Vols paraboliques : Apesanteur made in France N°13
Roger Prud’Homme
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Roger Prud’Homme. Vols paraboliques : Apesanteur made in France N°13. Avancées Scientifiques et
Techniques, 1989. �hal-02390206�
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VOLS PARABOLIQUES : APESANTEUR MADE IN FRANCE
Roger Prud'homme
Vingt secondes d’apesanteur : c’est le temps donné par la caravelle « zéro g » aux
scientifiques, pour pratiquer leurs expériences. Avec cet avion, la France dispose désormais
d’un support pour ses vols paraboliques. Plus besoin pour les équipes françaises et
européennes d’aller aux Etats-Unis. Recherches fondamentales ou à intérêt industriel, un
vaste champ de coopérations internationales est ouvert.
Le 28 janvier 1989, la caravelle « zéro g » décolle du Centre d’essais en vol de Brétignysur-Orge. A son bord, dix huit scientifiques. Parmi eux, trois Français du laboratoire
d’Aérothermique du Cnrs à Meudon : le technicien Philippe Scoufflaire, l’ingénieur de
recherche Daniel Durox et le chercheur Roger Prud’homme, réunis pour une expérience sur la
combustion. Si la presse, et la télévision en particulier, font état de cette campagne de « vols
paraboliques » ESA/CNES/CEV (1), la participation de l’équipe française est restée dans
l’ombre. Volonté délibérée d’affirmer avant tout le caractère européen du vol ou simple
négligence ? Un fait est sûr sa contribution valait d’être signalée.
« Zéro g » signifie absence de gravité. Pour ce faire, la caravelle se laisse aller en chute
libre (2) vers 10 000 mètres d’altitude, pendant 2 000 mètres, et simule ainsi l’absence de
pesanteur durant 20 secondes (3). Cette évolution se répète entre vingt et quarante fois par
vol.
L’apesanteur obtenue avec cet avion est comparable à celle que l’on trouve dans les
satellites et les stations orbitales. A deux différences près sa durée est plus courte (20
secondes au lieu de plusieurs mois) et sa qualité moins bonne. On ne parle d’ailleurs plus
aujourd’hui d’« apesanteur » mais plutôt de « microgravité » (µg). La microgravité est de
1/100 000 g en satellite pour 1 / 100 g maximum en vol parabolique. D’autres techniques
existent encore pour obtenir cet état chutes libres en tours d’apesanteur, fusées sondes, chutes
à partir d’un ballon. Mais elles n’autorisent pas la présence d’êtres humains.
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VOLS PARABOLIQUES : APESANTEUR MADE IN FRANCE
Roger Prud'homme
Pourquoi la dénomination de vol parabolique ? Parce que l’avion garde une vitesse horizontale et que
la composition du mouvement : vitesse horizontale constante ÷ accélération verticale constante (chute
libre), donne une trajectoire en forme de parabole. La microgravité débute alors que l’avion monte,
du fait de la vitesse vers le haut atteinte à la suite d’une « ressource » à 1,8 g. Une autre « ressource »
a lieu à la fin de la parabole.
L’ETUDE DES CENTRES DE L’EQUILIBRE
Ainsi notre pays dispose-t-il, de puis cette année, du moyen d’assurer ses vols
paraboliques. Jusqu’à pré sent, les équipes françaises et européennes étaient contraintes
d’aller à Houston, centre d’essais de la NASA (1), lors des missions organisées sous l’égide
de l’ESA (sauf pour quelques vols sur petits avions). La caravelle n’est cependant pas neuve.
Elle servait déjà aux essais du CEV. Les aménagements intérieurs nécessaires à sa nouvelle
fonction (calfeutrage, éclairage adéquat...) sont l’oeuvre de Bernard Decker et de Bernard
Malbec. Ces techniciens du CEV connaissent l’avion depuis longtemps et le préparent avec
beau coup de soin. Nos pilotes, chevronnés, sont admis aux examens d’astronautes.
Cet important potentiel technique et humain a permis, en février der nier, aux équipes
hollandaise et allemande d’étudier le comportement humain et, plus précisément, les centres
de l’équilibre tels l’oreille interne et les yeux. Les premiers ont injecté de l’eau chaude dans
les oreilles de leur cobaye (un scientifique de l’équipe), les seconds ont fait se balancer l’un
des leurs sur une escarpolette les yeux fermés. Les Anglais, les Belges et les Français se sont
contentés d’étudier la matière non vivante. Malgré la succession de périodes d’accélération «
sous deux g » et de microgravité, les hauts le coeur étaient rares et avaient pratiquement
disparu le 2 mars lors du dernier vol de la campagne.
L’avantage de la caravelle « zéro g » sur l’engin spatial réside dans sa plus grande
disponibilité et son moindre coût. II faut attendre plusieurs années pour effectuer une
expérience à bord d’une station orbitale alors que les vols paraboliques auront lieu plusieurs
fois par an. D’autre part, en satellite, l’expérimentateur est rarement le scientifique concepteur
de l’expérience alors que tout le monde peut se permettre un vol en avion moyennant
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VOLS PARABOLIQUES : APESANTEUR MADE IN FRANCE
Roger Prud'homme
quelques tests médicaux et physiologiques (le mal de l’air n’étant pas un handicap majeur,
croyez en l’auteur de cet article !).
Roger Prud’homme (à gauche) et Daniel Durox (à droite) du Laboratoire d’Aérothermique du CNRS
à Meudon, en apesanteur à bord de la caravelle « zéro g » pour une expérience sur la combustion.
Au début de chaque parabole, le pilote lâche les commandes provoquant une faible accélération vers
le haut de l’avion. Tout le monde monte au plafond un court instant, puis tout se stabilise en
configuration flottante. C’est l’apesanteur. Ce qui est spectaculaire c’est de voir que la moindre
poussière, les objets malencontreusement oubliés au sol comme les boulons ou les clefs anglaises, les
bouts de ficelles, font de même. Attention à ne pas se trouver sous un objet « lourd » lors de la
ressource à 2g !
DES FLAMMES COMME DES RUBIS
L’inconvénient tient dans le temps très court des périodes de microgravité. Sont exclues les
études portant sur des longues durées, soit la plupart de celles ayant trait aux sciences de la
vie. Il faut en effet largement plus de 20 secondes pour observer une modification de la
concentration de calcium dans l’organisme ou... pour faire pousser une salade. Les
expériences de biologie sont donc pratiquement impossibles ainsi que certaines expériences
de physique sur la solidification dirigée des métaux, par exemple. Dans ces domaines on se
contente de tester le matériel destiné aux vols spatiaux.
Flamme pyramidale à 6 facettes sous 1,8 g.
(haut : vue de dessus – bas : vue de profil).
L’étude portait également sur les flammes
«cellulaires » de propane et d’air.
Habituellement de forme pyramidale, elles
se transforment parfois, sous l’effet de la
microgravité, en des volumes à facettes
taillés comme des rubis ou, de forme
conique, elles prennent l’aspect d’une
pyramide. Certaines configurations
n’existent pas au sol. D’autres phénomènes
ont été observés, plus étonnants et
spectaculaires les uns que les autres.
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VOLS PARABOLIQUES : APESANTEUR MADE IN FRANCE
Roger Prud'homme
Mais pour beaucoup d’expériences, les 20 secondes imparties sont largement suffisantes.
L’étude sur la combustion réalisée par l’équipe française rentrait dans ce cadre. Les
chercheurs ont constaté que si les flammes oscillent quinze fois par seconde au sol, la
vibration disparaît totalement en microgravité. Ils ont aussi mis en évidence, pour la première
fois, la relation entre la fréquence de vibration et l’intensité de la pesanteur en utilisant les
périodes d’accélération « sous 2 g » (1,8 g plus précisément).
Ces expériences poussent les scientifiques à mieux comprendre les effets... de la gravité sur
les phénomènes qu’ils croient connaître. Outre le volet recherche fondamentale, l’étude des
flammes est aussi celle de la prévention des incendies à bord des satellites. Certaines études
préparent des vols de longue durée. D’autres ont un intérêt industriel probable.
Il est donc important pour la France de développer ce type de recherches en coopération
avec d’autres pays. Une nouvelle impulsion pourrait être donnée aux sciences spatiales. Trop
peu d’équipes y participent encore. Des organismes de recherches (CNRS, INRA,
INSERM...) devraient être impliqués plus systématiquement. Le CNES semble agir en ce
sens. Il développe des coopérations, notamment avec l’URSS et le Japon, stimule et finance
des actions en France même. L’ESA lance des appels d’offre. Mais trop peu d’industriels y
répondent et l’Etat français y accorde moins d’importance qu’aux lanceurs (point fort dont il
faut nous féliciter) et aux recherches à finalités militaires.
UNE RECONVERSION VERS LE CIVIL
La connaissance et l’utilisation pacifique de l’espace circumterrestre et interplanétaire,
nouveau patrimoine de l’humanité, ne valent-elle pas mieux que le développement d’engins
de destruction de plus en plus sophistiqués ? N’y a-t-il pas là par ailleurs un vaste champ de
reconversion d’activités militaires en activités civiles ?
La France dispose de nombreux atouts pour le vol en microgravité. Le ministère de la
Défense possède un Airbus neuf spécialement équipé. Mais il est actuellement loué aux EtatsUnis. D’autres avions sont susceptibles d’assurer, si besoin est, de telles missions. Les pilotes
existent. Restent à développer le financement et les infrastructures. La microgravité est une
science nouvelle et d’avenir... si on lui en assure un.
________________________
(1) ESA : Agence Spatiale Européenne. CNES Centre National d’Etudes Spatiales. CEV : Centre
d’Essais en Vol. NASA : National Aeronautics and Space Administration.
(2) La chute libre de l’avion est possible, malgré la résistance de l’air. La caravelle possède une «
finesse » remarquable. Le freinage exercé par l’air est faible. D’autre part, les turboréacteurs ne sont
pas complètement coupés, de manière à compenser la trainée » (c’est-à-dire la résistance de l’air).
(3) La loi fondamentale de la mécanique stipule l’équivalence des forces d’attraction des masses,
telle l’attraction terrestre et des forces d’inertie dans un référentiel donné. Dans un référentiel en chute
libre (ici l’avion), la force d’attraction terrestre est compensée par la force d’inertie résultant du
mouvement uniformément accéléré vers la terre. De la sorte, les corps de masse quelconque, ne
subissent plus aucune force, flottent littéralement dans l’habitacle.
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