Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Serge Janicot, Catherine Aubertin, Martial Bernoux, Edmond Dounias,
Jean-François Guégan, Thierry Lebel, Hubert Mazurek, Benjamin Sultan
et Magali Reinert (dir.)
DOI : 10.4000/books.irdeditions.29392
Éditeur : IRD Éditions
Année d'édition : 2015
Date de mise en ligne : 4 juillet 2019
Collection : Focus
ISBN électronique : 9782709921695
http://books.openedition.org
Édition imprimée
ISBN : 9782709921688
Nombre de pages : 277
Référence électronique
JANICOT, Serge (dir.) ; et al. Changement climatique : Quels défis pour le Sud ? Nouvelle édition [en ligne].
Marseille : IRD Éditions, 2015 (généré le 06 juillet 2019). Disponible sur Internet : <http://
books.openedition.org/irdeditions/29392>. ISBN : 9782709921695. DOI : 10.4000/
books.irdeditions.29392.
© IRD Éditions, 2015
Conditions d’utilisation :
http://www.openedition.org/6540
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Éditeurs scientifiques
Serge Janicot
Catherine Aubertin
Martial Bernoux
Edmond Dounias
Jean-François Guégan
Thierry Lebel
Hubert Mazurek
Benjamin Sultan
Préfaces de
Youba Sokona
Thierry Lebel et Jean-Paul Moatti
IRD Éditions
INSTITUT DE RECHERCHE
POUR LE DÉVELOPPEMENT
Marseille, 2015
Rédactrice scientifique
Magali Reinert
Ouvrage publié par l’IRD à l’occasion de la COP 21 (Paris, 2015).
Mission Culture scientifique et technologique de l’IRD
Marie-Lise Sabrié, directrice
Direction éditoriale
Thomas Mourier
Coordination de la production,
maquette intérieure
Catherine Plasse
Recherche iconographique
Daina Rechner
Thomas Mourier
Catherine Plasse
Magali Reinert
Sauf précision, les photos sont extraites de la banque d'images Indigo (IRD).
Maquette de couverture,
mise en page et infographie
Aline Lugand – Gris Souris
Correction
Yolande Cavallazzi
Toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit
(reprographie, microfilmage, scannérisation, numérisation…) de la présente publication, faite sans
l’autorisation de l’éditeur, est illicite (article L 122-4 du Code de la propriété intellectuelle du 1er
juillet 1992) et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code
de la propriété intellectuelle. L’autorisation de reproduction de tout ou partie de la présente
publication doit être obtenue auprès de l’éditeur.
© IRD, 2015
ISBN : 978-2-7099-2168-8
Éleveur masaï en Tanzanie.
© IRD/C. Lévêque
Sommaire
Préfaces ......................................................................................................................................... 9
Introduction. Changement climatique, des enjeux multiples ....................................... 15
Partie 1
Observer et comprendre le changement climatique
............... 21
Chapitre 1
Apprendre des climats tropicaux passés ..................................................................... 25
Chapitre 2
Comment se manifeste le changement climatique actuel ? ................................ 33
Chapitre 3
Des observatoires pour détecter les anomalies climatiques ............................... 43
Chapitre 4
Comprendre la machine climatique grâce aux modèles de climat ................... 51
Chapitre 5
« Attribuer » les variations climatiques observées .................................................. 61
Chapitre 6
Les projections futures : scénarios et incertitudes .................................................. 69
Chapitre 7
Les émissions de gaz à effet de serre ........................................................................... 75
6
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Partie 2
Les impacts du changement climatique au Sud
.......................... 83
Chapitre 8
Océans : les écosystèmes marins face au réchauffement ..................................... 87
Chapitre 9
Zones côtières et insulaires : des espaces sous pressions ................................. 101
Chapitre 10
Zones semi-arides : le Sahel sensible aux variations de pluies ........................ 115
Chapitre 11
Zones d’altitude : la transformation rapide des milieux andins ....................... 129
Chapitre 12
Forêts tropicales et grands fleuves : des milieux sous influence .................... 145
Chapitre 13
Zones urbaines : des mégapoles vulnérables .......................................................... 161
Partie 3
Les sociétés à l’épreuve du climat
........................................................... 173
Chapitre 14
Changement climatique et négociations internationales ................................... 177
Chapitre 15
Changement climatique, quels enjeux pour la santé au Sud ? ........................ 191
Chapitre 16
Le développement agricole à l’aune du changement climatique .................... 205
Chapitre 17
Des savoirs locaux revisités ............................................................................................ 219
Chapitre 18
Adaptation et résilience des populations au Sud .................................................. 233
Perspectives. Recherche scientifique et politiques climatiques ............................... 245
Pour aller plus loin ................................................................................................................. 249
Glossaire ................................................................................................................................... 253
Liste des sigles ....................................................................................................................... 258
Les contributeurs, les structures de recherche, les ressources ................................. 261
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
7
Préface
L
a compréhension du système climatique, des évolutions en cours et à venir,
quelles que soient leurs formes, est fondamentale. Elle permet d’appréhender
l’ampleur des enjeux et d’imaginer les réponses adéquates à apporter dans
les différents domaines. C’est dans cette perspective que s’inscrit cette
contribution importante de l’IRD et de ses partenaires du Sud.
En choisissant la zone intertropicale comme champ d’investigation, l’ouvrage se distingue
par sa pertinence et son originalité. C’est précisément dans cette zone que les éléments
nécessaires à cette compréhension manquent cruellement. Le nombre de travaux et
d’observations y est en effet relativement limité, de même que les moyens déployés.
Avec la rigueur et la prudence qui caractérisent toute démarche scientifique, cette
publication permet d’appréhender de manière claire, simple et pédagogique toute la
complexité spécifique des changements climatiques de cette partie du monde. Elle
permet aussi d’en entrevoir les multiples conséquences. Cette compréhension est
essentielle à l’élaboration des politiques et programmes d’action qu’il faudrait mettre en
oeuvre. Cet ouvrage pointe aussi les zones d’ombre où les connaissances restent encore
limitées, fragmentaires ou qui empêchent de tirer des conclusions ou d’agir.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
9
Ce travail remarquable, résultat d’une vaste et fructueuse coopération et d’une approche
interdisciplinaire, identifie les moyens à développer, les axes de travail à prioriser et les
démarches méthodologiques à privilégier pour obtenir des réponses appropriées et
attendues pour les régions intertropicales. Si l’on veut contenir, d’ici au milieu du siècle,
l’augmentation de la température mondiale moyenne au-dessous du seuil de + 2 °C par
rapport à la période pré-industrielle, ces connaissances sont essentielles pour formuler
et mettre en œuvre les politiques climatiques adéquates. Les conclusions du dernier
rapport du Giec l’indiquent clairement.
Cet ouvrage est une contribution importante pour les décideurs, notamment à la
21e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements
climatiques. Cette conférence doit aboutir à des décisions importantes. Elle marquera
certainement un tournant historique dans les négociations sur le climat et dans la lutte
contre les changements climatiques. Tous les pays, sans aucune distinction, se sont en
effet engagés, ces deux dernières années, à faire connaître au préalable les efforts
qu’ils envisagent dans une communication intitulée « Contributions prévues déterminées
au niveau national ». Ces contributions, puisque volontaires, sont guidées par les priorités
nationales. Elles reflètent les capacités de chacun des pays à agir et recouvrent à bien
des égards les Objectifs du développement durable adoptés en septembre dernier à
New York. Leur pertinence s’inscrit dans le cadre des connaissances de plus en plus
précises de la réalité et de l’ampleur des dérèglements climatiques, de leurs origines
anthropiques et des conséquences qu’ils entraînent.
Cet ouvrage constitue sans nul doute une contribution majeure pour l’amélioration de
ces connaissances.
Youba Sokona
Vice-président du Giec
10
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Lutte contre le changement climatique :
la science aux avant-postes
D
epuis le premier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur
le climat (Giec) en 1991 et la mise en place de la Convention-cadre des
Nations unies sur le changement climatique l’année suivante à l’occasion
du sommet de la Terre de Rio de Janeiro, jamais les négociations climatiques
internationales n’ont reçu une telle attention médiatique. Le protocole de Kyoto avait
constitué, lors de la troisième Conférence des parties sur le climat (COP 3) en 1997, le
premier accord international jamais signé pour réduire l’émission mondiale des gaz à
effet de serre (GES), principaux responsables du réchauffement de la planète. L’échec de
la COP 15 à Copenhague en 2009, qui devait imaginer la suite à donner à ce protocole,
et les longues années de tractations peu fructueuses qui ont suivi ont conduit à ce que
la COP 21, qui doit se tenir en décembre à Paris, soit internationalement perçue comme
le sommet de la dernière chance pour réduire significativement les émissions de GES en
se fondant sur le multilatéralisme onusien. Un tel accord, dont l’obtention est pour la
diplomatie française un enjeu majeur, ne peut résulter que du sentiment partagé par
l’opinion publique et les décideurs mondiaux que le réchauffement climatique est une
grande menace pour l’avenir de la planète et pour une coexistence plus harmonieuse
entre ses grandes aires civilisationnelles.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
11
Le réchauffement climatique est une réalité dont l’ampleur est encore limitée (+ 0,85 °C
en moyenne mondiale depuis le début de l’ère industrielle) mais, dans certaines régions, ses
effets sont déjà significatifs, que ce soient les vagues de chaleur au Sahel, la perturbation
des systèmes de mousson, la fonte des glaciers andins, les menaces sur la biodiversité,
l’élévation du niveau des océans ou la formation de tempêtes tropicales en Méditerranée.
Les régions de la zone intertropicale et des zones semi-arides attenantes sont doublement
vulnérables à cet égard. D’une part, du fait de la faible variabilité interannuelle de la
température qui les caractérise, elles sont les premières à sortir de l’enveloppe de leur
climat de référence. D’autre part, c’est là qu’on attend les plus fortes augmentations de
population, et ce quels que soient les scénarios démographiques considérés. En
d’autres termes, c’est dans ces régions que le changement climatique va se faire sentir
le plus rapidement et toucher une proportion sans cesse croissante de la population
mondiale, avec le risque évident d’une aggravation majeure des inégalités et donc
d’une instabilité des sociétés qui, de ce fait, seront encore moins bien armées pour y
faire face.
Ce n’est pas le fruit d’un pur hasard de calendrier si la COP 21 vient clore une
année 2015 qui a vu la redéfinition du cadre international de référence des relations
Nord/Sud et de l’aide au développement, avec la conférence d’Addis-Abeba sur le
financement du développement et l’adoption par l’Assemblée générale des Nations
unies des Objectifs du développement durable (ODD), qui succèdent à l’horizon 2030
aux précédents Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) de la période
2000-2015. La proximité calendaire, comme celle des objectifs affichés (l’ODD 13 fait
explicitement référence à la lutte contre le changement climatique), reflète la nécessaire
convergence entre les enjeux sociétaux liés au climat et ceux liés au développement
durable. Ces enjeux font l’objet du présent ouvrage alimenté par les résultats de recherche
de l’Institut de recherche pour le développement (IRD).
Cette convergence fixe des responsabilités particulières aux scientifiques. Aux climatologues, elle intime de dépasser le stade de la seule alerte climatique pour explorer
plus en profondeur, avec leurs autres collègues physiciens, chimistes et biologistes, les
chaînes causales complexes qui relient le climat aux autres paramètres environnementaux
et anthropiques. Elle conduit les économistes, sociologues, anthropologues et chercheurs
en sciences médicales à s’intéresser à l’impact de ces changements environnementaux,
qui ne sont pas exclusivement d’origine climatique, sur la santé, les équilibres sociaux
et les opportunités économiques. Les équipes de l’IRD ont une longue tradition de
recherches pluridisciplinaires menées en collaboration avec les collègues et institutions
des pays en développement. L’émergence des problématiques de recherche liées aux
changements globaux réoriente ces recherches vers l’évaluation des capacités de résilience
12
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
des écosystèmes et des populations qui en vivent, afin de proposer des solutions qui
concilient atténuation du changement climatique et adaptation, préservation de l’environnement et réduction des inégalités. Surtout, elle appelle à l’émergence de nouveaux
champs scientifiques pour étudier les interactions entre environnement – sensu largo –
et sociétés dans le système Terre.
Les avancées des connaissances scientifiques sont un exemple typique de ce que le
prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz a qualifié de « bien public global ». Ce terme
souligne le caractère par essence universel de la production scientifique, tant en termes
d’accès libre à tous qu’en termes de validité générale des résultats obtenus. Face aux
menaces que le réchauffement climatique fait peser sur l’avenir de la planète et à la
montée, historiquement sans précédent, des inégalités dans la distribution actuelle de
la richesse mondiale (entre et dans les pays), la science se doit d’assumer pleinement ses
valeurs d’universalisme humaniste. Elle doit contribuer à mieux concilier l’agenda de
la lutte contre le changement climatique avec celui du développement durable, en
s’impliquant dans la construction d’une vision intégrée des interactions entre changements environnementaux et développement harmonieux des sociétés. Elle doit aussi
contribuer à fonder sur des évidences objectives des politiques publiques nationales et
internationales aptes à répondre à la fois au défi climatique et à la construction d’un
monde plus juste. C’est l’ambition, modeste et consciente de ses limites, mais convaincue
et déterminée, de cet ouvrage.
Thierry Lebel
directeur de la Mission pour l’interdisciplinarité et l’intersectorialité de l’IRD
Jean-Paul Moatti
président-directeur général de l’IRD
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
13
Introduction
Changement climatique,
des enjeux multiples
L
a prise de conscience du réchauffement climatique et de ses conséquences
planétaires n’a pas permis jusqu’à présent de réduire l’incidence des activités
humaines sur le climat. L’échec des politiques internationales à coordonner
une baisse des émissions de gaz à effet de serre, mais également le
constat de certains effets plus rapides que prévu du réchauffement, conduisent
aujourd’hui à un nécessaire infléchissement des négociations.
Les mots en gras
renvoient au glossaire,
p. 253.
La XXIe Conférence des parties (COP 21) de la Convention-cadre des Nations unies
sur le changement climatique qui se tient à Paris en décembre 2015 devrait marquer un
tournant dans le traitement politique de la question climatique. Au-delà de l’accord
ambitieux souhaité, universel et contraignant, la COP 21 sera plus pragmatiquement le
lieu où seront présentés dans une démarche bottom up les contributions nationales et
l’agenda des solutions, chaque pays contribuant dans la mesure de ses moyens et selon
les priorités de sa politique nationale à l’effort de lutte contre le réchauffement climatique
et ses impacts. L’« objectif ultime » de la Convention n’est plus de répartir des engagements
de réduction d’émissions de gaz à effet de serre entre États, mais bien d’intégrer la
question climatique à des problématiques plus larges. Ce faisant, la question climatique
rejoint les Objectifs du développement durable (ODD) négociés par les Nations unies
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
15
en septembre 2015, et elle s’ouvre également aux initiatives localisées de l’ensemble
des acteurs de la société.
Ce nouveau cadrage de la question climatique implique donc de mieux comprendre les
conditions locales d’émissions de gaz à effet de serre pour les limiter (atténuation), quelles
que soient les activités humaines en cause. Il s’agit également de mieux caractériser la
diversité des impacts du réchauffement global sur la planète, sachant que tous les milieux
et tous les humains sont concernés, même les régions peu émettrices ou éloignées des
sources de fortes émissions. Cette évolution est en résonance avec l’approche scientifique
qui doit expliquer comment les émissions localisées participent au réchauffement de
l’atmosphère, lequel en retour a des répercussions différentes selon les régions du globe.
Ces effets spécifiques sont fonction des aléas climatiques présents dans la région, du degré
d’exposition et de la sensibilité du milieu à ces aléas. La distinction entre les impacts
directs de l’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre des autres pressions
liées aux activités socio-économiques régionales et locales est une autre gageure pour
les scientifiques. Enfin, la diversité des contextes sociaux, sanitaires, culturels et économiques locaux conditionne les réponses à apporter. Une telle complexité impose une
réflexion sur la définition et la mise en œuvre de solutions d’adaptation et d’innovation
adéquates.
Face à de tels enjeux, les recherches interdisciplinaires doivent répondre à trois priorités :
lancer les alertes nécessaires et assurer le suivi de l’évolution climatique et environnementale ; accompagner ces évolutions par des innovations locales et des conseils en matière
de politiques publiques ; enfin, fournir une analyse critique des politiques internationales,
de manière à les rendre compatibles avec les Objectifs du développement durable. La
réalité du réchauffement climatique et de ses répercussions est avérée, mais le suivi des
transformations en cours n’en est pas moins crucial. La mise en place de mesures coordonnées d’atténuation rend en effet nécessaire une veille permanente, doublée d’une
information continue vers la société civile. Il s’agit de partager avec le plus grand nombre
les connaissances sur l’évolution et l’ampleur des changements, de réduire les zones
d’ombre afin de mieux quantifier et anticiper les risques environnementaux et sociétaux
à venir. Cette démarche s’appuie en particulier sur le renforcement des observatoires
socio-environnementaux et l’amélioration des outils de modélisation intégrée.
Sur le terrain, la recherche doit aussi désenclaver la question du changement climatique,
en l’intégrant aux dimensions sociales, économiques et géopolitiques, et mieux articuler
les pratiques et les moyens d’action. Cette approche, plus intégrée que jamais, doit
16
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
permettre de faire le lien entre les dynamiques environnementales et sociétales dans leur
diversité, ainsi que d’évaluer les capacités de résilience des écosystèmes et des populations. En prenant mieux en compte les pratiques locales, cette approche doit en outre
permettre de construire des solutions conciliant adaptation au changement climatique,
préservation de l’environnement et promotion d’un développement humain durable.
La mobilisation autour de la COP 21 en France est, pour l’IRD, l’occasion de prendre
du recul sur les recherches en lien avec le changement climatique menées avec ses
partenaires du Nord et du Sud. À travers cet ouvrage, l’institut souhaite promouvoir ses
acquis de recherche les plus récents, faire valoir les spécificités des milieux et des populations du Sud et justifier son engagement dans une posture de recherche résolument
impliquée. La structuration linéaire du propos au fil des trois parties répond au souci de
rendre plus accessible cette réalité complexe, mais l’ouvrage s’appuie bien sur une
approche scientifique « intégrée » de la question climatique au Sud.
La première partie, « Observer et comprendre le changement climatique », vise en
premier lieu à replacer le réchauffement climatique planétaire d’origine anthropique
dans la perspective des changements climatiques naturels observés sur le temps long
dans les milieux tropicaux. Il s’agit d’en montrer le caractère hors norme. Mais l’accent
est également mis sur la démarche scientifique, la rigueur et la prudence nécessaires
dès lors qu’il s’agit de pointer les causes d’une variation ou d’un événement extrême
observé à l’échelle locale, voire régionale. En effet, même si la réalité du réchauffement
climatique planétaire est avérée, il est primordial de ne pas lui attribuer à tort tous les
changements observés. De telles erreurs pourraient aboutir à des politiques d’adaptation
inefficaces, voire contre-productives. Pour être pertinente, la démarche doit s’appuyer
sur des réseaux d’observation adaptés aux échelles spatiales et temporelles critiques,
pour suivre en continu, détecter et caractériser précisément d’éventuelles anomalies
dans l’évolution climatique et environnementale. Elle doit aussi bénéficier d’outils de
modélisation performants pour cerner les mécanismes en jeu et identifier les facteurs à
l’origine de ces anomalies. La fiabilité de ces modèles détermine aussi la confiance que
l’on peut porter aux scénarios climatiques sur les décennies à venir.
La deuxième partie, « Les impacts du changement climatique au Sud », aborde les
répercussions socio-environnementales par grands types de milieux écologiques, afin
de mettre en exergue la complexité des processus à l’œuvre et la multiplicité des
déterminants. Océans, zones côtières et insulaires, zones semi-arides, zones d’altitude,
zones humides et forêts, grandes villes : tous ces milieux sont menacés par le changement
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
17
climatique. Néanmoins, les risques s’y expriment de manières distinctes, chaque milieu
étant soumis à des aléas climatiques spécifiques et d’amplitudes variables (cyclones,
inondations, sécheresses, vagues de chaleur, élévation du niveau de la mer...). De plus,
le changement climatique n’est qu’un facteur de risque parmi d’autres changements
(déforestation, croissance démographique, pollutions, surexploitation des ressources
naturelles…) qui peuvent affecter drastiquement et à très brève échéance les écosystèmes
et les ressources, parfois bien davantage que le changement climatique lui-même. Il
devient alors très difficile de discerner leurs influences respectives. Chaque milieu est en
outre caractérisé par une vulnérabilité à l’aléa climatique qui lui est propre, souvent
exacerbée dans les pays du Sud du fait de la pauvreté, des inégalités, de la faiblesse de
la gouvernance et de moyens de lutte limités. Ceci implique que les risques engendrés
par le réchauffement climatique s’expriment de manières très différentes selon les
milieux concernés, justifiant ainsi l’approche régionale adoptée pour cette deuxième
partie.
La troisième partie, « Les sociétés à l’épreuve du climat », replace les réalités politiques
et sociales au centre des préoccupations liées au climat. Le cadrage initial de la question
climatique par la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques
(CCNUCC, 1992) comme un problème de pollution planétaire n’a en particulier pas
permis de mobiliser les sociétés et l’économie mondiale vers la recherche de solutions
pour réduire l’influence des activités humaines sur le climat. Une analyse critique des
négociations internationales sur le climat permet d’interroger ce cadrage de la question
climatique. Au-delà de la dimension climatique, les politiques internationales du climat
sont étudiées comme un processus de construction d’une gouvernance environnementale
globale, avec des incidences sur les politiques environnementales nationales.
En matière de santé, les conséquences attendues du changement climatique plaident
pour une politique internationale de santé publique affirmée qui permette de renforcer
la résilience des sociétés du Sud face aux nouveaux risques sanitaires et d’améliorer leur
bien-être. La recherche en santé doit aussi s’appuyer sur des études de populations au
long terme inscrites dans des observatoires dédiés à l’environnement, à la démographie,
à l’agriculture et ses procédés ou encore à l’évolution socio-économique des sociétés.
Même lorsque les changements sont extrêmes et qu’ils ont des répercussions sanitaires
immédiates, ils doivent être analysés et suivis dans le temps long par l’entremise des
observatoires. C’est de cette analyse dans la durée que découleront des scénarios d’adaptation qui prennent pleinement en compte la santé et le bien-être des populations.
18
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
La capacité des populations à faire face aux enjeux du changement climatique ne
dépend pas uniquement de la volonté des décideurs d’en atténuer les effets : les populations du Sud n’ont pas attendu les décisions des experts pour adapter leurs stratégies et
leurs comportements aux changements environnementaux. Pour mobiliser les populations,
il faut en effet faire l’effort de comprendre la diversité des sensibilités et des pratiques
écologiques. La question est alors, pour les scientifiques et les politiques, de s’inspirer
des expériences culturelles du changement climatique pour mieux concevoir les actions
à entreprendre. Les nombreuses études qui émaillent cette troisième partie illustrent les
capacités d’adaptation des populations rurales du Sud en étroite interaction avec leur
environnement, en particulier dans leurs pratiques agricoles et leur gestion des ressources.
Sur la base d’exemples issus de programmes récents menés au Sud, cette dernière partie
met ainsi au premier plan le rôle des hommes et des femmes, du social et du politique,
face au défi climatique.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
19
Équipe GreatIce
sur les glaciers du volcan
Antisana (5 700 m)
en Équateur.
Partie 1
Observer
et comprendre
le changement
climatique
© IRD/B. Francou
D
epuis le début de l’ère industrielle, les émissions de gaz à effet de
serre liées aux activités humaines ont augmenté, jusqu’à avoir un
impact significatif sur la hausse de la température moyenne globale
et plus généralement sur l’évolution du climat. Cette influence des
émissions sur le climat a été identifiée de plus en plus clairement dans les rapports
successifs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec),
mis en place en 1988 pour évaluer l’information scientifique sur le changement
climatique. Et les projections climatiques pour les décennies à venir confirment
l’évolution actuelle du réchauffement, dont l’amplitude dépendra des futures
émissions de gaz à effet de serre. Pour la communauté scientifique, nous entrons
ainsi dans une nouvelle ère, l’Anthropocène, caractérisée par la prédominance de
l’influence de l’homme sur le système terrestre. Si sa chronologie n’est pas encore
définitivement actée, l’Anthropocène fait sortir le système climatique planétaire de
l’Holocène, période géologique qui couvre les dix derniers millénaires.
Par ses activités, l’Homme marque ainsi d’un jalon « anthropique » la définition
des grandes ères géologiques. À cette échelle de temps, l’évolution climatique
passée se caractérise par l’alternance de périodes glaciaires avec des périodes
climatiques chaudes et humides ou plus tempérées (périodes interglaciaires). Ces
transitions glaciaires sont le résultat d’une distribution différente de l’énergie
solaire reçue par la Terre, du fait des modifications lentes des paramètres de rotation
de la terre : l’excentricité évolue principalement selon deux périodicités de
400 000 et de 100 000 ans ; l’obliquité évolue quant à elle selon une périodicité de
40 000 ans ; et enfin la précession des équinoxes varie selon un cycle de l’ordre de
22 000 ans. À plus court terme, l’activité volcanique a aussi un impact sur le climat
par l’émission de poussières, qui réduisent pendant quelques années le rayonnement
solaire reçu en surface. Ces forçages naturels déterminent en grande partie la
variabilité climatique. Leurs effets sont eux-mêmes amplifiés ou atténués par des
rétroactions internes au système atmosphère-océan-surface continentale. Un exemple
de rétroaction est l’effet de serre naturel de l’atmosphère (par opposition à l’effet
de serre additionnel lié aux émissions d’origine anthropique), principalement dû à
la vapeur d’eau atmosphérique. On estime que, sans atmosphère, la température
moyenne à la surface de la Terre serait de - 18 °C et non de + 15 °C comme on
l’observe.
Enfin, le système atmosphère-océan-surface continentale a aussi sa propre
variabilité naturelle. Cette variabilité climatique « interne » se manifeste à différentes
échelles de temps : de saisonnière comme la mousson à pluri-annuelle comme par
exemple les phénomènes El Niño et La Niña. Ces modes de variabilité climatique
ont un fort impact sur la zone intertropicale. Ils sont régis par des processus de
couplages entre surface et atmosphère, ou internes à l’atmosphère, qui ont des
effets importants, d’amplification ou de réduction, sur la variabilité interne du
système climatique. Cette variabilité interne peut ainsi moduler, voire supplanter,
certains effets du forçage anthropique.
Dans ce contexte, une des difficultés est de savoir « attribuer » le changement
climatique observé à l’échelle régionale ou locale, soit aux forçages naturels,
soit à la variabilité interne naturelle du climat, soit à l’impact anthropique. Les
scientifiques du climat utilisent la notion de « temps d’émergence », c’est-à-dire la
durée nécessaire, suivant les lieux et la variable climatique considérée (température,
précipitation, etc.), pour que le signal du forçage de l’effet de serre anthropique
dépasse le « bruit » de la variabilité climatique interne. En termes de température
par exemple, la zone intertropicale est le lieu où cette émergence est la plus rapide
car la variabilité interne de la température y est plus faible qu’ailleurs. Cette question
d’attribution est d’autant plus complexe que l’activité anthropique s’exprime par
d’autres modifications environnementales, comme par exemple l’utilisation des
sols (déforestation, agriculture) qui peut modifier localement le climat.
Cette première partie de l’ouvrage illustre les recherches sur la compréhension
du changement climatique actuel. En replaçant ce changement dans un contexte
climatique beaucoup plus long, la paléoclimatologie permet d’en évaluer l’ampleur
et la rapidité. Pour assurer le suivi de l’évolution en cours du climat, et pour interpréter les changements observés et en déterminer la ou les causes probables, il est
par ailleurs nécessaire de s’appuyer, d’une part, sur des réseaux d’observations
pérennes et pluridisciplinaires et, d’autre part, sur des outils de modélisation
représentant la complexité des processus et mécanismes physiques en jeu. Il est
ainsi possible d’appréhender les différentes échelles spatiales et temporelles, afin
de mieux comprendre le fonctionnement du système climatique et environnemental
de la Terre. Les réseaux d’observations et les modèles sont aussi indispensables pour
évaluer le niveau de confiance et d’incertitude des projections climatiques.
À l’IRD, ces recherches sont largement focalisées sur les régions tropicales, qui
ont une dynamique propre face aux forçages climatiques naturels et anthropiques.
Ces régions jouent également un rôle important dans les variations climatiques
globales. Exemple emblématique, le phénomène El Niño, qui prend naissance dans
le Pacifique tropical et qui constitue le principal mode de variabilité climatique au
niveau global. On insistera ainsi dans cette première partie sur l’importance des
recherches menées dans la zone intertropicale pour la compréhension du changement
climatique, en faisant valoir les acquis les plus récents tout en expliquant les limites
des modèles et les principaux enjeux des recherches en sciences du climat.
Chapitre 1
Apprendre
des climats tropicaux passés
© IRD/P. Ginot
C
onnaître l’évolution des climats passés est indispensable pour comprendre
le climat actuel. En donnant une image de la variabilité naturelle du climat,
la paléoclimatologie met en perspective les variations observées
aujourd’hui. Elle permet aussi de mieux comprendre la machine climatique,
en particulier les dynamiques propres aux climats tropicaux. Le cycle de l’eau y est en
effet différent de celui des latitudes tempérées, avec une évapotranspiration beaucoup
plus importante et la présence de convections tropicales jouant un rôle majeur sur le
bilan d’eau et d’énergie terrestre. L’étude de la variabilité du climat sur le temps long
permet aussi une meilleure connaissance des modes de variabilité climatique, saisonniers
ou interannuels, comme les moussons ou le phénomène El Nino, qui ont un fort impact
sur la zone intertropicale.
Camp de forage
sur le sommet
du San Valentin (3 900 m),
Chili.
Le carottage des glaciers
andins donne accès
à plus de 20 000 ans
d'archives climatiques.
Cette étude des climats passés s’appuie sur les nombreuses traces laissées à la
surface de la terre : les carottes glaciaires, les sédiments marins ou lacustres, les stalactites
et stalagmites des grottes, les coraux, etc., qui sont autant d’archives naturelles du climat.
Leur analyse physique, chimique et biologique permet de reconstruire et de quantifier
les changements climatiques passés, pourvu qu’une datation fiable de ces archives soit
possible.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
25
Figure 1.
Les principales
composantes du système
climatique et leurs temps
de réponse.
Les nombreuses
interactions entre
atmosphère, océans,
biosphère, etc.
jouent un rôle déterminant
dans l’évolution du climat
et se produisent
à des échelles de temps
allant du jour aux dizaines
de milliers d’années.
La paléoclimatologie
permet en particulier
d'étudier les interactions
lentes.
Gaz atmosphériques
Gaz atmosphériques
1 mois – 109 mois
Atmosphère
1 jour – 10 ans
Biosphère
Cryosphère
1 mois – 100 ans
103 – 106 ans
Calottes
Cryosphère
1 mois – 10 ans
Volcans
Précipitation
Évaporation
Glace
1 mois – 10 ans
Lithosphère
104 – 109 ans
Océan
10 – 1 000 ans
Source : JOUSSAUME, 1999.
Échanges d’énergie
Échanges d’eau
Échanges biogéochimiques
103 – 106 Échelle de temps des réponses
Les secrets
des glaces tropicales
Depuis une cinquantaine d’années, les glaces du Groenland et de l’Antarctique
permettent de reconstruire les variations climatiques et environnementales au cours des
derniers cycles climatiques glaciaires et interglaciaires. La richesse des résultats obtenus à
partir des glaces polaires a ensuite incité plusieurs équipes internationales de recherche
à extraire des carottes glaciaires dans d’autres régions froides du monde.
Les glaciers tropicaux et subtropicaux de la cordillère des Andes (Sajama et Illimani
en Bolivie, Chimborazo en Équateur, Coropuna au Pérou, San Valentin au Chili) ont
commencé à être étudiés par l’IRD et ses partenaires au cours des années 1990. Les
carottages de glaces andines ont donné des informations sur l’évolution du climat tropical
de l’hémisphère sud sur des périodes remontant jusqu’à 25 000 ans pour les glaces les plus
anciennes. Ils permettent également de mieux comprendre des phénomènes climatiques
régionaux, comme par exemple le système de la mousson sud-américaine.
26
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
© IRD/B. Francou
La découverte d’un Petit Âge glaciaire
en Amérique du Sud
En enregistrant les variations pluviométriques passées, les glaces andines livrent
donc aujourd’hui des informations précieuses. Leur étude, couplée à l’observation des
avancées et reculs des glaciers dans le passé, a par exemple récemment prouvé l’existence d’un Petit Âge glaciaire dans les Andes. Bien que moins marqué qu’en Europe, ce
phénomène s’est traduit entre la moitié du XVe et la fin du XVIIIe siècle par une période
plus froide et humide qu’aujourd’hui.
L’équipe du laboratoire
GreatIce au travail
sur les glaciers du volcan
Antisana (5 700 m)
en Équateur.
Les expéditions
de carottage sur les glaciers
tropicaux sont menées
dans des conditions difficiles,
en raison de l’altitude élevée
et des vents intenses.
L’interprétation des analyses des carottes glaciaires andines n’a pas été aisée. Un des
traceurs classiquement utilisés pour récupérer des informations est la composition
isotopique de l’eau, reflétant ses différentes formes (H216O, H218O, HDO). Les isotopes
de la glace polaire apportent une information sur les températures. Mais il en est autrement
sous les tropiques, où le cycle de l’eau atmosphérique est beaucoup plus complexe.
D’importantes recherches ont permis de montrer que la composition des glaces andines
est principalement contrôlée à l’échelle régionale par les précipitations (encadré 1).
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
27
Encadré 1
Les glaces tropicales informent plus
sur les précipitations que sur les températures
Les glaces andines sont
d’excellentes archives du climat
tropical. Mais l’interprétation
des informations livrées
par les carottes reste matière
à discussion dans la communauté
scientifique.
Des chercheurs de l’unité
Hydrosciences Montpellier
ont montré que ces glaces
donnent surtout des informations
sur les variations de précipitations,
et non sur celles des températures,
comme c’est le cas
en climat tempéré.
La composition isotopique des glaces
tropicales apporte des renseignements
précieux pour quantifier la variabilité
climatique passée.
Mais l’interprétation de ce marqueur
géochimique est plus difficile
qu’aux pôles, à cause de la complexité
des processus de convection
atmosphérique responsables
de la majeure partie des pluies.
Dans les régions polaires, la répartition
des isotopes de l’eau entre les différents
réservoirs (vapeur d’eau, condensat,
pluie) dépend de la température,
car c’est cette dernière qui contrôle
les quantités de pluie formées.
Mais cette corrélation n’est plus valable
en climat tropical. Pour comprendre
cette différence dans les processus,
des chercheurs du laboratoire
Hydrosciences Montpellier
ont calibré le signal isotopique
à partir des précipitations actuelles.
Ils ont mis en place un réseau
de collecte des précipitations
en Bolivie, au Pérou et en Équateur,
au plus près des sites de carottage.
L’analyse des échantillons de pluie,
couplée aux résultats de la modélisation
climatique de l’Amérique du Sud
tropicale, montre que leur composition
isotopique est principalement contrôlée
par la quantité de pluie qu’une masse
d’air a perdue le long de sa trajectoire,
depuis sa formation au-dessus
de l’océan. À l’échelle interannuelle,
les glaciers andins enregistreraient
donc davantage l’histoire des variations
d’humidité régionales que les variations
de température.
© IRD/F. Vimeux
Ces résultats ont montré que
certaines régions d’Amazonie étaient
plus humides au cours du dernier
maximum glaciaire, il y a 20 000 ans,
et qu’une modification globale
de température joue ainsi un rôle
déterminant sur le régime des pluies
dans cette région.
Prélèvement de pluie
pour la mesure
des isotopes de l'eau
à Chacaltaya (5 240 m),
Bolivie.
28
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
© IRD/J.-L. Guyot
Sédiments, coraux
et autres archives climatiques
Les carottes glaciaires ne sont pas les seules archives
climatiques exploitées pour étudier les climats du
passé. Au-delà des régions polaires et des glaciers
d’altitude, les sédiments lacustres et marins, les
coraux ou les spéléothèmes (stalactites et stalagmites)
sont également des marqueurs environnementaux
intéressants pour reconstituer les climats passés.
Des marqueurs environnementaux
qui font parler le passé
© IRD/C. Leduc
Les concrétions carbonatées (stalactites, coraux) sont particulièrement utiles dans les
reconstructions des variations de précipitations, de température et du niveau marin.
Leur taux de croissance, les rapports isotopiques de l’oxygène et du carbone, la présence
d’éléments traces (magnésium, calcium, strontium…), appuyés par les méthodes de
datation, ont été largement utilisés pour étudier les changements dans le système de la
Caverne de Sao Bernardo
au Brésil.
Les stalagmites
(spéléothèmes)
sont de bons traceurs
de la variabilité passée
des précipitations
en Amérique du Sud.
Site préhistorique
du Tadrat Akakus,
Sahara libyen.
Ces peintures rupestres
sont les témoins
d’un climat ancien
moins aride que l’actuel.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
29
Encadré 2
Une remontée exceptionnelle du niveau des mers
dévoilée par les coraux du Pacifique
© IRD/J. Orempüller
Grâce à des carottes prélevées
sur des récifs coralliens au large de
Tahiti, les chercheurs de l’unité
Cerege et leurs partenaires ont
reconstitué un des événements
majeurs de la dernière déglaciation :
une remontée exceptionnelle
du niveau de la mer, associée
à une débâcle glaciaire.
Depuis la fin de la dernière ère
glaciaire, il y a 21 000 ans, notre planète
a vu les océans s’élever de 120 m,
pour atteindre le niveau actuel.
Cette remontée n’a pas été constante,
mais au contraire ponctuée d’accélérations
rapides, associées à des débâcles
massives des calottes de glace.
La plus importante de ces accélérations,
que les paléoclimatologues nomment
« Melt-Water Pulse 1A », est restée
méconnue jusqu’à ce que l’équipe
du Cerege, en collaboration avec
les universités d’Oxford et de Tokyo,
analyse des carottes récifales prélevées
sur le pourtour de l’île de Tahiti, lors
de l’expédition internationale IODP 310
« Tahiti Sea Level » en 2005.
Étude des coraux
(massif de Diploastrea)
aux îles Fidji.
La carotte extraite sera étudiée
pour préciser l’histoire climatique
du Pacifique sud.
Leurs travaux ont permis de décrire
la chronologie, l’amplitude et la durée
de cet événement. L’accélération
de la montée du niveau marin a débuté
il y a précisément 14 650 ans et coïncide
avec le début de la période chaude,
dite du « Bølling », qui marqua la fin
de l’ère glaciaire. La hausse moyenne
des mers aurait alors été de 14 m,
en moins de 350 ans.
De plus, contrairement à l’hypothèse
admise jusqu’ici, la calotte antarctique
aurait contribué – pour moitié –
à cette élévation. Cet apport massif
d’eau douce a fortement perturbé
la circulation océanique mondiale,
se répercutant sur le climat global.
Ces résultats sont également très
importants au regard de l’élévation
actuelle et future des océans.
En effet, ils mettent en avant
le comportement dynamique
des calottes polaires en réponse
à une augmentation de température,
phénomène encore mal pris en compte
dans les prévisions du Giec
à l’horizon 2100.
mousson mondiale à différentes échelles de temps. Les sédiments enregistrent, eux,
plusieurs types d’informations liées à l’origine, à la quantité et à l’état de préservation
des éléments minéraux et organiques du sol. Les organismes caractérisés par des cycles de
vie très courts, comme les diatomées et certaines algues, sont des bons marqueurs des
changements des conditions physiques et chimiques du milieu. Le degré de préservation
des éléments organiques et leur minéralisation renseignent aussi sur la température, le
degré d’acidité ou l’oxygénation du milieu de dépôt. Par exemple, l’analyse de grains
de pollen, collectés dans les sédiments du lac Tchad, a permis aux chercheurs de
reconstituer la végétation et les précipitations qui régnaient dans la région il y a 6 000 ans,
au cours de l’Holocène moyen. Ces résultats sont particulièrement intéressants car, à cette
période, le Sahara est devenu peu à peu le désert que nous connaissons aujourd’hui. Ils
permettent d’établir des modèles utiles à la compréhension des changements actuels
dans un contexte climatique similaire, caractérisé par un réchauffement.
30
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
La reconstruction des paléoclimats andins
© IRD/A.-M. Sémah
En Amérique du Sud, la collecte des indices dans les différentes archives paléoclimatiques a permis de reconstruire l’évolution des précipitations sur le continent. L’analyse
des grains de pollen fossiles et des sédiments lacustres a en particulier donné une image
du climat il y a 6 000 ans. Beaucoup plus sec qu’aujourd’hui, il a provoqué une réduction
importante de la superficie de la forêt amazonienne. En parallèle, la découverte de
couches de micro-charbons de bois, indicateurs d’incendies anciens, dans les sédiments
lacustres et les sols, a prouvé l’exceptionnelle baisse d’humidité dans l’atmosphère à
cette époque. Ces interprétations sont aussi confirmées par la tendance des valeurs de
l’isotope de l’oxygène, qui indique une baisse des précipitations. Cette phase sèche
s’explique, d’après des simulations paléoclimatiques, par une hausse de la température
atmosphérique et un réchauffement des océans tropicaux, en réponse à une augmentation
du rayonnement solaire reçu en surface. Cette augmentation graduelle de l’insolation
aux latitudes tropicales sud depuis 10 000 ans est à l’origine d’un affaiblissement de la
mousson sud-américaine et explique également le recul lent et progressif des glaciers
andins durant cette période. Ces informations ont en particulier permis de montrer le
caractère exceptionnel de la fonte des glaciers d’altitude en Amérique du Sud depuis le
début de l’ère industrielle. La rapidité actuelle de la fonte depuis 1820 ne s’explique ainsi
pas par les variations d’insolation, mais par d’autres mécanismes liés à l’augmentation
des gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
Grain de pollen
d’Hibiscus tiliaceus
(Malvaceae)
au microscope optique.
Les grains de pollen
peuvent être de précieux
indicateurs pour l’étude
du climat.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
31
Chapitre 2
Comment se manifeste
le changement climatique actuel ?
© IRD/V. Ballu
L
’augmentation de la température à la surface de la Terre, inédite par son
ampleur et sa rapidité, est le premier indicateur du changement climatique.
Mais il y en a d’autres, comme le recul des glaces, les changements dans le
cycle global de l’eau et la modification de certains extrêmes climatiques, le
réchauffement de l’océan et l’élévation du niveau moyen des mers.
Plantation de cocotiers
inondée sur l’île de Loh
au Vanuatu.
La montée des eaux
est due à la fois
au réchauffement global
et à l’enfoncement
des îles.
Le réchauffement
de la surface de la Terre
Les reconstitutions du climat des deux mille dernières années montrent des périodes de
plusieurs décennies où les températures, localement, étaient aussi chaudes qu’aujourd’hui.
Cependant, ces épisodes chauds ne se sont pas produits de manière synchrone dans les
différentes régions de la planète, ce qui les différencie du réchauffement « global »
récent. Le réchauffement actuel est également inédit par sa rapidité (fig. 2).
Selon le rapport du Giec de 2013, la température moyenne à la surface du globe
– mesurée à 2 m au-dessus de la surface – a augmenté de 0,85 °C depuis 1880. Cette
moyenne globale masque des variations importantes selon les régions (fig. 3) et selon
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
33
les périodes de l’année. Dans la région chaude du Sahel par exemple, la température a
augmenté de 1,5 °C depuis les années 1950.
Figure 2.
Reconstructions à l’aide de
plusieurs bases de données
des températures annuelles
terrestres et océaniques
au cours des deux mille
dernières années.
Depuis 1950, la température
augmente au-delà
de sa variabilité naturelle.
Anomalies par rapport à la température moyenne 1881-1980 (en °C)
1,0
0,5
0,0
- 0,5
Source : Giec, 2013.
- 1,0
1
400
800
1200
1600
2000
Années
En orange : températures terrestres et océaniques ;
en rouge : températures terrestres uniquement ;
en noir : températures instrumentales relevées depuis 1860.
Les anomalies sont données par rapport à la moyenne (ligne 0,0)
et lissées pour réduire les fluctuations inférieures à 50 ans.
1901-2012
Variations
de température
(°C)
- 0,6
- 0,4
- 0,2
Figure 3.
Évolution de la température
en surface observée
entre 1901 et 2012.
Les variations de température
sont inégalement réparties
à l’échelle du globe.
Les plus fortes augmentations
sont observées
sur les continents.
Source : Giec, 2013.
34
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
0
0,2
0,4
0,6
0,8
1
1,25
1,5
Les zones en blanc correspondent à des données incomplètes.
1,75
Source des données :
Goddard Institute for Space Studies Surface Temperature Analysis (Gistemp)
2,5
Le recul des glaciers tropicaux
Glacier Zongo (6 090 m)
sur la montagne Huayna
Potosi en Bolivie.
Le Zongo a reculé
de 800 m depuis 1940.
© IRD/B. Francou
La fonte des glaces est un autre marqueur important du changement climatique de
la planète. Au cours des dernières décennies, les glaciers de presque toutes les régions
du globe ont reculé. Ceux des régions tropicales, situés à 99 % dans les Andes, figurent
parmi les plus touchés. En effet, le réchauffement global est particulièrement marqué à
ces altitudes. Plusieurs équipes de l’IRD ont mis en évidence le recul spectaculaire
depuis 30 ans des glaciers andins, qui ont vu leur surface se réduire de 30 à 50 %.
Ces travaux confirment l’accélération du changement climatique à la fin du XXe siècle
dans cette région du monde. Si les températures continuent d’augmenter, associées à
des modifications négatives du régime des pluies, la plupart d’entre eux pourraient
disparaître d’ici la fin du siècle.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
35
Encadré 3
Le recul spectaculaire des glaciers andins depuis 30 ans
Source : FRANCOU et VINCENT,
2007.
36
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Une seule et même cause
L’ensemble des glaciers andins
répond à des mécanismes communs
de variabilité climatique.
Tandis que les précipitations
ont peu évolué, la température
atmosphérique dans les Andes
tropicales a augmenté de 0,7 °C,
en lien avec le réchauffement
du Pacifique tropical depuis
les années 1970.
À pareille altitude, la température
n’est pas directement responsable
de la fonte. Celle-ci est surtout due
au bilan entre rayonnement absorbé
et rayonnement réfléchi à la surface
du glacier.
Mais la température agit sur la nature
des précipitations, solides ou liquides,
et donc sur les conditions de maintien
ou non du manteau neigeux,
qui contribue à réfléchir la plus grande
partie de l’énergie solaire.
L’absence de celui-ci augmente
la fonte du glacier de façon
considérable.
Cette situation où les glaciers sont
dénudés – en été sous les tropiques
ou aux équinoxes à l’équateur –
a eu tendance à devenir plus fréquente
ces dernières décennies.
0
0
- 200
- 50 000
- 400
- 100 000
- 600
- 150 000
- 800
- 1 000
- 1 200
- 1 400
- 1 600
1930
Antizana 15 a
Antizana 15 b
Yanamarey
Broggi
Pastoruri
Uruashraju
Cajap
Zongo (surface)
Charquini-S (surface)
Chacaltaya (surface)
1940
1950
1960
- 200 000
- 250 000
- 300 000
- 350 000
1970
Années
1980
1990
2000
- 400 000
2010
Surface perdue cumulée des glaciers (m2)
Figure 4.
Diminution spectaculaire
de dix glaciers des Andes
tropicales au cours
des quatre-vingt
dernières années.
Grâce à l’étude des moraines
glaciaires, les scientifiques de l’IRD
et leurs partenaires internationaux
ont cartographié et daté les positions
passées des glaciers, tout au long
de leur retrait commencé à partir
des années 1730.
Les photographies aériennes
et les images satellitaires ont
par ailleurs été utilisées pour retracer
l’évolution des surfaces glaciaires
après 1950.
En parallèle, les chercheurs
ont modélisé la réponse des glaciers
aux variations actuelles de température
et de précipitations, pour établir
la relation entre conditions climatiques
et recul des glaces.
Ils ont ainsi reconstitué les fluctuations
du climat qui ont pu provoquer
les variations des glaciers observés.
Leurs résultats montrent clairement
la singularité de ces dernières
décennies, avec une rapidité de fonte
jamais observée en 300 ans :
les glaciers de Colombie, d’Équateur,
du Pérou et de Bolivie ont vu
leur surface réduite de 30 à 50 %
depuis la fin des années 1970,
et jusqu’à 80 à 100 % dans les cas
les plus extrêmes.
Longueur perdue cumulée des glaciers (m)
Depuis leur maximum,
atteint entre la moitié du XVIIe et
celle du XVIIIe siècle,
au cours du Petit Âge glaciaire,
les glaciers des Andes tropicales
ont progressivement reculé.
Mais depuis 30 ans,
leur déclin a pris une ampleur
spectaculaire.
Précipitations
et événements climatiques extrêmes
Le régime des pluies en zones tropicales s’est également modifié au cours des
dernières décennies. Néanmoins, il est très difficile de dégager des tendances globales.
Les recherches au Sahel illustrent bien cette complexité. À la période pluvieuse des
années 1950-1960 a succédé une période très sèche pendant les trois décennies suivantes.
Depuis 15 ans, on assiste à la reprise partielle de la pluviométrie. Ce retour des pluies n’est
cependant pas un retour à la période de référence des années 1960. D’abord, parce
qu’elle ne concerne qu’une partie du Sahel continental, alors que l’ouest du continent est
toujours caractérisé par une baisse des précipitations. Ensuite, parce que l’augmentation
de la pluviosité ces dernières décennies est surtout liée à l’augmentation de l’intensité
des orages. En effet, si les orages sont redevenus plus fréquents, ils sont toujours moins
nombreux qu’avant la sécheresse (cf. p. 116).
En Amérique du Sud, les observations directes indiquent que la fréquence des
inondations et des sécheresses sévères varie d’une décennie à l’autre, sans que des
tendances claires se dégagent à l’échelle régionale. La région du Paraná Plata dans les
plaines de l’Argentine a, par exemple, subi une augmentation du régime des précipitations depuis le milieu des années 1970. Ces changements ont conduit à la formation
d’un lac de plusieurs centaines de kilomètres carrés, engloutissant au passage villages
et cultures.
Le fleuve Amazone
en crue en 2008.
Brésil.
Les grands fleuves sont également de bons
témoins du changement climatique. Les scientifiques
ont par exemple reconstruit les niveaux du fleuve
Amazone sur un siècle (observatoire scientifique
Hybam), mettant en évidence l’augmentation des
phénomènes extrêmes depuis une trentaine d’années,
avec une augmentation de la fréquence des crues et
des étiages historiques et une diminution progressive
des débits en saison sèche. Sur ces dernières années,
deux crues exceptionnelles en 2009 puis 2012 du fleuve
Amazone ont successivement augmenté le niveau de
la « crue record ».
© IRD/F. Sontag
Les « crues records »
de l’Amazone
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
37
Toutefois, les séries d’observations instrumentales fiables ne sont disponibles que
depuis 1950, ce qui est trop court pour permettre d’identifier avec précision d’éventuelles
tendances et d’en déduire les causes. Cette incertitude est d’autant plus forte pour les
événements extrêmes, exceptionnels par définition. Il n’y a ainsi pas de consensus
scientifique sur une fréquence plus grande des cyclones par exemple. Les observations
indirectes, comme l’étude des sédiments lacustres pour caractériser les crues, l’analyse de
spéléothèmes, etc., constituent donc des sources d’informations précieuses qui permettent
d’élargir la fenêtre temporelle des observations nécessaires à la compréhension des
changements climatiques récents.
Le réchauffement des océans
Les eaux chaudes
du Pacifique tropical ouest
génèrent d’intenses
interactions entre l’océan
et l’atmosphère.
Cet immense réservoir
d’eaux chaudes est
à l’origine des phénomènes
El Niño et La Niña.
Le réchauffement des océans est un autre marqueur du changement climatique.
Selon le 5e rapport du Giec (2013), la température à la surface des océans augmente de
0,11 °C par décennie depuis 1970, soit + 0,44 °C en moins de 40 ans. Cette augmentation est inégalement répartie. Des recherches récentes montrent par exemple que
l’Atlantique tropical s’est réchauffé de plus de 1 °C depuis 1975 dans sa partie est. La
température des eaux de surface du Pacifique tropical s’est, elle, réchauffée de 0,3 °C au
cours des cinquante dernières années.
© IRD/C. Maes
Les océans emmagasinent la plus
grande partie du réchauffement de la
planète : l’augmentation de la température océanique constitue 90 % de
l’énergie supplémentaire stockée par
le système climatique depuis 40 ans.
Mais les modifications de ce gigantesque réservoir d’énergie vont affecter
en retour le climat. En effet, la circulation des océans et sa contribution à
l’équilibre énergétique de la planète
en font l’un des principaux acteurs de
la machine climatique. La dynamique
des océans interagit également avec
la dynamique de l’atmosphère, un
couplage responsable de la variabilité
naturelle du climat.
38
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Encadré 4
Le Pacifique tropical ouest se réchauffe
Ces travaux montrent donc
que le volume de chaleur stocké
dans l’océan est beaucoup
plus important.
En 50 ans, la Warm Pool s’est
également déplacée d’environ
2 000 km vers l’est.
L’immense masse d’eau chaude
à l’ouest du Pacifique tropical,
appelée Warm Pool, couvre une surface
de 15 millions de kilomètres carrés,
soit 27 fois la surface de la France.
Des chercheurs de l’unité Legos
et leurs partenaires ont étudié
l’évolution de cette Warm Pool au cours
des cinquante dernières années.
La température de l’eau y a augmenté
de 0,3 °C. La surface occupée
par des eaux supérieures à 29 °C
a doublé en un demi-siècle et les zones
de plus de 30 °C, rares il y a 50 ans,
sont aujourd’hui très répandues.
Ces travaux sont l’une des premières
estimations, à partir de données in situ,
de l’augmentation de la température
de l’océan Pacifique tropical ouest.
Pour obtenir ces résultats,
l’équipe de recherche a rassemblé
des données et des observations
collectées au cours des cinq dernières
décennies par des navires marchands,
des campagnes océanographiques,
des mouillages grands fonds
et des mesures satellites.
De plus, la profondeur moyenne
de la Warm Pool a augmenté d’environ
10 m, pour atteindre aujourd’hui
une centaine de mètres.
© IRD/P. Laboute
Des chercheurs de l’unité Legos
et leurs partenaires
ont montré que les eaux de
surface du Pacifique tropical
se sont réchauffées de 0,3 °C
en un demi-siècle.
C’est une des premières estimations
à partir de données in situ
dans cette zone du Pacifique.
Vue aérienne de l’îlot Rédika,
lagon sud de la Nouvelle-Calédonie.
Le phénomène de dilatation
thermique des océans
dû au réchauffement des eaux
océaniques contribue à la montée
du niveau marin, menaçant
certaines îles basses du Pacifique.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
39
Les océans ont également un pouvoir régulateur vis-à-vis du carbone, en stockant le
dioxyde de carbone (CO2) présent dans l’atmosphère. Environ 30 % des émissions
anthropiques de CO2 sont ainsi absorbées par les océans. Or, la dissolution du CO2 dans
l’eau de mer entraîne son acidification (cf. p. 93).
La montée des océans
Montées des eaux
dans l’archipel
des Tuamotu
en Polynésie française.
Face à l’élévation
du niveau des océans,
les atolls qui culminent
souvent à 1 ou 2 m
au-dessus de la surface
pourraient être un jour
rayés de la carte.
40
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
© IRD/B. Marty
La hausse du niveau des mers est un phénomène bien établi. Depuis un siècle,
l’élévation moyenne est de l’ordre de 1,7 mm/an. Les résultats couplés des données
satellitaires et des mesures in situ indiquent que cette hausse moyenne s’accélère,
puisqu’elle s’élève de 3,2 mm/an entre 1993 et 2010. Cette hausse est un phénomène
attendu, du fait de la dilatation thermique de l’océan et de la fonte des glaces continentales. Mais d’autres facteurs interviennent régionalement, comme les vents, la pression
de l’air, les courants océaniques, etc. La montée des océans est ainsi très inégale en
différents points du globe (fig. 5). Par exemple, le Pacifique tropical ouest enregistre une
élévation du niveau de la mer d’environ 10 mm/an, une hausse donc bien supérieure à
la moyenne globale. Dans le Pacifique tropical oriental, la hausse est en revanche
inférieure à 3 mm/an.
10
5
0
-5
- 10
L’élévation du niveau de la mer est aussi variable dans le temps. Les chercheurs de l’IRD
et leurs partenaires ont reconstitué les variations du niveau de la mer dans le Pacifique
tropical ouest depuis 1950. Leurs travaux ont montré qu’El Niño a un effet important sur
la variabilité interannuelle du niveau marin dans le Pacifique tropical ouest, entraînant
des variations de l’ordre de 20 à 30 cm par rapport à la moyenne.
Figure 5.
Évolution du niveau
moyen régional de la mer
entre 1993 et 2014.
L’élévation du niveau
de l’océan Pacifique ouest
est bien supérieure
à la hausse globale.
Sources : Cnes/Legos/CLS.
À l’instar du reste de la planète, les tendances climatiques actuelles dans la zone
intertropicale confirment donc la réalité du changement climatique. L’ampleur et l’accélération du réchauffement de l’atmosphère et des océans, de l’élévation du niveau de la
mer et du recul des glaciers sont autant de preuves d’une rupture. D’autres indicateurs
climatiques sont en revanche moins faciles à inscrire dans des grandes tendances.
L’évolution du régime des pluies ou des événements extrêmes, type cyclones, est
particulièrement difficile à caractériser, conséquence de la complexité du cycle de l’eau
et des phénomènes convectifs sous les tropiques.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
41
Chapitre 3
Des observatoires pour détecter
les anomalies climatiques
© IRD/A. Laraque
L
’étude du changement climatique consiste à détecter toute anomalie climatique significative, puis à lui attribuer des causes possibles, anthropiques ou
naturelles. Pour cela, il est nécessaire d’être capable d’observer (pour détecter),
puis de comprendre (pour attribuer), afin de prévoir au final l’évolution de
l’empreinte du changement climatique sur l’environnement et les sociétés.
Le fleuve Orénoque
(Venezuela).
Crue d’août 2006.
Observatoire Hybam.
Pour assurer le suivi de l’évolution de notre climat, et plus généralement de notre
environnement, il est d’abord nécessaire de s’appuyer sur des données d’observations,
et donc des observatoires pérennes et pluridisciplinaires. Outre quantifier les évolutions
climatiques et environnementales, les observatoires permettent également de valider
les données transmises par télédétection satellitaire, d’évaluer les modèles et de mettre
en place de nouvelles techniques de mesures.
Quantifier les évolutions climatiques
et environnementales en cours
Les réseaux météorologiques et hydrologiques permettent le suivi en temps réel de
l’évolution et de la variabilité du système climatique. Cependant, ces réseaux ne sont pas
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
43
© Nasa Goddard Modis
Cyclone au-dessus
des îles Tonga,
Pacifique sud.
La fréquence
des événements extrêmes,
tels les typhons, est
un indicateur important
pour déceler
les tendances climatiques.
assez denses, en particulier dans les zones intertropicales, pour documenter de manière
suffisamment précise et sur une période suffisamment longue l’évolution climatique, et
en particulier le cycle hydrologique. En effet, les différentes composantes du bilan d’eau
(bilan de précipitations, de débits de fleuves, d’infiltrations dans les nappes phréatiques,
etc.) présentent une forte variabilité à la fois spatiale et temporelle. L’évaluation précise
de cette variabilité est nécessaire pour détecter les tendances significatives éventuelles,
liées au changement climatique ou à d’autres facteurs comme les transformations dans
l’usage des sols.
Les évolutions concernant les événements extrêmes sont encore plus difficiles à
détecter, car cela nécessite des séries d’observations d’autant plus longues que la
fréquence d’occurrences de ce type d’événements est faible. Or, l’évolution des phénomènes extrêmes, comme les cyclones ou les sécheresses, est un indicateur important
pour déceler une tendance du changement climatique sur le long terme.
Plusieurs systèmes d’observations adéquats permettent de documenter l’évolution
des variables climatiques de l’échelle régionale à l’échelle locale, sur des périodes
suffisamment longues, et de caractériser leurs impacts sur les milieux. L’IRD participe à
cette surveillance du climat en développant un certain nombre d’observatoires de
recherche labellisés en environnement, en particulier dans la zone intertropicale (fig. 6).
44
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Hybam : Hydrologie et biogéochimie de l'Amazone
BVET : Système d'observation des bassins versants expérimentaux tropicaux
Glacioclim : Les glaciers, un observatoire du climat
Msec : Multi-Scale environmental changes
Pirata : Réseaux de bouées d'observations océaniques et météorologiques dans l'Atlantique tropical
Omere : Observatoire méditerranéen de l'environnement rural et de l'eau
Amma-Catch : Observatoire hydro-météorologique de l'Afrique de l'Ouest
Gops : Grand observatoire du Pacifique sud
SSS : Service d'observation de la salinité de surface des océans
Figure 6.
Les observatoires
de recherche
en environnement
et climat développés
par l’IRD,
largement dédiés
à la zone intertropicale.
Calibrer et valider les données
transmises par télédétection satellitaire
Source : IRD/L. Corsini.
La documentation des changements environnementaux globaux (climatique mais
aussi hydrologique, pédologique, océanique, etc.) nécessite donc, d’une part, d’asseoir
les diagnostics sur des observations précises et, d’autre part, de disposer de mesures
représentatives des variabilités à l’échelle régionale. Les mesures de terrain (« in situ ») et
les informations satellitaires sont de ce point de vue très complémentaires : les premières
permettent une surveillance directe mais locale des phénomènes, les secondes apportent
une information globale et documentent la variabilité spatiale. En zone intertropicale, où
les réseaux opérationnels sont peu denses et fragiles, la synergie entre ces deux types
d’observations est essentielle pour comprendre les changements climatiques et leurs
impacts environnementaux. Les grands observatoires, et leurs longues séries de données
de terrain de haute qualité, fournissent aussi des observations pour calibrer et valider les
produits satellitaires.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
45
Encadré 5
Le service d’observation du bassin amazonien
couple données de terrain et mesures satellitaires
Depuis 2003, le service d’observation
Hybam (contrôles géodynamique,
hydrologique et biogéochimique de
l’érosion/altération et des transferts de
matière dans le bassin de l’Amazone)
récolte des données hydrologiques,
sédimentaires et géochimiques,
en associant observations in situ,
observations spatiales et réseau
de laboratoires. Ces informations
permettent de comprendre
le fonctionnement du plus grand bassin
du monde et d’évaluer l’impact
des variations hydroclimatiques
et des activités humaines. 17 stations
sont ainsi déployées depuis
les piedmonts andins du bassin
de l’Amazone jusqu’à l’océan Atlantique.
Les mesures locales sont couplées
à un réseau « virtuel » de données
obtenues par les satellites,
qui portent à la fois sur la quantité
et la qualité de l’eau.
Figure 7.
Le réseau des stations
virtuelles (SV)
de mesures hydrologiques
en Amazonie.
Source : SO Hybam (IRD/Insu/OMP)
Venezuela
Guyana
.
Surinam
Bogota
Guyane
française
Colombie
.
Quito
Équateur
Manaus
.
!
Brésil
.
Porto Velho
.
Lima
Pérou
Bolivie
SV Envisat/Saral
SV Jason2
46
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
.
La Paz
Pour mesurer la hauteur des fleuves,
les satellites altimétriques (Jason2
et Saral) balaient régulièrement
les points surveillés par radar,
ce qui permet d’évaluer avec précision
la quantité d’eau en mouvement.
La qualité de l’eau et la présence
de sédiments sont, quant à elles,
caractérisées par imagerie satellitaire.
Des capteurs (Modis), embarqués
sur les satellites Terra et Aqua,
analysent le spectre de la lumière
solaire réfléchie par les fleuves
et révèlent ce faisant la composition
de leurs eaux.
Ces techniques innovantes ont été
calibrées et validées grâce aux bases
de données hydro-sédimentaires
maintenues par l’observatoire.
Des chaînes de traitement automatisées
fournissent désormais, sur le site
internet, les informations satellitaires
en un temps record.
Ces technologies spatiales
sophistiquées ont un intérêt
tout particulier en Amazonie,
où les distances et l’ampleur
des ressources en eau nécessiteraient
des moyens de suivi terrestres
considérables, sans rapport
avec les budgets disponibles.
Le suivi et la mise à disposition
des informations sur les ressources
en eau répondent aux besoins
de toutes sortes d’acteurs économiques
et institutionnels pour la gestion
des eaux, la production électrique
ou la navigation fluviale – les voies
navigables constituant le premier réseau
de communication dans le bassin
de l’Amazone. Hybam associe
de nombreux partenaires universitaires
et techniques des pays du Sud
(Brésil, Bolivie, Pérou, Équateur,
Colombie, Venezuela et Congo).
© Smos/ASE
Satellite Smos en orbite,
lancé le 2 novembre 2009
par l’Agence spatiale
européenne (ASE).
C’est le premier satellite
mondial d’observation
du changement climatique
conçu pour suivre
la salinité de la mer et
surveiller la teneur en eau
du sol sur la planète.
Les incertitudes sur la « vérité sol » :
une question d’échelle
Dans la ceinture intertropicale, les pluies sont intenses et varient sur quelques
kilomètres et quelques heures, avec des conséquences parfois violentes localement
(inondations). Cette extrême variabilité est un défi pour l’observation, tant pour les
réseaux de mesures classiques au sol que pour la télédétection satellitaire. Les incertitudes associées décroissent, sans disparaître, pour les échelles spatiales ou temporelles
relativement « grossières » de l’hydro-climatologie (quelques mois ; plusieurs milliers de
kilomètres carrés), mais demeurent très fortes aux échelles de l’hydrologie locale. Ces
incertitudes doivent être prises en compte via des approches probabilistes. En Afrique
de l’Ouest, l’IRD et ses partenaires ont mis en évidence la nécessité de prendre en
compte les incertitudes sur la « vérité sol » des précipitations, c’est-à-dire les mesures
in situ à hautes résolutions spatio-temporelles, pour évaluer la performance des produits
satellitaires de restitution de la pluie. Les résultats montrent des performances élevées
aux échelles de 3 à 5 jours pour tous les produits et des performances plus modérées
pour certains de ces produits à l’échelle quotidienne. Les produits satellitaires de nouvelle
génération fournissent, eux, des informations quantitatives précises jusqu’aux échelles
de temps de la journée à 6 heures et aux échelles spatiales de 10 000 à 2 500 km2, ainsi
qu’une très bonne représentation du cycle diurne.
Développer de nouveaux capteurs
en zone intertropicale
Face à la fragilité des réseaux opérationnels dans les régions intertropicales et à la
nécessité de documenter à haute résolution les processus climatiques, mettre en place
des réseaux denses de mesures sur le long terme ne suffit pas. Il faut aussi développer
de nouveaux types de capteurs ou des approches originales, permettant de renforcer
les mesures et les échantillonnages pour le suivi des changements climatiques et
environnementaux (encadrés 6 et 7, en exemple de ces approches innovantes).
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
47
Encadré 6
La téléphonie mobile prend le relais
Si les réseaux d’observations
demeurent insuffisants en Afrique,
ce n’est pas le cas des antennes
relais pour la téléphonie mobile.
Or, les compagnies de téléphonie
enregistrent, pour la surveillance
de la qualité des réseaux,
les perturbations du signal,
en partie dues aux précipitations.
Des chercheurs ont ainsi eu l’idée
de tirer parti de cette quantité
de données pour améliorer
le suivi et la spatialisation
des précipitations.
Figure 8.
Principe de la mesure de pluie
à partir des réseaux
de téléphonie mobile.
Les fluctuations du signal
entre les antennes relais
sont enregistrées par
les opérateurs de téléphonie.
À partir de ces mesures,
des champs de pluie à fine échelle
pourraient être produits en temps
quasi réel pour suivre la pluie et
les risques associés à l’échelle
d’une ville ou d’un pays.
Source : IRD/F. Cazenave et M. Gosset
48
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Les réseaux de mesures météorologiques
et climatiques, coûteux à mettre
en place et à entretenir, sont insuffisants
en Afrique. La densité des réseaux
opérationnels tend même à décroître
depuis les années 1990, et le problème
est encore plus aigu en zone sahélienne
à cause des tensions politiques.
Dans ces conditions, comment suivre
l’évolution des pluies et
des événements extrêmes à forts impacts
sur les populations ? Les réseaux
de téléphonie mobile, très développés
en Afrique, ont apporté une solution.
En effet, une méthode pour mesurer
les précipitations à partir des réseaux
de téléphonie mobile a été testée
avec succès en Afrique. Cette méthode
tire parti d’une propriété de la pluie
bien connue des professionnels
de la télécommunication : l’atténuation
par les gouttes d’eau du signal radio
transmis entre deux antennes.
Les compagnies de téléphonie
mobile mesurent et enregistrent
ces perturbations de leurs réseaux,
afin de connaître en permanence
leur état de fonctionnement.
Elles possèdent ainsi une grande
quantité d’informations sur les pluies
dans les pays couverts par leurs réseaux.
Développée depuis les années 2000
en Europe et en Israël, cette technique
commence à se développer en Afrique
grâce au premier site pilote mis
en place par l’IRD et ses partenaires,
en 2012 au Burkina Faso.
RainCell Africa, un réseau de scientifiques
et de services météorologiques
nationaux, a été créé dans la foulée,
en partenariat avec les opérateurs
de téléphonie mobile.
Le premier colloque international
sur l’estimation des pluies
à partir des réseaux de téléphonie
mobile s’est tenu à Ouagadougou
en avril 2015, réunissant 18 pays
(Bénin, Burkina Faso, Cameroun,
Côte d’Ivoire, France, Allemagne,
Ghana, Israël, Kenya, Mali, Pays-Bas,
Niger, Nigeria, Sénégal, Suisse, Tanzanie,
Togo, États-Unis) et des organisations
intergouvernementales (Cilss, Pnud,
Unesco).
Cette initiative qui met les technologies
de l’information et de la communication
au service du climat suscite un grand
intérêt en Afrique, et plus largement
en zone tropicale, et devrait se
développer largement ces prochaines
années.
Antenne-relais
Émission
Antenne-relais
Réception
Atténuation
Pluviomètre
pour comparaison
Encadré 7
Mesurer les émissions des barrages hydro-électriques tropicaux
Les estimations d’émissions
de gaz à effet de serre
des barrages hydro-électriques
varient largement d’une étude
à l’autre, faute de prendre
en compte l’ensemble
des sources de gaz carbonique
et de méthane
dégagés vers l’atmosphère.
Une étude menée par le CNRS et
l’IRD propose de nouveaux outils
pour améliorer les mesures.
Les émissions des barrages
peuvent être parfois supérieures
à celles des centrales thermiques
Sur le barrage de Nam Theun 2,
au Laos, un dispositif innovant
de suivi des émissions de méthane
mesure en continu la vitesse verticale
du vent et la concentration en méthane.
Cette méthode de mesures à haute
fréquence (toutes les 30 mn) a permis
de démontrer que les variations diurnes
de la pression atmosphérique
et les variations du niveau d’eau
contrôlent les émissions
des écosystèmes aquatiques
continentaux, en déclenchant
le relargage de ce gaz piégé
dans les sols ennoyés.
Les variations fortes au cours
de la journée contribuent ainsi
significativement au bilan des émissions
totales, un résultat qui suggère
que l’ébullition (source d’émissions
de méthane) par les réservoirs tropicaux
a été sous-estimée par le passé.
Quantifier précisément les émissions
totales de gaz à effet de serre
des barrages hydro-électriques revêt
une importance stratégique majeure
pour les pays en développement,
qui disposent d’un fort potentiel
d’installation.
En effet, selon les conditions
environnementales locales,
les émissions des barrages peuvent
être soit inférieures, soit supérieures
aux émissions des centrales thermiques,
à production énergétique équivalente.
Le choix de l’hydro-électricité comme
alternative énergétique pour stabiliser
les émissions de gaz à effet de serre
en 2050 doit donc être débattu, surtout
pour la zone tropicale où les émissions
sont les plus élevées.
© D. Serça
Des entonnoirs submergés
permettent de piéger
les bulles de méthane
remontant du fond du lac
de retenue.
Barrage de Nam Theun 2,
Laos.
L’ennoiement de surfaces continentales
pour la création de réservoirs d’eau
douce n’est pas neutre en termes
d’émissions de dioxyde de carbone (CO2)
et de méthane (CH4), à l’échelle globale.
Les réservoirs hydro-électriques
ne font pas exception et
les sources d’émissions y sont
nombreuses : les gaz sont dégagés
au niveau des sols de la zone
de marnage, à la surface du plan d’eau
et en aval des barrages, et le méthane
peut être émis par ébullition.
Mais très peu d’études prennent
en compte toutes les voies d’émissions
du CO2 et du CH4 vers l’atmosphère,
ce qui explique les larges différences
entre les estimations.
De plus, le pas de temps des études
sur les réservoirs est généralement
trop long pour capturer les variations
intrajournalières et saisonnières
des émissions.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
49
Chapitre 4
Comprendre la machine climatique
grâce aux modèles de climat
© EU Copernicus Marine Service / Mercator Océan
L
a compréhension du fonctionnement du système climatique et environnemental de la Terre passe, d’une part, par l’utilisation d’outils statistiques
appliqués à l’analyse des données d’observations, d’autre part, par des
approches diagnostiques mettant en jeu certains concepts ou théories, et,
plus largement, par des outils de modélisation représentant la complexité des processus
et mécanismes physiques en jeu dans le système Terre. Ces outils de modélisation sont
très élaborés, mais ils comportent cependant encore de forts biais et incertitudes, ce qui
nécessite des travaux de validation à l’aide d’observations adaptées. Ces travaux sont
indispensables pour évaluer ensuite le niveau de confiance et d’incertitude des projections
climatiques fournies par ces modèles.
Modèle Mercator Océan,
carte des courants
de surface.
Le courant des Aiguilles,
qui longe la côte est
du continent africain,
subit une rétroflexion
à la rencontre des eaux
froides du courant
de Benguela et du courant
circumpolaire antarctique.
Qu’est-ce qu’un modèle de climat ?
Les modèles de climat représentent le fonctionnement des processus physiques
du système Terre-atmosphère. Ils reproduisent les circulations de l’atmosphère et de
l’océan, les échanges énergétiques avec la surface, le cycle hydrologique, les interactions
entre le climat et les cycles biogéochimiques. Ils fonctionnent à partir de la résolution
numérique des équations de la physique de l’atmosphère et de l’océan et reposent sur
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
51
Encadré 8
La modélisation océanique,
une composante essentielle des modèles de climat
La composante océanique
est très importante
dans les modèles de climat.
Les modèles océaniques
développés à l’IRD sont ainsi
incorporés dans les travaux du Giec.
Ces modèles sont également utiles
pour faire des prévisions, une sorte
de « météorologie océanique »,
et pour comprendre les mécanismes
qui régissent les variations
de l’océan.
Déclinés à l’échelle locale,
ils permettent de suivre
les évolutions du milieu.
Les chercheurs de l’IRD contribuent
au développement de la modélisation
des océans dans la zone intertropicale.
Ces modèles ont tout d’abord été mis
au point pour l’océan global, afin de
représenter les caractéristiques
physiques (température, salinité,
courants) et biogéochimiques (quantité
de plancton, sels nutritifs, oxygène
dissous) en surface et en profondeur.
L’échelle globale permet de visualiser
les contrastes entre les bassins
océaniques aux hautes latitudes, dans
les tropiques, à proximité des côtes
ou au centre des océans tropicaux.
L’intérêt des modèles globaux est
de tester leur capacité à reproduire
la dynamique de l’océan et des cycles
biogéochimiques dans des conditions
océaniques très différentes
(fort contraste de température,
de luminosité et de nutriments).
Les résultats issus des modélisations
sont ensuite confrontés aux observations,
notamment celles des satellites,
et aux bases de données in situ.
Des modèles globaux...
La composante océanique est très
importante dans les modèles de climat,
car l’océan joue un rôle de stockage
de chaleur et réagit à des échelles
de temps beaucoup plus longues
(de quelques années à quelques
centaines d’années) en comparaison
à l’atmosphère. Les modèles Nemo
(composante physique) et Pisces
(composante biogéochimique),
développés en grande partie par l’unité
Locean, sont implémentés dans
deux modèles de climat utilisés
par le Giec. Le modèle Pisces permet
en outre de représenter le cycle
du carbone et de mesurer l’effet
de pompe de gaz carbonique
joué par l’océan à l’échelle globale.
Ces modèles sont également utilisés
pour l’océanographie opérationnelle,
dont l’objectif est de proposer
aux utilisateurs publics ou privés
un état réaliste de l’océan présent
et des prévisions à des échelles
de temps courtes, de l’ordre du mois,
la division d’un milieu continu en un grand nombre de petits volumes (la discrétisation en
mailles) pour permettre de relier entre elles les variables de chaque maille et de quantifier
les échanges d’énergie et les processus biogéochimiques. La modélisation des surfaces
continentales traite des échanges d’eau, d’énergie et de quantité de mouvements avec
l’atmosphère, ainsi que du cycle hydrologique continental. Les processus de dimension
inférieure au maillage (« processus sous-maille » : nuages, tourbillons, vagues, ruissellement de surface…) sont quant à eux paramétrés à partir de mesures de terrain ou grâce
à des modélisations plus fines d’un processus en particulier.
52
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
ouvrant la voie à une « météorologie
océanique » en quelque sorte.
© IRD/Locean
Concentration en oxygène dissous à 150 m de profondeur
simulée par le modèle Nemo-Pisces global à 1/4° de résolution.
Les zones de minimum d'oxygène apparaissent dans les tons bleu-noir
(O2< 150 micromoles/litre) dans les océans tropicaux du Pacifique est,
de l'Atlantique et de l'Indien.
Le maillage fin du modèle est représenté de façon grossière par une grille de 4° de côté
(chaque carré englobe 16 x 16 points de grille)
... déclinés à l’échelle du kilomètre
de l’ordre d’une dizaine de kilomètres.
Les mécanismes physiques à ces petites
échelles ont un rôle fondamental
pour la biogéochimie, en particulier
pour l’alimentation en sels nutritifs et
la production de plancton dans les eaux
de surface, comme par exemple
dans les systèmes d’upwellings situés
au large des côtes du Pérou, d’Afrique
de l’Ouest et du Sud ou de l’Inde, où
se développent des écosystèmes marins
très riches avec une grande abondance
de poissons. Ces outils de modélisation
régionaux permettent ainsi de répondre
à des problématiques variées et qui
ont un fort impact sur les populations
du Sud (gestion des ressources pour
la pêche, désoxygénation des océans,
accumulation de polluants dans
la chaîne trophique).
Chlorophylle de surface modélisée
par le modèle régional Roms-Pisces
dans la région du Pérou
au mois de janvier.
Les fortes concentrations de chlorophylle
près de la côte correspondent à une forte
abondance de phytoplancton constitué
majoritairement de diatomées.
© IRD/Locean
Les résultats des modèles globaux
sont également utilisés pour initialiser
des modèles régionaux, comme
le modèle Roms développé
principalement par les unités Legos et
LPO qui permet d’étudier la dynamique
et les cycles biogéochimiques
à des échelles spatiales beaucoup
plus fines. Le champ d’application de
ces modèles régionaux est par définition
limité (quelques centaines de kilomètres),
et leurs mailles (jusqu’à 1 km) sont
beaucoup plus petites que celles
des modèles globaux.
Grâce à une représentation des
phénomènes physiques de fine échelle,
ces modèles sont capables de calculer
explicitement les flux de masse,
de chaleur et de sels nutritifs
associés à des structures océaniques,
les tourbillons par exemple,
dont les tailles caractéristiques sont
Depuis les années 1970, où la modélisation du climat a commencé à se développer de
manière significative, ces modèles ont été régulièrement améliorés, avec une meilleure
description de la complexité des processus. En parallèle, les résolutions horizontales et
verticales du maillage des modèles ont progressivement augmenté, atteignant pour
l’atmosphère des dimensions volumiques de 200 km x 200 km x 1 km et, pour l’océan,
passant de quelques kilomètres à plusieurs centaines de kilomètres avec une épaisseur de
1 m à 500 m. Ainsi, ces outils permettent de progresser dans la compréhension du fonctionnement du système climatique et de proposer des projections sur son évolution future.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
53
Évaluer les outils de modélisation
Malgré des efforts constants pour améliorer les modèles de climat et malgré leur
sophistication, ces derniers sont globalement moins fiables pour les régions tropicales et
subtropicales que pour les autres zones du globe. En particulier, les différents modèles
ne s’accordent pas sur les projections des précipitations dans cette zone à l’horizon
2100 (fig. 9). Les différences d’un modèle à l’autre sont liées aux incertitudes sur certains
mécanismes de rétroaction, impliquant entre autres les nuages, la convection atmosphérique ou les interactions continent-atmosphère-océan. Une des principales sources
d’incertitude réside dans la paramétrisation « sous-maille » de ces processus, qui résulte
souvent d’ajustements empiriques.
Figure 9.
Évolution des
précipitations moyennes
entre 1986-2005
et 2081-2100 (en %)
dans le scénario
d’émissions du Giec
le plus pessimiste
(RCP 8.5).
On observe une plus
grande incertitude
des modèles en zones
tropicales et subtropicales.
%
50
40
30
20
10
0
- 10
- 20
- 30
- 40
- 50
Source : Giec, 2013.
Les points indiquent les zones où les modèles climatiques s'accordent sur le changement des pluies.
Les zones hachurées et les zones sans hachure ni point indiquent des zones où subsistent de fortes incertitudes
sur l’évolution des pluies.
Les données d’observations sont donc d’autant plus indispensables dans les régions
tropicales pour améliorer la représentation de ces processus. Les mesures de la composition isotopique des pluies et de la vapeur d’eau, par exemple, permettent d’appréhender
certains processus comme la convection atmosphérique et de mettre ainsi en évidence les
défauts de paramétrisation de la convection dans les modèles. La composition isotopique
de l’eau est en effet sensible à de nombreux processus atmosphériques et hydrologiques
(origine, transport, mélange, changement de phase, etc.), et elle est donc un bon moyen
de diagnostiquer les processus physiques dans les modèles de climat. Ces mesures ont été
développées ces dernières années par des équipes de recherche de l’IRD au Niger, en
Bolivie et, récemment, à la Réunion, des régions où les projections de changement des
précipitations restent très incertaines.
54
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Encadré 9
Comparer les résultats des modèles pour les améliorer
Le projet Almip,
mené à partir de 2007,
est la première expérience
internationale de comparaison
de modèles de surface continentale
dédiée à l’Afrique de l’Ouest.
Les résultats montrent
la très grande variabilité
d’un modèle à l’autre.
Dans les modèles de climat, les modèles
de surface continentale servent
à représenter et à calculer les échanges
de masse (eau, carbone) et d’énergie
(rayonnement, chaleur) entre
l’atmosphère et les différents
compartiments de la surface du sol
et du sous-sol. Ce type de modèle est
fondé sur les équations de la mécanique
des fluides et de la thermodynamique.
Différents modèles de surface
ont été développés dans le monde,
tous légèrement différents en fonction
des expériences des chercheurs
dans leurs régions d’étude ou
de leurs hypothèses de travail.
Figure 10.
Termes du bilan hydrologique
du bassin de l'Ouémé supérieur
simulés par 18 modèles de surface
(A à R), qui fait apparaître
des réponses très différentes
d'un modèle à l'autre.
L'enjeu principal d'Almip
est d’utiliser les observations
de terrain disponibles
pour comprendre l'origine
de ces différences,
évaluer les simulations
les plus réalistes
et chercher les moyens
d’améliorer les simulations.
Les comparaisons de modèles
sont des expériences numériques
qui consistent à alimenter différents
modèles avec les mêmes jeux de données
(les « forçages ») et à comparer ensuite
les résultats en les confrontant également
à des données de référence, comme
les observations quand elles existent.
L’objectif n’est pas de sélectionner
« le meilleur modèle », mais plutôt
de tirer parti de leur diversité
en identifiant les forces et faiblesses
des différents principes de modélisation
utilisés et permettre ainsi une amélioration
globale.
Source : IRD/C. PEUGEOT et al., à paraître
x Stockage
Évapotranspiration
Drainage
Ruissellement
Ruissellement observé
1,0
0,9
% pluie annuelle
0,8
0,7
0,6
0,5
0,4
0,3
x
0,2
0,1
0
x
x
x
A
x
B
x
x
C
D
x
E
F
x
x
x
x
G
H
I
J
K
x
x
x
x
L
M
N
O
x
P
La variabilité intermodèle domine
les autres sources de variabilité
Le projet Almip, mené à partir de 2007
dans le cadre du programme Amma, est
la première expérience internationale
de ce type dédiée à l’Afrique de l’Ouest.
La première phase du projet, consacrée
à l’échelle régionale, a confirmé la très
grande variabilité d’un modèle à l’autre
et le très fort impact des incertitudes
liées aux données de forçages,
notamment des précipitations,
dérivées de l’imagerie satellitaire.
La seconde phase du projet (Almip2),
qui a démarré en 2013, s’appuie
sur les données à haute résolution
de l’observatoire Amma-Catch et
des campagnes de mesures du projet
Amma. Les résultats montrent
que les simulations restent très
marquées par les principes constitutifs
de chaque modèle, et que la variabilité
intermodèle domine les autres sources
de variabilité.
Une représentation incomplète
des processus hydrologiques
Les modèles montrent un relatif
consensus dans la représentation
du bilan d’énergie. Mais, des biais sont
identifiés pour certaines composantes
du bilan d’eau (ruissellement, dynamique
des eaux souterraines) concernant
le cycle saisonnier et les quantités d’eau.
Ces biais sont principalement attribués
à une représentation incomplète
des processus hydrologiques et,
parfois, à des valeurs inappropriées
des paramètres utilisés dans les équations
(texture et profondeur du sol,
propriétés hydrodynamiques, etc.).
Des corrections destinées à réduire
ces biais sont depuis explorées.
x
Q
R
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
55
Encadré 10
Le paradoxe de la mousson indienne d’été
Les projections
de la mousson indienne
présentées dans le dernier rapport
du Giec sont actuellement
mises à mal par les observations
disponibles.
Les travaux détaillés
d’observations et de simulations
de la mousson indienne,
menés par l’IRD en collaboration
avec l’Indian Institute of Tropical
Meteorology, apportent
des éléments d’explication.
L’Asie du Sud-Est reçoit 75 à 90 %
de sa pluviométrie annuelle pendant
la mousson d’été (de juin à septembre).
Ce phénomène risque d’être
profondément perturbé par
le changement climatique global.
En effet, modèles et observations
suggèrent que le réchauffement global
de la planète se fait à une humidité
relative quasi constante, c’est-à-dire
avec une augmentation importante
de la vapeur d’eau présente
dans l’atmosphère (proportionnelle
à l’augmentation de la température).
Autrement dit, les précipitations
et le cycle hydrologique associés
à la mousson risquent d’être modifiés.
Ce réchauffement étant plus marqué
sur les terres que dans les océans,
le contraste thermique terre-mer
(un ingrédient fondamental du système
de mousson) sera aussi certainement
différent dans le futur avec
des conséquences difficiles à prévoir
pour la mousson.
Les observations
contredisent les projections
© Flickr / Creative commons McKay Savage
Pluie de mousson
à Udaipur, Inde.
La majorité des projections présentées
dans le 5e rapport du Giec indiquent
une augmentation des précipitations
sur le sous-continent indien.
La fréquence et l’intensité
des événements pluvieux extrêmes
sont aussi susceptibles d’augmenter
en Asie du Sud. La crédibilité de
ces projections de la mousson indienne
est actuellement mise à mal
par les observations disponibles.
En effet, les précipitations de mousson
indienne montrent une tendance
à la baisse depuis les années 1950.
Un problème d’échelle
Les travaux de l’IRD apportent
des éléments d’explication.
Les projections des pluies de mousson
dans les scénarios climatiques résultent
de la compétition entre une contribution
thermodynamique « positive » et
une contribution dynamique « négative ».
Compte tenu de la résolution spatiale
grossière des modèles utilisés, l’effet
positif – lié au transport de vapeur d’eau
en surface – domine, ce qui explique
l’augmentation des pluies.
Or, selon les chercheurs, la contribution
dynamique négative due au changement
anthropique est fortement sous-estimée,
parce que la résolution spatiale
des modèles n’est pas suffisante
pour simuler correctement les processus
convectifs et le système de mousson
lui-même.
Enfin, des expériences numériques
dédiées suggèrent que cette baisse
observée des précipitations de mousson
est à mettre en relation avec
des facteurs régionaux, tels que
le réchauffement important de l’océan
Indien, le rôle des aérosols ou encore
les changements d’utilisation des sols
qui modifient l’albedo de la surface.
Or, les modèles utilisés pour
les projections simulent mal
ou ne prennent que partiellement
en compte ces différents facteurs.
56
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Ce que produisent les modèles globaux
Plus de 300 km
L'échelle globale
avec une moyenne
des précipitations
sur le globe et
des cartes de pluies
produites par
les modèles de climat.
Centaine de km
L'échelle de la centaine de kilomètres
qui caractérise la partie la plus active
des cyclones tropicaux.
Dizaine de km
L'échelle de la dizaine de kilomètres
qui est celle des événements de pluies
intenses parfois responsables
d'inondations.
km
Ce qui est nécessaire
pour étudier les impacts
Le kilomètre qui est l'échelle
qui intéresse les agriculteurs
au Sahel.
Point
L'échelle de la plante qui reçoit l'eau de pluie et
la réinjecte dans l'atmosphère avec la transpiration.
Régionaliser les modèles atmosphériques
pour réduire les incertitudes ?
On l’a vu, les équations mathématiques et physiques utilisées dans la modélisation
climatique sont discrétisées en mailles volumiques. Cette approche, trop grossière, ne
permet pas de simuler avec toute la précision nécessaire le comportement de l’atmosphère et des océans, où de fortes interactions se font à toutes les échelles d’espace et
de temps. De fortes incertitudes en découlent dans l’évolution simulée de l’atmosphère
et du climat. Pour réduire ces incertitudes, la paramétrisation « sous-maille » vise à
décrire les processus se déroulant à l’intérieur des mailles du modèle et leurs effets à
l’échelle de la maille. Mais, malgré tous les efforts faits pour quantifier ces processus, les
paramètres s’appuient encore souvent sur des ajustements empiriques et ne répondent
que partiellement à la réduction des incertitudes. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que
l’atmosphère reste un fluide très instable, et qu’une perturbation initialement faible peut
s’amplifier et conduire à plus grande échelle à des situations météorologiques contrastées
(l’effet « papillon »). Ce qui nécessite de réaliser des « ensembles » de simulations, où
l’on perturbe faiblement l’état initial pour obtenir un éventail d’évolutions possibles de
l’atmosphère et du climat.
Figure 11.
Illustration de la descente
d'échelle dans le domaine
du changement climatique
et de ses impacts.
Source : IRD/B. Sultan
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
57
Encadré 11
Des observations haute résolution
pour rétablir la variabilité des pluies au Sahel
À partir du réseau
pluviographique dense
de l’observatoire Amma-Catch
au Niger, les scientifiques
ont pu améliorer les modèles
hydrologiques,
dont les résolutions spatiales
sont trop grossières
pour simuler le ruissellement
des systèmes hydrologiques
sahéliens.
La mousson ouest-africaine
est un des trois grands systèmes
de mousson qui jouent un rôle clé
dans le climat de notre planète.
Son intensité présente une forte
variabilité interannuelle et décennale,
dont les causes restent largement
inconnues.
Le service d’observation Amma-Catch
(Analyse multidisciplinaire
de la mousson africaine
– couplage de l’atmosphère tropicale
et du cycle hydrologique) permet
le suivi à long terme de la dynamique
de la végétation, du cycle de l’eau
et de leurs interactions avec le climat
en Afrique de l’Ouest.
Il s’appuie sur un dispositif
mis en place sur trois sites répartis
le long du gradient bioclimatique
soudano-sahélien, respectivement
au Bénin, au Niger et au Mali.
La sous-estimation
peut atteindre plus de 50 %
À partir du réseau pluviographique
dense de l’observatoire Amma-Catch
au Niger, les scientifiques ont
en particulier pu évaluer l’incertitude
des modèles hydrologiques liée
à l’utilisation de résolutions spatiales
trop grossières pour simuler
le ruissellement des systèmes
hydrologiques sahéliens.
En effet, les bilans d’eau au Sahel
sont très directement liés à l’interaction
entre les pluies orageuses et la surface
des sols, qui pilote le ruissellement.
Modéliser le cycle hydrologique
nécessite donc de représenter
les hétérogénéités spatiales
des propriétés de surface des sols,
puis d’alimenter les modèles de surface
par des forçages pluviométriques
aux échelles qui rendent compte
de la variabilité intrinsèque
des épisodes de pluie.
Au Sahel, ces échelles spatiales
sont de l’ordre de quelques kilomètres.
Avec une résolution de 25 km
(la résolution des produits satellitaires
de pluie), les modèles hydrologiques
peuvent sous-estimer le ruissellement
jusqu’à 15 %. À la résolution de 100 km
(typiquement celle des modèles de
climat), cette sous-estimation peut
atteindre plus de 50 %.
Pour tenter de dépasser cet écueil, la régionalisation s’appuie sur des modèles de
climat qui fonctionnent sur un domaine spatial limité (une « région »), à plus haute
résolution spatiale (un point de grille tous les 10 à 50 km). Cette approche préserve la
complexité locale des processus physiques en jeu. Elle ne corrige pas forcément les biais
des modèles globaux, car les modèles régionaux sont confrontés aux mêmes limites de
la paramétrisation « sous-maille ». Ces incertitudes posent un problème majeur pour
quantifier les impacts locaux du changement climatique sur les ressources (ressources
en eau ou rendements agricoles à l’échelle d’une parcelle, par exemple), à cause de leur
propagation et de leur amplification possibles de la grande échelle vers l’échelle locale.
D’autant que les modèles d’impacts (hydrologiques ou agronomiques) ont eux aussi
leurs biais et leurs incertitudes.
58
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Ces effets d’échelles justifient
de recourir à des méthodes dites
de « désagrégation », qui permettent,
à partir de simulations climatiques
de grande échelle (de l’ordre
de 300 à 50 km), de descendre
à des échelles fines de l’ordre
de la dizaine de kilomètres.
Grâce aux observations haute résolution
de l’équipe Amma-Catch, des méthodes
de désagrégation ont ainsi pu être
développées.
Elles permettent de rétablir
toute la variabilité de la pluie
lorsque la résolution initiale
de la donnée – qu’elle soit issue
de réseaux de mesures classiques
au sol, de faible densité spatiale,
ou résultant de modèles de climat –
est inadéquate pour modéliser
le cycle hydrologique.
Radar de l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT)
utilisé dans un dispositif expérimental de l’observatoire
Amma-Catch, en périphérie de Niamey au Niger.
Au cours de ces campagnes, plusieurs radars
météorologiques ont été déployés pour étudier
la dynamique des lignes de grain à l’origine des pluies
intenses et très variables qui caractérisent le climat
sahélien.
© IRD/T. Lebel
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
59
Chapitre 5
« Attribuer » les variations
climatiques observées
© IRD/J.-M. Porte
E
n 25 ans, la part dominante du réchauffement mesuré depuis le début de l’ère
industrielle dans l’atmosphère et dans l’océan est désormais attribuée aux
émissions d’origine anthropique et non à la variabilité naturelle du climat.
Au fil des rapports du Giec, la responsabilité des activités humaines est
passée de incertaine (1990) à possible (1995), puis probable (2001), très probable (2007)
jusqu’à extrêmement probable (2013). Ces certitudes scientifiques sont le fruit d’un long
travail d’« attribution » des variations climatiques observées pour déterminer la part des
forçages anthropiques, des forçages naturels et de la variabilité naturelle.
Construction d’une route
pour l’exploitation du bois
en Papouasie-Occidentale,
Indonésie.
La déforestation
est un facteur important
du réchauffement climatique
d’origine anthropique.
Les composantes des variations climatiques
La part des forçages anthropiques
La confirmation d’une origine principalement anthropique du réchauffement climatique
à l’échelle globale et régionale s’appuie, d’une part, sur les réseaux d’observations du
réchauffement climatique et, d’autre part, sur une modélisation du climat de plus en plus
élaborée. Les modèles reproduisent en effet les tendances observées de la température
sous l’effet de l’accroissement de la concentration des gaz à effet de serre. L’influence des
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
61
© IRD/O. Dangles
Éruption du volcan
Cotopaxi (Quito, Équateur)
en août 2015.
Les émissions de poussières
et de gaz volcaniques
dans la haute atmosphère
contribuent à la variabilité
climatique naturelle.
activités humaines se détecte aussi à partir d’autres indicateurs comme les changements
dans le cycle global de l’eau, le recul des neiges et des glaces, l’élévation moyenne du
niveau des mers, l’amplification des vagues de chaleur dans certaines régions, etc.
La part des forçages naturels
Cependant, les forçages naturels (rayonnement solaire, éruptions volcaniques) agissent
aussi sur la variabilité du système climatique. D’après les mesures satellites disponibles
depuis 1978, l’énergie solaire reçue par la planète peut en effet être modulée, d’environ
0,1 %, par les variations de l’activité du soleil lui-même, au cours de cycles d’environ
11 ans. Les éruptions volcaniques modifient également la quantité d’énergie solaire
reçue par la Terre, surtout celles qui se produisent aux tropiques et dont la colonne
éruptive projette – suffisamment haut en altitude pour atteindre la stratosphère – des
quantités considérables de gaz riches en soufre. Les particules fines d’aérosols volcaniques
formées dans la stratosphère peuvent recouvrir en quelques mois l’ensemble du globe
et perturber le rayonnement solaire à cause de leur pouvoir réfléchissant.
Variations du soleil
a
Variations de l’orbite terrestre
Dérive des continents
Formation des montagnes,
niveau marin
b
Poussières
volcaniques
c
Atmosphère - Océan Cryosphère
Atmosphère - Océan
Atmosphère
Activités humaines
(pollution, combustion de carbone,
utilisation des sols)
d
108
62
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
107
106
105
104
1 000
100
Temps caractéristique (années)
10
1
10-1
Figure 12.
Depuis un siècle,
les forçages
anthropiques s’ajoutent
aux forçages naturels.
Aux niveaux a et b
sont distingués
les forçages externes
au système climatique,
en c les variations
internes au système
et en d, les effets
anthropiques.
Source : BARD, 2006.
La part de la variabilité naturelle
Enfin, la variabilité interne du système climatique, système par nature chaotique, est
constamment à l’œuvre et peut venir atténuer ou renforcer les effets des forçages
anthropiques et naturels. Au sein de cette variabilité interne, les modes de variabilité,
comme par exemple le phénomène El Niño, ont de forts impacts, en particulier dans la
zone intertropicale. Cette variabilité peut par exemple se traduire par un refroidissement
du Pacifique. En effet, la modulation de l’oscillation décennale du Pacifique est en
grande partie responsable du ralentissement du réchauffement atmosphérique global
observé entre 1998 et 2012, ceci par un transfert plus important de chaleur de la surface
vers la subsurface de l’océan Pacifique tropical. Ce ralentissement avait été mis en
exergue par les climato-sceptiques pour contester l’origine anthropique du changement
climatique. De fait, le réchauffement climatique n’est pas uniforme dans le temps. Suite
au ralentissement observé ces derniers 15 ans, il est probable qu’il s’accélère au cours
des prochaines décennies, conséquence de la restitution vers l’atmosphère d’une partie
de l’excès de chaleur stockée dans l’océan.
Des changements difficiles à attribuer
aux échelles locales
Dans ce contexte, la difficulté est de pouvoir « attribuer » l’origine d’un changement
observé, en particulier à l’échelle locale, soit à l’impact de l’effet de serre anthropique,
soit aux forçages naturels, soit à la variabilité interne naturelle du climat, soit encore aux
Asie
T (°C)
2
Afrique
T (°C)
2
Amérique du Sud
1
T (°C)
2
1
0
-1
1910
1
1960
0
-1
1910
0
1960
2010
-1
1910
1960
2010
Observations
Résultats des modèles avec les forçages naturels
Résultats des modèles avec les forçages naturels et anthropiques
La largeur des bandes orange et rouge quantifie la variabilité interne du système climatique.
2010
Figure 13.
Exemple de méthode pour
attribuer le réchauffement
climatique observé.
L’écartement des courbes
rouge et orange montre
l’effet du forçage
anthropique. La trajectoire
des observations est incluse
dans l’enveloppe orange,
ce qui confirme l’impact
anthropique sur l’évolution
de la température.
Source : Giec, 2013.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
63
activités anthropiques plus localisées, comme la déforestation par exemple. L’approche
générique « détection-attribution » combine donc observations et simulations, de
manière à déterminer, d’une part, si une évolution observée peut être expliquée par un
ou plusieurs forçages externes et dans quelles proportions, et à valider, d’autre part, la
cohérence entre les observations et les résultats de simulations climatiques.
Variabilité climatique en zones intertropicales
Les variations climatiques à l’échelle régionale sont complexes à interpréter, en
particulier pour la zone intertropicale où certains modes de variabilité ont un fort impact.
Ces modes sont présents à différentes échelles de temps : intrasaisonnière (comme
l’oscillation Madden-Julian), interannuelle (comme le phénomène El Niño) et multidécennale (comme l’oscillation multidécennale de l’Atlantique ou l’oscillation décennale
du Pacifique). Les variations ou fluctuations du climat s’organisent en effet selon des
modes de variabilité préférentiels, en fonction du contexte dynamique régional de
l’océan et de l’atmosphère.
Le phénomène El Niño
En raison de son impact global, le phénomène El Niño, aussi appelé oscillation
australe ou Enso, constitue le principal mode de variabilité du climat global. Aux latitudes
tropicales, El Niño se caractérise en particulier par des réchauffements importants des
eaux de surface équatoriales dans l’océan Pacifique oriental, tous les 2 à 7 ans. Ces
épisodes chauds sont parfois suivis d’événements froids (La Niña). Pendant les épisodes
chauds, les alizés (vents de secteur est soufflant sur la bande équatoriale) sont plus
faibles qu’en temps normal. Les interactions océan-atmosphère permettent à ce type de
situation de perdurer un an, voire plus, avec des répercussions dans tout le bassin
Pacifique (qui représente quasiment la moitié de la surface de la Terre). El Niño produit
par exemple des épisodes de sécheresse en Indonésie ou de fortes précipitations au
Pérou. Il influence également les bassins Atlantique et Indien et peut conduire à des
phases de sécheresses ou d’inondations persistantes dans l’ensemble des systèmes de
moussons (fig. 14).
Les oscillations océaniques décennales
À l’échelle décennale, l’alternance de phases chaudes et froides, semblables à celles
provoquées par El Niño, est également observée dans l’océan Pacifique. Comparée à
El Niño, cette oscillation décennale du Pacifique a un signal spatial plus large dans le
Pacifique tropical et oscille avec une échelle de temps de 20 à 30 ans.
64
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
novembre à mars
janvier à avril
décembre à mars
janvier à avril
juin à septembre
juillet à septembre
juillet à avril
janvier à avril
juillet à décembre
octobre à décembre
juin à janvier
octobre à janvier
juin à avril
juillet à mars
novembre à mars
novembre à avril
juillet à janvier
juillet à novembre
janvier à mai
juin à mars
avril à juin
septembre à mars
septembre à janvier
juin à septembre
© IRD/W. Santini
Sec
Humide
Figure 14.
Les impacts climatiques
globaux du phénomène
El Niño.
Source : ROPELEWSKI
et HALPERT, 1989
Crue au Pérou, 2012.
En amont de la ville
d’Iquitos, le rio Ucayali,
branche-mère de l’Amazone,
a érodé la rive
sur une centaine de mètres
et inondé les villages
alentours.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
65
© IRD/L. Descroix
Avec l’augmentation du nombre de séries
d’observations longues dans l’Atlantique nord, un
dernier mode de variabilité a pu être mis en évidence, l’oscillation multidécennale de l’Atlantique,
dont les oscillations ont des périodes beaucoup
plus longues, pluridécennales. Ce mode alterne
entre réchauffement ou refroidissement de tout
le nord de l’Atlantique, de l’équateur à la pointe
du Groenland.
L’ensemble de ces modes de variabilité, de
l’échelle interannuelle à décennale dans l’océan
Pacifique et Atlantique, influence de manière significative les variations décennales du régime de
précipitations en Amérique du Sud et au Sahel.
Mais il joue également sur la fréquence des cyclones dans l’Atlantique tropical et même sur le climat
de l’Europe en été. Il est ainsi difficile de séparer le
rôle de ces modes de variabilité naturelle de celui
dû au réchauffement climatique global (terrestre,
océanique) dans les changements climatiques
observés dans la zone tropicale depuis 1850.
Rizières inondées
dans le lit du Niger.
Dune de Gao, Mali.
Il est difficile
de prévoir l’évolution
des précipitations au Sahel,
alors que les populations
sont plus qu’ailleurs
tributaires des pluies.
66
Le rôle de la variabilité climatique interne
dans la reprise des pluies au Sahel
La reprise partielle des pluies à partir de la décennie 1990 au Sahel est-elle attribuable
au changement climatique ou reste-t-elle dans le cadre de la variabilité climatique interne ?
Les observations couvrant le XXe siècle et le début du XXIe siècle montrent que cette
transition est pilotée principalement par l’oscillation multidécennale de l’Atlantique
(AMO en anglais) et par l’oscillation décennale du Pacifique (PDO en anglais). Plus
précisément, la reprise pluviométrique correspond à des renversements de phase dans
l’Atlantique (de négative à positive) et dans le Pacifique (de positive à négative). En
effet, la phase positive de AMO, c’est-à-dire un réchauffement de l’Atlantique nord, est
favorable aux pluies sahéliennes, et la phase positive de PDO, c’est-à-dire un réchauffement
du Pacifique, est défavorable aux pluies. Le signal du réchauffement global des océans,
qui est défavorable aux pluies sahéliennes, entre en compétition avec les deux autres
modes AMO et PDO, sans les dépasser. Des simulations avec un modèle de climat
atmosphérique, tenant compte de ces trois modes, confirment leur impact sur les pluies
au Sahel et leur effet de compétition.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
© IRD/T. Lebel
Avancée d’une ligne
de grain pendant
la mousson au Niger.
L’influence du changement climatique global
sur les modes de variabilité
Les différents modes de variabilité sont relativement bien représentés dans les
modèles de climat. Les forçages naturels, voire anthropiques, peuvent influer sur leur
évolution, en excitant préférentiellement certaines phases d’un ou plusieurs de ces modes.
Cette influence majeure est documentée sur les derniers 150 ans, période pour laquelle
de nombreuses observations instrumentales (météorologiques, océanographiques) sont
disponibles. Elle a été étudiée par des méthodes statistiques de détection et d’attribution
et en exploitant un ensemble de simulations climatiques avec différents forçages.
Bien que moins documentée, la période plus longue du dernier millénaire offre également un cadre temporel pertinent pour explorer les interactions entre les forçages
externes et la dynamique interne du climat. Des simulations climatiques du climat du
dernier millénaire et de nombreuses reconstructions des variations de ces modes de
variabilité sont actuellement développées par les équipes de recherche. Elles permettent
en particulier d’évaluer la part de la variabilité naturelle non forcée par rapport à celles
liées aux activités humaines depuis le début de l’ère industrielle.
Ainsi, si la réalité de changement climatique est avérée, les scientifiques restent très
prudents, dans la phase actuelle où le forçage anthropique est encore modéré, pour ne
pas attribuer de manière excessive toute nouvelle anomalie climatique à l’activité
humaine.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
67
Chapitre 6
Les projections futures :
scénarios et incertitudes
© IRD/L. André
C
hargé de produire des avis scientifiques pour les négociations climatiques
internationales, le Giec évalue les trajectoires climatiques possibles sous
la contrainte de l’évolution des émissions de gaz à effet de serre. Pour
alimenter ces travaux, la communauté des modélisateurs du climat développe des exercices de simulations climatiques suivant des protocoles communs, afin de
comparer les résultats de l’ensemble des modèles de climat utilisés. Pour le 5e exercice
du Giec, les estimations d’émissions ont été définies selon quatre scénarios socio-économiques (aussi appelés scénarios d’émissions, RCP en anglais). Chaque scénario
correspond à une concentration atmosphérique en gaz à effet de serre à l’horizon 2100.
L’impact de cet effet de serre sur le climat est calculé à l’aide du forçage radiatif : du
plus favorable (2,6 W/m2), au plus défavorable (8,5 W/m2), en passant par deux valeurs
intermédiaires (4,5 et 6,0 W/m2). Les scénarios sont ainsi dénommés en fonction des
différents forçages : RCP 2.6, RCP 4.5, RCP 6.0, RCP 8.5.
Arrivée de la pluie
au-dessus de la plaine
inondable du Barotsé,
Zambie.
Projection climatique
Il est important de noter que ces expériences ne fournissent pas une prévision à venir
mais une « projection » du climat, permettant de comprendre comment le climat peut
être amené à évoluer sous ces nouvelles contraintes d’émissions de gaz à effet de serre.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
69
Figure 15.
Les projections climatiques
de température, entre
1986-2005 et 2081-2100,
en fonction des
4 scénarios d’émissions
du Giec.
Scénarios d’émissions
Fourchettes d'augmentation
des températures
entre 1986-2005 et 2081-2100
=
+
RCP 2.6
+ 0,3°
+ 1°
+ 1,7°
RCP 4.5
+ 1,1°
+ 1,8°
+ 2,6°
RCP 6.0
+ 1,4°
+ 2,2°
+ 3,1°
RCP 8.5
+ 2,6°
+ 3,7°
+ 4,8°
Source : Giec, 2013.
Ces projections ne prennent en compte ni les conditions initiales réelles du climat, au
démarrage des simulations (par exemple une phase positive de l’oscillation multidécennale de l’Atlantique), ni l’évolution à venir des forçages naturels (activité solaire, éruptions
volcaniques) non prévisibles en soi. En revanche, elles sont en général réalisées pour
chaque modèle de climat à partir d’un ensemble de simulations, afin de prendre en
compte la variabilité climatique interne.
Les projections fournissent pour chacun des quatre scénarios d’émissions et pour
chaque modèle de climat une enveloppe statistique de trajectoires climatiques possibles.
Considérant alors la globalité des modèles de climat utilisés, on suppose que la trajectoire
réelle du climat se situera, pour un scénario socio-économique donné, dans l’enveloppe
statistique globale de ces simulations, mais sans pouvoir en prédire la trajectoire exacte.
Prévision climatique
À la demande des gouvernements, un exercice de prévision climatique a cependant
été initié dans le cadre du 5e rapport du Giec. Des prévisions pour les échéances
2016-2035 viennent donc s’ajouter aux projections pour 2100. Mais, les résultats actuels
de ce travail exploratoire doivent être considérés avec une très grande prudence, en
particulier dans leurs implications possibles en termes d’impacts sur les ressources et de
décisions à prendre par les acteurs économiques et politiques. Il s’agit de mieux comprendre les modulations climatiques comprises entre quelques années et la trentaine
d’années, afin de tester leur prévisibilité. Ces modulations intègrent la variabilité interne
du système climatique, les forçages naturels et les forçages anthropiques. Dans ce cadre,
la prise en compte des conditions initiales climatiques est fondamentale pour conduire une
prévision de ce type. Cet exercice vise à évaluer plus précisément l’évolution climatique
sur les années à venir, mais inclut aussi des évaluations de prévisions « rétrospectives »,
réalisées sur des périodes antérieures (initialisation en 1960, 1965, 1970…) pour lesquelles
des observations sont disponibles, afin d’évaluer leurs performances et leurs biais.
70
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Encadré 12
Des incertitudes trop importantes
pour prévoir l’évolution des pluies au Sahel
Ces trente dernières années,
le climat au Sahel s’est modifié,
avec une hausse des températures
et une évolution contrastée des pluies
entre l’est et l’ouest.
Les chercheurs s’interrogent
sur l’impact de l’augmentation des gaz
à effet de serre dans cette évolution
et sur les projections climatiques
dans la région. Ils ont pour cela utilisé
les scénarios d’émissions du Giec.
Les projections de températures
confirment les observations et montrent
la poursuite de leur augmentation
à l’horizon 2100, avec une dispersion
autour de l’évolution moyenne
(enveloppe des incertitudes)
relativement restreinte.
Ceci permet d’attribuer,
(°C) 10
a) Anomalies température Sahel ouest
(RCP 8.5)
(mm) 300
200
6
100
0
0
- 200
CMIP5 Multi-Model
1890 1920 1950 1980 2010 2040 2070 2100
(°C) 10
c) Anomalies température Sahel est
(RCP 8.5)
- 300
1890 1920 1950 1980 2010 2040 2070 2100
(mm) 300
8
200
6
100
d) Anomalies pluie Sahel est
(RCP 8.5)
0
4
- 100
2
0
b) Anomalies pluie Sahel ouest
(RCP 8.5)
- 100
2
Source : DEME et al., 2015.
En termes de précipitations,
en revanche, si on note effectivement
une baisse sur la partie ouest du Sahel
(principalement en juin-juillet)
et une hausse sur la partie est
(principalement en septembre-octobre),
les incertitudes autour de ces évolutions
sont beaucoup trop importantes
pour que l’on puisse attribuer,
d’une part, les évolutions actuelles
comme l’empreinte du changement
climatique, et, d’autre part, indiquer
un sens d’évolution bien déterminé
pour le futur.
8
4
Figure 16.
Les projections climatiques de
température et de précipitations
au Sahel ouest et est,
pour le scénario RCP 8.5.
L’évolution projetée
de la température est
nettement positive
pour l’ensemble des modèles,
alors que les projections
de précipitations sont
très incertaines.
avec une bonne probabilité,
le réchauffement récent observé
aux activités d’origine anthropique
et de supposer que ce réchauffement
va se poursuivre.
- 200
CMIP5 Multi-Model
1890 1920 1950 1980 2010 2040 2070 2100
- 300
1890 1920 1950 1980 2010 2040 2070 2100
Les tiretés représentent l’évolution de la moyenne multi-modèles,
les zones en orange couvrent les trajectoires de l’ensemble des modèles.
Les anomalies sont calculées par rapport à la période 1960-1990.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
71
© Wikipedia
Carte des trajectoires
de cyclones pour
la période 1980-2005
dans le Pacifique ouest.
Il est important de bien
étudier les événements
climatiques extrêmes
pour mieux comprendre
leur lien avec
le réchauffement global.
Des événements extrêmes
plus fréquents
Certains événements El Niño, tels que ceux de 1982-1983 et de 1997-1998, s’avèrent
particulièrement intenses. Ils se caractérisent par un déplacement des eaux chaudes et
des régions pluvieuses du Pacifique ouest vers le Pacifique est. Ces événements modifient considérablement la position de la zone de convergence du Pacifique sud, qui est
la région la plus pluvieuse de l’hémisphère sud, avec des conséquences dramatiques sur
les écosystèmes, l’agriculture, la fréquence des feux de forêt ou l’activité cyclonique
dans le Pacifique sud-ouest. La réponse de ce phénomène au réchauffement climatique
a été un défi majeur pour la communauté scientifique au cours des quinze dernières
années.
Les dernières simulations climatiques ont permis d’apporter un éclairage nouveau sur
les liens entre El Niño et les changements dans le Pacifique. Si l’analyse n’a pas permis de
dégager de consensus sur l’évolution future de l’amplitude des événements El Niño, la
majorité des modèles indique que l’intensification du réchauffement du Pacifique équatorial devrait induire au cours du XXIe siècle une augmentation importante de la fréquence
des événements pluvieux dans le Pacifique est et des déplacements de la zone de
convergence vers l’équateur. Ces deux phénomènes caractérisent les événements El Niño
extrêmes. La fréquence des événements La Niña extrêmes devrait aussi augmenter, en
réponse au réchauffement rapide des eaux dans la région indonésienne. Malgré le
consensus des différents modèles de climat sur l’accroissement de ces événements
climatiques extrêmes dans la ceinture tropicale, la confiance dans ces projections climatiques reste limitée, à cause des imperfections de la modélisation du climat tropical.
72
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
RCP 2.6
RCP 8.5
(°C)
- 2 - 1,5 - 1 - 0,5
0
0,5
1
1,5
2
3
4
5
7
9
11
Figure 17.
Évolution
de la température moyenne
en surface entre 1986-2005
et 2081-2100.
Le seuil des 2 °C
Si les impacts climatiques du réchauffement global lié aux émissions anthropiques ne
sont pas toujours faciles à identifier, les projections du Giec à l’horizon 2050 et 2100
montrent que les plus grands changements sont à venir : selon les prévisions d’émissions
de gaz à effet de serre les plus pessimistes, mais possibles puisqu’elles correspondraient à
la prolongation des émissions actuelles, le réchauffement pourrait atteindre près de 4 °C
en un siècle.
Source : Giec, 2013.
Depuis plusieurs années, l’objectif partagé par la communauté internationale est de
stabiliser le réchauffement sous le seuil de 2 °C à la fin du XXIe siècle, seuil au-delà duquel
les scientifiques n’excluent pas des impacts irréversibles sur le climat, voire un effet
d’emballement. L’exercice du Giec doit donc permettre aux décideurs d’identifier les
scénarios socio-économiques qui permettront de réduire les émissions afin de maintenir
la hausse des températures en deçà de ce seuil.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
73
Chapitre 7
Les émissions
de gaz à effet de serre
© IRD/C. Schwarz
L
’influence des activités humaines sur le climat est sans ambiguïté. Les
concentrations mondiales actuelles de gaz à effet de serre (GES) dépassent
largement les valeurs pré-industrielles, déterminées à partir des carottes de
glace couvrant plusieurs milliers d’années. Entre la fin du XVIIIe siècle et
aujourd’hui, la concentration du dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère a ainsi
augmenté de 40 %. Si toutefois le dioxyde de carbone est le principal gaz émis (76 % des
émissions), il n’est pas le seul. Le méthane (CH4), le protoxyde d’azote (N2O) et les gaz
fluorés ont aussi un pouvoir réchauffant important, respectivement de 16 %, 6 % et 2 %
des émissions. L’augmentation de ces gaz dans l’atmosphère provoque un effet de serre
additionnel : les GES laissent passer le rayonnement solaire vers la Terre, mais piègent
le rayonnement infrarouge émis par la surface et augmentent ainsi le réchauffement de
l’atmosphère.
Le Caire, Égypte.
Cette mégapole
subit une pollution
atmosphérique parfois
difficile à supporter.
Ces émissions sont reliées de manière directe au développement industriel, qui a
conduit à une utilisation croissante des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) par
l’industrie, l’agriculture, les transports ou l’habitat et, dans une moindre mesure, au
changement d’utilisation des sols (déforestation). Entre 1970 et 2004, les émissions
d’origine anthropique de GES ont ainsi augmenté de 70 %.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
75
Des émissions localisées
Si l’effet de serre est un phénomène planétaire, les émissions, elles, sont bien localisées. Émis de manière très hétérogène à la surface du globe, les gaz à effet de serre sont
ensuite redistribués dans l’atmosphère terrestre à l’échelle d’une année environ. Ainsi,
même les régions les moins émettrices ou les plus éloignées des sources de fortes émissions – comme par exemple l’Afrique – ont des concentrations en CO2 similaires à celles
des régions émettrices et sont impactées par le réchauffement climatique.
Figure 18.
Les émissions de CO2
dues aux énergies fossiles
(2013).
Les niveaux d’émissions
sont très variables sur
l’ensemble de la planète.
Historiquement, les émissions sont très largement le fait des pays occidentaux. Si
leur contribution tend proportionnellement à se réduire, les quantités émises continuent
de croître. Les pays riches sont aujourd’hui rattrapés par certains pays émergents,
comme la Chine, l’Inde et le Brésil. La Chine a même dépassé les États-Unis pour occuper
la première place en termes d’émissions de CO2, avec 9 973 millions de tonnes (Mt)
émises en 2013 contre 5 233 Mt pour les États-Unis, soit presque le double. Les pays
les plus pauvres arrivent loin derrière (fig. 18). L’écart des émissions par habitant entre
les pays les moins émetteurs et les plus émetteurs est d’un facteur de 50, selon le
5e rapport du Giec.
Source : BODEN et al., 2013
Mt CO2
10 000
5 000
2 500
1 250
500
200
50
76
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
La comptabilisation des émissions
La comptabilisation des émissions mondiales de gaz à effet de serre repose sur des
inventaires nationaux. Suivant les lignes directrices du Giec, la méthodologie utilisée
aujourd’hui comptabilise les émissions directes liées aux activités (énergie, procédés
industriels et utilisation des produits, agriculture, foresterie et autres affectations des
terres, déchets) et aux ménages (voiture et chauffage) sur le territoire d’un pays. L’approche
méthodologique la plus générale consiste à combiner les informations sur les activités
humaines avec des coefficients qui quantifient les émissions ou les absorptions par type
d’activité. Mais les choix méthodologiques, le calcul des coefficients ou encore l’estimation
des incertitudes font encore l’objet de débats scientifiques au sein même des travaux
du Giec.
© Wikipedia/A. Habich
Par ailleurs, les scientifiques ont regroupé les six gaz à effet de serre (CO2, CH4, N2O
et trois gaz fluorés) dans une catégorie « équivalent dioxyde de carbone ». Le calcul de ces
équivalences en termes de pouvoir de réchauffement est une autre source d’incertitude.
D’autant que ces gaz à effet de serre affectent le climat de différentes façons, à des
degrés divers et pendant des périodes distinctes.
Site de production
de Benxi.
La Chine est à présent
le premier émetteur
mondial de gaz
à effet de serre,
devant les États-Unis.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
77
Les émissions importées
Les inventaires nationaux ne reflètent par ailleurs pas toujours les émissions associées
à la consommation des habitants. En effet, la comptabilisation des émissions se fait sur
la base du territoire national où elles sont générées et non du territoire où elles sont
consommées. Ainsi, par exemple en France, les émissions par habitant sont de 8 t équivalent CO2, selon la comptabilité nationale. Mais, si les émissions liées à la consommation
sont prises en compte, alors ce chiffre augmente de plus de 50 %. Cette différence
correspond aux produits et denrées importées, dont les émissions de gaz à effet de serre
sont comptabilisées dans leur lieu de production, à l’étranger donc. Ainsi, la Chine est le
premier émetteur mondial de CO2, mais près d’un tiers de ses émissions concernent des
produits d’exportation, qui sont donc consommés ailleurs. Au final, les pays émergents ou
en développement produisent une part croissante des émissions liées à la consommation
des pays industrialisés. Ces questions méthodologiques interrogent l’efficacité des
politiques nationales de réduction des émissions, alors que certaines estimations évaluent
aujourd’hui à un quart la part des émissions globales importées.
Des sources d’émissions
différentes selon les pays
À cette disparité mondiale s’ajoute la diversité des activités émettrices. Depuis 1970,
plus des trois quarts de la hausse des émissions de gaz à effet de serre est attribuée au
CO2 émis par la combustion des énergies fossiles (industrie, chauffage, transport, etc.).
Le reste est majoritairement lié au changement d’usage des sols, et en particulier à la
déforestation. Le secteur agricole est par ailleurs la principale source de deux autres gaz
à effet de serre : le méthane, émis par l’élevage des ruminants, les déjections animales
et les rizières, et le protoxyde d’azote issu des engrais azotés.
Les différentes sources d’émissions varient fortement en fonction des pays (fig. 19).
Pour les 84 pays les plus pauvres – ce qui correspond aux groupes des « pays à faible
revenu » et des « pays à revenu intermédiaire (tranche inférieure) » selon la nomenclature
de la Banque mondiale –, l’agriculture et la déforestation sont les principales sources
de gaz à effet de serres (90 % des émissions totales). Les pays en transition économique
– « pays à revenu intermédiaire (tranche supérieure) », dont le Brésil et la Chine –, ont un
profil d’émissions proche des pays les plus riches, avec toutefois un secteur industriel
plus émissif, au détriment des secteurs du transport et des constructions. Ces profils
d’émissions montrent clairement que la réponse politique ne peut être la même pour
tous les pays, que ce soit en termes de responsabilités ou de priorités à réguler en
fonction des secteurs. Ce constat peut parfois s’appliquer au niveau national, lorsque les
régions sont très différentes les unes des autres.
78
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Émissions de GES (en équivalent Gt de CO2 par an)
20
Fret
international
Faible revenu
Revenu moyen
inférieur
Revenu moyen
supérieur
Agriculture, foresterie et autres utilisations des terres
Revenu élevé
18,3 Gt
Industrie
18,3 Gt
18,7 Gt
Construction
Transport
15
Énergie
14,4 Gt
9,8 Gt
10
Figure 19.
Des sources d’émissions
de gaz à effet de serre
inégalement réparties
selon les pays.
Les pays sont classés
par groupe de niveau
de revenus,
selon la nomenclature
de la Banque mondiale.
Source : Giec, 2013
7,9 Gt
5,6 Gt
5,9 Gt
5
3,2 Gt 3,5 Gt 3,4 Gt
0,5 Gt 0,6 Gt
3,4 Gt
1,1 Gt
0
1970 1990 2010
La déforestation
des forêts tropicales
Selon le 5e rapport du Giec, la
déforestation de plusieurs millions
d’hectares de forêts tropicales en
Amazonie et en Asie du Sud-Est
constituerait, depuis les années 1980,
la plus grosse part des émissions de
CO2 liées au changement d’usage
des sols. La part du secteur agricole
et forestier dans les émissions globales tend à diminuer : un quart des
émissions en 2010, contre un tiers
20 ans plus tôt. Notons cependant
que cette évolution est liée à l’augmentation relativement plus rapide
des autres sources d’émissions.
1970 1990 2010
1970 1990 2010
1970 1990 2010
© IRD/M. Grimaldi
1970 1990 2010
Front pionnier
amazonien dans l’État
du Para au Brésil.
La disparition de la forêt
tropicale est une source
importante d’émissions
de dioxyde de carbone.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
79
Les forêts tropicales jouent par ailleurs un rôle de puits naturels de carbone et sont
donc susceptibles de réduire la concentration de CO2 dans l’atmosphère. De nombreuses
recherches s’intéressent ainsi à mesurer la biomasse présente dans ces forêts, pour
affiner la contribution de la déforestation aux émissions globales mais aussi pour évaluer
la capacité de stockage de carbone des forêts et des sols (cf. p. 147).
Encadré 13
Le profil singulier du continent africain
.
Résidentiel
Autres combustions
d’énergie fossile
En Afrique de l’Ouest,
la place dominante de l’agriculture
parmi les sources d’émissions
(près de 40 %) déclasse par ailleurs
l’importance du dioxyde de carbone,
au profit d’autres gaz à effet de serre
fortement émis par le secteur.
Ainsi, le méthane et l’azote
représentent à eux seuls 75 %
des émissions de GES
en Afrique de l’Ouest,
contre 25 % au niveau mondial.
Le continent africain ne représente
que 3,4 % des émissions mondiales,
une proportion qui en fait
un contributeur marginal
au changement climatique global.
Autre singularité, plus de la moitié
des émissions du continent
sont liées à l’agriculture et
au changement d’utilisation des sols.
La déforestation des forêts tropicales
africaines compte néanmoins
relativement peu dans l’empreinte
de la déforestation mondiale,
comparée à celle de l’Amérique du Sud
et de l’Asie du Sud-Est.
Agriculture
Figure 20.
Répartition des sources d’émissions
(monde, Afrique, Afrique de l’Ouest)
en pourcentage.
Transport
Industrie construction
Industrie énergie
Source : The Shift Project
Autres secteurs
6%
11 % 3 %
7%
8%
13 %
34 %
2%
13 %
21 %
17 %
23 %
8%
3%
33 %
14 %
18 %
Données 2010
80
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Monde
7%
10 %
39 %
10 %
Afrique
Afrique de l’Ouest
© Wikipedia/F. Gonzalez
Malgré une décennie
de mesures antipollution
rigoureuses, un halo
brumeux enveloppe
presque quotidiennement
Mexico, l'une des villes
les plus polluées
de la planète.
Les émissions urbaines
La production de gaz à effet de serre est principalement localisée dans les grandes
villes et leurs périphéries, qui concentrent à la fois les émissions industrielles, les émissions
liées au transport et celles dues à la régulation thermique (chauffage, climatisation). Si les
pays du Nord ont été les principaux contributeurs aux émissions d’origine urbaine, ils
sont aujourd’hui rattrapés par l’urbanisation des pays du Sud. Parmi les dix villes les plus
émettrices au monde, six se situent en Inde, trois au Pakistan et une en Iran. Mais les
contributions aux émissions globales ne sont pas toujours visibles, parce que diluées dans
les données moyennes nationales. Par exemple, alors que la Thaïlande n’émet en moyenne
que 3,8 t de CO2/an/habitant, la seule ville de Bangkok en émet 10,7 t/an/habitant.
Face à cette urbanisation croissante, les scientifiques doivent évaluer la contribution
de la ville au changement climatique. Dans les pays du Nord, la mise en place de « plans
climat » a permis la constitution d’observatoires et une modélisation des émissions sur
des échelles moyennes. Mais, dans les pays du Sud, les réseaux d’observations sont
encore peu denses, et il existe très peu de systèmes d’observations du climat urbain.
Réduire les émissions mondiales
Industrie, agriculture, urbanisme, transport, etc., tous les secteurs de l’économie sont
donc concernés par l’effort de réduction des émissions. Pour avoir des chances de
rester sous la barre des 2 °C de réchauffement d’ici 2100, il faudrait réduire, selon les
scénarios du Giec, les émissions mondiales de 40 % à 70 % en 2050 par rapport aux
niveaux de 2010 et atteindre des niveaux d’émissions proches de zéro à la fin du siècle.
L’objectif d’une baisse des émissions mondiales est ainsi devenu le leitmotiv des politiques
internationales du climat mises en place sous la houlette des Nations unies. Mais cette
focalisation sur un volume global d’émissions trouve à présent ses limites, dans la
mesure où elle n’a pas permis d’apporter de réponse politique à la crise climatique
(cf. p. 177).
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
81
Palétuvier rouge
et héron strié.
Le palétuvier est l'arbre roi
des mangroves, écosystème
d'une très grande richesse
biologique et qui participe
à la stabilité des zones
côtières.
Partie 2
Les impacts
du changement
climatique au Sud
© naturexpose.com/O. Dangles et F. Nowicki
L
e 5e rapport du Giec confirme avec toujours plus de certitude la réalité
planétaire du réchauffement climatique, causé par l’augmentation des
gaz à effet de serre, et ses conséquences sur l’environnement et les
sociétés. En particulier, il alerte à nouveau la communauté internationale
à propos de la hausse généralisée de température, accompagnée d’une probable
augmentation de la fréquence et de l’intensité des aléas météorologiques comme
les sécheresses, les cyclones et les inondations. Si tous les systèmes naturels et
humains sont concernés, il existe cependant encore de nombreuses incertitudes
sur les conséquences du réchauffement à l’échelle régionale.
Les réalités du changement climatique varient en effet en fonction de la situation
géographique et du type d’écosystème. Si la hausse moyenne des températures
mondiales est de + 0,78 °C depuis un siècle, elle est deux fois plus importante en
milieu aride, notamment au Sahel. Les réponses régionales à l’augmentation de la
teneur en CO2 sont encore plus contrastées si l’on considère les précipitations ou les
événements extrêmes. Les travaux pluridisciplinaires conduits par l’IRD sur différents
types de milieux tropicaux soulignent la complexité des processus à l’œuvre et la
multiplicité des déterminants, chaque milieu étant soumis à des aléas climatiques
différents (cyclones, sécheresses, inondations, élévation du niveau marin, réchauffement) et caractérisés par une vulnérabilité et un degré d’exposition au risque
climatique qui lui sont propres, souvent exacerbés dans les pays du Sud du fait de
la pauvreté endémique et des faibles moyens de lutte mobilisables.
Le réchauffement des océans menace ainsi le compartiment marin à travers une
redistribution des espèces marines, le blanchissement irréversible des coraux et la
diminution des ressources halieutiques, avec des conséquences sur la sécurité
alimentaire. Plus récemment, les chercheurs ont découvert le phénomène d’acidification des océans et commencent juste à en évaluer l’incidence sur les écosystèmes
marins.
Les systèmes côtiers subissent également les effets du réchauffement et de
l’acidification océaniques, auxquels s’ajoutent l’élévation attendue du niveau de la
mer et l’érosion des côtes.
Les régions semi-arides, caractérisées par une saison des pluies de quelques mois,
sont particulièrement sensibles à la hausse des températures et à la modification
des régimes de précipitations, avec des conséquences rapides sur les ressources
en eau et alimentaires.
Dans les milieux d’altitude, le réchauffement a des conséquences déjà bien
visibles : retrait des glaciers qui s’accompagne de changements dans les régimes
hydrologiques des bassins versants, problèmes d’approvisionnement en eau, mais
aussi perte de biodiversité de ces milieux, qui voient la migration ou la disparition
de certaines espèces.
Les forêts tropicales humides sont menacées par un risque accru de feux de forêt,
et les grands fleuves connaissent des crues exceptionnelles, avec des conséquences
souvent dramatiques sur les transports, la pêche, l’agriculture et les habitats. Si
l’érosion de la biodiversité y semble moins évidente que dans d’autres milieux, elle
y est également à l’œuvre.
Le milieu urbain est fortement affecté et connaît des effets sanitaires néfastes
(pollution atmosphérique, vagues de chaleur), avec parfois de lourdes pertes
humaines liées à l’augmentation des événements extrêmes. Dans les grandes villes
côtières, l’élévation du niveau de la mer (submersion marine et glissements de terrain)
posera à terme de nombreux problèmes d’aménagement et de sécurité.
À partir d’observations issues du terrain et de l’imagerie satellitaire, de la
modélisation climatique, écologique, hydrologique et agronomique, cette
deuxième partie illustre ainsi les processus à l’œuvre, les tendances récentes, mais
aussi les projections futures si les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent.
Car si la signature du changement climatique est d’ores et déjà bien marquée dans
les observations des océans et des continents au cours des cinquante dernières
années, le risque de perturbation majeure de ces systèmes sera d’autant plus
important que le réchauffement à venir sera rapide et intense.
Une difficulté dans l’interprétation de la transformation des milieux tient au fait
que le changement climatique n’est qu’un facteur de risque parmi d’autres, en
particulier les activités humaines et la pression démographique qui pèsent sur les
milieux et les ressources souvent bien davantage que le changement climatique
lui-même. C’est notamment le cas pour les écosystèmes de mangrove et les récifs
coralliens et pour les ressources en poissons d’eau douce. Lorsque le réchauffement
climatique se combine à ces autres changements, il devient alors très difficile de
discerner son influence propre. Le risque de submersion, par exemple, dépend
tant de l’élévation du niveau marin que de l’urbanisation des côtes.
Cette partie illustrera également les difficultés à observer et prévoir le changement
climatique, qui affecte de manière très inégale les systèmes naturels et humains.
Certaines régions froides océaniques pourront bénéficier du réchauffement de
l’océan global avec l’arrivée de nouvelles espèces marines, au détriment de zones
plus chaudes au Sud. Alors que des zones côtières peuvent se remettre naturellement
d’une érosion massive, que la végétation peut reprendre au Sahel après des
décennies de sécheresse, les villes côtières subiront de plein fouet les effets du
changement climatique, car les vulnérabilités y sont exacerbées.
Enfin, certains milieux, tels les océans et les forêts qui officient comme des puits de
carbone, ont également la capacité d’amplifier ou de réguler la concentration de
dioxyde de carbone et ainsi de modifier la trajectoire du réchauffement climatique.
Les spécificités propres à chaque milieu et la complexité des phénomènes à
l’œuvre justifient l’approche régionale et pluridisciplinaire adoptée dans cette
deuxième partie. Celle-ci reflète par ailleurs la stratégie de l’IRD de privilégier les
recherches intégrées sur le climat, s’appuyant sur des programmes interdisciplinaires
conduits dans différentes régions de la bande intertropicale.
Chapitre 8
Océans : les écosystèmes marins
face au réchauffement
© IRD/G. Di Raimondo
A
u cœur de la machine climatique terrestre, les océans subissent de plein
fouet le changement climatique. Les effets observés aujourd’hui sur le
milieu océanique sont nombreux : changements de la température de
l’eau et des teneurs en oxygène, acidification, élévation du niveau de la
mer, etc. Ces modifications physiques et biogéochimiques, et dans une moindre mesure
la sévérité des événements extrêmes, influent sur les conditions de vie dans les océans.
La répartition géographique des espèces ainsi que la dynamique des écosystèmes vont
subir de profondes perturbations dans les décennies à venir et affecter les pêcheries au
niveau mondial. Le déplacement des espèces vers les pôles conduira en particulier à
une baisse des ressources halieutiques dans les régions tropicales compromettant la
sécurité alimentaire dans nombre de pays du Sud.
Gorgones
et bancs de poissons
en Papouasie occidentale,
Indonésie.
La vie océanique sous contrainte environnementale
Les océans se réchauffent et s’acidifient
Les océans ont absorbé entre 1971 et 2010 90 % de l’augmentation de l’énergie
stockée dans le système climatique terrestre. Ce gigantesque réservoir d’énergie voit donc
sa température augmenter sous l’influence du réchauffement global. Selon le 5e rapport
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
87
du Giec, le réchauffement de l’océan superficiel est en moyenne de 0,11 °C par décennie
entre 1971 et 2010. Les océans ont également un pouvoir régulateur vis-à-vis du carbone,
en absorbant une partie du dioxyde de carbone émis par les activités anthropiques. Les
chercheurs ont longtemps pensé que cette absorption du CO2 était sans conséquence
importante pour les océans et pour les organismes qui y vivent. Mais ils se sont rendu
compte, il y a une quinzaine d’années, que la dissolution du CO2 dans l’eau de mer
entraîne son acidification.
Le rôle de l’environnement sur la vie océanique
© IRD/A. Bertrand
Remontée
du chalut servant
à l'échantillonnage
des poissons
lors d'une campagne
océanographique
de l'Institut de la mer
du Pérou.
Ces modifications physiques et biogéochimiques influent sur les conditions de vie
dans les océans. En effet, l’environnement a un rôle dominant sur les dynamiques de
populations de poissons. Cette influence est connue depuis les travaux de Johan Hjort au
début du XXe siècle. Les études des carottes de sédiments océaniques permettent, grâce
aux dépôts d’écailles, d’estimer l’abondance en poissons depuis plus de 20 000 ans.
Elles ont montré que les stocks de sardines ou d’anchois présentaient de très grandes
variations d’amplitude en fonction des conditions climatiques.
88
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
L’environnement influe en particulier sur
les conditions de reproduction des différentes espèces. Les poissons pondent des œufs
en grand nombre, leur petite taille (environ
1 mm) assurant leur flottaison. Mais 99 %
des œufs meurent dans les premiers jours
et la vie du 1 % restant est fortement
conditionnée par des facteurs environnementaux. Des études récentes menées par
l’IRD montrent que le nombre de parents
n’expliquerait que 10 % de l’abondance
d’une population. Les 90 % restants
seraient liés au climat et aux relations
écosystémiques. Les changements observés dans les océans influent donc largement sur le cycle de vie des espèces.
Mais ils ont également des effets sur le
métabolisme des individus (croissance,
respiration, etc.), sur les interactions entre
espèces (proie-prédateur, hôte-parasite,
etc.) et sur les habitats.
Des effets en cascade sur la biodiversité marine
Le réchauffement de l’eau
modifie la distribution des espèces
Poissons et invertébrés marins réagissent directement au réchauffement des océans
en se déplaçant, généralement vers les plus hautes latitudes et les eaux plus profondes.
Ces migrations leur permettent de rester dans des habitats dont la température est
conforme à leurs besoins. Pour de nombreuses espèces étudiées, on constate que la
vitesse de déplacement en direction des pôles atteint plus de 50 km par décennie. Des
espèces de phytoplancton se sont déplacées de près d’un millier de kilomètres en
quelques dizaines d’années, en réaction au réchauffement des eaux. Ces vitesses de
migration enregistrées en milieu marin paraissent plus rapides qu’en milieu terrestre.
© IRD/B. Preuss
Mais le réchauffement de l’eau modifie également les cycles biologiques et l’abondance des organismes marins, du plancton aux grands prédateurs. Le calendrier de
nombreuses étapes du développement biologique, telles que la reproduction et la
migration des invertébrés et des poissons, mais aussi celles des oiseaux de mer, est devenu
Myriades d'alevins
en éclosion
dans les eaux de
Nouvelle-Calédonie.
Le réchauffement
des océans modifie
les dates d’éclosion
des œufs et,
plus largement,
le cycle biologique
des organismes marins.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
89
Encadré 14
L’écosystème du courant de Humboldt
transformé par l’intensification de l’upwelling
Au large du Pérou et du Chili,
le courant de Humboldt est
un écosystème océanique
d’une formidable productivité
qui subit les perturbations
climatiques du Pacifique.
Un large travail interdisciplinaire
des chercheurs de l’IRD
(unités Marbec, Locean, Legos)
et de leurs partenaires permet
d’évaluer le rôle du réchauffement
climatique dans les évolutions
de cet écosystème.
L’écosystème du courant de Humboldt
est le champion du monde
de la production halieutique. Il couvre
moins de 0,1 % de la surface mondiale
des océans, mais fournit plus de 10 %
des captures de poissons de la planète.
Cette productivité est engendrée
par un phénomène de remontée d’eaux
profondes, froides et riches en éléments
nutritifs, l’upwelling. Ces eaux riches
favorisent le développement d’énormes
populations de plancton végétal
et animal, qui alimentent une chaîne
trophique comportant de nombreuses
espèces de poissons, d’oiseaux
et de mammifères marins.
© IRD/G. Roudaut
Mais cet écosystème très riche
est soumis à des contraintes
environnementales très fortes : l’activité
biologique et la faible ventilation
des eaux conduisent à la formation
d’une couche d’eau désoxygénée qui
s’étend depuis quelques mètres sous
la surface jusqu’à 800 m de profondeur.
L’écosystème renferme la zone
de minimum d’oxygène (ZMO)
la plus étendue, la plus intense
et la plus superficielle au monde.
Colonie de cormorans
sur l'île de Pescadores
au large des côtes du Pérou.
Poissons, mammifères marins,
oiseaux, l'ensemble de la chaîne
trophique du littoral péruvien
est touché par le changement
climatique.
90
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Cette zone contraint de nombreuses
espèces de poissons à se concentrer
près de la surface, là où l’oxygène
est plus abondant.
Extension de la zone
de minimum d’oxygène
L’impact du changement climatique
sur le courant de Humboldt est d’ores
et déjà perceptible. Alors que l’océan
mondial se réchauffe, de façon
paradoxale, la zone océanique
qui borde les côtes péruviennes
et chiliennes se refroidit depuis plus
d’un siècle, à cause d’une intensification
de l’upwelling. Riches en nutriments,
ces remontées d’eaux froides et profondes
augmentent également la productivité
du système. Cette tendance favorise
l’extension de la zone de minimum
d’oxygène. En effet, l’augmentation
de la quantité de matière organique qui
va ensuite être dégradée par les bactéries
accroît la consommation d’oxygène.
Incapables de supporter les contraintes
d’un habitat réduit, certaines espèces
marines, comme la sardine, risquent
à terme de disparaître de la zone.
Toujours sur les côtes péruviennes,
des travaux récents montrent que
le réchauffement de l’eau augmente
également la stratification des eaux
océaniques. Autrement dit, la barrière
physique entre l’eau de surface et
la zone désoxygénée se renforce
(cette barrière est liée à une différence
de densité entre les eaux chaudes
et peu denses en surface et les eaux
froides et denses en profondeur).
Une des conséquences est que
les tourbillons de la couche de surface
de l’océan, qui forment de véritables
oasis de vie en déformant cette barrière,
pourraient voir leurs caractéristiques
modifiées. Ces changements pourraient
affecter directement les populations
de poissons.
Qui du fou, du cormoran
ou du pélican sortira gagnant ?
Fin de l’âge d’or
Cette fabuleuse productivité
liée à l’upwelling est possible, car
cet écosystème se trouve actuellement
dans des conditions optimales.
Comme l’ont montré des travaux de l’IRD,
par vent trop faible, l’upwelling n’est pas
efficace, donc le système est peu
productif, alors qu’un vent trop fort
crée de la turbulence, dispersant ainsi
la nourriture et les larves.
Le vent le long des côtes du Pérou
et du Chili est actuellement modéré
(environ 5 m par seconde).
Vers quel état va évoluer le système
dans le futur, la question reste ouverte.
Cependant, il est peu probable que
l’actuel âge d’or de la prolifération
des poissons (plus forte productivité
des 20 000 dernières années)
se poursuive à l’avenir.
Figure 21.
Échogramme acoustique
montrant la zone de minimum
d'oxygène au Pérou.
La limite (oxycline) entre les eaux
superficielles oxygénées et la zone
de minimum d'oxygène est à quelques
mètres de profondeur.
Les organismes sont donc concentrés
dans une fine couche en surface
et un banc d'anchois (zone rouge)
se distribue dans une onde interne
où l'oxycline est plus profonde.
Source : IRD/Marbec.
10
Oxycline
Couche de plancton
20
Banc d’anchois
30
Zone de minimum d’oxygène
40
Fond de la mer
Profondeur (m)
De nombreux oiseaux marins
tirent profit de la grande richesse
du système en « poissons fourrage ».
Alors qu’on s’attendrait à rencontrer
une espèce par niche, trois espèces
(les fous, les cormorans et les pélicans)
coexistent ici en très grand nombre,
alors même qu’elles semblent occuper
exactement la même niche écologique :
elles se nourrissent en effet du même
poisson et se reproduisent sur les mêmes
sites. Des travaux récents montrent
cependant que les trois espèces
exploitent la ressource commune
de manière sensiblement différente :
le cormoran tire avantage de ses
excellentes capacités de plongée pour
exploiter les bancs d’anchois, même
lorsqu’ils sont relativement profonds ;
le fou, par sa stratégie de chasse
en réseau et ses capacités de vol,
peut tirer profit de l’anchois,
même très dispersé sur de grandes
étendues ; le pélican, enfin, piètre voilier
et plongeur, a fait le choix d’une vie
de noctambule, partant chasser sa proie
de nuit, lorsque celle-ci se disperse
en couches lâches mais très proches
de la surface. La variabilité climatique
intrinsèque du système, conditionnant
des changements brusques et fréquents
dans la distribution des proies, donne
alternativement l’avantage à l’une
ou l’autre de ces trois espèces.
Il s’agit probablement d’un facteur clé
expliquant le maintien et la coexistence
de ces trois grandes populations aviaires.
Le changement climatique, en modifiant
la structuration des masses d’eau
et l’habitat des poissons fourrage,
questionne la trajectoire future
de ce fragile équilibre écologique.
Fous et cormorans, chasseurs diurnes
adaptés à exploiter les poissons agrégés
dans les oasis de vie, céderont-ils
du terrain au pélican, ce « picoreur »
nocturne ? Les cormorans, qui produisent
par ailleurs un guano de meilleure
qualité, auront-ils encore des occasions
d’exprimer leur avantage de plongeurs
dans un écosystème plus stratifié ?
50
60
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
91
plus précoce. Ainsi, au cours des cinquante dernières années, les pics de production de
plancton ont lieu plus tôt pour de nombreuses espèces, avec une progression moyenne
d’environ 4 à 5 jours par décennie. Si les autres espèces dépendantes de cette production
printanière ne décalent pas leur cycle de ponte à la même vitesse que le plancton, leurs
larves risquent alors de naître trop tard, quand la nourriture sera moins abondante.
L’effet amplificateur des interactions
entre espèces
Les effets en cascade, dus aux interactions entre espèces, sont également à prendre
en compte dans les impacts liés au changement climatique. Dans le cas des interactions
trophiques (proie-prédateur), les écologues savent depuis longtemps que la modification
de l’abondance et de la répartition des consommateurs clés des chaînes alimentaires
peut avoir d’importantes répercussions sur l’ensemble des espèces qui composent ces
chaînes.
Parfois, les transformations du milieu et les interactions peuvent favoriser localement
une plus grande densité de poissons. Il existe par exemple une relation bien établie
entre la durée de la phase planctonique des larves et la température de l’eau : plus l’eau
est chaude, plus cette phase planctonique est courte, parce que les larves se développent
plus rapidement. En réduisant la durée de vie planctonique, particulièrement exposée
à de multiples prédateurs, les taux de mortalité à cette étape sont réduits. En conséquence, le développement local des poissons concernés est favorisé, à condition qu’une
nourriture suffisante et de taille adaptée soit disponible.
La compréhension des réponses au changement climatique, depuis les organismes
jusqu’aux écosystèmes, constitue donc un défi majeur pour la recherche. Un autre niveau
de complexité entre aussi en ligne de compte : l’adaptation. Les espèces peuvent en effet
s’adapter aux modifications de leur milieu, voire à de nouvelles niches environnementales.
Des observatoires de longue durée sont donc nécessaires pour suivre l’évolution des
espèces.
Menaces sur les écosystèmes coralliens
Le blanchissement des coraux
Un impact connu du réchauffement de l’eau sur les coraux est le phénomène de
blanchissement corallien. Lorsque la température de l’océan s’élève de quelques degrés,
les coraux expulsent des algues microscopiques, les zooxanthelles, avec lesquelles ils
vivent en symbiose. Ces organismes leur fournissent pourtant les éléments nutritifs
92
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
© IRD/J. Orempüller
essentiels à leur développement. Sans elles, les coraux s’épuisent et perdent leurs couleurs,
laissant alors apparaître leurs squelettes blancs. Le blanchissement peut ainsi conduire
à la mort du corail et avoir un impact sur l’écosystème très riche des récifs.
Certains récifs du Pacifique touchés par de forts épisodes de blanchissement du corail
il y a bientôt deux décennies ne sont jamais revenus à leur état initial. Des recherches sur
des sites coralliens de l’océan Indien ayant subi un blanchissement massif, suite au phénomène climatique El Niño de 1997-1998, montrent également comment la diversité, la taille
et la structuration des communautés de poissons suivent le déclin du récif corallien.
Colonie corallienne
en phase finale
après blanchissement,
dans les fonds marins
de Tahiti.
Ce phénomène est dû
à une augmentation
anormale de la température
de l'eau entraînant
l'expulsion d'algues
microsymbiotiques.
Mais, selon les chercheurs, ces épisodes de mortalité restent toutefois difficilement
prédictibles. Si le stress thermique est un facteur de blanchissement, une cascade de
processus complexes n’est pas encore élucidée. Des études récentes sur l’état de la
barrière de corail en Nouvelle-Calédonie montrent par ailleurs que le phénomène de
blanchissement y est peu présent. Les anomalies de température de la mer n’auraient
probablement pas atteint les seuils critiques.
L’impact de l’acidification
sur les organismes calcaires
En diminuant la disponibilité en carbonate de calcium dans l’eau, l’acidification des
océans affecte les organismes marins à coquille ou squelette calcaire, en particulier les
coraux. Mais les recherches sur les effets de l’acidification commencent à peine. S’il est
établi que les réponses des coraux et des algues calcaires à l’acidification diffèrent selon
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
93
Encadré 15
Cartographier les risques
pour quantifier la vulnérabilité future des atolls
© IRD/S. Andrefouët
L’étude des extinctions massives
de la biodiversité dans les atolls
du Pacifique sud entre 1993 et 2012
a permis d’évaluer la vulnérabilité
de ces écosystèmes
face au changement climatique.
Plusieurs atolls fermés de l’océan
Pacifique ont connu durant les dernières
décennies des mortalités massives
d’espèces benthiques et pélagiques,
en lien notamment avec des conditions
climatiques inhabituelles mais
localisées.
Sur la base de huit événements
de ce type, entre 1993 et 2012,
dans onze lagons semi-fermés d’atolls
isolés en Polynésie française,
les chercheurs des unités Entropie
et Locean et leurs partenaires ont
identifié les seuils environnementaux
(température, vent, houle) au-delà
desquels l’écosystème est en péril.
Cette recherche a ainsi permis
de quantifier la vulnérabilité des atolls
étudiés, en fonction de seuils limites
ayant déclenché des épisodes
de mortalité par le passé.
Grâce à ces résultats, une cartographie
des risques permet d’identifier
les zones les plus vulnérables face
à des variations futures des températures,
de la houle et du vent. Les seuils
environnementaux risquant d’être
atteints plus fréquemment à l’avenir
avec le changement climatique,
les modèles d’évolution du climat
peuvent également donner une idée
de la vulnérabilité future des systèmes.
Platier d'îlot à Madang (Papouasie-Nouvelle-Guinée).
Entre changement climatique, pression environnementale et globalisation,
les petits États insulaires d'Océanie cherchent un modèle de développement
durable adapté à leur contexte spécifique.
l’espèce considérée, de nombreux travaux sont nécessaires afin de mieux comprendre
les différences de vulnérabilité et les capacités spécifiques d’adaptation.
Des recherches en laboratoire montrent que, contrairement aux attentes, plusieurs
espèces ne seront pas affectées par l’acidification des océans, alors qu’elles ne pourront
pas survivre à un réchauffement de l’eau. Mais les projections globales sur le devenir des
récifs coralliens face au changement climatique restent difficiles en l’état des connaissances
actuelles.
L’acidification des océans pourrait également réduire la probabilité de survie de
certains poissons, notamment d’espèces commerciales comme le cabillaud. Cette
pression supplémentaire sur la ressource halieutique vient fragiliser un peu plus des
stocks souvent largement exploités.
94
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Modéliser les effets du changement climatique
sur les écosystèmes
Les premiers modèles globaux de l’impact du changement climatique sur la vie des
océans ont estimé l’évolution de la répartition des espèces de poissons en fonction de
la température de l’eau. Ces projections montrent le déplacement des espèces vers des
latitudes plus hautes. La zone intertropicale enregistrerait en particulier une diminution
du volume de poissons de 15 à 40 % d’ici 50 ans, selon les scénarios climatiques utilisés.
Des modèles plus complexes, prenant en compte d’autres critères que la température,
comme les changements biogéochimiques de l’océan, permettent progressivement
d’améliorer les prédictions. Mais ces estimations à l’échelle du globe sont difficiles à
décliner localement. En effet, les modifications de température ou d’acidification sont
inégalement réparties dans les océans.
Encadré 16
Un laboratoire virtuel pour évaluer l’impact
du changement climatique sur les écosystèmes marins
© Nasa
Développé par l’unité Marbec,
le modèle Osmose (Object-oriented
Simulator of Marine ecOSystem Exploitation)
représente en détail le cycle de vie
de nombreuses espèces et
leurs interactions.
Croissance, prédation, reproduction,
migration, sources de mortalité et autres
processus dynamiques sont paramétrés
en fonction des contraintes physiologiques
et environnementales.
Le courant froid de Benguela
remonte du sud vers le nord
le long de la côté namibienne.
Ce modèle peut être considéré
comme un laboratoire virtuel permettant
d’évaluer, par exemple, les impacts
liés à la pêche des prédateurs
ou au réchauffement des océans.
Le modèle Osmose E2E (end-to-end)
a en particulier été développé pour
intégrer les principales composantes
des écosystèmes marins, depuis
les aspects physiques, biogéochimiques
et biologiques, jusqu’aux scénarios
économiques des pêches.
Appliqué à différents milieux,
par exemple aux écosystèmes
d’upwelling (Benguela, Humboldt),
aux écosystèmes tempérés
(détroit de Géorgie, golfe du Lion)
ou tropicaux (golfe du Mexique,
delta du Sine Saloum), ce modèle
permet d’étudier les effets synergiques
ou antagonistes de la pêche
et de l’environnement.
Dans l’écosystème d’upwelling
du Benguela sud par exemple,
les résultats de simulations montrent
que l’action combinée des facteurs
pêche et intensité du vent conduit
systématiquement à une biomasse
de petits poissons pélagiques moins
importante que ne le prévoit la simple
addition de leurs effets séparés.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
95
Une modélisation fine des écosystèmes marins est en particulier nécessaire pour
évaluer les effets des interactions entre les différentes composantes du milieu. L’IRD
s’est engagé depuis une quinzaine d’années dans la modélisation des écosystèmes
pour développer des modèles génériques utilisables par une communauté large de
chercheurs du Sud et du Nord. Ces modèles permettent également d’explorer les
dynamiques futures des écosystèmes marins. Il s’agit-là d’un exercice difficile en termes
de validation et de calibration des modèles, mais qui est aujourd’hui indispensable
pour comprendre l’évolution du milieu marin dans un contexte de changement global
(encadré 16).
L’impact sur la pêche
et la sécurité alimentaire mondiale
Pêche à la senne
de Sardinella aurita au
large de Joal au Sénégal.
La remontée vers le nord
des sardinelles sous l’effet
du réchauffement
des eaux modifie la carte
des pêches.
La pêche est notre dernière activité de prélèvement, à l’échelle industrielle, d’une
ressource sauvage sensible aux fluctuations environnementales. Et la pression sur cette
ressource s’accroît, alors que la consommation humaine augmente, résultat de la croissance démographique et des changements de comportement alimentaire. Le poisson
est aujourd’hui la principale source de protéines animales pour un milliard de personnes
à travers le monde. Or, les profondes perturbations des écosystèmes marins attendues
dans les décennies à venir vont affecter encore danvantage les pêcheries au niveau
mondial, compromettant la sécurité alimentaire dans nombre de pays du Sud.
© IRD/V. Turmine
Des projections du potentiel mondial de capture ont été
faites, à l’horizon 2055, pour plus d’un millier d’espèces de
poissons marins et d’invertébrés exploités. Elles montrent
que le réchauffement de l’eau peut conduire à une redistribution à grande échelle du potentiel global de capture,
avec une augmentation moyenne de 30 à 70 % dans les
régions de haute latitude et une baisse pouvant aller
jusqu’à 40 % dans les régions tropicales.
96
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
D’autres simulations plus récentes intègrent les effets
biochimiques et écologiques dans l’évaluation des impacts.
L’acidification des océans et la réduction de la teneur en
oxygène pourraient abaisser les potentiels de capture de
20 à 30 % par rapport à des simulations faites sans tenir
compte de ces facteurs. Les changements qui affectent la
communauté phytoplanctonique pourraient de plus réduire
le potentiel de capture projetée de 10 % environ.
Encadré 17
Les sardinelles remontent la côte nord-ouest africaine
La modélisation de
la distribution des sardinelles
en fonction des caractéristiques
environnementales des milieux
confirme une nette tendance
de cette espèce des côtes
ouest-africaines à migrer
vers le nord. Sa remontée
sur les côtes du Maroc en fait
aujourd’hui une nouvelle ressource
pour la pêche marocaine.
Figure 22.
Évolution de l’aire de distribution
de Sardinella spp. au Maroc.
Source : Institut national
de recherche halieutique
Sardinella spp.
1997-2003
Maroc
Algérie
Mali
1970-1995
Mauritanie
Pour modéliser la distribution
des espèces de poissons marins,
l’unité Lemar développe un outil
de prévision associant les techniques
des systèmes d’information
géographique (SIG) et l’utilisation
des données satellites.
Cette méthode repose sur l’estimation
des relations existant entre la présence
effective des espèces à un endroit
donné et les caractéristiques
environnementales correspondantes.
À partir de bases de données
mondiales, les chercheurs ont collecté
les enregistrements de présence
d’un maximum d’espèces dans une zone
allant de l’Afrique de l’Ouest au nord-est
de l’Atlantique.
Ils ont par ailleurs rassemblé 30 ans
de données mensuelles de température
de surface de la mer, ainsi que
d’autres paramètres océaniques
et bathymétriques.
En croisant ces informations,
ils ont caractérisé des enveloppes
environnementales propres à chaque
espèce. En projetant ensuite chaque
enveloppe sur des séries de données
environnementales (1981 à 2013),
il leur est possible de modéliser
la distribution potentielle des poissons
étudiés et de suivre l’évolution
de la limite nord et/ou sud de leur zone
de distribution.
Les résultats montrent l’évolution
de la zone de répartition de chaque
espèce au fil du temps, avec une nette
tendance à migrer vers le nord.
Par exemple, le suivi des sardinelles,
petits pélagiques qui préfèrent les eaux
relativement froides, montre l’apparition
d’un nouveau stock dans les eaux
marocaines au nord du Cap Blanc,
limite habituelle du front thermique.
Cette migration vers le nord a été
confirmée par l’analyse microchimique
des otolithes de cette espèce
dans la zone Sénégal-Mauritanie-Maroc.
Les sardinelles,
une nouvelle ressource
pour le Maroc
Alors que le déplacement d’espèces
est souvent considéré comme
une contrainte, en particulier en termes
de sécurité alimentaire, il peut être
également source d’opportunités
économiques, comme l’ont montré
des chercheurs de l’unité Prodig
et leurs partenaires de l’Institut national
de recherche halieutique du Maroc.
L’extension du stock de sardinelles
sénégalo-mauritanien aux eaux
marocaines se traduit en effet
par des captures dans les régions
de Dakhla et Laâyoune au Maroc
de l’ordre de 50 000 tonnes par an.
Certains opérateurs de la filière
marocaine des petits pélagiques
ont su tirer profit de cette nouvelle
réalité. Ils ont conclu des accords
avec une partie des armateurs
de la flotte sardinière pour s’assurer
d’un approvisionnement en matières
premières. Ils se sont également
attachés à modifier les modes de
conditionnement et de transformation
de la sardine pour les adapter
aux spécificités physiques
et organoleptiques de la sardinelle.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
97
© IRD-Ifremer/Fadio/M.Taquet
Banc de thons
à nageoires jaunes
dans l'océan Indien.
La zone intertropicale
enregistrerait
une diminution
du volume de poissons
de 15 à 40 %
d’ici 50 ans.
Le déplacement des espèces
redessine la carte des pêches
La baisse des stocks de poissons est en passe de transformer la carte des pêches,
avec des effets directs sur la sécurité alimentaire et sur l’économie mondiale. Les produits de la pêche sont en effet l’une des ressources renouvelables les plus échangées
sur la planète, et plus des deux tiers des poissons sont capturés dans les zones de pêche
situées dans les pays du Sud. La diminution des captures dans cette zone induira une
réorganisation de tout le système mondial de marché du poisson, en affectant grandement
les pays de la zone intertropicale.
L’IRD, avec la communauté du Pacifique (CPS) et leurs partenaires français, australiens
et américains, a étudié la réponse de la biomasse de poissons au changement climatique
dans le Pacifique, en fonction des différents scénarios du Giec. D’après les modélisations
effectuées, l’élévation de la température des eaux de surface, plus importante à l’ouest du
bassin océanique, entraînerait la migration des thons vers la Polynésie, à l’est. La pêche
des bonites, poissons de la famille des thonidés qui constituent 90 % des prises, sera très
affectée. En effet, les zones de prises s’éloigneraient ainsi des côtes mélanésiennes, des
îles Salomon ou encore de Papouasie-Nouvelle-Guinée. L’exode de ces thons en dehors
des eaux territoriales de ces pays représentera une perte économique significative, en
particulier parce que les droits de pêche versés par les grandes pêcheries internationales
représentent une importante rentrée financière pour les petits États insulaires.
Dans un tel contexte de transformation, la gestion des pêches doit plus que jamais
prendre en compte la vulnérabilité des espèces capturées. Une approche écosystémique
des ressources halieutiques, autrement dit capable d’intégrer les facteurs environnementaux dans l’évaluation des stocks de poissons, devient alors un enjeu majeur pour
éviter l’extinction rapide des espèces.
98
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Encadré 18
EuroMarine :
des gènes aux écosystèmes dans des océans changeants
Le réseau européen de sciences marines
EuroMarine a vu le jour en 2014.
Réunissant 66 organisations membres
réparties dans 22 pays, ce consortium
a été conçu pour donner voix à l’ensemble
de la communauté scientifique marine
européenne. L’initiative fait suite
à l’expérience de trois anciens réseaux
d’excellence européens (Eur-Oceans,
Marine Genomics Europe et MarBEF),
et sa direction scientifique est partagée
entre l’IRD et le CNRS.
Un des objectifs d’EuroMarine
est de promouvoir une science
de pointe sur le changement climatique,
à travers notamment la compréhension
et la modélisation des écosystèmes
marins dans des océans changeants.
Ce consortium soutient l’identification
et le développement de sujets
scientifiques émergents, en finançant
notamment des appels à propositions
concurrentiels.
Des risques de pollution accrus
Un effet peu connu du changement climatique est le risque d’une contamination
accrue des poissons par des polluants naturels dans les zones d’upwelling. Les chercheurs
de l’IRD et leurs partenaires ont montré en effet le relargage naturel de contaminants,
et notamment de métaux lourds, des profondeurs des océans en surface, à cause de
l’intensification de l’upwelling sur la côte atlantique marocaine. Les éléments traces
métalliques, comme le cadmium, s’accumulent alors dans la chaîne alimentaire aquatique,
dans le zooplancton, chez les mollusques et les poissons, puis passent chez les
consommateurs terminaux comme les mammifères marins, les oiseaux et l’homme. Les
conséquences pour la santé humaine sont d’autant plus préoccupantes qu’une grande
partie des captures provient des zones d’upwelling.
Finalement, le déplacement des poissons est une des manifestations les plus visibles
du changement climatique sur le règne vivant. Comprendre et anticiper la redistribution
des espèces marines à l’échelle du globe sous l’effet du réchauffement de l’eau permet de
fournir des informations importantes pour la planification de la pêche et de la conservation
marine.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
99
Chapitre 9
Zones côtières et insulaires :
des espaces sous pressions
© IRD/P. Fréon
Île de Maragarita,
Venezuela.
L
es zones côtières sont en première ligne face aux changements physicochimiques des océans. La montée du niveau de la mer fait reculer les littoraux.
Le réchauffement et l’acidification de l’eau perturbent également les écosystèmes sous influence marine. Pour les chercheurs, il y a cependant une
vraie difficulté à isoler les effets climatiques de ceux, plus nombreux, liés directement
aux activités humaines. Les espaces côtiers paient en effet le prix fort de leur attractivité,
avec une intensification de l’urbanisation et de l’exploitation des ressources. Une chose
est sûre cependant, ces milieux sont souvent fragilisés et, à l’avenir, avec la croissance
démographique et l’évolution des modes de vie, ces pressions anthropiques directes
vont continuer à se cumuler aux effets croissants du changement climatique.
Érosion et submersion des littoraux
Des modèles de submersion marine sont aujourd’hui disponibles pour simuler et
anticiper l’avancée de la mer sur la terre, en fonction de l’élévation du niveau des océans.
Ces modèles estiment par exemple que 12 % des îles du globe seraient menacées de
disparaître. Mais, si les projections basées sur l’élévation du niveau de la mer sont
adéquates pour des études à l’échelle globale, elles ne suffisent pas forcément à prédire
la carte des futures surfaces immergées à l’échelle d’un bassin océanique.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
101
© IRD/P. Chabanet
Petite île des Maldives.
Ces îles situées au niveau de
la mer sont particulièrement
vulnérables aux changements
climatiques et à la montée du
niveau marin. Les digues
artificielles tentent de limiter
les assauts des vagues
lors des fortes houles.
La montée des océans est d’abord très inégalement répartie. Pour la zone Pacifique,
entre la Nouvelle-Calédonie et les îles de Micronésie, les différences d’élévation du
niveau de la mer au cours des cinquante dernières années sont dans un rapport de un à
dix. Plus localement, l’élévation du niveau de la mer est aussi dépendante des perturbations climatiques et de la tectonique. Par exemple, selon l’intensité du phénomène
El Niño, on peut observer des différences très significatives des niveaux de la mer.
Encadré 19
Les premiers « réfugiés climatiques »,
victimes aussi de la tectonique des plaques
L’unité Géoazur et ses partenaires
ont expliqué en 2011 pourquoi
la submersion marine observée
sur les îles Torrès au Vanuatu
est deux fois plus rapide
que prévue : la montée du niveau
de la mer s’est cumulée
à l’enfoncement de l’archipel
dû à l’activité tectonique.
© IRD/V. Ballu
Le village de Lataw, sur les îles Torrès
au Vanuatu, prend l’eau.
En 2004, cette petite localité au milieu
du Pacifique sud a dû reculer
de plusieurs centaines de mètres,
ses 70 habitants devenant ainsi
les premiers « réfugiés climatiques »
de l’histoire d’après les Nations unies.
Victimes du réchauffement global ?
Pas seulement.
Villageois de Lataw
sur les îles Torrès
au Vanuatu.
102
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
L’unité Géoazur et ses partenaires
ont montré en 2011 que l’archipel
s’enfonce dans l’océan avec une vitesse
de l’ordre de 1 cm/an.
Le Vanuatu se situe en effet
à la frontière de la plaque tectonique
du Pacifique, sous laquelle plonge
la plaque indo-australienne,
entraînant une descente du plancher
océanique et des îles qui sont
à sa surface. En 12 ans, alors que
le niveau des eaux s’est élevé
d’environ 15 cm, les îles Torres
se sont enfoncées de près de 12 cm.
De ce fait, le niveau de l’eau
est monté deux fois plus vite que
ce que les autorités locales avaient
prévu. Une erreur d’interprétation
qui a limité le déplacement
des habitants de la baie Lataw,
les empêchant de se mettre à l’abri
à plus long terme.
L’érosion dépend des dynamiques locales des milieux
La montée du niveau de la mer et l’augmentation de la fréquence des événements
tempétueux intensifient la fréquence des épisodes de submersion, et donc l’érosion des
côtes. Mais l’érosion dépend aussi de la dynamique des systèmes sédimentaires. Après
un ouragan par exemple, les plages peuvent naturellement se reconstituer à partir du
stock de sable érodé, déposé à l’avant de la plage. En revanche, si le stock sédimentaire
est réduit par des prélèvements de sable, les plages soumises à l’énergie des vagues et
de la houle vont reculer.
Les écosystèmes côtiers vont également amortir plus ou moins les phénomènes
d’érosion. Occupant environ 600 000 km2 le long des côtes tropicales, les récifs coralliens
sont une barrière naturelle efficace contre l’érosion marine. Leur présence induit un
déferlement des vagues, ce qui dissipe les trois quarts de leur énergie. Les îles bordées
par un récif disposent ainsi d’une excellente protection naturelle. Par ailleurs, la croissance
du récif et la sédimentation corallienne peuvent aussi partiellement compenser l’élévation
du niveau de la mer. Les îles Marshall et Tuvalu ont par exemple conservé leur surface
malgré une élévation du niveau de la mer de 2 mm/an durant la dernière moitié du
XXe siècle.
© IRD/L. Descroix
Érosion côtière
au Sénégal.
Bien que ce phénomène ait
à la fois des causes humaines
(extraction de sable
des plages ou
développement côtier)
et naturelles (fragilité des sols
côtiers), les effets de l’érosion
côtière devraient être
exacerbés par le changement
climatique et la hausse
du niveau marin.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
103
Encadré 20
Le littoral chilien se reconstruit après le tsunami
L’unité Legos
et ses partenaires chiliens
ont montré que, moins d’un an
après le tsunami qui a frappé
le Chili en 2010, dunes et plages
se sont remises en place.
Les séismes résultent
de phénomènes totalement
indépendants du climat,
mais la côte chilienne a constitué
un « laboratoire naturel » unique
pour mieux anticiper les impacts
du réchauffement climatique
sur les littoraux.
En février 2010, un violent séisme
frappait le Chili, provoquant un tsunami
avec des vagues de 10 m de haut.
Touchant un littoral habité par
des millions de personnes, la secousse
et les vagues géantes ont également
transformé le faciès du rivage :
les dunes et barres sableuses
ont été rasées et la côte s’est affaissée
par endroits jusqu’à 1 m.
Moins d’une semaine après l’événement,
l’équipe internationale du Legos et
ses partenaires chiliens ont réalisé
des observations pour évaluer l’impact
sur 800 km de la côte. Les relevés
topographiques et GPS ont montré
que le tsunami a agi tel un bulldozer,
détruisant les structures existantes : dunes,
barres sableuses immergées, plages...
Un suivi bimensuel de la reconstruction
naturelle de la ligne côtière a par la suite
été effectué. Résultat : la réponse
du littoral au désastre a été rapide.
Au bout de quelques mois,
la plupart des structures côtières
sableuses se sont reconstruites –
© IRD/R. Almar
Habitations détruites
lors du séisme
et du tsunami
du 27 février 2010
dans l'estuaire
de la rivière Mataquito
au Chili.
104
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
mais avec une morphologie différente.
De manière inattendue, le système
sédimentaire a retrouvé en un an
un nouvel équilibre, distinct de celui
précédant le séisme.
La secousse a également abaissé
de quelques dizaines de centimètres
une partie du cordon littoral.
Cet affaissement a provoqué
une submersion marine, faisant
du littoral chilien un « laboratoire »
naturel pour anticiper les impacts
de la montée du niveau des mers.
Jusqu’à présent, les modèles fondaient
leurs projections sur une simple
équation, appelée « loi de Bruun »,
qui utilise des paramètres géométriques
d’une section de plage pour prédire
son retrait en cas d’élévation du niveau
marin. Grâce à leurs observations,
les chercheurs contribuent à montrer
que la réalité est plus complexe.
Depuis décembre 2012, un système
permanent d’observation permet
de suivre en continu la dynamique
du littoral.
© IRD/L. Descroix
Village de Cabrousse,
sud de la Casamance
(Sénégal).
Une rizière en zone côtière,
touchée par une onde
de marée de tempête
qui a fait remonter le sel
dans les bras de mer
de la mangrove et
de la rizière.
Salinisation des sols,
une conséquence de la montée de la mer ?
L’intrusion d’eau de mer est lourde de conséquences pour les écosystèmes terrestres
littoraux. Notamment, la salinisation des sols rend improductives des terres auparavant
fertiles. La salinisation des nappes phréatiques pose par ailleurs des difficultés lors de
leur « potabilisation ». La sécheresse aggrave aussi ces phénomènes : des étiages (période
de l’année où le niveau des cours d’eau est le plus bas) plus accentués contribuent en
effet à une invasion lente de l’eau de mer dans les cours d’eau et une salinisation des
terres agricoles.
Pour autant, les phénomènes de salinisation observés aujourd’hui sont moins liés
à des causes climatiques qu’aux activités humaines : la croissance démographique sur
les espaces littoraux va de pair avec une forte consommation d’eau ; l’urbanisation
(bétonnage et bitumage) imperméabilise les sols et limite de ce fait l’infiltration des
eaux de pluie, qui sont alors évacuées par les réseaux fluviaux et n’alimentent plus les
nappes. Augmentation des prélèvements et des taux de ruissellement se soldent ainsi
par une plus grande concentration d’eau salée dans les nappes. Les aménagements
côtiers interviennent également fortement dans les échanges d’eau de mer et d’eau
douce, avec des conséquences parfois imprévues (encadré 21).
Même en dehors de toute présence humaine, l’équilibre entre l’eau douce et l’eau
salée dans les aquifères côtiers et insulaires est un phénomène à la fois complexe et de
nature instable (encadré 22).
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
105
Encadré 21
Quand la salinisation bouleverse tout le système côtier
au Sénégal
Le percement d’une brèche
pour évacuer les crues
du fleuve Sénégal en 2003 a créé
en une dizaine d’années
une ouverture sur la mer
de plusieurs kilomètres.
Les transformations de l’écosystème
ont été telles que certains habitants
abandonnent les activités
maraîchères et se tournent
aujourd’hui vers l’exploitation
du sel.
En 2003, l’alerte d’une grande crue
pousse les autorités sénégalaises
à ouvrir une brèche dans le cordon
dunaire de Saint-Louis pour évacuer
plus rapidement le trop-plein d’eau
du fleuve vers la mer.
Ce canal permet d’éviter l’inondation
de la ville. Mais une fois creusée,
cette brèche de 4 m n’a cessé
de s’élargir.
Un an plus tard, la brèche atteignait 1 km,
et, en octobre 2012, la zone de contact
avec l’océan Atlantique s’étalait
sur environ 4 km.
Avec l’intrusion d’eau de mer, l’eau douce,
déjà rare, est devenue plus difficile
à trouver, imposant aux populations
de s’approvisionner par camion-citerne
ou de parcourir plusieurs kilomètres.
Aujourd’hui, le chapelet de puits
abandonnés parce que trop salés est
un spectacle courant dans la région.
Le maraîchage, qui se pratiquait déjà
dans des conditions assez difficiles
avant 2003, est fortement menacé du fait
de l’hypersalinisation des eaux et
des sols. Avec le recul du maraîchage
et la destruction des installations
touristiques liée à l’érosion, les populations,
surtout les femmes, se tournent
désormais vers l’exploitation du sel.
Si l’origine de ce bouleversement
écologique et sociétal est ici d’origine
humaine et non climatique, cette étude
des partenaires sénégalais de l’unité
Résilience illustre la vulnérabilité des
systèmes côtiers face à la salinisation et
à l’élévation du niveau marin.
Encadré 22
Îlots du Pacifique : duel entre l’eau douce et la mer
Les îlots au large de Nouméa,
dans le lagon sud-ouest
de la Nouvelle-Calédonie, sont
quasi dépourvus de toute activité
humaine. Là, dans le cadre du
projet Interface, des scientifiques
ont étudié la répartition
entre l’eau douce et l’eau salée
dans les nappes souterraines.
© IRD/G. Cabioch
Les chercheurs ont étudié la répartition
spatiale de la salinité au sein des eaux
souterraines grâce à des mesures
de la conductivité des eaux.
Ces investigations croisées avec
des modèles hydrogéologiques
ont permis de cartographier en 2D
et 3D la distribution de la salinité de
l’aquifère insulaire, mais aussi d’évaluer
ses capacités de recharge par les pluies.
Contrairement aux résultats attendus,
l’eau souterraine s’est avérée plus
concentrée en sel au centre des îlots
coralliens qu’en bord de mer, qui
est pourtant la zone d’interaction
entre eau douce et eau salée.
En cause, la végétation plus dense
au centre de l’île qui pompe beaucoup
Îlot corallien boisé dans le lagon de Nouméa,
Nouvelle-Calédonie.
106
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
d’eau douce. De plus, la recharge
en eau douce par les précipitations est
minimale au milieu de l’îlot, toujours
du fait de la densité de la végétation
ainsi que d’un développement
plus important des sols.
Au contraire, le drainage est maximal
sur les dunes en bord de mer.
On constate ainsi une dilution
de la teneur en sel au sein de l’eau
souterraine sur les bords de l’îlot et,
inversement, une concentration
au centre.
Cette recherche permettra d’évaluer
la ressource en eau des îles coralliennes
du Pacifique, dans le cadre de la
recherche d’indicateurs de vulnérabilité
face au changement climatique global.
© IRD/C. Proisy
Les mangroves,
un écosystème vulnérable entre terre et mer
Couvrant les trois quarts des littoraux de la ceinture intertropicale, les mangroves
constituent un écosystème spécifique. Mais ces forêts de palétuviers disparaissent
actuellement à un taux de 1 à 2 % par an. En cause, la croissance démographique, l’intensification de l’urbanisation et de l’exploitation des ressources naturelles. L’expansion des
élevages de crevettes en Asie du Sud-Est, en Amérique centrale et en Afrique de l’Est a
été en particulier dévastatrice. Le changement climatique est une pression supplémentaire
sur ces écosystèmes déjà fragiles. Or, la disparition des mangroves entraîne la perte de
certaines fonctions écologiques essentielles. Les mangroves accueillent en effet une biodiversité riche, et elles constituent un élément clé de l’équilibre des écosystèmes littoraux,
en permettant la remise en circulation d’éléments nutritifs qui, sans les palétuviers, seraient
irrémédiablement enfouis au sein des sédiments profonds.
Mangrove amazonienne
en Guyane.
1 à 2 % des mangroves
disparaissent chaque année
du fait des activités
humaines.
Une fragilité accrue par
le changement climatique.
L’augmentation du nombre et de l’intensité d’événements cycloniques pourrait être
fatale à ces écosystèmes. Les ouragans ont un effet destructeur sur les mangroves qui,
de ce fait, colonisent rarement les côtes les plus exposées, au profit des zones plus
calmes où peut s’effectuer la sédimentation. D’après des études scientifiques récentes,
si de tels événements se reproduisent à de trop hautes fréquences, la mangrove sera
dans l’incapacité de se maintenir.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
107
Une protection contre l’érosion
Face à des changements sur le long terme, il est important de comprendre comment
les palétuviers ont su jusqu’à présent s’adapter aux contraintes environnementales.
Des travaux en Guyane montrent la régénération exceptionnelle des mangroves face
à de fortes contraintes environnementales et leur contribution à la stabilisation des
sédiments (encadré 23).
Encadré 23
Les mangroves : une adaptation exemplaire
Les mangroves guyanaises
démontrent une capacité naturelle
à compenser des destructions
massives et répétées
dues à l’érosion marine.
© IRD/C. Proisy
En Guyane française, comme sur
l’ensemble des littoraux situés en aval
de l’estuaire de l’Amazone, les côtes
sont constamment remodelées
par des processus hydrosédimentaires
de grande ampleur, résultant du transit
des sédiments et de l’eau douce
déversés par l’Amazone dans l’océan
Atlantique.
Cependant, les mangroves guyanaises
semblent bien adaptées à cette instabilité
côtière permanente.
L’analyse de l’évolution de leur superficie
depuis 1950 confirme une capacité
de l’écosystème à compenser
des destructions massives et répétées,
dues localement à l’érosion du substrat
vaseux par les houles.
Les recherches de l’unité Amap
et de ses partenaires brésiliens
montrent que c’est par un rétablissement
aussi rapide qu’efficace sur des dépôts
de vase nouvellement formés et protégés
par la houle que l’écosystème parvient
à se maintenir à l’échelle régionale.
En effet, l’espèce de palétuvier
dominante en front de mer,
Avicennia germinans, peut coloniser
rapidement de nouveaux dépôts
de sédiments grâce à une maturité
précoce, à des propagules
(graines à germination immédiate)
flottantes viables environ 100 jours,
à une vitesse d’enracinement très rapide
(5 jours) et à une forte croissance
annuelle (pouvant atteindre 2,25 m).
Cette colonisation est considérablement
amplifiée quand les apports
sédimentaires et les régimes de marées
se combinent pour transformer
les vases nues en un gigantesque filet
à propagules de plusieurs centaines
d’hectares.
Cependant ces adaptations,
fruits de la sélection naturelle,
sont parfois insuffisantes pour
permettre des recolonisations
suite à des destructions rapides.
Zone de colonisation de la mangrove en Guyane.
Adaptée aux phénomènes d’érosion, l’espèce de palétuvier
Avicennia germinans est capable de coloniser très rapidement
un banc de vase tout juste formé.
108
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Encadré 24
Séquestration du carbone :
les limites de la reforestation des mangroves sénégalaises
Entre 2006 et 2013,
14 000 ha de mangroves
sénégalaises ont été replantés.
La visibilité internationale
de ce succès ne doit pourtant pas
masquer les limites écologiques
et sociales de ces reforestations.
Les travaux de l’unité Paloc
et de ses partenaires sénégalais
montrent pourquoi
la multifonctionnalité
des mangroves ne peut être
réduite à la séquestration
de carbone.
Ces campagnes ont permis de replanter
14 000 ha de mangroves entre 2006
et 2013. Mais les travaux de chercheurs
de l’unité Paloc et de leurs partenaires
sénégalais relativisent le succès
de ces reforestations.
Les scientifiques pointent d’abord
les limites écologiques de la logique
Redd+, intéressée avant tout par
le volume de crédits carbone produit.
Une seule espèce de palétuvier a été
plantée, alors que les mangroves
sénégalaises en accueillent six.
La priorité donnée à la quantité et
à la visibilité des plantations s’est faite
au détriment de critères agro-écologiques.
Sur le terrain, les chercheurs constatent
que beaucoup de plants ne poussent
finalement pas, ce qui hypothèque
considérablement la réussite en termes
de bilan carbone.
Les crédits carbone promis tardent
à être quantifiés, puisque le résultat
dépendra de la croissance de la forêt.
Et le calcul même de la capacité
de séquestration du carbone fait
encore débat.
Ces reboisements posent aussi
des questions d’inégalité spatiale,
alors que les projets laissent de côté
la question du statut des zones
replantées, avec les risques d’une mise
à l’écart des utilisateurs locaux
de ces territoires.
Finalement, les chercheurs insistent
sur les enjeux scientifiques et éthiques
d’une restauration qui prenne en compte
la complexité des socio-écosystèmes
de mangrove, dont la multifonctionnalité
ne peut être réduite à la séquestration
de carbone.
© IRD/V. Turmine
Pêche artisanale
des huîtres de palétuviers
dans une mangrove
du Siné Saloum au Sénégal.
Le Sénégal conduit depuis plusieurs
décennies des politiques de protection
des mangroves, pour limiter la dégradation
rapide de ces écosystèmes.
Depuis 10 ans, les campagnes
de reforestation des mangroves
ont pris un nouvel essor, grâce
à la reconnaissance de leur capacité
exceptionnelle de séquestration
du carbone et donc à lutter contre
l’effet de serre.
Intéressées par les « crédits carbone »,
des entreprises privées ont financé
des projets Redd+, mis en œuvre
par des ONG comme l’IUCN et Océanium.
Depuis 2009, Danone a investi
4 millions d’euros dans les plantations
de palétuviers.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
109
Zone tampon entre l’océan et la terre, cet écosystème particulier pourrait jouer un
rôle dans la protection contre l’érosion des côtes vaseuses, particulièrement instables.
Les chercheurs de l’IRD et leurs partenaires ont par exemple montré comment la réduction
de la mangrove entraînerait une érosion à grande échelle des 370 km de côtes du Guyana.
Dans ce pays d’Amérique du Sud, les zones marécageuses littorales ont été aménagées
en « polders » pour développer l’aquaculture et la riziculture. Des digues ont été élevées,
réduisant la frange de mangrove de 1 km à seulement quelques dizaines de mètres de
large. Or, ces digues ne résisteraient pas à la force des vagues et à une élévation du niveau
de l’océan si les mangroves venaient à disparaître. De plus, digues et enrochements
empêchent la sédimentation des vases en provenance de l’Amazone sur lesquelles la
mangrove se régénère.
Les mangroves jouent aussi un rôle important dans le cycle du carbone en raison de
leur forte capacité à transformer le dioxyde de carbone atmosphérique en matière organique. En effet, la mangrove fait partie, avec la forêt tropicale primaire, des écosystèmes
terrestres produisant le plus de biomasse. Les quantités de carbone stockées dans ces
forêts font encore débat parmi les scientifiques. Mais leur potentiel de séquestration
leur vaut déjà d’être ciblées par certaines politiques de protection et de reforestation
dans le cadre de la lutte contre le changement climatique (encadré 24).
La biodiversité
des barrières de corail menacée
Un autre écosystème propre aux zones côtières de la bande intertropicale est
aujourd’hui menacé, les récifs coralliens. Plusieurs études quantitatives sur le long
terme confirment la dégradation ou la perte des communautés coralliennes dans de
nombreux récifs. Les causes sont, là encore, à rechercher d’abord du côté des activités
humaines. Pêches excessives, invasions biologiques, pollutions venant du littoral,
aménagements et dégradations mécaniques des récifs, etc., les pressions anthropiques
sont nombreuses. Dans certaines régions, notamment les Caraïbes, le développement
des maladies affectant les coraux au cours des dernières décennies a été attribué au
développement urbain.
Les effets du changement climatique interviennent donc sur des écosystèmes
souvent déjà très abîmés par l’homme. Sensibles au réchauffement et à l’acidification
des océans, les récifs coralliens sont aujourd’hui fragilisés par des phénomènes de stress
thermique et de blanchissement (cf. p. 92). Les vagues générées par les cyclones et les
tempêtes tropicales détruisent également les communautés coralliennes fragiles. Un récif
impacté peut mettre 10 à 20 ans pour se reconstituer. Mais si la fréquence et l’intensité
110
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
© IRD/M. Séré
Maladie des taches
blanches sur une colonie
de porites à Mayotte.
Le premier bilan de santé
des coraux du sud-ouest
de l’océan Indien
a conduit à la description
de cette nouvelle
pathologie en 2013.
des aléas climatiques et des autres stress anthropiques augmentent, ce retour à la normale
sera beaucoup plus lent. Par ailleurs, l’acidification, en diminuant la disponibilité en
carbonate de calcium dans l’eau, risque également de ralentir la calcification des polypes
coralliens et donc la croissance des récifs. Toutefois, la connaissance de la physiologie
de ces organismes est encore trop lacunaire pour savoir si les coraux seront capables de
s’adapter aux variations rapides de l’environnement.
Vers de nouveaux paysages
sous-marins
Les chercheurs tentent d’évaluer comment l’augmentation des pressions climatiques
et anthropiques va impacter les récifs coralliens à l’avenir. Beaucoup de travaux sur le
devenir des récifs coralliens dans les années 2000 étaient très alarmistes. Des recherches
récentes révèlent cependant que, si de nombreuses espèces coralliennes déclinent bel
et bien depuis plus de 30 ans, d’autres se maintiennent ou voient même leur abondance
augmenter. Une vaste étude internationale, à laquelle participe l’IRD, observe depuis
une quinzaine d’années l’évolution de sept récifs coralliens à travers le monde (Caraïbes
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
111
et océan Indo-Pacifique). Les scientifiques ont mis en évidence l’extension de certains
genres, comme les coraux massifs du nom de Porites, qui résistent bien à la hausse des
températures. Ils ont également mis en perspective ces récents changements au regard
des événements passés enregistrés dans les récifs fossiles, révélant que l’abondance
et la structure des populations coralliennes avaient déjà fortement varié au cours des
millénaires passés. Ces nouvelles données leur ont permis de revoir leurs projections
pour les décennies à venir. Au fur et à mesure que la température des eaux va continuer
d’augmenter, un sous-ensemble d’espèces « gagnantes » tirera son épingle du jeu : celles
qui possèdent la plus grande tolérance thermique, les meilleurs taux de croissance des
populations ou la plus grande longévité.
Un quart des espèces connues
de poissons marins
Les conséquences écologiques des transformations en cours dépassent les seuls
coraux, puisque ces écosystèmes abritent un quart des espèces connues de poissons
marins. En collaboration avec des équipes internationales, l’IRD a étudié l’impact du
blanchissement des coraux sur les communautés de poissons qu’ils abritent. Les
chercheurs ont pour cela comparé les peuplements de coraux et de poissons dans une
soixantaine de sites coralliens dans sept pays (Maldives, archipel des Chagos, Kenya,
Seychelles, Tanzanie, îles Maurice et la Réunion), avant et après un blanchissement
massif des coraux suite à un épisode El Niño en 1998. Ce travail scientifique montre que
l’appauvrissement de la diversité, la réduction de taille et la perte de structuration des
peuplements de poissons suivent le déclin des communautés coralliennes.
La transformation des récifs coralliens est également préoccupante pour la sécurité
alimentaire de nombreux pays du Sud, alors qu’ils subviennent aux besoins en protéines
des populations riveraines.
112
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
© IRD/J.-M. Boré
Banc de poissons
dans des coraux
Acropora branchus
(Nouvelle-Calédonie).
Les récifs coralliens
constituent un abri
et une source de nourriture
pour de nombreuses
espèces marines.
La dégradation des coraux
entraîne, par effet de cascade,
la chute de la biodiversité
récifale.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
113
Chapitre 10
Zones semi-arides : le Sahel
sensible aux variations de pluies
© IRD/G. Fédière
L
a bande sahélo-soudanienne, qui s’étend du Sénégal jusqu’au Soudan, est
pointée par les experts du Giec comme une des régions du globe les plus
vulnérables au changement climatique. Cette région semi-aride d’Afrique
voit sa température augmenter depuis 60 ans, avec une transformation du
régime des pluies. Et les prévisions climatiques y anticipent une hausse de 3 à 4 °C d’ici la
fin du XXIe siècle, avec des conséquences dramatiques en termes de sécurité alimentaire,
de disponibilité en eau et pour la santé des populations. Paradoxalement, le 5e rapport
du Giec pointe une absence de preuves des impacts du changement climatique déjà à
l’œuvre dans la région, dans des domaines clés comme l’agriculture. Cela ne signifie pas
que le changement climatique n’a pas eu d’effets jusqu’à présent, mais qu’il est difficile
de les mettre en évidence aussi clairement que dans d’autres régions du globe. Cette
incertitude est liée à la très forte variabilité naturelle des précipitations dans la région,
mais aussi au rôle dominant des activités humaines dans la transformation des milieux
sahéliens. Depuis les années 1950, la croissance démographique rapide dans cette
partie du continent africain a en particulier intensifié l’exploitation des terres, une
pression qui a modifié durablement les milieux et les paysages.
Village sur le fleuve Niger
à Gao, à l'est du Mali.
Si la sécheresse a sévi
au Sahel au cours
de la seconde moitié
du xxe siècle, les précipitations
ont repris depuis
les années 1990.
Le manque d’information sur les impacts avérés du changement climatique est
également dû au manque de données et d’études dans la région.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
115
Le Sahel est une zone semi-aride parmi d’autres. Si ce chapitre lui est consacré, c’est
que les enjeux en termes de développement y sont importants. Les recherches interdisciplinaires menées par l’IRD dans cette région permettent une vision fine des interactions
entre le climat, les milieux et l’homme, indispensable pour comprendre les effets du
changement climatique à l’échelle régionale.
Transformation du régime des pluies au Sahel
Le Sahel se réchauffe régulièrement depuis les années 1950. La température
moyenne y a augmenté de 1,5 °C environ. Mais ce réchauffement n’est ni homogène au
cours de l’année, ni à l’échelle de la région. Le réchauffement observé est particulièrement
marqué et régulier au printemps, alors que les températures sont déjà très élevées durant
cette période de l’année. Il est aussi nettement plus fort la nuit que le jour (supérieur à
2 °C). La température augmente également plus fortement sous les latitudes où les
températures sont déjà les plus fortes, dans des régions exposées à des chaleurs déjà
critiques pour les écosystèmes, comme le nord du Mali.
Dunes dans le désert
du Ténéré au Niger.
Le Sahel s’est réchauffé
de 1,5 °C depuis 1950.
116
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
© IRD/P. Blanchon
Si le réchauffement est mesurable, l’évolution des précipitations est en revanche
plus difficile à caractériser. Le Sahel a connu des sécheresses sévères au cours des
années 1970-1980. Cette rupture des précipitations est un des plus forts signaux
climatiques jamais enregistrés depuis le début des mesures météorologiques. Depuis
les années 1990, on assiste cependant à une reprise des précipitations.
© IRD/P. Blanchon
Arrivée de la pluie
au Niger.
Au Sahel, les orages
sont plus violents depuis
une vingtaine d’années.
« Intensification » du régime des pluies
Cette augmentation de la pluviosité n’est cependant pas un retour à la normale,
autrement dit à la période de référence des années 1960. Elle ne concerne d’abord
qu’une partie du Sahel continental (Mali, Burkina Faso, Niger). L’ouest du continent, le
Sénégal en particulier, est toujours caractérisé par une baisse des précipitations.
Ensuite, l’augmentation des précipitations depuis une vingtaine d’années est plus liée à
l’intensité des orages qu’à leur fréquence. Les orages sont aujourd’hui toujours moins
nombreux qu’avant la sécheresse. Mais ils sont plus forts, avec comme conséquence des
volumes d’eau enregistrés proches de ceux des années 1960. Les précipitations sont
aussi devenues plus incertaines, avec des années de sécheresse intermédiaire. Face à
cette alternance d’événements extrêmes, les chercheurs parlent d’« intensification » du
régime des pluies.
Même s’il existe une incertitude forte sur l’évolution des pluies au Sahel sous l’effet
du réchauffement climatique, un scénario de plus en plus probable semble se dessiner
dans la littérature scientifique. Ce scénario est celui d’un Sahel occidental (Sénégal,
ouest du Mali) qui s’assèche surtout au début de la saison de mousson et d’un Sahel
central et oriental qui s’humidifie surtout à la fin de l’hivernage.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
117
Encadré 25
Des précipitations extrêmes
de plus en plus nombreuses depuis 1990
Une des caractéristiques
du changement climatique
est l’augmentation
des événements extrêmes.
Mais il existe très peu d’études
sur le sujet.
Des travaux de l’unité LTHE
au Sahel montrent que
les extrêmes pluviométriques
deviennent plus marqués
à partir de 1990, confirmant
un changement important
du régime pluviométrique
au tournant du siècle.
Il existe très peu d’études
sur les extrêmes pluviométriques
au Sahel. En cause, le manque
de données, mais aussi les difficultés
méthodologiques pour étudier
les pluies les plus intenses.
En effet, rares par définition,
les événements extrêmes sont
particulièrement difficiles à quantifier
ce qui, ajouté à la forte variabilité
interannuelle et décennale de la pluie
au Sahel, rend difficile la détection
de tendances.
Des chercheurs du LTHE
ont surmonté ces contraintes
en travaillant sur un ensemble
de 43 séries pluviométriques
journalières disponibles
sur la période 1950-2010.
Une analyse statistique basée
sur la théorie des valeurs extrêmes
a permis de fournir une vision régionale
de l’organisation spatiale des extrêmes
et de développer des méthodes
novatrices pour détecter les tendances.
Ces développements ont permis
d’étudier l’évolution du régime
des précipitations extrêmes
en lien avec la variabilité décennale
des cumuls pluviométriques annuels.
La figure 23 met en évidence
une différence nette dans l’évolution
des précipitations totales annuelles
(cumuls annuels) et des maxima
journaliers annuels sur le Sahel central
depuis 1950.
Alors que les cumuls annuels
restent largement déficitaires
par rapport à la moyenne de la période
humide 1950-1970, la moyenne
des maxima annuels affiche des valeurs
supérieures à ce qu’ils étaient
entre 1950 et 1970.
Les deux courbes se différencient
nettement à partir de la fin des années
1990. Ceci confirme qu’un changement
important du régime pluviométrique
s’est produit au tournant du siècle,
les extrêmes pluviométriques
devenant plus marqués.
Figure 23.
Évolution comparée des totaux
et des maxima annuels de pluie
sur le Sahel central
(fenêtre 9,5° N-15,5° N 5° O-7° E)
entre 1950 et 2010.
Source : d’après PANTHOU et al., 2014).
118
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Indice de pluie standardisé
2
1
0
-1
-2
1950
1960
1970
Maxima journaliers annuels
Cumuls annuels
1980
1990
2000
2010
Moyenne glissante (11 ans)
Moyenne glissante (5 ans)
Changement climatique
ou variabilité naturelle du climat ?
Caractériser les changements du climat sahélien ne suffit cependant pas à attribuer
leur cause. C’est une vraie difficulté pour les scientifiques de comprendre les mécanismes
du réchauffement et du changement de régime des pluies, liés à la fois aux circulations
climatiques globales et à des effets locaux. Et à l’échelle des circulations globales, il faut
ensuite être capable de distinguer les effets de l’augmentation des gaz à effet de serre
de ceux de la variabilité naturelle du climat. Les chercheurs de l’IRD et leurs partenaires
se sont interrogés sur l’impact du changement climatique d’origine anthropique sur
l’évolution du climat au Sahel. Leurs travaux montrent que le réchauffement récent
observé est en bonne partie l’empreinte du forçage anthropique. En revanche, leurs
résultats suggèrent que ce dernier joue un rôle mineur dans la transition pluviométrique
des décennies 1980-1990, qui est pilotée principalement par la variabilité interne du
système climatique (en particulier par l’Oscillation multidécennale de l’Atlantique)
(cf. partie 1, p. 66).
Moins de pluie, plus d’eau :
le « paradoxe sahélien »
Crue exceptionnelle
du fleuve Niger à Niamey
en août 2012.
Les graves inondations
causées par de fortes
pluies ont fait 60 morts
et 300 000 sinistrés
dans le pays.
Les travaux hydrologiques de l’IRD au
Sahel montrent bien l’importance de l’observation sur le long terme pour anticiper les
réponses des milieux. La grande vague de
sécheresse des années 1970 a provoqué,
dans un premier temps, une forte baisse des
débits des grands cours d’eau d’Afrique de
l’Ouest (Niger, Sénégal, Gambie, Volta,
Chari). Mais un comportement particulier des
cours d’eau sahéliens a été observé : alors
que leurs bassins subissaient une baisse des
précipitations plus prononcée que les bassins
plus méridionaux (donc plus pluvieux), les
cours d’eau voyaient paradoxalement leurs
débits augmenter, avec notamment des
crues records. En 2010, la première crue due
aux pluies de mousson a atteint deux fois son
plus haut niveau jamais observé depuis 1929.
En 2012, le record est à nouveau battu.
© IRD/T. Amadou
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
119
Ce phénomène est parfois dénommé « le paradoxe sahélien ». Le paradoxe n’est
pourtant qu’apparent. Les nombreuses mesures hydrologiques au Sahel, en particulier
celles de l’observatoire Amma-Catch, montrent que le ruissellement de l’eau s’est accéléré
au cours des dernières décennies. Il entraîne une concentration d’eau plus rapide qui
modifie le régime et les débits des cours d’eau.
Racines dénudées
par les crues du fleuve
Bani, affluent du Niger
(Mali).
Une augmentation du ruissellement
liée aux activités humaines au Niger...
Les travaux de l’IRD au Niger montrent que la baisse
de la capacité de rétention en eau des sols est une conséquence directe des activités humaines. L’accroissement
démographique (la population du Niger passe de 3,2 millions d’habitants en 1960 à 15,5 millions en 2010, selon
la Banque mondiale) s’est accompagné d’une pression
accrue sur le milieu pour augmenter la production agricole. Le défrichement de la brousse et des forêts claires a
entraîné un accroissement rapide des surfaces dénudées,
provoquant une intensification du ruissellement. La
réduction des périodes de jachère entraîne également
un appauvrissement des sols, qui aboutit souvent à leur
encroûtement, principal facteur du ruissellement.
© IRD/M.-N. Favier
... mais pas au Mali
120
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Cependant, le paradoxe sahélien ne s’observe pas
que dans le Sahel cultivé. Dans le nord du Sahel, une
zone pastorale où la pluviométrie trop faible ne permet
pas l’agriculture, les mares autrefois temporaires restent à
présent en eau toute l’année, et de nouvelles mares
apparaissent. Les mécanismes impliqués ne sont pas
encore totalement élucidés, mais l’explication pourrait
venir également d’une augmentation des capacités
d’écoulement des sols dégradés. En effet, même en
l’absence de défrichement, une partie significative du
paysage a subi dénudation et érosion, suite aux épisodes
sévères de sécheresse. Selon les observations au Mali, une
fois le sol arraché, la végétation n’a pas pu se réinstaller
au retour des pluies.
Encadré 26
Transformation de la pêche dans le delta intérieur du Niger
Les travaux de l’unité Prodig
et de leurs partenaires maliens
ont montré comment la baisse
du débit du fleuve Niger a réduit
les ressources halieutiques
et a finalement abouti
à la réorganisation du marché
régional du poisson.
Débarquement de poissons à Mopti,
dans le delta central du Niger (Mali).
Dans le delta intérieur du Niger
au Mali, les captures de poissons
de l’ensemble du delta sont ainsi
passées de 100 000 tonnes
dans les années 1960 à environ
70 000 tonnes ces dernières années.
Cette diminution de la ressource
halieutique est une conséquence
de la variation du régime des pluies
dans la région, qui a modifié
durablement le débit du fleuve
et les surfaces inondables.
Mais l’homme n’est pas non plus
étranger à cette dégradation,
alors que la construction de barrages
de retenue diminue le débit
du fleuve en aval et réduit
les zones inondables.
Le delta intérieur assure 80 %
de la production de poissons du Mali.
Au cours des quarante dernières années,
alors que l’offre domestique diminuait,
la demande de poissons augmentait
au regard du triplement de la population.
La satisfaction de cette demande
a conduit à une complète réorientation
des flux commerciaux avec
des importations de poissons congelés
ou séchés, de l’ordre de 15 000 t/an,
en provenance principalement
du Sénégal, de la Mauritanie,
de Côte d’Ivoire et de Guinée.
La baisse de cette ressource
dans le delta intérieur a également
fait perdre au Niger la place
dominante qu’il occupait dans
les exportations régionales de poissons
dans les années 1970, en particulier
vers la Côte d’Ivoire et le Ghana.
L’augmentation importante
des captures de petits pélagiques
dans les pays côtiers riverains
et l’adaptation des commerçants
sahéliens ont permis une réorientation
rapide du marché.
Cet exemple montre comment
la péjoration des conditions
hydroclimatiques sahéliennes
a impacté l’organisation de la filière
halieutique régionale.
© IRD/C. Lévêque
Une baisse sévère des écoulements plus au Sud
Plus au sud, dans la zone des savanes soudaniennes, aucun « paradoxe » hydrologique
n’est observé, et la raréfaction des pluies s’est accompagnée d’une baisse sévère des
écoulements. Pourtant, cette région est également touchée par de forts taux de
défrichement des forêts au profit des zones agricoles. Ces réponses opposées entre
les zones sahélienne et soudanienne pour des forçages similaires (sécheresse et
changement d’utilisation des sols) montrent la complexité des mécanismes en jeu. Les
différents facteurs ne sont pas encore complètement identifiés, mais les parcours de
l’eau (plutôt en surface au Sahel, en subsurface plus au sud), la nature et la structure des
sols et des couverts végétaux jouent un rôle majeur.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
121
L’accroissement du ruissellement au Sahel n’explique pas à lui tout seul les inondations
sévères de ces cinq dernières années. Ces dernières coïncident aussi avec le retour de
conditions plus humides et l’intensification des précipitations observés depuis 15 ans
dans la région. Ces inondations ont des conséquences graves pour les populations.
En 2012, la crue exceptionnelle du fleuve Niger a provoqué de fortes inondations
dans la région de Niamey. Les autorités locales ont dénombré plus de 340 000 sinistrés,
44 morts et de nombreux dégâts matériels.
Désertification
ou reverdissement du Sahel ?
Village et jardins irrigués
d'Akodédé, Niger.
122
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
© IRD/F. Anthelme
Région semi-aride, le Sahel est particulièrement sensible à la variabilité des précipitations. Les périodes de très forte sécheresse qui ont sévi entre les années 1970 et 1980
ont eu des effets dévastateurs sur les écosystèmes, les populations et leurs ressources.
La transformation massive de l’usage des sols, liée en particulier à la rapide croissance
démographique, a aussi été par endroits le moteur de cette dégradation des terres.
La théorie d’une désertification du Sahel a alors été ravivée, ainsi que celle prédisant
une avancée rapide du Sahara sur le reste du continent. La désertification correspond à
une dégradation des terres dans les zones sèches par suite de divers facteurs, parmi
lesquels les variations climatiques et les activités humaines. Cette dégradation se
manifeste par une détérioration de la couverture végétale, des sols et des ressources en
eau et aboutit, à l’échelle humaine de temps, à une destruction du potentiel biologique
des terres et de leur capacité à faire vivre les populations.
La réalité de la désertification a fait l’objet de débats de longue date, difficiles à
trancher à cause du manque d’observations globales et continues. L’arrivée de la
télédétection satellitaire à partir des années 1980 a résolu ce problème, en donnant
quotidiennement des images du couvert végétal. L’analyse des premiers indices de
végétation satellitaires (NDVI) au début des années 1990 a alors mis en évidence une
nette augmentation de la végétation depuis 1980. Ce reverdissement contredit ainsi
l’idée de désertification du Sahel.
Un reverdissement généralisé depuis 30 ans
Des travaux plus récents permettent même d’affirmer qu’il y a un reverdissement
généralisé de la couverture végétale sur l’ensemble de la région sahélienne sur les
trente dernières années. Ce reverdissement est globalement expliqué par la reprise des
pluies, tout comme l’avancée du Sahara dans les années 1970 était liée à leur baisse.
Ces phénomènes s’expliquent donc en grande partie dans le cadre de la variabilité
interannuelle des précipitations.
Toutefois, la dégradation du couvert végétal perdure dans certaines régions comme
dans le Fakara nigérien ou dans les régions centrales du Soudan. Par ailleurs, la maille
satellitaire (9 km) est trop grossière pour percevoir la coexistence de dégradation et
reverdissement à une plus petite échelle.
Aujourd’hui, si le reverdissement ne fait pas de doute, les chercheurs restent prudents
sur l’évolution future de la végétation, qui sera en particulier liée à celle des précipitations.
L’agriculture pluviale
face au changement climatique
Au Sahel, l’agriculture est principalement pluviale, donc très dépendante du régime
des pluies. La variabilité des précipitations influence la production alimentaire, comme
l’illustre le lien direct entre les grandes sécheresses et les famines qu’a connues la région
(1974, 1984-1985, 1992 et 2002). Dans ce contexte, les chercheurs tentent de mieux
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
123
© IRD/M.-N. Favier
Cultures maraîchères
(choux et salades)
au Burkina Faso.
Au Sahel,
l’agriculture pluviale
couvre 93 % des terres
cultivées.
comprendre et d’anticiper les conséquences des fluctuations climatiques sur l’agriculture.
Ils s’appuient pour cela sur des modèles complexes qui associent des données climatiques,
agronomiques et économiques. Dans le 5e rapport du Giec, les résultats de la modélisation des cultures indiquent des pertes de rendements agricoles mondiaux de 2 % par
décennie (en moyenne) au cours du XXIe siècle. Des impacts particulièrement importants
sont attendus en Afrique, où les rendements pourraient chuter de 20 % à l’ouest du
Sahel selon des travaux récents (encadré 27).
Cependant, les prévisions restent difficiles à réaliser, du fait des fortes incertitudes à
la fois des projections régionales du changement climatique et de la réponse du couvert
végétal aux changements environnementaux (pluie, température, concentration de CO2
dans l’atmosphère). Le travail de prévision ne doit pas non plus sous-estimer l’adaptation
progressive des systèmes agricoles aux changements environnementaux. En effet, la
relation climat/plante ne suffit pas à prédire les rendements. Des études sur le mil,
principale culture du Sahel, montrent comment les variétés se sont progressivement
adaptées à la sécheresse. La biodiversité du mil, bien préservée, a permis une sélection
naturelle et humaine : les plantes les plus précoces résistent mieux à la sécheresse, donc
poussent mieux, et sont donc sélectionnées par les paysans pour la saison suivante
(cf. partie 3, p. 211).
124
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Encadré 27
Une baisse des rendements agricoles en Afrique de l’Ouest
sous l’effet du réchauffement
L’Afrique de l’Ouest
est très vulnérable
aux aléas climatiques.
Une meilleure compréhension
de l’impact du changement
climatique sur les rendements
agricoles est donc fondamentale
pour élaborer des stratégies
d’adaptation.
Des climatologues de l’IRD
et leurs partenaires internationaux
prévoient une baisse de 16 à 20 %
des rendements du sorgho
dans certaines régions
d’Afrique de l’Ouest.
Quels sont les impacts du changement
climatique sur les rendements
de sorgho en Afrique de l’Ouest ?
Pour répondre à cette question,
des climatologues de l’IRD,
en collaboration avec des équipes
américaines, maliennes et australiennes,
ont utilisé des modèles agronomiques,
qui permettent de simuler les rendements
agricoles en fonction des conditions
climatiques, qu’ils ont ensuite croisés
avec les scénarios climatiques futurs.
Face aux incertitudes de ces différents
modèles, l’étude a pris en compte
les simulations de neuf modèles
climatiques du Giec et de deux modèles
de culture.
Scénarios climatiques futurs
Une baisse des rendements
plus forte à l’ouest du Sahel
En réponse à ce changement climatique,
et sans tenir compte de la réponse
des cultures en fonction de l’élévation
du CO2, les projections des chercheurs
montrent une diminution du rendement
des cultures d’environ 16 à 20 %
dans la partie occidentale du Sahel.
La partie orientale enregistrerait,
elle, des impacts plus modérés avec
une baisse des rendements comprise
entre 5 et 13 %.
Ces projections de baisse
des rendements sont constantes
d’un modèle à l’autre. Elles résultent
de l’augmentation de température qui
réduit la longueur des cycles de culture
et augmente le stress hydrique,
à travers une évaporation accrue.
Cet effet négatif des températures
se combine avec une baisse des pluies
à l’ouest du Sahel.
© IRD/J. Séguiéri
Les projections climatiques basées
sur le scénario d’émissions du Giec
RCP 8,5 prévoient un réchauffement
moyen de + 2,8 °C entre 2031 et 2060,
par rapport à une période de référence
de 1961 à 1990. Les neufs modèles utilisés
prévoient également un changement
significatif des précipitations en Afrique
de l’Ouest, avec moins de pluie dans
la partie occidentale du Sahel (Sénégal,
sud-ouest du Mali) et plus de pluie
au Sahel central (Burkina Faso,
sud-ouest du Niger).
Les déficits pluviométriques prévus
sont concentrés au début de la mousson
dans la partie occidentale du Sahel,
tandis que les augmentations
de précipitations se produisent à la fin
de la saison de la mousson,
ce qui suggère un changement
dans la saisonnalité de la mousson.
Champ de sorgho
au Niger.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
125
Vulnérabilité des populations rurales
© IRD/C. Leduc
Retour annuel de la rivière
Komadougou Yobé,
à la frontière entre Niger
et Nigeria.
Ce moment est important
pour les populations
(pêche, irrigation, troupeaux)
et pour la recharge
de la nappe phréatique.
Depuis les grandes vagues de sécheresse des années 1970-1980, le Sahel est devenu
une région emblématique de la vulnérabilité des populations rurales du Sud. Leur
dépendance directe aux ressources naturelles et à l’agriculture pluviale les place en
première ligne face aux risques climatiques identifiés dans la région. Le Giec pointe en
particulier les impacts du changement climatique sur la ressource en eau, avec des
conséquences sur la production alimentaire et sur l’accès à l’eau potable. Il est cependant
impossible de prévoir quels seront les impacts sur ces populations. De nombreuses
études montrent en effet comment elles ont depuis toujours su s’adapter aux variations
du climat et des ressources (encadré 28 et partie 3, p. 233). Cette capacité d’adaptation
suffira-t-elle pour faire face au changement climatique à venir ? La réponse dépendra
aussi de l’intensité et de la rapidité de ce dernier.
126
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Encadré 28
Lac Tchad : les riverains s’adaptent à la baisse des eaux
La superficie du lac Tchad,
jadis l’un des plus grands
du monde, a été divisée par dix
depuis les années 1960.
Si le niveau du lac a de tout temps
fluctué, son assèchement progressif
est devenu emblématique du
changement climatique en cours.
L’assèchement du lac a eu
d’importantes modifications
sur les modes de vie
des 20 millions de riverains,
qui vivent essentiellement
de la pêche, de l’élevage
et des cultures.
© IRD/H. Kiari Fougou
Port de Doro Léléwa au Niger,
près du lac Tchad.
Situé au cœur de la bande sahélienne,
le lac Tchad constitue une ressource
en eau essentielle pour les pêcheurs,
éleveurs et cultivateurs des quatre pays
riverains : le Niger, le Nigeria, le Tchad
et le Cameroun.
Ce lac a connu d’importants changements
ces dernières décennies. Il y a 50 ans,
il était comparable à une mer intérieure
d’une superficie de 20 000 km2.
Les sécheresses répétées
des années 1970 et 1980 ont entraîné
son assèchement rapide jusqu’à réduire
sa superficie à environ 2 000 km2.
Grâce à leur pluri-activité,
les communautés rurales ont développé
de longue date un système bien adapté
aux fluctuations annuelles, interannuelles,
voire décennales du niveau du lac.
Les périodes de hautes eaux étaient
favorables à la pêche et à la régénération
des sols, tandis que celles de basses eaux
ont rendu possible le développement
des cultures de polders.
L’assèchement du lac a laissé place
à de nombreux hauts-fonds interdunaires
qui ont, au fil des années, été aménagés
en polders céréaliers.
La variabilité du niveau et de la surface
du lac Tchad est un phénomène
bien connu depuis les années 1960,
principalement grâce aux travaux
des hydrologues de l’IRD.
D’une profondeur très faible – de 2 m
en moyenne –, le lac fonctionne
comme une machine à évaporer,
avec des pertes en eau très élevées.
Une équipe franco-nigérienne associant
l’unité HydroSciences a étudié
les modifications des modes de vie
qui se sont opérées autour du lac Tchad
durant l’assèchement des dernières
décennies.
Les résultats montrent comment
les sociétés sahéliennes ont su
s’adapter à un changement
environnemental majeur, à travers
l’évolution des systèmes de production
dans la région de Bosso au Niger.
Au fur et à mesure que le lac a régressé,
les habitants ont investi les sols fertiles
et humides devenus accessibles pour
planter du maïs, du niébé, du riz,
du sorgho qui poussent sans irrigation
ni fertilisants, abandonnant peu à peu
la culture pluviale du mil sur les berges,
devenue particulièrement aléatoire.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
127
Chapitre 11
Zones d’altitude : la transformation
rapide des milieux andins
© IRD/P. Wagnon
Vue du Chimborazo
depuis le volcan Altar.
Équateur.
L
es régions tropicales d’altitude sont parmi celles où l’impact du changement climatique est le plus marqué. Le recul des glaciers tropicaux y est
spectaculaire, en particulier dans les Andes, cordillère qui concentre à
elle seule 99 % des glaciers tropicaux. La surface de ces glaciers a diminué
de 30 à 50 % en une trentaine d’années. Or, la fonte des glaces a de nombreuses
conséquences sur l’hydrologie des bassins versants, et donc sur l’approvisionnement en
eau et sur la dynamique des milieux d’altitude. Et les changements à venir s’annoncent
tout aussi importants, alors que les projections climatiques prévoient un réchauffement
exacerbé dans les écosystèmes tropicaux de haute montagne, qui pourrait s’élever à
+ 3 °C d’ici la fin du siècle.
Depuis une vingtaine d’années, l’IRD conduit des recherches sur les glaciers et les
milieux d’altitude dans les Andes. Glaciologues, climatologues, hydrologues, écologues,
agronomes, modélisateurs développent ainsi une approche transdisciplinaire afin de
mieux comprendre les mécanismes de la fonte des glaces, son rôle dans l’hydrologie
des bassins versants, la sensibilité de la biodiversité à ces changements, etc.
Les Andes constituent aussi un espace privilégié pour observer des tendances fines,
comme l’évolution de la biodiversité liée au changement climatique, car les écosystèmes
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
129
d’altitude restent encore relativement préservés, comparés à d’autres milieux (les zones
côtières, par exemple) où les nombreuses pressions anthropiques rendent les facteurs
climatiques plus difficiles à isoler.
Retrait glaciaire et ressources en eau
Les glaciers tropicaux sont très sensibles au réchauffement global. Depuis les
années 1970, tandis que les précipitations ont peu évolué, la température atmosphérique
moyenne dans les Andes tropicales a augmenté de 0,7 °C. Si, à cette altitude, la
température n’est pas directement responsable de la fonte, elle agit sur la nature des
précipitations, solides ou liquides, et donc sur le maintien du manteau neigeux. Ce
Encadré 29
© IRD/P. Blanchon
La variation annuelle de masse du glacier,
un bon indicateur du climat
Les données climatiques mesurées
directement par les stations
météorologiques sont très peu
nombreuses dans les régions
de haute montagne.
L’IRD travaille ainsi à renforcer
les observatoires du climat
dans les différents pays andins
(cf. partie 1, p. 43).
Le glacier Zongo
au sommet du Huayna Potosi
(Bolivie) a beaucoup reculé
lors des dernières décennies.
130
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Parmi les observations importantes,
un bon indicateur du climat est
la variation annuelle de masse du glacier,
qui représente le bilan des apports et
des pertes sur une année.
Les chutes de neige constituent
le principal apport de masse, alors que
les pertes sont surtout dues à la fusion
de la glace ou de la neige en surface.
La mesure du bilan annuel de masse
rend ainsi directement compte des
conditions météorologiques qui
régissent les processus d’accumulation
et d’ablation de la neige et de la glace
à leur surface.
Des chercheurs du LTHE ont mené
à bien pour la première fois plusieurs
campagnes de mesure de flux turbulent
sur le glacier du Zongo en Bolivie.
Ces recherches ont permis de mieux
caractériser la particularité des glaciers
tropicaux. En effet, sous les tropiques,
l’ablation a lieu toute l’année,
tandis que l’accumulation se fait lors
de la saison humide. Le changement
climatique observé depuis plusieurs
décennies tend à élever la limite
pluie/neige, ce qui induit plus d’ablation
et moins d’accumulation. Ces suivis
des bilans de masse permettent
une meilleure compréhension de
la relation climat/glacier. Ils alimentent
également les comparaisons des
processus de fonte et d’accumulation
entre des régions variées (latitudes
polaires, tempérées ou tropicales),
qui permettent de mettre en évidence
des différences marquées liées
au contexte climatique.
dernier contribue à réfléchir la plus grande partie de l’énergie solaire. Sans lui, la fonte
du glacier augmente de façon considérable. Or, cette situation où les glaciers sont
dénudés a eu tendance à devenir plus fréquente ces dernières décennies.
Les recherches menées par l’IRD et ses partenaires ont montré une accélération de
la fonte des glaciers andins au cours des quarante dernières années. Les glaciers de
Colombie, d’Équateur, du Pérou et de Bolivie ont vu leur surface réduite de 30 à 50 %
depuis la fin des années 1970. Les glaciers de petite taille (inférieure à 1 km2) situés à
moins de 5 400 m d’altitude sont les plus touchés, dans la mesure où leur zone d’accumulation (là où la neige se stocke puis se transforme en glace) est réduite. Si les hausses
de température prévues par les modèles climatiques d’ici la fin du siècle se confirment,
la plupart des glaciers de cette région des Andes, les grands comme les petits, pourraient
disparaître, comme l’a déjà fait en 2010 le glacier de Chacaltaya, au-dessus de la ville de
La Paz en Bolivie.
Les glaciers,
des réserves d’eau pour les périodes sèches
Le rôle des glaciers dans le fonctionnement hydrologique des bassins versants de
montagne est très variable selon les régions. Il est souvent minimal dans les zones
tempérées comme les Alpes, où le manteau neigeux hivernal et les précipitations sont
importantes. Cependant, dans les régions tropicales où la saisonnalité des précipitations
est marquée par une saison sèche de plusieurs mois et où aucun manteau neigeux ne
peut s’établir, les glaciers jouent un rôle significatif dans l’écoulement des rivières
situées à l’aval.
Les glaciers andins sont donc d’importants régulateurs des cycles d’eau saisonniers.
Ils jouent le rôle de réservoirs d’eau gelée qui fondent et s’écoulent pendant les périodes
de sécheresse et alimentent les cours d’eau en aval. La contribution des glaciers au
régime hydrologique peut atteindre 25 à 30 % pendant la saison sèche dans certains
bassins versants qui ont des taux d’englacement de l’ordre de 20 %. Dans les régions
arides, comme au Pérou ou en Bolivie, l’apport des glaciers à l’irrigation, à la génération
hydro-électrique et à l’alimentation en eau des populations locales peut être très significatif : ainsi 15 % de l’eau consommée à La Paz vient des glaciers, un chiffre qui monte
à 30 % en saison sèche.
Mieux comprendre l’impact du retrait glaciaire
sur la disponibilité en eau
Les scénarios du changement climatique prédisent pour les prochaines décennies un
réchauffement exacerbé des températures dans les écosystèmes tropicaux de haute
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
131
Pour mieux comprendre l’impact du retrait glaciaire sur l’hydrologie, les chercheurs
évaluent l’état de la ressource en eau en fonction du niveau de déglaciation. Des travaux
ont en particulier porté sur le rio Santo au Pérou, cours d’eau emblématique car il est
alimenté jusqu’à plus de 50 % par les glaciers, selon la saison.
© IRD/B. Francou
Recul du glacier Zongo
sur la montagne
Huayna Potosi (Bolivie).
L’accélération de la fonte
des glaces augmente
la quantité d’eau
disponible en aval.
Mais la tendance
s’inversera lorsque
les réservoirs glaciaires
auront diminué.
montagne. Si la tendance se poursuit, une accélération de la fonte et une augmentation
du ruissellement dans les sous-bassins d’altitude se produiront dans un premier temps,
augmentant d’autant la quantité d’eau disponible en aval. Mais ensuite, lorsque le
réservoir glaciaire aura diminué, les contributions de l’eau de fonte seront inférieures à
celles observées aujourd’hui. Les sécheresses pourraient ainsi être plus graves qu’à
l’heure actuelle, alors qu’il y aura moins d’eau disponible pour divers usages, comme
l’agriculture, la consommation d’eau potable ou de l’hydro-électricité.
132
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Encadré 30
Calculer la contribution des glaciers aux ressources en eau aval
Les glaciers stockent de l’eau à l’échelle
de plusieurs dizaines d’années et forment
ainsi des réservoirs qui influencent
directement les écoulements d’eau
en aval. Comprendre et quantifier
les apports d’eau de fonte dans
le contexte du changement climatique et
du retrait glaciaire sont ainsi primordiaux
pour suivre l’évolution des ressources
en eau actuelles et futures. Mais l’étude
du rôle des glaciers dans l’hydrologie
d’un bassin versant est complexe.
Il faut bien différencier la part d’eau
qui annuellement se stocke sous forme
de neige, puis est déstockée par fonte
sous forme d’eau liquide, de la proportion
d’eau provenant réellement du retrait
des glaciers et de sa variation de stock.
© IRD/O. Dangles
Ruisseau glaciaire
face au Cotopaxi
en Équateur.
Les mesures directes de débit
des cours d’eau permettent
de quantifier les variations
des apports glaciaires.
L’étude de ces phénomènes nécessite
de bien mesurer chaque mois
les précipitations et les taux
d’ablation/d’accumulation de neige
sur le glacier. Ces dernières mesures
glaciologiques consistent à relever
l’émergence de balises (piquets
implantés dans la glace) et à creuser
des puits dans la zone d’accumulation
pour calculer le bilan de masse.
Les mesures du bilan de masse couplées
aux mesures de précipitations permettent
de connaître le volume d’eau écoulé
à l’aval provenant de la fusion de neige
et de glace du glacier.
Coupler les méthodes de quantification
pour mieux évaluer
Trois autres méthodes permettent
également de quantifier les apports
glaciaires : des mesures directes
de débit dans les rivières, des mesures
avec des traceurs hydrochimiques
et des bilans hydrologiques réalisés
à l’aide de modélisations. Les mesures
hydrochimiques se basent sur l’analyse
des isotopes stables de l’eau et des ions
majeurs, car les différentes sources
d’écoulement ont des signatures
chimiques particulières et il est ainsi
possible de quantifier les apports
glaciaires. Les modélisations
hydrologiques consistent à simuler
les différents types d’écoulement en
utilisant des données géomorphologiques
caractéristiques du bassin versant et
du glacier et des données de forçages
météorologiques (température,
précipitations, radiations, vent, etc.).
L’idéal est de coupler plusieurs
de ces méthodes pour évaluer
la concordance des valeurs obtenues.
Dans le cadre du laboratoire mixte
international Great Ice, trois bassins
versants sont largement étudiés,
le bassin du Zongo en Bolivie, le massif
glaciaire de l’Antizana en Équateur
et le rio Santo alimenté en partie
par les glaciers de la Cordillère blanche
au Pérou. Concernant les taux
d’écoulements glaciaires, ils varient
dans le temps et dans l’espace.
Pour le rio Santo par exemple, les apports
glaciaires sont plus importants en saison
sèche (plus de 50 % des écoulements)
qu’en saison humide (environ 30 %).
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
133
La biodiversité d’altitude
face au changement climatique
Les régions tropicales de haute montagne représentent des îlots isolés, milieux où
la migration de nouvelles espèces est restreinte et la spéciation favorisée. La faible
température et la faible pression atmosphérique, le rayonnement solaire intense, les pluies
irrégulières, le vent desséchant, le gel, etc. sont autant de conditions extrêmes qui ont
poussé les organismes vivants à des adaptations singulières. Les torrents glaciaires
imposent également des conditions de vie difficiles à leurs habitants, du fait de leur faible
teneur en minéraux et des crues quotidiennes qui génèrent de fortes perturbations. Un
haut degré d’endémisme caractérise ainsi les Andes tropicales, avec des espèces uniques
au monde mais aussi, par conséquent, un risque d’extinction inexorable si le recul des
glaces se poursuit.
Premières extinctions
Les espèces aquatiques andines sont parmi les premières à enregistrer des extinctions
de populations à cause du réchauffement climatique. Les torrents d’altitude ayant été
largement transformés par la fonte accélérée des glaces depuis 40 ans, les chercheurs
se sont intéressés au rôle fondamental des apports d’eau de fonte pour la vie aquatique.
Ils ont constaté que le retrait des glaces a mis en péril une partie des invertébrés vivant
dans les rivières (encadré 31). Le rôle écologique de la plupart des espèces menacées
demeurant à ce jour méconnu, les conséquences pour les niveaux supérieurs de la chaîne
alimentaire – poissons, amphibiens, oiseaux et mammifères – restent difficiles à prévoir.
Migrations d’espèces
Une élévation de 3 ºC des températures moyennes dans les Andes tropicales pourrait
entraîner une migration des espèces végétales de près de 600 m vers l’amont. Une telle
transformation des écosystèmes d’altitude entraînerait une diminution significative de
l’habitat disponible pour de nombreuses espèces. Les espèces de montagne vivent en
effet dans des espaces contraints, « coincées » entre l’amont et l’aval. À l’amont, les
facteurs liés à la haute altitude, comme les fortes radiations UV ou le manque d’oxygène,
limitent la survie de certaines espèces. À l’aval, la compétition avec les autres espèces
généralistes – autrement dit, en mesure de prospérer dans un grand nombre de conditions
environnementales – qui colonisent des niches thermiques plus favorables pousse les
espèces de montagne à continuer à migrer en altitude. Ainsi, elles subissent des réductions
de leur aire de distribution plus fortes que celles observées dans d’autres endroits de la
planète. Isolées dans des aires réduites, les populations d’espèces d’altitude sont alors
particulièrement exposées aux processus d’extinction.
134
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Encadré 31
Le recul des glaciers
menace la biodiversité aquatique
La fonte des glaciers équatoriens
a entraîné l’extinction
de plusieurs espèces aquatiques.
S’ils venaient à dégeler
complètement, 10 à 40 %
de la biodiversité régionale
risqueraient de s’éteindre.
© IRD/O. Dangles
Analyse des ruisseaux
glaciaires dans la région
des Paramos en Équateur.
Des écologues de l’IRD
et leurs partenaires européens
et équatoriens ont étudié la biodiversité
des ruisseaux issus des eaux de fonte
dans les páramos andins.
Ces écosystèmes herbacés tout à fait
particuliers sont caractéristiques
des sommets andins, perchés à plus
de 3 500 m d’altitude entre la limite
de la forêt et les neiges « éternelles ».
Les espèces qui peuplent les cours
d’eau de ces milieux extrêmes,
principalement des insectes,
sont pour bon nombre endémiques.
Les chercheurs ont collecté
des échantillons dans une cinquantaine
de sites différents dans les páramos.
Ils y ont recensé des populations
de macro-invertébrés – principalement
des larves d’espèces appartenant
aux ordres des Éphémères,
des Trichoptères ou encore
des Diptères.
Grâce à plus d’un an de prélèvements
réguliers, les scientifiques ont identifié
dans le seul páramo du volcan Antisana,
plus de 150 espèces d’invertébrés.
De 10 à 40 % d’extinction
Des échantillonnages réalisés
à différentes distances des glaciers
ont révélé que, dans les Andes,
la richesse locale augmente à mesure
que l’on s’éloigne vers l’aval.
Par ailleurs, il apparaît que le peuplement
des différents ruisseaux à une même
altitude est très hétérogène.
À une centaine de mètres de distance,
les communautés rencontrées
dans deux torrents d’apparence similaire
peuvent être bien différentes selon
le glacier drainé.
En effet, les glaciers andins
ont des dynamiques diverses,
fondant plus ou moins vite en fonction
de leur taille et de leur exposition
au soleil, par exemple.
Ces prélèvements couplés aux données
de suivi des communautés aquatiques
ont montré que plusieurs espèces
commencent à disparaître dès que
la couverture glaciaire se réduit
à plus de la moitié de la surface
du bassin versant.
Et si les glaciers venaient à dégeler
complètement, selon la zone considérée,
ce sont de 11 à 38 % de la biodiversité
régionale qui risqueraient de s’éteindre.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
135
Encadré 32
Modéliser l’impact du changement climatique
sur un écosystème clé dans les hautes Andes tropicales
© IRD/O. Dangles
Échantillonnage d'eau
dans une zone humide
d'altitude (4 800 m).
Cordillère Royale, Bolivie.
136
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Le projet international Biothaw,
qui rassemble des partenaires
européens, dont l’IRD, et andins,
vise à comprendre et à modéliser
l’impact du changement climatique
sur un écosystème clé
des hautes Andes tropicales :
les bofedales.
Ces écosystèmes humides de haute
altitude (entre 4 000 et 5 000 m)
concentrent un niveau exceptionnel
de biodiversité.
En développant des sols organiques
sur plusieurs mètres de profondeur
– véritables « éponges » –,
ils ont une très grande capacité
de rétention en eau qui approvisionne
des millions d’êtres humains en aval,
même en période sèche.
En outre, leur productivité végétale
relativement élevée toute l’année
permet d’assurer l’élevage
de millions d’animaux domestiques,
en particulier lamas et alpagas.
L’approche multidisciplinaire du projet
Biothaw utilise le retrait glaciaire récent
comme indicateur de changement
climatique, avec l’hypothèse
sous-jacente que la réduction
de la quantité d’eau qui approvisionne
les bofedales va altérer leur biodiversité
et leur fonctionnement.
L’ensemble des données collectées
(glaciologie, télédétection, écologie,
agronomie, sociologie) seront compilées
dans un modèle multi-agents.
Les scénarios de changement
climatique prédisent un réchauffement
des températures exacerbé
ces prochaines décennies
dans les écosystèmes tropicaux
de haute montagne.
C’est donc à la fois une priorité
scientifique et sociétale
de caractériser la sensibilité
de ces écosystèmes face
aux changements climatiques
et de proposer des solutions
pour maintenir leur fonctionnement
optimal.
Espèces sentinelles
Outre le retrait glaciaire, d’autres facteurs climatiques affectent la biodiversité.
L’augmentation de la température et du rayonnement UV serait en partie responsable
de l’extinction des grenouilles du genre Atelopus, des amphibiens très sensibles aux
changements du milieu. Ce groupe de grenouilles andines, autrefois abondant, s’est
considérablement raréfié, voire a disparu de nombreuses régions depuis la fin des
années 1980. Si les causes semblent multiples, les chercheurs montrent le rôle des
conditions climatiques exceptionnelles et des niveaux élevés d’UV. Espèce sentinelle,
ces grenouilles sont également des indicateurs précoces du déclin d’autres espèces.
© IRD/O. Dangles
Grenouille arlequin
(Atelopus nov. sp. ?)
Parc national du Sangay
(2 200 m), Équateur.
Les versants à l'est
des Andes abritent
une grande diversité
d'amphibiens avec
de nombreuses espèces
endémiques des forêts
subtropicales.
Changement climatique et microclimats
Les vallées andines offrent une mosaïque de paysages hétérogènes, échelonnés sur
les pentes des montagnes, où règnent autant de microclimats différents. L’étude de ces
microclimats revêt une importance particulière dans la compréhension de la réponse
des espèces vivantes au changement climatique. Le comportement et la survie des
organismes dépendent en effet des conditions environnementales qui dominent à leur
échelle. Or, ces conditions climatiques locales ont souvent peu à voir avec les situations
climatiques régionales.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
137
Encadré 33
Des écarts de température du simple au double
entre la réalité locale et les extrapolations régionales
Une étude dans les Andes
équatoriennes a mesuré
la différence entre les températures
locales et les données fournies
par la base de données Worldclim.
Les résultats montrent que
les conditions microclimatiques
génèrent des surestimations
et des sous-estimations de l’ordre
de 80 % des températures
minimum et maximum
prédites par les modèles globaux.
Pour évaluer la capacité des systèmes
météorologiques à informer sur
les processus biologiques, l’unité EGCE
et ses partenaires sud-américains
se sont intéressés à la différence entre
les températures fournies par la base
de données Worldclim (extrapolation
sur une maille de 1 km2) et celles
réellement mesurées dans les paysages
agricoles des Andes équatoriennes.
des sous-estimations de l’ordre
de 80 % des températures minimum
et maximum prédites par les modèles
globaux.
Les écarts sont les plus notables
lorsque la température est mesurée
au niveau du feuillage des cultures
ou dans le sol, car ces habitats
jouent un rôle tampon qui atténue
les contrastes thermiques.
Les chercheurs ont d’abord montré
l’hétérogénéité des températures
dans les champs en fonction du relief,
mais aussi de l’endroit précis de la mesure
(sol, cultures ou air). Ils ont ensuite
comparé ces données avec la base
Worldclim. Les résultats montrent
que les conditions microclimatiques,
notamment celles engendrées
par la structure de la végétation,
génèrent des surestimations et
Les chercheurs ont ensuite examiné
les différences de prédiction
de croissance de ravageurs de cultures
à partir de Wordclim et de mesures
locales. Leurs résultats montrent
les limites de modèles qui s’appuient
sur des mailles trop grossières pour
prédire la dynamique des populations
d’insectes dans des régions où il existe
une très grande hétérogénéité
de microclimats.
Pour températures minimales
D AirL – AirWC
+ 14 °C
Chaud
Pour températures maximales
+1
-1
Froid
- 10 °C
2 800 m
Cultures
138
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
3 200 m
Forêts
Lieux de stockage
3 600 m
Routes
Figure 24.
Microclimats de paysages agricoles
dans les Andes équatoriennes.
Les couleurs indiquent la différence
entre la température de l'air mesurée
localement et celle prédite à l'échelle
globale par le logiciel Wordlclim.
Les couleurs bleues indiquent
que les température locales
sont plus froides que les températures
prédites ; et vice versa
pour les températures rouges.
Source : d’après FAYE et al., 2014.
Une question d’échelle
Pour connaître les effets du réchauffement régional sur les espèces, il est donc
urgent de savoir comment il affecte les conditions microclimatiques. Les chercheurs se
consacrent à ce problème d’échelle, entre maille grossière des modèles climatiques et
échelle fine des microclimats, en couplant les approches globales et locales. En améliorant les modèles de distribution des espèces à différentes échelles, les simulations climatiques permettront ensuite de mieux prédire les évolutions biologiques. Ces informations sont également importantes pour améliorer les prédictions agricoles, la croissance
des cultures étant directement liée aux températures locales.
Les impacts du réchauffement
sur les cultures de l’altiplano
© IRD/O. Dangles
Les agriculteurs des hauts-plateaux andins composent depuis toujours avec l’incertitude climatique. À près de 4 000 m d’altitude, le gel nocturne est une source de stress
majeure pour les plantes cultivées sur l’altiplano. Il gèle même en été et surtout en
plaine, où l’air froid s’accumule. Pour pallier ce risque climatique, les agriculteurs ont
développé au fil des siècles des techniques agricoles originales, ainsi que des dizaines
de variétés locales d’une grande diversité génétique.
Culture en terrasses
de la pomme de terre
dans les Andes au Pérou.
Cette agriculture
est pratiquée de 2 000 m
à 4 500 m avec une variété
de pomme de terre
spécifique pour chaque
palier d’altitude.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
139
Les risques climatiques se sont modifiés dans les Andes depuis quelques décennies,
à cause du changement climatique mais également suite au changement d’usage des
terres. C’est ce qu’illustre l’essor de la culture de quinoa au sud de l’altiplano bolivien.
Face au succès commercial de la graine, la production augmente d’année en année :
entre 1972 et 2005, la superficie cultivée dans cette région a triplé. Les agriculteurs
ont mis en culture les terres situées dans les plaines, faciles à mécaniser mais à priori
plus sujettes aux gelées nocturnes que les pentes. Jusqu’à présent, le réchauffement
climatique a plutôt favorisé l’extension des cultures, car il a réduit le risque de gel en
plaine et fait remonter de quelques centaines de mètres les zones climatiques propices
à la culture de quinoa.
Une agricultrice
participe à une séance
de formation à la lutte
contre les ravageurs
à Chaopcca, Pérou.
Mais la rapidité et la complexité des changements observés, qui dépendent à la fois
du climat et et del’usage des terres, pourraient affecter plus drastiquement les conditions
pédoclimatiques, avec des conséquences négatives pour les cultures. Des projections
croisant production agricole et scénarios climatiques montrent qu’après un effet favorable,
mais transitoire, de diminution du risque de gel, l’augmentation probable des épisodes
de sécheresse dans les décennies à venir réduira les rendements (encadré 34).
© IRD/O. Dangles
Interactions écologiques
et ravageurs de cultures
Les rendements agricoles vont également être
influencés par les effets du changement climatique
sur les interactions écologiques. Toutes les espèces
vivent en interaction avec d’autres espèces, que ce soit
les prédateurs avec leurs proies, les parasites avec
leurs hôtes ou les pollinisateurs avec les plantes qu’ils
visitent. Les effets du changement climatique sur des
espèces plus sensibles auront des conséquences en
cascade via ces interactions, en particulier le long des
chaînes trophiques. Selon certains biologistes, ces
impacts sur les interactions entre espèces pourraient
peser plus sur la biodiversité que les impacts directs
du climat.
Dans les Andes, les chercheurs ont examiné en
particulier comment les changements de température influencent les relations interspécifiques des
ravageurs de cultures, et quels sont les effets sur
les attaques subies par les plantes. Les études
140
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Encadré 34
Évaluer la production de quinoa
en fonction des scénarios climatiques
Sur l’altiplano aride au sud
de la Bolivie, la production de quinoa
dépend largement de l’humidité du sol
et du risque de gel. Des chercheurs
de l’IRD et leurs partenaires boliviens
ont modélisé l’évolution de
cette production à l’horizon 2050
et 2100, en fonction des scénarios
climatiques couramment admis.
Pour appréhender l’impact local
du changement climatique,
les chercheurs ont distingué différents
types de paysages tout en travaillant
à l’échelle d’une région entière,
le pourtour du salar d’Uyuni
(désert de sel).
Autrefois partagée entre agriculture
et élevage, cette zone semi-désertique,
où le gel sévit plus de 250 jours par an,
est devenue la première région
exportatrice de quinoa au monde.
Les simulations montrent qu’après
le pic de production actuel, résultat
de la diminution du risque de gel
et de la conversion des pâturages
en cultures, la production à venir
pourrait décliner sensiblement sous
l’effet conjugué de l’augmentation
des épisodes de sécheresse,
de la saturation de l’espace agricole
et de la perte de productivité des sols.
© IRD/A. Vassas Toral
Cette modélisation met en jeu
le climat et l’usage des terres,
deux composantes majeures
du changement global, trop souvent
dissociées dans les travaux
de recherche. Pour les acteurs locaux,
cet exercice prospectif éclaire le débat
sur la durabilité de leurs choix
de développement dans un contexte
climatique et socio-économique
changeant.
Semis de quinoa sur le flanc
du volcan Tunupa en Bolivie.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
141
montrent qu’il n’y a pas d’effet linéaire entre la température et les attaques des insectes
et autres nuisibles, à cause de la complexité de leurs interactions et des optimums
thermiques différents selon les espèces. Ainsi, en fonction des conditions de température
auxquelles ils sont soumis, des ravageurs peuvent soit entrer en compétition, soit au
contraire entretenir des interactions positives entre eux (par exemple de facilitation). Les
chercheurs tentent donc d’affiner les modèles de prévision en intégrant la complexité
des interactions biologiques.
Encadré 35
Kenya : autre région d’altitude où le réchauffement
aggravera les dégâts des ravageurs des cultures
Principale ressource alimentaire
de l’Afrique de l’Est, le maïs occupe
près de 80 % des surfaces cultivées de
cette région, notamment sur les pentes
montagneuses du mont Kilimandjaro
et des monts Taita.
Les rendements faibles,
de l’ordre de 1 à 3 t/ha, sont attribués
aux mauvaises conditions climatiques
et aux insectes.
Or, ces contraintes devraient s’accentuer
avec le changement climatique.
* Biodiversité et évolution
des complexes plantesinsectes ravageurs-antagonistes.
142
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Les études menées depuis 2010
par l’unité de recherche 72* dans
ces régions montagneuses du Kenya
permettent de mieux comprendre
l’influence de la température
et de l’altitude sur la distribution
des deux principaux ravageurs du maïs
(le crambide exotique Chilo partellus
et la noctuelle indigène Busseola fusca).
Les chercheurs se sont également
intéressés à la répartition des ennemis
naturels des ravageurs (les parasitoïdes
larvaires) pour prendre en compte
les interactions entre espèces.
Leur étude confirme que la température
est un facteur clé de ces interactions
permettant d’expliquer, en partie,
la prédominance de C. partellus
aux basses altitudes et celle de B. fusca
aux altitudes élevées.
Migration plus rapide du crambide
que de son parasite
À partir de modèles phénologiques
sur la présence et l’activité des ravageurs
et de leurs parasitoïdes en fonction
du climat, ils ont généré des cartes
de risque basées sur les données
météorologiques des stations locales
et des scénarios climatiques du Giec.
Leurs prévisions suggèrent
que l’augmentation de l’activité
des ravageurs liée au réchauffement
de la température devrait se traduire
par une augmentation significative
des pertes de récolte en maïs
dans toutes les zones agro-écologiques
étudiées, comprise entre 5 et 20 % selon
les altitudes et l’espèce de ravageur.
L’altitude est par ailleurs un facteur
d’impact aggravant, lié à l’extension
au-dessus de 1 200 m de l’aire
de distribution du crambide
et au déplacement moins rapide
de son ennemi naturel, ce qui devrait
se traduire par un contrôle biologique
moins efficace de ce ravageur
aux altitudes supérieures à 1 200 m.
Augmentation de la silice dans le maïs
avec la température
Le maïs utilisant l’accumulation de silice
dans ses tissus pour se défendre contre
certains ravageurs, dont la noctuelle,
les chercheurs ont également voulu
comprendre comment l’augmentation
de la température était susceptible
de modifier les teneurs en silice
dans la plante. Leurs résultats montrent
que les concentrations en silice du sol
et du maïs diminuent avec l’altitude et
que l’assimilation de la silice par le maïs
augmente avec la température.
Ces résultats confirment les optimums
thermiques des deux espèces, expliquant
la prédominance actuelle de la noctuelle
aux altitudes élevées.
Le réchauffement devrait à l’avenir
accroître l’assimilation en silice
des plantes et, par conséquent,
favoriser le déplacement du crambide
vers des altitudes plus élevées.
Maïs infestés par des noctuelles
(Busseola fusca) au Kenya.
© IRD/P.-O. Calatayud
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
143
Chapitre 12
Forêts tropicales et grands fleuves :
des milieux sous influence
© IRD/L. Emperaire
L
es forêts tropicales humides représentent presque un tiers des massifs
forestiers du monde. Plus que d’autres milieux, elles sont devenues indissociables de la question climatique. En effet, leur rôle dans la séquestration du
dioxyde de carbone est au centre des politiques du climat, alors que la
déforestation au cours des dernières décennies a été reconnue comme responsable
d’un cinquième des émissions de gaz à effet de serre.
Rives du rio Negro
en Amazonie,
dans la région de Norte
(Brésil).
Tout comme ces forêts, les grands fleuves qui les traversent sont emblématiques
du climat tropical humide. Les grands bassins fluviaux de l’Amazone ou du Congo,
les plus grands de la planète, sont directement impactés par les phénomènes climatiques comme El Niño, les moussons, les sécheresses, les ouragans. Des crues ou des
étiages plus nombreux et plus sévères ont pu être observés ces dernières années.
Ces bouleversements perturbent les écosystèmes et les populations riveraines, ainsi
que l’approvisionnement en eau des villes.
Un régulateur du climat menacé
Les forêts tropicales humides jouent un rôle important dans la régulation du climat :
absorption de la radiation solaire, refroidissement par évapotranspiration, sources de
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
145
© IRD/G. Michon
Région du Karnataka
(Inde).
Les grandes forêts
tropicales, qui jouent
un rôle important
dans la séquestration
du carbone, représentent
près d’un tiers des massifs
forestiers mondiaux.
vapeur d’eau pour la formation de nuages. Le rôle de l’Amazonie sur les pluies du
sous-continent sud-américain est par exemple bien documenté. D’après les estimations
des scientifiques, environ la moitié des pluies du bassin amazonien viendrait de l’évapotranspiration de la forêt. L’Amazonie pompe et rejette dans l’atmosphère environ
20 milliards de tonnes d’eau par jour.
Puits de carbone
Les forêts tropicales jouent également un rôle indirect dans la machine climatique
terrestre, à travers le cycle du carbone. Elles stockent en effet un quart du carbone organique de la biosphère. Le mécanisme de puits de carbone, lié à la différence positive
entre le carbone absorbé par la photosynthèse et celui émis par la respiration, leur permet
de fixer une partie du CO2 présent dans l’atmosphère (encadré 36). Les forêts tropicales
peuvent ainsi être considérées comme des infrastructures naturelles de lutte contre l’effet
de serre.
Mais le changement climatique pourrait modifier le fonctionnement de ce « poumon
vert ». On sait en effet déjà que le réchauffement climatique perturbera le cycle du
carbone. Certaines études estiment qu’une augmentation de quelques dixièmes de
degrés pourrait annuler le puits biosphérique actuel, à cause d’une augmentation de
la respiration du sol. Mais la sensibilité des stocks de carbone organique et de la respiration au réchauffement fait encore l’objet d’un vif débat. Les scientifiques travaillent
ainsi à mieux comprendre les impacts du changement climatique sur la biomasse
forestière et sur cette fonction de puits de carbone.
146
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Encadré 36
La séquestration du carbone dans la biomasse et le sol
Figure 25.
Échanges de carbone entre
les écosystèmes et l’atmosphère.
a/ Séquestration de carbone
dans les sols, résultat de l’échange
gazeux entre la photosynthèse
et la respiration des plantes
et des organismes et microorganismes du sol.
b/ Flux de carbone des sols
vers l’atmosphère suite à
la déforestation.
c/ Émissions anthropiques de CO2
non agricoles ou forestières.
d/ Puits océanique.
Sources : BERNOUX et CHEVALLIER, 2013
et www.globalcarbonproject.org
La différence entre la quantité de
carbone absorbée par la photosynthèse
de la végétation terrestre et celle émise
par sa respiration est légèrement positive.
En effet, la végétation puise annuellement
dans l’atmosphère environ 120 Gt
de carbone via la photosynthèse,
soit environ 1 atome de carbone
atmosphérique sur 7.
Dans le même temps, les plantes
respirent et émettent du CO2, rendant
à l’atmosphère environ la moitié
de ce qu’elles y ont puisé.
L’autre moitié retourne très largement
dans l’atmosphère par la respiration
Photosynthèse Respiration
~ 120
~ 120
du sol (respiration racinaire,
des micro-organismes et de la faune
du sol). La quantité de carbone
absorbée par photosynthèse étant
légèrement supérieure à celle émise
par la respiration des plantes et du sol,
une partie du carbone atmosphérique
puisé par les plantes est stockée dans
les biomasses et le sol sous la forme
de matière organique :
c’est la séquestration du carbone.
Par ce processus, les écosystèmes
terrestres constituent un puits freinant
l’augmentation de la concentration
en CO2 de l’atmosphère.
Valeurs en milliards de tonnes de C
+ 4,3 ± 0,1
a
0,8 ± 0,5
8,6 ± 0,4
b
c
2,6 ± 0,8
d
2,6 ± 0,5
Sols
Valeurs moyennes pour la période 2003-2012
Déforestation
Un consensus scientifique existe concernant les impacts de la déforestation sur le
climat. Selon le 5e rapport du Giec, la déforestation de plusieurs millions d’hectares des
forêts tropicales en Amazonie et en Asie insulaire constituerait, depuis les années 1980,
la plus grosse part des émissions de gaz à effet de serre liées au changement d’usage
des sols. Outre libérer le carbone stocké dans les arbres et dans les sols forestiers, la
disparition des forêts annule aussi leur fonction de puits de carbone. En effet, les modes
d’occupation du sol qui remplacent les forêts ont un potentiel de stockage durable
généralement très faible. Les forêts dégradées stockent par ailleurs moins de carbone.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
147
Avec l’augmentation de la température et des sécheresses, la recrudescence des
feux dans les forêts dégradées pourrait aussi avoir des conséquences importantes sur
les massifs forestiers et donc sur le climat. Sur le pourtour sud et est de l’Amazonie, très
déboisé, la propagation des feux a fragilisé davantage encore la forêt naturelle.
Parc national
Bukit Barisan Selatan
à Sumatra
(Indonésie).
Le parc a subi
une déforestation
d'environ 20 %
de sa superficie
au profit essentiellement
des plantations de café.
148
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
© IRD/H. de Foresta
Malgré un ralentissement – relativement récent –, la déforestation a probablement
de beaux jours devant elle. Elle est en effet un moteur du modèle économique de pays
émergents, comme le Brésil ou l’Indonésie, qui comptent de plus en plus sur l’exportation
des matières primaires pour financer leurs politiques. Les massifs forestiers sont en effet
une réserve foncière pour l’expansion des cultures (soja, maïs, palmier à huile et canne
à sucre) et de l’élevage bovin. Les pressions sur ces espaces vont croître au rythme de la
demande mondiale pour ces denrées. Dans un tel contexte, les politiques de sécurisation
foncière sont nécessaires, mais souvent fragiles. La lutte contre la déforestation porte
cependant ses fruits dans certains pays, comme au Brésil, grâce aux politiques nationales
de protection de la nature (50 % de l’Amazonie brésilienne est classée en aires protégées)
et de surveillance des territoires par la télédétection. Les mécanismes du « marché
carbone » sont aussi amenés à jouer un rôle dans la lutte contre la déforestation, bien
qu’ils tardent à monter en puissance et que leur efficacité soit mise en doute par une
partie de la communauté scientifique (cf. partie 3, p. 180).
© IRD/P. Ploton
Évaluer la séquestration
du carbone
dans les forêts tropicales
Face aux objectifs internationaux de maîtrise des
émissions de gaz à effet de serre, un mécanisme
d’incitation à conserver les stocks de carbone des
forêts tropicales a été mis en place à partir de 2009.
Nommé Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts
tropicales (Redd+), ce mécanisme doit permettre d’éviter la déforestation et la dégradation
des forêts dans les pays tropicaux. La mesure du carbone forestier, les liens entre les
efforts de déforestation évitée et leurs incidences sur le stock de carbone, ainsi que le
suivi des engagements de réduction des émissions représentent un défi scientifique et
méthodologique, spécialement quand il s’agit de quantifier les dégradations forestières
autres que la déforestation. Aussi, les institutions de recherche ont été interpellées pour
fournir des méthodes et synthétiser les données de recensement des stocks de carbone
dans ces forêts.
Mesures de la biomasse.
Les stocks de carbone sont constitués principalement par la biomasse aérienne des
arbres (troncs et branches), mais aussi par les débris végétaux en sous-bois, la matière
organique des sols et les racines des arbres. L’estimation sur le terrain de la biomasse
des arbres repose sur des mesures simples pouvant être réalisées lors des inventaires
forestiers, comme le diamètre du tronc par exemple. Elle peut aussi utiliser l’imagerie 3D.
Mais, compte tenu des contraintes liées aux territoires forestiers, qui sont vastes et
souvent difficilement accessibles, le développement spatial des inventaires forestiers est
limité dans l’espace. Les recensements de biomasse, très coûteux, ne sont par ailleurs pas
assez réguliers pour garantir la bonne mesure de l’évolution des stocks. Ces mesures in
situ doivent donc nécessairement être couplées à des techniques de télédétection
aérienne et satellitaire. Les relevés de terrain sont alors utilisés pour échantillonner les
différents types de forêts d’un territoire et pour calibrer les prédictions de la biomasse
des arbres et des peuplements à partir de la télédétection.
Les nombreux outils de la télédétection
L’estimation des biomasses forestières par télédétection constitue un domaine de
recherche en plein développement. Contrairement au suivi de la déforestation, qui est
techniquement relativement bien maîtrisé, le suivi de la dégradation des forêts, et plus
généralement des variations de biomasse forestière dans l’espace et dans le temps, est
rendu difficile par le fait que la plupart des signaux saturent à des niveaux intermédiaires
de biomasse. Ces dernières années, la diversification des capteurs et des sources de
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
149
Encadré 37
Quelle quantité de carbone stockée
dans les sols déforestés d’Amazonie ?
Avec les océans et les forêts,
les sols constituent l’un des principaux
réservoirs de carbone de la planète.
Au cours du XXe siècle, ce stock
a considérablement diminué du fait
de la déforestation et de l’agriculture
intensive.
Des chercheurs de l’IRD
et leurs partenaires brésiliens se sont
en particulier intéressés à l’évolution
des quantités de carbone dans les sols,
suite à la déforestation en Amazonie.
En effet, les sols mis à nu, puis cultivés,
libèrent vers l’atmosphère sous forme
de CO2 le carbone qu’ils stockaient
jusque-là sous forme de matière
organique.
© IRD/P. Léna
Pâturages remplaçant
la forêt amazonienne
au Brésil.
La déforestation intense
à des fins agricoles contribue
à réduire les réserves
de carbone stockées
dans les forêts tropicales.
Cette réponse du sol après
déforestation est très hétérogène.
Pour mieux la comprendre,
les chercheurs ont analysé une large
quantité de données sur l’évolution
des stocks de carbone du sol
dans la région.
Ils ont passé au crible les résultats
d’une vingtaine d’études menées
depuis 1976 sur des pâturages
de bovins ou sur des champs de soja
ou maïs qui ont remplacé la forêt.
Ils ont alors comparé les quantités
de carbone organique mesurées
dans ces sols déforestés avec celles
de la forêt initiale.
Le carbone du sol
chute sous cultures,
mais pas sous pâturages
Sans surprise, l’équipe de recherche
franco-brésilienne montre
150
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
que la substitution de la forêt
par de grandes cultures annuelles
comme le maïs et le soja entraîne
une baisse des stocks de carbone
dans le sol, de 8,5 % en moyenne.
Ce phénomène s’explique
par les faibles quantités de matière
organique restituées aux sols
sans couvert forestier, ainsi
qu’aux pratiques culturales,
qui favorisent les pertes de carbone.
En revanche, dans les pâturages,
la quantité de carbone organique
dans le sol a légèrement augmenté
depuis la disparition de la forêt,
de 11 % en moyenne dans les prairies
qui ne sont pas surexploitées.
En effet, l’importante activité racinaire
des graminées améliore le stockage
du carbone dans les sols.
Cependant, les chercheurs s’attendaient
à des valeurs bien plus importantes
dans les pâturages, supposés offrir
un grand potentiel de séquestration
du carbone.
De plus, l’augmentation des quantités
de carbone provenant des graminées
dans les pâturages atteint un seuil
au bout d’une vingtaine d’années.
Elle ne compense donc en aucun cas
les émissions de gaz à effet de serre
globales de la déforestation.
Enfin, cette synthèse révèle que,
contrairement à ce que l’on observe
ailleurs dans le monde, la quantité
de précipitations n’a pas d’influence
sur la plus ou moins grande capacité
de stockage du carbone par le sol
en Amazonie.
© IRD/Amap
Aspect de la canopée
sur une image GeoEye
« fausses couleurs » à très haute
résolution spatiale (THRS).
La texture du grain des images
satellites des canopées est
un bon indicateur de la biomasse
des forêts.
données de télédétection ont cependant amélioré les mesures de biomasse.
L’altimétrie laser (Lidar), en mesurant les hauteurs des canopées, permet d’estimer la
biomasse sur pied de façon efficace. Mais elle reste dépendante du support aéroporté,
qui est coûteux et soumis aux autorisations de survol. Le futur satellite radar de
l’agence spatiale européenne, dédié à l’estimation de la biomasse, devrait donner des
résultats d’ici quelques années.
Enfin, la disponibilité croissante des images satellites optiques à très haute résolution
spatiale (pixels de 1 m ou moins) offre aussi des solutions pour prédire la biomasse des
forêts. L’IRD et ses partenaires ont développé une méthode (Foto) qui utilise ainsi la
texture du grain des images satellites des canopées, reflétant la taille des couronnes et
donc celle des arbres dominants, qui représentent souvent près des trois quarts de la
biomasse d’une forêt. L’approche a pu être validée par des études de cas portant sur
des forêts très variées, en Afrique centrale, Guyane française, Inde, Nouvelle-Calédonie.
D’autres recherches ont montré comment appliquer ces méthodes à des images
hétérogènes en termes de conditions d’éclairement et d’angle de visée du capteur.
Les recherches conduites durant la dernière décennie rendent aujourd’hui envisageable
de décliner différentes approches de télédétection complémentaires entre elles et en
liaison avec les inventaires de terrain.
Une influence du climat
sur les forêts tropicales humides
depuis des millénaires
Selon le 5e rapport du Giec, les forêts tropicales pourraient être plus sensibles aux
variations climatiques que les forêts tempérées, car elles ont évolué dans une fourchette
de températures plus restreinte que sous les hautes latitudes. Pour mieux comprendre
le rôle du climat sur les dynamiques forestières, l’étude du passé est nécessaire. Depuis
une vingtaine d’années, plusieurs équipes internationales et interdisciplinaires étudient
dans les bassins de l’Amazonie et du Congo les évolutions de la forêt tropicale au cours
des derniers millénaires et le rôle qu’a joué le climat.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
151
Encadré 38
Le bilan carbone de l’Amazone serait neutre
Le bilan carbone
du système fluvial
en Amazonie centrale
est proche de l’équilibre :
ses eaux rejettent vers l’atmosphère
la même quantité de carbone
que celle fixée par la végétation
de ses zones humides.
Considéré jusqu’à présent
comme une source d’émissions
de gaz à effet de serre,
le fleuve Amazone révèle en fait
un bilan carbone équilibré.
En effet, une étude de 2013
des laboratoires GET et Epoc,
dans le cadre de l’observatoire Hybam,
montre que le CO2 dégazé par le fleuve
est uniquement puisé au sein
du système fluvial lui-même.
© IRD/J.-M. Martinez
Jusqu’à présent, les scientifiques
pensaient que les fleuves étaient
alimentés en carbone par les arbres
et autres plantes terrestres via les sols
du bassin versant. Ce carbone était alors
transformé en CO2 et réémis
par dégazage vers l’atmosphère.
Les cours d’eau, et en particulier
Le fleuve Amazone
émet 200 000 t de carbone
chaque année.
152
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
le géant Amazone, étaient ainsi
considérés comme des sources nettes
d’émissions, rejetant plus de CO2
qu’ils n’en absorbaient.
Or, les chercheurs viennent de démontrer
que les 200 000 tonnes de carbone
dégazé en une année par les eaux
de l’Amazone proviennent
principalement de la respiration
et de la décomposition de la matière
organique produite par la végétation
semi-aquatique des zones humides
amazoniennes. Le fleuve agit ainsi,
à l’inverse de ce que l’on pensait,
comme une « pompe à CO2 ».
Cette étude met aussi en lumière
la nécessité de considérer les propriétés
spécifiques des zones humides dans
les bilans globaux de carbone.
© IRD/R. Oslisly
Les travaux portant sur les cinq derniers millénaires en Afrique centrale démentent
la vision de la forêt tropicale humide immuable. Les forêts se sont fragmentées il y a
2 500-2 000 ans au profit des savanes. Cette régression de la forêt serait liée au déclin
de la mousson africaine il y a 3 500 ans. Après cette période de sécheresse, la forêt
a progressivement regagné du terrain. Puis, durant le Petit Âge glaciaire (du XIVe au
XIXe siècle), l’analyse des pollens révèle à nouveau la présence d’herbacées et autres
plantes caractéristiques des forêts dégradées ou des savanes. Les études archéologiques
montrent que les évolutions techniques et culturelles se sont déroulées en parallèle avec
ces changements régionaux environnementaux, sans que l’influence de l’homme ne
semble alors déterminante dans les transformations du milieu, même si elle a très
probablement renforcé certaines dynamiques, notamment au travers des feux. Ces travaux
montrent que dans le massif forestier africain, en moyenne plus sec que l’Amazonie, la
forêt bascule plus rapidement vers des paysages de savanes, à cause des feux en particulier. Mais le maintien de zones refuges pour les espèces forestières, dans certaines
montagnes ou près des rivières, permet des épisodes de reconquêtes, comme celui qui
s’est déroulé au cours des derniers siècles.
Mosaïque
de forêt et savane,
parc national de la Lopé,
Gabon.
Le climat est aussi un des moteurs de la biodiversité. La diversité spécifique amazonienne, une des plus élevées de toutes les surfaces émergées, est la conséquence d’une
évolution dans un milieu qui n’a pas connu les extinctions massives d’espèces, causées par
les intrusions glaciaires sous les latitudes septentrionales, et qui a été relativement protégé
des extensions concomitantes des climats tropicaux secs. Mais une étude récente
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
153
d’une équipe de l’IRD et de ses partenaires sud-américains montre que la faune et la flore
exceptionnelles du bassin amazonien seraient aussi le fruit d’une longue histoire géologique et climatique. La tectonique active des Andes et la variabilité des précipitations
seraient le moteur du développement des hot spots de biodiversité sur les piémonts
andins. La mobilité du relief (tectonique, érosion, changement du cours des rivières)
créerait un régime d’instabilité favorable à une diversification spécifique importante.
L’hydrologie des grands fleuves :
des crues et des étiages plus sévères
L’augmentation des événements extrêmes (sécheresses, pluies diluviennes) observée
dans la zone intertropicale s’est traduite pour les grands fleuves tropicaux par des crues
ou des étiages plus fréquents et plus intenses. De nombreuses recherches ont porté sur
l’Amazonie, le plus grand bassin versant du monde qui s’étend sur quelque 6 millions de
kilomètres carrés. L’observatoire de recherche en environnement Hybam permet depuis
2003 d’obtenir des mesures précises et régulières du débit et du niveau d’eau, grâce à
un vaste réseau de stations hydrologiques et à l’altimétrie satellitaire (encadré 39).
La hauteur des fleuves de l’Amazonie
peut varier de 20 m
Au cours de ces quinze dernières années, des épisodes exceptionnels de basses eaux
(2005, 2010) et de crues (1999, 2009, 2012 et 2014) se sont succédé. Alors que le débit
moyen du fleuve varie peu, ces événements sont le principal marqueur du changement
du régime hydrologique observé sur l’Amazone et ses affluents. Liés aux influences
océaniques, crues et étiages extrêmes sont éventuellement amplifiés par des facteurs
locaux. La déforestation, par exemple, réduit l’humidité disponible en période de
sécheresse et augmente le ruissellement en période de pluie.
Ces événements extrêmes ont des impacts locaux majeurs. La hauteur des fleuves de
l’Amazonie centrale peut ainsi varier de plus de 20 m entre les périodes de basses et de
hautes eaux, et la largeur de l’Amazone peut atteindre 10 km lors des inondations les
plus sévères. Au Brésil, les inondations et les basses eaux perturbent les transports le
long des cours d’eaux, uniques voies de communication pour la plus grande partie des
habitants de l’Amazonie. Lors de ces épisodes, les populations riveraines des fleuves se
voient aussi privées de leurs ressources habituelles, en particulier la pêche et l’agriculture. Les inondations peuvent également avoir des conséquences mortelles. En 2014, la
Bolivie compte 56 morts et 58 000 familles touchées par la crue catastrophique du rio
Madeira, l’un des principaux affluents de l’Amazone.
154
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Encadré 39
Le suivi de la crue exceptionnelle de 2014
dans le bassin de l’Amazone
Grâce à l’altimétrie spatiale
et aux mesures de terrain,
les équipes de l’observatoire
Hybam ont suivi la genèse
et l’évolution de la crue
exceptionnelle du rio Madeira,
depuis le Pérou jusqu’au Brésil.
Les outils d’hydrologie spatiale
développés par l’IRD
sont mis à disposition des services
techniques nationaux
sud-américains.
Coopération avec les agences nationales
et les universités des trois pays
Grâce au réseau de stations
hydrométriques des services nationaux
de météorologie et d’hydrologie
du Pérou et de Bolivie, et avec
le soutien de l’agence de l’eau du Brésil,
les équipes de l’observatoire Hybam
ont suivi la genèse et l’évolution
de cette crue exceptionnelle.
Les stations de terrain ont permis
de mesurer le débit du rio Madeira
et de ses affluents. Les niveaux d’eau
des fleuves ont également été estimés
grâce à l’altimétrie spatiale.
Les inondations ayant emporté
de nombreux postes de mesures
en Bolivie, cette méthode qui utilise
les données satellitaires a permis
d’assurer le suivi du niveau d’eau
dans ce contexte extrême.
© Inegracao Nacional/A. Marques
Partagé entre le Pérou, la Bolivie
et le Brésil, le bassin du rio Madeira
s’étend sur une surface équivalente
à deux fois la superficie de la France.
En 2014, il connaît une crue
exceptionnelle, causée par de fortes
pluies tombées dans le bassin
depuis le début de l’année.
À Porto Velho, au Brésil,
le niveau du fleuve a dépassé
de 2 m la précédente cote historique
enregistrée depuis le début
des mesures en 1967.
À Rurrenabaque, dans le piémont andin
bolivien, le cumul des pluies en 17 jours
(1 100 mm) a été quatre fois supérieur
au cumul habituel à cette période.
Le gouvernement bolivien
a considéré ces inondations
comme les plus catastrophiques
connues depuis 30 ans.
Dégâts liés à la crue
du rio Madeira en 2014
au Brésil.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
155
Encadré 40
L’eau souterraine
cartographiée depuis l’espace
Des chercheurs des unités Legos,
Espace-DEV et GET et leurs partenaires
français et brésiliens ont mis au point
une nouvelle méthode de mesure
du niveau phréatique par satellite.
Ils ont ainsi dressé les premières cartes
de la nappe présente sous l’Amazone
et le rio Negro.
0° 2003
1° S
2° S
3° S
4° S
5° S
2006
0° 2004
1° S
2° S
3° S
4° S
5° S
2007
0° 2005
1° S
2° S
3° S
4° S
5° S
2008
70° O
Ces cartes montrent la hauteur
de l’aquifère lors des périodes
de basses eaux de 2003 à 2008.
Elles traduisent la réponse de la nappe,
notamment aux sécheresses,
comme celle survenue en 2005,
et permettent de mieux caractériser
son rôle sur le climat et l’écosystème
amazonien.
5m
0m
-5m
66° O
62° O
58° O
54° O
70° O
66° O
62° O
58° O
54° O
Figure 26.
Suivi de la situation de la nappe alluviale amazonienne de 2003 à 2008.
Losanges noirs = stations virtuelles altimétriques.
Gamme de couleur = hauteur du toit de la nappe par rapport à une situation moyenne.
Après la sécheresse extrême de 2005, la nappe n'a retrouvé son niveau moyen
que deux ans plus tard, malgré une pluviosité redevenue normale dès 2006.
Source : PFEFFER et al., 2014.
156
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Encadré 41
L’impact minoré du changement climatique
sur l’extinction des poissons d’eau douce
Des chercheurs de l’unité Boréa
et leurs partenaires ont montré
en 2013 que les extinctions actuelles
des poissons d’eau douce dues
aux pressions anthropiques seraient
bien supérieures à celles générées
par le changement climatique.
© IRD/M. Jégu
Nannostomus trifasciatus
Steindachner, 1876.
Les milieux aquatiques boliviens,
depuis les hauteurs andines
aux plaines amazoniennes,
abritent 900 espèces de poissons,
soit 6 % des espèces d’eau douce
décrites.
Les modèles utilisés jusqu’à présent
par les ichtyologues prévoyaient que
la réduction de l’habitat de certaines
espèces provoquée par le changement
climatique serait l’une des causes
majeures de leur extinction.
Mais ces modèles négligent le facteur
temps, alors que plusieurs décennies,
voire plusieurs millénaires, peuvent
s’écouler avant l’extinction d’une espèce.
En intégrant cette dimension temporelle
dans leur étude, les chercheurs
de l’unité Boréa ont montré que les effets
du changement climatique n’augmenteront
que très marginalement les taux
d’extinction naturelle chez les poissons
d’eau douce, excepté dans les régions
semi-arides et méditerranéennes.
Les taux d’extinction provoqués
par les activités humaines au cours
des deux derniers siècles sont quant
à eux beaucoup plus préoccupants :
en moyenne 150 fois plus importants
que les taux d’extinction naturelle
et 130 fois plus importants que les taux
d’extinction prédits en fonction
du changement climatique.
Cependant, le stress lié à la température
et la limitation de l’oxygène pourraient
produire des changements progressifs
dans la structure et la composition
des communautés actuelles de poissons.
En Amazonie par exemple,
les populations d’espèces tolérantes
à l’augmentation de température,
comme le paiche, augmenteront,
tandis que les populations d’espèces
sensibles à cette augmentation
diminueront.
Ces grands fleuves sont aussi une source importante d’énergie dans les régions qu’ils
traversent. L’Amazonie continue à être perçue comme un lieu privilégié pour l’expansion
de méga-barrages hydro-électriques (Tucurui, Belo Monte, Santo Antônio, Girau), destinés
à l’approvisionnement en énergie des grandes industries régionales ainsi que des villes.
Les fortes fluctuations climatiques actuelles (sécheresses, inondations) font craindre que
la capacité des barrages ait été surestimée.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
157
Une navigation très perturbée
sur l’Oubangui
Deuxième fleuve de la planète après l’Amazone, le Congo a aussi connu une importante instabilité de son débit. Au début des années 1980, le fleuve a enregistré une
baisse significative de régime de l’ordre de 10 %, puis un retour à la normale à partir
de 1990. Cependant, les affluents rive droite du Congo, l’Oubangui et le Sangha, enregistrent eux une baisse continue des écoulements depuis les années 1970. Or, le fleuve
Congo et l’Oubangui sont les principales voies d’accès pour le commerce entre
Kinshasa/Brazzaville et Bangui en Centrafrique. Les durées d’interruption de la navigation
sur l’Oubangui ont considérablement augmenté ces dernières décennies, jusqu’à
200 jours par an depuis 2002. Mais l’hydrologie très complexe de ce bassin fluvial de
près de 4 millions de kilomètres carrés rend difficile la possibilité de tirer des grandes
tendances en lien direct avec le changement climatique. D’autant que les données
hydroclimatiques sont peu nombreuses dans la région. Développé par l’IRD, le système
d’observation des bassins versants expérimentaux tropicaux (BVET) contribue à améliorer
les connaissances sur l’hydrologie en Afrique centrale. Avec les partenaires camerounais,
cet observatoire étudie l’impact des fluctuations climatiques et des pratiques agricoles
sur les hydrosystèmes de plusieurs petits bassins versants au sud du Cameroun. Un autre
observatoire de la zone humide d’Afrique centrale est également en cours de montage
au Gabon.
158
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
© IRD/A. Laraque
Trafic fluvial
sur le fleuve Congo.
Le fleuve Congo est une voie
navigable importante
pour le commerce
et les passagers entre
les deux capitales, Kinshasa
(République démocratique
du Congo) et Brazzaville
(République du Congo).
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
159
Chapitre 13
Zones urbaines :
des mégapoles vulnérables
© IRD/P. Gazin
S
i les forêts tropicales humides et les espaces océaniques jouent un rôle
important dans la régulation du climat, les zones urbaines sont quant à elles
les principales responsables des émissions de gaz à effet de serre. Les
grandes villes concentrent les activités industrielles, mais aussi la consommation des ressources fossiles pour les transports, le chauffage ou la climatisation. Les
pays du Nord sont historiquement les principaux contributeurs à ces émissions d’origine
urbaine. Cependant, les crises économiques et les politiques d’atténuation mises en
place en Europe, parallèlement à une forte croissance démographique et économique
des mégapoles du Sud, renversent peu à peu la tendance.
Dhaka, une agglomération
d'environ 12 millions
d’habitants.
En croissance
démographique rapide,
plus de 5 % par an,
elle est soumise à des risques
naturels importants
(inondations, cyclones,
tremblements de terre).
Les grandes villes de la zone intertropicale sont particulièrement exposées aux
impacts climatiques, principalement parce que les vulnérabilités y sont exacerbées
et que les politiques d’urbanisme ou de lutte contre les risques naturels y sont moins
développées. Le 5e rapport du Giec insiste ainsi sur l’urgence de traiter le fait urbain tant
du côté des politiques d’atténuation que des capacités d’adaptation, car les impacts
sur la société, bien qu’encore mal évalués, sont inquiétants. Pour les populations, les
conséquences immédiates de ces émissions sont les effets de la pollution atmosphérique
en matière de santé publique. L’accroissement rapide des températures, lié en particulier
au phénomène d’îlots de chaleur, a également des conséquences sensibles. À moyen
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
161
terme, l’augmentation des événements extrêmes et l’élévation du niveau de la mer
pourraient avoir des conséquences catastrophiques pour la stabilité des sociétés du Sud,
alors que les dynamiques urbaines actuelles – croissance des quartiers précaires et des
villes côtières – exposent d’avantage les populations.
La recherche doit donc mieux comprendre les vulnérabilités et les impacts du
changement climatique en ville pour tenter de proposer des solutions adaptées à la
concentration urbaine croissante. Cette recherche urbaine est encore peu développée
dans les pays de la zone intertropicale. L’IRD a longtemps investi des thématiques
proches comme les relations populations-environnement, les risques naturels ou les
politiques publiques en milieu urbain, et la tendance est aujourd’hui à recentrer ces
thématiques dans un contexte de crise climatique.
Un monde toujours plus urbanisé et côtier
Figure 27.
Évolution des grandes
agglomérations.
58 % de la population mondiale vit désormais en milieu urbain, soit près de 4 milliards
de personnes. Cette urbanisation massive est une dynamique relativement récente,
puisque la population urbaine a été pratiquement multipliée par cinq depuis 1950.
Depuis les années 2000, la croissance urbaine montre deux caractéristiques nouvelles.
Source : IRD/LPED
Londres
Paris
Moscou
Ruhr
Pékin
Séoul Tokyo
Tianjin
Nagoya
Wuhan
Delhi
Chongqing
Karachi
Osaka
Bagdad
Dhaka
Shanghai
Shenzhen
Bombay
Manila
Calcutta
Bangkok
Ho Chi Minh
Istanbul
Téhéran
New York
Los Angeles
Le Caire
Lagos
Mexico City
Bogota
Abidjan
Kinshasa
Lima
Agglomérations
Habitants (millions 2015)
5-8
8 - 12
12 - 19
19 - 43
Lima Nom des agglomérations
de plus de 10 millions d’habitants
162
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
Jakarta
Rio de Janeiro
Sao Paulo
Buenos Aires
Johannesburg
© IRD/G. Roudaut
Elle s’accompagne d’abord d’une concentration dans des agglomérations de plus en
plus grandes au Sud (fig. 27). En 1975, il y avait 18 mégapoles de plus de 5 millions
d’habitants, cumulant 170 millions de personnes ; en 2014, on en comptait 73 pour un
total de 800 millions. Les principales mégapoles se situent sur le continent américain ou
asiatique, principalement dans les pays émergents (Brésil, Inde, Chine). Mais beaucoup
d’autres agglomérations des pays intertropicaux sont devenues des mégapoles au
niveau régional, comme Lima qui concentre 30 % de la population du Pérou, ou Lagos
qui concentre près des trois quarts de la population du Nigeria.
Lima,
quartier de la Punta
(Pérou).
Cette mégapole,
l’une des cinq
d’Amérique latine,
avec Mexico, São Paulo,
Buenos Aires
et Rio de Janeiro,
concentre le tiers
de la population
péruvienne.
L’autre grande caractéristique de cette croissance urbaine est le développement plus
important des villes côtières. Selon le Giec, près de 145 millions d’habitants vivent à une
altitude de 1 m au-dessus du niveau de la mer, 397 millions à moins de 10 m. Et cette
tendance se renforcera dans les prochaines décennies, du fait de l’intensification du
commerce mondial maritime.
L’accroissement des vulnérabilités
face aux risques naturels
Malgré le manque de systèmes d’observations du climat urbain dans les pays du
Sud, on observe des impacts dus à l’augmentation de la température, à la variabilité du
climat, à la multiplication des événements extrêmes et à la montée des océans. Le
5e rapport du Giec insiste particulièrement sur deux phénomènes : les glissements de
terrain et l’élévation du niveau de la mer.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
163
Encadré 42
Quel lien de cause à effet entre changement climatique
et catastrophes urbaines ?
La multiplication
des catastrophes dans les capitales
andines a conduit les chercheurs
à s’interroger sur leurs causes,
en particulier en lien
avec le changement climatique.
Mais les événements climatiques
extrêmes n’expliquent pas
à eux seuls l’augmentation
des risques urbains.
La Paz, Lima et Quito ont enregistré
ces trois dernières décennies
une multitude de catastrophes
naturelles, liées à des inondations
et des glissements de terrain.
Le cumul de ces dommages
est très significatif sur le plan humain
et matériel, pénalisant le développement
économique et social de ces villes.
À La Paz par exemple, les inondations
survenues en février 2002 ont provoqué
l’une des plus grandes catastrophes
urbaines connues en Bolivie : 69 morts,
le déplacement de 200 familles et
de très importants dégâts matériels
évalués à 10 millions de dollars.
En février 2011, un mouvement
de terrain a obligé l’évacuation
de plusieurs quartiers de la capitale
bolivienne. 6 000 habitants ont
été relogés dans des refuges,
et de très nombreuses infrastructures
publiques ont été détruites
dans une zone de 140 ha.
Ce glissement de terrain,
lié à des précipitations deux fois
plus abondantes que la normale,
est intervenu sur des terrains meubles
pourtant déclarés non urbanisables.
La croissance urbaine dans des zones
dangereuses est ainsi souvent responsable
de l’exposition des populations
à des risques déjà identifiés.
Plus d’une centaine de catastrophes
enregistrées chaque année
Partant du constat de l’accélération
des catastrophes naturelles,
l’équipe Pacivur (programme andin
de formation et de recherche
sur la vulnérabilité en milieu urbain)
a analysé l’évolution statistique
des accidents et des catastrophes
survenues dans les trois capitales
andines de 1970 à 2007.
Au total, 3 990 accidents et catastrophes,
en majorité des inondations
et des glissements de terrain,
Submersions marines
Plus de la moitié des grandes villes en zone tropicale sont situées sur la côte, héritage
entre autres des comptoirs des anciennes colonies. Et les dynamiques urbaines actuelles
poussent encore à la croissance de ces villes littorales. Des populations urbaines de plus
en plus importantes sont ainsi exposées à l’élévation du niveau de la mer, et plus précisément aux phénomènes d’érosion et de submersions marines. C’est entre autres le cas pour
Nouakchott, Lagos, Lomé, Dhaka, Ho Chi Minh ou Rio. L’élévation marine de plusieurs
dizaines de centimètres dans les décennies à venir va accentuer ces phénomènes, avec
des destructions d’habitats et d’infrastructures et des déplacements de populations. Les
submersions marines entraînent également une perte de ressources côtières importantes
pour l’économie locale.
164
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
ont été enregistrés dans les trois
capitales : 76 % d’entre eux concernant
Lima, 14 % Quito et 10 %, La Paz.
Ces catastrophes sont devenues de plus
en plus fréquentes au fil du temps.
Vulnérabilités urbaines
D’abord, l’établissement même
des données est en partie biaisé :
le recueil de données est hétérogène
d’une ville à l’autre ; certains lieux
font l’objet d’une attention plus forte,
en lien avec leur importance stratégique
sur le plan politique et économique.
Ces disparités dans les données
constituent des obstacles
à la compréhension de la vulnérabilité
et des risques et de leurs liens
avec le changement climatique.
Par ailleurs, il est difficile de distinguer
les phénomènes d’origine naturelle
des phénomènes d’origine anthropique,
en raison d’un enchaînement complexe
Au regard de la littérature scientifique
disponible, il est tentant de conclure
que l’augmentation des catastrophes
est liée aux changements du climat
dans la région andine. Les fortes pluies
enregistrées ces dernières décennies
sont en corrélation avec l’augmentation
des inondations.
Mais une telle conclusion passerait
sous silence plusieurs difficultés
pour interpréter cette accélération
des accidents.
typique des milieux urbains.
Une certitude, les accidents
et catastrophes en milieu urbain
sont liés à la très forte anthropisation
des milieux (imperméabilisation
des sols, extension des zones
construites, etc.) et à la vulnérabilité
même de structures urbaines
complexes et denses
(fortes densités de population,
d’activités, multiplication des réseaux
techniques, etc.).
Ainsi, si le changement climatique
a certainement des conséquences
sur la vulnérabilité en milieu urbain,
cette relation causale reste encore
difficile à établir.
© IRD/S. Hardy
Glissement de terrain
en février 2011,
La Paz (Bolivie).
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
165
Inondations et glissements de terrain
La variabilité climatique, avec des précipitations plus violentes ou des périodes de
forte sécheresse, affecte également les villes plus continentales. L’augmentation des
événements pluvieux extrêmes renforce la menace des inondations, déjà accentuée par
l’imperméabilisation des sols liée à l’urbanisation. Les fortes précipitations multiplient
également les risques de glissements de terrain. Ces phénomènes ont souvent des
conséquences amplifiées par la vulnérabilité des milieux urbains. Les activités humaines
peu contrôlées, les concentrations urbaines dans des zones parfois dangereuses et les
conditions précaires de l’habitat sont autant de facteurs qui peuvent transformer les
aléas climatiques en catastrophes urbaines. Ce danger est particulièrement fort dans les
villes d’altitude. Dans les Andes, par exemple, la plupart des villes sont exposées à ces
phénomènes qui sont en progression constante ces dernières décennies.
Avenue Patria, Quito,
Équateur.
Un peu plus de
28 000 véhicules
empruntent cet axe
tous les jours.
Si cette artère est coupée
– à cause de glissements
de terrain ou
d'inondations –,
la circulation dans la ville
est largement paralysée.
166
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
© IRD/F. Demoraes
Le changement de régime des pluies multiplie également les occurences de crues,
exposant ainsi les villes situées le long des fleuves. Les crues historiques de l’Amazone et
de ses affluents, en 2009, puis 2012 et 2014, liées aux précipitations exceptionnelles et à
la déforestation, ont touché plusieurs centaines de milliers de personnes. Au Pérou, au Brésil
et en Bolivie, l’état d’urgence a été décrété dans plusieurs régions, et de nombreuses villes
se sont retrouvées sous les eaux.
Encadré 43
Les quartiers informels face au changement climatique
À Damas et au Caire,
des études de l’IRD montrent
comment les quartiers informels
sont autant porteurs
de problèmes que de solutions
face au changement climatique.
© IRD/T. Ruf
Habitat précaire
dans un quartier périphérique
du Caire (Égypte).
À Damas comme au Caire, les quartiers
informels présentent des vulnérabilités
spécifiques face aux risques liés
au changement climatique.
Sans surprise, les populations y sont
souvent implantées sur des terrains
inondables, instables et sujets
aux glissements de terrain. La mauvaise
qualité de l’habitat et l’absence
d’assainissement exposent d’autant plus
les habitants aux inondations.
Les populations concernées ont
également peu d’alternatives,
faute de moyens, pour s’installer
dans des lieux plus sûrs.
Des quartiers marginalisés reçoivent
par ailleurs un moindre soutien de l’État
en cas de catastrophe.
Ils pâtissent également d’une moins
bonne protection juridique et financière,
faute de droits fonciers, de couverture
d’assurance, etc.
Enfin, ces zones informelles
sont construites sans respecter
les normes réglementaires censées les
protéger. La vulnérabilité est
alors double car, même lorsque
les politiques de prévention
et de gestion des risques existent,
la ville informelle se construit justement
en dehors de cette réglementation.
Pourtant, les études de l’IRD montrent
la pertinence et la souplesse
de l’urbanisation informelle.
Elles mettent en avant le savoir-faire
des habitants constructeurs
qui apportent des réponses face
aux carences des politiques publiques.
Par ailleurs, certaines caractéristiques
de ces quartiers sont de plus en plus
souvent considérées comme
partiellement adaptées et/ou adaptables
aux changements climatiques attendus.
Plus adaptées par leur morphologie
urbaine : rues étroites ombragées,
inertie thermique de bâtiments
mitoyens, compacité urbaine, densité
des immeubles, petite taille de parcelles.
Mais aussi plus facilement adaptables :
évolutivité de la construction,
préservation du caractère piéton,
faible vitesse de la circulation
dans les zones d’habitation, etc.
Sans être majoritaires, certains
professionnels mettent en exergue
ces caractéristiques « durables »
des quartiers informels et ces savoir-faire
sur lesquels peuvent s’appuyer
les stratégies d’adaptation aux risques
du changement climatique.
Ces dimensions commencent à être
intégrées dans les projets
de réhabilitation de quartiers
informels.
Changement climatique
Quels défis pour le Sud ?
167
© IRD/J.-P. Montoroi
Avec plus de 14 millions
d’habitants, le grand
Bangkok concentre plus
de 20 % de la population
thaïlandaise.
La ville connaît
régulièrement d’importantes
inondations lors des pluies
de mousson.
Les impacts sanitaires directs des émissions
Les effets du réchauffement climatique ne doivent pas masquer les effets directs des
émissions urbaines sur la pollution de l’air et le réchauff