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Pour un enseignement universitaire de la traduction

Turjuman, 2009, V18 N 2 , p. 117 – 140 Pour un enseignement universitaire de la traduction Mohammed ALKHATIB, Mohammed HASSANAT Introduction La traduction se caractérise par un domaine qui exige beaucoup de qualités et de capacités comme nous allons le voir dans ce travail. Quand nous évoquons donc l'enseignement universitaire de la traduction, nous pensons à une spécialité très vaste que l'on ne peut pas engloutir en quelques pages. Si nous examinons nos pratiques langagières quotidiennes, nous remarquons que l'on recourt à la traduction sans cesse: le manuel d'utilisation d'une machine ou d'un appareil électronique, les prescriptions médicales, le sous–titrage d'un film, l'interprétation d'un discours politique, les échanges commerciaux, … Cela veut dire que la traduction est très nécessaire pour notre vie et que beaucoup de domaines ne peuvent pas s'en passer. La traduction n'est pas un métier limité aux traducteurs professionnels. L'enseignant de langue étrangère pratique la traduction avec ses étudiants, le médecin le fait lorsqu'il explique à son patient les Pour un enseignement universitaire de la traduction |118 effets indésirables d'un tel ou tel médicament, l'informaticien utilise la langue d'arrivée pour expliquer les utilités d'un programme fabriqué aux Etats-Unis par exemple, etc. Nous allons essayer dans cette étude d'expliquer ce que nous entendons par "traduction" d'un point de vue linguistique et interdisciplinaire. Ensuite, nous allons mettre la lumière sur deux points importants: la différence entre la traduction professionnelle et la traduction universitaire, et les problèmes que l'on rencontrerait dans la didactique de la traduction. Que veut dire "traduire" ? Quand nous entendons le mot "traduire", nous avons l'impression de savoir ce que ce vocable signifie, mais lorsque nous commençons à pratiquer la traduction et à rencontrer des problèmes nous n'hésitons pas à chercher à mieux comprendre ce que ce domaine cache. Nous allons essayer dans cette partie de mettre la lumière sur la relation réciproque entre la traduction et la linguistique et sur l'interaction entre la traduction et les autres disciplines. - La traduction d'un point de vue linguistique Il n'est point facile de traduire un texte sans le comprendre, et il est impossible de comprendre un texte sans faire une analyse linguistique voulue ou non voulue. Voulue dans la mesure où le texte est compliqué, donc le traducteur essaie de déterminer les éléments linguistiques qui le composent, et non voulue quand les éléments 119 | Mohammed ALKHATIB, Mohammed HASSANAT linguistiques composant le texte sont clairs: sujets, objets, compléments, etc. Même lorsqu'on lit un texte en langue étrangère, on s'arrête quelques fois pour comprendre de qui ou de quoi parle l'auteur. Cette réflexion qui peut prendre quelques secondes ou dès fois quelques minutes, que l'on veuille ou pas, est une sorte d'analyse linguistique. Quand un signe linguistique avec ses trois composants (signifiant, signifié, référent) constitue un vrai obstacle pour le traducteur, une étude descriptive et analytique du texte devient nécessaire. Daniel Gile dit à ce sujet: " … en dépit de l'acceptation généralisée du principe universel de la succession compréhension-reformulation comme base de la démarche traduisante, la communauté des traductologues continue à reconnaître, sur le plan technique, l'intérêt de l'étude descriptive et analytique de mécanismes linguistiques de surface"1. Il convient de rappeler qu'en matière scientifique les résultats de l'analyse linguistique peuvent paraître plus évidents quand la description et l'analyse sont basées sur un corpus. Pour mieux identifier et 1 catégoriser les problèmes de reformulation ou Gile D.: La traduction. la comprendre, l'apprendre, Paris, Presses Universitaires de France, 2005, p.247. Pour un enseignement universitaire de la traduction |121 d'équivalence en traduction, par exemple, il vaut mieux avoir recours à une analyse linguistique basée sur un corpus. Qui dit "traduction" dit d'une manière ou d'autre "linguistique comparée". Cette branche de la linguistique cherche à identifier et à analyser synchroniquement ou diachroniquement les différences entre deux ou plusieurs langues, voire les différentes structures au sein de la même langue. A notre sens, les études comparatives faites entre les langues demeurent importantes et très utiles pour les traducteurs qui souhaitent obtenir des traductions de bon niveau. Certains traductologues ne sont pas pour l'étude de la linguistique comparée entre les systèmes linguistiques. Ils ne s'intéressent jamais à l'analyse linguistique des correspondances et des différences entre les langues. Voire d'autres traductologues dont Danica Seleskovitch ont rejeté la linguistique en bloc au motif qu'elle s'occupait de la langue en dehors de tout contexte de communication2. Or, il existe toujours la linguistique interne et la linguistique externe: la première étudie la linguistique en dehors de son univers, alors que la deuxième étudie la linguistique et ses interactions avec les autres disciplines du monde, comme nous allons le voir dans la partie suivante. Donc, que l'on le veuille ou pas, le recours à l'analyse linguistique (implicite ou explicite) du texte à traduire est inévitable, voire primordiale pour garantir une bonne traduction. 2 Ibidem, Gile D. p.246 121 | Mohammed ALKHATIB, Mohammed HASSANAT - La traduction : une science interdisciplinaire Lorsque le traducteur commence à traduire n'importe quel texte, en fonction de ce texte, il commence à avoir l'impression qu'il est linguiste, sociologue, psychologue, historien, littéraire ou philosophe. Linguiste, dans la mesure où on doit comprendre le système linguistique de la langue de départ et de la langue d'arrivée. Sociologue, quand on doit être au courant des faits sociaux traités dans le texte ou bien l'influence que la société exerce sur la langue "la sociolinguistique". Psychologue ou philosophe lorsque le traducteur doit aller au-delà du texte pour analyser et comprendre les pensées de l'auteur qui peuvent exiger une connaissance psychologique ou philosophique afin de dévoiler le référent caché dont l'auteur parle. Historien, dans la mesure où le traducteur fait face à des faits historiques dont il doit avoir une connaissance générale pour pouvoir les relier ensemble et donner une traduction logique et compréhensible. Littéraire, quand le traducteur ne doit pas faire une simple traduction d'une œuvre littéraire, mais il doit plutôt donner à sa traduction une allure littéraire pour ne pas faire perdre à l'œuvre originale son impact littéraire. Autrement dit, le traducteur doit être prêt à envisager toutes les disciplines et à avoir une méthodologie claire dans la traduction pour permettre au texte traduit de grader sa spécificité disciplinaire. Daniel Gile ajoute à ce propos que: "… la traductologie est interdisciplinaire. Le spectre est très large, que ce soit dans les questions abordées, dans Pour un enseignement universitaire de la traduction |122 les connaissances mobilisées ou dans les démarches méthodologiques adoptées. […] les traductologues, de même que les chercheurs des disciplines connexes, se posent régulièrement la question de savoir si l'on peut véritablement parler discipline à part." de la traductologie comme 3 La question à poser à propos de l'interdisciplinarité de la traduction est : est-ce que le traducteur doit passer par une formation pour avoir une connaissance sur toutes les disciplines ? La réponse dépend du traducteur même. S'il veut se spécialiser dans la traduction d'un domaine précis, comme la politique ou la littérature par exemple, il est préférable qu'il passe une formation dans ce domaine pour qu'il puisse comprendre les détails et les sous-entendus de ce domaine et par conséquent adopter une bonne méthodologie de traduction convenable à ce genre de texte. Par contre, si le traducteur envisage traduire tout type de texte, il doit se méfier des formules trompeuses et ne doit pas hésiter à avoir recours à des spécialistes dans le domaine en question pour éclaircir toute ambiguïté. Il convient de noter ici que le domaine socioculturel est un domaine qu'on trouve très souvent dans les textes à traduire et dont le traducteur doit être au courant. Même quand il s'agit d'un texte littéraire, politique, historique ou psychologique on y trouve souvent quelque part des éléments socioculturels. 3 Ibidem, Gile D. p.258 123 | Mohammed ALKHATIB, Mohammed HASSANAT La différence entre la traduction professionnelle et la traduction universitaire On exerce la traduction soit pour gagner sa vie ou bien, par curiosité, pour s'ouvrir aux autres disciplines et avoir d'autres connaissances dans les autres cultures. Le mot traduction est un terme pour nommer des activités et des finalités différentes. Par exemple, on peut recourir à la traduction dans l'enseignement des langues étrangères. En plus des exercices de thème et de version pour exercer la mémoire des mots et des structures en langue cible, le cours de traduction aide l'apprenant à réfléchir intellectuellement et à avoir une formation de l'esprit. Pergnier dit à ce sujet que la rigueur de la qualité dans l'expression se remarque notamment dans la version qui est "un exercice d'analyse de la pensée d'un auteur, formation à la précision et à la clarté d'expression, exercice de rédaction dans la langue maternelle, test de culture et de connaissances, voire développement du sens esthétique …"4 La traduction a donc de différentes finalités dont nous allons essayer ici d'expliquer deux: la traduction professionnelle et la traduction universitaire. 4 Pergnier M., préface de J. Delise et H. Lee-Jahnke (éd): Enseignement de la traduction et traduction dans l'enseignement, Ottawa, Les Presses de l'Université d'Ottawa, 1998, p.XI. Pour un enseignement universitaire de la traduction |124 - Traduction / interprétation Avant d'étudier la différence entre la traduction professionnelle et universitaire, il faut faire la différence entre la traduction et l'interprétation. Il est évident qu'il ait une différence claire entre la traduction et l'interprétation qui se résumé ainsi: la première doit être principalement à l'écrit, alors que la deuxième est à l'oral. Mais certains chercheurs évitent de faire des recherches sur l'interprétation en raison de ses caractéristiques spécifiques et ils croient que l'interprétation peut être aussi bien à l'écrit qu'à l'oral. A l'oral, quand l'interprète doit faire une interprétation simultanée d'un discours donné, et à l'écrit dans la mesure où il doit traduire préalablement un film ou une émission pour les diffuser en langue d'arrivée. Beaucoup de gens croient que l'interprétation est plus difficile que la traduction, car l'interprète doit faire une interprétation simultanée: écouter en langue de départ et parler en langue d'arrivée. En effet, il n'est pas facile de trancher entre l'interprétation et la traduction en matière de difficulté. Alors que le traducteur a le temps de réfléchir et de consulter les dictionnaires, dans la traduction d'un texte écrit, l'interprète est vraiment très limité dans le temps, voire il n'a que quelques secondes de décalage entre écouter et parler. Par contre, le traducteur est très surveillé par les lecteurs, car eux aussi ils ont le temps de lire et de vérifier la traduction; tandis que les fautes de l'interprète qui ne nuisent pas au sens sont souvent pardonnables en raison du contrainte du temps et dès fois de la difficulté du sujet. Il faut admettre que les matériaux utilisés dans l'interprétation sont plus 125 | Mohammed ALKHATIB, Mohammed HASSANAT compliqués que ceux dont le traducteur aura besoin: l'interprète doit avoir à sa disposition des appareils d'audio électroniques et dès fois informatiques dont l'emploi n'est pas simple pour les non habitués, alors qu'un dictionnaire ou une encyclopédie pourra suffire au traducteur. Malgré tout cela, on ne peut pas ignorer le fait que l'interprétation simultanée exige une lourde charge cognitive et pose des problèmes de production du discours. Il est très facile de faire la différence entre la traduction et l'interprétation, mais il n'est pas évident de déterminer qui est primordiale à l'autre. A notre sens, étant donné que l'oral est né, diachroniquement, avant l'écrit (l'homme a connu la parole avant l'écrit), la genèse de l'interprétation doit être avant celle de l'écrit. La preuve, dans la communication orale, les anciens chefs des tribus ayant de différentes langues s'échangeaient les messages par l’intermédiaire des messagers interprètes. Contrairement à la traduction, l'interprétation est avant tout un métier. Il est fort possible que l'on trouve quelqu'un qui exerce la traduction par curiosité pour apprendre et découvrir d'autres connaissances, mais il est très rare que l'on exerce l'interprétation comme passe-temps. Cela nous amène à examiner ce qu'on entend par la traduction professionnelle. - Connaissances exigées pour être traducteur professionnel Est-ce que les cours de traduction que l'on fait au collège, au lycée ou bien à l'université suffisent pour former un traducteur Pour un enseignement universitaire de la traduction |126 professionnel ? Il faut savoir que les cours de traduction scolaire insistent la plupart de temps au savoir, alors que le traducteur professionnel a besoin aussi bien du savoir que du savoir-faire. Les enseignants de la traduction parlent d'un "désapprentissage"5 pour éliminer les habitudes prises en cours de langue, car les étudiants qui arrivent ont été "rigidifiés par un enseignement qui leur a appris des mots et des équivalences"6 Donc, le savoir est nécessaire pour être traducteur, mais le savoir-faire est primordial pour être traducteur professionnelle. Le traducteur professionnel doit disposer de cinq compétences7 pour englober le savoir-faire. 1- Une compréhension exhaustive de la langue de départ L'une des conditions nécessaires pour qualifier un traducteur est la bonne connaissance d'une langue étrangère. Quand il s'agit d'une traduction de la langue étrangère à la langue maternelle, la maîtrise de la langue de départ requise pour la traduction est une connaissance passive. Le traducteur est censé comprendre ce qui est écrit, et non pas rédiger dans cette langue. Cette compréhension de la langue de départ varie en fonction du texte. Plus le texte est spécialisé plus la 5 Gile D.: La traduction. la comprendre, l'apprendre, Paris, Presses Universitaires de France, 2005, p.12. 6 Lavault E.: La traduction comme négociation, dans Delisle et Lee-Jahnke (réd.), 1998, p.81. 7 Les cinq composantes de la compétence traductionnelle dans un contexte professionnel sont évoquées par Roberts, 1984; Nord, 1991; Hansen, 1997; Neubert, 2000; Gile 2005. 127 | Mohammed ALKHATIB, Mohammed HASSANAT compréhension est difficile. Il ne s'agit donc pas de connaître la langue étrangère avec tous ses détails, comme un locuteur natif, mais il ne suffit pas non plus d'en connaître tout simplement les bases. Même un simple locuteur natif ne connaîtrait pas sa langue maternelle à fond. 2- Des connaissances extralinguistiques générales Les connaissances linguistiques que l'on apprend à l'école ou à l'université ne suffisent pas pour avoir un savoir-faire est être un traducteur professionnel. Il suffit de lire des traductions de certains étudiants pour se rendre compte que même une bonne connaissance linguistique non accompagnée de connaissances de la culture générale conduit à une mauvaise traduction: compréhension et analyse erronées du texte original, et expressions inadéquates dans la langue d'arrivée. "Connaître une langue, c'est également connaître une ou plusieurs cultures qui y sont intimement associées. Certains termes et expressions, notamment les termes culturels, sont indissociables d'un fait historique, d'un environnement social, d'une affectivité propre à une communauté linguistique, qui ont des incidences textuelles à travers des nuances dans des emplois et des sens"8. 8 Gile D.: La traduction. la comprendre, l'apprendre, Paris, Presses Universitaires de France, 2005, p.13. Pour un enseignement universitaire de la traduction |128 La culture générale doit être vaste pour le traducteur littéraire, le traducteur de publicité, de presse et de textes politiques, mais limités pour le traducteur spécialisé dans un domaine scientifique ou technique. Mais il doit avoir quand même des connaissances spécialisées dans son domaine de traduction: médecine, juridique, mathématiques, chimique, pharmaceutique, etc. 3- Un bon niveau de rédaction en langue d'arrivée Si le problème de compréhension est résolu chez le traducteur, il lui reste à faire face à une activité plus difficile qui est la rédaction. Le traducteur est lui-même rédacteur 9. Il est censé rédiger en langue d'arrivée un texte ayant, le plus proche possible, les mêmes caractéristiques que le texte de départ: informer, expliquer, convaincre, amuser, etc. Il est entendu que la bonne rédaction exige une compétence particulière et un certain goût en expression écrite de la langue. Les connaissances linguistiques et culturelles peuvent aider à rédiger un bon texte, mais ne suffisent pas toujours à produire un texte de bonne qualité. Par exemple, pour traduire un texte journalistique, il doit avoir un sens du langage journalistique. Par contre, le traducteur n'est pas obligé de se reposer sur les mêmes choix rédactionnels de l'auteur du texte de départ. Il peut adopter un style adéquat en langue d'arrivée pour réaliser un texte optimal. 9 Ibidem, Gile D. p.14. 129 | Mohammed ALKHATIB, Mohammed HASSANAT 4- Une maîtrise des principes traductionnelles A partir du moment où le traducteur est confronté à un texte ambigu, à une difficulté de compréhension ou à une difficulté de reformulation, il fait appelle à des techniques ou à des stratégies traductionnelles pour faire le bon choix. Cette compétence repose plus sur le savoir-faire que sur le savoir. Le traducteur doit avoir des techniques dans la recherche documentaire et la capacité de pouvoir prendre des décisions informationnelles et linguistiques dans la rédaction du texte d'arrivée. Il doit être également capable d'évaluer ses sources d'information et d'utiliser de différents outils dans la vérification de l'optimalité du texte d'arrivée. 5- Une connaissance des aspects pratiques Etant donné que l'on parle d'un métier, le traducteur doit avoir une connaissance du marché de la traduction et son contexte économique. Par exemple, il doit connaître ses clients potentiels, les domaines de spécialités très demandés, les règlements et les modalités de l'exercice de cette profession, les méthodes et les techniques de gestion de projets de traduction, des outils informatiques, etc. - La traduction universitaire Dans l'enseignement universitaire, la traduction peut être envisagée en deux aspects: aspect professionnel et aspect pédagogique. Pour un enseignement universitaire de la traduction |131 Le premier aspect concerne l'enseignement de la traduction en tant que spécialité pour un objectif professionnel. L'apprentissage de la traduction se fait dans ce cas par un programme précis, des méthodes adoptées par des spécialistes, par des enseignants spécialistes en traduction et qui peuvent être aussi des traducteurs professionnels en même temps, et le public visé est un groupe d'étudiants qui veulent être de futurs traducteurs et pratiquer la traduction comme profession. Quant à l'aspect pédagogique, il s'agit ici de la traduction non pas comme objectif, mais plutôt comme outil pédagogique. Par exemple, dans l'enseignement d'une langue étrangère, le passage par la traduction est presque obligatoire. Dans un sens fort de terme, qui dit « enseigner » dit « traduire ». Ni l’apprenant ni l’enseignant ne peuvent s’en passer. L’enseignant peut y avoir recours pour assurer la compréhension chez l’apprenant, ainsi que ce dernier traduit ce qui est écrit ou ce que l’enseignant explique pour s’assurer de la bonne compréhension. Le recours à la traduction peut être, donc, consciente ou inconsciente aussi bien chez l'enseignant que chez l'apprenant en classe de langue. Dans les cours de langues étrangères, certains enseignants donnent aux apprenants des exercices de traduction: thème – version. Ce type d'exercice, qui est critiqué par plusieurs didacticiens et qui le considèrent comme retour aveugle à la méthode traditionnelle, a prouvé de bons résultats avec beaucoup d'apprenants. La pratique non abusive de ce type d'exercice aide l'apprenant à faire des réflexions 131 | Mohammed ALKHATIB, Mohammed HASSANAT linguistiques et extralinguistiques aussi bien dans sa langue maternelle que dans la langue étrangère. Cette réflexion demeure très importante pour le bon usage de la langue. Quand l'apprenant utilise un terme ou une expression qui est valable linguistiquement, mais que l'on considère inadéquate dans tel contexte, on attire son attention à un problème crucial dans l'enseignement des langues étrangères qui est le bon usage. Le principe de l'approche communicative existe donc dans la pratique de la traduction en classe de langue. Mais cette pratique doit être bien guidée par l'enseignant dans l'objectif non pas de former des traducteur, mais plutôt de faire découvrir aux apprenants les erreurs fréquentes et l'usage maladroit de la langue étrangère pour les éviter plus tard. Il convient de noter que l'aspect pédagogique de la traduction existe aussi dans l'aspect professionnel de la traduction dans la mesure où l'enseignant-traducteur doit recourir à des méthodes et à des programmes précis pour former des traducteurs. Eventuels problèmes dans la didactique de la traduction Il s'agit dans cette partie de parler de la traduction non pas en tant que spécialité à un objectif professionnel, mais plutôt un ou plusieurs cours de traduction inscrits dans un programme universitaire afin d'initier des étudiants aux principes de la traduction. Nous allons traiter donc les éventuels problèmes que l'enseignant rencontre dans un cours de traduction. Il convient de rappeler, qu'à la différence de l'enseignement de la traduction professionnelle, il s'agit ici d'un Pour un enseignement universitaire de la traduction |132 enseignant non spécialisé en traductologie, d'un programme universitaire constitué de plusieurs cours dont les cours de traduction, et des étudiants ayant pour objectif l'apprentissage d'une langue étrangère par le biais, entre autres, de la traduction. Les problèmes les plus fréquents que l'on rencontre dans l'enseignement de la traduction sont: la maîtrise de la langue étrangère, le choix des documents à traduire, la motivation. Maîtrise de la langue Lorsqu'on parle de la maîtrise de la langue en traduction, on pense souvent à la langue étrangère. Il s'agit, en fait, ici de la maîtrise aussi bien de la langue de départ (souvent la langue maternelle) que de la langue d'arrivée (la langue étrangère). Nous allons nous baser dans cette étude sur notre expérience en tant qu'enseignant du français langue étrangère aux arabophones par le biais de quelques cours de traduction. Nous remarquons chez certains étudiants une faiblesse remarquable en langue maternelle (l'arabe). Ils arrivent à l'université avec un niveau qui ne leur permet pas de rédiger un bon texte en arabe. Cela signifie, même si on arrive à leur faire acquérir de bonnes connaissances linguistiques en français, ils n'arriveront pas à s'en servir proprement dans la traduction. D'autant plus, le manque de connaissances linguistiques en arabe influence négativement l'apprentissage du français. L'enseignant doit donc vérifier trois choses chez ses étudiants avant de commencer ses cours de traduction: leur 133 | Mohammed ALKHATIB, Mohammed HASSANAT niveau en langue maternelle, leur niveau en langue étrangère, leur style rédactionnel. Concernant le premier problème, l'enseignant peut proposer aux étudiants des exercices de rédaction en arabe en corrigeant avec eux les fautes courantes. Cela ne doit pas dépasser les trois premiers cours pour ne pas décevoir les bons étudiants. L'autre solution et de prendre note des fautes fréquentes des étudiants et des les commenter en un seul cours. Cet exercice est important, même si certains enseignants le négligent, car il sensibilise les étudiants à l'importance de la bonne maîtrise de leur langue maternelle. Quant au problème du niveau en français, c'est un problème que l'enseignant ne peut pas résoudre en quelques cours. Néanmoins, pour déterminer les problèmes de langue chez les étudiants, qui peuvent être variés, il peut leur proposer les trois premiers cours des sujets de rédaction pour en dégager les fautes les plus graves. Ensuite, il peut consacrer quelques cours pour faire des exercices grammaticaux intensifs sur ces fautes. Le problème ne sera pas résolu complètement, mais l'étudiant sera, au moins, sensibilisé à ses fautes. Le problème de style et d'équivalence sera le travail le plus long sur lequel l'enseignant et l'étudiant doivent insister. On peut déterminer les problèmes linguistiques des étudiants en français et en arabe et leur demander de travailler dessus, mais il n'est pas évident de déterminer le problème de style et d'équivalence car cela varie nettement d'un étudiant à l'autre. L'enseignant ne peut pas donner aux étudiants des règles fixes pour rédiger avec un bon style en français ou Pour un enseignement universitaire de la traduction |134 en arabe, mais il peut toujours demander à chaque étudiant de prendre note de ses propres problèmes de style et d'équivalence dans les deux langues et de les corriger au fur et à mesure. Par exemple, un étudiant peut trouver l'équivalent arabe adéquat de telle expression française, mais un autre étudiant trouve une autre expression valable mais moins bonne, et un troisième trouve une expression erronée qui ne va pas avec le contexte, et un autre ne trouve rien. L'enseignant ne peut pas résoudre le problème de chaque étudiant à part, mais chacun des étudiants peut prendre note de sa faute avec la correction. A la fin du cours, l'étudiant sortira avec beaucoup de remarques de types linguistiques et extralinguistiques dont il peut toujours se servir dans la réalisation d'un bon texte en langue d'arrivée. Choix des documents Le choix du document à traduire est une tâche qui n'est pas facile pour l'enseignant. Il doit prendre en compte le niveau linguistique des étudiants, le progrès pédagogique par rapport au programme universitaire, les actualités nationales et internationales et la diversité des sujets. Il y a quelques conseils que l'on peut proposer aux enseignants de traduction dans le cadre universitaire: Tout d'abord, il est conseillé que le choix des documents se fait en classe avec les étudiants. Chaque étudiant peut proposer le thème qui l'intéresse et il peut également chercher des textes sous ce thème. L'intérêt de déterminer les thèmes et les textes avec les étudiants est de les faire impliquer dans le processus d'enseignement et d'enlever la barrière de peur entre eux et les difficultés de traduction. 135 | Mohammed ALKHATIB, Mohammed HASSANAT L'homogénéité de groupe d'étudiants (sexe, âge, milieu social, objectif d'apprentissage) facilite le choix des documents, mais quand le groupe est hétérogène, et c'est le cas le plus fréquent, la diversité des sujets devient primordiale. L'enseignant doit prendre en compte l'hétérogénéité de niveaux des étudiants. Il ne doit pas choisir des documents trop faciles, ce qui ennuiera les bons étudiants, non plus des textes difficiles, ce qui compliquera l'apprentissage des étudiants faibles. Il est important de prendre en considération la progression entre les textes. Autrement dit, il faut commencer par le plus facile au plus difficile aussi bien au niveau linguistique, qu'au niveau extralinguistique. Au niveau linguistique, on ne peut pas, par exemple, proposer aux étudiants de traduire un texte avec le conditionnel et les hypothèses avant de voir les temps comme l'imparfait et le plus-queparfait dans des précédents textes. Quant au niveau extralinguistique, on ne peut pas demander aux étudiants de traduire un texte avec des connotations culturelles et des référents sociaux sans commencer par des textes simples sans ambiguïtés socio-culturels. Bref, le choix des documents dans l'enseignement de la traduction n'est pas une question facile. Il y a plusieurs critères que l'enseignant doit prendre en compte surtout s'il ne veut travailler qu'avec des documents authentiques. L'avantage des documents authentiques c'est que l'on apprend à l'étudiant de pratiquer la traduction avec ses vraies difficultés. Mais peut-on toujours trouver le document authentique qui convient à nos besoins pédagogiques comme Pour un enseignement universitaire de la traduction |136 la progression et le degré de la difficulté linguistique et extralinguistique ? D'après notre expérience, la plupart du temps l'enseignant est obligé de faire quelques modifications dans le texte pour l'adapter au niveau des apprenants. Cette procédure n'est pas très grave dans la mesure où les modifications effectuées ne nuisent pas au sens et à la structure générale du texte. Motivation Beaucoup d'enseignants négligent la question de la motivation chez les étudiants. Tous les pédagogues se mettent d'accord sur le fait que la motivation joue un rôle très important dans l'acquisition des connaissances. Le pire c'est que certains enseignants universitaires pensent que la question de la motivation n'est valable que pour les apprenants dans le cadre scolaire et non pas à l'université. Il convient de noter ici que beaucoup d'étudiants commencent à apprendre le français, dont des cours de traduction, avec une grande motivation, mais certains commencent à perdre le courage à cause de la difficulté de début de l'apprentissage. C'est ici que le rôle de l'enseignant doit être efficace pour re-motiver les étudiants. Il ne faut pas oublier non plus que les étudiants apprennent la traduction français-arabe, par exemple, non pas pour être traducteur professionnel, mais plutôt pour apprendre le français. C'est pourquoi il est bien normal de trouver des étudiants qui ne sont pas motivés pour les cours de traduction, mais ils le sont pour d'autres cours comme la littérature ou la civilisation. Dans ce cas là, l'enseignant peut profiter 137 | Mohammed ALKHATIB, Mohammed HASSANAT de la préférence des étudiants pour certains cours pour les utiliser dans un objectif traductif: traduire des textes littéraires dans le cours de la littérature, traduire des textes politiques et sociaux dans le cours de civilisation, etc. Il convient de noter enfin qu'il pourrait y avoir d'autres problèmes dans la didactique de la traduction universitaire, et ces problèmes varient en fonction des apprenants, des enseignants, du programme universitaire et des objectifs de l'apprentissage. Un enseignant de français retraité donne un conseil aux nouveaux enseignants en leur disant: le plus difficile dans l'enseignement n'est pas le fait de travailler avec des élèves, mais plutôt comment les faire travailler. C'est-à-dire, comment les motiver. Conclusion Il n'est pas évident de donner une méthodologie précise dans l'enseignement universitaire de la traduction. Néanmoins, on peut dégager quelques tendances dans l'enseignement universitaire de la traduction, dont Lavault (1993) y croit fortement. Tout d'abord, il faut admettre que dans l'enseignement universitaire de la traduction, on insiste sur la connaissance linguistique (morphologie et syntaxe), plutôt que sur la connaissance métalinguistique (pragmatique et socioculturel). Aucun enseignant de la traduction universitaire n'ignore le fait que son attention se porte plus sur des problèmes syntaxiques ou syntagmatiques du texte, que sur des problèmes de cohérence ou de Pour un enseignement universitaire de la traduction |138 cohésion du texte. C'est pourquoi on focalise notre attention plus sur la correction linguistique du texte d'arrivée que sur l'information même. Si nous posons la question à un enseignant de la traduction universitaire comment il évalue ses étudiants, il dirait qu'il se baserait sur leurs productions linguistiques. Moins il y a de fautes grammaticales, plus le texte est meilleur. Or, on ne prête pas beaucoup d'attention à la cohérence de la totalité du texte, et à la cohésion entre les idées véhiculées à l'intérieur du texte même. Notre objectif de cette étude n'est pas de juger la fiabilité ou pas des méthodes utilisées dans l'enseignement universitaire de la traduction, mais plutôt de faire des remarques sur ce type d'enseignement et de laisser la décision à l'enseignant en fonction de son public et leur objectif, de son établissement et d'autres contraintes pédagogiques qui peuvent varier d'un contexte à l'autre. 139 | Mohammed ALKHATIB, Mohammed HASSANAT Bibliographie Gile D.: La traduction. la comprendre, l'apprendre, Paris, Presses Universitaires de France, 2005. Pergnier M., préface de J. Delise et H. Lee-Jahnke (éd): Enseignement de la traduction et traduction dans l'enseignement, Ottawa, Les Presses de l'Université d'Ottawa, 1998. 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