Videos by Aurélien Gabriel Cohen
21 minutes
Réalisation - Aurélien Gabriel Cohen & Denis Chartier
Montage - Mélanie Bénard
Film... more 21 minutes
Réalisation - Aurélien Gabriel Cohen & Denis Chartier
Montage - Mélanie Bénard
Filmé dans les vignes de Noëlla Morantin, Les Pichiaux, Pouillé (Loir-et-Cher)
Dans nos interrogations sur la relation entre les vignerons et les autres vivants, la question de la faune sauvage est vite apparue comme particulièrement délicate et complexe. Il y a en effet des conflits d’usage entre d’un côté les chevreuils, attirés au printemps par les jeunes pousses de vignes et en été par le raisin mûr, et de l’autre la conduite de la vigne et sa récolte. Pour autant, il nous a paru intéressant d’essayer d’appréhender les croisements et les évitements entre ces multiples présences, en particulier dans ces vignes de lisière, en contact direct avec la forêt. Esquisser une piste finalement, entre l’émerveillement que produit la seule silhouette de l’animal sauvage, l’incompréhension devant son autonomie entêtée et la colère, parfois, face aux dégâts qu’il peut provoquer sur les cultures. 7 views
Papers by Aurélien Gabriel Cohen
Terrestres, 2022
Et si avec la guerre en Ukraine, le nucléaire vivait une épreuve de vérité décisive ? Cette techn... more Et si avec la guerre en Ukraine, le nucléaire vivait une épreuve de vérité décisive ? Cette technologie a été conçue pour être développée dans un temps de paix et de stabilité sociale. Or, l'évènement ukrainien souligne qu'un tel postulat est non seulement illusoire, mais relève de ce que nous appelons l'inconséquence atomique. En ce sens, l'indétermination historique nous oblige à réexaminer les conditions de possibilité du nucléaire.
Cahiers Philosophiques, 2018
Cet article entend explorer le problème de la description adéquate de certaines pratiques agroéco... more Cet article entend explorer le problème de la description adéquate de certaines pratiques agroécologiques, souvent inspirées par la permaculture, dans la manière dont elles interrogent des formes d’hybridité entre sauvage et domestique, entre maîtrise et laisser-faire. En les analysant conjointement comme des lisières entre des modes d’action et comme des usages oxymoriques des catégories de la description, on cherchera à montrer la manière dont ces pratiques du végétal mettent en travail certains dualismes structurants de la pensée moderne.
Tracés, Sep 19, 2017
Cet article propose une analyse des différences épistémologiques infrastructurelles entre l’agron... more Cet article propose une analyse des différences épistémologiques infrastructurelles entre l’agronomie conventionnelle et les agroécologies, plus particulièrement dans leurs modes d’administration des variations, c’est-à-dire des dynamiques écologiques, évolutives et comportementales du vivant. À travers une synthèse des conditions historiques de l’émergence en France des sciences agronomiques, ce travail tente d’isoler plus précisément les postulats et les protocoles qui ont abouti à l’institutionnalisation d’une forme particulière de science agronomique comme modèle dominant. Nous examinerons également comment cette structuration historique autour d’un paradigme nomologico-prescriptif constitue la condition de possibilité d’une alliance objective entre cette agronomie et l’industrie. En parallèle de ce modèle dominant, cet article fait l’hypothèse que la forme d’enquête écologique historique et située autour de laquelle se structurent les différentes approches agroécologiques, et en particulier la permaculture, semble mieux à même d’informer des pratiques agricoles renouvelées, répondant conjointement à l’érosion politique et scientifique du modèle agronomique dominant et à la crise écologique systémique dont il est en partie responsable.
Book Chapters by Aurélien Gabriel Cohen
Bonneuil C., Humbert L. & Lyautey, M. (dir.), Histoire des modernisations agricoles au XXe siècle, 2021
[Version longue prépublication]
Nous nous proposons d’examiner, à travers l'étude de deux ouvr... more [Version longue prépublication]
Nous nous proposons d’examiner, à travers l'étude de deux ouvrages écrits par d'importants agronomes français, les liens épistémologiques entre observation, explication et prescription dans les sciences agronomiques françaises juste avant le tournant de la modernisation, en nous intéressant à la manière particulière dont celles-ci articulent ces trois aspects à l’intérieur d’une théorie moderne des sciences appliquées. Cette approche repose sur une hypothèse méthodologique : le fait qu’une explicitation du cadre épistémologique de la science agronomique dominante puisse permettre de mieux caractériser les formes concrètes prises par la modernisation agricole en France, en tant que l’agronomie a pu servir à la fois de source de connaissance et d’autorité justificatrice dans la conduite de ce processus. Pour éprouver cette hypothèse, nous avons choisi de porter notre attention sur deux textes qui nous semblent à la fois caractéristiques de ce que l’on pourrait appeler une épistémologie modernisatrice, tout en étant par ailleurs suffisamment réflexifs et nuancés pour en ressentir les problèmes.
Foyer Jean, Chauné Aurélie & Boisvert Valérie (dir.), Les esprits scientifiques. Savoirs et croyances dans les agricultures alternatives, 2022
Plan 3-Au matin des vendanges 8. Plan 4-Les vendanges 9. Futur Fossile. Plantain. n°1 10. Futur F... more Plan 3-Au matin des vendanges 8. Plan 4-Les vendanges 9. Futur Fossile. Plantain. n°1 10. Futur Fossile. Ombellifère. n°1 Pour l'ensemble des photographies : © collectif Vin-Vivants DRAFT juin 2021 Cet article est l'avant dernière version d'un papier à paraitre dans Foyer Jean, Chauné Aurélie & Boisvert Valérie, Les esprits scientifiques. Savoirs et croyances dans les agricultures alternatives, Grenoble,
Inquiries by Aurélien Gabriel Cohen
Billebaude — Cueillir, May 2018
Ce matin, le gel a complètement recouvert le bocage. Sur les talus les mieux exposés, au creux de... more Ce matin, le gel a complètement recouvert le bocage. Sur les talus les mieux exposés, au creux des rosettes, les plantes se débarrassent peu à peu de leur gangue de givre. Mais le soleil reste bas et l'on sait qu'une feuille gelée se brise si on la cueille. Alors, pour patienter quelques heures jusqu'au dégel, c'est dans les tasses que l'on retrouvera les cueillettes des beaux jours.
SOLDES Almanach, May 2017
Nous sommes à quelques kilomètres de Paris, aux Monts-Gardés, une enclave de 35 hectares bordée p... more Nous sommes à quelques kilomètres de Paris, aux Monts-Gardés, une enclave de 35 hectares bordée par les voies du TGV, ancienne base de vie du chantier de la Ligne à Grande Vitesse, avec ses aires de dépôts de milliers de mètres cubes de matériaux. Depuis, le début des années 2000, Agnès Sourisseau y mène un travail expérimental de restauration écologique, une exploration au long cours où elle interroge les relations entre l’observation et l’action, entre le vivant et les formes de l’habiter. Parcours philosophique en sept étapes, en forme de manuel D.I.Y.
Working Papers by Aurélien Gabriel Cohen
Cahiers COSTECH, 2018
En suivant l’évolution d’un projet conduit sur le territoire des Monts Gardés, au carrefour de la... more En suivant l’évolution d’un projet conduit sur le territoire des Monts Gardés, au carrefour de la Seine-Saint-Denis et de la Seine-et-Marne, cet article entend examiner les convergences possibles entre projet de paysage, restauration écologique et pratique agricole, en questionnant la manière dont une approche scientifique et sensible du paysage, basée notamment sur les concepts de restauration de sols dégradés et de fonctionnalité écologique, peut contribuer à reconnecter un projet de paysage et les usages humains et non-humains d’un territoire. Il s’agit également de proposer l’amorce d’un décloisonnement théorique et pratique, en interrogeant conjointement les aspects fonctionnels, esthétiques et productifs d’un paysage à l’aune des enjeux écologiques contemporains.
Research-creation by Aurélien Gabriel Cohen
Exposition Des Vivants, des Vins, 2019
Pensé comme un projet hybride entre sciences humaines, arts plastiques et sciences du vivant, Vin... more Pensé comme un projet hybride entre sciences humaines, arts plastiques et sciences du vivant, Vin/Vivants entend rendre sensible les réponses que des pratiques situées et attachées à un territoire peuvent composer face à la crise écologique contemporaine. C’est dans cette perspective que nous avons fait le choix d’un territoire — une portion des vallées du Cher et du Beuvron, entre Blois et Saint-Aignan — et d’une pratique — la viticulture « naturelle », qui se caractérise par un travail de composition avec les processus vivants. Cette articulation entre un territoire et une pratique nous semble à même de constituer un terrain d’enquête dans lequel se rencontrent le local et le global : un carrefour de problèmes éco-politiques depuis lequel interroger les modes de relations au vivant qui s’inventent en marge des modèles dominants, des mystères de l’ivresse à ceux de la biologie des sols, de la cohabitation du vigneron et du chevreuil à la relation aux levures indigènes.
Talks by Aurélien Gabriel Cohen
Séminaire "Spatialités des Vivants" / LADYSS, 2022
L’objet de cette présentation sera d’essayer de saisir le rôle d’une certaine rationalité moderni... more L’objet de cette présentation sera d’essayer de saisir le rôle d’une certaine rationalité modernisatrice dans le processus de transformation de l’agriculture française au tournant des années 60/70 : ce que nous nommons le vitalisme entrepreunarial. Cette formule désigne une nouvelle forme de légitimation de la société de marché et de l'activité économique, qui repose non plus sur sa naturalisation, comme dans le libéralisme classique analysé par Karl Polanyi, mais sur une vitalisation évolutionniste des logiques de marché et d'innovation. Une bascule depuis l’ordre de la nature vers le désordre de la vie, où l’intensité vitale se confond in fine avec le risque économique.
C'est dans la philosophie d'Henri Bergson, en particulier dans L'évolution créatrice, que nous chercherons d'abord à mieux caractériser ce geste philosophique de réforme évolutionniste et vitaliste de la modernité et des processus modernisateurs.
Puis, en examinant le rôle discret mais structurant de ce vitalisme néolibéral dans les politiques agricoles françaises et leurs légitimations théoriques et politiques, nous chercherons à montrer l’importance de la double figure de l’ingénieur (agronome) et de l’entrepreneur (agricole) dans ce processus. Le premier comme opérateur du surcontrôle agrotechnique des dynamiques du vivant, le second comme nouvelle norme du travail agricole dans un rapport constant aux instabilités des processus marchands.
En nous appuyant sur ces analyses, nous essayerons finalement de caractériser la modernisation agricole comme un renversement de la précarité légitime, depuis la relation labile et variable aux vivants qui caractérise les pratiques paysannes, vers la relation aux marchés qui structure et détermine l’agro-industrie modernisée.
Séminaire EHESS - "Gouverner le « progrès » et ses dégâts (1810-2016). Histoire et sciences sociales", 2019
Dans cette communication, j'ai choisi de m'interroger sur ce que signifierait un "care" agroécolo... more Dans cette communication, j'ai choisi de m'interroger sur ce que signifierait un "care" agroécologique, à rebours du "care" agroindustriel, fondé sur l'isolement comme condition de la santé, et qui implique à la fois une pratique de transformation et de simplification des milieux et des topographies et une politique d'éradication de toute menace, qui trouve spontanément un réservoir de techniques adaptées dans les technologies militaires. À l'inverse, un "care" agroécologique pourrait être envisagé comme une technique de soin basée sur les dynamiques et les interdépendances, retrouvant en cela la définition canguilhemienne de la santé comme aventure vitale relationnelle, à l'intérieur d'un milieu lui-même en constante variation.
Colloque international "Ecologiser la société, matérialiser le politique : mouvements sociaux et transitions vers la durabilité", Jun 26, 2018
Cette communication entend examiner l’hypothèse selon laquelle certaines pratiques agroécologique... more Cette communication entend examiner l’hypothèse selon laquelle certaines pratiques agroécologiques peuvent être comprises comme des formes de luttes et de résistances collectives, impliquant conjointement des humains et des non-humains dans la défense d’intérêts et de territoires partagés. Cette idée d’une communauté de valeur — au sens pragmatiste — qui dépasserait la communauté politique humaine a récemment émergé de façon explicite dans les mouvements sociaux comme une manière de penser les luttes, et donc la question de la défense de ces intérêts partagés, au-delà des seuls collectifs humains. À cet égard, l’emblématique slogan de la Zad de Notre-Dame-des-Landes, « Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend », en propose une formulation aphoristique. En poursuivant cette perspective, nous nous appuierons plus spécifiquement sur les concepts des « interspecies resistance » (Beilin et Suryanarayanan, 2017) et des « alliances vitales » (Morizot, 2017), afin d'examiner la manière dont ces approches permettent de saisir la manière dont des êtres se lient dans des pratiques agricoles à travers deux modalités concrètes du politique : la conflictualité et l’association.
Colloque "Une autre histoire des modernisations agricoles au XXème siècle", Sep 2017
Cette communication entend explorer les liens entre explication et prescription, en s’intéressant... more Cette communication entend explorer les liens entre explication et prescription, en s’intéressant à la manière particulière dont les sciences agronomiques modernes articulent ces deux aspects. En partant de l’hypothèse que cette articulation, qui caractérise ce que l’on pourrait appeler le cadre épistémologique nomologico-prescriptif de l’agronomie dominante, a largement participé à la mise en place de la modernisation agricole, nous souhaitons contribuer à la mise en évidence de la convergence objective entre d’une part une production de savoirs sous la forme de lois générales et d’autre part la transformation des pratiques par ces savoirs à travers des prescriptions techniques souvent autoritaires. Pour ce faire, nous avons choisi de porter ici notre attention sur un texte qui semble à la fois emblématique de cette tendance épistémologique et suffisamment réflexif pour en ressentir les limites et les problèmes. Il s’agit de la thèse de philosophie des sciences, soutenue en 1944 sous la direction de Gaston Bachelard, par le futur directeur du département d’agronomie de l’INRA, Stéphane Hénin, et intitulée De la méthode en agronomie.
En proposant avec cet ouvrage une analyse méthodologique et épistémologique de la relation entre recherche théorique et expérimentation pratique dans les sciences agronomiques, Hénin se trouve confronté aux difficultés inhérentes aux objets scientifiques vivants (Gayon, 2006) et à la manière dont les protocoles et les instruments de l’agronomie peuvent s’y rapporter (Bonneuil, Denis & Mayaud, 2008). C’est à la tension entre d’une part la conscience de l’extrême complexité des agroécosystèmes et d’autre part l’apparente nécessité épistémologique de réduire cette complexité à des causalités simples et maîtrisables que nous voulons nous intéresser. Cette tension ressort explicitement dans l’ouvrage lorsque s’oppose le constat « d’interactions si compliquées qu’il sera peut-être impossible d’en déterminer correctement et simultanément les facteurs » et la tentation technoscientifique de construire un « milieu complètement maîtrisé » dans lequel « on éliminerait peut-être ainsi des interactions dont il a fallu souligner la complexité et le caractère quasi-irrationnel » (Hénin, 1999).
Il nous semble que se joue dans cette tension l’un des problèmes infrastructurels des sciences agronomiques, un problème susceptible d’expliquer en partie les choix épistémologiques singuliers qui ont conduit à la modernisation agricole du xxe siècle. L’étude de l’ouvrage de Hénin nous permettra ainsi de mettre en évidence la relation entre une description faisant état de la complexité des phénomènes, une explication tendanciellement simplificatrice, répondant souvent à des contraintes métrologiques et expérimentales, et la résolution de cette apparente contradiction par l’édiction de prescriptions qui tendent à transformer activement les agroécosystèmes en les simplifiant, pour les rapprocher des conditions expérimentales contrôlées dans lesquelles se sont formées les explications.
En creux, émerge un problème épistémologique et méthodologique plus profond, que nous pourrions résumer, en empruntant le vocabulaire de John Dewey, de la manière suivante : à quel degré de certitude, c’est-à-dire à quel degré de stabilité dans la croyance produite par l’enquête, pouvons-nous raisonnablement prétendre lorsque l’on considère des agroécosystèmes complexes (Dewey, 1993 ; 2014) ? À travers cette formulation, apparaît la question fondamentale de la relation, à l’intérieur de systèmes complexes, entre théorie et action, qui traverse l’épistémologie des sciences agronomiques dans leur relation prescriptive à la modernisation des pratiques agricoles, et à laquelle cette étude historique et philosophique de l’ouvrage de Stéphane Hénin entend contribuer.
Colloque international "Environmental Humanities and New Materialisms: The Ethics of Decolonizing Nature and Culture", Jun 2017
Since the end of World War II, Western agriculture went through deep changes. The switch to the a... more Since the end of World War II, Western agriculture went through deep changes. The switch to the agro-industrial system had major ecological, political, economical and social consequences, which have been quite well studied both by life sciences and humanities. However, the sensitive aspects of this major upheaval have often been neglected.
This presentation is an attempt to understand the philosophical implications of what many farmers, when asked about the relations between them and the land they work with, spontaneously called an attachment. What this instinctive wording seems to imply, is that the relation to the land cannot be fully understand through the Modern prism describing the relations to non-human entities, i.e. with concepts such as property or exploitation. There is something else, complex and quite undefined, something indescribable with our Moderns categories; an attachment to a land and its history, to a landscape and the texture of a soil, to a flora and a fauna, in a word to a web of ecological, sensitive and co-constitutive bonds.
From the description range of a relation to the land, we will unravel how agricultural modernization has been a violence to those attachments – an idea we will exemplify with case studies of conflictual regrouping of lands in France between the 1960’s and the 1990’s. Then, following Bruno Latour’s researches on the concept of attachment and examples taken from our own philosophical field inquiries, we will explore the philosophical conditions of an agriculture of relations, caring about attachments, eco-sensitive to the modalities of its relations with the living entities, and asking for « the right not to be deprive of the bonds that make one exist » (Latour).
Colloque international — Le travail aujourd’hui ?, Nov 2016
Comme l’a mis en évidence Bruno Latour, la fin de la modernité nous place dans une situation inéd... more Comme l’a mis en évidence Bruno Latour, la fin de la modernité nous place dans une situation inédite, qui implique de repenser nos attachements et de renoncer au mythe de « l’émancipation comme seul destin possible » (Latour, 2012). Cette nouvelle donne, à laquelle on donne parfois le nom d’Anthropocène, nous contraint à repenser nos catégories et nos pratiques pour les mettre au niveau de la crise écologique systémique, de ses origines et de ses conséquences. Le problème du travail n’échappe pas à cette vaste entreprise de reconstruction, a fortiori dans le domaine agricole où les problématiques sociales et politiques sont directement prises dans des questions écologiques. Comment dès lors repenser le travail agricole dans le mouvement même qui nous oblige à repenser l'agriculture ? Doit-on comprendre que cette fin du grand récit moderne de l'émancipation signe l’arrêt de toute exigence quant à la place et à la forme du travail dans l’existence humaine ?
A contrario de cette opposition entre souci écologique et progrès social, nous faisons l’hypothèse que ces nouveaux attachements, dont nous prenons peu à peu conscience et qui nous obligent à faire de la place à de nouveaux collectifs d’humains et de non- humains, ces attachements sont une formidable occasion de redéfinir aussi le travail dans ses structures les plus profondes. Le problème de la souffrance au travail est particulièrement aigu dans l’agriculture industrielle, que l’on pense, en se limitant à la France, aux réflexions de Jocelyne Porcher sur l’élevage industriel (Porcher, 2004) ou à l’ouvrage de Michèle Salmona qui envisage la standardisation des techniques agricoles et des comportements comme un système autoritaire et normatif générateur de souffrances (Salmona, 1994). En partant de ce constat, nous essayerons de montrer comment la refondation écologique des systèmes agricoles ne saurait faire l’impasse sur une nouvelle pensée du travail, de la méthode et du geste, en dépassant les aliénations induites par le système agro-industriel et en en déconstruisant les fausses libérations.
En lieu et place du travail modernisé, construit autour de la figure d'un individu dont l’émancipation passe par l'usage de techniques qui prétendent in fine l’affranchir de toute relation au vivant non domestiqué en réglant, une fois pour toutes, les conflits d’usage qui l’oppose aux habitants non-humains de sa ferme, nous voulons imaginer ce que serait un travail écologisé, pour reprendre la dichotomie de Latour dans son Enquête sur les modes d’existence. Nous essayerons donc d’explorer les implications d’une telle refondation du travail agricole, en proposant, en lieu et place de la perspective moderne fondée sur une intelligence technique et non systémique, un travail en « bonne intelligence » (Morizot, 2016), sans irénisme, ne niant pas les conflits entre les vivants, mais acceptant quotidiennement le fait d'être pris dans un système complexe de relations hybrides. Cette transformation du travail, dont nous verrons qu'elle se rapproche, par de nombreux aspects, de l’agroécologie et plus particulièrement de la permaculture, s’accompagne d’une théorie de l’enquête et de l’action dans laquelle le geste fondamental consiste moins à vouloir contrôler les résistances en les déclarant nuisibles qu’à tenter d’infléchir les relations en y cherchant les mutualismes. Dans le même mouvement, nous essayerons de mettre en évidence la manière dont ce travail, remodelé par les problèmes de l’Anthropocène, peut également participer d’une émancipation et d’une forme d'empowerment des agriculteurs, aussi bien par une texture quotidienne désormais modelée par l’enquête, et plus par l'application répétée de techniques agronomiques, que par le passage d'une dépendance presque totale à l’agro-industrie (semences, engrais, machines, ...) à une résolution de problèmes passant par la compréhension fine des différentes formes d'interdépendances dans lesquelles nous sommes pris. Une façon d’appliquer au travail cet apparent paradoxe, cette folie pour tout esprit moderne, qui veut que, co-constitués par nos relations écologiques, celles-ci puissent nous libérer tout en nous obligeant.
Posters by Aurélien Gabriel Cohen
4e congrès mondial d'agroforesterie, Montpellier, 2019
Conferences by Aurélien Gabriel Cohen
Cycle de conférence "Du côté des jardins" – MNHN, Jul 2017
Une exploration des enjeux philosophiques, esthétiques et pratiques des jardins à l’aune de la cr... more Une exploration des enjeux philosophiques, esthétiques et pratiques des jardins à l’aune de la crise écologique — ou comment la patiente restauration des dynamiques écologiques peut redonner une santé fonctionnelle à des écosystèmes dégradés, des champs de gravats aux délaissés urbains, des sols agricoles épuisés à la végétalisation de milieux artificialisés.
Translations by Aurélien Gabriel Cohen
Billebaude — Affronter la sixième extinction, Nov 2018
Traduction de Thom Van Dooren, "Unraveling the worlds of snails".
Terrestres, Oct 2018
Traduction de "The Carrier Bag Theory of Fiction", extrait de Ursula K. Le Guin, Dancing at the E... more Traduction de "The Carrier Bag Theory of Fiction", extrait de Ursula K. Le Guin, Dancing at the Edge of the World: Thoughts on Words, Women, Places, Grove Press, 1989.
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Videos by Aurélien Gabriel Cohen
Réalisation - Aurélien Gabriel Cohen & Denis Chartier
Montage - Mélanie Bénard
Filmé dans les vignes de Noëlla Morantin, Les Pichiaux, Pouillé (Loir-et-Cher)
Dans nos interrogations sur la relation entre les vignerons et les autres vivants, la question de la faune sauvage est vite apparue comme particulièrement délicate et complexe. Il y a en effet des conflits d’usage entre d’un côté les chevreuils, attirés au printemps par les jeunes pousses de vignes et en été par le raisin mûr, et de l’autre la conduite de la vigne et sa récolte. Pour autant, il nous a paru intéressant d’essayer d’appréhender les croisements et les évitements entre ces multiples présences, en particulier dans ces vignes de lisière, en contact direct avec la forêt. Esquisser une piste finalement, entre l’émerveillement que produit la seule silhouette de l’animal sauvage, l’incompréhension devant son autonomie entêtée et la colère, parfois, face aux dégâts qu’il peut provoquer sur les cultures.
Papers by Aurélien Gabriel Cohen
Book Chapters by Aurélien Gabriel Cohen
Nous nous proposons d’examiner, à travers l'étude de deux ouvrages écrits par d'importants agronomes français, les liens épistémologiques entre observation, explication et prescription dans les sciences agronomiques françaises juste avant le tournant de la modernisation, en nous intéressant à la manière particulière dont celles-ci articulent ces trois aspects à l’intérieur d’une théorie moderne des sciences appliquées. Cette approche repose sur une hypothèse méthodologique : le fait qu’une explicitation du cadre épistémologique de la science agronomique dominante puisse permettre de mieux caractériser les formes concrètes prises par la modernisation agricole en France, en tant que l’agronomie a pu servir à la fois de source de connaissance et d’autorité justificatrice dans la conduite de ce processus. Pour éprouver cette hypothèse, nous avons choisi de porter notre attention sur deux textes qui nous semblent à la fois caractéristiques de ce que l’on pourrait appeler une épistémologie modernisatrice, tout en étant par ailleurs suffisamment réflexifs et nuancés pour en ressentir les problèmes.
Inquiries by Aurélien Gabriel Cohen
Working Papers by Aurélien Gabriel Cohen
Research-creation by Aurélien Gabriel Cohen
Talks by Aurélien Gabriel Cohen
C'est dans la philosophie d'Henri Bergson, en particulier dans L'évolution créatrice, que nous chercherons d'abord à mieux caractériser ce geste philosophique de réforme évolutionniste et vitaliste de la modernité et des processus modernisateurs.
Puis, en examinant le rôle discret mais structurant de ce vitalisme néolibéral dans les politiques agricoles françaises et leurs légitimations théoriques et politiques, nous chercherons à montrer l’importance de la double figure de l’ingénieur (agronome) et de l’entrepreneur (agricole) dans ce processus. Le premier comme opérateur du surcontrôle agrotechnique des dynamiques du vivant, le second comme nouvelle norme du travail agricole dans un rapport constant aux instabilités des processus marchands.
En nous appuyant sur ces analyses, nous essayerons finalement de caractériser la modernisation agricole comme un renversement de la précarité légitime, depuis la relation labile et variable aux vivants qui caractérise les pratiques paysannes, vers la relation aux marchés qui structure et détermine l’agro-industrie modernisée.
En proposant avec cet ouvrage une analyse méthodologique et épistémologique de la relation entre recherche théorique et expérimentation pratique dans les sciences agronomiques, Hénin se trouve confronté aux difficultés inhérentes aux objets scientifiques vivants (Gayon, 2006) et à la manière dont les protocoles et les instruments de l’agronomie peuvent s’y rapporter (Bonneuil, Denis & Mayaud, 2008). C’est à la tension entre d’une part la conscience de l’extrême complexité des agroécosystèmes et d’autre part l’apparente nécessité épistémologique de réduire cette complexité à des causalités simples et maîtrisables que nous voulons nous intéresser. Cette tension ressort explicitement dans l’ouvrage lorsque s’oppose le constat « d’interactions si compliquées qu’il sera peut-être impossible d’en déterminer correctement et simultanément les facteurs » et la tentation technoscientifique de construire un « milieu complètement maîtrisé » dans lequel « on éliminerait peut-être ainsi des interactions dont il a fallu souligner la complexité et le caractère quasi-irrationnel » (Hénin, 1999).
Il nous semble que se joue dans cette tension l’un des problèmes infrastructurels des sciences agronomiques, un problème susceptible d’expliquer en partie les choix épistémologiques singuliers qui ont conduit à la modernisation agricole du xxe siècle. L’étude de l’ouvrage de Hénin nous permettra ainsi de mettre en évidence la relation entre une description faisant état de la complexité des phénomènes, une explication tendanciellement simplificatrice, répondant souvent à des contraintes métrologiques et expérimentales, et la résolution de cette apparente contradiction par l’édiction de prescriptions qui tendent à transformer activement les agroécosystèmes en les simplifiant, pour les rapprocher des conditions expérimentales contrôlées dans lesquelles se sont formées les explications.
En creux, émerge un problème épistémologique et méthodologique plus profond, que nous pourrions résumer, en empruntant le vocabulaire de John Dewey, de la manière suivante : à quel degré de certitude, c’est-à-dire à quel degré de stabilité dans la croyance produite par l’enquête, pouvons-nous raisonnablement prétendre lorsque l’on considère des agroécosystèmes complexes (Dewey, 1993 ; 2014) ? À travers cette formulation, apparaît la question fondamentale de la relation, à l’intérieur de systèmes complexes, entre théorie et action, qui traverse l’épistémologie des sciences agronomiques dans leur relation prescriptive à la modernisation des pratiques agricoles, et à laquelle cette étude historique et philosophique de l’ouvrage de Stéphane Hénin entend contribuer.
This presentation is an attempt to understand the philosophical implications of what many farmers, when asked about the relations between them and the land they work with, spontaneously called an attachment. What this instinctive wording seems to imply, is that the relation to the land cannot be fully understand through the Modern prism describing the relations to non-human entities, i.e. with concepts such as property or exploitation. There is something else, complex and quite undefined, something indescribable with our Moderns categories; an attachment to a land and its history, to a landscape and the texture of a soil, to a flora and a fauna, in a word to a web of ecological, sensitive and co-constitutive bonds.
From the description range of a relation to the land, we will unravel how agricultural modernization has been a violence to those attachments – an idea we will exemplify with case studies of conflictual regrouping of lands in France between the 1960’s and the 1990’s. Then, following Bruno Latour’s researches on the concept of attachment and examples taken from our own philosophical field inquiries, we will explore the philosophical conditions of an agriculture of relations, caring about attachments, eco-sensitive to the modalities of its relations with the living entities, and asking for « the right not to be deprive of the bonds that make one exist » (Latour).
A contrario de cette opposition entre souci écologique et progrès social, nous faisons l’hypothèse que ces nouveaux attachements, dont nous prenons peu à peu conscience et qui nous obligent à faire de la place à de nouveaux collectifs d’humains et de non- humains, ces attachements sont une formidable occasion de redéfinir aussi le travail dans ses structures les plus profondes. Le problème de la souffrance au travail est particulièrement aigu dans l’agriculture industrielle, que l’on pense, en se limitant à la France, aux réflexions de Jocelyne Porcher sur l’élevage industriel (Porcher, 2004) ou à l’ouvrage de Michèle Salmona qui envisage la standardisation des techniques agricoles et des comportements comme un système autoritaire et normatif générateur de souffrances (Salmona, 1994). En partant de ce constat, nous essayerons de montrer comment la refondation écologique des systèmes agricoles ne saurait faire l’impasse sur une nouvelle pensée du travail, de la méthode et du geste, en dépassant les aliénations induites par le système agro-industriel et en en déconstruisant les fausses libérations.
En lieu et place du travail modernisé, construit autour de la figure d'un individu dont l’émancipation passe par l'usage de techniques qui prétendent in fine l’affranchir de toute relation au vivant non domestiqué en réglant, une fois pour toutes, les conflits d’usage qui l’oppose aux habitants non-humains de sa ferme, nous voulons imaginer ce que serait un travail écologisé, pour reprendre la dichotomie de Latour dans son Enquête sur les modes d’existence. Nous essayerons donc d’explorer les implications d’une telle refondation du travail agricole, en proposant, en lieu et place de la perspective moderne fondée sur une intelligence technique et non systémique, un travail en « bonne intelligence » (Morizot, 2016), sans irénisme, ne niant pas les conflits entre les vivants, mais acceptant quotidiennement le fait d'être pris dans un système complexe de relations hybrides. Cette transformation du travail, dont nous verrons qu'elle se rapproche, par de nombreux aspects, de l’agroécologie et plus particulièrement de la permaculture, s’accompagne d’une théorie de l’enquête et de l’action dans laquelle le geste fondamental consiste moins à vouloir contrôler les résistances en les déclarant nuisibles qu’à tenter d’infléchir les relations en y cherchant les mutualismes. Dans le même mouvement, nous essayerons de mettre en évidence la manière dont ce travail, remodelé par les problèmes de l’Anthropocène, peut également participer d’une émancipation et d’une forme d'empowerment des agriculteurs, aussi bien par une texture quotidienne désormais modelée par l’enquête, et plus par l'application répétée de techniques agronomiques, que par le passage d'une dépendance presque totale à l’agro-industrie (semences, engrais, machines, ...) à une résolution de problèmes passant par la compréhension fine des différentes formes d'interdépendances dans lesquelles nous sommes pris. Une façon d’appliquer au travail cet apparent paradoxe, cette folie pour tout esprit moderne, qui veut que, co-constitués par nos relations écologiques, celles-ci puissent nous libérer tout en nous obligeant.
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Réalisation - Aurélien Gabriel Cohen & Denis Chartier
Montage - Mélanie Bénard
Filmé dans les vignes de Noëlla Morantin, Les Pichiaux, Pouillé (Loir-et-Cher)
Dans nos interrogations sur la relation entre les vignerons et les autres vivants, la question de la faune sauvage est vite apparue comme particulièrement délicate et complexe. Il y a en effet des conflits d’usage entre d’un côté les chevreuils, attirés au printemps par les jeunes pousses de vignes et en été par le raisin mûr, et de l’autre la conduite de la vigne et sa récolte. Pour autant, il nous a paru intéressant d’essayer d’appréhender les croisements et les évitements entre ces multiples présences, en particulier dans ces vignes de lisière, en contact direct avec la forêt. Esquisser une piste finalement, entre l’émerveillement que produit la seule silhouette de l’animal sauvage, l’incompréhension devant son autonomie entêtée et la colère, parfois, face aux dégâts qu’il peut provoquer sur les cultures.
Nous nous proposons d’examiner, à travers l'étude de deux ouvrages écrits par d'importants agronomes français, les liens épistémologiques entre observation, explication et prescription dans les sciences agronomiques françaises juste avant le tournant de la modernisation, en nous intéressant à la manière particulière dont celles-ci articulent ces trois aspects à l’intérieur d’une théorie moderne des sciences appliquées. Cette approche repose sur une hypothèse méthodologique : le fait qu’une explicitation du cadre épistémologique de la science agronomique dominante puisse permettre de mieux caractériser les formes concrètes prises par la modernisation agricole en France, en tant que l’agronomie a pu servir à la fois de source de connaissance et d’autorité justificatrice dans la conduite de ce processus. Pour éprouver cette hypothèse, nous avons choisi de porter notre attention sur deux textes qui nous semblent à la fois caractéristiques de ce que l’on pourrait appeler une épistémologie modernisatrice, tout en étant par ailleurs suffisamment réflexifs et nuancés pour en ressentir les problèmes.
C'est dans la philosophie d'Henri Bergson, en particulier dans L'évolution créatrice, que nous chercherons d'abord à mieux caractériser ce geste philosophique de réforme évolutionniste et vitaliste de la modernité et des processus modernisateurs.
Puis, en examinant le rôle discret mais structurant de ce vitalisme néolibéral dans les politiques agricoles françaises et leurs légitimations théoriques et politiques, nous chercherons à montrer l’importance de la double figure de l’ingénieur (agronome) et de l’entrepreneur (agricole) dans ce processus. Le premier comme opérateur du surcontrôle agrotechnique des dynamiques du vivant, le second comme nouvelle norme du travail agricole dans un rapport constant aux instabilités des processus marchands.
En nous appuyant sur ces analyses, nous essayerons finalement de caractériser la modernisation agricole comme un renversement de la précarité légitime, depuis la relation labile et variable aux vivants qui caractérise les pratiques paysannes, vers la relation aux marchés qui structure et détermine l’agro-industrie modernisée.
En proposant avec cet ouvrage une analyse méthodologique et épistémologique de la relation entre recherche théorique et expérimentation pratique dans les sciences agronomiques, Hénin se trouve confronté aux difficultés inhérentes aux objets scientifiques vivants (Gayon, 2006) et à la manière dont les protocoles et les instruments de l’agronomie peuvent s’y rapporter (Bonneuil, Denis & Mayaud, 2008). C’est à la tension entre d’une part la conscience de l’extrême complexité des agroécosystèmes et d’autre part l’apparente nécessité épistémologique de réduire cette complexité à des causalités simples et maîtrisables que nous voulons nous intéresser. Cette tension ressort explicitement dans l’ouvrage lorsque s’oppose le constat « d’interactions si compliquées qu’il sera peut-être impossible d’en déterminer correctement et simultanément les facteurs » et la tentation technoscientifique de construire un « milieu complètement maîtrisé » dans lequel « on éliminerait peut-être ainsi des interactions dont il a fallu souligner la complexité et le caractère quasi-irrationnel » (Hénin, 1999).
Il nous semble que se joue dans cette tension l’un des problèmes infrastructurels des sciences agronomiques, un problème susceptible d’expliquer en partie les choix épistémologiques singuliers qui ont conduit à la modernisation agricole du xxe siècle. L’étude de l’ouvrage de Hénin nous permettra ainsi de mettre en évidence la relation entre une description faisant état de la complexité des phénomènes, une explication tendanciellement simplificatrice, répondant souvent à des contraintes métrologiques et expérimentales, et la résolution de cette apparente contradiction par l’édiction de prescriptions qui tendent à transformer activement les agroécosystèmes en les simplifiant, pour les rapprocher des conditions expérimentales contrôlées dans lesquelles se sont formées les explications.
En creux, émerge un problème épistémologique et méthodologique plus profond, que nous pourrions résumer, en empruntant le vocabulaire de John Dewey, de la manière suivante : à quel degré de certitude, c’est-à-dire à quel degré de stabilité dans la croyance produite par l’enquête, pouvons-nous raisonnablement prétendre lorsque l’on considère des agroécosystèmes complexes (Dewey, 1993 ; 2014) ? À travers cette formulation, apparaît la question fondamentale de la relation, à l’intérieur de systèmes complexes, entre théorie et action, qui traverse l’épistémologie des sciences agronomiques dans leur relation prescriptive à la modernisation des pratiques agricoles, et à laquelle cette étude historique et philosophique de l’ouvrage de Stéphane Hénin entend contribuer.
This presentation is an attempt to understand the philosophical implications of what many farmers, when asked about the relations between them and the land they work with, spontaneously called an attachment. What this instinctive wording seems to imply, is that the relation to the land cannot be fully understand through the Modern prism describing the relations to non-human entities, i.e. with concepts such as property or exploitation. There is something else, complex and quite undefined, something indescribable with our Moderns categories; an attachment to a land and its history, to a landscape and the texture of a soil, to a flora and a fauna, in a word to a web of ecological, sensitive and co-constitutive bonds.
From the description range of a relation to the land, we will unravel how agricultural modernization has been a violence to those attachments – an idea we will exemplify with case studies of conflictual regrouping of lands in France between the 1960’s and the 1990’s. Then, following Bruno Latour’s researches on the concept of attachment and examples taken from our own philosophical field inquiries, we will explore the philosophical conditions of an agriculture of relations, caring about attachments, eco-sensitive to the modalities of its relations with the living entities, and asking for « the right not to be deprive of the bonds that make one exist » (Latour).
A contrario de cette opposition entre souci écologique et progrès social, nous faisons l’hypothèse que ces nouveaux attachements, dont nous prenons peu à peu conscience et qui nous obligent à faire de la place à de nouveaux collectifs d’humains et de non- humains, ces attachements sont une formidable occasion de redéfinir aussi le travail dans ses structures les plus profondes. Le problème de la souffrance au travail est particulièrement aigu dans l’agriculture industrielle, que l’on pense, en se limitant à la France, aux réflexions de Jocelyne Porcher sur l’élevage industriel (Porcher, 2004) ou à l’ouvrage de Michèle Salmona qui envisage la standardisation des techniques agricoles et des comportements comme un système autoritaire et normatif générateur de souffrances (Salmona, 1994). En partant de ce constat, nous essayerons de montrer comment la refondation écologique des systèmes agricoles ne saurait faire l’impasse sur une nouvelle pensée du travail, de la méthode et du geste, en dépassant les aliénations induites par le système agro-industriel et en en déconstruisant les fausses libérations.
En lieu et place du travail modernisé, construit autour de la figure d'un individu dont l’émancipation passe par l'usage de techniques qui prétendent in fine l’affranchir de toute relation au vivant non domestiqué en réglant, une fois pour toutes, les conflits d’usage qui l’oppose aux habitants non-humains de sa ferme, nous voulons imaginer ce que serait un travail écologisé, pour reprendre la dichotomie de Latour dans son Enquête sur les modes d’existence. Nous essayerons donc d’explorer les implications d’une telle refondation du travail agricole, en proposant, en lieu et place de la perspective moderne fondée sur une intelligence technique et non systémique, un travail en « bonne intelligence » (Morizot, 2016), sans irénisme, ne niant pas les conflits entre les vivants, mais acceptant quotidiennement le fait d'être pris dans un système complexe de relations hybrides. Cette transformation du travail, dont nous verrons qu'elle se rapproche, par de nombreux aspects, de l’agroécologie et plus particulièrement de la permaculture, s’accompagne d’une théorie de l’enquête et de l’action dans laquelle le geste fondamental consiste moins à vouloir contrôler les résistances en les déclarant nuisibles qu’à tenter d’infléchir les relations en y cherchant les mutualismes. Dans le même mouvement, nous essayerons de mettre en évidence la manière dont ce travail, remodelé par les problèmes de l’Anthropocène, peut également participer d’une émancipation et d’une forme d'empowerment des agriculteurs, aussi bien par une texture quotidienne désormais modelée par l’enquête, et plus par l'application répétée de techniques agronomiques, que par le passage d'une dépendance presque totale à l’agro-industrie (semences, engrais, machines, ...) à une résolution de problèmes passant par la compréhension fine des différentes formes d'interdépendances dans lesquelles nous sommes pris. Une façon d’appliquer au travail cet apparent paradoxe, cette folie pour tout esprit moderne, qui veut que, co-constitués par nos relations écologiques, celles-ci puissent nous libérer tout en nous obligeant.