Eric Ed412732

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ED 412 732 FL 024 752

AUTHOR Py, Bernard, Ed.


TITLE .L'acquisition d'une language seconde: Quelques
developpements theoriques recents (Second Language
Acquisition: Some Recent Theoretical Developments).
INSTITUTION Neuchatel Univ. (Switzerland). Inst. de Linguistique.
ISSN ISSN-1023-2044
PUB DATE 1994-04-00
NOTE 201p.; Formerly "Bulletin CILA" (ISSN-0251-7256).
PUB TYPE Collected Works Serials (022)
LANGUAGE French
JOURNAL CIT Bulletin suisse de linguistique appliquee; n59 Apr 1994
EDRS PRICE MF01/PC09 Plus Postage.
DESCRIPTORS Bilingualism; Creoles; Diachronic Linguistics; Dictionaries;
Discourse Analysis; Foreign Countries; French; German;
Language Maintenance; Language Research; Learning Theories;
*Linguistic Theory; Literacy; Metalinguistics;
*Psycholinguistics; Second Language Instruction; Second
Language Learning; *Second Languages; Social Influences;
Social Support Groups; *Sociolinguistics

ABSTRACT
This collection of articles on second language learning
includes: "Action, langage et discours. Les fondements d'une psychologie du
langage" ("Action, Language, and Discourse. Foundations of a Psychology of
Language") (Jean-Paul Bronckart); "Contextes socio-culturels et appropriation
des languages secondes: l'apprentissaga en milieu social et la creolisation"
("Socio-Cultural Contexts and Second Language Acquisition: Learning in a
Social Setting and Creolization") (Daniel Veronique); "Role des reseaux
sociaux dans le maintien de la lanaue maternelle, dans le developpement
bilingue et dans le developpement de la litteracie" ("Role of Social Networks
in Native Language Maintenance, in Bilingual Development, and in Literacy
Development") (Josiane Hamres); "De l'oral a l'ecrit en francais langue
etrangere: les procedes d'integration discursive" ("From Oral to Written
Language in French as a Second Language: The Processes of Discourse
Integration") (Robert Bouchard); "Analyse conversationnelle et recherche sur
l'acquisition" ("Conversational Analysis and Research on Acquisition")
(Ulrich Krafft, Ulrich Dausendschon-Gay); "Communication exolingue et
contextes d' appropriation: le continuum acquisition/apprentissage"
("Exolinguistic Communication and Contextes of Acquisition: The
Acquisition/Learning Continuum") (Remy Porquier); and "Representations
metalinguistiques des apprenants, des enseignants et des linguistes: un defi
pour la didactique" ("Metalinguistic Manifestations of Learners, Teachers,
and Linguists: A Challenge for Teaching") (Anne Trevise). Individual articles
contain references. (MSE)

********************************************************************************
Reproductions supplied by EDRS are the best that can be made
from the original document.
********************************************************************************
Bernard Py (ed.)

L'ac uisition
d'une-langue
secon.de
Quelques developpements
theoriques recents

U.S. DEPARTMENT OF EDUCATION


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59
Bulletin suisse
.1
IL de linguistique appliquee

avril 1994 2
Bernard Py (ed.)

L'acquisition
d'une langue
seconde
Quelques developpements
theoriques recents

CO.
f,kek0

P.1\6evOeCINe1\%

59
Bulletin suisse
de linguistique appliquee VA Ls
avril 1994 3 AS LA
Pub lie avec lc soutien financier dc l'Academie Suisse des Sciences Humaines et Sociales, le
Bulletin suisse de linguistique uppliquee parait deux fois par an.
Les fascicules portent une numerotation continue.
Abonnement personnel: Suisse sfr. 30.-- &ranger sfr. 35.--
Abonnemcnt d'institution: Suisse sfr. 50.-- &ranger sfr. _55.

Redaction et administration: Gerard Merkt. Institut de linguistique. Universite.


Espace Louis-Agassiz I. CH-2000 Neuchatel. Tel. 038/20.88.94. ccp 20- 7427 -I

© Institut de linguistique de l'Universite de Neuchatel, 1994


Tous droits reserves.
ISSN 0251-7256

2
Sommaire
Bernard Py:
Avant-propos 5

Jean-Paul Bronckart:
Action, langage et discours. Les fondements d'une psychologie
du langage 7
Daniel Veronique:
Contextes socio-culturels et appropriation des langues secondes:
l'apprentissage en milieu social et Ia creolisation 65
Josiane Hamers:
Role des reseaux sociaux dans le maintien de la langue maternelle,
dans le developpement bilingue et dans le developpement de Ia
litteracie 85
Robert Bouchard:
De l'oral a l'ecrit en francais langue etrangere: les procedes
d'integration discursive 103

Ulrich Krafft; Ulrich Dausendschon-Gay:


Analyse conversationnelle et recherche sur l'acquisition 127
Remy Porquier:
Communication exolingue et contextes d'appropriation:
Le continuum acquisition/apprentissage 159
Anne Trey ise:
Representations metalinguistiques des apprenants, des enseignants
et des linguistes: un deli pour la didactique 171

Comptes rendus
Francoise Cormon:
L'enseignement des langues, theories et exercices pratiques
(Georges de Preux) 191

R. Metrich; E. Faucher; G. Courdier:


Les invariables difficiles. Dictionnaire allemand-francais des
particules, connecteurs, interjections et autres "mots de la
communication" (Therese Studer Fliickiger) 194
Richard J. Watts:
Power in Family Discourse (Dr. Thomas Bearth) 198
Informations 204

3
Avant propos
Les textes reunis dans ce premier numero du Bulletin suisse de lin-
guistique appliquie constituent un reflet d'un cours organise pendant
rannee universitaire 1991-92 dans le cadre des enseignements de
troisierne cycle de la commission de coordination universitaire romande.
Ce cours avait pour objectif de presenter des travaux recents dans le
domaine de l'acquisition des langues etrangeres ou secondes. 11 etait
articule en quatre themes: approches d'inspiration cognitiviste,
generativiste, sociolinguistique (notamment interactionniste) et
didactique. Deux journees de travail etaient consacrees a chaque theme.
La responsabilite du cours incombait a madame Anne-Claude Berthoud,
professeure a l'Universite de Lausanne, a monsieur Daniel Coste,
professeur a l'Universite de Geneve (aujourd'hui directeur du CREDIF, a
l'Ecole normale superieure de Fontenay-St-Cloud) et au soussigne,
professeur a l'Universite de Neuchatel.
La grande qualite des exposés present& pendant ces huit journees a
incite les responsables a proposer une publication a la redaction de ce
qui s'appelait encore le Bulletin CILA. Seuls une partie des conferenciers
ont pu repondre a notre invitation. Qu'ils en soient ici chaleureusement
remercies. Leurs contributions constituent un panorama assez complet
des tendances actuelles de la recherche linguistique dans le domaine de
l'acquisition. Les travaux des generativistes ne sont malheureusement
pas represent& ici.
Ce numero commence par une importante contribution de Jean-Paul
Bronckart qui permet de situer dans un cadre plus global les approches
plus specialisees des autres auteurs. Daniel Veronique et Josiane Hamers
reflechissent chacun a leur maniere sur le fonctionnement des facteurs
sociaux. Robert Bouchart, Ulrich Krafft, Ulrich Dausendschon -Gay et
Remy Porquier abordent les problemes poses par l'acquisition a travers
divers types de discours et d'activites langagieres. Enfin Anne Trevise
s'interroge sur la maniere dont la didactique devrait ou pourrait prendre
en compte les activites metalinguistiques des apprenants.
Universite de Neuchatel Bernard PY
Centre de linguistique appliquee
Espace Louis-Agassiz 1
2000 Neuchatel

5
Action, langage et discours
Les fondements d'une psychologie du langages

I. Problemes de psycholinguistique
Des la fin des annees soixante, sous l'impulsion notamment de Bever
(1970) et de Sinclair (1968), s'est developpe un courant de psycholin-
guistique dice "autonome", dont l'objectif majeur n'etait plus - comme
dans les courants precedents - de proceder a la validation
psychologique de modeles communicationnels ou linguistiques
elabores par ailleurs, mais plutot de mettre en evidence les modes de
traitement specifiques que les sujets, adultes ou enfants, appliquent
dans leurs activites de comprehension ou de production du langage.
Dans la premiere partie de cet article, nous procederons a une analyse
de la problematique abordee par ce courant, en partant de ('examen de
deux thematiques de recherche developpees dans le cadre de recole
genevoise.
La premiere thematique etait devolue a ('etude du developpement des
mecanismes de comprehension d'enonces ou de phrases simples, et plus
precisement aux procedures d'identification des relations "sujet" et "ob-
jet" que ces enonces exprimaient. Un ensemble d'enonces (cf. les
exemples 1 a 6 du tableau 1) etaient proposes a des enfants de 3 a 12
ans, et ces derniers avaient a mimer, a l'aide de jouets disposes devant
eux, l'evenement que "traduisait" chaque &lona. Les diverses re-
cherches conduites selon ce paradigme experimental (cf. Sinclair &
Bronckart, 1972; Bronckart, Sinclair & Papandropoulou, 1976;
Bronckart, Gennari & de Week, 1981; Bronckart, 1983) ont fourni deux
types de resultats. El les ont permis tout d'abord d'identifier Page a partir
duquel les sujets prennent en compte dans leur traitement les trois cate-
gories d'indices disponibles dans les enonces isens des unites lexicales -
position des unites lexicales - operateurs specifiques de passivation
(enonces 3 et 4) ou de thematisation (enonce 5)1. El les ont permis
ensuite de determiner les modes d'interpretation (ou strategies) que les
sujets appliquaient a ces indices. Trois strategies s'elaborent
successivement. La premiere, qui est disponible des 4 ans, consiste a ne

Une version espagnole de ce texte a ete publiee sous le titre "El discurso como accion. Por un
nuevo paradigma psicolinguistico", dans la revue Anuario de Psicologia, 1992, 54, 3-48.

7
traiter qu'une seule categorie d'indice (le sens de chacun des lexemes de
l'enonce), et a realiser, sur la base de ces inferences semantiques,
l'evenement qui parait le plus plausible, c'est-A-dire le plus conforme
('experience pratique du sujet. Lorsqu'est appliquee cette strategie
lexico-pragmatique (selon l'expression de Noizet, 1977), les sujets
traduisent l'enonce 2, par exemple, par une action dans laquelle <le
garcon ouvre la boite> et l'enonce 4 par une action dans laquelle <la
maman lave le bebe>. La deuxieme strategic, qui s'elabore a partir de 5
ans, consiste a prendre comme seul indice la position de chacune des
unites lexicales; elle se realise sous deux modalites. Les enonces dont la
structure est de type "Nom-Verbe-Nom" sont interpretes
systematiquement comme traduisant une relation "sujet-action-objet";
dans ce cas, l'enonce 2 donne lieu a l'action <la boite ouvre le garcon>,
et l'enonce 3 a Faction <le tracteur renverse le camion>. Lorsque les
enonces presentent une autre structure (ordre "Nom-Nom-Verbe" des
exemples 1, 5 et 6), les enfants de cet age appliquent une autre regle
positionnelle qui consiste a considerer que le premier nom represente le
sujet, et le second l'objet. L'enonce suscite alors l'action <la fille
1

pousse le garcon>, l'enonce 5 l'action <le voleur bouscule le policies et


l'enonce 6 Faction <le tracteur renverse le camion>. La troisieme
strategic se caracterise par un traitement effectif des indices que
constituent les operateurs de passivation et de thematisation. Cette
strategic morpho-syntaxique, qui seule garantit la comprehension
definitive de l'enonce, est appliquee des 6 ans pour les phrases incluant
les operateurs de passivation: l'enonce 4 donne lieu alors a une action
dans laquelle <le bebe lave la maman>; mais elle n'est appliquee qu'a
partir de 9 ans pour les phrases incluant les operateurs de thematisation:
c'est a cet age seulement que l'enonce 5 donne lieu systematiquement
une action dans laquelle <le policier bouscule le voleur.

8
1. fille garcon pousser

2. boite ouvrir garcon

3. Le tracteur est renverse par le camion

4. La maman est lavee par le b6be

5. C'est le voleur que le policier bouscule

6. C'est par le tracteur que le camion rat renverc

7. Et - ha kelev - mezeez - ha doobee

8. Neska zakurrak bota du

Tableau 1: Exemples d'enonces proposes aux sujets dans le cadre de la premiere


thematique de recherche.

J/ Prifixe nominal (et' en hebreu) 4 ans

2/ Syntheme de passivation 5 ; 6 - 6 ; 6 ans

SynthCme de thematisation 9 ; 6 ans

41 Disinences nominales (k en basque) 10 ans

Tableau 2: Premiere thematique de recherche; hierarchie de complexite des indices (evaluee en


fonction de rage auquel les sujets interpretent conrctement les phrases qui les comprennent).

9 9
Ces resultats posent deux types de questions. Quel est, dune part, le
statut des strategies positionnelles qui s'elaborent des 5 ans? Sont-elles
inferees des regularites de structure apparentes dans la langue (l'ordre
canonique de la phrase francaise est effectivement de type "sujet-action-
objet"), ou constituent-elles le produit de l'application, dans le traitement
de la langue, de regles construites dans le cadre du developpement psy-
chologique global du sujet? Quel est, d'autre part, le statut des strategies
morpho-syntaxiques? Et plus precisement, dans quelle mesure l'acces
ce mode de traitement terminal est-il dependant de la forme particuliere
que prennent les operateurs morpho-syntaxiques dans le cadre d'une
langue naturelle donnee?
Les diverses recherches comparatives conduites ulterieurement dans
le cadre de langues naturelles presentant des structures
morphosyntaxiques proches ou nettement differentes de celles du
francais fl'anglais (Strohner & Nelson, 1974), le basque (Bronckart &
Idiazabal, 1982), l'hebreu (Frankel & al., 1980), le tagalog (Segalowitz &
Galang, 1978), etc.] ont permis de fournir des reponses precises a ces
questions. D'une part les strategies positionnelles s'elaborent aux memes
ages chez tous les sujets examines, quelles que soient les structures
apparentes des langues, et Ion peut donc raisonnablement considerer
qu'elles constituent le resultat de l'application a la langue de strategies
cognitives plus generales. D'autre part, l'acces a la strategic terminale
manifeste une nette dependance par rapport aux caracteristiques
morpho-syntaxiques specifiques de chacune des langues. Comme
I'indique le tableau 2, les operateurs qui prennent la forme de prefixe
nominal (par exemple, le prefixe et qui, en hebreu, est adjoint au nom
ayant la fonction d'objet - cf. l'enonce 7 du tableau 1) sont correctement
interpretes des 4 ans; les synthemes de passivation le sont a 6 ans
environ, les synthernes de thematisation le sont a 9 ans, et it faut attendre
10 ans pour que soit comprise la valeur fonctionnelle des desinences
nominales ou cas morphologiques (par exemple, la desinence k , qui
indique le "sujet" en basquei) - cf. exemple 8 du tableau 1).
La seconde thematique de recherche developpee dans le cadre de
l'ecole genevoise avait trait a la production d'enonces, et elle utilisait un

1 Cette de sinence est en re alite celle du cas "ergatif", qui marque la fonction de "sujet anime dune
action transitive"; cf. Bronckart & Idiazabal, 1983).

10
10
paradigme experimental inverse par rapport a celui de la premiere
thematique. L'experimentateur mimait (a l'aide de jouets) des
evenements concrets (exemple: <une voiture se &place vers un garage>)
en contrOlant systematiquement certains des parametres de l'action: la
duree (de I a I0 secondes), l'espace parcouru (nul ou plus ou moins
long) et la resultativite (Faction aboutit ou non a un resultat, par
transformation d'un objet ou atteinte d'un point marque dans l'espace).
Les sujets (de 3 a 20 ans) avaient a produire un enonce decrivant
Pevenement mime, et ce dans trois conditions qui se differenciaient par
l'ampleur du Mai de production: Cl: les sujets etaient autorises
produire l'enonce au cours du mime; C2: a la fin du mime; C3: apres un
delai d'une minute environ. La problematique centrale de ces recherches
etait de determiner laquelle de ces deux categories de facteurs
(parametres de ('action ou Mai de production) exergait une influence
sur l'emploi des desinences verbales (ou "temps des verbes": PRESENT,
PASSE-COMPOSE, IMPARFAIT, etc.), et en consequence, d'identifier la
valeur que les sujets attribuaient a ces desinences verbales. Les resultats
obtenus (cf. Bronckart, 1976) montrent que jusqu'a 6 ans, l'emploi des
desinences verbales n'est nullement influence par le alai de production,
mais depend totalement des parametres de l'action: utilisation du
PASSE-COMPOSE lorsque l'action est breve; du PRESENT lorsque
Faction est longue et ne donne lieu a aucun resultat tangible; dc
I'IMPARFAIT lorsque Faction dure et donne lieu a un resultat, etc. Chez
les sujets de cet age, les desinences verbales ont donc une valeur
apparemment aspectuelle. A partir de 6 ans, l'emploi des desinences
verbales commence a etre influence par le Mai de production
(utilisation du PRESENT lorsque le alai est nul ou court; utilisation du
PASSE-COMPOSE ou de I'IMPARFAIT lorsque le alai est long). Les
sujets de cet age commencent donc a attribuer une valeur temporelle
aux desinences verbales, et cette strategie l'emporte definitivement sur la
precedente a partir de 12 ans.
Ces resultats ont, dans l'ensemble, ete confirmes par les nombreuses
recherches comparatives realisees, notamment aupres de sujets parlant
l'anglais et l'allemand (cf. Di Paolo & Smith, 1978), et ils ont fait ('objet
d'une interpretation analogue a celle propos& pour les donnees de la
premiere thematique de recherche. Les premieres strategies qui sous-
tendent l'attribution de valeurs aux desinences verbales seraient univer-
selles et d'ordre cognitif (en francais, par exemple, les desinences ver-
bales ont surtout une valeur temporelle, et les reponses des sujets les

II
plus jeunes ne peuvent donc proceder d'inferences effectuees sur la
langue); les strategies ulterieures ont un caractere plus dependant de la
langue; elles impliquent une reconnaissance de la valeur effectivement
attribuee aux desinences verbales dans la langue concernee.
C'est sur la base de recherches de ce type que s'est developpee, au cours
des annees 80, une problematique generale de l'acquisition du langage,
particulierement bien illustree par le modele de competition de Bates &
McWhinney (1982), et qui presente trois caracteristiques majeures:
les indices disponibles dans une langue sont consideres comme des
unites porteuses a priori d'une information semantique ou pragma-
tique dorm& (on observera que la definition de la notion
d'"information" subit au passage une deformation non negligeable; it
ne s'agit plus du "taux d'incertitude" vehiculee par un indice, mais
bien de sa signification intrinseque);
les sujets sont &finis comme des systemes de traitement de l'infor-
mation, qui identifient, interpretent et stockent les significations vehi-
culees par les indices;
I'analyse du developpement du langage a des Tors pour but de mettre
en evidence les procedures de traitement generates (a priori univer-
selles) que les enfants appliquent au langage, en comprehension et en
production. Pour Bates & McWhinney, les procedures en jeu dans la
comprehension, par exemple, consistent a traiter les indices selon un
ordre qui depend de leur validite intrinseque, validite qui depend elle-
meme de leur degre de saillance et de leur degre d'ambigu(te
(resultant de l'eventuelle indice).
Se lon nous, cette forme de problernatisatiori de l'acquisition du lan-
gage laisse en suspens deux questions essentielles: 1) dans quelle me-
sure peut-on considerer que les indices disponibles dans un enonce sont
reellement dotes d'une signification intrinseque? 2) pourquoi, dans les
diverses langues naturelles, ces indices sont-ils aussi divers et aussi diffe-
remment organises? Les quelques elements de reponse qui apparaissent
dans les ecrits emanant de ce courant theorique semblent reposer sur
deux postulats. Le premier -generalement implicite- considere que l'in-
formation vehiculee par un indice, qu'elle soit simple ou complexe, de-
pend certes du co-texte, mais qu'elle reste independante du contexte, et
en particulier du statut de l'activite (de la tache) dans le cadre de laquelle
le traitement est realise. Le second postulat est formule quant a lui de
maniere explicite; it affirme que ce sont les modalites de traitement du

12
12
langage qui seules permettent d'expliquer les caracteristiques morpho-
syntaxiques des langues naturelles. Cette hypothese, déjà presente chez
Bever (1970), a ensuite ete reformulee par Bates & McWhinney, qui
soutiennent que les formes grammaticales sont determinees et organi-
sees par les contraintes memes des traitements qui leur sont appliqués.
Bien qu'ils ne permettent nullement de repondre de maniere satisfai-
sante aux deux questions posees (nous le demontrerons dans la partie
111), ces postulate constituent en realite les deux conditions qui permet-
tent aux recherches en acquisition du langage de s'inscrire dans la de-
marche interpretative aujourd'hui dominante en psychologie, a savoir
celle du cognitivisme, et it nous parait par consequent indispensable de
proceder a une analyse approfondie des caracteristiques de ce para-
digme interpretatif.

II. Le cognitivisme: objet et cadre interpretatif


Meme s'iI repugne souvent a le reconnaitre, le cognitivisme contempo-
rain est largement redevable de l'orientation que Piaget a dorm& a la
psychologie scientifique, et ce sont donc les propositions de cet auteur
que nous examinerons d'abord, avant de nous pencher sur les .apports
specifiques d'un courant plus recent, que Ion qualifie parfois de "cogni-
tivisme orthodoxe".

A. Le paradigme logico-genetique de J. Piaget


Pour Piaget, on le sait, la psychologie scientifique a pour objet d'expli-
quer les conduites, c'est-A-dire "les comportements y compris la
conscience", et cette demarche d'explication des conduites ne peut se
fonder que sur l'analyse de leur genese ou de leur construction: «seule
la formation (de I'individu) est explicative et source d'informations
controlables» (1970, p. 173). Bien qu'il y ait quelqu'impudence
condenser de la sorte la conception piagetienne du developpement,
nous considererons cependant que celle-ci s'organise en deux &apes
principales.
"Au commencement est le comportement, et le comportement est ac-
tion", au sens general du terme, a savoir celui d'echange (d'interaction)
entre l'organisme et son milieu. Dans les deux ouvrages fondamentaux
que constituent La naissance de l'intelligence (1936) et La construction
du reel (1937), Piaget montre que les echanges qui se mettent en place
des la naissance contribuent d'emblee a une transformation des proces-

13
1 1
sus inns d'interaction (des schemes reflexes): ('action de l'organisme sur
le milieu produit un ensemble de traces qui sont integrees aux structures
disponibles (prise d'indices par assimilation), et les echanges ulterieurs
qui se developpent avec les aspects "resistants" du milieu provoquent
une modification de ces memes structures (accomodation). Sous l'effet
des regulations, ces premieres constructions cognitives tendent progres-
sivement a l'equilibre et les interactions organisme-milieu apparaissent
comme sous-tendues et reglees par les schemes d'action, c'est-A-dire par
des modeles permettant notamment Ia repetition des memes actions
dans des situations analogues, leur generalisation a des objets de plus en
plus varies, etc. Par le jeu des memes processus de regulation, les
schemes se coordonnent entre eux, se differencient, se generalisent, en
un mot se structurent en ce qui constitue objectivement un systeme
cognitif, mental certes, mais encore totalement inconscient. Dans
('interpretation de ce processus, Piaget introduit deux considerations qui
nous paraissent determinantes.
1) C'est dans le cadre de ce schematisme sensori-moteur inconscient
que l'on peut observer la mise en oeuvre des premieres formes de Si-
gnifications. Le bebe qui assimile un objet a un scheme lui confere
de fait une signification, mais celle-ci reste "materielle" dans la me-
sure ou les signifiants des schemes ne sont constitues a ce niveau
que par les indices memes elabores dans l'interaction, indices que
Piaget qualifie pour cette raison de "non differencies".
2) Les processus qui sous-tendent cette construction (regulations et
equilibration) constituent le produit ou la traduction, au niveau de
l'espece humaine, de lois generales de coordination des echanges qui
relevent des mecanismes biologiques d'adaptation. Et c'est donc au
niveau de ces mecanismes biologiques que se situe la cause ultime
du developpement cognitif humain (cf. infra).
La seconde etape du developpement est constituee par la construction
de Ia connaissance proprement dite. Celle-ci procede essentiellement de
l'interiorisation du schematisme sensori-moteur et de sa reorganisation
au plan des representations, par le jeu des mecanismes d'abstraction:
abstraction empirique d'abord, qui porte sur les proprietes du monde
(des objets, des evenements) et les reconstruit en images mentales de
plus en plus stables; abstraction reflechissante surtout, qui porte sur les
proprietes du schematisme sensori-moteur lui-meme et qui contribue a
transposer au plan representatif les structures objectives de coordination

14
14
des actions, les transformant par la meme en structures operatoires,
ebauches des structures logiques de raisonnement: desormais le sujet
n'opere plus seulement sur le monde, mais opere aussi sur les represen-
tations qu'il s'en est forgees. Ce systeme operatif ne constitue cependant
un "systeme de pensee" que dans la mesure oit le sujet devient capable
d'y integrer, par le biais de limitation des comportements de l'entourage
humain, des signifiants "differencies", c'est-à-dire des unites figuratives
qui ne sont pas directement inferables des proprietes objectives du
monde (c'est le cas notamment des signifiants du langage). Cette inter-
pretation appelle ici egalement deux remarques.
1) Dans la perspective piagetienne, si les operations cognitives sont
bien le produit de l'interiorisation des schemes d'action, elles ne sont
pas pour autant directement accessibles a la conscience. Les prises
de conscience, et en particulier les verbalisations qui les concretisent,
sont le resultat de mecanismes seconds (ou supplementaires) qui ne
donnent acces qu'a une partie du systeme operatoire et qui ne four-
nissent en consequence qu'un reflet mental imparfait des significa-
tions qu'il vehicule; comme l'indique l'auteur lui-meme, eelles lais-
sent echapper une partie importante du schematisme sous-jacent qui
les rend possibles» (1965, p. 217).
2) Dans cette meme optique, le langage (comme ('ensemble des pro-
ductions socio-historiques humaines) ne constitue qu'une categoric
d'indices parmi d'autres, un peu particuliere sans doute2), mais articu-
lee au (et dependante du) meme systeme cognitif universel. Et cette
centration sur l'unicite du systeme de traitement conduit Piaget a une
forme de secondarisation (voire de negation) de la variete et des
specificites des langues humaines qu'illustre cette formule qui fait
echo au postulat de Bates & McWhinney discute plus haut: «les
structures generales mentales et les structures generales sociales
(done le langage) sont de formes identiques et temoignent donc d'une
parente de nature, dont les racines sont sans doute en partie biolo-
gigues» (1970, pp. 180-181).

2 Dans ('oeuvre de Piaget, les signifiants du langage sont generalement consideres comme des
intruments figuratifs "comme les autres". Un statut specifique leur est cependant accorde dans
Memoire et intelligence (1968, p. 15), mais cette ouverture a la perpective semiotique est restee
sans suite.

rJ 15
Ces elements de description du developpement permettent a Piaget de
formuler un paradigme interpetatif des conduites humaines, qui
s'articule en trois temps.
1) Sur le modele des sciences de la Nature, la psychologie peut d'abord
tenter de fournir une explication du comportement en en recherchant
la cause, au sens humien du terme, c'est-A-dire en tentant d'identifier
un evenement logiquement independant du comportement a expli-
quer dont ('occurrence est necessaire et suffisante pour provoquer
l'apparition de ce merne comportement. Alors que pour les behavio-
ristes, les causes sont a rechercher dans le milieu (contingences de
renforcement), ou eventuellement dans certaines traces internes de
l'effet du milieu sur l'organisme (histoire des renforcements), pour
Piaget les causes sont internes et relevent en definitive des modalites
de fonctionnement du systeme nerveux central: (des operations de la
pensee (...) tiennent aux coordinations generates de ]'action (...) et
non pas au langage et aux transmissions sociales particulieres, ces
coordinations generales de !'action se fondant elles-memes sur les
coordinations nerveuses et organiques qui ne dependent pas de la
societe), (1970, p. 177). A ('evidence, ce mode d'interpretation est re-
ductionniste; it explique des phenomenes se situant a un niveau
d'organisation donne (le comportement humain relevant de la psy-
chologie) en sollicitant des causes qui se situent a un niveau d'orga-
nisation inferieur (le systeme nerveux relevant de la biologie), et, ce
faisant, ne peut qu'escamoter les proprietes specifiques du pheno-
mene a interpreter.
2) Conscient des limites de ce premier Mode d'iMerptetatioh, Piaget ne
l'a que rarement invoque et lui a prefere une seconde demarche:
l'explication par construction de modeles, qui consiste a formuler
des hypotheses sur la structure de l'organisation mentale sous-ten-
dant les comportements, puis a proceder a la validation de ces hypo-
theses. Ce paradigme interpretatif se deploie en trois etapes. D'abord
le recueil des donnees et Fetablissement eventuel de "lois empi-
riques" attestant la generalite de la dependance d'un phenomene par
rapport a un autre et permettant de la sorte la prevision ("si x, alors
generalement y"). Ensuite la mise en connexion des regularites ob-
servees, et la deduction de nouvelles lois. Contrairement aux prece-
dentes, ces "lois deductives" ne se bornent pas au constat de la gene-
ralite de certains faits; elles introduisent un caractere de necessite, qui
tient aux proprietes logico-mathematiques de ractivite meme de de-

16

16
duction. L'elaboration, enfin, d'un modele mathematique
(groupement des &placements, groupe INRC, etc.) integrant les
differentes lois selon ses normes propres de composition et construit
de telle maniere qu'il permette une miss en correspondance entre les
transformations deductives qui le caracterisent et les transformations
observables dans les comportements d'un sujet. Un tel modele peut
etre valide par "retour aux donnees empiriques", et it n'est considers
comme explicatif que «dans la mesure ou it permet d'attribuer aux
processus objectifs eux-memes une structure qui lui est isomorphe»
(1970, p. 114).
3) On l'aura note, les deux modalites d'explication qui viennent d'etre
evoquees ne s'appliquent qu'aux comportements observables; qu'en
est-il alors des etats de conscience qui caracterisent les conduites
humaines? Pour Piaget, Ia conscience est un phenomene centrifuge
(second et partiel cf. supra), qui ne releve pas de l'explication, mais
de Ia comprehension; elle constitue un systeme de significations,
rattachees les unes aux autres par des liaisons implicatrices, et qui,
pour cette raison, ne peuvent etre considerees comme des causes ni
des comportements, ni d'autres significations: «2+3 ne sont pas la
cause de 5, mais equivalent logiquement a 5 ou l'entraInent implica-
tivement» (1965, p. 185).
Les trois niveaux de l'interpretation piagetienne des conduites hu-
maines peuvent des lors etre résumés comme suit: au centre, une expli-
cation des comportements observables par construction de modeles for-
malisant (ou simulant) les operations mentales qui les sous-tendent; en
amont, une explication stricto sensu qui attribue la cause de cette forme
d'organisation mentale aux proprietes du systeme nerveux central; en
aval, une comprehension des etats de conscience elabores sur (ou asso-
cies a) ce meme fonctionnement mental.
L'analyse de la demarche piagetienne appelle quatre remarques. La
premiere est positive: le constructivisme piagetien part des donnees em-
piriques et y retourne, comme en attestent les innombrables recherches
de validation qu'il a genere (ce n'est pas toujours le cas des &marches
cognitivistes contemporaines comme nous le verrons plus loin). Les sui-
vantes presenteront un caractere plus critique.
Tout d'abord, le milieu auquel s'applique l'activite cognitive est concu
comme un monde exclusivement physique, duquel sont -de fait-
bannies les determinations historiques, sociales et discursives de l'agir

17

17
humain: toute connaissance derive certes de l'action, mais elle ne de-
rive pas pour autant de l'activite, au sens vygotskien du terme, dans la
mesure oit le contenu specifique et le contexte de l'agir (quel type
d'action, dans quel but, et dans quelle forme d'interaction sociale?) ne
sont jamais pris en compte: seules sont interiorisees les proprietes lo-
gigues des schemes, par des processus derives des proprietes fonc-
tionnelles de la vie biologique.
Des lors, ('explication des conduites humaines se reduit a ('explication
des mecanismes de construction des connaissances formelles
censees sous-tendre les comportements objectifs. Le cognitivisme
piagetien s'inscrit ainsi dans une sorte de prolongement de la
demarche kantienne; certes, les "categories de l'entendement" ont des
racines (biologiques) et se construisent dans l'ontogenese, mais cette
construction s'effectue dans ('interaction du sujet avec un monde a-
historique et vierge de toute determination sociale. Aucun parametre
specifiquement humain ne pouvant influer sur le developpement, ce-
Iui-ci est en consequence regulier et necessaire, et les a priori
kantiens se retrouvent de la sorte simplement "differes".
Enfin et en consequence, cette forme de psychologie toute entiere cen-
tree sur ('explication de la "raison pure" exclut de son objet tout ce
qui releve de la "pratique": decisions, intentions, motivations, raisons
d'agir, negociation des normes sociales, etc. Si elle permet une des-
cription de la structure logique qui sous-tend l'agir, la psychologie
piagetienne ne fournit aucun acces aux conditions memes de l'agir,
conditions qui ne peuvent en aucune maniere etre confondues avec la
"raison pratique", c'est-à-dire avec la connaissance seconde que les
sujets s'en construisent3).
B. Le paradigme cognitiviste "orthodoxe"
Nous reprenons ici ('expression de "cognitivisme orthodoxe" (cf. Rastier,
1991) pour designer le courant des sciences cognitives qui s'origine
chez Turing (1936), qui est actuellement represents par les modeles
"modularistes" (cf. Fodor et Pylyshyn, 1988) et auquel s'oppose le
courant "connexionniste" remis a I'honneur depuis peu par Smolensky
(1988) notamment.

3 Kant distinguait la "raison pure et la "raison pratique", mais designait parfois cette derniere par
['expression "raison pure pratique", pour bien marquer qu'il s'agit aussi dune connaissance, non
de la "pratique" elle-merne et de ses parametres (intentions, raisons d'agir, etc.).

18

C'est un lieu commun d'affirmer que ce courant, comme toute de-
marche cognitiviste, se donne pour objet essentiel d'expliquer les pro-
cessus d'acquisition des connaissances et de traitement de l'information.
Dans la perspective qu'il adopte, les comportements observables sont
consideres comme des "signaux" relevant du milieu ou "monde repre-
sents"; ces signaux constituent la base empirique a partir de laquelle le
chercheur effectue des inferences qui lui permettent d'elaborer des mo-
deles susceptibles de rendre compte des caracteristiques structurales et
fonctionnelles du "monde representant", en l'occurrence des deux as-
pects de ce second monde que constituent d'une part l'etat physique du
cerveau, d'autre part l'etat des connaissances du sujet (cf. Rumelhart &
Norman, 1988). Pour le cognitivisme, I'humain est donc essentiellement
un systeme de traitement de l'information, c'est-A-dire une mecanique
qui traduit les informations disponibles dans le premier monde en repre-
sentations mentales, qui stocke ces representations, les organise et les
transforme. Les modeles successifs elabores par le cognitivisme (pour
une presentation plus detainee, cf. Bronckart, 1991) presentent certes des
differences notables: "modeles a base propositionnelle" dans lesquels la
connaissance est represent& par des suites de symboles organises en
arbres, en reseaux, ou en configurations plus structurees (schema, frame,
script, plan); "modeles analogiques" qui visent a reproduire, de maniere
aussi directe que possible (tendant a l'isomorphisme), les caracteristiques
du monde represent& et dont la forme contemporaine la plus elaboree
est sans doute celle des "modeles mentaux" de Johnson-Laird (1983);
"modeles proceduraux" qui ont pour but de simuler les savoir-faire pra-
tiques, c'est-A-dire ces formes de connaissances "inaccessibles" que les
sujets mettent en oeuvre dans des activites concretes (par exemples, les
divers processus impliques dans la prononciation du mot metaphysique).
Mais dans tous les cas, ces modeles ont une architecture et un mode de
fonctionnement qui sont explicitement inspires par la "metaphore de
l'ordinateur" (cf. McClelland & Rumelhart, 1986): prenant appui sur la
cybernetique et sur ('Intelligence Artificielle, le cognitivisme considere
que l'esprit humain est structure et fonctionne comme un ordinateur.
Dans sa problematique generale, le cognitivisme orthodoxe constitue
de fait une forme de prolongement de la demarche piagetienne, dans la
mesure ou it propose un ensemble de modeles de l'architecture et des
modes de fonctionnement du systeme operatoire a la fois plus &tallies
et plus diversifies [les modeles varient notamment en fonction du type
d'information faisant l'objet du traitement mental (cf. notamment le mo-

19
1 9
dele complexe propose par Levelt - 1989 - pour ce qui concerne le trai-
tement du langage, ou celui de Marr - 1982 - pour la perception vi-
suelle)l. Et on peut donc lui appliquer les trois critiques generales adres-
sees plus haut a Piaget: le "monde represents" source des donnees em-
piriques est exclusivement physique (c'est-A-dire a-historique et a-
social); l'objet d'etude est limits aux connaissances formelles elaborees
propos de ce monde; en consequence, le champ de validite d'une telle
demarche concerne la seule raison pure, non la raison pratique (meme
Iorsqu'ils sont qualifies de "proceduraux", les modeles cognitivistes
formalisent des representations mentales, certes inaccessibles, mais qui
ne doivent pas etre confondues avec les procedures de decision a
('oeuvre dans les activites humaines effectives).
Par rapport au constructivisme piagetien, le cognitivisme presente ce-
pendant deux differences essentielles, qui nous conduiront a aggraver
encore notre critique.
I) Alors que la demarche piagetienne est "genetique" (au sens de "cen-
tree sur la genese" des conduites), et invoque comme cause ultime du
developpement des connaissances les seules lois fonctionnelles de la
vie organique, le cognitivisme postule de fait un inneisme de struc-
ture: ('architecture des differents modules devolus au traitement de
l'information serait pre-programmee et reposerait directement sur
requipement biologique de l'espece. Dans la mesure ou cette archi-
tecture s'inspire explicitement de la metaphore de l'ordinateur, cela
implique que le mode de fonctionnement de l'ordinateur est similaire
A celui du cerveau. Ce retour a une position "fixiste" a deux conse-
quences theoriques qui nous paraissent capitales. Le paradigme
developpemental de Piaget postule, nous l'avons vu, que la connais-
sance procede d'une interiorisation du schematisme de ]'action. Cette
perspective permet d'une part de conferer un statut (discutable, certes,
nous y reviendrons plus loin) aux informations qui "entrent" dans le
systeme de traitement: la signification d'une empirie ou d'un indice
procede de son assimilation aux structures cognitives dont dispose le
sujet a un stade donne de son developpement. Elle implique d'autre
part que le mode d'organisation et de fonctionnement du systeme
cognitif prenne la forme de structures logico-mathematiques, dans la
mesure meme ou ce systeme ne constitue qu'une reconstruction
mentale (ou representationnelle) de la logique des actions. Chez les
cognitivistes, le probleme du statut des informations en entrée n'est
pas veritablement formule; les informations-significations semblent

20 20
o'>
fonctionner comme des concepts universaux "déjà la", qui releve-
raient d'une logique immanente du monde des choses (c'est une
consequence de la reprise par le cognitivisme de la triade aristoteli-
cienne choses-concepts-mots, que nous discuterons plus loin). On
retrouve ici le paradoxe constant des positions idealistes (non inter-
actionistes) et leur presupposition d'un monde tout entier preconstruit
que nos structures mentales ne feraient que "retrouver"; l'impasse a
laquelle conduit cette position a pourtant etc demontree depuis
longtemps par le Tractatus et par l'oeuvre de Wittgenstein en gene-
ral! Et pour ce qui concerne la forme d'organisation des representa-
tions mentales, le cognitivisme, recusant la logique emanant de l'in-
teraction, postule ('existence d'un systeme symbolique dont les unites
et la syntaxe ne seraient autres que celles du langage humain (plus
precisement, ce seraient les unites representatives des modules devo-
lus a la simulation des connaissances declaratives, c'est-A-dire aux
savoirs "accessibles" relatifs aux proprietes du monde, qui seraient
organisees comme un langage); scion la formule tristement célèbre
de Fodor (1975), l'esprit parlerait donc le mentalese (mentalais). Sur
un plan plus technique, les structures de ce langage mental sont
concues sur la base des modeles de grammaire universelle proposes
par Chomsky et recole de syntaxe generative. Pour les cognitivistes
donc, le langage de l'esprit serait organise comme le langage humain
(ce qui, sauf erreur, reste a demontrer), et le modele de langage hu-
main propose serait celui d'une grammaire dont on sait qu'elle a etc
elaboree dans une perspective qui neglige le statut historique des
langues naturelles (et notamment leurs processus de changement),
qui sous-estime leur diversite externe (les differences entre langues
naturelles) et qui ignore deliberement leur diversite interne (variation
d'usages sous la dependance du contexte social); comme le reconnait
benoitement Descles, ce qui est propose comme langage de l'esprit,
c'est un «systeme symbolique separe de son environnement socio-
culturel et anthropologique» (1980, p. 82). Faut-il rappeler qu'a ce
jour, la validite des modeles d'inspiration chomskyenne n'a jamais
fait ('objet d'une quelconque demonstration empirique, et que leur
pretention a l'universalite ne releve que d'une lancinante auto-pro-
clamation. Les travaux de Greenberg (1974), ceux de Creissels (1979)
et bien d'autres encore indiquent en realite que le champ de validite
de ces modeles ne &passe guere celui de quelques structures de
l'anglais ecri t.

21

21
2) La seconde difference concerne le paradigme interpretatif adopte par
le cognitivisme, dans le champ meme de la psychologie. Heritiers de
la rhetorique chomskyenne, les auteurs de ce courant ont coutume
de se presenter comme les tenants de Ia (seule?) veritable demarche
scientifique dans cette discipline et assenent a longueur d'articles les
arguments relatifs a la precision de leurs concepts, a la superiorite de
leurs formalismes, et a la falsification possible de leurs modeles par
retour aux donnees empiriques (cf. a ce propos, Rizzi, 1991 et
Viviani, 1991). En realite, les quelques etudes serieuses consacrees
aux concepts et aux arguments de Ia theorie chomskyenne par
exemple, ont fait apparaitre leur heterogeneite, leur absence de sta-
bilite, et en definitive leur incoherence (pour une demonstration
technique detainee, cf. Bes, 1987). Et s'il existe par ailleurs un
nombre impressionnant de recherches experimentales se reclamant
du cognitivisme (et produisant des corpus de donnees empiriques
sans nul doute interessants), rares sont celles qui s'inscrivent dans un
processus de falsification du modele; la procedure habituelle consiste
a emprunter au modele des sous-ensembles de notions (module,
schema, mernoire-tampon, etc...) qui servent de cadre pour Ia formu-
lation des hypotheses et pour les commentaires interpretatifs, mais
dont le statut reste essentiellement metaphorique: le modele lui-
meme, dans son architecture d'ensemble, reste a l'abri des faits. Et
lorsqu'il se modifie, c'est soit parce que des incoherences internes
(logiques) y ont ete decelees, soit encore parce que des postulate de
depart se sont revel& caducs (cf. les avatars de la metaphore de l'or-
dinateur). La demarche cognitiviste se situe donc bien en delta du pa-
radigme d'explication par construction de modeles telle qu'il a ete
propose par Piaget: les "lois empiriques" sur la base desquelles les
modeles sont construits sont hautement contestables (cf. plus haut le
statut des grammaires chomskyennes), Ia necessite interne regissant
les lois et transformations des systemes mentaux reste introuvable, et
la projection isomorphique du modele sur les donnees empiriques
qui seule garantit le caractere explicatif de la demarche n'est -de fait-
jamais realisee. En realite, le statut du discours cognitiviste n'est rien
moms qu'ideologique, et it n'est des lors pas etonnant que les memes
chercheurs, avec les memes procedures experimentales, aient pu,
sans aucune difficulte apparente, inscrire leurs travaux d'abord dans
le cadre behavioriste, ensuite dans celui du cognitiviste orthodoxe,
actuellement dans celui du connexionnisme, en attendant de se sou-

22
,.2
mettre a Ia «puissance explicatived de la prochaine (eidee guided (ces
formules sont de Rizzi, 1991, p. 22).
«Heidegger estimait en son temps que la cybernetique constituait
l'aboutissement de la metaphysique occidentale. Ce jugement sans
doute excessif temoigne malgre tout d'une certaine clairvoyance (dans
Ia mesure oa le cognitivisme qui en est derive se borne a) reiterer les
theses principales de la tradition occidentale, mais a son insu et de
maniere affadie, car privee de dimension reflexive». Nous ferons notres,
sans reserves, ce commentaire de Rastier (1991, p. 93). Le rationalisme
des Analytiques d'Aristote, et la version amenagee qu'en a propose Port-
Royal reposent en effet entierement sur la mise en parallelle de trois ni-
veaux qu'illustre la figure 1: un monde fait d'objets, d'evenements et
d'etats, sur la base duquel sont organises les concepts et les
propositions, ces entites cognitives etant elles-mimes "traduites" par les
mots et la syntaxe profonde du langage. Negligeant les diverses apories
de cette position et les discussions qu'elles ont suscitees durant vingt
siecles (notamment le probleme que pose la diversite effective des
langues naturelles, et celui du statut des rapports entre niveau mondain
et niveau cognitif, a Ia resolution duquel se sont alleles aussi bien Piaget
que Wittgenstein), le cognitivisme se contente d'une banale
reformulation, fond& sur le seul postulat d'une preprogrammation
genetique d'une syntaxe du langage et de Ia pensee. Le chomskysme
projetant cette syntaxe propositionnelle universelle stir les langues
naturelles et le modularisme projetant cette mime syntaxe a priori stir
('organisation des systemes cognitifs. Des lors, si, comme l'affirme
Johnson-Laird, le projet des sciences cognitives est ,vde montrer
comment le langage se rapporte au monde par l'intermediaire de
respritd (1988), le risque d'echec est minime!

23. 23
Niveau «mondain» Objets 4 Evenements,
(physique) Etats

V
Niveau cognitif Concepts 4 Propositions
(representatif)

y V
Niveau linguistique Mots > Enonces
Phrases

Figure 1: Le statut du langage dans la tradition occidentale. Version


simplifiee de Rastier, 1991, p. 89
Certaines des apories de ce rationalisme dogmatique ont certes ete
identifiees par les cognitivistes les plus lucides, et I'on peut trouver chez
Putnam (1988) par exemple, un ensemble d'arguments serniologiques
qui, bien que se situant en deca de l'analyse saussurienne du signe (cf.
infra), conduisent a la contestation d'un langage universel independant
des langues naturelles et des valeurs qu'y prennent les "mots". Une des
manieres adopt& par Porthodoxie cognitiviste pour faire piece a ce
genre de contestation a consiste a instaurer une distinction nette entre
ordre du "grammatical" et ordre du "lexical" (distinction déjà presente
dans les premiers modeles chomskyens; pour une formulation plus re-
cente, cf. notamment Shaumjan, 1987): le noyau dur du langage serait
constitue par ('organisation des categories grammaticales, qui releverait
d'une semantico-syntaxe intrinseque ,(independante de tout contexte
d'utilisation) et serait donc universelle, alors que le lexique releverait
d'une semantique extrinseque (dependante) et n'aurait pas cette preten-
tion a Puniversalite. Une telle position implique que Ion puisse instaurer
une coupure nette (et universelle) entre morphemes grammaticaux et
morphemes lexicaux, ce qui ne resiste a aucune analyse linguistique se-
rieuse: les etudes comparatives montrent que les frontieres entre ordre

24 0A
-
grammatical et ordre lexical varient avec les langues; les recherches dia-
chroniques montrent que cette frontiere se deplace avec le temps dans le
cadre d'une meme langue; les travaux en synchronie mettent en evi-
dence enfin l'interdependance des deux ordres au niveau nodal que
constitue la relation predicative (cf. la theorie de la "valence"). Et
lorsque, sur Ia base de tels arguments, certaines grammaires post-
chomskyennes reintegrent le lexique dans le noyau dur (cf. Bresnan,
1982 ou Gazdar et al., 1985), la pretention a l'universalite tend tout
naturellement a disparaitre.
III Le langage comme activite humaine
L'ensemble des positions qui viennent d'etre discutees reposent en rea-
lite sur un postulat fondamental qui est celui de Ia secondarite du Ian-
gage. Si, chez Aristote, les structures du langage "traduisent" la logique
du monde, dans les positions qui s'originent dans la Grammaire gene-
rale et raisonnee de Port-Royal, les formes d'organisation des langues,
soit constituent un sous-produit des systemes cognitifs construits en in-
teraction avec le monde (Piaget) ou des systemes de traitement
appliqués au monde (Bever, Bates & McWhinney), soit emanent d'une
grammaire mentale biologiquement fond& (Chomsky). Dans la mesure
ou Ion peut admettre l'universalite des processus cognitifs humains, ce
postulat en entraine automatiquement un second, qui est celui de
Funicite (de Funiversalite) du langage.
Pour sortir du tautologisme auquel aboutit immanquablement ce type
de position (cf. a ce propos, Benveniste, 1966 et Wittgenstein, 1961), it
convient simplement d'accepter de prendre en consideration les obser-
vables que proposent les structures et le mode de fonctionnement des
langues naturelles, observables que, depuis le Cratyle et les Analytiques,
la pens& rationaliste occidentale dominante s'est systematiquement ef-
fore& de minimiser ou de reduire (cf. a ce propos, de Mauro, 1969): les
langues naturelles ont des structures extremement diverses (les seuls
universaux empiriquement identifies a ce jour sont les categories de
type "nom" et "verbe"); ces memes langues se modifient
considerablement avec le temps; leur mode de fonctionnement enfin est
en relation d'interdependance evidente avec le type d'activite sociale
dans lequel it s'inscrit. Et c'est la prise en compte de ces trois categories
d'observables qui a permis de comprendre que les unites des langues
(les signes) ont le statut de valeurs, que ces valeurs sont relatives non

25
25
seulement au systerne de la langue, mais aussi au type de pratique
signifiante (au type d'"usage") dans le cadre duquel ce systeme est mis
en fonctionnement, et qu'enfin ces pratiques signifiantes sont elles-
memes organisees en discours, articules aux "actions sensees" (cf.
Ricoeur, 1986) propres a l'espece humaine.
A. Le signe comme valeur
Toute reflexion sur le statut du signe, et donc toute analyse des rapports
entre unites des niveaux mondain, cognitif et langagier, debute par la
prise au serieux de la notion d'arbitraire radical propos& par Saussure
(1916) et que nous illustrerons par le célèbre exemple des "noms de
couleur" (cf. tableau 3).

N. mondain I I Spectre des X


perceptibles

Ensemble des
N. cognitif ea 13 I a 0:1 I 13 IC 0:11 I I I representations
possibles

Ensemble des
representations
Signifie subsumees par
un signifiant
N. lirtguistique

Signifiant Iy LVert I bleu rouge I jaune j etc.] Paradigme

L, L V I WI XI YI Z S Paracligme,

Tableau 3: La distinction signifie-concept; l'exemple du paradigme des


"mots de couleur".
L'analyse saussurienne du signe repose sur deux constats. a) Pour un
"univers de reference" donne (dans notre exemple, le spectre des lon-
gueurs d'onde perceptibles), l'etre humain peut se construire des repre-

26
sentations en nombre theoriquement peut en d'autres termes
se construire des images mentales correspondant aux unites infiniment
divisibles du spectre des longueurs d'onde, ou encore a n'importe quelle
forme de composition de ces unites. b) Pour le meme univers de refe-
rence, une langue dispose de moyens d'expression qui sont finis: elle
comporte un ensemble necessairement limite de termes (ou "mots") de-
signant les couleurs. Ces termes sont organises en paradigmes4), dont la
composition se modifie avec le temps (cf. a ce propos Ia modification,
par emprunt au germanique, du paradigme des mots de couleur de l'an-
cien francais), et vane selon les langues.
Tenant compte de ces deux elements, on doit considerer que le sens
(ou signifie) d'un terme correspond a l'ensemble des representations co-
gnitives que ce meme terme est susceptible de subsumer. Dans la me-
sure oil la composition de tout paradigme depend de l'etat d'evolution
de Ia langue (plus specifiquement de l'etat de connaissance de Ia langue
dont dispose un sujet determine a un moment determine), la definition
meme du sens, en comprehension et en extension, ne peut s'effectuer
que de maniere negative: techniquement parlant, le sens du mot francais
vert correspond aux representations relatives aux couleurs qui ne sont
pas subsumees par l'ensemble des autres termes du paradigme. Et c'est
ce qui conduit Saussure a affirmer que le signifie est une valeur opposi-
tive, c'est-h-dire relative a l'etat du systeme dans laquelle elle s'insere.
Dans la mesure d'autre part oil la structure des paradigmes peut varier
considerablement d'une langue a une autre (cf. l'exemple célèbre du pa-
radigme des mots de couleurs en Hopi), les signifies doivent etre consi-
deres comme fondamentalement particuliers (non universels), et c'est ce
qu'atteste l'impossibilite de toute traduction "litterale".
La demonstration sausurienne est decisive en ce qu'elle fonde la dis-
tinction entre ordre du signifie, et ordre du "purement cognitif": le signi-
fie constitue le produit de Ia (re-)organisation particuliere (et, en ce sens,
"radicalement arbitraire") que le systerne d'une langue dorm& impose
aux representations cognitives. Une telle position n'implique cependant
nullement un determinisme linguistique absolu, qui nierait l'existence de
toute forme d'organisation cognitive universelle (c'est-à-dire indepen-
dante des caracteristiques specifiques des langues); mais elle ouvre Ia
voie a une reformulation du probleme des rapports entre ordre du co-

4 II s'agit cedes ici d'un autre sens du terme "paradigme", qui correspond A la notion d'"association",
proposee par Saussure (1916).

27
47
gnitif et ordre du langage. Par exemple, des lors que l'existence de pro-
cessus cognitifs universels a ete demontree, par Piaget notamment, se
pose Ia question du statut des produits que constituent les representa-
tions. Doit-on postuler qu'il en existe deux types (des representations
premieres, non verbales, et des representations secondes, verbales),
comme semble le penser Saussure lui-meme lorsqu'il definit ces der-
nieres comme le resultat de Ia "re-analyse" effectuee par Ia langue sur
des "concepts" OP la? Ou doit-on considerer que les produits represen-
tatifs sont d'emblee des signifies particuliers, a partir desquels les
concepts universels ne seraient que secondairement abstraits? Pour re-
soudre ce probleme, iI conviendrait de determiner si, pour reprendre la
terminologie piagetienne, les "signifiants differencies" qu'utilise le sys-
teme operatoire peuvent 'etre autre chose que les signes d'une langue
naturelle. Si tel n'est pas le cas (c'est l'hypothese que nous defendrions),
le fonctionnement mental devrait alors etre concu comme reposant sur
une syntaxe universelle (fond& sur la logique des actions, et donc a-
Iangagiere) qui "gererait" des signifies particuliers (relatifs a la langue et
a ]'experience specifique d'un sujet) et n'en abstrairait que secondaire-
ment des concepts generaux.
Comme nous le verrons plus loin, ]'analyse saussurienne du signe
ouvre egalement la voie a une reformulation des problemes que posent
la "categorisation" ou encore le statut des strategies psycholinguistiques
analysees au debut de cet article.
B. La valeur comme produit de l'activite signifiante
Sur quoi repose le systeme de la langue lui-meme et quels sont ses rap-
ports avec les autres institutions sociales? Comme I'indiquent notam-
ment Godel (1957) et de Mauro (1969), c'est a la solution de ce type de
question que s'est finalement epuisee la pens& saussurienne. Une piste
est cependant evoquee dans les Notes manuscrites du cours de 1908-
1909: «quand un systeme semiologique devient le bien d'une commu-
naute, it est vain de vouloir l'apprecier en dehors de ce qui resultera
pour lui de ce caractere collectif; et it est suffisant, pour avoir son es-
sence, d'examiner ce qu'il est vis-a-vis de la collectivite (...) Le systeme
de signes est fait pour la collectivite, comme le vaisseau est fait pour la
mer. C'est pourquoi, contrairement a l'apparence, a aucun moment le
phinomene semiologique ne laisse hors de lui le fait de la collectivite
sociale. Cette nature sociale (du signe), c'est un de ses elements in-

28
28,
ternes et non externes (...) Ce qui fait que le signe n'aura de valeur en
soi que par la consecration de la collectivite» (cite par de Mauro, 1969,
pp. 25-27). Les remarques de ce type ont ete malencontreusement ecar-
tees par les redacteurs du Cours5), sans doute parce qu'elles semblaient
en contradiction avec la perspective strictement "interne" qui y apparais-
sait par ailleurs, et Saussure lui-meme n'a pu leur donner un developpe-
ment systematique. C'est dans la seconde partie de I'oeuvre de
Wittgenstein qu'un tel developpement apparait. Tirant les consequences
de rechec" du Tractatus qui tentait, dans une demarche fondamentale-
ment aristotelicienne, de fonder la logique du langage sur la logique du
monde, Wittgenstein opere, dans les Remarques philosophiques (1975)
et les Investigations philosophiques (1961), un renversement complet de
perspective, et centre desormais son analyse sur les conditions fames
de l'acces de l'humain au monde. Sa reflexion peut etre schematisee
comme suit.
- Le comportement humain est mis en oeuvre concretement dans le
cadre de multiples formes de vie, c'est-à-dire dans le cadre d'interac-
tions sociales reglees, que des psychologues comme Leontiev (1979)
notamment auraient qualifiees soit d'"activites" (orientees par des fi-
nalites d'espece), soit d'"actions" (orientees par des buts sociaux).
Les differentes formes de vie se soutiennent de jeux de langage speci-
fiques, c'est-à-dire d'activites sonores (verbales) dont la fonction pre-
mière est de canaliser et de reguler les interactions (cf. infra, la notion
d'"agir communicationnel" propos& par Habermas, 1987).
C'est dans le cadre de ces jeux de langage que s'elaborent les connais-
sances humaines. Au cours de l'activite verbale, des sequences
sonores finissent par etre attribuees a des objets ou a des evenements
du monde; c'est cette attribution qui est constitutive des representa-
tions, et c'est par l'activite verbale elle-meme que ces representations
se conservent et se transmettent.
Des lors, le sens d'une unite sonore ne peut etre apprehends que
comme un produit de I'usage, c'est-à-dire comme le resultat meme de
l'activite signifiante: «le signifie d'un mot est son usage dans la
langue»; cette formule eclaire et complete les metaphores saussu-
riennes souvent mal interpretees selon lesquelles le signe est un

5 Pour une analyse des conditions de redaction du Cours, cf. de Mauro, 1969.

29
"depot", une "moyenne", en d'autres termes une cristallisation
momentanee des pratiques verbales.
- Dans la mesure d'une part ou l'usage fait l'objet d'apprentissages so-
ciaux et culturels, dans la mesure d'autre part oil la langue est sans
doute quand meme partiellement organisee en systeme, les signes ont
des signifies relativement stables dans un jeu de langage determine,
en un etat de langue donne; mais par definition, ces signifies sont tou-
jours susceptibles d'être detournes pour des besoins specifiques de
communication ("sens seconds") et susceptibles egalement de se
modifier, sous l'effet de nouveaux apprentissages etlou de transforma-
tions du systeme avec le temps.
Wittgenstein nous propose en realite une version moderne du nomi-
nalisme («la grammaire dit quel type d'objet est une chose (...).
Comment sais-je que cette couleur est rouge? Une reponse pourrait
etre: parce que je sais parler francais» Remarques, pp. 373 et 381);
cette position parait compatible avec les quelques donnees disponibles
concernant revolution des productions verbales humaines, et elle nous
parait surtout constituer le cadre adequat pour ]'interpretation des don-
nees relatives a rontogenese du langage, telles qu'elles apparaissent no-
tamment dans le corpus piagetien: les nombreuses observations recen-
sees par Piaget dans La formation du symbole (1946, Chap. VII) pour
analyser le passage des schemes sensori-moteurs aux schemes concep-
tuels montrent bien que c'est dans ('interaction sociale (dans la negocia-
tion avec l'entourage), et dans le cadre d'un jeu de langage particulier (le
jeu de designation) que se reconstruisent progressivement les valeurs
moyennes dont sont dotes les signes dans un etat de langue donne (la
langue de l'entourage).
C. L'activite signifiante organisee en discours
Les differents "jeux de langage" &eras par Wittgenstein ne sont rien
d'autre que les entites langagieres que certains courants actuels de lin-
guistique et de psycholinguistique qualifient de discours. Dans son sens
le plus general, la notion de discours designe en effet la forme d'organi-
sation particuliere que prennent les productions langagieres en fonction
du genre d'activite humaine auxquelles elles sintegrent. A s'en tenir aux
observables, les discours et les unites qu'ils comportent constituent en
fait les seules donnees objectives pour les sciences du langage. C'est la

30 30
realite premiere a partir de laquelle les langues elles-memes et le sys-
teme qui les organise partiellement peuvent etre inferes.
Dans son etude sur Rabelais (1970) et dans divers autres travaux (cf.,
Esthetique et theorie du roman 1978, et Esthetique de la creation ver-
bale 1979), Bakhtine a montre que dans la phase initiale de constitu-
tion de la langue francaise (ancien francais, du Xleme au XIVerne
siècle), les activites langagieres etaient organisees en micro-systemes
extremement divers (langage des fabliaux, des contes religieux, des ele-
gies, des corps de métiers, etc.), qui se caracterisaient par une syntaxe et
un vocabulaire largement specifiques et entre lesquels en consequence
rintercomprehension n'etait pas toujours assuree. Ces formes, que l'au-
teur qualifie de "discours premiers", etaient etroitement dependantes des
parametres des activites humaines qu'elles mediatisaient (et donc d'une
"situation d'enonciation" concrete) ainsi que des regles (ou normes) so-
ciales regissant ces memes activites. Et le polylinguisme qui les caracte-
rise se retrouve aujourd'hui dans la plupart des discours oraux dialogues
(ou "discours en situation" - cf. Bronckart & al., 1985). Bakhtine montre
en outre que revolution ulterieure de la langue et sa standardisation pro-
gressive (passage au moyen francais, puis au francais moderne) a coin-
cide avec relaboration de "discours seconds", c'est-A-dire avec Ia
construction de formes d'organisation langagiere nouvelles (ecrites), re-
pondant a Ia necessite d'etablir une plus large intercomprehension: ces
formes «apparaissent dans les circonstances d'un echange culture)
(principalement ecrit) -artistique, scientifique, socio-politique- plus
complexe et relativement plus evolue» (1979, p. 267). Les discours se-
conds, comme la narration (le roman), et plus tard le discours scienti-
fique, se caracterisent par une prise de distance explicite a regard de Ia
situation concrete d'enonciation, distance solidaire de la constitution
d'un "monde fictif": monde de la mimesis narrative postule déjà par
Aristote et dont Ricoeur (1983) a propose un reexamen particulierement
penetrant; monde de Ia "neutralite scientifique" dont Foucault (1969) a
notamment analyse certaines des conditions d'emergence dans le champ
medical. Dans ces pratiques verbales secondes, regles de construction
du monde et regles d'organisation du discours (les regles de
planification notamment) tendent a se confondre, en ce qu'elles sont le
produit du meme "travail" d'autonomisation par rapport au contexte
physique et social de ractivite.
Cette analyse historique de Ia genese des discours, comme retude de
('influence exercee par les entreprises explicites de normativisation (a la

31
Vaugelas) sur les caracteristiques memes de Ia langue francaise (cf.
Cohen, 1967), et comme encore ('analyse des consequences pour les
langues de I'autonomisation (tardive) des structures &rites (cf. Grynberg-
Netchine & Netchine, 1991), montrent en realite que de larges pans de
ce que l'on definit aujourd'hui comme "le systeme de Ia langue" sont en
realite le produit de lentes constructions historiques. De plus amples
etudes (notamment comparatives) seraient sans doute necessaires pour
determiner ce qui, dans un systeme synchronique donne, releve de tels
processus sociaux, et ce qui pourrait etre imputable a une sorte de sys-
teme ne varietur. En tout etat de cause, ce n'est que sur la base des
resultats de telles recherches que pourraient etre identifiees les quelques
regularites candidates a l'universalite, et que la question de leurs even-
tuels fondements genetiques pourrait etre valablement posee.
Pour resumer, ('ensemble des arguments que nous venons de proposer
nous conduisent a ]'affirmation de la primaute de it activite signifiante
(du langage). L'acces au monde propre a l'humain s'effectue dans le
cadre d'activites sociales, auxquelles sont intimement integrees des pro-
ductions verbales organisees en discours. Ce sont donc les discours qui
constituent ]'objet premier de la psycholinguistique, et ces discours ne
peuvent etre analyses independamment des actions non langagieres
qu'ils mediatisent. Comme nous l'avons commente en detail ailleurs (cf.
Bronckart, 1987), les signifies des unites langagieres doivent des lors
etre apprehendes comme des valeurs, directement relatives a
]'organisation du discours dans laquelle elks s'inserent, et indirectement
relatives a ]'organisation de ]'action que le discours mediatise. Et c'est au
travers de ces valeurs discursives que s'elaborent les unites de
representationdu monde.
Dans cette perspective, restent ouvertes les questions de l'existence et
de ('importance relative de regles syntaxiques autonomes (d'un systeme
universel), ainsi que celles de leurs eventuels fondements (systeme co-
gnitivement construit ou biologiquement inscrit?). Ces questions sont
d'ordre empirique, et ne seront en consequence resolues que par une
demarche historique et compared (par une linguistique generale), non
par la reformulation de postulats philosophiques universalisants. Restent
ouvertes egalement les questions relatives a la dialectique qui s'instaure
necessairement entre les fondements socio-langagiers (ou discursifs) des
representations et leurs fondements cognitifs. A ce niveau, les arguments
piagetiens sur la primaute ontogenetique du schematisme logique (ou
sensori-moteur) doivent evidemment etre pris au serieux, mais ils ne pa-

32
raissent pas incompatibles avec la relecture qu'en ont propos&
Vygotsky (1934/1985) et Wallon (1934). Para 'tenement au schernatisme
sensori-moteur, des formes d'interaction socio-communicative se
construisent en effet egalement des la naissance (cf. Bruner, 1973), et
c'est de 'Interpenetration de ces deux "racines" que decoule ('apparition
du langage, condition du developpement de la pens& proprement dite,
et donc condition de l'acces du petit de I'homme au mode de fonction-
nement socio-historique propre a son espece.
IV De nouvelles directions pour la psycholinguistique
Comme tout organisme vivant, l'humain se construit des connaissances
et les organise en "pensee", et l'analyse des modalites de cette elabora-
tion constitue a l'evidence un des objets importants de la psychologie;
comme nous venons de l'evoquer, un des problemes majeurs que pose
cette construction de la "raison pure" concerne le role respectif qu'y
jouent les determinants cognitivo-biologiques d'une part et les determi-
nants socio-langagiers d'autre part. Pour jeter les bases d'un projet de
recherche centre sur cette question, it convient tout d'abord de reexami-
ner, a la lumiere de la clarification du statut du langage que nous venons
de proposer, le corpus tres respectable des donnees recueillies par le co-
gnitivisme psychologique et psycholinguistique, et c'est a un tel examen
que nous nous livrerons tout d'abord, en nous limitant a deux thema-
tiques de recherche recentes.
Mais une autre direction de recherche est tout aussi necessaire. Dans
la mesure ou c'est a travers une activite sociale mediatisee par le dis-
cours que se realise Faeces humain au monde et que se construisent les
connaissances, it convient aussi (d'abord?) de proposer une
interpretation scientifique du mode de fonctionnement et d'organisation
de cette activite humaine et du role qu'y jouent les discours. II s'agit en
d'autres termes de reprendre le projet behavioriste d'explication des
comportements, en en recusant les postulats physicalistes: se doter donc,
dans le champ de la psychologie, d'une theorie de ('action humaine dans
son cadre social et historique, et dans le champ de la psycholinguistique,
d'une theorie du discours comme production semiotique articulee a ]'ac-
tion. Ce projet concerne les pratiques, et it devrait permettre de reinte-
grer dans le champ scientifique le traitement des douloureuses questions
que pose la "raison pratique" (intentions, motivations, raisons d'agir, etc.-

33
cf. note 3), c'est-à-dire le probleme de la connaissance que se construit le
sujet des modalites de sa participation aux activites humaines.
A. Construction des connaissances et construction du langage
1. Les categorisations
C'est sous le terme etrangement vieillot de "categorisation" qu'un cou-
rant de psychologie cognitive, particulierement represents par les tra-
vaux de Rosch (1973, 1974, 1978), a reformule la problematique clas-
sique des mecanismes de classification (au sens piagetien du terme)
et/ou de generalisation du stimulus (au sens behavioriste)6. Ce courant
soutient la double these que les categorisations constituent la base de
l'organisation mentale des concepts et des representations, et que l'or-
ganisation des categories perceptives et des categories semantiques (ou
lexicales) releve des memes principes generaux. Une part importante
des recherches de ce courant concerne les processus de classement des
couleurs: dans ('experience-princeps de Rosch (inspiree de Berlin &
Kay, 1969), l'experimentateur presente a des sujets de diverses cultures
(et, en principe, parlant diverses langues7) des series de cartons colores
relevant de sous-ensembles determines de longueurs d'onde et it leur
demande, d'une part de choisir le "meilleur exemplaire" de chacune de
ces series, d'autre part d'organiser et de delimiter ces memes series. Les
resultats font apparaitre que ce sont les memes cartons qui sont choisis
au titre de meilleur exemplaire dans chacune des series (ce choix serait
donc independant de la culture dont relevent les sujets), mais que par
contre l'organisation et la delimitation des series varient considerable-
ment selon cette meme appartenance culturelle, sans toutefois que cette
variation puisse etre imputee aux modalites d'organisation du paradigme
des couleurs de la langue correspondante (elle serait "aleatoire"). Pour
Rosch, runiversalite" du choix des meilleurs exemplaires tiendrait au
fait que les representations mentales sont organisees autour de proto-
types, c'est-a-dire de couleurs particulierement saillantes au plan per-
ceptif. Et cette theorie de la typicalite devait ensuite etre &endue a de

6
Notre presentation critique des travaux de Rosch rejoint (et est largement inspiree de)
celle, beaucoup plus detaillee, que propose Rastier dans le chapitre VII de Semantique et
recherches cognitives (1991).
7 Voir Rastier (ibidem) pour une discussion critique des conditions de realisation de rexperience-
princeps de Berlin & Kay.

34
3.4.
nombreux secteurs de la categorisation perceptive, de Ia categorisation
semantique et de la memoire.
Alors que chez Piaget (notamment), les classes constituent des
constructions logiques (elles sont definissables par un ensemble de pro-
prietes necessaires et suffisantes, et l'appartenance d'un objet a une
classe procede des Tors de l'attribution a cet objet de ces memes proprie-
tes), dans Ia conception typicaliste, les categories sont naturelles: elles
rassemblent des objets qui partagent un certain nombre d'"attributs" (ces
objets auraient un "air de famille") et ne peuvent elles-memes etre defi-
nies que comme une "configuration d'attributs" a caractere probabiliste.
Le prototype, quant a lui, constitue le "point focal" autour duquel une
categoric naturelle est definie et organisee; it correspond a l'objet du
monde qui possede le maximum d'attributs de la categorie (les autres
membres de la categorie ayant un degre de typicalite dependant de leur
distance par rapport au prototype). Dans le systeme d'organisation men-
tale postule par Rosch, les prototypes se situent a un niveau
d'abstraction determine, le "niveau de base", qui est optimal en ce sens
que les informations y sont deja structurees (elles ne sont ni trop
particulieres ni trop arbitraires), mais ne sont cependant pas d'un trop
grand niveau de generalite. En amont et en aval de ce niveau de base se
situeraient donc respectivement les informations plus abstraites (niveaux
superordonnes) et les informations plus particulieres (niveaux
subordonnes), et le systeme mental presenterait de la sorte une
architecture analogue aux taxonomies des sciences naturelles.
Les prototypes autour desquels sont organisees les categories ont
donc un fondement naturel; ils emanent d'un monde pre-organise que
les systemes de traitement humains ne feraient que "retrouver": "«les
categories traduisent (map) les structures du monde percu de fa con
aussi proche que possible» (Rosch, 1978, p. 28). Dans la mesure, en
outre, oil les categories semantiques ont la meme organisation taxono-
mique que les categories perceptives, «les classes lexicales (ou du moins
leurs prototypes) sont elles-aussi fondees en nature» (Rastier, 1991, p.
189). Le "niveau de base" de Ia categorisation lexicale releverait donc
d'une sernantique universelle (reaffirmation du postulat d'unicite du Ian-
gage), et ce n'est qu'aux niveaux peripheriques qu'interviendraient
eventuellement des determinations relatives aux cultures ou aux langues.
Comme on le constate, les propositions de Rosch s'inscrivent ainsi direc-
tement dans la tradition rationaliste heritee d'Aristote (cf. supra et Figure
1), mais dans une version terriblement appauvrie, dans la mesure ou ob-

35
jets, concepts et mots n'y sont pas clairement distingues (sans parler
bien entendu du signifie): le prototype est tantot un item lexical, tantot
un concept, tantot un objet particulierement saillant. Et it est alors pour
le moins &range, comme le souligne Rastier (cf. note 6), que Rosch et
ses epigones considerent leur demarche comme une "revolution"
invalidant la "theorie classique" qui, dans leur vision massifiante du
passé, aurait prevalu d'Aristote a Katz! Ce a quoi s'oppose en realite la
theorie de Rosch, c'est a la semiologie saussurienne, aux etudes
empiriques de semantique (qui ont largement montre que les systemes
lexicaux des langues naturelles n'etaient pas organises comme des
taxonomies) et a tous les courants de pens& qui, depuis l'Antiquite, ont
discute et conteste le dogme rationaliste.
Quelque jugement qu'on porte sur ces declarations et sur l'inculture
dont elles se nourissent, les donnees experimentales existent et meritent
discussion. Pour ce qui concerne les travaux ayant trait au langage (et en
particulier a la categorisation des couleurs), comme le souligne encore
Rastier (op. cit.), it faut noter d'abord que le statut culturel (et Iangagier)
des sujets prete souvent a discussion (cf. note 7). Mais it convient d'ob-
server surtout que c'est l'experimentateur lui-meme qui procede a la dis-
cretisation des couleurs, que cette discretisation est forcement effectuee
en fonction du paradigme de sa langue, et que ce type de procedure ne
permet aucunement d'evaluer les effets d'eventuelles modalites speci-
fiques de discretisation dependant de la langue. En outre, c'est encore
l'experimentateur qui selectionne le secteur du spectre lumineux a l'in-
terieur duquel les sujets ont a identifier les "meilleurs exemplaires", et
des resultats obtenus selon cette procedure; on ne peut nullement
conclure que les categorisations langagietes observees sont bien celles
de la culture dont relevent les sujets. Les recherches plus anciennes
commentees par Lenneberg (1967) tentaient precisement d'eviter ces
deux artefacts experimentaux. Disposant de tres nombreux cartons colo-
res echelonnes sur tout le spectre des longueurs d'ondes, l'experimenta-
teur demandait d'abord a deux groupes de sujets (parlant hopi ou
parlant anglais) de proceder a une denomination des couleurs. Cette
premiere procedure a permis d'identifier les cartons prototypiques dans
le cadre de chaque langue (le carton prototypique de red par exemple
etant celui que la majorite des anglophones designait ainsi), et elle a
montre que la configuration de ces prototypes verbaux variait
considerablement dans les deux groupes de sujets. La seconde phase de
('experience consistait en une procedure de rappel; l'experimentateur

36

36
designait 5 cartons (dans un ensemble de 64 cartons mélanges) et, apres
un Mai temporel determine, les sujets avaient a les retrouver dans
]'ensemble remelange. Les resultats montrent que les cartons sont
d'autant mieux rappeles qu'ils sont proches des prototypes verbaux de la
langue des sujets, ce qui implique evidemment que les sujets des deux
groupes reconnaissaient aisement des cartons differents.
Les donnees de Lenneberg ne sont nullement invalidees par celles de
Rosch (bien au contraire) et elles mettent en evidence qu'un niveau au
moins d'organisation des representations mentales est dependant des pa-
radigmes en langue, et donc de la valeur specifique qu'y prennent les si-
gnifies. De telles recherches devraient etre poursuivies, mais it faut noter
qu'en raison de la procedure experimentale adoptee, elles ne fournissent
(comme celles de Rosch d'ailleurs) que des resultats relatifs aux para-
digmes du systeme de la langue. Or ce systerne ne constitue qu'une abs-
traction par rapport fonctionnement effectif de discours particuliers, dans
le cadre d'activites precises. Le paradigme qui confere sa valeur au mot
"rouge" par exemple, vane sans nul doute selon que ce mot est emis
dans le cadre d'un discours politique, d'un discours scientifique ayant
trait a la physique, ou encore dune description a caractere poetique. II
reste donc a statuer sur le role que jouent ces parametres socio-
discursifs dans la constitution des paradigmes d'unites representatives. Et
it reste egalement a determiner comment, sur la base de tels signifies,
s'elaborent les representations plus abstraites, dont les modes de
construction logique ont ete valablement decrits par Piaget, et dont
l'organisation resultante peut en consequence etre consider& comme
taxonomique.

2. Les strategies de comprehension du langage


Comme nous l'avons note dans la premiere partie de cet article, ('inter-
pretation des recherches relatives a la comprehension de phrases s'est
generalement effectuee dans le cadre cognitiviste propose par Bates &
McWhinney. Il est cependant possible d'en proposer une interpretation
differente, fond& d'une part sur le reexamen des recherches compara-
tives evoquees dans la premiere partie de cet article, d'autre part sur un
ensemble de "recherches appliquees".
Les recherches ayant trait a la comprehension du langage ont montre
que la premiere strategie construite par ('enfant presente un caractere
lexico-pragmatique: les sujets traitent une seule categorie d'indice, le

37
sens des items lexicaux, et realisent sur cette base l'action qui leur parait
la plus plausible. A s'en tenir aux postulate cognitivistes, ces unites de
sens devraient proceder de categorisations universelles, et la "pragma-
tique du monde" qui les organise devrait elle-ausi 'etre independante des
langues. La recherche comparative que nous avons conduite avec des
sujets francophones et bascophones (cf. Bronckart & Idiazabal, 1982)
montre qu'il n'en est rien. Une phase de cette experience consistait
presenter aux sujets des sequences de trois mots (avec variation syste-
matique de l'ordre interne de la sequence) qui relevaient de deux types:
a. fille-chien-renverser (equivalent en basque: neska-zakurra-bota)
b. fille-boite-ouvrir (equivalent en basque: neska-kaja-iriki).
Dans la programmation de ]'experience, les sequences de type a
etaient definies comme "renversables", en ce sens que les deux noms y
designent des etres animes (ou "agentifs") egalement susceptibles
d'effectuer l'action exprimee par le verbe; les sequences de type b etaient
definies comme "non renversables", dans la mesure ou les noms y desi-
gnent un etre anime et un objet inanime, et que seul le premier est sus-
ceptible d'effectuer l'action mentionnee. Chez les sujets francophones de
3 a 5 ans, les sequences b, quel que soit l'ordre effectif des mots,
donnent systematiquement lieu a une action du type <Ia fille ouvre la
boite>, alors que les reponses a la sequence a se distribuent de maniere
aleatoire (equivalence des reponses dans lesquelles le chien ou la fille
effectuent l'action de renverser). A partir de 5 ans par contre, les sujets
appliquent la strategie positionnelle 'NI = agent; N2 = patient' et cette
strategic prend progressivement le pas sur la strategic pragmatique
initiale; elle conduit meme, entre 6 et 7 ans, a la production de reponses
"contre-pragmatiques", la sequence b presentee dans l'ordre boite-fille-
ouvrir donnant systematiquement lieu a une action dans laquelle <la
boite ouvre la fille>. Chez les sujets bascophones, si les reponses
fournies aux sequences b sont analogues a celles des sujets
francophones, it en va tout autrement pour les sequences a; des 3 ans, un
nom de la sequence est regulierement choisi comme agent (chien dans
Ia sequence fille- chien renverser; garcon dans la sequence gargon-fille-
pousser). Par ailleurs, Ia strategic positionnelle emerge plus tardivement
que chez les sujets francophones (a partir de 6 ans) et ne conduit jamais
A Ia production de reponses "contre-pragmatiques". Ces resultats
montrent que le taux d'agentivite attribue aux "memes" noms varie
nettement pour les deux groupes de sujets, et cette difference de valeur
semble tenir aux caracteristiques du systeme des deux langues

38
38
concernees. Alors qu'en francais it n'existe pas de cas morphologiques
et que les fonctions d'agent et de patient doivent etre inferees de Ia
position relative des noms (pour les phrases non transformees tout au
moins), en basque, ces fonctions sont exprimees par des cas (la marque
-k de l'"ergatif" est appliquee au nom designant le responsable anime
d'une action transitive), et cette caracteristique influe manifestement sur
les procedures de categorisation lexicale (sur la valeur que prennent les
signifies), et donc sur la representation de la "pragmatique du monde"
que se construisent les sujets.
En ce qui concerne les autres strategies, ('examen de ('ensemble des
recherches comparatives evoquees dans la partie I confirme certes
l'existence de strategies positionnelles universelles (independantes des
caracteristiques des langues), mais it montre egalement que Page auquel
ce mode de traitement emerge, comme sa puissance relative, varient
avec les langues, soit en raison de la persistance du traitement
pragmatique anterieur (c'est le cas du basque), soit en raison de la
precocite du traitement morphosyntaxique (c'est le cas de l'hebreu). En
tout etat de cause, ces strategies ne sont que passageres, dans Ia mesure
oti elles ne peuvent conduire a la comprehension definitive des enonces.
Cet essai infructueux d'application au langage de procedures cognitives
de traitement est en effet toujours suivi de la construction de strategies
morpho-syntaxiques. Celles-ci emergent a un age qui varie
considerablement selon les langues, comme nous l'avons vu plus haut
(cf. tableau 2), et la tentative de Bates & McWhinney d'en fournir une
interpretation universalisante, outre qu'elle n'est guere convaincante
(quels sont les criteres effectifs du degre de saillance d'un indice, et dans
quelle mesure la polysemie objective d'un indice est-elle percue comme
telle par les sujets?), ne peut masquer cette diversite fondamentale. II
nous parait en consequence legitime de soutenir que, dans ce long
processus de developpement des procedures de comprehension, la part
du specifique-langagier est largement superieure a celle du cognitif-
universel.

La reevaluation de la problematique de ('acquisition du langage a Ia-


quelle conduisent les recherches comparatives dolt etre completee par
celle qui decoule des recherches "appliquees", conduites en situation
scolaire. Besson & Bronckart (1978) ainsi que Kilcher, Othenin-Girard
& de Weck (1987) ont notamment demande a des eleves d'identifier les
fonctions grammaticales de "sujet logique" et d'"objet" (qui equivalent

39
globalement a celles d'"agent" et de "patient") dans le cadre de differents
exercices scolaires, impliquant des phrases de degre de complexite va-
riable. Les resultats obtenus montrent que, dans ce type d'activite, les
eleves utilisent des modes de traitement nettement differents des strate-
gies mises en evidence chez des sujets d'age equivalent, dans le cadre
de recherches experimentales. Les procedures des eleves semblent
d'abord reposer sur une identification des principales categories gram-
maticales (nom, verbe, etc.), et cette identification prealable est nettement
dependante des modalites de presentation de ces categories par l'ensei-
gnant (elle varie notamment en fonction de Ia methode pedagogique uti-
lisee). El les se caracterisent ensuite par des mecanismes d'attribution de
fonctions flous et peu generalisables, dans lesquelles Ia seule constante
semble resider en une procedure de "localisation relative" de type
ll'objet se situe apres le verbe 1: dans la phrase Ce sont les enfants qui
jouent au jardin, par exemple, les syntagmes les enfants et au jardin se
verront indifferemment attribuer la fonction d'"objet". Les procedures ne
semblent enfin que rarement se fonder sur Ia prise en compte des
indices morpho-syntaxiques pertinents.
Les resultats de ce type de recherche, que nous ne pourrons commen-
ter plus Ionguement ici, indiquent en realite que les procedures de trai-
tement que les sujets appliquent au langage dependent du type d'inter-
action sociale en cours, et donc la signification attribuee a la tache
(contexte scolaire ou contexte plus "gratuit"), qu'elles dependent egale-
ment des apprentissages sociaux prealables, qu'elles dependent enfin de
Ia structure meme de Ia tache (le type d'exercice, le type de phrase et
son co-texte), D'autres recherches relatives a la production du langage
en situation scolaire (cf. 8ronckart, Nigolian & Perrin, 1975) revelent
tout aussi nettement que les valeurs attribuees par les eleves aux
desinences verbales ne relevent qu'accidentellement des strategies
aspectuelles ou temporelles mises en evidence experimentalement chez
les sujets d'age equivalent (cf. la seconde thematique de recherche
presentee en Partie I). Dans les textes que produisent les eleves, l'emploi
d'une desinence verbale est determine d'abord par le type de discours
qui a ete selectionne (narration, 'telt, exposé, argumentation, etc.),
ensuite par Ia situation de la forme verbale conjuguee dans la
superstructure textuelle (phase d'exposition, de complication ou d'action,
si le discours est de type narratif), ensuite encore par Ia necessite de
"coder" la distinction entre avant-plan et arriere-plan ou de marquer un
rapport d'anteriorite relative (cf. Bronckart, 1990).

40
40
Sauf a considerer que les conditions experimentales "decontextuali-
sees" (qui se reduisent en fait a des "situations de resolution de pro-
blemes impliquant le langage") constituent un echantillon representatif
des diverses conditions dans lesquelles un humain est conduit a traiter le
langage, l'etude scientifique de son developpement implique en conse-
quence que soient systematiquement comparees, en production et en
comprehension, les procedures que les sujets mettent en oeuvre dans di-
vers types de contextes interactifs, dans divers types de discours, et dans
des Caches de structures differentes. C'est a ce prix que pourra etre mesu-
ree ('influence relative qu'exercent sur les procedures les parametres
contextuels et discursifs (influence que les recherches cognitivistes ne se
donnent jamais les moyens d'apprecier), et c'est a cette seule condition
que pourront etre identifiees et definies les eventuelles procedures de
traitement a caractere cognitivo-universel.
B. Structure et fonctionnement de l'activite discursive
La formulation complete des deux problematiques que nous venons
d'evoquer (]'etude des procedures de traitement du langage, et celle du
role que joue ce dernier dans la construction des connaissance) est a
nos yeux indissociable d'une etude scientifique du statut psychologique
de ce meme langage. Conformement a !'analyse presentee dans la Partie
III, it s'agit donc de se donner comme objet l'activite langagiere, c'est-
a -dire les pratiques verbales articuldes aux diverses formes d'actions
humaines, et d'appliquer a cet objet une demarche d'interpretation visant
A en expliquer les formes d'organisation et les conditions de fonctionne-
ment. En l'etat actuel de la psychologie, ce programme reste quasi entie-
rement a elaborer et nous nous bornerons donc dans ce qui suit a l'es-
quisse de trois directions de recherche. La premiere concerne le statut
meme de l'action: comment construire, dans le champ de la psychologie,
une theorie des formes d'organisation des comportements, en tant qu'ar-
ticulees aux diverses modalites d'organisation sociale, et en tant que fai-
sant ]'objet de prises de conscience rationalisantes; quel cadre theorique
se donner, en d'autres termer, pour aborder les actions sensees (au sens
de Ricoeur, 1986) qui constituent a nos yeux ]'objet premier de la psy-
chologie. La deuxieme direction a trait aux modalites d'articulation de
l'activite langagiere a ces actions sensees. Le langage est souvent defini
comme le mediateur de l'action, mais quel sens précis faut-il accorder
cette notion? Signifie-elle que l'activite langagiere est la condition meme

41
de la constitution de ('ensemble des actions humaines ou designe-t-elle
les processus de regulation et de contrOle qui s'operent par le langage
sur des actions déjà la? Quel est par ailleurs le rapport entre la mediati-
sation et la semiotisation que provoque Pactivite langagiere
(representation "declarative" de ('action elle meme et des proprietes du
monde qui en constitue le contexte)? Dans quelle mesure encore les
formes observables d'organisation de Factivite langagiere que consti-
tuent les discours peuvent-elles etre elles-memes decrites comme des
actions? La troisieme direction enfin a trait a la methodologie d'analyse
de ces discours eux-memes. Une fois clarifie le statut de l'activite Ian-
gagiere et des actions sensees auxquelles elle s'articule, comment analy-
ser les unites verbales qui la materialisent dans le cadre dune langue
naturelle donnee et d'un discours particulier, et quelle formulation pro-
poser des operations langagieres dont ces unites verbales sont les
traces.
1. L'action sensee, objet central de la psychologie
Dans la perspective developpee notamment par Leontiev (1979), la no-
tion d'activite renvoie aux formes les plus generales d'organisation
fonctionnelle des comportements, au travers desquelles les membres
d'une espece ont acces au monde objectif et s'en construisent une repre-
sentation interne (ou connaissance). Les activites peuvent etre differen-
ciees en fonction des motivations d'espece auxquelles elles s'articulent
(nutrition, reproduction, evitement du danger) et en fonction de la "re-
gion" du monde (objets et evenements) vers laquelle cites orientent les
organismes vivants. Dans les especes socialement organisees (et en par-
ticulier dans l'espece humaine), Pactivite se deploie sous forme
d'actions; elle se decompose; fonctionnellement en (sous-)structures de
comportements orientees par des buts et sous-tendues par les usages
regles du groupe. Dans une societe "primitive", par exemple, l'activite de
nutrition sera organisee en differentes taches (ou actions), qui procedent
d'une division sociale du travail et qui exhibent des modalites pratiques
de realisation resultant de l'histoire du groupe (creuser un trou et y
placer des epieux, faire fuir un animal dans cette direction, l'abattre, etc.).
Les actions constituent donc les modalites sociales pratiques au travers

8 Meme lorsque l'activite se realise sous forme d'une seule action, les deux niveaux fonctionnels
peuvent etre distingues.

42
42
desquelles les activites se realisent et c'est la raison pour laquelle leurs
buts peuvent paraitre parfois en contradiction avec Ia finalite generale de
l'activite (faire fuir ]'animal dont on souhaite se nourrir). En depit de leur
pertinence globale, les notions introduites par Leontiev (auxquels on
pourrait encore adjoindre celle d'"operations": actes ou capacites pra-
tiques mis en oeuvre dans le cadre de l'action) restent cependant insuffi-
santes des lors que se pose le probleme des modalites de participation
d'un agent singulier a l'action socialement reglee: quel relation poser
entre le but objectif d'une action sociale et la representation qu'en a
('agent? Quel statut, en d'autres termes, accorder aux intentions, aux de-
cisions et aux "raisons d'agir" d'un sujet engage dans une action?
Ces questions n'ayant guere ete abordees par la psychologie, nous
procederons donc d'abord a un examen des propositions formulees dans
le cadre de disciplines voisines.
Dans une perspective tres wittgensteinienne, Anscombe affirmait dans
Intention (1957) que ce n'est pas dans le meme jeu de langage que I'on
parle d'evenements se produisant dans Ia nature ou d'actions faites par
les hommes. L'enonce "deux tulles tombent du Wit sous reffet du vent"
(Merit un evenement (les tuiles tombent), auquel est attribue une cause,
c'est-A-dire un antecedent logiquement independant de l'evenement et
susceptible d'etre identifie separement (Ia description des proprietes du
vent est independante de celle des caracteristiques de la chute).
L'enonce "je fais tomber deux tuiles du toil parce qu'elles sont
endommagees" decrit lui aussi un evenement qui peut etre interprets de
maniere externe, selon le schema de l'heterogeneite logique de Ia cause
et de l'effet. Mais des lors qu'il decrit egalement le "faire" humain, ce
meme enonce doit en outre 'etre analyse comme renvoyant a une action,
impliquant un agent (je), un motif (ou raison d'agir: les tuiles sont
endommagees) et donc une intention (un projet). Dans la mesure ou le
projet ne peut etre identifie sans mentionner l'action qui le realise, et
dans la mesure oil on ne peut enoncer le motif sans le relier a l'action
meme dont it est la "raison", on doit admettre que le lien entre intention
et action est d'ordre logique, que le rapport entre motif et action est de
l'ordre de ('implication, et qu'en consequence l'action doit faire ('objet
d'un mode d'interpretation different du schema causal appliqué aux
evenements nature's.
C'est ce double statut de l'action humaine (et la double dernarche
d'interpretation qu'elle requiert) que von Wright a remarquablement

43
/:k 3
analyse dans Explanation and Understanding (1971). Pour cet auteur,
l'action humaine comporte un aspect d'evenement, evenement qui peut
etre decrit comme un systeme clos de comportements comportant un
etat initial, un ensemble de transformations internes et un etat final [les
systemes simples ou "actions de base" (cf. Danto, 1965) pouvant eux-
memes etre concatenes en systemes complexes'. Mais l'action humaine
comporte aussi un aspect d'intervention intentionnelle; pour produire
l'etat initial d'un systeme, un agent intervient dans be cours des choses,
decide, exerce un pouvoir. Dans la mesure ou it n'existe pas de systeme
sans etat initial, pas d'etat initial sans intervention, et pas d'intervention
sans I'exercice d'un pouvoir, la connaissance du "pouvoir-faire" est ne-
cessaire pour identifier l'etat initial d'un systeme, pour l'isoler et definir
ses conditions de cloture. Des lors, 'Interpretation de l'action implique,
outre l'analyse causale (ou explicative) des caracteristiques objectives du
systeme, l'analyse (comprehensive) des relations qui existent entre ces
memes caracteristiques et le pouvoir-faire relevant du repertoire des ca-
pacites d'action de l'agent.
Cette premiere analyse est eclairante en ce qu'elle pose une distinction
nette entre ordre de revenement et ordre de l'action proprement dite,
mais elle fait l'impasse sur les fondements sociaux de l'agir humain que
soulignait Leontiev, et elle doit donc etre completee dans la perspective
ouverte par les travaux de Weber (1971), de Ricoeur (1986) et
d'Habermas (1987). Pour Max Weber, ''objet des sciences humaines,
c'est la "conduite orient& de facon sensee", ou encore le
"comportement signifiant mutuellement oriente et socialement integre".
Ces formules signifient que ''orientation de l'action releve de la societe,
ou encore que be sens de l'action presente un caractere basiquement
social. Reformulant ce m6me objet dans l'expression plus concise
d'action sensee, Ricoeur souligne pour sa part que celle-ci est sociale
onon seulement parce qu'elle est (generalement) ['oeuvre de plusieurs
agents de telle maniere que le role de chacun d'entre eux ne peut etre
distingue du role des autres, mais aussi parce que nos actes nous
echappent et ont des effets que nous n'avons pas vises» (op. cit., p. 193).
Quand bien meme elle est le resultat de l'intervention intentionelle d'un
agent, l'action se detache donc de celui-ci et developpe ses propres
consequences, tout comme - ajoute Ricoeur un texte se detache des
intentions de son auteur (nous reviendrons plus loin sur ce parallelisme
entre texte et action). Autonomisee par son caractere social male,
l'action constitue des fors une oeuvre ouverte (dont la signification est

44
44
en suspens) qui s'inscrit dans le temps social en y laissant des traces qui
sont ('objet meme de l'histoire. C'est l'action comme oeuvre sociale
ouverte (et polysemique) qui est soumise a interpretation, et cette
interpretation doit, selon Ricoeur, faire intervenir trois categories de
facteurs. L'action est dune part un systeme oriente de comportements
produisant des effets dans le monde, et elle doit etre analysee de ce
premier point de vue; mais l'action se deploie en meme temps dans un
cadre social generateur de conventions (valeurs, symboles, regles), et son
sens doit des lors etre analyse comme un produit de ce controle social;
enfin les modalites d'inscription de l'agent dans le reseau des relations
sociales le conduisent a "saupoudrer" son action de caracteristiques
singulieres, qui sont les traces de ce qu'il "donne a voir" de lui a autrui;
et cette stylistique de l'action est egalement a interpreter.
Ce sont ces trois formes de saisie de l'action qu'Habermas a decrites
par ailleurs sous les termes d'"agir teleologique", d'"agir regule par des
normes" et d'"agir dramaturgique". Cet auteur complete cependant
('analyse de Ricoeur en decrivant notamment les types de "mondes"
dont se soutiennent les formes d'agir, c'est-à-dire les differents "systemes
de coordonnees formelles" par rapport auxquels ces trois aspects de
('action sont situables et evaluables.
a) L'agir teleologique renvoie au fait que l'agent provoque l'apparition
d'un etat souhaite (but ou effet) en selectionnant les moyens qui, dans
une situation determinee, paraissent les plus appropries; en fonction
d'un but, it choisit donc une des actions possibles, et cette decision
est etayee par son interpretation de la situation. Cette premiere forme
d'agir peut inclure un aspect strategique, lorsque l'agent inclut dans
son calcul de I'effet des attentes relatives aux decisions d'un (ou plu-
sieurs) acteur(s) qui agit dans le meme but. Pour Habermas, l'agir te-
leologique met en jeu les seules relations qui existent entre un agent
et un monde objectif (physique); l'agent y est saisi sous ('angle de ses
capacites cognitives (y incluse la volonte) et de leur produit
(connaissances, opinions), et le monde objectif est cette entite unaire
propos& par le Tractatus, a savoir «la totalite de ce qui est le cas».
Cette premiere forme d'agir peut etre evaluee selon le critere de verite
(les connaissances et opinions de ('agent sont-elles en accord avec
"ce qui est le cas"?), et selon le critere d'efficacite (le but est-il at-
teint?).
b) L'agir regule par des normes est distinct de l'agir strategique en ce
qu'il n'a pas trait au comportement d'un agent solitaire qui tient

45
compte de l'existence d'autres agents dans le monde objectif, mais
qu'il concerne ]'orientation dorm& aux actions des membres d'un
groupe par les valeurs qu'ils partagent. Les normes (les valeurs, les
symboles) sont les formes reglees par lesquelles s'exprime l'accord
qui fonde la vie sociale. Un agent particulier peut s'y soumettre (ou
les enfreindre) Iorsque, dans une situation donnee, sont remplies les
conditions d'application de ces memes normes: it y a "obeissance a
une norme" des lors qu'est satisfaite une attente sociale de compor-
tement. Cette deuxieme forme d'agir met en jeu des relations qui se
nouent entre l'acteur et deux mondes: le monde objectif tel qu'il a ete
Mini plus haut, et le monde social, qui est concu comme le cadre
definissant les modalites legitimes de relations interpersonnelles, et
auquel participent les agents en tant que jouant un role dans ces in-
teractions reglees. L'agent est ici saisi non seulement sous l'angle co-
gnitif, mais aussi sous l'angle psycho- social9, et revaluation de cet
agir social s'effectue selon le seul critere de justesse (('action est-elle
ou non conforme aux normes reconnues comme legitimes?).
c) L'agir dramaturgique enfin ne concerne ni l'agent decideur, ni son
role social, mais it a trait au fait que «les participants dune
interaction constituent reciproquement pour eux-memes un public
devant lequel ils se presentent» (op. cit., p. 101). Tout agent aurait un
acces privilegie a la sphere intime de ses pensees, souhaits,
sentiments, etc., et it gererait l'interaction en regulant (ou controlant)
l'acces du public a cette subjectivite propre. II procederait ainsi a une
auto-presentation (cf. Goffman, 1973), non sous une modalite
explicite, mais par "stylisation" de son action a ('usage des
spectateurs. Selon Habermas, l'agir dramaturgique presuppose
l'existence de deux mondes, le monde objectif (et plus precisement la
partie de ce monde que constituent les partenaires objectivement en
interaction), et le monde subjectif, ou monde des "experiences
vecues" de l'agent, auquel ce dernier seul a un acces privilegie. Ce
troisieme monde peut certes largement resulter de rinteriorisation de
connaissances objectives ou de valeurs sociales, mais it ne se reduit
cependant ni au monde objectif, ni au monde social; alors que le
premier procede de la supposition commune de ]'ensemble des faits,

9 Dans les termes de Habermas, ('agent serait dote non seulement dun "complexe cognitif", mais
egalement d'un "complexe motivationnel". Cette distinction implique notamment que l'agent est
apte a distinguer entre les aspects factuels et les aspects normatifs d'une situation.

46
46
et que le second procede de la supposition commune d'un ensemble
des relations sociales legitimes, le monde subjectif delimite lui, dans
cet ensemble de presuppositions communes, un "domaine de ce qui
n'est pas commun". Cette troisieme forme d'agir peut etre evaluee
selon le critere de veracite: dans quelle mesure ce que ('agent donne
a voir de lui-meme au travers du style de son action peut-il etre
considers comme sincere ou veridique?
En postulant ces trois formes d'agir, Habermas defend en fait l'hypo-
these centrale selon laquelle, en se deployant, toute action humaine
(sensee) exhibe trois formes de pretention a la validite; elle presuppose la
connaissance commune d'un monde objectif, a partir de laquelle pour-
ront etre evaluees les pretentions a la verite; elle presuppose le partage
(l'acceptation) de regles relevant du monde social, a partir duquel pour-
ront etre evaluees les pretentions a la justesse; elle presuppose enfin la
reconnaissance du monde subjectif de tout agent, a partir de laquelle
pourront etre evaluees les pretentions a la veracite. Et ce sont ces pre-
suppositions abstraites (c'est-à-dire independantes de tout contenu pre-
determine) qui constituent le contexte meme de ('action.
Le contexte dune action peut ainsi etre defini comme compose des
trois mondes postules par Habermas. Mais ces mondes sont formels; ils
sont constitues de connaissances (de representations) et ces dernieres
sont necessairement le produit d'une construction. Selon la theorie pia-
getienne (qu'Habermas discute longuement), l'elaboration de la connais-
sance procede primairement de la differenciation progressive des mo-
dalites d'interaction entre un organisme et son milieu "objectif", puis de
l'abstraction et de l'interiorisation des proprietes logiques de cette inter-
action; ce sont ces seules procedures logico-objectivisantes qui rendent
possible la construction du monde objectif en meme temps que du
monde subjectif (lorsque s'effectue le passage de l'etat
d'"indifferenciation" ou d'"egocentrisme" initial a la "decentration") et
qui permettent ensuite la construction du monde social (processus tardifs
de "socialisation"). Pour Habermas par contre, la construction des trois
mondes procede de la "rationalisation" du "monde vecu" d'un sujet,
sous l'effet de l'"agir communicationnel" qui caracterise toute societe hu-
maine. Le monde vecu peut etre defini comme ('ensemble des pre-
connaissances indifferenciees (opinions, sentiments, certitudes, etc.) re-
sultant notamment du travail d'interpretation du monde effectuee par les
generations passees (mythes, symboles, interdiscours) et qui constituent
l'arriere-plan de tout comportement humain. L'agir communicationnel

47

47
(dont nous donnerons une definition plus precise plus loin cf. IV.B.2.)
fait reference au role mediateur et regulateur que le langage exerce dans
toute action humaine. La rationalisation enfin designe le processus de
construction progressive des trois mondes sous l'effet de l'agir commu-
nicationnel. Appliquee a l'ontogenese, la position d'Habermas implique-
rait d'une part que le developpement s'opere sur la base d'un monde
vecu, constitue par les pre-connaissances indifferenciees qu'elabore un
sujet dans ses rapports a un monde dans lequel les aspects objectifs,
subjectifs et sociaux ne sont pas (encore) differencies; elle impliquerait
d'autre part que la construction rationnelle des trois mondes (Ia
construction des connaissances proprement dites) s'effectue simultane-
ment, dans le cadre des actions d'emblee interactives et verbales par les-
quelles l'entourage humain integre le nouveau-ne a son mode de fonc-
tionnement (a ses "formes de vie"). L'evaluation de la pertinence de la
projection de cette theorique sociologique sur une theorie du develop-
pement psychologique exigerait bien sur un examen empirique appro-
fondi, auquel nous ne pourrons prodder dans le cadre de cet article. Les
propositions d'Habermas ont cependant une implication importante pour
une definition generale du contexte de l'action. Dans la mesure ou la ra-
tionalisation est un processus continu, qui integre en permanence des
elements idiosyncrasiques du monde vecu dans les trois mondes formels
et qui rend ainsi ces elements evaluables (ou rationnels), le monde vecu
lui-meme doit etre considere comme un element permanent du contexte.
Et des tors celui-ci doit etre concu comme compose d'une part des trois
mondes formels, d'autre part d'un monde vecu filtrant l'acces d'un sujet
particulier a chacun de ces trois mondes.
Les quelques propositions theoriques qui viennent d'être examinees
nous permettent de tenter maintenant Ia formulation d'une semiologie
des parametres de l'action.
L'action sensee constitue d'une part un evenement se produisant dans
la nature, en l'occurrence une sequence de comportements observables
comportant un etat initial, des transformations et un etat final; a ce titre,
elle peut faire l'objet d'une premiere demarche d'interpretation, a carac-
tere explicatif (construction de modeles systerniques ou cybernetiques).
Mais l'action sensee constitue aussi une intervention dans un
contexte, c'est-A-dire dans le cadre de ces produits de la rationalisation
specifiquement humaine que sont les mondes objectif, social et subjectif.
A ce titre, l'action sensee constitue une oeuvre ouverte, dotee de mul-

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48
tiples significations potentielles, et elle doit faire l'objet d'une seconde
forme d'interpretation. Celle-ci consiste en ('examen de Ia validite des
trois formes d'agir eu egard aux mondes qui en constituent le contexte.
La signification de l'agir teleologique se mesure a l'aune de la verite du
rapport qu'il instaure avec le monde objectif, et a celui de l'efficacite de
Ia modification qu'il produit dans ce meme monde. La signification de
l'agir regule par les normes se mesure a la justesse (ou conformite) qu'il
manifeste par rapport aux attentes du monde social. La signification de
l'agir dramaturgique se mesure enfin a la veracite de ce qu'il exhibe du
monde subjectif.
L'action sensee met en jeu un agent, c'est-a-dire un "particulier de
base" qui, seul ou avec d'autres agents, intervient en declenchant l'etat
initial de l'evenement, et en en controlant partiellement les transforma-
tions et l'etat final. L'agent a acces a la connaissance rationalisee des
trois mondes formels constituant le contexte (en termes behavioristes
amenages, it a experiments les contingences de renforcement de ces
trois mondes), au travers des dispositions et connaissances d'arriere-fond
(habitus, savoirs de sens commun, etc.) qui constituent son monde vecu
(en termes behavioristes amenages, it est porteur d'une "histoire des
renforcements").
L'intention est la part de la signification de ]'action qui peut etre as-
crite (attribuee) a l'agent. De par le contexte dans lequel it s'est constitue
(qui l'a constitue), l'agent se trouve dote d'une agentivite multiforme
qu'il connait: it sait qu'il peut agir sur le monde objectif, it sait qu'il est
situe dans des reseaux de normes sociales, it sait qu'il donne a voir de
lui dans chaque interaction. L'intention constitue des lors ]'ensemble des
representations pro-actives des trois mondes que sollicite (ou construit)
l'agent, du fait de son agentivite, au moment de ]'intervention. Elle est
evidemment le produit d'une dialectique complexe entre representation
de l'agentivite propre et representation des determinations emanant des
mondes formels. De par sa nature representative et rationalisante, l'inten-
tion semble ne pas impliquer le monde vecu.
Le motif ou raison d'agir est la part de "causalite" de l'evenement-
action qui peut etre ascrite a l'agent. II est constitue de ('ensemble des
representations retro-actives des trois mondes formels que l'agent solli-
cite au moment de ('intervention, ainsi que de ('ensemble des determina-
tions qui procedent du monde vecu. Dans la mesure ou une raison d'agir
est toujours "raison de cet agir la", le rapport entre ]'action et son motif
ne s'inscrit pas dans le schema de l'independance logique de l'antece-

49
9
dent et du consequent qui caracterise la causalite proprement dite. Le
motif entretient avec l'action un rapport d'implication, ce qui explique
que, sur le terrain de Ia psychologie, it ne soit apprehendable, comme les
intentions d'ailleurs, que par le biais de "prises de conscience" (cf., dans
partie II de cet article, l'analyse qu'en propose Piaget).
Si l'analyse que nous venons de formuler s'avere pertinente, le pro-
gramme d'une psychologie de l'action devrait se distribuer en de-
marches relatives a deux objets nettement distincts.
La premiere concerne les caracteristiques evenementielles de l'action
(l'action comme phenomene "naturel"), qui peuvent faire ('objet d'une
analyse modelisante, relevant de ]'explication scientifique. C'est la voie
qui a ete prise par divers courants de recherche contemporains. Il faut
convenir toutefois que l'apport de ce premier type de demarche se limite
necessairement aux caracteristiques generales de ('architecture des ac-
tions (eventuellement a l'inventaire des differentes formes qu'elles peu-
vent prendre), et qu'elle ne peut fournir en definitive que des elements
d'interpretation de ses aspects teleologiques.
La seconde concerne les parametres de ]'intervention (contexte, agent,
intention, motif, etc.), l'analyse de leurs differentes modalites (formes
possibles) et surtout celle des effets qu'ils exercent sur les caracteris-
tiques memes de revenement-action. II faut avouer qu'en ce domaine, la
psychologie peine a developper une demarche veritablement scienti-
fique. Le behaviorisme radical propose deux concepts federateurs, l'his-
toire des renforcements et les contingences de renforcement, qui pour-
raient constituer un cadre pour l'etude des determinations qui intervien-
nent dans les decisions de tout agent; mais d'une part, la conception du
milieu que ce courant propose se reduit au seul monde objectif (aux
seuls observables inscrits dans l'espace-temps physique), et d'autre part
Ia methodologie qu'il a developpee interdit la prise en compte de la na-
ture representative du traitement de ces memes determinations. La pile-
nomenologie classique se centre au contraire d'emblee sur le monde
vecu de l'agent (pre-connaissances et connaissances representatives), et
preconise une methode reflexive (ou introspective) par laquelle le sujet,
dans un acte de retour sur soi, serait apte a "ressaisir" de maniere claire
et intelligible ('ensemble des parametres de son intervention dans le
monde. Cette demarche de "pure comprehension" conduit, sur le terrain
meme de la philosophie, a des impasses qui ont ete analysees en detail
par Ricoeur (1986) et Piaget (1965) en a par ailleurs clairement demontre
50
50
le caractere non scientifique. Un courant important de la psychologie
sociale (cf. notamment Beauvois, 1984) developpe enfin aujourd'hui une
methode scientifique d'analyse des mecanismes socio-cognitifs par les-
quels des responsabilites, des intentions et des raisons sont "attribuees"
aux agents d'une action. Ce type d'approche presente un interet indiscu-
table, mais elle n'apprehende toutefois les parametres de l'intervention
qu'a posteriori, dans la reconstruction cognitive qu'en elaborent les su-
jets. Son objet se limite donc a la raison pratique (aux connaissance ela-
borees sur les pratiques), et le probleme reste entier des rapports existant
entre cette connaissance seconde (resultant d'une "prise de conscience")
et les determinations effectivement a ('oeuvre dans la pratique meme que
constitue l'action sensee.
Une approche scientifique de "l'action humaine comme pratique" re-
quiert le recueil d'observables a partir desquels formuler des lois empi-
riques et construire des modeles a pretention explicative. En raison de
l'opacite et de ]'evanescence relatives des traces de l'action proprement
dite (ou non verbalisee), it semble bien que Ia seule demarche possible
en ce domaine soit celle de l'hermeneutique, c'est-A-dire celle dune
etude des discours, en tant qu'ils constituent des ensembles organises de
traces semiotisees des parametres de l'intervention d'une part, de Ia
structure de l'evenement-action d'autre part. C'est Ia voie que propose
Ricoeur dans le champ de Ia philosophie, et c'est celle que tenterons de
tracer plus loin (cf. IV.B.3) dans le champ de Ia psychologie. Mais it
reste evidemment, pour l'aborder, a statuer sur les rapports
qu'entretiennent le langage et l'action.
2. Le langage et l'action
Nous avons examine, dans Ia partie III de cet article, les arguments lin-
guistiques qui conduisent a ]'affirmation de la primaute de l'activite si-
gnifiante (en opposition a la these de la primaute des processus repre-
sentationnels). A Ia lumiere de Ia conception de l'action qui vient d'etre
developpee, doit etre propos& la these complementaire qui suit. La pro-
duction d'actions sensees, dans le cadre des "formes de vie" organisees
propres a l'espece humaine, requiert que soit etablie entre les interac-
tants une "entente" sur ce que sont les situations d'action (c'est-A-dire sur
ce qu'est le contexte, au sens defini plus haut). Et c'est dans (et par) l'ac-
tivite signifiante que cette intercomprehension se realise. L'activite Ian-
gagiere est ('instrument de l'intercomprehension humaine; pour re-

51
prendre la terminologie d'Habermas, elle constitue primairement la ma-
terialisation d'un agir communicationnel 10, c'est-a-dire d'un processus
dont la finalite est d'etablir entre les membres d'un groupe l'accord mi-
nimal sur Ia base duquel l'evenement-action se transforme en action sen-
see.
Dans les especes animales, les individus engages dans une action (ou
collaborant a la realisation d'une finalite d'espece), des lors qu'ils sont
dotes de capacites de representation, ont une connaissance du monde
qui en constitue le contexte, et cette connaissance de Ia situation inclut
la representation des autres actants. L'animal est en outre capable de
traiter de maniere appropriee les signaux communicatifs anis par les
interactants. Mais les episodes communicatifs du monde animal presen-
tent un caractere essentiellement "declencheur"; quelle que soft la corn-
plexite de ce mecanisme de declenchement (cf. Bronckart, Parot &
Vauclair, 1987), la correspondance entre le signal et la reponse compor-
tementale y est directe; elle ne fait ('objet d'aucune procedure de ago-
ciation (et donc de contestation), comme en atteste l'absence apparente
de tout dialogue: l'animal ne repond pas au signal en emettant un autre
signal et en s'engageant dans une "conversation". Cela implique que le
seul contexte elabore par l'animal dans le cadre de sa participation a une
action est celui de ses representations non negociees du monde, ce qui
revient a dire que l'animal ne gere l'action que dans le cadre de son seul
"monde vecu"I I.
Dans l'espece humaine, l'agir communicationnel introduit entre le si-
gnal et Ia reponse un terme intermediaire, en l'occurrence une proposi-
tion socialethent negotiable (et contestable) relative aux modalites de
mise en correspondance entre le signal et le monde. L'agir communica-
tionnel consiste en d'autres termes en Pelaboration des interpretants (au
sens de Peirce, 1931) qui sont au coeur de tout systeme semiotique.
C'est donc cet agir visant a l'intercomprehension qui realise la fusion des
processus de representation et de communication dont Vygotsky faisait
la condition meme de ('emergence de l'Humain. Et c'est dans le cadre de
cette production sociale que se negocie la fabrication des coordonnees
formelles qui definissent les mondes objectif, social et subjectif, en tant

10 La notion d'"agir communicationnel" a trait A ('ensemble des productions symboliques visant


l'intercomprehension (A ('ensemble des "formes symboliques" analysees par Cassirer, 1957); c'est
par commodite que nous restreindrons ici son application au langage verbal.
11 Amusant paradoxe, la notion de "monde vecu", au coeur de la philosophie de Husserl et de
Heidegger, trouve ainsi sa pertinence maximale pour la description des representations de l'animal.

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que cadres a l'interieur desquels peut se deployer la rationalisation de
l'activite humaine.

II ressort de ce qui precede que le langage humain a d'abord une fonc-


tion illocutoire; it consiste basiquement en une activite par laquelle sont
anises, a l'intention des interactants, des pretentions a la validite rela-
tives aux trois mondes (et c'est par cette production meme que les
mondes rationnels se construisent et se transforment en permanence). Le
langage est "acteur du monde" (cf. Vignaux, 1988), et constitue le filtre
au travers duquel le sujet humain y a acces, et c'est la le premier sens
que l'on peut donner au concept de mediation.
Mais dans ce mouvement meme, l'activite langagiere est aussi produc-
trice de signes, c'est-à-dire d'entites formelles regissant le rapport entre
productions sonores et representations du monde. Des lors qu'elles sont
cristallisees par l'usage, ces mises en relation sont productives de signi-
fies, ou encore de "sens" momentanement stables (cf. III. B). L'activite
langagiere se trouve donc dot& d'une fonction seconde, a caractere lo-
cutoire ou declaratif: de larges couches des mondes rationnels represen-
tes se trouvent re-codifiees dans les signes et les structures qui les orga-
nisent (second systeme de signalisation de Pavlov); le sujet interiorise
cette connaissance verbale, et cette connaissance constitue, en tant que
telle, un filtre de son acces au monde. C'est la le deuxieme sens que l'on
peut attribuer au concept de mediation.
Des lors que se developpent et se diversifient les activites humaines
mediatisees par le langage, ce dernier tend aussi a se specialiser en
formes d'organisation differentes ou discours. Les discours sont ces mo-
dalites de structuration de l'activite langagiere par lesquelles les aspects
illocutoire et locutoire sont integres, qui disent le monde en agissant
dans le monde.
Bakhtine, nous l'avons vu, distingue des discours premiers (ou libres),
qui entretiendraient un rapport "immediat" avec les situations dans les-
quelles ils sont produits, et des discours seconds (standardises) qui appa-
raitraient «dans les circonstances d'un echange culturel plus complexe
et relativement plus evolue» (1979, p. 267) et qui entretiendraient un
rapport "mediat" avec leur situation de production. A s'en tenir a cette
position, on dolt considerer que le structurant d'un discours premier est
constitue par ('action (non langagiere) a laquelle it s'articule. Et si,
comme Bakhtine, on prend comme exemple-type de discours premier,
rechange dialogique quotidien", cette interpretation peut etre defendue.

53
Les ingredients de l'analyse des "actes de langage"12 que propose Searle
(1972) sont en effet, en depit de l'analyse adjointe des diverses formes
linguistiques qui les realisent, les parametres socio-enonciatifs de
l'action en tant que non verbale, et it en va de meme pour les ingredients
de l'analyse de la structure des conversations (interventions, actes, etc.)
que propose I'Ecole de Geneve (cf. Roulet & al., 1985). Alors que les
discours premiers seraient ainsi "structures a l'action", les discours
seconds (narration, discours theorique, etc.) s'en detacheraient et seraient
soumis a un structurant propre, conventionnel, de nature specifiquement
langagiere; ils seraient, eux, "structures en action". Reste alors
determiner d'ou procede cette conventionalisation seconde et ]'evocation
bakhtinienne de "circonstances culturelles propices" n'est sur ce point
guere satisfaisante. Dans la serie Temps et recit (1983, 1984, 1985),
Ricoeur propose une interpretation du statut de la narration qui nous pa-
rait plus eclairante. Comme l'avaient evoque, en des termes certes diffe-
rents, Augustin aussi bien qu'Heidegger (1964), dans ce qui lui reste de
monde vecu, l'humain est confronts au "souci" existentiel et en particu-
lier aux apories du temps; dans son fatras de pre-connaissances, it per-
coit certes certains des traits structurels des actions dans lesquels it est
engage, comme it identifie certains aspects des mediations symbolico-
sociales qui les sous-tendent, comme it accede enfin a certains aspects
de la dimension temporelle de l'action. Mais ces representations sont
heterogenes, discordantes, ou encore non rationalisables (cf. a ce propos,
le statut d'incompletude attribue par Piaget aux "prises de conscience").
Conformement a la notion aristotelicienne de mimesis, ]'elaboration de
structures narratives peut alors etre interpret& comme une demarche vi-
sant a &passer cet etat de discordance, c'est-a-dire a tenter de com-
prendre le monde en en proposant une re-figuration ou schematisation:
la narration propose un monde fictif dans lequel agents, motifs, inten-
tions, circonstances, etc., sont "mis en scene" de maniere telle qu'ils for-
ment une structure concordante; les evenements et incidents individuels
auxquels ils s'articulent se transforment en une structure configuration-
nelle sensee ou "histoire", et c'est par rapport a cette configuration meme
que la succession temporelle des evenements prend un sens (cf. la des-
cription des phases des schemas narratifs: situation initiale, complication,
force transformatrice, etc.). Disponibles dans l'interdiscours, les narra-

12 Une telle analyse implique en outre que la notion d'"acte de langage" nest valide que pour les
seuls discours premiers.

54
54
tions ainsi constituees ont alors le statut d'oeuvres ouvertes, sur Ia base
desquelles les sujets reconstruisent leur comprehension du monde, et
c'est la le troisieme sens que Ion peut attribuer au concept de mediation.
Le schema d'interpretation que Ricoeur applique a la narration semble
pouvoir 'etre generalisable aux autres formes de discours seconds.
L'analyse du discours medical que propose Foucault dans L'archeologie
du savoir (1969) montre bien que Felaboration de ce genre de discours
scientifique s'est soutenue de Ia creation de "formations" mentales nou-
velles (d'un monde nouveau), et que les regles de ce monde ne sont rien
d'autres que les regles de l'activite discursive par lequel it s'est constitue
(notion de "formation discursive"). Et dans Maladie mentale et sens
commun, Schurmans (1990) montre remarquablement que face a la dis-
cordance qu'entraine dans le monde vecu le spectacle de Ia "folie", un
discours medical rationalisant s'est progressivement elabore pour la re-
figurer (construction du concept de "maladie mentale"), et que ce dis-
cours constitue le filtre au travers duquel les sujets interpretent et corn-
prennent desormais la folie.
On notera encore que Ricoeur (comme Bakhtine d'ailleurs) lie forte-
ment Ia conventionalisation restructurante des discours seconds a Ia
distanciation qu'opere Fecrit par rapport aux situations de production.
Cette position ne nous parait guere tenable, en raison notamment du ca-
ractere second et extremement tardif des productions ecrites (en particu-
lier narratives!) et it convient donc de postuler qu'entre les discours
strictement premiers (s'il en existe) et les discours seconds ecrits, existe
un ensemble important de discours seconds oraux, certes moins facile-
ment apprehendables, mais qui repondent aux memes conditions gene-
rales de constitution.
C. L'itude des discours comme actions
Les discours et les signes qu'ils organisent constituent les seules formes
de materialisation de l'activite langagiere (les langues et leur "systerne"
ne constituant que les produits de nos capacites d'abstraction et de
generalisation); ce sont donc eux qui constituent l'objet premier des
sciences du langage. Nous situant pour notre part dans he champ de Ia
psychologie du langage (ou de Ia psycholinguistique), nous procedons
une analyse de leur structure, de leur fonctionnement et de leur
acquisition (par ('enfant) dans he cadre d'un programme de recherche,

55
dont une premiere ebauche a ete formulee dans Le fonctionnement des
discours (1985 ci-apres FdD) et qui comporte quatre phases majeures.
La premiere a trait a Ia constitution d'un vaste corpus de textes authen-
tiques (oraux ou ecrits) produits dans le cadre d'activites diverses. Ces
textes peuvent relever de situations "ecologiques" (enregistrements de
productions orales in situ, ou recueil de textes déjà ecrits) ou de situa-
tions experimentales (productions orales ou &rites en reponse a une
consigne determinee). Dans tous les cas, le recueil des textes s'accom-
pagne d'une prise d'information la plus complete possible sur les diffe-
rents parametres qui en constituent la situation de production: type
d'interaction sociale dans laquelle l'activite langagiere s'inscrit, roles qui
en decoulent pour l'agent et ses destinataires, but poursuivi, espace-
temps de l'activite, etc. Les parametres de l'extralangage ainsi recueillis
constituent la base empirique a partir de laquelle sont effectuees des in-
ferences relatives aux caracteristiques des mondes representes consti-
tuant le contexte de Ia production verbale. En realite, les protocoles ex-
perimentaux actuellement utilises ne permettent de formuler des hypo-
theses qu'a propos du monde social et de cette part du monde objectif
constituee par les parametres de I'acte meme de production verbale.
Nous n'avons acces ni au monde subjectif de l'agent ni bien sur a son
monde vecu, et nous ne procedons a aucune investigation prealable des
aspects du monde objectif que le texte traduira sous forme declarative.
Dans le cadre conceptuel que nous avons elabore, chaque texte recueilli
est considers d'une part comme articule a deux ensembles definis de
variables qui en constituent le contexte (variables de l'interaction sociale
et variables de la situation d'enonciation), d'autre part comme renvoyant
a un ensemble non Mini de representations du monde objectif qui en
constitue le referent. L'examen des variables definissant le contexte
permet de proceder a une repartition des textes en groupes, repartition
qui prefigure (ou constitue une premiere hypothese quant a) leur reparti-
tion definitive en types de discours.

La seconde phase consiste en une etude approfondie des caracteris-


tiques et de la distribution des signes (ou unites linguistiques) qui appa-
raissent dans chaque texte. Cette demarche procede d'abord par identifi-
cation des differentes sortes d'unites observables (classement reposant
sur une taxinomie des unites du francais, d'inspiration bloomfieldienne),
puis par ]'application de diverses techniques d'analyse statistique desti-

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56
flees a evaluer la distribution de chaque unite et son pouvoir discrimi-
natif (eu egard aux textes appartenant a d'autres groupes). Elle se pour-
suit par des analyses quantitatives et qualitatives des co-occurrences et
des interdependances entre unites. Cette deuxierne phase permet
d'abord d'identifier des sous-groupes de textes caracterises par la mise
en oeuvre de sous-ensemble d'unites relativement specifiques, et de
proposer sur cette base un tableau de l'ensemble des unites qui
definissent de maniere ideale un type de discours (un "architype", selon
la formule de Bain, FdD, pp. 67-99). Elle permet ensuite de mesurer le
degre de dependance entre les types ainsi identifies et les situations dans
le cadre desquelles ils ont ete produits. Elle permet enfin de distinguer
les textes homogenes (ou unites textuelles concretes exhibant un seul et
unique type de discours) et les textes heterogenes, qui integrent
plusieurs types de discours differents.
La troisieme phase a trait a ]'identification des valeurs que sont suscep-
tibles de prendre les unites dans le cadre de ('organisation des textes
et/ou des discours. Cette etape centrale de notre demarche implique que
soit formule un modele des operations langagieres, ou modele des dif-
ferentes procedures de traitement des mondes dont les unites linguis-
tisques constituent les traces objectives. La "base de concepts" que
nous avons propos& dans FdD, etait organisee en trois niveaux,
caractere extemporane (ils ne prejugent aucunement de I'ordre
d'application effective des operations).
Le premier concerne les operations de contextualisation- referentiali-
sation, par lesquelles l'agent, des fors meme qu'il s'engage dans une ac-
tivite langagiere, sollicite (ou construit) des ensembles de representations
des variables des deux mondes contextuels et du monde referentiel (tels
que delimit& dans la phase I de la demarche). Ces procedures consistent
a attribuer une "pertinence" contextuelle et/ou referentielle aux para-
metres disponibles dans l'extralangage, et elles sont solidaires de deux
autres ensembles de procedures: les procedures de lexicalisation, par
lesquelles l'agent, en choisissant un des signes disponibles dans les pa-
radigmes de la langue naturelle qu'il maitrise, restructure ses representa-
tions referentielles en signifies; et les procedures de structuration pro-
positionnelle, par lesquelles l'agent construit ses representations des eve-
nements et etats du monde Were en les inscrivant dans les schemas
syntaxiques specifiques que lui propose sa langue naturelle.

57
57
Le deuxieme niveau concerne la structuration discursive, c'est-A-dire
les operations relatives a la selection d'un type de discours en usage
dans la langue. Les procedures d'ancrage ont trait a la specification des
modalites de la distanciation que l'acte enonciatif instaure par rapport au
monde social d'une part, par rapport au monde objectif refere d'autre
part; elles sont constitutives du monde discursif auquel s'articule chaque
type (monde interactif reformule, monde narratif, monde theorique, etc.).
Par les procedures de planification, ces mondes discursifs font ]'objet
d'une figuration (ou schematisation): les representations lexicalisees du
referent sont organisees selon un plan, dans lequel on retrouve a la foil
une structuration generale relevant des processus de conventionalisation
propres au type (schemas narratif ou logico-argumentatif "moyens", par
exemple), et une superstructure particuliere relevant de la mise en
oeuvre concrete du schema dans le cadre d'un discours singulier. Les
procedures de reperage enfin ont trait aux modalites d'organisation des
differentes "temporalites" qui s'articulent dans le discours: - temporalite
de I'acte d'enonciation, qui inclut non seulement le temps de l'etat initial
(intervention discursive), mais aussi ceux des etats successifs de
revenement discursif, y compris les decalages pro-actifs ("comme nous
le verrons au chapitre suivant") et retro-actifs; rapport entre cette
temporalite de base et la temporalite globale du monde discursif
construit ("en 1924" ; "il etait une fois"); - rapports de temporalite
interne enfin entre les etats et evenements evoques dans le monde dis-
cursif. Dans le cas des textes heterogenes, ces operations de
structuration discursive sont repetees pour chaque discours, et les
modalites d'articulation des discours entre eux font ('objet d'operations
supplementaires relevant du niveau suivant.
Celui-ci rassemble les operations de textualisation, c'est-A-dire ('en-
semble des procedures par lesquelles l'agent choisit de rendre explicite
(de "marquer"), pour le lecteur potentiel, des elements de structuration
de sa production verbale, et d'assurer ainsi la lisibilite du texte. Les
procedures de connexion proposent un ensemble de marques de
hierarchisation des differentes couches de successivite a l'oeuvre dans la
production verbale: segmentation et marquage des paragraphes, relevant
de ('organisation du globale du texte; marquage et segmentation externe
des differents discours qui y apparaissent; marquage des phases internes
de la superstructure de ces discours; marquage des modalites
d'integration des structures syntaxiques dans chacune de ces phases. Les
procedures de cohesion proposent un ensemble de marques qui

58
58
distribuent et coordonnent les zones d'actance, c'est-A-dire les series
d'actants et de circonstants que la production verbale met en scene
(gestion de l'eventuelle polyphonie), qui marquent la difference entre
actance et circonstance (opposition entre avant-plan et arriere-plan), qui
organisent enfin les relais entre les differents actants (parcours
thematique, reprises anaphoriques) et les predicats qui leur sont attribues
("concordance des temps"). Les procedures de modalithtion proposent
enfin un ensemble de marques qui traduisent les formes complexes de
rapport que l'agent entend instaurer entre son propre "point de vue"
d'agent, celui a partir duquel le monde discursif a ete construit, et celui
des actants mis en scene dans ce monde: explicitation du statut du
"narrateur" ou de renonciateur" d'un discours theorique; explicitation
des prises de position ou sentiments de l'agent; sollicitation du
destinataire; attribution d'intentions et de motifs aux actants mis en scene
dans le discours.
La quatrieme phase de notre dernarche consisterait en la validation du
modele par retour aux donnees empiriques. Dans l'etat actuel de nos tra-
vaux, cette phase proprement explicative parait encore largement
prematuree. Essentiellement parce que la base conceptuelle
actuellement elaboree ne peut pretendre au statut de modele
formalisable. A defaut de modele global, il est cependant envisageable
de formuler des "modeles locaux", relatifs aux operations qui sous-
tendent le fonctionnement de sous-ensembles pre-delimites d'unites
linguistiques. Pour ce qui concerne par exemples les "unites a caractere
temporel", nous tentons de formuler un modele exhaustif des operations
sous-jacentes (cf. Bronckart, 1990), et nous avons entrepris diverses
demarches experimentales, comparatives et developpementales,
destinees a en tester la validite (cf. Bronckart, 1993; Do lz, 1990; Do lz &
al.,1991).

Les propositions theoriques et methodologiques qui viennent d'être for-


mulees sont sans nul doute criticables a bien des egards. Comme
Schneuwly (1988) I'a propose, il conviendrait par exemple de distinguer
plus nettement les operations de contextualisation-referentialisation, qui
constituent la base d'orientation de toute activite langagiere, de ('en-
semble des autres operations qui ont trait a ('organisation discursive et
textuelle proprement dite, cette delimitation permettant notamment de
mieux faire apparaitre la dependance des procedures de lexicalisation et

59
0, 0
de structuration propositionnelle par rapport a la structuration discursive
(Ia selection du lexique et des schemas syntaxiques est en effet, pour
une part au moins, relative au discours dans Iequel s'inserent les signes
et les propositions). II cony iendrait egalement de formuler des
hypotheses precises sur le role que jouent, dans relaboration des
traitements eux-memes (ou operations), les caracteristiques propres aux
diverses langues naturelles. La base de concepts propos& dans FdD
devra donc faire ]'objet d'une reelaboration, et celle-ci devra notamment
s'effectuer dans les trois directions suivantes. II est necessaire tout
d'abord de distinguer ce qui, dans la structuration de l'evenement verbal,
releve respectivement de Ia modalite &rite et de la modalite orale. Le
texte ecrit exhibe un premier niveau de structuration (mise en page,
organisation en paragraphes, gestion du rapport au paratexte) qui est le
produit d'une conventionalisation historique relativement recente et qui
constitue un systeme de contraintes dans lequel doit s'inscrire
l'evenement verbal. La gestion de ces regles doit etre analysee en tant
que telle, de meme que devraient etre analysees (pour autant que soient
elabores des moyens techniques appropries) les modalites de
structuration de niveau equivalent a ('oral. S'agissant ensuite des
operations de structuration discursive et de textualisation (dont
]'architecture d'ensemble nest pas fondamentalement remise en cause),
its'agira surtout de tenter de dissocier, dans la formulation des
procedures, ce qui ressortit au statut "evenementiel" de l'activite
langagiere, et ce qui ressortit a son statut d'action sensee. Sur le versant
de l'evenement, se situeraient d'une part les contraintes qui posent sur Ia
production de tout langage, c'est-h-dire sur Ia production de tout
discours (c'est IA la seule veritale question que posent les eventuels
"universaux de langage"), et se situeraient d'autre part les contraintes
imposees par ]'organisation particuliere des paradigmes lexicaux et
morpho-syntaxiques des langues naturelles. Ces contraintes de langage
et de Iangue delimitent en realite l'univers des possibles a l'interieur du-
quel ]'agent d'une production verbale prend des decisions, et ce sont ces
decisions memes qui constituent les operations identifiables sur le ver-
sant de l'action sensee. Les operations de contextualisation-referentiali-
sation devront enfin etre reformulees a partir d'une double analyse: sur
la base de l'analyse externe des parametres extralangagiers, it s'agira
d'une part de proceder a des inferences quant aux variables probables
qui constituent le contexte, le referent et le monde discursif de ('agent
(procedure actuelle); sur la base de l'analyse interne des operations qui

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60
sous-tendent les unites de discours, it s'agira d'autre part de proceder a
des inferences sur les representations (du contexte, du referent et du
monde discursif) qu'elles sollicitent et transforment effectivement. C'est
la mise en correspondance de ces deux &marches qui pourrait per-
mettre de statuer valablement sur les parametres de ('action sensee que
l'agent elabore et codifie verbalement dans ('action langagiere.
Les unites discursives constituant des traces objectives et rationalisees
de ('intervention d'un agent dans le monde, c'est de ('etude des opera-
tions qui les sous-tendent que pourra decouler une appreciation objec-
tive des representations auxquelles elle s'articulent, ou encore que
pourra s'elaborer une connaissance scientifique des parametres
pratiques (intentions, motifs) qui regissent ('action sensee humaine.

Universite de Geneve Jean-Paul BRONCKART


Faculte de Psychologie
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64
64
"'ay;)
Contextes socio-culturels et appropriation des langues secondes:
l'apprentissage en milieu social et la creolisation
1. Introduction
Je souhaite explorer dans cet article quelques interrelations entre le pro-
ces d' appropriation d'une langue seconde ou etrangere (L2 ou LE) et la
dynamique des contextes socio-culturels ou evolue l'apprenant. L'etude
de l'apprentissage linguistique par la communication a donne lieu a de
nombreux travaux qui se sont attaches essentiellement a des analyses
d'interactions exolingues a l'aide de methodologies inspirees de l'ana-
lyse conversationnelle (cf. par exemple Dausendschon-Gay & Krafft
eds.1993). Mon propos sera different. Sans nier l'apport de ces travaux,
j'envisagerai plutot les articulations que Ion peut postuler entre les
macro-contextes sociolinguistiques et les micro-contextes interac-
tionnels d'une part, et les regularites linguistiques d'autre part. Je com-
mencerai par definir la notion de "contexte socio-culturel". Je rappellerai
ensuite la facon dont les recherches sur l'acquisition des langues se-
condes ou etrangeres (dorenavant RAL, Coste 1992) ont analyse les
contextes d'acquisition et d'emploi des L2 / LE. Je degagerai enfin
quelques relations entre des fonctionnements linguistiques et des
contextes socioculturels a travers l'examen de deux phenomenes
d'emergence linguistique dissemblables, l'appropriation du francais par
immersion sociale et la genese de creoles francais.
2. Les contextes socio-culturels : essai de definition
Par "contextes socio-culturels", j'entends les lieux et les moyens des ac-
tivites communicatives dans lesquelles tout acteur social est engage en
tant que participant a des reseaux sociaux, au sein dune ou de plusieurs
formations sociales. Ces interactions communicatives sont productrices
du social tout autant qu'elles en sont le produit. Le terme "contexte so-
cio-culturel" peut sembler plat pour une realite qui est d'une part, evolu-
five et dynamique, et d'autre part, complexe, puisque s'y trouvent impli-
ques et s'y negocient des motifs d'action, des valeurs, des regles
comportementales, des croyances et des attitudes. Les activites
socialement significatives que la praxeologie d' Habermas 1987 decrit
en distinguant les activites communicationnelles, des activites
instrumentales, strategiques ou teleologiques, s'y realisent. La notion de
contexte socio-culturel ainsi definie est a mettre en rapport avec celles
65
de cadre, de format, de script ou de schema d'activite. Ces dernieres, qui
sont autant de dispositions a l'interaction developpees au cours de la
socialisation, designent des phenomenes plus locaux subsumes par be
contexte socio-culturel.
L'idee qui me guide donc est que le contexte socio-culturel structure
la co-action (Bange 1992) et est structuree en retour par les indices de
contextualisation (Gumperz 1986) qu'echangent les interactants tout au
long des episodes sociaux dont ils sont les acteurs. La notion de
contexte socio-culturel ainsi entendue se rapproche de celle de situation
telle qu'elle est redefinie par Heller (a paraitre). Etudiant be choix des
langues et les alternances codiques chez des bilingues franco-anglais
Toronto, Heller pose que la signification de ces comportements linguis-
tiques ne provient ni du jeu des facteurs externes a l'interaction ni de
l'interaction elle-meme mais de la situation. Pour ce chercheur, la situa-
tion resulte "[...I du rapport entre l'interaction, les reseaux sociaux et les
repertoires linguistiques des interlocuteurs, et les consequences des in-
teractions pour les individus concernes. [...] (Elle) se reconstitue comme
('intersection d'interactions qui sont reliees entre elles par des rapports
sociaux."

3. L' analyse des contextes d'acquisition et d'emploi de la L2/LE en


RAL.

Bien que le terme "contexte socio-culturel" soit peu atteste dans les tra-
vaux en RAL, on s'est beaucoup preoccupe dans ce champ de recherche
de decrire les situations d'appropriation et d'emploi de L2 / LE. Trois
thematiques principales semblent avoir guidees ces travaux : une pers-
pective correlationniste d'origine psychosociale, une orientation varia-
tionniste plus sociolinguistique, et une direction interactionniste. Dans le
cadre des travaux d'inspiration psychosociale, on a tente de mettre en
rapport des variables dites externes, tels les attitudes, les motivations, l'
age, le degre d' extraversion, le degre de formalite des situations etc. et
des performances en L2. Pour ces courants de recherche, fort bien pre-
sent& par Bogaards 1988 et Skehan 1989, les contextes socio-culturels
sont des aggregats de variables qu'une methodologie statistique
eprouvee permet de hierarchiser; Dewaele 1993 fournit une bonne
illustration de cette demarche. On se reportera a Veronique (a paraitre
(a)) pour une discussion des travaux de ce type et de leurs apports.

66

86
La RAL d'inspiration sociolinguistique s'est par definition interessee
aux situations de miss en oeuvre et d'appropriation de Ia L2. Ces re-
cherches sociolinguistiques ont fortement contribue a une meilleure Ca-
racterisation de l'apprenant et de son territoire (Py 1993), des normes
auxquelles it est soumis et qu'il elabore dans le cadre de son interlangue
(Baggioni & Py 1987), et des Caches communicatives auxquelles il est
confronts. En premier lieu, et pour ce que vaut cette distinction, ces tra-
vaux ont conduit a differencier I' appropriation en milieu guide ou insti-
tutionnel et en milieu non guide ou social. Assurement la classe de
langues, comme prototype de lieu institutionnel d'apprentissage, se dis-
tingue fortement de l'ensemble constitue par les contacts plus ou moins
fortuits au gre desquels s'acquiert une L2 hors de toute institution spe-
cialisee; et cela, tant par la nature de I' exposition a la langue cible et par
le type d'informations metalinguistiques mises en circulation que par Ia
qualite des interactions assurees (Bange 1992). II est cependant souhai-
table de ne pas outrer cette distinction; d'autant plus que l'appropriation
d'une L2 semble suivre le meme cheminement quelles que soient les si-
tuations d'exposition et d'emploi, en milieu guide ou non guide
(Chaudron 1988).
Dans un premier temps pour caracteriser l'apprentissage en milieu
naturel notamment, on a tents de dresser une taxinomie des situations de
communication caracteristiques auxquelles un adulte stranger est sus-
ceptible d' 'etre confronts, et d'evaluer par la m'eme occasion les capaci-
tes linguistiques sollicitees (en reception, en production, a ('oral et a
l'ecrit) (cf. Noyau 1976). S. Dalhoumi & J. Cosnier (1981) ont dresse une
taxinomie des pratiques communicatives des travailleurs immigres
maghrebins en milieu urbain selon la nature des relations en cause
(amicales, formelles etc.), en fonction du statut des interlocuteurs
(inconnus, inconnus fonctionnels, amis etc.) et selon les langues em-
ployees. Ces approches se sont revelees peu fructueuses car elles ne
permettaient pas de definir celles des activites communicationnelles per-
tinentes pour l'apprentissage.
Au-dela de ces premieres descriptions, ('orientation sociolinguistique a
conduit a envisager differemment le sujet apprenant. Elle a aussi modifie
la methodologie des enquetes en RAL afin que soit surmonte "le para-
doxe de l'observateur", et aide au developpement d' un appareil de des-
cription qui prenne en compte l'heterogeneite et la variabilite des inter-
langues, du moins parmi les chercheurs sensibles a la lecon labovienne.

67

4 7
En ce qui concerne le sujet apprenant, on relevera que les grandes en-
quetes europeennes sur l'appropriation des L2 / LE en milieu naturel (H.
'P.-D', Z.I.S.A, E.S.F) ont toutes apporte un certain soin a la caracterisa-
tion de leurs apprenants. C'est ainsi que le Heidelberger
Forschungsprojekt " Pidgin-Deutsch" (Klein & Dittmar 1978) indique
que les sujets retenus sont des salaries exercant une activite a pre-
dominance manuelle, qui ont sejourne principalement a Heidelberg et
qui ont acquis l'allemand L2 apres ('adolescence. Le projet Z.I.S.A pre-
cise de meme que ses enquetes sont des travailleurs strangers (Clahsen,
Meisel & Pienemann 1983). Le projet de la Fondation Europeenne de la
Science (Perdue 1984) definit a son tour clairement les criteres de
selection de ses informateurs comme on le verra plus loin!. Dans
Veronique & Tribollet (1981), nous avons pu montrer qu'il etait plus
judicieux de caracteriser les informateurs de Penquete dont nous
rapportions les resultats, en tant que travailleurs migrants, dont les
pratiques langagieres en francais devaient etre appreciees par rapport a
leur bilinguisme social resultant du fait migratoire, plutot que comme
adultes arabophones, sans reference a leur itineraire social.
On pourra crediter l'inspiration sociolinguistique, voire anthropolo-
gique en RAL, d'avoir bien mis en lumiere la relation d' alterite dans la-
quelle s'inscrit l'apprenant par rapport a Ia langue et Ia culture cible (Py
1992, Widmer 1993, Veronique a paraitre (b)). Le paradoxe de l'
"observateur-alienant" a suscite des discussions sur Papplicabilite de Ia
notion de "vernaculaire" a I'interlangue et sur la possible description de
ce registre linguistique (cf. par exemple Arditty & Perdue 1979), et des
propositions de variation des Caches de sollicitation de donnees (cf. par
exemple Perdue 1984). L'existence dune distance par rapport a la
langue et a Ia communaute cibles que l'apprenant doit surmonter n'a pas
echappe a Schumann 1978 qui definit, dans son modele de la pidgi-
nisation, dans une optique autant psychosociale que sociolinguistique,
un ensemble de variables externes afin d'evaluer la distance psycholo-
gique et sociale de l'apprenant par rapport a sa cible.

Dans les manuels de linguistique de terrain (cf. Samarin 1967 et Kibrik 1977), on definit les qualites
requises de l'informateur (competence linguistique, patience, disponibilite ou naïveté
mOtalinguistique) mais it nest nulle part question de son statut social. II en est de merne en ce qui
concerne les apprenants enquetes en milieu scolaire. Aissen 1992 signale un changement
d'attitude a regard du travail avec l'informateur que Ion prefere dorenavant designer, dans certains
secteurs de la recherche linguistique du moins, sous le terme de consultant.
68

68
Les travaux en RAL ont integre de facon contradictoire deux lecons
de Ia sociolinguistique : la variabilite stylistique des locuteurs et les phe-
nomenes de vigilance linguistique. En effet, certaines recherches se sont
inscrites directement dans le programme labovien (cf. par exemple
Tarone 1988 et ('evaluation critique que dresse Dewaele 1993 des tra-
vaux variationnistes), tandis que d'autres, tel Krashen (1981), appre-
henderont ces phenomenes empiriques differemment. Le modele de
l'auto-controle (monitor model) de Krashen explique la variabilite de
l'interlangue par ('existence de deux sources de connaissances linguis-
tiques activees selon le degre d'attention a la forme, vigilance imposee
par les situations d'emploi de la langue.
Il convient pour conclure sur ]'impact des preoccupations sociolin-
guistiques en RAL de rappeler ]'existence de travaux tels ceux de
Muysken 1984 qui ont decrit des usages linguistiques intermediaires en
situation de bilinguisme par un recours au macro-contexte. Pour cet
auteur, l'interlangue espagnole des locuteurs de quechua en Equateur
porte la trace d'une situation oil les donnees auxquelles sont exposés les
apprenants resultent elles-memes d'une approximation de la norme du
castillan. L'espagnol des locuteurs de quechua est dons une "approxi-
mation d'approximation" selon la formule de Chaudenson (1989).
L'analyse des situations d'acquisition et d'emploi de la L2 en RAL a
suscite enfin la description d' episodes particuliers de communication
exolingue a l'aide d' analyses conversationnelles. On a tente de montrer
comment l'apprenant acquiert Ia capacite de participer dans la langue
cible, entre autres, aux trois grands types de formats ou microcosmes
communicatifs reperes par Dausendschon-Gay & Krafft 1990: les
activites de figuration fortement ritualisees (les salutations, les adieux
etc.), les transactions stereotypees ( les achats courants, demander son
chemin etc.) et les activites recurrentes d'organisation et de structuration
de la conversation (la transition de l'ouverture a la definition du theme, la
cloture interactive etc.). ,A travers la notion de sequence potentiellement
acquisitionnelle (S.P.A), De Pietro et coll. 1989 ont essaye de rendre
compte des phenomenes interactionnels susceptibles de provoquer une
appropriation linguistique. Its ont essaye de preciser ('articulation entre
"exposition", "donnee" ou encore input et "saisie", "prise" ou intake si
tant est que ces termes soient identiques - a travers l'analyse du travail
auquel se livrent les partenaires de ]'interaction dans des sequences late-
rales (cf. la contribution de Dausendschon-Gay ici meme). Si en contexte
scolaire, l'appropriation linguistique est intimement melee au contexte
69
socio-culturel (Coste 1984, 1991, Lauerbach 1993), it n'est pas certain
que I' on puisse identifier avec autant de nettete des "interactions
d'apprentissage" (Bange 1991) dans le cas de l'apprentissage"en milieu
social". Les travaux merles sur les formes de contact entre alloglottes et
natifs par DausendschOn-Gay, Krafft & Giilich (1986) en fournissent
cependant une bonne illustration.
Certains des travaux reunis dans Noyau & Porquier 1984 par
exemple, ceux qui analysent des malentendus et des echecs de commu-
nication, relevent de l'approche interactionniste en RAL. On rangera
aussi sous cette rubrique les recherches sur le travail de figuration de
l'apprenant et sa gestion des rapports de place (cf. par exemple Russier
et coll. eds.(1993). Ces analystes ont recours wilt& aux methodes de
l'ethnographie de la communication, Witt& a celles de l'analyse
conversationnelle et de I'ethnomethodologie (cf. la contribution de
Dausendschon -Gay ici meme), a un mélange de ces deux
methodologies (cf. Bremer et coll. 1988), ou encore a la pragmatique
(Kasper & Blum-Kulka eds. 1993).

4. Macro-contexte, micro-contexte et contextualisation : quelques hy-


potheses
Les travaux qui viennent d'être evoques supra laissent entrevoir que
deux grands types de facteurs sont agissants dans les situations d'appro-
priation et d'emploi des L2 / LE : des determinants macro-contextuels,
que les creolistes designent sous le terme de matrice sociale, et des ph&
nomenes locaux lies aux interactions. On peut considerer, a la maniere
de Weinreich 1956 analysant les faits de bilinguisme, que l'apprenant
est le locus des facteurs micro- et macro-contextuels, ou au contraire
que ]'interaction communicative est le lieu d'actualisation de toutes les
determinations macro- et micro-contextuelles grace aux activites de
contextualisation. Les recherches en creolistique ont aborde les rapports
entre facteurs globaux et facteurs locaux en les articulant a un troisieme
terme celui de representations (cf. aussi Francheschini & Matthey 1989).
Pour Manessy 1994, l'autonomisation sociale, la revendication d'exis-
tence sociale est le moteur de toute emergence linguistique, de toute
vernacularisation. Le Page & Tabouret-Keller 1985 qui developpent
!Id& que dans les societes creoles les activites interactionnelles sont des
actes identitaires, designent sous le terme de focalisation (focussing), la
conduite des agents qui font converger leurs activites linguistiques a des
70

70
fins gregaires, en vue d'une critallisation sociale. Le contexte socio-
culturel joue ici un role crucial de la meme maniere que la situation
redefinie par Heller (a paraitre).
Dans la derniere partie de ce texte, je souhaiterais montrer a propos
de deux situations, relativement dissemblables, l'appropriation de la
langue du pays de travail et la genese linguistique dans un cadre
colonial, le role du contexte socio-culturel, subsumant les phenomenes
macro- et micro-contextuels et le jeu des representations, dans un
domaine restreint du fonctionnement linguistique. Je ne postule aucune
homologie entre ces situations et les fonctionnements linguistiques qui
s'y sont developpes ou qui continuent de s'y manifester. Je soutiendrai
plutot qu'elles illustrent Yid& dune continuite entre les contextes socio-
culture's et les regularites linguistiques observables. La relation que je
tente d'etablir pourrait se resumer dans les deux propositions suivantes :
des configurations sociolinguistiques analogues engendrent des effets
linguistiques semblables (Manessy 1994) mais les memes "strategies
d'apprentissage" conduisent a des restructurations differentes quand
elles s'appliquent a des etats ou a des varietes differents dune meme
langue (Chaudenson 1994).
5. Contextes socio-culturels et emergences linguistiques: l'appropria-
tion du francais par des migrants arabophones (le programme ESF)
5.1. Le contexte socio-culturel de 1' appropriation du francais par des
migrants marocains
Parmi les facteurs qu' it faut avoir present a l'esprit lorsque l'on aborde
l'appropriation du francais en milieu non guide par des travailleurs
strangers, it en est deux qui sont determinants: leur trajectoire d'emigra-
tion et le lien entre la pratique de langue du pays d'accueil et l'activite
de travail dans ce pays. Dans le cas des Marocains, it s'agit d'une
immigration post-coloniale qui a ete expos& peu ou prou au francais
dans le pays d'origine. L'apprentissage linguistique en terre d'emigration
est a mettre en relation avec les autres apprentissages qu'il est necessaire
de consentir en s'installant dans la societe d'accueil; cela inscrit
I'apprenant au sein du bilinguisme social caracteristique des populations
de travailleurs strangers. En renvoyant a des etudes anterieures (cf. par
exemple Veronique 1983 & 1991), il convient simplement de signaler le
rapport de cette population au processus d'auto-minoration sociolinguis-
tique et a la literacie. Ce sont pour l'essentiel des apprenants qui sont
71

71
sensibles aux phenomenes de legitimite linguistique dont ils se savent
exclus, et qui ont vecu, des le pays d'origine, la puissance des rapports
de force symboliques !lees a Ia connaissance des langues &rites et nor-
mees. C'est a la lumiere de ce macro-contexte qu'il faut apprecier les
contraintes du dispositif d'observation linguistique mis en place pour le
recueil de donnees acquisitionnelles dans le programme ESF.

5.2. Le dispositif d'observation


Le programme de recherche ESF "Acquisition d'une langue seconde par
des adultes migrants" (Perdue 1984) s'est propose d'etudier de facon
longitudinale vingt-sept entretiens ont ete realises en moyenne sur une
duree d'environ trois ans - I'apprentissage de Ia langue du pays de
travail hors de toute structure scolaire par des adultes migrants. Ce
projet a eu recours a une methodologie partiellement inspiree des
travaux psycholinguistiques, tout en s'inscrivant dans une demarche
sociolinguistique preoccupee de la miss en relation de donnees de
langue et de leurs situations d'emploi, de la prise en compte des savoir-
faire communicationnels et des savoirs linguistiques, et de la saisie de
l'heterogeneite des interlangues. Je rappellerai brievement quelques
aspects remarquables de cette enquete :
a) II s'agissait d'une enqu8te longitudinale coordonnee, se deroulant
la meme periode dans six villes europeennes. On imagine aisement
le degre de contrainte necessaire pour que des donnees a peu pres
comparables soient recueillies. On comprend aussi que la confronta-
tion d'adultes migrants et d'universitaires ne pouvait s'effectuer de fa-
con tout a fait comparable selon les lieux, eu egard a ('insertion des
strangers dans les pays de travail.
b) L'enquete etait constituee par une serie de Caches langagieres recur-
rentes. Ainsi, chacune des neuf rencontres de chaque cycle de col-
lecte de donnees a ete ouverte par une conversation. Evidemment, les
relations entre participants, voire les themes de leurs propos, ne pou-
vaient etre les memes selon l'activite en cours dans I'entretien ni se-
Ion la periode de collecte des donnees.
c) Le dispositif etait concu de telle sorte que enquete ne puisse etre
un lieu d'apprentissage (presence d'un enqueteur bilingue charge
entre autres du maintien du contact, evitement d'une familiarite
excessive et de rencontre hors de l'enquete etc.).

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72
Cinq informatrices et informateurs arabophones marocains2 residant a
Marseille, ont participe entre 1982 et 1985 a cette enquete longitudinale,
sans compter un nombre egal selectionne pour constituer un groupe de
controle. Ces sujets ont ete retenus lors d'une pre-enquete parce que
leur maitrise de la langue cible etait limitee, parce qu'ils etaient de
langue premiere arabe mais aussi parce qu'ils exergaient un métier de
bas niveau de qualification, métier qui cependant les mettaient en
contact avec des francophones. Pour acceder a des informateurs
satisfaisant aux criteres &finis par l'enquete, il a fallu a la fois explorer
le tissu associatif complexe (associations marocaines et associations
frangaises) qui est en relation avec la population immigree marocaine,
avoir recours a des structures etatiques et para-etatiques (la Direction du
Travail et la DDASS), et enfin pratiquer une quete sauvage dans les cafés
de la Porte d'Aix a Marseille. Les femmes et les hommes n'ont pas ete
abordes de fagon identique du fait de la repartition sociale et familiale
des Marocains a Marseille. Les femmes ont ete touchees essentiellement
grace aux instances s'occupant du regroupement familial.
Si I' on s'interroge sur les motivations des participants a ce macro-
evenement communicatif, il est facile de comprendre le projet explicite
des linguistes dans l'enquete. Les raisons qui ont incite les enquetes a
accepter la rencontre sont moins evidentes. On peut citer les elements
suivants : le caractere clairement delimite de l'activite prevue, delimite
dans son objet (autour du francais et de sa pratique), dans son lieu (les
informatrices ont ete enquetees a domicile et les informateurs dans un
local associatif au coeur du quartier de la Porte d'Aix a Marseille, un
quartier connu et frequente d'eux) et dans le temps (la duree moyenne
d'une rencontre etait d'environ une heure et demie). On peut aussi
penser que cette rencontre menagee par des intermediaires (enqueteurs
et enquetrices bilingues) marocains avec des tenants de la societe de
residence et de travail, survenait pour les enquetes a un moment propice
dans leur propre projet d'insertion. Il est meme loisible d' imaginer qu'il
s'agissait la d'un premier moment de prise de contact avec les fonction-
nements de la societe how, different de ce que reservent les &marches
administratives usuelles. Correlativement, il est interessant de relever
qu'en deca de I'objectif linguistique strict, tous les enqueteurs langue

2 Les Marocains de Marseille ont collabore a cette enquete au merne titre qu'une quarantaine
d'autres sujets participant dans cinq autres villes europeennes au programme de la Fondation
Europeenne de la Science (ESF)
73

a'3
cible qui ont participe a l'enquete de terrain a Marseille, avaient un pro-
jet de rencontre avec l'autre, avec retranger. Cela tenait twit& a des rai-
sons ideologiques et tantot a la biographic personnelle. Ainsi outre l'en-
gagement forme! a participer, on peut considerer que l'enquete et Ia re-
lation sociale qu'elle a instauree, se sont fondees sur une suite d'ententes
regulierement renouvelees dont les enqueteurs bilingues ont etc les ini-
tiateurs et les garants.

5.3. Une illustration : lacquisition du systeme pronominal par les


apprenants arabophones marocains
En ce qui concerne la reference a la personne 1, les apprenants arabo-
phones emploient le plus frequemment, en debut d'acquisition, le pro-
nom tonique moi dans le scheme moi + Predicat ou precede de /1i/, moi
+ /11/ + Predicat. On releve aussi le recours frequent a /Ana/ et a /se/ en
lieu et place d'un predicat verbal, ce qui permet d'eviter la reference
explicite a soi. La forme je apparait cependant au sein d'un certain
nombre d'expressions figees telles que je comprends, je sais pas etc.
Cette forme nest pourtant pas percue conformement a sa valeur en
langue cible; la realisation /se kone/ avec la valeur de "je connais" par
I'un de nos informateurs en fournit une indication indirecte. Ce n'est que
graduellement que se realise le passage du scheme moi + (Ii) + Predicat
au scheme de la langue cible (moi) + je + Predicat. Pour ce qui est de la
personne 2 en position de sujet, toi est la forme Ia plus frequemment at-
testee. La reference a la personne 3 est souvent exprimee par l'autre. Le
couplage tonique+ clitique se realise d'abord dans la forme de la per-
sonne 3 qui devient lui + it + Predicat. La seule reference attest& en
fonction objet, du moins en debut d'apprentissage, est la reference a
('aide de le en position post-predicative. Les pronoms objets ne sont ja-
mais attestes en position pre-predicative sauf dans ('expression fig&
/madi/ (forme introductrice du discours rapporte) et, chez l'un de nos in-
formateurs Abdelmalek, en fin de troisieme cycle oil le scheme me+
Predicat se generalise (ex. it /mevje/). On notera que lui n'est pas atteste
en fonction objet mais est utilise en position d'extraction et dans des
syntagmes prepositionnels precedes par exemple d'avec.
On le voit, au cours dune observation de trois ans environ, le systeme
pronominal mis en place par les apprenants est un systeme limite a trois
places essentiellement: la position sujet, occupee initialement par des
formes analogues aux toniques de la langue cible, la position objet, oti
74

74
est attest& une forme derivee du pronom clitique de la langue cible en
position post-predicative, et la position oblique, oil se retrouvent les
memes formes qu'en position 1. Ce systeme se caracterise par son ex-
tension limit& et sa faible variation morphologique
6. Contextes socio-culturels et emergences linguistiques : la genese
des creoles francais
6.1. Polimiques a propos de la creolisation.
Le terme "creolisation" designe a la fois une genese sociale et culturelle
et une genese linguistique (Chaudenson 1992, Jardel 1987). L'emploi
externe de "creolisation" renvoie aux &bats socio-historiques sur les
populations mises en contact dans les colonies creees lors de
l'expansion coloniale occidentale ; it s'agit a la fois de leur provenance,
des conditions de leur survie et de leur organisation sociale. La distinc-
tion de Chaudenson (1979) entre creoles exogenes, lies au deplacement
de populations vers de nouveaux territoires, et creoles endogenes,
elabores a travers les contacts avec une population residente, majoritaire
et alloglotte, s'inscrit dans cette perspective. La theorie de la creolisation
linguistique que defend Chaudenson (1989, 1994) attribue d'ailleurs un
role decisif dans l'engendrement des langues creoles a un phenomene
infrastructurel de ces societes, le passage d'une societe d'habitation
une societe plantocratique. Bien que la theorie de la creolisation que
formule Bickerton (1981) soit moms sensible aux conditions socio-
historiques, c'est aussi a ('usage externe de la "creolisation" qu'il faut
referer ses propositions concernant les matrices sociales de la genese
des creoles : le fort, Pile et le navire, et ses indications a propos du calcul
d'un indice de la pidginisation (Bickerton 1986 a & b).
L'usage interne du terme de "creolisation" concerne l'origine des
langues creoles; les theories sont nombreuses en ce domaine. Certaines
postulent une monogenese des creoles; d'autres posent une continuite
entre la langue lexifiante et la nouvelle langue. Parmi les autres points de
vue enonces, citons Ia these de la creolisation comme appropriation ap-
proximative de la langue cible ou de ce qui en tient lieu, Ia creolisation
comme resultant de 'Influence d'un substrat, comme produit de capaci-
tes humaines innees ; evoquons, enfin, ceux qui considerent que la creo-
lisation represente un cas anormal de transmission de langue ou qui
imagine au contraire un cycle vital par lequel des pidgins donnent nais-
sance a des creoles. On le voit les propositions de conceptualisation ne
75

a
manquent pas. Je souhaite presenter brievement les distinctions qu'opere
Miihlhausler a propos de la pidginisation et de la creolisation, les pro-
positions de Thomason & Kaufmann (1988) et celles de Manessy (1987);
ces prises de position partagent le trait commun d'attribuer un role
important au contexte socio-culturel dans la genese des creoles.
Pour Miihlhausler 1986, la creolisation et la pidginisation sont des
processus dynamiques inscrits sur deux axes, un axe developpemental
et un axe de restructuration, de telle sorte que Ion peut observer, entre
autres, des situations de nativisation qui n'impliquent pas une pid-
ginisation prealable. Ce point de vue rejoint les formulations de R.
Chaudenson, tenant du courant continuiste, pour qui la creolisation ne
requiert pas forcement une phase de pidginisation. Se lon Miihlhausler
1986, il est souhaitable d'envisager les dynamiques d'apprentissage des
langues secondes c'est-h-dire la pidginisation, cas non marque, ou
('appropriation sur le tas - ou du langage - la creolisation par exemple -
en termer de continuum oil les phases suivantes pourraient etre isolees:
i) le jargon (phase rudimentaire et idiosyncrasique impliquant un
recours au non verbal), ii) la stabilisation qui suppose la constitution en
communaute linguistique d'un groupe de locuteurs; ce systeme presente
des reductions et des simplifications fonctionnelles et formelles; iii)
('expansion qui implique une complexification morphosyntaxique et
lexicale ainsi que des developpements du point de vue de la variation
stylistique; iv) la creolisation qui amene des changements syntaxiques et
semantiques. Miihlhausler distingue plusieurs phases successives de
creolisation. L'existence d'un tel continuum n'implique pas que creoles
et pidgins, dont les geneses et les evolutions sont susceptibles d'être
differentes, ne puissent partager certains fonctionnements linguistiques.
Dans la reflexion sur les particularites des langues creoles, la plupart
des analystes mettent en relief la rapidite de ('emergence du nouveau
systeme linguistique, attribuable selon Chaudenson a des modifications
dans le mode d'organisation economique et sociale des colonies, ou plus
simplement aux conditions sociolinguistiques particulieres de la depor-
tation et de l'esclavage. Les propositions de Thomason & Kaufmann
(1988) a propos de la creolisation prennent precisement comme point de
depart le fait que les creoles apparaissent dans des circonstances
sociales tres particulieres oil la transmission normale des langues n'est
pas assuree. Par rapport a d'autres situations de contact linguistique, it
est impossible d'etablir avec certitude des relations genetiques definies
comme des correspondances systematiques entre composantes et
76

76
niveaux des langues en contact entre la langue emergente, la langue
lexifiante et le substrat. Les creoles se trouvent dans la situation de
langues ayant plus d'un ancetre; ce qui les exclut de fait de toute
recherche genetique. Thomason & Kaufman sont partisans d'une theorie
de la creolisation comme proces anomale de transmission de langues ou
le produit final, une langue mixte, n'entretient aucun lien genetique avec
les langues qui l'ont precedee. Ce point de vue se presente clairement
comme une theorie de la discontinuite des creoles, discontinuite engen-
dr& par des circonstances socio-historiques particulieres.
Alors que Bickerton ou Chaudenson ne definissent Ia creolisation
qu'en reference aux creoles, Manessy (1987) prend soin d'indiquer que
la creolisation ne conduit pas necessairement a relaboration de creoles.
II dissocie proces et produit. II se situe, ce faisant, dans Ia lignee des
travaux de Hymes 1971. En effet, ce dernier formule une definition de la
pidginisation et de la creolisation en termes structuraux, indepen-
damment de tout contexte socio-historique specifique; cela ne rempeche
pas cependant de poser que la pidginisation et la creolisation represen-
tent des cas extremes d'influence des facteurs sociaux sur revolution lin-
guistique3. Pour Hymes, la pidginisation peut etre decrite comme une
reduction fonctionnelle et une simplification du materiau linguistique
disponible dans les echanges. La creolisation est une phase d'expansion
fonctionnelle et linguistique. Manessy reprend les definitions de Hymes
pour decrire les deux processus de la vehicularisation, c'est-A-dire de
l'adaptation de I'outil linguistique a Ia stricte fonction de communication
et de dissemination de l'information a travers des groupes de locuteurs
pour qui c'est une langue seconde, et de la vernacularisation, c'est-A-dire
de ('adoption d'un vehiculaire comme langue de groupe, langue identi-
taire et instrument de communication. Ce dernier phenomene ne peut se
produire que si un lien social et une volonte d'autonomie se developpent
parmi les locuteurs concernes (Manessy 1994).

3 "[...) the process of pidginization and creolization [...] seem to represent the extreme to which
social factors can go in shaping the transmission and use of language" (Hymes 1971: 5). Ce point
de we est sans doute excessif; Ia consultation de Woolford & Wasahabaugh (eds.) 1983 confirme
que la relation nest pas aussi immediate entre contextes sociaux et contextes linguistiques.
77

77
6.2 La RAL et les travaux sur la creolisation
Le facteur de ]'acquisition, de Ia transmission a la generation suivante du
systeme linguistique en usage dans le groupe, a toujours ete envisage
comme un element de discontinuite susceptible de favoriser l'evolution
linguistique (Meillet 1921/1965). Cela a conduit certains du moins
conceder un role important a ]'appropriation linguistique dans la genese
des creoles. Les chercheurs en acquisition se sont a leur tour interesses
aux travaux des creolistes. Pour ceux qui etudiaient l'apprentissage "sur
le tas", la presence d'une main d'oeuvre etrangere occupant des emplois
subalternes et peu qualifiees, et vivant tres souvent, du moins dans les
annees soixante, dans des conditions de forte segregation sociale
evoquaient immanquablement la situation des main d'oeuvres serviles
dans les colonies europeennes. Certains chercheurs ont postule que de
nouveaux pidgins naissaient dans les societes industrialisees (Clyne
1968).
A ce constat d'une identite relative de circonstances
sociolinguistiques, s'est ajoute le fait que les acquisitionnistes etaient, a
cette periode du developpement de leur domaine, a la recherche de
methodes d'analyse et de modeles theoriques pour rendre compte de la
dynamique des appropriations linguistiques. La distinction de R.W.
Andersen (1983) qui suggere de separer le processus socio-historique de
creolisation, dont le resultat est ]'elaboration d'un nouveau moyen
d'expression a Pechelle du groupe, et le processus individuel
d'appropriation linguistique, de nature psycholinguistique, a clarifie les
bases de cette confrontation. Mufwene (1990) cependant, a propos de
cette meme differenciation, insiste sur le fait que Ia creolisation de
groupe est un phenomene d'une plus grande complexite que
l'apprentissage individuel. II rappelle le poids des facteurs socio-
historiques qui menent a la creolisation et note que les initiateurs des
creoles s'adressaient necessairement et prioritairement a d'autres
alloglottes alors que les apprenants de langues secondes visent
essentiellement a communiquer avec des natifs.
Differentes propositions theoriques ayant cours dans le domaine de la
creolistique ont suscite l'interet des acquisitionnistes, a commencer par
le modelle du cycle vital pidgin-creole de Bloomfield-Hall. C'est ainsi
que Schumann (1978) a cru pouvoir rendre compte de la dynamique de
l'interlangue d'un apprenant adulte a travers un modele de la pidgini-
78

78
sation calque sur le cycle pidgin-creole. Par la suite, cette representation
de la dynamique acquisitionnelle s'est enrichie a travers le modele de
l'acculturation de Schumann (Schumann & Staub le 1983) et Andersen
(1983). La notion de continuum de lectes, recapitulant en synchronie
revolution diachronique, a aussi suscite un reel inter& chez les
acquisitionnistes. Corder (1977) distingue pourtant clairement un
continuum sociolinguistique tel celui decrit en Guyane par Bickerton
(1975) et le continuum developpemental de l'acquisition. II a notamment
insiste sur la complexite croissante d'un continuum developpemental.
A.-M. Staub le (1978), puis J. H. Schumann ont entrepris de decrire les
&apes de l'appropriation de l'anglais langue seconde en termes de
"basilang", de "mesolang" et d'"acrolang". Les propositions de Bickerton
dans Roots of Language a propos des dichotomies semantiques
primitives a la base de la faculte de langage ont aussi entraine des
recherches empiriques en acquisition des L2, notamment celle de
Huebner (1983).
Cet interet reciproque n'a pas ete exempt de revirements et de de-
boires comme l'atteste la polemique entre D. Bickerton (1983) et A.
Valdman (1983) (in Andersen (ed.) 1983). Bickerton y demontre que la
creolisation et I'apprentissage des langues etrangeres sont des proces
non comparables pour des raisons deja evoquees supra .En un sens, des
obstacles methodologiques et theoriques ont rendus hasardeux et
problematique le rapprochement entre le proces d'apprentissage des
langues etrangeres, voire d'acquisition de la langue premiere, et celui de
la creolisation. Chaudenson et d'autres, prenant en compte les diffe-
rences socio-historiques, les differences de terminus a quo et les difficul-
t& a reconstruire le mouvement de la genese des creoles, proposent de
mener la confrontation au niveau des modes et des strategies d'appro-
priation, ce qui n'est pas sans poser de problemes non plus.

6.3 Illustration : la genese du systeme pronominal dans quelques


creoles franfais
J'emprunterai cet exemple a Valdman (1994), qui a l'instar de Manessy
(1994) et de Chaudenson (1994), insiste sur le role determinant du
contexte socio-culturel, cant dans sa dimension macro-sociolinguistique
qu'au niveau micro-contextuel, sur revolution des systemes
linguistiques. Ainsi, it postule que la creolisation et les langues creoles
ont connu un double mouvement de rapprochement de la langue
79
79
matrice la decreolisation et de rupture d'avec celle-ci la repidigini-
sation des les premieres geneses linguistiques. II rapproche dans son
travail les formes pronominales du creole louisiannais,creole dit conser-
vateur, de celles du creole saint-dominguois (1804) et du creole haItien
moderne ; je lui emprunte ses donnees en les simplifiant. Selon Valdman
(1994), le louisiannais connait une differenciation morphologique aux
personnes 1, 2, entre les formes sujet mo, to /vu et les formes oblique
mwe, twe. II releve que le possessif presente une identite de formes avec
le sujet sauf a la personne 3 of Ion trouve so au lieu de IL Le mauricien
contemporain presente de ce point de vue un fonctionnement analogue
au louisiannais. Le creole saint-dominguois, ancetre du haItien moderne,
se &marque du louisiannais moins par sa diversite morphologique que
par la valeur de ses formes. On retrouve bien l'alternance
morphologique mo > mwe etc. mais son conditionnement est do-
renavant positionnelle et non fonctionnelle; mo, et to sont preposes
tandis que les formes alternantes mwe, twe sont postposes. Le haItien
contemporain a reduit le paradigme des formes en ne retenant qu'une
seule forme pour twe / vu > u / w, et en ne pratiquant plus de distinction
entre nu et zot. Dorenavant, les variations morphologiques
pronominales sont dues a des causes phonetiques ou phonologiques.
7. Conclusion
Ce que Ion peut &gager de ces rapprochements incite a la prudence et
a la modestie. Sur la base d'un echantillon limite de donnees, la mise en
place d'un systeme pronominal dans l'interlangue des apprenants maro-
cains et dans des creoles francais, on ne peut qu'etre frappe par les si-
militudes des micro-systemes. On relevera l'identite des fonctionnements
pronominaux des interlangues d'arabophones et des creoles "conserva-
teurs". Le systeme pronominal des apprenants est proche de celui de la
langue cible car le circuit de communication n'est pas rompu entre les
alloglottes et les natifs; it en est certainement de merne dans les pre-
mières &apes des etablissements coloniaux. Par la suite, ces micro-sys-
temes creoles s'eloignent de la langue matrice. S' its se radicalisent par
rapport au systeme source, la raison reside au moins partiellement dans
la matrice sociale specifique des societes creoles qui s'autonomisent des
metropoles. Ces etudes de cas, malgre leur caractere limite, indiquent
que les contextes socio-culturels participent de facon etroite dans leur
organisation macro-contextuelle tout autant qu'au niveau des episodes
80

S0
sociaux dans lesquels les systemes linguistiques sont mis en oeuvre, a
)'elaboration des regularites linguistiques. Sur un plan plus general, les
deux exemples de l'appropriation par immersion sociale et de la creoli-
sation, confortent l'idee d'interrelations entre le processus de construc-
tion de systemes linguistiques et de mise en place de schemas de com-
munication, et les contextes socio-culturels.

G.R.A.L, Universite de Provence Daniel VERONIQUE


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83

BEST COPY AVAELLISIE


Role des reseaux sociaux dans le maintien de la langue
maternelle, dans le developpement bilingue
et dans le developpement de la litteracie
Le type de developpement bilingue et le maintien de la langue mater-
nelle chez des enfants de minorite linguistique sont des phenomenes de-
pendants tant du developpement social et culturel de l'enfant, que des
ideologies predominantes dans la societe. Comment un enfant, issu de
('immigration, developpe-t-il une forme de bilingualite qui lui permettra
de devenir un membre a part entiere de la culture d'accueil tout en
maintenant sa langue et culture d'origine? En d'autres termes, comment
s'integre-t-il dans Ia societe sans pour autant s'assimiler a la culture d'ac-
cueil?
Socialisation et enculturation
Parce que le developpement de la bilingualite chez l'enfant issu de
l'immigration se fait en meme temps que le processus de socialisation en
situation minoritaire, les consequences developpementales de ce proces-
sus ont souvent ete attribuees a tort au bilinguisme qui resulte de cette
situation de minoritaire. Le developpement bilingue fait partie du pro-
cessus d'enculturation pour l'enfant. Pour la notion d'enculturation nous
nous basons sur la definition de Taft (1977): afin de devenir un membre
A part entiere de la societe l'enfant est enculture dans un style de vie
particulier qui constitue sa culture; comme consequence l'enfant devient
culturellement competent. II doit acquerir les comportements qui ont un
sens pour les autres et qui vont lui permettre d'attribuer un sens aux
comportements des autres. En d'autres termes l'enfant doit apprendre la
communication dans un contexte culturel donne.
L'enculturation debute avec Ia socialisation. Si l'enfant est socialise
dans un contexte familial bilingue (comme c'est le cas dans les mariages
mixtes), l'enculturation impliquera deux cultures. Si, au contraire, l'enfant
vit dans un milieu familial monoculturel mais est entoure d'une ou plu-
sieurs cultures dans la societe, l'enculturation se fait d'abord dans sa
culture d'origine, et ensuite, lorsqu'il entre en contact avec les autres
cultures it devra s'acculture afin de s'adapter a Ia nouvelle culture. Par
acculturation it faut entendre une adaptation de comportements culturels

85

84
déjà acquis vers une nouvelle culture. Le type de bilingualite que
l'enfant developpera n'est pas independant des processus d'enculturation
et d'acculturation qui dependront eux-memes de l'ideologie vehiculee
dans la societe qui percoit l'enculturation comme un phenomene lineaire
et exclusif ou multidimensionnel, et dans ce dernier cas l'appartenance
culturelle multiple comme souhaitable ou non (Hamers & Blanc, 1983).

L'Ideologie de la saclike

Le maintien de la langue ancestrale, c'est-a-dire la langue de la commu-


naute d'origine mais qui nest pas une langue officielle du pays, est
percu comme une dimension importante de ('integration des immigrants
dans la societe canadienne. Toute societe mixte sur le plan culturel et
ethnolinguistique doit faire un choix entre une politique d'assimilation
ou de diversite culturelle. Or cette politique a des retombees pour le de-
veloppement de ('enfant dans la mesure oil elle ('encourage ou au
contraire le discourage de maintenir une langue et une culture differentes
de celles du pays d'accueil, en particulier dans la mesure oil elle l'invite
a se developper comme un individu bilingue et biculturelle ou au
contraire a s'assimiler a la langue et a la culture du groupe dominant
dans la societe (Hamers & Blanc, 1989).
Jusqu'au debut des annees 60 l'ideologie dominante dans Ia majorite
des pays qui accueillent des immigrants dans le but d'augmenter leur
population (E.U., le Canada, l'Australie et Ia Nouvelle Mande) etait celle
du creuset (melting-pot); cette approche est basee sur la notion que !In-
tegration se faisait par l'assimilation des nouveaux arrivants et par la
conformite sociale et culturelle avec le groupe dominant.
Au Canada, deux societes fondatrices se partagent le territoire depuis
la colonisation du continent nord-americain: une francophone concen-
tree majoritairement au Quebec et une anglophone, majoritaire dans les
autres provinces. Cette politique d'assimilation etait appliquee dans les
deux communautes avec des degres divers de succes. Au Quebec no-
tamment l'assimilation des nouveaux venus se faisait nettement vers is
minorite anglophone de la province. La politique n'en etait cependant
pas moins assimilatrice.
Or, depuis le milieu des annees soixante des changements importants
dans les politiques d'immigration ont favorise !Ideologic du multicultu-

86

85
ralisme, c'est-A-dire rid& que des groupes ethnolinguistiques plutot que
de s'assimiler a la majorite, doivent maintenir leur heritage culture! et
linguistique dans la mesure du possible (Taylor, 1991). Cette politique
s'est manifestee notamment dans la creation d'un Ministere du
Multiculturalisme. Elle devenait aussi plus imperieuse avec l'image
changeante de l'immigration et notamment l'arrivee de minorites visibles,
groupes pour lesquels une assimilation etait quasi impossible. Le pay-
sage de l'immigration du 21e siècle ne pourra plus faire appel a !Id&
qu'au bout d'une generation tous les immigrants seront devenus telle-
ment semblables qu'on ne peut distinguer leur origine ethnique.
La recherche empirique en sciences sociales, effectuee dans les der-
nieres decennies a amene au constat de Pechec de l'ideologie assimila-
trice. Pour la majorite des immigrants l'assimilation se faisait au prix
d'un cat social important: au mieux, celui de ne pas avoir la meme
ascendance sociale que le groupe dominant, au pire, celui de la
ghettoisation et du rejet social. Ce constat d'echec a amene la societe a
revoir son ideologie et a considerer le maintien culturel plutot que
l'assimilation comme le meilleur mode d'integration sociale.
Effet de l'integration
Un certain nombre de questions importantes peuvent etre posees
concernant les retombees dune politique de multiculturalisme.
Comment une societe est-elle capable de gerer la pluralite ethnique,
raciale, religieuse et linguistique? Pourquoi et comment certaines
communautes sont-elles capables de maintenir leur culture et langue
ancestrale alors que d'autres ne le sont pas? Pourquoi le coat de ce
maintien semble-t-il plus eleve pour certaines communautes que pour
d'autres? Comment l'individu reagit-il a cette integration? Quel est le
coin individuel d'une integration?
Plusieurs psychologues sociaux se sont questionnes sur les effets que
pouvait avoir une politique de multiculturalisme pour le developpement
individuel. Taylor (1991) suggere, par exemple, que le maintien de la
culture ancestrale est fondamental pour le developpement de l'identite
sociale de l'individu et joue un role constructif dans la mesure ou it
fournit a l'individu un cadre de reference dans lequel sont comportement
social est effectif.

87

n ue
La question generale sous-jacente a nos recherche est Ia suivante:
si une societe est capable de repondre aux exigences du multicultura-
lisme, comment un Canadien de premiere generation, c'est-A-dire ne
au Canada de parents immigrants, qui provient d'un entourage cultu-
rellement et linguistiquement different tant de la majorite de la societe
canadienne que du milieu existant dans le pays ancestral peut-il se de-
velopper harmonieusement?
si une societe est prete a prendre une approche pluraliste, comment
l'enfant qui grandit entoure de cette diversite linguistique et culturelle
peut-il eviter tant la getthoisation que l'assimilation et leurs conse-
quences nefastes, en particulier sur le plan langagier? Comment cette
integration peut-elle se faire dans une societe ou les lois linguistiques
regissent la langue d'enseignement comme c'est le cas du Quebec
(voir Hamers & Hummel, 1994).

Modeles de developpement bilingue


Les recherches menees dans les dernieres annees sur le bilinguisme
nous permettent de mieux comprendre les conditions necessaires pour
qu'un enfant puisse non seulement eviter les consequences nefastes d'un
double heritage culturel et linguistique, mais aussi celles requises pour
qu'une experience bilingue precoce soit benefique pour son developpe-
ment cognitif et affectif.
Sur le plan socio-psychologique, Lambert (1974) a fait une distinction
importante entre des formes additive et soustractive de bilingualite; dans
sa forme additive, l'enfant beneficie d'un entourage qui accorde une im-
portance sociale equivalente aux deux langues et les presentes a l'enfant
comme interchangeables pour toutes les functions langagieres, alors que
dans sa forme soustractive la langue socialement dominante a tendance
A eliminer Ia langue maternelle minoritaire et de ce fait met en danger
l'identite culturelle et le developpement langagier general de l'enfant
Warners & Blanc, 1982).
La grande majorite des recherches sur le bilinguisme et le multicultu-
ralisme effectuees clans les dernieres decennies ont non seulement
confirme l'importance du contexte social dans lequel se developpe la bi-
lingualite, mais permettent aussi de conclure que, si ('entourage social
est pret a encourager des formes additives de bilingualite, l'enfant est

88

87
non seulement capable de faire face a la complexite d'une dualite
culturelle, mais qu'il va aussi en retirer certains avantages sur le plan
cognitif (Hamers, 1991a). Le fait de manier deux langues plutot qu'une
en developpant des competences scolaires et litteracies lui permet de
developper sa flexibilite cognitive. Les resultats sont cependant
fortement tributaires du statut social des differentes cultures presentes
autour de ('enfant; la valorisation sociale des deux langues semble etre le
facteur crucial dans le developpement de la bilingualite additive (pour
une revue plus detainee, voir Cummins & Swain, 1986; Genesee, 1987;
Hamers & Blanc, 1989).
Cependant le lien correlationnel entre le statut social relatif des deux
cultures et le type de developpement bilingue n'est pas parfait; les en-
fants provenant de milieux culturels majoritaires ne developpent pas
tous des formes additives de bilingualite et ils ne sont pas les seuls a le
faire; moyennant une intervention pedagogique adequate un contexte
additif peut etre cree en milieu minoritaire ( Landry & Allard, 1987).
Landry & Allard (1990) ont propose un modele macroscopique des
determinants de la bilingualite additive et soustractive. D'apres ces
auteur, la bilingualite additive complete comprendrait: (1) un haut niveau
de competence linguistique dans les deux langues, tant sur le plan
communicatif que sur le plan cognitivo-academique; (2) le maintien
d'une identite ethnolinguistique forte et des croyances langagieres
positives envers sa langue maternelle ainsi que des attitudes positives
envers les deux langues; (3) ('usage generalise de sa langue maternelle
sans diglossie.
II faut noter que cette taxonomie ne nous renseigne pas sur les liens
entre les differentes caracteristiques de la bilingualite additive. La com-
petence bilinguistique est-elle la cause ou Ia consequence d'une identite
culturelle forte et de croyances positives? Landry & Allard nous propo-
sent cependant une hypothese interessante: dans la mesure oil la vitalite
de groupe est confirm& ou infirm& par les contacts ethnolinguistiques
les croyances dans la vitalite du groupe en seront affectees. Its percoi-
vent le comportement langagier comme Ia resultante des contacts ante-
rieurs: dans une recherche (Landry & Allard, 1985) ils ont demontre que
chez la minorite francophone du Nouveau Brunswick, les croyances des
parents etaient le meilleur predicateur du maintien de la langue mater-

89
nelle a la maison; cependant Ia competence des parents en langue ma-
ternelle joue egalement un role dans ce maintien. Le comportement lan-
gagier et le reseau individuel de contacts linguistiques (RICL) sont en
meme temps le resultat de la qualite et la quantite des contacts ethnolin-
guistiques anterieurs et le determinant des comportements langagiers.
L'interet de cette approche reside dans le fait qu'elle insiste sur l'impor-
tance des reseaux sociaux, tant dans Ia formation des croyances langa-
gieres que dans 1e developpement de la bilingualite.
II semble que nous devons faire l'hypothese qu'il existe des variables
mediatrices importantes entre Ia structure sociale qui valorise ou &valo-
rise les langues et le developpement langagier de ('enfant. Notre re-
cherche s'est cristallisee autour d'une meilleure identification de cer-
taines de ces variables mediatrices. Plus specifiquement nous nous
sommes posees la question suivante:
Comment un enfant qui grandit dans un entourage multiculturel
prend-il connaissance de la structure sociale autour de lui au point ou
cette structure parvient a influencer son developpement langagier?
Dans notre modele de developpement bilingue (Hamers & Blanc,
1983; Hamers & Blanc, 1989) nous avons suggere que le reseau social et
les representations sociales partagees sont deux variables mediatrices
importantes entre le milieu social et les dimensions cognitives et socio-
culturelles du developpement langagier de l'enfant. Le type de normes,
de valeurs ainsi que le modele langagier auquel l'enfant est exposé et
qu'il interiorisera dependra:
I) de Ia presence d'un ou plusieurs modeles langagiers fonctionnels et
formels autour de l'enfant;
2) du fait que le reseau social autour de l'enfant est linguistiquement ho-
mogene ou heterogene et
3) du fait que les normes linguistiques sont en competition ou non.
Reseau social
La structure du reseau social est correlee avec le comportement langa-
gier: par exemple, Blom & Gumperz (1972) ont demontre l'existence du
lien entre l'alternance de code bilingue et les associations personnelles.
Un reseau social serre et ferme renforce ('application de normes y inclus
celles concernant le comportement langagier, de sorte que les membres

90

29
de ce reseau vont adopter les normes. valeurs et comportement propres
au reseau; Milroy (1980) a par exemple demontre qu'il existe une rela-
tion positive entre ('usage du vernaculaire et la densite et la multiplexite
des reseaux sociaux. Un reseau social est defini par les individus qui le
composent et les liens qui existent entre ces individus; le reseau n'a pas
de frontieres marquees. Chaque reseau peut etre percu comme le point
focal d'une constellation d'amis, de connaissances, de membres de Ia
families, de collegues de travail, de voisins, etc... Le reseau social est im-
portant dans Ia mesure ou it genere un statut pour l'individu et lui attri-
bue done une place dans Ia societe (Breitborde, 1983).
Le reseau social peut etre decrit en termes de domaines d'interactions
(famille, amis, travail, ecole, voisins, loisirs, etc...), de densite (le nombre
d'individu qui ont des relations entre eux), de multiplexite (le nombre de
role joue par un individu), et d'homogeneite linguistique (les langues
utilisees dans chacune des interactions). Chaque interaction dans le re-
seau peut etre decrite en termes de frequence, d'importance et de qualite.
Tant les caracteristiques des interactions que celles de la structure du re-
seau vont modeler la representation sociale de l'enfant. Durant le proces-
sus de socialisation l'enfant interiorise et fait sienne le systeme de valeurs
sociales ainsi que les normes relatives au langage et aux langues; cette
interiorisation l'aidera a construire sa propre representation sociale du
langage. Cette representation inclut le sens partage, les scripts sociaux et
les valeurs sociales qui vont jouer un role essentiel dans le developpe-
ment de l'identite culturelle. Nous percevons le reseau social et Ia repre-
sentation sociale comme l'interface entre les variables societales et indi-
viduelles qui influencent le developpement bi- ou multilingue de l'enfant
(Hamers, 1987).
Les pratiques langagieres du reseau social de l'enfant vont jouer un
role important dans son developpement linguistique. Primo, Ia ou les
langues utilisees tant autour et qu'avec l'enfant ainsi que les fonctions
pour lesquelles ces langues sont utilisees vont determiner sa competence
en une ou plusieurs langues. Deuxiemement, ('appropriation cognitive
du langage dependra des modeles fonctionnels et formels utilises avec
l'enfant; ces modeles sont transmis a travers le reseal' social centre sur
l'enfant, qui, de ce fait, developpera une connaissance de leur valeur re-
lative dans la societe. Ainsi, tant la valorisation de Ia langue maternelle

91
que de la litteracie est cruciale pour le developpement des competences
litteraciees (Hamers & Blanc, 1989). Troisiemement, dans un contexte
multiculturel, Ia ou les langues peuvent agir comme symboles de l'iden-
tite ethnique.
Les attitudes envers les langues vont egalement jouer un role de pre-
mier plan, tant pour ('acquisition que pour l'usage des langues. Alors que
('enfant acquiert une ou plusieurs langues iI s'appropriera egalement les
attitudes langagieres et les valorisations en pratique dans le reseau social
dans lequel cet apprentissage a lieu. La valorisation positive de certains
ou de tous les aspects tant fonctionnels que formels des langues declen-
chera le processus motivationnel pour apprendre et utiliser la ou les
langues dans certaines fonctions. Notre hypothese est la suivante:
lorsque le reseau social valorise toutes les langues autour de ('enfant
dans toutes leurs fonctions, y inclus Ia litteracie, Ia chance de beneficier
d'une experience bilingue precoce est maximisee.
La recherche
La presente etude a ete developpee dans le but de verifier un certain
nombre d'hypotheses avancees par ce modele de developpement bi-
lingue. En particulier, nous nous sommes questionnees sur les liens
existants entre la structure du reseau social, les caracteristiques des in-
teractions interpersonnelles dans celui-ci, l'usage et les pratiques langa-
gieres dans le reseau et le developpement de la bilingualite d'enfants
neo-canadiens de la premiere generation.
Nous avons effectue une cueillette de donnees aupres de 720 enfants
bilingues, dont 160 Neo-Canadiens ages de 12 ans, ainsi qu'aupres de
leur deux parents. Afin d'être inclue dans rechantillon l'enfant devait
provenir d'un milieu familial ou les deux parents avaient la meme
origine ethnique (mesuree en termer de pays d'origine, de langue
maternelle et de religion) et ou la langue ancestrale etait encore utilisee
comme langue familiale. Les enfants neo-canadiens etaient soit d'origine
grecque, soit d'origine arabe (Egyptiens chretiens d'origine syro-
libanaise). Les enfants frequentaient soit des ecoles francaises, soit des
ecoles anglaises et vivaient soil a Montreal, un metropole multiculturelle
oil les deux communautes linguistiques cohabitent avec de nombreuses
communautes culturelles, soit a Quebec, Ia capitale provinciale, une ville

92

91
a caractere essentiellement unilingue francais mais ou vivent quand
meme de petites communautes culturelles ainsi qu'une petite
communaute anglophone.

Les mesures suivantes ont ete prises aupres des enfants:


1) la competence linguistique dans les deux langues officiellesainsi que
dans la langue ancestrale , telle que mesuree par des tests de clozure,
une auto-evaluation de Ia competence pour divers activites langa-
gieres et une evaluation par des locuteurs natifs de chaque langue;
2) l'identite culturelle des enfants, mesuree par Ia distance sociale;
3) les attitudes envers les trois langues;
4) Ia perception et Ia valorisation des langues;
5) les caracteristiques du reseau social de l'enfant, a savoir la frequence,
('importance et la qualite des contacts pour chacun des domaines sui-
vants: la famille, l'ecole, le groupe de pairs, les organisations de jeu-
nesse et les organisations ethniques, les services obtenus dans la
communautes et les loisirs y inclus les contacts avec le pays d'ori-
gine. Des mesures de densite, de multiplexite et d'homogeneite lin-
guistique ont ete prise pour le reseau.

Aupres des parents nous avons pris des mesures d'attitude envers les
deux langues officielles ainsi qu'envers le maintien de Ia langue ances-
trale, des mesures de croyances Iangagieres concernant les trois langues
ainsi que des mesures de competence dans les trois langues
Enfin des informations de base concernant Ia langue maternelle, la
classe sociale, l'histoire d'immigration, ('usage et les pratiques langa-
gieres ont ete prises pour chaque famille. L'ensemble de l'enquete repre-
sentait en moyenne 22 heures d'interview par famille.
Sur ('ensemble des donnees nous avons applique'es des analyses
multivariees (oil la taille de rechantillon le permettait, des analyses de
variances et des analyses correlationnelles.

Les resultats

Alors que nous avons trouve une difference importante entre les
Canadiens d'origine grecque ou arabe, dans Ia mesure ou Ies Grecs ont
une tendance a rester plus ethniques que Ies Arabes (ils utilisent davan-

93
tage le grec a Ia maison et au travail, ont davantage d'amis grecs, utili-
sent les media grecs, participent plus a des reunions de Grecs et visite
plus souvent le pays d'origine), nous pouvons cependant conclure
qu'une image commune se &gage chez les deux communautes. Les
correlations significatives sont generalement basses (.30 et .40). Ces re-
sultats peuvent cependant etre du au fait que nous avons eu a manipuler
un grand nombre de variables aupres d'echantillons relativement petit.
La taille des echantillons ne nous a pas permis d'utiliser des statistiques
plus sophistiquees.
De facon globale les resultats les plus importants qui sont ressortis de
cette etude sont les suivants:
(1) le maintien de et la competence en langue ancestrale est relie a la fre-
quence, l'importance et Ia qualite des relations interpersonnelles dans
Ia famille.

La competence en langue ancestrale est correlee de facon significative


avec l'importance (Peres: r =.37; Meres: 4 =.35), et Ia qualite (Peres:
r=.34; Meres =.31) des relations parentales et dans une moindre mesure
avec la frequence des contacts avec la famille &endue (r =.24) et le
groupe de pairs de Ia meme origine ethnique (r =.28). Elle est egalement
correlee avec l'usage dans Ia famille nucleaire (r =.41) et dans la famille
&endue (r = .30). L'usage de la langue ancestrale en dehors de Ia famille
est uniquement correlee avec la frequence de contact avec la famille
&endue (r =.22) II n'y a aucun lien entre la competence en langue
ancestrale, la presence d'un professeur de meme origine ethnique, la
frequentation de cours de langue ancestrale, ou la participation a des
activites communautaires.
(2) Pour tous les niveaux d'usage et de pratiques langagieres, dans les
deux communautes et dans les deux villes, les enfants utilisent signi-
ficativement moins la langue ancestrale que ne le font les deux pa-
rents.
En ce qui concerne l'usage des media, alors que les enfants regardent
davantage Ia TV, Ia video et des films et ecoutent davantage la radio et
des chansons que ne le font leurs parents, ils le font (ou le feraient s'ils

94
93
en avaient ('occasion) significativement moins en langue ancestrale
qu'en anglais et en francais que ne le font leurs parents (F = 4.74; F=
4.75; F= 5.57; F= 6.73 and F= 5.98; P<.05; .02; .05; .01; .01).
Les enfants qui frequentent l'ecole anglaise de Montreal sont ceux qui
semblent le moins disposes a utilises des media dans leur langue ances-
trale. De facon generale, les mores font davantage appel aux media en
langue ancestrale. Ceci peut s'expliquer par le fait que dans noire
echantillon Ia majorite des mores etaient soit menageres ou, si elles tra-
vaillaient, le faisaient souvent dans une petite entreprise de leur groupe
ethnique. Les deux parents ont des usages assez semblables des medias,
sauf que les mores ont une legere tendance a &outer davantage des
chansons et lire plus de livres en langue ancestrale, alors que les pores
vont davantage lire des journaux et des periodiques en langue ances-
trale.

(3) Les caracteristiques de reseaux ne sont pas le seul groupe de va-


riables qui determinent le maintien de la langue ancestrale , mais le
type d'usage de Ia langue ancestrale (activite litteraciee versus activi-
tes sociales) et les croyances langagieres du Ore semblent egalement
pertinent pour le developpement de Ia competence en langue ances-
trale.

Alors que Ia competence en langue ancestrale est correlee avec ('usage


de la langue ancestrale dans Ia famille ( r = .41), elle est davantage corre-
lee avec des habitudes litteraciees (livre en langue ancestrale, r =.39;
ecrire des Iettres a des parents dans le pays d'origine, r = .36; &outer des
cassettes, r = .35; regarder des films, r = .29) qu'avec des pratiques so-
ciales (festivals ethniques, r = .20; activites religieuses, r = .17; soirees de
danses, 4 = .12). L'usage de la langue ancestrale dans Ia famille est aussi
fortement correlee avec les croyances langagieres du Ore: plus un pore
pet-colt sa langue ancestrale comme ayant une forte vitalite, plus it insis-
tera sur son usage (r = .25), alors qu'une mere qui percoit sa langue an-
cestrale comme ayant une forte vitalite n'influencera que peu son usage
dans le milieu familial ( r = 15; NS). Cependant ce lien est le plus fort
lorsque les deux parents percoivent une forte vitalite de Ia langue ances-
trale ( r = .32)

95
(4) Les reseaux de groupes de pairs jouent egalement un role dans le
maintien de la langue ancestrale.

Non seulement leur frequence intervient (r = .39), mais la competence


est egalement meilleure lorsque les relations avec les pairs de meme
origine ethnique sont positives (r =.27). Comme ['enfant semble avoir un
certain role decisionnel dans le choix des amis, it faut noter qu'il y a
egalement un lien entre la frequence et la qualite de ces contacts.

(5) lorsque ('enfant suit des cours de langue ancestrale it a une legere
tendance a avoir une meilleure competence dans celle-ci (r =.I9); ce-
pendant Ia frequence, la qualite et ('importance des relations avec ces
enseignants ne sont pas lies a la competence en langue ancestrale;
pas plus d'ailleurs que les caracteristiques des contacts avec d'autres
ensei gnants.

(6) les attitudes envers les langues, tant parentales que celles des enfants
sont flees a la competence linguistique.

Les attitudes des enfants envers la langue ancestrale sont generalement


moins favorables que celles des parents; elles sont liees a leur compe-
tence en langue ancestrale (r =.31). Celles envers la langue seconde,
c'est-A-dire la langue officielle qui n'est pas la langue d'enseignement le
sont dans une moindre mesure a Ia competence en L2 (r =.24), mais
nous n'avons pas trouve de lien entre les attitudes et la competence dans
la langue d'enseignement. Ceci peut sans doute s'expliquer par un effet
de plafonnement obtenu avec nos mesures de competence.
Les attitudes des enfants refletent davantage les attitudes des peres qui
semblent favoriser l'anglais plutot que le francais, alors que les meres, en
particulier a Quebec, ont des attitudes plus favorables envers le francais
(Interaction sign., F = 7.07, p<.002).
Alors que tous les enfants ont exprime des attitudes moins favorables
envers leur langue ancestrale qu'envers l'anglais et des attitudes plus fa-
vorables envers leur langue de scolarisation qu'envers la deuxieme
langue officielle, les enfants des ecoles francaises ont des attitudes plus
favorables envers la langue ancestrale et envers la deuxieme langue
(anglais) que les enfants des ecoles anglaises qui favorisent l'anglais par

96

95
rapport au francais et par rapport a Ia langue ancestrale (F = 6.93;
p<.00I ).

(7) tous les enfants developpent une tres bonne competence linguistique
dans la langue de scolarisation, mais la competence bi- et trilingue se
retrouve davantage chez les enfants des ecoles francaises et est corre-
lee tant a l'heterogeneite linguistique du groupe de pair qu'a l'usage
des trois langues pour des activites litteraciees.

La competence bi- ou trilingue, calculee par un score d'equilibre sur les


mesures de competence (score D entre mesures dans Ia langue de scola-
risation - langue ancestrale; langue de scolarisation L2) apparait
comme liee a l'usage de Ia langue ancestrale et de Ia L2 dans le reseau
de pairs (r = .41 pour langue ancestrale; r = .33 pour L2). Elle est egale-
ment lie a ]'utilisation de la langue ancestrale et de la L2 pour des activi-
tes litteraciees (usages de Iivres, media, cassettes, etc...) (r = .37 et .38)
alors qu'elle ne Pest pratiquement pas pour des activites sociales (r = .16
et .18). Les enfants les plus bi- et trilingues se retrouvent dans les ecoles
francaises dans les deux villes.

(8) L'identite des enfants reflete leur competence linguistique et est liee a
l'heterogeneite linguistique des reseaux.

Les enfants ayant une meilleure competence en langue ancestrale


s'identifient davantage comme ayant une double appartenance ethnique
(ils se classent plus souvent comme Grec-Canadien ou Grec-Quebecois),
alors que ceux qui sont davantage monolingues dans la langue de sco-
larisation s'identifient plus avec les Canadiens ou les Quebecois, sans
retenir leur etiquette culturelle d'origine. De meme, plus un enfant est
competent en langue ancestrale, plus it percoit son identite comme si-
multanement proche de Ia culture d'origine et de la culture d'accueil.
Enfin, l'identite reflete aussi l'entourage culturel de l'enfant, les enfants
vivant a Quebec se percevant comme davantage Quebecois, eloignes
la fois de Ia culture d'origine et des Anglo-Canadiens, alors que les
enfants qui frequentent l'ecole anglaise de Montreal se percoivent
comme eloignes de leur culture d'origine et des Quebecois, mais proche
des Anglo-Canadiens. Par contre, les enfants des deux communautes qui

97

nU
frequentent l'ecole francaise a Montreal se percoivent plus proches tant
de leur culture d'origine, que des Anglo- ou des Franco-Canadiens; ils se
percoivent egalement plus proches des autres immigrants. En résumé ils
font moins un alignement unidirectionnel vers un seul groupe mais
semblent davantage se situer dans un univers culturel multidimension-
nel.
Notons que nous obtenons un lien entre Ia distance culturelle percue
(entre le moi et les groupes) et la presence de contacts avec des membres
de ce groupe dans les reseaux sociaux, en particulier avec le groupe de
pairs (plus on a des amis grecs, plus on park grec, plus on s'identifie
comme un Grec-Canadien ou Grec-Quebecois et plus on se sent proche
des Grecs) ( r = .30; r = .25; r = .23 et r = .27).
Discussion et conclusion
Que pouvons-nous conclure de ces donnees?
A la lumiere des construits theoriques actuels que nous avons sur le
developpement bilingue, ces resultats appuient la notion que les caracte-
ristiques du reseau social jouent un role important dans le developpe-
ment langagier dans un contexte bilingue. Ces resultats confirment ceux
rapporter par Landry & Allard, 1990) qui ont demontre que pour des
groupes minoritaires le maintien de la langue maternelle etait relie
l'usage de la langue dans le reseau. Cependant nos resultats apparaissent
plus complexes que les leurs. Alors que Landry & Allard ont trouve que
seule la composition linguistique du reseau est le facteur determinant du
maintien de la langue maternelle chez des adolescents et des adultes,
nous avons trouve que chez des enfants plus jeunes d'autres caracteris-
tiques de reseau apparaissent comme egalement importantes. En effet,
chez des enfants issus de l'immigration le maintien de la langue ances-
trale est lie non seulement a son usage dans le reseau, mais aussi aux
attitudes et aux croyances vehiculees par la famille nucleaire, en particu-
lier par le pore.
Un resultat important qui ressort de cette etude est le suivant: non
seulement le developpement de la competence en langue ancestrale est-
i] lie a l'usage et aux attitudes vehiculees dans la famille, mais la fonction
attribuee a Ia langue ancestrale semble egalement determinante pour Ia
competence en langue ancestrale, et donc, dans le cas present pour le

98

97
developpement de Ia competence bi- ou trilingue: plus Ia langue ances-
trale est utilisee dans le milieu familial pour des activites qui incluent un
aspect litteracie, plus cette competence se developpe. Cet usage semble
lies aux croyances langagieres des parents, et en particulier du pere. En
ce sens, le milieu familial et non l'ecole semble etre le principal
transmetteur des fonctions du langage. Les enfants qui etaient exposés a
un fort usage litteracie de Ia langue ancestrale a Ia maison et n'avaient
pas de cours en langue ancestrale ont une meilleure competence en
langue ancestrale que ceux qui suivent des cours de langue mais n'ont
aucune activite litteraciee en langue ancestrale a la maison. Cette
observation semble particulierement vraie pour le test de clozure (Ia
comparaison entre les deux groupes de 16 et 13 enfants respectivement
est significative a .000).
Nous n'avons cependant pas encore explore toutes les dimensions de
ce probleme: en quelle mesure cette attitude est-elle reliee a une attitude
plus generale envers la litteracie ou est-elle au contraire specifique a la
langue ancestrale? Nous pouvons cependant confirmer l'importance du
milieu familial dans le developpement de ces activites. II faut aussi noter
que les cours de langue ancestrale sont pris en charge par la commu-
naute, en dehors de recole et que nous n'avons aucune indication sur le
role que pourraient jouer des interventions pedagogiques en langue an-
cestrale inserees dans le systeme scolaire.
11 se peut que jusqu'a present le role de Ia famille dans le developpe-
ment des valeurs liees aux langues ait ete fortement sous-estime; ces re-
sultats rejoignent d'ailleurs ceux de Tizard, Schofield & Hewison (1982)
qui ont demontre l'importance que pouvait prendre Ia valorisation des
fonctions de litteracie dans Ia famille dans le developpement des comp&
tences linguistiques (Hamers, 1991b). Si cette conclusion s'avere exacte
elle pourrait avoir de fortes incidences pour les interventions pedago-
gigues qui peuvent promouvoir une approche de multiculturalisme.
La competence trilingue apparait comme Ia plus elevee chez les en-
fants de Montreal qui frequentent les ecoles francaises, alors qu'elle est
Ia plus basse chez les enfants de Montreal qui frequentent l'ecole
anglaise. II faut noter que dans ce dernier groupe nous avons sans doute
un echantillon qui est biaise en fonction des attitudes parentales
(partiellement confirme par les resultats): en effet, la Ioi quebecoise ac-

99

.98
tuelle exigeant la frequentation des ecoles francaises pour les immi-
grants, ces parents ont contourne ]'exigence du francais. II faut cepen-
dant noter qu'en plus d'avoir des attitudes plus favorables envers l'an-
glais, ces parents ont aussi des attitudes moins favorables envers le
maintien de Ia langue ancestrale. Les enfants qui frequentent les ecoles
anglaises de Montreal ont le plus tendance a etre monolingues et leurs
competences tant en francais qu'en langue ancestrale sont assez reduites.
Les enfants qui frequentent les ecoles francaises de Quebec deviennent
bilingues en francais et en langue ancestrale avec une tres bonne
competence en anglais.
Ces resultats confirment l'hypothese generale de depart, a savoir que
le developpement multilingue trouve ses origines dans l'entourage
microsocial de l'enfant (('enfant a un reseau social davantage impose que
l'adulte dans Ia mesure ou une bonne partie de ses activites, a commen-
cer par l'ecole sont choisies par ses parents). Its confirment aussi l'ap-
proche initiale de Lambert (1974) sur ('importance de la valorisation des
langues dans le developpement bilingue. La situation qui meme le plus a
des formes equilibrees de trilinguisme est celle oh l'enfant est scolarise
dans la langue officielle la moins prestigieuse (le francais a Montreal);
dans ce cas I'anglais est valorise par la societe, le francais, la langue of-
ficielle de la province, par le systeme scolaire et la langue ancestrale par
le milieu familial. Si dans ce cas le milieu familial offre une forte valori-
sation de la.langue ancestrale en insistant sur son usage pour des activi-
tes litteraciees, celle-ci se retrouvent egalement valorisee par l'enfant. La
langue de scolarisation se trouve 'etre celle qui correspond a la meilleure
competence de l'enfant.
II faut cependant noter que plus un enfant est bi- ou trilingue, plus ses
resultats au test de clozure en langue de scolarisation sont eleves ( r =
.24 entre score de bilingualite et resultats au test de closure en langue de
scolarisation. Ces resultats vont dans le sens de l'hypothese qu'une bilin-
gualite additive entraine certains avantages sur le plan cognitif. II faut
cependant tenir compte du fait que nos mesures sont trop rudimentaires
pour elaborer davantage sur ce point.
Enfin, notons que, a condition que Ia fonction de litteracie de Ia langue
ancestrale soit encouragee par le milieu familial, ces enfants peuvent de-
venir des trilingues avec une bonne competence dans les trois langues. II

100

99
faut cependant noter que cet encouragement donne a la langue ances-
trale ne se fait pas isole d'autres aspects du comportement langagier et
qu'il est lie a des attitudes favorables et des croyances positives de la part
des parents. Ce developpement multilingue est aussi lie a l'existence de
reseaux linguistiques ouverts et heterogenes, en particulier en ce qui
concerne le groupe de pairs.
Enfin, notons que le developpement de l'identite culturelle de l'enfant
semble egalement liee a son experience langagiere. Nous ne pouvons
cependant pas conclure si ce lien est directe ou s'etablit a travers des va-
riables mediees. Le maintien de la langue ancestrale va de paire avec le
developpement d'une identite a deux volets (on est davantage Grec-
Canadien ou Grec- Quebecois) que Grec ou Canadien/Quebcois); en
meme temps on se pet-colt comme plus proche de ces differents grouper.
En résumé, le developpement bilingue de l'enfant issu de
('immigration est essentiellement tributaire de son microcosme social, et
d'abord des attitudes et croyances vehiculees dans sa famille immediate.
Cependant les pratiques langagieres de la famille, tant en termes de
choix de langue, que de fonctions pour lesquelles ces langues sont
utilisees vont egalement determiner ce developpement. En deuxieme
lieu, les pratiques langagieres dans le groupe de pairs sont egalement
importantes; it faut cependant noter que l'acces aux pairs de la culture
d'accueil est rendu possible par les parents. Un developpement
multilingue dont l'enfant beneficie est possible dans certaines
circonstances. II faut aussi noter, que comme dans tout domaine educatif,
ces conditions ne sont pas d'office presentes mais doivent etre crees
autour de l'enfant

Universite Laval Josiane F. HAMERS


Quebec, Canada.

101

1 0
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102

Lif

101
De l'oral a 'Writ en francais langue etrangere:
Les procedes d'integration discursive
I. Un probleme specifique: les procedes d'integration discursive
La production d'un discours a l'oral ou a l'ecrit, de maniere polylogale
ou monologale exige un double savoir faire linguistique. II est
necessaire de contribuer a la "mise en mot", a rintegration syntaxique"
des unites linguistiques dans des unites d'ordre superieur jusqu'au
niveau maximal (cf Benveniste 1975) de la phrase ou la "clause" pour
reprendre la proposition de Berendonner et al.. II est necessaire aussi
simultanement d'organiser cette clause de maniere a ce que
contextuellement elk s'integre dans le contexte discursif, produit par le
seul scripteur dans le cas de l'ecrit, produit par les deux interlocuteurs
dans le cas de l'oral conversationnel. Si le besoin de mise en place dune
cohesion est le meme, par contre, it est certain que les risques de non
cohesion, le degre de cohesion exigible et les moyens d'atteindre cette
cohesion sont relativement differents a l'ecrit et a l'oral:

... le fait que... le contexte de Pecrit est recrit lui meme exige de la part du lec-
teur-redacteur, d'une part une capacite a contrOler le niveau d'explicite des
textes ecrits, d'autre part une maitrise de leur cohesion qui exige souvent line
gestion intentionnelle de la svntaxe et de l'agencement des phrases entre elles.
Autrement dit des competences metalinguistiques, metasyntaxiques, et nuftatex-
tuelles, rarement mobilisees, quoique mohilisables, a l'oral (J.-E. Gombert 1991:
146)

A l'ecrit comme a l'oral, le discours peut etre considers comme organise


localement sur plusieurs plans (cf Charolles 1988, Adam 1990a, 1991, cf
aussi pour un modele plus dynamique, les instances d'operations dis-
cursives postulees par Bronckart et al 1985, Schneuwly 1990). Chacun
des plans theoriques ainsi distingues, isole un mode de continuite dis-
cursive:
Les "chaines" gerent la cohesion thematique et referentielle;
les "portees" organisent la mise en voix du discours (prise en charge
des propositions, mono ou polyphonie ...);
les "periodes" resultent de l'assemblage argumentatif ou hierarchique
des propositions en paquets organises par des marqueurs divers;

102 103
- les "segments" enfin, par le decoupage du flux discursif qu'ils propo-
sent permettent au recepteur de mieux programmer son activite d'in-
terpretation.

I.I. Oral et ecru:


"Speech typically consists of chains of coordinated and adjoined clauses,
writing by contrast is marked by full subordination and embedding"

Kress (1982)

Parmi ces quatre phenomenes, deux semblent etre plus centraux dans
l'organisation du discours oral, et deux autres dans l'organisation du dis-
cours ecrit.
L'organisation en portees et en periodes semblent ainsi cruciale dans
('interaction orale. Au plan de Ia porta, le marquage de Ia qualite de la
prise en charge enonciative est determinant pour la poursuite de
l'echange. On constate donc Ia recurrence des reperages enonciatifs
explicites du type "Moi, mon papa, sa bicyclette, elle ..." oil les detache-
ments successifs ( cf. N. Dupont 1987) servent a situer par un certain
nombre d'etapes progressives, le theme de l'enonce par rapport a
l'enonciateur. (cf aussi les "Moi, j'ai mon X qui...", "Moi vu (entendu,
remarque ...) un X qui ...."). On a pu risquer Phypothese que ces deta-
chements relevaient d'une organisation universelle, pre linguistique, que
Ion retrouve dans les proto-phrases binaires des enfants. Its semblent
cependant beaucoup plus frequents en francais que dans d'autres
langues, I'anglais par exemple.
Au plan de la *lode, l'enonce oral, ne pouvant, pour des raisons de
difficulte de codage comme de decodage, utiliser a priori les ressources
qu'offre au scripteur la syntaxe de la phrase complexe, va s'organiser sur
des bases differentes, utilisant les ressources suprasegmentales de la
voix: l'intonation et le rythme en particulier. Nous redirons avec Halliday
(1985) qu'il ne s'agit pas d'un sous systeme simplifie par rapport a l'ecrit,
mais qu'au contraire cette organisation de l'oral, qui dolt satisfaire a des
contraintes contextuelles et cotextuelles plus nombreuses qu'a l'ecrit, a
toutes chances d'être plus complexe et d'utiliser concurremment des
moyens plus diversifies.
Inversement les agencements de chaines seront moins centraux dans
Ia mesure ou les interventions monologales ne peuvent, dans une
conversation normale, avoir Petendue d'un discours ecrit pour des rai-

104
103';
sons d'acceptabilite sociale evidentes.Dans la mesure aussi ou l'enoncia-
teur peut desambiguIser son message par d'autres moyens propres a la
communication in praesentia. II s'agit de toutes les marques propres
"I'appareil forme! de l'enonciation" en particulier des demonstratifs deic
tiques parmi lesquels le "ca", qui peut reprendre aussi bien un objet ver-
bal (pa, c'est ce que to dis!") qu'un objet materiel du contexte, joue un
grand role. Si les moyens linguistiques ne sont certes pas les memes
d'une langue a l'autre, par contre, it y a de fortes chances pour que le
procede communicatif soit universe!.
Quant a la segmentation, elle s'opere a l'oral par des moyens verbaux,
specifiques dont les marqueurs de structuration de la conversation
(m.s.c.) en particulier (Roulet et al 1985). Dans un travail déjà ancien
(Bouchard 1983) nous avions montre le role fonctionnel que joue le
troisieme temps de l'echange, ]'evaluation, dans la ponctuation du dia-
logue pedagogique. II n'est pas indifferent justement que beaucoup de
m.s.c., desemantises, soient a l'origine des adverbes evaluatifs, positifs,
comme "bon", "bien"
L2. Microstructure et apprentissage de l'ecrit:
Le passage a Fecrit pour les apprenants déjà debrouilles a l'oral, va done
se materialiser par cette modification des procedes microstructurels
d'agencement des chaines, des periodes et des segments, plus ou moms
couteux en moyens linguistiques.
La segmentation est largement translinguistique et semiotique et en
consequence ne pose de problemes "que" culturels de guidage du lec-
teur. Par contre la periodisation déjà va demander l'utilisation de
connecteurs ou d'organisateurs interphrastiques specifiques a la langue
cible et plus encore l'utilisation de toutes le ressources de la subordina-
tion et de l'organisation de la phrase complexe. Mais c'est l'agencement
des chaines qui sera sans doute le plus couteux en moyens linguistiques
"fins", fonctionnant non seulement au niveau de la proposition mais
aussi a celui du groupe nominal (determination nominalisation, pro-
nominalisation ...).
Ce passage a l'ecrit en langue etrangere sera, sans aucun doute, gran-
dement facilite par la maitrise de ce "second" type de communication
dans la langue maternelle. Remarquons cependant que ce ne sont pas les
memes moyens linguistiques qui permettent l'integration discursive en
langue maternelle et en langue etrangere, et meme, que, quand ces

105
104
moyens sont comparables, leurs modes d'utilisation peuvent 'etre diffe-
rents, occasionnant des "erreurs pragmatiques" (Very- Woodley 1991,
Bouchard 1992) sur lesquelles nous reviendrons.
Dans l'acquisition/apprentissage d'une competence communicative
globale en langue etrangere, iI y a donc lieu de prevoir un moment d'ap-
prentissage, ou cette difficulte, le passage d'une cohesion orale a une co-
hesion &rite, va etre rencontree par les non natifs (comme par les natifs
apprentis-scripteurs d'ailleurs). Le probleme se pose plus rarement dans
l'ordre inverse, cohesion &rite puis cohesion orale, pour des raisons
d'organisation methodologique de l'enseignement des langues etran-
geres. La large domination actuelle des methodes centrees sur l'oral a
pour effet la sensibilisation de plus en plus precoce des apprenants a une
organisation dialogale des discours, memes si ces "dialogues des me-
thodes", comme Ia morphosyntaxe de l'oral qu'ils donnent a
lire/entendre, et encore plus la morphosyntaxe de l'oral qu'ils proposent
effectivement a l'enseignement, sont tres loin de ('organisation grammati-
cale et discursive de l'oral authentique.
C'est cette phase d'acquisition, ou/et ce moment de l'apprentissage, en tie
comme en tlm, que nous (persistons a) etudions(er). II nous semble en
effet que, ces plans microtextuels d'organisation de l'ecrit, restent para-
doxalement oublies alors meme que leur maitrise est socialement extre-
mement discriminante. La maitrise discursive correspondante nest que
peu acquise naturellement (avant ou) sans mise en jeu de ('institution
scolaire et de l'apprentissage guide. Elle necessite I'emploi constant d'un
"controleur" (Krashen 1981) appris scolairement.
Mais on observe egalement qu'elle ne se developpe en fait que, simul-
tanement ou en decalage par rapport a cet apprentissage scolaire, grace
A une acquisition continuee qui ne s'opere que si les sujets sont
reellement exposes a des genres discursifs ecrits diversifies. En bref Ia
discursivite (longue), peu acquise naturellement est mal apprise
scolairement. L'institution scolaire trop souvent renvoie sa maitrise
]'intuition et au bon gout, par meconnaissance des phenomenes propres
A la textualisation, a l'emballage de ('information (cf Wood ley 1992). Ce
statut ambigu nous semble pour une large part a l'origine du malaise de
beaucoup d'adultes devant l'ecriture.
H. Mode d'approche de la production &rite:
Tous les produits ecrits n'offrent pas les raffles possibilites d'etude:

106

105
Les textes Iitteraires sont surtout etudies a posteriori. Le recours aux
manuscrits permettant toutefois une critique "genetique", prenant en
charge les &apes de production du texte telles qu'elles sont partielle-
ment perceptibles a travers les differentes editions. les differents itats
des manuscrits ou, a Ia surface de ceux-ci, les ratures et "paperolles"
(Proustiennes) qui manifestent ses reelaborations successives (cf.
Gresillon et Lebrave 1982), ('equivalent des bribes, caracteristiques du
processus de production oral (cf Blanche-Benveniste 1991). Mais cette
methode ne peut resoudre un probleme crucial de la production dis-
cursive, celui de l'etablissement de sa chronologie precise ou plus en-
core de sa genealogie. II ne peut montrer comment l'influence d'une
modification ponctuelle peut retentir sur d'autres modifications en aval
ou meme en amont.
Par contre, les discours ecrits ordinaires (Dabene M. 1987) peuvent
etre etudies, eux, de plusieurs manieres, au cours de leur processus de
production meme (cf Bereiter et Scardamalia 1987, Bouchard 1988,
1991 a b c, David 1991, Schneuwly 1991), et en particulier par noire
methode interactionnelle "du produit au processus".
Apres avoir analyse les caracteristiques positives (phenomenes recur-
rents) ou negatives (fautes) du produit nous recherchons leurs circons-
tances et leur mode de production. Pour ce faire, nous analysons, dans
un second temps, chacun des episodes de production correspondants, a
travers ('image qu'en donne l'interaction verbale entre les coscripteurs.
Cette procedure a ete et sera utilisee par rapport a differentes situations
de production collective. Les donnees que nous pouvons faire varier sont
en effet nombreuses. II peut s'agir des caracteristiques des coscripteurs:
age, formation, contrastes pouvant etre crees entre eux afin de modifier
le format de collaboration ... 11 peut s'agir aussi du type etlou du genre de
discours vise et de Ia situation de lecture proposee. II peut s'agir enfin du
materiel d'appui fourni, afin de modifier, sinon toujours de faciliter, le
processus de production: production a partir de documents ecrits a reuti-
liser partiellement, a partir de documents iconiques, a partir de stocks
d'informations prenant telle ou telle allure linguistique
Dans le cas present it s'agit de la production par des etudiantes etran-
geres, s'appuyant sur un document iconiqued'un discours explicatif des-
tine a d'autres etudiants. Le but explicite poursuivi est de faire presenter
('organisation de Ia Communaute Economique Europeenne par des etu-
diantes europeennes (ecossaises) a des etudiants non-europeens. Le do-

06 107
cument iconique a pour effet immediat de permettre de &passer les blo-
cages dus a une connaissance insuffisante du referent. II a pour effet se-
condaire d'influencer la planification du discours produit, qui pour une
part traduit lineairement, en langue naturelle, ('information spatialisee
qu'il propose. II leur faut donc "a la fois mettre en relation des elements
separes spatio-temporellement dans la chaine &rite et marquer !'ab-
sence de relation entre elements pourtant proches" Fayol & Schneuwly
(1886: 231).
Alors qu'un document d'appui discursif aide la mise en mots, un do-
cument iconique aide la mise en discours au niveau de son organisation
globale: macrostructure semantique surtout et plan de texte sequentiel
pour une part.
11.1. Etude du produit:
(cf annexe I pour la presentation du produit discursif realise et annexe 2,
pour la mise en rapport quantitatif du produit et du processus)
Nous nous interesserons ici uniquement a la microstructure du produit
oil se deploient les quatre plans presentes plus haut.
Le discours se presente sous la forme de huit petits paragraphes. Les
deux premiers et le dernier sont consacres a ce que nous appelons la
mise sous tension interne du discours (cf configuration chez Adam).
Les paragraphes initiaux introduisent l'hypertheme en le problemati-
sant pour attirer l'attention du lecteur (cf "orientation" Labov 1972,
1982). Le discours qui suit est presente comme destine a (et donc ca-
pable de) resoudre un paradoxe (leger!): le fait que les instances de la
CEE tout en etant tres liees sont en meme temps tres differentes.
Scarcella (1983) remarque que par manque de familiarite avec leur
lecteur natif, les alloglottes "tend to use longer but less effective orienta-
tions ... less efficient at engaging the reader's attention".
Le paragraphe final constitue, de maniere plus (cyniquement!) pre-
meditee par la locutrice n°1 (Ah! peut-etre qu'on pourrait dire quelque
chose comme ca quelque chose de tres pretentieux ... pour finir... II
faut une phrase pour finir), une coda rhetorique. C'est une evaluation
positive du dispositif decrit, qui montre qu'il n'est pas necessaire d'aller
au dela puisque le dispositif comme la ... description sont satisfaisantes!
Les cinq autres traitent chacun d'une des institutions du dispositif insti-
tutionnel europeen, tel qu'il est presente sur le document iconique induc-
teur. Mais chaque paragraphe a son tour est constitue d'un nombre va-

108

107
riable de phrases, dont les contours, la encore ne vont pas de soi. Nous
examinerons comment se decide cette double segmentation du discours
et comment le fonctionnement des autres plans joue avec ces ruptures
"pour l'oeil".
Chaque phrase ainsi delimit& correspond, en effet, a une certaine or-
ganisation de ('information en ensembles materiellement circonscrits, au
sein desquels une hierarchisation peut etre ere& par subordination,
transformation, des propositions de base telles qu'elles sont traduites du
document iconique... Remarquons que cette delimitation des ensembles
propositionnels a l'interieur de la phrase, au moyen de Ia ponctuation
peut poser egalement des problemes de mise en oeuvre. L'organisation
en periodes du discours s'ancre sur ces differents procedes de delimita-
tion des macropropositions (Adam 1991), fonctionnant de pair avec les
marqueurs de coordination ou de subordination de la phrase complexe
et les connecteurs et organisateurs interphrastiques. Cette elaboration
des periodes sera notre second objet d'etude.
Enfin nous observerons le fonctionnement des chaines, la maniere
dont les liens thematiques sont maintenus dans le texte au dela de ces
segmentations et de ces "parenthesages" (periodes), pour reprendre ('ex-
pression de J.M. Adam. II sera interessant d'examiner comment les cos-
cripteurs se partagent ces Caches en partie contlictuelles (tier et decouper)
tout au long de ('elaboration du discours collectif.
Nous n'aborderons que tits incidemment he probleme des "portees",
dans la mesure c) le type de tache proposee induisait une neutralisation
de l'enonciation. Le seul changement de port& perceptible a Ia surface
de ce discours neutre ("on-vrai"), qui n'engage pas vraiment les co-
scripteurs, se situe avec la coda evaluative finale. Pour conclure l'ecrivant
feint de s'engager un peu plus en prononcant un jugement "personnel"
sur le fonctionnement du dispositif institutionnel europeen deer& avec le
verbe "permet". On a vu qu'en fait ce qui etait ainsi permis, c'etait une
pause bien merit& pour les redactrices!
III. Le travail collectif d'integration discursive:
111.1. Les segments: mise an point linguistique et semiotique
En tant qu'activite plus semiotique que linguistique, ce travail de mise au
point de ce que nous appelons habituellement le paradiscours, pourrait
avoir un statut marginal dans une etude sur l'acquisition/apprentissage
des procedures microdiscursives. En fait it n'en est rien dans la mesure

109

108
oil la segmentation introduite est determinante pour le guidage du lec-
teur mais aussi dans la mesure ou cette segmentation implique des ope-
rations concomitantes, totalement linguistiques celles 1A, sur les autres
plans.

III.1.1. Segmentation et ponctuation:


La ponctuation en tant que telle n'est jamais evoquee explicitement au
cours de l'interaction. Cette absence de verbalisation montre que c'est,
L.2, Ia secretaire de séance, qui s'en charge et que cette mise en oeuvre
ne pose pas de probleme, apres coup, a L.1, puisqu'elle ne propose au-
cune correction. II est vrai qu'elle semble plus s'interesser a l'avancement
du travail collectif qu'a sa revision: it ne semble pas qu'il y ait de relec-
ture du discours produit par aucune des participantes. Les seules mani-
festations metadiscursives de LI ayant trait a la segmentation qui ont
une influence sur la ponctuation, portent sur la longueur des phrases et
correspondent a son desir de produire un texte simple, construit avec
des phrases et des paragraphes courts, evitant les enchainements de
relative que propose sa camarade (266 -I, 279-1).
La seulc verbalisation traitant explicitement de la ponctuation, vient de
L.2 et pone sur un phenomene un peu marginal, l'utilisation des paren-
theses (509-2) (Ouais, "si on discute", mais c'est entre parentheses, "si
on discute..."). Le desir de L.2 semble bien d'ailleurs de montrer, par
l'utilisation de ce moyen marginal, ie caractere marginal qu'elle prete a
('exemplification que lui impose L. 1 un peu contre son gre (538-2)(Mais,
c'est pas necessaire tout ca.)
Les problemes de ponctuation existant dans le discours produit ne
sont done pas releves par les co-scriptrices alors que la mise en para-
graphes est une source importante de discussion tournant autour d'un
argument tout aussi important pour la phrase, la taille des "paquets d'in-
formation" a fournir au lecteur.

111.1.2. Segmentation et paragraphes:


Le discours produit est segmente, par des "blancs", sauts de ligne, ali-
neas, en de nombreux et courts paragraphes. Cette segmentation corres-
pond, nous l'avons evoque, a ('organisation spatiale de ('image induc-
trice. Mais it n'emp'eche que cette activite de segmentation ne va pas de
soi pour les deux co-scriptrices. Elle est ('occasion d'echanges recur-
rents, ob les interlocutrices occupent des positions stables. La locutrice

110
109
n°1 est celle qui propose les segmentations (279 -I: Commencons peut-
etre un nouveau paragraphe. 571 -1:... et puis on commence un autre
paragraphe pour le. la, ca...), comme celle qui expose la regle de
constitutions des paragraphes,( 391.1: "Autre instance, nouveau para-
graphe, hein!") ou Pinter& communicatif de cette segmentation .
La locutrice n°2, qui est egalement la secretaire de cette séance
d'ecriture collective est beaucoup moans sensible a cette operation. Elle
ne retient pas toutes les propositions de sa condisciple (ex: 279-1,571-1).
Cependant elle assure le travail de segmentation implicitement dans tous
les autres cas, en suivant implicitement la "regle" verbalisee en 391-1 par
L.1, sauf en 571.1 ou elle commet une infraction par rapport a cette regle,
en traitant de deux instances, dans le meme paragraphe .
En definitive, ('activite metalangagiere de segmentation, sur laquelle
insiste L.1, n'est donc pas linguistique mais semiotique. Passant sous si-
lence la ponctuation, elle vise a assurer Ia visibilite, dans le discours en
langue naturelle, des segments distingues iconiquement par le document
de depart.

111.1.3. Segmentation et activite metalangagiere:


La segmentation nous donne a voir trois manifestations differentes de
('activite metalangagiere. Dans Ia mesure ou le retour a la ligne, decision
volontaire, peut etre considers comme "une marque de la fonction me-
talinguistique en oeuvre C. Fabre p.39), on peut estimer que L.2 opere
metalangagierement, d'une premiere maniere, sans explicitation verbale.
LI, par contre, explicite ce qu'elle veut faire en utilisant un terme spe-
cialise de Ia langue generale (en 279-1 par exemple). II s'agit d'un
deuxieme type de manifestation, explicite cette fois ci, de l'activite meta-
langagiere. Celle ci concerne une inscription a venir, comme tits
souvent lors de redactions collectives. A ce propos, ('affirmation generale
de (C. Fabre 1990: p.52) comme quoi le metalinguistique ne peut
apparaitre qu'apres coup, comme quoi les manifestations
meta(langagiere)s ont toujours un caractere second semble beaucoup
trop rapide et induite par son objet de travail propre, Ia rature.
Enfin, en 391, L.1 verbalise non pas une activite ponctuelle mais une
"regle" operatoire pour l'ensemble de Ia Cache, atteignant ici un nouveau
degre de generalisation donc d'abstraction metalangagiere, dont L.2 ne
donne pas d'exemple.

-2 0
111.2. L'alaboration des periodes:
Ce plan d'organisation textuelle, plus grammatical, est traverse par la
frontiere entre phenomenes phrastiques et phenomenes discursifs. II re-
groupe l'emballage de l'information produit par la phrase complexe, et
celui auquel contribuent les connecteurs et les marqueurs interphras-
tiques. Ces deux procedes contribuent au parenthesage dont parle
Adam: ils permettent d'indiquer des degres de solidarites entre
propositions.

111.2.1. Periode et phrase


Si ('analyse textuelle rapproche ces phenomenes par contre nos tradi-
tions scolaires les separent, mettant l'un au centre de la grammaire (cf
l'analyse logique) et ... oubliant l'autre pour l'essentiel. Dans des situa-
tions pedagogiques, comme celle que nous etudions ici, cette difference
de representation "scolastique" reparait dans les attitudes des co-scrip-
teurs qui vivent encore dans ('institution scolaire. L'une (L.2) va le mani-
fester dans son comportement langagier, en utilisant massivement un
moyen d'integration syntaxique faible, la creation de relatives apposi-
tives en "qui":
ex: 1° phrase:
La CEE se constitue de quatre instances qui son! etroitetnent Bees, qui
ont des l'onctionnements et des compositions fres divers.

Ce procede recurrent permet d'integrer dans la meme unite phrastique


des propositions, "relatives" a un meme substantif prealable. Le procede
est si usuel chez cette non native qu'elle a tendance a introduire imme-
diatement le pronom relatif, puis dans un deuxieme temps de faire une
pause avant/afin de produire la proposition elle meme. Elle semble pro-
duire un bon exemple d' "associative writing" (Bereiter 1980):

"By processes much like those involved in free association, the topic would give
rise to a first utterance, something in the first utterance would provide a cue for
a second, and so on..." Bereiter & Scardamalia (1987: 343)

II s'agit plus d'une coordination que d'une subordination: on n'aboutit


aucune hierarchisation de l'information mais a une pure linearisation.
Nous avons montre ailleurs cependant (Bouchard 1992) que cette utili-
sation "periodique" du "qui" pouvait avoir aussi une origine orale. On

112

11
trouve dans un oral natif, pas forcement soutenu, des "empilements" de
relatifs avec ou sans repetition de ('antecedent, permettant precisement la
constitution de periodes, se renforcant grace a une structure rythmique:
ex: (journaliste, television suisse roinande)
... nous allons debatue ce soir, en direct et en public del
l'initiative .federale qui vows est proposee le 25 Novembre
et qui propose la suppression de l'armee et la raise
en place dune politique glohale de
pair
une initiative spectaulaire
une initiative qui a ete consideree it son origine tout it fait
centime .farfelue
et puis qui a °Nem les 10(X)00 signatures necessaires
pour etre soutnise au peuple
et qui aujourd'hui on pout le dire ouvre un debat
de fond ...

L'autre scriptrice (L.1) va montrer sa capacite a se distancier de cette


construction appositive simple, sans valorisation rhetorique par sa com-
petence procedurale comme declarative. Si elle est a I'origine d'autant de
relatives (cinq) que sa camarade, it s'agit cette fois ci essentiellement (4
sur 5) de relatives determinatives, presentant un degre bien different
d'integration syntaxique (cf Berendonner, Reichler-Beguelin 1989: 117).
D'autre part, au moyen d'interventions metalangagieres implicites et
explicites, elle refuse (4 fois: 268-1-, 337-1, 703- I ...) des prolongements
de phrase par ajout de relative appositive:

ex l: intervention metadiscursive inzplicite:

265-2 ..."pour les deputes qui vont constituer Passemblee europeenne..."


266-1 Parfait. et c'est tout
267-2 ..."qui se constitue del"
268-1 Non, pas encore
269-2 de, de combien de gens? v a combien de
270-1 Je sais pas, mais c'est pas important

ex 2: intervention tnetadiscursive explicite:

"C'est meilleur pour le.francais de le dire avec le "qui" et tout 1a, mais
c'est pas asset, simple" (411.1)

Elle oppose consciemment integration syntaxique, valorisee par l'ecole


comme preuve de maturite syntaxique, et integration discursive, evaluee
du point de vue de son efficacite communicationnelle generale. Les ob-

113

BEST COPY AVAILABLE 2


servations effectuees par les psychologues du langage tendent a prouver
que ('utilisation tactique" de Ia ponctuation en vue d'une recherche d'ef-
fet sur autrui est un phenomene relativement tardif (cf. Fayol &
Schneuwly (1986: 231)).
II semble en quelque sorte, si on cumule les observations faites au su-
jet des segments et ces premieres constatations portant sur la periode
que, alors que L2 n'envisage Ia Cache que comme une "mise en mots",
LI seule ait atteint le niveau de competence (au sens d'automatisation
des operations de bas niveau) lui permettant de l'aborder comme une
mise en discours (pour une autre hypothese en terme de "profil"
individuel cf Bouchard 1992).
Quand elle-meme se volt refuser avec raison une relative par L.2 ...
789-2 ouais ok. "ca exerce aussi un contrOk..."
790-1 "sur les regiments qui etablissent..."
791-2 "etablis par, etablis par..."
792-1 Mais nun favak fait un joli verbe
... elle reagit auto-ironiquement en invoquant aussi la qualite "en soi" de
Ia grammaire, telle qu'elle apparait dans la salle de classe lors de l'ap-
prentissage guide.

111.2.2. Saillance et acquisition:


Cet exemple de modification du comportement linguistique de L2, qui,
en fin de tache, combat chez LI sa propre tendance a trop utiliser les re-
latives, pourrait etre la base d'une hypothese acquisitionnelle a expri-
mer avec toute la prudence necessaire! On peut se demander en effet si
ce ne sont pas les quatre refus de L.1, argumentes metacommunicative-
ment, qui sont a I'origine de cette modification. Une succession de
conflits sociocognitifs, resolus de la meme maniere, et dont Ia recurrence
meme rend "saillant" le fait linguistique en cause, serait alors le point de
depart non pas dune modification du systeme intermediaire de L2 mais
au moins de son utilisation de ce systeme. La production collective de
discours apparaitrait bien alors comme une situation de resolution de
probleme oil ('interaction, "la recherche d'une Issue positive au conflit
social possible entraIne la quete dune solution cognitivement satisfai-
sante, permettant a chacun de progresser dans revolution de son mode
de resolution" (Doise et Mugny 1981 in Hake 1992. p.119).
Par contre ce corpus nous donne ('exemple d'autres cas oil des inter-
actions, ponctuelles et non pas recurrentes d'une part, non contlictuelles
d'autre part, bien qu'ayant toutes les caracteristiques des "situations po-

114

113 " . e
tentiellement acquisitionnelles" n'aboutissent pas a une stabilisation du
savoir linguistique negocie:
/45-/ "et le cour ..." le cour ou la cour?
146-2 La, la, le cour, la cour de justice, le cour, le cour?
147-1 J'sais pas
148-2 Le cour?
149-1 Shirley! (interpelle une
etudiante du grnupe) c'est LE cour nu LA cour?
150-2 Le cour nu la cour... de justice?
151-1 Le cour ou la cour... de justice?
152 -S La
153-2 La cour de justice
154-1 la
155-2 "La cour de justice"
156-1 "et la cour de justice", voila!

Malgre plusieurs prises en compte effectives, plusieurs reprises explicites


de la forme correcte de 153-2 a 156-1, on constate plus loin dans l'elabo-
ration du texte, au paragraphe 7, le retour a la forme erronee. La simple
saillance par mention n'offrirait pas un relief suffisant pour aboutir a une
acquisition.

111.2.3. La periode au dela de la phrase:


Elle est surtout indiquee a l'ecrit par les connecteurs et les organisateurs
textuels.

111.2.3.1. Les organisateurs textuels:

A la surface du discours produit par LI et L2 nous avons une seule


manifestation de ce type, le "premierement" place en tete du troisieme
paragraphe. Elle constitue un interessante faute discursive: en soi, ce
"premierement" n'a rien d'errone (encore qu'un natif puisse Iui preferer
un "tout d'abord") mais en tant que "marqueur d'integration lineaire" it
doit etre suivi par une serie plus ou moins longue d'organisateurs du
meme type qu'il annonce, d'une certaine maniere. C'est done son isole-
ment qui le rend fautif. La difficulte rencontree par les alloglottes est IA
encore susceptible de plusieurs analyses: saturation cognitive tendant a
faire oublier les phenomenes autres que microscopiques ou macrosco-
piques (cf Bouchard 1992b), mais aussi non maitrise de ces m.i.l., oublies
souvent dans l'enseignement. Cette seconde hypothese qui n'annule
d'ailleurs pas la premiere semble contort& par ('effort maladroit fait, un

115
peu plus loin, par les deux coscriptrices pour produire un effet d'integra-
don lineaire. Pour clore la serie ouverte par "premierement parlons de
...", au lieu d'utiliser une formule du type "enfin presentons ...," elles atta-
quent le paragraphe sept par une proposition independante metadiscur-
sive "/1 reste seulement la quatrieme instance a etre expliquee". Nous
avions &ja souligne dans un travail precedent (Bouchard 1992) la
proximite entre ces adverbiaux "premierement parlons de..." et les
"auxiliaires aspectuels" "Commencons par parler de ...". Cette proximite
s'illustre particulierement bien dans ce corpus, ou l'enregistrement nous
montre les hesitations des participantes face a ce choix lors d'un
echange couvrant une quinzaine de tours de parole.

111.2.3.2. Les connecteurs

Its paraissent encore moins matrises que les organisateurs. Aucun n'ap-
parait a la surface du discours final. Par contre on en trouve trace dans le
processus de production. Une longue discussion de 45 tours de parole,
impliquant une tierce personne, l'enseignante, s'engage pour resoudre le
probleme de l'attaque du sixieme paragraphe. On y compare les merites
des locutions "en contraste", "en revanche", "par contre". Le probleme
pose est clairement interphrastique pour LI, it porte sur la port& (au
sens trivial) vers l'amont de ces connecteurs:
671-1 Mais je pense que "en revanche", ca c'est pour toute la phrase qui
precede, non?

677-1 Et it faut mettre ca pour tnontrer que c'est par contraste avec ce
true la
678-2 Mmm
679-1 ... avec les deux instances
680-2 o.k.
681-1 .... c'est pour ca que c'est difficile, je sais pas comment faire.
682-2 alors?
683-1 en contraste avec elks ...?
684-1 o.k.

Ce dialogue nous interesse a plusieurs titres. D'une part it constitue une


manifestation metadiscursive du travail d'organisation de la microstruc-
ture mentionnant explicitement (toujours avant l'inscription) le role du
contexte immediat a gauche sur le deroulement du discours. Ces mani-
festations sont suffisamment rares, surtout sous une forme aussi etoffee
pour que nous le signalions. El les semblent correspondre a des locu-
teurs, ayant suivi un cursus scolaire long. Mais notre enthousiasme est

116

15
un peu diminue par le fait que cette discussion concerne un connecteur,
c'est-a-dire un des elements de la microstructure les plus apparents par
sa position en tete de phrase ou de paragraphe. Remarquons a ce propos
que l'on voit bien ici le jeu mutuel de textualisation auquel participent
segmentation et periodisation. Ces deux phenomenes, isoles pour ('ana-
lyse, fonctionnent simultanement au meme point du discours, I'un sepa-
rant pour l'oeil ce que I'autre relie pour ('esprit. L.2 qui n'a pas la
maitrise des agencements microtextuels (en francais en tout cas) en a
cependant ('intuition. C'est parce qu'elle sait qu'elle ne sait comment
integrer discursivement les propositions: (402.2) Ouais, ouais, j'sais. ok!
et ... maintenant mais je sais pas comment on peut her ca avec pa,
ces paragraphes qu'elle prefere se contenter de les integrer
syntaxiquement.

III. 2.4. Conflit sociocognitif et resolution de probleme:


Ainsi, it est sensible que le dialogue metadiscursif que nous avons cite
est en fait plutot un monologue. Le travail cognitif de LI qu'elle
verbalise pour L2 n'est pas relaye, soutenu ou contredit par un travail
simultane de L2. La longueur du dialogue montre qu'il ne possede pas
l'intensite d'un conflit sociocognitif qui se manifesterait par des
interventions anti-orientees des interlocutrices en nombre plus limite (cf
Moeschler 1985). Elle montre la duree necessaire a la resolution solitaire
d'un probleme cognitif. On peut penser que la confrontation avec une
autre opinion aurait permis de trouver une issue (quelle qu'en soil la
valeur intrinseque) plus rapide. L'interaction ici n'a pas joue son role, du
fait de Pecan linguistique et metalinguistique existant entre les
participantes.
111.3. Les chaines

Nous l'avions indique en introduction. Ce sont sans doute les chaines


dont ('importance vane de la maniere la plus nette entre l'oral et l'ecrit.
En effet, a l'oral, existe la necessite pour l'enonciateur de reassurer sa
prise thematique a chaque debut d'intervention, en s'appuyant pour ce
faire sur les possibilites exophoriques que lui offre la communication in
praesentia. A recrit par contre (ou dans l'oral continu de l'expose ou de
la narration) les chaines thematiques se materialisent non seulement en
tete de phrase c'est le point qui reste le plus sensible mais aussi en fin
de phrase, ou le scripteur peut mettre en valeur ('element nouveau qu'il

117
116
va developper dans la phrase suivante (cf Combettes 1992, pour ces
problemes de progression thematique). Ici, le document iconique indui-
sait une progression a hypertheme eclat& la CEE se decomposant dans
les differentes instances distinguees par le dessin.
Nous distinguerons les enchainements avec l'amont du discours, le
contexte de gauche, et les enchainements vers l'aval, avec le contexte de
droite qui vont preparer cette cohesion. Welyun Yang (1989) note a ce
propos que "the number of cohesive chains does not appear to be rela-
ted to writing quality, but linkage and management of chains does".
On pourra aussi avec Hartnett (1986) qui entend traiter "cohesion (as)
... a means to an end, not (as) the end itself", opposer egalement de ma-
niere fructueuse "static ties which connect stretches of text" et "dynamic
ties which advance the logic of the discourse".
C'est Vengendrement de ces chaines &rites, plus longues et plus conti-
nues, qui risque de poser des problemes particuliers a des non natifs,
surtout paradoxalement s'ils sejournent en France et baignent en conse-
quence dans la textualite breve de ('oral quotidien. Le risque ne vient
plus d'eventuelles interferences avec la langue maternelle mais, comme
pour les apprentis scripteurs natifs, des erreurs de registre dues a
('importation dans Vecrit, et plus encore dans un ecrit neutre
enonciativement comme celui-ci, des moyen exophoriques propres a
Voral. En langue maternelle, Hickmann 1982, Karmiloff-Smith 1981
constatent, jusqu'a l'age de six ans un emploi exclusivement deictique
des pronoms, dans une Cache orale de narration de bande dessinee. On
peut postuler une variation suivant les types de texte (Schneuwly 1985,
Schneuwly & Bronckart 1986).,

111.3.1. Charles et contexte a gauche


C'est L.2 qui va avoir le plus tendance a faire ce type de confusion entre
moyens exophoriques et moyens endophoriques. II se materialise au
moment de l'agencement des chaines anaphoriques, dans le choix des
demonstratifs en general, et du "ca" en Particulier. Elle en propose six,
dont quatre apparaissent effectivement dans le discours final, l'un etant
reecrit sous la forme "normee" "cela". Its viennent remplacer des pro-
noms personnels plus normaux. Dans deux cas, leur caractere oral est
souligne par leur emploi conjoint avec une structure disloquee, dont ils
constituent ('element &wale:

118
17
ca. c'est la cour de justice qui ...
c'est la composition de la CEE.
Precisons cependant que L.2 ne produit pas que des formes de substi-
tution erronees. Elle se montre capable d'utiliser la substitution lexicale,
par simple repetition mais aussi avec modification du determinant. Elle
est egalement l'auteur, a la fin du texte, dune nominalisation de reprise
globale des paragraphes anterieurs: "Voici la composition de la C.E.".
Elle sait aussi modifier l'ordre canonique des groupes dans la phrase, en
anteposant un circonstanciel ( mais sans le verbaliser) quand celui ci est
susceptible d'assurer le lien thematique avec les phrases precedentes.
L.1, elle, n'inclut pas elle meme de ca dans ses propositions de formu-
lation &rite, tout en les utilisant normalement comme deictiques oraux:
(15-1)(Moi je dirais qu'i'y a ca, y a ca, y a ca, et y a ca, (en indiquant
sur le document au fur et a mesure)). Elle propose une gamme plus large
que celle de L.2, de moyens de substitution. Elle utilise la pronominali-
sation soit par le demonstratif soit avec le pronom personnel de la troi-
sieme personne. Elle utilise aussi la substitution lexicale, par repetition
lexicale accompagnee d'un article defini, d'un demonstratif de rappel, ou
meme d'une relative metadiscurive (les instances dont on a déjà park).
Enfin elle utilise egalement comme moyen de substitution lexicale, la
nominalisation "semantique" prenant comme origine des ensembles de
propositions de tailles diverses, pouvant atteindre l'essentiel du texte, par
exemple avec le "cette consultation" du dernier paragraphe.
Par contre L.1 ne reformule pas les formes impropres employees par
L.2. II est vrai que le texte semble n'avoir ete revise par aucune des deux
partenaires. Mais it se peut aussi qu'elle soit incapable de diagnostiquer,
a chaud en tout cas, les erreurs de sa camarade, erreurs produites dans
un flot de paroles oil se melent oral veritable et propositions de formula-
tion &rite. Cet exemple pourrait alors attester du decalage existant entre
savoir faire langagier et conscience langagiere claire permettant la revi-
sion des enonces d'autrui.

111.3.2. Chaines et contexte a droite:


Comme la reprise globalisante etait frequente dans les deux premiers pa-
ragraphes de cloture du discours, les annonces cataphoriques vont se
rencontrer surtout dans les paragraphes d'ouverture, avec le terme gene-
rique "instances" ou meme la liste de chacune de ces instances. Les
deux co-scriptrices contribuent a priori egalement a la constitution de

119
ces phrases introductives, comme l'indique leur coCit en terme de tours
de parole (cf tableau ci-dessus). II y a d'autre part une negociation inte-
ressante pour la planification de la fin du discours, sur l'annonce du re-
groupement le plus fonctionnel: 'commission europeenne + cour de jus-
tice', ou lassemblee europeenne + conseil des ministres + assemblee eu-
ropeenne I / I cour de justice I.
Par contre la gestion de l'enchainement vers l'aval, plus local, de
phrase en phrase, et pris en charge Out& par L.1. Ce probleme de chaine
recoupe alors celui des periodes (l'enchainement des relatives de L2) et
des segments (le soulignement paradiscursif de la rupture de chaine).
Ainsi c'est LI qui propose coup sur coup, de faire figurer, a la fin de la
phrase sept, les noms des deux prochaines instances (339-1) et de passer
a un nouveau paragraphe (391-1): simultanement elle coupe la chaine lo-
cale et assure la liaison a plus long terme. Elle parvient a gerer enchai-
nement local et enchainement global, continuite et rupture, alors que sa
camarade, plus surchargee cognitivement, ne semble pouvoir prendre en
charge que le probleme de la continuite en le traitant soit localement,
soit globalement, mais jamais dans ces deux aspects, en meme temps.
COUSEIL DES :I/ t4.-"T
Le
fonzuz.nriemen=.
de la
Cornmnaute
e:onorradue
euroneenne
(Marche r:, ca
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4

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.11171
111.11 MI%

(Gaza a- "an
CV441re.
c
A ('aide du tableau ci-dessus, expliquez le fonctionnement de la
Communaute Economique Europeenne.
fig

120
Le., EST COPY AVAILABLE
9
IV. Conclusions:
Ce parcours des quatre plans d'organisation de Ia microstructure tex-
tuelle, postules a priori, nous a permis d'en etudier les manifestations
metalangagieres dans les interactions verbales de la séance de travail
collectif. Nous avons ainsi constate comment un certain type de tache
determine ce qui doit etre negocie par les co-scripteurs. Dans ce dis-
cours explicatif, neutre, ce ne sont pas les phenomenes de portee mais
ceux ayant trait au guidage du lecteur, segmentation, orgnisation des
periodes, qui sont au centre des discussions.
Mais nous avons observe aussi que les deux non natives, meme si
elles n'ouvrent jamais des echanges argumentatifs caracteristiques de
conflits socio-cognitifs, ne se comportent pas de la meme maniere lors
du processus de production &rite, en particulier pour integrer
discursivement des elements d'information qui leur sont fournis par
ailleurs. On peut meme aller jusqu'a dire que Tune se comporte de
maniere significativement plus efficace que I'autre. II reste alors a
determiner la cause de cette efficacite.
A ce propos, nous avons cite ci-dessus, les trois raisons avances par M.
Fayol quand it declare:

"La recherche a confirme ce que savent intuitivement les enseignants: plus les
bases de connaissances conceptuelles concernant ha domaine de content" sont
vastes, plus les connaissances linguistiques et textuelles sont developpees, plus
les connaissances des processus sont claires, et meilleures son! les productions
ecrites."

La situation particuliere de production collective, dans laquelle nous


avons place nos apprenants est source d'une "facilitation procedurale"
permet de neutraliser le premier critere mentionne. Si nous suivons
Fayol, it reste donc deux autres explications:
le developpement des connaissances linguistiques et textuelles;
la clarte des connaissances des processus.
Or nous constatons la superiorite de Lt sur les deux plans. Elle em-
ploie des procedures de mise en discours que ne possede pas L2, plus
scolairement preoccupee par Ia mise en mots. D'autre part, elle manifeste
des competences metalangagieres que ne montre pas L2.
Malgre les reserves justifiees des psychologues sur un rapprochement
trop hatif de ces deux phenomenes, savoir-faire et savoirs, procedures et
,declarations:

121
1 4;(1 0
"La constitution des procedures precede souvent les connaissances declaratives
comme s'il &all plus facile d'apprendre des algoritlunes que la structure rela-
tionnelle des concepts ... et de surcro-it, les connaissances procedurales. compor-
tent souvent une grande autonomie par rapport a la comprehension des
concepts du domaine" C. Georges (1988)

un lien entre les deux competences, procedurale et declarative, semble


se manifester, ici, lors de cette production &rite, c'est a dire a ('occasion
d'une activite, "technique", non naturelle, qui s'apprend plus qu'elle ne
s'acquiert:
"... plupart des composantes de Pactivite redactionnelle sont d un moment on
a un autre de l'apprenti.ssage controlees consciemment par le sujet. Cowrie en
ce qui concerne la lecture, les divers aspects de la maltrise metalinguistique
sont susceptibles de s'y trouver mobilises. les capacites metaphonologiques,
metasyntaxiques,et metasemantiques, necessaires au debut de rapprentissage,
laissant progressivement la priorite aux capacites metapragmatiques et surtout
metatextuelles." (J.-E. Gombert 199/: /52).

L'ecriture en elle-meme est déjà "meta". Par sa temporalite propre, elle


permet la mise en oeuvre d'un controle metalangagier, au moment de la
preparation comme de la realisation ou de la revision des inscriptions,
quelles que soient leurs differences de taille et de nature.

faut sans doute considerer que, contrairement a la conversation orate, la ma-


nipulation de Pecrit necessite des connaissances explicites sur le langage et des
capacites a en piloter pas a pas Putilisation ... Ces capacites auparavant in-
utiles .semhlent apparaitre a !'occasion de Pactivite qui les necessite"
(J.-E. Gombert 199/: p.14.5)

Universite Lumiere-Lyon 2 Robert BOUCHARD

122
1'9 I_
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123

BEST COPY AVAILABLEt


ANNEXES

I. LE DISCOURS PRODUIT

I1 La CEE se constitue de quatre instances qui sont etroitement liees, qui ont
des fonctionnements et des compositions tries divers.
112 Ces cinq instances sont les peuples de la C.E:, l'Assemblee E., Conseil des
ministres, la Cour de justice, la commission E.
1113 Premierement parlons des pays de la C.E.E..4 L'Italie, Ia France, le
Royaume Uni, Ia republique federale d'Allemagne, l'Espagne, Portugal,
Belgique, Ia Grece, Danemark, le Luxembourg, I'Irlande du sud.5 Dans ces
pays, tout le monde a le droit de voter pour les deputes qui constitueront
l'Assemblee Europeenne.6 On peut comparer Ia communaute europeenne
une democratie parlementaire.
1 V7 L'Assemblee Europeenne correspond au parlementaire (ou House of
Commons, ou Bundestag) et c'est cela qui promulgue les lois en consultant Ia
Conseil des Ministres et Ia commission europeenne.
V8 La Conseil des ministres est composee des ministres qui sont nommes par
les gouvernements de leur pays, qui sont responsables des sujets précis (si on
discute I'environnement, ce sont les ministres qui sont des ministres de
I'environnement qui se rassemblent, par exemple, Chris paton pour la grande
Bretagne. Topfer pour RFA, lalonde pour la France).9 Ca propose un budget
a l'Assemblee Europeenne qui dolt se mettre d'accord au sujet de cette
proposition.' 0 La commission Europeenne consulte constamment avec les
deux instances dont on a déjà parle.
V111 La C.E. comprend des specialistes qui fait des propositions soit au
conseil des ministres soit a l'A.E..1 2 Cette commission est sous le controle de
l'Assemblee Europeenne.
V1113 II reste seulement Ia quatrieme instance a etre explique: ca c'est le cour
de Justice qui est plutot separe des trois autres et qui est chargee de questions
legislatives.1 4 les citoyens peuvent saisir le cours de justice pour resoudre les
conflits.1 5 Ca exerce aussi un controle sur les reglements etablis par le conseil
des ministres.
VIII1 6 Voici la composition de la C.E.1 7 Le resultat de cette consultation
constante permet a trouver des lois qui tiennent compte des interets de tous les
membres de Ia C.E.

124

I° 3
II. Produit et processus:
Cofit de chaque phrase en termes de nombre de tours de parole par mot

Du tp,1-1 au tp. 1° phrase* 63 tours de 20 mots 3.1


63-1 parole tp./mot
64-1 / 158-1 2* 95 16 5.9
159-2 / 216-2 3* 58 7 9.7
+239-1/250-2 + 10

217-1/ 238-2 4 22 19 1.6

+250-2/260-1 +10

261-2 / 278-2 5 18 18 I

279-1 / 302-2 6 24 9 2.6

303-1 / 390-2 7* 88 24 3.6


391-1 / 545-2 8* 155 54 2.8
543 -I/ 570-2
9 28 17 1.6

571 -1/ 613-2


10 43 13 3.3

614-1 / 702-2
11* 89 16 5.5
703-1/713-1
12 11 9 1.2

714-2 / 750-2
13* 37 28 1.3
751-1 / 774-1
14 24 10 2.4

775-1/815-1
15 42 12 3.5

816.1 /843-1-
2/890-2
16* + 17 74 6+ 23 2.5

Tour de parole souligne = oralisation de ('inscription


*Phrase attaquant un nouveau paragraphe

124 125
Mr COPY AV
Analyse conversationnelle et recherche sur l'acquisitiono
1. Concepts
L'acquisition d'une L2 se fait dans le cadre et au moyen de ('interaction:
c'est IA ('expression savante d'un lieu commun comme la forme popu-
laire dit que pour apprendre une langue etrangere, rien ne vaut un
sejour dans le pays; ce n'est qu'en France, au contact avec des Francais,
qu'on apprendra vraiment le francais. C'est pourquoi Irma, 16 ans,
lyceenne allemande qui a fait deux ans de francais, passe quelques
jours a Paris chez Veronique, lyceenne francaise du meme age. Au
debut de son sejour, elle enregistre pendant le diner une conversation
qu'elle a avec Veronique et Marcel, Ore de Veronique. Voici un extrait
de cet enregistrement.
Exemple (I): "Conversation a table"

I = Irma, Allemande, 16 ans


V = Veronique, Francaise, 16 ans
M = Marcel, Ore de Veronique
1
M: tu etais dejA venue A paris' . je t'ai dejA demands' mais je me rappel-
2
M: le plus je crois, . est-ce que tu 'kids deJA
I: . . encore (rit)+ . HUM,
3
M: veNUE A paris, oui' it y a longtemps'
I: ouais ouais' ehm pour un semai-
4
M: . . . oui mais . combien de/ c'est QUAND . QUAND . A quel moment,
I: ne'
5
M: hm
I: . ehm: . devant avant . avant' devant' y a . HM'
V: y a, (en articu-
6
M: ga depend ce qu'elle veut
pourquoi
V: lent) it y a, + parce que c'est ca,
7
M: dire apres' (rit)+
V: it y a deux ans elle m'a dit' ou: (bas) trois ans +
0 Une premiere version de cet article a Me presentee au Reseau Europeen "Acquisition des
Langues" lors du colloque "Interaction et acquisition: Varietes d'interlangue et leurs determinants
linguistiques et interactifs", Bielefeld, 1 er 5 mai 1990. Nous tenons a remercier ici nos collegues
du Reseau pour leurs suggestions et commentaires, et tout particulierement Maya Hickmann, a
qui notre texte dolt beaucoup.

127
na-4; 7,w:lcia 125
8
M: it y a combien d'annees
. . (peu sere) hm trois' . (bas) trois annees'
9
M: trois ans' tu es venue' en france' déjà, . tu *Reis venue A pa-
I: + oui' mhm'
10
M: ris' oui'
oui' oui' pour un semaine' . (rit) + (1
V: . . et tu
11
non (pause 7 sec) (bas) mh +
V: parlais francais'

Cette partie de la conversation ressemble a une course d'obstacles: non-


comprehension globale de Ia question initiale (1-2), malentendu sur "il y
a" (3-4), lacune lexicale "il y a" (5), faute sur "ans" vs "annees" (9), le
tout agremente d'une petite controverse entre Veronique et son pere
(6-8). Mais les partenaires font si bien qu'ils finissent, l'un par apprendre
ce qu'il veut savoir: Irma est venue a Paris trois ans auparavant, l'autre
par faire comprendre ce qu'elle veut dire: elle est restee une semaine.

On a cherche a comprendre ce que font les interactants pour obtenir


l'intercomprehension en analysant les conversations exolingues avec les
methodes de ('analyse conversationnelle.I On a pu ainsi &gager plu-
sieurs des "methodes" - au sens ethnomethodologique du terme2
qu'utilisent les interactants pour venir a bout des difficultes que soule-
vent les deficiences linguistiques du partenaire non-natif. Dans notre
exemple, Ia non-comprehension globale (1-2) declenche une "sequence
analytique" (1-3; Krafft/DausendschOn-Gay 1993a), le malentendu ( "II y
a longtemps? - Pour un semaine", 3-4), une sequence explicative (3-5),
Ia lacune lexicale ("il y a", 5), un"achevement interactif" (5-6; Gulich
1986a), l'erreur lexicale "an" vs "annee" (9), une correction "enchassee"

L'analyse de conversations exolingues a fait ('objet des travaux du Groupe de recherche sur les
situations de contact qui s'est constitue a Bielefeld sous la direction d' Ulrich Dausendschbn-Gay,
Elisabeth GOlich et Ulrich Krafft. Pour une presentation du projet cf. DausendschOn-
Gay/GUlich/Krafft(1989). Les recherches ont surtout pone sur les problemes suivants: corrections
(Dausendschen-Gay1988, 1-115htker 1990), explications (Sader -Jin 1987, Nowak 1987, Gotsch
1991, GUlich 1991), achevements interactifs (GUlich 1986a), evaluation et commentaires meta-
discursifs (Gulich 1986b), sequences analytiques (Krafft/DausendschOn -Gay 1993a), structure
globale et tache conversationnelle (DausendschOn -Gay/Krafft 1991a, Krafft/DausendschOn-Gay
1993b), activites d'enseignement et d'apprentissage (Dausendschon-Gay 1987), figuration
(Schmale 1988, Dausendschifin-Gay/Krafft 1991b), expertise (Furchner 1991).
2
Pour une presentation detaillee de ('analyse conversationnelle ethnomethodologique cf.
Kallmeyer/SchUtze (1976), Bange (1983), Coulon (1987), Kallmeyer (1988), GUlich (1991).

128
T con AVARE6013
126
(9-10). Du point de vue plus general de ('organisation de Ia conversation,
it s'agit de "sequences laterales" (Jefferson 1972) ou les interactants sus-
pendent Factivite en cours - ici: echange d'informations sur les sejours
parisiens d'Irma et au moyen d'activites de reparation et de reformula-
tion (Gtilich/Kotschi 1987), cherchent pour leurs problemes communica-
tionnels des solutions qui leur permettront de progresser.
Les analyses conversationnalistes montrent qu'en situation exolingue,
les partenaires reussissent a communiquer dans la mesure ou ils par-
viennent a compenser les deficits linguistiques du non-natif par un sur-
croit de travail sur la langue. C'est ce qui fait l'interet de Ia communica-
tion exolingue pour les recherches sur la communication en general: en
effet, les obstacles a la communication (non-comprehension, ma-
lentendu, lacune lexicale etc.) sont en principe les memes dans les situa-
tions endo- et exolingues, de meme que les "methodes" qu'on utilise
pour les traiter. La specificite de I'exolingue reside dans le fait que les
obstacles y sont a la fois plus frequents et plus difficiles a lever. Ceci
oblige les interactants a recourir aux methodes de reparation
frequemment, ce qui permet de les reperer plus facilement, et dans leur
forme Ia plus longue et Ia plus explicite, ce qui permet de les decrire. On
a ainsi pu comparer la situation de communication exolingue a une
loupe qui fournirait a l'observateur une image grossie et detainee de
certains aspects de la communication.
En revanche, les analyses conversationnalistes ne disent rien sur le
role que la conversation exolingue peut prendre pour l'acquisition d'une
langue etrangere. II faut pour aborder ce probleme faire appel a des
theories sur l'acquisition, et en particulier a celles qui analysent l'acqui-
sition dans et par ('interaction et que Gaonac'h (1987) range dans la ca-
tegorie des "approches communicatives". Devant le nombre de contribu-
tions substantielles dans ce domaine et Ia systematisation extremement
riche qu'en propose Gaonac'h (1987), nous nous contenterons ici de
mentionner trois etappes de cette discussion:3
I) "L'approche communicative" considere l'acquisition d'une langue
comme le resultat de transactions : des savoirs savoir dire, savoir
faire passent de l'adulte ou du natif, qui savent, a ('enfant ou a l'al-
loglotte, qui ne savent pas encore. Cette transmission des savoirs se

3 Pour une vue d'ensemble des recherches sur l'acquisition dune L2, les references sont nom-
breuses; nous ne mentionnerons que Klein (1989), LAI (1990), PujolNeronique (1990), Dechert
(1990).

129
127
fait dans l'interaction. Vygotsky analyse l'acquisition de Ia langue
maternelle en milieu scolaire et montre comment I'apprenant,
confronts a une tache trop difficile, apprend progressivement a re-
soudre cette tache grace a l'aide d'un partenaire competent et deve-
loppe du meme coup ses capacites. Une des notions centrales de
('analyse de Vygotsky est celle de "zone proximate de developpe-
ment" qu'il definit comme suit: "It is the distance between the actual
development level as determined by independent problem solving
and the level of potential development as determined through pro-
blem solving under adult guidance or in collaboration with more ca-
pable peers" (1978, 86). Cette definition etablit un lien entre dune
part les capacites individuelles de I'apprenant, et ('interaction qui
permet de les acquerir et de les developper.4
2) Bruner reprend et developpe la conception de Vygotsky en l'appli-
quant a l'acquisition de Ia langue maternelle dans l'interaction entre
l'enfant et sa mere. Cette acquisition n'est concevable que si l'appre-
nant dispose d'un equipement cognitif qui comprend en particulier
un "Language Acquisition Device" (LAD) et certaines facultes moins
specifiques qui permettent- de traiter des donnees de facon a les
rendre accessibles au LAD.5 L'acquisition de Ia langue est donc
conditionnee par l'organisation cognitive de I'apprenant. Mais le trai-
tement cognitif ne peut fonctionner que si l'enfant accede a des don-
flees appropriees. La structuration des donnees au profit de l'appre-
nant se fait dans et par un "Language Acquisition Support System"
(LASS) dont Ia composante constitutive est le rapport de tutelle qui
s'institue entre I'adulte et l'enfant: "The infant's Language Acquisition
Device could not function without the aid given by an adult who en-
ters with him in transactional format. That format, initially under the
control of the adult, provides a Language Acquisition Support
System (LASS). It frames or structures the input of language and
interaction to the child's Language Acquisition Device in a manner
to 'make the system function" (1985, 32). Le "tuteur", adulte ou
expert, fait beneficier I'apprenant d'un "etayage" qui permet a celui-ci

4
Pour le developpement des conceptions vygotskyennes ou leur application a l'acquisition dune
L2 cf. par exemple Wertsch/Hickmann (1987), McLane (1987), Matthey (1990), Pujol (1992),
Wertsch (1985), Frawley/Lantolf (1985 ), Gaonac'h (1989), Bruner/Hickmann (1983).
Le terme de LAD renvoie a Chomsky dans les differentes versions de sa theorie. Bruner a cepen-
dant toujours pris ses distances par rapport aux concepts chomskyens. II precise ses propres
vues de requipement cognitif data Bruner (1990, chapitre 3 ).

130

19k
de mener a bien son activite et, en meme temps, d'acquerir Ia
competence correspondante."
3) Gaonac'h propose de reprendre les conceptions de Vygotsky et de
Bruner pour analyser ('acquisition d'une L2 (1987, 193 sqs). II sou-
ligne d'autre part que pour "l'approche communicative", une defini-
tion purement linguistique du langage comme d'un ensemble de
structures formelles ne suffit plus. Ce qu'on apprend dans et par ]'in-
teraction, c'est a accomplir une tache, a tenir un role, a poursuivre un
but: "on n'apprend pas une langue, mais des situations de langage"
(1987, 201). Et de demander a la recherche psycholinguistique de
"s'interesser, plus qu'aux erreurs !lees a la structure de la langue, aux
'erreurs' que constituent les hesitations, les ruptures, les interruptions,
les reprises... dans Ia production en L2. Ces comportements peuvent
servir d'indices des difficult& de mise en oeuvre de cette competence
centrale qu'est la regulation du discours, lorsque les operations Ian-
gagieres et leur controle sont mis en echec par les contraintes inhe-
rentes a la Cache" (1987, 204). Nous retrouvons ici ('objet et les pre-
occupations de l'analyse conversationnelle ethnomethodologique:
quand elle analyse la conversation exolingue, elle s'interesse en par-
ticulier aux hesitations, ruptures et autres rates, aux activites qu'ils
indiquent et a celles qu'ils declenchent. Vygotsky, Bruner et
Gaonac'h nous invitent donc a reprendre les resultats de ces analyses
dans une perspective acquisitionnelle et a considerer ce que font les
interactants pour mener a bien ('interaction comme des activites qui
assurent ou du moins facilitent en meme temps Ia transmission des
savoirs.
La theorie de la "bifocalisation" de Pierre Bange (1987) permet de
preciser cette hypothese: seront particulierement propices a ('acquisition
les activites qui dirigent l'attention de l'apprenant sur la langue. Or c'est
bien ce qui se passe dans les sequences de travail sur le langage que
nous avions notees a propos de l'exemple (1): les interlocuteurs suspen-
dent l'activite en cours, qui est d'echanger des informations sur les se-
jours parisiens d'Irma, pour clarifier ('intention d'une question, expliquer
le sens d'un terme, donner a Irma une expression qui lui manque. Dans
ces sequences, l'attention des interlocuteurs ne porte plus sur le but de
('interaction, mais sur les moyens langagiers dont ils ont besoin pour

6 Cf. a ce propos entre autres Hickmann (1987), Hudelot (1989, 1992), Karmiloff-Smith (1987),
Silverstein (1987), Jisa (1991).

131
l'atteindre. C'est pourquoi on peut considerer ces sequences comme des
"sequences potentiellement acquisitionnelles" (SPA), selon l'expression
de De Pietro/Matthey/Py (1989).7
Cette conception n'est pas sans rappeler celle que Bruner a develop-
pee au sujet de l'acquisition de la langue maternelle. Nous voyons ici
aussi le systeme cognitif de l'apprenant traitant les donnees Iangagieres
que lui offre ('interaction sociale. Les "sequences potentiellement acqui-
sitionnelles" sont des sequences interactives particulierement favorables
a Ia transmission des savoirs, des moments privilegies oil le natif prend
le role de ('expert et aide l'apprenant a saisir les donnees, activites que
l'on peut comparer aux activites d'etayage et de tutelle de I'adulte au
profit de l'enfant.
Malgre des paralleles evidents, une transposition pure et simple des
observations de Bruner n'est pas possible puisque les conditions d'ac-
quisition dune L2 sont trop differentes de celles de Ia langue matemelle;
it faut en particulier que l'enfant apprenne a interagir et a communiquer,
alors que ces savoirs sont l'un des outils les plus importants dont
dispose l'apprenant d'une L2. C'est pourquoi nous reserverons le sigle
de "LASS" a ('etude de l'acquisition de la LI et tenterons d'esquisser ici
un "Second Language Acquisition Support System", ou SLASS. Le
SLASS peut etre caracterise par l'ensemble des methodes interactives
qui, dans les interactions exolingues, conditionnent les sequences
favorables a la transmission et a l'acquisition par le partenaire faible du
savoir linguistique. Analyser le SLASS, c'est donc analyser la
composante sociale de l'acquisition d'une L2 en milieu nature!.
Nous ne pouvons presenter que les premiers elements d'une telle
etude. Nous suivrons le modele methodologique experiments par
Dausendschon -Gay (1987), qui tente d'evaluer, en s'appuyant sur des
theories de la memoire, la valeur des activites de reparation pour le trai-
tement et la memorisation de lexemes en L2. Notre objectif sera cepen-
dant plus vaste, puisqu'iI s'agira de determiner d'abord ce qui, dans le
cas concret d'une SPA, peut etre objet d'acquisition, pour analyser
ensuite les facteurs favorables et defavorables a l'acquisition.

7
De Pietro/Matthey/Py decrivent la SPA comme une sequence interactive realisant un schema
d'action (Kallmeyer/SchOtze 1976) et qui fait passer dun enonce jugs inadequat a un enonce
plus conforme A ('usage en L2. Py (1989) precise la forme de la SPA en donnant un schema
canonique, et son caractere plus ou moins acquisitionnel en observant les ratifications de la part
du non-natif. Cf. dans ce contexte les precisions qu'apporte Vasseur (1990, 1991).

132

1'4
2. Methodes de gestion interactive d'obstacles a la communication
Les interactants tournent leur attention vers la langue quand et parce
que ('interaction bute sur un obstacle. Its disposent de differentes
"methodes" pour traiter differents types de difficultes. Nous examinerons
d'abord des procedes d'aide a la production, puis des procedes d'aide a
la comprehension.
2.1 Procedis d'aide a la production
La plupart des perturbations de la communication exolingue sont dues a
des lacunes lexicales chez le non-natif. Les interlocuteurs disposent
pour traiter ces problemes d'une methode qu'Elisabeth Gtilich (1986a) a
appelde "achevement interactif". Dans ce qui suit, nous resumerons son
analyse en insistant sur les phenomenes qui nous semblent pertinents
pour l'acquisition.8
"L'achevement interactif d'enonces inacheves" est une sequence inter-
active &clench& par un locuteur a qui manque un element, lexeme,
forme grammaticale, forme phonetique. En voici un exemple: Irma ra-
conte une histoire, elle a besoin du verbe "courir":
Exemple (2): " Dans un café " (2, 14-15 )

I = Irma, lyceenne allemande


M = Mere de sa correspondante
1
I: it m'a dit ah: maintenant c'est bon, . c'est une fille, . . et je ehm
2
I: . que c'est' ne MARche mais mais tres vite, je cours
M: vite' . je cours:,
3
I: (en riant) beaucoup beaucoup

1 et M realisent les quatre phases constitutives du schema d'activites de


"l'achevement interactif":
1. Interruption: Irma signale la lacune en s'interrompant a l'interieur
dune structure syntaxique: " je -". Dans cet exemple, elle dit en plus

K
Nos observations reprennent en beaucoup de points celles de G. LUdi dans son etude sur "L'ori-
gine discursive des connaissances lexicales" (1991), A laquelle nous devons beaucoup.

133
131
explicitement qu'elle cherche un mot: "que c'est ? ", mais ceci n'est
pas obligatoirement le cas. Notons en outre que ('interruption est tou-
jours accompagnee, souvent precedee de marqueurs d'hesitation
(ici : "ehm" + pause).
2. Preparation: it faut fournir a M suffisamment d'elements pour qu'elle
puisse intervenir. La localisation de ('interruption indique qu'on
cherche un verbe. Suivent des elements definitoires: "ne marche,
mais tres vite".
3. Proposition: M a compris que I lui demande d'intervenir, qu'elle lui
demande un mot, et le sens de la preparation. EIIe propose "je
cours": ce n'est qu'une proposition, parce que I garde la
responsabilite de l'enonce. La proposition demande une
4. Ratification: ici par reprise, dans d'autres exemples par un signal de
ratification ("oui") ou simplement par ('absence d'objection: en repre-
nant l'activite principale, le locuteur signale qu'il considere que son
probleme est regle.
Le locuteur, devant un "obstacle a I'encodage" (Liidi 1991), hesite et
s'interrompt: ce sont la les traces des efforts qu'il tente pour resoudre
seul son probleme (cf. la "preference for self-correction in the
organization of repair in conversation" que constatent Schegloff et al.
1977). En cas d'echec, it demande ('aide de son partenaire. L'achevement
interactif serait done le procede interactif ("regulation par I'autre ")
auquel on a recours quand les procedes individuels de Ia recherche
lexicale ("auto-regulation") n'aboutissent pas.' Du point de vue de
('acquisition, nous interesseront surtout les deux moments de Ia
"preparation" et de la "ratification".
Le locuteur prepare l'achevement en enoncant tout haul les
indications qui lui semblent propres a cerner et a eliciter le terme qu'il
cherche. II marque avant tout l'endroit de l'enonce ou manque un
lexeme et indique ainsi Ia categoric grammaticale du terme qu'il
cherche. Au niveau semantique, it arrete le contexte exact de ce terme et
determine pour ainsi dire la forme de la lacune qu'il s'agit de combler.
Ce travail explicite sur le savoir linguistique est favorise par la

9 Dans une perspective genetique vygotskyenne, le procede de l'achevement interactif serait


l'origine et le modele interactif des procedes individuels de la recherche lexicale. A cette
hypothese correspondrait le parallelisme qu'on constate quand on compare au schema d'activites
de l'achevement interactif: interruption - preparatoin - proposition - ratification. celui de "l'auto-
achevement": interruption/hesitation - (eventuellement : preparation a voix haute) solution par
le locuteur - ratification, souvent rent orcee, par l'interlocuteur qui confirme non seulement gull a
compris, mais qu'il approuve le resultat du travail de recherche du non-natif.

134

192
conscience linguistique, resultat de ('acquisition de Ia langue premiere et
equipement cognitif pour ('acquisition de langues secondes par des
adolescents ou des adultes (Hickmann 1985, John-Steiner 1985,
Vergnaud 1989, Vasseur 1990a).
Les informations contextuelles sont parfois si contraignantes qu'elles
suffisent a faire trouver le terme qui manquait. En general, elles n'y suffi-
sent pas, et le locuteur apporte des indications complementaires, ce qu'il
peut faire par geste, ou en proposant un equivalent dans sa langue ma-
ternelle. Plus souvent, it indique des structures lexicales ou doit venir
s'inserer le terme: it precise au moyen d'informations paradigmatiques la
forme du vide qui lui fait horreur. On releve un vaste choix de structures
utilisees:10
antonymie: "les sciences pas physiques" pour demander "sciences
humaines";
champ lexical: "ne marche, mais tres vite" pour "courir" (cf. supra
exemple 2);
collocations: "tu prends des vetements et tu fais comme ca" =
"mettre";
- synonymie: "avant, devant" pour demander "il y a" (cf. supra ex. I);
savoir encyclopedique: (pour faire un gateau) "pas de beurre mais",
c'est-a-dire de la "margarine".
Le locuteur se serf pour chercher et pour demander le terme qui lui
manque d'une structure paradigmatique incomplete. Pour ce faire, it lui
faut trouver la structure et definir la case vide. On peut supposer que
cette attention se portant sur les structures Iangagieres favorise l'acquisi-
tion.
Le deuxieme moment acquisitionnellement important est celui de la
ratification. Le locuteur gardant l'entiere responsabilite du texte, it est
appele a accepter ou rejeter le terme que lui propose son partenaire et
donc a evaluer la proposition. En fait, it reconnaitra souvent un terme
qu'il avait déjà rencontre. Mais quand ce n'est pas le cas, it lui faudra
decider si les indications qu'il a lui-meme donnees sont assez contrai-
gnantes pour lui permettre d'accepter sans trop de risques Ia proposition:
autant d'operations de controle qui fixent l'attention cognitive sur un
terme, sa definition et ses conditions d'emploi. Par ailleurs, le non-natif
ratifie souvent en reprenant aussitot le terme qu'on lui offre, ce qui peut

I 0 Pour plus de details comparer LUdi (1991) et Nowak (1987).

135
133
aider a Ia memorisation : le reemploi du terme presuppose des opera-
tions cognitives de production (donc, entre autres, le rappel de reseaux
conceptuels), des verbalisations et des activites matrices (Dausendschon-
Gay 1987).
Retenons que la methode de l'achevement interactif est favorable a
('acquisition en ce qu'elle demande au non-natif, pour se faire aider,
d'evaluer les contraintes contextuelles, de definir des structures paradig-
matiques ou va s'inserer le terme qu'il cherche, d'evaluer l'offre du natif
et, eventuellement, de reproduire ('element propose.

2.2 Procides d'aide a la comprehension


La comprehension est a certains egards plus difficile que la production,
puisque le non-natif se trouve confronts a des enonces dont it ne
controle ni le contenu, ni Ia forme, ni surtout le debit. Les difficultes de
comprehension peuvent avoir des causes multiples: phonetiques (par
exemple discrimination insuffisante), lexicales, syntaxiques, et aussi
culturelles etc. Mais si nous observons ('interaction, cette diversite des
causes se reduit a deux types de perturbations communicatives, selon
que les interactants parviennent ou ne parviennent pas a identifier l'obs-
tacle. On levera l'obstacle identifie en travaillant sur le code dans une se-
quence explicative. Un obstacle non identifie declenche une sequence
tout a fait differente ou les interactants travailleront sur le discours.

2.2.1 Travail sur le code: la sequence explicative


On a beaucoup analyse les sequences explicatives.I I Nous nous conten-
terons de donner ici un exemple. II est tire de la "conversation a table"
que nous connaissons déjà (cf. supra exemple 1):

I I Voir en particulier GOlich (1991), De Gaulmyyn (1991), Gotsch (1991), LUdi (1991), Nowak (1987),
Settekorn (1991).

136 134
Exemple (3): "conversation a table" (22-23)
I = Irma, non-native
V = Veronique, native
1
M: to trouves pas que je suis: un peu absent de la maison' pour un pore
2
M: de famille' c'est vrai,
. absent' oui: oui'
V: absent' euh: pas le,
3
M: hein
ouais

Les interactants suivent le schema de Ia sequence explicative: Ia


non-native, qui ne comprend pas "absent", signale qu'il y a un obstacle
et l'identifie du meme coup pour ses partenaires ("absent ?"): la native
fournit une explication, Ia non-native ratifie (2). La sequence permet a
Marcel de reprendre l'activite en cours et a Irma de reagir de fawn per-
tinente (3).12
Veronique explique "absent" par un synonyme, c'est-h-dire en offrant
une structure paradigmatique. Dans d'autres cas, on trouve des defini-
tions par genus proximum et differentia specifica, des antonymes, des
explications sur les conditions d'emploi du terme et: le natif offre au
non-natif des structures lexicales ou va s'inserer ('element perturbateur.13
Irma de son cote ratifie deux fois: un premier "oui:" long, a ('intonation
indecise, signale moms une approbation qu'une hesitation et fait savoir
qu'Irma est en train de traiter ('information. Le deuxieme "oui'", qui
marque Ia fin de cette phase de traitement, n'est pas non plus un "oui"
neutre de simple ratification, mais un "oui" renforce par une intonation
montante. Pour Marcel, ce "oui'" indique qu'Irma a non seulement enre-
gistre le sens du terme "absent", mais qu'elle a egalement compris la
question qu'il avait posee. II se contente, sans la reformuler, de
demander une reponse ("c'est vrai, hein"), qu'Irma lui donne.

12 Les explications ne sont pas toujours des reactions a des demandes de la part du non-natif. II
arrive que le natif anticipe une difficutte et foumisse de son propre chef des explications que per-
sonne ne lui demandait. Le resultat sera une forme de 'foreigner talk" d'autant plus sensible que
('explication semblera superflue.
13 Pour des exemples et des details de ('analyse cf. Liidi (1991, 210 sqs).

137

135
Pour arriver a ce resultat, Irma a du traiter la structure que lui offrait
Veronique, puis revenir avec ces informations sur la question de Marcel.
Nous pensons que ce type de travail cognitif sur le terme dans des
structures paradigmatiques et syntagmatiques favorise ('acquisition. Les
sequences explicatives constituent sous les aspects de leur organisation,
de leur role dans ('interaction, des structures linguistiques qu'on y met
en oeuvre et de leur valeur acquisitionnelle, le pendant des sequences
d'achevement interactif.
2.2.2 Travail sur le discours
Nous trouvons dans nos corpus relativement peu d'exemples de
non-comprehension manifest& et traitee. II est probable que le non-natif
cache souvent les difficultes qu'il a, soit pour menager sa face, soit en
suivant une strategic de "wait and see". II suffit alors de produire des si-
gnaux de ratification aux moments qu'indiquent par exemple ('intona-
tion et le rythme du locuteur, pour que la non-comprehension passe in-
apercue. Mais la situation est toute differente au moment oil le locuteur
etablit une obligation, oil it demande a son partenaire une reaction spe-
cifique. Si on n'a pas compris, on ne pourra plus le cacher. On observe
assez frequemment dans ces cas que le non-natif ne reagit pas, sans
preciser ou pouvoir preciser quelle est sa difficulte. Cette situation peut
declencher Line "sequence analytique" (Krafft/Dausendschon-Gay
1993a): le locuteur reagit a to non-comprehension en posant sa question
une seconde fois. Ce "bis" n'est cependant pas un simple rephrasage du
mouvement initial, mais une version plus simple, plus clairement
structuree et plus explicite. Voici un exemple tire de la "conversation a
table".
Irma dejeune avec Veronique et Marcel. Sur la table se trouve parmi
les plats le magnetophone qui enregistre la conversation. Le matin de ce
jour, Irma a etc toute seule chercher l'appareil dans un bureau a la
Sorbonne. A un moment, Marcel pose une question:

136
138
Exemple (4): "je dois faire des conversations avec l'appareil" (14-18)

I = Irma, non-native
M = Marcel, natif
1
M: (pause 7 sec) comment' tu as fait A la sorbonne pour eh: t'expliquer'
2
M: . . . A la sorbonne, . . pour obtenir l'appareil, . gm a ate dif-
hum'
3
M: ficile' quand tu es allee A la sorbonne, A l'univer-
. encore . tout ouais
4
M: site, chercher cet appareil, c'etait difficile pour t'ex-
ouais ouais
5
M: pliquer'
non . mais pour trouver'

Irma ne reagit pas au mouvement initial, a Ia question de Marcel. Marcel


traite ce silence comme une demande de bis: it reprend sa question
(2-3). Cette fois, Irma demande expressement une repetition ("encore .
tout", 3), et Marcel formule le deuxierne bis (3-5) qui amene enfin une
reponse adequate (5).
Cet exemple peut servir a exemplifier certains traits de Ia sequence
analytique:
a) Le bis est simplifie par rapport au mouvement initial. Ici, Marcel
passe d'une question ouverte : "comment tu as fait ? ", a une question
alternative: "ca a ate difficile ? ". La simplification se produit non au
niveau de la langue, mais a celui des activites; dans d'autres
exemples, on observe ]'elimination de tout ce qui n'appartient pas au
mouvement principal, en particulier de tout ce qui peut indiquer une
evaluation ou une activite de figuration (cf. supra exemple 1, oil
Marcel ne reprend pas dans le bis, ligne 3, ('excuse qui compliquait
le mouvement initial, lignes 1-2).
b) Le bis est restructure par rapport au mouvement initial. Le resultat de
cette operation est une structure bipartite: "a Ia Sorbonne, pour obte-
nir l'appareil ca a ate difficile ? ". On peut decrire les deux parties
de la nouvelle question comme le theme et le theme, ou comme un
topique et un commentaire sur ce topique. Nous preferons le concept

139

137
goffmanien de "move" (Coffman 1981/87): un "mouvement" ("move")
est une "reponse" ("response") orient& sur une "reference"
("referent"). La structure bipartite que les locuteurs adoptent autant
que possible pour le bis, tend a regrouper au debut de l'enonce tous
les elements qui designent la "reference" et a les separer nettement
de la "reponse" qui constitue la deuxieme partie. Le locuteur
determine donc aussi nettement que possible le sens interactif du
"move" en precisant d'abord de quoi it est question, puis ce qu'il
attend de son partenaire.
c) En passant du mouvement initial au premier puis au second bis, le
natif retourne pour ainsi dire en arriere pour progressivement tout
expliciter. On releve les series suivantes:

Mouvement Bis 1 Bis 2


initial
Structure comment pour Y, difficile ? quand all& chercher Z,
globale pour X ? difficile ?
Reference pour obtenir Z alter chercher Z
verbe
Reference l'appareil cet appareil
objet
Presup- a la Sorbonne a la Sorbonne quand to es all& a la
poses
deictiques Sorbonne, a l'universite
Reponse: pour t'expliquer difficile ? difficile pour t'expliquer
verbe

On remarquera que le deuxieme bis est des trois versions la plus


longue et la plus complexe: it ne s'agit pas dans la sequence analytique
de simplifier la syntaxe et le lexique. Ce que fait le locuteur natif, c'est
analyser devant et au profit du non-natif un enonce opaque en isolant, si
possible, et en precisant d'une part la reference, ce a quoi se rapporte le
mouvement, de l'autre la reponse, ce qu'on demande au partenaire de
faire, et en explicitant autant qu'il est necessaire les presupposes. Du
point de vue de l'interaction, it s'agit IA d'un travail de coordination: co-
ordination de l'attention (sur la reference), des intentions (sur l'activite
qu'on va effectuer) et des savoirs (les presupposes), coordination neces-
saire a la poursuite de l'interaction.

140
138
Cette analyse reprend celle que Bruner (1985) fait des "formats" en
tant que "microcosmes communicatifs". Se lon Bruner, c'est dans les
"formats" ludiques que l'enfant apprend a realiser avec son partenaire la
triple coordination des attentions, des intentions et des savoirs par quoi
s'etablit une communication. L'enfant apprend alors en meme temps "ce
qu'on peut faire du langage et comment le faire" (Gaonac'h 1987, 193); it
apprend a coordonner attention, intentions et savoirs, et acquiert les
moyens linguistiques qu'il faut pour traiter les activites communicatives,
et en particulier langagieres, de son partenaire. La situation de l'appre-
nant en L2 est bien differente, puisqu'il a déjà appris a faire ce travail de
coordination; seulement, it ne sait pas le faire en francais. S'il demande
un bis, it demande et attend qu'on precise pour lui ]'intention, le theme,
les presuppositions du mouvement, et cette attente lui permet de com-
prendre le sens general et le detail des operations que son partenaire fait
devant lui et pour lui. Le role du natif est celui de ('expert en traitement
d'information, de modele, de maitre a analyser. Et les operations interac-
tives de coordination sont pour l'alloglotte autant de sequences d'entrai-
nement a l'analyse du discours.
Nous ne sommes pas en mesure de preciser quelles sont les facultes
linguistiques qui permettent de reperer dans un &lona les indications
sur la reference et sur ]'intention du partenaire et d'acceder aux savoirs
non explicites, mais necessaires a Ia comprehension d'un &once. II est
cependant evident qu'il s'agit IA de tout autre chose que des connais-
sances lexicales ou morpho-syntaxiques qu'il faut pour produire ou
comprendre un segment. Nous avons plutot affaire a des procedes ou
des methodes pour analyser, evaluer, inferer, pour interpreter
interactivement les enonces du partenaire, et pour lesquels Ia
comprehension litterale des segments, necessaire, n'est qu'un point de
depart. L'analyse des "methodes" interactives de regulation de
l'intercomprehension fait apparaitre ici une distinction qui pour l'analyse
de Ia langue et de ('acquisition du langage est au moms aussi
interessante que celle entre production et comprehension, et qui est Ia
distinction entre le savoir segmental, objet des sequences d'achevement
interactif et d'explication, et les procedes d'analyse qu'on peut observer
dans la sequence analytique. On voit ici se dessiner une lacune: pour
produire un enonce, on a certainement besoin de plus que des "mots
pour le dire" (Liidi 1991). Ce "plus" ferait ('objet dune theorie de Ia
formulation (Giilich 1993).

139 141
Pour finir ce chapitre, nous presenterons des exemples pour deux pro-
cedes d'aide a Ia comprehension qu'on peut decrire comme des
variances specialisees de la sequence analytique. La technique du
"modele de reponse" sert a assurer plus particulierement Ia coordination
des intentions en indiquant par des exemples quel type de reaction on
attend de la part de I'interlocuteur. Ainsi dans l'exemple (5): Chantal et
Zahra, qui est marocaine, parlent d'incidents racistes. Zahra vient de dire
qu'elle n'en discute ni avec ses collegues ni dans sa famille. Chantal
demande Ia raison de ce silence:
Exemple (5): "ca c'est pas mon probleme a nous " (27-30)

Z = Zahra, Marocaine
C = Chantal, Francaise
1
C: et euh: . . tu p/ tu peux me dire pour/ pour/ pourquoi/ pourquoi vows
2
C: en parlez pas . t/ t'as pas envie toi' c'est parce que t'as pas en-
3

C: vie:' ou quoi ou parce que t'as pas le temps: . . ou parce que tu t'oc-
4
C: cupes pas d(e) politique ou chepas'
Z: . gm euh c'est pas euh . mon
5
C: mhm' mhm'
Z: probldme A nous c'est probleme . la loi

On ne sait pas si Zahra avait besoin pour comprendre de la serie


d'exemples que propose Chantal. On voit seulement qu'elle les traite en
fait comme des exemples et qu'elle formule une reponse absolument in-
dependante. Mais les modeles ont pu l'aider a comprendre ce que sa
partenaire attendait d'elle.
Les locuteurs utilisent parfois le "modele de reponse" comme une
technique preventive: le "modele" accompagne et precise une question
qui pourrait poser probleme. Eviter une difficulte est moms cotheux, et
donc preferable, qu'une reparation au moyen d'une sequence analytique
complete.
On peut aussi, pour aider a la comprehension, choisir d'expliciter uni-
quement des presuppositions. Dans l'exemple suivant, la native ajoute
ce qu'elle vient de dire une precision qui permet a sa partenaire de re-

142 1 0
tablir les relations avec le contexte. Paulette, qui est en train de rapporter
a Ariane les propos d'un Japonais, s'apercoit que sa partenaire ne suit
plus. Elle s'interrompt pour apporter une precision, ce a quoi Ariane re-
agit par une marque de ratification renforcee. Ce "ah oui" rend superflu
le deuxieme renvoi au contexte (qu'on volt s'amorcer avec "je t'ai dit
que"), et Paulette s'interrompt.

Exemple (6): " Le Japon et les Japonais " (10, 2-4)

P = Paulette, Francaise
A = Ariane, lyceenne allemande

1
P: it com/ 11 ne comprend pas le systeme justement d'echec en france, .

2
P: 1/ l'echec de l'ecole que/ que ce que j(e) t'ai dit que
A: ah oui'

Ce qui est remarquable dans ce dernier exemple, c'est que Paulette


trouve sans hesiter le moyen d'aider Ariane. Elle suit apparemment de
pros le processus de comprehension et fait des hypotheses pertinentes
sur les obstacles a l'intercomprehension.14 Nous reviendrons plus loin
sur le phenomene du controle.

3. Procedes d'apprentissage: le contrat didactique

Le natif a une responsabilite particuliere pour la reussite de la communi-


cation; nous venons de montrer comment it peut aider le non-natif a
produire et a comprendre. II evitera en revanche toutes les activites d'en-
seignement, c'est-à-dire les activite de tutelle que ne justifient pas les
contraintes communicatives. Ceci signifie que nous distinguerons, parce

I4 Cette observation fait apparaitre une lacune importante dans nos analyses de la conversation
exolingue. Nous faisons comme si les natifs etaient tous competents, au meme degre et de la
merne fawn , pour assurer une communication difticile en reagissant, comme le fait P, de maniere
differenciee aux difficultes des non-natifs. Or, nous savons d'experience que l'habilete
conversationnelle des natifs nest pas innee, qu'on peut et qu'il taut apprendrea aider le
non-natif. Devant un obstacle, le natif non entraine va commencer par parler plus haut et plus
lentement, puis it va utiliser une version encore plus simplifiee du "foreigner talk". Renvois au
contexte, explicitations de presuppositions, coordination des intentions seront le fait des natifs
qui ont appris, professionnellement ou par des contacts frequents, a communiquer avec des
alloglottes. Nous n'avons pas a ce jour de descriptions de ce proces d'apprentissage chez les
natifs, ni d'ailleurs des differents "styles" ou "profils" des natifs.

141 143

COPY AVAILABLE
que les interlocuteurs le font, deux fonctions de tutelle, la "tutelle pour
communiquer" et la "tutelle pour apprendre".
On s'efforcera en communication exolingue de "faire avec". Si les
partenaires veulent "faire mieux", s'ils veulent etablir des rapports didac-
tiques, it faut une connivence speciale, qu'on a nommee tres justement
un "contrat didactique" (De Pietro/Matthey/Py 1989) et qui permet au
natif d'adopter un comportement didactique sans risquer des problemes
de figuration (Dausendschon-Gay/Krafft1991b).15 Dans nos corpus, nous
n'avons trouve que deux exemples vraiment convaincants qui montrent
la conclusion locale d'un tel contrat didactique. Nous supposons que
dans la majorite des cas, le contrat n'est pas conclu explicitement, mais
que la situation generale (par exemple sejour linguistique d'une adoles-
cente allemande dans une famille francaise) ou des specificites du rap-
port social entre deux partenaires sont telles que les interactants peuvent
se permettre des activites d'enseignement et d'apprentissage. Mais quelle
que soit la genese exacte du contrat virtue!, it s'agira toujours de le reali-
ser dans une situation precise, a un moment donne de l'interaction, de
fawn appropriee et dune maniere qui permette au partenaire de corn-
prendre l'activite actuelle comme etant une manifestation du contrat
implicite. Nous proposons de distinguer trois types de manifestation: la
Iecon de grammaire, les corrections, les activites d'offre et de prise.

3.1 La lefon de grammaire


On peut thematiser un probleme de langue. La langue est alors un sujet
de conversation pas tout a fait comme les autres, le natif etant par defini-
tion expert et juge. Dans l'exemple suivant, nous retrouvons Irma et
Veronique, cette fois au cours de la redaction d'une carte postale.

15 Nous employons le terme de "contrat' pour decrire des mecanismes de ('organisation globale des
interactions sociales: les interactants se mettent d'accord sur ce qu'ils vont faire dans la suite
(collaborer pour arriver fi un resultat commun, se parler pour menager la relation sociale, etc.), sur
('objet et sur les modalites de leur interaction, sur les activites preferentielles et dyspreferentielles;
de par la conclusion du contrat, ils del inissent aussi sa portee: le contrat restera en vigueur
jusqu'a ce qu'il soit rempli, ou renegocie ou dissolu. A bien des egards, le contrat didactique est
specifique par rapport aux autres types de contrat (Krafft/Dausendschen-Gay 1993b).

144

-4- %." 4,.


Exemple (7): " Je vas &river un lettre a toi " (6, 2-4)

I = Irma, allemande, 16 ans


V = Veronique, francaise, 16 ans
1
V: on est rests . . . jusqu'i jusqu'au
. . pourquoi ne j/ pas jusqu'au
2
V: parce que apres c'est six eh: tu mets jusqu'au quand t'es apres
ah ouais
3
V: un a a: eh e i o u mhm une voyelle quoi . . apres
A is ouais six heures

3.2 Les corrections


Nous pensons plus precisement aux corrections on le natif corrige alors
que I'alloglotte ne lui demandait rien ("hetero-corrections
auto-declenchees"). Elles peuvent etre a peine perceptibles parce que
"embedded" (cf. la correction "annees" - "ans" dans l'exemple 1), on
brutalement exposees, comme dans la situation suivante:
Exemple (8): " Conversation a table : la sauce " (18-20)

P = Allemand, 30 ans
S = amie francaise de P, 28 ans
1
P: ca me rappelle a . . si j'ai/ j'ai habite a frankfurt' . . pour cinq/
2
P: cinq annees hein' . . cinq ans
5: QUAND /pe/ QUAND j'ai habite a franc-
3
P: non PENdant QUAND
5: fort PENdant cinq annees QUAND j'ai habite pas SI QUAND
4
P: oui . j'ai pas dit si' non
5: si tu as dit si ah ben j(e) m'en souviens

Le contrat permet ou demande au natif d'enseigner. Inversement, it de-


mande au non-natif d'adopter une attitude d'apprenant, c'est-à-dire d'ac-
cepter les enseignements du natif et d'y repondre si possible par des ac-

145
tivites d'apprentissage: Ia reaction de S devant le refus de P dans
l'exemple precedent montre bien quelle aurait ate l'activite preferentielle.
L'exemple (9) est complementaire:
Exemple (9): "Moi, j'aime aussi tricoter avec la sole" (12-13)
A = Allemande, 25 ans
F = Francaise, 24 ans
1
A: ellE: doit faire de: . is tissage' avec du tissage
F: . DU tissage (bas)
2
A: et elle prefere faire ;a
F: oui & oui +

A reprend Ia forme corrigee, F ratifie: cet echange n'a d'autre sens que
de confirmer la correction, qui elle-meme ne reglait aucun probleme
communicatif, mais uniquement un &art par rapport a la norme.
Nous ne mentionnerons qu'au passage le procede encore plus scolaire
qui consiste a signaler qu'iI y a une faute et a demander a l'apprenant de
se corriger lui-meme. LA aussi, les corrections se prolongent souvent en
un echange qui souligne l'element corrige et confirme que le natif a bien
fait de prendre ('initiative d'une correction, et que le non-natif a repondu
de maniere satisfaisante.

3.3 Offre et prise

L'achevement interactif sert a combler une lacune lexicale pour achever


un enonce. C'est done un "schema pour communiquer", mais que les
partenaires peuvent exploiter comme "schema pour enseigner/pour ap-
prendre":
Exemple ( 10 ): "Des tout petites lampes dans Ia ciel" (9, 24-27)
I = Irma, lyceenne allemande
M = Mere de sa correspondante
1
I: les jeunes' euhm ne veut: pas des turcs' . et: it y a beaucoup de .

2
I: des sorts . qu'est-ce que c'est' comae ga' etrangles'
M: d'etrangles'
3
all A la/ A l'allemagne,
M: (bas) mhm' +

146 BEST Co p y ,
144 "' ?
4 4.4411L".ft4LE
L'achevement interactif est termine au moment oil Irma ratifie le mot
"etrangle" en le repetant. Mais I reprend le terme avec une intonation
montante, a quoi M reagit par une ratification. Dans cet echange, 1 et M
quittent le probleme communicatif - qui est resolu et travaillent sur le
terme lui-meme dont elles controlent la forme. Pour Bernard Py (1989)
qui analyse en detail ces echanges, les interlocuteurs transforment ici
une "donnee", un element de l'enonce, en "prise", en objet d'acquisition.
Ces indices d'un contrat didactique sont peut-etre les plus importants
puisqu'ici les activites communicatives se doublent manifestement d'ac-
tivites acquisitionnelles. Its sont cependant &heats a observer, ('intona-
tion et surtout le contact visuel jouant un role important.
4. Interaction et controle
Dans ce qui precede, nous avons essaye de decrire certaines methodes
dont se servent les interactants pour prevoir et eviler ou pour manifester
et lever des problemes d'intercomprehension. A travers nos analyses,
nous avons pu developper la notion d'obstacle en utilisant les outils
methodiques dont nous disposons en tant que conversationnalistes.
Nous avons aussi precise notre hypothese de depart selon laquelle "l'ac-
quisition d'une L2 se fait dans le cadre et an moyen de l'interaction":
l'interaction declenche des processus acquisitionnels qui, pour le reste,
se construisent selon les capacites cognitives, affectives, motrices de
I'individu apprenant. Et nous avons trouve au passage confirmation de la
these generalement accept& qui stipule qu'en milieu social, la focalisa-
tion des efforts sur le deroulement et l'efficacite de la conversation n'est
pas automatiquement favorable au declenchement des processus ac-
quisitionnels, mais qu'elle peut, selon les motivations des interactants et
selon le degre de centration sur 1:efficacite, plutot empecher ce declen-
chement: le communicationnel I'emportera dans ces situations sur l'ac-
quisitionnel, pour reprendre la formule de Klein (1989). C'est d'ailleurs
dans ce cadre general que s'expliquent les activites particulieres en si-
tuation de contrat didactique dont la finalite est d'assurer au maximum
la contribution de l'interaction au declenchement de ('acquisition.
Les donnees specifiques dont nous disposons (conversations
non-experimentales et non-soumises a des fins scientifiques) et la me-
thodologie particuliere de ('analyse ethnomethodologique des conversa-
tions permettent de preciser, au niveau des observables, des hypotheses
generales sur ('acquisition d'une L2:

147
145
l'interaction fournit des donnees dont l'individu a besoin pour
construire ses grammaires intermediaires, dites "interlangues";
l'interaction fournit le cadre social pour ('experimentation (le test d'hy-
potheses) et le developpement de Ia competence communicative (cf. a
ce propos Giacobbe 1992, 239sq);
- l'interaction fournit naturellement les evenements qui permettent
l'individu apprenant d'orienter son attention cognitive sur ce que
Klein appelle "la comparaison" de "son propre comportement
linguistique a celui que la langue cible requiert" (1989, 179);
l'interaction sociale est reglee par des normes de comportement qui
peuvent demander des activites de tutelle ou d'etayage, inciter a parta-
ger les responsabilites pour parvenir au resultat envisage, exiger d'of-
frir, pour permettre de progresser, des "modeles de faire", et qui peu-
vent ainsi contribuer a ('acquisition. C'est surtout ce dernier point que
nous avons examine.
Cependant, et on l'a souvent dit, ('observation et !Interpretation des
methodes interactionnelles d'intercomprehension ne peuvent pas
constituer la seule base d'une theorie de ('acquisition, pour laquelle elles
ne sont qu'un element parmi d'autres. On souligne avec raison la multi-
plicite des facteurs qui influent sur ('acquisition, et en particulier !Impor-
tance des facteurs emotifs/motivationnels ou situationnels. Dans cette
derniere partie de notre contribution, nous allons essayer d'integrer nos
observations et hypotheses dans une perspective plus generale en refor-
mulant quelques-uns de nos resultats par rapport a la notion de
"controle" qui semble constituer une sorte de base de toute activite ac-
quisitionnelle. Notre argumentation suivra celle de Gaonac'h (1987) sur
la conception de simplification/facilitation : Ia simplicite n'est pas une
qualite des materiaux linguistiques en soi ; on peut montrer que c'est
plutot la facon dont les materiaux sont present& pour le traitement qui
peut faciliter la Cache cognitive de l'apprenant.
Les theories cognitives actuelles semblent etre d'accord pour dire que
l'action intentionnelle et l'emploi de systemes symboliques necessitent
l'exercice d'un controle permanent du systeme cognitif individuel. Le
modele de l'activite redactionnelle de Hayes-Flower (1980) par exemple
introduit un "monitoring" qui exerce un controle tout au long du proces-
sus redactionnel et qui permet la coordination des activites; le modele de
Levelt (1988) permet au "moniteur" d'intervenir a tout moment dans le
processus de la production orale; Bruner propose l'idee de la conscience
necessaire a Ia genese de la competence communicative de l'enfant;

148
Gaonac'h (dans un "debat" avec Krashen 1987, 151 sqs) et Klein (1989)
appliquent les conceptions cognitives au processus de Ia produc-
tion/comprehension d'une L2 tout en proposant des elements de reponse
aux questions fondamentales:
I) Qu'est-ce qui permet l'activite de controle ?
Reponse: Un systeme cognitif qui peut construire les objets de son
activite et qui se trouve en interaction permanente avec son environ-
nement.
2) Sur quoi le controle s'exerce-t-il ?
Reponse: Sur des unites d'action verbales qui peuvent etre percues
par l'individu apprenant et qu'il peut construire lui-meme pour agir;
dimensions concernees: linguistique (correction), pragmatique
(situation), face et role.
3) De quelle maniere le controle se manifeste-t-il ?
Reponse de Klein: Surveillance (immediate, coordonnee), retroaction
(differee), reflexion (activite meta apres-coup; cf. egalement Vasseur
1990a, Gaonac'h 1989, 202 sqs). Nous nous concentrerons dans ce
qui suit sur cette troisieme question.16
Pour Bruner discutant les travaux de recole de Chomsky, l'etre hu-
main dispose avant toute acquisition linguistique d'une "disposition a la
signification" ("readiness for meaning"), de "representations protolin-
guistiques du monde" ("protolinguistic representations of the world") qui
le rendent apte a chercher et a trouver du sens dans Ia situation, le corn-
portement de ses partenaires et, bien sal-, dans leurs activites langa-
gieres.I7 Si nous acceptons cette position et si nous l'appliquons a Ia si-
tuation de communication exolingue, it est bien clair que l'activite prin-

16 Nous ne pouvons evidemment rien apporter a la premiere question, et les tits importants proble-
mes de la constitution des unites depassent largement le cadre de cette contribution.Cf. a ce
propos les chapitres 5 et 6 de Klein (1989), les notions de contextualisation et de mise en scene
chez Gumperz et chez Kallmeyer/Schmitt (1991), les elements d'une theorie de la formulation
verbale chez GOlich (1993), le rapport final du projet ESF.
17 Bruner (1990, 70-72): "From vast research literature [Chomsky and successors, K/D.G.1 emerged
three claims about early acquisition, all of which can guide us in our search for the biology of
meaning. [...] The third conclusion is really a dense summary of the first two: the acquisition of a
first language is very context-sensitive, by which is meant that it progresses far better when the
child already grasps in some prelinguistic way the significance of what is being talked about or of
the situation in which the talk is occurring. With an appreciation of context, the child seems better
able to grasp not only the lexicon but the appropriate aspects of the grammar of a language. [...]
Not surprisingly, then, I think the case for how we 'enter language' must rest upon a selective set
of prelinguistic 'readiness for meaning'. That is to say, there are certain classes of meaning to
which human beings are innately tuned and for which they actively search. Prior to language,
these exist in primitive form as protolinguistic representations of the world whose full realization
depends upon the cultural tool of language."

1 47 149 .
cipale de l'apprenant sera de construire a partir d'un ensemble de don-
flees linguistiques et non-linguistiques une signification de l'activite de
son ou de ses partenaire(s). II va interpreter ces donnees dans son inter-
langue actuelle (son "lecte" dans la terminologie de Klein) et en appli-
quant des regles generales d'inference et de construction d'hypotheses.
II est fort probable que la production verbale en L2 mettra en oeuvre les
memes systemes de regles, bien que les processus cognitifs soient par-
tiellement differents. Le controle que I'individu exerce sur sa production
et sa perception va se manifester entre autres par des auto-corrections,
des activites de negociation de signification, des appels a l'aide, etc. Ce
qui nous concerne tout particulierement dans le cadre de nos travaux,
c'est la dimension interactive de ce controle que nous allons etudier
brievement en reprenant a Ia ligne 3 l'extrait de Ia conversation d'Irma
avec Veronique et Marcel (cf. supra exemple I):

Exemple (11): (cf. exemple 1, 3-6)


1
M: (...) 11 y a longtemps' . . . oui mais . combien
ehm pour un semaine'
2
M: de/ c'est QUAND . QUAND . A quel moment,
. ehm: . devant avant

M: hm
I: avant' devant' 11 y a
V: it y a,

En reponse a la question de Marcel: "il y a longtemps ?", Irma a


construit un enonce qui concerne l'evenement dont ils sont en train de
parler (son premier sejour a Paris) et qui porte sur la duree temporelle
( "longtemps "). Par rapport a ce qui precede dans !'interaction, le seul
trait nouveau est 'duree', et c'est a ce trait qu'Irma repond. II se trouve
que son interpretation de l'enonce de Marcel est eronnee: M corrige le
trait 'duree' en 'moment dans le passé' ( "quand, a quel moment") et Irma
comprend son erreur. Ce type de controle n'est possible que dans !'inter-
action: Marcel fait !Interpretation de la reponse d'Irma en tenant compte
de ('intention et de Ia forme de sa propre question, travail dont Irma
seule serait bien incapable.
La suite de !'interaction montre les resultats de cet hetero-controle:

150

18
Marcel aura la reponse preferentielle a sa question (Irma produira le
"second turn" approprie au "first turn" de Marcel);
l'interlangue d'Irma sera destabilisee par rapport a l'element "il y a"
(elle comprendra la plurifonctionnalite de cette forme);
Irma exercera un controle en testant sa construction autour des traits
'dui-6e' et 'moment dans le passe' par sa reponse a la ligne 10/11
(exemple 1).
Rappelons brievement quelques exemples qui presentent d'autres
variantes du controle interactif
- le natif est appele a faire un effort supplementaire de ratification ex-
plicite dans les sequences de recherche lexicale; plus I'effort du
non-natif est grand pour se faire comprendre, plus le natif lui dira qu'il
a reussi, que ce qu'il vient de produire passe bien;
les hetero-corrections du type "ans" -> " annees" (exemple 1), "de la
tissage" -> "du tissage" (exemple 9);
les recherches lexicales: quand Irma demande a ses partenaires de
decider entre "devant" et "avant" (exemple 1), elle demande un he-
tero-controle; cette alternative dans l'interlangue de l'apprenant
semble constituer ce que Klein appelle une "regle critique";
les formulations approximatives, parfois enigmatiques, des non-natifs,
qui demandent un travail commun de negociation, d'explication et de
proposition de modeles: "le soir, dans la ciel, it y a des petits lampes"
pour "etoiles", "tu veux me faire un gateau" pour "tu veux que je fasse
un gateau";
les demandes d'explication/de repetition qui vont de l'assez
simple("absent" dans l'exemple 3) au tres complexe en situation de se-
quence analytique.
Parfois, le travail du natif semble etre particulierement difficile. Pour
comprendre la production du non-natif, it doit en faire une "traduction
intralinguistique" qui implique d'un cote la comparaison avec le modele
natif, de I'autre la construction d'hypotheses sur les significations (en in-
ferant a partir des donnees verbales et situationnelles de ('interaction); le
natif va inconsciemment developper des hypotheses sur les
competences de son partenaire, puisque son systeme cognitif va
automatiquement chercher la regularite et la congruence interne dans
les donnees communicationnelles du non-natif; a partir de cette idee
plutOt vague sur l'interlangue de son interactant, it va ajuster sa propre
production pour pouvoir mener a bien la communication. La difficulte
de ce travail qui demande simultanement des activites de bas niveau et

151
de haut niveau (cf. Gaonac'h 1987) se manifeste dans l'exemple suivant
ou Ia centration sur le niveau bas induit le natif en erreur:
Exemple (12): " Dans un café " (2, 4-10)

I = Irma, lyceenne allemande


M = Mere de Ia correspondante d'Irma
1
I: . et euhm . . . oui et et . tout A coup' non pas tout A coup' tout * A
M: oui tout A coup
2
I: coup' ehm . ils euh: . (en riant) ils vient + chez nous' . . et . hm

I: (fait claquer sa longue) quand nous a . . /kote/' non, . . . euhm


4
I: quand . nous . (rire) + quand nous' . les a coute' . sa merche'
M:
5
I: non' heuhm', . . euhm . . on assis' . la' et it vient'
M: non . hm . oui'
6
I: et: nous ecoute que (?ils euh)
M: quand on les a ecoutes' . quand on a entendu
7
ouais' euhm . on marche . on on ouais
M: qu'ils arrivaient' on est parti,
8
I: on est parti, . mais euh .

5. Elements pour l'analyse du SLASS


Pour conclure, nous reprenons !Id& du SLASS, du "Second Language
Acquisition Support System", que nous avions formulee a Ia suite du
"LASS" de Bruner. Postuler le SLASS, c'est faire l'hypothese que
une L2 s'acquiert aussi dans l'interaction;
l'interaction exolingue offre des particularites qui aident l'apprenant
traiter les donnees comme des objets d'acquisition, a les transformer
en "prises" (Py 1989);
ces particularites peuvent etre (Writes comme un ensemble structure,
un systeme social qui interagit avec le systeme cognitif de I'apprenant
et declenche ou favorise certaines des activites cognitives liees a ('ac-
quisition.
Nous pouvons a present tenter d'esquisser la structure du SLASS. Le
SLASS se constitue dans l'interaction quand les partenaires prennent et

152

150
acceptent de jouer les roles du natif et du non-natif, de l'expert en L2 et
du novice. Ainsi s'institue un rapport de tutelle qui se manifeste dans la
frequence de certaines activites: le non-natif demande et accepte des
explications que le natif lui donne ou meme lui propose; le natif aide ou
propose d'aider le non-natif dans ses activites de production discursive ;
les deux partis se demandent mutuellement un grand nombre de repara-
tions; le non-natif fait savoir qu'il ne sait plus ou it en est et accepte que
le natif retablisse la coordination, etc. Ces activites apparaissent egale-
ment dans la conversation endolingue, mais occasionnellement et entou-
rees d'un luxe de precautions qui dit assez qu'elles menacent les faces
des partenaires. Dans une conversation au contraire ou les partenaires
on institue un rapport de tutelle, de telles activites peuvent apparaitre de
facon recurrente sans menace pour quiconque.
Le rapport de tutelle se manifeste dans trois domaines qui correspon-
dent chez l'apprenant a trois types de deficits, et qui sont le controle de
la production discursive et de la comprehension, le repertoire lexical et
morpho-syntaxique et le savoir faire qu'il faut pour maintenir la coordi-
nation entre les partenaires.
1. Le non-natif ne sait pas controler comme it le fait en LI sa
production discursive, c'est-A-dire qu'il est incapable de juger si ce
qu'il dit correspond a ce qu'il a ('intention de faire savoir.
Inversement, it nest pas stir d'inferer correctement a partir de ce qu'il
percoit les intentions de son partenaire. ll se dechargera sur le natif
d'une partie de sa responsabilite (cf. supra 4). Le natif exerce donc un
controle continu pour detecter les problemes de production et de
comprehension que le non-natif ne percevrait pas lui-meme et pour
les regler le cas &Mani C'est un cas de "regulation par I'autre" que
le non-natif apprendra peu a peu a remplacer par "('auto- regulation ".
Nous n'avons etudie qu'une partie des activites qui favorisent cet
apprentissage, les activites d'explication et d'explicitation (cf. infra).
2. Le non-natif ne dispose pas toujours d'un repertoire suffisant de mots
et de structures. Les lacunes qu'il signale ou que le natif repere de-
clenchent des sequences "d'achevement interactif" (production) ou
d'explication (comprehension). Ces activites sont liees chez I'appre-
nant a un travail sur le code (paradigme, definition, conditions d'em-
plois etc.; cf. supra 2.1) qui devrait favoriser l'enrichissement du
repertoire.
3. Quand le non-natif ne parvient plus a trailer les enonces et la situa-
tion de facon a maintenir la coordination de ('attention, des
153
X51"
intentions et des presupposes, coordination qui est le fondement
meme de la communication, le natif analyse et explicite devant Iui,
sa demande et a son profit, les elements constituants de la situation.
On peut considerer ces sequences comme de veritables travaux
pratiques d'analyse (cf. supra 2.2).
Les interactants traitent les problemes que nous venons de mentionner
dans des sequences laterales: ils interrompent l'activite principale et por-
tent leur attention sur la langue ou sur le discours. Le travail sur le Ian-
gage se poursuivra autant que necessaire, c'est-à-dire jusqu'a ce que
l'obstacle soit !eve, et pas un instant de plus. Autrement dit, ces activites
sont strictement subordonnees aux besoins de la communication. Les
retenir pour la description du SLASS, c'est preciser en quoi n'importe
quelle conversation que les interlocuteurs assument comme exolingue
peut declencher et favoriser l'acquisition. C'est la le cas general du
SLASS.
II faut distinguer de ce cas general les situations oil les partenaires ont
conclu un "contrat didactique" (cf. supra 3). Le contrat didactique
permet des activites d'enseignement et d'apprentissage, des activites
donc que ne justifient pas les besoins de l'intercomprehension. Comme
it s'exerce localement et se conclue pour une situation ou pour une
duree indeterminee, on le considerera systernatiquement comme une
composante facultative du SLASS. Mais c'est avant tout le moyen dont
se servent les interactants pour garantir aux elements du SLASS, en
levant les contraintes de l'efficacite communicative, un maximum
d'efficacite acquisitionnelle.

Universitat Bielefeld Ulrich KRAFFT


Fakultat fur Linguistik Ulrich DAUSENDSCHON-GAY
und Literaturwissenschaft
D-33615 Bielefeld

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Conventions de transcription

rupture perceptible de l'enonce sans pause


interruption tres courte dans un enonce ou entre
deux econces
pause courte
pause moyenne
(x sec) pause de x secondes
enchainement rapide
intonation montante
intonation montante avec changement de registre
intonation descendante
intonation descendante avec changement de
registre
intonation implicative
MALIN ROse Bar accentuation d'un mot / d'une syllabe / d'un son
oui: et::: n:on allongement d'une syllabe / d'un son
(en)fin a(I)ors articulation relfichee
(?toi aussi) (partie d'un) &lona incertain
(9 (partie d'un) enonce incomprehensible
(bref) + (rit) + commentaire du transcripteur; precede
(ironique) + l'enonce qu'il caracterise et reste
(souriant) + valable jusqu'au signe "+"
A bonjour Jean ca * va' chevauchement: le debut est marque par la
B sa:lut* disposition typographique, Ia fin par les
asterisques
/pf/ /dakoa/ transcription phonetique

158
156
Communication exolingue et contextes d'appropriation:
Le continuum acquisition/apprentissageo
Les recherches sur l'appropriation des langues et la communication in-
terlinguistique ont donne lieu a diverses constructions notionnelles, dont
plusieurs s'identifient en termes dichotomiques: acquisi-
tion/apprentissage, endolingue /exolingue, interlanguelinterparole,
communication /apprentissage, mais aussi par exemple uni-
lingue/bilingue, explicite / implicite, etc., sans parler de langue mater -
nelle/langue non maternelle (etrangere, seconde), cette derniere distinc-
tion etant en quelque sorte a I'origine des autres.
1. Sur ces dichotomies, on peut déjà proposer quelques observations
liminaires:
elles sont d'origines diverses, soit importees, soient creees "sur me-
sure" pour le domaine. Importees a diverses sources theoriques de
la linguistique generale (interlangue /interparole via langue /parole),
de la psychologie developpementale (acquisition /apprentissage); ou
creees sur mesure comme exolingue/endolingue, guide /non guide,
homoglottelalloglotte. Dans les deux cas, elles renvoient, separement
ou conjointement, a Ia langue (aux langues), a l'appropriation et/ou
aux contextes d'appropriation et de communication.
s'il y a importation, les notions connaissent inevitablement un proces-
sus de "naturalisation" qui les dote d'un nouveau statut, en les
remodelant pour les faire entrer dans une autre problematique. Ainsi,
Ia distinction entre acquisition et apprentissage, s'il s'agit d'une
langue etrangere, n'a pas le meme statut que chez les psychologues de
('apprentissage. De meme pour processus et strategies, distinction
qu'etablissent de facons diverses les psychologues de ('apprentissage,
les psycholinguistes et les chercheurs sur ('acquisition /communication
en langue etrangere. Ou pour interlangue et interparole, distinction
Fiera& des dichotomies saussurienne (langue /parole) et chomskyenne
(competence /performance).
le probleme terminologique n'est pas IA un epiphenomene, mais bien
un revelateur et un vecteur des &bats epistemologiques : d'une part, la
reflexion et l'echange de recherche ont besoin de mots pour fixer, de

o Ce texte presente une version modifiee de ('expose fait au seminaire de troisierne cycle romand,
Cartigny, le 15 mai 1992.
159

157
facon outilliere, en les baptisant, les notions et les concepts; d'autre
part, le discours de recherche, et de diffusion de la recherche, a besoin
dune terminologie, a vocation consensuelle, pour dire et convenir de
quoi on pane et sur quoi on s'interroge : l'innovation et les choix ter-
minologiques contribuent a construire une problematique en
obligeant a definir et a redefinir ses objets et ses outils. Ainsi, l'utilite
et la necessite d'un terme hyperonymique comme appropriation,
propose par les linguistes de Neuchatel, recouvrant acquisition et
apprentissage, aide a la fois a interroger et au besoin a neutraliser la
distinction acquisition/apprentissage. De meme, la distinction entre
strategies d'apprentissage et strategies de communication meme
non couverte, celle-ci, par un terme hyperonymique a aide a
constater que les memes strategies pouvaient servir tantot, ou
simultanement, a apprendre et/ou a communiquer, et a mettre en
evidence ('imbrication profonde entre les processus d'appropriation et
de communication en langue etrangere.
dans le domaine de l'appropriation des langues et de la communica-
tion en langue etrangerel, les diverses distinctions posees par des
moyens terminologiques n'entrent pas dans une ordonnance taxino-
mique, selon des relations entre notions ou concepts superordonnes et
subordonnes (comme dans des modeles de sciences exactes), mais
plutot dans des relations de croisement, aux configurations diverses,
que peuvent illustrer par exemple des schemas a trois (ou davantage)
dimensions. Ainsi, des relations entre unilingue /bilingue et endo-
lingue/exolingue (voir plus loin), ou entre acquisition /apprentissage et
langue maternelle /langue etrangere.
Ilsemble bien que, de facon generale, les termes, et les notions elles-
memes, renvoient aux trois entites (langue, apprenant, contexte) qui ser-
vent de reperes theoriques et empiriques a Ia recherche sur l'appropria-
tion d'une langue etrangere (ALE) et sur la communication en langue
etrangere (CLE)2. Ainsi, le couple endolingue /exolingue renvoie a la fois
a Ia composante "langue" et a la composante "contexte"; le couple ac-
quisition /apprentissage renvoie a la fois a Ia composante "apprenant" et
a la composante "contexte". La nature meme de ces interrelations, dans

I Cette distinction entre appropriation et communication en fournit elle-merne un exemple.


2 Dans la litterature francophone ouest-europeenne recente, on pane desormais plus souvent
d'interaction en langue etrangere.
160

158
des contextes diversifies d'appropriation et/ou de communication, amene
a interroger les dichotomies, du double point de vue terminologique et
notionnel.
On presentera, dans cette perspective, quelques breves reflexions au-
tour des couples endolingue /exolingue et acquisition /apprentissage
pour montrer comment des dichotomies initiales aident a explorer, en
termes de continuum3, Ia complexite des realites empiriques.
2. La distinction triviale entre "langue maternelle" et "langue etrangere
(ou seconde)", qui refletait les preoccupations didactiques des re-
cherches initiales sur ('ALE, s'est aver& peu operatoire, car trop restric-
tive, dans la mesure oh elle caracterise la (une) langue a Ia fois par rap-
port a un locuteur-apprenant et par rapport a un contexte d'apprentis-
sage : on est locuteur natif ou non natif d'une langue qu'on etudie ou
qu'on utilise comme langue "maternelle" ou "etrangere".
La distinction entre endolingue et exolingue visait, dans un premier
temps (Porquier 1979 et 1984) a identifier et apprehender comme un ob-
jet en soi la communication entre natifs et non natifs (exolingue), qu'elle
s'inscrive ou non dans un contexte d'appropriation. Avec le presuppose
que la communication exolingue ("par des moyens autres qu'une langue
maternelle commune aux participants") comporterait des traits speci-
fiques. A condition d'envisager de facon bilaterale la communication
langagiere, du non natif vers le natif et du natif vers le non natif. Et de
prendre en compte divers parametres de la situation de communication,
parmi lesquels la connaissance respective des idiomes mobilises dans
('intercommunication.
Au-delh de la commodite terminologique recherchee, la notion,
d'abord floue, de communication exolingue (comme la distinction endo-
lingue/exolingue) est assez vite apparue comme de nature a cerner, en la
conceptualisant, une dimension fondamentale de la problematique de
('ALE.
Tout d'abord, elle permettait d'envisager de facon elargie l'eventail des
situations d'appropriation et de communication impliquant un contact et
un echange langagiers autres qu'entre locuteurs d'une meme langue
maternelle, cette derniere situation constituant la reference habituelle
pour la linguistique et les sciences du langage.

3 On utilisera desormais, pour continuum, le pluriel continuum (au lieu de continua ou continuums).
161

159.
Ensuite, elle permettait de situer l'interlangue et l'interparole dans leur
contexte specifique, sans les referer a priori, de facon differentielle, a des
objets (Ia langue, l'acquisition du langage, la communication entre locu-
teurs natifs) auxquelles elles renverraient ou dont elles se distingue-
raient en quelque sorte par Malt. En ce sens, la communication exo-
lingue pourrait en effet n'apparaitre, au plan theorique, que comme une
extension au plan communicatif de la notion d'interlangue : la commu-
nication exolingue differerait de la communication endolingue tout
comme l'interlangue differe de la langue du natif. Or, l'interlangue est
bien a Ia fois le produit et l'instrument de la communication exolingue,
manifest& par l'interparole.
La notion de communication exolingue depasse alors, sans l'exclure
mais au contraire en !Integrant, la problematique traditionnelle des
contacts de langue (Weinreich 1953), selon laquelle la communication
entre natifs et non natifs representerait un cas, parmi d'autres, de la ren-
contre de langues et pourrait etre abordee en premier lieu soit en termes
linguistiques l'influence d'une langue sur une autre soit en termes de
bilinguisme la coexistence et la permeabilite entre deux systemes lin-
guistiques chez un individu ou dans une communaute. tin autre point de
vue, en effet, consiste a s'interroger sur Ia fawn dont les facteurs et les
determinations de Ia communication exolingue, dans son extension la
plus large, peuvent expliquer l'emergence et le fonctionnement de sys-
temes langagiers et de conduites langagieres specifiques, susceptibles
d'observation, de description et d'analyse.
Cette problematique renvoie a celle de Ia communication bilingue
(voir Grosjean 1984 et De Pietro 1988) mais aussi a l'etude des pidgins,
des sabirs et, plus largement, a celle des idiomes vehiculaires. Ainsi, les
phenomenes de pidginisation et de creolisation que Ion a pu chercher a
identifier dans l'ALE contribuent a decloisonner des domaines d'investi-
gation connexes, en confrontant, a travers des systemes langagiers diffe-
rents, des similitudes ou des analogies susceptibles d'eclairer certaines
dimensions du langage humain (voir Pujol &Veronique 1991, pp 24-29).
Le choix du terme "exolingue" (Porquier 1979 et 1984) pour identifier
un ensemble de situations de communication a fait ]'objet de tatonne-
ments et d'hesitations avant de deboucher sur un choix qui se voulait
provisoire. Il s'agissait, d'une part, d'identifier, en le denommant, un ob-
jet de recherche déjà en construction; d'autre part, de proposer une
denomination commode, economique et pratique. En complement a coin-

162

160
munication et a situation, deux paradigmes etaient en jeu. D'une part, celui
de -lingue, renvoyant a la notion de systeme linguistique; d'autre part,
celui de exo-, renvoyant a la dimension interlinguistique et intercultu-
relle de la communication entre natifs et non natifs. La conjonction entre
les deux paradigmes, pour forger un terme suffisamment court, suffisam-
ment englobant, et suffisamment explicite (motive), ne pouvait ignorer
les valeurs denotatives et connotatives des elements a retenir, ni les
usages déjà installes dans la terminologie peu homogene des sciences
du langage et dans la recherche sur l'ALE et la communication intereth-
nique.
Le second paradigme (-lingue ?, -glotte ? ou -glossie ? ) sollicitait in-
evitablement des termes et des usages déjà repandus (unilingue, mono-
lingue, bilingue, plurilingue, diglossie) et des formations lexicales di-
verses (glossolalie, glottocentrisme) : -lingue paraissait plus transparent
que -glotte, et plus voisin de formes déjà installees (interlangue, intra-
lingual) dans la recherche sur l'ALE, avec !Inconvenient de &rioter "Ia
langue" (avec ses diverses acceptions, scion les concepts linguistiques
de reference : langue/parole, langue/dialecte, langue/creole/pidgin, etc.)
au detriment de systemes langagiers autrement denommes. Mais -lingue,
s'il fallait choisir, nous paraissait avoir une vocation hyperonymique plus
large et plus neutre que d'autres.
Pour le premier paradigme, inter- etait déjà mobilise par interlangue
et par divers emplois de interlinguistique. Dia- et trans- etaient envisa-
geables, qui n'excluaient pas le caractere bilateral de Ia communication
entre natif et non natifs4. Exo-, faisant paire binaire avec endo- paraissait
de nature a denoter certains aspects de ce type de communication, en
fai sant paradigme avec exogene, exoculturel, exocentrique, etc.
L'ambiguIte denotative ("vers le dehors") et connotative (exotique ne fait
pas paire avec *endotique) de exo- risquait, nous le devinions, de faire
associer a exolingue un signifie etroit tel que "communication du natif
avec le non natif" ou "communication du non-natif avec le natif". De fa-
wn restrictive par rapport a notre propos, car nous souhaitions englober
sous ce terme la dimension bilaterale des echanges entre natif et non
natif, et donc leur caractere duel et doublement asymetrique. c'est-A-dire

4 II serait interessant, de ce point de vue, d'etudier le champ terminologique de translinguistique,


interlinguistique, interlangagier, interlangue, depuis les annees 1970, dans la litterature
specialisee.
163

161
aussi bien Ia communication en langue etrangere (pour le non natif) que
la communication du natif avec le non natif.
Enfin, le compose parasynthetique exolingue, par son caractere ety-
mologique hybride (grec-latin) illustrait par ailleurs, de facon allusive-
ment symbolique, la dimension translinguistique (ou inter-linguistique)
de Ia communication "par des moyens autres qu'une langue maternelle
commune".
Ainsi, parler de communication exolingue impliquait a la fois de defi-
nir ce terme par opposition a celui de communication endolingue (en
langue maternelle entre natifs d'une meme langue) et de referer a Ia
specificite hypothetique de la communication entre natifs et non natifs.
Mais la definition initiale (communication entre locuteurs natifs et non
natifs d'une langue donnee) devenait trop restrictive, excluant le cas de
locuteurs natifs d'une meme langue communiquant entre eux dans une
langue autre, ou celui de locuteurs natifs de deux langues differentes
communiquant entre eux dans une langue tierce. Dans tous les cas envi-
sages, la communication exolingue ne pouvait se caracte'riser simple-
ment par les langues maternelles respectives des interlocuteurs, ni par le
choix d'une langue d'interaction. Elle devait, par hypothese, se definir
plus largement, selon une diversite de parametres et de facteurs, comme
le produit de situations dans lesquelles les partenaires ne disposent pas
d'une langue maternelle commune ou choisissent de communiquer par
d'autres moyens.
Le parametre linguistique, s'iI est premier, ne constitue pas le seul de-
terminant de la communication exolingue. Des cinq parametres que
nous avions poses dans Porquier 1984 (les langues ou idiomes connus
des participants, le milieu linguistique de l'interaction, le cadre situation-
nel de l'interaction, le type d'interaction, le contenu de ('interaction),
seuls les deux premiers etaient schematises selon une typologie de cas.
L'interrelation evidente entre ces deux parametres et les trois autres sug-
gerait des developpements ulterieurs.
11 a ete par la suite abondamment montre
1° que Ia definition initiale etait trop sommaire, la communication exo-
lingue pouvant etre definie de facon plus large par l'asymetrie et la
divergence entre les codes respectifs des participants, ce qui ne sau-
rait se reduire a l'opposition entre langue maternelle et langue etran-
gere mais concerne egalement des situations de communication
entre locuteurs natifs d'une !name langue (Py 1987).

164

62
2° que ('examen et ('analyse de traits presumes specifiques de Ia com-
munication entre natifs et non natifs mettait en evidence et en relief
des phenomenes communicatifs (negociation, ajustement, cogestion
metalangagiere et discursive) egalement a ('oeuvre dans Ia communi-
cation entre natifs (Trevise & De Heredia 1984).
3° que la distinction endolingue/exolingue devait prendre en compte
une autre dimension, unilingue/bilingue (Grosjean 1984, De Pietro
1988), en fonction des codes linguistiques respectifs de participants
non monolingues et de leur emergence dans l'interaction.

Dans la presentation propos& par De Pietro (1988), les deux axes endo-
lingue/exolingue et unilingue/bilingue, chacun figurant un continuum, se
croisent de facon a envisager une typologie de situations de contacts
linguistiques ("quatre formes de communication prototypiques: l'endo-
lingue/unilingue, l'exolingue/unilingue, l'exolingue-bilingue, l'endo-
lingue/bilingue", p 71), caracterisees d'une part par les repertoires res-
pectifs (codes ou lectes) des participants, d'autre part par Ia presence
d'un ou deux (ou plusieurs) lectes (ou codes) dans l'interaction. Ainsi, si
le bilinguisme relatif de l'un ou deux des participants n'implique pas a
priori que l'interaction soit bilingue c'est-A-dire manifeste Ia presence
de traits linguistiques de plus d'une langue , la communication bi-

lingue, manifest& par la presence de tels traits, implique ce bilinguisme


chez l'un au moins des participants.
Certaines implications de ce modele typologique sont claires: si lion
examine les poles de ('axe endolingue/exolingue, on aurait, a un ex-
treme, I'endolingue "extreme": represente par Ia communication entre
locuteurs natifs "unicodes", ou excluant les divergences ou asymetries
entre leurs codes respectifs, par exemple dans des situations neutralisees;
a l'autre extreme, la communication entre locuteurs monolingues de
deux langues differentes, chacun ignorant tout de la langue de l'autre.
Dans ce dernier cas, on aurait affaire a une communication "bi-uni-
lingue", chacun s'exprimant dans sa langue et donc, mise a part la di-
mension paralinguistique dans la communication en face .a face, une
communication voisine de zero, sauf s'il s'agit de langues voisines per-
mettant quelque intercomprehension. De telles situations, bien que fre-
quentes, ont forcement ete peu etudiees. On trouvera cependant, dans
Bremer & al.(1988) des observations sur des echanges exolingues (a des
stades initiaux d'acquisition dune langue etrangere par des adultes mi-
grants) proches de cet extreme.
165

163
Or, les recherches sur Ia communication exolingue, qu'elles s'inscri-
vent ou non dans une perspective developpementale, impliquent tou-
jours un certain degre de bilinguisme chez I'un au moins des partici-
pants. Quiconque communique dans une langue etrangere, meme a un
niveau rudimentaire d'appropriation de cette langue, dote la situation
d'une dimension bilingue au moins potentielle, quels qu'en soient les
manifestations et les traces dans l'interaction. En ce sens, Ia dimension
bilingue de Ia situation constitue l'une des composantes et l'un des re-
Ores du continuum endolingue/exolingue. D'autre part, dans le cas d'un
niveau developpe de bilinguisme chez I'un des participants (jusqu'aux
cas prototypiques d'equilinguisme), et si l'autre est lui-meme mono-
lingue, Ia communication pourra se rapprocher de Pendolingue.extreme.
On volt ainsi:
I° que Ia distinction unilingue/bilingue contribue a eclairer et a affiner la
representation du continuum endolingue/exolingue : si I'on tente de
&placer sur l'axe endolingue/exolingue un curseur qui localise et
identifie, entre les deux extremes, diverses zones de ce continuum, le
deplacement de ce curseur serait fonction, partiellement au moins, du
continuum uni I i ngue/bi lingue
2° que la distinction entre situation exolingue et communication exo-
lingue apparait pertinente. On a dune part des parametres, qui ren-
voient aux deux axes (endolingue/exolingue et unilingue/bilingue)
comme composantes de Ia situation; d'autre part des instances de
communication (des "evenements langagiers", pour De Pietro 1988)
qui, de facon variable, mobilisent et actualisent ces composantes. La
competence bilingue respective des interlocuteurs n'est pas un pre-
dicteur de Ia nature unilingue/bilingue de Pechange, mais l'un des pa-
rametres de l'observation.
Par ailleurs, la distinction endolingue/exolingue, dans sa mise en place
progressive, a fait l'objet de derives ou de malentendus. Inspiree a l'ori-
gine par une problematique didactique, dont elle s'est progressivement
detachee, sans l'exclure, elle a ete utilisee ici et la pour caracteriser, en
terme de "milieu", le contexte d'apprentissage dune langue etrangere
(apprentissage "en milieu exolingue" : apprentissage d'une langue etran-
gere dans un pays oil cette langue nest pas parlee vs apprentissage "en

166

1G4
milieu endolingue" : apprentissage d'une langue etrangere dans un pays
oti cette langue est parlee5). Cette distinction, pertinente en soi quant
une problematique des contextes d'appropriation (voir 3. ci-dessous) a
'Inconvenient de produire un brouillage terminologique et notionnel, en
transposant au plan du contexte linguistique d'apprentissage une dis-
tinction terminologique portant essentiellement sur les situations de
communication6. Dans un contexte d'enseignement/apprentissage, l'en-
vironnement (le "milieu") linguistique et sociolinguistique de ('apprentis-
sage constitue bel et bien un parametre, parmi d'autres, des situations de
communication. Mais la dichotomie fond& sur le "milieu" est alors su-
bordonnee a celle qui fonde les continuum endolingue/exolingue et uni-
lingue/bilingue (au sens entendu plus haut), et demande elle-meme
etre examinee en termes de continuum : ainsi, la classe de langue
etrangere constitue de fait, a sa maniere, un milieu bilingue, et
I'environnement linguistique exterieur a Ia classe peut lui-meme, sous
des formes diverses etre un milieu bilingue, voire plurilingue (cf par
exemple Reid 1988).

3. La distinction acquisition /apprentissage constitue un autre lieu d'in-


terrogation des dichotomies et des continuum. Elle s'inscrit dans la pro-
blematique des relations entre apprenant, langue et contexte.
Initialement import& de Ia psychologie developpementale et de la psy-
chologie cognitive, elle s'est trouvee progressivement adapt& et modi-
fiee dans la recherche sur ''appropriation des langues (le terme hyper-
onymique d'appropriation recouvrant acquisition et apprentissage).
D'une part, pour caracteriser des processus d'appropriation
(conscient/non conscient, explicite/implicite), d'autre part pour caracteri-

5 "Dans le pays o0 elle est enseignee, la langue a soit un statut de langue etrangere, soit un statut
de langue officielle, seconde ou privilegiee [...] la situation LE envisagee correspond a ce que Ion
appelle communement apprentissage en milieu exolingue (ex. apprendre le frangais en
Allemagne, en Thailande)" (G.Gschwind-Holtzer : "Libre parcours autour de la notion de frangais
langue seconde". BULAG, n° 16, 1990, p. 7);
"Pour les didacticiens, it peut etre de quelque interet d'utiliser ce couple d'adjectifs pour
distinguer deux types de situations d'enseignement dune langue etrangere:
le cas o0 cet enseignement est dispense dans un pays o0 ion parle la langue enseignee, et nous
parlerons dans ce cas de milieu endolingue
- le cas 00 it est dispense dans un pays o0 Ion pane une autre langue que la langue enseignee
et nous parlerons dans ce cas de milieu exolingue." (L. Dabene, & al. : Variations et rituels en
classe de langue. Paris, Credit-Hatier, coll. LAL, 1990, p. 9) .
6 On trouvera dans Dabene, L.: Reperes sociolinguistiques pour l'enseignement des langues.
(Paris, Hachette, coll. F, serie References, 1994) de nouvelles propositions pour demeler cet
imbroglio terminologique.
167

BEST COPY AV
165
ser les contextes d'appropriation : milieu guide/milieu non-guide, milieu
institutionnel/milieu naturel.

Ici encore, la multiplicite et l'heterogeneite des parametres rend difficile


une representation taxinomique des contextes d'appropriation (voir ce-
pendant Liidi & Py 1986, p. 18). Si l'on tente une representation en
continuum, sur un axe, on trouvera par exemple, aux extremes, deux
contextes prototypiques (voir Trevise 1994): l'un, illustre par un appren-
tissage en milieu scolaire, sans autre contact avec la langue etrangere
que celui instaure dans l'espace institutionnel (par exemple, ]'apprentis-
sage scolaire du francais dans une petite ville australienne ou n'existerait
aucune communaute, association ni institution francophone, ni exposi-
tion a des medias francophones); l'autre, illustre par l'acquisition en mi-
lieu social unilingue d'une langue cible, sans guidage institutionnel (par
exemple, l'acquisition du francais en milieu social dans une petite ville
francaise, sans contact avec sa langue et sa communaute d'origine, par
un adulte migrant).
A ('evidence, ces contextes extremes qui constitueraient a ce titre
des objets privilegies d'investigation ne recouvrent qu'une portion
reduite du continuum. On trouve dans celui-ci en effet une diversite de
configurations de contextes dont un certain nombre correspondent a des
cas mixtes d'appropriation, associant apprentissage guide et acquisition,
dans des proportions diverses et selon des variables diverses : apprentis-
sage guide d'une langue par des adultes dans le milieu linguistique de la
langue cible, sejours linguistiques pour des adolescents (associant cours
de langue et immersion en milieu naturel), classes d'accueil pour les en-
fants migrants, etc.
De facon plus large, la caracterisation de l'appropriation mixte im-
plique la dimension temporelle: les contextes d'acquisition et d'appren-
tissage peuvent etre, pour un apprenant donne, simultanes ou successifs.
Un apprenant peut evoluer, pendant une certaine periode de temps, a
l'interieur des deux contextes alternes, disjoints ou conjoints. Dans les
parcours individuels d'appropriation a long terme, a un apprentissage
guide peut succeder de l'acquisition en milieu naturel, ou ('inverse. La
nature meme de ces parcours diversifies, qui se prete mieux a un inven-
taire typologique qu'a ('investigation empirique de recherche, amene
reexaminer le continuum acquisition/apprentissage, et les &multiplica-
tions qu'il suggere.

168
En outre, la notion d'appropriation mixte, a travers la diversite des
contextes d'acquisition/apprentissage et des situations de communica-
tion qu'elle permet d'apprehender et de caracteriser, conduit a interroger
d'autres dichotomies et/ou d'autres continuum, tels que strategies d'ap-
prentissage/de communication, communication endolingue/exolingue,
communication unilingue/bilingue.
4. Au-dela des questions terminologiques evoquees, inherentes a la mise
en place progressive d'un domaine de recherche, les dichotomies no-
tionnelles servent d'outils heuristiques pour apprehender un ensemble
de realites empiriques. L'epreuve du continuum permet a la fois de rela-
tiviser, sans les invalider, les dichotomies, et de &gager les faisceaux de
parametres contextuels a prendre en compte dans la recherche sur ]'ap-
propriation des langues et sur la communication exolingue. Elle aide
egalement a mieux cerner, dans leur diversite, les interrelations entre
langue(s), apprenant et contexte, dans des situations d'appropriation et
de communication.
Universite Paris-X et GRAL, Paris Remy PORQUIER

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169

167
Representations metalinguistiques des apprenants, des enseignants
et des linguistes: un defi pour la didactique
Introduction
Enseigner une langue 2 implique que lion pense que ('intervention sur
les processus d'acquisition/apprentissage est utile et qu'on ne se
contente pas de laisser l'apprenant apprendre. A partir de la, le
didacticien ne devrait-il pas se preoccuper des representations
metalinguistiques déjà presentes chez les apprenants, mais aussi de ses
propres representations sur les deux langues source et cible, s'il veut
esperer qu'une metalangue de mediation et/ou une selection/progression
des donnees linguistiques et des types d'interaction soient efficaces ?
1. Activite metalinguistique des apprenants
1.1. Role eventuel de cette composante de l'activiti langagiere
Quel que soft le milieu dans lequel se deroule ('acquisition dune langue
etrangere, on a pu constater, par divers types de manifestations obser-
vables, l'omnipresence de l'activite metalinguistique des apprenants,
ainsi d'ailleurs que celle des natifs avec lesquels ils entrent en interac-
tion, qui non seulement ont conscience de Petrangete de I'autre mais
distillent parfois des pseudo-regles (De Pietro, Matthy et Py, 1988,
Trevise, 1992 et 1993a). Cependant, les diverses formes d'activite meta-
linguistique ne contribuent vraisemblablement pas toutes aux processus
d'acquisition, et en tout cas pas de la meme facon pour tous les appre-
nants, ni a n'importe quel stade d'acquisition (Vasseur, 1990, 1991).
Inversement, bien sur, le plus gros travail d'acquisition se fait sans qu'il y
ait de manifestations metalinguistiques explicites, qu'il y ait conscience
ou non de la part de l'apprenant. Et souvent, it semble qu'il n'y ait pas
conscience des regles linguistiques, des hypotheses a tester, ou des
contradictions internes a rinterlangue"I, meme s'il peut y avoir, a des
degres divers, conscience d'obstacles, de problemes de transmission,
d'intelligibilite, ou de reception d'un contenu de pensee, ou de represen-
tation du monde dans la langue autre, etrangere. D'ailleurs, la
conscience d'une regle, adequate ou non, n'entraine pas toujours la ca-

"Interlangue" est le terme commode que j'utiliserai ici pour faire reference aux divers systemes
linguistiques (de comprehension et de production) maitrises par des apprenants dune langue
etrangere, synchroniquement et diachroniquement.
171

168
pacite d'explicitation de cette regle, surtout pour des sujets pas ou peu
scolari ses.
Par ailleurs, on n'a pas encore cerne la veritable nature d'un controle
conscient en temps reel a l'oral, ni du controle possible a recrit, et qui ne
l'est pas a l'oral. II s'agit la d'une activite de type metalinguistique encore
differente, differente aussi du type de controle par ('intuition que font les
natifs a l'oral.
On voit retendue et la variete des activites regies par Ia conscience
auxquelles le qualificatif "metalinguistique" peut s'appliquer, sans devoi-
ler ni leur reelle nature, ni leur role dans les activites langagieres des ap-
prenants, ni dans leurs cheminements acquisitionnels.
Concepts et representations sont difficiles a exprimer verbalement:
('articulation entre pensee et langage est un domaine eminemment
complexe, on le sait. La capacit6 de reflexion ne se traduit pas en mots
par une capacite de verbalisation qui lui correspondrait exactement, et
l'apprenant peut fort bien verbaliser autre chose que ses representations
conscientes. El ne peut par definition verbaliser ses representations non
conscientes, et de multiples pans de conscience ne sont jamais verbali-
ses par le langage exteriorise, merne s'ils le sont sans doute plus fre-
quemment par un langage interieur plus ou moms articule.

En résumé, nous n'avons pas acces a ractivite operatoire des sujets, ni


leurs representations sur le langage ou les langues en presence. Le cher-
cheur peut decrire revolution des systemes "interlinguistiques", et deci-
der de ne pas se preoccuper de cette activite de comprehension et de
production. II est toutefois egalement interessant d'observer et d'analy-
ser, transversalement ou longitudinalement, ces autres produits obser-
vables que sont les verbalisations metalinguistiques, et de tenter de
deceler Ia presence ou l'absence de rapports entre les deux activites. Au
terme de "rapports", on peut preferer ceux de "differences et ressem-
blances", car on ne desire pas necessairement impliquer ici des relations
de dependance entre verbalisations et production/comprehension.
Le passage de Ia connaissance metalinguistique declarative,
consciente, verbalisable, a la connaissance procedurale et a l'automatisa-
tion des processus de production et de comprehension reste encore tres
mysterieux. Parfois le chemin est inverse, et l'on apprend ou decouvre
(ou croit decouvrir) des regles regissant ce qui etait auparavant automa-
tiquement produit ou compris, memorise comme fige, ou resultant d'hy-
potheses inconscientes.
172

,69
L'activite metalinguistique nest pas le but de l'acquisi-
tion/apprentissage: la conscience doit disparaitre si l'on veut alleger la
charge cognitive et atteindre a la rapidite et l'efficacite, mais on peut
penser qu'elle devrait pouvoir "revenir" pour constituer des reperes
stables en cas d'obstacle.
En fait on volt bien qu'il y a, en tout cas pour des sujets qui ont un
passé metalinguistique scolaire, en langue I ou en langues et 2 (et/ou
I

pour tout sujet qui se centre "spontanement" sur la forme) deux types de
connaissances, et aussi deux types d'activites dont on mesure mal les
relations eventuelles:
une connaissance metalinguistique, consciente, eventuellement verba-
lisable, represent& par les regles que l'on a decouvertes (a bon ou
mauvais escient) ou que l'on se rappelle en les distordant plus ou
moins - a la suite d'un enseignement metalinguistique ou d'interac-
tions avec des natifs dans des sequences de type "contrats pedago-
gigues" (la aussi les regles, ou bribes de regles, peuvent ne pas rendre
compte de fawn adequate de la realite linguistique);
une connaissance de type epilinguistique, inconsciente dans une tres
large mesure, qui est le produit d'hypotheses inconscientes, d'infe-
rences inconsciemment faites a partir de la langue 1, a partir d'"input"
linguistique et metalinguistique de et sur la langue 2, de formules
memorisees et plus ou moins re-adaptees, destructurees/restructurees,
et aussi d'"auto-input" d'"interlangue" aussi. L'apprenant parvient
produire ou comprendre, en respectant plus ou moins des regles du
produit, sans avoir jamais reellement appris au moyen de regles ou
d'explications. 11 peut aussi s'agir d'une automatisation qui ne permet
plus le retour a la conscience, par oubii des regles a l'origine de cette
automatisation.
Et it est heureux que cette activite epilinguistique d'acquisition et de
pratique existe, meme a l'Ecole, meme dans les debuts de l'apprentis-
sage, heureux surtout dans la mesure ou les regles metalinguistiques en-
seignees ou decouvertes par les sujets ne sont pas toujours adequates et
ne sauraient en tout etat de cause couvrir la totalite du systeme linguis-
tique, ni surtout de son fonctionnement. Cette connaissance peut, en
outre, s'appuyer sur une connaissance du monde et des regles seman-
tiques, pragmatiques et discursives déjà developpees. Sur certains
points, it peut y avoir conflits entre les deux types de connaissances,
conflits qui peuvent s'averer ou non genants.
173

120
1; 4
Aucune des deux formes de connaissance n'est premiere a priori, en
ce sens que l'apprenant peut "apprendre" une regle explicitement
d'abord, I'oublier ou la stocker sans qu'elle soit operatoire, puis
racquerir ensuite implicitement, ou vice versa.
Seule la connaissance procedurale, mue par les hypotheses incons-
cientes et leurs tests, suivrait un ordre developpemental, celui que l'on
retrouverait dans les recherches sur ('acquisition en milieu non guide.
L'impact de l'enseignement metalinguistique (y compris l'enseignement
"spontane" des natifs bien intentionnes), et de la selection des "inputs"
sur cet ordre "naturel" est tres mal cerne. D'autre part, en production et
en comprehension, les relations entre Ia connaissance metalinguistique
verbalisable et Ia connaissance procedurale automatisee sont vraisem-
blablement assez faibles quand les sujets ne disposent pas de temps
pour controler leur production ou leur comprehension, et les resultats
dans leurs performances peuvent etre alors tres differents.
En termes d'acquisition, neanmoins, on mesure mal les relations, et le
role a long terme, d'une "bonne" connaissance metalinguistique, ou
d'une aptitude et d'un gait pour la reflexion metalinguistique. Certains
apprenants sont "bons en grammaire", ou en tests, ou en situations de
fort controle, et beaucoup moins bons dans des interactions rapides par
exemple. Les facteurs socio-affectifs interviennent aussi, bien entendu.
Mais on ne peut a l'heure actuelle reellement mesurer si les differents
types d'activite metalinguistique constituent une aide a I'acquisi-
tion/apprentissage du fonctionnement d'une langue etrangere dans les
interactions ni dans une nouvelle representation du monde.
On peut effectivement penser que les deux types de connaissance co-
existent de fawn relativement independante chez les sujets "guides", de
facons diverses suivant les sujets et les types d'enseignement recus.
Mais on ne peut pas imaginer qu'elles sont strictement paralleles:
hypotheses conscientes et inconscientes se composent certainement,
plus ou moins suivant les sujets et les types d'apprentissage, suivant le
type de regles aussi, et suivant leur procedure de decouverte (par autrui
ou par soi-meme).

Ces deux types de connaissances et d'activites vont egalement varier


sans doute en proportion chez les apprenants guides (et d'ailleurs non
guides aussi dans une certaine mesure) suivant qu'ils sont plutOt "form-
oriented" ou "meaning-oriented". 11 faut distinguer "connaissance" et
174

171
"controle". La pratique rend possible l'automatisation de la connaissance
explicite et du controle dans la production. Mais un controle moins regi
par Ia conscience peut sans doute aussi intervenir dans ('application de
la connaissance procedurale qui n'est pas immediatement automatisee.
Cependant, l'attention a la norme ne peut se reduire a l'attention a la
forme pour definir un "style" d'apprenant. Production/comprehension et
acquisition ne doivent pas etre confondues, meme si c'est en produisant
et en comprenant que I'on acquiert: on peut observer et diagnostiquer
des productions de styles differents dans un type de Cache ou des varia-
tions de styles et de competence dans differents types de Cache, mais it
faut se garder d'en inferer directement des strategies d'acquisi-
tion/apprentissage differentes. Par ailleurs, on ne parle que rarement du
role de Ia comprehension dans les processus d'acquisition/apprentissage:
y aurait-il des styles cognitifs differents en reconnaissance aussi? II est
bien difficile de repondre, mais on peut neanmoins poser la question.
On ne sait donc pas a I'heure actuelle si la connaissance metalinguis-
tique (verbalisable) peut promouvoir veritablement un savoir-faire accru.
On peut considerer en tout cas qu'elle facilite sans doute l'apprentissage,
si elle permet a I'apprenant de remarquer dans l'"input" des elements
qu'il n'aurait pas differencies autrement et si son utilisation permet l'au-
tomatisation progressive, ou si elle lui offre des reperes ou autres jalons
stables en cas d'obstacle avere.
La metalangue etant dans la langue, it s'agit aussi de se preoccuper de
ce type de comprehension, vraisemblablement particulier, qu'est la com-
prehension des diverses donnees d'"input" metalinguistique sur les-
quelles "travaille" une comprehension issue d'une activite linguistique
de reconstruction du sens. La construction de ('objet langue nest certai-
nement pas trait& comme celle de n'importe quel objet extralinguis-
tique, et le discours metalinguistique, interieur ou exteriorise, peut lui-
meme devenir objet de discours et de reflexion metalinguistique, avec
ses propres criteres de coherence. La coherence semantique ne joue en
effet manifestement pas le meme role que tors du decryptage d'une re-
presentation de l'extralinguistique, ou ('objet de discours n'est pas la
langue. La comprehension et Ia production de donnees metalinguis-
tiques, discours ayant donc pour objet le langage ou les langues, sem-
blent regies par des activites langagieres d'un type particulier, qui s'ac-
commoderaient souvent mieux d'incoherences, on le verra, dans Ia me-
175

72
sure ou les termes et les categories employes obeissent plus a de la la-
bilite qu'a de Ia systematicite.
1.2. Le role de la langue 1 et des representations sur la langue 1: les
transferts mitalinguistiques
On connait desormais l'importance de Ia langue 1 dans Ia structuration
perceptive de l'input de langue 2 (Giacobbe, 1990), et dans les meca-
nismes de production, meme si on ne la cerne pas encore toujours
exactement. On connait moins le role des representations metalinguis-
tiques a propos de Ia langue 1 dans ('acquisition d'une langue 2.
Les apprenants ne sont pas un terrain metalinguistique vierge, car ils
ont, de facon tres variable evidemment, un double passé metalinguis-
tique, scolaire et personnel, dont it faut bien tenir compte, lorsque l'on
tente d'observer leurs verbalisations, mais aussi les rapports (eventuels)
entre ces verbalisations et les pratiques dans les diverses taches, plus ou
moins metalinguistiques de nature, imposees par les tours de langue (ou
d'ailleurs par les enquetes du chercheur en acquisition).
La perception du nouveau a connetre se fait a partir de I'acquis, et en
meme temps dans un projet d'utilisation. Les recherches sur les malen-
tendus (Trevise, 1992a) sont pertinentes en ce domaine. L'interaction
entre l'identification et l'utilisation est essentielle pour la comprehension
et ('appropriation. Les migrants acquierent de nouveaux elements quand
ils en eprouvent le besoin, et ils en eprouvent le besoin quand ils en sont
arrives a un stade on ils peuvent en eprouver le besoin, et on it est im-
portant pour eux d'avoir cette demarche personnelle, mue par le desir ou
par Ia necessite. La simple repetition ne peut avoir cette vertu, on le sait.
Mais iI s'agit la, it est vrai, de veritable activite langagiere en situation
exigeante d'intelligibilite par autrui, et de comprehension d'autrui. La
motivation et le projet personnel en classe sont sans doute d'un ordre
different, et la necessite de decontextualisation des acquis plus grande.
Mais it n'y a jamais table rase. Les connaissances déjà construites, a bon
ou mauvais escient, et les representations sur le a-construire sont déjà la,
et ne peuvent etre eludees: le migrant a une langue maternelle, a des
connaissances en "interlangue" et des representations, notamment sur la
langue a acquerir, et ce sont ces appuis dont it se sert pour dechiffrer,
differencier, categoriser et integrer ce qu'il acquiert. L'apprenant en
classe est dans la meme position, et le discours enseignant (qu'il soit ou
non ouvertement metalinguistique) n'arrive pas en terrain vierge de toute
176

1 3
anteriorite. Cette anteriorite va structurer Ia perception de l'"input" lin-
guistique et celle du discours metalinguistique eventuel. Elle structure
aussi les strategies d'apprentissage qui sont en outre heterogenes et de-
pendent des styles cognitifs. Les sujets different en effet dans leurs fa-
cons de mener leurs activites de perception, et d'une facon generale
leurs &marches intellectuelles, suivant le domaine d'application, ou quel
que soft ce domaine d'application. On salt que ces "styles" dependent de
la culture et de l'histoire des sujets, de leurs experiences passees.
Les apprenants qui ont un minimum de passé scolaire ont déjà eu, ne
serait-ce qu'en langue maternelle, un enseignement metalinguistique
plus ou moins adequat avec, notamment en France, de multiples exer-
cices de type structural, qui excluent le plus souvent tout recours a Ia re-
flexion pour insister sur une "pratique" de la langue et une maitrise des
regles oprthographiques.
Lorsque les petits Francais, par exemple, abordent une langue etran-
gere en 6eme, ils ne se sont pas, pour la plupart, reellement approprie le
vocabulaire metalinguistique necessaire pour identifier les parties du
discours, ni merne pour identifier les "temps" verbaux. L'enseignement
de la grammaire du francais langue maternelle est encore le plus
souvent fon& sur l'apprentissage de l'orthographe. Tout enseignant de
langue de 6eme s'appuiera neanmoins sur des categories et des
fonctions, ou des notions plus ou moins strictement definies censees 'etre
acquises (nom, verbe, genre, interrogation, negation, auxiliaire, sujet,
C.O.D.,C.O.I., action, duree, passé, present, etc2.).
Au cours de l'apprentissage dune langue seconde en milieu guide, les
representations metalinguistiques des apprenants se nourrissent de
l"'input" de langue 2 (ou plutot de l'"intake" et des hypotheses qu'ils ela-
borent sur la langue 2, en partie a partir du cadre prealable de leur
langue I), mais aussi de Ia perception ("intake") du discours metalin-
guistique norme de la classe et des manuels de langue 2. Or ces di scours
explicatifs, heterogenes d'une armee sur l'autre en general, ont parfois
ete contrastifs, et s'ils ne I'ont pas ete explicitement, les apprenants les
ont souvent integres dans des strategies d'apprentissage contrastives plus
ou moins adequates, nourries par l'intuition qu'ils ont du francais mais

2 II est vrai que les notions de sujet, de verbe, de C.O.D., de genre, sont bien utiles pour
l'apprentissage des regles orthographiques du frangais, ou rien ne peut se faire sans les notions et
les etiquettes necessaires.
177
peut-etre plus encore par ce qu'on leur a dit du francais, et ce qu'ils en
ont percu /retenu /reconstruit.
Les transferts s'effectueraientt alors non seulement entre la langue 1 et
la langue 2, mais entre des connaissances metalinguistiques sur la
langue 1 (adequates ou non) et des connaissances metalinguistiques sur
la langue 2, que ces transferts soit ou non legitimes par rapport a la
norme cible. C'est alors que pourraient se creer des relations metalin-
guistiques biunivoques entre les deux systemes linguistiques, dont le
deuxieme nest pas (encore) percu comme systernatique, mais comme
dependant du premier.
On peut effectivement se demander si, par exemple, une explication
sur une forme verbale anglaise ne vient pas plutot se greffer sur ce que le
francophone a appris sur le francais que "directement" sur son systeme
linguistique francais. Le metalinguistique viendrait se composer au me-
talinguistique déjà IA en langue 1 et en langue 2, et it ne se composerait
qu'eventuellement aussi au linguistique déjà IA en langue 2. Cela depend
certainement du domaine considers: une explication du preterit en
be + ing peut evoquer chez le francophone ce qu'il sait (ou croit savoir,
ou qu'on lui a enseigne) "sur" I'imparfait francais. Au contraire, la suruti-
lisation du present perfect en lieu et place du preterit simple semble res-
sortir plutot d'une interference "directe" avec la langue maternelle, etant
donne que peu de choses sont en general dites a recole primaire ou au
college sur le passe compose francais et ses deux valeurs principales.
On en parle en effet, le plus souvent, en termer d'oppositions de type
"stylistique" avec le passé simple, et on ne mentionne guere sa valeur
aspectuelle d'accompli de present.
1.3. Fossilisation des representations metalinguistiques
Les regles et diverses representations conscientes semblent avoir une
longevite qui resiste a revolution le long du parcours acquisitionnel et
qui resiste aussi tres vigoureusement a la comprehension, et meme a la
production, de donnees regies par des regles differentes, voire contraires.
II en est de meme en langue maternelle d'ailleurs, ou par exemple pour
le francais, les representations conscientes et verbalisables fausses sur
l'imparfait, par opposition au passe simple, parachutees par l'enseigne-
ment, sont etablies pour ainsi dire une fois pour toutes, et survivent
meme a une reflexion ponctuelle exigee sur des faits de langue qui ren-

178

tql f."
e
trent en contradiction criante avec ces representations (Demaiziere et
Trevise, 1991).
Dans l'apprentissage de l'anglais, on peut voir que les representations
sur le preterit simple, par exemple, se fossilisent le plus souvent, et
meme chez les concepteurs de manuels et de grammaire (Trevise, 1992a
et 1993b, pour une analyse critique de manuels et de grammaires de
l'anglais), et resistent a la frequence de faits de langue qui les dementent.
Ces phenomenes de rigidification des representations conscientes,
verbalisables, peuvent advenir pour de "mauvaises" regles, flees d'une
memorisation de "mauvaises" regles enseignees, elles-memes issues
d'une analyse contrastive trop sommaire et de relations biunivoques par-
cellaires et donc erronees. Its peuvent s'accompagner neanmoins de
reelles reflexions sur des faits de langue. Certaines des representations
metalinguistiques, souvent flees de transferts "illicites" de fausses repre-
sentations sur la langue et de fausses relations biunivoques entre les
1

deux systemes linguistiques, ne jouent (heureusement) qu'un role res-


treint en acquisition/apprentissage, du moins en comprehension ou l'ac-
tivite epilinguistique ou plutot epilangagiere, peut se nourrir du contexte
et de la coherence semantique, et rester indiffe'rente a la dissociation ou
a !Incoherence ainsi etablies entresavoir et savoir-faire.
2. Representations metalinguistiques des apprenants, des linguistes et
des interventionnistes: l'exemple du preterit
II est interessant d'analyser de tels phenomenes dans le detail a l'aide
d'enquetes aupres d'apprenants francophones avances qui ont eu, depuis
une dizaine d'annees, un enseignement explicite sur le preterit a la fois
dans son opposition au present perfect (inquietude contrastive des en-
seignants) et dans son opposition au preterit en be + ing. Je ne rentrerai
pas ici dans le detail des resultats (Trevise, 1992a), et me contenterai de
resumer quelques tendances.
2.1. Etat des lieux
Que constate-t-on dans cet "etat des temps", ou plutot des representa-
tions des deux systemes aspecto-temporels du francais et de l'anglais ?
proviennent de telles representations, telles qu'on peut les deviner
d'apres differents types de verbalisations (justifications de traductions,
enonce de valeurs de formes comme l'imparfait, le passe simple, le pre-

179

176
tent simple ou en be + ing, reflexions sur des faits de langue presentes
en contexte)?
En ce qui concerne les representations sur le francais (Demaiziere et
Trevise, 1991), on voit que le concept d'unicite d'un evenement ne fait
pas partie des categories metalinguistiques et ('opposition entre les va-
leurs de I'imparfait et du passé simple se reduit majoritairement a une
opposition duree/brievete, en depit de faits de langue proposes a la re-
flexion qui exprimaient une opposition faits multiples/fait unique. De
telles verbalisations font apparaitre de maniere frappante, en dehors d'ar-
guments stylistiques varies, les confusions qui peuvent etre generees par
l'emploi de termes comme "duree", "duratif" en lieu et place du terme
"deroulement" dans une explication de type "deroulement en cours a un
moment pris comme repere". Le terme de "duree" est interprets comme
periode de reference du proces, et devient parfois meme associe non
plus a une action unique mais a une action iteree pendant une certaine
periode du passé: on assiste alors frequemment a une confusion des ca-
tegories "duree" et "repetition". Par ailleurs le terme de "termine" est un
des termes dont on mesure mal ce qu'ils veulent dire pour les appre-
nants: it semble referer au passé par rapport au moment de l'enonciation
ou bien egalement signifier "qui n'est pas en deroulement" au moment
repere considers. Dans l'esprit des apprenants le passé simple s'accom-
pagne d'un concept flou de "date precisee", et surtout de celui, mal corn-
pris de "ponctuel", manifestement et tres majoritairement equivalent
pour eux de "bref" et non de "considers comme un point quelle qu'en
soit la duree".
Ces confusions ne genent pas les apprenants dans leur pratique du
francais langue maternelle bien evidemment, sauf a l'Ecole parfois, mais
dans le domaine de l'apprentissage guide de l'anglais, it est fort possible
qu'elles aient une influence, en tout cas en production ninon en recon-
naissance, les oppositions systematiques ne se construisant pas au sein
du systeme cible mais entre les deux systemes, ou du moins les repre-
sentations metalinguistiques qu'ils en ont. Une partie de l'activite de
construction du systeme de l'"interlangue" a l'Ecole semble en effet pas-
ser de "meta-" a "meta - ", sans le necessaire crochet par le rapport entre
les formes et les valeurs et les liens et filtrages des valeurs les unes par
rapport aux autres. Les strategies d'interference vont parfois se nourrir a
la fois du francais comme systeme linguistique, mais aussi des represen-
tations (fausses ou conformes a la realite linguistique) que les apprenants
ont sur le francais. La construction du systeme aspecto-temporel de
180

177
l'anglais va se faire en relation avec la perception du monde imposee par
le systeme aspecto-temporel du francais, en particulier par le bornage de
droite impose par le passé simple, et en partie aussi en relation avec les
representations amalgamees sur le francais et l'anglais, amalgamees par
des relations fondees sur des categorisations fausses, ou en partie
fausses, comme celle du contraste "duree/brievete" en particulier. Les
apprenants auront alors d'autant plus de mal a saisir que le systeme an-
glais ne &coupe pas la realite extralinguistique des evenements revolus
de la meme maniere que le francais: l'anglais ne "decoupe" pas comme
le francais en passé simple vs imparfait, et le preterit simple, forme am-
bigue quant a la borne d'accomplissement, ne marque pas du tout la
meme vision de bornage suivant le semantisme des verbes et des
constructions. L'anglais marque, dans la reference au revolu (mais pas
uniquement puisqu'on retrouve cette distinction au present egalement)
une distinction entre une simple mention des evenements, une vision
globale, distanciee d'un cote et, de l'autre, un rapprochement, une remise
en situation de deroulement a un moment repere (Trevise, a paraitre).
L'eventail des metaphores explicatives est certainement la important
pour lutter contre la representation du monde elaboree a travers le sys-
teme linguistique prealable. Mais relaboration d'une metalangue expli-
cative necessite une analyse linguistique fine, et on volt bien la les va-et-
vient necessaires entre theorie linguistique et pratique de l'enseignement.
L'observation des representations des apprenants vient questionner et
defier le linguiste et le pousse a affiner ses outils de description. Elle
pousse aussi le didacticien a adapter sa metalangue de transposition, de
mediation.
En effet, dans les diverses formes de verbalisations sur l'anglais, et en
particulier sur des faits de langue comme:

The man had been sneaking for half an hour already. The rest of the
committee sat in silence, apparently attentive. John was taking notes.

les apprenants n'arrivent pas a formuler qu'un preterit simple, qu'ils


voient comme "ponctuel", done renvoyant a du "bref", peut, avec cer-
tains constructions verbales d'"activite" (Vendler, 1967), non bornees
droite, renvoyer dans l'extralinguistique a un evenement en deroulement
au moment repere consider& et done differer tres sensiblement du passé
simple. Ces faits de langue contredisent les relations biunivoques qu'ils
ont etablies entre le passé simple et le preterit simple dune part, et entre
181

F78
l'imparfait et le preterit en be + ing d'autre part. Par ailleurs leurs traduc-
tions sont correctes: Ia plupart traduisent bien sat par un imparfait, mais
on voit le parallelisme de leurs representations metalinguistiques non
operatoires et de leur travail epilinguistique de comprehension qui pent
s'appuyer sur leur connaissance du monde. Mais de toute evidence, leur
panoplie explicative n'offre pas aux apprenants les outils adequats:
connaissance de la categorie de l'aspect et de la possibilite d'un jeu as-
pectuel en anglais la oft it n'existe pas en francais, notion d'action pre-
sentee comme en deroulement a un moment repere, possibilite d'utiliser
le preterit simple pour une action non terminee au moment d'une autre
action et donc d'exprimer Ia simultaneite par deux preterits simples, im-
portance de la connaissance du monde et de l'aspect lexical pour inter-
preter les constructions verbales et construire le positionnement chrono-
logique extralinguistique des actions evoquees. Par contre, de facon
previsible, en production, on assiste a une surutilisation du preterit en
be + ing chaque fois qu'il s'agit de transposer un imparfait renvoyant a
tine action en deroulement.
J'ai choisi un point particulier de l'anglais, Ia possibilite qu'a le preterit
simple de renvoyer a un evenement en cours dans l'extralinguistique au
moment repere, car j'etais a peu pres sore (au vu non seulement des ma-
nuels, mais de la plupart des grammaires anglaises destinees aux appre-
nants avances) que les etudiants francophones n'avaient pas recu d'en-
seignement metalinguistique a ce propos. Je voulais donc observer tout
A la fois leurs representations metalinguistiques déjà en place a propos
du preterit simple et du preterit en be + ing, et aussi leurs capacites de
reflexion reelle devant des exemples qui contredisaient leurs representa-
tions. Force est de constater la "fossilisation" des representations en
place, et la difficulte de les eradiquer dans la plupart des cas, et ce quel
que soit le niveau des etudiants. Force est aussi de constater que la faus-
sete de leurs representations n'empeche heureusement pas l'activite de
comprehension de l'anglais grace au contexte et a la coherence seman-
tique, car alors les apprenants pratiquent une reelle activite semantique,
discursive, langagiere en un mot.
Ces verbalisations emanent-elles de Ia regurgitation d'un enseigne-
ment a la terminologie metalinguistique labile, floue et parfois fausse, ou
bien d'un transfert de I'enseignement metalinguistique sur la langue ma-
ternelle ? Ou des deux, le parametre de I'enseignement etant d'autant
plus pregnant qu'il recouvre en partie le transfert interlinguistique ici ?

182

179
Parfois neanmoins, it peut s'agir d'une reflexion a propos de ce qui est
en fait un transfert de la langue maternelle, un francophone ayant beau-
coup de difficult& a se representer une vision du monde revolu qui
n'obeisse pas au decoupage imparfait/passe simple (ou passé compose a
valeur temporelle).
2.2. Perspectives pour une didactique
Ce genre de question ne peut manquer de concerner quiconque veut
intervenir sur le processus d'apprentissage et reguler les representations
des apprenants pour tenter de construire des reperes utilisables par eux
A long terme, des que les automatismes seront pris en defaut, et que
Pace& a la conscience se fera. Pour reguler ces representations
conscientes, it faut les cerner, ce que j'ai tente de faire. Mais it faut aussi,
tenter d'en decouvrir les origines, ou du moins certaines des origines, ce
qui ne pourra manquer d'aider dans la Cache therapeutique de
remediation, de reajustement de reperes, si Ion partage la croyance que
des reperes metalinguistiques sont utiles.
Pour tenter d'en decouvrir une des origines, it est utile de connaitre les
connaissances metalinguistiques, et donc declaratives, donnees
voir/percevoir/interpreter dans les manuels scolaires, ou le discours en-
seignant, au fit des annees d'apprentissage, et ce dans les deux langues,
source et cible. Et on voit, a la lecture critique d'un bon nombre de ma-
nuels de francais langue maternelle ou d'anglais, que la metalangue
scolaire, avec ses images et metaphores explicatives est riche d'ensei-
gnement sur I'origine des verbalisations des apprenants: c'est cette meta-
langue et sa labilite, ses flous conceptuels que les apprenants interroges
regurgitent. Tout interventionniste ne peut manquer de s'interesser a un
survol de la naissance, la survie et le degre de coherence d'etiquettes et
d'argumentations metalinguistiques, a la fois dans les sources que sont
les manuels, et dans les esprits des apprenants qui (parfois) s'en servent
aussi dans leur activite de production et donc d'acquisition.
L'interventionniste devra choisir sa metalangue d'intervention avec soin,
apres avoir procede, avec la circonspection qui s'impose, a ces deux
types d'observations (directement ou indirectement, suivant ses
contraintes de temps et de formation), et en particulier, apres avoir tente
de mettre a jour les representations des apprenants. II veut, en effet, diri-

183

.1 0
ger les activites cognitives des apprenants, modifier, augmenter et
controler a terme leurs representations3.
Une des definitions de l'enseignement est bien l'intervention systerna-
tisee, par l'apport, la transmission de connaissances (c'est-A-dire
d'"input" linguistique et metalinguistique) sur ces processus
d'acquisition et sur les representations conscientes et inconscientes des
sujets, dans un souci (plus ou moins) normatif de rapprochement vers la
langue cible. L'enseignant intervient donc sur ractivite metalinguistique
du sujet, que celle-ci porte sur les conditions d'enonciation d'un enonce,
sur son contenu semantique ou sur ses proprietes formelles, car un
enseignant ne peut se contenter de penser activer le travail
epilinguistique du sujet: it se doit d'elaborer (me semble-t-il, mais on
reste IA au niveau des croyances, et donc dune argumentation
necessaire), pour le long terme et revolution a venir de l'apprenant, le
stock de reperes conscients sur lesquels l'apprenant va, dans son auto-
formation future, s'appuyer lorsque les automatismes et/ou les elements
et processus automatises lui feront defaut. Et meme si l'on est de l'avis
qu'aucun discours metalinguistique explicite ne doit intervenir, ceci
n'empechera pas ractivite metalinguistique des apprenants d'operer (et
d'intervenir eventuellement). D'ailleurs, la selection et le choix de
progression des "inputs" est une intervention, rappelons-le, de type
metalinguistique egalement.
Cette position ne semblera sans doute pas justifiee aux partisans de
l'approche dite "communicative", ou, en general, aux didacticiens (plus
rarement aux pedagogues) qui pensent que l'enseignement metalinguis-
tique de syntaxe ou de morphologie est inutile, voire nefaste, et que les
interventions devraient se limiter a des correspondances "simples" entre
actes de langage et types d'enonces et a des etayages discursifs et prag-
matiques, dont ils meconnaissent souvent le statut metalinguistique. De
telles approches qui assimilent le but de l'enseignement et les moyens
d'y parvenir sont de fait rares dans les colleges et les lycees, en France
du moins, ou une certaine tradition grammaticale est solidement implan-
tee.

En résumé, a partir du moment ou l'on se fixe comme objectif d'inter-


venir par le biais d'un enseignement grammatical, meme succint, c'est

3 Son role (sa responsabilite) sera aussi d'intervenir sur les variables motivationnelles, ce qui ressort
dun plus grand empirisme encore.
184

181
qu'on croit (sans pouvoir parfois l'argumenter) qu'un discours explicatif
rationnel va promouvoir l'apprentissage (ou au minimum le baliser, l'ac-
celerer et l'empecher de se fossiliser). On est alors d'avis que les repre-
sentations metalinguistiques non seulement adviennent de toute facon,
mais qu'elles jouent un role dans le processus d'acquisi-
tion/apprentissage. Si cela est tenu pour vrai, alors it vaut mieux les cer-
ner, et si possible les forger et les controler par I'enseignement que les
laisser proliferer seules. La logique de cette position implique de cerner
l'impact des termes metalinguistiques et autres metaphores du discours
enseignant, et, pour ce faire, it est imperatif de connaitre (dans la mesure
du possible) le terrain sur lequel cet impact va se faire, c'est-A-dire les
representations metalinguistiques des apprenants, et pas seulement leurs
productions linguistiques, ou leur comprehension apparente.
Cependant, pour toutes les raisons enoncees precedemment, it est mal-
aise de cerner ces representations metalinguistiques, et de mesurer les
ondes de propagation et autres proliferations semantiques des termes
metalinguistiques employes, de facon plus ou moins metaphorique.
Cerner ces representations ne suffira pas bien stir pour le didacticien: it
s'agira de les reguler si l'on est partisan de l'intervention dans le do-
maine grammatical notamment. On ne peut faire que les apprenants ne
se construisent pas des representations metalinguistiques.
L'interventionniste va done fournir de l'"input" linguistique, mais aussi
done, suivant ses croyances, de l'"input" metalinguistique, des explica-
tions metalinguistiques rationnelles qui, avant de franchir des meandres
mysterieux jusqu'a ('automatisation, vont au minimum transiter par Ia
conscience et les representations metalinguistiques des apprenants. II est
preferable que I'interventionniste sache sur quel terrain ses explications
vont se greffer, qu'il travaille a la nature de son enseignement par une
reelle expertise dans son domaine scientifique (connaissance des deux
systemes linguistiques source et cible), mais aussi en adaptant ses expli-
cations a l'etat des representations metalinguistiques des apprenants,
dans la mesure oil it peut les cerner. II sera peut -titre ainsi capable de
jauger les distances qui peuvent separer representations et pratiques.
Les regles du produit, du systeme linguistique, quand on croit a leur
utilite, sont alors concues comme un raccourci pour atteindre une meil-
leure competence en langue 2, mais it est vrai que les apprenants doi-
vent avoir de multiples occasions d'utiliser Ia langue de facon creative et
185

I 82
nouvelle, et pas seulement dans des exercices d'automatisation, afin
d'acceder au but final qui est l'automatisation (a bon escient) de tout ce
qui n'est pas automatique (a bon escient).

Cependant, le debat risque de rester vain et it l'est dans certaines re-


cherches si l'on ne se pose pas quelques questions sur le type d'ensei-
gnement considers et la valeur tant des regles enseignees que de leur
formulation. L'enseignement est souvent fonds sur de bien mauvaises
regles et de bien dangereuses formulations, flees d'analyses linguistiques
tres approximatives, fossilisees, rigidifiees, et son inutilite eventuelle
pourrait fort bien venir de IA plus que de l'inutilite fondamentale de toute
forme d'enseignement.
L'enseignement ne doit pas gener ]'acquisition, et pour cela, it faut
qu'il soit adequat. La question de savoir s'il faut enseigner la grammaire
devrait laisser la place a des recherches sur le type de metalangue a utili-
ser pour aider les apprenants dans leurs cheminements cognitifs, et sur
la presentation de Ia coherence du systeme de Ia langue 2. Il est vrai que
faire pratiquer pendant Iongtemps de facon intensive I'm reading sans
l'opposer ni a / read ni a I've read ne va certainement pas aider l'appre-
nant a se constituer des micro-systemes, et la bonne formation apparente
de ses enonces en be + ing n'indiquera en aucune maniere que la forme
a pris sa place au sein d'un systeme ou d'un embryon de systeme opera-
toire. L'eleve doit apprendre a apprendre l'anglais, apprendre a differen-
cier les oppositions presentes dans le systeme.
s'agit d'essayer d'être simple et de coller en meme temps a la realite
de la langue, et non pas exclusivement a l'exploitation d'exemples hors
contexte, ad hoc, qui relevent du non-sens en terme d'activite langagiere.
Cela n'implique pas que de nombreux phenomenes linguistiques soient
sans cesse rejetes dans la marginalite et donc le non enseignable, car
alors on peut se demander ce que devient fides de systeme linguistique.
"Etre simple" implique d'abord d'avoir elabore une representation de la
comprehension par les apprenants de ce que l'on dit, avoir conscience
des representations et des jeux d'oppositions, errones ou non, souvent
parcellaires en tout cas, a l'oeuvre chez les apprenants. Et it est bien dif-
ficile d'y avoir acces. "Etre simple" suppose aussi d'une part une repre-
sentation plus ou moins justifiee de Ia simplicite d'une regle par rapport
a une autre et, d'autre part, une formulation de mediation reellement in-

186

183
telligible etant donne le déja-la des sujets4. Les criteres de plus ou moins
grande complexite dune regle sont bien &heats a definir: dolt -on se
tourner vers les ordres d'acquisition de la langue maternelle chez les
enfants, comme on l'a cru un moment ? Doit-on se conformer a ce qui
semble etre l'ordre d'acquisition des regles tel que nous avons pu le de-
crire dans le Projet F.E.S. par exemple ?5 Le risque est la de retomber
dans la perversion d'une transposition de ce qui se passe en milieu
"naturel", sans enseignement metalinguistique, a ce qui se produit quand
it y a une intervention metalinguistique, ne serait-ce qu'en termes de
progression dans l "'input" propose.
On ne sait (encore) en fait que peu de choses sur le role exact de l'ensei-
gnement dans le processus d'acquisition/apprentissage. D'une part, on a
trop, dans Ia recherche recente, tente de &gager des invariants chez les
sujets, et minore le role de Ia variable qu'est l'intervention du discours
enseignant. On parle souvent du role de l'enseignement, et en particulier
de l'enseignement metalinguistique, que ce soit en bien ou en mal, sans
definir en quoi consiste cet enseignement exactement, ni sur les echos
de quels enseignements prealables it vient se superposer et/ou s'integrer.
D'autre part, beaucoup des positions des chercheurs sont fondees sur
des hypotheses qu'il est bien difficile de falsifier, ce qui semble assez
normal puisque le processus meme de l'apprentissage est irreductible
aux descriptions comportementales qui en sont faites, meme longitudi-
nalement. Produits et productions ne sont pas du meme ordre. Les uns
sont observables, meme si la methodologie d'observation doit etre cir-
conspecte, les autres, les operations mentales sur les contenus (comme,
par exemple, la decentration, la deduction, la perception de la reversibi-
lite, l'identification de similarites, de differences, l'induction, les anticipa-
tions, les appuis sur ce qui est pet-et' et construit comme repere, les
conceptualisations et constructions d'abstractions conceptuelles et de
systemes de concepts, la memorisation des acquis anterieurs, le fonc-
tionnement de ('imagination) et les enchainements de ces operations

4 C'est ce que, a propos du preterit anglais, F. Demaiziere et moi-meme avons tente de mettre en
pratique dans ('elaboration de didacticiels de grammaire anglaise "Revenir a l'anglais", didacticiels
elabores au sein de l'equipe ORDI, Universite Paris 7 (Trevise, 1993b).
5 Les tentatives serieuses de comparaison entre ces deux types d'acquisition en milieu "naturel" en
sont a leurs balbutiements. II est frequent, en dehors du domaine de ('acquisition precoce dune
langue 2 en milieu "naturel", que les auteurs se heurtent a l'impossibilite de comparer des
acquisitions qui se mesurent dans des histoires et des situations de production/comprehension
tres differentes.
187

8 it
mentales, ne le sont pas. Ce saut qualitatif est bien a l'origine des doutes
comme des croyances sur les manieres de "mediatiser", de "transmettre"
de facon a ce que ces operations, ces resolutions de problemes puissent
avoir lieu, et que l'appropriation et la transposition a d'autres contextes
puissent aussi par la-meme advenir, avec la possibilite de feconder
d'autres acquisitions ulterieures. La demarche didactique implique de
tenter de connaitre, de diagnostiquer tant les savoir-faire linguistiques
que les savoirs metalinguistiques, les connaissances et les representa-
tions "déja la" des apprenants, car dies me semblent determinantes dans
l'apprentissage. Elle implique de voir aussi les recouvrements et les
differences entre ces deux domaines difficilement isolables parfois, et
qui s'appuient tant l'un sur l'autre dans l'apprentissage pour integrer l'in-
connu au connu.

Conclusion: connaissances mais aussi croyance pour tenter de relever


le der'
II n'en reste pas moins, et it est indispensable de le souligner, que meme
la coherence du discours enseignant et la relative individualisation des
explications, leur adequation a retat du "déja-la" chez les apprenants ne
garantissent pas rectification de reperes coherents dans les constructions
metalinguistiques des apprenants, ni a fortiori leur efficacite dans les
edifications dynamiques et progressives des appropriations des systemes
linguistiques de comprehension/production, leur controle, puis leur au-
tomatisation.

Neanmoins, le travail de l'enseignant devrait (idealement sans doute)


d'abord etre de tenter de cerner sur quelles connaissances linguistiques
et metalinguistiques prealables les nouveaux apports, linguistiques et
metalinguistiques, viennent se greffer pour restructurer un systeme inter-
linguistique. Parfois l'"intake" metalinguistique ne se greffera pas du
tout, restera totalement &ranger, comme une sorte de connaissance me-
talinguistique parallele non integree aux connaissances linguistiques et
metalinguistiques déjà presentes, ne les remaniera pas, et se fossilisera
alors sans doute rapidement, ou sera oublie. D'autre part, it peut etre
utile de jauger la facon dont les apprenants etendent ou restreignent le
domaine d'application des regles enseignees, les inferences qu'ils en ti-
rent immanquablement de par leur activite cognitive. Les apprenants
creent leurs propres regles, qui n'ont pas forcement grand-chose a voir
ni avec ce que I'enseignement propage, ni avec leurs propres pratiques
188

135
parfois: elles peuvent en effet, suivant les cas, apparaItre lors de justifica-
tions a posteriori. Mais elles peuvent aussi parfois refleter des strategies
de production, ou des regles du produit.
Quanta la prise en compte des phenomenes de comprehension, elle est
encore plus delicate on l'a vu (etant donne que l'on sort la aussi du do-
maine du directement observable). On ne maitrise pas la perception
qu'ont les apprenants des differents types d'utilisation du preterit par
exemple quand ils entendent et comprennent (en tout ou partie) de l'an-
glais langue 2, ni la facon dont cette perception vient alimenter leurs
hypotheses inconscientes ou conscientes sur le fonctionnement du pre-
terit. Cette perception est vraisemblablement structuree par la represen-
tation de la temporalite et de l'aspectualite qu'ils ont de par le frangais
langue maternelle. Elle est aussi model& par ce qu'on leur a dit des dif-
ferents "temps" du frangais, et par ce qu'on leur a dit sur le preterit. Mais
les memorisations souvent inadequates peuvent aussi parfois etre
ebranlees par une prise en compte du fonctionnement des langues
I et 2.
Les representations agissent egalement en comprehension, bien stir,
meme si la, la coherence semantique constitue parfois un garde-fou qui
empeche certaines proliferations indesirables. II y a encore moins de
symetrie entre production d'un discours en "interlangue" et reconnais-
sance d'un discours en langue 2 qu'entre le travail de comprehension et
le travail de production en langue maternelle.
Si, au dela des regles du produit que l'on peut extraire de l'observation
des "interlangues", on tente d'avoir acces aux regles de production de
l'interlangue, aux processus mentaux, inobservables par definition, on se
heurte a la difficulte que represente ('etude d'un objet non discret. La
connaissance des representations, meme de celles qui semblent issues
dune veritable reflexion, ne rend pas compte des fonctionnements co-
gnitifs des sujets, ni du champ d'application des regles verbalisees, si
tant est qu'elles soient operatoires en termes de savoir-faire. La represen-
tation des connaissances, sa nature propositionnelle ou analogique, sont
pratiquement impossibles a cerner empiriquement, et on ne discerne pas
les processus qui ont fait naitre ces representations, sauf dans des cas
précis comme, a l'Ecole, oil le consensus de "mauvaises" representations
permet parfois de leur attribuer une origine probable. Quoi qu'il en soit,
cerner ces etats de representations, ou leurs origines, n'informe certes
189

5.i2)1.A 1 86
, ;
pas sur le role qu'elles jouent, ou ne jouent pas, dans les activites de
production et de comprehension, et plus generalement dans l'acquisi-
tion. Mais, alliees a une expertise linguistique et plus largement langa-
giere reelle, elles peuvent etre un point d'ancrage de l'intervention meta-
linguistique, et/ou de la selection d "'inputs" linguistiques.

Universite de Paris X-Nanterre Anne TREVISE

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d'une langue etrangere)", in C. Russier, H. Stoffel et D. Veronique (Eds), Interactions en
langueetrangere, Aix-en-Provence, Publications de ('Universite de Provence, pp. 49-59.
VENDLER, Z. (1967): Linguistics and Philosophy, New York, Cornell University Press.

190

CON' AVELLEEE
107
CORMON, Francoise (1992): L'enseignement des langues, theorie et
exercices pratiques, Lyon, Chronique sociale, coll. "Synthese", 210 p.,
ISBN 2-85008-157-4
Cet ouvrage est ne du desir fort louable et universellement partage par
les enseignants de langue - de maitriser la progression dans l'apprentis-
sage d'une langue seconde en milieu scolaire, et surtout de la recherche
d'une adequation entre les themes grammaticaux, les exercices proposes
aux eleves d'une part et l'amelioration reelle des competences. L'auteur,
enseignant dans un etablissement secondaire du canton de Geneve, a
mis a profit son armee de conge d'etudes pour sojourner a l'Universite
Cornell aux Etats-Unis en qualite de Visiting Fellow. La reponse a cette
quote de l'efficacite a semble pouvoir etre trouvee du cote de la psycho-
linguistique, et c'est en fonction de ce choix que l'auteur a procede a une
decomposition du processus d'apprentissage en 5 &apes, qui forment la
division en 5 chapitres de l'ouvrage, sur lesquels nous nous proposons
de revenir ci-dessous.
Francoise Cormon, qui ne voulait pas perdre de vue son objectif
prioritaire, qui est de faire prendre conscience aux enseignants des be-
nefices a tirer de la theorie psycholinguistique dans la pratique quoti-
dienne de l'enseignement, a divise chacun de ces chapitres, a l'exception
du dernier, en une partie d'expose general et une partie de propositions
d'applications sous forme d'exercices. Le lecteur verra sa Cache large-
ment simplifiee et trouvera aisement des suggestions pratiques en regard
de la theorie. Derniere facilite proposee par l'auteur, qui a su tirer parti
de l'esprit pratique des editions anglophones, toujours a la recherche des
meilleurs moyens typographiques pour mettre en evidence les idees
forces d'un ouvrage, chaque chapitre est suivi d'un encadre contenant le
résumé des theses presentees et des propositions de lectures. C'est donc
un ouvrage qui est fort bien construit et qui tente de ne rien negliger
pour atteindre son objectif, peut-etre un peu aux depens de la fantaisie,
mais qu'importe ici.
La premiere partie est intitulee La perception des sons et fait une
large place a la discrimination, surtout envisagee du point de vue de la
physique acoustique. Le but est en gros de tenter de modifier les
habitudes perceptives des apprenants.
C'est peut-etre la partie la plus faible de l'ouvrage, car elle n'aborde le
probleme que sous Tangle de la psycholinguistique, et ion sait que ce
n'est pas la precisement que cette theorie se revele la plus seduisante.

191

188
L'analyse du systeme de la langue, telle que l'ont propos& les phono-
logues issus de l'ecole de Prague, ne peut pas etre evitee, si Ion veut
comprendre les problemes d'interferences de phonemes d'une langue a
l'autre, et cela meme si la solution ne vient pas absolument de ces
memes theoriciens. Les exercices sont interessants, mais pas suffisants
bien Or pour construire un enseignement complet des sons d'une
langue, parce que tres empiriques.
La deuxieme partie est intitulee La comprehension et tente de
resumer ce phenomene vaste et complexe en faisant appel a des
domaines divers tels que l'analyse lexicale, ('intelligence artificielle, le
structuralisme, la psychologie, la semantique et l'analyse des actes de
langage. C'est evidemment beaucoup, mais le lecteur retiendra surtout le
constat final que la morphologic d'une langue s'acquiert tardivement et
de maniere lente et progressive. Les remarques concernant les
phenomenes de la memorisation, de l'analyse syntaxique et ses pieges,
rendus celebres par Chomsky, ('allusion faite aux constituants immediats
(p. 54) et des conseils sur le reperage des mots grammaticaux font de
cette partie un vaste tour d'horizon du processus d'apprentissage. Le
chapitre pratique ne saurait bien entendu faire le tour de la question,
mais on ne peut s'empecher de le trouver un peu etrique, avec ses
quelques propositions d'exercices tels que le squelette a habiller, la
phrase cameleon, le fond et la forme, etc.
La troisieme partie, l'interlangue, est envisagee comme le "moment
crucial du processus d'apprentissage." C'est bien vu. L'auteur quitte ici
les psycholinguistes pour analyser avec Se linker, W. Nemser et surtout
Piaget, la trajectoire de l'apprentissage et les risques de deviance, comme
par exemple la fossilisation. Le chapitre de la pratique insiste tout parti-
culierement sur la mise en confiance de l'apprenant et sur la necessite de
prendre en compte les besoins affectifs des eleves. Les exercices propo-
ses, tous originaux et bien axes sur la partie theorique, visent a creer un
climat de securite parmi les eleves et a favoriser l'ecoute de l'autre.
La negociation avec l'interlocuteur est la 4eme partie de l'ouvrage et
aborde le probleme des references culturelles necessaires a un apprentis-
sage linguistique. Les problemes mentionnes ici debordent largement du
cadre traditionnel et ne sont valables que comme une sensibilisation a la
problematique langue et culture. Cependant F. Cormon en profite -mais
etait-ce bien coherent- pour developper largement tout un volet pas
encore aborde, celui du discours. Si nous contestons quelque peu cet
amalgame, c'est que nous pensons que les problemes de texte auraient

192

189
bien merite a eux seuls un chapitre distinct ou ne se retrouvent pas cote
a cote la planification du discours, le choix des traits syntactiques, les
accords grammaticaux et les problemes articulatoires. Mais les exercices,
la encore, remettent de l'ordre dans cette profusion.
La derniere etape traite de la construction du systeme langagier.
Produire du discours, c'est avant tout faire usage des donnees stockees.
Comment acceder a celles-ci ? La nous touchons au mystere de la me-
moire, dans laquelle s'opere un filtrage et un traitement des informations
variant selon les circonstances. On pourra contribuer a developper la re-
ceptivite, le rappel et surtout le traitement par une preparation physique
et mentale, mais aussi par l'utilisation de procedes dits heuristiques qui
sont, pour notre auteur, l'aboutissement de sa reflexion et de ses lectures.
II s'agit en fait d'une recapitulation de toutes ses experiences sous la
forme d'un questionnaire analytique pouvant servir de reference pour la
conceptualisation d'une intuition ou le developpement d'une idee.
La conclusion de l'ouvrage resitue bien les multiples notions citees et
expliquees par rapport aux intentions premieres de l'auteur. II ne s'agit
pas, ecrit-elle de proposer une nouvelle methode, mais d'aider a ancrer
notre enseignement dans une theorie soigneusement elaboree que nous
aurons construite nous-memes. Car apres tout, qui peut mieux que
nous, enseignants confront& tous les jours aux problemes de la classe,
savoir quel facteur psychologique est pertinent, quelle approche est
applicable, quelle decouverte est valable ? Nous ne devons pas laisser
ce soin aux theoriciens &connect& de la realite (p. 189).
C'est la effectivement que reside la qualite indeniable de ce livre. Que
d'enseignants se plaignent du clivage entre la theorie et leur pratique; le
risque est grand de leur proposer des recettes directement applicables. F.
CORMON a evite cet ecueil en proposant une reflexion individualisee,
soutenue par une presentation simple et claire de nombreux concepts
utiles a tous. Elle y joint quantite d'exemples et d'exercices que tout un
chacun pourra exploiter et developper. Nous saluons ici une fraicheur
d'esprit, de mauvaises langues parleront d'ingenuite dans la decou-
verte et un amour du métier que nous avons eu du plaisir a partager. Les
enseignants de toutes langues et de tous niveaux trouveront la un outil
bien agreable et stimulant.
Universite de Geneve Georges de PREUX
Ecole de Langue et de Civilisation francaises
CH-1224 Geneve

193
0
METRICH, R., E. FAUCHER et G. COURDIER (1993): Les invariables
difficiles. Dictionnaire allemand-francais des particules, connecteurs,
interjections et autres "mots de la communication". Tome 1: aber -
ausserdem. 2eme edition, revue et corrigee. Nancy, Association des
Nouveaux Cahiers d'allemand, 320 p.
Bei der vorliegenden Publikation handelt es sich um den ersten von vier
Banden eines Worterbuches, das laut Vorwort bis Ende 1995 in seiner
Gesamtheit (ca. 1200 Seiten) vorliegen soil. Er enthalt eine sehr
ausfiihrliche und fundierte Einfuhrung in die Thematik der "invariables
difficiles" (S. 1-90) sowie eine Benutzungsanleitung (Guide d'utilisation,
S. 91-109) auf rosa Blattern gedruckt und somit leicht auffindbar -, die
in die praktische Arbeit mit dem Worterbuch einftihrt. Der Aufbau der
einzeinen Artikel wird hier knapp und verstandlich erlautert, ebenso die
verwendeten Zeichen und Abkiirzungen, und in einem Glossar werden
auf leicht fassliche Art linguistische Begriffe fur Nicht-Fachleute erklart.
lm eigentlichen Worterbuchteil werden die ersten 18 Worter - von aber
bis ausserdem (S. 113-307) - behandelt, was bedeutet, dass all jene, die
sich fur die tagliche Praxis ein Worterbuch der "invariables difficiles"
wiinschen, sich noch eine Weile werden gedulden miissen. Was
vorliegt, ist aber so vielversprechend, dass es sich gewiss lohnt, jetzt
schon darauf hinzuweisen.
Die Lekture der Einleitung ist zwar ftir den gewinnbringenden
Umgang mit dem Worterbuch nicht unabdingbar. Allerdings, den
linguistisch und lexikographisch interessierten Leserinnen und Lesern,
seien sie nun in der Forschung oder im Unterricht tatig, wird dieser Text
auf die Frage, was es denn eigentlich mit diesen "schwierigen
Unveranderlichen", die ja nun wirklich echt ein Problem sind, wohl so
auf sich hat, allemal nuancierte und uberzeugende Antworten bringen,
erfahrt man hier doch mehr Ober die "invariables difficiles" als in
manchem Aufsatz zum Thema. - In einem ersten Kapitel (Presentation
generale et justification du projet) wird der Bereich der zu
behandelnden Worter abgegrenzt. Es geht um jene unveranderlichen
WOrter, die weder zur grossen Gruppe der lexikalischen noch zu
derjenigen der grammatischen Worter gehoren, sondem eine Gruppe ftir
sich bilden, eben diejenige der "mots (outils) de la communication". Sie
sind zwar nicht sehr zahlreich, kommen aber oft vor (und keineswegs
nur in der gesprochenen Sprache), und ihre Funktionen sind so
verschieden und komplex, dass der Umgang mit ihnen ftir Lernende
(gerade auch fur Fortgeschrittene) in alien drei Bereichen des
194

191,
Verstehens, der eigenen Verwendung und des Ubersetzens schwierig ist.
All dies rechtfertigt zweifellos die Existenz eines Spezialworterbuchs,
das sich als Lern- und als Nachschlageworterbuch fur fortgeschrittene
Deutschstudierende, fur Lehrkrafte an Mittelschulen und Universitaten
sowie fur linguistische Fachleute versteht und dessen erklartes Ziel es ist,
"la palette la plus large possible" (S. 10) von Verwendungsweisen der
betreffenden Weiler abzudecken. Das zweite Kapitel (Les mots de la
communication: vue d'ensemble) wendet sich an all jene, "qui
souhaitent se familiariser avec le domaine traite avant d'aborder les
descriptions de detail" (S. 1). Die heterogene Gruppe der "mots de la
communication" wird aufgrund von semantischen (kommunikativen)
und/oder syntaktischen Kriterien, die in jedem Fall ausfiihrlich und
nuanciert diskutiert werden, in neun Unterklassen aufgeteilt. Es sind dies
die mots-phrases et interjections (z.B. nein, aha), modalisateurs (z.B.
vielleicht), adverbes modaux (z.B. eigentlich), appreciattfs (z.B. leider;
die grosse Gruppe der Modalworter/Satzadverbien, von denen Metrich et
al. merkwurdigerweise behaupten, sie will-den in der deutschen
Terminologie normalerweise Modaladverbien genannt, wird zu Recht
dreigeteilt), particules de mise en relief (z.B. ausgerechnet), particules
graduatives (z.B. sehr, ziemlich), adverbes connecteurs (z.B. allerdings),
particules connectives (z.B. niimlich) und particules modales (z.B. aber,
denn als Abtonungspartikeln). Das dritte und langste Kapitel
schliesslich (L'ilaboration du dictionnaire: principes et mithode) ist ftir
die besonders Interessierten gedacht, "qui ne se satisfont pas d'utiliser un
produit 'tout fait', mais desirent en outre savoir comment it a ete concu,
voire verifier dans quelle mesure it est le resultat d'un corps de doctrine a
peu pres coherent" (S. 1). Hier werden Prinzipien und Methode, die dem
Aufbau des WOrterbuchs zugrundeliegen, sowie zahlreiche Probleme
und die gewahlten Losungen dargestellt und eingehend erortert. Die
wichtigsten die Makrostruktur betreffenden Prinzipien sind die
folgenden: Von den neun oben unterschiedenen Untergruppen finden
sieben Eingang in das Worterbuch; aus guten Grunden ausgeschlossen
sind die modalisateurs und die appreciatifs. Die Stichworter sind
alphabetisch geordnet; pro Wort gibt es einen Eintrag, unter den
gegebenenfalls, d.h. wenn das betreffende Wort verschiedene
Funktionen hat, mehrere Untereintrage fallen. Auf der Ebene der
Mikrostruktur bedingt der Anspruch auf moglichst erschopfende
Beschreibung der behandelten WOrter, dass die folgenden Aspekte
berticksichtigt werden miissen: Phonetik und Prosodie,
Wortartenzugehorigkeit, Syntax (In was fur Satztypen und in welchen
195

- D
Positionen sind die betreffenden Worter moglich?), Semantik (In was fur
Sprechakten kommen die Wailer vor und mit was fill- kommunikativen
Funktionen/Effekten?), Gebrauch (z.B. geographische Verteilung),
Auswahl der Beispiele und schliesslich die Ubersetzung der Beispiele.
Zu jedem einzelnen Punkt werden wiederum ausfiihrliche Uberlegungen
zu moglichen Verfahren und den damit verbundenen Schwierigkeiten
angestellt, es werden verschiedene Losungswege diskutiert und die
gewahlten Losungen, die sowohl linguistischen als auch
lexikographischen Kriterien geniigen und die zudem auch noch
benutzerfreundlich sein miissen, begrtindet. All diese Erwagungen
fuhren im praktischen Teil schliesslich zu folgender Strukturierung der
Worterbucheintrage, die hier anhand des Beispiels aber bzw. abet.'
illustriert sei:
r aber
aberl : conjonction de coordination
aber2 : interjection
aber3 : particule modale
aber4 : prefixe (vieux ou en locution)

aberl conjonction de coordination

Fonction : relic deux enonces ou segments d'enonces du mime locuteur ou de


deux locuteurs differents, en marquant selon le cas 1) la relation de contraste
ou d'opposition qui les unit au plan du contenu ou de l'orientation argumen-
tative, le deuxieme argument l'emportant alors sur le premier, ou 2)
l'apparition d'un element nouveau faisant progresser le recit ou ]'argumen-
tation en les reorientant eventuellement (emploi ancien toujours vivant).
Contextes : tout type de phrase, mais surtout declaratives.
Positions : en tete de phrase ; post-V2 ; entre MI et V2.
Accentuation : faible ; intonation montante dans certain emplois (-.1.b/d).
Concurrents : doch2 ; jedoch
Partenaires : ouch' ; dock' ; ja3 ; oder ; pour les emplois dans
l'expression de la concession, voir zwar et schon'
Equivalents : cependant ; et ; mais ; or ; pourtant ; toutefois ; voyons ; quant
d ; alors Id ; encore [foot -il queJ ; en revanche ; mois alors ; mais pour ce qui
est de ; pour + inf. ; quand mime ; sans + inf. ; si (contrasdf) + subordonnee

S. 115

Es folgt ein detaillierter Plan, der daruber Aufschluss gibt, wie die
Beispiele angeordnet sind, und es ermoglichen soli, sich in der in
einigen Fallen geradezu erdriickenden Rifle von unterschiedlichen
Verwendungsweisen eines einzigen Wortes zurechtzufinden bzw. das
Problem, mit dem man sich an das Worterbuch gewendet hat, zu
identifizieren und hoffentlich auch zu Ibsen. Gerade in der zwar
beeindruckenden Vielfalt der Beispiele (die den verschiedenartigsten
schriftlichen und mundlichen Texten entstammen und denen stets eine
196

93 BEST COPY AVAILABL


sehr sorgfaltige Ubersetzung nebenangestellt ist) liegt denn auch ein
moglicher Nachteil des WOrterbuchs: So ist nicht ganz auszuschliessen,
dass etwa der 38 Seiten lange Abschnitt fiber auch auf manche
Benutzerinnen und Benutzer eine eher abschreckende Wirkung ausiibt.
Sonst aber ist an dem Warterbuch zumindest so welt es bislang
vorliegt abgesehen von einzelnen argerlichen Druckfehlern (falsche
Trennung von einzelnen Wortern u.a) kaum etwas auszusetzen, und
man kann nur wiinschen, dass das Werk auf reges Interesse hoffentlich
auch im deutschen Sprachraum stossen wird.

Universite de Geneve Therese STUDER FLUCKIGER


Departement de langue et
litterature allemandes
CH-I211 Geneve 4

1.94 197
WATTS, Richard J. (1991): Power in Family Discourse (= Contributions
to the sociology of language vol. 63), Berlin/New York, Mouton de
Gruyter, 299 p. ISBN 3-11-013228-1

Since the struggle for power and influence is an important facette of


social life, and since on the other hand, verbal communication is central
to social activity, almost any type of discourse may usefully be studied
with the question in mind of how it reflects (and affects) hidden power
conflicts at work in the course of conversational interaction. The
question of how discourse serves the purpose of perpetuating structural
inequality in society and how it might be used (or ought to be
influenced) in order to help overcome inequality has been high on the
agenda of various schools of sociolinguistic research, with intercultural,
class- and gender-specific discourse as favorite themes. While this kind
of research has been mostly preoccupied with types of verbal interaction
exposed to the public eye, discourse activities restricted to the private
sphere of family life have remained largely outside its scope. As a book-
length, full-blown study of the exercice of power in the communicative
setting of "close-knit social networks" (p. 2), the present book treads on
fresh ground.
In view of possible expectations its title could raise, the reader should
be warned that the book, while offering a wealth of analyses of actual
family discourse, is not a compendium for the family therapist concerned
with such things as dominance in the couple or parental power abuse.
Nor does it pretend to provide a representative sampling of patterns of
inequality manifested in the verbal activities of any meaningfully
definable segment of a given population not even of the Southern
British middle class from which the corpus emanates.
Above all, this book is an attempt to answer data at hand
fundamental theoretical and methodological questions such as the
following: What is "power in discourse"? How is it defined? How can it
be observed, categorized, analyzed and described, how can its
mechanisms and effects be apprehended and submitted to
intersubjective assessment according to the norms of scientific inquiry?
How is power exercised, perceived and constrained by family members
in and through their speech activities? In what way do these
systematically differ from verbal interaction outside the family, viz. in
various institutional contexts?

198

195
This is not to say that the data consisting of a total of approximately
ten hours of audio-recordings taken over a period of about two years
during informal gatherings of the same (the author's) extended family -
merely serve to illustrate an otherwise self-contained theoretical
discourse. Substantial extracts of the conversations are dealt with in
considerable analytical detail; the longest of these consists of 300 lines
of uninterrupted interaction, and its analysis fills 40 pages of the book (p.
195ff.). Yet the organization of the subject matter clearly follows an
agenda dictated primarily by theoretical and methodological concerns.
After a brief general introduction to the subject, Chapter 1 gives a
preview of the central analytical concepts of power, interruption and
social network, provides an overview of the book's contents, and
introduces the reader to the family members whose conversations are
being analyzed, among them the author himself whose double role as
participant and observer gives rise to some probing into the depths of
the observer's paradox, as well as into ethical implications of
sociolinguistic fieldwork.
In Chapter 2 such well-known notions as turn, floor, and topic are
defined so as to fit the dynamic model of discourse adapted from D.
SCHIFFRIN's work (1987). Thus, the concept of turn needs to be framed
in such a way as to accommodate various phenomena of overlap and
interference characteristic of informal conversation in family settings,
whereas a definition of floor fitting such circumstances must make
provision for shared rights of speech as a regular feature of the
organization of ongoing speech activities, in lieu of, or alongside with
the one-speaker-at-a-time principle (still considered by many as being
the prototypical format of conversational discourse).
Power, in such a setting, appears, essentially, not as something which
one "has" or "does not have" but as a relationship between interactants,
and, moreover, as a dynamic rather than a static relationship, one which
is constantly being negotiated as conversation goes on, hereby giving
credence to the claim that "no discourse can ever be free of power and
the exercice of power" (p. 2). Most of Chapter 3 is devoted to the attempt
to establish a distinction between the two latter terms. Exercice of power
is defined as follows: "A exercises power over B when A affects B in a
manner contrary to B's initially perceived interests, regardless of
whether B later comes to accept the desirability of A's actions" (p. 62;
italics TB). By contrast, power per se does not imply a conflict of
interests; it is defined as the "capacity ... to achieve [one's) desired goals
regardless of whether or not this involves the potential to impose A's will
199

196
on others to carry out actions that are in A's interest" (p. 60; italics TB).
Since however power "is always revealed in interaction with others"
(ibid.), it is difficult to see how the two definitions relate to each other, i.e.
how the broader notion of power could be operationalized and brought
to bear on the analysis apart from its exercice, which inevitably implies a
conflict of interest between the participants.
While one may find somewhat excessive the author's further claim
that "power can most clearly be seen to be exercised in interruptive
behaviour" (p. 4; italics TB), one will more readily concur with him that
phenomena of interruption do indeed provide a valid empirical starting
point for studying power in discourse. More than 40 pages, covering the
full length of Chapter 4, are devoted to a pervasive and highly
perspicuous survey and critique of the past and current use of the notion
of "interruption" in social science and in conversation analysis, leading
up to the following definition: "An interruption is any activity, verbal or
non-verbal, which intrudes upon the current speaker's turn and in doing
so presents a threat to her/his negative face and restricts freedom of
action to achieve her/his goals, simultaneously damaging, in the process,
her/his positive face and thereby her/his status in the group." (p. 107)
Chapter 5 looks at interruptions - in the sense of the definition just
quoted as a special case of "interventions". This latter term is used to
cover the wider spectrum of interference phenomena including those
whose effect on face and status is perceived as positive or neutral.
Studying interruptive behaviour within the framework of a typology of
interventions provides a heuristic basis for locating potential power
conflicts in ongoing discourse. Moreover, a perspective opens up on
distinctive features of conversational genres and on intercultural
comparison, since the criteria determining when an intervention is likely
to be perceived as interruptive in more formal conversational settings
tend to differ systematically from criteria applicable to informal family
gatherings, and may also be expected to vary according to culture-spe-
cific rules of social interaction.
In keeping with the dynamic-interactional conception of "power in
discourse", interruption "becomes a matter for negotiation and
interpretation and cannot be equated with structural criteria" (p.83). I.e.,
the analysis can no longer be based on predefined features traditionally
invoked by conversation analysts, such as overlapping speech, transition
projectability, and other phenomena of interference in another person's
ongoing speech, as perceived by the analyst. The ensuing major shift in
general methodology towards a participant centered approach raises a
200

197
series of methodological questions which are foundational to a science
of pragmatics whose basic question, as we might say, is no longer what
people do when they talk, but what they think they do when they talk,
respectively what they think is being done to them when they are
being talked to. For example, if what constitutes an interruption is no
longer a matter for interpretation by the analyst but by the participants,
then the obvious question is how the former gains access to the
interpretation of the latter. Where does the analyst get the clues? A
possible answer would be to interview the participants after the event.
The author rejects this strategy on the grounds that granted even that
circumstances permit it - "interpretation after the event is always one
reading of that event among many" (p. 91). Instead he chooses what to
him appears to be "the only valid alternative" , namely to "look for as
much evidence as possible in the participants' overall behaviour for their
own interpretations of events at or shortly after the point in time at which
and in the setting in which they occurred" (loc. cit.). His confidence that
discourse internal evidence of this kind will yield reliable results rests on
the assumption that the threat of face loss caused by interruptive
behaviour is bound to lead (if perceived as such) to unmistakable
reactions in the speech behaviour of the participant who is being
interrupted.
The concept of network, borrowed from sociology, provides a useful
framework for describing the social structure of a close-knit group based
on kinship relations. In order to account for the dynamics of
renegotiation of power distribution as it occurs during verbal interaction,
a distinction is made in Chapters 6ff. between latent and emergent
networks. Latent networks serve to conceptualise links between
members of the group and mutual perception of their status prior to and
independently of the ongoing conversation, whereas an emergent
network "refers to the interpersonal links established, maintained and
altered in the process of the social interaction itself' (p. 204; italics
R1 W).
Among several non-trivial hypotheses derived from this innovative
concept of emergent networks, one which deserves mentioning is that
the amount of time during which a participant holds the floor has no
direct and necessary incidence on his or her status. The stake of the
game is not floor but topic control: Gaining or retaining access to or
control over the topic is tantamount to increasing one's status in the
emergent network, failure to gain access or losing it means a decrease in
one's status.
201
198
However, as the author notes en passant, enhancement of status does
not follow automatically from successfully tabling a topic. In the case of
a request, e.g., "the member who put the request will retain status unless
the response is unfavourable to her /him" (p. 191; italics TB). While the
restricting unless-clause of this statement is not further elaborated, its
significance lies in the implied admission that there may be other
conditions apart from intervention strategies that influence the mutual
perception of status in emergent networks and consequently co-
determine the negotiation of power relationships during the interaction. I
suspect that deeper probing of actual cases of this kind would
demonstrate the lopsidedness of the basic assumption according to
which the negotation, of status and power in emergent networks is
carried out primarily at the level of the organization of talk. It might lead,
ultimately, to viewing the dynamics of power in discourse as the
combined effect of intervention strategies and content related factors
such as argumentative orientation, register, and negative connotations
carried by strategic lexical items, rather than primarily or exclusively as
an effect due to interruptive tactics.
To sum up, the book under review merits to be commended for three
major reasons at least:
(i) It presents and illustrates in considerable theoretical depth and
analytical detail a methodological framework for analyzing non-
dyadic conversation. Assigning it its place on the growing edge of
the discipline is justified by the advance it represents towards the
methodological foundation of a participant oriented approach in
intervention research and, as a corollary, of the dynamic aspects of
the manifestation of power in and through discourse.
(ii) The book provides a useful and lucid discussion of important aspects
of past and current work in several areas of discourse pragmatics,
amounting in some cases, most notably in the domain of interruptive
behaviour, to a veritable state-of-the-art treatise. Its limitation in this
respect is that only Anglo-Saxon research is taken into account.
(iii) Last but not least the excellent quality of the exposition needs to be
stressed. Thanks to the summary statements provided at the
beginning and end of each major section, the reader can plunge into
the text almost at any point without getting lost. An author and
subject index usefully supplements the exposition.
The book's major setbacks - and challenges for ongoing and future re-
search - are, in my view, the following:

202
199
(i) While I can see the need for differentiating between status and power
(since power may be exercised without status, and status does not
need to activate its potential to exercice power), I find the conceptual
divorce between power and its exercice cumbersome and, in the last
resort, unnecessary.
(ii) The extent to which operations over status and power relationships in
family discourse are preeminently mediated, as the author claims,
through management of turn and topic alone rather than on a par
with lexical choice, evaluative comments, etc., remains, to say the
least, open to debate. A fully adequate treatment of the book's topic
would have to deal in some way with these other aspects. This would
require a broader perspective from the outset and probably a
somewhat different methodology as well.
(iii) Visual cues and other paralinguistic aspects of communication
which undoubtedly play a major role in conditioning and
determining the nature of participants' reactions and mutual
evaluations - have remained outside the scope of the analysis. As the
author himself points out, considerations of discretion and
acceptability severely limit the exploitation of available technical
resources (e.g. video). This is all the more true where, as is the case
here, ethnographic fieldwork has to reconcile the need to overcome
the barriers protecting the sacrosanct sphere of peoples' private
activities from public inquiry, with the research imperative to ensure
that these same activities remain unaltered by the unavoidable
adverse side-effects of scientifically motivated intrusion.

University of Zurich Thomas BEARTH


Seminar fur allgemeine Sprachwissenschaft
CH-8032 Zurich
Reference
SCHIFFRIN, Deborah (1987): Discourse markers, London, Cambridge University Press.

200
203
Connaissez-vous
('Association des Nouveaux Cahiers d'Allemand?
Nous sommes une association loi 1901 ere& a Nancy it y a dix ans, ge-
r& par un Conseil d'Administration comptant des collegues de plusieurs
universites (Montpellier, Nancy, Nice, Reims et Paris-Sorbonne) et animee
par les membres du Groupe lexicographique de l'Universite de Nancy II (et
leur famine!).

Nous nous sommes fixes pour tache d'editer une revue trimestrielle de
linguistique et de didactique (Les Nouveaux Cahiers d'Allemand) dont
I'objectif est de contribuer a ('information et a la "formation permanente"
des enseignants d'allemand de tous les ordres d'enseignement.
(Abonnement a Vann& civile, pour 1993: Fr.f. 90.- pour les particuliers,
Fr.f. 120.- pour les institutions)

Outre la revue, nous editons chaque armee un ou deux numeros "special


concours" ou lion trouve des articles traitant des questions du programme
des concours. (Prix variable selon importance du volume)
Par ailleurs, nous avons public une Initiation au commentaire gram-
matical primitivement destine aux candidate au CAPES mais qui peut in-
teresser tous ceux qui ont a expliquer la grammaire en contexte. (260
pages, Prix: Fr.f. 65.- Franco, tarif lettre)

Notre premiere production est le ler tome des Invariables difficiles, dic-
tionnaire allemand-francais des connecteurs, interjections et autres "parti-
cules" qui comportera 4 tomes pour un total de 1000 a 1200 pages.
(Premier tome: 320 pages, Prix: Fr.f. 75.-)

C'est pour pouvoir offrir le meilleur service au meilleur prix que nous
nous adressons directement a vous, sans passer par les maisons d'editions
ou les libraires.

Pour en savoir plus sur notre association ou obtenir la liste des articles
publics dans notre revue, n'hesitez pas a nous ecrire: M. Rene METRICH,
Secretaire de I'ANCA, 18, rue d'Iena, 54630 RICHARDMENIL, France
Tel.: (0033) 83.25.65.94.

Mit freundlichen Griissen

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