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Bulletin d'histoire politique
Homosexualités : perspectives historico-politiques
Line Chamberland
Homosexualités et politique : Québec et Canada
Volume 16, numéro 3, printemps 2008
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1056168ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1056168ar
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Bulletin d'histoire politique
Lux Éditeur
ISSN
1201-0421 (imprimé)
1929-7653 (numérique)
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Citer cet article
Chamberland, L. (2008). Homosexualités : perspectives historico-politiques.
Bulletin d'histoire politique, 16 (3), 11–20. https://doi.org/10.7202/1056168ar
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Dossier thématique
Homosexualités et politique : Québec et Canada
Homosexualités :
perspectives historico-politiques
LINE CHAMBERLAND
Professeure associée à l'JREF
Université du Québec à Montréal
Pour Allan Bérubé {I946-2007)
DE L'ACTIVISME À LA RECHERCHE HISTORIQUE
SUR LES HOMOSEXUALITÉS
Allan Bérubé incarne cette génération de chercheurs activistes des années
1970 qui a bousculé les cadres théoriques, épistémologiques et disciplinaires
des sciences humaines telles qu'elles étaient alors pratiquées. Pourtant, sa car
rière s'est déroulée principalement hors de l'enceinte universitaire. Militant
contre la guerre américaine au Vietnam, Bérubé abandonne ses études en
histoire à l'Université de Chicago pendant sa dernière année de baccalauréat
en 1968. Il s'engage ensuite dans des collectifs de libération gaie et devient
l'un des cofondateurs du San Francisco Lesbian and Gay History Project en
1978. Il présente à travers les États-Unis un diaporama sur ces femmes qui,
bravant les interdits, ont emprunté les vêtements de l'autre sexe et se sont
fait passer pour des hommes (passing women), allant parfois jusqu'à épouser
d'autres femmes, à divers moments de l'histoire. Sa contribution majeure
demeure son étude sur les gais et les lesbiennes dans l'armée américaine pen
dant la Deuxième Guerre mondiale, Coming Out Under Pire, un best-seller
qui a inspiré un passionnant documentaire du même nom1 • Se basant sur de
multiples sources (témoignages, lettres personnelles, documents déclassifiés,
etc.), Bérubé y propose une lecture innovatrice qui documente les politiques
ami-homosexuelles de l'armée, mais également les résistances des gais et des
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lesbiennes. Son analyse de l'impact de la conjoncture de guerre sur la formation de réseaux sociaux homosexuels et l'émergence d'une identité collective
en tant que groupe minoritaire ostracisé, bien avant l'apparition publique du
mouvement de libération homosexuelle, est aujourd'hui reprise dans de nombreux ouvrages historiques. Reconnu par les historiens universitaires pour
son travail à la fois méticuleux et audacieux, invité comme conférencier ou
enseignant (à Stanford, à l'Université de Californie) à partir des années 1990,
récipiendaire de bourses des fondations MacArthur et Rockfeller, Bérubé a
ensuite poursuivi des recherches sur l'histoire des hommes gais de classe ouvrière à l'intérieur du Marine Cooks and Stewards Union durant les années
1930 et 1940, un syndicat regroupant les travailleurs chargés des services (de
restauration, d'entretien, etc.) dans les paquebots passagers du Pacifique et
où les gais étaient accueillis ouvertement 2 •
Les travaux d'Allan Bérubé et ceux de plusieurs autres chercheur-es issus
principalement des sciences humaines ont donné naissance au domaine des
études gaies et lesbiennes (aussi appelées études sur la diversité sexuelle, queer
studies). Ce champ interdisciplinaire a émergé dans les années 1970 sur la base
d'une contestation des savoirs académiques existants qui tantôt occultaient
l'homosexualité masculine et le lesbianisme, tantôt les considéraient comme
crime, pathologie ou péché. Réalisées au départ sans support institutionnel,
les recherches historiques et sociologiques inspirées par ce courant traduisaient une volonté de reconstituer l'histoire des individus, des communautés,
des mouvements homosexuels à partir du point de vue des« dominés». Elles
s'inscrivaient dans les nouvelles tendances de cette époque qui voulaient donner une voix aux exclus de l'histoire officielle (les femmes, les Noirs, la classe
ouvrière ... ). Pour sa part, le féminisme remettait en question la division apparente entre sphère publique et sphère privée en affirmant que la vie privée
est politique.
En histoire, comme dans les autres disciplines, ce mouvement contestataire a généré des perspectives inédites. Certains se sont mis à recenser, et
à réinterpréter, les manifestations du phénomène homosexuel à travers différents contextes historiques et culturels afin d'en montrer l'existence universelle tout en la contrastant avec la diversité des attitudes sociales à son
égard. D'autres se sont empressés de recueillir des témoignages oraux de gais
et de lesbiennes afin de documenter l'époque contemporaine et d'éviter que
leur histoire ne soit de nouveau gommée. Outre les publications écrites, ce
contre-savoir a pris des formes variées et originales qui visaient une diffusion
large et accessible : films et vidéos, diaporamas, expositions dans des musées
ou des espaces communautaires, créations d'archives où l'on collectionne les
images et les artefacts tout autant que les écrits, mise sur pied de collectifs
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d'histoire orale autogérés, collaboration entre historien-nes universitaires et
autodidactes. Indissociables de la mouvance gaie et lesbienne, ces travaux
historiques alimentaient également le processus de (re)construction des iden
tités individuelles et collectives : en fournissant des représentations positives
de l'homosexualité, en favorisant la« découverte» de racines à travers l'iden
tification à des figures ancestrales (notamment dans le monde antique) ou
exemplaires (telles Oscar Wilde et Radclyffe-Hall), ou encore, en présentant
des matériaux (par exemple, des cas de répression de l'homosexualité, mais
aussi de résistance à l'oppression) susceptibles de nourrir l'argumentation des
discours contestataires. Bref, ils'agissait de donner un ancrage historique à la
stratégie de visibilité (coming out) du mouvement des gais et des lesbiennes
en (re)découvrant le passé homosexuel.
DES DÉFIS À RELEVER
Cette génération des premières heures était animée par un esprit militant
et œuvrait principalement en dehors des cadres universitaires, y compris
pour ceux et celles qui y détenaient un poste attitré. Au cours des décennies
qui vont suivre, le champ des études gaies et lesbiennes va connaître une
institutionnalisation croissante, en particulier dans le monde anglo-saxon.
La recherche historique sur la diversité sexuelle, incluant l'hétérosexualité,
va se professionnaliser, ce qui n'empêche pas certains chercheur-es issus de
la première cohorte d'obtenir une reconnaissance académique ou même de
s'intégrer dans le monde universitaire. S'il est plus récent en France, comparé
aux États-Unis et aux autres pays européens, et davantage coupé des réseaux
communautaires, l'essor de la recherche universitaire sur les homosexualités
y est néanmoins amorcé. Il reste à souhaiter que cet axe de recherche soit
non seulement présent à l'intérieur de la discipline historique, mais qu'il ne
soit pas marginalisé ni déconsidéré par rapport à des thématiques qui seraient
jugées plus fondamentales.
Selon l'historienne Florence Tamagne, les perspectives engendrées par la
volonté des gais et des lesbiennes de se réapproprier leur passé a enrichi l'his
toire des relations entre les personnes du même sexe et renouvelé la manière
même d'écrire l'histoire3 • Les défis étaient et demeurent pourtant nombreux,
que ce soit sur le plan des sources, souvent inexistantes, censurées, falsifiées
ou détruites, ou sur celui de leur interprétation. Le lesbianisme a été particu
lièrement occulté à travers les siècles, un silence faisant office d'interdiction :
pas besoin de condamner ce qui n'existait pas! D'où une quasi-absence de
traces alors qu'une part importante des sources pour étayer l'histoire de l'ho
mosexualité masculine provient des archives judiciaires. En outre, les rares
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écrits sur l'amour et la sexualité entre femmes sont majoritairement le fait
de plumes masculines exprimant une vision patriarcale, voire fantasmatique,
dont il est ardu de tirer des informations valides4 • Paradoxalement, ces limitations ont eu pour effet d'une part, de rendre incontournable une critique
serrée des sources disponibles, qui alimente à son tour la réflexion épistémologique, d'autre part, de stimuler l'exploitation de sources originales telles que
des archives sonores et visuelles ou les magazines populaires. Mentionnons
pour l'exemple les travaux de Martin Pénet sur l'expression homosexuelle
dans la chanson française, et ceux de Laura Doan et de Christine Bard sur les
relations entre la mode vestimentaire de la Garçonne et l'affirmation identitaire des lesbiennes des années 1920 en Angleterre et en France 5.
Linterprétation des sources soulève la complexe question du vocabulaire,
des définitions et des systèmes catégoriels employés pour nommer et normer
les sexualités (incluant l'homosexualité) et les genres, deux ensembles étroitement imbriqués l'un à l'autre, dans les divers contextes historiques et culturels. Quelles sont les continuités et discontinuités historiques dans l'usage de
ces signifiants, et quelles césures en découlent pour une histoire de l'homosexualité (ou des homosexualités)? Les interrogations sur les catégorisations
sexuelles ont rapidement débouché sur un débat à la fois politique, théorique
et épistémologique qui a polarisé les chercheur-es au début des années 1980,
entre les perspectives dites essentialistes, axées sur la démonstration d'une
continuité historique visant à établir que les homosexuels forment une minorité à l'intérieur de tout groupe social, et les courants constructivistes qui
examinent les processus sociaux et les pratiques discursives qui construisent
l'homosexualité, toute sexualité en fait, et soutiennent la thèse selon laquelle
l'identité homosexuelle est une création de la modernité occidentale. Quels
principes d'intelligibilité guident la recherche : l'acte (homo)sexuel est-il un
invariant historique ? Le désir homosexuel définit-il une nature ou une essence ? Ou, selon l'hypothèse foucaldienne, l'homosexualité renvoie-t-elle davantage à une forme d'expérience qu'à une forme de désir 6 ? Si tel est le cas,
comment se sont construites les figures contemporaines de !'Homosexuel et
de la Lesbienne et quels sont les conditions et les marqueurs de leur émergence historique ?
De tels débats ont suscité des divisions, lesquelles furent avivées par
les rivalités et disputes reliées à l'institutionnalisation du champ des études
gaies et lesbiennes. Par la suite, les tensions se sont estompées, même si les
paradigmes continuent de diverger et d'opposer les chercheur-es. À moyen
terme, ces discussions n'auront pas été stériles, bien au contraire. Le lecteur
intéressé pourra se faire une idée des acquis de la recherche historique sur
l'homosexualité en consultant quelques ouvrages récents qui présentent une
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synthèse des travaux réalisés dans un contexte spatio-temporel bien défini,
qui relisent l'historiographie existante à partir d'une approche comparatiste
ou qui offrent un panorama des façons dont l'homosexualité s'est conjuguée
dans divers contextes historiques et culturels7•
Au Québec, la recherche historiographique sur les identités, les commu
nautés et les cultures gaies, lesbiennes, bisexuelles et transsexuelles a connu
un développement lent et faiblement institutionnalisé. Plusieurs contribu
tions importantes viennent de spécialistes des sciences humaines, plutôt que
d'historien-nes de formation. Signalons à cet égard les travaux de Pierre Hur
teau sur les discours religieux: et juridique ainsi que sur la répression de l'ho
mosexualité masculine au début du xxe siècle, ceux de Chamberland et Hig
gins sur les vies des lesbiennes et des gais pendant l'entre-deux-guerres et ceux
de Viviane Namaste sur les artistes transsexuelles à Montréal8 • Une publica
tion majeure, Sortir de l'ombre, documente les transformations des commu
nautés gaies et lesbiennes de Montréal pendant la deuxième moitié du xxe
siècle à partir de textes écrits par des acteurs témoins de l'époque et des cher
cheurs universitaires également impliqués dans ces réseaux communautaires9•
Enfin, quelques mémoires ont été consacrés à des organismes ou des espaces
de sociabilité pour lesbiennes et gais10 • Malgré ces réalisations, ce domaine
de recherche ne fait toujours pas l'objet d'investissements structurés et suivis
qui jetteraient les bases d'un développement continu et fécond en contexte
universitaire ainsi que d'une collaboration entre tous les intéressés.
HOMOSEXUALITÉS : UN ENJEU POLITIQUE
PRÉSENTATION DU DOSSIER
Au Québec, l'un des principaux moteurs de la recherche historiogra
phique sur l'homosexualité depuis plus de deux décennies sont les Archives
gaies du Québec, créées en 1983, qui amassent des documents de toutes sortes
sur la vie des gais et des lesbiennes, assurent leur préservation, développent
des outils de recherche (archivistiques, bibliographiques) et offrent des ser
vices de consultationn . Ses collections ont été maintes fois mises à profit,
que ce soit pour des travaux universitaires, des reportages journalistiques ou
des activités de diffusion destinées au grand public, comme l'exposition His
toire de nos vies. Ce dossier s'ouvre par un entretien avec Ross Higgins qui
retrace le contexte de la mise sur pied des Archives gaies du Québec, dont
il est le cofondateur, ainsi que leur évolution subséquente. Auteur de contri
butions majeures à l'histoire gaie montréalaise, Higgins y partage également
sa réflexion sur quelques enjeux de la recherche historiographique, une ré
flexion inspirée par la perspective de l'anthropologie symbolique qui est la
sienne.
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La rapide évolution sociale et législative des dernières décennies concernant la situation des personnes homosexuelles suscite un intérêt indéniable
chez les sociologues et les juristes. Il n'est donc pas étonnant que la plupart
des contributions à ce dossier proviennent de spécialistes de ces deux disciplines. Leur regard se focalise sur l'histoire politique, plutôt que sur les dimensions identitaires, sociales et culturelles des transformations historiques.
Quels sont les changements ayant mené de la condamnation de l'homosexualité à sa reconnaissance officielle par l'État ? Quelles dynamiques régissent les
relations entre le mouvement homosexuel, les tribunaux, les partis politiques
fédéraux et provinciaux, les médias et cet acteur difficile à saisir que l'on dénomme l'opinion publique? Comment expliquer l'accélération, du moins
apparente, de ces transmutations au cours des dernières décennies ? S'agit-il
de mutations radicales qui mettent en cause l'ordre normatif des genres et
des sexualités, ou de modifications somme toute mineures visant à intégrer
une minorité discriminée? Telles sont les questions qui traversent les articles
du dossier et auxquelles les propos des auteur-es apportent des éléments de
réponses mutuellement éclairants.
En trois siècles, la gestion juridique de l'homosexualité est passée de la
condamnation sévère des mœurs homoérotiques à la légalisation des mariages
entre personnes du même sexe au Canada en 2005. Patrice Corriveau retrace
l'évolution de cette prise en charge juridique depuis l'époque de la NouvelleFrance jusqu'à la décriminalisation partielle des actes homosexuels avec le bill
Omnibus en 1969 et l'adoption subséquente de mesures législatives visant la
protection et la reconnaissance juridique des personnes homosexuelles. Dans
son ample synthèse, l'auteur s'intéresse plus particulièrement à l'influence des
discours religieux, médical et scientifique sur les transformations du discours
juridique. Tous ces discours qui légitiment l'intervention du législateur sont
en interaction constante, constate-t-il au terme de son analyse, et le discours
juridique se métamorphose en fonction des autres discours dominants.
Dans leur article sur le Programme canadien de surveillance des homosexuels durant la Guerre froide, Patrizia Gentile et Gary Kinsman mettent au
jour des pratiques de surveillance et de répression des gais et des lesbiennes
qui ont eu cours dans la fonction publique fédérale et l'armée durant les années 1950 et 1960 sous le prétexte que ceux-ci constituaient un risque pour la
sécurité nationale. À cause de leur caractère hautement secret, ces opérations
sont demeurées jusqu'à maintenant peu connues. À partir d'un travail de recherche qui s'est poursuivi sur plusieurs années, basé sur des entrevues et le
dépouillement de documents officiels, les auteurs documentent les méthodes
employées, y compris la mise au point de tests soi-disant scientifiques pour la
détection des personnes homosexuelles, ainsi que les conduites de résistance
déployées par les gais et les lesbiennes faisant l'objet d'une surveillance.
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Rétrospectivement, l'inclusion de l'orientation sexuelle dans la liste des
motifs prohibés de discrimination de la Charte québécoisedes droits et libertés
de lapersonne en 1977 est souvent interprétée comme la première étape d'un
inéluctable mouvement vers l'égalité juridique. Or il n'en est rien selon l'analyse que font Marie-France Bureau et Jacques Papy des transformations de
cette norme juridique. Faisant appel à quelques acteurs et témoins privilégiés
de cette évolution, ces juristes montrent que le geste hardi des législateurs
québécois - le Québec étant le premier État au monde à formaliser une telle
interdiction - visait au premier chef à offrir une protection contre la répression et la violence envers les homosexuels. Ce n'est qu'à la fin des années
1980 et au début des années 1990 qu'apparurent les conditions d'un réexamen des implications de la norme de non-discrimination qui ouvrit la voie
à des mesures de reconnaissance de la conjugalité et de la parentalité des gais
et des lesbiennes. C'est aussi à travers le dialogue social entre la communauté
homosexuelle et l'État que la norme juridique s'est transformée.
Quatrième pays au monde à légaliser le mariage entre personnes du
même sexe, le Canada fait figure de proue à l'échelle mondiale, d'autant
qu'il a été le premier à autoriser le mariage de gais et de lesbiennes venant
de l'extérieur du pays: La question du « mariage gai » a suscité des débats
déchirants dans la population québécoise et canadienne ainsi qu'au sein des
formations politiques fédérales. Selon la lecture de Sylvain Larocque, l'accès
au mariage constitue d'abord une victoire juridique, plutôt que politique,
pour la communauté gaie et lesbienne, une victoire obtenue à la suite d'une
longue série de contestations judiciaires amorcée dès les années 1970. Toutefois, les premiers gains déterminants ne surviennent qu'en 1995, avec un
jugement de la Cour suprême qui interprète la Charte canadienne des droits
et libertés comme interdisant la discrimination sur la base de l'orientation
sexuelle. Larocque examine les facteurs ayant amené les groupes homosexuels
à privilégier la voix juridique et les raisons de leur succès.
La juriste Ann Robinson s'est personnellement engagée dans la lutte pour
la pleine reconnaissance juridique des unions entre personnes du même sexe
et des familles homoparentales. Adoptant ici une perspective centrée sur la
lesboparentalité, elle propose une réflexion sur le « long chemin » parcouru
depuis Sappho par ces femmes qui aiment d'autres femmes, tantôt occultées
de l'histoire, tantôt démonisées ou pathologisées. Au Québec même, il n'y a
pas si longtemps, des lesbiennes ont perdu la garde de leurs enfants malgré
l'existence d'une norme juridique de non-discrimination, à la suite de jugements fondés sur des préjugés lesbophobes. Tout en soulignant les immenses
progrès accomplis pour la reconnaissance de la maternité lesbienne avec la loi
québécoise sur l'union civile, adoptée en 2002, Robinson déplore que celleci maintienne le principe de la dualité parentale au lieu de prendre acte des
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situations de pluriparenté et de pluriparentalité courantes parmi les familles
homoparentales, mais également de plus en plus fréquentes chez les familles
hétéroparentales.
Au-delà de ses succès sur le plan législatif et de sa visibilité croissante dans
l'espace public, l'action sociale des personnes gaies, lesbiennes, bisexuelles,
transsexuelles et transgenres (GLBT) constitue-t-elle un mouvement social
au sens sociologique ? C'est la question qui guide la fresque de 40 ans d' activisme autour de la diversité sexuelle qu'ébauchent Isabel Côté et Jacques
L. Boucher. Tout en relatant les temps forts de cette action collective au
Québec et ailleurs dans le monde, les auteur-es examinent le passage d'un
militantisme libérationniste, symbolisé par les émeutes de Stonewall à New
York en 1969 et misant sur l'affirmation de soi (coming out) et la visibilité publique, à des revendications réformistes qui canalisent l'action collective vers
l'appareil politico-judiciaire. De plus en plus investie vers l'intégration normative, sociale et institutionnelle, la mouvance GLBT conserve néanmoins
un potentiel de renouvellement, concluent les auteurs, notamment dans la
lutte contre l'exclusion sociale des minorités marginalisées et la remise en
question des modèles normatifs qui fondent les rapports sociaux de sexe.
Bonne lecture !
NOTES ET RÉFÉRENCES
Bérubé, Allan, Coming Out Under Fire. The History of Gay Men and Women in
World War Two, New York, Plume, 1990; Dong, Arthur (réalisateur), Coming Out
UnderFire, Deep Focus Productions, 71 minutes, 1995.
2. De classe ouvrière et d'origine franco-canadienne - il tenait d'ailleurs aux accents
I.
de son nom de famille, Bérubé raconte son itinéraire personnel et intellectuel dans
un article intitulé « lntellectual Desire », publié dans Susan Raffo (dir.), Queerly
Classed: Gay Men and Lesbians Write about Class,Boston, South End Press, 1997,
p. 43-66. Une première version de ce texte avait été présentée lors de la conférence
d'ouverture du colloque La Ville en rose: lesbienneset gais à Montréal - Histoires,
cultureset sociétés,UQAM et Concordia, 12-15 novembre 1992.
3. Tamagne, Florence,
« Histoire
des homosexualités en Europe : un état des lieux»,
Revue d'histoiremoderneet contemporaine,vol. 53, n° 4, 2006, p. 7-31.
4. Sur ce sujet, voir entre autres Marie-Jo Bonnet, Les relationsamoureusesentre
femmes, Paris, Éditions Odile Jacob, 1995. Édition revue et augmentée d'un ouvrage
antérieur, Un choix sans équivoque, Paris, Denoël/Gonthier, 1981 ; Laure Murat, La
loi du genre. Une histoireculturelledu « troisièmesexe», Paris, Fayard, 2006 ; Nicole
Albert, Saphismeet décadencedans Parisfin-de-siècle,Paris, Éditions de La Martinière,
2005, et « De la topographie invisible à l'espace public et littéraire : les lieux de plaisir
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lesbien dans le Paris de la Belle Époque», Revue d 'histoire moderne et contemporaine,
vol. 53, n° 4, 2006, p. 87-105.
5. Pénêt, Martin,« L'expression homosexuelle dans les chansons françaises de l'entre
deux-guerres : encre dérision et ambiguïté», Revue d'histoire moderne et contempo
raine, vol. 53, n° 4, 2006, p. 106-127; Doan, Laura, Fashionning Sapphism. The Ori
gins of a Modern English Lesbian Culture, New York, Columbia University Press,
2000; Bard, Christine, Les Garçonnes. Modes et fantasmes des Années folles, Paris,
Flammarion, 1998.
6. Olivier, Lawrence et Roger Noël, « Michel Foucault : problématique pour une
histoire de l'homosexualité», Revue sexologique, vol. 2, n° 1, 1994, p. 7-31.
7. Encre autres, on pourra consulter : Aldrich, Robert (dir.), Une histoire de l'ho
mosexualité, Paris, Seuil, 2006, traduit de l'anglais; Corriveau, Patrice, La répression
des homosexuels au Québec et en France - Du bûcher à la mairie, Sillery, Septentrion,
2006; Tamagne, Florence, Histoire de l'homosexualité en Europe. Berlin, Londres, Pa
ris I9I9-I939, Paris, Éditions du seuil, 2000; et le récent numéro de la Revue d'his
toire moderne et contemporaine, vol. 53, n° 4, octobre-décembre 2006, coordonné par
Florence Tamagne, sur le thème « Écrire l'histoire des homosexualités en Europe :
XIXe -XXe siècles».
8. Hurteau, Pierre, Homosexualité, religion et droit au Québec : une approche his
torique, thèse de doctorat, Département de religion, Université Concordia, 1991;
Chamberland, Line, Mémoires lesbiennes. Le lesbianisme à Montréal entre I950 et I972,
Montréal, Remue-ménage, 1996; Higgins, Ross, A Sense ofBelonging: Pre-liberation
Space, Symbolics, and Leadership in Gay Montreal, thèse de doctorat en anthropolo
gie, Montréal, Université McGill, 1997, et De la clandestinité à l'affirmation. Pour une
histoire de la communauté gaie montréalaise, Montréal, Corneau et Nadeau, 1999; Na
maste, Vivian K., Cëtait du spectacle! L'histoire des artistes transsexuelles à Montréal,
I955-I985, Montréal & Kingston, McGill-Queen's University Press, 2005.
9. Demczuk, Irène et Frank Remiggi (dir.), Sortir de l'ombre, Histoire des communau
tés lesbienne et gaie de Montréal, Montréal, VLB Éditeur, 1998.
10. Arsenault, Mathieu, Histoire de l'Association pour les droits des gai(e)s du Québec,
mémoire de maîtrise en histoire, UQAM, 2000; Hildebran, Andrea Logan, Lesbian
Activism in Montreal : I973-I979, mémoire de maîtrise en histoire, UQAM, 1997;
Noël, Roger, Pratiques politiques et formation de l'identité gaie au Québec, mémoire
de maîtrise en science politique, UQAM, 1993; Podmore, Julie, St. Lawrence Blvd.
as third city: place, gender and dijference along Montréal's Main, thèse de doctorat en
géographie, McGill, 1999; Shareck, Olivier, Évolution de l'opinion publique face la à
reconnaissance des droits des gais et des lesbiennes au Québec tel que vu dans les journaux
montréalais et dans les sondages, I967-I994, mémoire de maîtrise en histoire, UQAM.
Cette liste ne prétend pas à l'exhaustivité.
n. Des archives lesbiennes ont également été constituées durant la période la plus
effervescence du mouvement des lesbiennes, soit les années 1980, mais le groupe fon
dateur s'est désintégré sans assurer sa relève. Ces archives sont actuellement déposées
Association québécoise d'histoire politique
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au Centre communautaire des gais et des lesbiennes de Montréal. Pour sa part, le Réseau Vidé-elles, animé par Diane Heffernan et Suzanne Vertu, a accumulé plusieurs
centaines d'heures d'enregistrement d'événements et d'activités de la communauté
lesbienne montréalaise, constituant ainsi un fond archivistique d'une valeur unique.
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