Gueuse (sidérurgie)
Une gueuse, vocable commun de la sidérurgie ancienne, est une masse de fonte brute de quelques dizaines de kilos, grossièrement moulée, issue de la coulée liquide d'un haut fourneau ou d'un cubilot. À la différence du lingot, il s'agit de fonte de première fusion et coulée à l'air libre.
Ses utilisations consistent essentiellement en un demi-produit pour la sidérurgie. Le vocable emprunté à l'allemand du début du XIVe siècle ne correspond nullement au produit pâteux extrait du bas fourneau, mais à la coulée liquide à la sortie du haut fourneau, et par extension la matière figée et refroidie, souvent en morceaux informes si elle n'est pas préalablement moulée. La gueuse en sidérurgie indirecte ancienne, bien avant les procédés de la Révolution industrielle comme le puddlage, était ensuite traitée pour obtenir du fer ou de l'acier, ou refondue dans un cubilot. C'est donc un produit moins élaboré que le lingot, dont la composition chimique n'est pas appelée à évoluer, et dont la structure interne influe sur les propriétés finales de la pièce.
Origine du mot et sens dérivés
modifierLe mot féminin gueuse qui apparaît pour la première fois en langue française, associé au haut fourneau de Moyeuvre, dans le compte barrois des forges et forêts de Briey couvrant la période de 1324 à 1327, dériverait de l'adaptation d'un terme technique bas allemand Göse, associé au verbe allemand gösen, signifiant "fondre, couler une pièce en métal ou en fonte", le métal et la fonte étant nécessairement liquide pour cette opération[1]. La technique de sidérurgie indirecte, produisant d'abord la fonte, est importée du monde germanique, elle s'est déjà implantée à l'est de Cologne, mais elle semble connue plus anciennement aux abords de la Forêt-Noire entre Stuttgart et la Suisse du Nord actuelle. Ce procédé se nomme encore aujourd'hui en allemand Gießen alors que le substantif Gieß désignait précocement le métal liquide de la coulée, puis le matériau qu'est la fonte aux XVIIe et XVIIIe siècles[2].
Par extension métonymique, la gueuse peut aussi désigner le moule servant à couler cette fonte, en sable, métallique ou autre, ou encore une masse de métal employé dans les exercices de force en préparation sportive[3]. Le naturaliste Buffon désigne simplement par ce mot un lingot de fonte en 1783[4]
Présentation
modifierÀ l'origine, les gueuses étaient coulées directement à la sortie du haut fourneau, en grappe. Le gueusard, une rigole tracée dans le sable, alimentait en fonte liquide des cavités creusées dans le sable. Le procédé de coulée dans le sable, fut inventé par Abraham Darby I[5], qui nomma la fonte coulée ainsi pig iron, la disposition des gueuses et du gueusard ressemblant à une truie allaitant ses gorets[note 1].
Au début du XIXe siècle, la généralisation du puddlage entraîne une plus grande exigence sur le poids et les formes de la gueuse, qui peuvent varier sensiblement. Le saumon de fonte apparaît alors, qui est une gueuse calibrée pour le four à puddler[7]
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Préparation du sable aux hauts fourneaux de Port Clarence Works.
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Remplissage des moules.
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Coulée de gueuses à Iroquois smelter, Chicago, entre 1890 et 1901.
Les gueuses peuvent être aussi coulées en continu dans des machines ressemblant à des tapis roulants constitués de moules assemblés. La coulée de gueuses avec ces machines est d'ailleurs nécessaire pour les fontes phosphoreuses. En effet, les gueuses coulées dans du sable ont tendance à apporter de la silice qui dégrade le revêtement réfractaire des fours adaptés à la déphosphoration, qui est basique. Par contre la coulée en sable reste utile pour évaluer la qualité de la fonte : la séparation d'une gueuse de la grappe coulée se fait en cassant le chenal d'amenée de la fonte, la morphologie de la cassure renseignant le fondeur sur la qualité de la fonte coulée ; c'est ainsi qu'on a établi la distinction entre fonte blanche, grise ou truitée. Cette évaluation n'est pas possible avec les gueuses produites sur les machines de coulée en continu[8].
Photos stéréoscopiques prises à Pittsburgh vers 1900 de la coulée de gueuses en continu[note 2] :
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Remplissage d'une machine à couler les gueuses.
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Détail de l'extrémité aval d'une machine à couler les gueuses.
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Convoi ferroviaire de gueuses de fonte.
Par la suite, avec la mise au point du convertisseur, l'étape intermédiaire de solidification de la fonte avant sa conversion en acier n'est plus devenue nécessaire. La coulée de gueuses s'est alors cantonnée à la production de fonte de fonderie. D'une composition chimique connue (et parfois très élaborée), les gueuses sont alors refondues dans des cubilots pour l'obtention de pièces moulées de qualité. Généralement issues de petits hauts fourneaux[note 3], la production de gueuse est devenue de plus en plus marginale au cours du XXe siècle.
Les gueuses peuvent être aussi utilisées telles quelles (lest dans un bateau ou en plongée, musculation, etc.)
Notes et références
modifier- Notes
- Depuis, le terme anglais pig iron désigne à la fois la fonte brute de première fusion, à l'état liquide ou solide, et la gueuse elle-même. Lorsque le haut fourneau ne coule qu'une seule gueuse de grande dimension, les Anglais l'appellent sow[6], c'est-à-dire « truie ».
- Ces machines sont très différentes de la coulée continue, invention plus tardive et utilisée pour la coulée de l'acier.
- La coulée de gueuses peut également être utilisée pour maintenir le haut fourneau à feu quand l'aciérie est indisponible
- Références
- Jean-Claude Delhez, "Aux origine de la sidérurgie gaumaise", Annales de l'institut archéologique de Luxembourg-Arlon, Tome CLIII, année 2022, 215 pages, en particulier paragraphe état de la sidérurgie directe p. 158. Le terme barrois fait évidemment référence au comté de Bar, mais les archives demeurent à Bar-le-Duc, ancienne capitale du comté puis du duché. Le dictionnaire Le Robert propose le terme moderne "Göse" avec la signification approximative de "morceau informe de fer fondu". Toutefois il retient la date de 1543 pour son adaptation française. Le TLF i mentionne le rôle des mineurs du Harz dans cette diffusion au XVIe siècle. Il reste que le mot "gueuse" est bien présent au début du XIVe siècle dans les archives barroises.
- Jacques Corbion (préf. Yvon Lamy), Le savoir...fer : glossaire du haut fourneau : Le langage… (savoureux, parfois) des hommes du fer et de la zone fonte, du mineur au… cokier d'hier et d'aujourd'hui, , G25
- Trésor de la Langue Française ou TLF i, entrée gueuse (substantif féminin). La signification seconde du moule de sable est attestée en 1695 par l'académicien Pierre Corneille. La masse de fonte ou de métal pour les sportif est attesté en 1932 dans le Larousse de la langue française.
- Histoire naturelle, Tome 2, Minéraux, p. 356
- (en) Thomas Southcliffe Ashton, Iron and Steel in the Industrial Revolution, Manchester, Manchester University Press, , 252 p. (lire en ligne), Letter from Mrs. Abiah Darby, circa. 1775, p. 249-252
- (en) William F. Durfee, « American Industries since Columbus », Popular Science Monthly, vol. 38, , p. 165 (lire en ligne)
- Jules Rozet maître de forges et notable en Haute-Marne au XIXe siècle (1800 - 1871) : Thèse pour le Doctorat d’Histoire sous la direction de M. Denis Woronoff, vol. 2, Association pour le Patrimoine Industriel de Champagne-Ardenne, (lire en ligne), « La fonte brute devient un produit commercial »
- (en) Bradley Stoughton, Ph.B., B.S., The metallurgy of iron and steel, New York, McGraw-Hill Book Company, , 509 p. (lire en ligne), p. 42 ; 336-337