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Constitution de faits didactiques en éducation technologique

Le développement de l’éducation technologique, en France comme dans la plupart des pays occidentaux, depuis le début des années quatre-vingt, tente de répondre à la désaffection des élèves pour les études scientifiques et technologiques. Cet ouvrage, qui est la note de synthèse présentée par l’auteur pour obtenir l’habilitation à diriger des recherches, présente les différents éléments qui constituent les travaux de recherche en didactique de l’éducation technologique, en France et dans le monde, afin de positionner les problématiques posées par ces enseignements. Elles concernent tout particulièrement les questions liées à la transposition didactique, aux organisations curriculaires et aux conditions d’études dans les enseignements technologiques. Les premiers travaux conduits par l’auteur s’intéressent à l’utilisation et à l’acquisition d’un langage technique (le GRAFCET) par des élèves dans des situations scolaires et ils montrent que, face à un problème de ce type, les élèves ne découvrent jamais toutes les contraintes et qu’ils transforment celles qu’ils découvrent en simples cas particuliers de la fonctionnalité du système ; une résolution optimale consiste à découvrir l’ensemble des contraintes et à les transformer en fonction par émission d’hypothèses sur la fonctionnalité et par gestion de l’incertitude. La gestion du rapport implicite/explicite des contraintes renvoie à la nature même de l’énoncé de la tâche et impacte directement l’activité des élèves ; un grand nombre de contraintes implicites accroit la signification du problème dans le sens de ceux que résolvent les experts lorsqu’une explicitation accrue facilite la découverte du problème tout en le vidant de sa signification. Cette articulation entre les tâches et l’activité des élèves est au cœur de toute comparaison de dispositifs d’enseignement. Ainsi, des organisations qui privilégient un fort guidage de l’action dans la découverte et la résolution du problème se révèlent pauvre du point de vue des apprentissages alors que la combinaison de dispositifs par confrontation aux obstacles suivie d’un travail sur des solutions erronées s’avère très performante de ce point de vue. Cette question d’organisation est d’une importance décisive dans les enseignements technologiques, les dispositifs et le matériel utilisé sont généralement coûteux. L’ouvrage interroge ensuite la question de la transposition didactique dans ces disciplines scolaire à partir d’une étude sur le rôle de la démarche de projet industriel. Cette étude montre qu’une telle organisation curriculaire de l’enseignement de la technologie autour de la démarche de projet industriel induit des organisations qui privilégient les tâches de fabrication et le guidage de l’action au détriment de l’articulation usage-conception-fabrication et d’une approche par résolution de problèmes. Les choix effectués dans la délimitation d’un champ de références influent sur l’ensemble du processus d’enseignement-apprentissage. Ils jouent un rôle déterminant sur les apprentissages des élèves, sur l’organisation de l’enseignement et sur ce qui est enseigné. Ces contraintes imposent simultanément la matière à enseigner et la manière de l’enseigner, les questions à étudier et les formes de l’étude. Il y a une intimité de liens entre le geste professionnel, la technique et la technologie qui repose sur les symboles organisés dans les langages techniques, émergence de la construction du logos et de la tekhnè. Cette articulation forte entre l’activité orientée vers une fin et le langage qui permet de la décrire relève des liens entre la praxis, l’activité orientée vers une fin, et la praxéologie, le discours sur la praxis. L’éducation technologique vise à rendre compte de ces articulations que l’on retrouve exprimée dans les cinq facteurs d’évolution suivants : i. rendre compte de la modernité, ii. passer d’un univers domestique à un monde industriel de préférence high-tech, iii. réaliser des objets afin de vérifier des principes ou des lois scientifiques, iv. déplacer le rapport entre concret et abstrait vers des rapports concepts – outils, v. informer les élèves en vue d’une orientation sur la diversité des métiers, l’évolution des professions, le développement de l’égalité des chances d’accès. Dans ce débat sur la transposition, le problème ne vient pas de l’origine de la transposition et donc d’une opposition entre un savoir savant et des pratiques sociales. On n’enseigne pas des pratiques mais un savoir sur la pratique qui s’en dégage qualitativement. Il y a nécessairement extraction des praxis individuelles pour délimiter des praxéologies. C’est bien la transposition des organisations praxéologiques qui pose problème. Cette organisation de connaissances est spécifique par son objet et le point de vue adopté. En ce sens, elle définit une science particulière et autonome avec une épistémologie spécifique distincte des autres sciences. Cette organisation de connaissances délimite le champ de références d’une éducation technologique tout en déterminant les conditions de la transposition. Les organisations curriculaires constituent une étape scripturale décisive dans le processus de transposition. Dans ce processus, c’est la transposition de praxéologie qui pose problème. En effet, reconstruire une organisation praxéologique suppose que l’on transpose le type de tâches autour desquelles cette organisation s’est développée. Une hypothèse est de jouer sur le degré de possible décontextualisation. Il s’agirait dès lors de repérer dans des organisations praxéologiques ce qui relève plutôt de l’organisation des savoir-faire (articulation type de tâches et technique) de ce qui relève de l’organisation des savoirs (l’articulation technologie – théorie). Jusqu’à quel point peut-on rendre compte d’une organisation praxéologique en utilisant des savoirs comme descripteurs ? Ce débat est un débat essentiel pour les enseignements technologiques car il concentre la question de la référence en délimitant les questions à étudier et en induisant la manière de les étudier. Les conditions d’étude constituent le second axe des perspectives de recherche ouvertes ici, notamment dans des visées d’ingénierie didactique. Il s’agit, à partir d’observations des organisations mises en place dans les classes, d’élaborer et de tester des environnements de travail d’élèves. Le cadre épistémologique définit au préalable permet de référencer les activités proposées aux élèves, notamment des articulations que nous avions notées comme privilégiées : objet, activité et langage ; objet, type de tâches, technique, technologie et théorie ; conception, réalisation et utilisation. L’aménagement du travail de l’élève, la dévolution du problème, les dispositifs de guidage que l’on peut mettre en place constituent autant d’espaces de développement de travaux à propos des enseignements technologiques. Une autre question récurrente est celle de l’évaluation soulevée dans l’organisation de ces enseignements : comment évaluer les productions des élèves dès lors qu’elles ne relèvent pas d’une fabrication matérielle. Au travers de cette question, qui peut paraître triviale, c’est toute la dynamique du processus technologique qui est en jeu. Autrement dit, comment évaluer la solution choisie par un élève dès lors que l’on privilégie l’axiome suivant : un problème technologique connaît plusieurs solutions, c’est la description du problème en regard des contraintes qui permet d’en choisir une parmi les autres. Ces deux axes ont des répercussions sur la formation des maîtres, qu’elle soit initiale ou continue. La portée épistémologique ainsi dégagée permet de penser différemment l’organisation des savoirs nécessaires pour enseigner la technologie et donc celle des curricula de formation universitaire qui permettent à un étudiant d’accéder aux fonctions d’enseignant des disciplines technologiques, entre savoirs académiques et savoirs professionnels.

Sans la technique, Le génie n’est jamais Qu’une sale manie ! G. Brassens À Marjolaine, Anouk et Édouard Une attention toute particulière à René Amigues qui m’accompagne depuis mes premiers travaux de recherche. Je ne suis pas encore arrivé à bout de son infinie patience, exprimée par la finesse de ses critiques et la pertinence de ses conseils. Je remercie Yves Chevallard, Jean-Jacques Dupin et Samuel Johsua pour l’aide et le soutien constant qu’ils m’ont apporté, contribuant ainsi à la constitution du groupe de recherche en didactique des disciplines technologiques. Cette note de synthèse reprend quelques épisodes de cette chronique. Ce groupe n’existerait pas sans l’appui et l’amitié de Danielle Bouin, Daniel Dufresne, Pierre Fayard, Pierre Julien, Michel Larini, Jean-Louis Martinand. Chacun, à sa manière, à un moment ou à un autre, a apporté sa pierre à l’édifice. Mes remerciements vont également à Colette Andreucci, Pascale BrandtPomarès, Isabelle Corréard, Marjolaine Chatoney, Micheline Surgand, Éric Giraud, Luc Montel, Francis Ranucci, Gérard Surgand et Patrick Vigliano. La constitution du pôle de recherche, de formation et d’ingénierie didactique autour des enseignements technologiques à Château Gombert n’existerait pas sans eux. Je remercie tous ceux, très nombreux, trop nombreux pour les citer tous sans risque d’en oublier, qui, à l’IUFM, au CIRADE, à UNIMECA, dans la direction de la recherche et développement, dans les séminaires, autour de projets, dans des réunions, à l’occasion d’une discussion, m’ont permis d’avancer. SOMMAIRE Préambule ........................................................................................................... 1 Première Partie : Parcours de recherche ............................................................ 9 1. La construction d’une problématique .......................................................... 10 1.1. Représentations et stratégies d’élèves ................................................... 10 1.2. Organisation des enseignements et apprentissages .............................. 12 1.2.1. Le GRAFCET, introduction d’un nouveau savoir ................................ 12 1.2.2. Stratégies d’élèves et organisations scolaires .................................... 14 1.3. Effets de contrat et organisation des enseignements ............................. 19 1.3.1. Contrat didactique : un exemple en technologie................................. 19 1.3.2. Enseignements technologiques et utilisation de matériel ................... 20 1.3.3. Activités d’élèves et effets de contrat ................................................. 21 2. Les savoirs et leur référence....................................................................... 23 2.1. Des savoirs pour l’enseignement de la technologie ................................ 23 2.1.1. Contexte pour le choix de références ................................................. 23 2.1.2. La DPI comme architecture de référence ........................................... 25 2.1.3. La démarche de projet industriel comme savoir enseigné ................. 28 2.2. L’identification d’une référence ............................................................... 30 2.2.1. Méthodologie de travail ...................................................................... 30 2.2.2. Analyse des résultats ......................................................................... 31 2.2.2.1. Étapes de la démarche de projet industriel ................................. 31 2.2.2.2. Outils utilisés ............................................................................... 33 2.3. Pratiques de transmission des savoirs technologiques .......................... 36 2.3.1. Méthodologie de recueil des données ................................................ 36 2.3.2. Analyse des résultats ......................................................................... 37 2.3.2.1. Structuration du classeur des élèves .......................................... 37 2.3.2.2. Logique temporelle de l’enseignement de la DPI ........................ 38 2.3.2.3. Modalités d’organisation des séquences .................................... 41 2.3.2.4. Croisement modalité d’organisation et durée des séquences ..... 43 2.3.2.5. But des tâches proposées aux élèves......................................... 46 Deuxième partie : Des références pour les enseignements technologiques ..... 51 1. Délimiter un champ de références .............................................................. 52 1.1. Geste, technique, technologie ................................................................ 52 1.2. Activité, langage, objet............................................................................ 53 1.3. Éléments méthodologiques de délimitation ............................................ 56 1.3.1. La communauté des enseignements technologiques ......................... 57 1.3.1.1. Comparaisons internationales ..................................................... 57 1.3.1.2. Différentes réalités pour une éducation technologique ............... 58 1.3.1.3. Comparaison des différentes formes .......................................... 59 1.3.1.4. Quelques facteurs d’évolution ..................................................... 61 1.3.1.5. Rapports entre évolution et références ....................................... 63 1.3.2. La technologie comme un champ de références externes ................. 65 1.3.2.1. Le monde des objets ................................................................... 66 1.3.2.2. Activité, processus et praxéologie ............................................... 72 1.3.2.3. Les langages techniques ............................................................ 77 2. Savoirs enseignés et enseignements technologiques ................................ 85 2.1. Organisation curriculaire des savoirs scolaires ....................................... 85 2.1.1. L’éducation technologique en cinq caractéristiques et huit approches........................................................................................... 86 2.1.2. Courants d’organisation de l’éducation technologique ....................... 89 2.1.3. Compétences visées par l’éducation technologique ........................... 91 2.1.4. L’éducation technologique dans un projet social ................................ 94 2.2. la transposition de savoirs technologiques ............................................. 98 2.2.1. Référence à des pratiques, référence à des savoirs ? ....................... 98 2.2.2. Nature des savoirs à transposer....................................................... 101 2.2.3. Organisation des savoirs technologiques ......................................... 105 Troisième partie : Perspectives de recherche ................................................. 109 1. Évolution des organisations curriculaires .................................................. 111 1.1. Description d’organisations praxéologiques ......................................... 111 1.2. Observation de l’évolution des curriculums .......................................... 115 2. Organisation de l’étude en éducation technologique ................................ 116 2.1. Ingénierie didactique et éducation technologique ................................. 117 2.2. La formation des enseignants de technologie en France ..................... 123 Bibliographie ................................................................................................... 127 Index et Tables................................................................................................ 154 1. Index des tableaux .................................................................................... 154 2. Index des schémas ................................................................................... 154 PRÉAMBULE Ce travail, entrepris depuis plusieurs années, concerne la recherche en didactique des disciplines technologiques ; il s’inscrit dans le cadre de la recherche en éducation, en général, et de la recherche en éducation technologique, en particulier. D’un point de vue chronologique, je relèverai quelques épisodes marquants qui m’ont conduit, depuis la thèse à cette habilitation à diriger des recherches, à explorer quelques voies constitutives de ce que l’on pourrait délimiter comme ma contribution à la recherche en didactique des disciplines technologiques. Il s’agit, d’abord, forcément d’une délimitation originale car les acteurs de ce débat sont peu nombreux, en France et dans le monde. Ensuite, il s’agit d’une délimitation large puisque le faible nombre d’acteurs rend chaque sillon du champ important et qu’il est délicat de faire des hiérarchisations. Enfin, le champ travaillé prend place dans un paysage qui emprunte largement aux recherches dans les didactiques des disciplines avec des voisinages plus marqués avec les recherches en didactique des sciences et des mathématiques. Ce travail de recherche répond, dans cette perspective, à une double exigence : d’une part, circonscrire un objet de recherche, délimiter des terrains d’investigation, investir des espaces de réflexion et, d’autre part, ouvrir des pistes, accroître la compréhension que l’on peut avoir de cet objet singulier. La dialectique d’une telle entreprise peut se retrouver dans ce paradoxe : comment peut-on imaginer des paysages grandioses lorsqu’il s’agit de labourer méticuleusement et méthodiquement le sillon qu’on a sous le nez ? De fait, il va de soi que c’est ce paradoxe même qui donne la dynamique au projet et qu’il — Page 1 — est ainsi difficile de dissocier le projet personnel de recherche des actes fondateurs de cette recherche. Le regard sur l’espace à labourer renvoie en même temps une image du travail à faire et des espoirs portés par des promesses de récoltes. Une chronique ainsi organisée selon une logique temporelle constitue un parti pris qui ne peut placer la démarche de recherche que dans une position de ce qu’on a fait par opposition à ce qu’il reste à faire. Or, dans ce domaine, la recherche en didactique des disciplines technologiques, le chemin parcouru paraît tellement limité et le champ à parcourir tellement immense que tout positionnement chronologique apparaît particulièrement dissonant. Il me semble beaucoup plus logique de définir ce qui constituerait des espaces de problèmes et, à partir de là, de montrer quelle contribution j’ai tenté d’apporter, quelle direction j’essaie de suivre. Le premier espace de problèmes concerne directement la délimitation du technologique. Le cas de l’enseignement français est exemplaire de ce point de vue. Nous avons un ensemble flou de technologies (la polysémie du terme et le pluriel généreusement attribué renforcent ce flou qu’il conviendra de situer) qui doit servir de référence à un enseignement fort discontinu dans son appellation même : depuis l’initiation scientifique et technologique de l’école primaire jusqu’aux technologies spécialisées (technologie hydraulique, mécanique, électrique, de l’information, etc.) des lycées professionnels et des formations professionnelles de l’enseignement supérieur en passant par la Technologie (avec une majuscule et au singulier), discipline scolaire obligatoire au collège. De fait, une question essentielle posée ici est bien celle de savoir s’il y a une place pour une éducation technologique à côté d’autres éducations (scientifique, mathématique, littéraire, musicale, artistique, manuelle, physique et sportive, etc.). Bien sûr, il existe des enseignements de technologie dans le système scolaire français depuis l’école maternelle jusqu’à l’enseignement supérieur. Il y a institutionnalisation d’une discipline d’enseignement avec ses attributs scolaires : des plages horaires, des textes officiels, des enseignants, — Page 2 — des élèves, des classes. Il serait toutefois naïf de croire que l’institutionnalisation d’un espace scolaire suffit à délimiter un champ de savoirs et en même temps à l’instituer comme champ de référence. En effet, des technologies évoquées auparavant, il semble pour le moins hasardeux d’en extraire quelques-unes (pourquoi celles-là et non pas celles-ci) pour les concentrer dans un espace délimité qui perd sa pluralité (on ne parle plus que de technologie au singulier) sans pour autant circonscrire sa singularité. Ce premier espace de problèmes s’intéresse aux racines des savoirs qui servent de référence à la constitution de ce qui va être enseigné. Il s’agit, pour le chercheur, de s’essayer à une forme d’anthropologie des savoirs afin de reconstituer les liens qui doivent exister entre ces références et ces enseignements. La posture analytique renvoie très rapidement au second espace de problèmes qui concerne lui la délimitation de l’enseignement technologique. Tous les champs éducatifs ont largement recours à des techniques (voire ont exclusivement recours à des techniques). Le technologique, qui relève de l’élaboration d’un discours sur la technique, se situe ainsi comme une formalisation des techniques mises en jeu dans la classe. D’un point de vue caricatural, on pourrait ainsi affirmer que toute discipline scolaire relève d’une éducation technologique ou, plus sûrement, qu’il n’existe que des enseignements techniques qui aspirent à un statut de technologique. On voit ainsi se dessiner cette nécessité à circonscrire l’espace afin de préciser de quelles techniques, de quelles technologies et de quels types de tâches on parle lorsqu’on parle d’enseignements technologiques. La question de la référence reste essentielle ici mais elle prend une tournure un peu différente. Cette perspective d’élaboration curriculaire induit des aspects de délimitation de l’espace de référence (tous les objets sociaux ne sont pas pertinents pour servir de référence aux disciplines technologiques) mais également des aspects de délimitation dans le temps (qu’est-ce qui est souhaitable, possible, envisageable, utile, nécessaire d’enseigner) afin de définir des articulations de séquences (ceci avant cela), des progressions dans les savoirs (d’abord celui- — Page 3 — ci, puis celui-là, ensuite …), des buts plus ou moins lointains à atteindre. On peut, à la manière des ethnologues structuralistes, s’intéresser ainsi à la façon dont tel curriculum a été construit, comment il a pris corps dans tel type d’institution scolaire, dans tel pays, dans telle société. Loin d’être désuète, une telle étude, a fortiori si elle est comparative, permet d’entendre les différences et les similitudes entre curriculum comme un rapport étroit entre des spécificités locales et des invariants forts. On pourrait ainsi émettre l’hypothèse que ces invariants constituent des références incontournables, des corpus de savoirs socialement légitimés dont l’école s’empare afin d’en assurer leur diffusion. Une autre posture consiste à se placer dans la position du concepteur qui propose d’aménager une part de cet espace curriculaire en contribuant directement à l’édification partielle ou globale de curriculums. Il y a ainsi, dans cette posture, un glissement d’une position de chercheur analyste de faits d’éducation essayant de préserver une extériorité de l’observé vers une position de chercheur acteur du développement du champ qu’il étudie. De la même manière, nous sommes passés de la référence aux disciplines technologiques à la construction de contenus d’enseignement. Ce passage s’inscrit dans la première phase d’un processus de transposition de savoirs socialement constitués. Les enjeux sont des enjeux de transposition et d’appropriation de ces savoirs par les élèves, par tous les élèves. Ce tous s’adresse aussi bien à l’ensemble des élèves d’une classe, à tous ceux d’une section ou d’une filière ou encore à tous les enfants d’une classe d’âge s’il s’agit d’éducation pour tous. Les questions liées à la transposition et à l’appropriation sont indissociables dès lors que l’on tend à garantir les conditions de l’étude ; les enjeux et les points de vue sont ici tout aussi forts qu’ils sont différents. L’étude de ce processus constitue notre second espace de problèmes. Les enseignements technologiques ne constituent pas un monde à part dans l’univers scolaire et certaines questions sont tout aussi pertinentes ici que dans d’autres disciplines. En revanche, certaines questions sont spécifiques à ces enseignements ; elles justifient certainement à elles seules la délimitation d’une didactique des disciplines technologiques ; en tout état de cause, elles justifient — Page 4 — le choix de mon terrain d’investigation : la recherche en didactique des disciplines technologiques. D’abord, ces enseignements se réfèrent explicitement à des organisations sociales largement choisies dans des secteurs professionnels reconnus ; ainsi, l’utilisation et le recours aux attributs significatifs de ces organisations est une condition d’existence même de ces enseignements. Ensuite, la symbolique joue un rôle important en mêlant outils professionnels (tels qu’ils sont utilisés à l’extérieur de l’école) et maquettes sensées présenter la réalité en modèle réduit réaliste de cette même réalité extérieure. Enfin, la classe, dans son organisation spatiale, temporelle, structurelle et fonctionnelle ressemble à cette réalité sociale à laquelle on se réfère (ateliers, chaînes de production, bureau, etc.). Ce rapport particulier au réel constitue notre troisième espace de problèmes. Ces modes d’organisation spécifiques ont des répercussions directes sur les apprentissages des élèves. À minima, il existe une contradiction entre deux logiques : celle de l’organisation sociale auquel on se réfère et celle de l’apprentissage. La reconstruction des savoirs dans l’espace et dans le temps de la classe dans une articulation programmatique fait intervenir une troisième logique, la logique de la discipline. Une quatrième logique intervient, sans aucun doute interfère-t-elle également avec les autres ; il s’agit de celle de l’enseignant chargé de ces enseignements. Le processus de transposition appropriation de savoirs technologiques procède de l’articulation entre ces logiques forcément différentes, voire concurrentes. Ces aspects concurrents constituent, dans de nombreux cas, un facteur de fragilisation de ces enseignements. On peut penser que des logiques concurrentes conduisent à privilégier des choses distinctes dans le processus de transposition appropriation des savoirs. Les enjeux n’étant pas les mêmes, chacun des acteurs va essayer d’exercer des pressions sur l’ensemble afin d’imposer sa propre logique. Ce troisième espace de problèmes nous permet de poser quelques éléments de compréhension du fonctionnement de ces enseignements par l’analyse des interactions entre ces logiques différentes et d’en dégager les possibles en vue d’élaborations curriculaires ou de formation d’enseignants. — Page 5 — Ce domaine d’investigation, regroupant ces trois espaces de problèmes, délimite ce champ de la recherche en didactique des disciplines technologiques. La jeunesse des travaux rend difficile les choix de travail qui privilégierait un espace plus qu’un autre. Les enseignements technologiques ont été largement repensés et totalement reconstruits à partir des années 80. On citera pour mémoire l’apparition de l’initiation scientifique et technologique à l’école primaire, la technologie au collège et les filières ou options technologiques au lycée. Ces mutations résultent des évolutions soit des activités manuelles, soit des enseignements techniques. Cette reconstruction s’est accompagnée et a été accompagnée par l’émergence d’une recherche en didactique des enseignements technologiques. On notera également que la jeunesse des disciplines observées s’accompagne d’une relative jeunesse de l’émergence de recherches en didactique de ces disciplines. Ce travail s’inscrit donc dans cette double perspective de contribution à l’émergence d’un champ de recherche, la didactique des disciplines technologiques, et à la constitution d’un champ d’enseignements nouveaux, les enseignements technologiques. La démarche de travail que j’ai adoptée, que ce soit en tant que chercheur ou en tant que formateur d’enseignants ou encore en tant que responsable d’une structure de formation et de recherche est celle de quelqu’un qui a choisi de s’intéresser aux trois espaces de problèmes en essayant de donner de la cohérence à l’ensemble. De fait, je m’attacherai ici à développer une analyse approfondie de chacun de ces espaces en essayant de montrer la contribution apportée et les pistes ouvertes susceptibles de générer des travaux de recherche. C’est le but de cette note de synthèse. La première partie montre comment les stratégies de résolution de problèmes par des élèves dépendent des organisations didactiques. Ces organisations didactiques dépendent ellesmêmes des organisations sociales auxquelles elles se réfèrent et de la modélisation qui en est faite pour construire les contenus d’enseignement. La seconde partie pose la question de la référence pour les enseignements technologiques dont le choix tend à imposer la matière et la manière de l’étudier. Cette délimitation des références me permet de m’intéresser aux — Page 6 — conditions d’étude des élèves en technologie à partir des questions de transposition didactique et d’évolution curriculaire. Ce travail pose les questions théoriques, d’une part, de la spécificité d’une épistémologie de la technologie distincte de celle des sciences et, d’autre part, de la pertinence pour la didactique des disciplines technologiques d’une description des organisations praxéologiques fondée sur les seuls savoirs. La troisième partie me permet d’ouvrir des perspectives de recherche selon deux axes : les évolutions curriculaires et les conditions d’étude des objets d’enseignement technologique. C’est à partir de l’ingénierie didactique et de la formation des enseignants que ces perspectives seront tracées. — Page 7 — — Page 8 — PREMIÈRE PARTIE : PARCOURS DE RECHERCHE — Page 9 — 1. LA CONSTRUCTION D’UNE PROBLÉMATIQUE 1.1. REPRÉSENTATIONS ET STRATÉGIES D’ÉLÈVES C’est en grande partie mon étonnement naïf de tout jeune enseignant devant les erreurs commises par des élèves lorsqu’ils devaient résoudre des problèmes « simples » d’automatismes qui m’a amené à faire un DEA, puis une thèse sur ces questions de stratégies de résolution de problèmes d’automatismes et sur les remédiations possibles. Les enseignements dispensés à l’époque en automatisme s’appuyaient largement sur la programmation d’automates programmables industriels (API) et donc sur la nécessité de décrire le fonctionnement du système à automatiser de manière précise, facilement traduisible dans le langage de l’API (Forrester, 1984). La gestion rationnelle des actionneurs et des pas de programme (limités à l’époque par les capacités techniques des API) impliquait la gestion simultanée de plusieurs actions. La résolution de problèmes d’automatismes, même peu complexes, suppose toujours de combiner plusieurs actions de natures différentes et donc d’articuler entre eux plusieurs espaces de problèmes (Morais, Visser, 1987). Or, ces stratégies de résolution ne rentraient pas dans les logiques développées par les élèves. Par exemple, pour faire fonctionner un pont roulant, ils n’imaginaient pas possible de combiner deux mouvements (horizontal et vertical) afin de réduire les durées de déplacement ; ou encore, ils oubliaient systématiquement une opération importante pour le fonctionnement du système. Il semblait que leur stratégie de résolution ignorait tout de la gestion de l’incertitude et de la généralité ou encore de l’émission d’hypothèses sur les fonctionnalités du système. Au contraire, ils donnaient l’impression de ne prendre en compte que les contraintes apparentes du problème qu’ils s’empressaient de transformer en cas particuliers de la fonctionnalité (Leplat, 1985). Dès lors, la solution globale reprenait un enchaînement plus ou — Page 10 — moins heureux de ces cas particuliers et ne répondait que très partiellement au problème posé. Un premier travail permettait de confirmer cette hypothèse et ce quel que soit le type de tâche que l’on proposait aux élèves (Amigues, Ginestié, 1991a). Qu’il s’agisse de lire la description sous la forme d’un langage technique formalisé du fonctionnement d’un système automatisé ou qu’il s’agisse d’écrire une description de ce fonctionnement au moyen du même langage, nous constations que les élèves adoptaient une stratégie de résolution par réduction systématique des seules contraintes explicites qu’ils découvraient en cas particuliers limités à des solutions caricaturales du point de vue de la fonctionnalité. Ces stratégies reposent sur un mode de résolution séquentielle, limitées à une progression vers la solution en alternant des affirmations non vérifiées et des abandons quasi systématiques à la moindre difficulté de représentation du problème local à résoudre. Cette approche d’un travail de recherche permet de poser deux questions. La première concerne la question des obstacles dans une approche didactique (Bachelard, 1965, Vergnaud, 1985), la seconde renvoie au rôle joué par les représentations dans des perspectives d’apprentissage (Rabardel, 1993). Ces deux questions, entre autres, apparaissaient suffisamment vives pour que nous constituions une première équipe de travail (Amigues & Ginestié, 1991b). Par ailleurs, c’est à ces questions que tentait de répondre la thèse que j’ai soutenue en 1992(a). Cette thèse s’inscrit dans le mouvement des recherches en didactique des disciplines à Marseille notamment autour des travaux du Centre Observation et d’Expérimentations Didactiques avec l’ambition affichée de contribuer au développement d’une recherche en didactique des disciplines technologiques. Les travaux de recherche en didactique des mathématiques (Chevallard, 1985 ; Chevallard, Johsua, 1992) et des sciences (Johsua, 1998 ; Johsua, Dupin, 1989) ouvraient des perspectives intéressantes qui permettaient de sortir d’un débat trop restreint à une simple alternative entre prescription pédagogique et transmission univoque de savoirs constitués. Il était commun, — Page 11 — notamment en didactique des sciences, de travailler sur les représentations des savoirs scientifiques construites par les élèves. Une tendance particulièrement forte tentait de montrer qu’il y avait apprentissage lorsque la représentation construite par les élèves à propos d’un phénomène scientifique passait d’une conception réputée naïve (puisque préalable à l’apprentissage) vers une représentation plus fonctionnelle (Amigues, 1985). C’est dans ce creuset particulièrement fertile que mes premiers travaux de recherche pour la thèse s’inscrivent. 1.2. ORGANISATION DES ENSEIGNEMENTS ET APPRENTISSAGES 1.2.1. Le GRAFCET, introduction d’un nouveau savoir Il semblait évident que l’articulation entre représentations graphiques et rôle des représentations dans l’apprentissage était particulièrement bien adaptée au contexte des enseignements technologiques (on se référera à ce sujet, par exemple, à l’étude conduite par Hostein, 1993). Pour cela, je me suis servi d’un corpus de savoirs réputés instables : les systèmes automatisés et leur langage de description fonctionnelle, le GRAFCET (GRAphe Fonctionnel de Commande : Étapes, Transitions) (AFCET1, 1978 ; ADEPA2, 1979). Il était d’usage de dire que les incessantes évolutions des contenus et des modalités des enseignements technologiques généraient de fortes instabilités qui rendaient ces enseignements particulièrement fragiles3. À l’époque, nous avions pris une position radicalement différente en montrant que l’instabilité de ces enseignements était plutôt due à une définition imprécise des savoirs de références (Amigues, Ginestié, Gonet, 1991). 1 AFCET :Association Française pour la Cybernétique Économique et Technique ADEPA : Agence Nationale pour le Développement de la Production Automatisé 3 Les programmes d’enseignement de la technologie ont radicalement changé en une douzaine nde d’années ; il en est ainsi des programmes des options de 2 TSA et de l’option Technologie de e 1 et Terminale. 2 — Page 12 — Le GRAFCET est un langage particulièrement pertinent à étudier dans cette perspective. En tant que représentation graphique, il permet une description fonctionnelle des systèmes automatisés qu’ils soient simples ou complexes. À ce titre, il est représentatif de ces savoirs technologiques qui évoluent rapidement soumis à des innovations permanentes (Blanchard, 1979). Au milieu des années soixante-dix, un consortium d’entreprises françaises4 productrices d’unités de commandes des systèmes automatisés lancent un appel d’offres pour la création d’un langage de description fonctionnelle de ces systèmes susceptible de permettre à ces entreprises d’échapper à l’hégémonie américaine qui se profile. Ce langage doit être utilisable à tous les niveaux d’intervention, depuis la conception jusqu’à la maintenance des systèmes, et doit servir de langage de communication entre les différents services techniques mais également d’outil de dialogue homme – machine (Boeri, 1979). La réponse, proposée par une équipe de développeurs réunis dans une association, l’AFCET, créée pour la circonstance, arrive trop tard. Le passage de la logique câblée à la logique programmée, la généralisation des microprocesseurs et leur développement à un rythme particulièrement rapide 5, l’évolution des langages machines à des langages interprétés ou compilés rendent le dialogue homme – machine plus facile en transférant à la machine une grande part de l'interprétation des instructions et de fait limitent la portée d’un tel langage. L’orientation prise vise à développer des langages machines proches des langages « naturels ». Le GRAFCET faisait alors figure de langage mort-né que l’on pouvait facilement ranger dans le placard des innovations technologiques non abouties. 4 Il s’agissait des entreprises Télémécanique, Merlin-Gérin, Crouzet et Hager. La capacité d’intégration des composants dans le semi-conducteur est doublée tous les 18 mois 5 — Page 13 — Pourtant, quelques-uns des concepteurs de ce langage enseignaient dans la formation des enseignants des disciplines technologiques (comme le génie mécanique ou le génie électrique). Attachés à la puissance du langage qu’ils viennent de créer, ils l’enseignent à leurs étudiants qui eux-mêmes en assurent la diffusion dans les formations technologiques et professionnelles des techniciens et des ingénieurs. Ces derniers font pression sur les entreprises productrices d’unités de commandes des systèmes automatisés qui toutes, dans la première moitié des années 80, intègrent le GRAFCET comme langage de programmation de leurs automates programmables industriels. 1.2.2. Stratégies d’élèves et organisations scolaires Mon travail a consisté à étudier des productions d’élèves et les stratégies qu’ils mettent en œuvre pour produire un GRAFCET décrivant le fonctionnement d’un système automatisé. Pour conduire cette étude, j’ai procédé à une analyse de la tâche et une analyse de l’activité. Cette méthodologie a été empruntée aux travaux de psychologie du travail, notamment ceux développés par WeillFassina (1979), Vermersch (1972), Hoc (1987) ou encore Bisseret et al (1988). L’analyse de la tâche a permis de repérer les contraintes liées aux systèmes étudiés, leur caractère implicite ou explicite, les niveaux de solutions possibles dépendant directement des contraintes découvertes, de leur prise en compte, de leur transformation en fonctions du système et de l’articulation de ces fonctions entre elles dans une solution globale. L’analyse de l’activité a permis de caractériser les stratégies de résolution adoptées par les sujets ; ces stratégies étaient caractérisées par la découverte des contraintes, la manière dont ces contraintes étaient gérées et transformées en fonction du système et enfin comment les sujets articulaient ces fonctions dans une solution globale. Trois niveaux de stratégies avaient ainsi été caractérisés, le premier niveau consistait en une résolution séquentielle du problème essentiellement centrée sur les aspects explicites du problème alors que le troisième niveau reposait sur une résolution optimale par gestion de l’incertitude et adoption de la généralité comme solutions partielles ou globales. — Page 14 — Dans un premier temps, nous avons comparé différentes organisations de situations d’apprentissage afin d’en mesurer l’efficacité au travers d’un premier post-test immédiat et d’un second post-test différé de plusieurs mois. Quatre modalités principales ont été définies, puis trois modalités hybrides constituées à partir des quatre principales. Les modalités principales sont le guidage de l’action (GA), la mise en œuvre de logique experte (LE), la confrontation aux obstacles (CO) et le travail sur tâches à erreurs (TE). Les trois modalités hybrides sont obtenues en ajoutant un travail sur tâches à erreurs aux trois autres. Ce qui donnait les couplages guidage de l’action et tâches à erreurs (GATE), logique experte et tâches à erreurs (LETE) et confrontation aux obstacles et tâches à erreurs (COTE). Les conditions de mise en œuvre des différentes modalités, principales ou hybrides, étaient strictement identiques. Les élèves d’option TSA de la classe de 2de travaillaient par binômes dans des conditions strictement identiques quelle que soit la modalité. Ces conditions de durée des séances, d’objectifs d’apprentissage visés, de supports utilisés étaient fixés conformément aux textes officiels et aux recommandations pédagogiques d’organisation de ces classes. Les tests et les post-tests étaient également identiques pour tous les élèves. Le Tableau 1 présente les résultats obtenus lors des tests et post-tests. — Page 15 — Tableau 1 : Efficacité des modalités d'apprentissage Test Stratégie niveau 1 Stratégie niveau 2 Stratégie niveau 3 Total Post-test Stratégie niveau 1 Stratégie niveau 2 Stratégie niveau 3 Total Évolutions Stabilisations Régressions Total GA LE CO TE GATE LETE COTE 5 1 0 6 0 0 0 5 1 2 4 0 1 1 4 0 5 1 0 0 6 6 6 6 6 6 6 6 6 0 0 6 0 0 1 5 0 3 3 0 2 4 0 2 4 0 0 1 5 6 6 6 6 6 6 6 5 1 6 0 4 2 5 1 1 5 3 3 5 1 6 6 6 6 6 6 6 Ce tableau, synthétique des différents résultats d’expérimentation, montre que seulement la modalité hybride « confrontation aux obstacles suivie d’un travail sur des tâches à erreurs » permet d’obtenir des niveaux de performances optimaux lors du test pour tous les élèves et surtout de conserver ce niveau pour la quasi-totalité des groupes lors du post-test. Il y a une forte stabilisation des acquis de la séance d’apprentissage d’une stratégie de résolution particulièrement efficace pour ce type de problème. Il n’en demeure pas moins que cette modalité est particulièrement exotique dans le cadre d’un enseignement technologique. Nous reviendrons sur cette question plus loin mais nous voyons bien ici qu’un des problèmes soulevés par les résultats de ce travail nous renvoie à la question de la formation des enseignants et à la capacité des institutions de formation à faire évoluer les pratiques enseignantes. De ce point de vue, le guidage de l’action est une pratique majoritairement répandue chez les enseignants des disciplines technologiques. En effet, ce type — Page 16 — d’organisation présente de nombreux avantages, du moins en apparence. Il permet de donner aux élèves des tâches qu’ils peuvent réaliser de manière autonome, ce qui préserve l’apparence d’un travail autonome des binômes et accroît l’impression d’élèves actifs qui gèrent eux-mêmes leur relation aux savoirs. Par ailleurs, cela permet d’organiser des activités différentes dans la classe de façon à avoir plusieurs groupes d’élèves qui font des choses différentes. Deux aspects sont mis en avant dans cette perspective. D’une part, cela permet de diversifier les postes de travail avec des matériels de TP différents et donc d’avoir un plus grand nombre de TP différents. Les élèves passent d’un poste à l’autre au gré d’un cycle de rotation établi sur plusieurs semaines. D’autre part, le dispositif est censé être représentatif de l’organisation des postes de travail dans une entreprise avec différents pôles correspondant aux différents secteurs d’activités (Ginestié, 1992b). On voit que ce genre de modalité se révèle plutôt pauvre du point de vue des apprentissages même si l’enseignant introduit quelques éléments de régulation de l’activité des élèves en leur proposant un travail sur des tâches à erreurs. Par ailleurs, l’organisation de TP tournants pose le problème de la cohérence de la progression pour les élèves. Pour ne pas être enfermé dans une cohérence interne de succession logique des TP, ceux-ci doivent être conçus de manière indépendante les uns des autres. La progression des savoirs en jeu ne peut reposer sur l’articulation des tâches proposées aux élèves. On voit ainsi la complexité de la construction de ce genre de tâches. Dans la réalité, les TP suivent une certaine logique progressive qui n’a réellement de sens que pour les groupes d’élèves qui suivent l’ordre de cette logique. La référence à une organisation pédagogique à partir de la logique experte est particulièrement sensible dans les modes d’organisation des enseignements technologiques des pays anglo-saxons (Ginestié, 1989a). Il apparaît qu’un enseignement technologique, pour ces pays, doit avant tout être un enseignement dans lequel les élèves ont des problèmes à résoudre, problèmes — Page 17 — pour lesquels il n’y a pas de solutions prescrites au préalable mais l’élaboration d’une solution qui découle logiquement de la prise en compte des contraintes du problème et de leur transformation en fonctions du système. Nos résultats montrent que les élèves ne découvrent jamais toutes les contraintes du problème et qu’ils transforment celles qu’ils découvrent en simples cas particuliers de la fonctionnalité. De fait, ce type de modalité se révèle économe du point de vue des apprentissages. Privilégier l’énoncé du problème, pour qu’il ait un sens du point de vue des problèmes qu’ont à résoudre des experts, accroît le caractère implicite de la majorité des contraintes et, de fait, rend pratiquement impossible leur découverte et leur prise en compte par les élèves. Accroître l’explicitation des contraintes revient à accroître l’explicitation de la découverte du problème et induit de fait un fort guidage de l’action dans la prospection des possibles. Autrement dit, le conditionnement de la solution aux attentes de l’auteur de la tâche induit un assujettissement particulièrement fort dans le choix des moyens mis en œuvre pour atteindre le but fixé (Bruner, 1983). Ainsi, la seule évolution possible de ce type de modalités conduit inévitablement vers une modalité de guidage de l’action dans laquelle l’élève est invité pas à pas à prendre connaissance du problème, de ces contraintes et des solutions que l’on peut élaborer pour transformer chacune d’entre elles en fonction. L’adjonction d’un travail sur des tâches à erreurs n’apporte qu’une amélioration de circonstance qui n’a qu’un faible coefficient de pérennité. Au travers de ces résultats, il est clair que les relations en jeu dans les situations d’enseignement sont particulièrement importantes. Il semble évident que toutes les modalités d’organisation des situations n’ont pas la même incidence sur les stratégies déployées par les élèves et donc sur leurs performances en matière d’apprentissage (Amalberti, 1996 ; Clot, 1996). Cette question de l’organisation et de l’incidence que cela a sur les performances des élèves est une question d’importance dans les enseignements technologiques où le matériel utilisé est généralement coûteux, suppose des modalités — Page 18 — d’organisation particulières (TP tournant par exemple) mais doit également rendre compte d’une certaine manière des modalités d’organisations sociales du travail. Ce sont ces éléments que j’ai essayés de regarder dans la dernière partie de la thèse dont je présente ici les éléments les plus importants. 1.3. 1.3.1. EFFETS DE CONTRAT ET ORGANISATION DES ENSEIGNEMENTS Contrat didactique : un exemple en technologie L’objection que l’on peut formuler à l’encontre de la comparaison des situations précédentes repose sur le fait que dans l’organisation habituelle des enseignements technologiques, les élèves ont à décrire le fonctionnement d’un système qu’ils voient fonctionner. Le recours à du matériel, souvent des maquettes mais également des systèmes réels, est un des éléments constitutifs des enseignements technologiques. Tout comme il est impensable d'imaginer une salle de technologie dans laquelle les élèves feraient tous la même chose en même temps, il est inimaginable que l’enseignement de la technologie puisse se faire sous la forme de leçons et d’exercices sans manipulation de matériel. C’est d’ailleurs certainement cette utilisation de matériel qui est pour partie à l’origine d’un recours important au guidage de l’action. La mise en œuvre de systèmes sophistiqués suppose souvent des manipulations d’outils particulièrement complexes qui nécessiteraient des apprentissages spécifiques. Comme la finalité n’est pas d’apprendre à se servir d’un outil en particulier, pour arriver au résultat, il ne reste plus qu’à conduire pas à pas, étape par étape, l’élève vers la solution prédéterminée par l’enseignant, celle qui assure un fonctionnement correct du système dans le temps imparti à la séance. Le fonctionnement usuel de la classe de technologie repose sur un certain nombre de règles pérennes qui établissent les termes d’un contrat didactique entre l’élève, le professeur et le savoir (Chevallard, 1989). D’une manière assez — Page 19 — générale, le déroulement classique d’une séance repose sur deux dossiers. L’un, le dossier pédagogique, contient la description de la tâche à réaliser par les élèves, la description très précise de la manière d’aboutir au résultat et induit fortement la solution unique à laquelle il faut arriver. L’autre, le dossier technique, contient l’ensemble des éléments nécessaires pour répondre aux questions posées. Le travail des élèves consiste dès lors à suivre pas à pas les instructions du dossier pédagogique, à chercher la réponse à chacune des questions dans le dossier technique et à remplir le document réponse (c’est également ce que notent Hostein (1996) et Andreucci (1994)). Il est particulièrement frappant de remarquer à quel point les réponses à fournir relèvent d’exercices de coloriage (par exemple, affecter une couleur à une catégorie d’éléments) ou d’exercices à trous (par exemple, compléter une phrase avec un mot ou un groupe de mots). Dans cette perspective, l’activité des élèves se limite à chercher la seule bonne réponse attendue par l’enseignant. Nous sommes bien éloignés d’un travail de construction de savoirs et nous pouvons ainsi penser que l’utilisation de matériel dans ces conditions n’aura que peu d’impact. 1.3.2. Enseignements technologiques et utilisation de matériel Pour étudier le rôle joué par le matériel, d’une part, et, d’autre part, par les règles pérennes du contrat établi dans ces enseignements, nous avons pris trois groupes d’élèves de classes de 1e E (filière Mathématiques et technologie industrielle) en début d’année scolaire. Deux groupes d’élèves avaient suivi l’option TSA en classe de 2de alors que le troisième groupe n’avait pas fait de technologie auparavant. Deux types d’organisation ont été retenus : une modalité classique fondée sur le guidage de l’action et la manipulation de maquettes, d’une part, et, d’autre part, une modalité plus originale de confrontation aux obstacles sans manipulation de maquettes. Les élèves dans tous les cas devaient décrire au moyen d’un GRAFCET le fonctionnement d’un système automatisé de — Page 20 — déplacement de pièces. Un groupe (TSAMC) constitué par des élèves issus de TSA effectuait le TP selon la modalité classique ; l’autre groupe d’élèves (TSAMO) issus de TSA et le groupe d’élèves qui n’avaient pas suivi l’option TSA (NTSMO) ont effectué le TP selon la modalité originale. Le Tableau 2 présente les résultats obtenus lors d’un test identique pour chaque groupe qui a été effectué après la séance. Tableau 2 : Niveaux de résolution retenus par les groupes selon les modalités adoptées Modalités Niveau 1 Niveau 2 Niveau 3 Total NTSMO TSAMC TSAMO 6 6 1 3 2 4 0 0 3 9 8 8 Total 13 9 3 25 Les tests statistiques ne font pas apparaître de différences significatives entre les modalités NTSMO et TSAMC alors qu’il y a des différences très significatives entre la modalité TSAMO et chacune des deux autres. En d’autres termes, cela signifie que, d’une part, le matériel ne joue pas un très grand rôle dans les performances des élèves et, que d’autre part, un dispositif classique conduit les élèves ayant fait une option TSA à un niveau de performance comparable que celui obtenu par des élèves qui n’ont jamais fait cette option. L’utilisation du guidage de l’action pour permettre aux élèves de se construire une représentation fonctionnelle du système qu’ils manipulent apparaît comme une association bien pauvre du point de vue des résultats. Au-delà des résultats quantitatifs, quelques points d’importance sont à souligner. 1.3.3. Activités d’élèves et effets de contrat L’activité des binômes en cours de travail était enregistrée. Le dépouillement des bandes vidéo, selon une méthode d’analyse de contenu, permet de noter le fonctionnement routinier des élèves qui faisaient le TP classique. Par exemple, on note en tout début de séance cet échange verbal : — Page 21 —       Élève 1 : « que faut-il faire ? » Élève 2 : « regarde, il faut répondre aux questions ici ! » Élève 1 : « il faut mettre en marche la maquette, non ? » Élève 2 : « non, pas pour le moment, on répond d’abord aux questions. » Élève 1 : « oui, mais pour répondre, il faut faire tourner la maquette ? » Élève 2 : « mais non, on s’en fout, on répond aux questions… » L’élève 1 finira par admettre qu’il n’est nul besoin de faire marcher la maquette (alors que c’était stipulé dans l’énoncé de la tâche) pour en décrire son fonctionnement. Il est fort probable que dans une situation traditionnelle de classe, ils auraient fait appel au professeur qui aurait certainement rappelé la consigne. Cet autre binôme, en cours d’activité a eu cet échange sur le fonctionnement du système. Ils avaient ébauché une solution dans laquelle les deux mouvements se succédaient séquentiellement (monter PUIS avancer) alors que le système avançait en diagonale en combinant les deux mouvements (monter ET avancer). Un des élèves observe le déplacement et interpelle l’autre :            Élève 3 : « non, il y a un malaise, on s’est planté, ça ne peut pas être comme ça » Élève 4 : « hein ! Qu’est-ce qui ne peut pas être comme ça ? » Élève 3 : « Tu vois bien, le machin il se déplace comme ça (l’élève décrit la trajectoire en diagonale avec la pointe de son crayon) et nous, nous avons écrit qu’il se déplaçait comme ça (il hésite et décrit une trajectoire qui prend la forme d’un cercle, manifestement, il a du mal à décrire la trajectoire)… tu vois…, on s’est gouré… » Élève 4 : « mais non, on s’est pas gouré, regarde, il fait ça et ça (l’élève fait un geste encore plus vague que son camarade) » Élève 3 : « mais non, il y a un problème, je suis sûr que ce n’est pas ça… » Élève 4 : « demande au prof ! » Élève 3 : « on peut, Monsieur ? » Expérimentateur : « Oui ! Qu’y a-t-il ? » Élève 3 : « ben, il y a un problème ! Le machin là il fait pas ce qu’on voudrait qu’il fasse ! Vous pouvez nous expliquer ! » Expérimentateur : « Vous savez, je ne peux rien vous dire, tout est contenu dans le sujet. » Élève 4 : « laisse tomber, de toute manière on a répondu à la question, c’est tout ce qu’on nous demande, on va pas se prendre la tête avec ça. » — Page 22 — Ces deux extraits de dialogues d’élèves montrent assez clairement les enjeux dans le déroulement d’une séance. Les élèves procèdent par routines habituelles (il faut répondre aux questions, c’est tout ce que l’on me demande). Chaque fois qu’un d’entre eux tente de s’écarter de ce traitement routinier, on peut penser qu’il va interroger les fonctionnalités du système, qu’il va remettre en cause sa stratégie de résolution. Les rappels à l’ordre, à la routine, sont cependant les plus forts. S’il n’y a pas accord entre les deux élèves sur la découverte d’une contrainte, sur sa transformation en fonction ou, sur la solution retenue alors c’est toujours l’option minimaliste qui est retenue. Le processus de progression dans la stratégie de résolution à coup d’affirmations et d’abandons est un processus efficace pour arriver à bout de la tâche même si c’est au détriment de la construction de sens. Cette organisation de séances se réduit à une simple articulation d’activités que l’élève parcourt de manière linéaire sans qu’aucune des incohérences qui apparaissent ne soit suffisamment déstabilisante pour qu'il envisage réellement et sérieusement de changer de stratégie. Tout se passe comme si son métier d’élève dans ce cas se réduisait à achever le TP dans les délais impartis en étant le plus économe possible de son investissement personnel. De fait, on voit bien que les enjeux de savoirs ne sont absolument pas les mêmes selon la manière dont on organise les rapports aux savoirs des élèves dans le cadre de la classe. Cette question des savoirs est un thème largement récurent aux différents travaux que l’on a pu conduire à Marseille et qui, me concernant, s’inscrivait dans la continuité logique de la thèse. 2. LES SAVOIRS ET LEUR RÉFÉRENCE 2.1. 2.1.1. DES SAVOIRS POUR L’ENSEIGNEMENT DE LA TECHNOLOGIE Contexte pour le choix de références Il semble que les enseignements technologiques aient du mal à trouver leur place à l’école entre enseignements scientifiques et travaux manuels. C’est, — Page 23 — sans doute, lié à l’implantation et au développement de l’enseignement de la technologie au collège à partir de 1985. Lors de deux universités d’été (Ginestié, 1988 et 1989b), nous avions déjà posé quelques-uns des éléments de problématiques susceptibles d’ouvrir des travaux de recherche dans ce sens. Dès cette époque, se posait la question du choix de la référence pour les savoirs. Nous l’avons vu, et c’est une partie des avancées proposées dans ma thèse, les enseignements technologiques sont largement pensés comme une succession d’activités qui doit être représentative de l’organisation sociale du travail et plus particulièrement du monde de la production industrielle. Si cette référence générale ne semble plus faire problème6, le détail de l’affaire n’est pas aussi évident que cela. Quels sont les savoirs qui doivent être enseignés ? Jusqu’à quel niveau d’exigence va-t-on pour chacune des classes d’enseignement ? Comment sont articulés les savoirs entre eux à l’intérieur de chacune des classes, entre les différentes classes, entre les différents cycles de classes, entre les différents types d’établissements ? La mise en place des actions de reconversion des professeurs d’EMT 7 à l’enseignement de la technologie a posé ces questions d’une manière particulièrement vive et a été un puissant moteur dans le développement de nombreux travaux. Cette nouvelle discipline, instituée en 1985 à partir des travaux de la Commission Permanente de Réflexion sur les Enseignements Technologiques (1984), prenait la place d’une longue tradition de travaux 6 L’enseignement de la technologie se réfère au monde de l’industrie et plus particulièrement à la production industrielle d’objets empruntés au secteur électromécanique domestique. Sont exclus des secteurs industriels tout aussi importants et riches de lieux d’investigation tel l’agroalimentaire, le biotechnologique ou encore l’aéronautique, les transports ou encore la production d’énergie (liste largement non exhaustive). 7 La mise en place d’un enseignement de la technologie obligatoire pour tous les élèves du collège a entraîné la reconversion des quelque 15 000 enseignants d’EMT répartis en environ 80% de PEGC XIII (en majorité des anciens instituteurs spécialisés) et environ 20% de certifiés de Travaux Manuels Éducatifs. — Page 24 — manuels en occupant le créneau horaire, les salles et en s’appuyant sur les enseignants. La référence ne devait plus se faire à l’environnement domestique des enfants mais à des processus industriels. Ce n’est pas une simple substitution de cours de cuisine par des cours de mécanique à laquelle on a assisté ; il y a bien eu construction d’un nouveau monde. La reconversion des professeurs d’EMT n’a pas été une opération simple en soi. De la même manière que l’on ne pouvait substituer simplement de la mécanique à la cuisine, on ne pouvait simplement donner des savoirs technologiques à un corps d’enseignants, constitué majoritairement par des PEGC. La complexité de la tâche a conduit à opérer des choix particulièrement drastiques. Au détriment d’une transposition de savoirs technologiques que l’on avait du mal à définir, il a été très souvent et très largement préféré une approche pédagogique (Ginestié, 1987). 2.1.2. La DPI comme architecture de référence Dans cet ensemble, la démarche de projet industriel constitue une référence privilégiée. Cette expression décrit le processus de mise sur le marché d’un nouveau produit industriel par une entreprise. Bien évidemment, il s’agit d’entreprises de pointe et les méthodes de production industrielle privilégiées sont parmi les plus modernes. Dès lors, la complexité de la tâche de formation se transformait ; il s’agissait de former des enseignants à mettre en œuvre une organisation pédagogique représentative de la démarche de projet industriel, utilisant les outils et les méthodes de cette démarche tout en conservant la réalisation d’un petit objet que les élèves emporteraient. Quasiment tous les groupes responsables des formations des enseignants d’EMT ont dès lors travaillé sur la formalisation de dispositifs pédagogiques clé en main qui — Page 25 — permettaient à tout un chacun d’avoir les éléments pour assurer leur enseignement de technologie8. La qualité d’un tel dispositif repose essentiellement sur la pertinence du modèle pédagogique. Le constat de départ de la reconversion (tel qu’il a été fait dans l’Académie d’Aix-Marseille) était plutôt pessimiste du point de vue des connaissances. Il semblait vain d’essayer d’atteindre un niveau de connaissances techniques dans tous les champs que couvrait l’enseignement de la technologie ; donc, il fallait équiper les enseignants avec une organisation pédagogique forte leur permettant d’enseigner à tous les niveaux du collège. Les savoirs en jeu dans les formations se sont ainsi déplacés du technologique vers le pédagogique. Les deux universités d’été, que nous avions organisées à Marseille, sont particulièrement significatives de ce glissement et ce en une année. La première, en 1988, intitulée « Technologie et Didactique », était encore un lieu de débat. Les questions posées interrogeaient le rapport entre les savoirs à enseigner et la manière de les enseigner. La seconde, en 1989, intitulée « Formation de formateurs en technologie », a tranché en ne s’intéressant qu’à l’approche pédagogique. Pour garder du sens à cette approche pédagogique, il fallait l’ancrer sur des fondements technologiques forts sans pour autant se référer à des savoirs susceptibles d’être un obstacle pour les enseignants d’EMT 9. Par ailleurs, il fallait garder un lien explicite avec les pratiques de l’EMT. 8 On se référera à la très grande masse de projets qui ont circulé (de manière officielle ou non) comme, par exemple, ceux publiés dans la revue de Montlignon, ceux publiés par différents CRDP ou encore par les MAFPEN. 9 C’est ainsi que nous avons expérimenté des approches de l’électronique en évitant soigneusement toutes références aux outils de modélisation tels les lois de Kirchhoff ou les théorèmes de Millman ou encore même la loi d’Ohm dans quelques-unes de ces formes. Nous avions, par exemple une année, mis en place un enseignement des circuits électriques sans utiliser d’une manière ou d’une autre les notions de courant électrique et d’intensité, faisant travailler les stagiaires exclusivement sur des concepts de tension et d’énergie. — Page 26 — On voit ainsi les avantages d’une référence à la démarche de projet industriel. On pouvait instituer la réalisation d’un objet par les élèves, objet pour lequel on pouvait aisément établir les différentes phases du processus de mise sur le marché depuis l’idée de départ jusqu’à son utilisation. Les enseignants préparaient les dossiers techniques nécessaires à chacune des étapes, constituaient avec l’aide des formateurs spécialisés les ressources techniques nécessaires, prévoyaient les articulations des séances et leur déroulement dans le temps dans le cadre d’un projet pédagogique. Très rapidement, l’apport de connaissances techniques des débuts a été remplacé par des ateliers d’élaboration de dossiers techniques et pédagogiques. Le choix des objets supports devenait ainsi particulièrement sensible : il était nécessaire que ceux-ci soit pluri-technologiques (sousentendu, qu’ils intègrent des éléments mécaniques – souvent le boîtier – et électroniques), facilement réalisables (c’est-à-dire ne nécessitant pas la mise en œuvre d’outillages, de matériaux ou de procédés complexes), plutôt bon marché (il fallait que les élèves puissent autofinancer cette production, ce qui limitait le coût de revient à quelques dizaines de francs) et enfin qu’ils correspondent à un besoin social identifiable (pour que l’on puisse opérer les études de marchés et les plans de distribution qui légitimaient l’existence de cet objet). Cette intimité entre le projet technique, le projet pédagogique et l’objet, est certainement générique de l’enseignement de la technologie au collège. Elle a permis aux enseignants d’EMT fraîchement reconvertis d’enseigner quelque chose qui n’était plus de l’EMT comme en témoigne cette énergie créatrice des premiers temps, si l’on se fie au nombre de projets apparus çà et là. Pour — Page 27 — autant, on voit clairement les limites d’une telle approche beaucoup trop dépendante d’un contexte particulier dans une époque particulière10. 2.1.3. La démarche de projet industriel comme savoir enseigné Dans la généralisation de la démarche de projet industriel comme référence pour l’enseignement de la technologie au collège, un ouvrage scolaire, intitulé la démarche de projet industriel (Rak & al, 1992), a joué un rôle important. Cet ouvrage proposait une modélisation de la démarche de projet industriel en dix étapes qui permettaient de décomposer le processus de mise sur le marché d’un nouveau produit industriel en une succession d’activités planifiées, identifiables pour lesquelles on pouvait construire aisément des activités d’élèves en utilisant des outils spécifiques. Pour établir cette modélisation, les auteurs se sont intéressés à la mise sur le marché d’une micro fraiseuse à commande numérique destinée à équiper les salles de technologie de collège. Le Schéma 1 présente cette décomposition en dix étapes du processus de mise sur le marché d'un nouveau produit industriel. 10 Cette approche a notamment conduit à éloigner l’enseignement de la technologie au collège des enseignements technologiques du lycée comme, par exemple, l’option TSA de la classe de seconde ou encore l’option technologie industrielle des classes de première et terminale. Ce qui les éloignait était bien cette opposition entre pédagogie et savoir. — Page 28 — Schéma 1 : Décomposition en dix étapes du processus de mise sur le marché d'un nouveau produit industriel La modélisation ainsi proposée évoque un fonctionnement très linéaire pour lequel la solution d’une étape de la démarche de projet industriel fournit les données de problème à résoudre à l’étape suivante. Pour chacune des étapes, les outils proposés sont empruntés à des méthodes de traitement et à des techniques identifiées telles que l’analyse de la valeur, la méthode APTE, l’analyse SADT, etc. (Jouineau, 1986) L’autre partie de l’ouvrage consiste en une série de propositions afin de définir des activités d’élèves. Par exemple, le guide méthodologique de l’ouvrage indique clairement les liens entre la description technique d’une activité et la mise en scène pédagogique que l’on peut en faire. Comme toute modélisation, il s’agit de construire un savoir à partir d’un ensemble de pratiques formalisées dans des techniques particulières d’utilisation d’outils spécifiques. De fait, nous avons là un excellent exemple de ce que pourrait être le processus de transposition didactique dans les enseignements technologiques, — Page 29 — processus par lequel des savoirs socialement constitués sont décontextualisés, séquentialisés et reconstruits pour devenir des savoirs à enseigner. Pour étudier ce processus, nous avons analysé ce processus de mise sur le marché d’un nouveau produit industriel dans les entreprises. Cette étude a été conduite sur plusieurs années au travers de travaux de mémoires professionnels et de stages en entreprise réalisés par des stagiaires de seconde année de la filière technologie de l’IUFM d’Aix-Marseille (Ginestié, 1994a, 1995a, 1995b, 1996a). 2.2. 2.2.1. L’IDENTIFICATION D’UNE RÉFÉRENCE Méthodologie de travail L’analyse porte sur l’observation et la description du processus de la démarche de projet industriel lors de la mise sur le marché d’un nouveau produit par plus de deux cents entreprises de différentes tailles réparties dans les différents secteurs de la production industrielle (Cf. Tableau 3 : Répartition des entreprises selon leur taille et leur secteur d’activité). Tableau 3 : Répartition des entreprises selon leur taille et leur secteur d'activité Petite Moyenne Grande moins de 50 salariés de 50 à 499 salariés 500 et plus salariés Total A- Construction mécanique 21 17 5 43 B- Construction électrique C- Génie logiciel 17 19 4 40 18 6 0 24 D- Construction navale 2 9 3 14 E- Appareillage médical 15 11 2 28 F- Agroalimentaire 21 12 12 9 7 2 40 23 106 83 23 212 G- Mobilier professionnel Total Le recueil de données a été effectué par entretien non-directif avec le ou les responsables de la mise sur le marché d’un nouveau produit. Il est clair que le statut, la formation et les responsabilités de cette personne sont fortement liés à la taille ou au secteur de l’entreprise et donc fortement variables d’une — Page 30 — entreprise à l’autre. Néanmoins, nous pouvons définir deux catégories de responsables. (i) Pour les petites entreprises, le responsable de la mise sur le marché d’un nouveau produit est pratiquement toujours le dirigeant de l’entreprise (patron, gérant, directeur, associé, etc.). La seule distinction notable concerne le génie logiciel où, même pour les petites structures, il y a toujours un chef de projet souvent différent du dirigeant qui s’occupe plutôt de la commercialisation des produits. (ii) Les moyennes et les grandes entreprises sont structurées de telle manière qu’un responsable de projet (même s’il n’a pas ce titre dans l’entreprise) est toujours identifiable. Ses charges et fonctions recouvrent toujours la responsabilité du développement du nouveau produit. Une distinction apparaît au travers de la mise en œuvre du projet. Le responsable du développement n’est que peu souvent responsable du suivi global du projet dans sa phase de production ou, lorsqu’il l’est, c’est seulement lors du lancement du produit pour une durée assez restreinte. La grille d’entretien que nous avons adoptée pour conduire les entretiens reprend la modélisation de la démarche de projet industriel telle qu’elle est décrite dans le manuel de Rak et al (1992). Après présentation de cette modélisation, nous demandions aux personnes interrogées de nous dire s’ils procédaient ainsi, quelles différences ils faisaient entre ce modèle et leur propre pratique. 2.2.2. Analyse des résultats 2.2.2.1. ÉTAPES DE LA DÉMARCHE DE PROJET INDUSTRIEL La démarche de projet industriel est présentée dans le manuel (Rak et al, 1992) comme comprenant dix étapes (Cf. Schéma 1, page 29). Pour chacune de ces étapes, nous avons comptabilisé le nombre d’entreprises dans chacun des secteurs d’activités qui déclarent prendre en compte cette étape dans leur — Page 31 — propre démarche de mise sur le marché d’un nouveau produit. Le Tableau 4 présente ces résultats en pourcentage. Tableau 4 : Prise en compte des différentes étapes par les entreprises Secteurs d’activités Nbre d’entreprises A B C D Cons. Méc. Cons. Elec. Génie log. Cons. Nav. E F G App. Méd. Agroalim. Total Mob. Prof. 43 40 24 14 28 40 23 212 Analyser le besoin 74% 85% 79% 100% 89% 83% 96% 84% Étudier la faisabilité 70% 80% 79% 36% 89% 83% 83% 77% Concevoir 86% 90% 96% 100% 79% 98% 91% 91% Définir 65% 75% 88% 64% 100% 70% 74% 76% Industrialiser 91% 63% 0% 29% 68% 60% 57% 58% Homologuer 49% 85% 75% 100% 100% 100% 100% 84% 100% 100% 96% 100% 100% 100% 100% 99% Commercialiser 60% 70% 46% 64% 68% 100% 91% 73% Utiliser 42% 63% 100% 57% 100% 70% 74% 70% Recycler 21% 20% 0% 14% 57% 53% 22% 29% Étapes Produire Ce tableau montre que la grande majorité des entreprises développent une série d’activités pour huit étapes sur dix (total supérieur ou égal à 70%). Deux étapes, l’industrialisation (58% des entreprises au total) et le recyclage (29% des entreprises au total), font exception et sont peu prises en compte. On note l’importance attribuée à la production (99% des entreprises) et à ses corollaires directs, la conception (91% des entreprises), l’homologation (84% des entreprises) et l’analyse du besoin (84% des entreprises). On constate également que les pratiques des entreprises varient énormément d’un secteur à l’autre ; elles n’attribuent pas toutes la même importance aux même étapes. Par exemple, les questions d’homologation semblent moins importantes pour les entreprises de construction mécanique (49% des entreprises) alors qu’elles sont incontournables (100% des entreprises) pour les entreprises de construction navale, — Page 32 — d’appareillage médical, d’agroalimentaire ou de mobiliers professionnels ; on voit bien à travers cela le poids des normalisations sur certaines entreprises. Ces premiers résultats nous permettent de constater que les entreprises reconnaissent la modélisation des différentes étapes de la DPI comme une formalisation plutôt pertinente du processus de mise sur le marché d’un nouveau produit industriel. De ce point de vue, la transposition opérée respecte l’organisation générale de ces processus industriels. Il est toutefois un peu limitatif de ne considérer que les déclarations des personnes interrogées sur des étapes définies par des termes génériques mais qui n’apporte aucune indication sur les actions menées réellement, sur les outils et les procédés mis en œuvre. C’est ce que nous allons examiner à présent. 2.2.2.2. OUTILS UTILISÉS La modélisation de la DPI met en avant un certain nombre d’outils à chacune des étapes. Nous avons comparé ces outils préconisés et ceux utilisés par les entreprises. Dans cette analyse, nous n’avons pas distingué les résultats en fonction du type d’entreprises. Nous avons regroupé les réponses selon trois critères : (i) Outils identiques : pour assurer la réalisation prévue à l’étape citée, l’entreprise utilise les mêmes outils (ou similaires) que ceux décrits dans la démarche de projet industriel (empruntés à l’analyse de la valeur pour la grande majorité). (ii) Outils différents : les entreprises utilisent un outil formalisé, repéré par un ensemble de normes, qu'ils peuvent facilement expliciter, différent de celui décrit dans la démarche de projet industriel. (iii) Autres : cette catégorie regroupe les entreprises qui ont déclaré ne pas avoir d’actions particulières à une étape donnée et celles qui n’utilisent pas d’outils formalisés. Le Tableau 5 présente les résultats de cette analyse. La colonne sous-total permet de repérer le nombre d’entreprises qui utilisent un ensemble d’outils — Page 33 — formels. Les résultats sont exprimés en pourcentage du nombre d’entreprises total. Tableau 5 : Outils utilisés Utilisation d’outils Autres Total Identique Différent Sous-total Analyser le besoin 3% 37% 40% 60% 100% Étudier la faisabilité 1% 36% 37% 63% 100% Concevoir 3% 77% 80% 20% 100% Définir 1% 48% 49% 51% 100% Industrialiser 1% 32% 33% 67% 100% Homologuer 2% 81% 83% 17% 100% Produire Commercialiser 6% 2% 92% 41% 98% 43% 2% 57% 100% 100% Utiliser 1% 67% 68% 32% 100% Recycler 0% 19% 19% 81% 100% Étapes D’une manière générale, on constate que seulement quelques entreprises (au plus 6%) utilisent les mêmes outils que ceux décrits dans la démarche de projet industriel. Autrement dit, les entreprises utilisent des outils différents (résultats de la colonne « différent ») ou n’utilisent pas d’outils formalisés (résultats de la colonne « identique »). Par ailleurs, plus des deux tiers des entreprises formalisent leurs actions en ce qui concerne la conception (80%), l’homologation (83%), la production (98%) et l’utilisation (68%). Pour les six autres étapes, l’utilisation d’outils formalisés varie d’une entreprise sur deux (49% pour l’étape « définir ») à moins d’une entreprise sur cinq (19% pour l’étape « recycler »). On notera qu’environ deux entreprises sur trois n’utilisent pas d’outils formalisés pour les étapes analyser le besoin (60% dans la colonne « Autres »), étudier la faisabilité (63%), industrialiser (67%) et commercialiser (57%). Ces résultats montrent la distance entre les déclarations des responsables de projet et la réalité de leurs actions. D’une part, la grande majorité des entreprises déclarait avoir une action pour huit étapes sur dix (cf. Tableau 4, page 32). D’autre part, cette majorité d’entreprises ne se retrouve que dans — Page 34 — quatre étapes sur dix dès lors qu’il s’agit de nommer les outils utilisés. Il semble que la démarche de projet se réduise, dans l’utilisation d’outils formalisés par les entreprises, à l’articulation concevoir, homologuer, produire et utiliser. Ce tableau montre également que les outils préconisés dans la démarche de projet industriel ne sont que très peu utilisés par les entreprises. Les outils et techniques développées dans la démarche de projet industriel sont ceux que l’on retrouve dans l’enseignement des sciences et techniques industrielles dans les lycées et les filières de l’enseignement supérieur technologique. Il y a construction de toutes pièces d’un savoir à des fins d’enseignement. Ces résultats permettent de mesurer l’éloignement entre ce qui est proposé aux élèves et les pratiques réelles des entreprises. Cette distance s’exprime bien sûr dans l’utilisation ou non d’outils formalisés, dans la nature de ces outils mais surtout dans le fait que ce ne sont pas des organisations de travail qui sont modélisés mais des procédés. Cette question de la référence dans l’élaboration des contenus d’enseignement pour les disciplines technologiques est un point important du travail entrepris ici. La signification de ce qui est enseigné est directement conditionnée par les choix effectués dans ce travail de modélisation de pratiques. Plusieurs points de questionnement apparaissent ici :  L’articulation entre outils, procédés et organisations sociales permettent aux entreprises d’agir. Le travail de modélisation opéré afin d’élaborer des savoirs pour l’enseignement fige cette dynamique en privilégiant le couple outil – procédé et en excluant les organisations sociales. L’enseignement se référerait ainsi à des savoirs réduits à l’utilisation d’un outil spécifique dans un contexte particulier. Peut-on sortir de cette situation paradoxale dans laquelle la modélisation de pratiques conduit à évacuer tout enjeu de signification sociale sur ces pratiques dans les savoirs ainsi élaborés ?  Privilégier le couple procédé – outil conduit à accorder une place importante dans l’enseignement à la maîtrise de l’utilisation de ces outils. On a noté la fragilité du choix de tel ou tel outil (seulement quelques entreprises utilisent les outils décrits dans la modélisation). L’organisation d’un enseignement autour de — Page 35 — la manipulation de ces outils souffre de la même fragilité. D’une part, il est difficile de trouver des logiques de progression des enseignements (si ce n’est en compliquant leur utilisation). D’autre part, les contraintes liées à la maîtrise de chacun des outils renforce les activités de manipulation de ces outils au détriment d’activités de construction de sens sur leur rôle social. Quelles sont les conséquences sur les organisations curriculaires des enseignements technologiques et peut-on imaginer d’autres organisations curriculaires ? 2.3. PRATIQUES DE TRANSMISSION DES SAVOIRS TECHNOLOGIQUES L’organisation des enseignements est un élément clé du processus de transposition appropriation de savoirs technologiques. Dans cette organisation, l’enseignant joue un rôle important. C’est lui qui opère choisi les savoirs, leur ordre, leur articulation, leur hiérarchisation ; c’est lui qui décide des tâches qu’il va proposer aux élèves, du matériel qu’il va mettre à leur disposition, de la façon dont ils vont pouvoir l’utiliser, de ce qu’ils feront avec, etc. Ces choix ne relèvent pas pour autant de la libre décision et du libre arbitre de l’enseignant, ils sont précontraints aux règles du contrat didactique. L’étude conduite dans la thèse montrait ce rapport d’influence entre règles pérennes et règles locales. Ce n’est pas ce rapport qui nous intéresse à présent. Il s’agit de regarder l’influence que peut avoir la modélisation de la démarche de projet industriel sur l’organisation de l’enseignement de la technologie au collège. Pour ce faire, nous avons conduit un travail auprès de cent neuf enseignants la technologie en classe de 5ème dans des collèges de l’Académie d’Aix-Marseille. Ce travail a été conduit il y a trois ans ; depuis les programmes de technologie ont été réécrits et relativisent la part attribuée à la démarche de projet dans l’enseignement de la technologie. 2.3.1. Méthodologie de recueil des données Les cent neuf enseignants retenus sont tous certifiés de technologie, répartis dans quatre-vingt-sept collèges pris dans différentes zones. La constitution de — Page 36 — cet échantillon respecte une représentativité d’établissements citadins (banlieues, quartiers favorisés, etc.) et d’établissements ruraux. Le recueil des données s’est fait à partir de :  La consultation et l’analyse des documents - élèves (classeurs de technologie) et des documents - professeurs (fiches de préparation, cahier de texte, dossiers techniques et pédagogiques, etc. ) ;  L’observation de séances d’enseignement ;  Des entretiens non-directifs des enseignants. Il s’agissait de préciser les points de vue des enseignants sur la nature de leur enseignement, l’organisation qu’ils retiennent, le temps qu’ils consacrent à chaque élément, l’importance qu’ils leur accordent, les difficultés et les réussites qu’ils rencontrent. 2.3.2. Analyse des résultats 2.3.2.1. STRUCTURATION DU CLASSEUR DES ÉLÈVES Le classeur des élèves est un témoin important de l’enseignement de la technologie. C’est ce que l’enseignant montre de son enseignement aux élèves et à leurs parents. La façon dont ce classeur est structuré (et qui est imposée aux élèves) est choisie par l’enseignant. Elle est donc significative de la manière dont celui-ci organise son enseignement et les savoirs qu’il est chargé de transmettre. Elle nous donne des indications sur le découpage et la répartition de ces savoirs. Nous retiendrons trois structures principales : (i) Structure 1 : la structure du classeur adopte la démarche de projet industriel comme structure dominante ; le classeur est divisé par huit à dix intercalaires reprenant chacun une étape de la démarche de projet. (ii) Structure 2 : le classeur est découpé en quatre ou cinq domaines : mécanique, électronique, économie - gestion, informatique et, quelques fois, automatisme. (iii) Autres structures : nous avons rangé dans cette catégorie toutes les structures qui ne relèvent pas des précédentes. — Page 37 — Le Tableau 6 présente le nombre d’enseignants qui ont adopté chacune de ces structures. Tableau 6 : Structuration du classeur de technologie des élèves Modes de structuration Nombre d’enseignants 78 27 4 Structure 1 Structure 2 Autres structures 109 Total Ce tableau montre la forte dominante d’un classeur structuré selon les étapes de la démarche de projet industriel (78 enseignants adoptent la structure 1). Toutefois, on notera qu’un quart des enseignants adoptent une répartition selon les domaines de la technologie (27 adoptent la structure 2) bien que cette organisation soit très éloignée de ce que l’institution souhaite pour cet enseignement. On constate que la démarche de projet industriel joue un rôle important dans la structuration des enseignements de technologie au collège. Près de trois enseignants sur quatre l’ont adoptée en demandant à leurs élèves de structurer leur classeur selon ce modèle. Ce choix nous renseigne sur les pratiques de classe : il s’agit de dérouler pendant l’année les différentes étapes de la démarche de projet industriel en réunissant les documents (distribués par le professeur et / ou élaborés par les élèves) dans un classeur qui reprend cette structuration étape par étape. Nous l’avons vu précédemment, toutes les étapes n’ont pas la même importance et ne sont pas traitées de la manière par les entreprises. Quand est-il de leur étude dans les classes ? C’est ce que nous allons examiner à présent. 2.3.2.2. LOGIQUE TEMPORELLE DE L’ENSEIGNEMENT DE LA DPI La détermination de l’importance attribuée à telle partie de l’enseignement peut être approchée par la place que celle-ci occupe dans la distribution annuelle. Chaque enseignant dispose d’une trentaine de séances dans l’année. Il va — Page 38 — établir une répartition et une progression des différentes activités nécessaires sur l’année. C’est ainsi qu’il va choisir ce qu’il va enseigner, le nombre de séances qu’il va consacrer à chacune des étapes de la DPI, l’ordre dans lequel il va aborder ces étapes. Ces choix dépendent de nombreux paramètres tels que la disponibilité des salles et des matériels ou la nature du projet choisi. Par exemple, un enseignant, qui choisirait une répartition linéaire des dix étapes de la démarche de projet industriel sur l’année, devrait consacrer 10% du temps à chacune des étapes, soit environ trois séances. Le nombre de séances que chaque enseignant va consacrer à chacune des étapes nous informe utilement sur l’importance que l’étude de cette étape prend dans l’activité scolaire. Nous avons demandé à chacun des enseignants de nous dire combien de séances il consacrait à chacune des étapes. Pour valider la comparaison, nous ne retenons pour cette analyse que les soixante-dix huit enseignants qui ont organisé leur activité selon la démarche de projet industriel. Le Tableau 7 présente les effectifs d’enseignants en fonction du nombre de séances qu’ils consacrent à chacune des étapes de la démarche de projet industriel. Tableau 7 : Répartition des effectifs d’enseignants en fonction du nombre de séances qu’ils consacrent à chacune des étapes de la DPI Nombre de séances <1 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 >12 Total Étapes Analyser le besoin 1 5 18 33 6 5 4 3 1 1 1 0 0 0 78 Étudier la faisabilité 38 22 11 4 2 1 0 0 0 0 0 0 0 0 78 Concevoir 18 30 12 8 4 2 2 1 1 0 0 0 0 0 78 Définir 43 8 7 6 9 3 1 1 0 0 0 0 0 0 78 Industrialiser 7 11 28 27 3 2 0 0 0 0 0 0 0 0 78 Homologuer 58 12 7 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 78 Produire 0 0 0 0 0 0 1 2 4 5 14 26 18 8 78 Commercialiser 0 1 6 17 14 11 4 7 8 4 2 1 0 0 75 Utiliser 42 21 7 7 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 78 Recycler 69 7 1 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 78 Dans ce tableau, nous avons fait ressortir en gras les zones de majorité, c’est à dire le minimum de cellules contiguës qui réunissent un effectif minimum de cinquante-huit enseignants correspondant à une très large majorité de trois — Page 39 — enseignants sur quatre. Pour chaque étape, cette majorité d’enseignants est atteinte en une deux ou trois cellules. Par exemple, la zone de majorité des étapes homologuer et recycler ne recouvre qu’une cellule (respectivement, 58 et 69 enseignants déclarent ne pas consacrer une séance à ces étapes et ne font que les évoquer). La zone de majorité pour l’étape analyser le besoin montre que la majorité des enseignants consacre entre deux et quatre séances à l’étude de cette étape. Si l’on effectue un classement des étapes en fonction de ces zones de majorité, c’est à dire en fonction du nombre de séances que la majorité des enseignants ont choisi de leur consacrer, la production occupe largement la première place (la zone de majorité se répartit sur les cellules 10 séances à 12 séances). La commercialisation prend la seconde place avec une zone répartie entre trois et cinq séances, suivie par l’analyse du besoin (zone située entre deux et quatre séances). La majorité des enseignants consacre à ces trois étapes de quinze à vingt et une séances sur un total d’une trentaine de séances dans l’année. L’industrialisation arrive ensuite dans ce classement, la majorité des enseignants lui consacre entre une et trois séances. Les étapes concevoir et définir viennent ensuite avec des zones comprises entre zéro et deux. Puis on trouve les étapes étudier la faisabilité et utiliser dont la zone de majorité se répartit entre zéro et une séance. Les étapes recycler et homologuer occupent les dernières places de ce classement, la majorité des enseignants ne consacre même pas une séance et ne font, dans le meilleurs des cas, que les évoquer. Ces résultats mettent en avant une articulation forte entre la production, la commercialisation et l’analyse du besoin. L’étude de la démarche de projet industriel s’organise autour de la production d’un objet après s’être assuré qu’il répond à un besoin et qu’il peut être vendu. Cette organisation scolaire constitue une réduction particulièrement drastique d’une démarche de projet en dix étapes vers une articulation forte de trois étapes seulement. — Page 40 — 2.3.2.3. MODALITÉS D’ORGANISATION DES SÉQUENCES Le second niveau d’analyse concerne la façon dont l’enseignant organise les séquences. Le fait de déclarer que l’élève doit être actif et acteur de sa formation (Ministère de l’éducation nationale, 1991) suppose d’organiser les activités des élèves de façon à ce qu’ils produisent de manière plus ou moins autonome. Certaines organisations pédagogiques permettent de respecter cette déclaration. On peut ainsi dégager quatre catégories de modalités d’organisation fréquemment utilisées : (i) Le guidage de l’action (GA) consiste à proposer aux élèves de progresser vers la solution au moyen de fiches guides qui planifient son travail et orientent son champ de réponse. Dans ce type d’organisation, les difficultés sont aplanies, c’est la logique de l’enseignant qui est privilégiée au détriment de la logique de l’élève ; (ii) La résolution de problème (RP) tend à placer les élèves dans une posture d’expert. Il s’agit de respecter « l’authenticité de la tâche » du point de vue de la référence, il faut faire comme si le problème posé était un « vrai problème » qu’un expert doit résoudre. Cette organisation favorise la logique de la tâche au détriment de la logique de l’élève ; (iii) L’articulation apport théorique - exercices d’application (AE) est une approche classique dans laquelle l’enseignant fait un cours théorique sur les notions et les concepts nécessaires à la résolution de la tâche, il propose aux élèves de faire des exercices d’entraînement pour chacune de ces notions ou concepts et finalise l’ensemble dans un travail global qui porte sur la conjonction de tous ces éléments et qui sert très souvent d’évaluation sommative. Il s’agit dans ce cas de favoriser la logique disciplinaire au détriment de la logique de l’élève. (iv) La dernière colonne regroupe les modalités différentes que nous n’avons pas pu ou su classer dans une des trois catégories ci-dessus (MD). Le Tableau 8 présente les modalités dominantes retenues par les enseignants à chacune des étapes de la démarche de projet industriel. — Page 41 — Tableau 8 : Modalités d’organisation pédagogique à chaque étape de la démarche de projet industriel Modalités Étapes Guidage action Résolution problèmes Apport et exercices 21 8 32 3 47 1 67 29 6 0 214 27 4 24 15 9 0 7 17 18 3 124 28 63 15 56 20 77 0 24 53 75 411 Analyser le besoin Étudier la faisabilité Concevoir Définir Industrialiser Homologuer Produire Commercialiser Utiliser Recycler TOTAL Autres modalités 2 3 7 4 2 0 4 8 1 0 31 TOTAL 78 78 78 78 78 78 78 78 78 78 780 On constate que peu d’enseignants proposent d’autres modalités, différentes des trois standards (un maximum de huit pour l’étude de la commercialisation). Le guidage de l’action est très utilisé lors de la production (67 enseignants) et pour l’industrialisation (47 enseignants). L’articulation apports théoriques exercices d’application est largement utilisée pour l’étude de l’homologation (77 enseignants), du recyclage (75 enseignants), de l’étude de la faisabilité (63 enseignants), de la définition (56 enseignants) et de l’utilisation (53 enseignants). La résolution de problème ne fait pas partie des modalités majoritairement répandue même si environ un tiers des enseignants l’utilise lors de l’analyse du besoin (27 enseignants) et de la conception (24 enseignants). Or, ces modalités font peu de cas de la logique de l’élève. Ces résultats montrent également que les enseignants utilisent massivement l’apport théorique suivi d’exercices d’applications. Ce résultat surprenant va à l’encontre du principe d’action des élèves préconisé par les textes. L’image de la classe de technologie que ces derniers veulent donner n’est pas vraiment celle d’une classe dans laquelle un enseignant « fait un cours au tableau pendant que les élèves écoutent ». Le recours au guidage de l’action ou à la résolution de problèmes est plus conforme à cette idée « d’élèves qui font ». — Page 42 — De fait, on s’aperçoit, en rapprochant ces résultats des précédents, que les enseignants choisiraient une de ces deux modalités pour les étapes pour les étapes qui occupent une place importante dans l’année comme la production, l’industrialisation, l’analyse du besoin ou la commercialisation. Autrement dit, l’enseignant procèderait par guidage de l’action ou par résolution de problèmes aux étapes pour lesquelles il consacre beaucoup de temps (par exemple, la production), tandis que pour celles qui sont rapidement traitées, il a recours à une forme plus traditionnelle du type cours suivi d’exercices. 2.3.2.4. CROISEMENT MODALITÉ D’ORGANISATION ET DURÉE DES SÉQUENCES Nous avons croisé le choix de la modalité avec le nombre de séances consacré à chacune des étapes de la DPI pour confirmer cette interaction entre modalité et nombre de séances. Ces résultats, exprimés en pourcentages, sont présentés dans le Tableau 9. Tableau 9 : Croisement du choix de la modalité avec le nombre de séances consacré à chaque étapes en % Modalités Étapes Guidage action Résolution problèmes Apport et exercices Autres modalités TOTAL Analyser le besoin 3,30% 4,25% 4,41% 0,31% 0.12% Étudier la faisabilité 0,35% 0,18% 2,77% 0,13% 0.03% Concevoir 2,57% 1,92% 1,20% 0,56% 0.06% Définir 0,19% 0,98% 3,65% 0,26% 0.05% Industrialiser 4,84% 0,93% 2,06% 0,21% 0.08% Homologuer 0,03% 0,00% 1,62% 0,00% 34,32% 3,59% 0,00% 2,05% 0.02% 0.40% Commercialiser 7,20% 4,22% 5,96% 1,99% 0.19% Utiliser 0,24% 0,71% 2,07% 0,04% 0.03% Recycler 0,00% 0,03% 0,86% 0,00% 0.01% 0.53% 0.17% 0.25% 0.06% 1.01% Produire TOTAL On peut avoir deux lectures de ce tableau. La lecture verticale nous permet de hiérarchiser les étapes entre elles. Par exemple, on constate que le guidage de l’action est particulièrement privilégié pour la production (34,32%) et, dans une moindre mesure, lors de la commercialisation (7,20%), de l’industrialisation — Page 43 — (4,84%) ou encore de l’analyse du besoin (3,30%). La lecture horizontale nous permet de hiérarchiser les modalités mises en œuvre. Par exemple, l’étape définir est abordée principalement par des apports théoriques et des exercices d’application (3,65%) et beaucoup plus rarement par guidage de l’action (0,19%). Ces résultats apportent un fort contraste aux premiers éléments d’analyse et cela su sur deux plans. Ils confirment, d’une part, la place prépondérante de la fabrication (total de 39,96%) et la réduction de la démarche de projet industriel à trois étapes principales : produire, commercialiser (total de 19,37%) et analyser le besoin (total de 12,27%) ; ces trois étapes occupent près de troisquarts des activités. D’autre part, ils montrent que le guidage de l’action constitue la pratique majoritaire dans l’enseignement de la technologie (53,04%) ; c’est la pratique majoritaire pour étudier la production (34,32%), la commercialisation (7,20%) et l’industrialisation (4,84%). Les enseignants ont recours à des apports de connaissances suivies d’exercices d’application dans près d’un quart des cas (24,60%) et majoritairement pour l’étude de la faisabilité (2,77% pour un total de 3,43%), la définition (3,65% pour un total de 5,08%), l’homologation (1,62% pour un total de 1,65%), l’utilisation (2,07% pour un total de 3,06%) ou le recyclage (0,86% pour un total de 0,89%). Ces résultats montrent un enseignement de la technologie qui se consacre pour l’essentiel à une analyse du besoin, à la production et à la commercialisation d’un objet. Ces trois étapes occupent la majeure partie de leurs temps. Le guidage de l’action est très largement utilisé, répondant ainsi au souci de l’institution d’avoir des élèves actifs11. Le recours à des apports théoriques est 11 Cette orientation repose sur un modèle psychopédagogique, inspiré par les publications, entre autres, de De Landsheere (1985), de Mérieu (1988). Ce modèle met en avant l’élève en le plaçant au centre du système éducatif. Il s’agit de proposer aux élèves des tâches pratiques dans lesquelles l’élève fait, est acteur de sa propre formation. Ce modèle repose sur le présupposé suivant : ce type de tâches facilite l’accès au savoir, l’élève apprend en faisant. Ce modèle est souvent complété par la mise en projet des élèves. — Page 44 — plutôt réservé à des étapes qui n’occupent que peu de place dans cette organisation scolaire. Cette organisation pose problème pour deux raisons principales. D’une part, l’organisation par guidage de l’action se révèle assez pauvre du point de vue des apprentissages. S’il permet à l’élève de mener à bien une tâche, dans de bonnes conditions de réalisation et avec un bon taux de réussite du point de vue du résultat escompté, en revanche, il ne favorise pas la construction de savoirs car il procède par réduction des difficultés des élèves et par aplanissement des obstacles qu’ils rencontrent. Il n’y a aucun élément de déstabilisation de leurs conceptions ou de leurs procédures de résolution familière. Il ne peut donc pas y avoir évolution vers une représentation plus fonctionnelle qui serait significative de la construction d’un nouvel apprentissage (Weill-Fassina, 1979 ; Ginestié, 1992b). D’autre part, comme quelques travaux en robotique pédagogique par exemple (par exemple, Leroux, 1993) le montrent, le recours au guidage de l’action entraîne d’importantes sollicitations et un grand nombre de questions des élèves au professeur. C’est également ce constat que fait Andreucci (1994) à propos d’une étude conduite dans les classes de 2 de TSA de trois lycées : l’organisation en travaux pratiques tournants sur sept ou huit séances fonctionne grâce à un fort guidage de l’action. Ces sollicitations apparaissent comme des limites des élèves à faire par eux-mêmes, tout seul. Dans les deux cas, les auteurs constatent que pour réduire ces sollicitations, les enseignants accroissent le guidage de l’action (par exemple, en décomposant de manière de plus en plus fine les activités des élèves) ou introduisent des phases d’apports de connaissances (sous la forme de séances préalables explicatives ou de séances de synthèse). De fait, ce mode d’organisation met en avant une apparence d’élèves acteurs, qui font des choses (en ayant largement recours à l’enseignant), ce qui est — Page 45 — conforme aux textes officiels. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que les enseignants privilégient le guidage de l’action pour les activités machinales qui relèvent plus de la succession d’opérations manuelles auxquelles ils consacrent beaucoup de temps et qu’ils adoptent la succession apport de connaissances – exercices d’applications dès qu’ils pensent avoir des concepts à « faire passer dans un temps limité ». Cette tendance devrait se retrouver dans les tâches proposées aux élèves. 2.3.2.5. BUT DES TÂCHES PROPOSÉES AUX ÉLÈVES L’indicateur d’analyse utilisé ici porte sur l’étude des tâches proposées aux élèves. L’objectif de ce travail est de conduire une analyse de contenus. Audelà des déclarations d’intention de l’enseignant, le premier point abordé concerne le but réel de la tâche proposée aux élèves. Celui-ci est déterminé à partir du croisement des intentions déclarées de l’enseignant et de la mise en texte de la tâche telle qu’elle est présentée aux élèves. Il est évident qu’une tâche ne vise pas un seul but et que les attentes sont souvent multiples. L’étude qui suit cherche donc à dégager le but dominant que nous qualifions de but réel. On peut ainsi définir quatre items différents : But 1 : la tâche est organisée afin que l’élève arrive à choisir une solution prédéfinie par l’enseignant, parmi plusieurs autres, en mettant en œuvre une démarche rationnelle et en utilisant un ensemble d’outils définis. But 2 : la tâche a pour but de permettre aux élèves de mettre en œuvre un outil spécifique dans un but de manipulation de cet outil. Ce n’est pas nécessairement la maîtrise de l’outil qui est visée ; il n’y a pas obligatoirement d’enjeux de savoirs mais plus souvent des enjeux de reconnaissance (savoir que çà existe). But 3 : le but réel de la tâche vise l’acquisition d’un savoir repéré en tant que tel. Les élèves doivent savoir telle ou telle chose qui semble indispensable à la compréhension de tout ou partie de l’ensemble de la DPI. — Page 46 — But 4 : le but réel est de conduire l’élève à la maîtrise d’un geste ou d’un ensemble de gestes nécessaires pour réaliser une tâche plus complexe. Ce geste peut relever plutôt du domaine psychomoteur (par exemple, souder un composant sur un circuit imprimé) ou plutôt du domaine cognitif (par exemple repérer la position de composants sur un circuit à partir d’un schéma). Il s’agit d’atteindre les compétences nécessaires à la conduite autonome du projet. Le Tableau 10 présente les résultats de cette analyse auprès des soixante-dix huit enseignants de technologie de notre échantillon. Selon les étapes de la DPI, le total des réponses est supérieur à ce nombre car, pour une même étape, plusieurs tâches sont souvent proposées aux élèves. Tableau 10 : Buts réels des tâches selon les étapes de la démarche de projet industriel Étapes Buts réels Analyser le besoin Étudier la faisabilité But 1 153 But 2 But 3 But 4 Total 72 74 4 5 1 38 19 270 96 68 7 6 26 107 Définir Industrialiser 93 136 8 28 4 2 31 6 136 172 Homologuer 51 13 7 12 83 Produire 754 74 34 49 911 Commercialiser 187 51 59 26 47 319 4 2 31 88 78 0 1 0 79 Concevoir Utiliser Recycler Nous avons relevé en gras les valeurs les plus fortes pour chacune des étapes. Le nombre de tâches proposées confirme les précédents résultats. Il est plus important aux étapes pour lesquelles l’enseignant consacre beaucoup de temps. On constate que la démarche de projet industriel est essentiellement centrée sur la production (total de 911 tâches) puis la commercialisation (total de 319 tâches) et enfin l’analyse du besoin (total de 270 tâches). Les autres étapes sont abordées au travers d’un minimum de tâches. — Page 47 — Les tâches proposées sont massivement centrées sur l’obtention d’une solution a priori (nombre de tâches de but 1 toujours largement supérieur aux autres). Le recours à un guidage de l’action (tel qu’on peut le constater dans le Tableau 8 et le Tableau 9) couplé à la recherche d’une solution prédéfinie constitue la pratique majoritaire des enseignants de technologie. Il y a confusion entre le résultat de la tâche à obtenir et le but de l’apprentissage. L’utilisation du guidage de l’action se révèle être, nous le disions plus haut, une modalité économique du point de vue des apprentissages ; la confusion entre résultat de la tâche et but de l’activité renforce cet appauvrissement. Le très faible nombre de tâches proposées visant l’acquisition d’un savoir précis confirme cette orientation. La technologie est présentée comme une succession de tâches articulées en cohérence avec la démarche de projet industriel. Les élèves progressent vers la solution prédéfinie par l’enseignant grâce à un fort guidage de l’action. La stratégie mise en œuvre est économique du point de vue des apprentissages. Autrement dit, les élèves ont de nombreuses activités, qui suivent la chronologie de la démarche de projet industriel, sans que pour autant ces activités les conduisent avec un minimum de garanties à construire des savoirs12. Ce travail nous permet de montrer à quel point les relations entre les savoirs enseignés (et donc leur constitution), les pratiques des enseignants et les apprentissages des élèves, sont particulièrement fortes. Nous commençons à comprendre un peu mieux le processus de transposition – appropriation de savoirs technologiques. Le développement des filières technologiques dans l’IUFM d’Aix-Marseille s’est accompagné du développement d’un certain 12 Nous avons conduit une enquête auprès d’élèves de collège qui montre que ceux-ci mettent une grande distance entre la technologie et son enseignement (Ginestié & Andreucci, 1997). Les résultats montrent leur niveau de conscience et leur intérêt pour la chose technologique tout en mettant en exergue un désintérêt croissant pour son enseignant qu’ils jugent beaucoup trop ancré sur des activités manuelles. — Page 48 — nombre d’outils de réflexion, de recherche et de développement13, outils qui nous permettent de travailler un peu plus systématiquement les différentes facettes de ce processus de transposition – appropriation (Ginestié, 1996b, 1997, 1998a). Parmi l’ensemble des possibles, ce travail nous conduit à relever quelques problématiques qui intéressent notre travail :  L’organisation curriculaire de l’enseignement de la technologie autour de la démarche de projet industriel induit des organisations qui privilégient les tâches de fabrication et le guidage de l’action. Or, c’est la réalisation d’un projet qui a une fonction formative. Existe-t-il d’autres types d’activités, induits chez les élèves par cette organisation et qui ne se limitent pas à la tâche ?  L’impression donnée par notre enquête met en avant des conditions d’études peu favorables à l’apprentissage de savoirs qui vont au-delà de procédures de réalisation et de manipulation d’outils. Qu’en est-il du travail de l’enseignant qui « aménage le milieu » de travail de l’élève pour rendre possible une analyse réflexive ?  L’ensemble des textes et des documents qui sert de référence à l’enseignement de la technologie a une très grande influence sur le choix des savoirs à enseigner, leur organisation dans des progressions, leur mise en scène par les enseignants dans la pratique quotidienne de la classe. Ces éléments jouent un rôle déterminant dans les apprentissages des élèves. Les orientations prises ne ferment-elles pas trop le champ des possibles dans l’articulation tâches – activités ? 13 Notamment le séminaire de didactique des enseignements technologiques s’intéresse surtout à la question de ces rapports aux savoirs. Il permet de discuter de thèmes tels que les relations sciences – technologies – techniques, de la question du besoin dans le mode d’existence des objets techniques ou encore de l’introduction de nouveaux savoirs comme ceux qui se réfèrent aux technologies de l’information et de la communication. — Page 49 — La question de la référence est une question essentielle dans la détermination d’une discipline scolaire. Cette référence a des conséquences évidentes sur l’organisation des connaissances que l’on veut enseigner. Elle définit l’objet de l’étude en même temps qu’elle précise les contraintes qui pèsent sur les conditions de l’étude. Ce sont ces éléments que nous allons examiner dans notre seconde partie. — Page 50 — DEUXIÈME PARTIE : DES RÉFÉRENCES POUR LES ENSEIGNEMENTS TECHNOLOGIQUES — Page 51 — 1. DÉLIMITER UN CHAMP DE RÉFÉRENCES Dans la première partie, nous montrions, au travers d’études empiriques, comment les choix effectués, institutionnellement ou non, dans la délimitation d’un champ de références influait l’ensemble du processus de transposition – appropriation. Les contraintes qui pèsent sur ce processus tendent à imposer en même temps la matière et la manière, les questions à étudier et les formes de l’étude (Chevallard, 1997). Peut-on ainsi délimiter un univers de savoirs en tous genres, normalisés ou non dans une institution épistémologique, univers qui permettrait de référer un certain nombre d’enjeux scolaires, délimitant un espace singulier que l’on nommerait discipline(s) technologique(s) ? Si l’on perçoit les enjeux d’une telle question, organiser la réponse ne va pas de soi. 1.1. GESTE, TECHNIQUE, TECHNOLOGIE Dans ma thèse (Ginestié, 1992a), je posais que les technologies au sens étymologique introduisaient le lien de la construction d’un discours sur les techniques. Il semble, et c’est ce point de vue que je défendais, qu’il y ait un lien entre les gestes, les techniques et les technologies. Dans cette perspective, les gestes décrivent l’habileté déployée par une personne pour faire une chose sans que pour autant cette personne soit en mesure de dire, voire de justifier, ce qu’elle fait et surtout comment elle le fait. L’explicitation du geste dans une description fonde la technique qui prétend dépasser la confidentialité du geste effectué par l’individu. Il y aurait cette tentative de rendre compte du geste afin de pouvoir le répéter mais surtout afin de pouvoir le faire répéter. La frontière entre faire et dire le faire est particulièrement ténue. En effet, poser l’explicitation du geste dans une technique comme élément distinctif entre geste et technique induit une hiérarchisation qui irait du spontané intuitif au formalisé réfléchi. On peut effectivement douter de cette forme de hiérarchisation qui induit une linéarité qui irait de l’acte à la pensée. En revanche, on voit que l’optimisation d’un geste dans un but d’efficacité, c’est-àdire afin d’aboutir à un résultat jugé satisfaisant en regard d’une fin — Page 52 — prédéterminée dans une économie générale de l’activité, relève d’un lent processus d’apprentissage. J’ai souvent utilisé pour expliciter cela l’exemple de la cuisinière qui jette une poignée de sel dans la sauce qu’elle prépare avec l’assurance de celle qui sait, par expérience, que c’est suffisant, qu’il n’y en a ni trop ni trop peu mais qui, à la question posée « combien mets-tu de sel ? », invariablement répond « mais tu le vois ! » (Ginestié, 1994b). L’explicitation de la recette de cuisine formalise, entre autres, cette question de la quantité de sel (une pincée, une cuillerée à café, etc.). Dans cette logique, la technologie devenait la construction d’un discours argumenté sur les techniques au sens où elle permettait de relier les techniques à des concepts théoriques scientifiques ou mathématiques afin de généraliser. Il y avait dans cette démarche prospective, l’idée de mettre en avant la technologie comme une modélisation de techniques afin de pouvoir les réinvestir dans d’autres champs voisins. Le lien entre ces trois niveaux reposait pour une grande partie sur les langages et tout particulièrement sur les langages techniques. Établir ce lien me permettait d’attribuer à ces langages un statut fort afin de les instituer comme référence des enseignements technologiques. De ce point de vue, nous sommes effectivement dans une approche dans laquelle une des caractéristiques majeures des enseignements technologiques reposerait sur cette constitution de langages formalisés. Ainsi, les langages techniques constitueraient, pour une part, l’émergence visible de cette construction du « logos » et de la « tekhnè ». 1.2. ACTIVITÉ, LANGAGE, OBJET Il y a une articulation forte entre l’activité orientée vers une fin et le langage qui permet de décrire cette activité, qui permet de la formaliser. Cette relation étroite relève des liens entre la praxis, l’activité orientée vers une fin, et la praxéologie, le discours sur la praxis (Latour, Lemonnier, 1994). La praxéologie ouvre l’espace des références aux enseignements technologiques vers des sciences sur les manières d’agir, sur une science de l’activité qui se distinguerait des sciences de l’action (qui relèverait de la morale), d’une part, — Page 53 — mais également des sciences de la nature, d’autre part. Ouvrir ainsi l’espace technologique au monde des sciences de l’activité revient à l’inscrire plus particulièrement dans le champ des sciences humaines (Haudricourt, 1988). Cet auteur montre le lien étroit qui existe entre une structure sociale, les techniques qu’elle utilise et le discours qu’elle construit sur et à partir de ces techniques. Comme le remarque Leroi-Gourhan (1989), il n’y a pas réellement de preuves formelles de la nécessité de développer des langages évolués pour développer des techniques mais les deux vont toujours de pair. L’homme fabrique simultanément des outils et des symboles (Latour, 1985 ; Rashed, 1997a). C’est cette orientation finalisée de son activité, qui donne du sens à la pratique, qui l’organise dans une praxéologie indiquant les manières d’agir (Castoriadis, 1986). C’est dans cette perspective qu’apparaissent les éléments qui permettent la diffusion sociale de ces manières d’agir mais également qui rendent cette transmission active car enrichie des nouvelles manières expérimentées par d’autres (Séris, 1994). De fait, les manières d’agir évoluent en même temps que les modes de représentations symboliques qui les décrivent (Castoriadis, 1975, 1997). La finalisation de l’activité nous renvoie aux objets que l’homme produit, à ces objets qui résultent de l’activité et qui donnent lieu aux élaborations symboliques déjà évoquées (Latour, 1991). Dans ce rapport production d’objets et de symboles, le même dégagement par rapport à l’immédiat est en jeu (Wallon, 1970). Il y a émergence d’une temporalité et d’un ordre générique qui se superposent à la temporalité et à l’ordre naturel et en inversent les signes (Althusser, 1994). Si nous adoptons une posture marxiste, il y a une extériorisation ou «objectivation» de l’homme, qui reste inintelligible si elle est coupée d’une intériorité pourtant elle-même inaccessible. De fait, outil et parole ont une existence empirique doublée immédiatement par une universalité ; ils ne sont outil ou parole que comme instances concrètes de cet outil, de ces mots (Leroi-Gourhan, 1992). Il y a la réalité et l’apparence de — Page 54 — leur maîtrise par l’individu utilisateur, l’apparence et la réalité de leur maîtrise sur l’individu auquel ils préexistent et qui, sans eux, ne serait pas (Althusser, 1986). De ce point de vue, la technique relèverait de l’intention finalisée de production d’objets, la technologie quant à elle relèverait de la production de symboles sur la technique, la manière de faire, et sur l’objet luimême, le résultat de l’activité (Poitou, 1984 ; Roqueplo, 1983). La trilogie, activité, langage et objet, apparaît comme une référence sérieuse aux enseignements technologiques. À travers cela, nous avons certainement quelques-uns des principaux composants susceptibles d’être éligibles dans la constitution de ce champ de références. Nous aurions ainsi trois entrées possibles dans un champ de références que l’on pourrait décrire ainsi : (i) L’entrée par les activités : la caractérisation d’une activité en lui conférant une valeur technique autorise le repérage des objets résultant de cette activité et les langages symboliques qui permettent, d’une part, de décrire ces objets et, d’autre part, les manières de produire ces objets. (ii) L’entrée par les langages : la structuration de langages symboliques est particulièrement significative des objets qu’ils décrivent mais également des manières mises en œuvre pour produire ces objets. De fait, conférer aux langages un qualificatif technique permet de repérer ces langages mais également les activités et les objets. (iii) L’entrée par les objets : la catégorisation des objets est d’évidence une organisation structurelle du monde. L’objet est porteur de l’activité dont il résulte et également des langages qui permettent de le décrire ou qui permettent de décrire la manière de le produire. En revanche, il importe certainement de circonscrire chacun de ces éléments car toutes les activités, tous les langages et tous les objets ne sont pas eux éligibles sauf à tomber dans une vision globalisante des enseignements technologiques (« tout est dans tout »). Il faut dire ce qui relève des enseignements technologiques et ce qui n’en relève pas. Pour aussi louable — Page 55 — que soit cette œuvre, on en mesurera également sa portée, sa prétention et sa faiblesse. Cet effort de circonscription relève d’un choix de méthodologie de délimitation, c’est ce que nous allons examiner à présent. 1.3. ÉLÉMENTS MÉTHODOLOGIQUES DE DÉLIMITATION Deux méthodes s’ouvrent à nous dans ce travail. La première consiste à adopter un point de vue interne aux enseignements technologiques. Il paraît difficile de délimiter le champ des références par ce biais car ces enseignements sont fortement liés au contexte social, politique, économique du système scolaire donné dans lequel il s’inscrit. Ce qui est envisageable en France ne l’est certainement pas dans un autre pays et vice-versa. Toutefois, puisque de telles formes d'enseignements existent (en France et dans de nombreux autres pays), regardons comment ils sont organisés, quelles références ils utilisent, quels champs de savoirs ils recouvrent, comment ils traitent la corrélation de nos trois entrées, objet, langage et activité. Cette analyse devrait nous permettre d’extraire quelques critères permettant de vérifier une règle de validation minimale : si une référence est présente dans (presque) tous les systèmes d’enseignements technologiques, alors on peut émettre l’hypothèse qu’elle appartient effectivement aux domaines technologiques et qu’elle peut être distinguée des autres domaines de références. La seconde méthode consiste à adopter une posture totalement externe aux enseignements technologiques pour délimiter un champ de savoirs technologiques qui répondrait à des caractéristiques propres et qui rendrait compte d’objets spécifiques, de langages particuliers et d’activités originales. De fait, il s’agit de voir s’il existe, indépendamment de l’école (prise comme institution de diffusion des savoirs), un champ de savoirs technologiques doté d’une épistémologie propre ou d’un développement et d’une construction permettant de repérer les ruptures, les continuités. Cette méthode consiste à prendre le parti d’une construction d’une science qu’il reste à situer, si ce n’est — Page 56 — à définir. Le croisement des deux méthodes devrait nous conduire à caractériser les éléments de la délimitation proposée. 1.3.1. La communauté des enseignements technologiques 1.3.1.1. COMPARAISONS INTERNATIONALES La première méthode a été largement exemplifiée au travers de l’éducation physique et sportive. Le développement de tels enseignements, leur inscription dans les institutions éducatives pour tous les élèves sont à l’origine de la fédération de plusieurs champs de savoirs dans un domaine particulier : les sciences et techniques des activités physiques et sportives. Les apports complémentaires de la mécanique, de la biologie, de la psychologie, de l’ergonomie, etc., ont permis de développer un champ spécifique et particulier qui, bien sûr, a permis de développer les performances des sportifs de haut niveau (même au prix de quelques expédients biochimiques) mais également d’accompagner et d’argumenter le développement de l’éducation physique et sportive à l’école. Le développement dans de nombreux pays d’une éducation technologique, très souvent en lieu et place de différentes formes d’enseignements manuels, nous fournit un matériau riche et abondant pour essayer de repérer les courants majoritaires qui peuvent se dégager, voire les invariants (Ginestié, 1998d). Ce travail a largement été amorcé dans plusieurs groupes internationaux. Le travail de Hörner (1985, 1987) entrepris au niveau européen nous propose une description des curriculums mis en œuvre dans plusieurs pays. Les travaux de la fondation PATT (Pupils Attitude Towards Technology) prolongent ce travail en l’élargissant au niveau mondial, d’une part, et en diversifiant les points de vue et les observateurs, d’autre part (Raat, De Klerk-Wolters, De Vries 1985, 1987, 1989). Ces deux perspectives s’intéressent surtout à l’éducation technologique dans l’école obligatoire. Les travaux développés dans le cadre de WOCATE (World Council Associations for Technology Education) reprennent ce même point de vue mais proposent un élargissement recouvrant — Page 57 — les différentes formes d’enseignements technologiques depuis l’école primaire jusqu’aux différentes formations professionnelles universitaires (Blandow, Dyrenfurth, 1992a). 1.3.1.2. DIFFÉRENTES RÉALITÉS POUR UNE ÉDUCATION TECHNOLOGIQUE Le terme d’éducation technologique est largement utilisé dans le monde mais il recouvre des réalités très différentes d’un pays à l’autre. Dans son acception la plus large, l’éducation technologique ou plutôt son expression anglaise de « Technology education », recouvre l’ensemble des enseignements technologiques depuis les premières années de l’école maternelle jusqu’aux formations professionnelles dispensées dans les universités. À travers ces différentes formes, l’idée d’une continuité entre l’éducation initiale et la formation professionnelle est plus ou moins fortement exprimée, plus ou moins explicitement affirmée. Certains systèmes éducatifs distinguent dans leurs dénominations la désignation d’une telle éducation selon les différents cycles scolaires. La France, par exemple, a une initiation scientifique et technologique à l’école primaire, puis une Technologie au collège et des enseignements technologiques ou des enseignements professionnels au Lycée ; l’appellation technologie disparaît pratiquement à l’université au profil des génies ou des sciences pour l’ingénieur et ne sert qu’à désigner massivement des cursus de technologie14 mécanique. Cette position se retrouve sous des formes plus ou moins variées dans une grande partie des pays méditerranéens (Italie, Catalogne, Portugal, etc.). L’utilisation de la terminologie « Technology education » dans les pays anglosaxons, souvent précédée du terme de « design », définit un enseignement 14 Il est intéressant de noter que ces cursus s’intéressent plus à la conception et à la construction mécanique qu’à la fabrication. En ce sens, ils sont plus proches de ce que recouvre le terme design en Angleterre que du terme Technology. — Page 58 — obligatoire pour tous les élèves, qui peut couvrir dans certains pays (Angleterre, Pays-Bas, certains états du Canada, Afrique du Sud, Australie, NouvelleZélande, etc.) la scolarité depuis la maternelle jusqu’à la fin de l’enseignement secondaire (de Vries, 1995 ; Sherwood, 1995 ; Benson, 1996). Dans d’autres pays (Grèce, Mexique, Inde, pays du moyen orient, etc.), le terme « Technology education » définit plus spécifiquement des formations de techniciens, techniciens supérieurs voire d’ingénieurs (Papoutsakis, 1995 ; Sadanandan, Chandrasekar, 1987). Dans ces derniers pays, il n’existe pas d’éducation technologique dans les cursus scolaires à l’école obligatoire. Enfin, un dernier groupe de pays (Allemagne, pays nordiques, pays de l’est, etc.) adoptent sous ce vocable la part de formation générale que les élèves doivent acquérir pour exercer un emploi (Georgieva, 1995 ; Radics, 1995 ; Wahl, Langer, 1997 ; Hill, Lutherd, 1999). En Allemagne, le terme d’éducation technologique n’est quasiment pas utilisé si ce n’est dans quelques travaux récents (Theuerkauf, 1995 ; Blandow, Dyrenfurth, 1995) alors qu’il évoquerait une référence à des valeurs artisanales15 plus traditionnelles dans les pays nordiques (Ginner, 1995 ; Kananoja, 1999 ; Kantola et al, 1999 ; Borge, 1999). Cette diversité de sens est directement liée aux histoires de l’éducation de ces différents pays et donc aux choix qui ont été faits à différentes époques. Les regroupements que nous évoquions sont sans doute significatifs de sphères d’influences ou de patrimoines culturels. 1.3.1.3. COMPARAISON DES DIFFÉRENTES FORMES Comparer différentes formes d’éducation technologique suppose d’élaborer une méthode qui permettrait de repérer les ressemblances et les différences. Ce n’est pas une tâche aisée et les facteurs limitant la portée de ces études, sont 15 C’est cette idée d’articulation intime dans une catégorie d’objets particuliers, entre des références aux technologies modernes et aux artisanats traditionnels, entre high-tech et travaux manuels, que retranscrit le terme finlandais de « Sloyd » — Page 59 — nombreux. Par exemple, la durée (c’est-à-dire le temps nécessaire pour élaborer une méthodologie comparative, l’éprouver, la mettre en œuvre, recueillir, traiter et interpréter les données) joue un rôle non-négligeable. C’est ce que l’on peut constater à propos d’une étude internationale sur l’attitude des élèves face à la technologie mis en chantier par la fondation PATT 16. Les travaux de conception de la méthode ont commencé en 1983. Les premiers résultats, recueillis par questionnaires, ont été traités en 198617. Il faut plusieurs conférences entre 1985 et 1989 pour aboutir à quelques conclusions (et constater que l’entrée par les attitudes était plutôt pauvre de sens). Entre temps, la France, par exemple, avait abandonné l’éducation manuelle et technique (EMT) pour la technologie au collège à partir des travaux de la COPRET (Commission Permanente de Réflexion sur les Enseignements technologiques, constituée en 1983-1984), reconvertit la majorité de ses enseignants de travaux manuels à la technologie, et se préparait à abandonner sa première version des programmes pour en adopter de nouveaux (1991). L’évolution récente et quasi généralisée des différents systèmes éducatifs pour intégrer une éducation technologique limite la portée des études comparatives en raison des changements importants qui surviennent dans cette phase d’introduction particulièrement instable. Cette difficulté n’est pas liée à une instabilité particulière des enseignements technologiques mais sans aucun doute propre à l’institution de nouveaux enseignements. Pour autant, elle ne doit pas empêcher le travail de repérage que nous nous proposions d'ébaucher (Corréard18, 1999). À ma connaissance, aucun pays n’a créé de toutes pièces un enseignement technologique, tous ont composé avec l’existant et donc procédé par 16 La fondation PATT a mis en place une enquête internationale dans une centaine de pays. C’est Claire Terlon qui a conduit cette étude pour la France (1990). 18 Isabelle Corréard fait partie de l’équipe d’enseignants de la filière technologie de l’IUFM d’AixMarseille. Ce travail a été conduit dans le cadre d’un mémoire de maîtrise de sciences de l ‘éducation que j’ai dirigé. 17 — Page 60 — réaménagements successifs qui consistent à dégager des espaces, des moyens et des personnels. En ce sens, les enseignements technologiques ne constituent jamais une nouvelle discipline scolaire créée ex abrupto. Ils prennent la place d’enseignements existants et sont, pour cela, très souvent présentés comme une évolution nécessaire ou souhaitable qui justifie l’abandon des attributs des disciplines auxquelles ils se substituent. 1.3.1.4. QUELQUES FACTEURS D’ÉVOLUTION En France, l’enseignement de la technologie au collège est présenté comme une évolution de l’éducation manuelle et technique, elle-même une évolution des travaux manuels éducatifs (Lebeaume, 1995). On voit ainsi se construire une filiation légitimée historiquement où l’éducation technologique est une extension d’une éducation manuelle qui se fonde elle-même sur des travaux manuels. Cinq facteurs sont largement utilisés pour légitimer cette évolution : (i) L’éducation technologique rend bien mieux compte de la modernité que les activités manuelles. Il y a évolution de l’univers familier du domestique à l’univers tout aussi familier du high-tech. Les objets modernes s’opposent ainsi aux objets traditionnels ou communs. (ii) Le passage du domestique au high-tech s’accompagne d’un autre changement de référence depuis les activités ménagères jusqu’au « fabricant » d’objets modernes. (iii) À défaut de pouvoir fabriquer des objets qui souffrent la comparaison avec ceux du commerce, on réalise des objets dont la seule fonction est de vérifier (voire de mettre en application) des principes ou des lois scientifiques éprouvées par ailleurs. (iv) L’éducation technologique est présentée comme une discipline outil dans laquelle les autres vont venir puiser des nécessaires exemplifications, il y a un déplacement du rapport entre concret et abstrait vers des rapports concepts – outils. — Page 61 — (v) La diversité des métiers, l’évolution des professions, le développement de l’égalité des chances d’accès sont autant de facteurs qui nécessitent d’informer les élèves sur les possibilités d’orientation, de choix qui s’ouvrent devant eux et l’éducation technologique peut éclairer ces choix. Cette évolution est nécessairement présentée de manière positive, comme une réconciliation entre le geste et la pensée, entre l’outil et le symbole. La modernité devient une référence incontournable dans cet effort positiviste. Pour ses partisans, cette continuité s’inscrit dans une linéarité historique forte, les changements évoqués ne sont que des réajustements conjoncturels du système éducatif (Amigues, Ginestié, Johsua, 1995). On peut noter, par exemple, que pratiquement tous les curriculums contemporains commencent par quelque chose du style « vivre dans une société hautement technologique… ». Alors que le positivisme scientifique est largement remis en cause dans l’enseignement des sciences, il semblerait que l’éducation technologique veuille prendre cette place d’une école qui s’ouvre sur « un progrès qui fait rage et un futur qui ne manque pas d’avenir 19 ». Au-delà de ces aspects, les cinq facteurs d’évolutions vont tous dans le sens d’un renforcement d’activités d’élèves qui se justifient et se suffisent à ellesmêmes. La référence à notre trilogie activité, objet, langage, apparaît de manière implicite, comme en filigrane des activités proposées aux élèves, et très partiellement. On notera également que les langages n’apparaissent pas du tout. Cette organisation conduit souvent à réduire les activités des élèves à des successions de procédures n’ayant d’autre but que la manipulation ou la réalisation d’objets. C’est cette perspective qui pose problème. 19 Cette expression est empruntée à Philippe Meyer dans sa chronique « matutinale » sur France Inter. — Page 62 — 1.3.1.5. RAPPORTS ENTRE ÉVOLUTION ET RÉFÉRENCES En termes de références, on peut voir ainsi se dessiner quelques oppositions flagrantes d’un système éducatif à l’autre. Pour de nombreux pays, l’éducation technologique est ancrée dans la proximité domestique de l’environnement familier des élèves. Les objets sont pris dans l’espace domestique avec les distances d’usage que ce domestique induit. Si le magnétoscope, le microordinateur, l’automobile sont des objets de proximité pour les petits occidentaux, cette notion de proximité renvoie à la bicyclette, la pompe à eau, la charrue pour d’autres enfants, dans d’autres pays. Cette distinction sur la nature des objets induit fortement une distinction sur la nature des activités. Pour les premiers, les activités relèvent soit de l’utilisation de ces objets (éduquer les enfants pour en faire des utilisateurs avertis), soit de la production industrielle de ces objets (comprendre les mécanismes des modes d’existence des objets). Le progrès technologique implicite dans les objets permet de mettre l’accent sur un moteur de compréhension beaucoup plus que de manipulation. Les élèves doivent comprendre plus que savoir-faire. Pour les seconds, l'activité se réfère aux artisanats locaux avec une connotation forte visant l’intégration sociale directe des élèves dans le tissu économique local. Dans cette perspective, les aspects de compréhension sont minorés au bénéfice de savoir-faire empruntés aux métiers environnants (Martinand, 1994). Pour les premiers, les langages développés sont plutôt des langages de description fonctionnelle alors que, pour les seconds, il s’agit plutôt de langages de description structurelle. Bien sûr, les choses ne sont pas aussi tranchées et des différences sont tout aussi manifestes entre pays occidentaux. Il y a effectivement une oscillation forte dans cette proximité entre une référence aux pratiques professionnelles de l’environnement ou aux objets manipulés dans un milieu socioculturel donné. En tout état de cause, les différentes formes que revêtent ces enseignements accréditent l’idée d’enseignements technologiques au pluriel beaucoup plus qu’un enseignement des technologies. — Page 63 — Le rapport entre un développement de niveaux de compréhension versus savoir-faire et compétences gestuelles apparaît souvent comme une contradiction qu’il faut évacuer rapidement. Les différents curriculums ont largement recours à des modèles de la psychologie, largement empruntés aux théories comportementalistes et au courant béhavioriste (Carroll, Bandura, 1990). De ce point de vue, les objets examinés étant matériels, les activités pratiquées relevant de savoir-faire ou de manipulations de ces objets matériels, les langages utilisés en rapport direct avec ce monde matériel qui ne saurait en aucun cas relever de l’abstrait, dès lors, nous sommes bien dans un monde où les « comportements » sont forcément « observables » et rendent forcément compte du développement de « compétences » qui concourent à l’atteinte d’un « objectif d’apprentissage univoque, monosémique et évaluable ». Il y a dans cette approche une accentuation démesurée qui est mise sur le développement des gestes. L’entrée par les activités des élèves, essentiellement celles qui se réfèrent à des procédures opératoires repérées, est privilégiée (Paquay, Altet, Charlier, Perrenoud, 1996). Le résultat de l’activité repose sur la production d’un objet et il est aisé de rentrer dans une démarche simplificatrice dans laquelle l’obtention d’un produit conforme indiquerait que l’élève a bien mis en œuvre les compétences que l’on attend de lui et qu’il a donc bien réalisé les apprentissages visés. L’obtention d’un tel résultat ne se fait généralement qu’au moyen d’un très fort guidage de l’action dans lequel chacune des étapes de l’activité de l’élève est décrite de la manière la plus précise et la plus détaillée possible. La référence aux descriptions procédurales relève des gammes de fabrication, des modes opératoires ou encore des « check-list ». Massivement, on se réfère ainsi à l’exécutant, à l’opérateur ; des références au concepteur, au créateur ou à l’organisateur sont largement absentes (Rey, 1996). Les curriculums ainsi élaborés sont des curriculums fermés dans lesquels les activités ne sont pas génératrices d’apprentissages. — Page 64 — Nous voyons ainsi comment s’opère la délimitation du champ lorsqu’il s’inscrit dans une perspective de continuité des enseignements existants. D’abord, on opère sur la familiarité des objets choisis parmi l’environnement domestique. Le jeu se poursuit ensuite par une classification des objets selon leur degré de complication, c’est à dire le degré de difficultés supposé dans leur manipulation. Beaucoup de progressions proposées reposent sur la manipulation d’objets de plus en plus en plus compliqués20. Ensuite, on organise l’activité des élèves en la référant essentiellement à des activités d’exécution et en procédant par des descriptions très précises des différentes procédures nécessaires pour arriver au résultat. La progression repose sur la répétition de scénarios identiques, quel que soit l’objet. L’activité de l’élève peut se définir a priori et indépendamment des objets. Le recours aux langages n’est pas systématique et oppose pratiquement tout le temps structure à fonction. Les situations de classes sont, dès lors, des situations prototypiques dans lesquelles les élèves n’ont pas de problème à résoudre, n’ont pas de choix à opérer sur différentes solutions possibles et n’ont pas à évaluer leurs choix en regard d’une comparaison prévu – prévisible – obtenu (voir à ce sujet les travaux d’Andreucci (1998), de Rogalski & Samurçay (1994) ou Keskessa & Baillé, (1998)). 1.3.2. La technologie comme un champ de références externes Organiser les champs de références éligibles pouvant contribuer à délimiter les enseignements technologiques suppose de se donner quelques points de repère. Notre première articulation, objet – activité – langage, devra être examinée d’un point de vue naturaliste - quels objets, quelles activités, quels langages sont éligibles – mais également d’un point de vue dynamique – comment ces trois éléments interagissent et comment les interactions 20 On trouve de nombreuses illustrations de cette forme de progression. Il s’agit, par exemple, de faire réaliser un circuit électronique à deux ou trois composants bi ou tripolaires à un niveau donné pour ensuite augmenter le nombre de composants et utiliser des composants multipolaires. — Page 65 — produisent de la signification – pour repérer quelques éléments de distinction, par exemple, enseignements versus éducation technologique, technique versus procédure, etc. Ces trois éléments, objet, activité, langage, sont souvent distingués en leur ajoutant le terme technique qui est ainsi censé les délimiter tout en les distinguant. Il semble aller de soi, par exemple, qu’un objet scientifique soit différent d’un objet technique ou qu’une activité littéraire soit également différente d’une activité technique ou encore que le langage des banlieues n’ait rien à voir avec un langage technique. Cette affirmation nécessite de délimiter l’espace technique. Un peu plus haut dans ce texte, nous avions souligné les aspects hégémoniques que nous pouvions attribuer à ce qualificatif de technique, à ce point de notre présentation, il convient d’en limiter la portée en précisant les éléments de catégorisation que nous allons utiliser. Deforge (1985) proposait, en toute première approche, une spécification de cette portée technique circonscrite au monde de la production industrielle. En ce sens, il se situait dans le courant décrit par Ellul (1990) d’un premier lien entre technique et machine. Pour cet auteur, le sens commun de technique nous renvoie inévitablement vers les machines que l’homme crée beaucoup plus sûrement que vers les outils, particulièrement si ceux-ci sont symboliques. Pour peu que nous dépassions un peu cette vision spontanéiste, il apparaît un monde technique lié à l’industrie, d’une part, et à la production intentionnelle (voire rationnelle) d’objets, d’autre part (Poitou, 1984). 1.3.2.1. LE MONDE DES OBJETS Le rapport au monde des objets implique et induit la relation du sujet et de l’objet dans un environnement donné. En ce sens, s’intéresser aux objets relève tout autant de l’intérêt porté aux objets eux-mêmes qu’aux relations qu’ils entretiennent avec les sociétés dans et par lesquelles ils existent (Rashed, 1997c). Ignorer ces relations, c’est mépriser toute la dimension créatrice, productrice et inventive de l’homme ; c’est, d’une certaine manière, nier le fait que la technique s’inscrive dans une démarche de création au sens où elle — Page 66 — permet l’existence d’objets qui ne sont pas le simple prolongement de la nature (Spengler, 1969). Cette définition désigne de fait le résultat de toute production humaine et on va être amené à établir des catégories, des familles afin de pouvoir discriminer les objets entre eux ; cette discrimination conduit certainement à discriminer les usages des objets. Les enseignements technologiques ont en charge l’étude des objets techniques. Cette référence aux objets techniques est une référence forte qui apparaît explicitement, par exemple, onze fois dans les programmes de technologie de la classe de 6e (MEN 1995). Ce terme générique permet de situer une famille d’objets particuliers qui devrait se distinguer d’autres familles. Cette distinction n’est pas forcément facile à faire. Elle est source de nombreux débats et discussions si l’on en juge par l’abondance des publications qui traitent du sujet. L’unification des deux termes objet et technique suggère qu’un objet technique se distingue des objets en général par le fait que la relation entretenue par le sujet est une relation technique. Approcher cette relation est fatalement expansionniste ; l’entrée par l’objet technique s’illustre de manière évidente si nous relevons les deux points suivants. D’une part, la relation que nous entretenons avec les objets est très largement technique, qu’il s’agisse de techniques d’observation, de description, de symbolisation, de conception ou de production. Si nous gardons à technique le sens premier que nous lui avons attribué, alors il est effectivement très largement question de la manière dont « nous nous y prenons » avec les objets. D’autre part, si le statut d’objet est conféré aux choses dès lors qu’on les fait entrer dans une relation sujet - objet, alors cette relation relève d’une intentionnalité finalisée (qui peut être réduite à sa plus simple expression) et dès lors tous les objets sont techniques (Castoriadis, 1979). C’est cette dimension relationnelle que relève Simondon (1989) pour qui l’essence des objets techniques est une genèse spécifique qui prend la forme d’un processus de concrétisation. Ce processus original se distingue des perfectionnements — Page 67 — empiriques mais également de toute déduction à partir de principes théoriques préalables. La nécessité de délimiter le monde des objets techniques qui seront soumis à l’étude dans les enseignements technologiques est particulièrement importante. Une limitation communément admise réduit le champ d’investigation de ces enseignements au monde des objets artificiels ou, pour être plus exact, au monde des produits qui résultent d’une intentionnalité humaine dans un but marchand à l’exclusion des productions artistiques et intellectuelles (Ginestié, 1998b). Il n’en demeure pas moins que cette vision réductionniste ne va pas de soi a priori si l’on se réfère à Deforge (1995) ou à Gabus (1975) et à la distinction qu’ils introduisent entre l’œuvre et le produit. Yves Deforge a largement travaillé cette question de la relation aux objets techniques. D’abord, sur la question du point de vue que l’on peut porter sur les objets techniques (Deforge & Chancerel, 1985 ; Deforge, 1970, 1985, 1988), ensuite dans un effort de repérage pour introduire les concepts discriminants d’œuvre et de produit (Deforge, 1990, 1995). Pour cet auteur, parmi tous les points de vue que l’on peut adopter pour traiter des objets techniques, il en est quatre particulièrement remarquables qu’il convient de privilégier. Ainsi, il faudrait regarder les objets en tant que :  Produits d’un système de production ;  Objets dans un système de consommation ;  Machines dans un système d’utilisation ;  Êtres en soi dans un système des objets. Le premier point de vue permet de poser le « comment c’est fait » (ou « comment le faire ») mais aussi le « pourquoi c’est fait ainsi » dans tel système et autrement dans tel autre. Cet auteur attire ici notre attention sur l’élaboration des solutions retenues, solutions qui dépendent directement des variables éducatives, sociales, psychologiques, organisationnelles et économiques. Pour l’auteur, ce regard est nécessaire car « il ne suffit pas de produire selon les — Page 68 — règles technologiques pour que le système fonctionne et que les produits se vendent ». Le second point de vue s’intéresse aux relations entre l’objet, le système économique et le système social. L’auteur situe dans ce regard la réflexion dialectique entre fonctions d’usage (« pourquoi l’objet existe ») et fonctions de signe (« comment je le distingue d’autres objets ayant le même usage »). Par exemple, la fonction d’usage d’un briquet est de produire un grand nombre de fois une flamme pour allumer une cigarette. De nombreux objets répondent à cet usage, la distinction entre un « Dupont » en or massif finement ciselé et un « Bic » en plastique jetable repose sur la différence de fonctions de signe et sur la valeur attachée à cette fonction. Le rapport à la rareté, à l’appartenance symbolique lie les fonctions de signe au prix du produit, à la valeur marchande de l’objet. À propos du troisième point de vue, Deforge propose une réflexion sur l’extension de l’appellation de machine à tout objet utilisé par l’homme pour la réalisation d’un acte technique. De ce point de vue, c’est donc « le couplage homme (utilisateur) - machine qu’il faut examiner. Notamment en ce qui concerne la répartition des activités entre l’utilisateur et la machine, sur les apprentissages, sur la fiabilité et bien entendu sur la dialectique technique affectivité, dépendant de la dialectique usage - signe ». C’est à ce niveau qu’interviennent en particulier les questions d’ergonomie et que sont traités les interactions homme - machine. Le quatrième permet de regarder les objets selon les lignées, les évolutions, les familles. Deforge introduit la distinction entre les séries d’objet (comme suite répétitive d’objets identiques à quelques minimes variantes près), la gamme (comme ensemble de réponses cohérentes sous une même étiquette aux différents secteurs de la demande) et les coordonnées (comme produits ayant différentes fonctions d’usage mais s’assemblant et s’assortissant). Ce point de vue permet, par exemple, de reconnaître une automobile Peugeot parmi toutes les automobiles en circulation mais également de dater ce véhicule dans — Page 69 — l’évolution des modèles produits par cet industriel et, plus généralement, dans l’évolution des véhicules automobiles. Concernant la distinction entre l’œuvre et le produit, Deforge (1990, 1995) introduit les concepts de processus de production allant ainsi d’un processus original qui serait à l’origine des œuvres jusqu’à un processus formalisé qui donnerait naissance aux produits. Ce passage de l’œuvre au produit résulterait ainsi d’une variation continue de la composition du processus (Cf. Schéma 2 : Variation de processus lors du passage de l'œuvre au produit). Pour illustrer son propos, l’auteur prend l’exemple d’un plat cuisiné : « dans le cas repéré , il s’agit d’une œuvre car une grande partie de la recette a été inventée. Si le résultat est apprécié, l’algorithme peut être mémorisé et introduit comme variante de la recette primitive (variante divulguée ou gardée comme secret de métier). Dans le cas repéré , il y a application d’une recette. Il s’agit d’un processus formalisé qui peut être réalisé par un exécutant dans un système de production industriel. Ce plat est un produit stéréotypé qui peut être pré-paré (cas des surgelés) ». Schéma 2 : Variation de processus lors du passage de l'œuvre au produit (d'après Y. Deforge, 1995) — Page 70 — Dans la clarification introduite, Deforge estime que les processus originaux participent principalement de l’artisanat et que les processus formalisés participent principalement de la production industrielle. De fait, l’artisanat consomme beaucoup plus de processus originaux que l’industrie. Le coût de l’œuvre est élevé car elle est unitaire. Celui d’un produit industriel similaire est bien plus faible, l’investissement en originalité se fait lors de sa conception et est réparti sur tous les exemplaires de la série. La distinction entre l’œuvre et le produit ne repose plus sur la nature de l’objet produit mais sur les processus qui ont permis sa production. C’est cette distinction qu’introduisent les Anglosaxons en ajoutant le terme « design » au terme « Technology ». La valeur attribuée au produit est liée dans son essence au processus de production notamment par la valorisation de l’originalité et par la répartition de cette valorisation sur la démultiplication de l’originalité (Deforge, 1985a). A ce point de notre discussion et dans notre perspective d’éducation technologique, nous avons circonscrit le qualificatif technique au monde de la production intentionnelle et rationnelle d’objets en le liant étroitement à l’industrie. Dans la relation sujet – objet, ce travail de circonscription nous conduit a montrer que le qualificatif de technique au sens ou nous l’entendons permet de définir une classe d’objets particuliers. D’une part, leur statut dépend du point de vue que l’on adopte : produits d’un système de production, objets dans un système de consommation, machines dans un système d’utilisation ou êtres en soi dans un système des objets. D’autre part, la valorisation de cette relation nous renvoie à la distinction entre l’œuvre et le produit. Cette distinction résulte des processus qui ont permis la production de l’objet. En conclusion, les enseignements technologiques ne s’intéressent pas à toutes les relations sujet – objet, ils examinent une catégorie particulière d’objets techniques pris comme produits d’un processus de production intentionnel et rationnel. Autrement dit, les enseignements technologiques seraient consacrés à l’étude du monde des objets techniques, monde pour lequel les modes d’existences constitueraient un descripteur privilégié. — Page 71 — 1.3.2.2. ACTIVITÉ, PROCESSUS ET PRAXÉOLOGIE L’existence des objets ne rend pas compte de leur mode d’existence (Simondon, 1989). De fait, la simple manipulation d’un objet ne dit rien ni de comment ni de pourquoi il existe. On peut ainsi rejoindre la position avancée par Perrin (1991a) qui montre les limites d’une histoire des techniques fondée sur une histoire des objets. Cette position se fonde sur le postulat selon lequel le résultat ne dit rien (ou pas grand chose) du processus de production, de la manière de faire, des organisations en jeu dans ce faire (Perrin, 1988). Cette position est à rapprocher du travail des ethnologues qui s’intéressent beaucoup plus à la manière de produire tel objet ou à la manière de l’utiliser qu’à l’objet lui-même. Ces travaux nous apprennent qu’il y a peu d’isomorphisme des fonctionnalités des objets ; leur organisation structurelle ne nous dit pas grand chose de leur organisation fonctionnelle (Foucault, 1966 ; Sahlins, 1980 ; Morel, Vallerant, 1984 ; Ganne, 1984). Par exemple, ce qu’il y a de fascinant dans les machines pensées par un Léonard de Vinci ou un Héron d’Alexandrie, ce n’est pas qu’ils aient pensé des objets qui nous semblent prémonitoires pour leur époque mais c’est surtout qu’ils aient utilisé des outils de description des manières de réaliser ces objets qui sont intelligibles avec nos outils de description des manières de faire contemporaine (Amouretti, Comet, 1991, 1993, 1995 ; Rashed, 1997b, 1997c). Nous trouvons bien plus clairs les plans de la machine à voler de Monsieur Vinci, machine qui n’a jamais existé, que ceux établis pour construire des cathédrales, qui elles, existent bel et bien (Savignat, 1983). Il convient donc d’examiner cette approche du monde des objets techniques par l’histoire de ces objets avec beaucoup d’attention. De nombreux programmes d’éducation technologique comportent leur moment culturel dans lequel on légitime l’attribution de significations au travers d’une mise en perspective historique. Cette revendication d’une place privilégiée de l’étude de l’histoire des techniques suppose à minima deux précautions essentielles. D’une part, il faudrait pouvoir rendre compte sur la durée de l’évolution des manières de faire — Page 72 — (produire et utiliser) beaucoup plus, ou au moins autant, que de l’évolution des résultats. La transmission à la fois cumulative et expansionniste des praxis est largement plus explicite des évolutions en termes de progression, de stabilisation ou de régression que ne peut l’être une description chronologique de l’apparition des objets. D’autre part, mettre en avant une histoire des techniques fondées sur une histoire des objets techniques s’inscrit dans une démarche où le progrès ne peut être entendu que comme positivité de l’évolution économique des sociétés humaines. Outre le fait de réduire l’évolution à une simple dynamique d’accroissement de biens matériels, cette perspective induit une vision d’un développement humain contre la nature qu’il convient de transcender par la production technique (Daumas, 1991). On peut noter, comme le fait de Vries (1995), les limites particulièrement fortes qu’induit une approche de l’éducation technologique qui essaierait de prévoir les générations futures d’objets techniques au seul regard de leur ordre d’apparition et d’évolution historique. Deforge montre l’importance prise par les processus de production des objets. D’autres soulignent cette importance que ce soit pour entendre l’histoire des techniques (Daumas, 1962-1970, Gille, 1964, Jacomy, 1990), les évolutions technologiques (Perrin, 1983, 1991b, Lattes, 1987), les relations produit – producteur selon un point de vue ethnographique (Leroi-Gourhan, 1973, 1986, 1992, Sigaut, 1975) ou encore des points de vue sociologique (Veltz, 1986, Buker, Hugues & Pinch, 1987, Baudrillard, 1990, 1994, Picon, 1993). Ce concept de processus indique un enchaînement ordonné de faits ou de phénomènes, répondant à un certain schéma et aboutissant à un résultat déterminé. Notamment, il s’agit d’une suite continue d'opérations qui constitue la manière de fabriquer, de faire quelque chose selon des procédés techniques. Décrire un processus répond au souci de rendre compte d’un ensemble d’actions dans lequel les moyens sont organisés afin d’atteindre un but fixé. L’action repose sur une triple conscience : conscience d’une moindre satisfaction, conscience de la possibilité d’une satisfaction plus grande, — Page 73 — conscience d’une possible efficacité de l’acte. L’agencement des moyens pour atteindre une fin relève bien de cette description d’un processus dans lequel sont ordonnées les praxis des acteurs (Ostrowski, 1973). En ce sens, les pratiques des acteurs sont toujours des pratiques sociales qui sont, consciemment ou non, organisées vers un but. Selon un point de vue d’expert, la praxéologie permet de repenser l’agencement des moyens afin de modifier l’efficacité des actions pour atteindre la fin fixée. De fait, pour ce faire, il faut abstraire le système moyen - fin étudié de son contexte psychologique afin de pouvoir l’étudier en lui-même. Pour un acteur, atteindre une fin F nécessite de composer les moyens a, b, c, d nécessaires pour atteindre cette fin. La praxéologie permet d’étudier exclusivement le système a, b, c, d et les systèmes voisins a1, b1, c1, d1 et a2, b2, c2, d2 afin de déterminer lequel des trois est le mieux adapté à l’obtention de F. Si l’on peut ainsi établir que, dans une situation donnée, le système a, b, c, d est le mieux adapté, dès lors on pourra le conseiller à tous les acteurs ayant la même fin et se trouvant dans la même situation. Il y a extraction du système agissant de son niveau conscient pour en faire la théorie. Selon ce point de vue, la praxéologie se distingue en ce sens d’une science « naturelle » (Crimmins, 1973). Autrement dit, cet effort de description d’une activité par l’articulation fin – moyens consiste à élaborer un discours sur la pratique. Nous sommes bien dans cet effort d’élaboration de savoirs par abstraction de la praxis des acteurs. Par exemple, tout automobiliste qui fait de nombreuses fois le même parcours sait comment se placer pour prendre les virages, ralentir quand il faut et se montrer strictement prudent au moment opportun, mais il devra faire un nouvel apprentissage s’il change de quartier. Ses conseils ne vaudront que pour ceux qui habitent le même bloc d’immeubles et se rendent au même bureau. Les préceptes du moniteur d’auto-école ont une portée beaucoup plus générale. Le plus général de tous les impératifs serait celui qui rendrait efficace toute action quelle qu’elle soit. La praxéologie vise donc à cette — Page 74 — généralisation et, entre le genre généralissime et la species infima, il s’agira seulement de monter aussi haut que possible. Si l’on étend cette analyse à l’organisation sociale du travail, tout se passe comme si toutes les expériences possibles d’un travail plus ou moins efficaces avaient été faites par une multitude d’acteurs agissants qui auraient simultanément conduit toutes les réflexions sur les manières d’agir. Il ne reste plus au théoricien que l’effort de clarification, de précision, de systématisation des recettes déjà éprouvées (Grossmann, 1975). Il reste à constituer une sorte de grammaire du travail qui n’existe pas encore dans la théorie marxiste (Althusser, 1968). Ce sont Taylor, Fayol ou Le Chatelier qui vont les premiers se soucier d’une telle normalisation (Fayol, 1962, Amadieu, 1993). Alors que l’homme s’est préoccupé très tôt de codifier les lois du langage correct dans une morphologie et une syntaxe bien faites, il est curieux qu’il n’ait pas envisagé de soumettre le travail à une semblable normalisation. Les premières décompositions des processus de travail afin d’en trouver les formes les meilleures n’avaient pas de visées praxéologiques, leur objectif commun étant la détermination de la rentabilité de l’entreprise et non la détection des normes d’efficacité envisagées comme telles (Aron, 1962). Le recours au point de vue de l’expert est séduisant car il semble rendre compte de l’élaboration des savoirs technologiques dans un processus d’extraction théorique à partir des pratiques. Pourtant, le principe d’efficacité des actions sur lequel il se fonde ne résiste pas au principe de rentabilité de l’entreprise. À l’articulation fin – moyens, privilégiée dans un point de vue d’expert, on peut opposer l’organisation praxéologique proposée par Chevallard (1997) qui lie type de tâches, technique, technologie et théorie. Pour cet auteur, une praxéologie permet d’accomplir un certain type de tâches en fournissant une technique, ce couple définissant un savoir-faire. La praxéologie ne saurait se limiter à ce type de recette. La présomption de savoir suppose un discours raisonné, une certaine technologie, un logos qui rende intelligible et justifie la tekhnè mise en jeu. La théorie fonde, éclaire et justifie à son tour le discours — Page 75 — technologique. Le bloc technologie – théorie constitue le savoir ; une praxéologie résulte ainsi de l’association d’un savoir-faire (type de tâches – technique) et d’un savoir (technologie – théorie). Chevallard (1997) indique ensuite comment l’organisation praxéologique permet d’étendre ces relations en passant des praxéologies ponctuelles (relatives à un seul et unique type de tâches) aux organisations locales (centrées sur une technologie déterminée) et ensuite aux organisations régionales (formées autour d’une théorie). Ce passage du ponctuel au local puis au régional accroît la visibilité des savoirs au détriment de celle des savoir-faire. Cette proposition d’organisation praxéologique a des conséquences fortes sur notre analyse des enseignements technologiques. L’introduction de la notion de praxéologie nous permet d’avancer dans notre délimitation de référence. Nous venons de voir l’importance de la manière d’utiliser ou de produire un objet selon un enchaînement ordonné de faits ou de phénomènes. L’objet lui-même n’a que peu d’intérêts. Déterminer une praxéologie selon un point de vue d’expert relève de l’agencement des moyens pour d’atteindre une fin. Cette posture conduit à des praxéologies incomplètes, essentiellement axées sur des articulations types de tâches – techniques, et donc a des déficits de normalisation. Les formes modernes d’organisation du travail compensent largement ce déficit notamment par le développement du nombre, du rôle et de la portée des langages techniques afin de conduire des actions socialement reconnues ou identifiables. Cela n’est pas sans conséquences. La mise en œuvre de techniques définies pour accomplir des tâches déterminées (par exemple comme dans les organisations scolaires que nous décrivions dans notre première partie) appauvrit la signification de ces enseignements en privilégiant des activités centrées sur l’obtention d’un résultat. Dans ce sens, la progression ne peut s’exprimer que dans des curriculums fermés. Elle est obtenue en compliquant les objets manipulés dans l’espoir que cette complication, en se répercutant sur les savoir-faire (le bloc type de tâches – technique), amènera les élèves à construire eux-mêmes le discours technologique. On l’a vu, ce n’est pas vraiment ce qui se passe. Sortir — Page 76 — de cette impasse nécessite de compléter l’organisation praxéologique en organisant la construction des logos qui rendent intelligibles les tekhnès. Ce rôle peut sans doute être dévolu aux langages techniques, c’est ce que nous allons examiner à présent. 1.3.2.3. LES LANGAGES TECHNIQUES Leroi-Gourhan (1971) note que le développement des techniques, l’évolution des outils et des objets s’accompagnent systématiquement d’un développement du langage même s’il remarque l’absence de preuves formelles, pour l’époque préhistorique, de liens étroits qui pourraient induire une relation de cause à effet. La tentation est pourtant grande de considérer que la transmission des techniques mises en œuvre par les premiers hommes pour confectionner les outils dont ils se servent ou encore pour organiser leurs actions n’ont pu se faire sans le développement de langages. Il n’en demeure pas moins que le passage de la pièce unique réalisée à l’organisation de la production s’accompagne du passage d’une transmission orale des savoirs à une transmission formalisée dans un langage normalisé (Poitou, 1985). Si l’on reprend le schéma proposé par Deforge (Cf. Schéma 2 page 70), le passage de l’œuvre au produit est également caractérisé par une formalisation du processus de production. La formalisation apparaît dès lors que l’on se préoccupe de la reproduction à l’identique du produit afin d’en réduire les coûts de production. Le transfert de l’originalité de la production à la conception suppose que le concepteur décrive précisément la manière de faire pour assurer le processus de production dans ses moindres détails. Ce transfert de l’originalité de la production à la conception est daté historiquement. Il va de pair avec l’émergence des langages techniques et l’on dispose de quelques repères historiques pour marquer cette construction. Nous commencerons avec les bâtisseurs de cathédrales du moyen âge (Ache, 1970, Pérouse de Montclos, 1982). À cette époque, la communication est essentiellement orale entre les moines – architectes, chargés de veiller à la bonne exécution, le noble bailleur de fonds et les maîtres de jurande qui — Page 77 — coordonnent les activités des compagnons. Certes, de nombreux moines ont repris, développés, voire édictés des traités d’architectures hérités des périodes grecques et romaines. Ils tracent des dessins qui projettent la future cathédrale. Mais il semble que ces dessins étaient largement méprisés par les maîtres de jurande et les compagnons, sans doute parce qu’ils ne savaient pas lire, certainement parce qu’ils ne lisaient pas du tout le latin, sûrement parce que les dessins des moines étaient des déroulements à plat de la trajectoire du moine dans l’édifice. De fait, les dessins des moines servaient surtout à convaincre le noble payeur (Savignat, 1983). Les prescriptions du concepteur étant insuffisamment formalisées, alors l’originalité de la production était confiée entièrement aux maîtres de jurande et aux compagnons. Autrement dit, à cette époque, la conception ne procède pas d’une mise en œuvre de savants calculs mais participe, en dépit de sa hardiesse, d’un ensemble d’intuitions structurelles et de savoirs lentement sédimentés (Ache, 1970). On peut ainsi voir, par exemple, une unité des frises qui n’est qu’une unité d’apparence. De loin, on ne voit que l’harmonie de l’ensemble alors que de près on peut voir des différences très significatives d’une bande à l’autre, c’est à dire d’un compagnon à l’autre. Chaque réalisation est une œuvre originale qui ne s’assemble avec les autres éléments que grâce à la coordination exercée par le maître de jurande. La division sociale du travail repose dans ce cas sur ce que le savoir de chacun lui donne comme pouvoir. Le moine sait dessiner ce qui lui permet de montrer au prince ce que sera sa cathédrale ; ce dialogue avec le prince lui permet de connaître ses souhaits et donc de les imposer au maître de jurande. Ce dernier, par ses discussions avec le moine, traduit ces souhaits en coordination des activités des compagnons. De fait, c’est lui qui a le pouvoir de donner du travail et de l’enlever. Le compagnon maîtrise l’art et la manière de faire, il assure ainsi son pouvoir sur les autres travailleurs au travers de ces savoirs qu’il a acquis lors de son apprentissage. Les seules traces qu’il doit laisser, outre l’œuvre produite, c’est — Page 78 — un moyen visuel de mesurer son travail pour déterminer sa rétribution (Deforge, 1981). La transmission des savoirs se fait selon un processus d’initiation qui mêle la transmission orale (sans support écrit et encore moins sans formalisation généralisable) et une articulation monstration – imitation (Amouretti, Comet, 1995). La Renaissance consacre la séparation entre constructeur et concepteur en même temps qu’elle consacre la distinction entre l’architecte, l’ingénieur et le producteur. Il s’agit de penser l’œuvre dans sa globalité en maîtrisant a priori les aspects structurels de la bâtisse mais surtout en prévoyant avec le plus grand soin l’articulation prévision du résultat à obtenir, moyens à mettre en œuvre pour y parvenir et coordination des interventions des différents corps de métiers (Vérin, 1983). En termes d’architecture, cette rupture est connue comme le passage d’une architecture géométrique21 à une architecture humaniste. À la charnière du moyen âge et de la renaissance, la redécouverte et la diffusion du traité d’enseignement de Vitruve : De architectura22, relèguera au second plan une bonne partie des savoir-faire des bâtisseurs de la période gothique. Ce traité particulièrement dogmatique privilégie le normatif au détriment du descriptif ; il s’agit de présenter un véritable corpus et non pas une juxtaposition de monographies afin d’élever l’architecture au rang d’un art libéral (Choisy A. 1909). Filippo Brunelleschi est un des premiers architectes de la Renaissance qui se pense comme un intellectuel fondamentalement différent des autres acteurs du bâtiment. C’est cette manière de faire qu’il consacre dans l’édification de la coupole de la basilique de Florence23. Pour la première fois, on construisait une coupole sans la soutenir par des échafaudages en bois. Les 21 Cette architecture est à l’origine des chefs d’œuvre gothiques tels les cathédrales de Chartres, de Paris ou d’Amiens. 22 Vitruve est l’auteur du seul traité d’architecture, en dix volumes, qui ait échappé au naufrage de la littérature technique grecque. De l’auteur on ne sait que peu de choses sinon qu’il vécut er au 1 siècle avant Jésus Christ. 23 Ce mode d’organisation ne dispense d’ailleurs pas des essais – erreurs. La coupole s’est effondrée trois fois avant d’être le chef-d’œuvre que nous connaissons. — Page 79 — expédients techniques mis en œuvre (par exemple, les assises de briques disposées en arêtes de poisson) sont le fruit des études du traité de Vitruve (Manetti A., Vasari G., 1985). Cette innovation constitue un tournant décisif : l’architecte n’est plus le chef d’une maîtrise de personnes spécialisées dans les divers travaux, mais l’inventeur et du projet et de la technique de l’exécution. Dans ses autres œuvres, Brunelleschi réduira encore l’autonomie traditionnelle des exécutants, ce qui permettra l’exécution rapide de grands projets. L’anticipation de la coordination des moyens nécessaires pour aboutir au produit s’accompagne d’une description de plus en plus en précise de chacun de ses éléments. Il s’agit de préciser la forme et la structure que les éléments doivent avoir pour pouvoir s’assembler entre eux et conduire au résultat final escompté. Ce contrôle du détail ne peut se faire, et de nombreuses traces documentaires l’attestent, sans une formalisation croissante de ces descriptions de formes et de structures mais également des machines à utiliser et des manières de s’en servir. De l’intuition structurelle géniale du moyen âge, on passe à la rationalisation de la mise en œuvre des moyens par la planification et la formalisation des actions. Le pouvoir est ainsi transféré progressivement de l’artisan qui fait à l’architecte qui crée et à l’ingénieur qui conçoit. L’originalité de l’œuvre est déportée de l’exécution à la conception. Pour assurer le transfert de cette originalité conçue, afin que l’œuvre réalisée en garde toutes les caractéristiques, se développe dès lors une formalisation des langages de communication entre le créateur, le concepteur et le producteur. C’est bien cette période qui préfigure le rôle et l’importance des langages techniques dans la production et l’utilisation des objets. Le recours au dessin en perspective, le développement de la géométrie descriptive sont deux exemples de cet effort de formalisation des outils de dialogue et d’élaboration de langages techniques. On peut ainsi donner quelques-unes des caractéristiques émergentes conférées aux langages techniques. — Page 80 — Il s’agit d’abord de la formalisation d’une prescription en vue de l’exécution d’un produit. Cette formalisation est une description selon un point de vue très précis du produit escompté. En ce sens, il s’agit également d’une normalisation dès lors qu’on invite les partenaires du dialogue à n’adopter qu’un seul point de vue. La formalisation de la description du produit escompté suppose également une description précise des moyens à mettre en œuvre pour arriver au résultat. Cet effort de formalisation s’accompagne inévitablement, comme nous l’avons déjà vu, d’une rationalisation de l’agencement des moyens à mettre en œuvre pour aboutir au résultat tel qu’il a été prévu. Le recours à un ensemble de règles et de descriptions symboliques procède de la construction de signification dès lors que l’on se préoccupe de l’articulation entre le signifiant et le signifié. On peut ainsi entendre le rôle et la place particulière qu’occupent les langages techniques. Le développement des techniques s’est largement accompagné d’un développement des langages techniques. En même temps que ce développement joue sur le nombre de langages produits, il étend leur portée vers des prétentions d’universalité. Par exemple, les efforts de normalisation ont largement quitté l’atelier pour s’étendre à des normalisations nationales (la norme AFNOR, par exemple), plurinationales (la norme CE) voire internationales (la norme ISO). On ne reviendra pas sur le rôle de médiateur joué par les langages techniques, rôle qui a été très largement étudié dans de nombreux travaux (par exemple, Rabardel & Weill-Fassina, 1987 ; Bessot & Vérillon, 1992 ; Weill-Fassina, Rabardel, Dubois, 1993 ; D’Alençon, 1994 ; Weil-Barais, 1997). De fait, dans ces approches, les langages techniques apparaissent comme des facteurs de structuration de l’action humaine en même temps qu’ils permettent de structurer sa pensée. Il s’agit bien de rendre compte selon un point de vue particulier d’un processus d’action. L’activité logique de formalisation est liée au langage, d’une part, car elle produit des énoncés de façon autonome et, d’autre part, ces énoncés logiques peuvent eux-mêmes porter de façon hétéronome sur d’autres énoncés (Wittgenstein, 1961). — Page 81 — La mise en œuvre d’un langage nous conduit inexorablement à distinguer deux fonctions : une fonction référenciante et une fonction référenciée. En tant que référencié, le langage doit, pour faire sens et éviter les paradoxes, se plier à une théorie des types capables de discriminer entre les différents niveaux de ses énoncés. Mais une telle construction fait appel à la fonction référenciante de ce langage en raison de son effet de guide de l’élaboration conceptuelle et de la formulation des énoncés formels. Ainsi, la fonction référenciante norme et invente et par-là même, elle régit l’activité créatrice et organisatrice. En ce sens, les langages techniques sont des outils de formalisation de processus de réalisations concrètes. Un dessin de fabrication ne dit rien du concepteur ou du dessinateur, encore moins de l’ouvrier chargé de réaliser la pièce. En revanche, il permet de codifier leurs actions, la matière d’œuvre qu’ils manipulent, la façon dont ils la manipulent (chacun à leur niveau) et le résultat auquel ils doivent aboutir. Il y a extraction des praxis individuelles d’une praxéologie qui tend à dépersonnaliser cette description afin de pouvoir la généraliser à une même classe de problèmes indépendamment des acteurs. Le niveau de généralité de description d’un langage sera donc apprécié dans cette perspective de dépersonnalisation et de décontextualisation. À ce point de notre propos, nous mesurons l’importance des langages techniques dans la délimitation d’un champ de références pour les enseignements technologiques. Les langages techniques rendent compte des faits techniques dans cette dialectique entre le monde des objets et leur mode d’existence. L’élaboration d’un discours technique médiatisé par des langages symboliques spécifiques constitue un enjeu essentiel de la construction de significations sur les objets eux-mêmes mais également sur les raisons pour lesquelles ils existent et comment ils existent. Les langages techniques sont le résultat d’une description formelle de l’organisation des moyens mis en œuvre pour aboutir à une fin précise ; notamment, il s’agit de décrire les actions mises en jeu pour atteindre ce résultat, de décrire leurs organisations et leurs spécificités en ce qu’elles ont d’impersonnel. Les langages techniques sont également un élément fort qui intervient dans la dialectique entre savoir et — Page 82 — savoir-faire. Ils entrent dans l’organisation praxéologique en tant que sémiologie particulière élaborée dans le bloc technologie – théorie pour faire sens dans le bloc type de tâches - technique. On notera que leur émergence se renforce à l’époque industrielle et qu’ils deviennent incontournables à l’époque postindustrielle, consacrant le transfert du faire vers le savoir sur le faire. On peut ainsi avancer que les langages techniques constituent cette sémiologie particulière des savoirs techniques en ce sens qu’ils rendent compte de la dialectique particulière qui s’établit entre l’objet technique et l’activité technique qui lui permet d’exister. De fait, les langages techniques concentrent les attributs des savoirs sur le faire, savoirs pour lesquels on doit pouvoir construire une épistémologie particulière. Dans la perspective de délimitation d’un champ de références pour les enseignements technologiques, l’articulation objet, activité, langage intervient de manière privilégiée comme les termes d’organisations praxéologiques propres à un champ spécifique organisé dans une épistémologie particulière. On peut dégager différentes portées de cette discussion :  La première concerne l’élaboration d’outils de lecture et d’analyse des curriculums d’enseignement qui permettent de rendre compte des rapports aux savoirs établis dans les processus d’enseignement - apprentissage. On peut ainsi mesurer le degré d’ouverture d’un curriculum à partir des visées et des organisations de l’étude qu’il propose. Ce degré d’ouverture dépend du rapport entre savoir-faire et savoir qu’il induit. Le curriculum sera fermé s’il privilégie la manière de faire, par exemple, en attribuant une place importante aux activités techniques de réalisation ou de manipulation d’objets techniques. Le curriculum sera ouvert s’il met en avant les savoirs sur les manières de faire notamment au travers de l’utilisation des langages techniques pour définir, organiser et effectuer les activités techniques liées à la réalisation ou à la manipulation d’objets techniques.  La seconde se situe dans l’élaboration des outils de conception de curriculums pour les enseignements technologiques. La conception de — Page 83 — curriculums ouverts repose pour partie sur la possibilité donnée aux élèves de prendre de la distance par rapport à leur propre pratique de réalisation des tâches scolaires. Pour cela, il faut que les curriculums permettent aux enseignants d’aménager le milieu de travail de l’élève pour qu’une analyse réflexive soit possible (Perret, Perret-Clermont, Golay Schilter, 1998). Au-delà des possibilités d’aménagements spatio-temporels de la classe de technologie, ce sont les aménagements conceptuels qui doivent être prévus, notamment au travers du rôle des langages techniques dans la mise en place d’activités de conception, planification, organisation et évaluation des activités techniques.  La troisième portée de notre travail est épistémologique. C’est un effort de caractérisation d’organisations praxéologiques dans lesquelles on peut identifier les objets manipulés (objets techniques), les savoir-faire (les types de tâches possibles et les techniques mises en œuvre pour les accomplir) et les savoirs (les technologies et les modèles théoriques qui donnent sens aux deux items précédents) spécifiques à notre champ de références. Ces trois portées sont interdépendantes. Ainsi, délimiter un cadre épistémologique susceptible de servir de référence aux enseignements technologiques permet, d’une part, de lire les curriculums d’enseignements actuels et, d’autre part, de proposer des curriculums d’enseignements ou, à tout le moins, de proposer des mises en œuvre de savoirs à des fins d’enseignements technologiques. Ce dernier point peut permettre de poser les bases d’une ingénierie didactique. À ce point de notre étude, nous nous intéresserons au processus d’élaboration des savoirs enseignés tout en nous attachant à montrer que c’est une œuvre originale au sens où elle fonde une discipline scolaire constituée de continuités, de discontinuités, de ruptures et de progressions. C’est ce que nous examinons à présent. — Page 84 — 2. 2.1. SAVOIRS ENSEIGNÉS ET ENSEIGNEMENTS TECHNOLOGIQUES ORGANISATION CURRICULAIRE DES SAVOIRS SCOLAIRES La délimitation externe d’un champ de références pour les enseignements technologiques ne permet de couvrir qu’une part du travail, l’organisation des savoirs enseignés est un facteur non-négligeable de structuration du champ. Ce point de vue interne peut être développé selon deux postures radicalement différentes. La première, plutôt descriptive, consiste à regarder ce qui existe afin d’en comprendre les mécanismes, d’en dégager les limites mais aussi les possibles. La seconde, beaucoup plus prescriptive, relève des processus de structuration des curriculums, à tout le moins et plus modestement, des fonctions de conseils que l’on peut apporter à la constitution des curriculums d’enseignements24. Il n’y a ni contradiction ni exclusion entre ces deux postures mais un effort de contribution de la recherche en didactique à la constitution, à l’évolution et à l’accompagnement d’une discipline d’enseignement. Ce débat transparaît fortement dans les différentes revues qui se consacrent à la diffusion des travaux sur les enseignements technologiques (par exemple, Éducation Technologique en France, Journal of Technology Studies, Journal of Technology Education aux États Unis, etc.). 24 J’ai eu l’occasion de contribuer à la conception curriculaire lors de la mise en place d’une éducation technologique pour tous dans l’école chilienne (Ginestié, Elton, 1998). L’introduction d’une éducation technologique dans l’enseignement chilien apparaît depuis la première année de l’école basique jusqu’à la seconde année de l’école médiane sous la forme d’un enseignement obligatoire, distinct d’une éducation scientifique, d’une part, et d’une éducation manuelle et artistique, d’autre part ; ces deux formes d’éducation existant par ailleurs. L’école basique comporte huit années qui couvrent nos cinq années d’école primaire (du CP au CM2) e e e et les trois premières classes du collège (6 , 5 , 4 ). L’école médiane comporte quatre années e de e qui correspondent à nos classes de 3 , 2 , 1 et Terminale. Ce travail de conception curriculaire ouvre des perspectives de nombreuses collaborations dans le cadre des programmes MECE (Mejoramiento de la Equidad y de la Cualidad en la Educación), PIIE (Programa Interdisciplinario de Investigaciones en Educación) et Pasantías (Programa de Becas para Docente en Universidades Extranjeras). Dans cette perspective, nous développons des relations avec des universités chiliennes, notamment celles de Playa Ancha à Valparaíso et de Biobio à Concepción afin de prolonger le travail entrepris (Ginestié, 1998c, 1999c ; Ginestié, Escalante, 1999 ; Ginestié, Rivera, 1999 ; Ginestié, Mena Miranda, 1999). — Page 85 — 2.1.1. L’éducation technologique en cinq caractéristiques et huit approches Pour essayer de caractériser les savoirs enseignés en technologie, le premier modèle auquel nous nous intéressons est celui proposé par Marc de Vries (1993a, 1993b, 1994, 1995 ; Raat, Mottier, de Vries, 1994). Pour cet auteur, il y a un lien très fort entre la manière de caractériser la technologie et les différentes approches que l’on peut trouver en matière d’éducation technologique. Dans cet effort de distinction des formes d’éducation technologique, de Vries retient cinq caractéristiques principales pour définir la technologie : la technologie comme activité humaine ; la technologie comme transformations des matériaux, de l’énergie et de l’information ; la science comme ressource de la technologie ; la technologie comme processus de conception, de fabrication et d’utilisation ; la technologie comme facteur d’influence de la société. À partir de là, il se sert de ces caractéristiques pour qualifier les enseignements selon huit approches. (i) L’approche selon le point de vue professionnel est très largement répandue, elle porte essentiellement sur la fabrication d’ouvrages dont l’ensemble des caractéristiques est prédéterminé. Dans cette approche, les aspects humains et sociaux sont absents, il n’y a pas de rapports explicites aux sciences et les élèves utilisent les notions de matériaux, d’énergie et d’information sans pour autant les étudier. (ii) L’approche selon le point de vue de la production industrielle est une extension de la précédente mais ici le lien entre compétences à acquérir et choix professionnel futur des élèves est très fort. Pour autant, cette approche est plutôt impersonnelle car l’être humain est réduit à un être productif et ce point de vue prévaut dans la définition des rapports sociaux. De fait, il n’y a aucun rapport avec les sciences, les activités sont essentiellement centrées sur — Page 86 — la fabrication. Les notions de matériaux, d’énergie et d’information deviennent cruciales pour comprendre les processus de production industrielle. (iii) L’approche high-tech se fonde sur l’importance de la confrontation des élèves au monde des objets à la mode. L’auteur range dans cette catégorie le déploiement dans les classes d’ordinateurs, de systèmes de robotique, de Conception Fabrication Assistée par Ordinateur. Cette approche est essentiellement centrée sur les notions de flux de matière, d’énergie ou d’information. Les aspects humains et les rapports aux sciences sont entièrement masqués par les équipements, Cette approche est limitée à l’utilisation de ces équipements et de leurs applications. Les aspects sociaux ne sont pas pris en compte de manière à éluder tout débat sur le bien fondé et les valeurs véhiculées par une telle approche. (iv) L’approche sciences appliquées est issue de l’éducation scientifique et a pour objet de rendre plus pertinent les sujets scientifiques étudiés par les élèves. De fait, c’est exclusivement l’influence des sciences sur les technologies qui est envisagé, jamais l’inverse. Il n’y a pas de liens avec les aspects humains ou les aspects sociaux. Les notions de matière et d’énergie sont traitées du point de vue des sciences, ce qui exclue systématiquement les notions d’information. Cette approche se limite à l’utilisation afin de révéler l’arrière plan scientifique des objets. (v) L’approche par le concept d’ingénierie accorde autant d’importance à l’analyse qu’à la synthèse et privilégie l’approche système. Ces concepts sont plutôt impersonnels et sans liens explicites avec les aspects sociaux. Cette approche utilise largement les concepts et les méthodes empruntés aux sciences, elle se limite à une analyse de l’existant tout en accordant une très grande importance aux notions de flux de matériaux, d’énergie ou d’information. (vi) L’approche par la conception met l’accent sur les processus technologiques dans lesquels les élèves doivent résoudre des problèmes non déterminés. L’aspect humain, largement mis en avant au travers de l’expression des besoins, se fait souvent au détriment d’une prise en compte des aspects — Page 87 — sociaux. Les notions de matière, d’énergie et d’information sont largement négligées tout comme les rapports aux sciences qui sont rarement évoqués. Cette approche privilégie le couple conception fabrication au détriment de l’utilisation. (vii) L’approche par les niveaux de qualification répond à une large demande des industries en matière de main d’œuvre future. Elle met l’accent sur le développement de compétences générales telles que le sens de la coopération, la flexibilité ou les aptitudes analytiques. De fait, les aspects humains sont au centre de cette approche qui se fonde sur le développement des aptitudes et des compétences des individus ce qui, par extension, conduit à considérer les aspects sociaux sous le seul angle du rôle de l’industrie, sans pour autant privilégier des points de vue critiques. Les notions de matière, d'énergie et d'information sont vues comme des outils nécessaires à la résolution de problèmes technologiques, le rapport aux sciences privilégie largement les méthodes d’analyse au détriment des concepts. Le processus de conception fabrication - utilisation est vu comme un tout permettant d’élaborer une solution réalisable qui puisse être entretenue, jetable ou recyclable. (viii) L’approche par les sciences et techniques sociales est une extension de l’approche par les sciences appliquées mais elle est fondée sur une large prise en compte des facteurs sociaux et humains. Cette approche se limite à l’utilisation des objets et met en avant les influences des sciences sur la technologie. De ce point de vue, les notions de matière, d’énergie et d’information sont abordées sous un angle scientifique exclusivement. Cette grille se révèle intéressante pour qualifier les systèmes d’éducation technologiques tels qu’ils peuvent exister. Le point de vue descriptif adopté par de Vries se fonde essentiellement sur une étude de curriculums mis en œuvre dans différents pays, essentiellement d’Europe de l’Ouest. De fait, cette description s’attache beaucoup plus à montrer les prescriptions curriculaires qu’à décrire les fonctionnements réels et les pratiques de classes. Le choix qu’il effectue entre ces cinq caractéristiques et ces huit approches permet de donner — Page 88 — une certaine clarté à des organisations scolaires différentes d’un pays à l’autre. On notera également dans ce travail de description curriculaire l’effort pour organiser la discussion autour de blocs de savoirs (les cinq caractéristiques) et non pas de modes d’organisations scolaires. Pour de Vries (1995), ce qui caractérise le choix d’une approche d’un système d’éducation technologique, c’est la façon dont chacun de ces cinq blocs de savoirs est organisé, c’est à dire quels savoirs sont privilégiés et lesquels sont abandonnés. 2.1.2. Courants d’organisation de l’éducation technologique La catégorisation des systèmes curriculaires, proposée par de Vries (1995), en huit approches comporte beaucoup de redondances. Nous proposons de les regrouper dans quatre courants principaux qui semblent assez bien décrire les systèmes d’éducation technologiques. Premier courant : la fabrication d’ouvrages avec une distinction très nette entre, d’une part, les ouvrages à usage décoratif ou domestique et, d’autre part, les ouvrages de type industriel. Les premiers s’inscrivent clairement dans une tradition artisanale voire familiale alors que les seconds insistent sur la planification et la préparation des processus industriels. Les activités des élèves sont essentiellement centrées sur la fabrication ; ce point de vue est exclusif de tous les autres, notamment de celui de l’utilisateur qui est pratiquement absent ; l’obtention d’un produit acceptable selon des critères esthétiques, voire artistiques constitue le principal objectif de cet enseignement. Second courant : la confrontation de l’élève à des objets techniques. Cela va de l’utilisation d’outillages familiers (en Europe, les matériels de bricolage) à la manipulation d’objet high-tech tel la micro-informatique, par exemple. Ce courant vise à familiariser les élèves avec les objets de leur environnement, que celui-ci soit domestique et quotidien ou supposé tel dans un futur proche. Les activités des élèves sont essentiellement centrées sur la manipulation d’objets, de matériels. Leur exploration doit développer chez eux la compréhension environnementale. On trouve souvent une forte ambiguïté dans ces activités entre sciences et technologie ; la marge est très floue et la technologie ne serait — Page 89 — qu’une forme de science appliquée voire une application pure et simple des sciences. Troisième courant : le monde du travail et son organisation sociale, notamment l’évolution des emplois et les besoins nouveaux de qualifications professionnelles qui se fondent sur des compétences générales telles que la coopération, le travail en équipe, la flexibilité, l’adaptabilité, l’esprit d’innovation. Ce courant s’inscrit dans une démarche très explicite d’intégration sociale qui passe par une intégration professionnelle des jeunes après l ‘école. Les activités privilégient le développement des comportements liés aux compétences générales d’exercice d’un métier (adaptabilité, flexibilité, travail en équipe, coopération, etc.). Il faut que le travail des élèves soit organisé de façon à simuler les comportements de travailleurs du futur. Quatrième courant : le mode d’existence des objets techniques comme manifestation de l’interaction sociale humaine. Le recours à des références empruntées à l’ingénierie, à la vie des produits, aux sciences humaines et sociales tend à développer une démystification du monde technologique. Des activités d’analyse des processus de conception – développement d’un objet, d’utilisation d’outils sémantiques (empruntés par exemple à l’approche systémique, l’analyse fonctionnelle, l’organisation économique des entreprises, etc.) ont pour objectif d’inscrire les objets techniques comme faits sociaux devant être étudiés en tant que tels. En faisant fonctionner cette grille d’analyse sur différents curriculums d’éducation technologique, nous constatons que chacun mélange ces différents courants sans jamais réellement trancher. Il n’y a pas de ligne dure de l’éducation technologique. Les curriculums sont plutôt des constructions consensuelles qui, en l’absence de références épistémologiques clairement définies, reflètent bien l’aporie liée à leur conception. Du point de vue de notre travail d’analyse, notre grille nous permet de qualifier les orientations prises dans tel ou tel curriculum, on ne peut pas, en revanche, caractériser de manière plus opérationnelle les savoirs mis en jeu dans cet enseignement, la façon dont — Page 90 — ils sont organisés et, encore moins, obtenir des indicateurs sur les références à ces savoirs. Une entrée largement utilisée pour déterminer les contenus d’une éducation technologique est celle des compétences. C’est cette piste que nous allons examiner à présent. 2.1.3. Compétences visées par l’éducation technologique Dans cette voie, nous examinerons le modèle élaboré par Blandow et Dyrenfurth (1992b, 1995 ; Blandow, 1992, 1997 ; Dyrenfurth, Kozak, 1991 ; Dyrenfurth, 1992, 1997). Pour ces auteurs, l’éducation technologique doit être certes entendue en liaison avec le monde des entreprises, de l’industrie et des usines mais ils jugent cette vision trop restrictive. Pour eux, l’éducation technologique permet le développement de compétences qui permettent d’agir dans notre environnement social sans que celui-ci puisse être restreint à notre univers professionnel. Blandow (1992), par exemple, part de l’idée que les ressources pour le développement technologique sont la résultante de l’interaction entre l’importance que nous accordons aux ressources naturelles (RN) et celle que nous accordons aux ressources humaines (RH), c’est à dire aux connaissances et capacités humaines. Le Schéma 3 montre les relations entre ressources naturelles et humaines dans le développement des ressources technologiques. — Page 91 — Schéma 3 : Développement des ressources technologiques (d’après Importance Blandow, 1992) Ressources naturelles (RN) Ressources humaines (RH) RN RH Temps Ce schéma montre une décroissance continuelle, dans le développement des ressources technologiques, de la part des ressources naturelles (RN) simultanément à une croissance continuelle de la part des ressources humaines (RH) dans le développement des ressources technologiques. Dans ce double mécanisme d’évolution, il y a une inversion radicale de l’importance des ressources ; les ressources naturelles sont primordiales au début de ce développement mais elles ne font que perdre de cette importance au bénéfice des ressources humaines qui ne font que prendre de l’importance. Pour ces auteurs, le développement technologique repose essentiellement sur le développement des ressources humaines, ce qui induit un développement important de l’éducation technologique non pas seulement en termes de formation à des compétences professionnelles précises mais surtout en termes de connaissances développement. et Les de visées compétences ainsi susceptibles dégagées en de matière favoriser ce d’éducation technologique dépassent largement celles envisagées par de Vries, notamment dans ses approches par les professions ou les qualifications. — Page 92 — Pour essentiels que soient ces éléments, Blandow et Dyrenfurth ont surtout essayé de formaliser des savoirs éligibles dans une éducation technologique au sens donné ci-dessus. Pour eux, il s’agit « d’élaborer des situations dans lesquelles les élèves surmontent des obstacles afin d’acquérir des capacités à interpréter le monde des systèmes complexes, ce qui est une urgence pour nos futures sociétés » (1992, p.568). Les savoirs mis en avant reposent sur trois pôles essentiels : les processus d’élaboration de solutions, les concepts liés aux systèmes et les modes d’organisations sociales des structures de production et d’utilisation. Pour Dyrenfurth (1997), l’articulation entre ces trois composantes donne son sens à une éducation technologique car « elle permet de penser des continuités, des progressions dans les apprentissages des enfants et ce depuis les toutes premières années de l’école ». Blandow (1997) reprend un modèle ébauché en 1992 dans lequel il met en avant quelques relations fortes articulées en noyaux de connaissances : (i) Relations entre fonction et structure notamment pour les règles de dépendances et les niveaux d’interactions. La modélisation fonctionnelle est pour lui un moyen de tisser des liens de compréhension entre un système constitué par des associations de boîtes noires et des éléments structurels répondant à ces descriptions fonctionnelles. (ii) Relations entre organisation et fonction pour les règles de hiérarchisation et les niveaux d’interrelations. Cette perspective permet, d’après l’auteur, de penser les organisations comme une création qui met en relation des groupes fonctionnels capables de dégager des stratégies fonctionnelles et des hiérarchies structurelles. De fait, il s’agit ici de prendre en compte les potentiels humains et sociaux et ne pas considérer le monde de la technologie comme un monde inerte. (iii) Relations entre organisations et communication pour les règles d’ordonnancement et les codes et protocoles langagiers. Il s’agit de comprendre les relations entre des éléments forcément hétérogènes organisés — Page 93 — dans des structures fonctionnelles donc obligatoirement en communication selon des langages codifiés. À travers ces trois points, on voit poindre une tentative visant à ancrer l’éducation technologique dans un univers plutôt théorique de modélisation des processus et des procédés. De fait, même si cela n’apparaît assez clairement que dans le texte de Dyrenfurth de 1997, on notera cette volonté d’éloigner l’éducation technologique de toutes formes de références à des travaux manuels pour l’ancrer dans l’univers de la production industrielle, essentiellement d’ailleurs en accentuant le rôle de la conception, de la créativité, de l’innovation. Ils avancent ainsi l’idée d’une éducation technologique qui permettrait de valoriser le choix de solutions dans un contexte et un environnement donnés et dans laquelle les travaux de groupes, les coopérations entre élèves, les analyses collectives de problèmes réels seraient d’excellents vecteurs de développement de connaissances et de compétences. Blandow et Dyrenfurth posent clairement la question de la signification des enseignements proposés aux élèves et de leur adéquation aux projets de société. On appréciera les ouvertures qui tendent à donner des références théoriques sérieuses à une éducation technologique, ce que de Vries déplore et que Blandow et Dyrenfurth tentent de faire en contribuant ainsi à préciser un cadre épistémologique. 2.1.4. L’éducation technologique dans un projet social A ce point de notre propos, on ne peut pas éviter de spécifier la contribution de l’éducation technologique à l’éducation générale des citoyens dans le cadre de l’école obligatoire25. Dans son acception la plus large, le terme d’éducation technologique englobe l’ensemble des disciplines technologiques depuis les — Page 94 — toutes premières années de l’école obligatoire jusqu’aux formations professionnelles. Or, nous l’avons déjà dit, les organisations curriculaires construites s’inscrivent dans des projets sociaux. Pour préciser ces faits d’éducation, nous envisageons cinq volets pour caractériser ces inscriptions sociales et nous permettre de caractériser les savoirs qui s’y référent (Ginestié, 1997) : (i) L’utilisateur d’appareils : l’utilisation d’objets techniques prend une grande place dans notre vie quotidienne et leur sophistication croissante induit constamment de nouveaux rapports homme – appareil dans un mélange de banalisation et de mystification. L’éducation technologique peut ainsi contribuer à développer des attitudes ouvertes quant au bon usage des objets techniques en donnant du sens et en mettant de la raison dans leur usage (Fourez, 1994). Ce sont des compétences d’analyse de fonctionnement d’appareils existants qui sont visées, elles reposent sur des savoirs liés aux outils d’analyse fonctionnelle. (ii) L’acheteur de produits : la diversification des marques, des modèles, des gammes de produits ne facilite pas l’achat d’un objet technique 26 quel qu’il soit. La dynamique marchande, martelée à force de messages publicitaires, tend à légitimer notre besoin de satisfaire nos envies sans considération de prix. Elle est particulièrement significative des pressions sociales et culturelles auxquelles chacun est soumis dans son rapport à la trilogie besoin – envie – coût. C’est ainsi que l’on peut entendre les multiples déclinaisons de produits qui répondent tous au même usage mais en prenant en compte des symboles 25 On notera au passage que l’obligation légale de scolarité jusqu’à seize ans est actuellement doublée d’une obligation de fait, d’usage jusqu’à dix-huit ans. On peut donc affirmer que la question de l’éducation technologique doit s’envisager dans la continuité de l’école depuis la maternelle jusqu’au baccalauréat. 26 Il n’est pour s’en persuader que de regarder le nombre de magazines qui, dans des domaines très divers et tout aussi variés, proposent, pour l’essentiel, des guides d’achat, des comparatifs de produits, etc. — Page 95 — d’identification fort différents (Lebahar, 1994) ; ces derniers sont les moteurs de décision d’achat qui font opter très précisément pour tel produit et non pour tel autre. L’éducation technologique peut ainsi contribuer à tempérer ces comportements émotifs en ajoutant un peu de rationalité dans les choix d’acheteurs. Les savoirs liés à ce niveau d’approche reposent, d’une part, sur les liens entre valeur et fonction (notamment ceux que l’on trouve dans des outils tels que ceux de l’analyse de la valeur) et, d’autre part, sur la sémiologie des objets (notamment telle qu’elle est abordée dans les outils du design industriel ou dans ceux du merchandising). (iii) L’usager de systèmes : nos systèmes d’organisation sociale établissent des liens très étroits avec des réseaux de systèmes techniques de plus en plus développés autour des usagers ; ces systèmes influencent très fortement nos activités et l’évolution de notre environnement. L’usage d’un objet technique ne peut se réduire à sa simple utilisation mais doit être entendu dans une perspective plus globale d’interactions fortes entre la production des objets techniques, l’évolution de notre environnement et les modifications du contexte social27. De fait, nos actes d’usager s’inscrivent dans ce fonctionnement systémique auquel une éducation technologique pourrait donner une plus grande lisibilité. Les notions de flux (de matières, d’énergies, d’informations), d’interactions et de rétroactions, de processus de transformations (dans leurs dimensions irréversibles ou non), d’évolutions (entropie, stabilité, développement) sont quelques-uns des éléments des savoirs en jeu ici. (iv) L’acteur social dans le système de production : l’alternance d’un rôle de consommateur et de producteur repose sur une mise en scène d’un cycle simpliste28 dans lequel travail = salaire = pouvoir d’achat = consommation de produits = production = travail. Cette équation est largement répandue comme 27 Par exemple, le développement de l’automobile est lié à des choix d’aménagement du territoire et a complètement modifié les rapports ville – campagne, citadin - villageois. — Page 96 — modèle explicatif du développement de nos sociétés modernes occidentales29 (qui ne saurait être entendu qu’en termes d’accroissement). Ce modèle est, bien évidemment, culturellement et historiquement marqué. Sa principale force réside dans cette apparence d’universalisme30 martelée avec la même force que les messages publicitaires des produits à commercialiser, et même si d’autres modèles ont existé ou existent, réellement ou théoriquement. Actuellement, nous pouvons voir que l’exclusion d’une part non négligeable de la population du monde du travail crée une exclusion sociale dont les tensions introduisent des points de rupture dans nos écoles. L’évolution sociale n’est jamais neutre ou a-conflictuelle. L’éducation technologique peut contribuer à accroître la lisibilité de ces évolutions en clarifiant certaines relations entre les hommes et le monde des objets techniques qu’ils produisent. Les concepts en jeu ici relèvent, d’une part, des modes d’organisation sociale du travail (et donc également de division sociale du travail) et, d’autre part, des notions d’économie (qui ne seraient pas limitées à une économie particulière telle que l’économie d’entreprise mais pourrait prendre plusieurs postures comme l’économie des ménages, l’économie d’entreprise, l’économie locale, etc.). (v) Le citoyen dans la Cité : l’accès au savoir pour tous est un enjeu important des démocraties contemporaines notamment afin de permettre à tout un chacun d’exercer une part du contrôle démocratique de l’évolution sociale et ne pas la confier à quelques poignées de spécialistes, d’experts31. De ce point de 28 Cette présentation réduite est une simplification qui n’a été adoptée que pour la clarté de la discussion. 29 Les discussions politiques actuelles sur la relance de la croissance, l’emploi, la consommation des ménages, etc., témoignent de l’importance de cette relation dans notre équilibre social et économique. La mondialisation de l’économie de marché et la généralisation me de la concurrence sont des références de plus en plus dominantes en cette fin de XX siècle. 30 Par exemple, A. Minc avance la thèse que l’économie de marché n’est pas une élaboration sociale mais plutôt une composante de la nature sociale humaine. 31 Par exemple, les débats sur tout ce qui touche la natalité (fécondation in vitro, dépistage des maladies génétiques, etc.) sont largement significatifs de ces débats de spécialistes. — Page 97 — vue, la contribution de l’éducation technologique en tant qu’organisatrice de significations sur l’évolution technique, et donc sur l’évolution sociale à laquelle elle est intimement liée, paraît incontournable. Il ne s’agit certainement pas de donner à chacun les connaissances d’un utopique encyclopédisme technologique mais bien de donner les savoirs nécessaires à l’exercice d’un contrôle en termes de compréhension des enjeux et des risques. Nous pouvons, à ce point de notre discussion, voir en quoi l ‘épistémologie des savoirs technologiques est spécifique. Dans un premier temps, on montrait que l’articulation objet, activité, langage intervient comme les termes d’organisations praxéologiques propres à un champ spécifique. Les tentatives de caractérisation des savoirs, notamment dans des efforts de délimitation conceptuelle, permettent de préciser les termes de cette épistémologie tout en assurant les fonctions de grille d’analyse et de description, a posteriori ou a priori, des curriculums. Ce sont quelques-unes de ces tentatives que nous avons étudiées dans un second temps. Les savoirs mis en jeu, dont nous ébauchons ici quelques pistes possibles, ne présagent en rien des organisations scolaires de leur enseignement. Il faut des choix institutionnels systématiques qui créent et organisent les conditions de leur étude (Johsua, 1998). Ce changement de registre institutionnel relève du processus de transposition didactique au sens que lui donne Chevallard : « faire passer dans un autre ton institutionnel sans altérer » (1997, p. 56). Nous consacrerons notre troisième temps à l’analyse de cette transposition de savoirs relevant d’une épistémologie particulière. C’est ce que nous examinons à présent. 2.2. 2.2.1. LA TRANSPOSITION DE SAVOIRS TECHNOLOGIQUES Référence à des pratiques, référence à des savoirs ? Un des buts recherché dans l’aménagement du milieu de travail de l’élève est de le rendre actif, c’est à dire qu’il soit en situation de résoudre par lui-même le problème qui lui est soumis, qu’il soit en mesure de contrôler sa stratégie de progression dans la tâche tout en pilotant son activité. Ce but dépend des — Page 98 — situations construites qui ne sont pas réductibles à l’organisation d’une succession de manipulations mettant en jeu des savoir-faire. C’est sans doute ainsi qu’il faut entendre la question des savoirs enseignés en éducation technologique, cette reconstruction singulière de situations scolaires pouvant rendre compte pour des élèves des différents aspects des organisations praxéologiques qui déterminent notre champ de références. C’est à ce genre de description que se livrent les auteurs de l’ouvrage collectif « enseigner la technologie au collège » (Lebeaume, Martinand, 1998) lorsqu’ils indiquent que « ce livre souhaite apporter aux enseignants les outils permettant de penser les activités proposées aux élèves, l’aide nécessaire à la pratique en classe afin de poursuivre l’organisation de cet enseignement » (p. 5). La notion de pratiques sociales introduite par Martinand (1983, 1986, 1989, 1991, 1995 ; Durey, Martinand, 1994) permet selon l’auteur d’élargir le concept de transposition didactique avancé par Chevallard (1985 ; Chevallard, Johsua, 1992). Pour cet auteur, « les activités scolaires doivent être des images d’activités sociales réelles » (Martinand, 1989). Cette référence s’appuie sur les objets de travail, les instruments matériels et intellectuels, les problèmes, les savoirs, les attitudes et les rôles sociaux. Par exemple, il considère « qu’une fabrication collective en classe de petite série va permettre une lecture d’une situation correspondante en entreprise et réaliser ainsi la vocation culturelle de telles activités scolaires » (Martinand, 1989). Plus récemment, Martinand et Lebeaume définissent quelques-uns des attributs de ce concept qui permet d’interroger les pratiques scolaires tout en permettant de repérer les différentes pratiques sociales qui donnent du sens aux activités scolaires (Lebeaume, Martinand, 1998). Ils définissent ainsi une relation d’authenticité (distincte de l’identité) et une cohérence. Cette proposition est une ouverture pour rendre compte d’espaces de problèmes dans les disciplines technologiques. Malgré tout, cette proposition pose des problèmes. La référence à des pratiques pose la question de leur modélisation afin de les faire entrer dans l’école ; ce ne sont pas des pratiques qui, en tant que telle, — Page 99 — servent de référence pour un enseignement mais bien évidemment des constructions sur ces pratiques (ce sont, par exemple, les figures de démarche de projet étudiées par Crindal, 1996). La proposition faite par Durey et Martinand (1994) va dans ce sens et l’on entend bien le travail de modélisation proposé pour élaborer un contenu d’enseignement nouveau dans les cursus de DEUG STAPS32. Toutefois, on relèvera quelques-unes des limites introduites par la modélisation des pratiques pour construire des savoirs scolaires. De fait, si l’on peut, en accord avec le point de vue de Martinand, affirmer qu’il n’est pas possible de prendre les résultats de la recherche comme référence exclusive aux enseignements technologiques33, on notera toutefois que le processus décrit par Durey pour les STAPS consiste bien à construire un référent théorique de savoirs savants qui doivent permettre de faire évoluer les pratiques. Il s’agit d’un processus de « savantisation » de savoirs dans un champ donné. On n’enseigne pas des pratiques mais un savoir sur la pratique qui s’en dégage qualitativement (Bourdieu, 1972 ; Johsua, 1994a). Il y a nécessairement extraction des praxis individuelles pour délimiter des praxéologies. Dans ce débat, le problème ne vient pas de l’origine de la transposition (Johsua, 1996) et donc d’une opposition entre le savoir savant et les pratiques sociales34. C’est bien la transposition des organisations praxéologiques qui pose problème (Rogalski, Samurçay, 1994). Au-delà du déclaratif, il y a bien à rendre compte de la construction des savoirs scolaires. 32 DEUG : Diplôme d’Enseignement Universitaire Général sanctionnant la fin de premier cycle universitaire. STAPS : Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives. 33 Il n’existe pas de discipline universitaire « technologie » au Conseil National des Universités. Il n’y a donc pas officiellement de chercheurs et de champs de recherche en technologie. Une interprétation trop restrictive du terme savoir savant en liaison avec la recherche universitaire laisserait penser qu’il n’y aurait pas de savoirs savants en technologie. 34 Pour autant, les pratiques de recherche visant à la production de savoirs sont bien évidemment des pratiques sociales et les savoirs savants produits sont porteurs de ces pratiques. — Page 100 — 2.2.2. Nature des savoirs à transposer Nous avons noté précédemment la nature des problèmes technologiques pour lesquels il n’existe pas une seule et bonne réponse mais plutôt un ensemble de solutions parmi lesquelles le choix de la solution retenue se fera en pertinence à un réseau de contraintes contextualisées. Ce sont donc de ce genre de pratiques dont il convient de rendre compte. Or, comme le note Schwartz (1994), il existe une distinction fondamentale entre les activités professionnelles et les activités scolaires puisque « dans l’entreprise, c’est le problème qui est commun et les savoirs qui sont partagés entre les différents partenaires alors qu’à l’école, c’est l’inverse, c’est le problème qui est personnel à l’élève et les savoirs qui sont communs ». Cette différenciation des activités est également relevée par Deforge (1993) au travers de la difficulté à rendre compte des dynamiques des activités sociales dans le cadre particulier de l’école. Pour cet auteur, il y a bien une approche paradigmatique articulée dans une théorie générale35 sur les techniques qui institue beaucoup plus l’éducation technologique dans une réflexion philosophique. Les activités scolaires ne peuvent rendre compte des savoirfaire et de l’agir des acteurs sociaux dans les systèmes de production ; en revanche, une connaissance philosophique sur les techniques constitue une réelle valeur ajoutée aux connaissances professionnelles ou plus largement aux connaissances sociales (Whitehead, 1975). Ce point de vue n’est pas réellement éloigné de celui qu’avance Chevallard (1997) lorsqu’il dit « qu’il convient de travailler à diffuser les outils permettant de comprendre des phénomènes que, en tant que sujet de l’École, nous avions appris à vivre plutôt qu’à penser ». Selon un autre point de vue, Lahire (1997) 35 En ce sens, les propositions de Deforge sont très proche de celles de Blandow (ibid.) puisqu’il propose de fonder l’éducation technologique sur des champs tels que la cybernétique, la théorie de l’information, la théorie des systèmes, la sémiologie (Deforge, 1993, p. 124) — Page 101 — indique que « la forme scolaire, comme forme spécifique de relations sociales, se caractérise par l’apprentissage, quel qu’il soit, selon des règles impersonnelles, des principes généraux ». Il va de soi que les savoirs enseignés dans le cadre de l’éducation technologique doivent répondre à ces critères de généralité. Dès lors la question qui se pose est bien celle de la modélisation des pratiques afin d’en produire des référents généraux aux enseignements technologiques. Nous sommes bien en présence des attributs de la transposition didactique dans les termes mêmes décrits par Chevallard (1985) et retravaillés par Johsua et Dupin (1993). Pour pouvoir être enseignables, les pratiques sociales doivent être formalisées, puis décontextualisées et désyncrétisées. C’est bien ce que nous relevions dans notre étude sur l’enseignement de la démarche de projet, c’est également ce que montre le travail de Bouthier et Durey (1994) sur la modélisation mécanique de certains éléments des activités sportives ou encore le travail de Crindal (1996) sur les figures de la démarche de projet industriel36. Vygotski (1978) montre que les savoirs, construits historiquement et transmis socialement, sont situés dans les différentes formes des produits résultant du travail humain (œuvre d’art, outils, objets, etc.). Leur enseignement nécessite l’utilisation d’objets culturels techniques et symboliques qui sont également le fruit d’une construction sociale (Amigues, Zerbato-Poudou, 1996). Dans ce sens, le recours aux technicités mises en jeu dans les pratiques (Combarnous, 1984) relève d’une tentative de spécification des activités scolaires qui reste déclarative alors que c’est la nature même des savoirs mis en jeu dans l’école qui pose problème. C’est cette distinction que Johsua (1994a, 1994b, 1997) introduit lorsqu’il propose une évolution notable au 36 L’intitulé même du travail de Crindal montre bien ce processus, puisqu’il suggère qu’il y a une démarche de projet qui peut prendre différentes figures et non pas une variété importante de démarches. Le travail de formalisation, de décontextualisation et de désyncrétisation a opéré en réduisant la variété à l’unicité, donc à une forme d’universalisme qui n’accepterait plus que quelques variations de formes comme le suggère le terme figures. — Page 102 — schéma de la transposition didactique en distinguant deux types de savoirs : les savoirs savants et les savoirs experts. Cette distinction permet de caractériser les lieux d’institutionnalisation des savoirs et non pas leurs modes de productions. Les savoirs savants, pour cet auteur, sont produits par des communautés scientifiques identifiées (ou identifiables) ; l’introduction des savoirs experts vise à rendre compte d’autres sources de production de savoirs qui ne répondent pas à ces critères institutionnels de production. Il n’y a pas de différences majeures dans l’élaboration des savoirs savants ou des savoirs experts. Le processus d’élaboration est un réseau d’interactions entre savoir, pratique et problème (Cf. Schéma 4 ci-dessous). Schéma 4 : Processus d'élaboration des savoirs Problème Savoir savant Mise en Texte Connaissance Pratique Savoir expert Élaborer une solution à un problème donné se fait par la mise en œuvre de connaissances (qui peuvent être répartis entre différentes personnes) dans des pratiques (liées à des individus, des contextes, etc.). Cette approche rend assez bien compte des propositions avancées par Schwartz (1994) ou par Deforge (1993). Le savoir technologique contient intrinsèquement et rend compte implicitement de son processus d’élaboration, des pratiques qui l’ont — Page 103 — généré ou qui l’utilisent, du contexte social dans lequel il a été produit et ceux dans lesquels il fonctionne, des savoirs auxquels il est lié à travers son épistémologie. La mise en texte de ce savoir, sous une forme savante ou experte, relève de son mode d’institutionnalisation et donc des organisations sociales par et pour lesquelles il existe. Cette mise en texte est forcément distincte d’une autre mise en texte qui va permettre de construire les savoirs enseignés ; l’objet technique est porteur de ces processus d’élaboration de savoir mais ce n’est pas pour autant que les élèves n’ont pas à le reconstruire en classe. Dans cet ensemble, il est restrictif de se référer exclusivement à des pratiques qui ne sont qu’un des éléments d’un processus plus large et plus riche. Pris isolément, chacun des termes de ce processus n’a que peu de sens en luimême, les problèmes ne sont que des exercices d’entraînements37, les connaissances ne sont que des règles ou des principes dits de base38 et les pratiques ne sont plus que des activités scolaires prototypiques39. On ne sait pas ce que la pratique permet d’apprendre, l’activité est réalisée pour ellemême sans que l’on sache ce qu’on en attend en termes d’apprentissage. Certes, on peut toujours objecter que la lisibilité des enseignements technologiques passe par la lisibilité des tâches scolaires proposées aux 37 Dans les formations professionnelles, on parle d’exercices poubelles, c’est à dire d’exercices qui n’ont aucun sens dans l’articulation du processus que nous évoquions et qui n’ont en fait qu’une signification très locale limitée à la situation scolaire, ici et maintenant. 38 Les connaissances obtiennent le qualificatif de base quand on ne peut justifier de leur existence qu’en tant que préalable incontournable pour pouvoir donner un sens à la situation scolaire. Elles supposent une mémorisation a priori et fonctionnent sur le mode impératif, on ne discute pas une règle ou un principe. 39 Dans une version très caricaturale, on a vu par exemple des classes transformées en minientreprises dans lesquelles les élèves jouaient au patron, au chef d’équipe, à l’ingénieur, au directeur commercial, à l’ouvrier, etc. — Page 104 — élèves40. Cette objection relève plutôt de la confusion des genres. La confusion porte sur les interrelations entre différentes institutions (Brousseau, 1990, 1998). L’intérêt d’une référence à des pratiques se situe dans une perspective d’élaborations curriculaires41 qui privilégie l’entrée par les qualifications professionnelles. Elle permet d’imposer une logique structurelle à un enseignement que l’on inscrit dans des processus d’orientations scolaires et de choix professionnels des élèves42. 2.2.3. Organisation des savoirs technologiques Un des aspects récurrents de notre travail de délimitation d’un champ de références pour les enseignements technologiques repose sur la construction d’une épistémologie particulière. Implicitement, nous indiquions ainsi que la technologie était une science autonome, distincte des autres sciences. Cette position ne va pas de soi. Une définition usuelle (telle qu’on peut la trouver dans 40 La remarque d’un directeur des enseignements secondaires aux représentants d’une association d’enseignants de technologie montre l’importance de cette lisibilité sociale lorsqu’il leurs déclarait qu’il ne voyait pas « l’utilité d’un tel enseignement, si au moins il pouvait servir à développer l’utilisation de l’informatique et l’usage d’Internet… ». Au-delà d’une remarque qui est certainement caricaturale, la lisibilité du rôle social de cette discipline est discutée. De fait, l’instabilité que l’on peut constater révèle une fracture profonde entre la conception d’un enseignement et la façon, dont il peut être perçu. 41 On peut considérer ainsi les missions d’expertises que nous sommes amenés à effectuer auprès d’institutions nationales ou étrangères afin de les conseiller sur l’élaboration des curriculums d’enseignements. C’est, par exemple, ce travail que j’ai effectué auprès du Ministère de l’éducation nationale Chilien, dans le cadre du programme de restructuration de l’école basique et médiane. 42 Cette approche par les qualifications (au sens de M. de Vries) est largement présente dans beaucoup de programmes d’enseignements technologiques. Il semble logique que les enseignements technologiques s’occupent d’orientation professionnelle puisqu’ils sont sensés s’appuyer sur les organisations professionnelles du travail. Ils doivent donc permettre d’éclairer les choix des élèves en matière d’orientation scolaire. On regrettera que ce souci soit particulièrement vif en ce qui concerne les élèves en échec scolaire (avec toute la relativité que l’on peut attribuer à ce terme), ce qui ne fait qu’accroître le rôle d’une éducation technologique perçue comme une discipline curative. Même si l’un des objectifs était celui-ci alors, les champs de référence choisis au travers de l’industrie électromécanique ne sont pas très efficients eu égard à la situation économique de ce secteur industriel, notamment en ce qui concerne les capacités d’emplois des jeunes à faible niveau de qualification. Ces références semblent beaucoup plus consacrer le poids des industries métallurgiques dans l’enseignement français. — Page 105 — un dictionnaire) décrit de manière générale la technologie comme la science des arts et métiers. Toutefois, celle-ci ne serait pas une science proprement dite mais l’application des sciences aux activités industrielles (Haudricourt, 1988). Il convient donc de trancher dans ce débat à la lumière des éléments que nous proposons dans ce travail. En première approximation, une science est définie par son objet 43. Il serait naïf de faire de la technologie la science des objets techniques par une sorte isonomie rudimentaire, la réduisant ainsi à trouver des parentés et à effectuer des typologies dignes d’inventaires de Prévert. Non, l’objet de la technologie, c’est bien la fabrication et l’utilisation des objets techniques. Une science se caractérise par son point de vue sur l’objet bien plus que par l’objet lui-même. Ce point de vue doit permettre de donner les lois d’apparition et de transformation de l’objet. Concernant la technologie, ce point de vue est le point de vue humain de la fabrication et de l’utilisation des objets techniques par les hommes (Sigaut, 1985). Selon Haudricourt (1988, p. 38), « si la technologie doit être une science, c’est en tant que science des activités humaines ». Notre étude nous conduit à ajouter à cette définition « science des activités humaines de production et d’utilisation des objets techniques ». L’articulation que nous proposons entre objet, activité et langage, renvoie à des organisations praxéologiques spécifiques qui indiquent la manière de faire mais aussi le discours sur ces manières de faire. Le qualificatif de technique attribué à chacun de ces trois termes délimite le champ des possibles en le contraignant au monde des objets techniques, à leur mode d’existence et aux organisations sociales pour et par lesquelles ces objets existent. L’objet en tant que tel ne constitue que le squelette. Il faut le compléter par l’ensemble des gestes humains qui le produisent et qui le font fonctionner. En soi, cette organisation 43 Par exemple, les lignes et les surfaces de la géométrie, la statique et la dynamique de la mécanique, etc. — Page 106 — des savoirs répond au besoin de connaître les techniques, pour un ensemble de raisons que nous pouvons qualifier de culturelle, et indépendamment de toutes considérations utilitaires. Cette connaissance ne peut être une accumulation de recettes (Sigaut, 1988, 1994). Elle s’organise suivant une logique et une cohérence propres à toutes connaissances scientifiques. Cette organisation de connaissances est spécifique par son objet et le point de vue adopté. Nous avons pu voir comment articuler objet technique, activité technique et langage technique dans des organisations praxéologiques. Les langages techniques entrent dans l’organisation praxéologique en tant que sémiologie particulière élaborée dans le bloc technologie – théorie (les savoirs sur la production et / ou l’utilisation des objets) pour faire sens dans le bloc type de tâches – technique (les savoir-faire pour produire et utiliser l’objet). Ces organisations praxéologiques relèvent d’une épistémologie particulière distincte d’autres champs épistémologiques. C’est cette organisation épistémologique qui permet d’émettre des lois d’apparition et de transformation des objets de connaissance. En ce sens, nous définissons ainsi une science particulière et autonome avec une épistémologie spécifique distincte des autres sciences. Cette organisation de connaissances délimite le champ de références d’une éducation technologique en ouvrant sur la compréhension du monde des objets techniques, leur mode d’existence et les organisations sociales par et pour lesquelles ces objets techniques existent. Elle détermine également les conditions de la transposition. Ces contraintes « tendent à imposer tout ensemble la matière et la manière, les questions à étudier et les formes de l’étude » (Chevallard, 1997, p. 58). Dans les questions ouvertes qui restent en suspens, celles liées à la mise à l’étude d’objets d’enseignement technologique dans le cadre d’une éducation technologique constituent l’axe principal afin d’organiser mon travail de recherche à venir. Ces perspectives se concentrent autour des situations mises en œuvre dans les classes, notamment en prenant en compte le rôle des techniques dans les activités et des articulations savoir et savoir-faire qui ne — Page 107 — relèvent pas d’une relation d’exclusion de l’un par l’autre. Un aspect sensible repose sur la mise en œuvre d’organisations praxéologiques par les élèves dans des situations d'enseignement - apprentissage. Ces perspectives font l’objet de la troisième partie de cette note de synthèse. — Page 108 — TROISIÈME PARTIE : PERSPECTIVES DE RECHERCHE — Page 109 — Cette troisième partie nous permet d’ouvrir des perspectives de recherche en les organisant selon deux axes : l’étude des évolutions curriculaires et les conditions d’étude des objets d’enseignement technologique. Le terrain privilégié pour ces travaux est celui de l’ingénierie didactique et de la formation des enseignants. D’un point de vue méthodologique, nous privilégierons la construction de faits didactiques, c’est à dire de faits qui « n’existent pas dans la nature et qui font l’objet d’une construction théorique, d’une modélisation » (Amigues, Zerbato-Poudou, 1996, p. 16). Trois points de repères me permettent d’organiser ce travail de recherche :  D’abord, les questions relatives à la contribution que je tente d’apporter à la recherche en didactique des disciplines technologiques, recherches qui présentent un caractère fondamental puisque participant à un débat scientifique et donc à la construction de savoirs sur la technologie, son enseignement, les pratiques scolaires, sa didactique.  Ensuite, des recherches socialement finalisées par les besoins de la formation44 car la recherche en éducation en général et la recherche en éducation technologique en particulier doivent sortir des institutions de recherche pour accompagner les pratiques de terrains. Elles donnent des outils pour penser la formation des enseignants, qu’elle soit initiale ou continue.  Enfin, l’accompagnement des pratiques de terrain ne saurait être réduit à des apports dans le cadre de formation. Dépasser ce stade suppose de mettre en place des dispositifs de « transferts de technologies » depuis l’ingénierie didactique vers le développement d’une industrie pédagogique. 44 Cette expression a été empruntée à René Amigues qui l’a proposée comme objectif du projet d’établissement de l’IUFM d’Aix-Marseille pour le développement de la recherche en éducation dans cette institution. — Page 110 — 1. ÉVOLUTION DES ORGANISATIONS CURRICULAIRES Nous abordons cette problématique sous deux angles. D’une part, au travers de la description d’organisations praxéologiques à des fins d’élaboration curriculaire et, d’autre part, par l’observation des organisations curriculaires dans différents pays. Le premier point de vue fait l’objet d’un contrat européen de recherche dans le cadre des programmes Leonardo da Vinci (Oskardottir, Busetta, Ginestié, Papoutsakis, Sacco, 1997). Le second s’inscrit dans un ensemble de collaboration avec des associations de recherche en éducation technologique (WOCATE, PATT, EPT45, IDATA46, NDTEF47, etc.) ou avec des universités. 1.1. DESCRIPTION D’ORGANISATIONS PRAXÉOLOGIQUES Nous avons relevé le lien étroit qu’il y a entre le choix des références et le degré d’ouverture des curriculums. Nous avons délimité la technologie comme science des activités humaines de production et d’utilisation d’objets techniques. Rendre compte de ces activités et de leur organisation sociale à des fins d’enseignement passe par leur description en vue d’une modélisation. Le CEREQ48, en France, développe des descriptions sous la forme de référentiel métier et référentiel diplôme. Le référentiel métier permet de définir ce qu’est l’exercice d’une profession (en termes de description de tâches à effectuer) alors que le référentiel diplôme décrit le niveau de qualification du professionnel (en termes de savoir-faire). Ce genre de description de l’activité reste au niveau de l’articulation tâche – technique. En termes de références pour des enseignements technologiques, cela conduit à des curriculums fermés (c’est ce que relève B. Hostein (1997) à propos de l’organisation des 45 EPT: Association of Professionals to Promote Excellence in Technology Education IDATA: International Design And Technology Association 47 NDTEF: National Design and Technology Education Foundation 48 CEREQ : Centre d’études et de recherches sur les qualifications 46 — Page 111 — enseignements professionnels). Pourtant, ce travail de mise en texte des savoirs à enseigner concentre une grande partie du processus de transposition didactique. C’est un moment particulier d’inscription institutionnelle, plus que de description, d’un objet d’enseignement dans un temps scolaire. Pour autant, cette inscription n’est pas une création ex abrupto. Le choix des références est un moment privilégié puisque c’est ce choix qui va déterminer la matière et la manière organisée dans le curriculum. C’est en ce sens que, à partir de la description d’activités professionnelles, nous essayons de comprendre l’organisation de références, notamment dans les relations entre savoir-faire et savoir. Cette question fait l’objet d’un programme de recherche européen. Le travail entrepris professionnelles consiste susceptibles à d’être trouver utilisés des descripteurs comme d’activités descripteurs pour l’enseignement (Oskardottir, Busetta, Ginestié, Papoutsakis, Sacco, 1997). Il s’agit de repérer dans le discours de professionnels, à propos de leur activité professionnelle, ce qui relève de techniques spécifiques à un type de tâches particulier et d’établir les liens entre ces savoir-faire et des savoirs technologiques généraux susceptibles de faciliter l’acquisition de ces techniques (Oskardottir, Ginestié, Papoutsakis, Sacco, 1998a). La portée de ce travail concerne directement l’organisation des formations professionnelles dans les relations établies transversalement entre formation professionnelle et enseignement général mais également d’une manière longitudinale dans les liens que de telles formations peuvent entretenir avec une éducation technologique pour tous. Le premier point nous renvoie aux questions de relations transversales inter – curriculaires. Le second point nous renvoie aux questions de continuité curriculaire entre éducation technologique et formation professionnelle, ce qui est une autre façon de discuter de l’entrée par les qualifications proposée par de Vries (cf. l’approche selon le point de vue professionnel, p. 86). La méthodologie retenue repose sur l’analyse de vingt activités professionnelles (Oskardottir, Ginestié, Papoutsakis, Sacco, 1998b). Le recueil des données se — Page 112 — fait par interviews directives au moyen d’un questionnaire établit conjointement par l’ensemble des partenaires du projet, sur proposition des islandais qui coordonnent le projet. Le recueil des données se fait auprès de quinze personnes exerçant l’emploi étudié et de cinq responsables hiérarchiques de ces emplois. Les emplois retenus concernent les grands secteurs de la production industrielle, de la distribution commerciale et des services. Les données recueillies concernent la mise en œuvre d’outils et de compétences générales et spécifiques. Elles sont constituées par les réponses aux questions posées et par les commentaires faits à partir des questions et sur les réponses fournies. Le traitement des données va entraîner plusieurs niveaux d’analyse (Oskardottir, Ginestié, Papoutsakis, Sacco, 1999). Le premier s’intéresse à l’analyse d’une profession donnée dans un pays donné (en ce qui nous concerne, la France). Il doit permettre de repérer, dans une activité professionnelle donnée, comment les professionnels décrivent ce qu’ils font et quels liens ils établissent entre ce qu’ils font (qui relève d’un discours sur leur praxis) et ce dont ils ont besoin pour le faire (ce qui relève d’un discours sur les savoirs généraux). Le second niveau compare des descriptions faites pour une profession donnée dans les quatre pays partenaires. Il s’agit de repérer les invariants (indicateur des éléments stables de l’activité) et les variations (indicateur des éléments spécifiques à un type de tâche donnée dans un contexte particulier) dans la description d’une activité et de ce qu’il faut savoir pour l’exercer. Le troisième niveau regarde les différentes activités professionnelles étudiées afin de repérer l’existence d’éléments communs que l’on pourrait ainsi transférer dans une éducation générale. Les croisements des différents niveaux d’analyse devraient permettre, d’une part, de comprendre les rapports entre savoirs généraux et savoir-faire spécifiques et, d’autre part, d’envisager quelques perspectives d’incidences sur les contenus des enseignements technologiques que se soit dans des visées d’éducation générale ou de formation professionnelle. L’originalité de cette — Page 113 — étude repose sur cette tentative d’identification de liens entre éducation technologique pour tous et formation professionnelle forcément spécifique. En regard de mes préoccupations de recherche, ce travail permet d’avancer sur les descripteurs d’organisations praxéologiques notamment en matière de relations entre type de tâches, techniques, technologie et théorie et comment cela fonctionne dans le cadre d’activités professionnelles précises. Une part de l’enquête porte sur les outils de communication utilisés par les professionnels pour échanger entre eux autour d’un problème mais également pour faciliter l’intégration professionnelle d’un débutant sur un nouveau poste. Dans cette perspective, le rôle joué par les langages techniques dans cette communication est un point essentiel de notre étude, notamment par la place qu’ils occupent et la manière dont ils sont utilisés. Dans sa phase actuelle, la portée de ce travail est toutefois limitée pour les raisons suivantes :  La description faite ici concerne plutôt des emplois de bas niveaux de qualification professionnelle49, ce qui limite drastiquement les visées concernant la partie générale.  L’analyse est fondée sur le discours des professionnels à propos de leurs activités. Ce discours ne recouvre pas ce qu’ils font réellement. En effet, un expert ne dit jamais ce qu’il fait, mais plutôt ce qu’il pense faire, voire ce qu’il aimerait faire. Il est très difficile de décrire des activités au travers d’interviews. Ces limites nous conduisent à repenser cette étude au travers de la question des descripteurs d’activités (donc forcément des descriptions des organisations praxéologiques), d’une part, et, d’autre part, en terme de méthodologie notamment sur les questions de recueil de données. Des références à la 49 Cette spécificité est un centre d’intérêt important pour l’union européenne notamment afin d’éclairer les politiques de formation et de penser des solutions à la question du chômage des jeunes de bas niveaux de qualification. — Page 114 — psychologie du travail sont particulièrement appropriées notamment en ce qui concerne les relations tâche – activité et description de praxéologies (Amalberti, 1996 ; Clot, 1993, 1996, 1997 ; Weill-Fassina, Rabardel, Dubois, 1993). Un des problèmes non résolus par ce travail repose sur la question de la transposition didactique des organisations praxéologiques. Reconstruire une organisation praxéologique suppose que l’on transpose le complexe de types de tâches autour desquels cette organisation s’est développée (Chevallard, 1997). Cette perspective suscite deux questions. Quels sont les descripteurs d’activités professionnelles pertinents pour la construction de savoirs sur les pratiques à modéliser ? Comment interviennent les langages techniques dans ces organisations praxéologiques particulières et comment en rendent-ils compte ? 1.2. OBSERVATION DE L’ÉVOLUTION DES CURRICULUMS Dans la seconde partie de ce travail, nous avons présenté quelques modalités d’organisation curriculaire de l’éducation technologique dans différents pays. Nous avons également souligné la difficulté à établir des comparaisons intercurriculaires, les méthodologies comparatives utilisées dans les travaux connus permettent dans le meilleur des cas de constater que c’est différent. En quoi est-ce différent et comment qualifier les différences ? Ces deux questions résument ce thème d’étude. La jeunesse de l’éducation technologique, les enjeux sociaux qu’on lui attribue50, l’absence de références largement connues, sont autant d’éléments qui contribuent au développement de comparaisons. Jusqu’à présent les comparaisons ont essentiellement porté sur les attitudes ou les conceptions des élèves et sur des études curriculaires formelles (au sens des approches proposées par de Vries). Les différences sont plutôt d’ordre social et ne disent rien des savoirs enjeu dans ces systèmes (Corréard, 1999). 50 Ces enjeux s’expriment, par exemple, dans la politique de l’UNESCO en matière d’éducation qui fait de l’éducation technologique un pôle de restructuration des systèmes éducatifs (par exemple, Tamir, 1996) — Page 115 — Notre travail s’inscrit dans une perspective différente de repérage des savoirs en jeu en regard de considérations épistémologiques. Les formes des savoirs technologiques, tels qu’ils sont enseignés à l’école et à chacune des étapes de la transposition didactique, servent de base à cette description (voir par exemple Chatoney51, 1999a, 1999b). Il s’agit de repérer :  L’organisation des savoirs dans les textes officiels (programmes, instructions, recommandations, etc.) : quels sont les savoirs de référence, quelles organisations praxéologiques sont privilégiées, comment se font les articulations et sur quoi se fondent les progressions.  L’organisation du travail des élèves par les enseignants : comment l’enseignant organise les activités, sur quelles tâches, pour quel résultat et avec quel matériel. Au-delà des contraintes linguistiques ou socioculturelles, nous faisons l’hypothèse qu’il est possible de qualifier les différences intercurriculaires d’un point de vue épistémologique au travers des articulations objet, activité, langage. Un premier travail prospectif est envisagé en Europe afin de tester la validité de cette hypothèse et nous permettre d’avancer dans l’élaboration d’une méthodologie comparative (Corréard, 1999). 2. ORGANISATION DE L’ÉTUDE EN ÉDUCATION TECHNOLOGIQUE L’organisation de l’étude en éducation technologique constitue le second axe de nos perspectives de recherche. On a pu voir l’incidence des modalités d’organisation des situations d’enseignement sur les performances des élèves en matière d’apprentissage. On a également pu voir que l’organisation des savoirs à enseigner induisait fortement ces situations. Ces descriptions 51 Marjolaine Chatoney est doctorante au CIRADE et travaille sur le processus de transposition didactique des savoirs technologiques à l’école primaire. Elle fait partie du groupe didactique des disciplines technologiques. — Page 116 — organisent notre problématique en l’orientant sur les terrains de l’ingénierie didactique et de la formation des enseignants. 2.1. INGÉNIERIE DIDACTIQUE ET ÉDUCATION TECHNOLOGIQUE Dans une première approche, nous définirons l’ingénierie didactique comme étant à la fois un moyen de mettre au point des instruments scientifiques pour l’observation, un moyen d’expérimenter des solutions pratiques que sont les moyens d’enseignement des différents savoirs et un moyen de valider expérimentalement des organisations épistémologiques (Mercier, 1999). Pour autant, le passage de ces instruments de la recherche dans le monde de l’enseignement ne va pas de soi. En matière d’éducation, l’interaction recherche et enseignement n’est pas une relation à sens unique, la recherche se nourrit de l’observation des pratiques de terrain qu’elle contribue à éclairer. De ce point de vue, plus que de mettre ces instruments directement sur le « marché » des moyens d’enseignement, il s’agit d’organiser ces « transferts de technologie » en pensant simultanément l’organisation des formations, la production des instruments et leur réinvestissement dans la production de moyens d’enseignement. L’usage de matériels, de machines, d’objets est prépondérant dans les enseignements technologiques. On constate que l’étude des usages didactiques de matériels est un domaine peu étudié actuellement. L’essentiel de ces travaux s’inscrit dans la recherche en didactique des sciences. Ils cherchent à renforcer la dimension expérimentale de ces enseignements par la mise en place (la justification ?) des travaux pratiques (Dupin, Johsua, 1997). On trouve également quelques travaux qui s’intéressent à cette question dans les enseignements technologiques, par exemple dans les formations de génie mécanique à l’université (Cartonet, 1999 ; Prudhomme, 1996) ou au lycée (Keskessa, Baillé, 1998) mais le point de vue adopté généralement relève du même principe expérimentaliste que celui des TP de sciences. Ces travaux ont en commun de justifier l’usage du matériel en référence à des pratiques externes à l’école (la démarche expérimentale du scientifique, l’expérimentation — Page 117 — dans l’organisation rationnelle de recherche de solution). Au-delà de ces études, on trouve bon nombre de matériels52 à destination des enseignants de technologie que l’on peut répartir en deux catégories :  Des applications clés en main incluant une maquette, une description de son fonctionnement et de son utilisation dans le cadre d’un enseignement précis pour un niveau de classe donné53. Ces applications dépendent directement du matériel qu’elles décrivent, les tâches pour les élèves sont souvent réduites à des tâches d’opérateurs.  Des enseignements clés en main comportant des dossiers techniques et pédagogiques, des fiches, des descriptions de tâches, des ressources documentaires, etc., portant sur une partie de programmes54 (par exemple, l’introduction de l’automatisme ou de la robotique au collège) ou sur la totalité d’un programme55. Ces dispositifs se veulent indépendant par rapport à des maquettes ou machines utilisées et cherchent à développer ce qu’il est possible de faire avec des élèves en technologie. On notera toutefois que l’indépendance affichée est relative car l’usage d’un type de maquettes ou de machines est suggéré, voire recommandé. Les références à ce type de matériel sont explicites. 52 On peut distinguer ces matériels par leur réseau de distribution. La diffusion est assurée soit par des éditeurs et des entreprises privées (Delagrave, Technologie service, etc.), soit par les réseau institutionnels (CRDP, formation continue), soit encore par des réseaux informels sous forme de littérature grise, c’est à dire produite par des enseignants sans validation par une institution. 53 nde Ce sont, par exemple, le modèle réduit du store SOMFY (classes de 2 option TSA), les mallettes pédagogiques de Télémécanique ou encore l’utilisation de Lego et autres Fisher technique. Les enseignants disposent de tous les éléments techniques nécessaires à la conception et à la mise en œuvre d’une séquence pédagogique donnée (par exemple, Télémécanique, 1991) 54 On trouve une excellente illustration de cette approche dans l’ouvrage « le projet pédagogique en technologie » proposé par Corriol et Gonet (1994). 55 C’est, par exemple, ce que proposent Jourdan, Prat et Perrin dans leurs ouvrages sur les systèmes automatisés en classe de seconde (1987) ou encore Lebeaume et Martinand à propos de l’enseignement de la technologie au collège (1998). — Page 118 — Le premier type de matériels ne s’intéresse qu’aux seules conditions de mise en œuvre pédagogiques des maquettes ou des machines dans les classes. Le second type de matériels déplace cette problématique en mettant en avant une logique fondée sur les interrelations élève - professeur – matériel. Dans ces travaux, les préoccupations se centrent largement sur la question des activités des élèves et des apprentissages qu’ils peuvent développer (par exemple, Corriol, Gonet, 1994 ; Vivet, 1993 ; Leroux, Bruneau, 1992 ; Leroux, 1993). Pourtant, un certain nombre de problèmes non-résolus subsiste. Dans ces travaux, la machine56 est largement considérée comme un support. Pour certain, elle n’intervient pas directement dans le processus d’apprentissage (voire elle serait un obstacle à l’apprentissage), pour d’autres, elle permet de contextualiser des situations et devient un prétexte à d’autres apprentissages. L’utilisation des machines devient très vite artificielle 57, sans problème particulier à résoudre si ce n’est de les mettre en œuvre par le biais de descriptions procédurales et sans enjeu de savoirs Ces propositions excluent l’utilisation de machines du rapport au savoir, ce qui est assez curieux d’un point de vue épistémologique. L’articulation concevoir pour réaliser est présentée comme une clé pour l’éducation technologique dans plusieurs travaux anglo-saxons (Mockford, 1995 ; Kimbell, 1997 ; Benson, 1996 ; 1998 ; Welsh, 1997 ; 1998 ; Martin & Coleman, 1992). La phase de conception prend une grande importance qui rend toujours seconde la fabrication. La réalisation n’est pas, pour autant, traitée de manière secondaire mais elle est considérée comme une mise en application des solutions retenues lors de la conception. La description de la tâche est suffisamment ouverte pour ne pas figer le processus de 56 La maquette est envisagée comme un modèle réduit de la machine qui doit en garder les proportions et les fonctionnalités. 57 Corriol et Gonet utilisent, à ce propos, le terme de tâches prétextes pour décrire ces tâches qui ne sont ni des tâches d’apprentissage, ni des tâches d’évaluation. — Page 119 — conception dans la découverte d’une solution prédéterminée par l’enseignant 58. Les élèves ont le choix de l’objet qu’ils vont concevoir et réaliser ; ce sont soit les fonctions à remplir, soit le couple fonctions – contraintes qui sont prédéterminées sans pour autant impliquer un résultat identique pour tous ; les élèves doivent élaborer leur propre solution d’intégration forme – fonction en tenant compte des questions de coût, de matériaux disponibles utilisables, de procédés de fabrication possibles, de savoir-faire et de compétences de l’élève ou du groupe d’élèves, etc. (Montel, 1997 ; Surgand, 1997 ; Ranucci, 1997, 1999). La conception fait appel à un ensemble de techniques, de procédures et de processus de formalisation d’un objet qui n’existe pas matériellement vers un objet matériel qui intègre dans un ensemble de formes un ensemble de fonctions. La fabrication de l’objet n’est plus que la concrétisation d’un ensemble de solutions qui résulte de cette intégration forme - fonction (C’est cette définition que donne Lebahar (1994) du travail des concepteurs professionnels dans l’industrie). Dans ce type d’organisation, les machines ne font pas partie d’un décor mais deviennent des outils qui prolongent la pensée de l’élève en donnant forme à ce qu’il a conçu. Il y a un changement de registre dans l’activité des élèves qui passent du rôle d’opérateur à celui de concepteur. L’exigence de formalisation de ce qui va être fait et comment on va le faire lors de la phase de conception repose pour partie sur la mise en œuvre de représentations graphiques. 58 Dans ces travaux, il y a une dévolution du problème qui repose souvent sur une demande à de jeunes enfants de réaliser une marionnette ou une voiture. Ainsi décrite, l’activité pourrait s’apparenter à un travail de coordination psychomotrice. La demande est plus précise que cela puisqu’il s’agit pour les enfants de faire a priori un dessin de l’objet à réaliser et une planification de la manière dont ils vont s’y prendre pour le réaliser. La réalisation n’intervient qu’après cette phase et doit se faire en fonction de ce qui a été prévu. In fine, il y a une comparaison de ce qui a été obtenu avec ce qui a été prévu dans un important travail de verbalisation afin de repérer la cause des écarts constatés entre le prévu et le réalisé. Une grande importance est donnée à la qualité du produit obtenu, à son fini et à la précision des mesures effectuées. Dans certaines situations, l’élève conçoit une réalisation d’un objet qui sera effectuée par un autre. Le travail s’étend ainsi aux questions de communication, de représentations graphiques et à l’utilisation de symboles. — Page 120 — Dans cette articulation conception – réalisation, il subsiste des problèmes nonrésolus d’un point de vue didactique. La première critique porte sur la fonctionnalité des objets produits, ceux-ci ne répondent que très partiellement à des exigences de fonctionnement (Lutherdt, Hill, 1999). Dans l’ensemble des fonctions, ce sont les fonctions de signe qui sont privilégiées au détriment des fonctions d’usage. L’accent est mis sur la créativité des élèves et non pas sur la rationalité du processus qu’ils mettent en œuvre. Dans les évaluations, l’originalité est beaucoup plus valorisée que la fonctionnalité (Schmidt, 1999). La seconde critique porte sur la manière dont le problème est présenté aux élèves. Dans la très grande majorité des cas, l’élève conçoit et réalise un objet pour son environnement familier, voire familial (cadeau à faire, fête à célébrer, jeu à compléter, etc.) et toujours dans un cadre ludique. Il n’y a pas réellement d’évolution de cette position au fur et à mesure de l’avancement de l’élève dans son cursus scolaire ; la progression est, ici aussi, largement basée sur la complication de l’objet à concevoir et à réaliser. De fait, il y a une très forte relation d’assujettissement au matériel mis en œuvre dans la situation avec la situation elle-même. Autrement dit, ce n’est pas le matériel mis en œuvre ou la qualité des injonctions pédagogiques de l’enseignant qui sont garantes de l’apprentissage d’un savoir par les élèves mais la situation mise en place dans la richesse des interactions qu’elle permet. Ces deux critiques nous permettent de préciser nos perspectives de recherche qui s’organisent autour de trois points : l’articulation conception – réalisation utilisation, le rôle des langages techniques, les aides à l’étude. Ces trois points ne sont pas isolés mais constituent les termes d’un système dynamique qui met en relation un élève, des outils et un objet d’enseignement (Amigues, Ginestié, 1995 ; Agostinelli, 1994). Il ne s’agit plus de prévoir une mise en scène de la situation en essayant d’anticiper sur les réactions des élèves et sur les questions qu’ils sont susceptibles de poser, pas plus qu’il est nécessaire de savoir qui, de l’enseignant ou du matériel, fournit les éléments de réponses (Ginestié, 1996e). Il s’agit de concevoir et analyser des situations dans lesquelles le matériel didactique fourni fonctionne comme générateur — Page 121 — d’inférences. Ce générateur repose sur la construction d’artefacts pour la mise en œuvre d’un dispositif matériel par l’articulation de schèmes d’actions instrumentées et des schèmes d’usage (Rabardel, 1995). Dans cette construction, il y a supériorité des fonctions, qui renvoient aux schèmes d’actions instrumentées, sur les procédures, qui renvoient aux schèmes d’usage. Nous pouvons émettre l’hypothèse qu’un pilotage de l’action par les fonctions est susceptible de générer plus d’interactions élève - savoir qu’un guidage de l’action par les procédures de manipulation des matériels et donc de constituer une aide à l’étude efficace. Cette distinction entre procédure et fonctions s’inscrit également dans nos préoccupations épistémologiques et nous permet de préciser le contour de situations expérimentales à proposer aux élèves :  L’élaboration d’une solution est le résultat d’un choix à partir d’un ensemble de possibles et en fonction de l’expression des contraintes. La solution retenue intègre les fonctions dans un ensemble de formes.  Les langages techniques sont utilisés comme représentation symbolique des résultats de chacune des étapes du processus de conception dans une perspective de communication et ce afin de faire faire et de faire utiliser par un autre que soi. Il s’agit de prévoir l’organisation et la planification des différentes tâches du processus de réalisation en décrivant ce qu’il faut faire, comment il faut le faire et comment on sait que c’est bien fait.  In fine, la mise en perspective du produit fini (résultat de la réalisation) en regard du produit escompté (résultat de la conception) doit permettre de qualifier les écarts en termes d’erreurs de conception, de planification ou de manipulation. C’est cette perspective d’élaboration de situations que je souhaite développer. Ce genre de travaux nous permet d’affiner nos modèles sur les conditions de l’étude d’objets d’enseignement technologique, sur l’aménagement de l’environnement de travail de l’élève et sur les organisations praxéologiques à l’œuvre dans les classes de technologie. Ce travail a des répercussions sur la formation des enseignants des disciplines technologiques. — Page 122 — 2.2. LA FORMATION DES ENSEIGNANTS DE TECHNOLOGIE EN FRANCE La formation des enseignants en France relève d’un système particulier et original par rapport aux autres pays59 : il y a confusion entre la formation professionnelle et la procédure de recrutement d’un fonctionnaire agent de l’état. Les étudiants choisissent d’être enseignant après un cursus universitaire fondé sur les savoirs de la discipline universitaire. De plus, les épreuves des concours de recrutement reprennent largement les contenus universitaires disciplinaires et très peu les aspects liés au métier d’enseignant. Sur les deux années de formation, la première est un entraînement aux épreuves du concours, la seconde se concentrant sur une formation professionnelle par alternance60. Pour leur temps en établissement scolaire, les stagiaires sont considérés comme un potentiel d’enseignants disponibles : la logique de la formation est largement masquée par la logique administrative de gestion des ressources humaines. Ces contraintes particulièrement fortes rendent difficile l’organisation d’une formation professionnelle initiale, trop souvent réduite à quelques aides essentielles d’urgence. Pour l’éducation technologique, l’absence de cursus universitaire spécifique ajoute, à ces difficultés générales, celles de l’acquisition de savoirs technologiques tels que nous les avons précisés par ailleurs (Ginestié, 1996c). Cette organisation particulière tend à renvoyer vers la formation continue des enseignants les faiblesses de la formation initiale. Une étude sur le repérage des difficultés des apprentis enseignants de disciplines technologiques montre qu’il est très rarement question d’enjeux de 59 Dans la plupart des pays, il existe des facultés d’éducation chargée de mettre en place des cursus universitaires de formation professionnelle des enseignants au même titre qu’il y a des cursus de formation pour former des médecins ou des ingénieurs. L’obtention d’un emploi est déconnectée de la formation. 60 Les élèves professeurs doivent effectuer une moitié de leur temps dans un établissement scolaire où ils prennent en charge plusieurs classes tout au long de l’année scolaire et l’autre moitié suivre des formations à l’IUFM. — Page 123 — savoirs dans leur pratique de classe (Ginestié, Mouity61, 1999). Une analyse de contenus d’entretiens avec des stagiaires élèves de la 2 e année d’IUFM met en évidence que, face à des difficultés, les solutions qu’ils envisagent relèvent toutes d’un accroissement massif de la prescription pédagogique (Mouity, 1998). Il s’agit de préparer son enseignement en prévoyant tout. Dans ces conditions, ils demandent des documents clés en mains, élaborés par des experts de l’éducation. Leur travail consistant à les reproduire, les distribuer aux élèves et veiller au bon déroulement de la séance en s’assurant que les élèves font bien ce que les documents détaillent. Une étude sur les modes d’organisation des formations montre qu’elles ne se démarquent pas réellement des pratiques usuelles des situations d’enseignement technologique. À défaut de mesurer leur incidence sur les pratiques des stagiaires, ces organisations confortent les stagiaires en accentuant la relation tâche - technique au détriment de la relation technologie – théorie62 (Ginestié, 1997, 1999d ; Brandt-Pomarès63, 1999 ; Ginestié, Brandt-Pomarès, 1998 ; Ginestié, Mouity, 1999). De la même manière que dans des classes, il faut que les activités se déroulent, sans que les stagiaires rencontrent la moindre difficulté. Il n’y a pas non plus d’enjeux de savoir clairement explicités. 61 Christian Mouity a soutenu en 1998 une thèse en sciences de l’éducation à l’Université de Provence sous la direction de René Amigues. En tant que tuteur, j’ai suivi ce travail de thèse en participant directement à son encadrement. Cette thèse établissait une comparaison entre la formation des enseignants d’enseignements technologiques dans deux pays, la France et le Gabon. 62 Cette approche de l’organisation des formations a été étudiée notamment au travers de formations sur le rôle et l’usage, dans l’éducation technologique, des outils informatiques et des technologies de l’information et de la communication. Les données ont été recueillies par enregistrements de dialogues entre enseignants de technologie et leur formateur lors de séances de formations. Les analyses de résultats sont, en majeure partie, des analyses de contenus. 63 Pascale Brandt-Pomarès est actuellement doctorante en sciences de l’éducation à l’Université de Provence sous ma direction. Elle s’intéresse, d’un point de vue didactique, dans ses travaux à la façon dont un corpus de savoirs (les technologies de l’information et de la communication) est introduit dans l’enseignement de la technologie au collège et quel accompagnement l’ingénierie didactique peut participer à cette introduction. — Page 124 — Dans le dispositif général de formation des enseignants, un certain nombre de problèmes soulevé ci-dessus ne sont pas propre à la formation des enseignants des disciplines technologiques. Ce sont ces distinctions entre le général et le spécifique que René Amigues traite lorsqu’il situe la part de formation générale et commune dans la formation initiale des maîtres (1997). En complément de ce point de vue général, la question posée est celle de la place de la recherche en didactique dans la formation des enseignants des disciplines technologiques (Mercier, 1996). Autrement dit, comment la recherche en didactique peut éclairer les choix en matière d’organisation des formations, d’une part, et, d’autre part, comment introduire des résultats des recherches en didactique dans les formations des enseignants ? La portée de cette problématique ne se limite pas à la formation initiale des enseignants mais a des répercussions sur leur formation continue. Par ailleurs, cette problématique s’inscrit dans une dynamique de recherche sur la formation des enseignants, comme en témoigne le nombre de revues et de colloques qui lui est consacré (voir, par exemple, Skholê n°7, Didaskalia n°13, le revue française de pédagogie n°94, etc.). Nos perspectives de recherche s’inscrivent dans ce débat sous l’angle du « transfert » des résultats des recherches en ingénierie didactique64. D’une façon restrictive, on pourrait voir dans l’idée de transfert une application simpliste des résultats de la recherche dans la pratique des enseignants. Ce n’est pas notre perspective ; le transfert ne peut exister que s’il s’inscrit dans une dynamique d’interrelations entre la recherche et le milieu. Les analyses de pratiques nourrissent les constructions théoriques de la recherche 64 Par exemple, le projet ARTEMMIS (Advanced Research in Technology Education via a MultiMedia Information’s Server) est un programme international de transfert des résultats de la recherche à destination de l’enseignement et de la formation dans les de la technologie, de la mécanique et du génie électrique. La première phase, en cours, consiste à structurer un serveur WEB d’accès à des ressources à distance ; la seconde phase vise la mise en place d’une structure de formation à distance (Ginestié, Jimenez, Brandt-Pomarès, 1999 ; Ginestié, Vigliano, 1995 ; Giraud, Surgand, 1999 ; Jimenez, 1998 ; Vigliano, 1998a, 1998b, 1998c). — Page 125 — qui permet de produire des outils dont la mise en œuvre est un enjeu de formation (Amigues, 1995 ; Mercier, Salin, 1998). — Page 126 — BIBLIOGRAPHIE Ache J-B. (1970). Éléments d’une histoire de l’art de bâtir. Paris, éditions le Moniteur. AFCET. (1978). Rapport de la commission de normalisation de la représentation du cahier des charges d'un automatisme logique. Automatisme, Tome XXIII; n° 3-4; pp. 66-83. ADEPA. (1979). Le GRAFCET, diagramme fonctionnel des automatismes séquentiels. Paris, éditions ADEPA. Agostinelli S. (1994). La régulation interactive dans un environnement d’apprentissage informatisé : une expérience en physique. 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INDEX DES TABLEAUX Tableau 1 : Tableau 2 : Efficacité des modalités d'apprentissage ..................................... 16 Niveaux de résolution retenus par les groupes selon les modalités adoptées ...................................................................... 21 Tableau 3 : Répartition des entreprises selon leur taille et leur secteur d'activité ....................................................................................... 30 Tableau 4 : Prise en compte des différentes étapes par les entreprises ......... 32 Tableau 5 : Outils utilisés ................................................................................ 34 Tableau 6 : Structuration du classeur de technologie des élèves ................... 38 Tableau 7 : Répartition des effectifs d’enseignants en fonction du nombre de séances qu’ils consacrent à chacune des étapes de la DPI ...................................................................................... 39 Tableau 8 : Modalités d’organisation pédagogique à chaque étape de la démarche de projet industriel ....................................................... 42 Tableau 9 : Croisement du choix de la modalité avec le nombre de séances consacré à chaque étapes en %.................................... 43 Tableau 10 : Buts réels des tâches selon les étapes de la démarche de projet industriel ............................................................................. 47 2. INDEX DES SCHÉMAS Schéma 1 : Schéma 2 : Schéma 3 : Schéma 4 : Décomposition en dix étapes du processus de mise sur le marché d'un nouveau produit industriel ....................................... 29 Variation de processus lors du passage de l'œuvre au produit (d'après Y. Deforge, 1995) ............................................... 70 Développement des ressources technologiques (d’après Blandow, 1992) ............................................................................ 92 Processus d'élaboration des savoirs .......................................... 103 — Page 154 —