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Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques

S. Van Hollebeke, M. Berger, L. Carlier, 2021, "Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques", Les politiques sociales, p.4-26.

Les auteurs rassemblés dans le présent dossier se proposent de considérer, décrire et interpréter les troubles et les affects liés à la rencontre, l’interaction ou la communication dans divers types d’espaces publics avec des sujets perçus comme « indésirables ». En se focalisant abstraitement sur les valeurs d’accessibilité, d’inclusion ou de dialogue associées à l’espace public, la philosophie politique et la théorie urbaine évitent souvent la négativité inhérente à la confrontation concrète avec certains « autres » en milieu urbain, et laissent de côté des affects et des émotions tabous, tels que le sentiment d’envahissement ou d’intrusion, l’agacement, le dégoût et autres réactions aversives. Que ce soit du point de vue de ceux qui vivent et subissent la qualification d’indésirable ou du point de vue du sujet qui porte le jugement d’indésirabilité et se trouve éprouvé par la présence de l’autre, les auteurs de ce dossier décrivent et analysent différents types de rencontres dans des espaces de coprésence (parcs, rues, cafés, librairie) ou de discussion (assemblée de quartier, groupe de dialogue pour patients). D’une contribution à l’autre, la focale de l’analyse se déplace entre la dynamique des interactions, le rôle des institutions et la portée politique de ces rencontres.

Les politiques sociales 1 & 2 / 2021 Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques Sarah Van Hollebeke * Mathieu Berger ** Louise Carlier *** * Doctorante en sociologie à l’UCLouvain (CriDIS, groupe de recherchevMetrolab) et en urbanisme à l’ENSAGrenoble (UMR AAUCRESSON) ** Professeur de sociologie à l’UCLouvain *** Chercheuse postdoctorale à l’UCLouvain (CriDIS/Metrolab) et chargée de cours invitée à l’ULB 1. Introduction La problématique des indésirables a souvent été traitée ces dernières années dans l’espace public médiatique et politique à travers le traitement des « nouvelles » questions sociales : la question de l’accueil des migrants, réfugiés, demandeurs d’asile, la « question rom », ou plus généralement la régulation de la pauvreté visible (sansabrisme, drogue) et entreprenante (mendicité, prostitution) (1). D’un côté, l’indésirable est vu comme celui qui menace la stabilité des fondements de la société depuis l’extérieur (2) ; de l’autre, il renvoie à l’image d’un ennemi intérieur, source d’inquiétude pour les élites et les groupes dominants. Si plusieurs études ont abordé la « fabrique des indésirables » (Agier, 2008 ; 2014 ; 2017), elles se sont focalisées sur l’« exclusion politique » de la figure de l’errant, du paria, du métèque, et ont exploré principalement les espaces cloisonnés dans lesquels ces différentes catégories d’indésirable sont reléguées, expulsées et mises à distance physiquement, comme les camps de transit ou les centres de détention (Berger & Carlier, 2016). Les politiques publiques mises en place pour intégrer, réguler ou empêcher ces présences sur le territoire sont souvent au cœur de telles approches mobilisées essentiellement 4 Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques dans le champ des études migratoires (Estebanez & Raad, 2016). L’indésirabilité ne touche pourtant pas uniquement le nouveau venu ou l’étranger qui se tient clairement au dehors de la communauté (que cette communauté soit nationale ou plus locale) ; elle concerne aussi d’autres figures qui évoluent en son sein en tant que membres problématiques. Ce numéro entend apporter une contribution modeste à la discussion en éclairant une dimension encore peu documentée dans l’analyse du traitement des indésirables. En effet, il nous semble que la question de l’intrusion du malvenu ne se place pas qu’à un niveau géopolitique, institutionnel-légal ou symbolique, mais bien aussi sur le plan d’une expérience ordinaire de l’altérité, dans ses dimensions incarnées, sensibles, phénoménologiques. L’indésirabilité se manifeste en effet aussi, à chacun de nous, dans des situations d’interaction quotidiennes, au sein d’espaces publics, et par rapport à des figures moins médiatisées et établies dans l’imaginaire public que celles du migrant sans abri, du demandeur d’asile désœuvré, du sans domicile fixe, du mendiant, du Rom. À partir de ces figures de l’indésirabilité étudiées dans quatre continents (Asie, Europe, Amérique du Nord et Afrique du Nord), les articles du présent dossier partagent une conceptualisation pluraliste de l’indésirable, sensible aux situations. Cette approche entend prolonger celle de Joan Stavo-Debauge (2009 ; 2017) qui, pour mettre au point une sociologie des « tensions de l’hospitalité et de l’appartenance », a enquêté dans différentes communautés sur l’« accueil du nouveau venu » et sur le « traitement des différences de l’étranger », en considérant les épreuves que son intégration à la communauté engage. Cette perspective de l’hospitalité s’applique à l’analyse des troubles naissant autour d’une figure d’étranger qui ne se limite aucunement à la personne de passage, mais concerne autant celle qui, déjà là, est susceptible de rester. Dans les situations qui nous occupent, l’indésirable se caractérise plutôt comme celui dont la présence au sein de la communauté est à la fois avérée et problématique, et face auquel continue de se poser la question de l’hospitalité d’espaces publics organisés par des principes d’ouverture autant que de clôture (Stavo-Debauge, 2010 ; Berger & Charles, 2014). L’expérience et l’observation de telles situations amènent à reconsidérer à partir d’un réalisme ethnographique les qualités démocratiques attribuées aux espaces publics par la théorie urbaine et la théorie politique. Les textes du présent numéro cherchent à 5 Les politiques sociales 1 & 2 / 2021 considérer, décrire et interpréter les troubles et les affects liés, dans divers types d’espaces publics, à la rencontre, l’interaction ou la simple coprésence avec des individus ou groupes perçus comme indésirables, dont les modes de présence ou d’engagement montrent un désajustement dans les manières de se comporter en public (Goffman, 2013 [1963]) et génèrent une « expérience négative » (Goffman, 1991). L’idéal démocratique, qui confère à ces espaces des qualités d’accueil, de réception et d’inclusion de tous les publics, est rudement mis à l’épreuve de l’indésirabilité de l’autre comme expérience sensible qui s’impose d’abord aux personnes dans sa négativité ; cela même si ce moment négatif peut être dépassé par un effort de réceptivité, de réflexivité et de concernement citoyen (Bidet et al, 2015). Tant les espaces publics de coprésence urbaine que les espaces publics de participation politique (3) sont souvent pensés comme à priori accessibles et hospitaliers à la présence et à l’engagement du tout-venant, et comme espaces de délibération et de définition collective des valeurs morales et politiques. La majorité des théories normatives de l’espace public, peu soucieuses d’observer et de décrire celui-ci « tel qu’il a lieu » (Berger, 2016) – focalisées qu’elles sont sur une idéalisation abstraite de la publicité comme principe de démocratie –, ignorent complètement le « travail » (antidémocratique) de la négativité inhérente à la confrontation concrète et sensible avec certains « autres » en milieu urbain. Ces théories normatives laissent de côté des affects – aussi indicibles que bien réels – tels que les sentiments de gêne, d’envahissement, d’intrusion ou de répulsion, qui sont en revanche pris en compte par des approches descriptives (phénoménologiques, pragmatistes, interactionnistes…) centrées sur les affects et expériences que peut susciter une personne indésirable dans un espace public, et qui semblent aujourd’hui encore minoritaires. Les contributions réunies ici font état de situations qui se déroulent dans des espaces présentés comme ouverts et inclusifs, mais dans lesquels émergent des attitudes et des comportements inhospitaliers, discriminants ou ouvertement hostiles à l’égard de présences ou de conduites spécifiques qui dans certains cas inquiètent, et dans d’autres cas irritent ou dérangent. Des présences et des conduites qui, dans tous les cas, ne sont pas « désirées » – ou plutôt viennent contrarier les attentes, appétences ou « désirs » des citadins de référence, majoritaires, suivant les principes et les règles de l’ordre public – et deviennent par là même le thème d’une expérience négative collective 6 Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques pour la communauté située des normés / normaux. Les troubles, embarras, irritations ou exaspérations engendrés par ces « confrontations avec l’importun » (Joseph, 1995, 21) dans les espaces publics urbains, ou par ces « coopér[ations] avec le ravageur » (Joseph, 1996, 16) dans les espaces publics de discussion, représentent l’objet central du présent dossier. 2. Les espaces publics urbains et leurs indésirables dans la sociologie urbaine Dans son étude de référence, The Social Life of Small Urban Spaces, William H. Whyte (1980) consacrait un chapitre entier à la question des « undesirables » et de leur traitement dans les places et parcs situés au pied d’immeubles d’entreprises du centre d’affaires de New York. Il note que les indésirables, aux yeux des hommes d’affaires, commerçants et autres usagers – clients ou consommateurs – ne sont pas tant les agresseurs ou les dealeurs de drogue, mais les ivrognes (« winos ») et les désœuvrés. C’est-à-dire souvent les plus inoffensifs des marginaux, mais qui symbolisent et représentent ce que tout un chacun pourrait devenir à la suite d’événements malheureux (Whyte, 1980, 60). Il ajoute à la liste les hippies, les groupes d’adolescents, musiciens de rue ou vendeurs de rue qui, par leur présence, testent la capacité d’accueil de ces places et la tolérance à leur égard (4). En France, la sociologie urbaine développée par Isaac Joseph, puis par ses proches et adeptes (Cefaï & Saturno, 2007 ; Cefaï, 2013 ; StavoDebauge, 2003 ; Breviglieri & Stavo-Debauge, 2007 ; Tonnelat, 2016) s’est intéressée de près à la question des espaces publics urbains, que Joseph caractérise d’abord par leur accessibilité, gage de leur publicité et de leur hospitalité à une pluralité d’usages et d’usagers. Leur qualité publique engage une liberté de circuler et un « droit de visite universel » (Joseph, 1995, 21), reconnu au tout-venant. L’espace public se définit comme un espace qui « peut tolérer un intrus » (Joseph, 2007, p. 221) ; ce droit à l’intrusion en est même la condition. Pour cet auteur, qui s’est inspiré d’Erving Goffman et a fait connaître ses travaux dans la recherche urbaine française, ces espaces sont régis par des « normes de comportement », autant d’attentes pesant sur l’individu qui s’engage dans l’espace public en question – comme par exemple « l’indifférence civile », garante de la tolérance de l’autre par la préservation de sa « face ». Dans une veine similaire, l’américaine Lynn Lofland (1998) conceptualise les espaces publics à partir du type d’interactions qu’ils accueillent : les relations entre individus mutuellement étrangers, et des 7 Les politiques sociales 1 & 2 / 2021 interactions propres à un « domaine public » distinct du « domaine privé », mais aussi du « domaine communautaire, de proximité » (parochial realm). Les sociologies des espaces publics urbains élaborées par Isaac Joseph et par Lynn Lofland ont pour point commun de puiser dans un triple héritage : la micro-analyse de l’ordre public d’Erving Goffman, bien sûr ; mais aussi les travaux du philosophe et sociologue allemand Georg Simmel relatifs à l’espace et à l’état d’esprit métropolitain ; enfin, les auteurs de l’École de Chicago des années 1920-1930 et leur sociologie entendue comme « écologie humaine ». Dans l’essai Die Großstädte und das Geistesleben (traduit par « Métropoles et mentalité »), l’un des tout premiers textes de sociologie urbaine, Simmel (2004a [1903]) s’attache à définir certains traits caractéristiques du « psychisme » du citadin : il conçoit sa « mentalité » à partir de l’« attitude blasée » – comprise comme indifférence à l’égard des différences – et de la « réserve » dans les interactions urbaines entre inconnus. Cette attitude générique s’y conçoit comme une accommodation à l’environnement de la ville, saturé de signes et d’excitations, en particulier de contrastes, de brusques écarts, de différences exacerbées face auxquelles le citadin bénéficie d’un « droit à la méfiance » (ibid., 68). S’inspirant des écrits de Georg Simmel, les sociologues de Chicago – en particulier Louis Wirth et Robert E. Park – vont considérer l’urbanité à partir d’une sociabilité de la réserve et des liens faibles, propre aux relations secondaires entre anonymes, fondées sur la superficialité et la fugacité des rapports. Ces auteurs ont mis en lumière l’importance de l’expérience de l’altérité, de la coprésence entre étrangers en ville, dans la formation des valeurs morales et politiques de la société américaine (Gayet-Viaud, Bidet & Le Méner, 2019). Goffman affinera ensuite ce principe d’indifférence dans sa microsociologie des relations en public (2013 [1963] ; 1973 [1970]). S’inscrivant dans ce triple héritage, les sociologies interactionnistes de l’espace public urbain portées par Joseph ou Lofland articulent trois éléments : une qualité spatiale (l’accessibilité) ; un principe normatif (l’indifférence polie) ; et une figure de citadin (le tout-venant ou l’étranger). Ce sont précisément ces trois dimensions de l’espace public qui se trouvent ébranlées dans les situations de coprésence ou de coexistence avec l’indésirable. L’indésirable est en effet celui par lequel le « droit de visite » est remis en question ; vis-à-vis duquel le principe 8 Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques d’indifférence peut être suspendu pour laisser s’exprimer la désapprobation, le mépris ou l’aversion ; et à travers lequel la figure de l’inconnu ou de l’étranger ne se laisse plus réduire à celle du « toutvenant ». L’expérience de l’indésirabilité vient également remettre en question la qualité d’accessibilité qui fonde les espaces publics urbains et qui garantirait à priori leur ouverture et leur capacité d’inclusion à l’égard de tout un chacun – et à fortiori de l’intrus. Dans son étude, W.H. Whyte (1980) observe les différentes mesures défensives prises sur le plan urbanistique pour préserver les espaces publics de présences qui dérangent, en réduisant par la même occasion leur qualité d’accessibilité. Dans une veine similaire, Lofland (1998) s’intéresse aux barrières et techniques architecturales, juridiques et sociales permettant de filtrer les indésirables et de garantir l’inaccessibilité de certains espaces à leur égard. Don Mitchell montre de son côté comment, au cœur des villes américaines, l’expérience de l’indésirabilité des sans-abri peut se prolonger – si elle n’est pas contrôlée par les défenseurs des SDF et de leurs droits – dans une « annihilation » des espaces d’hospitalité et de sécurité pour les homeless, et aller ainsi vers une destruction progressive de la « publicité » de la ville (2003). L’entrave à l’accessibilité d’un espace peut également être envisagée du point de vue de ceux qui perçoivent un individu ou un groupe comme indésirable, en raison notamment des manières spécifiques qu’il a d’occuper l’espace qui entreraient en tension avec des attentes d’interaction, suivant un principe de circulation généralisée des citadins participant à l’espace public – citadins coordonnés les uns aux autres en tant qu’« unités de locomotion » (Goffman, 1973). Ce pourrait être le cas, par exemple, d’individus qui flânent, stagnent, voire s’approprient un lieu dans un espace principalement dédié au passage (comme un hall de gare ou les plazas étudiées par Whyte) ou au commerce (une librairie, un café, un centre commercial ou encore le marché) (5). Ces situations invitent à considérer qu’un espace public peut être approché comme un espace où coexistent dans une forte proximité spatiale des publics distants socialement, ayant des conceptions et des modes d’occupation de l’espace multiples, concurrents et parfois incompatibles (6). Ces espaces publics ne sont pas tant des lieux de « consensus délibératif que [...] de compétition pour l’occupation de territoires, allant des reproches de l’ordre de l’irritation ou de 9 Les politiques sociales 1 & 2 / 2021 l’agacement aux controverses autour de frontières et d’usages » (Joseph, 2007, 24-25). Dans la lignée de l’écologie humaine sensible aux rapports d’envahissement ou d’« invasion » (un concept clé, bien que controversé, de la sociologie de Chicago), de compétition, de conflits autant que d’accommodation entre les groupes cohabitant au sein d’un même territoire, l’espace comme lieu d’expérience de l’altérité peut être l’objet d’une tension entre une diversité de mondes sociaux (Piette, 1990 ; Cefaï 2015 ; Berger & Van Hollebeke, 2017 ; Carlier 2018). 3. L’expérience ordinaire de l’altérité citadine, entre indifférence et répulsion Certains éléments des approches de Simmel et des auteurs de l’écologie humaine de Chicago ont été laissés de côté par leurs héritiers dans leur conceptualisation des espaces publics urbains. En effet, Simmel (2004a [1903]), dans son essai sur l’expérience sensible de la grande ville, considérait le caractère fonctionnel et la banalité de la répulsion autant que de l’indifférence (celle-ci étant d’ailleurs nous semble-t-il le plus souvent feinte), et s’intéressait à la part d’aversion inhérente aux relations urbaines. Les sociologues de Chicago, quant à eux, portaient une attention spécifique à la façon dont la répulsion et les attitudes de rejet en découlant déterminaient la place des « indésirables » dans l’organisation écologique de la ville. Ces dimensions peu glorieuses du comportement citadin ont ensuite été mises de côté dans les prolongements donnés à ces deux perspectives en sociologie urbaine (Carlier, 2020) ; ils offrent pourtant quelques prises pour l’ébauche d’une approche sociologique de l’indésirabilité dans les espaces publics. Revenons d’abord à Simmel. Dans son texte classique (2004a), il envisage l’attitude blasée ou l’indifférence comme étant nécessaire à la « conservation de soi » et permettant de « s’arranger de cette forme d’existence » qu’est la vie métropolitaine. De cette attitude blasée et de cette indifférence, la sociologie urbaine fera ensuite grand cas, tout en omettant cependant une composante de répulsion : « Cette réserve n’est pas seulement de l’indifférence, mais plus souvent que nous n’en avons conscience, une légère aversion, une mutuelle étrangeté et une répulsion partagée qui, dans l’instant d’un contact rapproché, quelle que soit la manière dont il a été provoqué, tournerait aussitôt en haine et en conflit. Toute l’organisation intérieure de cette vie repose sur une 10 Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques gradation extrêmement variée de sympathies, d’indifférences et d’aversions de l’espèce la plus brève et de l’espèce la plus durable » (ibid., 2004a, p. 68). Ainsi, la plupart du temps, cette indifférence n’est que feinte et imprégnée d’affects comme l’hostilité, l’antipathie ou l’aversion. Dans d’autres écrits, relatifs à la sociologie de l’espace, Simmel s’intéresse aux formes spatiales qui découlent de ces sentiments de répulsion et qui les matérialisent, tels la frontière et les processus de délimitation déterminant les places de chacun et produisant les distances qui rendent possible la coexistence entre différents éléments. L’attraction et la répulsion représentent des pulsions socialement productives, déterminantes pour les processus de distanciation et de rapprochement à l’œuvre dans les espaces urbains. Dans « Disgressions sur l’étranger », le penseur allemand (2004b [1908]) analyse ces « éléments de distanciation et de répulsion dans la relation avec l’étranger » comme un modèle d’interaction en propre. De cette perspective se dégage un élément susceptible de contribuer à la problématique de l’indésirabilité : les attitudes de répulsion face à des « types d’étrangeté » participent à la configuration des espaces. C’est justement ce lien entre les affects, des figures de l’étrangeté et l’organisation de l’espace qui sera au cœur de la perspective écologique et de son approche de l’indésirabilité. La « désirabilité » et « l’indésirabilité » apparaissent dans de nombreux écrits des Chicagoans, pour qualifier tant des espaces que ceux qui y résident et les marquent de leur présence. Homer Hoyt (1933), dans son travail consacré à l’évolution des valeurs foncières à Chicago, distingue les quartiers selon leur « degré de désirabilité ». Les espaces de plus grande valeur sont ces « aires protégées de l’intrusion d’éléments indésirables » (ibid., p. 304), étant donné « l’aversion des personnes plus élevées dans l’ordre social à vivre à proximité de celles-ci » (ibid., p. 314) ; et les « aires indésirables » sont celles habitées par les groupes « raciaux (7) et nationaux » au statut économique inférieur. Comme le montrent les ethnographies de Zorbaugh (1929) et de Wirth (1929), les populations catégorisées comme indésirables ont pour zones de retranchement les slums, seules aires de la ville accessibles et tolérantes à leur égard. L’indésirabilité renvoie avant tout à la répulsion et à l’hostilité éprouvée à l’égard de figures d’étranger spécifiques qui, loin d’être « sans visage », portent « le masque racial » (Park, 1924). La visibilité de la différence engendre toute une série de préjugés raciaux, qui euxmêmes nourrissent différents processus d’exclusion sociale et spatiale (Anderson, 2011). L’hostilité raciale se prolonge dans l’absence de 11 Les politiques sociales 1 & 2 / 2021 reconnaissance d’un « droit de visite » au sein des espaces publics et dans différentes limitations à la « liberté d’aller et venir ». Des processus de boundary making, de filtrage et de sélection se jouent à l’échelle du quartier – pour empêcher certaines formes de cohabitation – et à l’échelle de l’espace public – pour limiter les situations de coprésence (Carlier, 2021) ou les implications de la coprésence en termes d’expérience partagée (Berger, 2021). 4. L’espace public de discussion et ses indésirables De leur côté, les travaux de philosophie politique ont souvent approché l’espace public dans la définition qu’en a donnée Jürgen Habermas (2010 [1962]), en tant qu’idéalisation d’une pratique politique basée sur la discussion ouverte entre citoyens égaux dont il trouvait les potentialités dans l’émergence, aux XVIIe et XVIIIe siècles, d’une sphère publique bourgeoise, autour des salons littéraires et des cafés (8). Depuis la parution de cet ouvrage classique, nombre de commentaires philosophiques et d’enquêtes empiriques / ethnographiques ont mis en question cette définition, appelant à une théorie normative plus réaliste (à fortiori si cette dernière se revendique du pragmatisme, comme c’est le cas d’Habermas). Parmi la grande variété de ces critiques, des pistes ont été proposées pour une critique reconstructrice de l’espace public habermassien, enrichie par les apports du pragmatisme (entre autres : Quéré, 1982, 1992 et 2003 ; Ferry, 1991 et 2007 ; Cefaï, 2002). Celle que nous avons esquissée à la suite de ces auteurs, en proposant de remplacer la question de l’agir communicationnel (Habermas, 1987) par celle de l’expérience communicationnelle, insiste sur deux points. Premièrement, la dimension esthétique de la communication (Parret, 1999), qui suppose de considérer à la fois la pluralité des régimes de signes engagés (signes non verbaux, non propositionnels, voire non symboliques) et les aspects de réception et de pâtir complétant le pôle de la locution et de l’agir sur lequel se focalise Habermas (Berger, 2017). Deuxièmement, l’organisation topologico-écologique de l’espace public démocratique (Berger & Charles, 2014 ; Berger, 2016 et 2018 ; Van Hollebeke, 2021) – qui est en effet en même temps un espace topologique à la fois circonscrit (vis-à-vis de l’extérieur) et différencié (en son sein), et un espace écologique constitué comme un milieu. C’est avec ce milieu de communication, dans sa totalité, que le participant, celui ou celle qui entend prendre part, interagit, entre en transaction. Le 12 Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques milieu réagit à l’insertion de nouveaux venus de différentes manières, et l’indésirable en démocratie est ce participant auquel le milieu de communication que représente l’espace public se ferme de manière compulsive ou phobique (Berger, 2015), en tant que communauté esthétiquement affectée par sa présence et ses engagements. D’autres auteurs n’ont évidemment pas attendu ces développements pour parler des « frontières de l’espace public » (Beaud, 1987), rendre compte d’un « Cens caché » – voire d’une « ségrégation politique » dans les pratiques démocratiques (Gaxie, 1978) ; et le problème de la clôture des processus de participation et des dynamiques d’exclusion qui leur sont inhérentes est au fondement du champ des participation studies dès le départ (Arnstein, 1969). Sensibilisée par les enquêtes de Daniel Gaxie, une sociologie bourdieusienne de la démocratie participative s’est focalisée sur les phénomènes de domination à l’œuvre dans la communication orale (Bourdieu, 1982), et sur la condition d’« exclus de l’intérieur » – pour reprendre une formule de Bourdieu et Champagne (1992) – de ces participants aux habitus mal ajustés au champ de la politique délibérative. Dans une optique différente, l’ethnographie interactionniste a décrit en détail les façons dont les espaces de participation se ferment à ceux qui ne suivent pas les codes, normes, rôles attendus, maîtrisent insuffisamment les grammaires interactionnelle et délibérative activées dans ces situations (Futrell, 1999 ; Cefaï & Lafaye, 2001 ; Berger, 2012) – tout en révélant les « ajustements secondaires » trouvés par ces participants pris en défaut par l’institution (Berger, 2008 et 2011). Ces deux ensembles de travaux ont montré des mérites et des limites symétriques. D’un côté, une sociologie de la participation d’inspiration bourdieusienne ne nous montre pas – et n’est pas outillée pour penser – des situations dans lesquelles des assemblées ont de bonnes raisons (des raisons défendables par le sociologue) de se fermer à certains types de participants, d’engagements, de propos. D’un autre côté, dans son examen des « engagements impropres », la microanalyse goffmanienne répond à une sociologie déresponsabilisante par une sociologie sans doute excessivement responsabilisante. L’infélicité des prises de parole, et plus largement l’échec de la participation, y étant considérés dans les termes de l’incompétence et de l’incapacité des participants, ceux qui se trouvent pris en défaut par le dispositif de participation peuvent rapidement être présentés comme des faulty persons (Goffman, 1993 [1953]). La 13 Les politiques sociales 1 & 2 / 2021 question de la clôture de l’espace public et l’étude des processus d’exclusion dans la participation démocratique appellent alors une approche renouvelée qui, tout en conservant notamment l’exigence critique d’un Bourdieu et le réalisme descriptif d’un Goffman, suivrait plutôt l’épistémologie pragmatiste de John Dewey, George H. Mead et Charles S. Peirce. Car c’est finalement à un élargissement du concept d’interaction (et de l’approche interactionniste) qu’invite, en particulier, l’oeuvre de John Dewey : c’est dans l’interaction ou la transaction entre le citoyen qui s’avance et le milieu public qui le reçoit que se joue, constamment, l’expérience démocratique, comme « épreuve de venue et de réception », engageant tant la recevabilité des engagements du premier que la réceptivité du second (Berger, 2018). Parce qu’elle trouve son point de référence du côté du perturbé plutôt que de celui du perturbateur, la figure de l’indésirable est un analyseur de l’espace de participation, comme milieu-hôte ou communauté située, dont les « désirs » – ou disons les appétences partagées – sont contrariées par quelqu’un ou quelque chose, ou quelque chose chez quelqu’un. Parler d’appétence (plutôt que simplement d’attente) d’interaction, souligne la dimension sensible, affective, c’est-à-dire esthétique, du jugement de validation ou d’invalidation portant sur l’engagement d’un participant. Si la question du participant indésirable nous renseigne sur une pathologie de l’espace public, ce serait sans doute celle de l’irréceptivité irritée et irréfléchie d’un milieu de communication en principe « ouvert à tous » vis-à-vis de présences, de corps, d’attitudes, d’expressions, de voix, de topiques ou de styles oratoires qui produisent, au cœur du rassemblement, un dérangement esthétique non élucidé. Non problématisé, faussement ignoré, le trouble causé grandit sans être pris en charge, et encore moins résolu. Ces dynamiques, où prévalent perturbations esthétiques et affects négatifs et par lesquelles un milieu de communication « se ferme » de façon compulsive ou phobique, n’honorent évidemment pas des processus participatifs conçus et présentés selon les principes d’accessibilité et de tolérance de l’espace public libéral – et elles peuvent même sembler difficilement acceptables par eux. Ces dynamiques sont pourtant inhérentes au fonctionnement de la démocratie participative telle qu’elle existe. La figure du participant indésirable impose à une théorie normative de la démocratie fondée 14 Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques sur la communication dans l’espace public de comprendre cette dernière non comme un agir, mais plus globalement comme une expérience, ce qui suppose de composer également avec sa face de pâtir et de négativité. 5. Enquêter sur l’indésirable : interactions, institutions, politiques Qu’ils s’intéressent aux espaces publics urbains de coprésence ou aux espaces publics démocratiques de discussion, les articles de ce numéro insistent chacun, sans que cela soit exclusif, sur l’une des trois dimensions suivantes : le niveau des interactions à partir duquel l’indésirable est perçu, appréhendé, « modéré » ou « contenu » en situation, et à partir duquel la personne identifiée comme indésirable « gère » elle-même sa condition (9) ; les institutions et dispositifs intervenant dans sa désignation et/ou dans sa prise en charge ; et enfin la portée politique de ces rencontres. L’article de Robin Wagner-Pacifici a un statut introductif au problème général traité dans ce numéro. Interrogeant la conceptualisation habermassienne de l’espace de la coffee house dans la société anglaise au tournant du XVIIIe siècle pour analyser la nature et discuter le rôle d’inclusion des cafés contemporains (l’enseigne globale Starbucks en particulier) dans les villes américaines, la sociologue de la New School for Social Research articule dans ce texte inédit ces trois dimensions de l’interaction, de l’institution et du politique. Elle revient sur un incident de discrimination raciale survenu en 2018 dans un Starbucks de Philadelphie, et documente cette interaction en resituant ses observations dans l’histoire urbaine d’un quartier (Rittenhouse Square) et l’histoire des héritages sociaux et culturels du racisme et du capitalisme aux États-Unis. Elle montre que les obligations et charges du capitalisme (la nécessité de consommer, de travailler, d’éviter l’oisiveté) pour entrer et rester dans ces espaces supposés ouverts à tous, pèsent différemment sur les visiteurs selon qu’ils sont reconnus comme clients ou comme potentiels « traînards » (à partir d’indices de leur condition sociale et économique, mais aussi selon leur couleur de peau). L’article présente le tiers-lieu capitaliste comme un espace particulièrement ambigu, distinct du café habermassien et de sa prétendue atmosphère de civilité, d’ouverture démocratique et d’accessibilité universelle ; un espace qui malgré lui, à travers des incidents comme celui-ci, est devenu aux USA une scène publique de mobilisation et de débat autour de ces questions. 15 Les politiques sociales 1 & 2 / 2021 Les articles de Lisa Richaud et de Mathieu Berger s’inscrivent dans une approche resserrée sur les situations et les interactions. Ils questionnent le processus de perception de l’indésirable et les effets interactionnels de sa venue au sein de rassemblements. L’article de Lisa Richaud met en avant la dimension productive de l’indésirabilité en analysant les rapports entre anonymes dans l’espace de lecture d’une librairie de Shanghai, mis à la disposition des usagers indépendamment de leur qualité de consommateur et sans que la durée de leur présence ne soit soumise à restriction. Ensuite, partant de la description de l’infélicité flagrante de l’intervention d’un citoyen dans une assemblée civique à Los Angeles, pour remonter aux phases antérieures de l’interaction et analyser le sentiment de bizarrerie né de la perception des faits et gestes de ce participant depuis son arrivée dans la salle, la contribution de Mathieu Berger détaille l’agencement et l’enchaînement de signes (sémiose) qui jouent dans le processus d’identification du « malvenu » et déclenchent le malaise chez celui qui les perçoit, préparant une attitude de rejet. Elle montre que le seul stigmate de l’identité sociale et ethnique ne suffit pas pour comprendre l’indésirabilité d’une personne et les « affects particuliers » qu’elle génère chez les autres. Ces deux articles, plutôt que de se focaliser sur une personne ou sur son comportement transgressif, montrent l’indésirabilité comme une « expérience négative » de venue et de réception, qui désorganise l’ordre interactionnel local réglant les relations en public autant qu’elle réorganise les possibilités d’engagements entre inconnus. Oscillant entre interactionnisme goffmanien, analyse des variations atmosphériques et pragmatique des signes, ces contributions mettent en évidence les affects et émotions qui affleurent face aux engagements interactionnels incongrus ou malvenus, et leurs conséquences pratiques : notamment, d’obnubilation de l’attention par un détail expressif, et d’inhibition de la réflexion éthique ou du souci démocratique. Ces deux textes montrent en effet la faiblesse des réactions qu’induisent ces présences : dans les deux cas, rien n’est entrepris en pratique en réponse à ces troubles. Les articles suivants s’intéressent à la prise en charge de l’indésirable par des institutions et des politiques visant à contenir les troubles. D’abord, Lionel Francou questionne, à partir d’un terrain bruxellois, la pratique d’identification et de traitement des indésirables 16 Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques dans les espaces publics urbains par des agents de prévention appelés, en Belgique, « gardiens de la paix ». Cette contribution décrit comment ces professionnels, formés pour « policer » les espaces publics urbains et gérer l’ordre public (Berger & Francou, 2015), parviennent à identifier les situations problématiques et les usages indésirés des espaces qu’ils parcourent durant des rondes de quartier, pour ensuite relayer leurs observations vers les services compétents lorsqu’ils jugent qu’une prise en charge institutionnelle ou policière est nécessaire. L’article montre qu’ils remplissent un rôle paradoxal qui revient à la fois à repérer le trouble en se montrant attentif à sa survenue, et à prévenir et réprimer son apparition en se rendant visible en rue. Il montre que si ce travail de repérage et de traitement du trouble s’appuie sur des signes d’une rupture des « apparences normales » (Goffman, 1973) perçus en situation, certains présupposés interviennent également dans les opérations de catégorisation et conduisent à une focalisation sur des figures-types d’indésirables, indépendamment de leurs actes. Dans la même veine, Antoine Printz interroge ce difficile travail d’interprétation et de détermination des possibilités de réaction face aux troubles interactionnels, à travers l’analyse de la manifestation de la folie en rue et le processus de signalement par des passants n’ayant d’autre lien avec la personne que celui d’une rencontre aussi troublante que fortuite. En amont du geste de signalement, les contributions de Francou et Printz montrent aussi l’indifférence ou les attitudes de réserve qu’induit – chez des professionnels ou de simples citadins – la rencontre de ces marginaux, dans la mesure où ils sont jugés inoffensifs et irresponsables du trouble que leur présence génère. Printz interroge le processus qui conduit à sortir de cette posture de réserve et à juger opportun d’intervenir dans le sens d’une prise en charge institutionnelle ou policière de la personne montrant, dans des situations publiques, d’apparents symptômes de troubles mentaux. Tout comme l’article d’Antoine Printz, celui de Simon Lemaire interroge la question du soin et de la protection de personnes souffrant d’une maladie mentale, dans un contexte de désinstitutionnalisation psychiatrique. Ces auteurs insistent tous deux sur les attentes importantes, en matière de « capacité de prise en charge » de la maladie, placées sur l’environnement social du patient ; et cela que cet environnement soit constitué de passants inconnus (dans le cas des rencontres en rue) ou marqué par une forte familiarité (dans le cas des 17 Les politiques sociales 1 & 2 / 2021 aidants proches de patients souffrant d’Alzheimer suivis par Simon Lemaire). Dans ces deux contributions, la présence des personnes souffrant de troubles mentaux constitue une « épreuve d’hospitalité » pour les espaces dans lesquels ils sont reçus, qui doivent pouvoir « encaisser » ces troubles (Stavo-Debauge, 2017). De manière spécifique, l’article de Simon Lemaire permet de prolonger l’analyse en décrivant, à partir de l’observation de groupes de parole, le travail de réception et d’accueil que les aidants proches et les soignants réservent au caractère imprévisible, surprenant ou incongru des interventions de la personne malade. Il interroge la façon dont ces « particularités communicationnelles », qui d’ordinaire souligneraient le déficit capacitaire et occasionneraient le discrédit du locuteur, sont ici récupérées et renégociées en situation pour faciliter la participation des personnes concernées à ces espaces de discussion et de « production de soi » (Lemaire, 2021). Ensuite, les contributions de Ghaliya Djelloul et Sarah Van Hollebeke s’attachent à étudier des figures paradoxales de l’indésirable, puisqu’elles concernent les femmes en ce qu’elles seraient à la fois objets d’attention, de désir et d’aversion. Ghaliya Djelloul, à partir d’une expérience en première personne des rapports de genre dans les quartiers périphériques d’Alger, propose d’éclairer les obstacles rencontrés pour accéder, en tant que femme, à l’espace extradomestique, et s’y mouvoir. Elle décrit les circonstances particulières dans lesquelles ces passantes jamais totalement légitimes peuvent déambuler dans certains lieux (comme des espaces marchands et des cérémonies festives) en restant attentives au trouble à l’ordre moral et religieux que la perception de leur corps peut susciter. Elle décrit la dynamique d’enserrement et de desserrement qui gouverne la mobilité des femmes, les faisant passer du statut d’intruse à celui d’invitée ou celui d’indésirable. À partir d’une enquête menée dans le quartier Alhambra à Bruxelles, l’article de Sarah Van Hollebeke questionne le trouble et les affects négatifs relatifs à la visibilité des situations d’interaction réelle et potentielle entre des prostituées et leurs clients dans la rue. L’article montre que l’anticipation de cette rencontre au coin de rue ou la perception de femmes en attente de clients déclenche, chez les passantes, un éventail de réactions affectives et de façons de se déplacer parfois ambivalentes : entre attraction, répulsion, évitement, 18 Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques anxiété, embarras et empathie. Les passantes suivies dans cette enquête tentent d’éviter ces situations embarrassantes et de contrôler l’image qu’elles-mêmes renvoient à des visiteurs extérieurs à ce quartier. Elles sont amenées à feindre une certaine « indifférence » (Stavo-Debauge, 2003) vis-à-vis de ces situations, malgré une attraction ou une aversion pour ces échanges. Ces contributions de Djelloul et Van Hollebeke, bien qu’elles concernent des contextes urbains très différents, permettent de préciser ce que signifie, pour une femme, séjourner dans les rues d’une grande ville. Dans les deux cas, leur présence et leur mobilité dans l’espace urbain doivent répondre à un engagement déterminé et lisible (Goffman, 2013 [1963]), voire à un « plan » (Thévenot, 2006). Attendre ou flâner dans ces rues sans hâte ni but apparent peut être interprété comme un signe de disponibilité, voire d’invitation à la rencontre à caractère sexuel, perçu comme une transgression de l’ordre moral. Pour éviter les jugements moraux péjoratifs à leur égard, ces femmes doivent dès lors anticiper les attentes d’interaction chez autrui (Tavory, 2011), maîtriser les inférences qui pourraient les concerner. Les derniers articles rassemblés dans ce numéro portent sur des figures particulières, peut-être contre-intuitives, de « professionnels indésirables ». Baptiste Veroone traite des dispositions et des techniques que les ambassadeurs d’ONG présents dans les espaces publics urbains utilisent pour déjouer, par anticipation, les réactions et affects négatifs qu’ils peuvent générer. À partir d’expériences vécues en première personne et d’une enquête ethnographique, l’auteur analyse cette figure d’indésirable ambivalente – étant donné le rôle bienfaiteur reconnu en principe à l’ambassadeur. À travers des formations qui préparent leur entrée sur le terrain, ces travailleurs en viennent à développer certaines habitudes et dispositions, ainsi que des règles de conduite ajustées à leur statut d’indésirable autant qu’à leur objectif de récolte de fonds. Grâce à elles, ils apprennent à surmonter le sentiment de constituer une « pollution urbaine » et à susciter la sympathie de certains passants à leur égard. Enfin, Maïlys Toussaint, en s’appuyant sur un récit de terrain restituant un moment d’échange entre l’ethnographe et une habitante d’un quartier de la Villeneuve à Grenoble, soulève les réactions ambivalentes que suscite cette figure de sociologue enquêteur, potentiel indésirable. Le contexte particulier de ce grand ensemble – entre problèmes sociaux, travaux de rénovation interminables, 19 Les politiques sociales 1 & 2 / 2021 médiatisation négative et enquêtes à répétition – influence chez les habitants une perception négative de cette présence enquêtrice, ressentie comme inquisitrice et qui, en tant que signe du trouble qui l’intéresse et la motive, contrarie les attentes de tranquillité des résidents et empêche, pour eux, de retrouver la stabilité d’une vie ordinaire (10). Bibliographie Agier, M. (2014). Un monde de camps. 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Notes (1) Selon la littérature scientifique, le terme est utilisé comme catégorie d’action publique dès le XXe siècle. S’il semble avoir aujourd’hui en partie disparu du vocabulaire politique, il continue toutefois d’imprégner les dispositifs d’action publique (Blanchard, 2013 ; Estebanez & Raad, 2016). Cf. article de la RTBF (29 avril 2015) : « SDF indésirables : le mobilier urbain rivalise d'imagination », URL : https://www.rtbf.be/info/ societe/detail_sdf-indesirables-le-mobilier-urbain-rivalise-d-imaginationphotos?id=8968643 ; article du journal Le Monde « Les Roms, indésirables en France et en Europe », URL : http://www.lemonde.fr/ societe/article/2008/07/31/les-roms-indesirables-en-france-et-eneurope_1079038_3224.html#4GMzKkZsbGigD2gz.99 ; voir aussi IEB, 2010, « Quand les espaces publics se défendent des indésirables », Bruxelles en mouvements, dossier n° 230. (2) Voir la définition d’ « indésirable » donnée dans le dictionnaire Larousse : « Personne que l’on ne désire pas accueillir dans un pays, une communauté, un groupe ». Voir aussi la définition du dictionnaire La langue française : 25 Les politiques sociales 1 & 2 / 2021 « Personne qu’on ne peut accepter sur le territoire national pour des raisons morales, politiques ou sociologiques ». (3) Ce rapprochement entre les deux acceptions du terme d’espace public a été justifié par Isaac Joseph dans son article « Reprendre la rue ». In Isaac Joseph, 1995, Prendre place. Espace public et culture dramatique. Condésur-Noireau : Éditions Recherches. (4) Pour une ethnographie des vendeurs de rue comme problème public à New York, voir : Duneier, 1999. (5) Voir sur ce point la contribution de Robin Wagner-Pacifici dans ce numéro, qui nous rappelle ici que, selon notre couleur de peau, nous ne sommes pas égaux devant la probabilité de nous retrouver, dans ces cas-là, catégorisés comme désœuvré (idler) ou traînard (loiterer). (6) Il y a un risque, cependant, à considérer trop rapidement des usages, des engagements ou des occupations comme « incompatibles ». Un constat d’incompatibilité résulterait d’une épreuve préalable de recherche de compatibilité, à travers laquelle les tensions et irritations générées par la pluralité et la concurrence des usages pourraient être dépassées – par l’accommodation, la discussion ou le conflit. Or les citadins ne consentent pas toujours, loin s’en faut, à de tels efforts. (7) L’auteur s’attache à montrer comment les préjugés raciaux ont des conséquences sur les valeurs foncières des terrains – une part considérable de la différence de valeurs foncières étant référée aux différences raciales de leurs habitants –, jusqu’à conceptualiser « the undesirable racial factor » (ibid. p. 317). (8) Voir l’article de Robin Wagner-Pacifici dans ce numéro. (9) Ces processus (gestion, modération, contention) renvoient évidemment au vocabulaire du management des interactions mis au point par Goffman. Voir en particulier sur ce point : Goffman, 1975 [1963], 1969 et 1989 [1953]. (10) Les coordinateurs de ce dossier remercient Ghaliya Djelloul pour ses idées et suggestions concernant la problématique d’ensemble, et Louise Carlier pour sa contribution à ce texte de présentation. 26