Quelle Europe voulons-nous ?
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À propos de ce livre électronique
Semaines sociales de France (SSF)
Depuis 1904, les Semaines sociales de France sont un lieu de formation, de débat et de propositions sur les grands enjeux de société. Elles ont contribué au débat public et à la législation française, notamment pour la mise en oeuvre du complément familial, du 1% logement, du revenu minimum garanti, du compte personnel d'activité et du droit à la formation tout au long de la vie.
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Aperçu du livre
Quelle Europe voulons-nous ? - Semaines sociales de France (SSF)
Actes de la 92e session
18 et 19 novembre 2017
Paris Event Center - Paris
Cette 92e session des Semaines sociales de France a été pilotée par Philippe Segretain et préparée par Marianne de Boisredon, Bernard Chenevez, Claude Gressier, Hugues d’Hautefeuille, Alberte Luciani, Stefan Lunte, Jean-Christophe Ploquin, Dominique Quinio, Jérôme Vignon, Eric Wendling.
Table des matières
Ouverture
Dominique Quinio
L’EUROPE : PROMESSE, RÉUSSITES, REJETS, ESPOIRS
Une relecture du projet européen
Enrico Letta
L’Europe au quotidien : l’épreuve du réel
Claude Rolin
Loïc Armand
Véronique Fayet
L’Europe : un enjeu spirituel
Jérôme Vignon et Frère Alois
L’EUROPE : LES RESSOURCES DE LA CULTURE, LES ATTENTES DES JEUNES
Goûter l’Europe
De quel ambition européenne le cinéma est-il le témoin ?
Lionel Lacour
Les Européens disposent-ils d’une culture commune ?
Antoine Arjakovsky
Jeunes en Europe
Pierre Arlaud, SGDF
Simon Coutand, MRJC
Baptiste Enaud, Des Europes et des Hommes
François Fameli, Café Babel
Ariane Forgues, Des Europes et des Hommes
Giacomo Baldin, Apprentis d’Auteuil
Fil rouge théologique et spirituel
Frère Alois
LA FRANCE, L’EUROPE ET LES NATIONS
Quelle vision la France porte-t-elle eujourd’hui pour l’Europe ?
Nathalie Loiseau
L’Europe, quelle place pour les nations ?
Jean-Marc Ferry
REGARDER L’EUROPE
L’Europe : entendre la parole de l’Église
Mgr Jean-Pierre Grallet
La voix d’un autre continent
Denise Houphouët-Boigny
Fil rouge théologique et spirituel
Frère Alois
L’EUROPE FACE À SES RESPONSABILITÉS
L’Europe et ses frontières : défendre, accueillir ?
Nicole Gnesotto
L’Europe : quelle responsabilité dans la transition écologique ?
Gaël Giraud
L’Europe solidaire, nouvel enjeu pour la démocratie
Michel Barnier
CONCLUSIONS
Henryk Woźniakowski
Emelyn Weber
Dominique Quinio
Lettre du Vatican
Sélection d’articles et d’entretiens parus dans le journal La Croix en 2017
ANNEXES
L’histoire, les hommes, l’activité des Semaines sociales
Les sessions des Semaines sociales de France
Index des intervenants
Ouverture
DOMINIQUE QUINIO¹
Bonjour et bienvenue à tous, vous qui êtes des fidèles des Semaines sociales de France, vous qui nous découvrez aujourd’hui. Quel plaisir de vous voir si nombreux, sous cette halle qui manque assurément d’intimité et de chaleur. Mais ensemble, nous l’habiterons durant ces deux jours et en ferons un espace vivant de découverte, d’écoute, de débats, de rencontres, de réflexion spirituelle également.
Permettez-moi de saluer les personnalités qui nous feront l’honneur de participer à tout ou partie de la rencontre, en priant celles que j’omettrais de citer de m’en excuser : Mgr Grallet, Mgr de Moulins-Beaufort, Mgr Hérouard, les représentants du secrétariat général de la Conférence des évêques de France et du service Famille et Société, Frère Alois, prieur de Taizé qui nous accompagnera tout au long de la rencontre ; Madame l’ambassadeur de Côte d’Ivoire à l’Unesco Denise Houphouët-Boigny ; les associations et mouvements amis, l’Institut Jacques Delors, le Collège des Bernardins, la Maison de l’Europe à Paris, le Secours catholique, la Procure ; les médias qui nous suivent dans l’aventure : Ouest-France, Pèlerin, Panorama, La Vie, RCF, Études, Projet et tout particulièrement le quotidien La Croix, partenaire privilégié et actif de cette session.
« Quelle Europe voulons-nous ? ». Le sujet, nous l’avons choisi il y a près de deux ans avec Jérôme Vignon, mon cher prédécesseur que vous connaissez tous. C’était avant le Brexit, avant les élections dans différents pays européens qui ont vu les partis eurosceptiques ou europhobes marquer des points ; c’était avant l’élection de Donald Trump ; c’était avant la crise catalane. Cette actualité est venu donner du sel (ou du piment ?) à notre projet. Comme l’élection, en France, d’un président affichant ses convictions européennes. Et voilà que le pape François, pape venu d’ailleurs, s’est saisi avec vigueur du thème de l’Europe, puisqu’il en est à son cinquième discours sur la question, appelant les chrétiens – lors de son adresse aux évêques européens – à participer aux projets de rénovation de l’Union européenne.
L’Europe n’est pas un thème nouveau pour les Semaines sociales. Différentes rencontres l’ont abordé au cours de ces décennies, notamment pour le centenaire des Semaines sociales en 2004, « L’Europe, une société à inventer ». Michel Camdessus avait pu, en conclusion, parler de « fierté d’Europe », fierté d’appartenir à une « communauté de valeurs ». Aujourd’hui, sommes-nous toujours enclins à exprimer cette fierté d’Europe ? Pouvons-nous ignorer les signaux reçus, ce désamour, voire cette détestation ressentie par des citoyens de tous les pays, et notamment français ? Qu’a fait l’Europe, que n’a-t-elle pas fait ? Qu’avons-nous, élus ou simples citoyens, comme responsabilité dans ce fossé grandissant ? Face à la mondialisation, l’Europe nous protège-t-elle ? Est-elle la solution ou le problème ? Peut-on se sentir à la fois citoyen de son pays et profondément européen ? Où sont les réussites, mais aussi où sont les failles du projet européen ? Faut-il colmater des brèches ? Faut-il tout changer ?
Arrêtons de prendre l’Europe en otage, d’en faire le bouc émissaire de nos faillites ; mais arrêtons de nous voiler la face devant ses faiblesses, ses dérives, ses erreurs. Regardons-la en loyauté, incitons-la à se réformer, pour qu’elle retrouve l’intuition de ses fondateurs. Le message ne s’adresse pas seulement aux institutions européennes, ou aux politiques nationaux ou européens. Il nous concerne tous, société civile, associations, médias, électeurs… Tous les « nous » de notre question « quelle Europe voulons-nous ? ».
Le programme de ces deux jours a été élaboré par un groupe de pilotage mené par Philippe Segretain, dont l’énergie a fait merveille. Nous avons essayé de ne pas en rester à une vision franco-française : vous entendrez résonner, cet après midi, beaucoup de langues de notre Europe. Nous avons voulu vous proposer un exercice de lucidité et de prospective. Sans nous appesantir sur le passé, mais en cherchant des voies nouvelles. De prestigieux intervenants vont nous y aider. Dresser le bilan de ces années d’Europe, nous parler de l’Europe au quotidien, mettre en lumière les chantiers prioritaires de la nouvelle Europe appelée de nos vœux. Et si nous manquions de cette lucidité, si, au contraire, nous étions en déficit d’espérance, les temps de débats devraient, par vos questions, nous inciter à rectifier le tir.
On nous dit que le projet de paix et de réconciliation qui marqua la naissance de l’Europe unie ne serait plus un argument décisif pour les plus jeunes générations. À vérifier pourtant, en ces jours où l’on a commémoré le 11 novembre et célébré l’intense travail de réconciliation mené par l’Allemagne et la France. Sur quelles promesses de paix, de justice, de fraternité peut-on redonner sens à l’aventure de l’Union européenne ? Des jeunes de différents horizons nous le diront.
La rencontre d’aujourd’hui, temps fort s’il en est grâce à votre présence nombreuse, n’est pas une fin en soi. Comme pour la session précédente sur l’éducation (avec son cahier de propositions envoyé à tous les élus à la veille des élections), il y eut un avant et il y aura un après. Avant, les antennes régionales des Semaines sociales ont abordé sous divers angles le thème de l’année, angles souvent choisis en raison de l’identité de la région. Lyon, Versailles, Créteil, Strasbourg, Rennes, Paris, et d’autres encore. En mars de cette année se sont réunis à Paris des membres du réseau IXE (Initiative de chrétiens pour l’Europe) dont les Semaines sociales sont membres fondateurs. Ils ont produit un « appel à une Europe fraternelle ». Ils se sont réunis à nouveau en octobre à Riga en Lettonie. C’est ensemble que les Européens peuvent espérer faire entendre leur voix. Pour l’anniversaire du traité de Rome, en mars dernier, nous avons ouvert une plate-forme web interactive, lieu de formation proposant des textes et des données utiles, lieu de débats et de propositions. Nous avons aussi organisé deux voyages d’étude, l’un à Bruxelles, l’autre à Berlin pour une trentaine de participants. Ces voyages apprenants se poursuivront en 2018, dont l’un à Cracovie. Enfin s’est tenu, aux Bernardins en septembre dernier, un prologue autour de l’Europe de la culture. Deux tables rondes passionnantes et un récital de piano profondément européen nous ont donné le la.
Il y eut un avant, donc ; il y aura un après. Vous le savez : les autorités politiques françaises et les évêques européens veulent que s’organise le débat sur le projet européen. Les propositions que nous pourrons faire à l’issue des ces deux journées, publiées sur notre site participatif, seront critiquées, travaillées, commentées, enrichies, amendées pour permettre l’écriture d’un « manifeste des Semaines sociales pour l’Europe » que nous rendrons largement public.
Au sortir de ces deux journées, nous aurons encore beaucoup d’interrogations, nous ne serons pas tous convaincus par ce que nous aurons entendu, mais nous aurons pris le sujet au sérieux. Nous l’aurons fait nôtre au nom du principe de subsidiarité, cher à l’Europe (et sans doute trop peu respecté), et d’abord cher à l’enseignement social chrétien qui nous invite à prendre nos responsabilités, là où nous sommes, pour rendre le monde plus fraternel.
¹ Dominique Quinio est présidente des Semaines sociales de France.
L’Europe :
promesses, réussites,
rejets, espoirs
Une relecture du projet européen
ENRICO LETTA²
JEAN-BAPTISTE FRANÇOIS³ : Nous allons vous demander tout à la fois de défendre l’Europe et d’avoir un propos critique. À quel moment de l’Europe sommes-nous ? N’est-elle pas en crise d’adolescence ?
ENRICO LETTA : Je vais vous raconter un petit épisode lié à mon enfance strasbourgeoise. Quand je suis devenu premier ministre en Italie, j’ai tout de suite fait un voyage européen Bruxelles-Paris-Berlin deux jours après l’élection pour donner tout de suite l’idée que c’était là mon âme et ce que je voulais pour mon pays. Quand j’arrive à l’Élysée, le président de la République sort une lettre qui provenait de mon institutrice de l’école de la rue Brûlée à Strasbourg, où il était écrit « Monsieur le président de la République, vous pouvez faire confiance à ce jeune homme, il a été élevé selon de bons principes, vous pouvez donc travailler avec lui. » Je conserve cette lettre dans mon cœur.
Je vais vous proposer une réflexion sur le futur de l’Europe en partant du grand changement que nous sommes en train de vivre, ce qui va nous aider à comprendre les problèmes et les difficultés auxquels elle est confrontée et pourquoi nous sommes tous dépaysés dans ce monde d’aujourd’hui.
Je commencerai avec le raisonnement que nous avons fait au Vatican. Le cardinal Marx, allemand, président de la COMECE, Commission des Épiscopats de la Communauté européenne, a organisé une rencontre avec le pape – il y avait une délégation française importante. Nous nous sommes interrogés sur le changement que nous vivons et nous avons finalement trouvé une des clés importantes de ce changement. C’est une clé qui fait un parallèle entre l’histoire de l’Europe et le choix des papes. L’Esprit Saint existe dans le choix des papes et dans l’évolution de l’histoire. Prenons les trois papes de ces 70 dernières années. Le pape Roncalli, Jean XXIII, le pape Wojtyla, Jean-Paul II, le pape Bergoglio, François. Le premier, un italien, européen de l’Europe des pères fondateurs, père du Concilio vaticano, le père de la paix entre l’est et l’ouest, d’un monde marqué par cette séparation ; Jean-Paul II, le pape venu de l’est, qui a anticipé la chute du communisme et la réunification des deux Europe ; le pape François, venu de la fine del mondo, du « bout du monde », premier pape non européen et qui nous parle avec un langage tout à fait différent dans un monde qui n’est plus euro-centrique. Cette petite évolution historique, l’histoire des papes, leur magistère et ce que nous sommes aujourd’hui nous font comprendre quel est le grand cadre sur lequel nous devons raisonner.
Quand l’Europe a démarré, son rôle dans le monde était différent. Si nous continuons à imaginer le futur de l’Europe avec la même intensité, les mêmes idées que celles avec lesquelles nous avons commencé, nous ne pouvons pas aborder les problèmes d’aujourd’hui. Je vous cite deux exemples qui sont, de mon point de vue, les points clés de ce discours et je vais faire des propositions pour redonner du souffle à l’Europe.
Quel était l’état du monde quand l’Europe a commencé ? Un monde dans lequel l’Europe était le centre de tout. Nous avons encore des cartes géographiques faites à l’européenne, avec l’Europe au milieu, où le Groenland est presque aussi grand que l’Afrique alors que celle-ci est 14 fois plus grande. Aux débuts de l’Europe, le monde était composé de 3 milliards de gens et nous allons passer dans quelques années à 10 milliards, en une génération. Un changement d’une telle portée n’a jamais eu lieu dans l’histoire de l’humanité. Le pape François nous rappelle avec Laudato si que l’Europe était une pour nourrir les 3 milliards, et qu’elle sera une pour nourrir les 10 milliards. Ce qui nous fait comprendre pourquoi la question environnementale, du climat, est aussi importante. Dans ce discours, nous les Européens, nous sommes restés les mêmes, nous étions un sur six, nous serons un sur vingt. Je pourrais le raconter autrement : en passant de 3 à 10 milliards, qui sont les 7 milliards de gens qui se sont ajoutés dans l’espace d’une vie ? Ils sont tous asiatiques, américains, africains. C’est la vie qui a changé devant nous. Ce n’est pas seulement la démographie, mais aussi le poids de l’économie. Quand Giscard d’Estaing et Schmidt, en 1974-75, ont donné naissance au Conseil européen, l’assemblée des chefs de gouvernement et d’États, l’Europe était à 9, le Royaume-Uni venait d’entrer, il y avait donc quatre grands pays européens avec la France, l’Allemagne et l’Italie. Pour réfléchir au niveau mondial, ils ont inventé le G7, les quatre grands pays européens, plus les trois autres pays les plus puissants : Japon, États-Unis, Canada. C’était les sept plus grandes puissances sur le plan économique, l’autre critère étant qu’ils étaient tous des démocraties libérales.
Quand on sait que dans ce monde de 10 milliards d’habitants, les Européens seront un sur vingt, si on devait refaire dans 10 ans la liste des sept pays les plus importants du monde, avec les mêmes critères que Schmidt avait employés, il n’y aurait aucun pays européen parmi les sept, les Allemands seraient les 8e ! La Corée du Sud les auraient dépassés, l’Indonésie, le Brésil, les sept pays viendraient tous du « bout du monde », comme le pape, et tous ne seraient pas des démocraties libérales telles que nous les concevons.
Alors quelle est notre idée, notre rôle, notre pensée sur le futur et où est l’Europe là-dedans ? Si le monde a changé de cette façon, que fait-on ? On continue avec nos idées de toujours ?
On continue à penser qu’on est le centre du monde, à faire l’Europe comme avant ou on pense que ce grand changement « dépayse » l’Europe, l’oblige à redéfinir sa mission ? Nous devons changer le logiciel de ce que nous faisons de l’Europe, sur l’Europe, comment nous la pensons par rapport à nos concitoyens. Elle ne peut plus être conçue comme une puissance économique et militaire qui serait au centre du monde et autosuffisante. Elle doit se voir comme un des lieux les plus attractifs au monde. Encore aujourd’hui, nombre d’hommes et de femmes espèrent que leurs enfants puissent grandir en Europe. Ce n’est pas une question de richesse. L’attractivité de ce que nous avons créé chez nous est quelque chose de plus.
Pourquoi sommes-nous en train de la perdre avec les Brexit, etc. ? Parce que nous avons peur de ce qui se passe dans le monde. Nous pensons que l’intégration, l’ouverture, l’idée européenne ne nous protègent pas. Je pense que nous devons reconsidérer l’Europe, la comprendre et la vivre comme une puissance de valeurs. Je ne parle pas de quelque chose de simple à définir, qui serait dépassé ou n’aurait plus de sens dans le monde d’aujourd’hui. Nous considérons trop souvent pour acquis le sens de nos valeurs. Nous sommes le seul continent au monde où les valeurs que nous défendons et définissons, nous les appliquons tous ensemble. Nous avons la chance de jouir d’un climat, d’un environnement, d’un paysage, d’une culture qui est ainsi parce que les générations précédentes nous les ont transmis. Nous avons le devoir de le faire avec nos enfants. Mais comment le faire dans un monde de plus en plus connecté et globalisé ? Je refuse que mes enfants vivent dans un monde dans lequel le climat, l’environnement suivraient des règles décidées par Trump et les Chinois. Je suis prêt à me battre pour éviter ça. C’est de notre responsabilité, nous Européens. Qu’est-ce que ça veut dire « avoir encore de l’influence dans le monde » ? On a déjà fait beaucoup de dégâts dans le passé... On pourrait dire qu’on veut vivre en paix, bien au calme chez nous, à l’abri. Mais ce discours n’a pas de sens, parce que la connectivité, la mobilité font que nous ne pouvons pas nous mettre à l’abri chez nous, faire comme le village d’Astérix. La seule alternative serait d’être influents grâce à nos valeurs. J’ai pris l’exemple de l’environnement, mais je pourrais faire toute une liste :
– les droits des travailleurs
– la parité entre hommes et femmes
– la liberté d’enseignement
– la liberté de la presse
– le refus de la peine de mort
– le développement soutenable
Quand je parle d’un monde de brutes⁴, je parle d’un monde qui, autour de nous, ne reconnaît pas ces valeurs comme des valeurs essentielles. Il y a un quart, une moitié, un tiers du monde qui ne reconnaît pas ces points comme essentiels.
Nous ne pouvons pas rester sur la simple idée que chez nous, entre nous, on vit bien. Il faut travailler sur cette influence sur le monde de demain. Il y a des enjeux – l’environnement, le commerce, les règles sur la finance, le social – sur lesquels soit nous, Européens, nous mettons en condition de gagner cette bataille, soit ce sera le reste du monde qui va nous transformer. Certains seraient prêts à céder un peu de liberté en échange de plus de sécurité, de compétitivité, à composer avec des Poutine, des Erdogan. Quand on commence à entrer dans cet esprit, on perd tout de suite la bataille culturelle, celle de dire que l’espace démocratique, nos valeurs ne sont pas incompatibles, au contraire, ce sont des clés pour la croissance, le bien-être et la possibilité d’une coexistence pacifique.
En conclusion, je dirais que nous sommes dans un enjeu, un débat, un combat culturel d’influences et d’idées qui est terriblement difficile parce qu’il faut parler le langage de la vie. On a vu des personnalités qui représentent les extrêmes, des anti-européens, clamer qu’ils ne veulent pas des gens qui viennent d’ailleurs, et que, donc, ils ne veulent pas de l’Europe, ce lieu d’intégration, qu’ils veulent rester dans l’entre soi, avec leurs valeurs et leurs façons de vivre. Ce message simple passe très bien. Il doit trouver en face une réaction capable de parler le même langage de la vie. C’est le problème des euroépistes, y compris moi, ceux qui voulons et faisons l’Europe, nous parlons un langage qui est parfois peu compréhensible par les gens, qui n’est pas le langage de la vie, celui qui touche à la vie concrète de chacun – les droits de travailleurs, l’égalité homme/femme, etc. Ce ne sont pas des discours abstraits, mais le futur de nos enfants.
Si nous, Européens, nous sommes unis, nous serons influents dans le monde. Sinon, la rencontre entre Xi Jinping et Trump aboutira à ce que Schmidt et Giscard ont créé à Rambouillet en 1974-75. Nous savons que nous possédons toute la force, l’attractivité, la créativité pour faire en sorte que le futur du monde soit encore un futur dans lequel l’Europe, bien que plus petite et différente du passé, ait la responsabilité que ces valeurs ne restent pas qu’européennes. Cette bataille d’influence est celle de cette génération et des suivantes. C’est une bataille compliquée qu’il faut mener avec les nouveaux moyens, les réseaux sociaux, Internet, la connectivité du langage, même si, finalement, la vraie raison pour laquelle on fait les choses reste la même, comme le dit si bien la petite histoire suivante que l’on racontait dans mon pays.
Un voyageur, traversant une ville au Moyen Âge, voit deux maçons qui empilent des pierres sur la place centrale. Il demande à ces deux hommes ce qu’ils sont en train de faire. L’un dit, l’air triste : « Tu vois bien, j’empile des pierres. » L’autre lui dit avec un sourire : « Je participe à la construction de la cathédrale de la ville. » Il est lui aussi en train d’empiler des pierres, mais il intègre ce geste dans un projet de longue durée, ce qui donne du sens au geste en lui-même, à son travail et à sa vie. Nous avons perdu le sens de construire des cathédrales, des projet de long terme, qui sont pour nos enfants et leur futur. L’Europe doit se consacrer au sens de ce projet de long terme, ne pas se focaliser sur les prochaines élections. De même que les cathédrales nous ont été léguées, de même nous devons, en tant qu’Européens, penser aux générations futures. L’Europe avec ses valeurs est la meilleure raison pour s’engager dans une bataille qui est avant tout culturelle.
JEAN-BAPTISTE FRANÇOIS : En quoi l’Europe qui serait une nécessité dans votre argument, pourrait répondre à un désir d’exister en tant que « nous » ? Quel serait ce « nous » européen ?
ENRICO LETTA : Je pense que la question nous renvoie à l’éducation et à la pédagogie. Que veut dire pour nous être européen et quel genre d’Europe nous voulons construire ? Le plus grand succès a été, du point de vue des outils concrets, Erasmus, un des produits de l’époque Jacques Delors. Ce projet avait pour objectif que les gens se connaissent, se rencontrent. Quand on fait connaissance l’un de l’autre, on comprend