Scolia
Revue de linguistique
36 | 2022
La question grammaticale
Anne ABEILLÉ, Danièle GODARD (dir.), Grande
Grammaire du Français
Danielle Coltier et Caroline Masseron
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/scolia/1979
DOI : 10.4000/scolia.1979
ISSN : 2677-4224
Éditeur
Presses universitaires de Strasbourg
Édition imprimée
Pagination : 193-206
ISBN : 979-10-344-0114-7
ISSN : 1253-9708
Référence électronique
Danielle Coltier et Caroline Masseron, « Anne ABEILLÉ, Danièle GODARD (dir.), Grande Grammaire du
Français », Scolia [En ligne], 36 | 2022, mis en ligne le 08 juillet 2022, consulté le 20 juillet 2022. URL :
http://journals.openedition.org/scolia/1979 ; DOI : https://doi.org/10.4000/scolia.1979
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4.0 International - CC BY-NC-SA 4.0
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/
comptes rendus
Anne ABEILLÉ, Danièle GODARD (dir.), Grande Grammaire du Français,
Arles, Actes Sud, Paris, Imprimerie nationale éditions, 2021, 2 volumes,
2 628 pages.
L’accueil de la presse nationale n’a pas manqué d’orchestrer
l’entreprise (monument, véritable odyssée, somme de travail
inédite…), reprenant les arguments de la quantité dictés par le Livret :
59 chercheurs, 32 universités et laboratoires, 2 628 pages, 30 000
exemples écrits et oraux. C’est ainsi qu’un compte rendu de M. Mourier
publié par En attendant Nadeau, reprend l’argument de la lacune
comblée : « […] notre cher et (relativement) grand pays manquait
jusqu’à ce jour d’une grammaire exhaustive (écrit, oral avec toutes ses
implications en matière sonore et musicale notamment) de la langue
contemporaine pratiquée en France mais aussi un peu partout dans le
monde ». Et de référer, dès les premières lignes de la recension, au Bon
usage : « Notre pays manquait d’une grammaire exhaustive de la langue
contemporaine ». L’affirmation appelle trois questions : En avait-il
besoin ? Si oui, l’a-t-il trouvée ? La GGF dresse-t-elle l’état attendu des
usages contemporains ?
Disons d’emblée – au risque de rompre avec le concert de louanges
qui a salué la sortie de l’ouvrage en octobre 2021 – que nous répondons
non au moins aux deux dernières questions. Nous ont surtout frappées
le poids de la tradition grammaticale et le contournement de certains
principes, termes ou objets qui auraient pourtant permis une approche
novatrice de la description de la langue française, destinée à restaurer
critiquement – et revigorer – son enseignement. Le public des étudiants
et des enseignants, usagers au premier chef de la GGF, mérite en effet
mieux que la terminologie officielle de 2020 (Grammaire du français.
Terminologie grammaticale) citée page XLVI ou la reprise en bonne
place (Introduction, XLIX) des rectifications orthographiques dont un
tableau (L1) enregistre les modifications.
Notre investigation de l’ouvrage n’a évidemment pas pu être
exhaustive2 ! Nous avons, pour faire ce compte rendu, oscillé entre une
1
2
Les chiffres, arabes ou romains, mis entre parenthèses renvoient aux pages de la
GGF.
Saluons au passage la rapidité de réaction des médias nationaux (presse quotidienne,
sites numériques, France-Culture) dont les comptes rendus laudatifs n’ont pas tardé.
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comptes rendus
prise de connaissance panoramique (table des matières, introduction,
glossaire, index, liste des auteurs, bibliographie générale), une lecture
attentive de tel passage (commentaires d’exemples, tableaux et arbres
qui ponctuent les chapitres) et la lecture exhaustive de tel chapitre ou
telle sous-partie (dont La préposition et le syntagme prépositionnel, Les
adverbes, Les phrases interrogatives, et La notion de phrase à l’oral). Les
auteurs déclarent privilégier l’usage et non la norme, d’où le recours
aux jugements naïfs des locuteurs et à de nombreux corpus, en même
temps qu’ils se prévalent de ne défendre aucune théorie particulière
et d’adopter un point de vue strictement descriptif sur le français. On
peut cependant douter que la gageure ait été tenue. Pour notre part,
nous discuterons les choix rédactionnels, certaines options théoriques
et méthodologiques majeures, pour souligner combien finalement
l’organisation de l’ouvrage autour de « la phrase » et des « catégories »
condamne la GGF à une description beaucoup plus traditionnelle et
normative que ce qui était promis.
À quels lecteurs est destinée la GGF ? Une première réponse apportée
par les choix rédactionnels
Sur cette question – centrale – du lectorat visé, la GGF demeure
évasive si l’on excepte des considérations de mise en forme du texte
(nous soulignons en italique, les capitales sont des auteurs) : « Il n’est
pas rare que le TEXTE PRINCIPAL, destiné au plus grand nombre,
alterne avec des contenus plus spécialisés utiles pour approfondir une
question et composés dans des PARAGRAPHES EN RETRAIT. » (Guide
du lecteur, IX). D’où l’on conclut qu’un double lectorat est visé : non
spécialistes et spécialistes, dichotomie qui recouvre grosso modo
le public des étudiants et celui des enseignants ; il faut cependant y
ajouter, selon Le livret de découverte, la catégorie des « amateurs »,
« amoureux de la langue » que leur curiosité pousse à consulter sans
relâche grammaires et dictionnaires. La cote est mal taillée et oblige
à une rédaction hybride où les encarts de vulgarisation (les encadrés)
côtoient un discours descriptif saturé d’arbres et de termes savants
sinon nouveaux (le chapitre III porte sur « la construction verbale
fusionnée » incluant le verbe avec auxiliaire en lieu et place de la forme
composée, 267 et sq.).
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comptes rendus
Quiconque a déjà enseigné la grammaire à l’école élémentaire,
au collège, ou dans le cadre des préparations aux divers concours
de recrutement des enseignants, connait l’équilibre fragile que
l’enseignant s’efforce de tenir entre la curiosité des apprenants devant
certaines « bizarreries » de la langue (la coexistence de s’approcher et se
rapprocher), leur difficulté à s’approprier – et utiliser – un métalangage
fonctionnel, et une approche, hélas, souvent normative des faits de
langue les plus banals. Mais l’expérience de l’enseignement apporte
aussi son lot de surprises heureuses, par exemple le goût des étudiants à
comprendre la description plus fine ou plus problématique de certains
faits syntaxiques ou morphologiques. Or ici, qu’il s’agisse du choix des
exemples construits (les plus nombreux), des multiples renvois qui
privent la moindre notion de son développement explicatif, ou des
encadrés simplistes, pour certains à peine plus élaborés que ce que l’on
trouve déjà dans des grammaires scolaires, on est loin du compte et du
plaisir à enseigner ou à comprendre la grammaire.
Revenons de façon plus précise sur les objectifs déclarés de la
GGF. Dans l’Introduction (XII), les auteurs soulignent leur ambition
de « décrire la diversité des usages contemporains », sans, disentils, « argumenter pour telle ou telle théorie linguistique » (XXIV). Et
précisent : « […] nous mentionnons tous les faits observés, à partir du
moment où ils sont représentatifs et nous convoquons éventuellement
une théorie qui les explique, mais nous ne limitons pas les faits à ceux
qui sont expliqués par une théorie et nous ne mentionnons pas les
théories contredites par des faits ». Une cinquantaine de linguistes
ont ainsi contribué à l’ouvrage qui propose « un cadre de description
unifié, cohérent et homogène ». Les objectifs sont ainsi définis : « [Les
linguistes] cherchent à expliciter les règles présentes dans l’esprit des
locuteurs de manière plus ou moins consciente et qui leur permettent
de s’exprimer et de se comprendre. En ce sens, l’objectif est de dévoiler
le système grammatical intériorisé par chacun d’entre nous ». La
méthode consiste à « observer l’usage, c’est-à-dire les productions
écrites et orales, pour déceler les tendances et les régularités sousjacentes », sur la base du double recours à des exemples construits
et à des énoncés attestés (Introduction, XXV). Les exemples « sont
soumis au jugement naïf des locuteurs, ce qui constitue un protocole
d’observation » (ibid.), lequel jugement fait l’objet d’une annotation
selon six critères : [sans symbole] acceptable, * inacceptable, ? douteux,
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comptes rendus
# inapproprié, ! non standard, ou % variable. Les facteurs de variation
avancés sont principalement géographiques (Belgique, Québec, La
Réunion, etc.). La conformité à la norme fait l’objet de commentaires
illustrés : « […] on ne marque pas ce qui est familier ou informel,
comme l’absence de ne à l’oral, mais ce qui est considéré comme non
standard, c’est-à-dire comme en usage mais stigmatisé. […]. Quand
il est possible d’identifier la région concernée par une variante, nous
l’indiquons entre parenthèses, le Sud-Ouest (autour de Montpellier)
pour la variante % je lui le ferai lire » (XXVI). Cette présentation appelle
plusieurs remarques sur la « représentativité » et « la prédiction » des
faits linguistiques et ce qu’en disait R. Martin (2002 : 20-25 ; 59-64)
s’interrogeant sur les matériaux utilisés (construits ou non) et les
procédures descriptives à utiliser pour faire apparaître telle propriété.
i) Les faits linguistiques observés et recueillis dans les exemples
ne sont, bien sûr, pas indépendants d’une théorie de la langue
implicite. Ils sont supposés être représentatifs d’une structure
syntaxique donnée, dont ils illustrent une certaine propriété et
la prévalence sur des appellations et analyses concurrentes. C’est
ainsi que l’on découvre l’existence des « Syntagmes nominaux
sans nom » (490-499), illustrée par cet exemple (1.d, 490) : les
enfants sont en vacances : les grands sont partis. Le phénomène
ainsi illustré ne tient-il pas avant tout de l’anaphore et de la
référence (2033) ?
ii) Quel sort est réservé par la GGF aux réalisations non standard du
« français avancé » (dis-moi le ; j’aimerais de voyager plus ; mais
page 827, j’aimerais *à venir) et à leur pouvoir de prédictibilité
(Berrendonner, 1983 : 27-28) ? Dans le même ordre d’idée, quel
poids accorder à la fréquence des tours (la tendance analytique,
« dissimilatrice » (Béguelin 1998), de comment on fait pour
contacter Monsieur X) ou à la disparition progressive de certains
autres (lequel ou nous (Sujet), en français parlé) ? Enfin, n’y
aurait-il pas eu intérêt à mentionner la coexistence chez le
locuteur d’une « grammaire première » et d’une « grammaire
seconde », ce que suggérait C. Blanche-Benveniste (1990 : 51-73) ?
Une telle partition, mise en relation avec les situations de parole
ou d’écrit et les genres de discours, aurait eu le mérite d’instaurer
une mise en perspective tenant compte des usages effectifs.
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comptes rendus
iii) La cohérence et l’homogénéité revendiquées ne sont-elles pas
un défi impossible à atteindre, compte tenu du nombre des
collaborateurs, et surtout de la diversité de leurs champs de
recherche ? Le jeu des renvois ne règle pas tous les problèmes.
Concernant les choix rédactionnels, nous regrettons d’abord celui
de passer sous silence les références à d’autres théories, ou de ne les
mentionner qu’allusivement. Il s’ensuit une profusion de certains,
parfois, on peut trouver, etc. Ainsi lit-on « Certaines grammaires
appellent transitifs l’ensemble des verbes qui se construisent avec un
complément (130), ou « Temps verbal, parfois appelé « tiroir verbal »
(135). De même l’emprunt de la « grille syntaxique » de C. BlancheBenveniste devient « la présentation en grilles des énoncés oraux »
(117-118) sans mention d’auteur. Le lecteur se voit systématiquement
privé de la source ou de la justification du métalangage retenu et de
l’éventuelle discussion terminologique.
Ensuite, la pratique abusive des renvois à une notion, au détriment
d’un discours suivi sur telle notion. Un exemple, celui d’Adverbial
qui donne lieu à au moins cinq renvois et est assorti des propriétés
suivantes (809, nous soulignons, la flèche signale un renvoi) :
– « – ressemblent à des adverbes de phrase →VIII-5.1.
– peuvent apparaitre en début de phrase négative […]
– mais pas entre c’est et que dans une construction clivée
– Comme les adverbes de phrase, ils ne peuvent pas apparaitre
parmi les compléments avec une prosodie intégrée ».
La pratique du renvoi est systématique quelle que soit la notion.
Au total donc, l’absence de références théoriques dans les chapitres
et, au besoin, des discussions qu’elles auraient pu susciter, ajoutée aux
renvois incessants privent du plaisir de lire un discours grammatical
suivi, rédigé et argumenté : tout l’inverse de ce que fait par exemple si
bien la Grammaire méthodique du français (Riegel et al., 2018⁷), ou,
plus récemment, la Grande Grammaire historique du français (2020).
Une table des matières qui ne laisse aucun doute sur le parti pris
conservateur de la GGF : le maintien du modèle phrastique
« La phrase comme objet de la grammaire », une évidence commune
selon A. Berrendonner (2021), correspond bien au parti pris de la GGF
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comptes rendus
où perdure la centration sur la phrase et ses constituants, au détriment
du discours.
L’organisation de la table des matières ne laisse aucun doute à ce
sujet. Le premier chapitre, « La Phrase » (5-126), consacre ses deux
dernières sections à (nos italiques) « L’insertion des phrases dans le
discours » (97-108) et à « La notion de phrase à l’oral » (109-126). Or,
dans ces domaines du discours et de l’oral, la récusation du modèle
phrastique semblait acquise. Le voir revenir en force dans une
grammaire qui affiche son intention de modernité et de cohérence
descriptive et se dit non normative est pour le moins décevant.
Quant aux catégories de constituants, qui complètent l’option
phrastique, nous y revenons plus bas au sujet des prépositions.
Une minoration évidente et rétrograde du français parlé
Au chapitre des options théoriques et méthodologiques, le modèle
phrastique surdéterminant implique et un point de vue dichotomique
du couple écrit-oral, et une sous-estimation des genres de discours.
Il suffit pour se convaincre de la minoration du français parlé de
constater la relégation de « la notion de phrase à l’oral », à la dernière
place du chapitre sur la phrase et de lire ces pages consacrées à « l’oral »
(1-8, 109-124). D’entrée (109), sans doute dans l’optique d’une défense
et illustration du terme oral, on lit ces lignes sur le « français parlé » :
« Certains emploient le terme français parlé dans un sens plutôt
péjoratif, pour désigner des énoncés utilisant un vocabulaire réduit,
des phrases courtes, des termes familiers, et, éventuellement, des
expressions condamnées par la norme. Nous ne suivons pas cet usage ».
L’encadré a de quoi surprendre ! S’il est un terme dont C. BlancheBenveniste s’est faite l’avocate, c’est bien celui de français parlé, dans les
titres ou le contenu de ses ouvrages (Blanche-Benveniste & Jeanjean,
1987 ; Blanche-Benveniste, 2010), combattant justement « les grands
mythes fondateurs », dont l’opposition oral-écrit. On comprend entre
les mots que ces quelques lignes sur le français parlé traduisent un
certain embarras (« nous ne suivons pas cet usage »), mais dans les
pages qui suivent c’est bien « oral » qui est retenu dans son opposition
classique avec l’écrit ! Ailleurs, la GGF se montre tout aussi catégorique
et normative, faute d’une investigation plus approfondie des genres de
discours. C’est ainsi que le paragraphe sur « On, pronom de dialogue »
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comptes rendus
(1073) commence ainsi : « À l’oral, ou en écrit informel, on s’emploie
comme un équivalent de nous ». Par ailleurs, on regrette de légères
incohérences internes. Comment ça dans l’encadré de la page 117 est
appelé une « phrase sans verbe », pourtant on apprend deux pages plus
loin que « les phrases sans verbe à l’oral » sont « des énoncés nominaux »
(119). Un dernier aspect nous fait regretter des choix rétrogrades,
lourdement préjudiciables au renouvellement de l’enseignement de
la langue, celui de n’avoir pas tranché au sujet de la classification
morphologique des verbes et de n’avoir pas cherché à proposer une
classification qui sorte des trois groupes et adopte le critère de la
variation des bases, en partant des formes sonores. Au lieu de cela,
on lit une explication embarrassée sur le maintien de la traditionnelle
division en trois groupes peu homogènes : « Bien que cette division en
trois groupes soit commode, elle masque la diversité existant au sein
de chaque groupe, et particulièrement dans le groupe III, qui n’est que
la réunion des verbes n’appartenant ni au groupe I, ni au groupe II. »
(137-138). La GGF admet que « le français possède un grand nombre de
classes de conjugaison distinctes (entre 50 et 80 selon que l’on considère
les formes orales ou […] écrites » et en donne « un aperçu […] sur la
base des formes écrites de l’indicatif présent et de l’infinitif » (138-9).
De même, les « personnes » sont appelées les trois personnes du
singulier et de pluriel et non, comme c’est devenu courant, P1, P2, …
P6, depuis l’ouvrage de J. Pinchon & B. Couté sur le système verbal
du français, qui a ouvert la voie d’un enseignement renouvelé de
la conjugaison, il y a plus de quarante ans (1981) ! En cette matière
encore, l’écrit et la tradition l’emportent.
Une conception formelle de la description linguistique : le cas de la
phrase interrogative
S’il est une construction dont la description linguistique nécessite
une conception interactionnelle et variationniste (Coveney 2011),
c’est bien celle de l’interrogative. Pourtant, la GGF, après avoir
justement dissocié la structure (interrogative) de l’interprétation
(interrogation) et de l’acte de langage (question), établit trois soustypes (quatre en réalité) de phrases interrogatives qu’elle croise avec
les deux domaines de l’interrogation totale ou partielle et le cas de
l’interrogative alternative (1402). Ces sous-types sont respectivement
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comptes rendus
i) l’interrogative en est-ce que, ii) l’interrogative avec sujet suffixé,
iii) l’interrogative avec sujet inversé, et iv) celle qui est « avec seulement
un mot interrogatif ». L’absence de toute considération de prosodie
ou de genre de discours (Dekhissi & Coveney, 2018) et l’étanchéité de
mise entre le fait syntaxique et le tour effectif conduit à l’éviction de
tours qui formellement échappent à l’étiquette « interrogative », par
exemple tu restes ou tu pars, ou bien relègue comme quasi secondaire
l’interrogative partielle dont le morphème est in situ : tu vas où. Ce
dernier cas est appelé « interrogative partielle avec mot interrogatif
après le verbe » (1408). Les conséquences de cette option sont fâcheuses.
La première est que l’ensemble du chapitre est sous-tendu par une
opposition écrit-oral, ainsi qu’en témoigne la mention précoce de
« la ponctuation des phrases interrogatives » (1403) et des positions
pour le moins discutables : « Si elle peut être mal accueillie dans l’écrit
formel, la forme est-ce que relève à l’oral du registre courant. C’est
aujourd’hui une forme agglomérée que nous analysons comme un
subordonnant. Elle peut apparaître également dans certaines phrases
déclaratives au lieu du verbe à sujet suffixé (Peut-être ai-je poussé
trop loin), contrairement à la norme » (1403). Une autre conséquence
est de reléguer en fin de chapitre (point 3.5, 1432-1437) une souspartie au titre significatif (nos italiques) : « La variation des phrases
interrogatives ». Il s’ensuit un déséquilibre prévisible des exemples –
construits dans la première partie et attestés dans cette dernière partie
sur les variations – avec des résultats pour le moins discutables. Par
exemple au titre des interrogatives alternatives, il est dit qu’on peut
trouver la coordination qui combine les deux formes de l’interrogative
est-ce que P ou V-S (l’exemple 28c, 1410) : Est-ce que vous souhaitez
parler ou préférez-vous vous taire ? Et, dans la sous-partie sur les
variations, où les exemples attestés, les plus nombreux, sont assortis
de leur jugement d’acceptabilité et de leur provenance géographique,
on lit avec étonnement que des énoncés tels que l’exemple 127a et c
(1436) « semblent plus rares en Europe mais sont signalés à des
fréquences relativement importantes dans des corpus oraux québécois,
réunionnais et camerounais » : a. je sais plus le nom / c’est quoi ;
b. Alors je t’explique c’est quoi, à côté desquels figure la mention La
Réunion. Placé entre la description formelle de l’interrogative et la
sous-partie sur les variations figure un développement sur « l’usage
des phrases interrogatives » (« Les questions et les réponses », « Les
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comptes rendus
différents types de questions » et « L’emploi non questionnant des
phrases interrogatives », 1422-1431), développement qui concède
de brèves incursions dans les genres de discours (monologue, essai,
question d’examen, devinette) et les actes illocutoires. En lieu et place
d’une éventuelle discussion sur les maximes conversationnelles, on
trouve cette définition étonnante de réplique (1425) : « Les répliques
peuvent être informatives ou collaboratives, mais elles ne répondent
pas à la question posée. Certaines peuvent être prises pour un refus
de répondre, voire pour une insulte, – Fait-il beau à Paris ? – Je ne
suis pas la météo » […] ». Dans ces conditions, on ne s’étonne pas de
voir maintenue les appellations de « subordonnée interrogative » et
de « relative sans antécédent », pour décrire l’homonymie formelle
des deux : « Les subordonnées interrogatives par qui, où, prép. + qui
ne doivent pas être confondues avec des relatives sans antécédent.
Les relatives sans antécédent forment des syntagmes nominaux ou
prépositionnels, alors que les interrogatives sont des complétives »
(1415). On aurait aimé que s’instaure ici une discussion avec P. Le
Goffic, dont la dichotomie entre subordonnées « percontatives » et
« intégratives » avait une autre cohérence et posait corrélativement
le rejet de l’appellation subordonnée interrogative (« Il importe de
dissocier strictement ce qui relève de la sous-phrase enchâssée, et l’acte
de langage de la phrase dans son ensemble », (Le Goffic, 2000 : 23)).
L’application trop étroite d’une description par les catégories de mots
et leurs propriétés : l’exemple de la préposition
L’étroitesse de certaines catégories (la préposition, les pronoms
indéfinis, les interjections ou les adverbes) a déjà fait l’objet de maints
commentaires. Rappelons pour mémoire que M. Wilmet (2010⁵,
§ 332, 340) commence son chapitre sur l’adverbe par une sous-partie
intitulée « Une classe introuvable » où il cite un florilège de linguistes
qui émettent des réserves sur la catégorie Adverbe.
Voyons ce qu’il en est de la catégorie de la préposition. Elle ne
semble guère mieux lotie en matière d’homogénéité que l’adverbe. Le
chapitre (749-859) comporte 6 sections de taille à peu près comparable :
1) Qu’est-ce qu’une préposition et un syntagme prépositionnel ? (749762) ; 2) Les classes de prépositions (763-780) ; 3) La structure du
syntagme prépositionnel (781-799) ; 4) Les fonctions du syntagme
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comptes rendus
prépositionnel (800-819) ; 5) Les prépositions à et de (820-840) ; 6) Les
prépositions locatives (841-857). L’encadré qui ouvre le chapitre (749)
ne cache pas que la catégorie, en tant que telle, est problématique :
« Les prépositions sont des mots invariables qui présentent une
grande hétérogénéité morphologique, syntaxique et sémantique ». De
fait, le traitement des prépositions adopte une progression qui suit
les trois grands domaines cités. Mais là encore, le suivi de la lecture
est malaisé en raison de l’effet-liste des nombreuses sous-parties
nécessitées par l’étude d’une classe aussi vivante et hétérogène ; sans
doute fallait-il sauver la vision unifiante de la dominante syntaxique,
d’une « règle » générale à appliquer au nom du principe d’un traitement
catégoriel. Sans entrer dans le détail de ce chapitre copieux, signalons
que la porosité de la catégorie s’accompagne de remarques sur les
cas de « prépositions variables », celles issues d’autres catégories
comme excepté et vu, et conduit à ce commentaire (nos italiques) :
« [les prépositions] sont normalement invariables. Celles issues d’un
participe passé, ou étant donné, se trouvent parfois accordées à l’écrit,
bien que la norme le désapprouve […] » (766). Cette énième remarque
sur « la norme » nous ramène à la question du public visé : au-delà de
la difficulté à cerner les usagers de cette grammaire, il semble bien que
la GGF ménage les adeptes d’une langue surveillée… autant que ceux
qui prônent la réfection des pronoms personnels (iel, 1022). Le chapitre
de la préposition consent un encart sur la grammaticalisation où le
phénomène est apparenté au figement (779) : « Le figement de la forme
[renouer avec vs * renouer parmi] peut dans certains cas s’expliquer
par le sens. On pourrait dire par exemple qu’avec est simplement la
seule préposition capable d’exprimer la relation sémantique adéquate
pour compléter le prédicat renouer. Mais il reste que renouer se
combine toujours avec la préposition avec. Dans une telle situation de
cooccurrence systématique, la combinaison peut se grammaticaliser, et
la sélection syntaxique vient alors renforcer la sélection sémantique ».
Suit un commentaire sur opter en faveur de et opter contre assorti du
même jugement d’acceptabilité problématique (?). La question des
jugements non unanimes se repose : nous acceptons sans difficulté
opter en faveur de tel candidat, tout en comprenant que opter pour
soit probablement plus fréquent. En revanche, opter contre est a priori
plus « difficile », les deux polarités se contredisant. Quoi qu’il en soit,
il aurait été judicieux d’introduire des éléments d’analyse qui prennent
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comptes rendus
en compte le contexte immédiat dans un énoncé effectif. Auparavant
(751), la recatégorisation de avant dans il a appelé avant en adverbe
avait été refusée, au nom de l’analogie avec la complémentation du
verbe qui peut être transitif et intransitif sans pour autant changer de
catégorie.
Nous l’avons déjà dit, les paragraphes d’explication rédigée nous
laissent décidément sur notre faim.
Enfin, pour apprécier la productivité de la préposition, on peut
citer, à côté de la circumposition (à… près, 778) le schéma syntaxique
de « l’interposition » (pas à pas, dos à dos, coup pour coup, coup sur
coup, phrase après phrase, joue contre joue) signalé par L. Mélis (2003 :
22-23).
L’option théorique générale de la grammaire, dans le cas présent de
la préposition, explique probablement que le tour pourtant bien attesté
être sur Marseille ou partir sur un [vin] blanc ou sur un Mac (dans le
cas d’une transaction commerciale, dans la bouche du caviste ou de
l’informaticien) ne soit signalé qu’à la sauvette et « considéré comme
un emploi informel » (857). De même, on ne trouve ni le pourtant très
usité je reviens vers vous au sujet du formulaire x, ni de par (de par sa
formation, il est très musicien), non moins fréquent. En l’occurrence
nous aurions été intéressées par l’opération sous-jacente susceptible
d’éclairer la formation de telles formes et leur vigueur.
Conclusion
La GGF à nos yeux ne répond pas à l’ambition que s’étaient fixée
les auteurs : c’est une grammaire finalement centrée sur la norme
de l’écrit en dépit des dénégations, sur le modèle phrastique et les
catégories traditionnelles. À ces réserves, s’ajoute celle du traitement
des exemples : les exemples construits occupent centralement le
contenu des chapitres et relèguent dans une sous-partie finale les
exemples de variations attestées (le plus souvent en fonction du
critère géographique). À quoi bon dans ces conditions mettre en avant
l’importance des corpus utilisés (introduction, XXVII-XXVIII) ? Ce
dernier problème des exemples et des corpus est pour nous capital. Si
l’on reprend la distinction rappelée par J. Deulofeu & J.-M. Debaisieux
(2012 : 28) entre une « description établie à partir du corpus » et une
« description assistée par le corpus », la GGF ne laisse aucun doute sur
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comptes rendus
l’option retenue : le corpus sert au mieux d’appoint ou de ressource
pour valider des emplois « exotiques » relégués en fin de chapitre sous
« variations ».
On recommandera finalement aux curieux et amateurs de la
langue française de lire les différents chapitres de l’Histoire de la
phrase française, aux linguistes, spécialistes ou non de la diachronie,
de consulter l’ouvrage monumental et lui très novateur qu’est la
Grande Grammaire historique du français, aux linguistes soucieux de
descriptions actualisées et synthétiques de faits de langue identifiés,
de fréquenter le site de l’Encyclopédie Grammaticale du Français,
enfin, aux enseignants de la grammaire du français, de continuer avec
profit de confronter les vues de la Grammaire de la phrase française,
de la Grammaire méthodique du français, de la Grammaire critique
du français et du Grand Larousse de la langue française, ainsi que des
« grammaires de spécialité », par exemple la Grammaire de l’intonation
(Morel & Danon-Boileau, 1998), la Grammaire de la période (Groupe
de Fribourg, 2012) ou la Petite grammaire du dialogisme (Bres et al.,
2019). La GGF ne remplit pas l’objectif d’être la somme actualisée,
exhaustive et homogène des savoirs linguistiques sur le français
contemporain.
Danielle COLTIER et Caroline MASSERON
UR 3476 CREM, Université de Lorraine
coltier.danielle77@orange.fr
caroline.masseron6@orange.fr
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