LE CAMP DU DRAP D’OR :
LE CONTEXTE POLITIQUE ET DIPLOMATIQUE
par David POTTER
L
e 11 septembre 1521, le commis du trésorier de l’artillerie du roi à Troyes reçoit, par l’ordre de Galiot de Genouillac, grand maître de l’artillerie de France, de vastes cumuls d’étoffes et de l’appareil du Triomphe d’Ardres en juin 1520 et rangé depuis à Amiens. Par exemple, on détaille « deux grandes tentes, troys pavillons, la chapelle et chambre dudit seigneur, le tout de toille double » « pour servir ou faict de ses guerres mesmement en ce present voiage de Champagne »
BnF fr.10383, fo.178r-v.. Pendant l’année qui suit les évènements d’Ardres, on avait réparti la totalité de l’appareil de la fameuse entrevue aux nécessités de la guerre et de la cour ; issue funeste d’un spectacle qui finit dans le vent et la pluie du nord et qui, dédié aux arts de la paix, a échoué à éviter le début d’une longue période de guerre.
Cet exposé, a été écrit pour deux colloques en 2020 : le XII° colloque historique des Pays du Calaisis «Le Camp du Drap d'Or » de la Société des Amis du Vieux Calais et la journée de conférences du programme «1520, Tours prépare le Camp du drap d’or» à Tours, tous les deux rapportés à juin 2022.
Il faut, néanmoins, résister à la tentation de rejeter le « Triumphe d’Ardres » (comme on l’a décrit en France à l’époque) comme « beaucoup de bruit pour rien ». C’est vrai que dans l’année qui suit, les guerres entre François Ier et Charles-Quint ont commencé et que, en même temps, le grand congrès présidé par le cardinal Wolsey à Calais et Bruges a échoué. Deux ans après le Triomphe, la France et l’Angleterre étaient en état de guerre. On se souvient aussi du propos un peu ridicule de Michelet que le combat de lutte des deux rois (mentionné seulement par Floranges) fut un « petit fatal événement qui eut d’incalculables conséquences
Jules Michelet, Histoire de France, 1874, VIII, p.108-9. ». Les relations personnelles des princes de la Renaissance se sont présentées souvent, à mon avis, comme uniquement soumises aux pressions de la vanité et de la trivialité individuelles dans une sorte de vide économique et politique. On a beaucoup souligné la concordance entre les personnalités des deux rois, et avec raison. Même avant leur rencontre, en 1519 Thomas Boleyn, très proche du roi anglais, dans la lettre fameuse par laquelle il raconte le vœu des deux rois de ne pas se raser avant leur rencontre, souligne au roi François :«le grand agrément de personnes, appétits et manières entre le roi et lui, étant en quelque sorte une vraie cohésion d’esprits et désirs.»
Thomas Boleyn au cardinal Wolsey, Melun 14 août [1519], BL Cotton, Calig. D VII, fo.148-152 : «the great concordances which be in personages, appetites and maners bitwen the kings highnesse et hym, representing in maner oon very unite and coniunction of their myndes and desires, wherfor I told hym how his highnesse above all other intelligences, confederacions and amyties doth and woll always preferre this with hym as the most principalle and most imprinted in his hart and affection, whereof I firmly assured hym on the kings behalf like as the kings grace hath his entire trust, that he is of mutuelle correspondence in semblable entire affection and determinacion toward his grace accordingly.» Exagération diplomatique. Vrai : tous deux se sont adonnés aux faits d’armes et le culte de la chevalerie, ayant tous les deux gagnés des batailles au commencement de leur règne qui leur a donné une puissante idée de leurs rôles. Tous deux, intelligents et raffinés, ont primé le rôle de mécène dans le monde des humanistes et peintres. Tous deux sont des grands bâtisseurs. Mais il y a aussi des contrastes très profonds. Bien qu’il accueille les érudits et les écrivains à sa cour, François est d’une formation assez limitée. Il ne comprend pas ni écrit le Latin. Henri, par contraste a reçu une formation sérieuse : il a étudié le latin dès son jeune âge. Il peut parler et écrire en Français et en Italien. Il sait débattre sérieusement des points de théologie. Henry écrit beaucoup de sa main et avec complexité. François, bien qu’il écrit beaucoup de lettres de sa main, en est relativement malhabile. Henry est roi par résultat de l’usurpation de son père et grâce à un projet de changement de régime opéré par la France. François est roi par des règles de succession bien établis, ce qui engendre des modus operandi politiques très différents : François est relativement bienveillant et généreux ; Henry dès le début de son règne méfiant et vindicatif, quoique parfois génial - en effet un homme dangereux. Par contraste à son père il est avant tout un roi anglais qui ne doit rien à l’extérieure.
L’expression, « le Camp du drap d’or » est rare avant le XVIIe siècle et ce n’est qu’en imaginant l’événement dans le passé qu’on commence à adopter cette expression. Bien sûr il est certain que l’abondance du drap d’or est soulignée par le chroniqueur Edward Hall (1548), qui a écrit avant 1532 le récit le plus détaillé et vivant en Anglais, et plusieurs autres
Edward Hall, [Chronicle of] Henry VIII, ed. C. Whibley, 2 vols, Londres, 1904, I, p.187-218 ; John Hardyng, Chronicle (Londres: R. Grafton, 1543), p.clviii; R. Holinshed, Chronicles, Londres, 1571, p.1509-20. mais c’est sans utiliser le terme « camp du drap d’or ». En effet, c’est dans l’Histoire de France par Thomas Dannett (1600) qu’on lit les mots « camp du drap d’or » dans un livre anglais
« it was agreed that the next yeare an enteruiew should be of the two kings betwen Calais and Ardres which also was accomplished accordingly, with so great triumph & brauerie on both sides, that the French called the place of the enteruiew Le Camp de drap d’or », Thomas Dannett, A continuation of the historie of France from the death of Charles the eight Londres : Thomas Charde, 1600. Thomas Nashe finit son roman picaresque de 1594, The Unfortunate Traveller (Londres : T. Scarlett, 1594) sur le camp du roi d’Angleterre entre Guînes et Ardres (p.p.50).. Les Français l’ont plutôt l’appelé « le Triumphe d’Ardres », témoin Clément Marot dans sa ballade de jeunesse (qui sent tellement l’huile) ou son rondeau « de la vue des rois de France et d’Angleterre » (tous deux publiés dans l’Adolescence clémentine de 1532) ; comme Nicolle Gilles dans ses Annales de 1553
Clément Marot, Oeuvres complètes, éd. A. Grenier, I, p.345-6, 420 ; Nicolle Gilles, Annales et cronique de France, 1553, p.128 : « traicterent la veue & assemblee des Roys de France et d’Angleterre ou ils se trouverent en grand’pompe au plus grand triumphe ».. Belleforest parle des « triumphes » et « magnificences »
François de Belleforest, Grands Annales, Paris, 1579, fo.1420v.. À part cela, en France, ce n’est qu’au XVIIe siècle qu’on entend parler normalement du « camp du drap d’or ». Sous Louis XIV, c’est Mézeray qui réfléchit sur « le camp du drap d’or », quoique Varillas n’utilise pas l’expression
Mézeray, Histoire de France (1685) II, p.913. . Le grand tableau de Hampton Court est maintenant très bien connu, mais c’est la superbe gravure de James Basire, publié pour la Société des Antiquaires (1771-3), qui donne au grand public une idée concrète de l’évènement et stimule un regain d’intérêt.
The Field of Cloth of Gold par James Basire
(1774, RA ; 78.7 cm x 134.6 cm)
Pour les écrivains contemporains, bien sûr, c’est le spectacle qui compte. Des gens ordinaires, comme le moine de Montreuil, ont pris la peine de visiter le site et voir les merveilles du palais de Henry VIII à Guînes et les ruines des tentes de François Ier à Ardres
G. Servois, « Un voyage à Calais, Guines et Ardres en 1520 », Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, 1857, p.453-458.. Selon Hall, le vin coulait des fontaines à la porte du palais d’Henry VIII et les gens de Picardie, vagabonds, laboureurs, les charretiers fanfarons et les mendiants, se couchèrent ivres par les rues
Hall, I, p.218.. C’est une question à décider si le peintre du tableau de Hampton Court a pris cette scène de Hall ou si Hall a pris le scène du tableau. D’autre part, les agents italiens ont décrit abondamment les richesses vestimentaires (normal à une époque où l’apparence est le vrai révélateur de l’échelle sociale et politique) et surtout les bâtiments fastueux de l’événement. Quant à l’opinion publique, c’est une question de conjecture. Pour les caractères de Shakespeare au début de Henry VIII, c’est la prodigalité qui reste dans le souvenir de l’évènement (« O, many Have broke their backs with laying manors on ’em For this great journey »). Écho distant peut-être des frères du Bellay (« ny la grande despence superflue . . . tellement que plusieurs y portèrent leurs moulins, leurs forests et leurs prez sur leurs espaules »
Guillaume et Martin du Bellay, Mémoires, ed. V.-L. Bourrilly et F. Vindry, 4 vols. Paris1908-1919, I, p.101-2.. Jean de Bourdigné dans son Histoire aggregative de 1529 explique les « grands coustz, fraiz et mises » ainsi : « en ce temps ainsi que l’on disoit les roys de France, Espaigne et Angleterre estoient amys et alliez. Toutesfois telles alliances estoient au povre peuple trop grevables, au moyen que soubzumbre d’icelles on exigeoit et levoit (ainsi qu’il estoit le commun bruyt) plusieurs subcides et emprunctz au desceu du roy et des princes »
Jean de Bourdigné Hystoire agregative des Annalles et cronicques Danjou... Recueillies et mises en forme par noble et Discret messire Jehan de Bourdigne, fo.196v. . L’historien du XVIe siècle Belleforest suggère que « Dieu (peultestre) ne prenoit point plaisir en ces despences surperflues » et que « les Rois furent là dix ou douze iours follatrans, & ioüans ensemble tandis que leur conseil discouroit des affaires d'estat ».
Grands Annales, Paris, 1579, fo.1420v.
Les récits contemporains sont abondants, surtout côté français ; pour les documents financiers, les archives anglaises sont abondantes. Quand même, ils ne permettent pas une analyse coût-avantage, bien que les sources narratives soulignent clairement les efforts grandioses qu’on a fait des deux côtés afin d’établir une entente anglo-française pendant les années 1518 à 1521. L’État de la Renaissance est d’abord une machine de guerre. Mais les dépenses importantes des deux monarchies provoquent des questions sur leurs rôles matériaux : en effet par la prodigalité des travaux sur la « veue » des deux rois, on suscite du travail et de la circulation économique parallèles aux grands travaux sur les autoroutes et constructions urbaines des États modernes. Mais, pas comme pour les panem et circenses des grands jeux internationaux, en addition on est en quête de la « réputation » pour le bon goût, la générosité et l’extravagance concurrentiels. Il fallait toujours démontrer la vigueur économique sur les marchés d’échange au centre du déploiement militaire. Les historiens ont eu raison d’explorer les dimensions culturelles de l’événement et les dimensions symboliques des fêtes royales (par exemple Sydney Anglo), le dispositif matériel de la rencontre des souverains représenté par les comptes des ouvrages et des bâtiments ; l’approche archéologique et cartographique de Julian Munby. On a des récits des événements chevaleresques et on décrit les spectacles sonores des chapelles royales mais, sans les partitions, on ne peut que faire des comparaisons avec les textes musicaux de l’époque connus
T. Dumitrescu, The Early Tudor Court and International Musical Relations, Londres : Routledge, 2017..
Mais ce sont les bâtiments fabuleux qui restent dans la mémoire collective, grâce au tableau de Hampton Court et aux documents financiers. Pour les conseillers des rois, il y avait un certain désir le commémorer les évènements visuellement. Des grands tableaux de Hampton Court on ne sait presque rien certain du peintre ou sa date.
Sydney Anglo., ‘The Hampton Court Painting of the Field of Cloth of Gold Considered as an Historical Document’ The Antiquaries Journal, 46, ii, 1966, pp.287-307. ‘Le camp du drap d'or et les entrevues d'Henri VIII et de Charles Quint’, Fêtes et cérémonies au temps de Charles Quint, ed. Jacquot, J. (Paris, 1960), pp. 113–32 On a suggéré le peintre hollandais Cornelisz Antoniszoon dont le frère était certainement dans le service du roi d’Angleterre.
N. Beets,‘Cornelis Anthonisz, I’, Oud-Holland, lvi (1939), pp. 160–84. Note par G. Callender, Mariner's Mirror, xxv (1939), pp. 442–4 On sait qu’on a coupé et remplacé la tête de Henry VIII vers 1540 sur le modèle de Holbein. Mais il n’est pas inclu dans l’Inventaire de Henry VIII et il est possible qu’il faisait partie (avec le tableau de ‘L’embarcation de Henry VIII) du décor d’une grande salle de fêtes à Greenwich pour la réception de l’ambassade de France en 1527. Au 17e siècle il se trouvait au palais de Whitehall. Il est maintenant très bien connu, mais c’est la superbe gravure de James Basire, publié pour la Société des Antiquaires (1771-3), qui donne au grand public une idée concrète de l’évènement et stimule un regain d’intérêt. Enfin, Sydney Anglo a démontré en 1960 la valeur de ce tableau en corroborant les documents d’archives. Mais le point principal est que ces tableaux se situent au milieu des grands schémas décoratifs des demeures des serviteurs du roi au règne d’Henry VIII : en particulier ceux commandés par William Fitzwilliam et Anthony Browne à Cowdray dans le Sussex et qui démontrent clairement les deux thèmes de la guerre et de la paix dans les relations entre la France et l’Angleterre. Les fresques de Cowdray ont été détruits en 1793 quoique celles de l’expédition en France de Henry VIII sont connus par les gravures commandés par la Société des Antiquaires.
W.H.St. John Hope, Cowdray and Easebourne Priory in the county of Sussex (London, 1919), p.305-6; Richard Gough, Vetusta Monumenta III, p. [283-5] Mais il y avait une autre série de tableaux représentant, parmi les autres, l’ambassade du comte de Worcester et autres en novembre 1518 pour la confirmation du traité de Tournai et du mariage de la princesse Marie
Ayloffe, Anecdotes of Painting I, p. 166-170 The third is the largest, broad like the first. Francis on his throne at a distance with guards,&c. on each side in a line. Before him sit on stools with their backs towards you, four persons in black, and one like a clergyman standing in the middle and haranguing the king. On each side sit noblemen, well drawn, coloured, and neatly finished ..» ; les tournois au ‘Val d’or’, Fitzwilliam conduisant l’empereur à Douvres, et encore plus intrigant, l’ambassade du duc de Suffolk et Fitzwilliam en France en mai 1529, décrit par Richard Gough en 1796 «Francis I on his throne, with his courtiers and the Duke of Suffolk and earl of Southampton standing before him on embassy». C’est celui-ci qui fait penser de cette gravure à la Bibliothèque nationale de la cour de François Ier et qui semblent indiquer une ambassade d’Angleterre voyageant de Douvres en France.
BnF Estampes, Gaignières 859 fo.4.
Moins connu en Angleterre, les bas-reliefs de la galerie d’Aumale de l’Hôtel de Bourgtheroulde à Rouen, quoique sérieusement délabrés, offrent un complément important du panneau de Hampton Court et forment partie d’un remarquable témoignage d’un officier du roi, Guillaume le Roux, à la grandeur du roi et des princes. Comme le panneau anglais, ils venaient à la connaissance du public grâce aux gravures du XIXe siècle et sont d’une qualité exceptionnelle. Ces fragments indiquent au moins l’importance de la commémoration visuelle pour les grands serviteurs royales à l’époque.
Ici, j’ai voulu revoir le contexte géopolitique et me demander pourquoi, pendant ces deux semaines de juin 1520, on a dépensé tellement en trésor et travail. J’ai voulu le replacer dans le contexte des vastes luttes de pouvoir dont ils faisaient partie. On a dit tellement de choses sur les relations personnelles entre les princes, mais je me suis aussi rendu compte que c’est toujours difficile de révéler les motifs des princes et séparer les apparences de la tromperie. On pourrait déduire les objectifs de François Ier et Charles-Quint : pour le roi de France, c’est d’éviter que l’Angleterre penche vers une alliance avec Charles-Quint ; pour l’Empereur, c’est de rompre une alliance resserrée entre la France et l’Angleterre (comme on voit par exemple en 1526-1527) ; pour l’Angleterre, malgré des archives abondantes, c’est plus difficile – ironiquement - de pénétrer les motifs à cause des relations complexes entre Henry VIII et le cardinal Wolsey, des implications énigmatiques des documents et de la différence entre les manifestations de magnificence de cour et les calculs géopolitiques. L’année 1520, je crois, se trouve à la croisée des chemins des relations internationales de l’Europe moderne. Ces relations vont devenir un jeu d’échecs tridimensionnel complexe ; les coûts de la guerre vont augmenter immensément ; l’Empire ottoman menace la Chrétienté (la conquête de la Syrie et de l’Égypte en 1517, la menace sur Rhodes en 1517 et sa prise en 1522). C’est normal, bien sûr, de supposer que la rhétorique de la croisade contre le Turc, qui est partout dans le répertoire idéologique des échanges princiers, n’existait que pour cacher des objectifs réels. Mais la défense de la Chrétienté faisait partie naturelle de ce répertoire idéologique, quoique normalement sapée par les demandes immédiates. Néanmoins elle reste une source d’anxiété. François Ier peut écrire sérieusement en 1519 : « depuis que par la grâce de Dieu sommes parvenuz à la couronne de France, avons tasché de tout nostre pouvoir mectre paix en la Chrestienté affin que icelle d’ung commun accord à louenge de Dieu, exaltacion et augmentacion de nostre foy à plus grosse force, peust obvier et resister à l’entreprinse du Turc, qui la menasse et faict ses preparations pour l’invader »
François Ier à Thomas Wolsey, 17 mars 1519, BL, Cotton, Caligula EI fo.215.. De telles craintes, avec une conscience des coûts et des charges de la guerre, sans mentionner la menace des marchés financiers internationaux, le défi d’une hérésie sérieuse, consécutive à la déclaration de Martin Luther en 1517, ont tous provoqué parmi les universitaires et écrivains (dont un certain nombre avaient un accès privilégié aux princes) une conversation internationale et profonde sur la nécessité de la paix : d’abord Erasme, dans ses Dulce Bellum inexpertis (1515), Enchiridion Militis Christiani et Querela Pacis de 1517, et la satire plus étendue par Thomas More de la société chrétienne dans l’Utopia de 1516. On peut débattre dans quelle mesure ces idées ont pénétré les esprits des princes mais leurs conseillers – Wolsey, Duprat, Gattinara – en ont certainement pris connaissance. Ils ont répondu à un moment de méditation dans les conflits qui, depuis 1494, semblent de plus en plus échapper à tout contrôle.
Il faut aussi éviter d’accepter sans question la rhétorique de l’inimitié ancienne de la France et de l’Angleterre – on a souvent mentionné l’exclamation d’un frère du marquis de Dorset en rentrant en Angleterre que, s’il trouvait une seule goutte de sang français dans son corps, il s’ouvrirait les veines
Suriano,à la seigneurie de Venise, 18 juillet CSP VeniceIII, no.108, Marino Sanuto, Diarii, XXIX (1890), col.112 : « il fradelo dil Marchexe et … parlono insieme. Disse uno di loro : « Seavesse un gioze di sangue francese in corpo me lo avriria per trarlofuora, e l’altro rispose in stesso faria». Thomas Grey marquis de Dorset était à ce moment le seul marquis d’Angleterre. Il avait un grand nombre de frères. Il faut ajouter que, selon Suriano, le roi a ordonné l’arrestation du seigneur et l’aurait supplicié si le roi de France n’avait demandé son pardon.. Celle-ci est partout dans le discours des relations entre les deux royaumes. Les relations proches et les périodes de guerre alternent : des relations chaleureuses en 1514, 1518-20, 1526-33, les guerres de 1522-5, 1543-46. Mais il faut aussi avouer qu’un roi comme Henry VIII comprend parfaitement que la seule chose qui peut unifier le peuple Anglais c’est la guerre contre la France.
C’est Richard Pace, secrétaire du roi Henry VIII, qui, à la suite de la grande messe célébrée par le cardinal Wolsey à la fin des événements, avance l’idée de rencontres personnelles des princes, rapportée par Soardino, ambassadeur de Mantoue : Il est certain qu’on peut facilement traiter de l’amitié en l’absence des princes, mais elle augmente après par contact personnel et devient plus proche par des colloques et la conversation familière entre eux
Soardino au marquis de Mantoue, 25 juin 1520, Soardino au marquis de Mantoue, 25 juin 1520 AS Mantoue, Gonzaga, busta 636, fo.171: «Finita la messa uno Mr Richardo primo secretario del re anglese sopra al balcho dove la messa era cantata, voltatose verso li dui re in voce alta disse in sustantia la sotto scripta sentencia publichando la plenaria indulgentia a tutto quelli che erano presenti a dicte messa …. Certa cosa che la amicicia poterse facilemente contraere in absentie, ma intervenendoli por la presentie e como a mezio de le coloquii e domesticie conversacione devente magiore, se stabbilisse poi et se augmente quand che egli interviene le oratione et beneditioni de boni servi de dio a quali e donato tale auctoritate de medire como al presente haveva el Reverendissimo legato non solo nel reamo de Angliterra ma anchora in tutti li lochi nel quali el serenissimo re suo pretendeva iurisdicione …» ( Calendar of State Papers Venetian, III, no.93)..
Les « veues » – les rencontres personnelles entre les princes – étaient rares mais régulières, Richard II et Charles VI se sont rencontrés presque au même lieu en octobre 1396. Il y avait, bien sûr, des précédents malheureux : le pont de Montereau en 1419, ou Louis XI à Péronne en 1468. Plus heureusement, Édouard IV et Louis XI se sont rencontrés à Picquigny en 1475, Henry VIII et Maximilien en 1513. Un peu avant 1520, on a projeté des rencontres à Cambrai en 1516 entre François Ier et Charles, au printemps 1518
Lettre de La Rochebeaucourt, avril 1518 [?] BnF, fr.2933, fo.38r-v : « et pour ce qu’avez voulu savoir ce qu’on demanderoit à la veue et que le desirez savoir avant lad. veue, sont advertiz que leur ambassadeur des ceste heure a dit et declairé que son maistre vouloit requeryr de diminuer la somme qu’a le Roy sur le royaume de Napples ».. Puis, après 1520, les rencontres (sous contrainte) de François Ier et Charles-Quint et, plus aimablement, à Nice et Aigues-Mortes en 1538 et à Paris en 1539 ; et bien sûr, celle de Henry et François encore une fois à Boulogne en 1532. C’est François Ier lui-même qui écrit en 1533, que « la présence des princes, avecques les parolles portées de l'un à l'autre, a trop plus de force que chose qu'ilz puissent escripre l'un à l'autre, ne faire dire par leurs Ambassadeurs
François Ier à Jean de Dinteville, 12 août 1533, Camusat-ii-135; BnF, Dupuy 547, fo.258. Le roi peut ajouter quelques semaines plus tard : « d'autant que la parolle de prince à prince presens a par trop plus de force et de vigueur, pour tirer, l'ung de l'autre, ce qu'ilz désirent, que les propoz et lettres qu'ilz peuvent escripre et faire porter par leurs Ambassadeurs ». (Le roi à Dinteville, 27 août 1533, (Camusat-ii-137; BnF, Dupuy 547, fo.255). ». Il y avait aussi une vogue d’envoyer des ambassades de magnificence afin de célébrer les alliances, comme à Paris et Londres en 1518, à Amiens en 1527, encore une fois à Londres en 1546. Après 1550, les congrès diplomatiques ont lieu, pour la plupart, sans participation des princes.
Il faut aussi balancer les deux imaginaires de pouvoir politique et de chevalerie, qui sont tellement entrelacés en 1520. Lors du naufrage en Angleterre de l’archiduc Philippe le beau et sa femme Juana, reine de Castille, en 1506 il a été soigneusement conduits à Winchester où le jeune prince Henry lui a montré la table ronde du roi Arthur.
Gachard, Collections des voyages des souverains des Pays-Bas, Bruxelles, 1876, I, p.424. Dans un premier temps, on n’a pas mentionné les tournois dans les traités qui ont organisé la rencontre. On commence à en parler en 1519. Il y a peut-être un souvenir des joutes de Saint-Inglevert de 1390. C’est cela, on peut suggérer, qui aboutit à insérer le nom de « Sandifel » dans le traité de 1518. Plus récemment, on aurait vu le Pas d’armes de Sandricourt à Pontoise en 1493, et encore le tournoi de Chambly dans le même pays en 1519, et les tournois pour le mariage du duc d’Urbin à Amboise en 1518, les fêtes à Paris en 1518 pour la réception des ambassadeurs anglais et pour l’entrée du roi à Cognac en janvier 1520, loué par Floranges comme « encore plus beau » que celui d’Ardres et coûtant plus de 100,000 écus ; en Angleterre le grand tournoi de Westminster de 1511
MS de Floranges, BnF, Clair. 316, fo. 231v..
Le grand « roll » du tournoi de Westminster
(College of Arms, Londres)
Tout cela a permis l’entrelacement de deux imaginaires, celui des contes du roi Arthur et celui du monde matériel du pouvoir et de l’argent, celui de la grande stratégie et celui des contes des fées. Un ambassadeur du Mantoue remarque que le palais érigé par Henry VIII ressemble ceux décrit par Ariosto dans l’Orlando furioso
Soardino au marquis de Mantoue, 12 juin1520, Calendar of State Papers Venetian, III, no.81: « resembled one of the palaces described by Count Matheo Maria [Bojardo] in the “Orlando Innamorato” or in Ariosto's “Orlando Furioso»..
Quant à la stratégie, elle est le résultat d’un remaniement profond et inquiétant des relations entre les états dynastiques entre 1515 et 1520. Malgré le rapprochement de 1514 entre la France et l’Angleterre au sujet de Tournai, les relations entre les deux royaumes sont très hostiles en 1516 et 1517, suite à deux évènements : la conquête de Milan par François Ier en 1515 et la mort de Ferdinand d’Aragon au début de 1516, celle-là promettant un accroissement du pouvoir de la France, celle-ci un accroissement énorme du pouvoir de Charles de Habsbourg. Le traité de Noyon d’août 1516 (négocié par Chièvres) a essayé d’apaiser momentanément les querelles entre Charles et la France au sujet de Milan, Naples et Navarre, mais l’Angleterre en est absente. La situation de Charles reste incertaine jusqu’à son arrivée en Espagne et les diplomates français espèrent le voir en difficulté à cause de l’hostilité des grands et des villes d’Espagne envers un étranger. Les relations entre Charles et son grand-père Maximilien sont froides (en partie à cause de Chièvres) et c’est Henry VIII qui finance les manœuvres de l’Empereur en Italie contre François Ier. La note dominante est l’incertitude des relations internationales qui les rend difficiles à comprendre.
Jousting cheque, 1520
(Society of Antiquaries MS 136/1)
Par exemple, au début de 1517, François Ier offre à Charles, dans ses instructions à ses envoyés à Cambrai, une alliance rapprochée. Il vaut la peine un moment de considérer le ton tout à fait différent de celui de 1520, avec souci d’exclure Henry VIII des affaires du continent : compte tenu de « la grosse envye » que le roi d’Angleterre a contre le roi de France et « les mauvais tours » qu’il lui a faits, François instruit ses représentants auprès du roi d’Espagne de « faire l'ouverture de Tournay et de Calais et aultres terres que le Roy d'Angleterre tient deçà la mer et que le Roy donnera Tournay au Roy catholicque et qu'il luy donne ayde et secours à conquester Calais et autres terres que ledict Roy d'Angleterre tient deçà la mer. … Et, d'aultre part, en luyostant Calays, on luyostera le passage de ne faire jamais mal aux païs des dessus dictz seigneurs
Instructions de François Ier à Artus Gouffier de Boisy et autres à la « diète » Cambrai (les négociations entre les représentants de Maximilien et Charles) : Journal de Jean Barrillon, I, p.262-273. ».
Une réconciliation momentanée entre Charles et son grand-père s’accompagne de l’idée (fin1517) d’une réconciliation entre Henry VIII et François Ier au sujet de Tournai, et puis d’une alliance plus élargie. Pour la France, c’est le problème du contrôle de Naples par Charles suite à son avènement en Espagne qui l’inquiète. Les Pays-Bas, bien que normalement alliés et lien commercial de choix pour l’Angleterre, sont devenus peu fiables. Afin de se défendre en Italie et lever les mercenaires suisses, François Ier a besoin de finances et le roi d’Angleterre a une réputation de richesse en espèces (il faut se souvenir que Henry VII a su prêter aux Habsbourg une somme qui dépassait la totalité de ses revenus d’un an en 1505).
British Library Add. MS 59899, fo.85r: «Item delivered by the kings commandment to thembassadours off Flaunders as money lent to tharcheduc for his next voyage unto Spain …. CVIIIm £». Il contrôle une forteresse au milieu du territoire bourguignon, Tournai. Maximilien est âgé et faible. La succession à l’Empire est urgente et imminente pour la France. Là, c’est l’opportunité qui se présente en 1518.
Le camp du drap d’or résulte en effet de la stratégie de Wolsey en 1518 pour louvoyer parmi ces problèmes complexes. Pour les princes, c’est une question de décider comment répondre à ces pressions immédiates et garder une liberté de manœuvre, comment soutenir les pressions financières de la guerre. Pour l’Angleterre, où la France reste, au moins dans l’opinion publique, l’ennemi naturel, le maintien de la paix demande un règlement spectaculaire. On entend généralement que la vie de l’Empereur Maximilien va se terminer bientôt. Alors, en juillet, les articles de mariage entre la princesse Marie et le dauphin sont réglés. L’ambassade splendide de l’amiral Bonnivet (dont on a la suite de la correspondance) part pour l’Angleterre en août. Un espion anglais à la cour de France fait rapport que les Français se réjouissent de l’alliance mais il avertit des dangers, vu l’espoir peu réaliste des Français que les Anglais accepteraient de céder Calais. Néanmoins, il insiste que les atouts de négociation des Anglais sont forts : « pour despester la moytyedud. royaulme le Roy ne vouldroit qu’il n’eust l’aliance desd. Angloys, car aultrement il est perdu ». (Autrement dit, François Ier donnerait la moitié de son royaume pour l’alliance anglaise afin d’éviter sa perte)
L & PII, ii, 4356. 1518, une lettre d’intelligence concernant la France (août 1518), BL, Cotton, Calig. D. VII, fo. 22..
En juin 1518, François fait part à Wolsey du « desir que j’ay de vivre en toute bonne amour, amytié et alliance à jamais avec led. Roy vostre maistre
François Ier à Wolsey 23 juin 1518, BL, Cotton, Caligula, EI, fo.192. ». On signe le traité de la paix universelle à Londres le 2 octobre. Mais c’est inquiétant que, dans une lettre des ambassadeurs français interceptée par Wolsey, ils font rapport que, par crainte des offres des représentants de Charles à Henry VIII « nous avons besoigné, conclud et arresté tous les points et articles de l’[instruction] qu’il vous a pleu nous bailler au mieulx et au plus pres de vostre intencion
Bonnivet et autres à François Ier, 4 octobre 1518, BL Cotton, Caligula. E I, fo.195 (.L & P II, ii, 4479). ». Et ces « offres » du roi catholique ? On peut les déduire de ses instructions : pas moins qu’une « veue » entre Charles et Henry. Charles a dit à Henry qu’il était sûr d’être élu empereur et surtout « pour donner à congnoistre au dit roy d'Angleterre, comment et de quelle sorte il s'est conduit envers luy, et affin que par belles parolles et autrement il ne se laisse abuser et suborner des Francois, ne passer chose qui pourroit estre au dommaige et deshonneur du roy catholicque
Instruction de Charles roi de Castille, Bruges, 24 juillet 1518 L & P II, ii, 4336, Monumenta Habsburgica, II. B. I. 64 : « que le roy de France, voyant que par traictez menaces ne autrement il n'a peu desmouuoir le roy catholicque, ne le retirer et desioindre du dit s' roy d'Angleterre, pour se pouoir vengier de luy, comme il le desiroit, il n'a cessé de procurer et pourchasser la veue de lui et d'icellui roy catholicque, tant par deca comme en Espaigne, et ainsi paruenir a son intencion ». ». On voit ici l’origine des négociations parallèles entre Henry VIII et les deux autres princes en 1520.
On ne peut pas ici aborder la question des motivations de Wolsey et savoir s’il avait vraiment en tête un mécanisme d’arbitrage permanent de conflits internationaux, sauf souligner que les négociations qui suivent, jusqu’en 1522, en sont profondément marquées. Le 8 novembre 1518, on signe le traité à part « de Mutuo colloqui habendo » (sur la tenue du rencontre personne à personne)
Rymer, Foedera, XIII, 618. dont le premier article déclare « que lesdits redoutés rois de France et d’Angleterre doivent se rencontrer avant le dernier jour de juillet prochain (notez le 31 juillet 1519) afin de se voir et parler l’un avec l’autre au village de Sandifeld, qui est terre neutre, ou en une autre terre neutre décidée par les commissaires des deux parties et, afin de se saluer l’un l’autre familièrement, visiter, accepter et négocier et décider leurs affaires ensemble ». Des autres articles ajoutent : « Item, il est convenu et agréé que lesdits rois à leur congrès mutuel audit lieu, peuvent être accompagnés de leurs femmes, c'est-à-dire des deux reines, de madame mère du roi de France et aussi de leurs serviteurs et domestiques et pas des autres. Item . . . que avant le premier jour d’avril prochain venant avant ledit colloque, lesdits rois de France et d’Angleterre envoiront leurs commissaires au lieu de Sandyfel afin d’approuver la forme des colloques mutuels ».
Évidemment, l’entrevue n’a eu lieu qu’à l’été 1520 et à une date tellement retardée qu’il est inconvenant pour une reine de France, qui est en état de grossesse avancée, d’y assister. Pourquoi ? D’abord, la mort de l’Empereur Maximilien, en janvier 1519, suscite au roi de France les pires cauchemars. Jusqu’à l’automne 1519, la cour de France est dominée par le souci d’éviter l’élection du roi d’Espagne comme Empereur, avec ses conséquences, souci montré par le rythme de la correspondance royale, très intense pendant les premiers deux semestres de 1519, puis ralenti jusqu’en février mars 1520 et puis ralenti encore une fois jusqu’au début de la guerre en 1521. Le point de vue de François Ier est clair dans les instructions à ses délégués en Allemagne (en tête le même Bonnivet qui a négocié le traité de Londres) : « Vous entendez assez la cause qui me meut de parvenir à l’Empire, qui est pour obvier que led. Roy catholicque ne le soit. S’il y parvenoit, veu la grandeur des royaumes et seigneuries qu’il tient, cela me pourroit par succession de temps porter un prejudice inestimable et seroye tousiours en doubte et souspecon. Et si est à doubter qu’il mectroit bonne peine de me gecter hors de l’Ytalie
François Ier à Orval, Bonnivet et Guillart, 16 avril 1519, BnF, fr.5761, fo.82v-83r. ». C’est vrai qu’en 1520 le roi a voulu, en parlant au Pape, réduire l’importance de l’élection de Charles, menacé par la révolution imminente des Communidades en Espagne : « Et si ne fault craindre ce que dictes, qu'il a mieux de quoy que ses ancestres empereurs, car aultant que ses pays sont dispersés en divers lieux et loing les uns des aultres et de l'obéissance et qualité que chacun sçait, il sera assez empesché de les garder et conserver sans chercher aultre chose
François Ier à Alberto Pio comte de Carpi, 31 janvier 1520, Journal de Barrillon, I, p.151-162. ». Mais c’est là une question de propagande.
En janvier 1519, le maréchal de Coligny-Châtillon et le comte de Worcester sont chargés de négocier les modalités de l’entrevue, mais il est déjà clair qu’il y aura des problèmes, si bien qu’en mars on suggère pour la première fois la possibilité de préférer Ardres et Guînes
François Ier à Charles Somerset comte de Worcester, Paris, 27 janvier1519, BL, Calig, EI, fo.234 (L & P III, i, no.609, par erreur 1520) ; Sir Thomas Boleyn à Henry VIII, 19 mars 1519, BL Cotton. Calig. D VII, fo.188 (L & P, III, ii, no.2). . Mais, en août 1519, le moment est passé lorsque Thomas Boleyn dit au roi de France que la « veue » serait impossible, et l’informe de la promesse fameuse du roi anglais de ne pas se raser avant d’avoir vu son bon frère
Thomas Boleyn à Wolsey, 14 août 1519, BL Cotton, Calig. D VII, fo.143 (L & P. II,i, no.416): en réponse, François Ier « layde his hand on his berde, and saydsuerly he wold never putt it off till he hadde seen hym ». Wolsey à Sir Thomas Boleyn, juillet-août 1519 L & P, III,i, no.415.. L’année suivante, en février, Richard Wingfield, est envoyé en ambassade en France afin de dire à François qu’Henry n’a pas insisté sur la « veue » en 1519 par souci d’éviter de distraire le roi pendant les négociations pour l’Empire, et nie l’avoir fait sur l’insistance du nouvel Empereur
Instructions à Sir Richard Wingfield à declarer au roi de France (janvier-février 1520), L & P III,i, no.629..
Alors, la rencontre est encore une fois sur le tapis, et il faut se demander pourquoi. Pour la France, on peut aisément l’expliquer, comme je l’ai déjà indiqué. Pour les Anglais, les explications sont plus complexes. L’historien du cardinal Wolsey, Peter Gwynn, a suggéré que, si l’on accepte que le traité de la Paix universelle est une idée authentique, alors le maintien d’une alliance avec la France est d’une importance capitale
Peter Gwynn, The King’s Cardinal: The Rise and Fall of Thomas Wolsey, (London, 1990), p.144-5.. Il suggère en particulier que, sans cela, le travail et la dépense du Camp du drap d’or sont inexplicables. Pour lui, malgré le scepticisme des historiens comme Jocelyn Russell, le Camp du drap d’or reste un témoignage principal du désir de Wolsey d’établir une paix durable entre les deux pays. Pour Gwynn, les rencontres de Henry VIII et de l’Empereur à Canterbury, juste avant le Camp, et à Gravelines, juste après, signifient tout simplement un désir de la part de Henry et de Wolsey de rester corrects aux termes du traité de 1518. Peut-être, mais cela sous-estime la capacité des princes de la Renaissance à dépenser de l’argent en étalage de luxe et plaisirs, ce qui préfigure les projets d’infrastructure des états modernes, comme on a déjà indiqué.
En janvier 1520, François Ier envoie au cardinal Wolsey ses pouvoirs et instructions de conclure sur les modalités de la « veue »
TNA Kew, E 30 no.846 ; BL Cotton, Calig D VII, fo.172..
En mars, on signe un traité qui règle les conditions de la rencontre, suite à une série de pourparlers. Elle devait avoir lieu avant la fin de mai et à un lieu non fortifié, exactement entre Ardres et Guînes, le premier jour sur le territoire anglais, et le jour suivant sur celui de France. Mais maintenant on fait provision, « afin de d’illustrer un tel remarquable rencontre » de faire un concours entre hommes d’armes à cheval et à pied. Ensuite, pour éviter la foule, le nombre des invités doit être strictement réglé. Le personnel nommé pour régler l’assistance est convenu
Thomas Rymer, Foedera, XIII, p.708-10, signé à Châtellerault, 26 mars 1520 : « quo quidem in loco nulla tentoria statuentur » … « pro tam celebri convent illustrando » « se resolvent ad praeclarum aliquid equestri pedestrisque certamine faciendum ».. On a, évidemment, conclu sur la dimension chevaleresque qu’on n’a pas envisagée au traité de 1518. En janvier, François Ier charge le cardinal Wolsey de s’occuper des détails. Le maréchal de Châtillon et le comte de Worcester sont encore une fois chargés de conclure les détails exacts, et les pouvoirs données à Châtillon répètent presqu’exactement les termes du traité de mars, en ajoutant l’organisation du tournoi
BnF fr.5500, fo.226v-229v, formulaire de chancellerie sans date.. Le roi tient son ambassadeur en Angleterre au courant, mais on a peu de correspondance émanant de Coligny (les papiers de Florimond Robertet sont mieux préservés pour l’année 1521 que pour 1520). Une seule lettre indique l’importance de convenir exactement sur les questions minuscules afin d’éviter des problèmes de ménager une foule de plusieurs milliers de personnes des deux côtés. On apprend rapidement que l’Empereur a prohibé à ses sujets toute participation au tournoi
Gaspard Ier de Coligny à François Ier, BnF Dupuy 261, fo.24-5.. Les lettres du roi de France à Henry et Wolsey sont plus abondantes.
Pouvoirs de François Ier au cardinal Wolsey
(TNA, E 30/846)
On sait que, par le traité qui règle les conditions de l’entrevue des deux rois, le lieu de Saint-Inglevert a été désigné, mais au début de janvier 1520 le roi François annonce au cardinal Wolsey qu’il serait « mieulx que le lieu fust entre Guynes et Ardre, d’autant que le Roy d’Angleterre pourroit venir à Guynes et led. sr à Ardre, et au meilleu desd. Lieux pourroient faire tendre leurs tantes [et p]avillons d’eulx et de leur suyte, où se pourroient entreveoir, communicquer et [p]arler] ensemble, et puys la nuyt se retirer l’ung à Guynes et l’autre à Ardre
François Ier, mémoire pour Wolsey, 10 janvier 1520, British Library, coll. Cotton [ci-après BL] Caligula DVII, fo.172. Sur le rôle de la ville d’Ardres à cette époque, v. David Potter, « Ardres, ville forte française entre les grands pouvoirs européens, 1490-1560 ». https://www.academia.edu/44475625/Ardres_ville_forte_fran%C3%A7aise_entre_les_grands_pouvoirs_europ%C3%A9ens_1490_1560. ».
Le 27 février, le roi écrit à son envoyé en Angleterre, Montpezat, que : « vous savez l’incommodité qui est le logis [à] Ardre, car depuis qu’elle a esté brullee [tres peu de] maisons s’y sont reffaictes. A ceste cause [il a e]sté advisé que je y feroye me [ectre jusque’au] / nombre de cens [ affin de] loger et recueiller [ma suite et] je vueil que vous en devisez [avec monsr. le cardinal de la] manière que j’entends
François Ier écrit à Henry VIII, avril 1520
(BL Calig. E 1, fo.233)
clerement et par le moins [ce que] j’auray à faire, en manière que à lad. veue rien [ne se] trouve estrange d’un cousté ne d’autre et qu’il ne s[eroit] question que de faire bonne, privee et cordialle ch[ere] comme mon intencion, voulloir et desir sont qu’on f[ace.]
François Ier à Antoine de Lettes sr de Montpezat, BL, Calig. DVII, fo.178, mots restitués à un manuscrit brûlé en partie.
Les Anglais de Calais font savoir au cardinal Wolsey, en mai, que le roi de France avait réservé quatre maisons de la ville et l’abbaye d’Andres et entend ériger de grands bâtiments. Reste le problème des fortifications délabrées. Le 20 avril, le roi écrit à Gaspard de Coligny que : « Touchant la ville d’Ardre, je suis tres aisé que led. chambellan vous a respondu que on ne sauroit empescher que on ne fortifie ce qui est à nous. A ceste cause, je vous prie ensuivre ce que vous en avez entrepris et pour le temps que vous avez, qui est bien court, y faire faire le mieulx que vous pourrez. Car ce sera autant gaigné et commancement d’y faire encores mieulx cy apres
François Ier à Gaspard I de Coligny, 20 avril 1520, BnF, fr.5761.fo.37v-38v. ».
En effet, le roi en faisant demander des contributions extraordinaires des villes de son royaume vers la fin de l’année, se justifie par « la grande despence que nous avons faite et faisons pour les fortiffications de Thérouenne et Ardres et autres noz villes et places de frontière
François Ier à la ville de Chartres, 8 octobre 1520, AM Chartres ; impr. Merlet, « Lettres des rois aux . . . évêques … et commune de Chartres » Mémoires de la Société archéologique de l’Orléanais 3 (1855), p.19. ».
Les événements, qui commencent avec la rencontre des deux rois et leurs cours le jeudi 7 juin et s’étendent jusqu’au dimanche 24, furent décrits avec assiduité et appétit par les contemporains et ont été tant de fois racontés. Il est évident qu’au niveau de la culture, c’est l’émulation entre les cours qui compte. Quant aux affaires politiques, on est presque dépourvu de documents, des minutes, des instructions etc. pour la cause évidente de la proximité des rois et leurs ministres. On a observé que « des conférences secrètes se déroulèrent dans les coulisses des tournois et des réjouissances de façade. Les deux rois se parlèrent quatre ou cinq fois en particulier, et entre chaque entrevue une longue suite de négociations orales ou écrites fut menée par leurs conseillers
G. Frantzwa, 1520 : Au seuil d’un monde nouveau, Perrin, 2020. ». Mais où sont les preuves ?
Quant au volume des papiers de Wolsey qui s’occupe des relations avec la France, BL Calig. D VII renferme un grand nombre de documents sur la préparation de la « veue » jusqu’au fo. 240, mais très peu sur juin 1520. En effet la connaissance des événements dépend de quatre sortes de témoignage :
(1) les récits anglais, évidemment pas publiés à l’époque (Edward Hall en 1548, le manuscrit Ashmole)
Publié par Jocelyne Russell, The Field of Cloth of Gold (Londres, 1969), p.209-215. ;
(2) les rapports de quelques envoyés italiens, dont les plus intéressants se trouvent dans les Diarii du Vénitien Mario Sanuto et les archives de Mantoue ;
(3) les récits de Floranges et de Jean Barrillon, secrétaire du cardinal Duprat ;
(4) les plaquettes imprimées, surtout à Paris, et qui valent la peine d’être considérées. Quant à celles-ci, on trouve d’abord Campi convivii atque Ludorum agonisticorum ordo modus atque descriptio
Paris : Jean de Gourmont, 1520 USTC 145193 ; copie ms : BnF, Mél. Colbert 42(2), fo.378-83. en date du 11 juin, dont on a vite émis une adaptation ou traduction qui s’intitule La description et ordre du camp et festins des ioustes
Paris : Jean de Gourmont, 1520 USTC 26413., toutes des deux publiées par Jean de Gourmont. Ce texte est aussi l’inspiration et point de départ d’un autre par le poète latiniste Jacques Dubois (Sylvius), Francisci Francorum regis et Henrici Anglorum colloquium
Paris : Josse Badius Ascensius, 1521, USTC 145403 (4 copies). publiée au début 1521 dont la préface porte la date du 25 juillet 1520. Enfin un récit plus long s’intitule L’ordonnance et ordre du tournoy ioustes& combat a pied & a cheval, dont l’auteur s’appelle « Le serviteur »
Paris : Jean Lescailler, 1520, USTC no.26414 (3 copies).. L’analyse de ces plaquettes révèle une concordance importante entre leurs récits et les idées des humanistes. En particulier, le Campi convivii, la traduction en français, peut-être écrit par Guillaume Budé où son entourage, et l’œuvre de Sylvius, travaux de propagande pour la monarchie française, privilégient l’importance de la paix
« Francisci Francorum regis et Henrici Anglorum colloquium (Paris, Josse Badius, 1520) » éd. et traduit par Stephen Bamforth et Jean Dupèbe, Renaissance Studies, Vol. 5, No. 1/2, p.1-237 S. Bamforth et J. Dupèbe, « Un poème de Sylvius sur l’entrevue du camp du drap d’or », Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, 52, n° 3 (1990), pp. 635-642..
Le traité entre les deux rois est conclu au début des évènements, ratifié par les deux rois à Guînes et Ardres les 6 et 13 juin.
Le traité du 6 juin 1520, signé par Henry VIII
(Archives nationales)
Il règle d’abord des dettes du roi de France (accumulées depuis 1475), et du mariage de la princesse Marie avec le dauphin. La dette de 100 000 livres tournois par an est prolongée jusqu’à la mort de Henry VIII, que le mariage de la princesse et du dauphin ait lieu ou pas
Rymer, Foedera, XIII, 719-21 ; Giry-Deloison, François Ier et Henry VIII, p.126.. Le même « serviteur » qui a composé L’ordonnance a probablement composé une plaquette à l’honneur de Marie en 1518 : Epistre de madame la Daulpine de France fille du roy d’Angleterre adressée à la reine de France
s.l. et s.n, USTC no.64086.. La dette est en quelque sorte une pierre de touche pour les relations entre la France et l’Angleterre, sans cesse manipulable, compte tenu du pouvoir de négociation de l’un ou de l’autre royaume. En tout cas, la main de la jeune princesse Marie, tant de fois discutée et objet de marchandages entre les princes, reste à l’horizon pendant trente longues années, en l’absence d’une succession assurée à la couronne d’Angleterre.
On sait que l’Empereur fut très soucieux de « gratifier » Henry en avril et écrit de sa propre main
Charles-Quint à Wolsey le 23 avril 1520, BL Cotton, Vitellius B XX, fo.172.. On ne sait presque rien de la substance des pourparlers entre Charles et Henry à Canterbury, fin mai, mais il ne fallait pas de traces écrites ; le fait même de la rencontre suscita des questions sur les évènements à Ardres. Les rencontres, début juillet, à Gravelines et à Calais – où on a construit un autre grand pavillon temporaire égal à celui de François Ier à Ardres (que bientôt emportera le vent), rencontres qui, évidemment, ont été préparées depuis longtemps
Sidney Anglo, « Le camp du drap d’or et les entrevues d’Henri VIII et de Charles-Quint », Jean Jacquot (ed.), Fêtes et cérémonies au temps de Charles-Quint, Paris, 1959, p.127- ; Chronicle of Calais, p.29-30. sont également enveloppées de mystère. Le seul témoignage direct est une instruction donnée par le roi d’Angleterre à Sir Richard Jerningham, conçue afin de dissiper les soupçons du roi de France et suggérer qu’Henry avait repoussé les démarches de l’Empereur et de Chièvres visant à substituer Charles au dauphin comme fiancé de la princesse Marie
Instruction à Jerningham, juillet 1520 SP1/21, fo.20- (minute) L&P III, no.936, p.346- Wolsey à Henry VIII, mars 1521. L&P III, no.1213. Il est certain que François Ier a été inquiet. Il dit à l’ambassadeur anglais que : « s’il y aurait aucune chose avancé par lui (l’Empereur) et ses conseillers à son préjudice … que votre grâce ne la condescendrait pas (non plus qui il fera lui-même), par ce qu’il fait son compte que, partout que votre altesse se trouve, qu’il est là lui-même et que partout qu’il (le roi de France) se trouve, votre grâce est là aussi ; et que les vouloirs et les cœurs de vous deux sont une même chose
[Richard Wingfield/ Jerningham ?] to Henry VIII, Abbeville, 28 juin, BL Cotton Calig. D VII, fo.243-4 (datée par la présence du roi à Forestmonstiers).« that iff there shalbe any thynge by hym or his councellours advauncyd whyche might sownde to hys preiudice … that your grace wolde no more condescende unto the same then he wolde hymself, for he made thys rekenynge, that wheresoever your highness was, he was and wheresover he was your grace also to be, that bothe your wyllys and couraiges was one maner of thynge, so that the one of ye bothe beynge presente, there myghte nothing passe which might be annoyous or displeasure to the other ». Ruth : « Où tu iras j'irai, où tu demoureras je demoureray; ton peuple est mon peuple et ton Dieu mon Dieu» (Bible d’Olivetan 1535 fo.77v)..
En tous cas, François Ier se dit ravi par la réception de son envoyé Anne de Montmorency à Londres. L’ambassadeur anglais écrit à son maître : Il plaira à votre grâce imaginer que tout le plaisir, joie et confort qu’un être humain recevrait par la possession d’une chose de ce monde, votre grâce l’a lui donné … tellement qu’il m’a dit par ces mots exacts : Monsieur l’ambassadeur, le roi mon bon frère s’est montré vraiment mon ami parfait, tel que j’aurais voulu et désiré, et par lequel il m’a lié pendant ma vie lui faire tel plaisir et service dans mon pouvoir
[Richard Wingfield/ Jerningham?] to Henry VIII, Poissy. 19 July [1520], BL Calig. D VII, fo.242 : I fynde my selffe moche insufficient to gyff your grace knowledge of the joyeuse estate whyche he fynde the hymself in but it maye lyke your highness to imagine that all the pleasure, joye and comforte that humayne createur maye receive by the recovere and possedynge of erthelye thing your grace to have gyffyn hym at thys tyme in suche wyse sir that he sayde unto me these formall words : Monsr le ambassadeur, the kynge my good brother hathe as effecteouslys hewyd hymself to be my perfytt frende, as I myself cowd have wysshyd or desiryd by the whyche he hathe bownde me during my lyeff to do hym suche pleasure and service as maye be in my puissance. .
Ceci est confirmé par une lettre de Wolsey au roi, de mars 1521, et par l’opinion d’Antonio Suriano, qui déclare que Henry VIII est rentré en Angleterre « re infecta » et que la rencontre à Calais reste sans fruit parce que le roi anglais voulait « être français »
Wolsey à Henry VIII, mars 1521, L&P III, no.1213 ; Antonio Suriano au seigneur de Venise, 18 juillet 1520, Sanuto Diarii, XXIX (1890), co.112 le roi anglais « vole ser francese » .. Néanmoins, le 15 juillet 1520 on conclut à Gravelines un traité à l’intention d’exclure pour les deux parties aucune proche alliance matrimoniale avec le roi de France
TNA E 30, no.854, traité entre Henry VIII et Charles V à Gravelines, le 15 juillet 1520..
Pour l’historien anglais Scarisbrick, le but du triomphe d’Ardres – surtout pour Wolsey - fut de rassembler la chevalerie des deux pays afin d’éviter la guerre entre ces ennemis naturels
J.J. Scarisbrick, Henry VIII, p.79.. Selon Peter Gwynn, bien que Wolsey ait voulu éviter la guerre jusqu’en mars 1521, il n’avait pas de plan directeur
Gwynn, The King’s Cardinal, p.146, 151.. Cependant, il faut se demander pourquoi les Anglais ont voulu même entretenir l’idée d’une alliance matrimoniale avec les Habsbourg en mai-juillet 1520, et plus sérieusement en mars 1521. La clé se trouve dans une analyse très détaillée de Wolsey en mars 1521, qui écrit que le but principal du roi doit être d’éviter d’être entraîné dans la guerre par les autres princes
« that ye be nat by ther [contention and variance brought] onto the wer » lettre de mars 1521, L & P, III, n° 1213.. Quant au propos de tenir une conférence à Calais pour arbitrer les différends entre François et Charles, le cardinal déclare que : « La seule conséquence d’une telle assemblée serait la méfiance entre l’Angleterre et la France tout à l’avantage de l’Empereur
« I can not see to what purpose that dyetshulde serve, [or] what good effect shulde come thereof, but onely thereby ye shuld be browght in suspicion with Fraunce, and by [t]he collor of the same, the Emperor the sooner and rather shuld make hys hand with the same ». Ibid. ». Dans le cas contraire, le roi de France et l’Empereur seraient sous peu à genoux afin de s’assurer de l’alliance de l’Angleterre et, vu la certitude de la guerre entre eux, « non seulement ils seraient en lieu de chercher alliance et secours mais aussi, s’ils tentaient une attaque sans le consentement de votre grâce, ils seraient du tout anéantis
« And I assure your grace, may be or long to they shall on their handes and feet seke onto your highnesse; for if the French king and they be at pycke, as your grace shall perceyve they be ryghtlycke to be by the copy of suche letters as the French king now wrytyth to his ambassador, which I send onto the same herewith, Spayne also contynuyng in rebellyon, they [sha]llnatonely have nede of your favor, socor, [and] assystens, but also yf they attempt any thyng by [hosti]llytee, your grace nat consenttyng thereto, they shall be [utterly] undone». (L & PIII, i ,1213). ». Pour Wolsey, par conséquent, il faut en rester au traité de Londres afin de sauver la face et de s’assurer de l’avantage dans tout conflit à venir.
La dernière phase des négociations, qui ont commencé en 1518 avec le traité de Londres et ont continué à Guînes et Ardres en 1520, aboutira aux longs pourparlers de Calais et de Bruges en 1521. Négociation pénible des grands ministres des princes principaux de la Chrétienté : Thomas Wolsey, Antoine Duprat, Mercurino Gattinara et leurs entourages. La documentation de ces négociations est abondante - infiniment plus que pour les deux semaines à Guînes-Ardres 1520. Contrairement aux divertissements somptueux de 1520, le chancellier Duprat lamente à Calais «le gros ennui et fascherie que chacun porte icy où n’y a aucun passetemps, faulte de toutes bonnes choses et mesmement de vin, et grosse chereté.»
Duprat à Robertet, BnF fr.2985, fo.73. À long terme, l’idée de rester neutre n’était pas tenable pour l’Angleterre. Les armées de l’Empereur ont résisté à l’invasion des Pays Bas (ou, comme on l’a vu, François Ier a dissipé l’appareil du Triomphe en besoins militaires) et ont pris l’avantage en Lombardie. Pourquoi ne pas rejoindre le parti gagnant ? On pourrait conclure que les triomphes de 1520 ont visé à vivifier une alliance contre nature mais, pour l’Angleterre avec l’intention ultime de maximiser son pouvoir de négociation. Pour François Ier les évènements à Ardres en 1520 ont été cruciaux dans la perspective d’un conflit à venir sur tant de fronts contre un pouvoir dynastique qui posait une menace presque existentielle.
En tout cas, le vécu de ces journées à Ardres en 1520 et la « concordance » entre les caractères des deux rois restent un pôle de référence pour les deux cours. Quelques années plus tard, le cardinal Wolsey dit à l’ambassadeur de France que « après avoir veu le Roy à Ardre, il devint tant son serviteur pour les noblesse, vertu et dons de grâce et de nature qui sont en luy et pour lesquelles il a esté gagnié et tiré à l’aymer et honorer que depuis, quelque chose que soit survenue entre les deux rois, il n’a perdu la grande amour et dilection qu’il avoit et a encores à luy ». En effet, le cardinal s’attribue la décision de changer d’alliance en 1525 « et destourner ledict Roy d’Angleterre d’icelluy envahir ». Henry VIII lui-même insiste auprès de l’ambassadeur de France en 1527 que « depuis qu’ils s’entrevirent il avoit porté telle amityé et affection que peuvent porter deux simples gentilzhommes l’ung à l’autre ». Après 1525, Henry VIII reste « l’allié perpétuel » du roi de France jusqu’en 1543 et même à la fin du règne (juin 1546), après trois années de guerre, François Ier informe le roi d’Angleterre qu’il n’a jamais, dans son cœur, renoncé à son amour pour lui (« he never brake in his hert nor never will »)
Relation de l’ambassade de France (Gabriel de Grammont, Turenne et le Viste, en 1527, BnF, NAF 7004 fo. 5v, fo.15v ; lettre de Thomas Cheyney, juillet 1546, TNA, SP1/221, fo.97r..
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