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N. Tabbara (2018), L’islam pensé par une femme

2019, Compte-rendu d'ouvrage

Riche d’un parcours personnel et intellectuel varié, N. Tabbara souhaite être une voix parmi d’autres en proposant une manière de vivre sa religiosité en phase avec son temps. Dans son ouvrage « L’islam pensé par une femme », elle prône une nouvelle interprétation de l’islam qui doit, selon elle, se faire à partir du Coran. Cela permet d’avoir des éléments de compréhension quant à sa posture par rapport aux sources de la tradition musulmane. Elle est plus prudente à propos des hadiths, la deuxième source d’après la tradition musulmane, car même s’ils restent nécessaires pour comprendre des passages coraniques. Elle estime qu’il faut contextualiser la période dans laquelle ils ont été écrits, à savoir deux siècles après la mort du Prophète et dans « un contexte post-conquêtes de règne dynastique califal » (p. 63). Auteure : Naïma El'Makrini.

Compte-rendu du Cismodoc N. Tabbara (2018), L’islam pensé par une femme, Bayard* Avril 2019 Quelques étapes du parcours de l’auteure : Nayla Tabbara Libanaise, docteure en sciences des religions de l’École pratique des hautes études, Nayla Tabbara est la co-fondatrice, avec le père Fadi Daou, de la Fondation Adyan, au sein de laquelle elle dirige l’Institut de la citoyenneté et la gestion de la diversité (ICGD). Dans le livre dont vous trouverez le compte rendu ci-après, elle évoque les luttes menées par la Fondation Adyan pour inciter les autorités religieuses à intégrer les notions telles que citoyenneté, diversité, liberté, etc. dans leurs réflexions. Les trois objectifs de la Fondation sont : la promotion d’une citoyenneté inclusive, la dignité pour tous ainsi que l’engagement citoyen et solidaire. Sa formation au Liban dans des instituts catholiques et sa jeunesse dans un quartier mixte ont joué un grand rôle dans le développement de la pensée de Nayla Tabbara. Riche d’un parcours personnel et intellectuel varié, N. Tabbara souhaite être une voix parmi d’autres en proposant une manière de vivre sa religiosité en phase avec son temps. Dans son ouvrage « L’islam pensé par une femme », elle prône une nouvelle interprétation de l’islam qui doit, selon elle, se faire à partir du Coran. Cela permet d’avoir des éléments de compréhension quant à sa posture par rapport aux sources de la tradition musulmane. Elle est plus prudente à propos des hadiths, la deuxième source d’après la tradition musulmane, car même s’ils restent nécessaires pour comprendre des passages coraniques. Elle estime qu’il faut contextualiser la période dans laquelle ils ont été écrits, à savoir deux siècles après la mort du Prophète et dans « un contexte post-conquêtes de règne dynastique califal » (p. 63). Dépasser la lecture légaliste et littérale du Coran N. Tabbara critique l’attitude légaliste et littérale qui a pris le dessus dans l’histoire de l’islam (p. 45). Elle préconise le développement d’une religiosité en adéquation avec l’époque contemporaine, qui nécessite une exégèse coranique sans cesse renouvelée « au gré des changements de cadres historiques, politiques et sociaux » (p. 58). Son horizon d’interprétation est doublement nourri d’une approche spirituelle, au sens où elle accorde * Cette rubrique propose des comptes rendus d’ouvrages, d’articles ou de revues que le CISMODOC considère comme particulièrement intéressants pour la compréhension de l’une ou l’autre réalité de l’islam contemporain. Naïma El’Makrini, chercheuse-documentaliste au Cismodoc (IACCHOS/UCLouvain) Pour citer ce texte : N. El Makrini, « N. Tabbara (2018), L’islam pensé par une femme, Bayard ». In : Compte rendu du Cismodoc (online), avril 2019, p. 3. 1 une attention accrue à des valeurs telles que la miséricorde, la générosité, etc., et d’une compréhension personnelle qui met également l’accent sur les perspectives de liberté, d’égalité, de dignité, etc. que propose le texte sacré. Le rôle des femmes dans renouvellement de la pensée et du leadership musulman Quant aux questions relatives à l’égalité homme-femme sur lesquelles elle s’attarde longuement, l’auteure évoque notamment la discrimination subie par la femme dans le choix du conjoint. En effet, contrairement à l’homme qui peut épouser une juive ou une chrétienne, la femme musulmane ne peut pas épouser un non-musulman. Ainsi, on notera que le système de reproduction de la norme sociale et religieuse est non seulement assuré par le mariage mais également par l’homme. D’autres questions sont évoquées, dans l’ouvrage, telles que la tutelle de l’homme sur la femme, l’héritage, le témoignage, le voile, etc. À propos du voile, Nayla Tabbara souligne « le changement culturel qui est en train de s’opérer parmi les hommes et les leaders religieux » (p. 129) ainsi que l’émergence de nouvelles interprétations sur lesquelles certaines femmes se basent pour le retirer après l’avoir porté. En effet, le leadership masculin ayant toujours prédominé, car, dans l’histoire, la religion est restée aux mains des hommes, la tradition musulmane n’a pas assez pris en compte l’expérience des femmes et leurs apports dans la formation du savoir. L’auteure estime néanmoins que le leadership musulman féminin ne doit pas s’exprimer que sur des questions qui touchent aux femmes car le potentiel de libération du texte sacré ne se cantonne pas au dépassement de la vision patriarcale. Quant à une lecture uniquement féministe, elle estime que l’universalité ne se limite pas à la parole de l’homme ou de la femme. Par conséquent, l’universalité dans l’interprétation de l’islam ne peut être ni le produit d’une femme ni celui d’un homme. Au sein du leadership religieux, les femmes réussissent à s’imposer en Europe, selon elle, alors que dans le monde arabe les anciennes structures semblent tenaces et ce même si des prédicatrices et des femmes savantes commencent à émerger. Sur l’exclusion des femmes, mais aussi sur d’autres questions telles que l’équité dans les règles religieuses, Nayla Tabbara adopte les outils méthodologiques développés par des féministes au cours de ces dernières décennies comme l’approche holistique (c’est-à-dire une vision d’ensemble) du Coran et le langage inclusif. Le rôle des opprimés dans la pensée religieuse musulmane À l’instar de la théologie de la libération qui a repensé une théologie à partir d’une perspective des opprimés, la thématique de l’exclusion est primordiale dans sa pensée. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles l’auteure critique l’islam identitaire et développe une théologie de la fragilité en s’appuyant notamment sur la stigmatisation et la vulnérabilité des personnes handicapées. La théologie de la fragilité est indispensable, selon elle, car elle montre d’une part que le Coran met l’accent sur les limites des humains de manière générale et d’autre part qu’elle permet à la personne, lorsque la vulnérabilité est assumée, d’être perçue comme un sujet capable dans la société et devenir une force et un exemple pour les multiples autres fragilités humaines. Sur le plan herméneutique, la 2 sensibilité des personnes handicapées peut aussi apporter des interprétations alternatives du Texte sacré. Sa posture à propos de l’altérité et de la théologie politique Sur la question de l’altérité. L’attitude des musulmans envers le pluralisme religieux et l’altérité est diverse. D’après N. Tabbara, il existe deux discours, l’un prônant des rapports constructifs et pacifiques, l’autre prônant l’intolérance et la supériorité des musulmans sur les autres. La relation de l’islam avec les autres religions fluctue « au gré des évènements » (p. 151). Ainsi, les discours à propos de l’altérité dans le monde musulman oscillent entre tolérance/fraternité et hostilité/intolérance. C’est également le cas des versets coraniques, certains prônant les bonnes relations avec les autres religions, d’autres étant plus équivoques. Quant à l’auteure, elle préconise une pédagogie coranique dans les relations avec l’autre. D’après elle, dans le Coran, il y a trois moments dans la relation à l’autre. Dans un premier temps un prosélytisme, ensuite un moment de conflit puis une « diversité assumée et réconciliée » (p. 161). Par conséquent, la relation à l’autre doit pouvoir mener à la réconciliation. Sur la question de la relation entre politique et religion. Après une brève analyse de trois notions coraniques (dawla, hûkm, walaya), N. Tabbara s’aligne sur la position de M. Charfi qui affirme que le Coran ne parle pas du « mode de gouvernement » d’un pays musulman. L’auteure met en outre en exergue l’émergence d’une nouvelle théologie politique de l’islam liée notamment aux conjonctures historiques (l’apparition de Daesh ainsi que les dites « révolutions arabes »). Ces évènements ont également poussé l’islam traditionnel à développer de nouvelles théories sur la relation de l’islam avec la vie publique. Pour conclure, soulignons que l’engagement croissant des nouvelles générations apporte de nouvelles perspectives théologiques, N. Tabbara en est un exemple. L’influence de ces derniers ainsi que les nouveaux rapports à la religiosité restent inconnus. Cependant, le processus de démocratisation du savoir en général et de la connaissance religieuse en particulier ouvre le champ à la pluralisation au sein de l’autorité religieuse. Les autres publications de N. Tabbara : N., Tabbara (2018). L’itinéraire spirituel d’après les commentaires soufis du Coran. Éditions Philosophiques Vrin. N., Tabbara, Nayla (Ed.) (2016). Les études islamiques devant le défi de la diversité dans le monde contemporain (en arabe). Collection « Les religions et les affaires publiques », Dar al Farabi en partenariat avec l’Institut de le la citoyenneté et de la gestion de la diversité. F., Daou et N., Tabbara (2013). L’hospitalité divine: l’autre dans le dialogue des théologies chrétienne et musulmane. LIT Verlag, collection « Colloquium Salutis ». N., Tabbara, Nayla (Ed.) (2012). What about the other: a question for intercultural education in the 21st century, Adyan and NDU publications. 3