (Figure 12). À la fin du traitement, le gel est simplement retiré puis jeté sans contrainte spécifique. L’objet quant à lui nécessite un rinçage en surface avec un brossage et un mélange d’eau-éthanol à 70%. Dans le cas du canon, aucune évolution esthétique n’a été observée (Figure 13). D’abord, nous avons pensé à l’inefficacité du traitement, malgré un développement très net des champignons (sauf sur les parties ferreuses). Il a donc été nécessaire de compléter cette observation avec des analyses physico-chimiques par spectroscopie infrarouge qui ont confirmé la présence d’oxalate de cuivre. En revanche, pour les « petits » objets (monnaies et fragments de statue), nous avons pu noter un léger voile laiteux en surface. L’observation sous binoculaire, notamment pour le fragment de statue, a mis en évidence la présence de restes de gel mal rincés qui donnaient cet aspect blanchâtre à la surface. Après un rinçage efficace, la surface ne présentait pas de modifications significatives en termes de couleur. Ici aussi, les analyses physicochimiques ont complété les observations visuelles, validant la présence d’oxalates de cuivre. Présentation 4 Charlène Pelé Meziani et al. PAGE 48 Figure 13. Zoom sur une partie du canon, avant et après application du gel chargée de souches fongiques. Figure 12. Évolution des champignons à la surface du canon après 10 jours. La biopatine s’est révélé être une alternative efficace et qui n’affecte pas la couleur des produits de corrosion superficiels. En revanche, elle ne permet pas de recouvrir des zones tachées (par exemple par les oxydes de fer) et d’uniformiser l’aspect des surfaces, comme peut le faire une patine artificielle et aussi une couche de protection telle qu’un vernis ou une cire. Se pose la question de son application sur des statues archéologiques de grandes dimensions. En effet, nous avons remarqué que le rinçage du gel doit se faire de façon énergique, pour éliminer tous les résidus. Sur des surfaces très irrégulières et plutôt fragiles, le rinçage efficace s’avère dangereux pour l’objet. La biopatine est alors difficilement utilisable sur une statue archéologique présentant une surface fragile. Conclusion D’après ces retours d’expérience, ce que nous pouvons noter est l’équilibre entre l’efficacité et l’esthétisme d’une protection que l’on doit obtenir pour chaque protocole proposé. Aucune protection ne satisfait pleinement les restaurateurs-conservateurs parce que les critères évalués sont nombreux et contraignants (l’objet, les attentes du commissionnant, les conditions environnementales de travail, d’exposition…). Pourtant, pour chaque objet et chaque traitement, cet équilibre est discuté et généralement atteint par la validation par un consortium conscient des compromis impliqués. La discussion des choix de protection est une étape évidente mais incontournable pour rendre compte des contraintes et des objectifs à atteindre. Remerciements Les auteurs souhaitent remercier tous les étudiants pour avoir participé à ces recherches : Kana Osato, Maud Sichet et Wilfried Raimondi. Antoine Amarger, Edith Joseph et Lidia Mathys sont respectivement remerciés pour leur accompagnement dans les applications sur les alliages cuivreux de la patine chimique et des souches fongiques pour la formation de la biopatine. Les auteurs expriment aussi toute leur gratitude au DRASSM pour leur avoir mis à disposition des objets pour cette étude et le port de Saint Nazaire pour leur avoir permis d’utiliser leur plateforme pour exposer ces objets. Présentation 4 Charlène Pelé Meziani et al. PAGE 49 Références [1] Guilminot E., Baron G., Memet J.B., Huet N., Le Noc E., Roze J.P. (2007) "Electrolytic treatment of archaeological marine chloride impregnated iron objects by remote control" in Metal 07, proceedings of the International ICOMCC Metal WG conference, Amsterdam (Netherland), Eds Rijksmuseum Amsterdam, September 2007, Vol 3, p. 3843. [2] Gilles Baron, Elodie Guilminot, Charlène Pelé. « Du fond des mers au front de mer : itinéraire des canons ». ARAAFU, 2012, actes du colloque Journées des Restaurateurs en Archéologie, Cahier Technique n°21, CRBC, p. 1621. [3] Gilles Baron, Elodie Guilminot, Nathalie Huet, Marine Jaouen, Charlène Pelé, Christine Riquier-Bouclet. « Restoration – Conservation of a cannon in France: From ocean depths to public display, after treatment in a restoration workshop ». 2016. Journal of the Ordnance Society 24, p. 73-94. [4] Joseph E., Emmanuelle Domon Beuret, Lidia Mathys, Lucrezia Comensoli, Laura Brambilla, Monica Albini, Christian Cevey, Régis Bertholon, Pilar Junier. « Biopatines : des champignons au service des alliages cuivreux ». ARAAFU, 15 février 2018, actes du colloque Journées des Restaurateurs en Archéologie, Cahier Technique n°27, CRBC, p. 115122. PAGE 50 Présentation 5 Silvia Lob et Delphine Neff PAGE 51 PROTECTION DES CUIVRES HISTORIQUES PAR DES SOL-GELS DOPÉS PAR DES ACIDES CARBOXYLIQUES Silvia lob* Post-Doctorante, LAPA, NIMBE-IRAMAT, CEA/CNRS/U Paris Saclay, France silvia.lob@cea.fr Delphine Neff, Ingénieure de recherche, LAPA, NIMBE-IRAMAT, CEA/CNRS/U Paris Saclay, France delphine.neff@cea.fr * Autrice correspondante Résumé Dans le cadre de la protection de cuivre historique présentant une couche de produits de corrosion, un revêtement sol-gel dopé en acide carboxylique a été appliqué. Il est montré que le gel de type siloxane et l’acide pénètrent dans la couche de brochantite jusqu’à l’interface avec la cuprite en fond de couche. De plus la précipitation de carboxylates de cuivre confère aux échantillons traités un caractère hydrophobe protecteur. Mots clés Cuivre, Inhibition, Sol-gels, Acides carboxyliques Introduction Afin de limiter les interactions entre le métal et l’environnement et de préserver la couche de produits de corrosion (CPC) de l’œuvre, les restaurateurs utilisent des traitements de protection généralement à base de composés organiques (cires microcristallines, BTA) qu’ils appliquent à la surface de l’objet. Ces traitements peuvent présenter le désavantage d’une tenue limitée dans le temps, et l’emploi de certains produits toxiques pour l’utilisateur comme pour l’environnement. Au cours de ces dernières décennies, des recherches se sont penchées sur l’étude de nouveaux traitements pour les métaux du patrimoine, qui soient respectueux des contraintes liées à la conservation restauration mais aussi plus respectueux de l’environnement et plus durables dans le temps. Les travaux de Grayburn et al. de 2014 sur l’acide myristique (C14) pour l’inhibition de la corrosion d’objets en plomb en conditions atmosphériques [1], ou encore ceux de S. Hollner al. de 2010 sur les carboxylates de sodium NaC10 et NaC14 pour la protections des objets en fer, ont montré l’efficacité des composés carboxylates à longue chaîne pour la protection de métaux du patrimoine notamment par la mise en œuvre de mesures d’impédance évaluatives de l’inhibition de la corrosion [2]. Plus particulièrement dans le cadre de la protection du cuivre en conditions atmosphériques, Rocca et al. ont conduit une étude en 2001, portant sur l’évaluation du carboxylate de sodium NaC7 à pH 8 appliqué au cas du cuivre, dans laquelle les propriétés inhibitrices de la corrosion des carboxylates a été mise en évidence [3]. Dans le cadre du cuivre pour le patrimoine, Apchain a étudié l’effet protecteur de l’acide décanoïque (C10) et de façon complémentaire aux travaux de Rocca et al., démontré l’importance de la pénétration de l’acide dans la couche de produits de corrosion du cuivre pour obtenir un effet protecteur renforcé [4]. Ces composés carboxylates peuvent dans le cas des longues chaînes comprenant 10 atomes de carbone et plus, présenter le désavantage de modifier la couleur de la couche de produits de corrosion à dominance verte vers une nuance bleue dans le cas d’une immersion de plusieurs heures, ce qui va à l’encontre des prérequis de la conservation restaura- Présentation 5 Silvia Lob et Delphine Neff PAGE 52 tion [5,6]. Par ailleurs, en parallèle à ces travaux, d’autres études se sont penchées sur les revêtements sol-gels et leurs apports pour la protection du patrimoine métallique. C’est notamment le cas des travaux d’E. Joseph et al., menés dans le cadre du projet EUARTECH (2004-2009), où des revêtements sol-gels à base de matrice orthosilicatée fonctionnalisée par des groupements hydrophobes mercapto- et fluoro-, ont été utilisés pour la protection de cuivres corrodés en condition atmosphérique [7]. Par des analyses d’électrochimie et des mesures d’impédance, l’étude a mis en évidence l’effet inhibiteur de la corrosion de ces revêtements après 8 mois d’exposition en extérieur de coupons de cuivre traités, montrant ainsi l’intérêt de l’emploi de ce type de matériau pour la protection du patrimoine métallique exposé en extérieur. Toutefois, les composés per-fluorés ont été reconnus comme composés organiques persistants (POPs) par la convention internationale de Stockholm en 2019 (Règlement REACH 1907/2006 - https://echa.europa.eu/fr/hot-topics/perfluoroalkyl-chemicals-pfas) et les dérivés de groupes mercapto- font eux partie des composés organiques volatils (COVs), qui ont des effets très néfastes sur la santé (https://www.anses.fr/fr/content/%C3%A9missions-de-compos%C3%A9s-organiques-volatils-cov-par-les-produitsde-construction-et-de). C’est pourquoi l’étude présentée ici a pour objectif de développer un nouveau traitement pour la protection des couches de produits de corrosion des cuivres purs et alliés, qui exploite ces propriétés protectrices obtenues par les acides carboxyliques à longue chaîne et par les revêtements sol-gels à base orthosilicatée, tout en palliant les problématiques de la modification de couleur et de la toxicité du matériau. Le matériau recherché est conçu pour être facilement applicable, respectueux de l’esthétique de l’œuvre, résistant sur plusieurs années et apportant une meilleure protection que les traitements traditionnels employés pour les œuvres du patrimoine métallique. L’enjeu est in fine de pouvoir proposer un traitement alternatif pour la protection du patrimoine cuivreux exposé en extérieur, soumis à la corrosion atmosphérique. C’est ce qui est étudié dans cette nouvelle approche, associant les propriétés inhibitrices de corrosion des carboxylates et de la tenue sur le long terme des revêtements sol-gels dans une formulation mixte d’un revêtement sol-gel dopé en acide carboxylique à longue chaîne. La molécule choisie dans le cadre de l’étude présentée pour réaliser le traitement de protection est un acide carboxylique dérivé d’acide gras extrait d’huiles végétales, l’acide décanoïque (HC10). C’est un composé qui a été examiné au cours des travaux de thèse d’Emilande Apchain au LAPA et dont l’efficacité par immersion a été étudiée [4]. Pour le revêtement sol-gel, le choix est porté sur une matrice orthosilicatée d’orthosilicate de tétraméthyle (TMOS). C’est un composé qui jusqu’à présent a principalement été utilisé pour la protection des métaux contre la corrosion dans un contexte industriel [8 - 10], mais qui présente une simplicité de mise en œuvre et une adaptabilité à de multiples substrats, dont les cuivres corrodés comme étudiés dans ce travail. Résultats et discussion Afin d’évaluer l’efficacité du traitement en HC10 par voie sol-gel, l’application du traitement a été effectuée sur des coupons de toiture historique représentatifs de la corrosion sur le long terme, et comparée à une application du HC10 par immersion de 2h en solution. L’application par voie sol-gel a été réalisée par un procédé de trempage en solution (dip-coating), permettant l’obtention d’un revêtement très fin et homogène sur la surface traitée. Le dipcoating a été effectué en un ou deux trempages (-1d et -2d) d’après le procédé suivant : un trempage d’une minute dans le sol-gel liquide suivi d’un séchage dans la chambre de dip-coating de 10 minutes et pour les -2d, un second trempage après les 10 premières minutes de séchage, de 1 minute, suivi d’un nouveau séchage de 10 minutes dans la chambre de dip-coating. L’application par immersion a été réalisée dans une solution contenant l’acide HC10 à 30 g/L dans un mélange eau (pure) : acétone (SigmaAldrich) à 50:50 v/v (soit 0,553:0,447 en fraction molaire). La concentration d’acide carboxylique HC10 a été ajustée à la concentration limite de dissolution dans le mélange eau:acétone 50:50 v/v. Les analyses Raman conduites sur les coupes transversales des coupons historiques traités par immersion en HC10 et par voie sol-gel TMOS dopé en HC10 en un et deux trempages (-1d et -2d) ont permis de mettre en évidence la pénétration du traitement HC10 dans la couche de produits de corrosion en fonction de la méthode d’application (immersion versus voie sol-gel). Présentation 5 Silvia Lob et Delphine Neff PAGE 53 Les Figure 1 et Figure 2 présentent les cartographies Raman (accompagnées de l’image au microscope optique correspondante) ainsi que les spectres Raman caractéristiques associés aux différentes phases identifiées dans le cas du coupon traité par HC10 en immersion. Les phases recherchées dans la couche de produits de corrosion sont : la brochantite, la cuprite, l’acide HC10 et l’acide complexé, le décanoate de cuivre (CuC10). L’ensemble des pics caractéristiques de ces différents composés sont répertoriés dans la thèse de Silvia Lob [11]. Figure 1. cartographies Raman de la brochantite et de la cuprite dans la coupe transversale du coupon traité avec HC10 appliqué par immersion; images présentées avec l’image MO correspondante à l’échelle 10 µm. Figure 2. spectres Raman normalisés des phases considérées dans la cartographie de la coupe transversale du coupon traité avec HC10 appliqué par immersion (spectres B et C) comparés aux spectres de référence normalisés de la brochantite et de la cuprite. L’analyse Raman du coupon traité par immersion en HC10 (Figure 1) révèle la présence de deux couches, une de cuprite (en rouge) à l’interface avec le métal, et une de brochantite (en vert) dans la partie supérieure de la coupe. Ces couches sont caractéristiques des produits de corrosion des cuivres anciens corrodés [12] [13] et sont identifiées suivant les spectres C (cuprite) et B (brochantite) présentés dans la Figure 2. L’acide HC10 ou encore le complexe CuC10 ne sont pas observés. L’acide utilisé pour le traitement des coupons n’est pas détecté dans la profondeur de la couche de produits de corrosion, qu’il soit sous forme acide ou complexée. Toutefois, des analyses de surface conduites sur ce même coupon ont mis en évidence la présence de ces composés HC10 et CuC10 (caractérisations MEB-EDS et spectroscopie Raman) ainsi que leur effet protecteur en terme d’hydrophobicité de Présentation 5 Silvia Lob et Delphine Neff PAGE 54 surface et d’inhibition de la corrosion (mesures d’angle de contact et mesures électrochimiques de potentiel (OCP), cf thèses Silvia Lob et Erika Ferrari [11] [14]). Le spectre Raman caractéristique de cette surface est représenté en Figure 3 ci-dessous. Figure 3. spectres Raman normalisés de la surface du coupon traité avec HC10 appliqué par immersion (spectre 1), comparé aux spectres de référence normalisés de la brochantite (●), l’acide décanoïque HC10 (▫) et du décanoate de cuivre CuC10 (▪). Le spectre 1 montre bien la présence des bandes vibrationnelles caractéristiques des composés carboxylés, attribués suivant les travaux de Génin (2001), Doyle (2000) et Pereira (2006) [15][16][17], à 598 et 609 cm -1 (liaison COO), à 896 cm-1 (liaison C-C), à 1061, 1436 et 1445 cm-1 (déformation et élongation des CH3) puis à 1297 cm-1 (liaison C-O) et le massif à 2850-3000 cm-1 (liaisons CH3 et CH2). Les pics caractéristiques des carboxylates de cuivre sont observés à 208, 236 et 290 cm-1 pour la déformation de la liaison O-Cu-O, et à 369 cm-1 pour l’élongation O-CuO (valeurs pour le CuC10). Ces données ont ensuite été comparées aux résultats obtenus dans le cas du traitement HC10 appliqué par voie sol -gel. Comme pour le traitement HC10 en immersion, des analyses de surface (MEB-EDS et spectroscopie Raman) conduites antérieurement sur les coupons traités TC10-1d et TC10-2d ont mis en évidence la présence des composés HC10 et CuC10 à leur surface, de même que leur effet protecteur en terme d’hydrophobicité de surface [11]. Par ailleurs la Figure 4 présente les cartographies Raman (accompagnées de leur image au microscope optique correspondante) associées aux différentes phases identifiées dans le cas des coupons traités par dip-coating -1d et -2d dans le sol TMOS dopé en HC10 (TC10-1d et TC10-2d). Comme précédemment dans le cadre de l’étude du coupon traité par immersion en HC10, les phases et espèces recherchées dans la couche de produits de corrosion sont : la brochantite, la cuprite, l’acide HC10 et l’acide complexé CuC10, auxquels s’ajoute le TMOS, propre au traitement sol-gel employé dans le traitement étudié. Présentation 5 Silvia Lob et Delphine Neff PAGE 55 Figure 4. cartographies Raman de la brochantite et cuprite, et de la répartition du TMOS et du mélange HC10/CuC10 dans les coupes transversales des coupons traités TC10-1d (haut) et TC10-2d (bas); images présentées avec les images MO correspondantes à l’échelle 10µm. D’après la Figure 4, pour les deux applications (-1d et -2d) les distributions du TMOS et celle du mélange HC10/ CuC10 sont identiques et ces deux composés sont distribués dans la totalité de la brochantite jusqu’à l’interface avec la cuprite. Dans le cas du coupon TC10-2d, ces phases, TMOS et mélange HC10/CuC10, semblent plus concentrées dans la partie externe de la CPC (Couche des Produits de Corrosion) et à l’interface cuprite/brochantite en fond de couche de produits de corrosion. Les Figure 5 et Figure 6 ci-dessous présentent les spectres Raman caractéristiques associés aux différentes phases identifiées dans les coupes transversales et correspondant aux cartographies présentées pour les coupons TC10-1d et TC10-2d. Figure 5. spectre Raman normalisé correspondant à la phase TMOS détectée dans la cartographie des coupes transversales des coupons traités TC10-1d et TC10-2d (spectre 2) et comparé aux spectres de référence normalisés de la brochantite (●), du TMOS (*) et de l’acide décanoïque HC10 (▫). Présentation 5 Silvia Lob et Delphine Neff PAGE 56 Sur la Figure 5, le spectre 2 correspond au TMOS, identifié par la présence des bandes caractéristiques à 490 cm-1, 810 cm-1, 978 et 1012 cm-1, du doublet à 1451 et 1462 cm-1 et des massifs à 2850 et 2954-2995 cm-1 qui correspondent, respectivement, aux vibrations des liaisons Si-O-Si, au déplacement du Si dans sa cage tétraédrique, aux liaisons Si-OH puis Si-CH2 et enfin aux liaisons CH3 et CH2. L’attribution de ces bandes a été faite d’après les travaux de Sassi et de Robinet [18, 19]. Il est aussi intéressant de noter que la détection du TMOS, s’accompagne de la détection de certains marqueurs de l’acide HC10. Le spectre 2 présente en effet des pics caractéristiques des composés carboxylés comme identifiés plus haut. Figure 6. spectre Raman normalisé correspondant à la phase mélange CuC10/HC10 considérée dans la cartographie des coupes transversales des coupons traités TC10-1d et TC10-2d (spectre 3) comparé aux spectres de référence normalisés de la brochantite (●), du TMOS (*), de l’acide décanoïque HC10 (▫) et du décanoate de cuivre CuC10 (▪). Le mélange CuC10/HC10 (Figure 6), identifié par le spectre 3, présente principalement les bandes caractéristiques des composés carboxylés CuCn/HCn ainsi que celles du CuC10, à 119 et 290 cm-1. Dans le spectre 3 il est également possible d’identifier quelques vibrations caractéristiques des liaisons du TMOS, montrant bien le mélange des composés TMOS et HC10/CuC10. Ainsi comme cela a été montré par les analyses Raman en surface et sur coupe transversale le traitement HC10 appliqué par voie sol-gel permet donc une réaction de complexation en surface de l’acide avec la couche de brochantite, mais également une pénétration et une réaction de l’acide en profondeur dans la couche de produits de corrosion jusqu’à l’interface avec la cuprite, ce que l’application par immersion ne semble pas permettre. L’acide HC10 est alors présent sous forme acide et sous forme complexée, indiquant une réaction de complexation de l’acide avec la brochantite au sein de la couche se produisant par un mécanisme de dissolution re-précipitation des ions cuivre II [3]. Présentation 5 Silvia Lob et Delphine Neff PAGE 57 En complément, des mesures de couleur ont montré que l’impact visuel de ce traitement est faible [11]. Conclusion L’étude par spectroscopie micro-Raman des couches de produits de corrosion anciennes traitées par l’acide décanoïque HC10 a permis de montrer, à l’échelle micrométrique, les apports considérables d’une application par voie sol-gel en démontrant une pénétration et une complexation de l’acide HC10 en profondeur dans la couche de produits de corrosion. Les analyses complémentaires de mesures physiques et électrochimiques ont par ailleurs démontré l’efficacité inhibitrice de la corrosion des carboxylates de cuivre CuC10 formés en surface de la couche de produits de corrosion lors de l’application du traitement HC10. Ainsi, la présence de ces complexes en profondeur de la couche de brochantite obtenue par l’application sol-gel laisse présager une tenue efficace de la protection de ces traitements après exposition en extérieur. Des études sont actuellement en cours pour vérifier cette hypothèse sur des coupons exposés pendant un an à l’air ambiant. Remerciements Nous souhaitons remercier la Fondation des Sciences du Patrimoine pour le financement accordé pour cette étude, ainsi que nos collègues pour leur contribution à ce travail : Erika Ferrari (LAPA NIMBE-IRAMAT, CEA/CNRS/U Paris Saclay, France), Thuhoa Tran Thi (LEDNA, NIMBE-IRAMAT, CEA/CNRS/U Paris Saclay, France), Christine Richter (LPMS, CY Cergy Paris Université, France), Muriel Bouttemy (ILV, U Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines/ U Paris-Saclay/CNRS, France), Ludovic Bellot-Gurlet (MONARIS, Sorbonne Université/CNRS, France), Marie Fays, Marine Bayle et Philippe de Viviés (A-Corros expertise, France) ainsi que Philippe Dillmann (LAPA NIMBE-IRAMAT, CEA/CNRS/U Paris Saclay, France). Références [1] R.A. Grayburn, M. Dowsett, M. De Keersmaecker, D. Banerjee, S. Brown, A. Adriaens, Towards a new method for coating heritage lead, Herit. 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Lob, Développement de traitements innovants à base de sol-gels dopes en acides carboxyliques pour la protection du patrimoine cuivreux : compréhension des mécanismes de pénétration dans la couche de produits de corrosion par une approche multi-échelle, Thèse Université de Cergy-Pontoise, 2022 [12] A. Krätschmer, I. Odnevall Wallinder, C. Leygraf, The evolution of outdoor copper patina, Corros. Sci. 44 (2002) 425–450. https://doi.org/10.1016/S0010-938X(01)00081-6. Présentation 5 Silvia Lob et Delphine Neff PAGE 58 [13] T.E. Graedel, R. McGill, Degradation of materials in the atmosphere, Environ. Sci. Technol. 20 (1986) 1093– 1100. https://doi.org/10.1021/es00153a003. [14] E. Ferrari, Understanding the inhibition corrosion mechanisms for copper based alloys by a physico-chemical multi-scale approach, (2021). [15] F. Génin, F. Quilès, A. Burneau, Infrared and Raman spectroscopic study of carboxylic acids in heavy water, Phys. Chem. Chem. 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PAGE 59 Session 3 Protection en interieur PAGE 60 Présentation 6 Marie Fays et al. PAGE 61 LES DEFIS DE LA PROTECTION DE L’ESPADON : SEUL SOUS-MARIN VISITABLE A FLOT EN FRANCE Marie Fays* Conservatrice-restauratrice, A-Corros mfays@a-corros.fr Jean-Bernard Memet, Marine Crouzet, Paul Houssin, A-Corros * Autrice correspondante Résumé Le sous-marin Espadon (S637) est un sous-marin de la classe des Narval de 77 m de long à propulsion électrique. Après 25 années de service militaire dans la marine française, le sous-marin est désarmé et cédé à la ville de SaintNazaire pour devenir un objet-musée en 1986. Depuis, il est visitable en conditions d’usage à flot dans le sas de l’écluse fortifiée. Soumis au vieillissement différentiel de ses matériaux constitutifs (métaux, textile, bois, cuir, matériaux synthétiques, revêtements), à un climat salin agressif et au passage répété d’un public en immersion totale dans sa matérialité, l’Espadon a fait l’objet d’un vaste programme de protection patrimoniale incluant un important traitement de restauration et un projet de valorisation. L’approche de cet objet-musée est en effet complexe et implique une priorisation des urgences, et une réflexion multiple des approches pour sa protection : carénage de la coque externe, protection cathodique de sa composante immergée, remise en peinture des zones accessibles du parcours visiteur, traitement anti-corrosion à visée conservatoire dans les parties inaccessibles, veille sanitaire. De l’hétérogénéité des techniques mises en œuvre vers une cohérence de la protection, du traitement ponctuel à l’amélioration globale de l’état du sous-marin, autant de contradictions entre lesquelles il faut naviguer. Mots clés Sous-marin, Restauration, Conservation, Protection, Corrosion Introduction L’Espadon (S637) est un objet-musée unique en son genre : il s’agit du seul sous-marin à flot visitable en France, dans le sas de l’écluse fortifiée de Saint-Nazaire (Loire Atlantique) (Figure 1). Après une carrière militaire puis muséale, il montre des signes de faiblesse et nécessite un vaste chantier de restauration pour perdurer dans sa matérialité et dans l’expérience de visite qu’il offre. Retour sur ce chantier singulier. Figure 1. Vue de l'Espadon avant intervention, © A-CORROS 2019. Présentation 6 Marie Fays et al. PAGE 62 Figure 2. Schéma en coupe de l’Espadon, représentant ses niveaux de planchers et différentes tranches, © A-CORROS 2022. Un fleuron de la marine française C’est un sous-marin de surveillance de la classe Narval, construit par les Chantiers Augustin Normand du Havre et mis à flot par l’armée française en 1960, avec 5 autres sous-marins. Long de 77 m et ceinturé d’une double coque en acier, il est composé d’un massif et de deux niveaux de planchers (Figure 2). Ses parties internes sont divisées en six tranches, affectées aux domaines suivants : la propulsion mixte (électrique et diesel), le commandement et les manœuvres militaires, la défense (torpilles), et la vie des 65 sous-mariniers (logements, cuisines, hygiène). Au cours de ses 25 années de service et en pleine guerre froide, l’Espadon accomplit diverses missions internationales (Arctique, Caraïbes, golfe de Guinée) et parcourt une distance équivalente à 17 fois le tour de la Terre, sans avoir pourtant jamais été engagé dans un conflit armé (Figure 3). Sa mission la plus notable est la « croisière nordique » en 1964, au cours de laquelle il devient le premier sous-marin français à naviguer au-delà du cercle polaire Arctique sous la banquise (Figure 4). Il demeure le seul sous-marin de sa classe encore conservé. Figure 3. Le sous-marin Espadon dans l'avant-port de Saint-Nazaire en 1982, © Bernard Prézelin, SNAT-écomusée 1982. Figure 4. Sous-marin de la classe Narval dans l'Arctique, © photographe inconnu, coll. SNAT-écomusée 1964. Changement d’équipage : des sous-mariniers aux visiteurs Désarmé en 1986, il est proposé pour un franc symbolique à la ville de Saint-Nazaire par le ministère de la Défense, et devient alors opportunément le premier sous-marin visitable en France. Il est inscrit à l’inventaire de l’écomusée de Saint-Nazaire sous le numéro 986.10.1, et subit alors quelques transformations : carénage, vidanges, curage des batteries et ballasts (compensé par du béton coulé), retrait d’une partie du mobilier, aménagement d’un escalier d’accès, signalétique muséale. L’Espadon a immédiatement et durablement beaucoup de succès et devient l’attraction phare de Saint-Nazaire, avec près de 3 millions de visiteurs depuis son ouverture. Présentation 6 Marie Fays et al. PAGE 63 Pendant 30 ans, Saint-Nazaire Agglomération Tourisme (SNAT), gestionnaire de l’écomusée, entretient l’Espadon via des opérations ponctuelles, et procède à quelques améliorations comme l’installation d’une centrale de traitement d’air dans le massif, la mise sous protection cathodique de la coque immergée, et l’immobilisation du sousmarin au fond du sas par des jambes de force. Cependant le sous-marin montre des signes d’usure et de corrosion, poussant l’équipe de l’écomusée à réaliser un premier constat d’état en interne en 2017, doublé en 2019 par une campagne de constat d’état et de diagnostic menée par la société arlésienne A-CORROS. Ces deux études concluent sans équivoque à la nécessité d’intervenir à large échelle pour sa protection : l’Espadon est en effet très encrassé et très altéré, du fait notamment d’importants phénomènes de corrosion. Mission sauvetage En 2020, le sous-marin ferme au public pour laisser place à un vaste programme de restauration et de valorisation devant permettre de prolonger au maximum sa carrière muséale au contact du public. Les objectifs sont variés : inspection exhaustive du sous-marin, diagnostic poussé, priorisation des urgences, nettoyage intégral, interventions de conservation curative et de restauration, refonte du parcours visiteur et rénovation de la signalétique, mise en place de protocoles de veille sanitaire et d’entretien. Le défi est de taille : le géant est composé d’une multitude d’éléments inamovibles et de matériaux divers soumis à des vieillissements différents dans un arrangement exigu. Les espaces et éléments sont peu accessibles, bien que certains accessoires du plancher haut soient à la portée d’un public parfois trop curieux. De plus, l’ensemble est à flot dans une eau saumâtre, soumis à un climat salin agressif permanent. C’est donc dans ce contexte, qu’A-CORROS se voit confier l’étude et la conservation-restauration des espaces intérieurs de l’Espadon, l’assistance aux opérations de carénage, et l’assistance au redimensionnement de la protection cathodique de la coque extérieure, sous la forme de 4 missions d’intervention en 2021 et 2022. Pendant ce temps, SNAT coordonne en simultané l’intervention de métalliers, caréneurs, maîtres d’œuvre, directeur artistique, spécialistes de la protection cathodique et personnels d’entretien, et sollicite d’anciens sous-mariniers et les archives de l’écomusée pour mener à bien le programme. 7 tonnes de corrosion à la loupe L’Espadon fait l’objet d’une campagne de constat d’état et de diagnostic portant sur des zones, sous-zones ou objets cohérents, méticuleusement localisés d’après la dernière nomenclature militaire en usage. Des observations, photographies, mesures d’épaisseur, analyses qualitatives et tests alimentent l’étude. Cette méthodologie a permis de cartographier les matériaux et leurs altérations, d’identifier des causes d’altération, et de proposer une priorisation des interventions à réaliser. L’étude a ainsi mis en lumière une grande diversité de matériaux, et des disparités dans la conservation du sousmarin. Les métaux apparaissent ainsi comme la composante principale du sous-marin : structure, plancher, machines et mobiliers sont principalement en acier, certains éléments de mobilier sont en aluminium, cadrans visseries et canalisations sont en alliage cuivreux, et d’autres éléments isolés sont en plomb (joints) ou zinc (carters). Ces éléments métalliques sont nus, peints, galvanisés, chromés, gainés ou revêtus de composites synthétiques, et sont en contact avec d’autres matériaux. On trouve également du textile (literie), du cuir (sangles), du bois (mobilier), du verre (cadrans), de la mosaïque de céramique (sanitaires et cuisines) et de très nombreux matériaux composites et synthétiques : revêtements de sol en PVC et linoleum, formica, similicuir, skaï, caoutchouc artificiel, bakélite, polycarbonates, polypropylènes, polyuréthanes, adhésifs. A ces matériaux s’ajoutent les fluides encore présents dans le sous-marin (huile, carburant résiduel, eau de mer dans les caisses de compensation, fluide de décomposition des composés électroniques). Présentation 6 Marie Fays et al. PAGE 64 Figure 5. Vue du « plancher bas » de la tranche Centraux (TCB2), © A-CORROS 2020. La Figure 5 illustre bien cette diversité et l’interdépendance des constituants de l’Espadon. Leur proximité et leur confinement obligent à considérer le sous-marin comme un seul objet composite, plutôt que comme un assemblage d’éléments indépendants. Tous ces éléments et tous ces matériaux présentent par ailleurs des altérations, et nombres d’entre elles sont préoccupantes. L’encrassement du sous-marin est critique et même gênant pour l’étude matérielle. Les métaux, majoritaires donc, sont les plus touchés et présentent des profils de corrosion variés, engendrant parfois des pertes d’épaisseur non négligeables (Figures 6 et 7). Les plus spectaculaires sont les corrosions affectant la double coque et le fond de cale, puisque plus de 7 tonnes de produits de corrosion sont curées. Les matériaux organiques et synthétiques présentent principalement des attaques micro/biologiques et des altérations structurelles liées à leur vieillissement, au climat ou encore à la manipulation (Figure 8). En effet, si la fréquentation du sous-marin par le public est sa raison d’être conservé, elle est aussi une cause importante de sa dégradation : usure, fatigue mécanique, dommages volontaires ou non s’ajoutent à la longue liste des altérations relevées. Figure 6. Corrosion généralisée, tranche torpilles, © A-CORROS 2021. Figure 7. Cadran composite altéré, © A-CORROS 2021. Figure 8. Sangle de couchette encrassée, © A-CORROS 2021. Présentation 6 Marie Fays et al. PAGE 65 Objet-musée où l’utopie de la protection efficace Le sous-marin est globalement en mauvais état de conservation et doit être conservé pour rester visitable : l’approche de sa conservation restauration est donc complexe. C’est d’abord une question d’échelle : comment permettre une protection efficace et durable du sous-marin dans son ensemble, de la petite vanne suintante à l’immense coque feuilletée ? C’est ensuite une question de compatibilité avec sa nature composite, son environnement instable et agressif, et sa fréquentation, qui sont des composantes immuables de l’Espadon. L’application de la déontologie de la conservation-restauration est par conséquent nécessairement questionnée et doit forcément être adaptée afin d’envisager un protocole de protection du sousmarin compatible avec les objectifs et les possibilités de l’écomusée. Le sous-marin doit conserver son authenticité, ses matériaux d’origine et ses traces d’usage, tout en offrant une expérience de visite immersive et sécurisée pour le public. Il faut donc faire des compromis. La priorité est ainsi donnée au traitement des éléments en très mauvais état et aux éléments préhensibles et visibles par le public. La coque, une enveloppe protectrice à protéger L’Espadon comporte une double coque : une coque épaisse intérieure structurelle de 4 cm d’épaisseur, et une coque mince extérieure de 1,5 cm d’épaisseur protégeant les ballasts et donnant une forme hydrodynamique au sous-marin. Les tôles d’acier soudées sont revêtues de systèmes de peinture conforme à l’usage dans la Marine et datant de 1995. La protection de la coque est renforcée en 2005 par la mise en place d’une protection cathodique par anodes galvaniques, renouvelée en 2017 (34 anodes en aluminium de 12 kg). Le constat d’état et le diagnostic corrosion de la coque ont été menés par mesures d’épaisseur résiduelle par ultrason en des points réguliers, et par contrôle de la protection cathodique (mesures de potentiels électrochimiques, mesures du courant débité par les anodes, mesures de conductivité du bassin, vérification des connexions) (Figures 9 et 10). Malgré les systèmes de protection existants, la corrosion est tout de même responsable d’une perte d’épaisseur approximative de la moitié de l’épaisseur d’origine de l’acier de la coque, endommageant le système peint. Localement, en particulier sur le pont, la coque mince est même perforée. Cet état d’altération trouve de multiples causes : une exposition à un climat agressif, la présence d’eau dans la double coque et dans certains ballasts augmentant significativement la surface à protéger, et la qualité insuffisante des connexions entre la coque et les anodes. En conséquence, la protection existante est insuffisante. La coque étant l’enveloppe protectrice du sous-marin, il est donc décidé de mener deux opérations généralisées : son carénage et l’ajustement de la protection cathodique. Figure 9. Étude de la coque, © A-CORROS 2019. Figure 10. Vérification des connecteurs d’anodes, © A-CORROS 2019. Figure 11. Carénage en cours, © A-CORROS 2021. Présentation 6 Marie Fays et al. PAGE 66 A-CORROS assiste l’entreprise en charge du carénage de la coque : mise au point des techniques de nettoyage et de purge de la corrosion (eau chaude haute pression, grenaillage, brossage), accompagnement dans les opérations de remplacement des tôles perforées, conseil pour le choix du nouveau système peint et contrôle des épaisseurs de peinture (Figure 11). Le redimensionnement de la protection cathodique – en cours au moment de la rédaction de cet article - est réalisé en collaboration avec une société spécialisée. L’opération consiste à vérifier les paramètres de faisabilité de la mise sous protection cathodique, et d’estimer le courant nécessaire au sous-marin pour sa protection (installation d’un système de protection cathodique par courant imposé). Les données obtenues permettent de préciser les besoins du sous-marin, et servent de cahier des charges à l’entreprise chargée de l’installation du nouveau système de protection cathodique. Plancher haut : le public dans la vitrine Le niveau du plancher haut correspond aux coursives et pièces principales du sous-marin. Ce niveau est parcouru par le public de la proue à la poupe, et se trouve donc à sa vue et à sa portée directe. C’est là également que se concentre la diversité de matériaux rencontrés. A-CORROS collabore alors avec Arc’Antique, Rouge Cadmium et Laura Couturier pour monter une équipe pluridisciplinaire. De nombreuses interventions de conservation curative, étendues à un ensemble, ou ponctuelles, ont été réalisées, d’après les priorités d’interventions établies. Ainsi, les traces de l’ancienne signalétique sont retirées (Figure 12), les sangles de couchettes en cuir sont nettoyées, consolidées et assouplies, les éléments mobiliers en bois ou formica sont nettoyés et les arrachements et trous laissés par l’ancienne signalétique sont comblés, les similicuirs des assises et tapis de bureau sont nettoyés et refixés, les caches luminaires fendus sont consolidés, les rayures atténuées par ajout d’adhésif. Les métaux corrodés sont assainis par retrait des produits de corrosion, inhibition et protection, et une partie des métaux peints altérés peut être protégée par la pose d’une peinture glycérophtalique identique à celle d’origine, identifiée suite à une série de prélèvements et d’analyses (Figure 14). Figure 12. Retrait d'adhésif laissé par un élément de signalétique, © Jérôme Bosger, SNAT 2021. Figure 13. Refixage d’un combiné téléphonique, © A-CORROS 2022. Figure 14. Retouche d'un élément visible, © A-CORROS 2022. Si nos interventions respectent autant que possible les principes d’intervention minimum et de réversibilité, dans certains cas elles consistent plutôt en une remise en état d’usage, faisant appel à un positionnement un peu plus interventionniste que traditionnellement, en particulier pour les traitements de surface ou les consolidations. Le cas des combinés téléphoniques illustre bien ce dilemme : trois combinés téléphoniques et leurs écouteurs en fonte d’aluminium et bakélite sont présents dans le sous-marin. L’un d’eux, dans la coursive en tranche électrique, est sur le passage des visiteurs. Consolidé d’abord à l’aide d’un adhésif, il ne résiste pas à l’épreuve du public entre deux phases d’intervention, et voit même son câble en acier rompu. Une seconde intervention est alors nécessaire, plus interventionniste : le câble est remplacé et le téléphone immobilisé sur son support (Figure 13). Présentation 6 Marie Fays et al. PAGE 67 A ce même niveau, une étude a été menée sur la caractérisation des planchers foulés quotidiennement par le public, dans le but d’en déterminer l’état et de proposer des interventions et mesures d’entretien en vue de prolonger l’utilisation des planchers d’origine le plus longtemps possible. Parmi la diversité de planchers identifiés (tôle larmée, plancher épais, acier nu, peint ou revêtu), près de 50% sont revêtus de linoleum ou PVC et font l’objet d’une attention particulière. Si la corrosion affecte faiblement le métal constitutif des planchers, le PVC qui le recouvre est localement rétracté, décollé, rigide ou lacunaire (Figure 15). Le traitement d’une zone test permet d’exploiter différentes possibilités : nettoyage et recollage du revêtement soulevé, comblement des lacunes (liées à une rétractation ou un arrachement) par réutilisation de chutes du PVC d’origine déposé (Figure 16). La mise en place et la transmission d’un protocole simplifié permet aux équipes de l’écomusée de mener ces actions ponctuellement, pour étendre la durée d’utilisation du revêtement de sol et permettre une pratique sécurisée du parcours visiteur. Figure 15. Étude des planchers et revêtements en cours, en tranche Torpilles, ©A-CORROS 2021. Figure 16. Zone de restauration test du PVC, ©A-CORROS 2021. Plancher bas : quand protection rime avec contorsion En réalité, seulement 30% du plancher bas est accessible, via des trappes, échelles ou regards dans le plancher haut. Ces zones sont majoritairement difficiles d’accès, exiguës, sombres et peu praticables (Figure 17). Ces bas-fonds, principalement composés d’éléments métalliques, ont une vocation technique : caisses de fluide, batteries, cambuses, gaines de ventilation, réseaux de plomberie / électricité, arbre de transmission. Certaines zones sont rendues visibles du public par des trappes vitrées ou ouvertes. Les parties basses sont en mauvais état de conservation et présentent de spectaculaires phénomènes de corrosion active : ce niveau est fortement encrassé puisque sous le parcours visiteur, humide (confiné et en marge du réseau de traitement d’air), et touché par des fuites de fluides et infiltrations d’eau ponctuelles. Si l’humidité et l’eau de mer sont en cause ici, il est difficile d’agir directement sur ces facteurs : le climat dans le sous-marin dépend des variations extérieures, il est surveillé et étudié de plus près lors de ce chantier, mais difficile à réguler. Par ailleurs aucun traitement d’extraction des sels n’est envisageable, et ne serait pas vraiment efficace puisque l’Espadon est exposé aux embruns. Les interventions envisagées visent alors à ralentir la progression des phénomènes de corrosion et à supprimer les autres facteurs de risque, d’après le caractère de visibilité ou non par le public, et les contraintes d’accès. Le matériel embarqué doit être portatif, compact, autonome (en eau et électricité), et maniable. Les produits employés quant à eux, même réversibles, ne sauraient être parfaitement retirés, et même une opération de nettoyage devient complexe puisqu’il faut pouvoir évacuer les résidus obtenus sans les disperser en fond de cale. Présentation 6 Marie Fays et al. PAGE 68 Globalement, les produits de corrosion sont curés mécaniquement et évacués à l’aide d’aspirateurs dorsaux, la surface est dégraissée puis protégée à l’aide d’acide tannique et vernis acrylique Paraloïd B72®, ou de Rustol® (Figure 18). Figure 17. Intervention en plancher bas, à travers une trappe, ©A-CORROS 2021. Figure 18. Inhibition d’une conduite en acier, plancher bas, ©A-CORROS 2021. Du traitement ponctuel à l’amélioration globale de la protection Tous les traitements mis en œuvre, généraux, particuliers, étendus ou ponctuels, qu’ils concernent le métal, ses revêtements, les matériaux organiques ou synthétiques, portent sur une sélection de 642 éléments ou zones prioritaires. Il s’agit d’un compromis au regard des possibilités techniques, humaines, matérielles, financières et temporelles. Mais à quel point cette pluralité de traitements sur des zones choisies contribue réellement et durablement à l’amélioration globale de l’état du sous-marin ? Cette phase opérationnelle constitue en réalité seulement un début. Elle s’accompagne de la formation des équipes de l’écomusée d’une part à l’identification des matériaux et des altérations, et d’autre part à des opérations d’entretien spécifiques comme l’entretien des ressorts de couchettes, des surfaces en formica, ou la détection et le traitement de corrosion active. Ces actions complètent d’autres opérations ponctuelles encore nécessaires ayant fait l’objet d’un programme prévisionnel. Dans ce cas d’étude singulier, les préconisations sont envisagées non pas sous la forme d’une liste de recommandations, mais d’un carnet pratique de suivi, comprenant pas à pas les opérations à réaliser tous les jours, mois ou année, comportant des documents de travail et des points pratiques sur le matériel nécessaire pour chaque opération selon les différentes zones. Ces documents sont voués à évoluer au gré de leurs utilisateurs, et permettront de vérifier l’efficacité des traitements effectués, et de prévenir les altérations futures. Conclusion Au terme de nombreux échanges avec l’écomusée et les autres professionnels mobilisés (Figure 19), de plusieurs missions sur site riches en découvertes et rebondissements, et de réflexions méthodologiques et déontologiques, le chantier de restauration de l’Espadon sonne comme une expérience unique et un cas d’étude nourrissant la réflexion sur l’avenir de notre patrimoine industriel et militaire. Quelles autres stratégies aurait-on pu choisir ? Avec quelles conséquences et résultats ? La question reste ouverte. L’Espadon a rouvert ses portes en juillet 2021 et retrouvé son public nombreux, poursuivant ainsi avec plus de sérénité sa vie muséale (Figure 20). Présentation 6 Marie Fays et al. PAGE 69 Figure 19. Photographie de l’équipe, ©A-CORROS 2021. Figure 20. Les premiers visiteurs sortent du sous-marin Espadon, © Maelwenn Leduc, SNAT 2021. Remerciements L’équipe d’A-CORROS tient à remercier chaleureusement Typhaine Yvon (Responsable du pôle patrimoine, attachée de conservation, chef de projet au SNAT), Agathe Doufils (chargée des collections et de la conservation au pôle patrimoine du SNAT) et toute l’équipe de l’écomusée pour leur confiance et leur collaboration. Nous remercions également nos consœurs et confrères Gwenaël Lemoine (conservatrice-restauratrice, Arc’Antique), François Duboisset (conservateur-restaurateur, Rouge Cadmium), Laura Couturier (conservatrice-restauratrice, Atelier Laura Couturier), Marie Grima (conservatrice-restauratrice, intervenante A-CORROS) pour leur collaboration et leur partage. Enfin nous adressons nos remerciements et salutations aux acteurs que nous avons ou qui nous ont accompagnés : BAC Corrosion control, le chantier de l’Esclain et le réseau des anciens sous-mariniers de l’Espadon. PAGE 70 Présentation 7 Géraldine Aubert, Annabelle Collinet PAGE 71 CONSERVATION DES ALLIAGES DE CUIVRE ET DES INCRUSTATIONS MÉTALLIQUES DU DÉPARTEMENT DES ARTS DE L’ISLAM, MUSÉE DU LOUVRE – 2010-2022 Géraldine Aubert* Conservatrice-restauratrice du patrimoine métallique aubert_gg@yahoo.fr Annabelle Collinet, Ingénieure de recherche, musée du Louvre annabelle.collinet@louvre.fr * Autrice correspondante Résumé Un ensemble de constats d’état et un bilan sanitaire ont été réalisés depuis 2019 sur la collection métallique du monde iranien médiéval (œuvres exposées au département des arts de l’Islam (DAI) au musée du Louvre et en réserve au CCL de Liévin). Suite à ces actions, des observations et diagnostics révélant entre autres les altérations des couches de protection (corrosions actives probables de l’alliage cuivreux et ternissements plus ou moins importants des incrustations notamment d’argent) ont conduit à la programmation de restaurations . Les traitements et protections réalisées (entre les années 2010 et 2020) sur ces objets ont été recensés et consultés à la documentation du DAI afin d’en établir une synthèse et de proposer les traitements les plus adaptés. En cours de restaurations, les traitements et protections proposés en amont ont été remis en discussion et parfois modifiés. En effet, il était essentiel de prendre en considération les problématiques suivantes dans le choix des matériaux de protection et de leurs mises en œuvre : - réversibilité des anciennes protections, - efficacité des protections sur l’argent (ratio ternissement/temps de protection), - contraintes des incrustations de cuivre, d’or et d’argent ne supportant pas l’abrasion des surfaces, - incrustations de pâtes noires bitumeuses sensibles aux solvants, - surfaces déjà empâtées par des couches successives de protections, - limites des protections dans un environnement instable, - respect de la brillance ? aspect de surface ?. Une discussion constante entre la conservatrice-restauratrice et la chargée de collection a permis de moduler les niveaux de protection, de mettre en place un suivi précis des œuvres protégées ou de constater les limites des traitements de protections des œuvres fragiles du DAI (profil archéologique sensible à la corrosion active récurrente, incrustations d’argent et de cuivre fragilisées structurellement avec disparition du décor). Certaines protections sont aussi révélées inefficaces en cas de choc climatique. Quel futur peut alors être envisagé pour ces œuvres qui viennent se heurter aux limites de l’efficacité des protections et à leur fragilité dans des environnements instables ? Mots clés Période Islamique, Monde iranien médiéval, Conservation, Restauration, Protection Présentation 7 Géraldine Aubert, Annabelle Collinet PAGE 72 Introduction La collection du monde Iranien médiéval du musée du Louvre est constituée d’objets mobiliers en alliages cuivreux, souvent incrustés de cuivre, d’argent et d’or, ainsi que de pâtes bitumeuses noires (Figure 1 et Figure 2). Des campagnes d’observations menées fréquemment par Annabelle Collinet, chargée de collection du Département ont mis en avant de potentiels signes de reprise de corrosion, tout en observant que le climat dans certaines vitrines et plus globalement dans les espaces d’exposition permanente, pouvait être par période relativement instable. Elle a donc mis en place une campagne de bilan sanitaire 8 ans après les restaurations et l’installation en salle des objets. Figure 2. OA 7890. © AUBERT 2021. Figure 1. OA 7079. © AUBERT 2021. Les différentes opérations de suivis et de constats ont été menées avec un 1er bilan sanitaire en septembre 2020 sur 59 objets suivis de campagnes de restaurations en 2021 ; puis un autre bilan annuel en octobre 2021 sur la même collection en salles ; finalement une campagne de bilan sanitaire sur des objets provenant du CLL (réserves de Liévin) en amont d’une exposition ouverte en novembre 2021 dans l’espace d’actualités du DAI, avec des interventions d’urgence de stabilisation de corrosions. Les différentes observations, ainsi que des comparaisons avec des photos prises entre 2015 et 2017, assorties de constats établis lors de l’étude archéométallurgique de la collection (projet ISLAMETAL, Louvre-C2RMF) [1], ont permis d’établir 5 groupes d’objets : 1) œuvres sans signe de corrosion visible, avec des protections de surface semblant intactes et mises en surveillance tous les 3 à 5 ans. 2) œuvres montrant des signes potentiels de corrosion sous des protections de surface qui semblent stables (pas de progression d’après les photos anciennes) et mises sous surveillance annuelle (possibilité pour la corrosion d’évoluer rapidement si les protections deviennent défaillantes ou en cas d’évènements climatiques). 3) œuvres dont les corrosions locales semblent actives (suspicion de piqûres de chlorures) nécessitant un traitement urgent de stabilisation (Figure 3). 4) œuvres ornées d’incrustations métalliques, notamment d’argent, qui présentent des problématiques structurelles (fragilité mécanique). Présentation 7 Géraldine Aubert, Annabelle Collinet PAGE 73 5) œuvres dont les protections de surface défaillantes (blanchiments ou jaunissements des vernis) ont entrainé des ternissements, en particulier des incrustations d’argent (Figure 4). Figure 3. OA 7079 – détail piqûre de corrosion avec soulèvement de l’incrustation. © AUBERT 2021. Figure 4. OA 7079 – détail jaunissement vernis et blanchiment de cire dans les creux. © AUBERT 2021. Sur les 59 objets du premier bilan, 19 présentaient des altérations soit un total de 24% des objets observés du monde iranien du DAI. 1 - Spécificités des objets du DAI et problématiques de restauration Les objets en métal du monde iranien médiéval (v. 10e-15e siècles), et plus largement du monde islamique médiéval (Figures 5 et 6), sont des petits meubles (liés à l’éclairage et à l’usage des encens par exemple) ; des vaisselles de présentation et de consommation de denrées et de boissons ; des ustensiles (liés à l’écriture ; à la préparation de produits …). Les types en particulier des 10e-13e siècles sont très variés. Les objets sont des alliages de cuivre, mis en forme à la cire perdue en grande majorité, bien plus rarement par fonte au sable, ou encore par martelage. Enfin certains objets sont mis en forme par coulée (ébauche) et par martelage. Les objets fondus sont des alliages au plomb et des bronzes blancs ; les martelés sont des laitons et des bronzes blancs. Les alliages au plomb sont pour partie issus de recyclages. La collection est à profil « archéologique » et à profil « moderne ». Les alliages de cuivre fondus sont les plus fragiles en termes de conservation du substrat. Beaucoup sont recouverts d’une patine brune ou verdâtre, artificielle, naturelle ou les deux. Certains n’ont pas été touchés ou très peu. Les laitons martelés et les laitons au plomb sont plus proches de leur aspect d’origine : beaucoup n’ont pas connu l’enfouissement ; d’autres ont été dégagés jusqu’à l’épiderme. Comme les objets « archéologiques » ils sont incrustés de pâte bitumeuse noire et de métaux précieux. Présentation 7 Géraldine Aubert, Annabelle Collinet PAGE 74 Figure 5. OA 7526. © AUBERT 2021. Figure 6. OA 3372. © AUBERT 2021. Les différents alliages, la provenance des objets (enfouis, non enfouis), l’histoire de leur traitement (de la patine naturelle au dégagement très poussé) et enfin la présence de divers matériaux en surface des substrats (métalliques et non métalliques) rendent complexes leur conservation, mais aussi les diagnostics et les choix de restaurations. En particulier, les problématiques récurrentes sont : - La nature et l’aspect des patines, doublées des protections de restaurations modernes. - La lisibilité des œuvres, en particulier lorsque les ornements incrustés ne sont plus visibles à cause de la corrosion, modifiant la polychromie des objets. - La fragilité mécanique des incrustations métalliques (déchirures, soulèvements). - Le traitement et la protection had hoc et réversibles des alliages cuivreux et des argents. - La sensibilité extrême aux variations climatiques et polluants (corrosions des alliages cuivreux et sulfurations des argents). 2 - Bilan et perspective : restaurations antérieures, traitements actuels Afin d’établir un cadre précis pour les protections à employer dans les futures campagnes de restauration, les dossiers d’œuvre des 59 premiers objets diagnostiqués ont été consultés afin de savoir quels traitements de protection et d’inhibition avaient été appliqués antérieurement. Le but était d’éventuellement corréler les reprises de corrosion observées et les couches de protections en place. Sur les 59 objets, 10 n’avaient pas de rapport de restauration et 2 rapports mentionnaient une protection mais sans précision sur sa nature. Les types d’inhibitions et de protections relevés dans les rapports sont ceux trouvés couramment dans la bibliographie |2]. Pour l’inhibition, on relève un traitement de stabilisation généralisé par Benzotriazole (BTA) et un traitement en local avec de l’oxyde d’argent. Pour les couches de protections, la cire micro cristalline Cosmolloid H80 (dilution white spirit ou éther de pétrole) est utilisée ainsi que les vernis Paraloid© B72 ou Regalrez® (dilution solvants polaires). Sur les 49 objets avec rapport de restauration (Figure 7) : - 21 ont subi un traitement général ou local d’inhibition (43% des objets) et seulement 2 montrent des signes de reprises de corrosion (10%). Présentation 7 Géraldine Aubert, Annabelle Collinet PAGE 75 - 17 ont été protégés avec un système de double protection (35%/36% des objets): 16 avec un vernis acrylique (Paraloid® B72) et une couche de cire micro cristalline H80 ; 1 avec un vernis acrylique (Paraloid® B72) et un vernis Regalrez® dont seulement 2 en double protection montrent des signes de reprises de corrosion. - 10 mentionnent un système de simple de protection (une couche de cire micro cristalline) associée avec une stabilisation locale à l’oxyde d’argent (20%/21% des objets). La plupart de ces objets présentent un très bon état de conservation. - 20 rapports citent une seule couche de protection (cire micro cristalline, vernis Regalrez® ou Paraloid®) représentant 41% des objets. - Sur ces 41% (20 objets), 10 objets présentent des reprises de corrosion (corrosion « actives » ou ternissements d’argent). Ce qui représente 53% des objets qui n’ont qu’une seule couche de protection. Figure 7. Synthèse des couches de protection sur 47 objets avec rapports de restauration. D’après les traitements employés et le recul sur dix ans d’exposition en salle, les traitements d’inhibition aident à stabiliser les œuvres et limitent la reprise de corrosion, surtout quand elles ont été protégées par une double couche de protection. Les traitements ne comprenant qu’une seule couche de protection, vernis ou cire, semblent moins performants. Des restaurations ont donc été programmées avec des propositions de traitement prenant en compte les résultats de cette synthèse : la double protection notamment sur les incrustations d’argent et la stabilisation et inhibition locale à l’oxyde d’argent des corrosions actives sur alliage cuivreux. Cependant, d’autres résultats n’ont pas été retenus comme option de traitement. Le nettoyage généralisé des surfaces n’a pas été sélectionné dans la crainte de réactiver la surface métallique d’œuvres au profil archéologique, surfaces parfois inconnues car dissimulées par ces mêmes couches de protection et de retouche. Après discussion, les traitements par BTA n’ont pas été retenus (malgré leur efficacité) à cause de possibles interactions avec les pâtes noires et d’éventuels soulèvements d’incrustations. Certaines surfaces d’œuvres très empâtées par des couches successives de protections (reliefs moins saillants, aspect plastique de certaine surfaces) semblaient n’être défaillantes que localement. Il a donc été décidé de garder les couches de protection anciennes intactes et de ne traiter que localement. Présentation 7 Géraldine Aubert, Annabelle Collinet PAGE 76 3 - Résultats et discussion Dès que les traitements ont commencé, des problématiques sont apparues conduisant à des modifications des traitements proposés. - Pâtes noires sensibles aux solvants : Beaucoup d’œuvres d’art islamique incrustées ont dans les fonds une pâte noire. Celle-ci d’origine ou « retravaillées » est très souvent sensible aux solvants notamment polaires. Se pose alors la question du retrait de certains vernis typiques comme le Paraloid B 72 dilué dans de l’acétone et/ou de l’éthanol. De plus, les bains de solvants parfois utilisés pour dissoudre les couches de protection sont ici impossibles à mettre en œuvre sans affecter la pâte noire. - Fragilités des incrustations de cuivre, d’or et d’argent : Très rapidement, la spécificité technique des incrustations métalliques en ressaut de la surface de l’alliage de base, induisant une fragilité accrue face aux chocs et frottements (Figures 8 et 9), a remis en question l’application d’une double protection avec vernis. En effet, le retrait de celle-ci notamment avec du coton est périlleux. Le retrait des vernis (notamment le Regalrez®) engendre de grandes pressions sur la surface qui peuvent s’avérer dommageables. La réversibilité effective des protections devient alors d’un intérêt majeur. Figure 8. OA 3355 – détail incrustation d’argent soulevée, blanchiment cire sur pâte noire. © AUBERT 2021 Figure 9. OA 8169 - détail d’un soulèvement d’incrustation. © AUBERT 2021. - Effet « patchwork» - hétérogénéité des surfaces : On constate des effets « patchwork » dans le vieillissement des vernis avec des ternissures plus importantes dans des creux et gravures des incrustations. La corrosion, sous le vernis, s’est développée de manière irrégulière (Figure 10). Certaines écailles de matière se sont développées, qui se clivent en laissant derrière une surface irrégulière [3]. Le nettoyage est plus difficile et certaines incrustations doivent être légèrement brunies pour uniformiser leur aspect esthétique. Présentation 7 Géraldine Aubert, Annabelle Collinet PAGE 77 Figure 10. OA 7528 - détail effet « patchwork » ternissement argent. © AUBERT 2021. - Surépaisseur de vernis dans les creux : On constate des épaisseurs de vernis dans les creux des gravures et ciselures de surface très difficiles à nettoyer (Figure 11), sans appliquer beaucoup de frottement et de force d’abrasion avec le bâtonnet de coton. De plus, ces surépaisseurs ont des accès difficiles et souvent de faibles dimensions. Ainsi, devant les difficultés liées aux doubles protections, des changements dans les propositions et réalisation de traitement de protection ont été fait, grâce à un échange étroit avec la chargée de collection. Figure 11. OA 7525 - détail accumulation de vernis dans les creux et pâte noire. © AUBERT 2021. - Protections et environnement Une autre problématique est apparue au bout de huit mois d’exposition en salle après le traitement local des corrosions sur les œuvres en alliage cuivreux. Un évènement climatique d’importance (inondation sous le lieu d’exposition avec dérèglement de la climatisation) a fait augmenter l’humidité relative qui était jusque-là bien contrôlée et régulée par des absorbants (autour de 47,5%). De plus, les vitrines d’exposition temporaire sont connues comme étant moins hermétiques que les vitrines permanentes. Les œuvres au profil archéologique sensible et signalées comme fragiles sont reparties en corrosion. Ce phénomène a été aussi observé sur des œuvres avec des surfaces métalliques complétement décapées et non traitées. Présentation 7 Géraldine Aubert, Annabelle Collinet PAGE 78 Des piqûres de corrosion (chlorures) (Figures 12 et 13) sont apparues sur la surface avec un développement important de produits verts clairs pulvérulents. On les observe sur des zones nouvelles mais aussi en bordure d’anciennes zones traitées précédemment à l’oxyde d’argent et recouvertes d’une cire. Des points verts semblant stables, à surveiller, ont percé sous leurs anciennes protections. Des zones nettoyées lors du dernier traitement afin de faire ressortir les incrustations et protégées avec une double protection (vernis suivis d’une cire) ont développé des chlorures en surface. Figure 12. AA 65 - détail reprise de corrosion sur incrustation de cuivre. © AUBERT 2021. Figure 13. MAO 1256 - détail reprise de corrosion sur surface métallique décapée. © AUBERT 2021. Conclusion La mise en œuvre du retrait des vernis anciens engendre parfois plus de problèmes qu’un éventuel gain sur l’application de ceux-ci comme protection contre le ternissement. En comparant avec les rapports de restauration précédents, un traitement avec seulement une seule couche de protection en cire semble finalement donner un ratio temps/ternissement intéressant (10 ans avant un ternissement visible). De plus, l’enlèvement de la cire ancienne est plus facile à mettre en œuvre, semblant provoquer moins de pression sur la surface. Si elle est choisie, cette méthode de simple protection se doit alors d’être évaluée assez régulièrement afin de jauger, au fur et à mesure des années, le développement de corrosion comme par exemple sur le ternissement de l’argent, et de renouveler cette couche avant des effets visibles. Concernant les alliages cuivreux présentant des corrosions actives (piqûres de chlorures) se pose les limites d’un traitement d’inhibition et/ou d’une application de protection (cire et/ou vernis) en local. Ce type de mise en œuvre des protections (respectant la nature du matériau et les spécificités de la collection) supportent finalement peu les chocs climatiques et ne semble fonctionner que dans un milieu où l’humidité relative est contrôlée. Se pose alors la question de leur efficacité sur le long terme. Ainsi la contrainte et la problématique majeures de ces objets fragiles consiste à trouver un bon équilibre entre traitement, lisibilité et protection des objets eux-mêmes. Ce doit être avant tout leur environnement qui assure leur conservation : dans un climat stable et régulé, les objets très fragilisés (comme les alliages cuivreux au profil archéologique) ne connaissent pas de reprise ou d’apparition de corrosion. Les limites de ces protections privilégiées (i.e. plus réversibles et qui permettent la lisibilité des œuvres et ne modifiant pas davantage leur aspect) sont clairement établies, car possiblement défaillantes en cas de chocs climatiques (cas d’école du dérèglement environnemental au DAI, aout 2022, avec 14% des objets en exposition temporaire avec reprises ou apparitions de corrosions constatées). Présentation 7 Géraldine Aubert, Annabelle Collinet PAGE 79 Il semble en définitive plus judicieux de s’adapter au profil des œuvres - leur composition élémentaire, leur profil historique ou archéologique, leur fragilité intrinsèque, leurs méthodes de fabrication- et de choisir des couches de protections adaptées même si elles imposent des contraintes de surveillance ou relèvent de compromis entre leurs bénéfices et leurs désavantages. Remerciements Nous souhaitons remercier l’atelier de restauration du C2RMF, département métaux archéologiques et particulièrement Noëlle Timbart et Manuel Leroux pour leur aide ainsi que le département de la régie du Louvre pour leur aide précieuse lors des nombreuses ouvertures de vitrines (Mathilde Debelle, Jade Vincent et Isabelle Luche). Références [1] Collinet A., Bourgarit D., Précieuses matières Les Arts du métal dans le monde iranien médiéval. Volume I, Xe – XIIIe siècles, 2021, Louvre Éditions et Éditions Faton. [2] Berducou M., La Conservation en archéologie, Bertholon R., Relier C. « Chapitre 5 les métaux » 1990, Elsevier Masson [3] Van Langh, R., H.A. Ankersmit, and I. Joosten. The delamination of silver sulphide layers. In Metal 04Proceedings of the International Conference on Metals Conservation, Canberra, Australia, 4-8 October 2004, Canberra ACT: National Museum of Australia, pp. 137-141. PAGE 80 Présentation 8 Eve Paillaux et al. PAGE 81 PROTÉGER LE MOBILIER ARCHÉOLOGIQUE EN ALLIAGE CUIVREUX À L’AIDE DE CHAMPIGNONS : UNE SOLUTION ? Eve Paillaux* Conservatrice-restauratrice, CREAM eve.paillaux@gmail.com Florence Dussère, Conservatrice-restauratrice, Conservation des antiquités et objets d’art du Val-d’Oise florence.dussere@valdoise.fr Édith Joseph, Ingénieure de Recherche, Haute École Arc Conservation Restauration, HES-SO Haute École Spécialisée de Suisse Occidentale, Neuchâtel, Suisse edith.joseph@he-arc.ch * Autrice correspondante Résumé Les recherches sur les traitements verts en Conservation-Restauration élargissent les alternatives aux méthodes de traitement de la corrosion actuellement controversées. La biopatine est une approche qui permet de créer une passivation durable de la surface des alliages cuivreux grâce à la conversion de leurs produits de corrosion en oxalates de cuivre. Depuis plus de 15 ans, de nombreux tests en laboratoire ont ainsi permis de valider la procédure pour une application sur des objets du patrimoine archéologique. Seront présentés ici les résultats d’une étude sur deux corpus ; l’un consistant au traitement de 84 objets archéologiques et à l’évaluation de la protection, et l’autre de 11 artefacts pour une application en masse. Les questions autour de la protection du mobilier archéologique seront abordées de manière pragmatique. Mots clés Objets archéologiques, Alliages cuivreux, Corrosion, Biopatine, Traitement de masse Introduction La biopatine est un traitement de biopassivation des alliages cuivreux. Elle fonctionne à partir d’une souche de champignon Beauveria Bassiana [1]. L’acide oxalique sécrété par le champignon au contact des alliages cuivreux est capable de convertir les produits de corrosion du cuivre en oxalates de cuivre [1]. Ainsi, ces derniers se présentent comme une fine couche protectrice stable et résistante dans le temps qui mesure environ 5 µm [2]. La biopatine est appliquée à l’aide d’un gel dans lequel le champignon croît. Les avantages de cette technique pour protéger le patrimoine sont multiples : elle est sans danger pour l’humain et pour l’environnement et permet ainsi d’être une alternative durable aux traitements d’inhibition de la corrosion actuels [3, 4]. L’appellation « biopatine » est un terme qui est utilisé dans d’autres applications de bio nettoyage des monuments historiques [5], ce terme désigne le traitement dans sa globalité, mais peut être utilisé par extension pour désigner le champignon. Dans cet article le terme biopatine sera exclusivement utilisé pour désigner le le traitement de conversion des produits de corrosion. Présentation 8 Eve Paillaux et al. PAGE 82 En biologie, une biopatine est un film biologique formé par différents micro-organismes. L’étude présentée, ici, est le fruit d’une étroite collaboration entre le service départemental archéologique du Val-d’Oise (SDAVO), la Haute École Arc Conservation-Restauration (He-Arc CR) et l’université de Neuchâtel (UniNE) [6, 7]. L’objectif de cette étude a été premièrement d’appliquer la biopatine sur un large corpus et d’évaluer ce procédé par observation visuelle et diverses techniques d’analyse. Nous avons également testé ce traitement en masse sur un corpus de 11 objets, de manière à l'adapter pour une pratique en atelier de Conservation-Restauration. Ainsi, la mise en œuvre de la biopatine sera présentée de manière pragmatique, puis les résultats du traitement et les méthodes d’évaluation utilisées sur un large corpus et enfin l’utilisation de la biopatine en tant que traitement de masse seront développées. 1 - Mise en œuvre Figure 1. Préculture d'une souche Beauveria Bassiana. Figure 2. Deux kits biopatine de 25 ml chacun provenant de l'Université de Neuchâtel en Suisse. © Eve Paillaux © Eve Paillaux © Eve Paillaux La mise en pratique de la biopatine est simple, le matériel utilisé facile à se procurer, de la même façon que le kit biopatine en contactant le laboratoire du LATHEMA à l’université de Neuchâtel en s’adressant à Édith Joseph [8]. Avant le traitement, la surface des objets doit être exempte de tout composé exogène comme des revêtements organiques (ex. résines, vernis) ou autre substance organique pouvant interagir l’action du champignon. Il n’y a pas de limites de taille d'objet traité et le traitement peut être appliqué in situ. Seule contrainte, un taux d’humidité relative en général supérieur à 60 % doit être conservé pour éviter que le gel ne sèche et afin que le champignon puisse se développer correctement (Figure 1) [9]. Le kit biopatine se compose de trois éléments, soit le champignon en solution nutritive, appelé « A » ; la solution nutritive elle-même, appelée « B » et l’agent gélifiant, appelé « C » (Figure 2) [9]. L’agent gélifiant fourni avec le kit est une gomme xanthane qu’il est possible de modifier en fonction des pratiques. Le champignon est par exemple compatible avec l’agar-agar. Une fois le kit reçu, celui-ci se conserve à 4 °C avant utilisation, ou à température ambiante si l'utilisation est immédiate ou selon instructions du fournisseur (Figure 2). Le matériel nécessaire se limite à des boîtes hermétiques pour placer les objets pendant le traitement, des ustensiles plastiques (spatules, récipients) pour la préparation du mélange A, B, C, une solution d’éthanol 70 % v/v pour nettoyer tous les ustensiles et les surfaces avant traitement, ainsi que des gants si l’application se fait à la main [9]. Une fois la préparation effectuée selon les recommandations du protocole [9], le gel est prêt à être appliqué sur les objets. Il est possible de traiter environ 125 objets (inférieurs ou égaux à 15 cm de longueur) individuellement avec 1 litre de biopatine. Le temps d’application de la biopatine a été évalué entre 2 et 3 minutes par objet (pour des objets dont les dimensions sont comprises entre 3 et 15 cm). Les objets doivent être entièrement recouverts de gel, à l’aide de spatule ou à la main (avec des gants). Par exemple, on peut aussi les emballer individuellement ou utiliser un lit de gel placé au préalable dans le fond de la boîte de traitement qui les contiendra. Une fois les objets recouverts de biopatine et placés dans la boîte, celle-ci est refermée hermétiquement. Le temps de traitement est ensuite de 7 à 21 jours [9]. Le champignon est actif dès le 1er jour ; 3 jours après, il est déjà possible d’observer la croissance du champignon à travers la formation d’un duvet blanchâtre en surface des objets (Figure 3). À la fin du traitement le gel est retiré et les surfaces nettoyées avec une solution d’éthanol à 70 % v/v [9]. La majorité de celui-ci peut être retirée à la main ou au moyen d’une spatule. Le gel restant peut être Figure 3. Développement de la biopatine après 4 jours de traitement sur deux fibules du corpus. Présentation 8 Eve Paillaux et al. PAGE 83 nettoyé avec une brosse souple et de l’eau déminéralisée ou de l’éthanol 70 % v/v utilisé pour le rinçage. Enfin, l’utilisation d’air comprimé peut être recommandée pour le retrait d’éventuels résidus de gel. Le temps de retrait et de rinçage peut être estimé entre 3 à 5 minutes (pour des objets dont les dimensions sont comprises entre 3 et 15 cm). Les gels usagés ne nécessitent pas de recyclage spécifique des déchets. Une fois les objets nettoyés et rincés, une évaluation du traitement est effectuée, notamment par observation visuelle d’un voile vert clair en surface de l’objet qui atteste de la présence d’oxalates de cuivre [10, 11]. Pour aller plus loin, l’évaluation peut également être réalisée à l’aide de techniques d’analyse pour confirmer la formation d’oxalates de cuivre, par exemple au moyen de la spectroscopie infrarouge à Transformée de Fourier (FTIR) (Figure 4). Le conservateur-restaurateur doit avoir une visibilité des interventions claires de manière à anticiper l’achat de la biopatine, car il faut prévoir une semaine à l’avance pour un achat en direct au fournisseur, sinon le kit peut être stocké au réfrigérateur avec une garantie de stabilité d’au moins 6 mois. Comparé à une utilisation d’inhibiteur de corrosion, le coût de la biopatine est à 60 € H.T. pour un kit de préparation d’1L de biopatine (prix dégressif dès lors que les quantités augmentent ou que l’agent gélifiant proposé de base est différent), contre 41,10 € H.T. pour 100 g de BTA, équivalent à une préparation d’un peu moins de 3L de BTA à 3 % [12]. Le traitement est globalement simple d’utilisation et assez rapide de mise en œuvre et ne nécessite pas d’équipements spécifiques. Les avantages majeurs restent son innocuité pour l’humain et l’environnement, ainsi que sa durabilité dans le temps [10]. Pics associés aux oxalates de cuivre. Figure 4. Spectre ATR-FTIR obtenu sur l'objet numéro R46 du corpus n°1 comprenant 84 objets, représentatif des analyses qui ont mis en évidence la présence d'oxalates de cuivre (816, 1622, 1360, 1315 cm-1). 2 - Évaluation sur un large corpus C’est dans les laboratoires de l’Université de Neuchâtel en Suisse que s’est déroulé le traitement d‘objets issus des collections du SDAVO (Service Départemental Archéologique du Val-d’Oise). L’objectif était de protéger ces artefacts et d’évaluer sur ce large corpus la présence d’oxalates de cuivre après l’application du traitement biopatine et donc de déterminer son efficacité. Nous avons ainsi sélectionné 84 objets qui provenaient de Beaumontsur-Oise et de Saint-Ouen-l’Aumône, comprenant une grande majorité de monnaies et de fibules [14]. Sur ce large corpus, nous avons entrepris de réaliser des analyses avant et après traitement et ainsi de déterminer qu’aucun oxalate de cuivre n’était présent avant l’application de la biopatine. Nous avons utilisé des techniques d’analyse comme la spectroscopie FTIR sur un maximum d’objets, et de manière ponctuelle la microspectroscopie Raman [15, 16]. Des analyses colorimétriques ont également été effectuées avant et après pour attester du changement de couleur qu’engendre la biopatine [17]. Chronologiquement parlant, nous avons effectué les analyses avant traitement, procédé à la préparation du kit biopatine et à l’application sur le corpus d’objets. Nous avons également observé les objets en cours de traitement à intervalles réguliers, notamment pour les objets Présentation 8 Eve Paillaux et al. PAGE 84 étamés plus fragiles, et enfin procédé à un retrait du gel et à un rinçage minutieux, avant une évaluation visuelle et analytique après traitement. Le traitement biopatine a duré 7 jours sur tous les objets et seulement 4 jours pour les objets étamés plus fragiles. À la suite du traitement, nous pouvons attester visuellement d’un changement de couleur sur 79 objets sur 84, incluant l’apparition d’un voile vert à la surface du mobilier archéologique (Figure 5). Ce changement de couleur est un indicateur de la formation d’oxalates de cuivre à la surface des objets [10]. Ainsi nous pouvons observer près de 94 % de réussite. Les analyses colorimétriques ont pu par ailleurs appuyer nos observations visuelles en comparant les données avant et après traitement. D’autres analyses sont venues compléter nos constatations visuelles, nous avons effectué plusieurs analyses sur chacun des objets. Les analyses ponctuelles FTIR et Raman montrent que, sur 47 artefacts analysés de ce corpus, 60 % attestent de la présence d’oxalates de cuivre sur tous les points analysés et que 72 % ont montré au moins à un point d’analyse correspondant à des oxalates de cuivre (Figure 4). À noter que ces analyses sont d’une résolution spatiale de l’ordre de quelques micromètres, sont ponctuelles et demandent un bon contact (pour le mode ATR en spectroscopie FTIR) ou une réponse au laser (dans le cas de la microscopie Raman). Des images obtenues au microscope électronique à balayage ont montré dans d’autres cas similaires sur la totalité de la surface traitée avec la biopatine, la formation et le recouvrement en intégralité par des oxalates de cuivre [18]. Avant Après Figure 5. Instrument de toilette en alliage cuivreux photographié avant et après le traitement biopatine. Ponctuellement, certains effets secondaires ont pu être observés comme des changements de couleur autres que le voile vert. On note que certaines zones oxydées de couleur rouge deviennent orange après traitement, et que dans de rares cas, la patine verte initialement présente sur l’objet semble avoir diminué pour laisser apparaît une surface oxydée sous-jacente de couleur marron. Ceci peut s’expliquer dans le cas de patines initiales d’épaisseur très fine de l’ordre quelques micromètres. De même, sur certains objets pour lesquels la surface était proche du métal, des zones métalliques sont apparues ou se sont agrandies [19]. Sur les objets qui possédaient des zones ferreuses, nous avons pu constater un ramollissement de celles-ci. Un ternissement des étamages a été également observé, cependant après seulement 4 jours de traitement des oxalates de cuivre ont été identifiés [20]. Dans un seul cas, une tache est apparue, probablement due à la présence d’un ancien revêtement organique. Enfin de manière relativement rare, nous avons observé l’apparition d’une poudre grise, à la surface des objets, identifiée comme des résidus de gels, et sur 3 objets nous notons la présence d’efflorescences vert clair assez peu pulvérulentes, qui pourraient être des chlorures de cuivre. Pour attester de la protection des oxalates de cuivre, nous avons placé 15 objets qui présentaient potentiellement des chlorures de cuivre en chambre humide. Après 3 jours à 97 % d’humidité relative (HR), 20 % des objets (les 3 objets cités plus haut) ont montré une réactivation de corrosion sur les zones qui présentaient des efflorescences (Figure 6), celles-ci identifiées comme étant de l'atacamite [20, 21]. Sur un des objets, nous avons confirmé la présence d’oxalates de cuivre à l’endroit de cette efflorescence. Nous mettons ici ce cas en exergue puisqu’il permet de s'interroger la durée de traitement optimale (4 jours pour les objets étamés fragiles ou 7 jours) Présentation 8 Eve Paillaux et al. PAGE 85 © Eve Paillaux ou une limite de la protection dans des conditions environnementales extrêmes (97 % HR, qui ne sont bien sûr pas représentatifs des atmosphères en condition muséographique). Après un second traitement biopatine de 7 jours et une réexposition en chambre humide, 2 des 3 objets présentant une réactivation de corrosion après la 1e exposition en chambre humide, n’ont pas montré de nouvelles efflorescences. Ce qui confirme que le temps initial de traitement fixé à 4 ou 7 jours était insuffisant dans le cas d’objets fortement chlorurés (pour rappel, un temps minimal de 7 jours est recommandé par le fournisseur du kit, de même qu’un renouvellement de traitement en présence de chlorures de cuivre). Figure 6. Réactivation de la corrosion en chambre humide à 97 % d'HR après un traitement biopatine de 7 jours. 3 - La biopatine : Un traitement en masse ? Au moyen d’un second corpus de 11 objets, sont mises en avant les questions du traitement de masse et du temps de traitement effectif [22]. En effet, l’objectif de traitement de ce corpus de 11 objets est double, il permet d'une part d’appliquer la biopatine sur une période plus longue de 14 jours et d'autre part de traiter les artefacts en masse. Les 14 jours de traitement sont réalisés dans le but d'éviter de devoir retraiter les objets après 4 ou 7 jours comme nous avons pu le constater précédemment dans le cas d’objets (3 sur 15 objets) fortement chlorurés. Un traitement dit « de masse » en Conservation-Restauration est un traitement qui permet de traiter de nombreux objets simultanément, avec des conditions opératoires analogues dans le but d’obtenir le même résultat sur cet ensemble, c’est-à-dire dans notre cas, la formation d’oxalates de cuivre grâce à l’application du traitement biopatine [20]. Il permet de gagner du temps en optimisant à la fois le temps de traitement et le nombre d'objets qu’il inclut. L’optimisation ainsi obtenue permettrait de gagner du temps de réalisation et donc une utilisation facilitée et plus régulière en atelier de Conservation-Restauration. Ce traitement de masse s’est effectué au laboratoire de restauration du SDAVO. Nous n’avons pas accès ici aux techniques d’analyse disponibles pour le corpus précédent. Nous avons réalisé sur ce deuxième corpus un traitement d’une durée de deux semaines avec le kit biopatine fourni et conformément au protocole [9]. L'observation visuelle est utilisée pour l'évaluation du traitement. Pour l'application, nous avons recouvert le fond d’une boîte hermétique d’un lit de gel sur lequel nous venons positionner les objets. Grâce à l'utilisation d’une spatule, les objets sont recouverts en une fois avec une autre couche du même gel. Nous constatons que le temps de l’application a drastiquement réduit et l'on peut l'estimer à un total de 5 minutes pour un corpus de 11 objets. Il est à noter que les formes complexes des objets sont toutefois à prendre en compte et peuvent nécessiter des soins particuliers pour suivre la topographie de leurs surfaces. La boîte est ensuite refermée et stockée à température ambiante. Un bon développement du champignon est observé après quelques jours de traitement, avec des petites expansions blanches au début, un nuage très duveteux vers le milieu du traitement et un duvet affaissé après 6 jours de traitement, ce qui représente un développement « normal » du champignon (Figure 7). Au cours du traitement, une contamination a été observée, sans que cela impacte l’efficacité du traitement ou les objets eux-mêmes. Nous avons observé également une coloration orange partielle du gel (visible en haut, à droite, sur la Figure 7), cela peut être expliqué par la présence d’oxyde de fer ou de migration de composés que nous n’avons pas analysés dans le gel, cela n’a eu égale- Présentation 8 Eve Paillaux et al. PAGE 86 © Eve Paillaux ment aucun impact sur l’efficacité du traitement. Après une évaluation visuelle, les objets sont tous recouverts sur toute leur surface d’un voile vert suggérant la formation d’oxalates de cuivre (Figure 8) [23]. Nous constatons qu’après 14 jours, ce voile vert clair est plus prononcé que celui formé après seulement 7 jours, en effet la couche d’oxalates de cuivre est plus conséquente. Le temps estimé au nettoyage des objets après traitement est le même que dans le cas de traitement d’objets isolés. Figure 7. Aspect après 7 jours de traitement de masse biopatine réalisée sur un corpus de 11 objets. Avant Après Figure 8. Photographies avant et après le traitement biopatine réalisé en masse pendant 14 jours. Conclusion La biopatine est un traitement qui a prouvé son efficacité et qui se révèle être une vraie alternative aux inhibiteurs de corrosion. Elle a montré des résultats très satisfaisants pour la protection du patrimoine archéologique en alliage cuivreux avec près de 94 % de réussite pour le premier corpus et 100 % pour le second corpus, estimée par observation visuelle. Nous constatons que quelques reprises de corrosion ont eu lieu sur des objets fortement chlorurés mais, au besoin, il est possible de retraiter les objets pendant 7 jours ou alors d’appliquer le traitement pendant 14 jours pour y remédier. Nous avons mis en évidence avec le second corpus qu’un traitement de 14 jours était aussi sinon plus satisfaisant avec la formation d’un voile vert clair plus prononcé, attestant de l’efficacité du traitement. Pour le futur, un contrôle des objets en réserve pourrait être envisagé pour attester de l’efficacité de ce film dans le temps dans de vraies conditions. À noter que des observations ont été effectuées sur un corpus d’une dizaine d’objets, à 5 ans d’intervalle du traitement biopatine et qu’aucune dégradation n’a été observée après ce stockage en conditions environnementales non contrôlées, un suivi d’un corpus conséquent sur le long terme serait utile pour compléter les données [18, 20]. Des optimisations seraient à envisager pour la réalisation de traitements de masse telles que l’amélioration des procédés de retrait du gel, ou même l’utilisation d’un gel alternatif compatible. Une évaluation plus poussée de traitements localisés sur des zones de corrosion active serait à poursuivre, des travaux montrent déjà des résultats, il serait bon de jouer sur les paramètres de temps d’application et procéder à un suivi plus long post-traitement en condition réelle de réserve sur un corpus plus conséquent [3]. Les perspectives de recherche restent larges et il pourrait être également envisageable dans le futur de procéder à des études sur l’utilisation de la biopatine combinée avec des traitements différents de déchloruration ou de protection. Des études statistiques plus approfondies pourraient être envisagées à condition que le corpus soit composé d’objets très similaires et d’une connaissance très approfondie de chaque objet. Présentation 8 Eve Paillaux et al. PAGE 87 Références [1] Joseph, Édith, Sylvie Cario, Anaële Simon, Marie Wörle, Mazzeo Rocco, Pilar Junier, et Daniel Job. 2011. « Protection of Metal Artifacts with the Formation of Metal–Oxalates Complexes by Beauveria bassiana ». Frontiers in microbiology 2 (janvier): 270. https://doi.org/10.3389/fmicb.2011.00270. [2] Albini, Monica, Lucrezia Comensoli, Laura Brambilla, Emmanuelle Domon Beuret, Wafa Kooli, L. Mathys, Paola Letardi, et Édith Joseph. 2015. « Innovative biological approaches for metal conservation ». 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Cahier Technique de l’ARAAFU (Association des Restaurateurs d’Art et d’Archéologie de Formation Universitaire) 22 (décembre). [11] Albini, Monica, Paola Letardi, Lidia Mathys, Laura Brambilla, Julie Schröter, Pilar Junier, et Édith Joseph. 2018. « Comparison of a Bio-Based Corrosion Inhibitor versus Benzotriazole on Corroded Copper Surfaces ». Corrosion Science 143 (octobre): 84-92. https://doi.org/10.1016/j.corsci.2018.08.020. [12]« 1H-Benzotriazole». s. d. Consulté le 21 novembre 2022. http://www.sigmaaldrich.com/. [13] Joseph, Édith, Anaële Simon, Silvia Prati, Marie Wörle, Daniel Job, et Mazzeo Rocco. 2011. « Development of an analytical procedure for evaluation of the protective behaviour of innovative fungal patinas on archaeological and artistic metal artefacts ». Analytical and bioanalytical chemistry 399 (mars): 2899-2907. https:// doi.org/10.1007/s00216-010-4279-2. [14] Wabont, Monique, Franck Abert, Didier Vermeersch, Jean Préfacier Leclant, et Michel Provost. 2006. 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PAGE 91 RECHERCHE D’UN SYSTÈME POUR LA PROTECTION D’UN TAIN À L’ARGENT CONTRE LE TERNISSEMENT : RÉFLEXION ENTRE EFFICACITÉ, IMPACT MATÉRIEL ET VISUEL Louis Lecoubet* Conservateur-restaurateur, Ipso Facto louis.lecoubet@ipsofacto.coop Anne Genachte-Le Bail, Ingénieure d’études, DRAC Occitanie – Service Régional de l’Archéologie anne.genachte-le-bail@culture.gouv.fr Aurélie Tournié, Ingénieure de recherche, Centre de Recherche sur la Conservation CRC UAR3224 CNRS aurelie.tournie@mnhn.fr Monika Neuner, Conservatrice-restauratrice - Peinture et décors sous verre, MNGA sas neuner.monika-gabriele@orange.fr * Auteur correspondant Résumé L’argent est utilisé depuis la seconde moitié du XIXème siècle dans la fabrication des miroirs, en remplacement de l’amalgame étain-mercure. La couche d’argent du tain est très fragile par sa finesse et par sa réactivité aux polluants. Ainsi, après argenture, le tain est isolé à l’aide d’une ou de plusieurs couches de protection afin d’éviter que la couche réflective ne se corrode. L’objet de cette recherche est un miroir à l’argent, faisant partie d’un objet produit au début du XXème siècle en Iran, dont les couches de protection ont été retirées pour une raison inconnue. Cette étude s’est axée sur la manière la plus adaptée de stabiliser l’altération du tain de cet objet de nature composite et particulièrement fragile. Deux méthodes de protection ont été comparées : l’application d’une ou de plusieurs couches de protection à même le tain, en s’inspirant des techniques traditionnelles du patrimoine métallique, et l’encapsulation hermétique du revers du miroir à l’aide de films pare-vapeur. Les systèmes ont été appliqués sur des plaques de verre argentées et évalués en fonction de leur efficacité à protéger le tain dans une atmosphère agressive. L’impact matériel de la pose et du retrait des systèmes ainsi que l’impact optique sur le reflet du miroir (réflexion, couleur) ont également été évalués. Le système ayant montré les meilleurs résultats à tous les critères d’évaluation est l’encapsulation du tain à l’aide du film Reactive Intercept Barrier System et du ruban aluminium de la marque 3M®. Une veille sanitaire a été préconisée afin d’évaluer l’efficacité du système dans des conditions réelles. Mots clés Miroir, Argent, Ternissement, Protection, Encapsulation Introduction L’argenture chimique du verre représente dans la seconde moitié du XIXème siècle une innovation technique qui va révolutionner l’industrie miroitière. Le reflet gagne en luminosité et en précision, la production est plus rapide et moins coûteuse, ce qui permet la démocratisation du miroir. Présentation 9 Louis Lecoubet et al. PAGE 92 Cependant, le dépôt métallique qui constitue le tain est facilement sujet à la corrosion. En plus de compromettre l’intégrité matérielle de l’objet, la sulfuration de l’argent entraine l’apparition de taches noires qui altèrent la pureté et la réflectivité du miroir. C’est le cas du miroir à l’argent, de l’objet 71.1935.525.115, daté du début du XXème siècle et conservé au musée du quai Branly – Jacques Chirac (mqB-JC) [1]. Lors de la phase de constat, il a été mis en évidence que les couches de protection du miroir avaient été retirées (Figure 1). Ce retrait a laissé l’argent en proie aux polluants atmosphériques et le tain a en grande partie perdu son caractère réfléchissant. Figure 1. Face (à gauche) et revers (à droite) du miroir central de l’objet 71.1935.115.525 (27,5 x 20,5 cm). ©Lecoubet 2021. Les miroirs à l’argent : contexte historique et technologique Les miroirs étaient originellement constitués d’une plaque d’obsidienne (dès le VIIème millénaire avant notre ère) ou de métal (à partir de l’Antiquité) dont la face était polie afin de permettre à la lumière de s’y réfléchir. A partir du Ier siècle de notre ère, le verre commence timidement à être utilisé dans les miroirs comme support structurel et diffuseur de lumière. La feuille de verre, aussi appelée « glace », est différenciée du revêtement métallique, le « tain », posé au revers et permettant la réflexion. La nature du revêtement métallique utilisé influe sur la qualité et la luminosité du reflet. Les différentes techniques de métallisation qui se succèdent au fil des siècles témoignent d’une recherche d’amélioration de la réflexion des miroirs. La couche de plomb fondu, utilisée depuis l’Antiquité, est suppléée, au XVème siècle, par un amalgame plomb-mercure puis, le siècle suivant, par un amalgame étain-mercure. En 1835, le professeur allemand Justus von Liebig découvre un moyen d’argenter du verre à partir de la réduction d’une solution de nitrates d’argent par des aldéhydes. L’argenture par réaction d’oxydo-réduction est rapidement reprise par les chimistes de toute l’Europe (Drayton, Petitjean, Pratt…) et perfectionnée de manière à être utilisée dans l’industrie miroitière. Cette technique est beaucoup moins toxique que celle de l’amalgame étainmercure, plus rapide et permet d’obtenir un tain d’une réflectivité bien plus importante (96,3 % de réflectivité pour les miroirs à l’argent contre 59 % pour les miroirs à l’amalgame [2]). L’argenture chimique du verre dans la fabrication de miroirs s’impose ainsi face à l’étamage à l’amalgame à partir des années 1870 en Europe. Présentation 9 Louis Lecoubet et al. PAGE 93 Malgré une multitude de variations au fil des années, la technique de l’argenture est généralement constituée de quatre étapes. La face de la glace destinée à recevoir le tain est soigneusement nettoyée afin d’optimiser l’adhérence du dépôt métallique au verre. Le verre est ensuite sensibilisé à l’aide d’une solution de chlorures d’étain. Les atomes d’étain se lient au squelette siliceux par des liaisons fortes et servent de sites de nucléations lors de la précipitation des particules d’argent colloïdales [3]. Une solution de nitrates d’argent ammoniaquée est mélangée à une solution réductrice à base de sucre et versée sur la glace. Les aldéhydes présents dans le sucre induisent la précipitation de l’argent sous forme d’un dépôt métallique homogène. Le dépôt d’argent obtenu est très fin, entre 0,1 et 0,5 µm. Les produits organiques résultant du processus de réduction sont ensuite nettoyés à l’aide d’une peau de chamois. Le principal inconvénient des miroirs à l’argent est la grande sensibilité du tain. L’argent est un métal mou et très réactif à certains composés organiques volatils, rendant le revêtement métallique sensible aux agressions physiques et chimiques. De ce fait, les miroirs à l’argent reçoivent une ou plusieurs couches de protection afin d’assurer la longévité du tain. Au moins deux couches distinctes sont généralement présentes. La première couche est constituée d’une résine animale ou végétale appliquée de manière fluide. Sa fonction principale est de protéger le tain des sollicitations mécaniques induites par le passage de la seconde couche. Cette dernière est, jusqu’à la fin de la première moitié du XXème siècle, communément composée d’un diluant, d’un liant bitumeux, résineux et/ou huileux ainsi que d’oxydes métalliques (fer, zinc, plomb) [4]. Elle joue un rôle de protection physique mais également électrochimique. Durant la seconde moitié du XXème siècle, les miroitiers utilisent également des peintures synthétiques et des peintures cuites (résines phénoliques, époxydiques, polyesters…). A partir des années 1950, en plus des peintures de protection, le tain à l’argent peut également être recouvert d’une couche de cuivre, par dépôt galvanique ou par réduction chimique, qui joue le rôle d’anode sacrificielle et protège plus encore le tain des attaques électro-chimiques. L’altération du tain, une problématique particulière en conservation restauration Outre les altérations structurelles de la glace, les principales dégradations des miroirs à l’argent sont dues à la corrosion du dépôt métallique constituant le tain. Cette corrosion est généralement liée à une altération ou à des défauts de mise en œuvre des couches de protection. Il est possible de différencier les altérations mécaniques (rayures, abrasions) et physico-chimiques (soulèvements, écaillages des couches de protection). Dans les deux cas, l’argent est mis à nu et réagit avec l’atmosphère. Le tain se corrode alors localement et de manière préférentielle là où la couche de protection présente des failles. La corrosion de l’argent débute généralement par l’oxydation des atomes de surface, non-équilibrés et donc très réactifs [5]. Les zones oxydées présentent alors un léger ternissement. Quand des composés sulfureux réduits sont disponibles à proximité, ils réagissent avec ces oxydes argenteux pour former des composés plus stables. Cette couche de sulfures d’argent, semi-conductrice, va s’épaissir et se diffuser de manière concentrique. Le tain prend alors une teinte allant du jaune au noir (Figure 2). La corrosion du tain commence aux endroits où le métal est le plus exposé aux conditions environnementales, c’est-à-dire sur la face arrière et les bordures. Du fait de la faible épaisseur du dépôt métallique, l’altération se propage rapidement jusqu’à atteindre la face réfléchissante. Ces mécanismes de corrosion de l’argent entrainent une perte graduelle de la réflectivité du tain et donc une perte de la fonction de l’objet. Présentation 9 Louis Lecoubet et al. PAGE 94 Figure 2. Corrosion par piqure et soulèvements d’un tain à l’argent. ©Lecoubet 2021. La principale valeur culturelle associée aux miroirs est la valeur d’usage. L’usage d’un objet est généralement limité à sa période d’utilisation, c’est-à-dire avant son abandon ou sa patrimonialisation [6]. Dans le cas des miroirs, et plus précisément des miroirs en verre, la fonction d’usage est passive et indissociable de l’objet. Un miroir perdant sa fonction réflective devient alors difficilement compréhensible par l’observateur. De plus, les miroirs possèdent généralement ainsi que leur cadre une valeur esthétique forte et la corrosion du tain perturbe l’appréciation de cette valeur. L’altération des fonctions de l’objet et de son aspect esthétique incite au changement de la glace par une neuve. Si cette pratique est compréhensible durant la période d’utilisation de l’objet, elle pose des questions déontologiques une fois ce dernier patrimonialisé. En effet, le changement d’un miroir entraine la perte matérielle d’un élément original, ou tout du moins important dans la vie de l’objet, et de son potentiel informatif. De plus, avec l’évolution des techniques verrières et la pluralité des techniques d’argenture, la perception et la teinte du reflet peuvent être modifiées. De ce fait, la protection du tain des miroirs à l’argent représente un enjeu patrimonial puisqu’elle permettrait de stabiliser la corrosion du tain et de conserver les glaces anciennes, respectant ainsi à la fois l’intégrité matérielle et immatérielle de l’objet [7]. Approches et spécificités de la protection des miroirs à l’argent La protection de l’argent est un sujet important de la conservation du patrimoine métallique. Plusieurs études ont déjà abordé la question. Cependant, celles-ci ne prennent pas en compte les spécificités techniques et matérielles des miroirs à l’argent. Contrairement aux objets en métal, la face du tain à protéger est située au revers de la glace et n’est pas visible lorsque le miroir est présenté. En revanche, la présence et la solubilité d’un vernis de protection original sur le métal influent dans la méthode de protection et d’application choisie. Pour le cas du miroir du mqB-JC, des analyses par chromatographie gazeuse couplée à la spectrométrie de masse et par micro-fluorescence de rayons X ont permis de caractériser le vernis original. Il est composé d’un mélange de résine dammar, de résine de pin et d’une huile, chargé d’oxydes de fer et de zinc. De plus, lors de la sulfuration d’une argenture sur verre, les produits de corrosion sont plus fragiles face aux sollicitations mécaniques et développent une sensibilité importante à l’eau. L’extrême finesse du dépôt métallique, Présentation 9 Louis Lecoubet et al. PAGE 95 de l’ordre du dixième de micromètre, sa fragilité et sa sensibilité aux solutions aqueuses rendent ainsi difficilement envisageable le retrait des produits de corrosion avant protection. Aucun des systèmes de protection aujourd’hui employés dans la conservation du patrimoine métallique n’est pérenne, et même si les produits utilisés sont reconnus pour leur stabilité, le système finit inévitablement par perdre en efficacité. Il doit donc être régulièrement changé. Dans le cas des miroirs, toute sollicitation mécanique représente un risque pour le tain. L’impact matériel induit par la pose et le retrait des systèmes de protection doit donc être quantifié. Enfin, le dépôt métallique étant extrêmement fin, la pose d’une couche supplémentaire peut modifier la teinte et/ ou la réflectivité du miroir. Même s’il permet sa conservation matérielle, l’éventuelle modification de la perception du tain doit être définie de manière à déterminer l’impact de cette intervention sur l’objet. Ainsi, outre le critère d’efficacité, les impacts matériels et visuels sur le tain des différents systèmes testés ont également été évalués dans la recherche d’une méthode de protection. La technique la plus courante et la plus étudiée en conservation d’objets métalliques consiste à créer une barrière entre l’objet et l’environnement en appliquant une résine et/ou une cire à même le métal [8 - 10]. Cette solution ne correspond pas à tous les critères établis pour la protection des miroirs : elle est invasive, et sa pose et son retrait nécessitent une action directe sur le tain. De plus, l’utilisation de solvant pour la mise en œuvre des cires et des résines peut présenter un risque pour le vernis de protection original. Elle permet cependant une action localisée dans le cas de pertes partielles ou ponctuelles du vernis. En se basant sur la littérature, trois résines, une cire, un système bicouche résine/cire, et un mélange cire-résine utilisés pour la protection des métaux [11 - 13] ont été retenus (Figure 3). La technique d’encapsulation, utilisée dans le domaine de la conservation préventive [14] et consistant à conditionner un objet sensible dans une poche hermétique, a été adaptée à la problématique des miroirs. L’encapsulation du tain permet une intervention peu invasive, et facilement réversible. Cette méthode est particulièrement adaptée aux miroirs plats et devient invisible pour l’observateur une fois le miroir remonté dans son système de présentation. Un film plastique et deux films multicouches, associés à un ruban adhésif aluminium ont été sélectionnés (Figure 3). Figure 3. Tableaux récapitulatifs des systèmes de protection testés. ©Lecoubet 2021. Présentation 9 Louis Lecoubet et al. PAGE 96 Expérimentation Ces différents systèmes ont été appliqués sur des éprouvettes de verre argenté d’une dimension de 70 x 50 x 2 mm. Dans un souci de reproductibilité, trois éprouvettes par système et par test ont été réalisées. Trois éprouvettes vierges ont également été soumises à chaque test pour servir de point de référence. La solubilité du vernis de protection original du miroir a été caractérisée de manière à trouver des solvants de mise en œuvre adaptés pour les cires et résines. Du fait de sa large gamme de solubilité, il a été difficile de trouver des solvants permettant une application optimale des couches de protection. Le diacétone-alcool a été retenu pour les produits polaires et un mélange cyclohexane-xylène (4:1) pour les produits moyennement ou peu polaires. Les produits ont été appliqués sur la couche d’argent des éprouvettes au pinceau, après dégraissage à l’éthanol et séchage du dépôt métallique. Le pourcentage des solutions utilisées et le nombre de couches de chaque système sont synthétisés dans la Figure 3. Pour l’encapsulation, les films ont été découpés aux dimensions des éprouvettes, en laissant sur chaque côté une bande correspondante à l’épaisseur du verre. Le ruban adhésif est découpé aux dimensions pour les bords latéraux, et collé sur la glace en bordure, sur 2mm. Pour les bords supérieurs et inférieurs, le ruban est coupé plus long. Les parties débordantes sont incisées au niveau des arêtes et rabattues de manière à fermer hermétiquement le système (Figure 4). Lors du montage, le film est tendu pour éviter qu’il ne frotte contre le tain, et le ruban aluminium est maté afin d’assurer l’étanchéité du système. Figure 4. Schéma de rabattage du ruban adhésif. ©Lecoubet 2021. L’efficacité des systèmes a été évaluée en plaçant les éprouvettes dans une enceinte saturée de composés sulfurés réduits durant 48 h. L’atmosphère agressive a été réalisée à l’aide d’une solution de sulfure de sodium (Na2S) à 1 % dans l’eau déminéralisée ajustée à pH 7, en s’inspirant du protocole proposé dans l’étude de Reedy C. L. et Al., 1999 [9]. Au cours de l’expérimentation, les conditions environnementales à l’intérieur des enceintes ont été maintenues à 25°C et environ 100 % d’humidité relative. La sulfuration de l’argent induit une modification colorée du métal. Les résultats ont été déterminés par comparaison visuelle et colorimétrique de l’état du tain avant et après sulfuration. Dix mesures colorimétriques ont été réalisées au travers de la glace à l’aide d’un spectrocolorimètre portable Konica Minolta® CM2600D sur chaque éprouvette. Les écarts avant et après corrosion ont été obtenus en calculant les ∆L*, ∆a*, ∆b* et ∆E* de chaque éprouvette. Durant l’expérimentation, les éprouvettes ont été observées à intervalles réguliers afin de caractériser la corrosion de l’argent dans le temps. L’impact visuel de la pose des systèmes sur le tain a été mesuré de manière à quantifier les modifications chromatiques et/ou de réflectance du tain et donc de la perception du reflet. Trois mesures de réflectance ont été réalisées par éprouvette avec un spectrophotomètre Cary® 5000 avant et après pose du système de protection. Pour Présentation 9 Louis Lecoubet et al. PAGE 97 ces tests, les éprouvettes ont été sulfurées avant la première prise de mesure, pour se rapprocher de l’état du miroir central. Les données obtenues ont permis d’obtenir les facteurs de réflexion spéculaire des tains et de calculer leurs coordonnées colorimétriques. La comparaison des mesures avant et après pose des systèmes renseigne ainsi sur une éventuelle modification dans la réflectance du tain mais également dans sa perception colorée. L’impact matériel a été quantifié par comparaison visuelle en lumière transmise des éprouvettes avant pose et après retrait des systèmes. Si le tain est altéré mécaniquement, une part moins importante de la lumière émise sera réfléchie par ce dernier et traversera l’éprouvette. Ici aussi, les mesures ont été réalisées sur des éprouvettes corrodées. Les systèmes d’encapsulation ont été démontés par la face, en passant une spatule métallique sous les rubans adhésifs. Pour les cires et les résines, une compresse textile ultra-absorbante (Evolon®) imbibée de solvant a été posée sur les systèmes durant 20 mn. Résultats et discussion Efficacité Après 48 h dans une atmosphère particulièrement agressive, toutes les éprouvettes montrent des signes de corrosion plus ou moins importants. La corrosion observée prend soit la forme de plages de corrosion uniforme, soit la forme de piqûres ou de taches. D’une manière générale, toutes les éprouvettes présentent une modification chromatique après sulfuration perceptible à l’œil nu (∆E*≥2), excepté pour les éprouvettes protégées par le Reactive Intercept Barrier System (RIBS). Ces altérations se traduisent par une modification plus ou moins importante du ∆L*, traduisant un assombrissement général du tain (Figure 5). Figure 5. Moyennes des variations de ∆L*, ∆a* et ∆b* après sulfuration (10 mesures par éprouvette, 3 éprouvettes par système). ©Lecoubet 2021. Présentation 9 Louis Lecoubet et al. PAGE 98 Les couches de protection associant cire et résine présentent les meilleurs résultats de leur catégorie. Cela peut être lié à l’épaisseur de la couche de protection, plus importante pour ces systèmes, rendant plus difficile la pénétration des composés sulfurés. Les systèmes d’encapsulation ont globalement montré une protection plus efficace contre la corrosion. Parmi les trois encapsulations testées, le film RIBS est de loin celui qui montre les résultats les plus probants. Impact visuel La pose des systèmes n’a que très peu impacté la perception des tains corrodés. Les ∆E* calculés sont inférieurs à 2, et donc jugés imperceptibles à l’œil nu, et les facteurs de réflexion n’ont perdu que 2 points après pose des systèmes (Figure 6). Ces mesures permettent d’assurer que l’impact visuel de la pose d’un système de protection sur un tain altéré, une encapsulation ou une couche de protection, est infime et peut donc être jugée comme négligeable. Figure 6. Comparaison des spectres de réflexion des éprouvettes RIBS avant et après pose du système de protection. ©Lecoubet 2021. Impact matériel L’observation en lumière transmise montre, pour les éprouvettes encapsulées, plusieurs micro-rayures principalement localisées en bordure du tain, au niveau des rubans adhésifs (Figure 7). Ces rayures semblent avoir été provoquées au moment de la mise en œuvre du système, en particulier lors de la pose du ruban adhésif. Pour les éprouvettes protégées à l’aide d’une couche de protection, plusieurs arrachements de l’argenture ont été observés après retrait du système. De plus, de nombreuses piqûres de corrosion, présentes avant la pose des systèmes, ont disparu. Ces pertes peuvent en partie être attribuables à la faible adhérence de la corrosion au verre. La protection du tain par l’application d’une couche de cire ou de résine est donc plus dommageable pour le miroir, au moment de son retrait, que le système d’encapsulation. Dans le cas des encapsulations, le tain demeure sensible à l’abrasion et aux rayures, en particulier lors de la pose des systèmes (matage du ruban d’aluminium). Figure 7. Éprouvette RIBSa après retrait du système, vue en lumière transmise. ©Lecoubet 2021. Présentation 9 Louis Lecoubet et al. PAGE 99 Choix du système de protection et application L’encapsulation du tain semble la solution la plus adaptée à la problématique soulevée par l’objet 71.1935.525.115. Les résultats de ces systèmes lors du test de sulfuration ont confirmé que cette solution était efficace pour la protection des tains à l’argent. Parmi les systèmes testés, les éprouvettes RIBS ont donné, et de loin, les meilleurs résultats en termes de protection contre les composés soufrés. Ce système allie un film très peu perméable aux composés soufrés et à la vapeur d’eau à un intercepteur de corrosion (particules de cuivre activées). Il protège ainsi efficacement le tain des COV, tout en assurant, en cas de rupture du système, une protection supplémentaire. C’est donc ce système qui a été retenu pour la protection du miroir du mqB-JC. Afin de limiter les altérations mécaniques du tain observées lors de la mise en place du film, il a été décidé d’utiliser un espaceur en carton de conservation neutre d’une épaisseur de 0,5 mm en interface entre le tain et le film de manière à absorber la pression induite par le matage. Cet espaceur a également servi de support pour la restitution colorée des lacunes de tain de bordure (Figure 8). L’encapsulation a été réalisée dans un environnement sec et contrôlé (T : 23°C ; HR : 38-42 %) pour éviter la création d’un microclimat à l’intérieur de l’encapsulation. Figure 8. Schéma d’encapsulation (à gauche) et miroir central après encapsulation (à droite). ©Lecoubet 2021. Conclusion Cette étude a permis de trouver une solution répondant aux critères d’efficacité, de réversibilité et d’esthétisme souvent associés aux problématiques de protection du patrimoine métallique. La mise en application de ces résultats sur un objet patrimonial est l’occasion d’évaluer en conditions réelles l’efficacité et la durée de protection du système retenu. De ce fait, une veille sanitaire a été préconisée pour le miroir du mqB-JC. Si la protection et la stabilisation des miroirs représentent le premier pas vers la conservation matérielle de ce patrimoine, les questions de la conservation et de la restauration de ses valeurs esthétiques et d’usage demandent encore à être étudiées. Nous espérons que ce domaine continuera à être exploré afin de permettre la reconnaissance patrimoniale des miroirs et leur conservation. Présentation 9 Louis Lecoubet et al. PAGE 100 Remerciements Les auteurs tiennent ici à remercier le musée du quai Branly – Jacques Chirac, et en particulier Hanah Chidiac responsable de l'Unité patrimoniale Afrique du nord et Proche Orient, et Stéphanie Elarbi, chargée de la restauration ; toute l’équipe de l’Inp et en particulier Martine Bailly, responsable de l’atelier Arts du feu et Christophe Meslin, chercheur en histoire. Références [1] Lecoubet L., « De l’autre côté du miroir » ; Etude, conservation et restauration d’un miroir iranien décoré de panneaux de verre peint (Epoque Qajar, fin du XIXème - début du XXe siècle, Paris, musée du quai Branly – Jacques Chirac) ; Recherche d’un système de protection d’un tain à l’argent contre le ternissement, Institut National du Patrimoine (2021) [2] Zywitzki O., Nedon W., Kopte T. et Modes T., Characterisation of Baroque Tin Amalgam Mirrors of the Historical Green Vault in Dresden, Applied Physics, Vol. 92 (2008) p. 123-126, p 126 [3] Czanderna A., Masterson K., Thomas T., Silver/Glass Mirrors for Solar Thermal Systems (1985) Solar Technical Information Program, p. 23 [4] Schweig B., Mirrors A guide to the manufacture of mirrors and reflecting surfaces, (1973) Pelham, p. 68 [5] Costa V., The deterioration of silver alloys and some aspects of their conservation, Studies in Conservation, Vol. 46, sup. 1 (2001) p. 18-34 [6] Appelbaum B., Conservation Treatment Methodology (2007) Butterworth-Heinemann [7] ECCO, La profession de conservateur-restaurateur, code d’éthique et formation (1993), révision de 2003 [8] Grissom C. 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PAGE 101 LE TYVEK®ET LES MÉTAUX : TOUJOURS UN BON CHOIX ? Marie-Anne Loeper-Attia* Conservatrice-restauratrice, Cité de la musique – Philharmonie de Paris, Centre de Recherche sur la Conservation maloeperattia@cite-musique.fr Oulfa Belhadj, CRC-MNHN, Centre de Recherche sur la Conservation, Paris oulfa.belhadj@mnhn.fr jean-thomas.vie@etu.sorbonne-universite.fr emeline.gllt@outlook.com eliottmestrallet@gmail.com Jean Thomas Vié, Émeline Gouillart, Eliott Mestrallet, * Autrice correspondante Résumé La Cité de la musique - Philharmonie de Paris conserve plusieurs centaines d'instruments de musique en métal. Parmi eux, des instruments à vent en laiton, en argent et en argent plaqué, et des pièces détachées comme des cordes de piano, des vis ou des armatures. Tous ces instruments sont souvent exposés, prêtés ou joués, et doivent être protégés des forces physiques et des valeurs inadaptées d’HR pendant leur stockage et leur transport. Cette protection est souvent assurée en les emballant dans des sacs en Tyvek®. Tyvek® est une marque déposée par DuPont de Nemours qui est fabriqué en polyéthylène haute densité (PEHD) et généralement utilisé en feuilles ou pour les combinaisons de protection individuelle. La feuille est un intissé, les filaments sont disposés de manière aléatoire et non directionnelle, et sont ensuite assemblés par la chaleur et la pression. Initialement utilisé dans les secteurs médical, pharmaceutique et la construction, le Tyvek est désormais largement utilisé dans le monde des musées, grâce à sa neutralité chimique et physique et à son innocuité pour les objets du patrimoine culturel. Il existe aujourd'hui plus de 50 sortes de Tyvek®, mais leur pertinence et leur innocuité pour le stockage des œuvres d'art, et notamment des objets métalliques, reste une question particulièrement importante. Plusieurs rapports ont fait état de la corrosion de métaux enveloppés dans du Tyvek®, et la question de savoir si cette corrosion est due au Tyvek®, au métal ou à l'interaction entre le métal et le Tyvek® dans certains environnements reste sans réponse. Après une revue de la littérature sur le matériau et ses propriétés, 10 types de Tyvek® ont été analysés par : - Des observations par photographie sous lumière visible et UV. - Fluorescence X (XRF), une technique d'analyse non destructive utilisée pour déterminer la composition élémentaire des matériaux inorganiques. - Spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier (IRTF), une technique analytique utilisée pour identifier les matériaux organiques, et dans certains cas, inorganiques, - Le microscope à balayage électronique (MEB) est utilisée pour voir la typologie des grains de métal déposé si un des produits de corrosion a migré sur le Tyvek®. Des tests de corrosion ont été réalisés en mettant en contact des feuilles métalliques d'argent, de cuivre et de plomb avec les Tyvek® sélectionnés, le tout placé dans une enceinte de vieillissement (température et hygrométrie relative variables). Les coupons métalliques et le Tyvek ont été photographiés avant et après les tests. La surface des Tyvek® a ensuite été réexaminée par les mêmes techniques. Une deuxième série de tests a été effectuée avec, cette fois ci, des restes de produits de nettoyage présents sur les métaux. L’ensemble des résultats des tests sera présenté ainsi que des pistes de réflexion pour les conditions d’utilisation du Tyvek® en milieu muséal. Mots clés Tyvek®, Corrosion, Métaux, Polluants Présentation 10 Marie-Anne Loeper-Attia et al. PAGE 102 Introduction Depuis plusieurs années, de nouveaux matériaux issus de l’industrie, sont de plus en plus utilisés dans le domaine muséal, que ce soit pour le transport, ou le stockage des objets métalliques. Ils permettent, notamment, de les protéger des variations climatiques (principalement HR), polluants, poussières ou autres contaminants exogènes. Parmi ces matériaux, le Tyvek® est très utilisé. Le Tyvek® est la marque commerciale fabriquée par DuPontTM [1]. C‘est un non-tissé 100 % à base de polyéthylène à haute densité (HDPE), qui est un polymère thermoplastique de grande diffusion. Il fait partie de la famille des polyoléfines, comme les polyéthylènes basse ou moyenne densité, et le propylène [2]. Le Tyvek® est un intissé, ce qui veut dire que les fibres sont disposées de manière aléatoire et non directionnelle, soudées à chaud et sous pression sans liant chimique. Pour certains, une trame est visible, elle résulte de l’impression d’une matrice toile sur l’intissé. Seul le Tyvek® 1622/1623E est microperforé (distance entre chaque microperforation de 0.5 et 1.0 mm). Le fait qu’il soit respirant, perméable à la vapeur d’eau et résistant en font un matériau de prédilection pour la conservation des métaux. Il est notamment utilisé dans les réserves de la Cité de la musique-Philharmonie de Paris pour la conservation des instruments de musique en cuivre. Néanmoins, plusieurs cas de dégradations de métaux en contact avec du Tyvek® ayant été rapportés, il a été décidé de pousser plus loin les recherches afin de vérifier son innocuité. Résultats et discussion Il existe une grande variété de Tyvek® commercialisés par DuPontTM dont les principaux sont rassemblés dans le Tableau 1. Tableau 1. Sélection des Tyvek ® utilisés pour l’étude avec les données fournisseurs sur les traitements utilisés. D’après DuPontTM, les Tyvek® conseillés pour le domaine patrimonial sont le 1622E et 1442R. Les caractéristiques de ces références montrent que ce sont des tissus assez fins et légers mais ils ont tous deux des traitements Corona et antistatiques. Le traitement Corona n’est pas de nature chimique, il change la rugosité du Tyvek® à l’aide de champs électromagnétiques forts pour garantir une meilleure adhésion pour la colle ou la couleur. Le traitement Corona est un traitement chimique non précisé par le fabricant. Néanmoins, des analyses de l’ICC en 1986 montraient la présence de dibutylphosphate de potassium. Ce produit n’est plus utilisé maintenant. Le Tyvek® peut contenir également quelques additifs ou impuretés dont la liste est donnée par DuPontTM. Les principaux fabricants européens comme King Nonwovens Group et Hindermann GmbH proposent aussi le 1560K, 2462C et le 2473L. Le catalogue de fournitures CXD propose quant à lui le 1443R, 1703D, 1622 et le 1082D ; certains ayant ou non des traitements antistatiques ou Corona. Enfin le revendeur de produits pour la conservationrestauration Pel (Preservation equipment) propose quant à lui le 1622E. Il faut savoir aussi que ces produits évoluent régulièrement et que leurs références changent comme le 1622E commercialisé aujourd’hui sous le nom de 1623E. Présentation 10 Marie-Anne Loeper-Attia et al. PAGE 103 Les échantillons de métaux Cu, Pb et Ag ont été polis à l’aide de disque de polissage au carbure de silicium grain 1200/2400/4000, suivi d’un polissage fin avec une solution de diamant en suspension de 3 µm. Un rinçage à l’eau distillée, à l’éthanol et à l’acétone a été effectué afin d’éliminer des dépôts éventuels. Des photographies sous lumière visible et UV (312 nm) ont été prises pour chaque échantillon (Tyvek® seuls, métaux seuls, et les coupons mis en contact avec les Tyveks®) avant et après vieillissement dans l’enceinte. Les coupons ont été analysés par fluorescence des rayons (XRF) [3, 4] et spectroscopie infrarouge à transformée de Fourrier (IRTF) avant et après vieillissement en milieu humide. Les coupons métalliques préparés ont été déposés sur les Tyvek® que l’on cherche à étudier, dans une enceinte de vieillissement pendant 25 jours selon le cycle de vieillissement suivant : 12h passage de 20°C/40%HR à 30°C/80%HR puis 12h passage de 30°C/80%HR à 20°C/40%HR. (Figure 1). Figure 1. Conditions de température et d’humidité des cycles de vieillissement. Une première étude, en mettant uniquement les Tyvek® sélectionnés (tableau 1) et des coupons métalliques (Cu, Ag, Pb) en contact en milieu humide, a permis de montrer qu’aucune corrosion de surface n’était visible et aucune migration de produit de corrosion n’est à noter. Une deuxième série d’essais a été lancée avec des échantillons métalliques contenant des traces de produit de nettoyage, afin de vérifier la capacité du Tyvek® à protéger des métaux corrodés dans des environnements agressifs. Le protocole de corrosion des coupons a été le suivant : Les coupons métalliques ont été immergés à mi-hauteur pendant une heure et demie dans des solutions de nettoyage adaptées à chaque métal afin de dégrader artificiellement les métaux, et les rendre plus réactifs : - Pour les échantillons en cuivre de l’acide formique à 10% et dans l’eau déminéralisée. - Pour les échantillons en plomb une solution d’acide sulfurique à 2% (solvant : eau déminéralisée). - Pour les échantillons en argent, un mélange d’acide formique avec de la thiourée a été utilisé (100 mL H2O, 8 g thiourée et 3 g H2SO4) Le même protocole d’observation et d’analyse que précédemment a été appliqué avant et après passage en enceinte de vieillissement : Observation en lumière visible et UV. Analyse par IRTF, XRF et observation par microscopie électronique à balayage (MEB). Les premiers résultats de cette deuxième série d’essais montrent que la corrosion a continué de se développer sur certains coupons de plomb et que des produits de corrosion ont migré sur quelques Tyvek® (Figure 2). Présentation 10 Marie-Anne Loeper-Attia et al. PAGE 104 Figure 2. de gauche à droite image, photographie sous lumière visible, d’un échantillon de Tyvek® avec les coupons métalliques d’argent, de plomb et de cuivre, la photo sous lumière UV du même Tyvek® avec les coupons métalliques, la photographie sous lumière UV de la zone de contact entre les coupons et le Tyvek®, la photographie sous lumière visible de l’emplacement des coupons, sur laquelle aucun dépôt n’est visible, cartographie de la raie Lα du plomb, avec en blanc la présence de plomb et en noir l’absence de plomb. Conclusion Ces premiers résultats semblent montrer qu’aucune corrosion n’est générée au contact du Tyvek sur les métaux testés dans les conditions environnementales testées. Néanmoins la poursuite de la corrosion sur les coupons en plomb semble indiquer que le Tyvek® n’est pas une protection suffisamment efficace, du fait de ces propriétés respirantes. Les observations sous UV permettent de mieux observer la corrosion des coupons métalliques sur les zones corrodées (Figure 2). Les analyses par XRF ont montré que sur certains échantillons de Tyvek® le dépôt d’un composé contenant du plomb était présent (Figure 2, image de droite) Ce qui a été confirmé par l’imagerie au microscope à balayage électronique. Les mesures IRTF n’ont pas permis d’identifier les produits de corrosion déposés. Les spectres avant et après vieillissement sont équivalents. Le dépôt est probablement très fin, le signal du PEHD est majoritaire, et aucun pic supplémentaire n’est visible. Des analyses plus ciblées sur les produits de corrosion présents sur la croix sonore (Figure 3) sont en cours et devraient permettre de mieux identifier les limites d’utilisation du Tyvek®, notamment pour savoir s’il offre une protection suffisante pour des métaux corrodés ou avec des dépôts quand les conditions climatiques de conservation sont dégradées. Figure 3. Corrosion à la surface de la Croix Sonore emballée dans du Tyvek suite à un confinement prolongé en caisse de transport. ©LoeperAttia-2022 Présentation 10 Marie-Anne Loeper-Attia et al. PAGE 105 Remerciements Nous tenons à remercier : la Licence mineure d’Histoire Naturelle de Jussieu qui a permis à plusieurs de ses étudiants de participer à ces travaux, Thierry Romao de la société DuPont de Nemours du Luxembourg pour son aide technique et sa disponibilité, Judith Monnier de l’Institut de Chimie et des Matériaux Paris Est pour ses conseils avisés pour la préparation des échantillons, Les différentes institutions qui ont partagés avec nous leur expérience avec le Tyvek®. Références [1] DUPONT® TYVEK®, 2001. «Product and Technical Manual for Tyvek®», DuPont® Tyvek®, http:// www.tyvek.com [2] Dossogne, R. 2010. Polyéthylène haute densité PE-HD. In Plastiques et composites, eds.Techniques de l’Ingénieur, AM2 3315 1 to 10, Paris [3] Matthias A., Broekaert J. A.C., Mobile depth profiling and sub-surface imaging techniques for historical paintings—A review, Spectrochimica Acta Part B: Atomic Spectroscopy 88, 2013, 211-230, ISSN 0584-8547, https:// doi.org/10.1016/j.sab.2013.07.009 [4] Mantler M., Schreiner M., X-ray fluorescence spectrometry in art and archaeology. X-Ray, Spectrom. 29, 2000, 3–17 PAGE 106 Présentation 11 Michaela Florescu et al. PAGE 107 SUIVI DE L’ÉTAT DE CONSERVATION DES SCULPTURES EN MÉTAL ET DE LEUR ENVIRONNEMENT DANS LES MUSÉES D’ART EN SUÈDE Michaela Florescu* Conservatrice-restauratrice, Moderna Museet, Stockholm, Sweden m.florescu@modernamuseet.se Stavroula Golfomitsou*, Department of Conservation, University of Gothenburg, Gothenburg, Sweden stavroula.golfomitsou@gu. Elyse Canosa, Department of Conservation, University of Gothenburg, Gothenburg, Sweden elyse.canosa@gu.se Mariateresa Pullano, Gothenburg Museum of Art, Gothenburg, Sweden mariateresa.pullano@kultur.goteborg.se Malin Borin, Gothenburg Museum of Art, Gothenburg, Sweden Malin.Borin@kultur.goteborg.se Eva Nygårds, Gothenburg Museum of Art, Gothenburg, Sweden eva.nygards@kultur.goteborg.se Karin Hermerén, Moderna Museet, Stockholm, Sweden k.hermeren@modernamuseet.se * Autrices correspondantes Résumé Dans le contexte des discussions actuelles autour des émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques, peu d’évaluations prennent en compte l’impact que ces polluants pourraient avoir sur les collections patrimoniales. Cette étude examine les mesures effectuées dans deux des plus importants musées d’art suédois, le Moderna Museet à Stockholm et le Göteborgs Konstmuseum à Göteborg, pour évaluer les conditions d’exposition d’une sélection de sculptures en métal. Les sculptures sélectionnées, comprenant des œuvres majeures d’artistes tels que Picasso, Fautrier ou Marini, présentaient des états de surface variables et étaient exposées dans des conditions environnementales variables d’un musée à l’autre, mais également au sein d’un même musée. L’objectif de cette étude était d’examiner le lien entre les conditions environnementales d’exposition de ces œuvres et l’état de conservation de leurs différents alliages constitutifs afin de pouvoir mieux comprendre le rôle des polluants dans le développement potentiel de la corrosion. Les méthodes d’analyse utilisées incluent la surveillance des polluants atmosphériques à l’aide de dispositifs d’échantillonnage passifs et l’analyse élémentaire par fluorescence X. Toutes les analyses ont été effectuées de manière non invasive sur site. L’analyse élémentaire a montré la présence de soufre et de chlore ainsi qu’un processus de corrosion sélective du zinc dans les alliages cuivreux. Parmi les polluants détectés figurait l’acide formique. Le recours périodique mais systématique à de telles mesures, en combinaison avec une observation visuelle documentée, pourra mettre en lumière la façon dont les conditions environnementales auxquelles les œuvres sont exposées changent au fil du temps et quel type d’impact un environnement particulier peut avoir sur une collection donnée. Mots clés Polluants, Corrosion, Surveillance de la qualité de l’air, Sculpture métal, Suède Présentation 11 Michaela Florescu et al. PAGE 108 Introduction Les œuvres d’art en alliages métalliques occupent une place importante dans de nombreuses collections de musées, qu’elles soient exposées en intérieur ou en plein air. En Suède, les collections intègrent des œuvres d’artistes tels que Henry Moore, Degas, Rodin et Picasso. Les sculptures métalliques sont souvent exposées en association avec des œuvres d’art constituées de matériaux organiques. Ces derniers sont souvent considérés comme plus sensibles que les métaux, même si la corrosion est inévitable sur le long terme, et les paramètres climatiques sont ajustés aux niveaux appropriés pour leurs besoins. Ces choix peuvent avoir un impact négatif sur les métaux ; par exemple, une humidité plus élevée pourrait augmenter le taux de corrosion des sculptures métalliques. Bien qu’un certain nombre d’études se soient focalisées sur les processus de corrosion des œuvres métalliques exposées en extérieur, les effets à long terme des environnements intérieurs sur la corrosion ont été moins bien étudiés. La Suède s’est dotée d’un plan stratégique ambitieux pour atteindre un niveau de zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2045 [1]. Pour atteindre cet objectif, la mise en œuvre du plan comprend une série d’actions que doivent mener les acteurs du patrimoine culturel. Plus précisément, les musées doivent s’efforcer activement de réduire leur empreinte carbone et l’utilisation de systèmes de conditionnement de l’air (Heating-VentilationAir conditionning, HVAC), qui peuvent contribuer à des émissions élevées de gaz à effet de serre. Bien que des recherches soient en cours pour mettre au point des systèmes à faibles émissions de carbone, il faudra sans doute des années avant que les musées puissent se permettre de remplacer les systèmes plus anciens. La nécessité de réduire les émissions de carbone a été prise en compte par les professionnels de la conservationrestauration, qui ont proposé d’y contribuer en acceptant de plus amples fluctuations d’humidité et de température [2, 3]. Toutefois, en l’absence de connaissances plus précises sur le seuil de tolérance des matériaux exposés, ces mesures pourraient entraîner des dommages irréparables pour les collections. La connaissance de l’impact des conditions environnementales locales sur les collections suédoises devient primordiale pour assurer la longévité des œuvres exposées, tout en travaillant à l’élaboration de stratégies durables sur le plan environnemental. Cet article aborde les problématiques liées à l’exposition d’œuvres d’art métalliques dans deux musées suédois, en utilisant une approche analytique pour caractériser les alliages constitutifs des œuvres et l’environnement qui les entoure. L’accent est mis principalement sur le développement d’une méthodologie visant à prévenir les phénomènes de corrosion. Le projet en est actuellement à ses prémices, les premières étapes se sont concentrées sur le choix des œuvres et la caractérisation des conditions environnementales. L’analyse de la composition des alliages a été effectuée in situ, et en priorité par rapport à l’analyse des produits de corrosion. Les résultats obtenus, combinés à une documentation visuelle, visent à : (i) identifier la synergie entre la corrosion des substrats métalliques et la détérioration des revêtements de surface ; (ii) lier l’état actuel de l’œuvre à son histoire matérielle ; (iii) corréler les conditions environnementales aux schémas de dégradation ; et (iv) comparer les œuvres d’art d’un même artiste, ou de composition similaire, exposées dans des environnements différents. Le projet fournira également aux musées des informations sur leur environnement actuel pour éclairer les décisions futures en matière de climat et de qualité de l’air. Lieux d’étude Parmi les œuvres sélectionnées, ont été inclues des œuvres en alliages cuivreux et ferreux, exposées dans des conditions différentes dans deux musées distincts, tous deux situés dans des environnements urbains et côtiers : le Moderna Museet à Stockholm (côte est) et le Göteborgs konstmuseum à Göteborg (côte ouest). Moderna Museet Moderna Museet est le musée national suédois pour l’art moderne et contemporain. Ouvert en 1958, le musée possède l’une des plus riches collections d’art des 20e et 21e siècles reconnue d’Europe, comprenant plus de 130 000 œuvres dans divers médias, dont 1 800 sculptures et installations. Dominée à l’origine par trois catégories – l’art suédois et nordique, le modernisme français et l’art américain des années 1950 et 1960 – la collection Présentation 11 Michaela Florescu et al. PAGE 109 a été progressivement enrichie pour inclure des œuvres d’art internationales majeures, en écho aux questions sociétales actuelles. Le bâtiment actuel du Moderna Museet date de 1998 et a été rénové une première fois en 2004. Il est situé sur Skeppsholmen, une petite île au centre de Stockholm. Les espaces d’exposition de la collection permanente, situés à l’étage d’entrée principal du bâtiment, couvrent 2 226 m2, répartis en 19 salles, elles-mêmes regroupées en trois blocs et un couloir. Le bâtiment est divisé en trois zones pour le contrôle du climat – l’espace d’exposition permanente, l’espace d’exposition temporaire et l’espace de stockage – ce dernier se trouvant à l’étage le plus bas du bâtiment. Le système de climatisation est contrôlé à distance par un organisme extérieur. Dans les espaces d’exposition, l’humidité relative (HR) varie chaque année entre 47 et 53% et la température (T°) entre 18 et 22°C. Les variations maximales au cours de 24 heures sont respectivement de ± 3% (HR) et ± 2°C (T°). Il n’y a actuellement aucune évaluation ou contrôle des polluants dans l’atmosphère. Dans la collection, les métaux sont présents sous diverses formes et représentent toutes les familles d’alliages, des plus traditionnels (alliages ferreux et cuivreux, plomb, argent) aux plus modernes (aluminium, acier inoxydable, revêtements métalliques tels que nickel et chrome, titane). Pour certaines œuvres d’art, les métaux sont le matériau unique ou principal, alors que pour d’autres, ils ont été utilisés en combinaison avec d’autres matériaux, inorganiques (autres métaux, béton, pierre, verre, céramique) ou organiques (bois, textiles, matériaux synthétiques, peintures, cuir, paille et fibres végétales, aliments). Ces œuvres composites sont des défis pour la conservation, d’autant plus que le Moderna Museet encourage une approche expérimentale et créative pour l’acquisition et l’exposition de ses œuvres. Göteborgs konstmuseum Le bâtiment du musée d’art de Göteborg a été inauguré en 1923 et a été partiellement agrandi pour gagner plus d’espace d’exposition en 1968, avec une nouvelle entrée créée en 1996. La collection se concentre sur l’art occidental du 15ème siècle à nos jours, en mettant l’accent sur l’art nordique. Le musée possède une collection unique d’art nordique du tournant du 20ème siècle. La collection de 70 000 œuvres d’art comprend 4 300 peintures, 900 sculptures, installations et multimédias, environ 61 000 œuvres d’art sur papier, 900 photographies et environ 2 300 illustrations de livres pour enfants. Le musée a connu des difficultés avec le contrôle climatique dès l’origine. Il a été construit avec une mauvaise isolation et comprend une partie construite en sous-sol, ce qui l’expose à une humidité accrue. En 1996, la nouvelle entrée, reliée à l’espace d’exposition des sculptures par un escalier ouvert, a entraîné la hausse des niveaux de particules dans l’air. Le système climatique actuel a été installé en 2008 et comprend des systèmes séparés pour les salles d’exposition de haute sécurité et les espaces dédiés à la collection permanente. Certaines salles ont des murs orientés au nord et n’ont pas de radiateurs, alors que d’autres salles sont orientées au sud et en disposent. Pour cette raison, les conditions environnementales sont maintenues à 50% HR (± 15%) et à une température réglée à 20 ° C, mais qui peut fluctuer de 18 ° C en hiver à 24 ° C en été. En 2008, des filtres à air ont été installés, actuellement des filtres de classe F9 (adaptés pour les particules ayant une taille comprise entre 1 et 10 µm). L’historique des données climatiques historiques est limité. Les données périodiques montrent une HR fluctuant de 30 % à plus de 70%, ce qui a notamment induit des problèmes répétés jusqu’en 2008. Dans les salles d’exposition où se trouvent les sculptures sélectionnées pour cette étude, les problèmes d’humidité ont maintenant été réduits. Œuvres Les sculptures retenues pour cette étude sont des œuvres majeures pour les collections des musées concernés, et leur préservation est une priorité. Les œuvres ont été sélectionnées en relation avec leur emplacement dans les espaces d’exposition, en fonction de la corrosion observée, ou en fonction de l´hypothèse que les conditions environnementales en exposition puissent favoriser le développement de la corrosion. Présentation 11 Michaela Florescu et al. PAGE 110 Moderna Museet Les œuvres sélectionnées comprennent un groupe de fontes en bronze de Pablo Picasso (Femme aux bras croisés, 1948 ; Nu, 1945 ; Femme debout, 1948 ; Le Bras, 1959) (Figure 1), de Jean Fautrier (La Grande Tête, 1943) (Figures 2, 3) et de Germaine Richier (L’Hydre, 1954). En parallèle, des analyses et des observations ont également été effectuées sur une sculpture en alliage ferreux d’une jeune artiste suédoise, Hanny Kamali (Freddie Gray, 2019) (Figures 4, 5). La sculpture de Hanni Kamali est exposée dans le couloir menant aux salles d’exposition, alors que les sculptures en bronze se trouvent dans l’une des salles de l’exposition permanente. Les sculptures sont dépoussiérées régulièrement. Figure 1. Pablo Picasso, Le Bras,1959 58x18x16cm, alliage cuivreux patiné. © Tobias Fischer / Moderna Museet 2021 Figure 2. Jean Fautrier, La Grande Tête, 1943, 33cm, alliage cuivreux patiné, bois. © Tobias Fischer / Moderna Museet 2021 Figure 3. Jean Fautrier, La Grande Tête, détail d’une zone de référence. © Tobias Fischer / Moderna Museet 2021 Présentation 11 Michaela Florescu et al. PAGE 111 Figure 4. Hanni Kamaly, Freddie Gray, 2016-2018, 235x170x190cm, alliage ferreux et acier inoxydable. © Tobias Fischer / Moderna Museet 2021 Figure 5. Hanni Kamaly, Freddie Gray détail d’une zone de référence. © Tobias Fischer / Moderna Museet 2021 Göteborgs konstmuseum Les deux sculptures en bronze analysées sont Madame Fernande Olivier de Pablo Picasso (Figure 6), acquise en 1951, et Le Cavalier de Marino Marini, acquise en 1952 (Figure 7). Avec une combinaison de traits faciaux distincts et une partie plus inachevée et abstraite, Madame Fernande Olivier de Picasso préfigure un changement important dans l’œuvre de l’artiste, passant de sa période rose (1904-1906) à sa phase cubiste. La sculpture date de 1906 et a été réalisée après la période Gósol, mais la date de production n’est pas certaine. Figure 6. Pablo Picasso, Madame Fernande Olivier,1906, 35.7x24.8x24.4cm, alliage cuivreux patiné. © Göteborgs konstmuseum 2021 Figure 7. Marino Marini, Rider, 1952, 108x96x37cm, alliage cuivreux. © Göteborgs konstmuseum 2021 Présentation 11 Michaela Florescu et al. PAGE 112 Cette sculpture fait probablement partie de l’une des premières séries de fontes signées par l’artiste. Des fontes postérieures non signées ont été réalisées en 1959. Dans le dossier d’acquisition, la sculpture est décrite comme bronze, avec une patine brun foncé. Picasso a utilisé de la gaze ou un filet appliqué à la surface du plâtre encore humide pour obtenir la texture poreuse de la surface métallique. Le sculpteur italien Marino Marini, l’une des figures de proue du modernisme, fait référence à l’héritage étrusque et à l’art classique dans ses œuvres. Le Cavalier (à partir de 1945) a été réalisé lors de son séjour en Suisse et a été inspiré par une sculpture équestre du 13ème siècle de la cathédrale de Bamberg, en Bavière. La forme monumentale, combinée au traitement de la surface, avec la présence de rayures et de traces de ciseaux de sculpteur, donne à la sculpture un aspect intemporel proche de celui des découvertes archéologiques antiques. Dans le National-Zeitung de Bâle, un article décrit les méthodes de travail de Marini : le moulage et la fonte étaient effectués simultanément, en retravaillant la fonte brute avec les outils de sculpteur et de la couleur, et utilisant des techniques de travail du plâtre, pour donner vie à la masse opaque, neutre et blanche. Le résultat est un effet de tension immédiat qui impression profondément le spectateur [4]. Ces détails sont visibles sur Le Cavalier, dont la surface porte des traces du sable de la coulée et des touches d’or, de bleu et de rouge. Ces deux sculptures sont exposées en permanence depuis près de 70 ans, Le Cavalier dans le Hall des sculptures, située en haut de l’escalier, où les niveaux de particules sont élevés, et Madame Fernande Olivier dans la Galerie française au 6e étage, où l’environnement est plus stable et moins pollué. Méthode Des constats d’état ont été effectués pour chaque sculpture et la composition des alliages a été analysée par fluorescence X (XRF). Les niveaux de polluants atmosphériques ont été mesurés dans deux zones différentes pour chacun des musées, chaque zone abritant au moins une des sculptures sélectionnées. Sélection des zones Les Figures 8 et 9 indiquent la localisation des zones considérées pour l’étude au sein de chaque musée. L’architecture des deux bâtiments étant très différente, au Moderna Museet tous les espaces d’exposition sont situés au même niveau, alors qu’au Göteborgs konstmuseum ils sont distribués sur plusieurs étages. Il convient également de noter que le trafic annuel des visiteurs est plus élevé au Moderna Museet qu’au Göteborgs konstmuseum. Au Moderna Museet : - Zone 1 : couloir menant aux salles d’exposition - Zone 2 : salle d’exposition située au sein du bloc central Au Göteborgs konstmuseum : - Zone 1 : Hall des sculptures au 1er étage - Zone 2 : Galerie française au 6e étage Le Tableau 1 synthétise les différentes caractéristiques de ces zones. Figure 8. Plan du Moderna Museet et localisation des zones sélectionnées. Présentation 11 Michaela Florescu et al. PAGE 113 Figure 9. Plan du Göteborgs konstmuseum et localisation des zones sélectionnées. CARACTERISTIQUES MODERNA MUSEET Zone 1 Zone 2 GÖTEBORGS KONSTMUSEUM Zone 1 Zone 2 Œuvres exposées Kamali Picasso, Fautrier, Marini Picasso Espace ouvert / fermé Ouvert Fermé Ouvert Fermé Éloignée Isolée des courants d’air Pas d’accès sur l’extérieur Proche Non isolée des courants d’air Accès direct sur l’extérieur Éloignée Isolée des courants d’air Pas d’accès sur l’extérieur Position par rapport à l’entrée du bâtiment Trafic annuel dans le musée Fréquentation de la zone au Proche Non isolée des courants d’air Séparée de l’extérieur par deux portes coulissantes + = = + - Tableau 1. Caractéristiques des zones sélectionnées pour les mesures de qualité de l’air au sein des deux musées. Analyse des alliages constitutifs des oeuvres par fluorescence X (XRF) La composition élémentaire des alliages constitutifs des sculptures sélectionnées a été déterminée par fluorescence X, ce qui a fourni des informations à la fois sur les matériaux d’origine utilisés pour créer chaque sculpture et sur l’identification des produits de corrosion résultant potentiellement de l’exposition aux polluants atmosphériques. Un spectromètre XRF portable XG Elio sans contact avec un tube de rhodium a été utilisé pour l’analyse, avec pour chaque mesure, une tension de 40 keV, un courant de 20 μA et un temps de mesure de 40 s. La tête du spectromètre a été placée près de la surface et le repérage pour l’emplacement de la mesure a été effectué avec l’aide des lasers d’alignement. Le milieu ambiant entre l’objet et la XRF était l’air (les éléments légers Présentation 11 Michaela Florescu et al. PAGE 114 n’ont pas pu être détectés). Un minimum de cinq points différents a été mesuré sur chaque sculpture, la mesure étant répétée deux ou trois fois pour chaque point. Mesures de la qualité de l’air La mesure périodique des polluants atmosphériques a permis de mieux comprendre les microenvironnements dans ces deux musées. Dans cette première phase du projet, les capteurs étaient des dispositifs d’échantillonnage passif, fournis par l’Institut suédois de recherche environnementale (IVL). Ces dispositifs se présentent sous la forme de cylindres en plastique, compacts, d’environ 3 cm de diamètre et 1 cm d’épaisseur, contenant des matériaux adsorbants. Ils ne nécessitent pas de pompes pour fonctionner et permettent la capture des polluants diffus à travers un maillage existant sur le dessus du capteur. Silencieux, petits et discrets, ces dispositifs d’échantillonnage passif sont idéaux pour les environnements muséaux. Leurs temps d’exposition peuvent s’étaler de quelques heures à plusieurs semaines. Des temps d’exposition plus longs permettent d’abaisser les limites de détection, ce qui est plus adapté pour les environnements du patrimoine culturel, où de faibles niveaux de polluants diffusés au fil du temps peuvent causer des dommages. Les capteurs utilisés dans cette étude recueillent des gaz acides, à savoir l’acide acétique (CH3COOH), l’acide formique (HCOOH), le dioxyde de soufre (SO2) et l’acide chlorhydrique (HCl). Ils ont été exposés pendant 4 semaines (du 8 septembre au 7 octobre 2021, au Göteborgs konstmuseum ; du 18 octobre au 3 novembre 2021, au Moderna Museet). Les capteurs ont été placés directement sur une surface plane (p. ex. sol, plate-forme) avec le maillage tourné vers le haut, ou ont été collés verticalement à un mur à l’aide de mastic, avec le maillage tourné vers l’extérieur. Après exposition, les capteurs ont été renvoyés à l’IVL pour analyse par chromatographie ionique. Les limites de détection pour chaque polluant mesuré après une période d’exposition de 4 semaines sont indiquées dans le Tableau 2. POLLUANTS LIMITE DE DETECTION (µg/m3) CH3COOH HCOOH SO2 HCl 1.0 1.0 0.2 0.3 Tableau 2. Seuils de détection des polluants mesurés par les capteurs passifs. Résultats et discussion Climat à Stockholm et Göteborg Figure 10. Situation géographique de Stockholm et Göteborg. Présentation 11 Michaela Florescu et al. PAGE 115 Les données climatiques, ainsi que celles relatives aux polluants atmosphériques, ont été recueillies par les auteurs auprès du Stockholms Luft-och-Bulleranalys [5] pour Stockholm et de l’Institut météorologique et hydrologique suédois [6] pour Göteborg, sur la période des dix dernières années. Le climat dans les deux villes est considéré comme doux, dans la mesure où les températures restent positives la majeure partie de l’année. Le Tableau 3 synthétise les données climatiques moyennes recueillies sur les dix dernières années pour les deux villes. DONNEES CLIMATIQUES Hiver Température Eté Hiver Humidité Eté STOCKHOLM GÖTEBORG Moyennes 14° à -5° - 0.3° à 5° Mois le plus froid Février Janvier et Février Moyennes 6° à 19° 7° à 17° Mois le plus chaud Août Juillet Moyenne 85 % 85 % HR Mois le plus humide Mai et Septembre Août Moyenne 60 % 76 % Mois le plus sec Avril Mars Tableau 3. Données climatiques moyennes recueillies sur les dix dernières années pour Stockholm et Göteborg. De manière générale, la variation en température la plus importante se produit pendant l’hiver, bien que certaines années, une variation importante puisse également se produire en été. A l’inverse, les variations hygrométriques sont généralement plus importantes en été. Le Tableau 4 synthétise les données annuelles moyennes relatives aux polluants atmosphériques, recueillies sur les dix dernières années pour les deux villes. POLLUANTS NO2 STOCKHOLM 12 ± 11 GÖTEBORG 30,9 ± 6,6 SO2 0.58 ± 0.3 0.54 ± 0.3 O3 51,4 ± 19,5 64,7 ± 3,3 12 ± 3 18,9 ± 2,3 PM10 Tableau 4. Niveaux de polluants atmosphériques à Stockholm et Göteborg (valeurs annuelles moyennes sur les dix dernières années, en μg/m3). Il est à noter que ces valeurs annuelles moyennes peuvent inclure des variations très importantes, liées à des différences saisonnières ou géographiques, ou à des évènements particuliers. Ainsi, les niveaux de dioxyde d’azote (NO2) ont fortement baissé à Göteborg en 2020, en raison de la pandémie de COVID, pour atteindre une moyenne annuelle de 17,94 μg/m3. Sur la période considérée, la valeur moyenne pour Göteborg reste supérieure aux niveaux jugés acceptables pour les collections patrimoniales peu sensibles, situés entre 3,8 à 19,1 μg / m3 [7]. A Stockholm, les niveaux de NO2 fluctuent fortement au cours de l’année, et peuvent également se trouver périodiquement au-dessus de ce seuil : les concentrations sont généralement plus élevées en février et mars (valeur mesurée la plus élevée : 113 μg/m3) et généralement plus faibles pendant les mois d’été (valeur mesurée la plus faible : inférieure aux niveaux de détection des capteurs). Inversement, les concentrations d’ozone (O3) sont les plus élevées entre mai et août (valeur mesurée la plus élevée : 145 μg/m3) et les plus faibles pendant les mois d’hiver (valeur mesurée la plus faible : 0,2 μg/m3). Présentation 11 Michaela Florescu et al. PAGE 116 Les niveaux de SO2 ont été faibles dans les deux villes sur la période considérée, avec néanmoins des moyennes allant jusqu’à 2,9 μg/ m3 en période hivernale. De façon générale, au cours des trente dernières années, les niveaux de SO2 ont drastiquement diminué en raison des réglementations environnementales plus exigeantes, ainsi que de l’utilisation accrue des transports publics et des vélos pour les déplacements urbains. Ce phénomène s’observe de façon répétée dans de nombreux pays d’Europe et d’Amérique du Nord et du Sud, où les niveaux de SO2 ont diminué de manière similaire depuis les années 1970 [8]. Qualité de l’air intérieur En général, la qualité de l’air intérieur des deux musées au cours des périodes mesurées était bonne (Tableau 5). Polluants GBG zone 1 GBG zone 2 MM zone 1 MM zone 2 Seuils de pollution acceptables pour les collections sensibles [7] Seuils de pollution acceptables pour les collections peu sensibles [7] SO2 HCOOH CH3COOH HCl < LD 6.4 < LD < LD < LD 6.4 < LD < LD 3.2 8.2 5.8 < LD 3.2 9.2 < LD < LD 0.11 – 1.1 < 9.6 < 12.5 NA 1.1 – 5.3 9.6 – 38.2 99.6 – 697.2 NA Tableau 5. Niveaux de polluants mesurés dans les deux musées — 9 septembre–7 octobre 2021 (toutes les valeurs sont en μg/m3). Les données recueillies à partir des capteurs passifs IVL exposés pendant 4 semaines au Göteborgs konstmuseum montrent que les concentrations intérieures de SO2, d’acide acétique et de HCl étaient inférieures aux limites de détection de l’instrument. Lorsque les niveaux d’acide formique ont pu être détectés, ils sont restés inférieurs aux fourchettes recommandées pour les collections patrimoniales dites sensibles, selon la terminologie de Grzywacz [7]. Les capteurs placés au Moderna Museet ont détecté du SO2, de l’acide formique et de l’acide acétique. Les concentrations des polluants sont similaires dans les zones choisies, à l’exception de l’acide acétique, qui est plus élevé dans la zone 1 (couloir) que dans la zone 2 (salle d’exposition). Les concentrations pour l’acide formique et l’acide acétique sont inférieures aux concentrations recommandées pour les collections sensibles. Les concentrations pour le SO2 sont plus élevées que celles recommandées pour les collections sensibles, mais inférieures aux concentrations acceptées pour les collections peu sensibles. À titre de comparaison, Canosa et Norrehed [9] ont mesuré les niveaux de polluants dans l’air intérieur au Nationalmuseum, situé près du Moderna Museet. Ces mesures, effectuées pendant une période de rénovation (entre le 18 janvier et le 15 février 2019), ont montré des valeurs moyennes < 0,2 μg/m3 pour le SO2, de 14,7 à 42,3 μg/ m3 pour l’acide acétique, de 28,4 à 36,2 μg/m3 pour l’acide formique et de < 1,0. –1,5 μg/m3 pour l’ozone. Ces concentrations élevées au Nationalmuseum peuvent être liées au contexte de rénovation et à l’utilisation de matériaux de construction et de décoration émettant des composés organiques volatils (COV). Fluorescence X Les Figures 11 et 12 montrent des spectres représentatifs pour chaque œuvre. A l’exception de l’œuvre de Hanni Kamali, toutes les œuvres sont des bronzes (présence de cuivre et de faibles quantités d’étain), contenant du zinc et du fer. De plus, pour toutes les œuvres, des produits de corrosion ont pu être détectés en faible quantité, visibles à travers la présence de pics de soufre et de chlore. Des traces de chrome ont été détectées sur la sculpture de Richier (MR), la sculpture de Fautrier (MF) et la sculpture de Picasso (MP) au Moderna Museet. Dans la sculpture de Marini (GM) au Göteborgs konstmuseum, un bronze au plomb, des traces de nickel, de silicium et potentiellement de titane ont été relevées (les pics non marqués sont liés à la cible de rhodium dans la XRF ou à l’argon présent dans l’atmosphère environnante). Présentation 11 Michaela Florescu et al. PAGE 117 Dans les futures étapes du projet, ces résultats pourront être mis en relation avec les techniques de fabrication, et notamment les patines, ou l’environnement. Figure 11. Spectres XRF des sculptures analysées, MR: Moderna Museet, Richier; MF: Moderna Museet, Fautrier; MP: Moderna Museet, Picasso; GP: Göteborgs konstmuseum, Picasso; GM: Göteborgs konstmuseum, Marini. Figure 12. Détails des pics observés dans les spectres XRF de la figure 8, montrant à gauche les pics dans les gammes d'énergie 1,5-8 keV et le pic d'étain Ka dans la gamme d'énergie 22-28 keV. La Figure 13 montre les spectres obtenus à partir de trois points de mesure différents sur la sculpture de Marini (GM). D’après ces résultats, les zones présentant des accrétions de surface de couleur blanche contiennent d’importantes quantités de zinc, d’étain et de fer, ce qui semble indiquer une corrosion sélective du zinc. Les spectres obtenus pour la sculpture de Kamali au Moderna Museet ont montré la présence de deux alliages de fer différents : des tiges filetées en acier inoxydable galvanisé sont attachées à un corps en acier ordinaire (Figure 5). Figure 13. Spectres XRF obtenus pour différentes zones du Cavalier de Marino Marini. A : hanche gauche du cheval, patine vert foncé, B : côté gauche du torse du cavalier and C : côté droit du torse du cavalier, dans une zone montrant d’importantes accrétions blanches. Présentation 11 Michaela Florescu et al. PAGE 118 Discussion Différentes finitions de surface au cours de la fabrication d’une sculpture entraînent des niveaux de corrosion différents. Chaque œuvre présente des patines différentes, allant de l’uniforme, très polie et homogène à des surfaces plus hétérogènes et rugueuses, en partie en raison du mode de fabrication et de finition et en partie en raison de la corrosion sélective qui s’est développée au cours de l’histoire matérielle de l’œuvre. Les traitements de conservation peuvent également avoir un impact sur la corrosion, mais les informations concernant les traitements antérieurs des œuvres étudiées font défaut. L’ampleur de la corrosion est souvent liée au type et à la quantité de polluants atmosphériques auxquels est exposée l’œuvre, ainsi qu’à la température et à l’humidité ambiantes. Les alliages à base de cuivre et de fer sont sensibles à la corrosion dans des conditions similaires à celles que l’on trouve à la fois au Moderna Museet et au Göteborgs konstmuseum. Les niveaux élevés et les grandes fluctuations de l’humidité relative, en combinaison avec NO2, SO2, O3, HCl, Cl2, les composés soufrés et les acides organiques peuvent favoriser le développement de corrosion [10]. Par conséquent, la surveillance des paramètres environnementaux, tels que ceux discutés ici, peut aider les restaurateurs à déterminer s’il convient de prendre des mesures préventives pour prévenir la corrosion. Le coût lié à la mesure des polluants est inférieur à celui des traitements de conservation, et des mesures périodiques peuvent suffire. La conservation préventive prenant une place de plus en plus importante dans la gestion des collections, la surveillance des polluants atmosphériques et de leur influence dans les processus de corrosion pourrait constituer un pas important dans cette direction. Comme le démontrent les sculptures incluses dans cette étude, les bronzes au plomb tels que ceux utilisés dans la sculpture de Marino Marini peuvent se corroder en présence de gaz acides organiques, parmi lesquels l’acide acétique et de l’acide formique [7, 11, 12]. Les alliages de cuivre peuvent se corroder en présence de gaz atmosphériques courants, en particulier le dioxyde de soufre et les composés contenant du chlore (p. ex. HCl et Cl2) [13], composés dont les niveaux peuvent être élevés dans l’environnement immédiat des deux musées. Bien que les concentrations de polluants mesurées dans le cadre de cette première campagne de surveillance aient été inférieures à celles recommandées pour les collections sensibles (voir tableau 5), elles peuvent fluctuer, tant d’un point de vue saisonnier que sur le long terme. De plus, les données environnementales recueillies [5, 6] ont montré une diminution significative des niveaux de pollution atmosphérique pendant la pandémie. Par conséquent, de futures campagnes de mesure devront être effectuées sur des périodes plus représentatives, notamment pendant les mois les plus chauds et sur des périodes plus longues. La période de pandémie a réduit la validité de l’exposition des capteurs de qualité de l’air, car un certain nombre de musées en Suède sont restés fermés pendant une période significative et, une fois ouverts, leur nombre de visiteurs était beaucoup plus faible. Lorsque les musées sont revenus à une relative normalité les mesures effectuées étaient plus représentatives, avec les premiers capteurs exposés en septembre 2021, avant la levée des restrictions imposées par le gouvernement en Suède (le 29 septembre). Lors des prochaines campagnes, les capteurs seront installés fin décembre (période de hausse de la fréquentation), au printemps et en été. Dans les prochaines étapes du projet, des photographies haute définition des zones témoins sur les sculptures sélectionnées seront réalisées dans des conditions d’éclairage uniformes. La Spectroscopie Infrarouge à Transformée de Fourier (FTIR) utilisant la réflexion non destructive sans contact sera utilisée in situ pour détecter les traces de vernis ou de cire utilisées dans le passé. D’autres méthodes analytiques, telles que la spectroscopie Raman, pourront être utilisées pour déterminer la composition des produits de corrosion nouvellement formés. Conclusion Alors que les musées s’alignent sur des objectifs environnementaux plus larges et que les traitements de conservation ne sont pas toujours priorisés par les musées, les mesures visant à prévenir la corrosion deviennent des outils essentiels dans la conservation des sculptures en métal. La surveillance des conditions environnementales, et particulièrement le contrôle de l’humidité, de la température et des polluants atmosphériques, peut apporter des informations essentielles sur l’évolution potentielle des processus de corrosion et d’autres formes de détério- Présentation 11 Michaela Florescu et al. PAGE 119 ration, par exemple la dégradation des revêtements de surface. Le contrôle de l’humidité relative et de la température sont des procédures de routine pour la plupart des musées, mais ce n’est pas le cas pour la mesure des niveaux de polluants atmosphériques. Le projet explore des méthodes pratiques ainsi que des outils simples et peu coûteux, tels que les capteurs passifs, pour développer des protocoles de surveillance des œuvres vulnérables à la corrosion et à d’autres formes de dégradations. En association avec ces mesures, la recherche pourra développer des méthodes descriptives de l’évolution de la corrosion basées sur l’imagerie haute définition. Références [1] Infrastruktur departementet - Ministère de l’Infrastructure suédois (2020). Sweden’s Integrated National Energy and Climate Plan. https://ec.europa.eu/energy/sites/ener/files/documents/se_final_necp_main_en.pdf (accessed 15 October 2021). [2] National Museum Directors’ Council (NMDC). 2014. Environmental sustainability – Reducing museums’ carbon footprint. Bizot Green Protocol. Available at www.nationalmuseums.org.uk/what-we-do/contributing-sector/environmental-conditions/ (accessed 10 October 2021). [3] IIC and ICOM-CC. 2014. Environmental guidelines – IIC and ICOM-CC declaration. Available at www.iiconservation.org/sites/default/files/static/6972-2014-iic-icom-cc-environmental-guidelines.pdf (accessed 10 October 2021). [4] Kuhn, H. 1944. Vier ausländische Bildhauer im Basler Kunstmuseum. National-Zeitung 12, December 1944. [5] Stockholms Luft- och Bulleranalys (SMB). 2021. www.slb.nu/slbanalys/ (accessed 1 October 2021). [6] Swedish Meteorological and Hydrological Institute (SMHI). 2021. Väder i Göteborg (smhi.se) (accessed 1 October 2021). [7] Grzywacz, C.M. 2006. Monitoring for gaseous pollutants in museum environments. Los Angeles, CA: Getty Publications. [8] Klimont, Z., S.J. Smith, and J. Cofala. 2013. The last decade of global anthropogenic sulfur dioxide: 2000–2011 emissions. Environmental Research Letters 8(1): art. 014003. DOI: 10.1088/1748-9326/8/1/014003. [9] Canosa, E. and S. Norrehed. 2019. Strategies for pollutant monitoring in museum environments. Project report. Visby: Swedish National Heritage Board (Riksantikvarieämbetet). DOI: 10.13140/RG.2.2.24172.00640. [10] Leygraf, C., I. Odnevall Wallinder, J. Tidblad, and T. Graedel. 2016. Atmospheric corrosion, 2nd ed. Hoboken, NJ: John Wiley & Sons. [11] Grzywacz., C.M. and N.H. Tennent. 1994. Pollution monitoring in storage and display cabinets: Carbonyl pollutant levels in relation to artifact deterioration. Studies in Conservation 39: 164–170. [12] Tétreault, J., E. Cano, M. van Bommel, D.A. Scott, M. Dennis, M.-G. Barthés-Labrousse, L. Minel, and L. Robbiola. 2003. Corrosion of copper and lead by formaldehyde, formic and acetic acid vapours, Studies in Conservation 48(4): 237–50. https://doi.org/10.1179/sic.2003.48.4.237 [13] Rice, D.W., P. Peterson, E.B. Rigby, P.B.P. Phipps, R.J. Cappell, and R. Tremoureux. 1981. Atmospheric corrosion of copper and silver. Journal of The Electrochemical Society 128(2): 275–84. PAGE 120 PAGE 121 Session Poster Poster 1 Clémence Cauvin-Hardy et al. PAGE 122 ÉTAT DES LIEUX DE LA PASSERELLE MÉTALLIQUE DE L’ANCIEN SITE OUVRIER DE NOISIEL Clémence Cauvin-Hardy* Chargée de projet, Sherlock Patrimoine clemence@sherlockpatrimoine.fr Charlotte Trigance, Anna Solon, Sherlock Patrimoine * Autrice correspondante Résumé Le diagnostic d’un ouvrage métallique a pour objectif de définir son état et d’en déduire un programme de restauration. L’objectif est de montrer dans un poster la démarche d’une étude de diagnostic en vue de programmer sa restauration. Dans un premier temps, une introduction est effectuée brièvement sur l’histoire de la construction de la cité ouvrière de Noisiel dont la construction de la passerelle. Dans un second temps, nous présentons les caractéristiques et particularités architecturales de la passerelle. Puis nous synthétisons l’ensemble des investigations menées qui nous ont permis de déduire nature du métal et de montrer l’état d’altération de l’ouvrage. Les altérations constatées permettent de montrer qu’elles peuvent provoquer une diminution de sa résistance mécanique. Cet ensemble de données permet de proposer deux solutions de préconisations dont une de conservation. Cette démarche de diagnostic initiée tardivement dans le cas de cette passerelle montre la complexité du diagnostic d’un ouvrage métallique et celle d’un programme de restauration. Poster 1 Clémence Cauvin-Hardy et al. PAGE 123 Poster 2 Marine Bayle et al. PAGE 124 RE TERNISSEMENT DE L’ARGENT POST-NETTOYAGE : ETUDE DE DIFFÉRENTS SYSTÈMES DE PROTECTION Marine Bayle* Ingénieure de Recherche, A-Corros mbayle@a-corros.fr Marie Fays, Philippe de Viviès, A-Corros * Autrice correspondante Résumé L’expérience de conservation-restauration d’une croix de procession composite de la fin du XIVe siècle provenant de la commune de Marie (Alpes Maritimes) a donné lieu à une étude visant la protection de la surface d’argent et d’alliage cuivreux doré à la suite de l’opération de nettoyage. En pratique, la surface de la croix complexe décorée fragile et ternie, a été nettoyée (puis rincée) à l’aide de gels rigides chargés en complexant, donnant un résultat très satisfaisant et homogène. La pose d’un revêtement de vernis à la suite du nettoyage n’a pas permis d’empêcher le re-ternissement de l’argent, quelques heures après son application. Cet évènement questionne l’efficacité des revêtements pour limiter l’interaction de l’argent avec l’atmosphère. Afin d’apporter une réponse technique à ce cas particulier, une étude a été menée sur des coupons d’argent exposés en atmosphère soufrée, nettoyés par le même protocole que la croix et protégés par différents systèmes : vernis, cire, inhibiteur, systèmes mixtes. Cette expérience réinterroge nos pratiques en termes de protection, et les confronte aux enjeux d’efficacité, réversibilité, intervention minimum et préoccupations environnementales. Poster 2 Marine Bayle et al. PAGE 125 Poster 3 Léa Freydefont et al. PAGE 126 CONSERVATION-RESTAURATION D’UN BAISER DE PAIX EN ARGENT ET VERMEIL - LE CYCLODODÉCANE COMME PROTECTION TEMPORAIRE Léa Freydefont* Conservatrice-restauratrice lea.freydefont.crmetal@gmail.com Marie-Anne Loeper-Attia, Barbara Laik, Stéphane Crevat * Autrice correspondante Résumé Dans le cadre de mon mémoire de fin d’études à l’Institut national du patrimoine, j’ai étudié et restauré un baiser de paix en argent et vermeil datant du XVe et du XIXe siècle, conservé au Musée du Louvre. Cette œuvre présente une problématique de sulfuration de l’argent qui nuit à sa lisibilité et à la compréhension du relief central représentant la légende de saint Georges et le dragon. Les dimensions réduites de la pièce, le manque d’accessibilité des éléments de la scène principale et la fragilité des décors ont orienté notre choix de nettoyage vers un traitement électrochimique en bain de l’argent. Toutefois, le baiser de paix est une œuvre composite, l’émail et les perles qui ornent sa surface sont sensibles aux traitements en solution, c’est pourquoi un système de protection temporaire a été mis en place à l’aide du cyclododécane afin de protéger ces matériaux durant la phase d’immersion de l’objet. Poster 3 Léa Freydefont et al. PAGE 127 Poster 4 Marie-Anne Loeper-Attia et al. PAGE 128 ESSAIS COMPARATIFS DE PROTECTION DE L’ARGENT EN MILIEU MUSÉAL Marie-Anne Loeper-Attia* Conservatrice-restauratrice, Cité de la musique – Philharmonie de Paris, Centre de Recherche sur la Conservation maloeperattia@cite-musique.fr Laura Caru, Catherine Didelot, Léa Freydefont * Autrice correspondante Résumé Depuis 2015, dans le cadre de la formation des élèves conservateur-restaurateur de l’Inp, spécialité arts du feu – métal, un protocole de suivi d’objets en argent a été mis en place au MAD. De par sa localisation et la conception de plusieurs espaces d’expositions, ce musée a des problèmes récurrents de conservation des argents, entre autre à cause de la présence de nombreux polluants. Plusieurs couverts de la vitrine d’orfèvrerie du département XVIIIe ont été vernis avec 3 produits différents ; chaque année une couverture photographique permettait de suivre l’efficacité de la protection appliquée. Les premières conclusions ne montrèrent qu’aucun des protocoles proposés n’était efficace tant au niveau de son pouvoir protecteur, de sa brillance ou de sa couleur. Il a donc été décidé de mener une étude plus exhaustive sur différentes résines utilisées en conservation-restauration pour la protection des argents. Plusieurs vernis et cires ont été appliqués sur des coupons d’argent ; ils ont ensuite été mis dans un environnement pollué (sulfure d’hydrogène) puis en enceinte climatique et dans différents espaces du musée. L’efficacité contre les polluants, la dureté, la modification de couleur et de brillance des protections ont été évaluées, avant, pendant et après tests. Seront présentés ici les différents protocoles testés, ainsi que les méthodes d’évaluation et les premiers résultats. Poster 4 Marie-Anne Loeper-Attia et al. PAGE 129 Poster 5 Philippe Pagnon PAGE 130 RESTAURATION DE LA STATUE ÉQUESTRE DE NAPOLÉON 1ER POUR LA VILLE DE ROUEN Philippe Pagnon Responsable de l’atelier de restauration de Fonderie Coubertin p.pagnon@coubertin.fr Résumé La statue équestre monumentale en bronze réalisée en 1865, œuvre du sculpteur Vital Gabriel Dubray 18131892, par le fondeur Thiebault frères (une des plus importantes fonderies d’art en France de la fin du XIX° au début du XX° siècle), est exposée en plein air devant l’hôtel de ville de Rouen. Elle a nécessité une restauration importante. Elle repose sur trois points d’appuis, constitués des deux jambes arrière du cheval et de sa queue. L’étude du bureau Studiolo a montré que l’une des jambes est fragilisée par la présence d’une fissure, menaçant la stabilité du cheval. La patine de la statue comporte beaucoup d’altérations, croûtes noires présentes sur le poitrail du cheval, coulures d’oxydes de fer, coulures liées au ruissellement des eaux de pluie et dépôts divers. Ces diverses altérations perturbent la lecture visuelle de l’œuvre. Plusieurs zones du socle (dont des ornements en bronze) sont aussi altérées. Les graves altérations structurelles imposaient dans ce cas une dépose en atelier pour pouvoir intervenir de façon circonstanciée à l’intérieur du bronze. Vu le poids et le volume de la statue équestre, cette dépose mobilisait à elle seule une expertise et des moyens techniques importants. La découpe en atelier d’une trappe d’accès et les nombreuses reprises locales par soudure ont engendré par ailleurs la nécessité de retouches de patine chimique pour retrouver un aspect de surface relativement homogène. Poster 5 Philippe Pagnon PAGE 131 Poster 6 Aymeric Raimon et al. PAGE 132 RECHERCHE APPLIQUÉE SUR LA CHALCONATRONITE : RÉFLEXIONS AUTOUR DE LA PROTECTION D’UNE CORROSION MAL CONNUE. Aymeric Raimon* Conservateur-restaurateur, Arc’Antique Aymeric.RAIMON@loire-atlantique.fr Lara Bonnin, Charlène Pelé-Meziani, Arc’Antique * Auteur correspondant Résumé Si certains processus de corrosion sont bien connus et aujourd’hui contrôlés (par exemple, la corrosion active des objets en fer ), d’autres produits restent plus problématiques car sans doute plus rares dans les collections muséales. C’est ainsi le cas de la chalconatronite, carbonates mixtes de sodium et de cuivre, qui semble toucher de manière cyclique les objets en alliages cuivreux issus des milieux désertiques, mais pas uniquement. Dans le cadre de la réouverture du musée Dobrée, le laboratoire Arc’Antique a travaillé sur un projet de recherche appliquée sur la chalconatronite. Car si cette corrosion est référencée dans la bibliographie, aucune source littéraire ne précise ni son mécanisme de réactivation ni même comment en protéger les artefacts touchés. Les seules interventions techniques connues semblent consister en un retrait mécanique des produits de corrosion et en l’application d’une fine couche de vernis. Cependant, l’isolation de ces objets de l’atmosphère extérieure ne semble pas suffisante pour empêcher la réactivation de la chalconatronite. Notre projet d’étude a donc cherché à dépasser cette définition stricte de la protection pour tenter d’englober tous les facteurs pouvant influencer nos choix techniques : nature de la corrosion, processus de réactivation, techniques et efficacité de stabilisation, sélection d’une protection isolante en fonction des contraintes muséales (esthétisme de la protection et humidité relative). Notre intervention consistera en une présentation des tests de cette recherche appliquée en mettant en exergue l’influence de ces différentes étapes de la protection les unes sur les autres. Les moyens de suivi et de contrôle seront également commentés. Poster 6 Aymeric Raimon et al. PAGE 133 Contacts Organisateurs PAGE 134 JOURNEE METAL FRANCE 2023 Elodie GUILMINOT GPLA - Arc’Antique 26 rue de la Haute Forêt 44300 NANTES Jane ECHINARD GPLA - Arc’Antique 26 rue de la Haute Forêt 44300 NANTES Téléphone : 02 51 81 06 16 Messagerie : Elodie.GUILMINOT@Loire-atlantique.fr Téléphone : 02 51 81 08 88 Messagerie : Jane.ECHINARD@Loire-atlantique.fr Anne GENACHTE - LE BAIL DRAC Occitanie -Service régional de l'archéologie (SRA) - Régie des collections Hôtel de Grave, 5 rue Salle-l'Évêque, CS 49020 34967 Montpellier Cedex 2 Luc ROBBIOLA Laboratoire TRACES (CNRS) Université Toulouse Jean Jaurès 5, allées Antonio MACHADO 31058 TOULOUSE Cedex 9 Téléphone : 04 67 02 35 17 Messagerie : anne.genachte-le-bail@culture.gouv.fr Téléphone : 05 61 50 24 35 Messagerie : luc.robbiola@univ-tlse2.fr Catherine DIDELOT MAD– Musée des Arts Décoratifs 107 Rue de Rivoli, 75001 Paris Cristina Chiavari Université de Bologne Department of Cultural Heritage Via degli Ariani, 1 - 48121 Ravenna - Italy Téléphone : 01 44 55 59 98 Messagerie : catherine.didelot@madparis.fr Téléphone : 39 0544 9 36 722 Messagerie : cristina.chiavari@unibo.it Organisation