Le sexuel ? Du traumatisme !
Jacques Cabassut
Dans Rhizome 2016/2 (N° 60),
60) pages 18 à 19
Éditions Presses de Rhizome
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ISSN 1622-2032
DOI 10.3917/rhiz.060.0018
Sexualités
Jacques Cabassut
Psychanalyste, Professeur de Psychopathologie clinique
Nice / Saint Laurent d’Aigouze
Le sexuel ? Du traumatisme !
pulsion du fait d’être déchiré entre les exigences biologiques
et langagières : le sujet est séparé de l’organisme par le langage et la parole 1. Orale, anale, invocante [voix] ou phallique,
la pulsion nous empêche ainsi de régresser à la conception
naturaliste et biologisante de la sexualité, reproduction de
l’espèce ou accomplissement du « stade » génital.
Le sexuel est traumatique
car pulsionnel… ce qui vaut
pour le sujet de l’individuel
comme du collectif.
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Grâce à lui, i.e au ratage, naît le Désir, ce manque structurel
à l’humain, qui l’incite et l’oblige à « se » parler, qu’il s’agisse
du colloque singulier qu’il entretient à lui-même, comme à
l’échange avec autrui. Telle est d’ailleurs la définition du lien
social, qui est lien langagier. Freud ne dit rien d’autre dans
son « Malaise dans la culture » [1929] : le vivre ensemble des
hommes dépend du frein à la pulsion, car sa poussée ne pouvant être résolue, elle constituera une forme de résidu incurable de l’humain.
1 Sauret, M-J. (1999). Freud et
l’inconscient. Toulouse : Les éditions
Milan, p. 42.
2 « Propriété du corps vivant sans
doute, mais nous ne savons pas ce
que c’est que d’être vivant sinon
seulement ceci, qu’un corps cela
se jouit. Cela ne se jouit que de le
corporiser de façon signifiante ».
Lacan, J. (1972-73). Le Séminaire.
Livre XX, Encore. Paris : Seuil, PointsEssais, p. 33.
3 « Le fait copulatoire de
l’introduction de la sexualité est
traumatisant ». Lacan, J. (1964).
Le Séminaire, Livre XI, Les quatre
concepts fondamentaux de la
psychanalyse. Paris : Le Seuil-Essais,
p 75.
18
Le sexuel est traumatique.
Telle est la position freudienne, invariable depuis les « Études
sur l’hystérie » (1895) jusqu’à « l’Homme-Moïse » (1939), quels
que soient les remaniements de la théorie traumatique imposés par la clinique des névroses de guerre ou de l’hystérie.
Le sexuel est traumatique car
pulsionnel… ce qui vaut pour
le sujet de l’individuel comme
du collectif… donc, pour
tout collectif institutionnel.
Le sexuel est traumatique
car pulsionnel.
Le Sexuel est à ce titre la grande question de l’institution pour
chacun comme pour tous [qu’elle soit langagière 4, familiale 5,
du médico-social, de la santé, de la psychiatrie etc...], excitant sans fin le rapport intime à la « Chose » pour le sujet qui
en compose son Collectif [professionnels, patients, usagers,
résidents etc...]. La loi de l’interdit de l’inceste régule les
rapports de jouissance pour créer les possibilités du vivreensemble.
La pulsion n’est pas l’instinct, ce savoir génétique, « naturel » de l’animal, qui lui dicte de façon programmatique ses
conduites et ses comportements [dont sexuels] dans l’assouvissement de ses besoins. Chez l’homme, le besoin mute en
Bref, il faut bien le dire, « l’institution n’échappe pas aux
effets de la lutte des pulsions », autrement dit à la nécessaire
reconnaissance de l’inconscient, de sa mise en acte dans le
transfert, comme de la répétition qui les caractérisent 6.
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À la place, tout sujet construira un rapport à lui-même, aux
autres et au monde dans le travail permanent d’appareillage
langagier de cette poussée, de cette énergie sexuelle pulsionnelle [ou libido] : le corps sexué est aussi et avant tout « un
corps de signifiants » pour Lacan 2. Chacun devra inventer le
dialecte intime [symptôme, fantasme, ...] du ratage qui est le
sien, à faire rentrer dans les mots ou les images, bref dans
la représentation, ce sexuel pulsionnel qui n’y rentre pas
puisqu’il insiste et résiste [à se dire, à se vivre, à se penser…]
comme Réel : hors-sens, non anticipable, « mauvaise rencontre »… du sexuel 3, de la maladie, de la mort, de la folie…
#60 / Juin 2016
5 La famille, lieu du conflit
puisque véritable laboratoire
d’expérimentation et de structuration
des enjeux œdipiens : du fait du
signifiant (Père, sœur, soignant…)
je ne peux faire de toi l’objet de ma
jouissance toute (car tu te nommes
fils/fille, frère, soigné…).
6 Ansermet, F et Sorrentino, M-G.
(1991). Malaise dans l’institution.
Paris : Anthropos-Economica, p 5-9.
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7 Le terme est de : Lapeyre, M. (2000).
Complexe d’œdipe
et Complexe de castration.
Paris : Anthropos-Economica.
8 Menez, M. (2007). Un trauma
bénéfique : « la névrose infantile ».
Paris : Éditions du Champ Lacanien,
p. 30.
9 Lacan, J. (1977). Ornicar ? N° 9.
10 Cabassut, J. (2016 à paraître).
Bonjour l’Institution ? !. Nîmes :
Champ Social Éditions.
11 Ansermet, F, et Sorrentino,
M-G. Ibid, p 6.
12 Lacan, J. (1959-60). Le
Séminaire, Livre VII, L’Éthique de la
psychanalyse. Paris : Seuil (1986),
p. 370.
13 « (...) C’est ainsi que le
soignant opte le plus souvent
pour l’éclectisme des savoirs,
des discours et des techniques,
dans une tendance compulsive
à l’organisation. » Ansermet, F,
et Sorrentino, M-G, Ibid, p 13.
14 Ansermet, F, et Sorrentino,
M-G. Ibid, p 7.
Le sexuel est traumatique car
pulsionnel… ce qui vaut pour le
sujet de l’individuel comme du
collectif… donc, pour le collectif
institutionnel… Hélas ! L’inverse
n’est pas vrai pour autant !
sions archaïques se veulent neutralisées par des protocoles,
visions managériales, conduites à tenir et autres démarches
-plus ou moins de- qualité qui rendent muets les professionnels en privilégiant le faire sur l’acte de parole. Peut-être
parce que « La rencontre avec l’immaîtrisable révèle au soignant sa propre pulsionnalité (...). Le traumatisme, qu’on ne
veut ni voir ni admettre, n’est-il pas produit par la révélation
pour le soignant de sa propre libido comme de sa propre destructivité ? » 14
Je veux dire par là que, si le sexuel est traumatique, tout traumatisme n’est pas sexuel : le trauma de la mort [cf. névroses
de guerre] constitue le pendant traumatique du sexuel. Les
deux traumas structurels à l’humain questionnent donc particulièrement les dimensions éthiques et cliniques, dans le
travail de « parolisation » 7 d’un réel que le courant de la psychothérapie institutionnelle, via Tosquelles et Oury, accomplissait par la prise en compte du politique et du clinique
institutionnel. Et pour cause : « le réel est ce qui ne relève pas
du signifiant mais ne peut s’attraper que par lui » 8.
L’application au lieu de l’implication dans la rencontre clinique,
éducative, sociale etc… L’évacuation de l’angoisse, la méconnaissance du transfert [d’amour, de haine ...] et de la jouissance
du pouvoir, alimentent cette perversion institutionnelle généralisable à tous ses acteurs, du fait de la répétition pulsionnelle.
Pour le premier, nous pouvons adopter l’une des définitions
qu’en donne Lacan : « La clinique est le réel en tant qu’il est
l’impossible à supporter » 9. Nous le savons, le « Klinos » grec
-d’où provient le terme de clinique- signifie le lit, ou plutôt
l’inclinaison, ce certain penchant pour et sur le lit. C’est fou
tout ce qu’on fait dans un lit ! : on y naît ; on y meurt ; on y
jouit ; on y souffre en cas de maladie ; on peut occasionnellement y dormir 10.
La rencontre peut donc clouer au lit tout professionnel, du fait
de la répétition de l’insupportable : « une histoire traumatique
se joue pour le soignant dans sa rencontre avec le psychotique » 11.
Pour le second, Lacan 12 « prescrit » de pas renoncer à son
désir. Je rajouterai à son désir de soignant, que nous ne possédons pas mais qui nous possède, reposant indéfiniment la
question éthique léguée par Oury, « Qu’est-ce que je fous là ? »
[Où l’on notera le verbe « foutre » signifiant de jouissance s’il
en est !].
L’Éthique n’est autre que cette mise en tension du désir du
soignant, de ce qui, dans l’ombre, nous amène à faire ce
métier impossible défini par Freud : éduquer, soigner, gouverner… de choisir la confrontation traumatogène à un autre qui
ne cesse, en tant que sujet désirant, que d’y objecter. C’est
dire si le rapport à la jouissance est perpétuellement sollicité,
dans ce qu’elle a d’excessif en terme de pouvoir, de savoir
et de risque de réduire le sujet à n’être qu’un objet de soins,
livré à la jouissance de l’Autre institutionnel 13. Accomplissement des logiques ségrégatives, d’entre soi et d’exclusion à
l’œuvre dans tout groupe institutionnel.
Le sexuel est traumatique car
pulsionnel… ce qui vaut pour
le sujet de l’individuel comme
du collectif… donc, pour le collectif
institutionnel... Heureusement !
L’inverse n’est pas vrai
pour autant !
La mauvaise rencontre du sexuel et de la mort, confronte le
sujet à un « troumatisme », soit un trou dans les savoirs [y
compris inconscients] qu’il ne pourra résorber qu’à border de
signifiants, en les faisant graviter autour : circulation de la
parole dans des espaces-temps formels cliniques [analyse du
contre-transfert institutionnel -Tosquelles] et politiques [élaboration des conditions du vivre ensemble] indispensables à cet
effet. Ces espaces-temps restaurent le sujet de l’inconscient et
celui de la démocratie dans l’exercice du pouvoir de parole, et
la possible (ré)appropriation de son acte même [y compris chez
ceux qui n’ont pas accès à la verbalisation]. Laquelle ne peut
donc consister à un bla-bla « technique », une communication
d’informations, au service d’une gouvernance. Bref, l’important
en institution, c’est qu’on « se » parle de l’innommable ou de
l’indicible… par le biais de l’amour [de transfert].
Clinique et éthique donc.
L’une dépend de l’autre. Or, ce qui caractérise aujourd’hui
cette « clinique » soumise à la rationalité du soin, c’est bien
le déni, voire la forclusion du pulsionnel sexuel, dont les pas19
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4 Si l’on se réfère au latin
« Instituare », signifiant « faire
tenir, fonder », l’on peut considérer
que c’est bien la parole qui
originellement institue l’humanité
de l’humain. Se reporter
à : Cabassut, J. (2009).
Petite grammaire lacanienne
du collectif institutionnel.
Nîmes : Champ Social Éditions.
Bulletin national santé mentale et précarité