L'homme le plus dangereux d'Amérique: Récit biographique
Par Bill Minutaglio et Steven L. Davis
()
À propos de ce livre électronique
La nuit du 12 septembre 1970, l'apôtre de la contre-culture hippie et grand manitou du LSD Timothy Leary s'évade d'une prison californienne.
Arrêté quelques mois plus tôt en possession de deux joints de marijuana, il avait été condamné à dix ans… Son évasion spectaculaire fut le grand fait d’armes de la mouvance révolutionnaire américaine la plus radicale, déterminée à renverser le gouvernement.
À Washington, le président Nixon aligne les nuits sans sommeil, embourbé dans la guerre du Vietnam. Les manifestations tournent à l'émeute, des bombes explosent partout dans le pays et les Black Panthers menacent la Maison-Blanche. Le président n’a dès lors plus qu’une obsession : mettre la main sur Timothy Leary, qu’il qualifie « d’homme le plus dangereux d’Amérique ».
Basée sur de nombreux témoignages et documents inédits, voici l'histoire d'une trépidante chasse à l’homme menée par le FBI, des USA à l’Afghanistan. Un récit déjanté où se croisent hippies défoncés, radicaux américains, aristocrates européens, trafiquants d’armes et agents secrets.
Un trip délirant au cœur de la contre-culture américaine !
Les auteurs se penchent sur la cavale effrenante de Timothy Leary et découvrent de nouveaux témoignages et des sources inédites. Par ce récit au rythme haletant, découvrez un pan inconnu de l'histoire des Etats-Unis des années 70 !
EXTRAIT
Après cette rencontre avec le Secrétaire d’État, Nixon demande qu’une « Conférence de presse de la Maison-Blanche sur la Toxicomanie » soit organisée. Les soixante-dix dirigeants de médias conviés par le président auront la primeur d’entendre les avancées
faites par l’État pour endiguer l’épidémie de narcotiques. Avec démonstration à l’appui.
Kishi, une femelle berger allemand, chien renifleur, est présentée pour démontrer ses capacités à trouver une planque de haschich. Les agents des douanes disposent sur la pelouse de la Maison-Blanche trente-trois colis postaux non réclamés, sélectionnés au hasard pour l’occasion. Les agents complètent le lot par un paquet dans lequel a été caché un kilo de chanvre bien emballé.
Devant l’assemblée attentive, on lâche Kishi. La chienne commence à renifler frénétiquement les colis et trouve rapidement le bagage dans lequel la drogue est dissimulée. Chacun applaudit.
Soudain, Kishi renifle avec insistance un autre colis, et commence à le gratter. Ce n’était pas au programme des agents fédéraux. Ils regardent le président avec confusion.
Une bougie de 20 × 10 cm est retrouvée, fourrée de 200 gr de hasch de première qualité.
À PROPOS DES AUTEURS
Bill Minutaglio a notamment écrit pour le New York Times, le Guardian, Newsweek, le Bulletin of the Atomic Scientists. Il est professeur à l’Université du Texas à Austin et reçut pour le livre Dallas 1963, coécrit avec Steven L. Davis, le prix PEN du meilleur essai. Il est aussi l’auteur de l’anthologie In Search of the Blues et de livres encensés traitant de George W. Bush, de l’écrivaine Molly Ivins et du plus grand désastre industriel arrivé en Amérique (www.billminutaglio.com).
Steven L. Davis a reçu le prix PEN du meilleur essai pour le livre Dallas 1963 (coécrit avec Bill Minutaglio). Auteur de deux livres sur le Texas, il est également éditeur.
Lié à L'homme le plus dangereux d'Amérique
Livres électroniques liés
Qui a tué? Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLibra de Don Delillo: Les Fiches de lecture d'Universalis Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe maccarthysme ou la peur Rouge: La croisade américaine contre le communisme Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes crimes de Monsieur Kissinger: La face cachée d'un prix Nobel de la Paix Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5« Il faut tuer Che Guevara ! »: Quand la Maison-Blanche traquait le révolutionnaire le plus célèbre du XXe siècle... Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe scandale du Watergate: L'affaire qui a fait tomber Nixon Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Secret des Présidents: L'Illusion du Pouvoir: Le Secret des Présidents Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationILS N'ETAIENT PAS DE NOTRE MONDE: La légende et les secrets de Wright Field Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Russia Blues Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationNixon et la fin de la guerre du Viêt-Nam: Une présidence éclaboussée par le Watergate Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationDecamerone Londonien: L'histoire en histoires Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMob Chronicles: 200 anecdotes sur la mafia américaine Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Souvenir Zéro (Un Thriller d’Espionnage de l’Agent Zéro—Volume #6) Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'État voyou: Essai politique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLettre d'amour à l'Amérique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation5 45 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa conspiration mondiale Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL’assassinat de Kennedy expliqué: Bilan définitif, après 60 ans Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationBons baisers de Moscou: Thriller Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes secrets du Ku Klux Klan: L’Amérique sous le feu des suprémacistes blancs Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'île abandonnée: Les trois Brestoises - Tome 5 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationEtats-Unis: Tribus américaines Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLouis Riel, Martyr du Nord-Ouest: Sa vie, son procès, sa mort Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa série des Lucids, Tome 2, Les jouets de l’anarchie: La série des Lucids, #2 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL’espion qui enterra Kennedy: John F. Kennedy face à Allen W. Dulles, bâtisseur historique de la CIA, comploteur virtuose et maître des mensonges Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAu Coeur D'un Homme: Lettre D’Un Serviteur À Son Maître Livre 1 : 1968 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationBosch Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5La Gauche et la Guerre: Analyse d'une capitulation idéologique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Biographies littéraires pour vous
D'une guerre à l'autre: De la Côte d'Ivoire à l'Afghanistan avec le 2e RIMa Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAinsi parlait Zarathoustra Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'opérateur: Autobiographie d'un Navy SEAL Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationGIGN : confessions d'un OPS: En tête d’une colonne d’assaut Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Mauvaises Pensées et autres Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSombres fumées: Livre de bord d’un officier des pompiers de Paris Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe romantisme ou l'exaltation du moi: Un souffle de liberté sur les lettres françaises Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationGIGN : nous étions les premiers: La véritable histoire du GIGN racontée par ses premiers membres Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationInclassable: Itinéraire d’une chamane contemporaine Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAu secours, je ne veux plus être instit ! Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa guerre vue du ciel: Les combats d'un pilote de Mirage 2000D Évaluation : 2 sur 5 étoiles2/5Nuit et brouillard: Histoire des prisonniers du camp de Natzweiler-Struthof Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationPresque Reine: Autobiographie Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSamuel Beckett, l'écrivain du néant: Comment faire de l'antilittérature ? Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationPossédé par un djinn: Une victime raconte son enfer Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Guy de Maupassant, le maître de la nouvelle: Du réalisme subjectif au fantastique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationDostoïevski Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLéopold Sédar Senghor: De la négritude à la francophonie Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationPhèdre de Jean Racine (Analyse approfondie): Approfondissez votre lecture des romans classiques et modernes avec Profil-Litteraire.fr Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationChateaubriand: Ouvrages historiques (L'édition intégrale - 20 titres): Analyse raisonnée de l'histoire de France + Essai sur les révolutions + De la Vendée + De Buonaparte et des Bourbons + Duchesse de Berry + Vie de Rancé + Les Quatre Stuarts + Génie du Christianisme… Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAgatha Christie, la reine du crime: Aux sources du roman policier moderne Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUne vie de légionnaire: De Kolwezi à l'Afghanistan avec le 2e REP Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationWalden Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa naissance d'un pilote: L'enfant qui rêvait d'un Mirage Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationDepuis… Je pense avec mon corps: Roman Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Avis sur L'homme le plus dangereux d'Amérique
0 notation0 avis
Aperçu du livre
L'homme le plus dangereux d'Amérique - Bill Minutaglio
Lennon
On a jeté la clé
13 mai 1970, le matin
Sur l’autoroute de la côte californienne, derrière une grille, le détenu 26358 est secoué au rythme du mouvement du bus pénitentiaire. Ce mercredi, son quatre-vingt-quatrième jour de détention, le Dr Timothy Leary est transféré vers son nouveau lieu d’incarcération. Tout ce qu’il possède tient dans la petite boîte en carton qu’il a avec lui – deux paquets de tabac à rouler Bugler, deux stylos-billes et des claquettes de douche en plastique, cadeau d’adieu d’un assassin rencontré dans une autre prison d’État.
Il aura cinquante ans dans quelques mois, devient dur de la feuille, mais garde le crâne garni de mèches argentées et ondulées. Mince, bronzé, il a le profil élancé d’un « vieux beau ». Un de ces pros du tennis à la retraite que l’on croise dans les country clubs. Mais avec un QI de génie. Capable de citer Socrate et le Bhagavad Gita en enseignant les sept niveaux de conscience ou la nature physiologique de l’orgasme féminin. Les autres détenus de ce bus – tueurs, voleurs et violeurs acheminés vers les prisons d’État de Folsom ou San Quentin – ont entendu parler de lui. Il est le parrain de la décennie psychédélique, celle des années 1960, le grand manitou du LSD, celui qui disait à la jeunesse : Turn on, tune in, drop out (« branchez, captez, lâchez »).
Le bus noir et blanc de la prison se bringuebale du côté de Ventura, et Leary essaie d’entrevoir l’écume de l’océan Pacifique derrière la crasse des vitres. Il aperçoit un groupe de surfeurs tentant d’attraper leurs prochaines vagues. À un feu, au niveau de Santa Barbara, il jette un œil et voit un homme passer en décapotable. Les longs cheveux de la magnifique femme à ses côtés flottent dans le vent. Leary soupire, détourne le regard.
Quelques heures auparavant, à 3 heures du matin, il faisait un rêve érotique. Je suis dans une superbe maison de Santa Monica, avec l’océan à mes pieds. Il y a une femme nue qui s’allonge sur une peau de bête devant la cheminée. Un titre bluesy de Janis Joplin sort des enceintes. La femme se met à l’aise et me susurre d’une voix de velours due aux drogues : « Je veux juste me sentir bien, rien d’autre… fais-moi planer encore ». Tout se passait à l’avenant, et mieux encore. Puis au milieu du songe, les gardiens lui ont hurlé dessus en lui intimant de rassembler ses frasques pour son départ vers sa nouvelle prison.
Le bus tousse en traversant les montagnes à Prismo Beach, et quand la route s’ouvre à nouveau, Leary aperçoit la ville de San Luis Obispo, avec le vert soyeux de ses collines. Ils passent rapidement devant la vaste étendue du campus universitaire de Cal Poly, qui rouvre juste ses portes après quatre jours de fermeture imposés par le gouverneur Ronald Reagan suite aux protestations étudiantes qui secouèrent l’ensemble du pays.
Soudain, un détenu crie en pointant quelque chose du doigt. Le taulard gesticule et montre sur Poly Mountain le « P » en béton de quinze mètres de haut qui surplombe l’université. À côté du gigantesque « P », des étudiants rebelles ont ajouté deux nouvelles lettres. On y lit maintenant le mot POT². Les détenus s’esclaffent et approuvent par des cris.
Trois kilomètres après le campus, le California Men’s Colony-West, le centre californien de détention pour hommes, apparaît. Des îlots blancs de simples baraquements en bois, avec des arbres en fleurs qui font comme des taches, sont éparpillés sur les collines. Alors qu’ils s’en approchent, Leary voit un groupe de vieux détenus jouer au palet et d’autres se dandiner sur des terrains de tennis aux revêtements craquelés. Au loin, sur l’austère parcours de golf de la prison, un détenu exerce son swing, puis exécute un drive.
Le CMC-West est un établissement pénitentiaire de sécurité minimale, étudié pour un public d’hommes âgés présentant peu de risques de violences. Des tireurs d’élite patrouillent le périmètre de nuit dans des véhicules armés. Hormis cela, la seule barrière physique le coupant du monde extérieur est un grillage de quatre mètres de haut, complété par trois rouleaux de fil de fer barbelé. Leary tenta de s’y faire transférer aussitôt sa sentence prononcée. Quand il passa le test de personnalité usuel du système carcéral permettant l’orientation par les autorités, il sut exactement quoi répondre pour apparaître aussi docile que possible. Il avait lui-même mis au point bon nombre des questions de ce test lors de sa précédente vie, celle de psychologue de renommée nationale.
Alors que le bus se gare pour débarquer ses passagers, un détenu hurle soudain à Leary :
— Hé mon gars, c’est la fin du voyage. Le Service correctionnel t’a envoyé ici dans ta dernière demeure.
Leary ne prête pas attention.
Il étudie déjà la configuration de la prison.
À Washington, la Maison-Blanche attend fébrilement la moindre piste du FBI concernant l’extraordinaire vague d’explosions qui secoue le pays. Rien que pendant le transfert de Leary le long de la côte californienne, une puissante charge de dynamite a visé le poste de police de Des Moines, dans l’Iowa, faisant voler en éclat ses vitres et incendiant les voitures alentour. Et à Salt Lake City, dans l’Utah, une bombe artisanale a pulvérisé l’entrée du bâtiment local de la Garde nationale.
Parallèlement, des agents tentent toujours de trouver les suspects en lien avec la tragédie sanglante qui a frappé la ville de New York. Des révolutionnaires agissant sous le nom de « Weathermen³ » avaient fabriqué une bombe remplie de clous, prévoyant de la faire sauter durant une parade militaire à Fort Dix, dans le New Jersey. Au lieu de cela, la bombe leur explosa entre les mains, emportant un bâtiment de trois étages à Greenwich Village⁴. Trois des radicaux y passèrent. Deux femmes, ensanglantées et groggy, réussirent à s’extraire des ruines encore fumantes. Elles furent récupérées par des voisins peu suspicieux, qui leur offrirent de prendre une douche et de nouveaux vêtements – avant de s’évaporer.
La semaine précédente, à l’Université d’État de Kent, les troupes de la Garde nationale ont tiré à soixante-sept reprises sur les étudiants venus protester contre l’escalade de la guerre au Vietnam. Quatre étudiants de première année furent tués, dont deux jeunes femmes. Deux d’entre eux se rendaient simplement en cours. Neuf autres étudiants furent blessés par balles. Nixon, accusant les étudiants manifestants d’être des « traîne-savates », soutiendra la Garde nationale en blâmant les victimes.
— Lorsque la dissidence tourne à l’émeute, la tragédie n’est pas loin, commente-t-il.
Ronald Reagan, gouverneur de Californie, avait déjà appelé à une action musclée contre les protestataires.
— Si cela doit se terminer dans un bain de sang, qu’il en soit ainsi, proféra-t-il. C’en est fini de la manière douce.
Suite aux événements de Kent, des millions d’étudiants à travers le pays se mirent en grève et défilèrent dans les rues. À l’Université du Wisconsin, des bâtiments furent enflammés par des cocktails Molotov et des bûchers allumés. Les six cents membres de la police antiémeute et de la Garde déployés sur place furent reçus par les étudiants avec des briques, des pierres et des bouteilles. À l’Université de Caroline du Sud, un millier d’étudiants envahirent les locaux administratifs, saccageant les bureaux et détruisant les dossiers au passage. À l’Université du Nouveau-Mexique, onze élèves qui venaient de réquisitionner le bâtiment du bureau des étudiants furent blessés à coups de baïonnettes par la Garde nationale. À l’Université de Californie à Berkeley, des protestataires incendièrent un camion de réservistes de l’armée avant de déchirer un drapeau américain et d’y mettre le feu en scandant : « Brûle, Nixon, brûle ! »
À la Maison-Blanche, et en public, le président rumine de plus en plus. Terrorisant à l’occasion ses conseillers avec des tirades rageuses à l’attention de ses adversaires.
— Nous vivons en pleine anarchie… tempête-t-il dans un discours adressé au pays. Les plus grandes institutions créées au cours des cinq cents dernières années par des civilisations libres sont attaquées sans discernement sous nos yeux. Qui monte contre l’Amérique cette jeune génération, la mieux lotie et la plus protégée de l’histoire ?
Pour le Bureau ovale comme pour le gouverneur de Californie, il apparaît de plus en plus facile de lier cette agitation à un seul homme, d’établir une connexion entre la violence et le professeur Timothy Leary, de le dépeindre en Robespierre sous acide, en manitou prêt à tout pour renverser l’ordre établi. Il est subversif, c’est un leader hippie qui agite ses troupes, un terroriste intellectuel dont l’objectif non avoué est d’exploser les repères moraux du pays au nom de l’amour libre et des drogues.
Leary finit par devenir, dans la bouche de Richard Nixon, « l’homme le plus dangereux d’Amérique ».
Dix ans auparavant, Timothy Leary, éminent psychologue à Harvard, menait une vie remplie et agréable. Fils d’un Irlandais catholique, dentiste dans une petite ville de l’État du Massachusetts, il fit des études à l’Université de Sainte-Croix puis intégra l’Académie militaire de West Point en tant que cadet, où il fut convoqué devant la cour martiale pour des infractions mineures, termina ses classes avec les honneurs, puis entreprit un parcours académique classique. Au sein de Harvard, il trouva rapidement un cadre douillet, participant aux soirées universitaires de l’Ivy League⁵, écrivant des articles pour des parutions scientifiques et se défoulant à coups de martinis. Pourtant quelque chose ne lui convenait pas totalement. « J’étais un homme dans la fleur de l’âge, se préparant à mourir avec des activités d’hommes dans la fleur de l’âge. »
À l’aube de ses quarante ans, il prit des champignons hallucinogènes, considérés comme sacrés par les Aztèques.
— Ça m’a transformé, dira-t-il. J’ai plus appris pendant les six ou sept heures de cette expérience que durant l’ensemble de mes années de psychologue.
Il cofonda le Harvard Psilocybin Project et commença à étudier le pouvoir curatif des drogues hallucinogènes, se prenant lui-même comme sujet d’expérimentation, mais aussi ses amis, ainsi que ses enfants. Il trouva bientôt une substance chimique encore peu connue, le diéthylamide de l’acide lysergique, une drogue tellement forte qu’une microdose suffisait à atteindre instantanément l’état de transe que les chamans et autres mystiques recherchaient tant.
Le créateur du LSD, Albert Hofmann, voyait cette drogue comme un « remède pour l’esprit ». Leary abondait dans ce sens, en poussant même le raisonnement. Si les armes nucléaires montraient l’emprise de l’homme sur les possibilités destructrices de l’univers, le LSD était tout le contraire.
— Le remède parfait à l’énergie atomique, disait-il. Les gens prennent du LSD et ont un FLASH ! Ils captent le message et commencent à remettre les choses en ordre selon le plan céleste. La guerre cesse. On porte des fleurs. Préservation. Branchez les gens au LSD, c’est la seule et unique manière d’empêcher la guerre de ruiner tout le système.
Les expérimentations de Leary ne rencontrant pas bonne presse, Harvard finit par l’exclure en raison de son intérêt croissant pour le psychédélisme. Mais l’attention qu’il portait autrefois à l’avancement de sa carrière au sein de l’élite scientifique universitaire de l’Ivy League lui était passée. Il souhaitait dorénavant partager sa découverte avec le monde.
Leary envisageait de conduire une conversion de masse, un éveil spirituel planétaire distillé grâce au LSD. Il se révélera être un fantastique bateleur, pourvu d’un talent inné pour s’adresser aux foules. Il présentait un sourire entendu en vantant les possibilités d’expansion de l’esprit sous LSD et la probable guérison des maux de la société qui pourrait en découler. Les responsables du système carcéral s’entendaient dire que la récidive serait en chute. Aux hommes politiques, il avançait que les Kennedy étaient déjà convertis. Il assurait aux leaders des communautés religieuses qu’ils verraient Dieu. Les lecteurs du magazine Playboy lurent dans une de ses interviews : « Le LSD est sûrement l’aphrodisiaque le plus puissant jamais découvert… Bien préparée, une séance intime sous LSD amène à coup sûr plusieurs centaines d’orgasmes à une femme ».
Il remisa au placard ses vestes en tweed et commença à arborer des bandeaux amérindiens, des pendentifs avec des billes de méditation tibétaines, et des dashikis⁶. Son visage enjoué fit rapidement la une des magazines jusqu’aux talk-shows télévisés. Son mantra facilement mémorisable – Turn on, tune in, drop out – apparaissait sur les autocollants de pare-chocs et imprimé sur des t-shirts, et des millions de jeunes du monde entier le reprenaient à leur compte.
Jimi Hendrix, les Doors et d’autres célébrités recherchaient sa compagnie, avides de nouveaux savoirs. John Lennon absorba les conseils de Leary à propos des trips et en fit une chanson pour les Beatles. Turn off your mind, relax and float downstream / It is not dying, it is not dying.⁷ Pour le « Bed-In » que John Lennon et Yoko Ono mirent en scène – ce rassemblement de plusieurs jours dans une chambre d’hôtel lovés sur un lit dans l’espoir que la paix dans le monde surgirait – Timothy Leary fut aussi convié. Sourire aux lèvres, l’ancien professeur s’y trouva torse nu au pied du lit de John Lennon. Impliqué, frappant des mains et chantant avec entrain Give Peace a Chance⁸. Vers le milieu du titre, on entend Lennon lancer un joyeux tribut : « Timmy Leary ! »
Depuis Washington, Nixon et ses aides observaient. Surpris de toute l’attention que Leary pouvait générer, de sa prédominance à l’antenne et dans les gros titres, et de la densité des foules venant l’écouter. Il n’était pas un simple Lothaire du LSD se débauchant dans la drogue et les orgies, un quelconque sybarite charmant de jolies hippies au son du pipeau. Il parlait de conduire une révolution de l’esprit. « Le Congrès ne devrait pas voter de loi abrogeant le droit individuel à rechercher l’expansion de la conscience. »
Quand Nixon tenta, avec l’opération Intercept, de restreindre l’afflux de marijuana en provenance de la frontière mexicaine, Leary lança aussitôt une contre-offensive : l’opération Turn On. Branchez. « Ils ont perdu la guerre au Vietnam, et maintenant ils utilisent les mêmes techniques pour s’attaquer à l’herbe » proclama Leary en exhortant la jeunesse à faire pousser sa propre marijuana pour en tirer une industrie nationale.
Le gouvernement le fit condamner pour non-paiement de la taxe fédérale sur la marijuana, jugement assorti d’une peine de trente ans de prison. Mais Leary garda sa liberté sous caution le temps de son appel, et combattit jusqu’à la Cour Suprême. Il emporta haut la main le procès Leary vs États-Unis, mettant à bas les avocats de l’administration Nixon ainsi que les principales lois concernant la marijuana.
Il célébra sa victoire en annonçant qu’il se présenterait contre Ronald Reagan au poste de gouverneur de Californie.
— Vous n’avez pas le sentiment que j’ai déjà vécu plus d’expériences que Ronnie ? s’amusa-t-il devant les journalistes.
Il promit de légaliser l’herbe, de la vendre dans un réseau de magasins officiellement approuvés, dont les revenus de taxes rejoindraient les caisses de l’État. Il dit qu’il ne résiderait jamais dans la résidence du gouverneur. À la place, il planterait un tipi, sur le gazon, pour y conduire les affaires d’État. Son slogan de campagne, Come together, Join the Party (Rassemblez-vous, Rejoignez la Fête), inspira à John Lennon l’écriture de la chanson Come Together pour les Beatles.
Mais bien que menant joyeusement sa révolution culturelle, Leary s’apercevait que le manège commençait à dérailler. Il prenait toujours soin de présenter le LSD comme une expérience touchant au religieux, insistant sur la nécessité de guides avertis capables de conduire les gens vers l’illumination. Pourtant, beaucoup trop de jeunes avalaient du LSD comme des bonbons à Halloween, pour s’amuser. Et tous n’observaient pas sous LSD la manifestation d’un Dieu intérieur. Ceux qui n’étaient pas préparés, pas prêts, relâchaient leurs propres démons internes. Des récits noirs de trips malsains se propageaient, de gens qui tentaient de voler en sautant par les fenêtres et d’une utilisation qu’en ferait la CIA à des fins de contrôle mental.
Puis le pays se figea d’effroi en 1969 quand un vagabond à la coiffure de Gorgone nommé Charles Manson – qui dans un trip sous acide avait cru déchiffrer des prophéties messianiques dans les paroles des Beatles – organisa un massacre. Manson envoya des membres de son culte, choisis personnellement, assassiner cinq individus dans une demeure au nord de Beverly Hills, puis le soir suivant encore, attaquer deux autres individus à mort avec… des fourchettes et des couteaux. Des millions d’Américains en conclurent que le LSD, le saint sacrement de Timothy Leary, rendait les gens fous.
— Le LSD m’effraie horriblement, dira le gouverneur Ronald Reagan. Je pense qu’un lot de mauvaises informations a été colporté par ceux qui semblent n’y voir aucun danger.
Dès lors, Nixon, Reagan et d’autres leaders sur les nerfs sont convaincus que Timothy Leary a enclenché une offensive chimique. Qu’il lave le cerveau d’une génération de jeunes Américains.
À leurs yeux, il n’y a pas de différence notoire entre Timothy Leary et Charles Manson.
Avant que la Maison-Blanche ne concentre son attention sur lui, les procureurs et la police avaient déjà Leary à la bonne depuis quelques années. G. Gordon Liddy fut l’un des premiers à organiser une descente à la retraite spirituelle de Leary, au nord de l’État de New York. La seule chose que Liddy trouva lors de sa première visite fut un kilo de terre compostée. Mais il réitéra ses venues, poussant Leary et sa famille à quitter finalement l’État. Lors d’un contrôle à la frontière avec le Mexique, à Laredo, au Texas, la police mit la main sur une petite boîte contenant quelques grammes de chanvre, dissimulée à la hâte dans les dessous de sa fille.
Il y eut une autre prise importante, le lendemain de Noël 1968. Leary gara son break familial dans une impasse de Laguna Beach, en Californie. Un policier en patrouille s’arrêta. Le flic, insistant qu’il détectait bien une odeur de marijuana, commença à inspecter le véhicule. Avec un plaisir non feint, il exhiba triomphalement deux mégots de joints trouvés dans le cendrier. Leary, habitué à tutoyer le cosmos à coups de centaines de doses d’acides, en voyant la prise minable de l’officier, lança :
— C’est quoi le problème ?
Mais ces deux mégots constituaient, selon la loi en vigueur en Californie, la preuve d’un délit. Suffisant pour éjecter Leary de la course pour la gouvernance de la Californie contre Reagan et le mettre à l’ombre une fois pour toutes. Le juge, nommé par Reagan, le condamna à la peine maximale de dix ans, arguant que Leary était « une vicieuse et nocive influence pour la société… un libertaire irresponsable, petit bourgeois new-yorkais défenseur de la libre utilisation du LSD et de la marijuana ».
Quand Leary finit par se trouver pour la première fois derrière les barreaux, le maton claqua la porte en martelant :
— On a jeté la clé, juste pour toi.
Le jour où Leary pénètre dans sa nouvelle prison, des conseillers se succèdent au Bureau ovale afin d’informer Nixon de l’évolution des dernières flambées de violence. Des explosions se sont enchaînées tout au long de la semaine. Alors que des centaines de milliers d’activistes anticonflit ralliaient Washington, une bombe explosa au quartier général de l’Association de la Garde nationale. Il y eut des attentats contre les bureaux de recrutement d’Hollywood, Oakland et Détroit. Des détonations se firent entendre dans des locaux militaires à Longview, dans l’État de Washington ; à Kent, dans l’Ohio ; Reading, Pennsylvanie ; Mankato, Minnesota. Une déflagration à la Commission de l’énergie atomique située à Rocky Flats, Colorado. Des explosions et des incendies à l’Université de l’Ohio, à l’Université Wesleyan dans l’Illinois, à l’Université d’Alabama, à celles de Valparaiso et de Virginie, à la Case Western Reserve University, à l’Université d’État du Colorado, à l’Université du Nevada, à l’Université DePauw, à l’Université du Missouri à Columbia, à Loyola à Chicago, et à l’Université John Carroll dans l’Ohio.
Le FBI fait parvenir aux conseillers de Nixon des notes indiquant que des révolutionnaires endogènes détiennent assez de dynamite pour faire exploser un bâtiment chaque jour pendant trente jours d’affilée, et qu’envoyer le président Nixon brûler en enfer leur ferait probablement plaisir.
2 Pot : argot anglo-saxon pour désigner l’herbe, celle qui se fume.
3 Littéralement, les « Météorologues ».
4 Quartier au sud de Manhattan, New-York.
5 Appellation regroupant les huit meilleures universités du Nord-Est des États-Unis.
6 Tunique à motifs de l’Afrique de l’Ouest souvent portées alors par les radicaux afroaméricains comme symbole du rejet de la culture occidentale.
7 « Débrancher son esprit, se laisser aller à flotter sur le courant / ce n’est pas ça mourir, ce n’est pas ça mourir. »
8 « Donnons une chance à la paix. » La chanson, enregistrée en direct, est sortie en 45 tours.
Peur panique
13 mai 1970, l’après-midi
Dans le centre pénitentiaire CMC-West, un surveillant musclé tend à Tim son nouvel attirail : un petit cadenas et une clé pour son casier en métal. Une veste en denim bleu. Trois paires de pantalons et trois chemises en denim avec son numéro d’écrou inscrit au pochoir.
Un détenu de confiance le conduit le long d’une cour ombragée où se déroule un tournoi de bridge. Les taulards le voient et l’interpellent. Il passe ensuite près de prisonniers âgés, accroupis, occupés à travailler des jardinières. Le détenu de confiance lui montre des plants de tomates, en crânant sur le fait qu’une grande partie de la nourriture servie dans la prison provient du potager.
Tim entre dans le bâtiment 324, semblable aux autres baraquements en bois. Il n’y a pas de barreaux aux fenêtres et la porte principale reste ouverte.
— Ici, on n’appelle pas ça des cellules, dit le détenu de confiance. C’est ton dortoir.
À l’intérieur, on sent un relent aigre de cigarettes bon marché mélangé à l’odeur des vieillards. Plusieurs détenus à vie sont rassemblés, comme une colonie de phoques gris échoués sur des rochers. Des types cabossés, aux figures parcheminées et aux tatouages faits maison. Ils finissent par s’approcher de lui, leurs visages emplis de reconnaissance.
Il est conduit vers le lit numéro 7, scrute l’endroit minuscule que Richard Nixon et Ronald Reagan ont souhaité lui allouer pour les dix prochaines années : une couche étroite, un casier bourré de coups et un bureau en acier gris. Il balance ses vêtements sur le sol, avec son tabac, ses stylos et ses claquettes pour la douche. Les autres détenus se pressent autour de lui, ils portent tous le pantalon en denim et les tennis beiges réglementaires fournis par l’administration. Ça tape dans les mains, ça courtise, ça flatte, ça promet d’offrir son aide. Un haut-parleur se met à crachoter et reprendre vie soudainement quand l’interface de communication de la prison émet un message :
« Tous les jardiniers se rendent au bureau de l’équipe en charge du potager pour distribution de graines. »
Affalé sur son matelas, Leary a tout le temps de se pencher sur la réalité de sa nouvelle existence. Il roule une cigarette et l’allume. Tout compte fait, il se disait bien qu’il aurait fini là.
— Les grands hommes du passé que je compte parmi mes modèles, disait-il autour de lui, ont presque tous connu la prison, ou alors furent menacés, pour leurs croyances : Gandhi, Jésus, Socrate, Lao-Tseu… Être emprisonné ne m’apporte aucune crainte… Je sais que la seule vraie prison est intérieure.
Plusieurs années auparavant, lui et d’autres pionniers de la recherche sur les hallucinogènes développèrent une théorie selon laquelle le code propre à une personne était changé par l’ingestion des sacrements psychédéliques. Que cela faisait sauter en grand les barrières. Qu’après avoir connu l’expérience d’une illumination, on en sortait probablement physiquement différent. Que le LSD restait d’une certaine façon en vous. Comme si vous agissiez simplement sur un autre registre, plus élevé, tout le temps.
Parmi ses pairs et ses disciples, Leary était devenu une légende pour ses capacités herculéennes à ingérer à haute fréquence des doses de LSD extraordinairement puissantes sans ressentir la moindre attaque de la plus grande des peurs – la Peur panique. Celle qui terrassait tant d’usagers. Ses amis mettaient cela sur le compte de l’étendue de ses capacités intellectuelles, de son habileté à déjouer la peur. Ou de sa bravoure irlandaise à oser affronter ses démons sans ciller. Il peut prendre dose pure après dose pure de LSD et avoir l’air normal, blaguer avec un animateur de talk-show bavard ou charmer l’hôtesse fortunée qui le reçoit pour un dîner mondain à San Francisco. Leary a le sentiment d’être plus lucide sous LSD, il a le rire facile quand il se transforme en cet être plus intelligent, plus affûté, supérieur à quiconque, peu importe le sujet.
Certaines de ses plus anciennes connaissances sont fascinées autant que déconcertées par la facilité avec laquelle il réussit à graviter si près des stars, des néons et de l’argent. Certains avaient leur idée : c’était son ego – la chose qu’il demandait précisément aux autres d’abandonner – qui l’engouffrait régulièrement.
Par la fenêtre de son pénitencier, il aperçoit au loin neuf vallées érodées par le temps. Les Neuf Sœurs, comme on les appelle, sont alignées comme un gigantesque passage à gué vers la mer. À quinze kilomètres en amont vers l’ouest, les vents se lèvent sur le Pacifique, courent vers les vallées, survolant la baie de Morro léchée par la lune, et pointent vers le centre de détention. La brise apporte parfois des odeurs citronnées, de marguerites, ou de fleurs musc. Autant de souvenirs entêtants d’une Californie libre et sauvage.
Allongé pour la première fois sur la couche de sa nouvelle geôle, le vent lui parvenant par les fenêtres entrouvertes doit être le douloureux rappel d’un quotidien dont le souvenir s’effacera peu à peu. Peut-être est-ce dans ces moments-là, où il ne reste rien ni personne, que la Peur panique vient vraiment vous cueillir. Legend of a Mind⁹, le titre hommage des Moody Blues écrit pour lui en 1968, résonne cruellement à cet instant : Timothy Leary’s dead…¹⁰
9 « La Légende d’un Esprit »
10 « Timothy Leary est mort… »
Des lézards mauves
Le 17 mai 1970
Dimanche, jour des visites. Après avoir fait la route depuis leur maison de Berkeley, Rosemary, l’épouse de Tim, se présente au bureau d’accueil. Elle revient de quelques jours à New York où elle a organisé un prestigieux gala de bienfaisance avec Jimi Hendrix pour aider à payer les frais de justice de son mari.
Quand Tim entre dans la zone de visite, on lui demande de rester en place et de lever les bras. Un gardien vérifie ses poignets pour s’assurer qu’il ne porte pas de montre – souvent utilisées pour faire circuler des choses dans et hors de la prison. Une palpation de ses bras, jambes et entrejambe est effectuée.
À l’autre bout du bâtiment des visiteurs, les gardiens ont été avertis que Rosemary pourrait tenter de faire passer du LSD à son mari, peut-être grâce à une dose cachée sous un ongle ou bien aspergée sur son col de chemise pour qu’il la lèche. Ils la fouillent nerveusement, de peur de toucher l’acide accidentellement, ce qui l’amènerait à se diffuser par les pores de la peau et leur faire perdre la boule.
Tim pousse la porte tambour, suivi par les gardiens. Il aperçoit Rosemary, sa large jupe hippie et sa blouse indienne qu’elle porte avec l’assurance de l’élégance. Elle a trente-quatre ans – quinze ans de moins que lui –, une grande silhouette élancée, des yeux bruns pétillants et de longs cheveux châtains.
Ils se précipitent l’un vers l’autre, s’enlacent, échangent un baiser. C’est la première fois en huit semaines qu’ils se touchent. Les gardiens surveillent attentivement, le moindre geste « déplacé » leur est interdit.
Elle pourrait lui refiler de l’acide avec la langue.
Rosemary Woodruff Leary a elle aussi son vécu. Née à Saint-Louis, dans le Missouri, elle fut élevée dans un milieu conservateur par des parents baptistes. Montée à New York, elle devint mannequin, gravitant dans le courant beatnik et du jazz d’avant-garde, qui s’éloignait des opiacés et des mélanges alcool-médocs pour plonger dans les drogues hallucinogènes, les champignons magiques et finalement le LSD. Elle fréquentait les écrivains de la Beat Generation, dont Jack Kerouac, se maria à un accordéoniste de jazz néerlandais, puis finit par entendre parler des sessions expérimentales que menait Timothy Leary à Millbrook, à cent cinquante kilomètres de là, au nord de New York.
Après son départ de Harvard en 1963, Leary fut invité par les héritiers de la fortune Mellon à investir un domaine de 2 400 hectares. Le domaine de Millbrook, en plus de ses forêts, de ses lacs, de ses vergers, de ses clos et de ses cours d’eau, possède un manoir de soixante-quatre pièces datant du XIXe siècle. Leary s’y installa avec ses deux enfants, plusieurs de ses collègues ayant eux aussi quitté Harvard et une assemblée allant grandissante de poètes, d’artistes et de musiciens, en phase avec les expérimentations de conscience augmentée et la volonté de Leary de créer une alliance pour l’avancée spirituelle, la League for Spiritual Discovery.
Millbrook, avec ses petites dépendances qui semblent avoir poussé dans les forêts de Bavière, ses ponts en pierre, ses champs de tournesols et ses rangées de maïs, devint le plus important centre au monde consacré à la recherche psychédélique de l’éveil et aux pratiques connues des religions transcendantales orientales. Jack Kerouac, Aldous Huxley, Allen Ginsberg, Charles Mingus, Ken Kesey et ses Merry Pranksters vinrent tous en résidence chez Leary. Et ce qui fut au départ une tranquille expérimentation autour du LSD commença à attirer l’attention d’un procureur local, G. Gordon Liddy. Celui-ci diligenta une équipe chargée d’enquêter sur les rumeurs de LSD, d’herbe et de haschisch – et de jeunes filles hippies qui couraient nues dans les cours d’eau, de musiciens de jazz musclés jouant de la flûte aux écureuils, de séances orgiaques de body-painting et d’hommes avec des fleurs dans les cheveux montant des chevaux blancs.
Rosemary rencontra Leary au cours d’une exposition à New York. Il l’invita à lui rendre visite sur le domaine. Elle fut marquée par l’endroit, magique, propice au psychédélisme, mais où Leary semblait errer seul dans un brouhaha incessant de gratteurs de guitares et de camés de passage. Elle finit par emménager et Tim informa la troupe que Rosemary et lui avaient déjà été mariés « des milliers de siècles sous des milliers de formes ».
Au cours des cinq dernières années, les deux âmes sœurs ont pris des dizaines et des dizaines de doses d’acide ensemble. Ils ont consulté le tarot, des horoscopes, tout comme le Yi Jing, le manuel de divination chinois ancestral. Ils ont fait des célébrations ensemble, pratiqué la respiration ensemble, observé une pratique de méditation du yoga tantrique par la pénétration pour étendre leur niveau de conscience. Ils ont fait l’amour dans des tipis, des manoirs et à l’extérieur, comme sous une cascade une nuit de pleine lune. Ils se marièrent trois fois en 1967 : avec un chaman amérindien au Parc national de Joshua Tree, pendant que les convives vomissaient de la mescaline ; durant une cérémonie hindoue minimaliste dans leur sublime maison de Berkeley ; et dans leur propriété de l’État de New York, le lendemain d’une des descentes nocturnes coutumières de Liddy.
Depuis son emménagement chez Tim, Rosemary a déjà été arrêtée trois fois et emprisonnée deux. Au cours de sa première perquisition, Liddy avait embarqué la terre qu’elle avait compostée. Elle refusa de témoigner contre son mari et eut une fois droit à trente jours en cellule d’isolement. Comme elle était avec Tim quand la police trouva les deux minuscules mégots de joint dans le cendrier du break familial, elle pouvait elle aussi récolter six mois.
Tim et Rosemary regardent le parloir à l’aspect terne, avec ses tables en bois usées, ses fauteuils bancals et la collection de slogans des Alcooliques Anonymes sur les murs. Ils optent pour le jardin et ses bancs en bois disposés sur l’herbe.
Il se penche près d’elle, inspirant son parfum alors qu’il allume leurs cigarettes. Tous deux savent que quelqu’un, quelque part, les surveille attentivement.
Il s’enquiert du gala de charité de New York. Ils espéraient récolter au moins 100 000 $ pour organiser sa défense. John Lennon et Yoko Ono faisaient partie des organisateurs de la soirée, mais John n’avait pu venir parce qu’il était interdit de territoire par la Maison-Blanche.
Rosemary se tait un instant. Puis tente d’expliquer ce qui arriva. Tim fronce de plus en plus les sourcils à mesure qu’il écoute son récit.
— Quelqu’un a aspergé du LSD super fort dans le bol de punch…
Et c’est comme si la soirée avait été infiltrée par d’impitoyables clones de Vishnou. Jim Morrison, des Doors, a voulu lire des poèmes, mais personne n’écoutait. Les doigts des invités se transformaient en serpents qui sifflaient. Certains allaient se cacher sous des tables, avec les mains sur les yeux, pour éviter les jacasseries des lézards mauves. Abbie Hoffman, le célèbre activiste hippie, a déboulé sur scène pour écarter Allen Ginsberg, le poète de la Beat Generation, qui tentait de calmer le public en faisant « Ommmmm ». Le cerveau en ébullition sous acide, Hoffman s’est lancé dans une tirade sur l’Université d’État de Kent et sur le fait que tous devraient se battre comme des fous pour que cesse la guerre du Vietnam. Alors qu’il se contorsionnait en déblatérant des inepties hallucinées, quelques potentiels donateurs fortunés ont commencé à chercher frénétiquement les sorties, en surmontant tant que possible les prémices de crises de panique dues au LSD. Quand Jimi Hendrix est monté sur scène peu après minuit pour glisser un Purple haze¹¹, peu se sont aperçus qu’ils avaient en face d’eux un envoyé sonique des dieux psychédéliques. Ou le lendemain se rappelèrent même l’avoir entendu jouer.
Tim se fait silencieux quelques secondes.
— Vous avez pu récolter combien d’argent ? demande-t-il.
Rosemary avoue péniblement qu’ils n’ont pu obtenir que 5 000 $.
Tim sourit à moitié.
— Ça aurait pu être pire.
— Non, c’est pire, lui répond-elle en prenant son temps.
L’organisation de l’événement nous a coûté 8 000 $.
Ils restent assis tous les deux sans rien dire, fumant chacun une nouvelle Camel. Elle dit qu’elle parle à d’autres gens dans la panoplie déglinguée de gratteurs, sangsues, squatteurs, mendiants, rock stars, poètes, avocats libéraux, lèche-bottes allumés et partisans convaincus, qui se sont greffés sur leur trajectoire.
— Il y en a peut-être qui peuvent t’aider.
Tim observe alentour, puis lui glisse un mot à l’oreille.
Elle se fige avant d’acquiescer. Lorsqu’il fut inculpé pour la première fois, Rosemary avait collé son visage contre la paroi vitrée de la prison qui les séparait, l’avait regardé