Annexe:Sacres québécois

Présentation générale

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On appelle sacre au Québec ce qu’on appelle généralement juron dans le reste de la francophonie. Les sacres québécois sont également ce qu’on appelle des blasphèmes sauf que cette dimension a plus ou moins disparu depuis les années 1970, au moment de la laïcisation du Québec. Aujourd’hui, la plupart des sacres sont toutefois toujours considérés comme populaires ou vulgaires.

« Notre deuxième voisin — ça se passe dans les années 1920 — s’appelle Achille. Homme de la terre et des durs travaux, sans aucune instruction : il ne sait même pas lire. Mais […] il sait par cœur […] tous les gros mots défendus par l’Église catholique. […] Entendons-nous. Lui, monsieur Achille, ne jure pas, ce mot vient de la ville, il ne blasphème pas, ce mot est un mot d’église. Tout simplement, il sacre[1]. »

Historique

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« À l’époque de la Nouvelle-France [1608-1760], les jurons répertoriés sont presque tous importés de la vieille France […] : “sacredieu”, “mort Dieu”, “ventre Dieu”, “nom de Dieu” ou “tort Dieu” auraient été les jurons les plus courants[2]. » C’est au milieu du XIXe siècle que ces jurons sont délaissés pour faire place aux jurons actuels, plutôt axés sur les accessoires liturgiques[3]. Infraction était passible de mort en cas de récidive sous la loi religieuse de l'époque, ce qui pourrait en partie expliquer qu'ils subsistent toujours.

Sacres québécois de base

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Les sacres québécois ont généralement la particularité d’être tirés du vocabulaire religieux, à la différence des nord-américains anglophones qui puisent leur inspiration dans le vocabulaire anatomique (en particulier les fonctions reproductrice et excrétrice). On interprète généralement cette caractéristique par une réaction populaire contre l’autorité traditionnelle qu’a eue l’Église au Canada français du XIXe siècle jusqu’à la fin des années 1960. Aujourd’hui, l’Église n’a plus cette influence, et le sacre, bien qu’il soit toujours considéré dans la plupart des cas comme relevant de la langue vulgaire ou populaire, demeure bien ancré dans l’usage.

À la base, les sacres québécois sont relativement peu nombreux. Toutefois, ils donnent lieu à une pléthore d’expressions et de dérivations (voir plus loin). Les sacres sont souvent des déformations phonétiques populaires des mots religieux qu’ils évoquent.

Voici le « noyau » des sacres québécois.

Mot évoqué Sacre Variante orthographique ou phonétique
sans atténuation
baptême baptême, batince, batoche
calice câlisse[4] câlice
carême carême
calvaire calvaire
christ crisse[4] criss
ciboire ciboire, saint-ciboire
hostie hostie estie[4] (esti), stie (sti, ’stie, ’sti), astie (asti), ostie (osti)
sacrement sacrament
tabernacle tabarnak[4] tabarnac, tabarnack, tabarnaque

Dérivés par atténuation

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Ces mots étant considérés comme vulgaires (ou traditionnellement, comme péchés), il s’est développé tout un ensemble de mots dérivés permettant au Canadien français d’exprimer sa colère, son étonnement ou d’autres émotions sans encourir les feux de l’enfer ou sans choquer les oreilles chastes. Ces déformations sont socialement jugées inoffensives, et parfois même un peu « molles ». Certaines sont carrément ludiques.

« Achille a un jour appris par un sermon entendu à l’église du village que sacrer pour vrai peut devenir un péché mortel jusqu’à lui mériter le feu éternel de l’enfer… Ouf! Heureusement, certains dérivés le rendront moins coupable : il les apprend tous. Au lieu de crier tabernacle (péché mortel!) il dira “tabernouche” (pas péché du tout). Au lieu de baptême il dit “batèche”, “s’tie” pour hostie, “câline” pour calice, “cibole” pour ciboire, “crime” pour Christ. Toutes ces opérations de sauvetage ont l’avantage de le rassurer sur l’avenir de son âme[5]. »

Ces craintes religieuses n’ont plus cours aujourd’hui, mais les sacres « originels » sont généralement encore perçus comme offensants, et leurs dérivés sont encore très utilisés pour cette raison.

Sacre Déformations atténuées
baptême batince/batinse, batèche, batêche, batoche, bateau, baswell/boswell/bozwell (voir Brasserie Boswell)
câlisse câlasse, câlique, câliboire, câlif, câlik, câline, câline de bine, câlibine, câlique, caltor, calvâsse, calvase, calvince, carosse[6], câlasse, câliffe, coulic (Rare)
calvaire calvâsse, calvince, calvette, calvinus, calvénus, calvinâsse
ciboire câliboire, cibole, cibouleau, ciboulette, cinliboire (Saint-Liboire), citron, gériboire, jériboire, simonak/simonaque, sirop, sirop de calmant, taboire
crisse christi, criffe, clisse, cry (\kʁaj\), crime, criminel, cristal, christophe, christopher, Christophe Colomb, cream puff[7]
hostie hosto, ostifi, hostination, astic, osti, ’sti, estic, hostie toastée[8], esprit, bibi, hostin d’bœuf (\ɔs.tẽd.bø\, \stẽd.bø\)[9]
maudit mautadit, maudine, mautadine, mosus (moïse) (\mo.zʏs\), mosusse, saudit, soda
sacrament sac’, sac à papier, sacrifice (parfois prononcé à l’anglaise \sa.kʁi.faɪ̯s\), sacoche, sacramouille (Très rare), sacramence
saint-chrême saint-croche, saint-cicroche
tabarnak ta, tabarnache, tabarnik, tabarnique, tabarnouche, tabarnane, taboire, tabaslack, tabarslak, tabarouette, tableau, tabouret, tabourette (Rare), barnak.
viarge viargénie, viande, viargette (Rare)

Sacres désuets

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Certains sacres en usage anciennement dans certaines régions n’ont plus cours aujourd’hui, par exemple sainte espèce et ostensoir[10].

Orthographe

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Comme les sacres appartiennent d’abord à la langue parlée, leur orthographe n’est pas fixée. Ainsi, on trouvera, par exemple, hostie, osti ou ostie, ou encore christ, criss ou crisse.

Agglutination

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Il est fréquent que le québécois enfile les sacres avec des de pour accentuer leur expressivité.

  • Mon hostie de criss, toé, tiens-toé tranquille!
  • Crisse de câlisse de tabarnak!
  • « Hostie de pourri », c’est pourri pas mal. Mais « hostie de câlisse de pourri », ça, ça commence à être vraiment pourri. Mais c’est pas si pire que ça, parce qu’il y a quelqu’un qui m’a déjà traité d’hostie de pourri de câlisse de tabarnak. — (Bon Cop, Bad Cop)

Dérivation grammaticale

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Il est fréquent aussi que les Québécois forment des noms, verbes, adverbes ou des adjectifs (surtout sous forme de participes passés en se servant des sacres comme racines). Il n’y a pas de dérivation des formes atténuées.

Verbes dérivés de sacres québécois

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Racine Verbe
câlisse câlisser, décâlisser, se câlisser, se contre-câlisser
ciboire contre-saint-ciboiriser
crisse crisser, décrisser, se crisser, déconcrisser (se prononce parfois « décocrisser »), se contre-crisser
sacre se sacrer, sacrer
tabarnac tabarnaquer, s’en tabarnaquer
viarge déviarger
  • Je vais lui en câlisser une! J'ai décâlissé mon téléphone en l'échappant! M'en câlisse d'elle!
  • Je vais lui en crisser une! J'ai décrissé mon téléphone en l'échappant! M'en crisse d'elle!
  • Je vais lui en sacrer une! M'en sacre d'elle!

Adverbes dérivés de sacres québécois

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Racine Adverbe
câlisse câlissement, en câlisse
crisse crissement, en crisse
maudit mauditement, en maudit
tabarnac en tabarnac
  • J’me suis crissement fait mal. (ou J’me suis faite crissement mal.)
  • J'ai mal en câlisse.
  • J’ai crissement pas le goût d’aller à’ job.
  • C'est laite en criss.
  • C’est câlissement bon !
  • Y fait dur en tabarnaque.

Adjectifs dérivés de sacres québécois

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Tous les adjectifs suivants signifient « détruit, défait » (en parlant d’une chose) ou « fatigué, à bout » (en parlant d’une personne).

Racine Adjectif
câlisse décâlissé, déconcâlissé
ciboire désaintciboirisé (Rare)
crisse décrissé, déconcrissé
viarge déviargé
  • T’as l’air pas mal décâlissé à matin.
  • Si t’avais vu mon char après l’accident, il était tout déconcâlissé.
  • J’ai tellement utilisé mon dictionnaire qu’il est tout déconcrissé.

Usage de base

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Tous les sacres servent, à la base, d’exclamations exprimant généralement la colère, l’hostilité ou l’étonnement.

  • Ôte-toi de là, crisse !
  • Tabarnak ! Es-tu sourd ?
  • Son ch’val, hostie, son ch’val, v’là qu’i’était rendu vert.
    I’en croyait pas ses yeux : « Qu’est-cé c’est ça, calvaire ? »
    — (François Lavallée, Quand la fontaine coule dans la vallée, Linguatech, Montréal, 2007)

Les sacres désignant des personnes

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Les sacres sont couramment utilisés comme substantifs pour désigner des personnes, généralement sur un ton de colère ou de mépris.

  • Mon hostie, tu perds rien pour attendre !
  • Mon hostie d’tabarnak, tu vas manger ma main dans face. — (Les Cyniques, La Chanson très vulgaire)
  • Qu’est-ce qu’ils font dans ma cour, ces tabarnaks-là ?
  • Cette victoire […] a tout de même été célébrée avec des éclats de joie dans le vestiaire canadien. « On les a eus, les tabarnaks! s’est écrié Martin St-Louis. Go Canada go! Woooo! […] » — (Le Navet, 19 février 2014)
  • Je veux pas lui voir la face icitte, à ton gros câlisse, c’est-tu clair ?
  • — T’as-tu entendu ce qu’il m’a dit ? Le tabarnac ! — (Patrick Senécal, Hell.com, Éditions Alire, Québec, 2009, p. 129)

Spécialement, un sacre peut être précédé du mot petit pour désigner des enfants, toujours avec mépris ou colère (l’équivalent, en français standard, de petit morveux, petit chenapan, etc.).

  • Le petit crisse, il m’a encore mordu !

Locutions

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Les sacres québécois entrent dans de nombreuses locutions ou expressions. Parfois, ils sont interchangeables, mais pas toujours.

  • ((sacre)) + de : Sert à amplifier ce qui suit, notamment pour exprimer le mépris, la colère, mais aussi, inversement, l’admiration ou autre. S’utilise avec tous les sacres (mais surtout crisse, hostie et câlisse) — y compris leurs déformations.
  • Écoutez, pour vous sortir de ça, il vous faut un batinse de bon comptable. — (Assemblée nationale du Québec, Journal des débats de la Commission de l'économie et du travail, 25 novembre 1992)
  • Mon câlisse de baveux, y a pus personne pour me r’tenir! — (Les Cyniques, La Chanson très vulgaire)
  • C’est une crisse de folle !
  • Une belle fille n’est jamais aussi belle qu’une crisse de belle fille. — (Josée Blanchette, Le Devoir, 4 mars 2005)
  • Toi, t’es un estie de bon gars !
  • A t’lâche un hostie d’pet… — (Y a don ben des, chanson de François Pérusse, 2007)
  • C’est qui l’ostie d’chien sale
    Qu’i’a peinturé mon ch’val ?
    — (François Lavallée, Quand la fontaine coule dans la vallée, Linguatech, Montréal, 2007)
  • Marc Bergevin échange les partisans du Canadien contre ceux des Coyotes pour avoir la criss de paix — (Le Navet, 5 mars 2014)
Note : Maudit et mautadit se construisent directement (sans de), et maudine et mautadine ne s’utilisent pas dans cette construction.
  • Toi, t’es un maudit bon gars !
  • « La prochaine fois que tu te tapes la tête, tu m’le dis, maudit niaiseux. » — (Denise Bombardier, Edna, Irma et Gloria, Albin Michel, 2007, p. 208)
  • Arrêtons cette maudite mentalité de dominés qui nous suit depuis la foutue Conquête ! — (Le Devoir, 1-2 juin 2002)
  • C’est ton mautadit chien qui a pas arrêté de japper toute la nuit.
  • ((sacre)) + que : Sert d’interjection pour exprimer la colère, l’admiration, la joie ou toute autre émotion forte.
  • Tabarnak que tu comprends pas vite !
  • Maudit que t’es belle!
  • Crisse que je suis content d’être là. — (Voir, 8 mars 2007)
  • en + ((sacre)) : Exprime l’intensité. S’utilise avec tous les sacres, y compris leurs déformations.
  • J’suis fatigué en estie.
  • Arrête de faire ça, ça fait mal en tabarnane.
→ voir en ta et en viarge
  • (être) en + ((sacre)) : Être en colère. S’utilise avec tous les sacres, y compris leurs déformations.
  • Je n’ai pas pu lui parler, il était trop en tabarnak après moi.
  • Là, j’suis en hostie, pis pas à peu près.
  • Je te dis que j’étais en criffe après lui.
  • C’était la première fois que je la voyais en maudit.
  • Depuis qu’j’sais qu’ma terre est à moé, l’autre y est en calvaire. — (Harmonium, Depuis l'automne)
  • (être) en beau + ((sacre)) : Être très en colère. S’utilise avec la plupart des sacres, mais pas hostie, ni viarge; les plus courants sont être en beau calvaire et être en beau maudit.
  • Là, je commence à être en beau calvaire.
  • Elle est arrivée chez nous en beau maudit : la fumée lui sortait par les oreilles.
  • Je me crisse de savoir si tu aimes ça ou pas.
  • Tu peux pleurer comme tu veux, je m’en câlisse.
  • Ton opinion, je m’en contre-câlisse, s’tu clair ?
  • Vos états d’âme, on s’en contre-saint-ciboirise, m’entends-tu ?
  • Mais on s’en tabarnaque!
  • M'en sacre!
  • bout de viarge, bout de baptême, bout de batinse, bout de calvaire, bout de calvince : Variantes des sacres en question. Curieusement, on trouve bout de ciarge, mais jamais ciarge tout seul comme sacre.
  • Voyons, bout de viarge, vas-tu finir par le dire ?
  • Ben bout de ciarge, ça a ben l’air qu’ils ont décidé de repasser ça à la télé !
  • Je suis quand même pas si petit que ça, bout de baptême !

Le sacre comme instrument identitaire

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Autant la plupart des sacres continuent d’appartenir à la langue malséante pour l’essentiel (sauf les versions atténuées), autant le Québécois moyen aime exploiter cette particularité de sa langue, s’y identifier, en décortiquer les subtilités et les ramifications (par exemple par les dérivations) et les exposer aux étrangers, aussi bien aux anglophones qu’aux francophones des autres pays, que ce soit pour les dérouter ou pour les leur enseigner dans un esprit de complicité. Le sacre constitue ainsi un instrument identitaire linguistique fondamental des Québécois.

Témoin notamment cet extrait d’un discours de Boucar Diouf, néo-Québécois, prononcé à l’occasion de la Fête nationale du 24 juin 2009 (à noter qu’il n’utilise que les formes édulcorées des sacres) :

On peut également citer ceci pour exprimer la fascination qu’ont les Québécois eux-mêmes à l’égard de leurs sacres.

Autres jurons québécois

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Au-delà des jurons et base et de leur variantes et déformations rapportés ci-dessus, le parler québécois comporte d’autres jurons qui lui sont propres, et qui ont ou non un lien avec la religion catholique. Quelques exemples :

Références

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  1. Benoît Lacroix, Rumeurs à l'aube, Éditions Fides, 2014, p. 210.
  2. Éric Bédard, Histoire du Québec pour les nuls, Éditions First, 2015, p. 399.
  3. Éric Bédard, Histoire du Québec pour les nuls, Éditions First, 2015, p. 399.
  4. a b c et d Ces sacres peuvent être considérés comme les plus offensants, quoique cette appréciation soit évidemment teintée de subjectivité.
  5. Benoît Lacroix, Rumeurs à l'aube, Éditions Fides, 2014, p. 210.
  6. Dans chacun des faux-doublages de Yasser Arafat par Les Bleu Poudre
  7. Présent dans le sketch Le Cours de sacres du groupe Les Cyniques en tant que \krɪmpɔf\
  8. Dans L'Héritage (série télévisée), Xavier dit souvent hostie toastée des deux bords
  9. Dans Jamais deux sans toi (série télévisée), Rémi le dit dans beaucoup d'épisodes.
  10. Cités par Benoît Lacroix dans Rumeurs à l'aube (p. 210), où il parle de son « deuxième voisin », dans le comté de Bellechasse dans les années 1920.

Voir aussi

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