Les politiques sociales
1 & 2 / 2021
Les espaces publics et leurs
indésirables : interactions,
institutions, politiques
Sarah Van Hollebeke *
Mathieu Berger **
Louise Carlier ***
* Doctorante en sociologie à l’UCLouvain (CriDIS, groupe de
recherchevMetrolab) et en urbanisme à l’ENSAGrenoble (UMR AAUCRESSON)
** Professeur de sociologie à l’UCLouvain
*** Chercheuse postdoctorale à l’UCLouvain (CriDIS/Metrolab) et chargée
de cours invitée à l’ULB
1. Introduction
La problématique des indésirables a souvent été traitée ces
dernières années dans l’espace public médiatique et politique à travers
le traitement des « nouvelles » questions sociales : la question de
l’accueil des migrants, réfugiés, demandeurs d’asile, la « question
rom », ou plus généralement la régulation de la pauvreté visible (sansabrisme, drogue) et entreprenante (mendicité, prostitution) (1). D’un
côté, l’indésirable est vu comme celui qui menace la stabilité des
fondements de la société depuis l’extérieur (2) ; de l’autre, il renvoie à
l’image d’un ennemi intérieur, source d’inquiétude pour les élites et les
groupes dominants. Si plusieurs études ont abordé la « fabrique des
indésirables » (Agier, 2008 ; 2014 ; 2017), elles se sont focalisées sur
l’« exclusion politique » de la figure de l’errant, du paria, du métèque,
et ont exploré principalement les espaces cloisonnés dans lesquels ces
différentes catégories d’indésirable sont reléguées, expulsées et mises
à distance physiquement, comme les camps de transit ou les centres
de détention (Berger & Carlier, 2016). Les politiques publiques mises en
place pour intégrer, réguler ou empêcher ces présences sur le territoire
sont souvent au cœur de telles approches mobilisées essentiellement
4
Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques
dans le champ des études migratoires (Estebanez & Raad, 2016).
L’indésirabilité ne touche pourtant pas uniquement le nouveau venu ou
l’étranger qui se tient clairement au dehors de la communauté (que
cette communauté soit nationale ou plus locale) ; elle concerne aussi
d’autres figures qui évoluent en son sein en tant que membres
problématiques.
Ce numéro entend apporter une contribution modeste à la
discussion en éclairant une dimension encore peu documentée dans
l’analyse du traitement des indésirables. En effet, il nous semble que la
question de l’intrusion du malvenu ne se place pas qu’à un niveau
géopolitique, institutionnel-légal ou symbolique, mais bien aussi sur le
plan d’une expérience ordinaire de l’altérité, dans ses dimensions
incarnées, sensibles, phénoménologiques. L’indésirabilité se manifeste
en effet aussi, à chacun de nous, dans des situations d’interaction
quotidiennes, au sein d’espaces publics, et par rapport à des figures
moins médiatisées et établies dans l’imaginaire public que celles du
migrant sans abri, du demandeur d’asile désœuvré, du sans domicile
fixe, du mendiant, du Rom. À partir de ces figures de l’indésirabilité
étudiées dans quatre continents (Asie, Europe, Amérique du Nord et
Afrique du Nord), les articles du présent dossier partagent une
conceptualisation pluraliste de l’indésirable, sensible aux situations.
Cette approche entend prolonger celle de Joan Stavo-Debauge
(2009 ; 2017) qui, pour mettre au point une sociologie des « tensions de
l’hospitalité et de l’appartenance », a enquêté dans différentes
communautés sur l’« accueil du nouveau venu » et sur le « traitement
des différences de l’étranger », en considérant les épreuves que son
intégration à la communauté engage. Cette perspective de l’hospitalité
s’applique à l’analyse des troubles naissant autour d’une figure
d’étranger qui ne se limite aucunement à la personne de passage, mais
concerne autant celle qui, déjà là, est susceptible de rester.
Dans les situations qui nous occupent, l’indésirable se caractérise
plutôt comme celui dont la présence au sein de la communauté est à la
fois avérée et problématique, et face auquel continue de se poser la
question de l’hospitalité d’espaces publics organisés par des principes
d’ouverture autant que de clôture (Stavo-Debauge, 2010 ; Berger &
Charles, 2014).
L’expérience et l’observation de telles situations amènent à
reconsidérer à partir d’un réalisme ethnographique les qualités
démocratiques attribuées aux espaces publics par la théorie urbaine et
la théorie politique. Les textes du présent numéro cherchent à
5
Les politiques sociales
1 & 2 / 2021
considérer, décrire et interpréter les troubles et les affects liés, dans
divers types d’espaces publics, à la rencontre, l’interaction ou la simple
coprésence avec des individus ou groupes perçus comme indésirables,
dont les modes de présence ou d’engagement montrent un
désajustement dans les manières de se comporter en public (Goffman,
2013 [1963]) et génèrent une « expérience négative » (Goffman, 1991).
L’idéal démocratique, qui confère à ces espaces des qualités d’accueil,
de réception et d’inclusion de tous les publics, est rudement mis à
l’épreuve de l’indésirabilité de l’autre comme expérience sensible qui
s’impose d’abord aux personnes dans sa négativité ; cela même si ce
moment négatif peut être dépassé par un effort de réceptivité, de
réflexivité et de concernement citoyen (Bidet et al, 2015).
Tant les espaces publics de coprésence urbaine que les espaces
publics de participation politique (3) sont souvent pensés comme à
priori accessibles et hospitaliers à la présence et à l’engagement du
tout-venant, et comme espaces de délibération et de définition
collective des valeurs morales et politiques. La majorité des théories
normatives de l’espace public, peu soucieuses d’observer et de décrire
celui-ci « tel qu’il a lieu » (Berger, 2016) – focalisées qu’elles sont sur
une idéalisation abstraite de la publicité comme principe de
démocratie –, ignorent complètement le « travail » (antidémocratique)
de la négativité inhérente à la confrontation concrète et sensible avec
certains « autres » en milieu urbain. Ces théories normatives laissent de
côté des affects – aussi indicibles que bien réels – tels que les
sentiments de gêne, d’envahissement, d’intrusion ou de répulsion, qui
sont en revanche pris en compte par des approches descriptives
(phénoménologiques, pragmatistes, interactionnistes…) centrées sur
les affects et expériences que peut susciter une personne indésirable
dans un espace public, et qui semblent aujourd’hui encore minoritaires.
Les contributions réunies ici font état de situations qui se déroulent
dans des espaces présentés comme ouverts et inclusifs, mais dans
lesquels émergent des attitudes et des comportements inhospitaliers,
discriminants ou ouvertement hostiles à l’égard de présences ou de
conduites spécifiques qui dans certains cas inquiètent, et dans d’autres
cas irritent ou dérangent. Des présences et des conduites qui, dans tous
les cas, ne sont pas « désirées » – ou plutôt viennent contrarier les
attentes, appétences ou « désirs » des citadins de référence,
majoritaires, suivant les principes et les règles de l’ordre public – et
deviennent par là même le thème d’une expérience négative collective
6
Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques
pour la communauté située des normés / normaux. Les troubles,
embarras, irritations ou exaspérations engendrés par ces
« confrontations avec l’importun » (Joseph, 1995, 21) dans les espaces
publics urbains, ou par ces « coopér[ations] avec le ravageur » (Joseph,
1996, 16) dans les espaces publics de discussion, représentent l’objet
central du présent dossier.
2. Les espaces publics urbains et leurs indésirables dans la
sociologie urbaine
Dans son étude de référence, The Social Life of Small Urban Spaces,
William H. Whyte (1980) consacrait un chapitre entier à la question des
« undesirables » et de leur traitement dans les places et parcs situés au
pied d’immeubles d’entreprises du centre d’affaires de New York. Il
note que les indésirables, aux yeux des hommes d’affaires,
commerçants et autres usagers – clients ou consommateurs – ne sont
pas tant les agresseurs ou les dealeurs de drogue, mais les ivrognes
(« winos ») et les désœuvrés. C’est-à-dire souvent les plus inoffensifs
des marginaux, mais qui symbolisent et représentent ce que tout un
chacun pourrait devenir à la suite d’événements malheureux (Whyte,
1980, 60). Il ajoute à la liste les hippies, les groupes d’adolescents,
musiciens de rue ou vendeurs de rue qui, par leur présence, testent la
capacité d’accueil de ces places et la tolérance à leur égard (4).
En France, la sociologie urbaine développée par Isaac Joseph, puis
par ses proches et adeptes (Cefaï & Saturno, 2007 ; Cefaï, 2013 ; StavoDebauge, 2003 ; Breviglieri & Stavo-Debauge, 2007 ; Tonnelat, 2016)
s’est intéressée de près à la question des espaces publics urbains, que
Joseph caractérise d’abord par leur accessibilité, gage de leur publicité
et de leur hospitalité à une pluralité d’usages et d’usagers. Leur qualité
publique engage une liberté de circuler et un « droit de visite universel »
(Joseph, 1995, 21), reconnu au tout-venant. L’espace public se définit
comme un espace qui « peut tolérer un intrus » (Joseph, 2007, p. 221) ;
ce droit à l’intrusion en est même la condition. Pour cet auteur, qui s’est
inspiré d’Erving Goffman et a fait connaître ses travaux dans la
recherche urbaine française, ces espaces sont régis par des « normes
de comportement », autant d’attentes pesant sur l’individu qui s’engage
dans l’espace public en question – comme par exemple « l’indifférence
civile », garante de la tolérance de l’autre par la préservation de sa
« face ». Dans une veine similaire, l’américaine Lynn Lofland (1998)
conceptualise les espaces publics à partir du type d’interactions qu’ils
accueillent : les relations entre individus mutuellement étrangers, et des
7
Les politiques sociales
1 & 2 / 2021
interactions propres à un « domaine public » distinct du « domaine
privé », mais aussi du « domaine communautaire, de proximité »
(parochial realm).
Les sociologies des espaces publics urbains élaborées par Isaac
Joseph et par Lynn Lofland ont pour point commun de puiser dans un
triple héritage : la micro-analyse de l’ordre public d’Erving Goffman,
bien sûr ; mais aussi les travaux du philosophe et sociologue allemand
Georg Simmel relatifs à l’espace et à l’état d’esprit métropolitain ; enfin,
les auteurs de l’École de Chicago des années 1920-1930 et leur
sociologie entendue comme « écologie humaine ». Dans l’essai Die
Großstädte und das Geistesleben (traduit par « Métropoles et
mentalité »), l’un des tout premiers textes de sociologie urbaine,
Simmel (2004a [1903]) s’attache à définir certains traits caractéristiques
du « psychisme » du citadin : il conçoit sa « mentalité » à partir de
l’« attitude blasée » – comprise comme indifférence à l’égard des
différences – et de la « réserve » dans les interactions urbaines entre
inconnus. Cette attitude générique s’y conçoit comme une
accommodation à l’environnement de la ville, saturé de signes et
d’excitations, en particulier de contrastes, de brusques écarts, de
différences exacerbées face auxquelles le citadin bénéficie d’un « droit
à la méfiance » (ibid., 68). S’inspirant des écrits de Georg Simmel, les
sociologues de Chicago – en particulier Louis Wirth et Robert E. Park –
vont considérer l’urbanité à partir d’une sociabilité de la réserve et des
liens faibles, propre aux relations secondaires entre anonymes, fondées
sur la superficialité et la fugacité des rapports. Ces auteurs ont mis en
lumière l’importance de l’expérience de l’altérité, de la coprésence
entre étrangers en ville, dans la formation des valeurs morales et
politiques de la société américaine (Gayet-Viaud, Bidet & Le Méner,
2019). Goffman affinera ensuite ce principe d’indifférence dans sa
microsociologie des relations en public (2013 [1963] ; 1973 [1970]).
S’inscrivant dans ce triple héritage, les sociologies interactionnistes
de l’espace public urbain portées par Joseph ou Lofland articulent trois
éléments : une qualité spatiale (l’accessibilité) ; un principe normatif
(l’indifférence polie) ; et une figure de citadin (le tout-venant ou
l’étranger). Ce sont précisément ces trois dimensions de l’espace public
qui se trouvent ébranlées dans les situations de coprésence ou de
coexistence avec l’indésirable. L’indésirable est en effet celui par lequel
le « droit de visite » est remis en question ; vis-à-vis duquel le principe
8
Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques
d’indifférence peut être suspendu pour laisser s’exprimer la
désapprobation, le mépris ou l’aversion ; et à travers lequel la figure de
l’inconnu ou de l’étranger ne se laisse plus réduire à celle du « toutvenant ». L’expérience de l’indésirabilité vient également remettre en
question la qualité d’accessibilité qui fonde les espaces publics urbains
et qui garantirait à priori leur ouverture et leur capacité d’inclusion à
l’égard de tout un chacun – et à fortiori de l’intrus.
Dans son étude, W.H. Whyte (1980) observe les différentes mesures
défensives prises sur le plan urbanistique pour préserver les espaces
publics de présences qui dérangent, en réduisant par la même occasion
leur qualité d’accessibilité. Dans une veine similaire, Lofland (1998)
s’intéresse aux barrières et techniques architecturales, juridiques et
sociales permettant de filtrer les indésirables et de garantir
l’inaccessibilité de certains espaces à leur égard. Don Mitchell montre
de son côté comment, au cœur des villes américaines, l’expérience de
l’indésirabilité des sans-abri peut se prolonger – si elle n’est pas
contrôlée par les défenseurs des SDF et de leurs droits – dans une
« annihilation » des espaces d’hospitalité et de sécurité pour les
homeless, et aller ainsi vers une destruction progressive de la
« publicité » de la ville (2003).
L’entrave à l’accessibilité d’un espace peut également être
envisagée du point de vue de ceux qui perçoivent un individu ou un
groupe comme indésirable, en raison notamment des manières
spécifiques qu’il a d’occuper l’espace qui entreraient en tension avec
des attentes d’interaction, suivant un principe de circulation généralisée
des citadins participant à l’espace public – citadins coordonnés les uns
aux autres en tant qu’« unités de locomotion » (Goffman, 1973). Ce
pourrait être le cas, par exemple, d’individus qui flânent, stagnent, voire
s’approprient un lieu dans un espace principalement dédié au passage
(comme un hall de gare ou les plazas étudiées par Whyte) ou au
commerce (une librairie, un café, un centre commercial ou encore le
marché) (5).
Ces situations invitent à considérer qu’un espace public peut être
approché comme un espace où coexistent dans une forte proximité
spatiale des publics distants socialement, ayant des conceptions et des
modes d’occupation de l’espace multiples, concurrents et parfois
incompatibles (6). Ces espaces publics ne sont pas tant des lieux de
« consensus délibératif que [...] de compétition pour l’occupation de
territoires, allant des reproches de l’ordre de l’irritation ou de
9
Les politiques sociales
1 & 2 / 2021
l’agacement aux controverses autour de frontières et d’usages »
(Joseph, 2007, 24-25). Dans la lignée de l’écologie humaine sensible
aux rapports d’envahissement ou d’« invasion » (un concept clé, bien
que controversé, de la sociologie de Chicago), de compétition, de
conflits autant que d’accommodation entre les groupes cohabitant au
sein d’un même territoire, l’espace comme lieu d’expérience de
l’altérité peut être l’objet d’une tension entre une diversité de mondes
sociaux (Piette, 1990 ; Cefaï 2015 ; Berger & Van Hollebeke, 2017 ; Carlier
2018).
3. L’expérience ordinaire de l’altérité citadine, entre
indifférence et répulsion
Certains éléments des approches de Simmel et des auteurs de
l’écologie humaine de Chicago ont été laissés de côté par leurs héritiers
dans leur conceptualisation des espaces publics urbains. En effet,
Simmel (2004a [1903]), dans son essai sur l’expérience sensible de la
grande ville, considérait le caractère fonctionnel et la banalité de la
répulsion autant que de l’indifférence (celle-ci étant d’ailleurs nous
semble-t-il le plus souvent feinte), et s’intéressait à la part d’aversion
inhérente aux relations urbaines. Les sociologues de Chicago, quant à
eux, portaient une attention spécifique à la façon dont la répulsion et
les attitudes de rejet en découlant déterminaient la place des
« indésirables » dans l’organisation écologique de la ville. Ces
dimensions peu glorieuses du comportement citadin ont ensuite été
mises de côté dans les prolongements donnés à ces deux perspectives
en sociologie urbaine (Carlier, 2020) ; ils offrent pourtant quelques
prises pour l’ébauche d’une approche sociologique de l’indésirabilité
dans les espaces publics.
Revenons d’abord à Simmel. Dans son texte classique (2004a), il
envisage l’attitude blasée ou l’indifférence comme étant nécessaire à la
« conservation de soi » et permettant de « s’arranger de cette forme
d’existence » qu’est la vie métropolitaine. De cette attitude blasée et de
cette indifférence, la sociologie urbaine fera ensuite grand cas, tout en
omettant cependant une composante de répulsion : « Cette réserve
n’est pas seulement de l’indifférence, mais plus souvent que nous n’en
avons conscience, une légère aversion, une mutuelle étrangeté et une
répulsion partagée qui, dans l’instant d’un contact rapproché, quelle
que soit la manière dont il a été provoqué, tournerait aussitôt en haine
et en conflit. Toute l’organisation intérieure de cette vie repose sur une
10
Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques
gradation extrêmement variée de sympathies, d’indifférences et
d’aversions de l’espèce la plus brève et de l’espèce la plus durable »
(ibid., 2004a, p. 68). Ainsi, la plupart du temps, cette indifférence n’est
que feinte et imprégnée d’affects comme l’hostilité, l’antipathie ou
l’aversion. Dans d’autres écrits, relatifs à la sociologie de l’espace,
Simmel s’intéresse aux formes spatiales qui découlent de ces
sentiments de répulsion et qui les matérialisent, tels la frontière et les
processus de délimitation déterminant les places de chacun et
produisant les distances qui rendent possible la coexistence entre
différents éléments. L’attraction et la répulsion représentent des
pulsions socialement productives, déterminantes pour les processus de
distanciation et de rapprochement à l’œuvre dans les espaces urbains.
Dans « Disgressions sur l’étranger », le penseur allemand (2004b
[1908]) analyse ces « éléments de distanciation et de répulsion dans la
relation avec l’étranger » comme un modèle d’interaction en propre. De
cette perspective se dégage un élément susceptible de contribuer à la
problématique de l’indésirabilité : les attitudes de répulsion face à des
« types d’étrangeté » participent à la configuration des espaces.
C’est justement ce lien entre les affects, des figures de l’étrangeté et
l’organisation de l’espace qui sera au cœur de la perspective écologique
et de son approche de l’indésirabilité. La « désirabilité » et « l’indésirabilité » apparaissent dans de nombreux écrits des Chicagoans, pour
qualifier tant des espaces que ceux qui y résident et les marquent de
leur présence. Homer Hoyt (1933), dans son travail consacré à
l’évolution des valeurs foncières à Chicago, distingue les quartiers
selon leur « degré de désirabilité ». Les espaces de plus grande valeur
sont ces « aires protégées de l’intrusion d’éléments indésirables » (ibid.,
p. 304), étant donné « l’aversion des personnes plus élevées dans
l’ordre social à vivre à proximité de celles-ci » (ibid., p. 314) ; et les
« aires indésirables » sont celles habitées par les groupes « raciaux (7)
et nationaux » au statut économique inférieur. Comme le montrent les
ethnographies de Zorbaugh (1929) et de Wirth (1929), les populations
catégorisées comme indésirables ont pour zones de retranchement les
slums, seules aires de la ville accessibles et tolérantes à leur égard.
L’indésirabilité renvoie avant tout à la répulsion et à l’hostilité éprouvée
à l’égard de figures d’étranger spécifiques qui, loin d’être « sans
visage », portent « le masque racial » (Park, 1924). La visibilité de la
différence engendre toute une série de préjugés raciaux, qui euxmêmes nourrissent différents processus d’exclusion sociale et spatiale
(Anderson, 2011). L’hostilité raciale se prolonge dans l’absence de
11
Les politiques sociales
1 & 2 / 2021
reconnaissance d’un « droit de visite » au sein des espaces publics et
dans différentes limitations à la « liberté d’aller et venir ». Des
processus de boundary making, de filtrage et de sélection se jouent à
l’échelle du quartier – pour empêcher certaines formes de
cohabitation – et à l’échelle de l’espace public – pour limiter les
situations de coprésence (Carlier, 2021) ou les implications de la
coprésence en termes d’expérience partagée (Berger, 2021).
4. L’espace public de discussion et ses indésirables
De leur côté, les travaux de philosophie politique ont souvent
approché l’espace public dans la définition qu’en a donnée Jürgen
Habermas (2010 [1962]), en tant qu’idéalisation d’une pratique politique
basée sur la discussion ouverte entre citoyens égaux dont il trouvait les
potentialités dans l’émergence, aux XVIIe et XVIIIe siècles, d’une sphère
publique bourgeoise, autour des salons littéraires et des cafés (8).
Depuis la parution de cet ouvrage classique, nombre de commentaires
philosophiques et d’enquêtes empiriques / ethnographiques ont mis en
question cette définition, appelant à une théorie normative plus réaliste
(à fortiori si cette dernière se revendique du pragmatisme, comme c’est
le cas d’Habermas).
Parmi la grande variété de ces critiques, des pistes ont été proposées
pour une critique reconstructrice de l’espace public habermassien,
enrichie par les apports du pragmatisme (entre autres : Quéré, 1982,
1992 et 2003 ; Ferry, 1991 et 2007 ; Cefaï, 2002). Celle que nous avons
esquissée à la suite de ces auteurs, en proposant de remplacer la
question de l’agir communicationnel (Habermas, 1987) par celle de
l’expérience communicationnelle, insiste sur deux points.
Premièrement, la dimension esthétique de la communication (Parret,
1999), qui suppose de considérer à la fois la pluralité des régimes de
signes engagés (signes non verbaux, non propositionnels, voire non
symboliques) et les aspects de réception et de pâtir complétant le pôle
de la locution et de l’agir sur lequel se focalise Habermas (Berger, 2017).
Deuxièmement, l’organisation topologico-écologique de l’espace
public démocratique (Berger & Charles, 2014 ; Berger, 2016 et 2018 ;
Van Hollebeke, 2021) – qui est en effet en même temps un espace
topologique à la fois circonscrit (vis-à-vis de l’extérieur) et différencié
(en son sein), et un espace écologique constitué comme un milieu. C’est
avec ce milieu de communication, dans sa totalité, que le participant,
celui ou celle qui entend prendre part, interagit, entre en transaction. Le
12
Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques
milieu réagit à l’insertion de nouveaux venus de différentes manières,
et l’indésirable en démocratie est ce participant auquel le milieu de
communication que représente l’espace public se ferme de manière
compulsive ou phobique (Berger, 2015), en tant que communauté
esthétiquement affectée par sa présence et ses engagements.
D’autres auteurs n’ont évidemment pas attendu ces développements pour parler des « frontières de l’espace public » (Beaud,
1987), rendre compte d’un « Cens caché » – voire d’une « ségrégation
politique » dans les pratiques démocratiques (Gaxie, 1978) ; et le
problème de la clôture des processus de participation et des
dynamiques d’exclusion qui leur sont inhérentes est au fondement du
champ des participation studies dès le départ (Arnstein, 1969).
Sensibilisée par les enquêtes de Daniel Gaxie, une sociologie
bourdieusienne de la démocratie participative s’est focalisée sur les
phénomènes de domination à l’œuvre dans la communication orale
(Bourdieu, 1982), et sur la condition d’« exclus de l’intérieur » – pour
reprendre une formule de Bourdieu et Champagne (1992) – de ces
participants aux habitus mal ajustés au champ de la politique
délibérative.
Dans
une
optique
différente,
l’ethnographie
interactionniste a décrit en détail les façons dont les espaces de
participation se ferment à ceux qui ne suivent pas les codes, normes,
rôles
attendus, maîtrisent insuffisamment les
grammaires
interactionnelle et délibérative activées dans ces situations (Futrell,
1999 ; Cefaï & Lafaye, 2001 ; Berger, 2012) – tout en révélant les
« ajustements secondaires » trouvés par ces participants pris en défaut
par l’institution (Berger, 2008 et 2011).
Ces deux ensembles de travaux ont montré des mérites et des
limites symétriques. D’un côté, une sociologie de la participation
d’inspiration bourdieusienne ne nous montre pas – et n’est pas outillée
pour penser – des situations dans lesquelles des assemblées ont de
bonnes raisons (des raisons défendables par le sociologue) de se
fermer à certains types de participants, d’engagements, de propos.
D’un autre côté, dans son examen des « engagements impropres », la
microanalyse goffmanienne répond à une sociologie déresponsabilisante par une sociologie sans doute excessivement
responsabilisante. L’infélicité des prises de parole, et plus largement
l’échec de la participation, y étant considérés dans les termes de
l’incompétence et de l’incapacité des participants, ceux qui se trouvent
pris en défaut par le dispositif de participation peuvent rapidement être
présentés comme des faulty persons (Goffman, 1993 [1953]). La
13
Les politiques sociales
1 & 2 / 2021
question de la clôture de l’espace public et l’étude des processus
d’exclusion dans la participation démocratique appellent alors une
approche renouvelée qui, tout en conservant notamment l’exigence
critique d’un Bourdieu et le réalisme descriptif d’un Goffman, suivrait
plutôt l’épistémologie pragmatiste de John Dewey, George H. Mead et
Charles S. Peirce. Car c’est finalement à un élargissement du concept
d’interaction (et de l’approche interactionniste) qu’invite, en particulier,
l’oeuvre de John Dewey : c’est dans l’interaction ou la transaction entre
le citoyen qui s’avance et le milieu public qui le reçoit que se joue,
constamment, l’expérience démocratique, comme « épreuve de venue
et de réception », engageant tant la recevabilité des engagements du
premier que la réceptivité du second (Berger, 2018).
Parce qu’elle trouve son point de référence du côté du perturbé
plutôt que de celui du perturbateur, la figure de l’indésirable est un
analyseur de l’espace de participation, comme milieu-hôte ou
communauté située, dont les « désirs » – ou disons les appétences
partagées – sont contrariées par quelqu’un ou quelque chose, ou
quelque chose chez quelqu’un. Parler d’appétence (plutôt que
simplement d’attente) d’interaction, souligne la dimension sensible,
affective, c’est-à-dire esthétique, du jugement de validation ou
d’invalidation portant sur l’engagement d’un participant. Si la question
du participant indésirable nous renseigne sur une pathologie de
l’espace public, ce serait sans doute celle de l’irréceptivité irritée et
irréfléchie d’un milieu de communication en principe « ouvert à tous »
vis-à-vis de présences, de corps, d’attitudes, d’expressions, de voix, de
topiques ou de styles oratoires qui produisent, au cœur du
rassemblement, un dérangement esthétique non élucidé. Non
problématisé, faussement ignoré, le trouble causé grandit sans être pris
en charge, et encore moins résolu.
Ces dynamiques, où prévalent perturbations esthétiques et affects
négatifs et par lesquelles un milieu de communication « se ferme » de
façon compulsive ou phobique, n’honorent évidemment pas des
processus participatifs conçus et présentés selon les principes
d’accessibilité et de tolérance de l’espace public libéral – et elles
peuvent même sembler difficilement acceptables par eux. Ces
dynamiques sont pourtant inhérentes au fonctionnement de la
démocratie participative telle qu’elle existe. La figure du participant
indésirable impose à une théorie normative de la démocratie fondée
14
Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques
sur la communication dans l’espace public de comprendre cette
dernière non comme un agir, mais plus globalement comme une
expérience, ce qui suppose de composer également avec sa face de
pâtir et de négativité.
5. Enquêter sur l’indésirable : interactions, institutions,
politiques
Qu’ils s’intéressent aux espaces publics urbains de coprésence ou
aux espaces publics démocratiques de discussion, les articles de ce
numéro insistent chacun, sans que cela soit exclusif, sur l’une des trois
dimensions suivantes : le niveau des interactions à partir duquel
l’indésirable est perçu, appréhendé, « modéré » ou « contenu » en
situation, et à partir duquel la personne identifiée comme indésirable
« gère » elle-même sa condition (9) ; les institutions et dispositifs
intervenant dans sa désignation et/ou dans sa prise en charge ; et enfin
la portée politique de ces rencontres.
L’article de Robin Wagner-Pacifici a un statut introductif au
problème général traité dans ce numéro. Interrogeant la
conceptualisation habermassienne de l’espace de la coffee house dans
la société anglaise au tournant du XVIIIe siècle pour analyser la nature
et discuter le rôle d’inclusion des cafés contemporains (l’enseigne
globale Starbucks en particulier) dans les villes américaines, la
sociologue de la New School for Social Research articule dans ce texte
inédit ces trois dimensions de l’interaction, de l’institution et du
politique. Elle revient sur un incident de discrimination raciale survenu
en 2018 dans un Starbucks de Philadelphie, et documente cette
interaction en resituant ses observations dans l’histoire urbaine d’un
quartier (Rittenhouse Square) et l’histoire des héritages sociaux et
culturels du racisme et du capitalisme aux États-Unis. Elle montre que
les obligations et charges du capitalisme (la nécessité de consommer,
de travailler, d’éviter l’oisiveté) pour entrer et rester dans ces espaces
supposés ouverts à tous, pèsent différemment sur les visiteurs selon
qu’ils sont reconnus comme clients ou comme potentiels « traînards »
(à partir d’indices de leur condition sociale et économique, mais aussi
selon leur couleur de peau). L’article présente le tiers-lieu capitaliste
comme un espace particulièrement ambigu, distinct du café
habermassien et de sa prétendue atmosphère de civilité, d’ouverture
démocratique et d’accessibilité universelle ; un espace qui malgré lui, à
travers des incidents comme celui-ci, est devenu aux USA une scène
publique de mobilisation et de débat autour de ces questions.
15
Les politiques sociales
1 & 2 / 2021
Les articles de Lisa Richaud et de Mathieu Berger s’inscrivent dans
une approche resserrée sur les situations et les interactions. Ils
questionnent le processus de perception de l’indésirable et les effets
interactionnels de sa venue au sein de rassemblements.
L’article de Lisa Richaud met en avant la dimension productive de
l’indésirabilité en analysant les rapports entre anonymes dans l’espace
de lecture d’une librairie de Shanghai, mis à la disposition des usagers
indépendamment de leur qualité de consommateur et sans que la durée
de leur présence ne soit soumise à restriction.
Ensuite, partant de la description de l’infélicité flagrante de
l’intervention d’un citoyen dans une assemblée civique à Los Angeles,
pour remonter aux phases antérieures de l’interaction et analyser le
sentiment de bizarrerie né de la perception des faits et gestes de ce
participant depuis son arrivée dans la salle, la contribution de Mathieu
Berger détaille l’agencement et l’enchaînement de signes (sémiose) qui
jouent dans le processus d’identification du « malvenu » et déclenchent
le malaise chez celui qui les perçoit, préparant une attitude de rejet. Elle
montre que le seul stigmate de l’identité sociale et ethnique ne suffit
pas pour comprendre l’indésirabilité d’une personne et les « affects
particuliers » qu’elle génère chez les autres.
Ces deux articles, plutôt que de se focaliser sur une personne ou sur
son comportement transgressif, montrent l’indésirabilité comme une
« expérience négative » de venue et de réception, qui désorganise
l’ordre interactionnel local réglant les relations en public autant qu’elle
réorganise les possibilités d’engagements entre inconnus. Oscillant
entre interactionnisme goffmanien, analyse des variations
atmosphériques et pragmatique des signes, ces contributions mettent
en évidence les affects et émotions qui affleurent face aux
engagements interactionnels incongrus ou malvenus, et leurs
conséquences pratiques : notamment, d’obnubilation de l’attention par
un détail expressif, et d’inhibition de la réflexion éthique ou du souci
démocratique. Ces deux textes montrent en effet la faiblesse des
réactions qu’induisent ces présences : dans les deux cas, rien n’est
entrepris en pratique en réponse à ces troubles.
Les articles suivants s’intéressent à la prise en charge de
l’indésirable par des institutions et des politiques visant à contenir les
troubles. D’abord, Lionel Francou questionne, à partir d’un terrain
bruxellois, la pratique d’identification et de traitement des indésirables
16
Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques
dans les espaces publics urbains par des agents de prévention appelés,
en Belgique, « gardiens de la paix ». Cette contribution décrit comment
ces professionnels, formés pour « policer » les espaces publics urbains
et gérer l’ordre public (Berger & Francou, 2015), parviennent à identifier
les situations problématiques et les usages indésirés des espaces qu’ils
parcourent durant des rondes de quartier, pour ensuite relayer leurs
observations vers les services compétents lorsqu’ils jugent qu’une
prise en charge institutionnelle ou policière est nécessaire. L’article
montre qu’ils remplissent un rôle paradoxal qui revient à la fois à
repérer le trouble en se montrant attentif à sa survenue, et à prévenir et
réprimer son apparition en se rendant visible en rue. Il montre que si ce
travail de repérage et de traitement du trouble s’appuie sur des signes
d’une rupture des « apparences normales » (Goffman, 1973) perçus en
situation, certains présupposés interviennent également dans les
opérations de catégorisation et conduisent à une focalisation sur des
figures-types d’indésirables, indépendamment de leurs actes.
Dans la même veine, Antoine Printz interroge ce difficile travail
d’interprétation et de détermination des possibilités de réaction face
aux troubles interactionnels, à travers l’analyse de la manifestation de
la folie en rue et le processus de signalement par des passants n’ayant
d’autre lien avec la personne que celui d’une rencontre aussi troublante
que fortuite.
En amont du geste de signalement, les contributions de Francou et
Printz montrent aussi l’indifférence ou les attitudes de réserve qu’induit
– chez des professionnels ou de simples citadins – la rencontre de ces
marginaux, dans la mesure où ils sont jugés inoffensifs et
irresponsables du trouble que leur présence génère. Printz interroge le
processus qui conduit à sortir de cette posture de réserve et à juger
opportun d’intervenir dans le sens d’une prise en charge
institutionnelle ou policière de la personne montrant, dans des
situations publiques, d’apparents symptômes de troubles mentaux.
Tout comme l’article d’Antoine Printz, celui de Simon Lemaire
interroge la question du soin et de la protection de personnes souffrant
d’une maladie mentale, dans un contexte de désinstitutionnalisation
psychiatrique. Ces auteurs insistent tous deux sur les attentes
importantes, en matière de « capacité de prise en charge » de la
maladie, placées sur l’environnement social du patient ; et cela que cet
environnement soit constitué de passants inconnus (dans le cas des
rencontres en rue) ou marqué par une forte familiarité (dans le cas des
17
Les politiques sociales
1 & 2 / 2021
aidants proches de patients souffrant d’Alzheimer suivis par Simon
Lemaire). Dans ces deux contributions, la présence des personnes
souffrant de troubles mentaux constitue une « épreuve d’hospitalité »
pour les espaces dans lesquels ils sont reçus, qui doivent pouvoir
« encaisser » ces troubles (Stavo-Debauge, 2017). De manière
spécifique, l’article de Simon Lemaire permet de prolonger l’analyse en
décrivant, à partir de l’observation de groupes de parole, le travail de
réception et d’accueil que les aidants proches et les soignants réservent
au caractère imprévisible, surprenant ou incongru des interventions de
la personne malade. Il interroge la façon dont ces « particularités
communicationnelles », qui d’ordinaire souligneraient le déficit
capacitaire et occasionneraient le discrédit du locuteur, sont ici
récupérées et renégociées en situation pour faciliter la participation des
personnes concernées à ces espaces de discussion et de « production
de soi » (Lemaire, 2021).
Ensuite, les contributions de Ghaliya Djelloul et Sarah Van Hollebeke
s’attachent à étudier des figures paradoxales de l’indésirable,
puisqu’elles concernent les femmes en ce qu’elles seraient à la fois
objets d’attention, de désir et d’aversion.
Ghaliya Djelloul, à partir d’une expérience en première personne des
rapports de genre dans les quartiers périphériques d’Alger, propose
d’éclairer les obstacles rencontrés pour accéder, en tant que femme, à
l’espace extradomestique, et s’y mouvoir. Elle décrit les circonstances
particulières dans lesquelles ces passantes jamais totalement légitimes
peuvent déambuler dans certains lieux (comme des espaces
marchands et des cérémonies festives) en restant attentives au trouble
à l’ordre moral et religieux que la perception de leur corps peut susciter.
Elle décrit la dynamique d’enserrement et de desserrement qui
gouverne la mobilité des femmes, les faisant passer du statut d’intruse
à celui d’invitée ou celui d’indésirable.
À partir d’une enquête menée dans le quartier Alhambra à Bruxelles,
l’article de Sarah Van Hollebeke questionne le trouble et les affects
négatifs relatifs à la visibilité des situations d’interaction réelle et
potentielle entre des prostituées et leurs clients dans la rue. L’article
montre que l’anticipation de cette rencontre au coin de rue ou la
perception de femmes en attente de clients déclenche, chez les
passantes, un éventail de réactions affectives et de façons de se
déplacer parfois ambivalentes : entre attraction, répulsion, évitement,
18
Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques
anxiété, embarras et empathie. Les passantes suivies dans cette
enquête tentent d’éviter ces situations embarrassantes et de contrôler
l’image qu’elles-mêmes renvoient à des visiteurs extérieurs à ce
quartier. Elles sont amenées à feindre une certaine « indifférence »
(Stavo-Debauge, 2003) vis-à-vis de ces situations, malgré une attraction
ou une aversion pour ces échanges.
Ces contributions de Djelloul et Van Hollebeke, bien qu’elles
concernent des contextes urbains très différents, permettent de
préciser ce que signifie, pour une femme, séjourner dans les rues d’une
grande ville. Dans les deux cas, leur présence et leur mobilité dans
l’espace urbain doivent répondre à un engagement déterminé et lisible
(Goffman, 2013 [1963]), voire à un « plan » (Thévenot, 2006). Attendre
ou flâner dans ces rues sans hâte ni but apparent peut être interprété
comme un signe de disponibilité, voire d’invitation à la rencontre à
caractère sexuel, perçu comme une transgression de l’ordre moral.
Pour éviter les jugements moraux péjoratifs à leur égard, ces femmes
doivent dès lors anticiper les attentes d’interaction chez autrui (Tavory,
2011), maîtriser les inférences qui pourraient les concerner.
Les derniers articles rassemblés dans ce numéro portent sur des
figures particulières, peut-être contre-intuitives, de « professionnels
indésirables ». Baptiste Veroone traite des dispositions et des
techniques que les ambassadeurs d’ONG présents dans les espaces
publics urbains utilisent pour déjouer, par anticipation, les réactions et
affects négatifs qu’ils peuvent générer. À partir d’expériences vécues
en première personne et d’une enquête ethnographique, l’auteur
analyse cette figure d’indésirable ambivalente – étant donné le rôle
bienfaiteur reconnu en principe à l’ambassadeur. À travers des
formations qui préparent leur entrée sur le terrain, ces travailleurs en
viennent à développer certaines habitudes et dispositions, ainsi que des
règles de conduite ajustées à leur statut d’indésirable autant qu’à leur
objectif de récolte de fonds. Grâce à elles, ils apprennent à surmonter
le sentiment de constituer une « pollution urbaine » et à susciter la
sympathie de certains passants à leur égard.
Enfin, Maïlys Toussaint, en s’appuyant sur un récit de terrain
restituant un moment d’échange entre l’ethnographe et une habitante
d’un quartier de la Villeneuve à Grenoble, soulève les réactions
ambivalentes que suscite cette figure de sociologue enquêteur,
potentiel indésirable. Le contexte particulier de ce grand ensemble –
entre problèmes sociaux, travaux de rénovation interminables,
19
Les politiques sociales
1 & 2 / 2021
médiatisation négative et enquêtes à répétition – influence chez les
habitants une perception négative de cette présence enquêtrice,
ressentie comme inquisitrice et qui, en tant que signe du trouble qui
l’intéresse et la motive, contrarie les attentes de tranquillité des
résidents et empêche, pour eux, de retrouver la stabilité d’une vie
ordinaire (10).
Bibliographie
Agier, M. (2014). Un monde de camps. Paris : La Découverte.
Agier, M. (mai 2017). La fabrique des indésirables. In Le monde diplomatique.
Agier, M. (2008). Gérer les indésirables : Des camps de réfugiés au
gouvernement humanitaire. Paris : Flammarion.
Anderson, E. (2011). The Cosmopolitan Canopy: Race and Civility in Everyday
Life. New York: W.W. Norton and Co. Inc.
Arnstein, S. R. (1969). A Ladder of Citizen Participation. In Journal of
American Institute of Planners, 35(4), 216-224.
Beaud, P. (1987). Les nouvelles frontières de l'espace public. In Réseaux, 22(1),
17-28.
Berger, M. (2011). Micro-écologie de la résistance. Les appuis sensibles de la
parole citoyenne dans une assemblée d’urbanisme participatif à
Bruxelles. In M. Berger, D. Cefaï, & C. Gayet-Viaud (dir.) (2011), Du
civil au politique. Ethnographies du vivre-ensemble. Bruxelles : P.I.E.
Peter Lang.
Berger, M. (2012). Mettre les pieds dans une discussion publique. La théorie
goffmanienne des rôles communicationnels appliquée aux assemblées de
démocratie participative. In D. Cefaï, & L. Perreau (dir.) (2012), Erving
Goffman et l’ordre de l’interaction. Amiens - Paris : CURAPP-CEMS.
Berger, M. (2015). Des publics fantomatiques. Participation faible et
démophobie. In SociologieS [En ligne], Dossiers, Pragmatisme et
sciences sociales : explorations, enquêtes, expérimentations. URL :
https://journals.openedition.org/sociologies/4935
Berger, M. (2016). L’espace public tel qu’il a lieu. In Revue française de science
politique, 66(1), 137-144.
Berger, M. (2017). Vers une théorie du pâtir communicationnel. Sensibiliser
Habermas. In Cahiers de recherche sociologique, n° 62, 69-108.
20
Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques
Berger, M. (2018). S’inviter dans l’espace public. La participation comme
épreuve de venue et de réception. In SociologieS [En ligne].
Berger, M. (2021). Topologie des espaces de vie. Apports gestaltistes à
l’écologie urbaine. In D. Cefaï, M. Berger, L. Carlier, & O. Gaudin
(Eds.), L’écologie humaine. Une science sociale des milieux de vie.
Grâne : Créaphis éditions.
Berger, M., & Charles, J. (2014). Persona non grata. Au seuil de la
participation. In Participations, n° 9, 5-36.
Berger, M., & Francou, L. (2015). Policer les espaces publics par la marche ? In
Environnement urbain/Urban Environment [En ligne], vol. 9. URL :
http://eue.revues.org/588
Berger, M., & Van Hollebeke, S. (2017). Bruxelles sous tensions. Quelques
pistes pour une conceptualisation des formes et enjeux de la mixité
sociale. In P. Ananian, & B. Declève (dirs.), Montréal et Bruxelles en
projet. Louvain-la-Neuve : Presses universitaires de Louvain, 175‑188.
Blanchard, E. (2013). Les “indésirables”. Passé et présent d’une catégorie
d’action publique. In GISTI, Figures de l’étranger. Quelles
représentations pour quelles politiques ? Paris : GISTI, 16-26.
Bourdieu, P. (1982). Ce que parler veut dire. L'économie des échanges
linguistiques. Paris : Fayard.
Bourdieu, P., & Champagne, P. (1992). Les exclus de l’intérieur. In Actes de la
recherche en sciences sociales, vol. 91-92, p. 71-75.
Breviglieri, M., & Stavo-Debauge, J. (2007). L’hypertrophie de l’œil. Pour une
anthropologie du « passant singulier qui s’aventure à découvert ». In D.
Cefaï, et C. Saturno (dir.), Itinéraires d’un pragmatiste. Autour d’Isaac
Joseph. Paris : Economica.
Carlier, L. (2018). L’hospitalité urbaine : une lecture croisée des approches de
Park et Joseph. In SociologieS [En ligne], Dossiers, HospitalitéS,
L’urgence politique et l’appauvrissement des concepts. URL :
http://journals.openedition.org/sociologies/6840
Carlier, L. (2020). S’accommoder : taire les différends pour tenir ensemble.
L’écologie d’un espace public ordinaire. In Sociologie et Sociétés, 51(2),
149-175.
Carlier L. (2021). L’écologie humaine et la coexistence urbaine : quelques
malentendus dans sa réception. In D. Cefaï, M. Berger, L. Carlier, & O.
21
Les politiques sociales
1 & 2 / 2021
Gaudin (Eds.). L’écologie humaine. Une science sociale des milieux de
vie. Grâne : Créaphis éditions.
Carlier, L., & Berger, M. (2016). Pour une approche pluraliste des figures de
l’étranger et des situations-frontières. In SociologieS [En ligne], Grands
résumés. URL : http://sociologies.revues.org/5224
Cefaï, D. (2002). Qu’est-ce qu’une arène publique ? Quelques pistes pour une
approche pragmatiste. In D. Cefaï, I. Joseph (Eds), L’Héritage du
pragmatisme. Paris : Éditions de l’Aube, 51-82.
Cefaï, D. (2013a). L’expérience des publics : institution et réflexivité. Sur la
sociologie des problèmes publics. In EspacesTemps.net [En ligne].
URL : https://www.espacestemps.net/articles/lexperience-des-publicsinstitution-et-reflexivite/
Cefaï, D. (2015). Mondes sociaux. In SociologieS [En ligne], dossier
« Pragmatisme et sciences sociales : explorations, enquêtes,
expérimentations », mis en ligne le 23 février 2015. URL :
http://sociologies.revues.org/4921
Cefaï, D., & Lafaye, C. (2001). Lieux et moments d’une mobilisation
collective - Le cas d’une association de quartier. In D. Cefaï, & D. Trom
(2001), Les formes de l’action collective : Mobilisations dans des arènes
publiques. Paris : Éditions de l’EHESS.
Cefaï, D., & Saturno, C. (dir.) (2007). Itinéraires d’un pragmatiste. Autour
d’Isaac Joseph. Paris : Economica.
Duneier, M. (1999). Sidewalk. New York: Farrar, Straus & Giroux.
Estebanez, J., & Raad, L. (2016). Les indésirables. In Géographie et cultures
[En ligne], n° 98, 5-22. URL : http://journals.openedition.org/gc/4432
Ferry, J.-M. (1991). Les puissances de l’expérience. Paris : Éditions du Cerf.
Ferry, J.-M. (2007). Les grammaires de l’intelligence. Paris : Éditions du Cerf.
Futrell, R. (1999). Performative governance: Impression Management,
Teamwork, and Conflict Containment in City Commission Proceedings.
In Journal of Contemporary Ethnography, 27(4), 494-529.
Gaxie, D. (1978). Le cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation politique.
Paris : Éditions du Seuil.
Gayet-Viaud, C., Bidet, A., & Le Méner, E. (2019). Enquêter sur la portée
politique des rapports en public. In Politix, 125(1), 7-30.
22
Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques
Goffman, E. (1989 [1952]). Calmer le jobard. Quelques aspects de l’adaptation
à l’échec. In I. Joseph (dir.), Le parler frais d’Erving Goffman. Paris :
Éditions de Minuit, 277-300.
Goffman, E. (1993 [1953]). La communication en défaut. In Actes de la
recherche en sciences sociales, vol. 100, 66-72.
Goffman, E. (2013 [1963]). Comment se conduire dans les lieux publics. Notes
sur l’organisation sociale des rassemblements. Paris : Economica, coll.
« Études sociologiques ».
Goffman, E., (1975 [1963]). Stigmate. Les usages sociaux des handicaps. Paris :
Éditions de Minuit.
Goffman, E. (1973 [1970]). La mise en scène de la vie quotidienne – Tome 2 :
Les relations en public. Paris : Éditions de Minuit.
Goffman, E. (1991). Les cadres de l’expérience. Paris : Éditions de Minuit.
Habermas J. (2010 [1962]). L’espace public. Archéologie de la publicité comme
dimension constitutive de la société bourgeoise. Paris : Payot & Rivages.
Habermas, J. (1989 [1962]). The Structural Transformation of the Public
Sphere: An Inquiry into a Category of Bourgeois Society. (Translated by
Thomas Burger with the assistance of Frederick Lawrence). Cambridge
(Mass.): The MIT Press.
Habermas, J. (1987 [1981]). Théorie de l’agir communicationnel – Tome 1 :
Rationalité de l’agir et rationalisation de la société. Paris : Fayard.
Hoyt, H. (1933). One hundred years of land values in Chicago. Chicago:
University of Chicago Press.
Joseph, I. (1995). Prendre place. Espace public et culture dramatique. Condésur-Noireau : Éditions Recherches.
Joseph, I. (1996). Les compétences de rassemblement. In Enquête [En ligne],
n° 4. URL : http://journals.openedition.org/enquete/773
Joseph, I. (2007). L’athlète moral et l’enquêteur modeste. Paris : Economica.
Lofland, L. H. (1998). The public realm: Exploring the city’s quintessential
social territory. New York: Aldine De Gruyter.
Mitchell, D. (2003). The Right to the City: Social Justice and the Fight for
Public Space. New York: The Guilford Press.
Park, R. E. (1924). The Concept of Social Distance as applied to the study of
racial attitudes and racial relations. In Journal of Applied Sociology, n° 8,
339-344.
23
Les politiques sociales
1 & 2 / 2021
Park R. E., & Burgess, E. W. (Eds.) (1925). The city: Suggestions for
investigation of human behavior in the urban environment, 1-46. London
and Chicago, IL: The University of Chicago Press.
Park R. E., & Burgess, E. W. (1921). Introduction to the Science of Society.
Chicago: The University of Chicago Press.
Parret, H. (1999). L’esthétique de la communication. L’au-delà de la
pragmatique. Bruxelles : Ousia.
Piette, A. (1990). L’école de Chicago et la ville cosmopolite d’aujourd’hui :
lecture et relectures critiques. In A. Bastenier, & F. Dassetto, 1990,
Immigrations et nouveaux pluralismes. Bruxelles : De Boeck-Université.
Quéré, L. (1982). Des miroirs équivoques : aux origines de la communication
moderne. Paris : Aubier.
Quéré, L. (1992). L’espace public : de la théorie politique à la métathéorie
sociologique. Quaderni, n° 18, 75-92.
Quéré, L. (2003). Le public comme forme et comme modalité de l’expérience.
In D. Cefaï, & D. Pasquier (dir.), Les Sens du public. Publics politiques,
publics médiatiques. Paris : PUF, 113-134.
Simmel, G. (2004a [1903]). Métropoles et mentalité. In Y. Grafmeyer, & I.
Joseph. (dir.), L’École de Chicago ou la naissance de l’écologie urbaine.
Aubier : Flammarion, 61-78.
Simmel, G. (2004b [1908]). Digressions sur l’étranger. In Y. Grafmeyer, & I.
Joseph (Eds.), L’École de Chicago. Naissance de l’écologie urbaine.
Paris : Flammarion, 53-60.
Stavo-Debauge, J. (2003). L’indifférence du passant qui se meut, les ancrages
du résidant qui s’émeut. In D. Céfaï, & D. Pasquier (dir.). Les sens du
public : public politique, publics médiatiques. Paris : PUF.
Stavo-Debauge, J. (2009). Venir à la communauté. Une sociologie de
l’hospitalité et de l’appartenance (Thèse de doctorat). EHESS.
Stavo-Debauge, J. (2010). Dé-figurer la communauté? Hantises et impasses de
la pensée (politique) de J.-L. Nancy. In L. Kauffman, & D. Trom (dir.),
Qu’est-ce qu’un collectif politique ? Paris : Éditions de l’EHESS, coll.
« Raisons pratiques », n° 20, 137-171.
Stavo-Debauge, J. (2017). Qu’est-ce que l’hospitalité ? Recevoir l’étranger à la
communauté. Montréal : Éditions Liber.
24
Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques
Tavory, I. (2011). À la vue d’une Kippa. Une phénoménologie des attentes
d’interaction dans un quartier juif orthodoxe de Los Angeles. In M.
Berger, D. Cefaï, & C. Gayet-Viaud, (dir.). (2011). Du Civil au Politique.
Ethnographies du Vivre Ensemble. Bruxelles : Éditions Peter Lang, 5577.
Thévenot, L. (2006). L’action au pluriel. Sociologie des régimes d’engagement.
Paris : Éditions La Découverte.
Tonnelat, S. (2016). Espace public, urbanité et démocratie. In E. Charmes, &
M.-H. Bacqué, (2016), Mixité sociale et après ? Paris : PUF.
Van Hollebeke, S. (2021). Professionnels du discours et spécialistes de l’image
dans le projet urbain. Enquête à Bruxelles sur une asymétrie des
collaborations entre experts de la ville (Thèse de doctorat en sociologie
et urbanisme). Louvain-la-Neuve, Grenoble, UCLouvain et ENSAG.
Whyte, W. H. (1980). The Undesirable. In W. H. Whyte (1980), The Social Life
of Small Urban Spaces. New York: Project for Public Spaces.
Wirth, L. (1929). The Ghetto. The University of Chicago Press.
Zorbaugh, H.W. (1929). The Gold Coast and the Slum. A sociological study of
Chicago’s Near North side. The University of Chicago Press.
Notes
(1) Selon la littérature scientifique, le terme est utilisé comme catégorie
d’action publique dès le XXe siècle. S’il semble avoir aujourd’hui en partie
disparu du vocabulaire politique, il continue toutefois d’imprégner les
dispositifs d’action publique (Blanchard, 2013 ; Estebanez & Raad, 2016).
Cf. article de la RTBF (29 avril 2015) : « SDF indésirables : le mobilier
urbain rivalise d'imagination », URL : https://www.rtbf.be/info/
societe/detail_sdf-indesirables-le-mobilier-urbain-rivalise-d-imaginationphotos?id=8968643 ; article du journal Le Monde « Les Roms, indésirables
en France et en Europe », URL : http://www.lemonde.fr/
societe/article/2008/07/31/les-roms-indesirables-en-france-et-eneurope_1079038_3224.html#4GMzKkZsbGigD2gz.99 ; voir aussi IEB,
2010, « Quand les espaces publics se défendent des indésirables »,
Bruxelles en mouvements, dossier n° 230.
(2) Voir la définition d’ « indésirable » donnée dans le dictionnaire Larousse :
« Personne que l’on ne désire pas accueillir dans un pays, une communauté,
un groupe ». Voir aussi la définition du dictionnaire La langue française :
25
Les politiques sociales
1 & 2 / 2021
« Personne qu’on ne peut accepter sur le territoire national pour des raisons
morales, politiques ou sociologiques ».
(3) Ce rapprochement entre les deux acceptions du terme d’espace public a été
justifié par Isaac Joseph dans son article « Reprendre la rue ». In Isaac
Joseph, 1995, Prendre place. Espace public et culture dramatique. Condésur-Noireau : Éditions Recherches.
(4) Pour une ethnographie des vendeurs de rue comme problème public à New
York, voir : Duneier, 1999.
(5) Voir sur ce point la contribution de Robin Wagner-Pacifici dans ce numéro,
qui nous rappelle ici que, selon notre couleur de peau, nous ne sommes pas
égaux devant la probabilité de nous retrouver, dans ces cas-là, catégorisés
comme désœuvré (idler) ou traînard (loiterer).
(6) Il y a un risque, cependant, à considérer trop rapidement des usages, des
engagements ou des occupations comme « incompatibles ». Un constat
d’incompatibilité résulterait d’une épreuve préalable de recherche de
compatibilité, à travers laquelle les tensions et irritations générées par la
pluralité et la concurrence des usages pourraient être dépassées – par
l’accommodation, la discussion ou le conflit. Or les citadins ne consentent
pas toujours, loin s’en faut, à de tels efforts.
(7) L’auteur s’attache à montrer comment les préjugés raciaux ont des
conséquences sur les valeurs foncières des terrains – une part considérable
de la différence de valeurs foncières étant référée aux différences raciales
de leurs habitants –, jusqu’à conceptualiser « the undesirable racial factor »
(ibid. p. 317).
(8) Voir l’article de Robin Wagner-Pacifici dans ce numéro.
(9) Ces processus (gestion, modération, contention) renvoient évidemment au
vocabulaire du management des interactions mis au point par Goffman.
Voir en particulier sur ce point : Goffman, 1975 [1963], 1969 et 1989
[1953].
(10) Les coordinateurs de ce dossier remercient Ghaliya Djelloul pour ses idées
et suggestions concernant la problématique d’ensemble, et Louise Carlier
pour sa contribution à ce texte de présentation.
26