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L'éveil des Titans
L'éveil des Titans
L'éveil des Titans
Livre électronique589 pages8 heures

L'éveil des Titans

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À propos de ce livre électronique

Trois Incarnés vaincus ; de nouveaux cauchemars en perspective.

La cité souterraine de Zephdon ne laissa personne indemne. Kinn'yah se débattait entre angoisses et mauvais souvenirs tandis que Karel était envahi de nouvelles questions. Partagé entre des pouvoirs de plus en plus difficiles à contrôler et des sentiments impossibles à envisager, il prit la route du sud au côté de la princesse, vers la Plage de feu et la mystérieuse Académie des sagjudi. Avec, à l'horizon, le Dragon revenu du passé de Karel et les voidazen sortis tout droit des cauchemars de Kinn'yah.

L'avenir est fait de sacrifices, encore faut-il pouvoir y consentir...
LangueFrançais
Date de sortie3 janv. 2025
ISBN9782322657988
L'éveil des Titans
Auteur

Jade Lucy Colanges

Née dans un village cerclé de forêt, Jade a plongé dans l'écriture de fiction à l'âge de huit ans pour ne jamais reposer le stylo. De son enfance, elle tient un amour du voyage, de la solitude et de l'évasion. Dans l'avion, installée contre un arbre, ou enfouie sous un plaid avec son chat et une tasse de thé, elle passe sa vie d'un livre de fantasy à l'autre, entre lecture et écriture. Elle ne quitte les paysages imaginaires que pour découvrir de nouveaux pays ou participer à des campagne de jeu de rôle entre amis.

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    Aperçu du livre

    L'éveil des Titans - Jade Lucy Colanges

    Image de couverture du livre “L'éveil des Titans”

    Dans l'univers d'Aavir…

    Les Secrets de May'zur

    Les joyaux des Titans - novembre 2023

    L'éveil des Titans – décembre 2024

    L'héritage du Soleil – à paraître

    L'héritage du Néant – à paraître

    Nouvelles

    La reine aux Papillons – disponible au téléchargement à la fin du livre Les joyaux des Titans

    Les Monts Solitaires - Air, Foudre et Sang – disponible à la fin de ce livre.

    … et bien d'autres histoires à venir.

    Calendrier d'Aavir

    Année de 350 jours, divisée en dix mois de 35 jours

    Le continent ouest, Kalkin'o, est le seul à subir le cycle des saisons. La saison dorée et la saison blanche durent respectivement quatre mois et sont séparées par un mois de saison verte.

    Rappel des personnages

    Karel Renson : métam Chauve-Souris et voleur originaire de la ville basse de Zaku'zen

    Kinn'yah O'Solaris : héritière de May'zur, fille unique du roi Zel’irion II

    Rella Satovin : meilleure amie et suivante de Kinn'yah

    Cameron Wayne : métam Aigle, ami de Karel et assassin au service de Mann'viah O'Solaris

    Wiy : chauve-souris domestique de Karel

    Mann'viah O'Solaris : ancienne reine de May'zur, disparue onze ans auparavant et cachée dans la ville basse.

    Meiko Atomara : demi-frère aîné de Karel et époux de Mann'viah

    Rosa et Choa Alavero : métams Chauve-Souris vivant à Solerna

    Keor Atomara : petit frère de Meiko et demi-frère de Karel

    Meerilia Nigerin Eodenia : reine du royaume elfe Marsis

    Leehiel Nigerin Nivaldini / Nov'Fraï : Incarnée de la glace (elfe)

    Izayell Renn'Keyuko : empereur de l'empire sekoïd Isgord et époux de Sacomi Renn'Keyuko

    Izumi et Megumi Renn'Keyuko : princesses d'Isgord

    Kaelia Denn'Yviku / Nov'Shaâl : Incarnée du feu (sekoïd)

    Sarkn : métam Rongeur, sculpteur vivant à Zephdon

    Dgdkao : alfur de Zephdon, professeur clandestin

    Kadkam / Nov'Zeph : Incarné de la terre (alfur)

    Nao Aateru / Nov'Vohl : Incarné de la foudre (métam Dragon) et ennemi de Karel

    Rappel des événements, livre 1 – Les Joyaux des Titans

    — Raconte-nous encore l’histoire, maman.

    La jeune femme sourit. Corv'eneo et Ama'rĩ étaient amis depuis leur plus tendre enfance, et jamais ils ne se lassaient de l’entendre parler de cette époque qui avait pourtant précédé leur naissance de nombreuses années. Elle accéda à leur requête sans une once de protestation.

    — Karel n’était pas beaucoup plus vieux que vous, lorsqu’il découvrit l’existence des joyaux des Titans. C’est un vieux voleur qui la lui révéla sur son lit de mort.

    Comme toujours, et même s’ils connaissaient l’histoire par coeur, les deux enfants étaient suspendus à ses lèvres.

    — Il lui a fallu dix ans pour réussir à entrer dans le palais royal de May’zur et s’emparer du trésor qu’il convoitait. Mais comme vous le savez, les joyaux sont la prison de créatures ancestrales.

    — Et il les a libérées !

    Elle rit doucement devant l’impatience de son fils.

    — Oui. Pris dans une embuscade par son demi-frère et ennemi de toujours, il a crié un appel à l’aide. La princesse Kinn’yah, déguisée pour partir à sa recherche, est arrivée trop tard. C’est alors qu’elle tentait de lui expliquer l’ampleur de la catastrophe que des brigands sont venus réquisitionner Karel, au nom de Mann’viah O’Solaris, la mère de Kinn’yah, que celle-ci croyait morte depuis des années !

    Les exclamations choquées des enfants étaient si habituelles qu’elles paraissaient presque scriptées. L’oratrice sourit.

    — Ils parvinrent à fuir l’emprise de la reine déchue. Au palais royal, Karel obtint du roi deux choses : un ultimatum, l’obligeant à réparer son erreur s’il ne voulait pas être condamné à mort, et la prophétie des Incarnés, des indices précieux. Accompagnés de l’amie d’enfance de la princesse et de trois soldats, ils quittèrent la capitale. L’entente entre Karel et les autres était pour le moins… conflictuelle.

    Les enfants gloussèrent. Cette idée les amusait toujours.

    — Le groupe s’est divisé après un incident à la forteresse de Din’yaol. Refusant de mettre son amie en danger, Kinn’yah la renvoya à la capitale avec deux soldats. Le troisième, Marnol, perdit la vie peu après quand leur campement fut attaqué.

    Sans qu’elle ait besoin de ménager un quelconque effet, les enfants levèrent les yeux vers le ciel, comme s’ils espéraient discerner Marnol dans les rayons du soleil.

    — La reine déchue était déterminée à leur mettre des bâtons dans les roues. À Solerna, où ils avaient trouvé refuge, elle envoya un assassin qui causa le chaos en ville. Ils furent forcés de partir en urgence, mais la fatigue de Karel leur valut un plongeon en pleine mer, droit dans les bras de Nov’Meĕd, l’Incarné de l’eau.

    Les petits retinrent leur souffle.

    — Grâce à la magie de Kinn’yah, ils purent embarquer dans un bateau pour Marsis. C’est là qu’ils affrontèrent en face à face leur première Incarnée, Leehiel, de la glace. Ils triomphèrent.

    Un soupir de soulagement anima son petit auditoire.

    — Pas de temps à perdre. Ils partirent bien vite pour Ammierrat, mais leur traversée fut interrompue par l’Incarné de la foudre, Nao, un métam Dragon surgi tout droit du passé, et des cauchemars, de Karel. L’homme qui l’avait privé de son oeil.

    Nouvelles inspirations choquées dans l’assistance.

    — Ils ne durent leur survie qu’à l’intervention d’un sekoïd, qui les mena jusqu’à la capitale. Là, et malgré les tensions culturelles palpables entre Karel et l’empereur Izayell, ils apprirent que l’Incarnée du feu serait ramenée après la fin de la guerre. Il ne leur restait qu’à attendre.

    La fillette grimaça. Elle avait assez entendu parler des sekoïda pour affirmer qu’elle n’aimait pas non plus leur façon de vivre et de penser.

    — C’est dans les rues de la capitale d’Isgord que Karel fit face à un autre homme de son passé. Cameron, assassin Aigle envoyé par Mann’viah, n’eut d’autre choix que de le poignarder avec un couteau empoisonné. Kinn’yah le sauva de justesse, mais, devant sa faiblesse évidente, décida de se lancer seule dans la quête pour ramener l’Incarnée à Isgord, lorsque la princesse impériale leur annonça que le destin avait changé.

    Les enfants échangèrent un regard. Ils étaient zuriens, ils savaient l’un comme l’autre que cette décision était vue comme une insulte. Ce moment avait failli briser la fragile entente qui s’était formée entre Karel et Kinn’yah au cours du voyage.

    — Ils se réconcilièrent tant bien que mal après cet incident. Ce fut Karel qui élimina l’Incarnée, Kaelia, et ils quittèrent rapidement la capitale. Mais, à nouveau attaqués par le Dragon, ils durent se cacher à Zephdon, la cité souterraine des alfurs. Un bien piètre refuge, ajouta-t-elle d’un ton menaçant.

    Les enfants frémirent. Elle s’était toujours efforcée d’édulcorer ce passage, car elle estimait que les actes de Kadkam n’étaient pas de ceux que l’on raconte en détail à des enfants, mais l’Incarné de la terre leur faisait quand même peur.

    — Ils y trouvèrent de l’aide, malgré tout. Dgdkao, d’abord, qui mit au point avec eux un plan pour espionner le sombre seigneur Kadkam, l’un de leurs suspects. Mais ce plan se retourna vite contre eux. Tandis que Karel et Dgdkao enquêtaient sur d’autres Incarnés potentiels, Kinn’yah se retrouva prise au piège du manoir de Kadkam, sous l’emprise d’un terrible poison qui lui interdisait toute fuite.

    Elle vit les poings de la fillette se serrer, jusqu’à ce que Corv’eneo lui tapote doucement le bras.

    — C’est grâce à Dgdkao et Sarkn, un métam Rongeur, que Karel put prendre d’assaut le manoir. Mais lorsqu’il arriva devant le seigneur, il était trop tard : le poison avait fait son effet et Kinn’yah agonisait à ses pieds. Kadkam lui offrit alors un choix impossible.

    — Sa vie contre la sienne, siffla la fillette.

    L’oratrice hocha la tête.

    — Et sais-tu ce qu’il a fait ?

    — Il a utilisé la magie de l’Invocateur ! s’écria Corv’eneo. Il a tué Kadkam et sauvé la princesse !

    — C’est à moi qu’elle demandait.

    Les enfants se chamaillèrent un petit moment et la jeune femme sourit. L’étrange magie qu’avait obtenue Karel en réveillant les Titans restait un mystère, mais un mystère qui l’avait sorti d’affaire à de nombreuses reprises. Elle calma les enfants en quelques mots et reprit son histoire :

    — Une fois Kadkam vaincu et Kinn’yah hors de danger, il était temps de retourner à la surface…

    Il n'y a nulle faiblesse dans les larmes, nul courage sans peur,

    nul tabou dans les embrassades. En vivant tes émotions, jamais

    tu n'atteindras la rage, le désespoir ou la solitude, car c'est le

    propre des choses confinées de se renforcer jusqu'à l'explosion.

    - Enseignements du Soleil (religion de May'zur) -

    Sommaire

    I. À ciel ouvert

    II. Déchiffrer les symboles

    III. La Plage de feu

    IV. L'Académie des mages

    V. L'influence de Tiĩz

    VI. Murmures nocturnes

    VII. L'Incarnée de l'air

    VIII. L'avènement des Titans

    IX. Retour aux sources

    X. Haine viscérale

    XI. Le pouvoir de la violence

    XII. Abandonne

    XIII. Tempête spatiale

    XIV. Saison blanche

    XV. La folie des humains

    XVI. L'armée de la Lune

    XVII. Lueurs d'émeraude

    XVIII. Désespoir destructeur

    XIX.Écume et amertume

    XX. Les ombres du passé

    XXI. Le prix de la vengeance

    XXI. Bouillonnement infernal

    XXII. Le calme après la tempête

    XXIV. Dernière ligne droite

    XXV. L'île des vo~idazen

    XXVI. La Forêt des Âmes

    XXVII. Le poids des ombres

    XXVIII. Le seigneur de Kokoon

    XXIX. Air et lumière

    XXX. Tours de ténèbres

    XXXI. Récupérations

    XXXII. Retour au soleil

    I. À ciel ouvert

    18 taeho, année 30e de Zel’irion II

    Zephdon, la cité souterraine où vivaient les alfurs, n’accueillait que peu d’étrangers. Au-delà du premier cercle, étage le plus proche de la surface, tous ceux qui n’étaient pas alfurs étaient regardés de travers, jaugés comme des menaces ou des êtres indignes d’intérêt, et toute personne ayant un lien quelconque avec la surface subissait le même jugement.

    C’était le cas de Kadkam.

    Seigneur autoproclamé, arriviste aux poches trop pleines, il avait une réputation telle que nul être sain d’esprit ne l’aurait approché. Pourtant, la découverte de sa disparition causa un chaos rare dans le deuxième cercle, où il vivait jusque-là.

    Nul ne savait ce qui lui était arrivé. On avait vu ses domestiques – quoiqu’esclaves eût été un terme plus approprié – quitter son manoir au pas de course, en compagnie d’un Zurien et de deux alfurs transportant une humaine blessée. Cela avait été suffisant pour alimenter les murmures et les rumeurs, mais, par principe autant que par méfiance, personne ne s’était approché de la demeure de Kadkam pendant plusieurs jours. Quand, finalement, un alfur plus téméraire s’était aventuré à l’intérieur, il n’avait trouvé qu’une fiole brisée et de la terre dispersée dans la chambre du maître des lieux.

    On se mit alors en quête de ses prisonnières et des humains qui avaient été vus avec elles. Une femme identifia l’un des alfurs comme étant Sarkn, l’architecte sculpteur du septième cercle. L’enquête chez lui ne donna rien, cependant ; son habitation était vide, et il ne semblait rien savoir du sort des domestiques.

    La piste finit par remonter jusqu’à Dgdkao, et on découvrit du matériel médical usagé chez lui. Il devint évident qu’il avait lui-même soigné l’humaine blessée. Cependant, lorsque le groupe d’enquête arriva sur place, celle-ci s’était déjà envolée.

    Le sort de Kadkam resterait un mystère aux yeux de Zephdon.

    Après les hauts cercles de Zephdon, le retour du soleil fut un réconfort immense. Si les quatre jours passés chez Dgdkao avaient offert à Kinn’yah un repos nécessaire et agréable, elle ne se sentait véritablement en forme que depuis la dernière volée de marches qui les avait menés hors de la cité souterraine. Chaque pas était une barrière de plus entre elle et les souvenirs de Kadkam, de ses mains sur sa peau, son souffle à son oreille ; de toutes les angoisses qui lui avaient noué l’estomac, du poison dans la nourriture, dans ses veines, de la lame avec laquelle il lui avait poignardé l’abdomen. Elle peinait encore à croire qu’elle s’était sortie vivante du piège qu’était le manoir de l’alfur.

    La remontée de l’immense escalier qui creusait les entrailles d’Aavir n’avait pas été une mince affaire : même si sa blessure avait rapidement cicatrisé grâce aux soins et à la pommade miracle de Dgdkao, la douleur guettait encore et chaque pas avait éprouvé sa résistance. Résignée, lassée de souffrir et de tester les limites de son épuisement, elle avait fini par accepter de terminer en volant, à la seule condition que Karel suive la courbe de l’escalier. Il avait approuvé sans rechigner, à sa grande surprise, lui épargnant ainsi de voir un vide béant s’étendre sous ses pieds. Et enfin, ils posèrent le pied sur le sol, le vrai, celui qui marquait la surface de la planète et non ses souterrains.

    — Salut, toi.

    Kinn’yah tourna la tête, et son regard fut attiré par les battements d’ailes frénétiques de Wiy, la petite chauve-souris de Karel, qui piaillait et voletait de joie en retrouvant son maître. Un sourire se dessina sur les lèvres de la jeune femme. Elles étaient deux à se réjouir que Zephdon ne soit plus qu’un mauvais souvenir. Rien que de l’évoquer en pensées, certaines images se rappelèrent à elle et elle posa machinalement la main sur son ventre, ce qui lui valut aussitôt une oeillade inquiète du métam.

    — Ça va ?

    — Oui, oui, le rassura-t-elle avec une expression douce. Ne t’en fais pas, je te préviendrai si j’ai mal.

    — Oh ? Pas d’orgueil solaire à l’horizon ?

    — Admettre une faiblesse devant toi ne me dérange pas.

    Elle vit son oeil émeraude s’écarquiller et fronça le nez, intriguée. Avait-elle dit quelque chose de si étonnant ? Il l’avait vue aux portes de la mort sans chercher à en profiter pour écraser sa volonté, elle estimait donc ne pas avoir autant besoin de rappeler sa force. Il détourna la tête en se raclant la gorge pour reporter son attention sur sa compagne ailée, Kinn’yah n’eut donc pas le loisir de lui poser la question. Elle considéra cependant le coin relevé de ses lèvres comme un signe que sa surprise avait été positive.

    — Que faisons-nous, maintenant ? finit-elle par demander.

    — Hm… On peut repartir vers le sud. Nao doit encore voler dans le coin, mais il fait beau, il risque pas de se cacher dans les nuages.

    Kinn’yah réfléchit un instant à la question. Ils avaient rejoint Zephdon pour fuir le Dragon à leur poursuite plusieurs jours plus tôt – une éternité – mais ils ne pourraient pas l’éviter éternellement. Profiter du temps clair pour échapper à une possible attaque-surprise n’était pas une mauvaise idée. Leurs dernières altercations avec l’Incarné de la foudre laissaient clairement comprendre qu’ils n’avaient pas le niveau pour l’affronter. Quand bien même ils n’avaient que peu d’indices sur l’Incarné des sagjůdi, c’était leur option la plus sûre pour le moment.

    — D’accord. Allons-y.

    Ils rajustèrent sur leurs épaules les sacs de provisions offerts par Dgdkao puis se mirent en route, la petite chauve-souris dans leur sillage.

    Ils ne tardèrent pas à faire leur première pause, après quelques heures de marche, quand Kinn’yah fut rattrapée par la fatigue. Même si la frustration de la jeune femme était clairement perceptible dans la crispation de ses doigts, Karel fut rassuré qu’elle ne force pas. Elle avait failli y passer, là-dessous, et il estimait toujours qu’ils auraient dû rester plus longtemps. Quatre jours ne suffisaient pas à guérir d’un coup de couteau empoisonné dans l’abdomen. Seulement, elle lui avait soutenu qu’elle ne pourrait pas se remettre tant qu’elle ne reverrait pas la lumière du Soleil et que ses pouvoirs ne seraient pas de retour, alors il s’était plié à sa décision, d’autant plus quand ils avaient appris que certains alfurs enquêtaient sur la disparition de Kadkam. Au moins, elle se tenait à sa promesse de l’avertir si elle se sentait mal.

    Cette promesse… Il n’en revenait toujours pas qu’elle lui ait dit une telle chose. Jamais il n’aurait cru voir le jour où une noble admettrait la moindre forme de faiblesse devant un simple petit voleur de la ville basse. Ou devant qui que ce soit, à bien y réfléchir. Une chaleur apaisante remonta dans sa poitrine et il sourit, s’attirant une oeillade interrogatrice de la princesse, assise à côté de lui.

    — Je suis content d’être loin de cette ville de malheur, se justifiat-il.

    Kinn’yah opina distraitement en perdant son regard à l’horizon et il soupira. Si Kadkam lui avait fait du mal – encore plus de mal que ce qu’il savait déjà –, il le ramènerait d’entre les morts pour lui faire regretter son geste.

    — Je vais bien, Karel, dit-elle en remarquant son froncement de sourcils. Il… ne m’a pas fait ce dont tu as peur.

    S’il la regarda avec étonnement, une vague de soulagement vint cependant lui desserrer la gorge.

    — Tu lis dans les pensées, maintenant ?

    — Ton expression soucieuse n’est pas difficile à déchiffrer.

    — Oh ? Je suis donc devenu un simple livre ouvert à tes yeux ?

    Elle émit un rire dont la mélodie acheva de chasser ses angoisses.

    — Il doit bien subsister quelques mystères. Cependant, j’ai trop vu ce regard ces derniers jours pour ne pas le reconnaître.

    Les lèvres de Karel s’étirèrent, mais il ne répondit pas tout de suite. Il était heureux de la voir sourire, même s’il restait conscient que son expérience à Zephdon ne s’effacerait pas en un claquement de doigts.

    Un silence empli d’une légèreté bienvenue s’installa entre eux. Ils profitèrent de la brise encore fraîche qui courait dans l’herbe en bordure de la piste et venait soulever leurs cheveux. L’oeil émeraude du métam suivit le geste désinvolte par lequel la jeune femme écarta une longue mèche blonde de son visage, et son expression s’adoucit sans qu’il en ait réellement conscience. Puis une ombre de doute voila son regard.

    — … Il t’a vraiment pas touchée… ?

    La princesse tourna la tête vers lui, mais sa surprise se changea en délicat sourire quand elle perçut son inquiétude sincère. Elle nia d’un discret mouvement de la nuque.

    — Non.

    — Promis ?

    — Je ne mens pas.

    Comme il continuait de la fixer, elle posa doucement sa main sur son bras et le frictionna avec une expression sérieuse.

    — Promis. Il ne m’a rien fait.

    Le jeune homme sentit sa tension descendre à nouveau.

    — Tant mieux. Je l’aurais tué s’il t’avait fait du mal.

    — Tu l’as tué, Karel, fit-elle remarquer avec un air gentiment moqueur.

    — Ouais ben… Je l’aurais retué.

    Elle éclata de rire et il fit la moue, mais il ne trompait personne. Un poids énorme venait de tomber de ses épaules et enfin, pour la première fois depuis le manoir de Kadkam, il put véritablement se détendre.

    Leur progression vers le sud était lente, et ils durent faire de nombreuses pauses avant le soir, pour économiser le peu d’énergie que la jeune femme avait en réserve. Celle-ci soupira après deux bonnes heures à marcher en bordure du fleuve.

    — On irait plus vite sans cette foutue blessure, grommela-t-elle.

    Karel arqua un sourcil.

    — Tu commences à parler comme une roturière, princesse.

    Elle leva les yeux au ciel et il ricana. Puis il posa la main sur son épaule avec un air plus sérieux.

    — Je sais que c’est urgent et qu’on est pressé par le temps, mais forcer ne fera qu’empirer les choses et mettre ta vie en danger.

    Elle soupira à nouveau.

    — J’en suis consciente mais… c’est frustrant.

    — La douleur finira par passer.

    La jeune femme hocha la tête. Pour l’instant, sa cicatrice la tiraillait à la moindre occasion, et c’était tout aussi épuisant qu’agaçant. Elle devait cependant admettre que la pommade de Dgdkao avait fait des miracles en permettant à la plaie de se refermer si vite. Ça ne l’empêcha pas de souffler d’exaspération.

    — Arrêtons-nous là pour la soirée.

    Karel acquiesça et murmura quelque chose qu’elle n’entendit pas à la petite chauve-souris perchée sur lui, qui décolla.

    — Je l’ai envoyée chercher un endroit où dormir.

    Un son d’assentiment franchit les lèvres de la princesse. Elle ne comprenait toujours pas comment il pouvait communiquer ainsi avec un animal, mais c’était probablement une astuce de métam. Son regard retourna loucher sur le fleuve. Elle sentait la sueur et la poussière, et prendre un vrai bain lui manquait terriblement ; les linges humides et les toilettes rapides n’étaient pas à la hauteur.

    — Tu peux aller te baigner, Wiy reviendra pas tout de suite.

    — Comment… ?

    — T’es pas la seule à savoir lire les visages. T’as l’air de mourir d’envie de plonger dans ce fleuve, alors vas-y. Je monte la garde.

    Kinn’yah plissa les yeux, perplexe, mais l’appel de l’eau finit par être plus fort qu’elle, et elle entreprit de chercher une pente abordable sur la rive. Puis elle retira la chemise et le pantalon amples confiés par Dgdkao, ce qui fit instantanément détourner le regard de Karel, et se glissa dans le fleuve en sous-vêtements. Elle laissa échapper un soupir de bien-être. C’était divin. L’eau était fraîche sans être aussi glaciale qu’à Zephdon, et son simple contact entamait déjà de revigorer ses muscles endoloris.

    — Pas trop froid ? lança la voix de Karel depuis la rive.

    — Ça pourrait être pire.

    Elle l’entendit rire et sa propre expression se fit plus joviale. Détendue, elle passa de l’eau sur sa nuque et se baissa pour que seule sa tête apparaisse à la surface. Même le clapotis sur son menton lui faisait du bien.

    Installé près de la rive, Karel jouait distraitement avec des brins d’herbe qui lui chatouillaient la paume. La journée avait été longue malgré les pauses – ou peut-être à cause d’elles. À l’inverse de la princesse qui subissait le contrecoup de la fatigue physique, il se sentait… mentalement épuisé. Trop de questions tournaient dans ses pensées, par rapport aux Incarnés, à l’avenir, à Kadkam, à la voix dans sa tête. Par rapport à elle, aussi, songea-t-il en relevant l’oeil vers la jeune femme qui se prélassait dans le fleuve.

    Les mots de Kadkam et les plaisanteries de Sarkn avaient semé le doute dans son esprit. Il était indéniable que lui et la princesse s’étaient rapprochés, mais à quel point ? Impossible de se sortir cette question de la tête. Ils se disputaient nettement moins qu’avant, tournaient certains de leurs anciens conflits en dérision et, ces derniers jours, l’idée de la perdre l’avait terrifié au-delà du raisonnable mais… les deux alfurs étaient-ils dans le vrai pour autant ? Un peu plus loin, dans l’eau, la jeune femme se redressa, dévoilant sa longue chevelure dorée, sa peau tannée par le soleil, les muscles secs qui roulaient dans son dos. Karel déglutit et baissa les yeux vers le sol en se passant une main sur le visage.

    — Elle est juste belle, ça veut rien dire, marmonna-t-il pour lui-même.

    Tout le royaume de May’zur était d’accord sur ce point, non ? Même le jour où il l’avait rencontrée – une fois débarrassée de la suie et de la terre qui masquaient son visage – il s’était fait la réflexion. Il soupira en ramenant ses genoux contre lui. Il n’aimait pas se poser ce genre de questions. À quoi bon, de toute manière ? Qu’il se soit vraiment attaché à elle ou non, le résultat serait le même.

    Dépité, il finit tout de même par relever la tête juste à temps pour voir l’eau s’agiter de manière peu naturelle.

    — Princesse, attention !

    Le métam se leva d’un bond et se rua vers le fleuve pour lui venir en aide. Kinn’yah, elle, eut à peine le temps de se tourner vers les étranges remous que, déjà, deux longs serpents aqueux se dressaient à la surface et se précipitaient vers elle.

    Ils s’écrasèrent en grésillant sur une bulle d’énergie.

    La jeune femme écarquilla les yeux et les releva vers Karel, toujours à bonne distance, qui lui répondit en secouant la tête, perdu : il n’avait pas plus qu’elle idée de comment ce bouclier s’était matérialisé autour d’elle. Elle reprit cependant ses esprits et profita de la petite accalmie pour courir vers la rive aussi vite qu’elle le pouvait. Une fois au bord, elle trouva le bras de Karel tendu vers elle et l’agrippa pour se tirer hors du fleuve.

    — Merci, haleta-t-elle en fixant la surface avec inquiétude.

    Son coeur battait la chamade, affolé par la proximité du danger autant que par l’effort nécessaire pour affronter la résistance de l’eau. Elle se laissa entraîner sur la terre ferme et finit par s’effondrer à genoux, les jambes sciées par la descente d’adrénaline.

    — Désolé… J’aurais dû les voir avant…

    — Tu… viens de me sauver la vie… Karel. Le timing importe peu, là.

    Elle posa une main sur sa poitrine pour reprendre son souffle et le vit, à nouveau, détourner précipitamment les yeux. Ce fut suffisant pour qu’elle se rappelle qu’elle n’était qu’en sousvêtements ; elle se racla la gorge et sentit ses joues chauffer.

    — Je… je vais aller me… rhabiller.

    — … rhabiller, dit-il en même temps qu’elle. Ouais, urm.

    Il toussota en se passant une main derrière la nuque. Avec un petit sourire, la jeune femme lui tapota l’épaule et remonta les quelques mètres de pente douce qui les séparaient de leurs affaires. Elle aurait bien pris le temps de laisser les rayons du soleil sécher sa peau, mais elle était trop pudique pour s’y autoriser en présence de Karel, surtout si près de la route. Alors elle dénicha un linge sec dans leur sac de voyage et essuya l’eau qui ruisselait sur son corps avant de remettre ses vêtements alfurs.

    — Le bain t’a fait du bien, au moins ? Avant qu’il essaye de te tuer.

    Elle pouffa. Essorant ses cheveux, elle regarda Karel avancer jusqu’à elle, bien plus à l’aise.

    — Oui… Ça va un peu mieux.

    Le métam hocha la tête en souriant, puis il se rassit dans l’herbe et commença à fouiller dans le sac. Après un court instant, il lui tendit une miche de pain sec.

    — J’ai hâte qu’on atteigne une ville, commenta-t-il en mordant dans la sienne.

    Installée près de lui, grignotant son maigre repas du bout des lèvres, elle ne put qu’approuver.

    — Mais eh, au moins on a une jolie vue, regarde.

    Il désigna le fleuve d’un signe de tête et Kinn’yah suivit son regard. Sa bouche resta bêtement ouverte d’admiration. Le ciel s’était teinté d’éclats rougeoyants, et déployait des myriades de nuances or et écarlate parsemées de quelques lueurs violettes. Les rayons déclinants du Soleil paraient la surface de milliers de petits points lumineux qui la faisaient briller comme un rubis. D’ici, le cours d’eau ressemblait à une coulée de pierres précieuses. C’était… époustouflant. Il lui sembla presque sentir son coeur s’arrêter face à une telle magnificence.

    — Tu as vraiment l’oeil pour ce genre de choses…

    À Marsis, déjà, il avait ainsi souligné la beauté du paysage alors qu’elle n’arrivait à rien d’autre que se perdre dans sa propre tête. Elle l’entendit rire doucement et se tourna vers lui ; il observait la scène avec, dans son oeil d’émeraude, un éclat qui n’avait rien à envier à ceux du Soleil.

    — C’est mon côté sentimental, répliqua-t-il d’un ton moqueur.

    Elle lui asséna une petite tape sur le bras et il rigola à nouveau.

    — Mais c’est vrai !

    Comme elle le fixait avec une moue dubitative, il prit appui sur ses deux mains en les posant derrière lui, puis il leva la tête vers le ciel, un air rêveur peint sur ses traits.

    — Quand l’endroit où tu vis est aussi sombre que le mien, tu trouves de la beauté ailleurs.

    Kinn’yah arqua un sourcil, mais son expression se changea bien vite en sourire.

    — Ça alors. On dirait bien que tu as vraiment un côté sentimental.

    — Puisque j’te le dis.

    Elle s’esclaffa à nouveau et se laissa lentement tomber en arrière, pour s’allonger dans l’herbe, les bras croisés sous la tête.

    — J’en oublierais presque que Nov'Meĕd vient d’essayer de nous tuer.

    À côté d’elle, tandis qu’elle fixait le ciel, Karel se surprit à la regarder avec un petit sourire attendri. Elle semblait véritablement paisible, à observer ainsi le paysage ; il ne regrettait pas d’avoir fait la remarque. C’était peu de choses, mais si ça pouvait l’aider à se sentir mieux, il en était heureux.

    — Faut croire qu’ils avaient raison, murmura-t-il pour lui-même.

    — Hm ? Tu as dit quelque chose ?

    — Non, rien, juste…

    De petits piaillements sur leur gauche le dispensèrent d’avoir à chercher comment finir sa phrase.

    — Wiy est revenue.

    Il se releva sans voir les yeux de la jeune femme s’étrécir.

    — Elle a trouvé un endroit où on va pouvoir passer la nuit sans trop de risques. Tu viens ?

    Sans réfléchir, il tendit la main pour l’aider à se remettre debout, et son coeur tressaillit lorsqu’elle s’en saisit fermement. Le temps de ramasser leur sac et ils suivirent la chauve-souris dans l’obscurité naissante.

    L’animal avait déniché un coin d’herbes sèches entouré de rochers, au pied d’une colline à une demi-heure de marche plus au sud. Kinn’yah soupira en s’effondrant près d’une pierre.

    — C’était plus loin que je le croyais.

    — Les chauves-souris ont pas la même notion des distances, s’excusa-t-il.

    — En effet… Je suis épuisée.

    Ça ne l’empêcha pas de caresser affectueusement le museau du chiroptère, qui se laissa faire en piaillant. L’oeil de Karel s’écarquilla.

    — C’est…

    — Hm ?

    — D’habitude, personne peut la toucher, à part moi et Erkkeyl.

    — … Qui ?

    Elle avait penché la tête avec un air interrogateur et il se passa une main derrière la nuque.

    — C’est un… ami. De l’archipel. Un Requin.

    — Je croyais que tu n’avais jamais quitté May’zur ?

    — Si, une fois, pour mes dix-huit ans.

    — Oh ! Oui, tu m’en avais parlé.

    Il opina. Le silence qui s’installa ensuite avait quelque chose de gênant, et Karel déglutit. Ce fut la jeune femme qui finit par le rompre en se raclant la gorge.

    — Ça doit signifier qu’elle m’aime bien ?

    — Hein ?

    — Wiy. Si elle me laisse la toucher.

    — Ah ! Ah, oui. Elle a dû s’habituer à toi, depuis le temps.

    Comme son maître, songea-t-il avant de s’ébrouer. Ce n’était vraiment pas le genre de choses auxquelles il avait envie de penser, surtout après avoir mentionné Erkkeyl… Ça faisait un moment que ce nom lui était sorti de la tête, pourtant.

    — Tu veux que je prenne le premier tour de garde ? demanda la princesse en le voyant dans la lune.

    Il allait refuser, puis la scène du fleuve lui revint en mémoire. Il était trop distrait, un peu de repos ne lui ferait pas de mal. Et si elle était capable d’admettre une faiblesse devant lui, il n’avait pas de raison de cacher les siennes.

    — C’est sûrement une bonne idée. Mais ça va aller ? Tu as dit que tu étais crevée.

    — Ne t’inquiète pas. Tu as vraiment l’air au bout du rouleau. C’est toi qui fais le plus gros des efforts depuis que nous avons quitté Zephdon, tu as bien mérité un vrai sommeil.

    — D’accord… Mais réveille-moi si tu commences à fatiguer. Tu es blessée, t'as besoin de plus de repos que moi.

    — Va dormir, le gronda-t-elle gentiment. Je m’occupe de tout.

    Il esquissa un sourire amusé face à son air sévère mais finit par hocher la tête et aller s’enrouler dans une couverture.

    — Bonne nuit, princesse.

    Son ton était beaucoup trop doux… Elle ne sembla cependant pas le remarquer, car elle lui répondit avec son intonation habituelle :

    — Bonne nuit, Karel.

    Il serra le tissu contre lui et se recroquevilla un peu, avant de se résoudre à fermer les yeux. Lui qui pensait avoir des difficultés à s’endormir à cause de tout ce qui lui trottait dans la tête fut rattrapé par l’épuisement et sombra bien vite dans un lourd sommeil sans rêves.

    II. Déchiffrer les symboles

    20 taeho, année 30e de Zel’irion II

    Les deux jours qui suivirent furent similaires. De longues heures de marche entrecoupées de pauses où Kinn’yah maudissait sa blessure et où Karel s’efforçait de la faire relativiser. Le 20 taeho, aux premières lueurs du coucher de soleil, ils mirent les pieds dans une petite ville. Le métam s’arrêta devant la pancarte qui vacillait au gré du vent.

    — C’est écrit quoi ?

    Plissant les yeux, la princesse le rejoignit et tenta de déchiffrer les runes en seïdor. La langue écrite était compacte, plus simple que l’ancien langage tatoué sur leur bras, certes, mais ça restait un exercice assez compliqué de les déchiffrer.

    — De mémoire, ça, c’est le mot qu’ils utilisent pour accueillir quelqu’un dans un nouveau lieu.

    — « Bienvenue » ?

    — Pas tout à fait, mais c’est l’idée. Du coup, ce mot… ça doit être le nom de la ville. Erleda ? Orleda ? Je ne suis plus sûre de la prononciation. Je dirai Orleda.

    — Alors bienvenue à Orrrrleda, princesse !

    — Tu n’es pas obligé de ronronner autant sur le « r » ! rit-elle.

    — J’imite juste ton accent, c’est toi l’experte.

    Elle leva les yeux au ciel et il se joignit à son hilarité. Une fois calmés, ils reportèrent leur regard sur la ville.

    — Un véritable repas…

    — … et un vrai repos. Ça va nous faire du bien.

    La jeune femme approuva d’un hochement de tête et ils se mirent en quête d’une auberge en discutant des sekoïda et de leur langue.

    Ils finirent par trouver l’endroit où ils étaient « censés » se reposer – ce qui crispa à nouveau Karel, toujours allergique à la mentalité locale. Le gérant de l’établissement les accueillit à bras ouverts. C’était un homme grisonnant à la barbe soigneusement taillée et au visage constellé de rides. Les paumes qu’il tendit en guise d’accueil portaient les marques du temps, mais aussi d’un dur labeur manuel ; la fermeté avec laquelle il leur tapota les épaules ne fit que le confirmer.

    — Bienvenue, bienvenue ! lança-t-il d’une voix forte et massive.

    Il parlait kalkin avec un accent très prononcé, allongeant à l’excès certaines voyelles.

    — Nous vous attendions ! Les visiteurs humains sont si rares.

    Il forçait un peu sur les « r », ce qui fit sourire le métam, et semblait plus que ravi de pouvoir s’exprimer dans leur langue, comme s’il n’espérait que ça depuis une éternité.

    — Mon mari et ma fille vont ont préparé de la viande et de la soupe. Je m’occupe de vos boissons.

    L’homme leur indiqua une table avant de s’éloigner et Karel grimaça. Il n’avait pas pris la peine de leur demander ce qu’ils souhaitaient boire ou manger – non, pire : ils n’avaient même pas attendu leur arrivée pour tout mettre en place. Cette histoire de destin écrit d’avance était tellement…

    — Détends-toi, chuchota la princesse en posant délicatement la main sur son bras. Tu ne les changeras pas.

    — Je sais, mais ils sont… gn…

    — Frustrants, oui.

    Elle émit un doux rire en retirant sa main.

    — Mais nous sommes là pour profiter d’un vrai repas et d’une bonne nuit de sommeil, alors je pense que nous pourrons passer outre. Non ?

    — Comme toujours, votre sagesse est éternelle, princesse.

    Ladite princesse leva les yeux au ciel et il ne put s’empêcher de sourire à son tour. Sur les terres sekoïda, elle était bien la seule forme de normalité qui le rattachait à sa bonne humeur… et à sa santé mentale.

    Le repas – un steak de cheval grillé accompagné d’une soupe de fruits secs et d’une eau aux fruits rouges – était délicieux, ce qui laissa Karel dans un état mitigé. Avaient-ils prédit jusqu’à leurs goûts ? Probablement, car Jaron, le gérant, ne prit même pas la peine de leur demander s’ils avaient apprécié. Il se contenta de débarrasser leurs plats avec l’aide d’une fille d’une douzaine d’années, aux cheveux écarlates et aux dents de travers, qui les dévisageait entre deux assiettes. Karel évita soigneusement de regarder ses mains ; il avait appris de Kinn'yah que les marques qui s'y trouvaient indiquaient l'espérance de vie d'une personne, et il n'avait aucune envie de savoir.

    — Va ranger tout ça dans les cuisines, Lyra. Je vais montrer leurs chambres à nos hôtes.

    La fillette acquiesça, jeta une dernière oeillade énigmatique à Karel, puis s’éclipsa avec sa vaisselle. Jaron secoua la tête avec un sourire désabusé.

    — Elle est un peu timide avec les étrangers. Sa mère lui a bourré le crâne d’histoires prétendant que parler avec des personnes qui ignorent tout de leur destin risquait de l’éloigner de la voie d’Ypaar. C’est un travail de tous les instants de lui ôter ça de la tête.

    D’un geste, il les invita à le suivre jusqu’à un escalier à l’écart des tables.

    — Qu’est-il arrivé à sa mère ?

    — Elle s’est noyée il y a quatre ans, pendant une tempête. Gardez ça pour vous, mais je suis content qu’Ypaar ait pris cette décision. Je tenais beaucoup à elle, mais son extrémisme me hérissait le poil. Quand on dirige une auberge, mépriser les étrangers est presque un blasphème.

    Karel ne fit aucun commentaire. La mentalité sekoïd échappait à son entendement. Elle s’était noyée… en connaissance de cause ? Quel genre de peuple, quel genre de religion pouvaient accepter un tel accident sans chercher à l’empêcher ? Même les fanatiques de la force, à May’zur, venaient en aide à une personne en danger de mort. Kinn’yah semblait elle aussi sous le choc.

    — Voilà votre chambre. Je vous ai laissé de l’eau aux fruits pour la nuit, et vous pouvez accéder à un bassin d’eau claire en empruntant cet escalier.

    Il désigna des marches au fond du couloir.

    — Le fleuve a été un peu détourné par mon grand-père pour former ces bains. L’eau est aussi fraîche qu’à l’extérieur, mais très agréable. Un vrai travail d’orfèvre.

    Il ponctua sa phrase d’un rire fier avant de leur souhaiter bonne nuit et de retourner au rez-de-chaussée.

    — C’est… bizarre, de voir un sekoïd avec une joie de vivre pareille, commenta Karel. Ils sont tous tellement résignés, d’habitude…

    — C’est aussi le premier que nous croisons dont la vie a l’air agréable.

    — À part la mort de sa femme.

    — Ça ne semblait pas trop l’affecter.

    Ils échangèrent un long regard silencieux.

    — Je ne les comprendrai jamais.

    — Ooooh non.

    Ils s’esclaffèrent puis franchirent la porte de la chambre. C’était une pièce étroite, avec un lit de chaque côté et une petite table où était effectivement posé un pichet de boisson rouge. Malgré l’austérité de la salle, les matelas étaient bien rembourrés et s’avérèrent extrêmement confortables quand ils s’y écroulèrent avec un soupir d’aise.

    — Aaaah… c’est le meilleur endroit du monde, exhala le jeune homme en s’enfonçant dans ses oreillers.

    Kinn’yah sourit et l’imita en se blottissant sous la couverture. Elle devait bien admettre que les lits étaient beaucoup plus douillets qu’elle ne l’aurait imaginé, une surprise plaisante après deux nuits à dormir sur une terre froide. Elle n’eut pas à attendre longtemps pour entendre la respiration calme et régulière indiquant que Karel avait sombré dans le sommeil. Son sourire pâlit un peu. Elle avait des difficultés à s’assoupir depuis qu’ils avaient quitté Zephdon et elle l’enviait. Si seulement elle pouvait faire taire ses propres angoisses si facilement. Avec un soupir, la jeune femme changea de côté pour faire face au mur ; il lui fallut bien une demi-heure de plus à se tourner et se retourner avant de rejoindre Karel au pays des songes.

    Ce furent les premières lueurs du Soleil qui la réveillèrent et Kinn’yah se surprit à geindre. Les nuits s’allongeaient avec la fin de la saison dorée, mais celle-ci lui avait tout de même paru bien trop courte. Combien de temps avait-elle dormi ? Cinq heures ? Ils s’étaient couchés bien après le lever de la lune, et il était sûrement encore très tôt. Elle soupira en se redressant. Pour la première fois de sa vie, les interminables nuits de la saison blanche lui manquaient. Avec un bâillement étouffé, la jeune femme tourna la tête vers Karel qui, lui, dormait toujours paisiblement. Sans doute avait-il bien plus l’habitude qu’elle d’être réveillé par de la lumière ; ou bien, au contraire, assez peu celle du confort pour que rien ne puisse l’arracher à ce matelas. L’idée la fit sourire. Avec tout ce qu’il avait traversé, elle pouvait lui accorder un peu de repos. Alors elle se leva le plus discrètement possible et referma la porte derrière elle avant de retourner au rez-de-chaussée.

    Karel la rejoignit une vingtaine de minutes plus tard, encore hébété par le sommeil. Les cheveux en bataille, il frottait son oeil gonflé de fatigue et n’avait pas pris la peine de porter le bandeau qui masquait sa cicatrice. Une fois de plus, Kinn’yah constata la gravité de sa blessure. Elle semblait avoir été assénée avec le but explicite de le priver de sa vision : la ligne de la plaie ne couvrait presque que sa paupière, en biais, du coin de son sourcil à la courbe supérieure de sa pommette. Le jeune homme bâilla avec un gémissement fatigué, une expression presque enfantine peinte sur ses traits, et elle esquissa un sourire.

    — Un vrai fatifuer, commenta-t-elle en référence au petit mustélidé commun de May’zur connu pour dormir vingt heures par jour.

    — Mhh… chouina-t-il en réponse avant de s’asseoir

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