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Le vol de Sorcebois
Le vol de Sorcebois
Le vol de Sorcebois
Livre électronique354 pages4 heures

Le vol de Sorcebois

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À propos de ce livre électronique

À Sorcebois, nation de sorcières isolée du monde, les hommes sont estimés inférieurs depuis des siècles. Devant obéissance à toute femme, ils s'échinent à couper des chênes ensorcelés leur vie durant. Quant aux sorcières et à leur puissante Matriarche, elles s’apprêtent à célébrer en grande pompe la création de l’Œil d'Argent, un puissant artéfact magique.

La jeune sorcière Roxara n’a pourtant pas le cœur à la fête : sa lutte pour tenter d’apporter plus d’égalité à leur nation demeure lettre morte, condamnant son père et son frère à une rude existence de servitude.

Alors qu’elle rumine son échec, la magicienne tombe sous la coupe de Corv, un mystérieux homme-corbeau.

Cet étranger lui propose alors un pacte odieux…

À PROPOS DE L'AUTEUR

Titulaire d'une licence professionnelle d'écrivain public, Téo Sauzède est bibliothécaire dans un village du Var. Après avoir remporté un concours régional de nouvelles du CROUS en 2017 et s'être qualifié en finale du Grand Prix 404 Factory 2019, il a écrit "Le Vol de Sorcebois", son premier roman.
LangueFrançais
Date de sortie16 août 2024
ISBN9782386180316
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    Le vol de Sorcebois - Téo Sauzède

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    Copyright © SARL Le Héron d’Argent

    Tous droits réservés

    © Le Héron d’Argent 2024

    Illustration de couverture : Jahyra

    Mise en page de la couverture et de l’intérieur: J. Robin Agency

    Correctrice : Amandine RIBA

    Collection Imaginaire

    EISBN : 978-2-38618-031-6

    Gérante et directrice de collection : Vanessa Callico

    Dépôt légal : mai 2024

    SARL Le Héron d’Argent

    27 rue de la Guette, 77210 Samoreau

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    dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale

    ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est

    illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit,

    constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la

    propriété intellectuelle.

    Table des matières

    Prologue : La contrée des Sorcières

    Chapitre 1 : Apprentissages

    Chapitre 2 : Esclaves du bois

    Chapitre 3 : Artifices et prétentions

    Chapitre 4 : Le Mage et l’Ours

    Chapitre 5 : Porte-malheur

    Chapitre 6 : Occasion

    Chapitre 7 : Décision

    Chapitre 8 : Dominance

    Chapitre 9 : Deuxième rencontre

    Chapitre 10 : Négociations

    Chapitre 11 : Craquelures et crépitements

    Chapitre 12 : Terres des panthères

    Chapitre 13 : Recherches

    Chapitre 14 : La Sorcière et le Mage

    Chapitre 15 : Duo improbable

    Chapitre 16 : Lutter pour la cause

    Chapitre 17 : Voûte étoilée

    Chapitre 18 : La maîtresse des artéfacts

    Chapitre 19 : Avant la tempête

    Chapitre 20 : Le manoir de la Matriarche

    Chapitre 21 : En pleine lumière

    Chapitre 22 : L’ombre du Corbeau

    Chapitre 23 : Festivités et hostilité

    Chapitre 24 : Un vent de folie

    Chapitre 25 : Précipitation

    Chapitre 26 : Trois légendes

    Chapitre 27 : Arrangement d’urgence

    Chapitre 28 : Le vol de Sorcebois

    Chapitre 29 : Point de rupture

    Chapitre 30 : Brutale évasion

    Chapitre 31 : Rebattre les cartes

    Chapitre 32 : La grande traque

    Chapitre 33 : Les mailles du filet

    Chapitre 34 : Ours et Corbeau

    Chapitre 35 : Compte à rebours

    Chapitre 36 : Une voie toute tracée

    Chapitre 37 : Inquisition

    Chapitre 38 : Fuir le passé

    Chapitre 39 : La fin d’un foyer

    Chapitre 40 : La dernière chasse

    Chapitre 41 : Plumes meurtrières

    Chapitre 42 : Seuls contre toutes

    Chapitre 43 : Ennemis jurés

    Chapitre 44 : Saisir l’occasion

    Chapitre 45 : Guerrier et assassin

    Chapitre 46 : Déluge de foudre

    Chapitre 47 : En dernier recours

    Chapitre 48 : Une autre voie

    Chapitre 49 : Nouvel accord

    Chapitre 50 : Forgés par le passé

    Chapitre 51 : Répercussions

    Chapitre 52 : Successeuses

    Chapitre 53 : Retrouvailles et adieux

    Chapitre 54 : Nouveaux départs

    Chapitre 55 : Prix payé

    Chapitre 56 : Avenir incertain

    Chapitre 57 : Retombées

    Chapitre 58 : Pénitence

    Chapitre 59 : Partenaires

    Chapitre 60 : Stagner ou changer

    Chapitre 61 : Héritage

    Chapitre 62 : Roxara

    Épilogue : L’envol de Sorcebois

    À ma famille et à mes amis,

    grâce auxquels je suis devenu quelqu’un d’à peu près équilibré,

    et surtout heureux.

    « Maintenant… c’est à ton tour ! » - Toshinori Yagi

    Prologue : La contrée des Sorcières

    Le soleil éclairait la pièce à travers une grande fenêtre. Les murs étaient couverts de bibliothèques pleines à craquer. Au centre de la pièce trônait un large bureau aux nombreux tiroirs. Heygath, confortablement installée, souriait à son interlocutrice assise de l’autre côté, Roxara. Toutes les deux étaient des Sorcières, mais il y avait davantage qu’un meuble qui les séparait. Heygath avait visiblement quatre-vingts années, peut-être plus. C’était la directrice du Couvent, lieu où l’on formait les jeunes filles de Sorcebois à devenir des Sorcières accomplies. Sa robe noire était cousue d’innombrables fils argentés, contrairement à celle de Roxara, qui n’avait de l’argent qu’autour de ses manches. Plus une Sorcière était réputée, plus sa robe était décorée.

    Roxara avait vingt-quatre ans et, même si elle était officiellement une Sorcière, Heygath lui faisait bien comprendre son inexpérience. Le sourire de la vieille magicienne, plein d’indulgence, n’avait pas pour but d’encourager la jeune lanceuse de sorts. La directrice du Couvent prit la parole.

    — Chère Roxara, que puis-je pour toi ?

    — Dame directrice, je suis navrée de vous déranger, mais si je vous sollicite…

    — Cesse donc de tergiverser, coupa Heygath. D’autant plus que je suis à peu près sûre de ce dont tu veux me parler.

    Roxara serra les poings et les mâchoires. Elle s’était promis d’avoir l’air détendue et confiante. Vu le sourire désormais moqueur d’Heygath, c’était raté. La jeune femme se lança tout de même.

    — Directrice… Je voudrais vous parler du cas de mon frère.

    — Pourquoi veux-tu me parler d’un mâle ? Aurait-il porté atteinte à notre nation ?

    — Non, au contraire, il pourrait même lui apporter beaucoup. Voyez-vous, directrice, il possède les trois dons.

    — Comment peux-tu le savoir ? Il est strictement interdit de tester les dons magiques d’un mâle, hormis pour les Sœurs du Vœu Nocturne.

    Le Vœu Nocturne était l’ordre de Sorcières d’élite chargé de veiller sur Sorcebois. Si une des Sœurs devait tester les talents magiques d’un homme, c’était à l’adolescence ou dans le cadre d’une enquête, et aucun homme de Sorcebois sain d’esprit ne voulait être remarqué par le Vœu Nocturne. Roxara parvint à répondre à peu près calmement, sans bafouiller.

    — Même sans le vouloir, je perçois le potentiel de mon frère. Bien entendu, il ne lance aucun sortilège, il en serait bien incapable ! Je suis quasiment certaine…

    — Tu sais que je pourrais envoyer les Sœurs évaluer ton frère, n’est-ce pas ?

    Roxara se tut, hochant imperceptiblement la tête. Heygath soupira, croisant les mains par-dessus son bureau et fixant la jeune Sorcière droit dans les yeux. La directrice, sous ses dehors de grand-mère aimable, était en vérité une ensorceleuse à l’intelligence redoutable, crainte par ses adversaires politiques. Elle reprit la parole.

    — Roxara, je sais que cela fait des années que tu cherches à faire entrer ton frère au Couvent. Celles qui ont connaissance de tes études sur le statut des mâles au sein de Sorcebois prennent cela pour une lubie. Cependant, tu ne peux pas me tromper. Tu veux vraiment attirer l’attention d’une Sœur du Vœu sur ta famille ?

    — Je veux juste que les dons de mon frère ne soient pas gâchés !

    — Tu sais ce que cela impliquerait, d’apprendre la magie à un mâle ? Cela irait à l’encontre de notre loi la plus importante.

    — « L’art subtil de la magie est réservé aux femmes », récita Roxara. « Les tâches terrestres sont destinées aux mâles. »

    — Qu’importe le potentiel magique que peut avoir un mâle, son rôle est de bâtir, de cultiver, d’exploiter le bois et de fabriquer des outils. Nous voyons bien comment les nations patriarcales s’en sortent dans les Terres des Ténèbres. Des pays désorganisés, souvent en guerre…

    — Mais ils ont des mages de tous genres !

    — Des femmes et surtout des hommes instables, semant le chaos dans leur sillage. Ton frère a déjà sa place toute trouvée à Sorcebois, et elle n’est pas au Couvent.

    Roxara, muette, baissa ses yeux emplis de rage. C’était un aveu de soumission, mais continuer cet affrontement avec la directrice aurait pu avoir des conséquences terribles. Heygath reprit la parole, avec un semblant de sympathie dans la voix.

    — Tu n’es pas la première qui se met en tête de changer ce qui est établi. Tu ne seras pas la dernière non plus. Bien des Sorcières ont déjà essayé, avec peu de succès. Elles étaient bien plus âgées, expérimentées et influentes que toi. Ta mère en faisait partie.

    La jeune Sorcière se crispa à la mention de Leyana, sa mère décédée quand elle était adolescente. Elle savait qu’Heygath et elle avaient été particulièrement proches.

    — Fais-toi à l’idée, Roxara. Tu es un élément prometteur. Ne gâche pas ta carrière et la vie de ta famille en continuant à t’opposer aux traditions. Suis-les, et Sorcebois te le rendra.

    La directrice du Couvent retomba en arrière dans son fauteuil, tournant la tête vers la fenêtre derrière elle. L’entrevue était terminée. Un croassement de corbeau moqueur se fit entendre à travers la vitre. Sans un mot, Roxara se leva et sortit de l’antre d’Heygath.

    Chapitre 1 : Apprentissages

    Roxara était sortie furieuse de son entretien avec la directrice du Couvent. Furieuse contre Sorcebois, contre la mauvaise fortune, contre elle-même. Le son de ses pas résonnait dans les couloirs du Couvent. Néanmoins, elle avait encore un cours à donner à de jeunes écolières en cette nouvelle rentrée. Elle se devait d’être exemplaire pour impressionner ses nouvelles élèves, les motiver à donner le meilleur d’elles-mêmes et leur inspirer le respect. Une tâche déjà peu aisée quand on était une fière partisane de Sorcebois, alors pour Roxara… La Sorcière inspecta brièvement son reflet dans une glace et replaça une mèche de ses longs cheveux noirs. Elle se força à reprendre une certaine impassibilité et prit la direction de l’amphithéâtre.

    À vingt-quatre ans, Roxara avait achevé ses études depuis un an et était devenue ainsi une authentique Sorcière. Toutes les Sorcières devaient donner de leur temps pour le Couvent et la formation des générations futures. Les novices donnaient surtout des cours, tandis que les Sorcières expérimentées tenaient principalement des conférences. À son niveau, Roxara faisait partie de la première catégorie et y serait encore pendant bien des années.

    La jeune Sorcière entra dans l’amphithéâtre accueillant sa classe. Une vingtaine de jeunes filles de dix à douze ans se redressèrent sur leurs bancs à son arrivée. Roxara s’installa derrière son bureau, prit son ton le plus inflexible et commença son cours.

    — Mesdames, votre temps à l’école fondamentale est terminé. Maintenant, vous savez ce que l’on attend de vous. Désormais, vous vous consacrerez à l’étude de la magie, pour apporter la gloire sur votre nom et sur la nation. Levez-vous.

    Les jeunes élèves se dressèrent précipitamment, certaines s’empêtrant dans leurs nouvelles robes d’apprenties. Roxara se souvint à quel point elle avait détesté ces vêtements à leur âge. La Sorcière ordonna : « Chantez l’hymne de notre nation. » Roxara trouvait toujours étrange de diriger ainsi des néophytes, alors qu’il y avait quelques années, elle était encore en formation, mais elle parvenait à le cacher. Les jeunes filles, impressionnées pour leur premier jour au Couvent, s’exécutèrent et entonnèrent l’hymne de Sorcebois.

    ***

    « La première Sorcière était exceptionnelle,

    La seconde était pourchassée,

    La troisième Sorcière était cachée,

    La quatrième a fondé Sorcebois,

    La cinquième Sorcière a défendu Sorcebois,

    La sixième a fait briller Sorcebois.

    Nous, héritières, nous sommes dignes de nos ancêtres,

    Nous sommes les garantes d’une magie pure,

    Nous sommes les véritables mages de ce monde.

    Nous sommes les Sorcières et nous sommes Sorcebois. »

    ***

    Ces mots empreints de solennité donnaient confiance aux jeunes élèves. Confiance en leur rôle, en leur avenir. Une confiance qui fuyait de plus en plus Roxara, que cet hymne rendait malade. Elle l’avait déjà trop entendu ce jour-là, et il restait encore la suite du cours à assurer. Après avoir laissé la fin de l’hymne résonner, elle fit signe aux élèves de se rasseoir. Elles étaient tout ouïe, pour le moment. Le premier jour faisait son effet mais, bientôt, elles s’habitueraient et commettraient leurs premières bêtises. Qu’importe la nation, une enfant de douze ans reste une enfant de douze ans. Une ou un enfant, se dit Roxara, avant d’écarter son petit frère de ses pensées.

    — Mesdames, vous allez apprendre avec moi les rudiments de la magie. Vous découvrirez comment utiliser vos trois dons pour détecter les sources de magie, puiser en elles et leur donner forme. Cet apprentissage basique durera un an, puis une de mes consœurs prendra le relais. Selon votre talent, vous suivrez dix à quinze ans d’études acharnées avant de devenir des Sorcières accomplies. Avez-vous des questions sur quoi que ce soit ?

    Les apprenties, encore intimidées, restèrent silencieuses. Puis une main se leva timidement. Une jeune fille rondelette aux cheveux blonds se forçait à regarder la Sorcière dans les yeux.

    — Je t’écoute.

    — Professeure, quand est-ce que nous pourrons lancer de vrais sorts ?

    — Lorsque vous aurez suffisamment étudié la théorie. Des essais pratiques auront lieu régulièrement pour vérifier vos aptitudes et savoir lesquelles d’entre vous sont capables de lancer des sorts.

    Plusieurs mains se levèrent. Roxara déclara alors :

    — Oui, mesdames, je sais que certaines d’entre vous ont déjà lancé des sorts. Les dons ne se manifestent pas de la même manière ni au même moment chez chaque personne.

    De nombreuses mains se baissèrent, sauf une. Celle d’une grande fille aux cheveux bruns portant des lunettes, le regard fuyant. Roxara lui donna la parole.

    — Professeure, et si on n’arrive jamais à lancer un sort ?

    Cette question attira à l’élève les regards outrés de ses camarades et des ricanements. Roxara prit une inspiration et invoqua son pouvoir. Un éclair blanc traversa l’amphithéâtre au-dessus de leurs têtes dans un grondement de tonnerre. La Sorcière accompagna sa démonstration de force d’un « Silence ! » retentissant, faisant taire les moqueries. Roxara reprit :

    — Ta question est pertinente et devrait être formulée plus souvent… De plus, je sais très bien que vous êtes nombreuses à vous la poser sans oser en parler à quiconque. À travers le monde, les trois dons nécessaires pour utiliser convenablement la magie sont répartis inégalement et en faibles proportions. Une personne sur mille seulement peut devenir une magicienne digne de ce nom. Mais à Sorcebois, grâce à notre lignage, la quasi-totalité des femmes possède ces trois dons.

    — Vous avez dit « quasi », professeure.

    — Exact. Il existe des cas de Sorcières chez lesquelles les trois dons ne sont pas présents, ou trop faibles pour être utilisés.

    — Mais si cela arrive, professeure, est-ce que nous sommes renvoyées ? Est-ce qu’on devient comme les hommes ?

    Une terreur mal dissimulée tendait la voix de l’élève. Un profond malaise envahit Roxara. L’École fondamentale avait encore trop bien fait son travail. Dès dix ans, les jeunes filles savaient déjà que les hommes de Sorcebois avaient pour seule perspective de participer aux travaux physiques pour une paye de misère. Qu’elles devaient les considérer comme un mal nécessaire. Roxara reprit contenance et répondit aussi naturellement que possible.

    — Bien sûr que non, voyons. Même les femmes dénuées de magie ont leur place dans notre nation. Ce qu’elles ont appris leur est utile pour devenir des éleveuses, des bibliothécaires, des apothicaires… Certains métiers très importants ne sont même accessibles qu’à ces femmes-là. Mais retenez que même la plus humble femme de Sorcebois reçoit un traitement humain et possède un statut supérieur à celui du plus méritant des mâles.

    La Sorcière était très bien – trop bien – placée pour le savoir. Cependant, ses propos avaient fait naître un soupir de soulagement collectif chez ses élèves. Ce soupir fit mal au cœur de Roxara. Mais une autre main se leva. Celle d’une petite fille rousse, assez jeune par rapport au reste de la classe.

    — Je t’écoute.

    — Professeure, vous avez dit que n’importe quelle femme avait un « traitement humain ». Les hommes ne sont pas des humains, alors ?

    Elle avait l’air moins curieuse que perplexe. Roxara retint sa panique. Elle avait eu beaucoup de classes, ce jour-là, et la réunion avec Heygath l’avait ébranlée. Elle avait laissé échapper ses pensées. Par les étoiles, comment pourrait-elle grimper dans la hiérarchie des Sorcières si elle était incapable de rester neutre auprès d’élèves de première année ?

    — Si, ils sont humains. Ils sont simplement beaucoup moins fiables que nous, les femmes. Nous devons bien les encadrer et les guider, pour qu’ils accomplissent au mieux les tâches à leur mesure. Il est donc normal de les traiter différemment de nous.

    La classe eut l’air de se satisfaire de cette explication, tandis que Roxara avait l’impression d’avoir mâché des clous. Elle enchaîna rapidement sur la suite.

    — Maintenant, nous allons vérifier les idées que vous avez sur la magie. Des volontaires ?

    Le reste du cours se déroula normalement. Roxara réussit à donner le change et à dissimuler, un jour de plus, son regret que son frère ne soit pas assis sur l’un des bancs en face d’elle.

    Chapitre 2 : Esclaves du bois

    Le soleil dardait ses premiers rayons sur la scierie d’Oztar, mais la journée de travail avait débuté depuis déjà deux heures. Le contremaître de l’exploitation prit une inspiration et donna d’autres instructions aux dizaines d’ouvriers qu’il menait d’une main ferme, mais juste.

    Oztar venait tout juste de dépasser les cinquante ans, mais il en faisait dix de plus. Cependant, il n’était pas le plus à plaindre parmi les hommes de Sorcebois. Ses cheveux noirs grisonnaient, mais il avait encore une carrure imposante et des bras épais. Son dos le faisait souffrir régulièrement, et il était épuisé à cause du manque de sommeil, mais il parvenait à paraître fort en public.

    Sa scierie, comme toutes les autres de Sorcebois, contribuait à produire la majorité des revenus de la contrée des Sorcières. C’était à cet unique endroit que poussait le chêne ensorcelé, un arbre extrêmement résistant aux assauts physiques et complètement insensible aux flammes ou à la magie. Il y avait bien longtemps, les Sorcières s’étaient rendu compte du potentiel inexploité de leur forêt, et avaient chargé leurs hommes de la récolte et de l’artisanat. Depuis, Sorcebois coupait ses chênes, les transformait en meubles, en charrettes, en portes et en bien d’autres objets ignifugés et résistant à tout sortilège. Ensuite, cette production était exportée à travers le monde entier, vendue à un prix exorbitant. Ce commerce florissant avait transformé Sorcebois en une nation de premier ordre, et la société des Sorcières avait prospéré.

    Elle avait prospéré sans que les hommes aient pu en profiter. Ou plus exactement, songeait Oztar, au prix de la santé et de la liberté des mâles de la nation. Depuis son premier jour à la scierie, il y avait quarante ans, il avait vu des centaines d’hommes comme lui travailler comme des bêtes de somme jusqu’à ce qu’ils n’en puissent plus. La principale nuance était qu’un homme brisé n’était pas envoyé à l’abattoir, mais chez sa mère, sa femme ou sa fille. Cette dernière choisissait alors son sort. Les plus généreuses faisaient en sorte qu’il profite d’une retraite austère, mais paisible dans une partie de leur maison. D’autres pouvaient faire regretter à leurs hommes le destin d’une bête de somme.

    — Contremaître ? Nous avons un nouvel arrivant.

    Oztar revint au temps présent. Un ouvrier avait guidé jusqu’à lui un garçon entrant à peine dans l’adolescence. Le cœur d’Oztar se serrait toujours lorsqu’il en voyait un rejoindre sa scierie. Il était l’un des rares contremaîtres à s’occuper personnellement de chaque enfant qui faisait ses premiers pas dans le monde impitoyable de la récolte du bois.

    — Merci de me l’avoir amené, Bern. Tu peux retourner au travail, répondit le contremaître à l’ouvrier, avant d’accueillir avec un sourire le garçon. Comment t’appelles-tu ?

    — Eraltir, monsieur.

    — Je suis Oztar, mais tu m’appelleras « contremaître ». Depuis combien de temps as-tu terminé ton éducation préliminaire ?

    — Six jours, contremaître.

    Les jeunes mâles avaient leurs propres écoles à Sorcebois, où ils apprenaient les rudiments des arts manuels, mais surtout quelle était leur place dans la société. Durant des années, on leur martelait qu’ils ne valaient rien, que leur seule perspective d’avenir était de travailler dans le bois ou dans les champs. Que leur unique devoir était la soumission. Une fois qu’ils étaient jugés aptes, ils pouvaient être envoyés aux scieries ou aux exploitations agricoles par la maîtresse de maison de leur famille.

    La mère de ce petit n’avait pas traîné. Oztar savait que ce serait bientôt le tour de son propre fils, même si la maîtresse de son propre foyer retardait le plus possible son entrée dans la vie d’homme. Le contremaître ignorait encore si c’était un bien ou un mal.

    — Je vais te montrer ton second foyer, Eraltir. Suis-moi.

    Le contremaître fit visiter la scierie au garçon. Elle était imposante, à la mesure des chênes titanesques que l’on y découpait. Le bâtiment rectangulaire, ouvert sur trois côtés, pouvait contenir jusqu’à huit chênes entiers. Vingt ouvriers s’échinaient à découper le bois avec des outils massifs.

    — C’est ici que tu passeras tes premières semaines. Le chêne ensorcelé est si solide qu’il faut des jours pour abattre un arbre et encore plus pour tailler des objets dans son bois. Tu aideras à entretenir les outils. Tu commenceras dès la fin de la visite.

    — Quand devrai-je travailler, contremaître ?

    — Ta journée débutera à la septième heure, comme aujourd’hui, et elle finira une heure avant le coucher du soleil. Nous augmenterons sa durée petit à petit jusqu’à ce que, comme tout le monde ici, tu travailles de deux heures avant l’aube jusqu’à une heure après le coucher du soleil. Tu auras un jour de repos pour six jours de travail.

    Eraltir hocha la tête, guère perturbé d’apprendre qu’il travaillerait environ quatorze heures par jour pour le restant de sa vie. Comment aurait-il pu être mécontent, ou même surpris  ? Sorcebois l’avait soigneusement préparé à ça, le privant non seulement d’autres avenirs, mais aussi de la possibilité de les imaginer. Oztar lui-même ne s’était posé aucune question pendant longtemps, et les doutes qui l’assaillaient étaient dus aux idées inhabituelles de sa maîtresse de maison actuelle.

    Le contremaître mena ensuite le garçon dans les clairières de découpage. Les alentours de la scierie étaient dégagés sur plus de cent mètres, et les ouvriers devaient acheminer le bois à la seule force de leurs bras. Selon Oztar, il était temps de déplacer l’exploitation. Toutefois, la décision ne reviendrait qu’à la Sorcière supervisant la scierie, quand elle comprendrait que la baisse de production n’était pas due à de la mauvaise volonté et que les ouvriers ne pouvaient pas humainement tenir le rythme. Autant dire que le déplacement n’était pas pour tout de suite.

    Eraltir, fasciné, contempla les ouvriers qui tentaient d’abattre les arbres avec d’immenses scies. Chaque chêne, du haut de ses trente mètres, voyait dix ouvriers s’affairer autour de lui. Les rayons du soleil levant peinaient à traverser le feuillage épais des frondaisons, baignant les chantiers d’une lueur tamisée. Les ouvriers travaillaient dans un silence troublé seulement par le son des outils se frayant un chemin dans le bois résistant et par une voix féminine réprobatrice.

    Le son attira l’attention d’Eraltir et d’Oztar. Une Sorcière avec de nombreuses notes en main rabrouait un des groupes d’ouvriers s’attaquant à un arbre. Au lieu d’utiliser la même méthode de découpe que les autres, consistant à attaquer le bois en un point précis, ils le sciaient à trois niveaux différents, avec des outils inhabituels. Le garçon était intrigué.

    — Contremaître, que fait cette Dame Sorcière ici ?

    — C’est Dame Trayflaine, la superviseuse de la scierie. Tu devras faire bien attention à l’appeler Dame superviseuse, si elle t’adresse la parole. Tout autre titre, même respectueux, te vaudrait une punition.

    — Merci de votre avertissement, contremaître.

    — Pour répondre à ta question, elle met à l’épreuve une nouvelle méthode de découpe du bois. Les Sorcières superviseuses font régulièrement des expériences pour tenter d’augmenter notre productivité.

    — C’est grâce aux Sorcières superviseuses que nous produisons autant de bois, contremaître ?

    Le contremaître était sur le point de mettre un terme à cette conversation avec une réponse vague, mais un élan de franchise le prit.

    — Cette méthode-là ne fonctionne pas.

    Le garçon regarda l’homme avec de grands yeux. Il n’était pas habitué à ce que le travail des Sorcières soit remis en cause.

    — Comment pouvez-vous le savoir, contremaître ? Seules les Dames Sorcières…

    — Cette méthode-là ne fonctionne pas, et il n’y a pas besoin d’essayer pour s’en rendre compte. Une autre Sorcière superviseuse a déjà mené une expérience identique il y a trois ans, dans une autre scierie.

    — Mais une Dame Sorcière ne referait pas quelque chose qui n’a pas fonctionné.

    — Si, plus souvent que tu l’imagines. Pour tenter de se démarquer des autres Dames superviseuses, pour faire avancer ses recherches, ou parce qu’une de ses supérieures lui a demandé de le faire pour je ne sais quelle raison qui nous est inaccessible, à nous les hommes.

    — Mais même si on sait que ça ne marche pas, on le fait ?

    — Évidemment. On perdra du temps, de l’énergie, voire des vies en cas d’accident. On présentera nos excuses. Les Dames Sorcières choisiront de nous punir ou non. Dans tous les cas, elles nous reprocheront notre échec, avant de nous laisser revenir aux méthodes habituelles, celles qui sont efficaces. Jusqu’à la prochaine expérience.

    Eraltir observa Oztar. Le garçon était surpris, mais moins par ces « révélations », qui ne l’étonnaient pas tant que ça, que par le fait que ce soit le contremaître, un homme, qui frôle le crime en formulant ainsi les choses. Oztar prit un ton ferme.

    — Le travail commence pour toi. Retourne à la scierie et dis que tu as terminé la visite et que tu es prêt à entretenir les outils. Je te convoquerai dans un mois pour t’assigner

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