Chapitre I. — Glides. Rapports des consonnes et des voyelles
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Rapports des consonnes et des voyelles
§ 92. La voyelle est unie à la consonne qui la suit par jonction étroite (fester Anschluss), quelles que soient par ailleurs les conditions d’accentuation, de quantité ou de syllabation.
§ 93. L’opposition qui domine le système consonantique du parler, celle des vélaires et des palatales, domine également les rapports des consonnes et des voyelles, et se trouve réfléchie dans le système vocalique. Là réside sans doute la principale originalité de ce parler au point de vue phonétique.
En effet, dans les langues où les caractères de sonorité, d’ouverture, etc., déterminent les principales oppositions caractéristiques du consonantisme (opposition entre sourdes et sonores, entre occlusives et spirantes), ces oppositions ne sauraient se retrouver dans le vocalisme, qui reste ainsi largement indépendant du consonantisme : une voyelle, étant par définition un phonème sonore et relativement ouvert, ne peut être affectée considérablement par le caractère sourd ou sonore, spirant ou occlusif, des consonnes voisines. Au contraire la nasalité, par exemple, est un caractère qui peut être commun aux voyelles et aux consonnes : aussi la nasalisation est-elle une des formes les plus fréquentes dans les diverses langues de l’influence exercée par les consonnes sur les voyelles environnantes.
De même, les caractères palatale et vélaire, définis par une position linguale avancée ou rétractée, jointe au soulèvement de la partie antérieure ou postérieure du dos de la langue, sont-ils communs aux voyelles et aux consonnes. La rencontre d’une voyelle et d’une consonne soulève donc des problèmes variés, selon que la position linguale (vélaire ou palatale) est fondamentalement la même pour la voyelle et pour la consonne, ou qu’elle diffère plus ou moins. Certaines combinaisons sont actuellement possibles, d’autres ne se rencontrent pas, d’autres donnent lieu au développement de sons intermédiaires (glides).
§ 94. On sait que l’opposition vélaire-palatale, que présente le consonantisme, joue un rôle essentiel tant dans la morphologie que dans le vocabulaire du parler. La tendance est donc de préserver et de renforcer le caractère vélaire ou palatal d’une consonne, en effectuant l’élévation caractéristique de la langue avant même que commence l’implosion de la consonne, et en la maintenant jusqu’à ce que l’explosion soit complétée, ou même légèrement après : le résultat acoustique diffère selon que les voyelles précédentes et suivantes comportent une position linguale analogue ou opposée à celle qu’exige la consonne. Dans le dernier cas, c’est-à-dire là où une consonne vélaire se trouve en contact avec une voyelle d’avant, ou, inversement, une consonne palatale avec une voyelle d’arrière, on entend, avant l’implosion ou après l’explosion, un son intermédiaire, un glide.
§ 95. Le glide d’implosion (on-glide) d’une consonne vélaire est un son vocalique ultra-bref d’arrière de timbre obscur : ə ; celui d’une consonne palatale est un son vocalique ultra-bref d’avant de timbre obscur : ɩ. Ces glides sont d’autant plus développés que l’implosion est plus audible, c’est-à-dire davantage pour une consonne implosive (finale ou devant consonne, cf. § 251) que devant une consonne explosive. Nous avons négligé de rendre cette nuance dans la transcription.
Le glide d’explosion (off-glide) d’une consonne vélaire est une demi-voyelle d’arrière (appendice vélaire) : w ; celui d’une consonne palatale est une demi-voyelle d’avant : j.
§ 96. Les glides ne sont pas également développés après ou avant n’importe quelle consonne de la série vélaire : c’est ainsi que, comme il a été signalé (§ 23) les dentales vélaires ne sont pas assez vélarisées pour développer un glide vélaire w. De même (§§ 71, 73, 81 et 84), r et s sont souvent trop faiblement vélarisés, rʹ et ʃ trop faiblement palatalisés, pour développer des glides nets.
Les glides implosifs n’apparaissent qu’après voyelles longues ; c’est le timbre même de la voyelle brève qui est modifié, dans les conditions où, si la voyelle était longue, un glide apparaîtrait à la fin. Les rapports des consonnes avec les voyelles ne sont donc pas les mêmes selon qu’il s’agit de voyelles longues ou brèves.
§ 97. En principe, une consonne peut être suivie ou précédée d’une voyelle longue d’un timbre quelconque.
Cependant, ɑ꞉ est d’ordinaire légèrement avancé après une consonne palatale : fʲɑ꞉r, ou fʲa꞉r (fearr) « meilleur » (cf. § 189).
Entre consonnes palatales, c’est u꞉, non ᴜ꞉, qu’on a (cf. § 165).
Après consonne vélaire, on a ɪ꞉, non i꞉ (cf. § 138).
§ 98. Une consonne palatale ne développe un j que devant voyelle longue d’arrière : gʲɑ꞉rkəχ (gearrcach) « oison » ; bʲo꞉ (beó) « vivant » ; pʲᴜ꞉nt (pionnt) « pinte » ; mais : bʹi꞉nʹ (binn) « mélodieux » ; kʹe꞉lʹɩ (céile) « compagnon, mari ».
§ 99. Une consonne palatale ne développe un i qu’après voyelle longue d’arrière : ə χɑ꞉ⁱtʹ (a Cháit) « Kate ! » ; bro꞉ⁱgʹ (bróig), dat. de bro꞉g (bróg) « soulier » ; le glide est sensiblement moins développé dans le génitif bro꞉ⁱgʹɩ (bróige) parce que le g est explosif ; kᴜ꞉ⁱlʹ (cúil) « coin, recoin » ; mais bʹrʹe꞉gʹɩ (bréige), gén. de bʹrʹì꞉ag (bréag) « mensonge » ; tɪ꞉dʹɩ (taoide) « flux ».
§ 100. Une consonne vélaire ne développe un w que devant voyelle longue d’avant : kʷi꞉nʹ (caoin) « charmant » ; gʷᴇ̈꞉h (gaoth) « vent » ; mʷᴇ̈꞉ᵊl (maol) « chauve », mais gɑ꞉ (gádh) « bénéfice » ; mo꞉ⁱdʹɩ (móide) « parole » ; dᴜ꞉ⁱlʹ (dúil) « désir ».
Avec appendice non développé : rᴇ̈꞉ᵊbə (raobadh) « gratter, déchirer » ; sᴇ̈꞉əl (saoghal) « ciel » ; tᴇ̈꞉ᵊsg̬ (taosc) « jet ».
§ 101. Une consonne vélaire ne développe un ə qu’après voyelle longue d’avant, non après voyelle longue d’arrière : nɪ꞉ᵊntə (naoidheanta) « net, propre » ; dʹi꞉ᵊl (díol) « vendre » ; ʃi꞉əs, ou ʃi꞉s (síos) « en bas » ; tʹe꞉ᵊn (téigheann) « il vient » ; kʷᴇ̈꞉ᵊχ (caoch) « aveugle » ; gʷᴇ̈꞉ᵊl (gaol) « parenté », mais : kᴜ꞉ (cú) « lévrier » ; glo꞉r (glór) « bruit » ; o꞉g (óg) « jeune » ; bɑ꞉r (barr) « sommet ».
§ 102. Ce fait (très net dans le cas des voyelles longues), que les consonnes palatales développent des glides au contact des voyelles d’arrière, de même que les consonnes vélaires au contact des voyelles d’avant, peut aussi s’exprimer sous la forme : une voyelle qui, mise en contact avec une consonne palatale, provoque l’insertion d’un glide, est une voyelle d’arrière une voyelle qui, mise en contact avec une consonne vélaire, provoque l’insertion d’un glide, est une voyelle d’avant. La voyelle notée ᴇ̈꞉ apparaît donc comme apparentée aux voyelles d’avant : le même principe peut guider dans la classification, assez délicate, des voyelles brèves.
§ 103. Une consonne ne peut pas être suivie ou précédée d’une voyelle brève quelconque ; au contraire, le timbre d’une voyelle brève est plus ou moins rigoureusement déterminé en fonction de la qualité vélaire ou palatale des consonnes suivantes et précédentes.
Soit le cas d’une voyelle suivie et précédée de consonnes, ces consonnes pourront être ou de même qualité, ou de qualité contraire.
§ 104. Dans le premier cas, la voyelle est en accord avec les consonnes qui l’encadrent, c’est-à-dire qu’elle est d’avant si celles-ci sont palatales, d’arrière si celles-ci sont vélaires. Il n’y a pas lieu à développement de glides.
I. Entre deux consonnes palatales. — On peut avoir : i, ᴇ, ɩ (en position atone), α.
ʃinʹɩ (sine) « plus âgé », comp. de ʃαn (sean‑) « vieux » ; tʹinʹɩ (teine) « feu » ; bʹrʹᴇʃ (breis) « davantage » ; kʹᴇlʹtʹ (ceilt) « cacher » ; mʹᴇrʹigʹ (meirg) « rouille » ; gʹatʹɩrʹɩ (geaitiri) « petit bâton, margotin ».
Il importe de souligner le fait que α (la variété la plus avancée d’ɑ, cf. § 146), apparaît ici dans les mêmes conditions qu’une voyelle d’avant.
§ 105. II. Entre deux consonnes vélaires. — ᴜ, ö, λ (devant h), ɔ, o̤ (forme avancée de ɔ), ʌ (forme désarrondie de ɔ), ɑ, a (forme avancée de ɑ, sous l’influence de χ et h, cf. § 186), ə (en position atone).
dᴜv (dubh) « noir » ; mᴜk (muc) « cochon » ; brλh (bruth) « éruption » ; bɔg (bog) « mou, doux » ; gɔb ou go̤b (gob) « bec » ; rʌd (rud) « chose » ; mɑk (mac) « fils » ; səlaꞏχ (salach) « sale », aussi səlaχ ; mɑrəv (marbh) « mort » ; sɑlən (salann) « sel ».
§ 106. Il peut arriver que les consonnes qui précèdent et suivent une voyelle ne soient pas de même qualité. On a alors :
III. Entre consonne vélaire et consonne palatale. — ɪ, forme rétractée de i ; voyelle d’avant, devant laquelle se développe un glide quand il y a lieu : tɪlʹɩ (tuile) « supplément, surplus » ; bʷɪlʹɩ (buile) « rage » ; kʷɪrʹɩ (cuire) « invitation ».
ɛ, qui n’apparaît qu’après des consonnes vélaires comme s et r, qui ne développent pas de glide (sans quoi, on attendrait un glide w) : sɛvʹɩrʹ (saidhbhir) « riche » ; rɛvʹ (raibh) « était ».
ö (cf. § 159), devant lequel ne se développe pas d’appendice vélaire, et qui se comporte donc comme une voyelle d’arrière :
köʃɩ (coise), gén. de kɔs ou ko̤s (cos) « pied » ; löʃg̬ʹɩmʹ (loiscim) « je brûle ».
Parfois o̤ : sg̬o̤lʹ (scoil) « école ».
a, qui ne donne pas davantage lieu au développement d’un glide et, contrairement à α, se comporte donc comme une voyelle d’arrière : maʃɩ (maise) « bénéfice » ; banʹi (bainne) « lait ».
ɩ (en position atone), précédé d’un faible glide : fʹiꞏəkʷɩlʹ (fiacail) « dent » ; dʹαkʷɩrʹ (deacair) « difficile ». Mais il faut noter que, devant voyelle atone, le glide est beaucoup moins net que devant voyelle tonique.
On peut faire entrer dans cette classe certains cas où la consonne qui suit la voyelle est h, qui se comporte comme s’il appartenait à une catégorie intermédiaire entre les vélaires et les palatales. On a ainsi : χah (chaith) « jeta » ; rah (rath) « chance » ; röh (roth) « roue » (mais gén. rɔhə), et cf. § précédent.
§ 107. IV. Entre consonne palatale et consonne vélaire. — ï, voyelle très rétractée, qui ne donne pas lieu au développement d’un glide, et se comporte donc comme une voyelle d’avant : bʹïr (bior) « pointe » ; krʹïs, ou krʹis (crios) et devant h (neutre) : krʹïh (crith) « tremblement ».
o̤ : bʲo̤g (beog) « petit ».
ɛ, devant r suivi de dentale palatale : bʹɛrtʹ (beirt) « deux personnes ».
α, non précédé de glide : bʹαn (bean) « femme » ; gʹαl (geal) « brillant », avec mouillure comme dans gʹᴇtʹ (geit) « sursaut », mais non avec glide comme dans gʲλks (giucs) « mot, syllabe quelconque ».
λ, voyelle d’arrière, précédée de glide : tʲλv (tiubh) « touffu » ; gʲλlə (giolla) « garçon, groom ».
ə en position atone, précédé parfois d’un faible glide : αrʹɩgʲəd et αrʹigʹəd (airgead) « argent » ; taʃtʲəl (taisteal) « voyager » ; particulièrement lorsque ə est en position prétonique (où il conserve quelque tension) : bʲəgɑ̃꞉n (beogán) « un peu » ; kʲəpɑ̃꞉ntə (ceapánta) « contrariant » ; mais le glide peut aussi bien ne pas se développer, ce qui est généralement le cas devant ə post-tonique (au reste souvent avancé dans la direction de ɩ, cf. § 161) : tʹinʹəs (tinneas) « souffrance » ; hɪgʹəs (thuigeas) « je compris » ; mʷɪ꞉nʹtʹərhə (muinteardha) « familier ».
§ 108. Une voyelle peut n’être en contact qu’avec une seule consonne, que celle-ci la suive ou la précède. Le timbre en est déterminé comme suit :
Voyelles brèves en finale de mot. — Normalement, ces voyelles sont atones, le parler évitant les voyelles brèves toniques à la finale (§ 289). Après consonne palatale, on a une voyelle de la série I : tʹᴇ(h) (te) « chaud » ; tɪlʹɩ (tuille) « supplément » ; après consonne vélaire, une voyelle de la série II : bɑ(h) (ba), plur. de bo꞉ (bó) « vache » ; bɔgə (bogadh) « courber, amollir ».
§ 109. Voyelles brèves a l’initiale du mot : Devant consonne palatale. — On peut avoir :
1° Une voyelle de la série I : imʹərtʹ (imirt) « jouer » ; ᴇlʹɩ (eile) « autre » ; αrʹɩ (aire) « soin, attention » ; ɩʃtʹαꞏχ (isteach) « dedans (avec mouvement) ».
2° Une voyelle de la série III, mais dans ce cas, il y a tendance a substituer à cette voyelle une voyelle de la série I : ɪʃg̬ʹɩ et iʃg̬ɩ (uisge) « eau » ; ɛbʹⁱrʹɩ (oibre) « de travail (gén.) » ; ödʹəs ou ᴇdʹəs, ou ɛdʹəs (oideas) « ordonnance » ; ahɩnʹɩ ou αhɩnʹɩ (aithne) « connaissance ».
§ 110. Devant consonne vélaire. — On peut avoir :
1° Une voyelle de la série II : ᴜχt (ucht) « giron » ; ɔkᵊrəs, o̤kᵊrəs (ocras) « faim » ; ɑrəm (arm) « arme » ; ərɑ̃꞉n (arán) « pain ».
2° Une voyelle de la série IV, mais, dans ce cas, il y a tendance à substituer à cette voyelle une voyelle de la série II : ïməl (imeall) « bordure », ou λməl, ou ᴜməl ; ɩnʲ λmərkə (an iomarcadh) « trop », mais plutôt ᴜmərkə (sans l’article) que λmərkə ; αsb̬ə, ou ɑsb̬ə (easba) « manque ».
On voit que, quel que soit le nombre des variétés vocaliques que possède le parler, en une position donnée seul un petit nombre de variétés nettement différenciées est possible. De plus, en l’absence d’éléments consonantiques déterminants, plusieurs variétés tendent à se confondre.