“ Au commencement fut le verbe… ”
Juan Salvador Velecela
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Juan Salvador Velecela. “ Au commencement fut le verbe… ”. Ludions, 2019, 18, pp. 121-128.
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« Au commencement fut le verbe… »
… Puys furent servies…
… Des happelourdes, des badigonyeuses, des
étangourres, des aucbares de mer, des
godiveaulx de lévrier, biens bons, des
bourbelettes, Primeronges, des bregizollons,
des frelinginigues, des starabillatz, des
cornicabotz, des cornemeuz revestuz de bize,
des jerangoys, de la mopsopige, des
chinfreneaulx,
des
volepupinges,
des
ondrespondredetz,
de
la
friande
vestanpenarderie, des bandyelivages, viande
rare, des notrodilles, des spopondrilloches, des
ancrastabotz, des croquinpedaignes, des
gruinguenauldes à la joncade…
(Rabelais. Le cinquiesme livre, chapitre XXXII
bis1.)
Dès l’exergue même de Haute Solitude – recueil bien plus original que ceux qui
l’ont précédé dans l’œuvre poétique de Fargue –, le poète se place sous le signe de
l’illisibilité. Une illisibilité qui a partie liée, certes, avec l’invention lexicale, mais qui ne
saurait se réduire à ce seul aspect de son écriture. Ce livre, comme l’a parfois remarqué
la critique, « a tendance à écraser le lecteur sous une invention langagière sans limites,
faite d’énumérations et de néologismes2. » Consolidant, en effet, un penchant stylistique
déjà esquissé dans Vulturne et Épaisseurs, Fargue fait preuve ici d’une rupture
définitive avec l’œuvre de ses premières années. Non seulement le lexique devient
étrange, empêchant au lecteur l’accès à la signification première du texte poétique, mais
aussi la syntaxe de la phrase tend à se compliquer en s’élargissant, rendant difficile la
rétention des groupes syntagmatiques par la mémoire. Les images poétiques, d’autre
part, surabondantes dans l’ensemble du texte et véhiculées par une langue de surcroît
difficile, loin de maintenir l’effet incantatoire des premiers instants de lecture, égarent le
lecteur au milieu d’une figuralité effrénée. C’est ainsi que, si l’on revient à la mise en
garde formulée par Aristote contre l’abus de « termes étranges » pour construire une
expression noble – « Par "terme étrange", j’entends, dit l’auteur de la Poétique, un nom
1
Cité en exergue dans Léon-Paul Fargue Haute Solitude, Paris, Gallimard, « L’imaginaire », 1999, p. 7.
Anne Reverseau, « Pépites de Fargue : de l’importance de la citation » in Ludions, nº15, Presses de
Paris-Ouest, 2015, p. 82.
2
rare, une métaphore, un allongement et tout ce qui s’écarte de l’usage courant 3 » – l’on
pourrait qualifier, malicieusement, avec lui la prose du dernier Fargue d’énigme ou de
galimatias : « énigme, [parce qu’elle] est composée de métaphores, galimatias [parce
qu’elle] l’est de noms rares4 ». Or, ne pourrions-nous voir là, précisément dans l’emploi
de ce lexique et de cette syntaxe particuliers autour de l’image farguienne, l’instauration
d’un dispositif figural qui permet au sujet lyrique d’exprimer l’état de déchirement qui
est le sien dans Haute Solitude ?
Pour Fargue, on le sait, l’écriture poétique est le moyen privilégié de ramener à
la mémoire un état idéal de l’existence où la vie puisse, sinon naviguer, du moins jeter
l’ancre. Ce qui est à l’œuvre dans ce mouvement, ce sont les rouages de la nostalgie,
dont le sens étymologique ne saurait laisser indifférent quiconque s’intéresse à cette
poésie, étroitement liée aux notions de « retour » et de « souffrance ». Ne se demande-til pas, à un moment donné : « Peut-être ne suis-je poète que par le drame de voir mourir
autour de moi des physionomies et des façades5 » ? C’est à travers l’écriture, en effet,
que Fargue s’insurge contre une réalité désolante où l’a abandonné, comme il le dit luimême, « la longue file des morts6 ». Mais l’obstacle auquel il se heurte dans Haute
Solitude – peut-être davantage que dans quelconque autre recueil – est la fracassante
impossibilité de déloger le présent au profit des années de jeunesse, moins malheureuses
que celles qui ont amené la mort du père, laissant en lui un sentiment d’être arraché au
monde. Il s’y emploie, cependant, et le résultat, en terme de qualité littéraire, est loin
d’être des moindres. Or le rétablissement de ce passé – mythique à plusieurs égards –
requiert un grand effort de recatégorisation de la réalité présente qui passe
principalement par les images. Elles forment, en ce sens, la pierre de touche de ce
monde qui ne tient, inévitablement, qu’à elles, et qui, comme un instant de rêverie,
s’écroule à la moindre approche du réel.
Disons, tout d’abord, qu’il y a dans la prose poétique du dernier Fargue une forte
prédominance de métaphores verbales qui suscitent l’animation des objets du monde.
Elles se présentent souvent en bloc, de telle sorte que le sujet lyrique apparaît comme le
spectateur d’une réalité devenue étrange, voire par instants merveilleuse :
3
Aristote, Poétique, traduction, présentation et notes de Michel Magnien, Le livre de Poche, Paris, 2016,
livre XXII, p. 120.
4
Ibidem.
5
Léon-Paul Fargue, « Azazel », Haute Solitude, Op. cit., p. 171.
6
« Haute Solitude », Haute Solitude, Op. cit., p. 129.
On m’enchaîne doucement, tandis que le matin parisien me murmure des horreurs d’une
voix de bec de lièvre. Un mariage repose sur mon ventre comme un presse-papier. La
note du tailleur m’enfonce un grand pieu dans le genou droit7.
De même, l’usage des métaphores adjectives – où la caractérisation inattendue joue un
rôle essentiel (« les larmes d’un jour cholémique8 ») – n’est en rien négligeable, d’autant
qu’il s’inscrit dans un mouvement plus large de construction d’images par
caractérisation hétéroclite : elles sont formées tantôt par des syntagmes binominaux,
transformables en constructions attributives (« le ciel gris des draps sans sommeil et
bousculés de fièvres9 »), tantôt par l’adjonction au nom d’un à de caractérisation
(« C’est œil, c’est un hameçon à monocle que j’ai lancé hors du lit10 »). Elles proposent,
dans leur ensemble, une unité sous la diversité des termes de l’image pouvant être
reconstituée – nous y reviendrons plus tard – par l’analyse des motifs qui relient en elles
comparant et comparé. Moins fréquentes, mais certainement plus savoureuses, sont les
métaphores à motif non exprimé qui, à défaut d’une délimitation stable dans les rapports
comparé/comparant, y instaurent une virtualité pleine de sens (« un œil blond comme
l’étonnement de Vénus, et vêtu d’eau propre11 », « un pauvre célibataire […], sorte
de limaçon à borborygmes12 »). Riches de ces différences, les images occupent donc
une place centrale dans Haute Solitude, au point que le réseau de figuralité qu’elles
tissent dans le texte rend étrange l’expérience de lecture.
Il faut dire, toutefois, que cette étrangeté passe aussi par la syntaxe. Une syntaxe
qui, chez Fargue, est moins au service de la langue – en termes de clarté expressive, du
moins – qu’à celui des images qu’elle est amenée à accueillir dans chacun de ses
prolongements :
J’ai frôlé l’extrême pointe de quelque vie terrible, frai de vieil espadon cosmique, portée
d’une vieille planète chatte, amoureuse de trop de maîtres, qui brasillait et miaulait
doucement dans l’éther, comme une voix plaintive qui vacille dans une chambre de
malade éclairée sourdement dans le houle des toits13.
Cette longue phrase, pour donner un exemple, assortit le complément de nom du groupe
nominal C.O.D. de deux appositions qui le recatégorisent différemment. Une troisième,
rapportée à la précédente, relance le surgissement des images par une subordonnée
7
« Encore… », Haute Solitude, Op. cit., p. 205 (nous soulignons).
« Haute Solitude », Haute Solitude, Op. cit., p. 127.
9
« Géographie secrète », Haute Solitude, Op. cit., p. 44.
10
« Au matin », Haute Solitude, Op. cit., p. 91.
11
Ibidem, p. 90.
12
« Géographie secrète », Haute Solitude, Op. cit., p. 43.
13
« Je rêvais », Haute Solitude, Op. cit., p. 13.
8
relative et le choix du verbe « brasiller », tout comme par la comparaison ultérieure,
doublée à son tour par une hypallage (« éclairée sourdement »). De plus, comme on le
voit déjà dans ce fragment, il arrive souvent que Fargue renforce des images pleinement
construites par l’ajout de nouvelles associations, créant ainsi un dispositif imageant à
deux étages :
Un rogaton d’idée tronquée, comme l’avant-train d’une guêpe qu’on a guillotinée et qui
continue de faire sa toilette et de se décaper frénétiquement les pattes, fredonnait à
nouveau dans ma tête vitreuse14.
Ce qui était image à part entière dans le premier (« Un rogaton d’idée tronquée » – Cé :
« idée », Ca : « rogaton », motif : incomplétude) devient simple comparé d’une nouvelle
image dans le second, où « l’avant-train d’une guêpe », et ce qui suit, fait office de
comparant. Le motif, resté quant à lui intact, assure la continuité entre ces deux paliers
de l’image. D’autre part, l’on voit bien ici que l’écart introduit par la nouvelle image
entre le sujet et le verbe de la proposition principale vise à reproduire, au niveau
syntaxique, le sémantisme d’incomplétude développé par l’énoncé. L’on pourrait donc
s’interroger sur les raisons qui poussent Fargue à disposer d’un recours pareil. S’agit-il
de contourner une impossibilité de la langue à exprimer le déchirement du sujet lyrique?
Il semblerait, en effet, que faute de pouvoir le formuler, le poète entreprenait de
l’exemplifier – pour lui-même comme pour le lecteur – sous le signe de l’indicible. Ce
de quoi participe, par ailleurs, le procédé de la liste, fréquemment utilisé dans ce
recueil15 et qui, malgré la cocasserie de quelques-unes de ses images, s’accorde avec
l’atmosphère dysphorique d’ensemble :
On voyait fuir et se diluer dans l’air, pareilles à des colonies d’argonautes, les chiffres
de nos têtes, les règles grammaticales, les prénoms, les injures. Une sorte d’automne à
griffes, scintillant d’animaux-soleils, arrachait tout, dénudait tout. Les aspirateurs de la
Mythologie astrale engloutissaient la matière et l’esprit. Et nos yeux voyaient cela, nos
oreilles entendaient cela16.
Aidées, comme on le voit, par la syntaxe, les images entraînent le lecteur dans
une langue vertigineuse et cadencée, se servant au même titre des mots rares –
provenant généralement du vocabulaire scientifique, au sens large (« les mystiques font
14
Ibidem, p. 9.
Et ceci non seulement pour les images. Nous pensons notamment à l’itinéraire farguien de la nostalgie
que l’on trouve dans « Azazel », Haute Solitude, Op. cit., 175 : « J’ai quitté jadis, ou, pour mieux dire,
nous avons quitté […] la rue du Géorama pour la Chapelle, celle-ci pour la rue du Colisée, cette dernière
pour la rue de Dunkerque, la gare du Nord pour Passy, Passy pour le boulevard Magenta, celui-ci pour la
rue Saint-Quentin, celle-ci pour le faubourg Saint-Martin, la garde de l’Est pour la rue ChâteauLandon. ».
16
« Danse mabraque », Haute Solitude, Op. cit.,, p. 191.
15
de la ptose », « traînées albugineuses », « Cascaphore, ce phanadorme des nuits
vertes », « individualisme exophtalmique », « mystique endocrinienne », « vieilles
maisons leucorrhéiques17 », etc.) –, et des néologismes faisant souvent irruption dans la
page. Selon le degré de transparence de ces derniers, il se peut que le lecteur réussisse à
reconstituer leur référent – l’on reconnaît ainsi dans « un rêveur un peu zénoneur18 » le
nom du Grec célèbre par ses paradoxes –, et à partir de là un motif peut être établi entre
le néologisme en question et ce à quoi il réfère, d’autant que son fonctionnement est
semblable à celui des métaphores nominales et adjectives. Mais il arrive aussi que le
référent ne puisse pas être trouvé, comme c’est le cas ici :
Les receveurs d’autobus ont été, cette nuit, changés en œufs de Pâques ! Demain, ce
sera le tour des pédicures, puis viendront les facteurs, les opticiens, les maroquiniers, les
savants, les nobles, les ziblocousses, les cacotermes, les pantagouriches et les
botonglouzes19.
Et le lecteur est confronté, mutatis mutandis, à une situation analogue à celle des
métaphores à motif non exprimé. Il y a, en effet, une virtualité imageante dans le
néologisme farguien qui demande à être explorée, en fonction de son contexte, à un
niveau aussi bien phonétique – le choix des phonèmes est extrêmement suggestif dans
des mots comme ceux-ci : « un pauvre célibataire […] tortillard, viponneux, lifoibloque
et regrattier20 », – que morphologique et lexicale.
« Qu’un événement discursif, dans son trébuchement, dit Laurent Jenny dans La
Parole singulière, ébranle les contours de nos représentations, et nous sommes
reconduits à la fondation de la langue : dans le figural, nous en entendons comme l’écho
atténué, nous retrouvons l’actualité qui a dû présider à son invention21. » Le néologisme
farguien est, en effet, le lieu où les domaines du signifiant et du signifié cohabitent dans
une tension qui remotive de plusieurs manières leurs rapports, et qui tend par là même à
réduire l’arbitraire du signe. Par ailleurs, Léon-Paul Fargue lui-même ne manquait pas
de souligner cet aspect du néologisme dans sa préface aux Sortilèges du verbe de
Mathila C. Ghika : « Tout le monde sait aussi qu’il y a plus de force persuasive et de
17
« Je rêvais », p. 11 ; « Géographie secrète », p. 46 ; « Azazel », p. 197 ; « Encore », Haute Solitude, Op.
cit., p. 207.
18
« Je rêvais », Haute Solitude, Op. cit., p. 9.
19
« Danse mabraque », Haute Solitude, Op. cit., p. 187.
20
« Géographie secrète », Haute Solitude, Op. cit., p. 43.
21
Laurent Jenny, La parole singulière, Paris, Belin, 1990, p. 106.
piment dans certains divertissements sémantiques que dans l’emploi sec et traditionnel
des mots et des formules22 » :
Une infirmémière est plus juste qu’une infirmière. […] J’aime le diplotame, le
dépotame, le dilépothèse, chers à Valéry Larbaud, le montsombron à roulisses, le
télénophe, la démon midaine et la station de métro Lèvres se courbent…
Mais il reste rugine, ville lombarde à mes oreilles, et cartilage, qui flambe au bord de la
Méditerranée, et gréeur, vieux noble qui partit pour Jérusalem, et quiescent, amiral
breton, et dédicace, plat cuisiné (une dédicace de riz à l’encre verte), et empire, petite
baie des champs (de la confiture d’empires), et fraisil, une maladie de la gorge, et mille
joyaux encore. Sans compter ceux qui n’ont pas été admis par mes concitoyens ou qui
redoutent le dictionnaire23.
Cela passe – on le voit très bien dans cet extrait –, par l’activation de certaines sonorités
qui, sorties de leur contexte par des figures telles que la permutation, la troncation ou
l’épenthèse (comme l’insertion de –mé entre les syllabes d’infirmière), sont élevées à un
rang proche du morphème. C’est pourquoi le choix de certains néologismes est
extrêmement suggestif dans certains passages :
Un pauvre célibataire […] tortillard, viponneux, lifoibloque et regrattier, une sorte de
limaçon à borborygmes dont je n’osais pas serrer la main24.
La haine, toujours la première à porter feuilles et fruits, varambouille et fulmigote25.
Il plut à trois cent soixante degrés sur des roches sentimentales, dont la douleur peut se
mesurer, de nos piètres jours, aux convulsions de homards à l’américaine et de truites au
bleue qu’elles ont gardées de cette cuisson tournafolbesque et filpitorve26.
Ainsi viponneux, par exemple, semble résulter de l’assemblage de vipère et
bouillonneux, ce qui va dans le même sens de cette qualification peu obligeante de
« limaçon à borborygmes » à l’encontre de l’épicier dont parle Fargue dans
« Géographie secrète ». On reconnaît, de même, dans varambouiller la réunion de varan
et barbouiller qui, avec fulmigoter (sans doute issu de fulminer et ragoter), rendent bien
compte des effets de la haine. Quant à tournafolbesque, il semble être composé de trois
pièces : une première qui se rapporte clairement au verbe « tourner », et deux autres, qui
évoquent autant la folie que des arabesques, toutes significatives de l’idée de cuisson
que Fargue veut transmettre au lecteur dans sa description de l’origine du monde dans
« Visitation préhistorique ».
22
Léon-Paul Fargue, préface aux Sortilèges du Verbe, Maila C. Ghyka, Paris, Gallimard, 1949, p. 7.
Ibidem, p. 9 (nous soulignons).
24
« Géographie secrète », Haute Solitude, Op. cit., p. 43.
25
« Accoudé », Haute Solitude, Op. cit., p. 101.
26
« Visitation préhistorique », Haute Solitude, Op. cit., p. 21.
23
Mais dès lors qu’il n’est plus possible de reconnaître dans les néologismes la
présence dissimulée d’autres mots, celui-ci demande au lecteur un examen phonétique
qui fasse ressortir sa puissance imageante. Ainsi, par exemple, dans « Les dépliants de
surtarbrandur qui marchent à clochepied le long de l’horizon 27 », c’est la sonorité du
mot qui évoque au lecteur une apparence effrayante dans un contexte où toutes sortes de
bêtes sont déployées par l’imagination apocalyptique du poète. Or il faut dire que
surtarbrandur est un nom islandais signifiant lignite, employé certainement par Fargue
en raison de ses particularités phonétiques : la présence constante du [r] se double d’une
alternance [u]/[a] qui l’approche du chiasme, rendant ce terme suggestif dans un
contexte d’étrangeté comme celui de « Je rêvais ».
C’est, en effet, la place qu’occupe le néologisme dans la langue – rendue
étrange, comme on l’a vu, par la syntaxe et le lexique – qui le fait adhérer à son contexte
et produire du sens. De telle sorte que, au même titre que la syntaxe et les images – dont
on dirait qu’il n’est qu’une nouvelle forme d’expression –, le néologisme farguien
participe pleinement à l’instauration d’un dispositif figural qui permet à Fargue de
revenir aux sources du langage pour s’approprier le réel et le renommer. Ne disait-il pas
dans un article sur Joyce à la NRF : « Il faut que les mots dont nous avons besoin, notre
verbe à nous, revivifié, soient les bons microbes, les phagocytes de ce microbe
intellectuel28 » ? Aussi pouvons-nous conclure avec ses propres mots sur l’écriture du
Fargue de Haute Solitude :
Maître et fondé en tout dans la matière littéraire, maître de l’unité de temps, de la
morphologie, de l’étymologie, de l’activité dans l’analogie, de la phonétique, capable de
renouveler entièrement l’arsenal grammatical d’un idiome, il est le médecin, il est le
dentiste du lexique, de la sémantique, de la syntaxe. Et il pratique, quand il lui plaît, la
plus magique des langues vertes29.
JUAN-SALVADOR VELECELA
27
« Je rêvais », Haute Solitude, Op. cit., p. 14.
« L’Alchimiste », La Nouvelle Revue Française, CCLVII, 1934, p. 615-616.
29
Ibidem, p. 617
28