QUESTION 2
PEUT-ON NE PAS
ÊTRE CULTIVÉ ?
page 12 | l’Observatoire - No 41, hiver 2012 - dossier
DÉCONSTRUCTION DE LA
COMMUNAUTÉ CULTURELLE
Eric Corijn
Chaque être humain est un être culturel. Il participe à une/la culture. L’humain, chaque
humain, est un être parlant. L’entrée dans la culture implique que les humains ont un
rapport médié, non immédiat, avec « la réalité environnante ».
L
e « sentiment océanique » (Freud,
1972) à la mère et l’environnement
est rompu par la mise en relation, en
rapport avec les autres dans une structure
symbolique. Cette séparation (douloureuse) est nécessaire à la convivialité avec
les autres. Les êtres humains se rapportent
donc à l’extérieur via un ordre imaginaire
et symbolique (Lacan, 1966). Ils vivent
dans un imaginaire et ils nomment les
choses. Les humains rentrent dans la
culture, dans une culture. Un ordre est
introduit dans le désordre du corps, l’intérieur est distingué de l’extérieur, pulsions
et besoins sont orientés, régulés et structurés. Le corps devient culturel. La culture
est incorporée.
La culture vient donc de l’extérieur, de
l’Autre, et nous apprend la structure de la
survie dans la société humaine. C’est dans
cette dialectique entre l’incorporation de
stimuli venant de l’extérieur et l’expression d’états intérieurs que se construit un
profil d’action. L’habitude mène à l’habitus (Bourdieu, 1979). C’est à partir de cet
habitus que nous abordons la différence,
avec plus ou moins d’habilité, avec plus ou
moins d’assurance.
La culture signifie l’interaction, elle règle
les rapports, elle crée le rapport social. Et
parce que cela ne réussit jamais, parce que
la communication arrive toujours ailleurs,
elle est aussi la scène du manque, de l’aliénation, qui fait de chacun de nous un être
unique et angoissé. La faille dans la culture
soutient le désir de complétude, stimule la
création… entre autres la création d’une
culture nouvelle.
Il y a peu de mésentente sur ces généralités.
Mais, dans la pratique, les implications ne
sont pas toujours prises en considération, et
il en est de même dans le débat sur la participation culturelle. On mesure les présences
à l’offre culturelle, seulement cette offre n’est
pas générale, toute culture n’est pas également institutionnalisée ou représentée. De
plus, la participation est formée et incorporée très tôt, grâce au milieu familial et aux
premières expériences culturelles qui jouent
ici un rôle structurant. Le degré de mobilité
en termes de flexibilité culturelle fait partie
de l’habitus. Cela vaut pour la consommation comme pour la production culturelle. Et
finalement, les modèles économétriques pour
mesurer la participation à la vie culturelle
sont insuffisants pour comprendre la vraie
portée culturelle de celle-ci. Participer est tout
autre chose que d’acheter un produit culturel.
Nous devons donc développer une perspective sur la participation en la considérant
comme une donnée pratique et quotidienne,
sans la réduire au rapport avec la culture
instituée. Il s’agit de comprendre le référentiel qu’elle occupe dans la vie quotidienne, la
structure sensuelle (« structure of feeling »,
Williams, 1981) qui nous oriente dans les
rapports avec autrui et avec le monde.
LE QUOTIDIEN N’EST PAS
SIMPLET
La pratique culturelle est de tous les jours.
Il nous faut une vision sur le social culturel,
la culture dans son usage quotidien (Corijn,
2000, 2002a et b). Or, cette vision n’est
pas évidente parce que le quotidien est une
affaire compliquée. Il s’agit incontestablement de régularité, non de quotidien. Une
régularité d’interactions récurrentes. Le
parcours quotidien de la plupart des gens
se passe dans un espace-temps et un nombre
de pratiques sociales, chacunes avec ses règles
et ses rites, avec ses rapports de forces et ses
distributions de moyens. Ces pratiques se
servent d’une certaine culture. Elles orientent
l’insertion sociale. C’est là que les compétences culturelles comptent. Être cultivé,
c’est être capable de ces pratiques sociales.
Il faut donc en savoir plus sur la culture
quotidienne et le référentiel qui sous-tend
les pratiques sociales réelles. « Le peuple »
n’existe pas. Ce qui existe, c’est une multitude de relations sociales, de pratiques. Et il
s’agit en premier lieu d’avoir les compétences
pour ses propres pratiques. C’est cela « être
cultivé ». Bien entendu cette multitude ne
crée pas immédiatement du « commun »,
une communauté, pas plus une « conscience
collective », ni même nécessairement une
« coexistence pacifique ». Bien au contraire.
Sans intégration culturelle, imaginaire, pas
de pacification. C’est là que la « production
culturelle » intervient.
“Les modèles
économétriques pour
mesurer la participation
à la vie culturelle sont
insuffisants pour
comprendre la vraie portée
culturelle de celle-ci.”
l’Observatoire - No 41, hiver 2012 - dossier | page 13
“« Le peuple » n’existe pas. Ce qui existe,
c’est une multitude de relations sociales, de
pratiques. Et il s’agit en premier lieu d’avoir
les compétences pour ses propres pratiques.
C’est cela « être cultivé ».”
L’expérience quotidienne se positionne
par rapport à la production culturelle du
quotidien. Ce domaine expressif s’occupe
du sens, de la signification. Dans beaucoup
de cas, ce contrepoint est aussi rythmé par
l’interruption des routines, par le temps
libre ou sacré. La détente, la fête, la célébration, le spectacle… Ce n’est pas un simple
miroir de cette expérience quotidienne.
C’est un registre séparé, qui se rapporte à
l’expérience, qui a un effet et qui est aussi
influencé, sans toutefois en être le reflet. La
vie quotidienne est donc scandée, rythmée
par ces miroirs déformants qui tentent de
lui donner sens. Vita activa et vita contemplativa. C’est précisément parce qu’ils ne
coïncident pas que ça fonctionne. L’aliénation est nécessaire dans toute pratique
culturelle. Ce n’est que dans ce deuxième
registre que la communauté ou le commun,
prennent forme, que les différences quotidiennes peuvent éventuellement rentrer
dans un cadre référentiel commun. Nous
y reviendrons, parce qu’un cadre référentiel
commun ne signifie nullement une signification commune.
“La culture
de consommation
nous livre actuellement
le domaine expressif
qui remplace la conscience
collective et l’identité.”
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Nombre de théories essaient de définir la
sphère culturelle. Quel que soit le paradigme qui oriente la recherche, il est clair
que « la mise en culture » ne suit pas le
modèle du marché qui est devenu hégémonique et qui traduit tout en termes
d’offre et de demande, en ajustement de
marchandises culturelles aux « besoins ».
La culture est vivre ensemble et la convivialité est culture. En ce sens, la société
multiculturelle ne peut signifier le vivre
ensemble mais plutôt la fragmentation
et la segmentation. Tout vivre ensemble
nécessite une « culture commune ». En
revanche, la production culturelle doit se
référer d’une certaine façon à l’expérience
du public. Ainsi la culture populaire doitelle documenter la grande diversité des
modes de vie.
LES TRADITIONS SE PERDENT
Nous vivons dans une période de dé-traditionalisation et de refonte profonde de la
société. Le vie est de moins en moins régie
par les normes et mœurs du passé. Nous
cultivons une image historique d’une vie
quotidienne moins compliquée et réglée
par des traditions rigides. Les gens vivaient
autrefois la même vie et la « conscience
collective » suivait organiquement. C’est
une image sans doute simplifiée par le
romantisme. La vie quotidienne n’a jamais
été aussi simple, mais celle d’aujourd’hui
est sûrement plus diversifiée. La régularité
et la signification commune sont un peu
plus complexes.
Il y a pour cela quelques arguments :
• la division du travail est devenue plus
grande, les expériences partagées sont plus
éparses et chaque vie professionnelle a
tendance à produire son style ;
• la société même s’est diversifiée, par
une multiplication des migrations, par
la diversité de cultures générationnelles,
par les différences locales et par les modes
de vie ;
• la vie n’est plus seulement déterminée par
le poste de travail. Il y a une modularisation
de la vie quotidienne, un passage d’un
mode à l’autre, avec chaque fois des règles
et rapports, un style propre. La position
sociale ne suffit plus pour un style de vie
uniforme. Il y a donc, là aussi, une forme
de multiculture ;
• la mondialisation et le postmodernisme
ont contribué à la déconstruction d’identités collectives. Les identités nationales
s’évaporent. La fin des « grandes narrations » est annoncée.
C’est tout cela qui est en jeu quand les
sociologues de la culture parlent d’individualisation, d’atomisation et de déclin
des solidarités. La multiculture est donc
bien plus étendue que la simple différence entre autochtones et allochtones,
chaque groupe étant déterminé par son
identité nationale. Il y a vraiment lieu de
réfléchir le lien social. Le néolibéralisme
hégémonique nous suggère que le seul
registre qui relie toutes ces différences
est le marché, qui est seul en mesure
de coordonner cette multitude d’offres
avec cette panoplie de demandes et qui
“La société même s’est diversifiée, par
une multiplication des migrations, par la
diversité de cultures générationnelles, par les
différences locales et par les modes de vie.”
est aussi le seul lieu à combiner la plus
grande liberté individuelle avec la plus
grande intégration sociale fonctionnelle. Et la culture s’y est conformée :
une production de marchandises à la
recherche d’un public de consommateurs. La culture de consommation nous
livre actuellement le domaine expressif
qui remplace la conscience collective et
l’identité.
EST-CE QUE LA CULTURE
DE CONSOMMATION
PRODUIT DU LIEN SOCIAL ?
Mais n’est-ce pas là exactement que
se pose la question du rapport entre
culture de consommation et structuration sociale ? Est-ce que tout un chacun,
toute forme ou style de vie peut trouver
dans cette culture de consommation les
éléments expressifs nécessaires pour signifier et situer sa propre expérience ? Est-ce
que la production culturelle du quotidien
est bel et bien enracinée dans la diversité
des styles de vie ? On peut en douter. Il ne
suffit pas de dire que la vie quotidienne
est devenue plus multiforme aujourd’hui,
moins traditionnelle ou moins routinière
pour penser que cette diversité se reflète
aussi dans la culture.
La vie est passagère et non réflexive sans
culture documentée. Et ce sont exactement ces documents, ces artefacts, qui
sont les éléments pour tout l’édifice
culturel, pour l’assimilation et la reproduction dans une créativité continue qui
devient de plus en plus autoréférentielle
et institutionnalisée. Le secteur culturel
est fait de cette multitude d’artefacts,
matériels et immatériels. Là se trouvent
les éléments pour construire une identité,
une tradition sélective qui sous-tend l’État
ou les grandes institutions, voire même
les groupes et individus.
Nous voyons ici apparaître une double
sélection. Les vies quotidiennes sont
inégalement documentées et montrées,
et la sélection dans la culture documentée pour produire traditions et
identités est très sélective. Il y a là un
jeu de pouvoir, d’argent et de rapports
sociaux. Un marché, aussi bien un
marché culturel, ne fonctionne que pour
une demande solvable et la production culturelle est très marquée par
son propre référentiel. La culture de
consommation dominante correspond
essentiellement à la « classe moyenne
blanche » tant au niveau de la production que de la consommation et elle
obtient une diffusion massive grâce
aux médias. C’est ainsi que le secteur
culturel sélectionne et reproduit son
public propre. Il faut être éduqué, formé
et avoir des moyens. Voilà une dualité
qui s’installe, qui détermine le « capital
culturel » et définit l’être « cultivé ».
Participation et non-participation ne
sont donc pas un gradient continu, mais
des catégories. Participent ceux pour qui
l’offre est faite. Ne participent pas ceux
qui ne se reconnaissent pas dans ce référentiel, ou qui refusent peut-être activement d’être « cultivés ». On remarque
d’ailleurs que le secteur artistique trouve
encore moins de participants que le
secteur commercial – et sûrement que les
médias – et qu’ils occupent relativement
peu les loisirs. Plutôt que de se demander
pourquoi les jeunes chômeurs allochtones
ne sont pas dans les salles de spectacle,
il serait souhaitable pour le secteur artistique de se demander pourquoi tous les
enseignants, bien éduqués et bien payés,
n’y participent pas plus. On pourrait dire
que l’offre culturelle, qui n’est pas adaptée à chaque mode de vie, pose surtout
problème lorsque elle n’arrive pas chez
son propre public !
INCLUSION ET EXCLUSION
CULTURELLE
Résumons. Est « cultivé », celui ou celle
qui a assimilé le ou les régimes culturels
des pratiques sociales régulières. Dans
l’ère post-industrielle, ces pratiques sont
devenues de moins en moins coutumières. La socialisation a nécessité de
plus en plus d’institutions comme l’école,
la presse, les médias ainsi qu’un secteur
culturel subventionné et fort. Ce qui était
présenté comme organique, en revanche,
était la forme sociétale de l’État-Nation.
Les Lumières ont mis un siècle pour
imaginer et argumenter la possibilité de
vivre ensemble sans partager la religion.
En principe, l’État et la Religion sont
séparés dans l’État moderne. Il devient
multi-religieux. Moderne oui, mais national. Ce qui implique une communauté
culturelle pour légitimer la communauté
politique. Le monde moderne est donc
régi par le système des États-Nations.
l’Observatoire - No 41, hiver 2012 - dossier | page 15
ou « paroissiale ». Une société moderne qui,
selon Latour, n’a jamais existé mais qui,
somme toute, n’avait pas grande difficulté à
reprendre et adapter les normes, les valeurs
et la conscience collective traditionnelles.
Il y a un paradigme de sociétés multiples
(« Multiple society paradigm », Wallerstein). Si les Lumières et la Révolution
française se référaient à l’humanité et à
l’universalité, c’est plutôt le Romantisme
qui a déterminé la forme culturelle de la
nation moderne. L’idée donc d’intégration
culturelle présuppose que les trois registres
culturels que nous avons décrits plus haut
– la culture sociale, la culture documentée
et la tradition sélective (Williams,) – se
tiennent dans une dialectique intégrative
au sein de l’État. L’idée est que les vies
quotidiennes, les chemins de la vie, les
pratiques sociales peuvent se diversifier
pour autant qu’une culture populaire soit
documentée comme référence mais aussi
comme source de renouvellement d’une
tradition qui a pour mission de maintenir
la cohérence et l’identité nationale. Cela
pourrait être représenté dans ce schéma
très simple (voir figure 1).
Il est clair que ce schéma simpliste ne fonctionne plus. Sous la coupe des tendances
décrites plus haut, ce triangle d’intégration
culturelle est mis sous pression. D’autres
traditions que celles nationales instruisent
la vie quotidienne. Mais surtout la fragmentation et la segmentation internes à la
Nation déconstruisent l’identité. Dans ce
contexte, non seulement les modes de vie
se sont décuplés, mais aussi la documentapage 16 | l’Observatoire - No 41, hiver 2012 - dossier
tion, la production culturelle a augmenté
massivement. Dans le secteur culturel et
artistique, la diversité est immense, même
si beaucoup de modes de vie sont encore
suffisamment documentés. Il est donc
devenu très difficile, sinon impossible,
même pour des comités de sages, d’en
déduire un socle identitaire commun,
qui pourrait fonctionner comme caractère sociétal, constituant l’imaginaire de
la société. Même en prenant la classe
moyenne blanche comme norme, ni les
médias ni les politiques culturelles n’arrivent à présenter un socle commun.
Nous arrivons ici à une problématique qui
dépasse la seule question de l’intégration
culturelle, qui nous amène à la question
suivante : « dans quelle société voulonsnous nous intégrer ? ». Parce que toutes les
tendances mentionnées plus haut affectent
finalement les échelles dans lesquelles se
joue le lien social. Il s’agit des échelles
qui découlent de la mondialisation et qui
mettent sous forte pression le conteneur
de l’État-Nation.
Au début du XXe siècle, 10 % de la population mondiale vivait en ville. Le modèle
sociétal moderne issu du XIXe siècle, qui a
produit les présupposés et attentes énoncés
plus haut, vaut donc pour une société à
dominante rurale, à culture « provinciale »
Au début de ce siècle, plus de la moitié
de la population mondiale vit en ville et
dans les continents les plus développés.
Il s’agit des trois quarts ou plus de la
population. Nous sommes passés dans
l’ère urbaine et, culturellement, nous ne
le savons pas encore. La mondialisation
prend forme dans l’urbanisation. C’est
là que les métropoles redeviennent les
centres d’activités de l’économie nouvelle
qui se détourne des aires suburbaines
industrielles pour se re-concentrer dans
les villes. Ces métropoles deviennent en
même temps des nœuds dans l’espace des
flux transnationaux qui gère la nouvelle
économie mondiale. Londres et Paris sont
des villes-monde. Le centre de l’Europe,
la « banane bleue » qui va du sud de
l’Angleterre en passant par la Randstad, la Belgique et la Ruhr, en passant
par la Bavière jusqu’en Italie du Nord,
occupe moins de 20 % de la surface, mais
concentre 60 % de la population et plus
de 72 % du produit brut.
“On devrait oser
interroger à fond la notion
de l’être humain cultivé.
Est-ce celui ou celle qui
s’intègre au mieux dans
une culture donnée […]
ou est-ce celui ou celle
qui est le plus apte à
dépasser les limites des
conteneurs nationaux ou
communautaires, à faire
lien au-delà des répertoires
traditionnels ?”
l’anonymat urbain. Vivre ensemble sur base
de la différence, voilà une mission urbaine
et post-nationale. Rechercher une civilité
qui ne présuppose pas nécessairement
une communauté culturelle, qui pourrait
être partagée par des communautés et des
modes de vies différents, sans qu’ils doivent
pour cela mettre en cause leur identité…
serait au centre du projet urbain.
Ainsi, la nouvelle urbanité génère-t-elle
une nouvelle forme de société qui a de plus
en plus de mal à s’incorporer dans l’idéal de
l’État-Nation. Le schéma est donc devenu
très complexe (voir figure 2).
QU’EST-CE QUI FAIT ALORS
LIEN SOCIAL ?
Nous allons donc devoir mettre à plat
quelques conceptions bien enracinées.
Nous pensons que nous sommes ensemble
grâce à ce que nous avons en commun.
Si nos conditions de vie sont semblables
et si la culture nous fournit les narrations
qui mettent en commun, alors la communauté humaine prend forme. Depuis le
livre de Ferdinand Tönnies, « Gemeinschaft und Gesellschaft » (Communauté
et Société, 1887) et la sociologie moderne
de Durkheim et d’autres, on nous apprend
qu’il existe deux formes de lien. Il y a ce lien
fort, affectif, intense qui forme les communautés et que l’on retrouve dans les familles,
chez les amis et dans les villages. Et puis il y
a ces liens construits des contrats, des organisations, de l’économie que l’on retrouve
dans les institutions ou dans les villes et qui
font société. La modernisation éloigne et
élargit les rapports et implique donc de plus
en plus de « société ». Mais comment tenir
ensemble cette société, si ce n’est en maintenant les liens communautaires comme
fondement, comme base des normes et
valeurs, comme identité et tradition ? C’est
cela le « tournant romantique » qui insiste
sur la « culture propre », sur une cohésion
sociale millénaire, sur une sorte de génie
essentiel du Volksgeist. Nonobstant toutes
les adaptations et discussions du XXe siècle,
nous continuons à partir de l’idée que le
lien social a besoin de communauté, de
mise en commun, d’identité et d’intérêt…
Cela rend la solidarité urbaine presque
impossible sans la tutelle de l’État et sa
culture identitaire imposée. Sauf si l’on
prend en compte ce qui fait vraiment ville,
ces rapports éphémères, ces rencontres
aléatoires dans l’espace public, ces liens
virtuels et potentiels qui autorisent aussi
RÉFÉRENCES
◗ Boudry,L.; P.Cabus; E. Corijn, F. De Rynck;
C. Kesteloot en A.Loeckx (2005): Le siècle de
la ville. De la république urbaine et de la ville
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Gemeenschap, Brussel
◗ Bourdieu, (1979) La Distinction. Critique sociale
du jugement, Éd. de Minuit
◗ Corijn, E. (2000): La culture, le multiculturel
et la culture urbaine / Cultuur, multicultuur en
stadscultuur, in: Corijn,E. & W. De Lannoy (eds):
La qualité de la différence. De kwaliteit van het
verschil, Brussel, VUB-Press: 57-58 / 65-66
◗ Corijn,E. (2002a). Cultuur als stem, in: Ter zake
cahier, Brussel, Viboso
◗ Corijn, E. et al (2002b) . Alledaags is niet
gewoon. Reflecties over Volkscultuur en samenleven, Brussel, Koning BoudewijnStichting: 10-209.
◗ Corijn,E.(2008) La urbanidad como proyecto
On devrait alors oser interroger à fond la
notion de l’être humain cultivé. Est-ce celui
ou celle qui s’intègre au mieux dans une
culture donnée et surtout dans les couches
sociales qui y tiennent le devant ? Ou est-ce
celui ou celle qui est le plus apte à dépasser les limites des conteneurs nationaux
ou communautaires, à faire lien au-delà
des répertoires traditionnels ? Peut-être
avons-nous besoin d’un nouveau siècle des
Lumières qui penserait cette fois comment
vivre ensemble sans partager la culture dans
une société multiculturelle. Si nous pensons
que la séparation entre l’État et la religion
est un principe fondamental de la société
occidentale libre, pourquoi ne pas réfléchir
à la séparation entre l’État et la culture ? Et
dans ce contexte, un être cultivé le serait
dans de multiples cultures…
Eric Corijn
Philosophe de la culture et sociologue, professeur en
Études Urbaines à la Vrije Universiteit Brussel, directeur
du Centre de recherches urbaines COSMOPOLIS, City,
Culture & Society, eacorijn@vub.ac.be
politico: hacia una ciudad europa post-nacional, in: Anna Franzil (ed), Espacios y Dinamicas
Interculturales. Innovacion, participacion y proximidad, Documentos CIDOB N° 13, Dinamicas
interculturales, Barcelona, Ediciones Bellaterra:
45-63
◗ Corijn, E. (2009). Urbanity as a political project:
Towards post-national European Cities, in:
Kong,L. & J. O’Connor (ed): Creative Economies,
Creative Cities. Asian-European Perspectives,
Dordrecht-Heidelberg, Springer: 197-207
◗ Freud, S. (1972) Civilisation and its discontents,
London, The Hogarth Press, 94p.
◗ Lacan,J.(1966) Écrits, Paris, Ed. Du Seuil, 924p.
◗ Tönnies, F. (1887) Gemeinschaft und Gesellschaft, Leipzig.
◗ Williams, R. (1981) The analysis of culture,
in: Bennet, T. et al. Culture, Ideology and Social
Process, London, Open University Press: 43-52
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