Drieu La Rochelle - Mesure de La France
Drieu La Rochelle - Mesure de La France
Drieu La Rochelle - Mesure de La France
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3900300266969-1
IBBflB
MESURE DE LA FRANCE
DU MME AUTEUR
Aux
ditions de la
>.
le Ri/
anaise
Interrogation
Fond de Cantine
pomes.
15
'
t~
MESURE DE LA FRANCE
PAR
DRIEU LA ROCHELLE
EDITEUR
e
RUE
DES
SAINTS-PRES, PARIS, 6
1932
NTI
131
A 5.630
4.
537
Tous
droits de traduction,
de reproduction
et
d'adaptation rservs
PREFACE
Ces jeunes gens qui viennent aprs nous, saurons-nous les comprendre ? La diffrence des destines d'eux nous, est immense. Nous avons respir entre deux guerres. Nous avons t exercs, non crass; prouvs, non dcims. Mais eux? A chacun un temps court est donn pour
,
son
vail
le
initiation.
le
Avant
la
dix-huitime
le
anne,
;
jeu
aprs la trentime,
tra-
s'impr-
gnent et se forment. Quelque dix ans, pas davantage. Cette gnration qui vient
aprs
les ntres, quelles
quinze annes ?
Trois ou quatre dans l'avant-guerre, veille
fort sombre
vi
PR
et
le
ddale de
aniu
,
nigmes.
la
Pour
beaucoup
six,
(la
prcdant
et,
tranche),
sept
Pour
et
tous,
la
dcimatiov
de survie. Rares,
les
:
comprendre
faire
't
Sauront-ils
se
com-
fut
tout
mme un peu
longue. Il
les
enfants de
si difficile
vic-
toire
de notre victoire
tou-
mode que ne Vont eu leurs pres. Or voici Vun d'entre eux. Ouand nous
remes, en
tule
:
Drieu la Rochelle son auteur. Ds la premire page nous nous intressmes ces pages un peu jeunes, un peu navement claudeliennes o il nous sembla lire, cynique parfois mais
personne,
nom mme
de
M.
PRFACE
jamais lche,
tait
trait
le
vu
tranches.
secret
des
ce
M.
Drieu
la Rochelle ? Il
Qui monune
lyrique,
me
saine,
subtile
aux
inqui-
quoiqu' elle-mme
sans
rvolte
il
Nous esprjmes
qu'un jour ce nouveau venu aurait quelque chose dire, et nous pensmes sa carrire. Depuis lors, M. Drieu la Rochelle a peu crit. Assurment il tait difficile de mrir
une uvre dans ce tumulte et cet branlement. La clameur glorifiante des foules, rythme par les matres, crase nos cris malhabiles... avions-nous lu dans Interrogation. M. Drieu la Rochelle a vcu parmi les siens, ses camarades juvniles qui, la tte encore abasourdie par les bombardements, essayaient leurs forces et non sans divaguer. Il a caus avec les dadas, il a
rencontr des communistes, enfants exalts par le dgot et l'esprance. Il a retrouv
parmi eux son camarade d'avant-guerre, ce Raymond Lejebvre auquel il rend un atten-
vm
///
P R G
l'un
des
princes
de
cette
dchire.
Les quelques
pamphl
l
i
nous a
laisss sont
clatants d
rve
n'est plus.
Au
retour de
Moscou ou son
il s'est
engag dans une barque de pche sur l'Ocan Glacial ; un coup de vent l'y a noy. Il s'est
enthousiasme l'avait conduit,
la joule de ceux que M. Drit u la Rochelle appelle nos absents mystrieux. Ce croyant dur, hautain ; ce proall joindre
quel
homme
fut-il
devenu
qu'tait
son
ge,
qu'tait
?
Claudel
Maurice Barres
crit
le
La
question
est
Une
voix
manque, a
nul ne peut
prophtique Pguy, et
la suppler...
Parmi
la
M.
Drieu
et
Rochelle
trouver
imposer la sienne ?
ces notes.
Je
lui
donne l'espace
faut
son
essai.
Daniel Halvy.
Le chur
des Danades.
Ainsi
donc qu' l'ombre du pieux rameau, mes lvres donnent l'essor des vux
pris de la gloire des Argiens.
Que
la
peste
cit,
jamais
ne vide d'hommes
leur
que la guerre ne teigne pas leur sol du sang de ses fils immols Mais que la fleur de leur jeunesse demeure sur sa tige et que l'amant
!
Que
les
les
ils
qui flambent
dans
la loi
le
chenue rgle
destin.
si
Puis que
le Ciel
de nouvelles naissances,
chefs
veille
ce pays,
et
qu'Artmis Hcate
aux couches
de
ses
femmes.
Eschyle, Les Suppliantes.
LE RETOUR DU SOLDAT
splendeur des images, j'ai prfr les pays exotiques ma patrie. Son sol et son ciel taient trop
la
Enfant, cause de
modestes.
Son
histoire
me
paraissait s'assombrir.
A
me
amricaines
me
tentrent.
Mais
je
sparer de
force
mes
livres qui
me
ne pus promet-
commenait se consumer dans une bibliothque, une caserne, quand la guerre clata. Les murs que je dsesprais de briser se renversaient au souffle
Ma
des trompettes.
ME8U
H E
I)
LA
TI<
homLeur
pei-
Ils
gnaient
je
le
Ou me
dfaite
romantique
le
le
le
dernier reflux de
la
monde,
le
feu im-
molant
reste
de cette belle
vie.
T
dpart je portais une panoplie neu on m'avait peint les jambes en rouge. Je fis la queue pendant des jours entre le front Est et le front Nord. Je pitinais derrire un million de citoyens qui attendaient leur tour. Les murs de notre
caserne nous escortaient.
Je m'impatientai. Je croyais la force de nos ennemis. Je songeais plus offrir
Au
ma mort
que
la victoire
ma
patrie.
que cette guerre ne ft un grand remue-mnage de camelote, un spectacle bon march ^comme le cinma o Ton voit les banquiers se satisfaire du mme pauvre plaisir que les^terrassiers. Sans confiance, je doutais de pouJe craignais
LE
RETOUR DU SOLDAT
la
Ce
fut
dernire
tape funbre
de
mon
sur
mon mon
fusil,
orteil
Un
boutiquier,
mon
camarade, allgua
que la vie tait bonne. Lchement je crus ce maigre tmoin. Il mourut bientt avec une simple beaut, me prouvant que l'essence de la guerre, le sacrifice, tait intacte. Ds lors je voulus vivre pour mieux
mourir. La guerre commena, continua et
Elle se rsout maintenant en
finit.
un
clin d'il.
Je ne songe plus migrer. Cette terre qui a eu de mon sang aura mes os. Les
hommes
de France sont chiches de leur semence, mais pas encore de leur sang. J'ai arros la Turquie de ma sueur pour la donner aux Anglais, avec un monde. Nous, nous avons gard la place o poser nos pieds. Pauvre terre reinte. Ma race meurtelle d'avoir ie plus vcu ?
M E S l!R
Nos
pres
>
LA FRANCE
voulu faire absurdes Allemand
pas
bataille,
n'ont
ces
petits
comme
Sur
mon pre. Mais aurai-je un fils ? Certains avaient le droit, hier encore, de ne pas se
cts.
J'tai
ni,
je
cherchais
soucier
du
sicle.
Race
raidie,
tremblante force de
rai-
guerre
entre
se
la vie et la
mort
et
Tes chefs
ils
tromprent
pourtant
ont gagn la guerre. Tes hommes eurent peur et pourtant ils ont gagn la
guerre.
mis moins forts s'taient mls nous pour que le plus gros ennemi ft gal ?
Cela n'a pas
suffi.
Il
a fallu la moiti
mon
pendant des sicles. Dchance. La France a gard la tte haute, souveraine, mais son corps exsangue ne l'aurait
LE
RETOUR DU SOLDAT
si
pas soutenue
n'avait accru
la
ses
membres
la
nervs.
Sa
lutte s'tait
l'ennemi
que par un poing tranger. La France a t la tte de la moiti du monde. Ceux dont la force multipliait sa force ne se sont connus que dans son unit. Gnreuse, elle a donn l'impulsion.
Pendant cinq ans la France a t le lieu capital de la plante. Ses chefs ont command l'arme des hommes, mais son
par tous et par n'importe qui. Tout le monde est venu y porter la guerre amis et ennemis. Les trangers s'y sont installs pour vider une querelle o tous, eux et nous, avons oubli la ntre.
sol a t foul
:
Notre champ a t pitin. Sur la terre, notre chair ne tient plus sa place. L'espace abandonn a t rempli par la chair produite par les mres d'autres contres. Derrire nous dans chaque maison la place de celui qui tait mort ou de celui qui n'tait pas n il y avait
M E8U RE
tranger.
Il
I)
LA
R A
NC
un
tait seul
avec
les
femm
bien battu
ou-
coups nous tranions encore au combat nos corps dont aucun plaisir n'est jamais venu bout. Il y a eu beaucoup de lches parmi nous, mais le souffle d'une vie millnaire regonflait
sans cesse
les
poltrons et
les
hrofl
La Marne.
Il
faut
que nous
sachions.
C'est
et
que s'est noue ma vie. Je mdite sur la mesure de la France sur le sens du monde.
l
peux rpondre
la
Alors
chair plus
subtile
vaincu
la
LE
canons
flau
RETOUR DU SOLDAT
et
mille mitrailleuses
sauterelles
comme
le
des
n'ont
pas
est
prvalu
l'homme
grand
et
France vivra. Mes petits enfants, prparez-vous apprendre beaucoup de chapitres. L'Histoire de France s'allonge. Voici encore ce don aux annales humaines.
Mais oui, les hommes de France sont bons joueurs de ballon, leurs poings sont
prompts,
ils
volent haut.
Ma
comme
elle, je te
presse sur
mon
cur.
Mais aprs la Marne ? Le coureur annonce au monde qu'il est sauv, il tombe, la vie lui chappe. Mais aprs la Marne, l'ennemi s'est planqu dans notre terre. Il s'y est vautr, la dfonant grands coups de bottes. Et nous ne l'en avons pas arrach. Si nous tions rests seuls, que serait-il
arriv
?
MESU
Il
K B
DE LA PRAN
sa<
ici
tant
que
je
he,
<|
il
Faut
que doua
iua
la
sachions.
Kst-cr
vie?
Il
faut qu'
cet
instant
France
survive.
nous avons
fait.
Mais il y avait dj tant d'Anglais en France et mme, 6 soldats de l'An II tant de ngres. Et la flotte anglaise gardait nos ctes,
?
!
Verdun
si
Douaumont tait la tour de Londres. Nous n'avons pas couch seuls avec la
Victoire.
Honte. Honte aussi parce que l'ennemi qui nous a chapp, c'est peu. Notre vile consolation l'Allemand qui
:
Marne
n'est rien.
fois plus
dfi
de chair, dix fois plus de fer. Son avait t mdit pendant quarante ans.
partie des
Voyant une
hommes
se consa-
hommes,
cr-
LE
RETOUR DU SOLDAT
Mais l'Armageddon en route vers Paris versa dans l'ornire de nos campagnes. Quel dsastre humain Il y avait une immense foi dans le gnie allemand qui sombra tout d'un coup. Ce n'tait pas la peine de renoncer la philosophie, la musique, pour rater un coup pareil. Et nous n'avons pas su vaincre ces
!
gens-l.
Qu'importe
cette
victoire
du monde
en 19 18, cette victoire qui a failli, cette victoire qu'on a abandonne avec honte
comme une
bre sur
le
du nom-
charrue jouer
les
homme,
n'avait attendu
que
fort et
Un mme
et
io
M B8U
R E
LA
I-
R A
NCB
Seuls seuls aprc> une premire bataille, aurions-nous eu le temps de livrer une
seconde
premire
:
.
Ceci n'est pas une vaine songerie. Marathon est toujours possible. Ou il n'y a pas de gnie humain. Et si maintenant je suis plus grand, plus fier, ayant reconquis
ma
patrie dans
mon
esprit, c'est
que
je crois
que
la
en une heure.
Franais n'avait pas vaincu seul son ennemi, ses amis mprisants ont bien fait d'interrompre un geste indigne. Sur son ennemi maintenu terre par
le
Comme
le
Franais n'avait
au coup de grce. A qui n'a plus l'audace de conqurir, qui ne sait plus imposer l'amour au vaincu, en a refus le Rhin. Mais l'Angleterre a laiss tomber quelques rognupas
le droit
res
d'empire.
faible
ne peut choisir son ami qu'entre deux ennemis tout ami est
;
L'homme
ennemi
l'homme
faible.
LE
La
RETOUR DU SOLDAT
immense qui
lutte
marque un temps
dans la pousse qui m'assaille, moi et ceux qui parlent mon langage. Pas de repos travers l'ternit. Il n'y a ici aucune plainte. Honte ceux qui se plaignent de leur destin. Les Franais ont souffert moins qu'ils ne devaient attendre de leurs crimes. Quel got ignoble j 'avais dans la bouche quand les territoriaux se lamentaient de l'injustice de leur sort aux soirs o ils nous relevaient. Selon la loi qui rgne sur les choses, ils montaient remplacer les enfants qui n'taient pas venus parce qu'ils les avaient noys ou poignards
avant leur naissance. Relves rencontres des gnrations Jugement la croise des chemins qui mnent la vie et la mort. Nous avons besogn excessivement parce que nous n'avions pas de frres
! !
pour nous
aider.
12
RE
l)
LA
l<
Pourtant ces Allcman >nt absurc! Il fallait bien que quelqu'un en Europe et qui moins que la France a oublie antiques lois modratrices arrtt un pullulement aveugle.
1
J'tends
corps, de
je
les
bras
la
chair de
mon
et
mon
puis
peine
embrasser
mon
troit
horizon.
Eh
bien
ont une taille humaine, et avec un regard arm par Athna, je scrute plusieurs gros Empires.
Ainsi, au milieu
des toiles,
use par les d'une raison inexpugnable. Moi j'ai vingt-sept ans et je suis sus-
pendu
dur
est
ma
plume.
Mon
culte lucide et
un fer chauff blanc. Il y a devant mes yeux une figure humaine hors
;
de ses lignes dlicates, j'ai peur que la vie ne s'panche. Je suis fanatiquement de ceux qui veulent que la vie continue. Mon arrire-
LE
RETOUR DU SOLDAT
commence
au grand jour
13
pense, je
t'lverai
te connatre, je
comme mon
la
prepul-
mier-n.
Peu
sation
peu
je
distingue o est
je
patrie.
pour mes amis, pour les jeunes hommes, pour ceux qui ont combattu, pour ceux qui sont morts (je te vois tirant et mourant derrire le
J'aurais voulu tmoigner
de briques jeune Juif, comme tu donnes bien ton sang notre patrie), pour ceux qui vo ent, pour ceux qui ont gagn les premires batailles au rugby, pour celui qui a vaincu avec des poings dirigs par une desse. Ils sont autour de moi sur ce petit territoire de la France, avec leurs visages nus, leurs poitrines marques par l'honneur et une grande envie de crier quelque
tas
;
chose.
Nous sommes
ici,
les
M B8U
R B
DK LA
que vont
dit
allons faire, ce
faire
les
autres
notre
dernier
1920.
MESURE DE LA FRANCE
Il
victoire est
humaine supporte plus difficilement la victoire que la dfaite. J'inclinerais mme penser qu'il est plus ais de remporter une pareille victoire que de faire en sorte qu'il n'en rsulte pas une profonde dfaite.
Nietzche (1873).
Le chur
je
des Danades.
Non,
ne veux plus revoir les eaux fcondantes du Nil, qui, chez les hommes,
un sang por-
LE CRIME ET LA LOI
La
l'esprit
puissance
du
cette
nombre
frule
de
mon
sous
temps.
subjugue J'essaie de me
qui
redresser
rudoie
ma
mais l'esclave admire par une accoutumance infme la force qui l'actte,
cable.
magazines de mon enfance, je m'baubissais devant une srie, de silhouettes ingales o l'on rduisait le
Dans
les
rapport des forces des peuples. A ct de chacun de ces soldats minuscules ou gigantesques (le Suisse n'tait pas plus haut que la semelle du Russe) un nombre norme ou infime dressait ses chiffres et son effet tait magique. Mon intelligence
is
MESURE DE
prestige.
LA
FRANCE
se ri,
le
mtal-
main pouon
concurrents.
Voil
quelle
grandeur
me
pas volontiers.
quelque chose d'ancien, de digne, de raide, se rebelle et d'une voix Le nombre pure, blanche, je prononce
: :
Nanmoins
n'est rien
Voire.
Le
nombre
lui-mme
est
informe,
il
inerte, inachev
comme
la
matire dont
nonce successivement
dfinies.
l'esprit
rapproche
relation,
un
autre
nombre
il
tablit
une
MESURE' DE LA FRANCE
En
lions
19
18 14
la
20. En 1914, trente-huit d'mes millions d'mes 38. Voici ce que signifie la rencontre de ces deux nombres. Il y a cent ans, cent ans seulement, 20 millions de nos anctres
formaient la nation la plus nombreuse d'Europe. Acharnez- vous vous reprsenter ce fait avec vos sens, puisqu'il s'agit ici des ncessits de la chair, et des ncessits de l'esprit qui font corps avec celles de la chair. En viendrezvous, Franais, tter avec vos yeux et vos doigts, cette prsence formidable qui est abolie. Nous, alors, faisions masse au milieu de l'Europe comme aujourd'hui l'Allemagne avec ses 60 ou 70 millions de corps. C'tait chez nous qu'il y avait le plus de chair, le plus de muscles. Nous, aujourd'hui, 38 millions de vivants, notre groupe vient quatrime, aprs l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie. Et au del de l'Europe, comme nous nous rapetissons entre les
et les
_
2o
i-
r R
i;
DE LA
Pourquoi votre p< e porte-t-elle ('vicier pafl p us souvent sin vous tiez plus attentifs a ees signes VC comprendriez d'une faon plus modeste et plus sre que la France de Louis XIV et de Napolon I er ait tenu tte d'incessantes et universelles coalitions, et qu'au contraire la France d'aprs 1870 ait commenc la qute anxieuse des auxiliaires
et
des
allis.
cette
date l'Allemagne,
jusque-l son infrieure ou son gale en nombre, Ta dpasse. Cet vnement fut
multiplicateur.
Ce grand nombre,
rsultante, c'tait
fait
ce
nombre prdomiun
un
acte gnrateur,
moral. Ces millions signifiaient force, confiance, gnrosit. Ce n'est pas seule l'nergie de leurs ides, la viva-
ment
cit
de leur lan que les Franais ont d le noble assouvissement de leurs passions, hautes et basses, sur l'Europe, mais l'abondance, la magnificence de leur
MESURE DE LA FRANCE
vie sexuelle, la
21
bonhomie qui
et
rgnait
dans
les
alcves
qui
les
jetait
au
monde
breuses.
fils
une loi antique, ternelle, qui du moins semble attacher ensemble toutes les conditions humaines de la dure que nous connaissons. Cette loi est simple,
Il
y a une
loi,
mais sa simplicit peut dcevoir l'esprit. Les lois se concentrent en quelques maximes, elles demandent pour tre interprtes une honnte subtilit.
Je
viens
d'apercevoir
cette
loi.
Elle
enchane le nombre rgulier et lent exprimer soudain la spontanit de la vie. Elle traduit en une nette, rude, invitable quation de rgles sociales, le profond, le juste quilibre entre la valeur de la chair et la valeur de l'esprit. En Occident nous ne pouvons concevoir l'humain que dans cette dualit du temporel et
du
spirituel.
Tout
l'difice
de
notre prosprit mentale repose sur cette convention. Notre esprit est enracin dans
ME81
la
R B
DE LA
matire
et
dans
L'organisation
entrelis
des
esprits
aux facults de l'me. Cette loi dict que L'homme aura la volont de multiplier ou bien qu'il ne pourra se maintenir l'tiage, mais que promptement il diminuera comme s'il y avait en lui la dtermination de s'anantir. Cette loi est a promesse mme faite
notre espce, notre pacte d'alliance avec
les
animaux
forces
du monde,
la
souche patriar-
cale
de l'empire humain.
loi est
Cette
ais.
Nous
sommes
Et contre
quoi peut-on pcher, si ce n'est contre l'humanit, contre soi-mme? Nous avons t punis dans nos biens et dans nos personnes. Les peuples sont des tres homognes,
libres,
responsables.
Leur destine
est
semblable celle des individus. Ils relvent de la mme justice qui reste immuable comme semble l'tre le gnie de l'espce.
MESURE DE LA FRANCE
23
Cette justice, dans Homre, les Vdas ou la Bible, est fruste, ponctuelle.
La France
commis un crime.
du
fils
Elle le
somme
talion.
Tu
un
dans ton
lit,
tu
perdras l'autre
guerre.
Mais
elle
le sens, et
ne comprend pas. Elle a perdu aprs elle, tous les peuples con-
temporains, des ncessits primordiales, des lments de la grandeur. La France n'a plus fait d'enfants. Ce crime d'o dcoulent les insultes, les malheurs qu'elle a essuys depuis cinquante ans, elle Ta mri la fin du xix e sicle et
consomm au dbut du XX e
sicle.
Ce
crime est connu de nous et des autres. Il y a longtemps que nous en parlons avec tranquillit, n'coutant gure les mpris, les menaces ou les svres avis qu'on nous
prodigue.
II
DI]
AujourcThui les Franais ne peuvent plus en douter la France est incrimine. L'Europe et l'Amrique s'tonnent que la guerre ne les quitte point. Ses consquences qui se compliquent et qui se nouent, harassent leur patience. Prtes aux gestes de la lassitude qui lchent tout, elles s'impatientent contre la France qui se crispe et s'entte achever l'uvre dont la conception fut entache dans notre esprit par les vices de notre faiblesse et dans celui de nos compagnons par des arrirepenses dfavorables, la mise au jour impose par une force phmre, l'excution jamais fortement prise en main.
:
MESURE DE LA FRANCE
25
Non.
de ce malaise, de ce mcontentement, qui ne sont que des signes avant-coureurs, il faut voir ce crime de la France. Personne en France n'a entrepris cette dnonciation. Cette carence prouve que volont et intelligence ne sont qu'une,
l'origine
quand l'une
donne bien-
ne peut pas dire que nos porte-parole gardent le silence par prudence sur les raisons capitales, minemment tragiques, de la dsaffection du monde pour la France. Mais l'absence de virilit empche l'esprit de se porter au for de ce mystre humain.
tt des signes
de dtresse.
On
Si la
bouche
que
les
yeux
la
la
coulpe,
ne se
fait
pas entendre.
Du
reste, l'tranger
me. En tous
cas,
ME8UB
DE
L A
KANC
que de nous-mmes. Tandis que ses amis murmurent et que ses ennemis ricanent, la France gmit. La France se plaint d'avoir perdu son sang et son argent. La France s'indigne de voir ses amis entre elle et son ennemi. La France est ressaisie par sa vieille jalousie contre les Anglo-Saxons. A mal couter les bruits qui viennent du monde, elle s'tourdit de ses propres gmissements. Sa conduite est la merci de ses sentiments
qui s'exasprent, qui se contredisent, qui
ne sont pas mis en ordre. Sur la plage de l'occident il y a un mendiant qui dissimule un poignard. N'y aura-t-il personne chez nous pour interdire cette misrable mascarade ? Parlons net et ensuite gare ceux qui abuseront de notre franchise. Je ne crois pas la vertu de l'erreur depuis quelque temps l'esprit de la France est falsifi, corrompu par une pauvre
;
tricherie.
Nous
parlons,
MESURE DE LA FRANCE
nous
27
nous tions les mmes Franais que ceux de 1800. Et sachant que nous nous trompons nous-mmes nous prtendons tromper les autres. La ralit nous dmentit brutalement, mais nous le taisons. Nous avons perdu le sens de notre grandeur et de certaines valeurs humaines. Il faut donc que nous apprenions la honte pour retrouver la noblesse. Voyons ce qui nous est arriv. Appelons les choses par leur nom. Il ne sera pas dit que nous sommes devenus une nation hypocrite. Et puis je veux vivre.
comme
si
Dans mon
qu'on veut m'entraver dans un malentendu qui peu peu me dforme et m'estropie.
Pour briser cette entrave que mes ans me passent aux membres, je me retourne brusquement. Regardez ma posture. Je
ne crains pas les gestes extrmes et dangereux de la pnitence publique. Je voudrais que la France parle de nouveau au monde, aprs s'tre tourne vers son pass immdiat, bref et plus lourd que tous les sicles
28
M ES U
kl.
DE LA FRANCK
de son histoire. Qu'elle le presse, qu'elle en tire une leon rigoureuse. Reportons nos regards sur eette eatgorie de faits qui forment secrtement la ligne de rsistance des vnements contemporains.
Dans
nous
les
le
nous
sur
nous-mme,
Germains
Par le concours de leurs mains, dans l'air magntis par la multiplication de leurs volonts, un vaste difice a pu
vie.
pen peut se comparer aux prodiges anglosaxons. Et quittant leurs soixante millions de frres, quinze millions d'autres Allemands sont partis pour l'Amrique. L ils ont dbarqu en mme temps que
vingt millions d'Anglais. Et voil
le
corps
des Etats-Unis.
MESURE DE LA FRANCE
Quelques
donnaient un
la plante,
29
millions
d'Anglais
encore
nom
plusieurs parties de
maines d'immenses terres en Afrique, en Ocanie, au Canada. Pendant que tant d'hommes suaient .et saignaient, que faisions-nous ? Nous ne faisions pas vingt millions de Franais de plus, ces vingt millions qui nous ont manqu Fashoda, en 1905, en 191 1, en 1914, qui n'taient pas l pour rendre
les gifles
ou
seurs.
La prsence de
contraire leur absence a creus au milieu de l'Europe laborieuse un vide qui a t la cause du malaise d'o la guerre est sortie.
n'aurait fait de
mal personne.
Au
L'Allemagne a t tente. L'Allemagne surpeuple ne pouvait apprendre sans indignation que certains de nos dpartements se vidaient et que pourtant nous rclamions de nouvelles colonies et exigions contre elle l'aide de toute l'Europe, sans compter les barbares noirs que nous armions. Voil notre crime nous avons
:
30
MEBUR
I)
LA
P R
ANC
quement, sous le couvert des plus saint valeurs humaines (respect de la personnalit
territoires
anims par les anctres), une faiblesse dont le spectack ne pouvait qu'exciter des hommes sains la suffisance et l'orgueil pour eux-
mmes,
contre nous.
Et cette absence de vingt, de quarante millions de Franais est une carence, une rupture de la solidarit plantaire, une trahison. Depuis cinquante ans nous n'avons pas pris toute notre part de l'effort humain. Ne discutons pas, ne chipotons pas, notre pouvoir de cration n'est pas tari et si nos corps se sont drobs, notre esprit n'a pas chm. Mais le fait est que nous n'avons pas suivi dans leur grande aventure les deux groupes les plus vivants Anglo-Saxons et Allemands. Notre empire colonial est une rplique mdiocre. Si l'Afrique du Nord est une uvre vritable, digne d'une grande na:
MESURE DE LA FRANCE
tion, digne
31
de nous, c'est qu'entre 1830 et 1870 nous avions encore un excdent et que faute de millions nous n'avions pu faire autrement que de nous arracher pniblement... 500.000 mes \ Or ce n'est pas en vain que l'effort des autres a t accompli, ce n'est pas en vain que les mres anglaises ont plus souffert
que
les
mres franaises
et
Franais, imprvoyants et
avons t sauvs.
Nous
fices
de
sacri-
le prix.
Et ce
Le quart de
ruin,
1. Il
y a
le
Maroc encore
et l'Indo-
littrature
Chine, qui avec notre peinture, notre musique, notre ternellement renaissantes, nos victoires athltiques sont les glorieux dmentis ma thse dont
l'inquitude est palpitation de la vie.
32
RE DE
les
i.
abattues par
en
et
et
macbines, nos animaux nos femmes et nos enfants ont err sur les routes. Tout cela nous fait crier au scandale. Plus qi jamais nous voulons mconnatre les sources de cette histoire, nous annonons quenos yeux vont se fermer et qu'ils ne se rouvriront que sur toute chose mise en
place.
Que
!
Assez nous sommes trop vieux pour jouer les enfants, tout cela est de notre faute. Voici enfin le chtiment de notre crime. L'implacable loi s'impose nous. La dmonstration est simple comme un
rcit biblique.
L'homme
son domaine
les
voit
voisins
qui veulent
saturs
voler.
Mais
d'autres
de
le
richesses,
prfrent
tranquille,
qu'on
Ils
laisse
tout
monde
craignant
lui
froissant.
retir,
MESURE DE LA FRANCE
nous de
les relever.
33
La
vieille justice,
qui
repose sur le talion et l'exact troc, sur le poids et le prix de la livre de chair, nous
laisse les pots casss.
S'il
hommes
qui ont
clineront.
pch. Nous sommes punis. Mais que notre pnitence soit virile et que
le
Nous avons
monde
III
L ESPRIT KOL'BLL
Aprs avoir enfonc la main dans les origines de notre faiblesse, je veux en voir
premires consquences, si graves cettecontagion de la faiblesse qui gagne toute l'me, tout l'esprit d'un homme, corrompt ses ides, dvie et finit par invertir ses
les
:
C'est
ainsi
que pendant
cette
guerre
(dans son horreur, la premire et la moins terrible des sanctions qui s'enchaneront notre crime) il est apparu que nous avions
perdu la science de former des ides justes sur nous-mmes, sur nos amis et sur nos
ennemis, sur
la
MESURE DE LA FRANCE
35
D'abord nous avons prouv que nous n'avions plus le sens exact de nos ressources nous n'avons point su entendre l'conomie de nos forces. La conduite de nos chefs militaires a dvoil que l'lite ne possdait plus en France cet art indispensable des profonds et naturels compromis entre le temporel et le spirituel, le physique et le moral. On leur en a fait un grief particulier, une partie des gens qui tort ou raison s'arrogent le droit la parole ont cru se couper de la vaste et complexe responsabilit qui enveloppe tous les Franais en rejetant
;
sur les seuls militaires les erreurs de 19 14 ou de 1917. Mais on ne peut pas accabler les uns, et exonrer les autres. Il faut
de rpartir le poids des fautes. Les gnraux franais ont simplement donn un exemple, entre plusieurs
avoir la force
36
MESURK
tait
1)1-
LA
gnraux
leurs
l
de dceler immdiatement
bientt
dfaillances,
marques
de-
dats.
Nous
du
pass.
Nous
la
multiplimes
par une autre plus actuelle. L o les Allemands ont sacrifi deux hommes, nous en avons sacrifi quatre. Avec un asctisme forcen, qui ne prouva pas la sant dont ils se vantaient au milieu de la dcomposition de la socit civile, nos matres militaires montrrent leur ignorance de cette complexit des conditions qui favorisent la force dont ils auraient d faire pourtant leur science principale. Mystiquement ils lancrent des mes contre les canons. Ils saccagrent notre jeunesse, jetant au feu le germe mme de la race. Et pendant deux ans ils nourrirent
chine.
machines (que ce soient des mitrailleuses ou des mtiers mcaniques) sont la pro-
MESURE DE LA FRANCE
gniture rebelle et dvoratrice des
37
hom-
mes.
guerre en chrtiens ne redoutant pas pour leurs ouailles l'excs des supplices, mais le salut de l'Etat reposera toujours sur les valeurs pr-chrtiennes de
Ils firent la
l'conomie de
la
la
force et
du respect de
chair.
Pourtant de cette dfaillance de notre entendement, de cette erreur d'valuation qui a eu son contre-coup dans notre substance mme, nous avons encore fait un prtexte nous vanter ou nous plaindre. Dans les assembles des humains nous tranons nos cadavres sans penser qu'il est lche de se lamenter parce qu'on a t frapp par son ennemi, et que ce sang retombe sur nous.
y a trente ans que nous avons perdu le sens viril de l'amiti. Avec quels transports excessifs, impudiques et ridicules nous nous sommes jets dans les bras des Russes. Puis est venu l'engouement non moins lascif pour l'Angleterre dont nous
Il
)|
MhSIR
I)
venions peine d\ssnyer l'insulte de Fashoda. CYst maintenant chez nous un art national que de dguiMf nos wtitbl mobiles sous des pre' sentiment;!! et langoureux. Pourtant la vrit sve ne prtait qu' la modestie et la sobri' Cet ennemi, l'Allemagne, que nous avions connu pendant des sicles divis par notre intelligence et domin par notre masse, nous commencions de le craindre et nous appelions l'aide. Et ce qui fut encore d'un effet corrupteur, c'est que la double alliance que nous contractmes formait un rassemblement de faibles qui se hantaient les uns les autres cause de leur
\
faiblesse.
Nous nous
non sans
la
reposions sur
la
force russe,
mettre en doute, mais ce doute nous Ttouffions sous les plus molles esprances. Et il n'chappait pas notre jugement, dans la mesure o il gardait
quelque robustesse, que l'Angleterre venait nous parce qu'elle se sentait menace par sa propre dcrpitude autant que par la vigueur de cet ennemi commun
MESURE DE LA FRANCE
39
qui suffisait maintenant inquiter deux empires et une rpublique qui avait tenu toute l'Europe en haleine. Certes les
Anglais
quelle
ils
n'avaient
pas
lieu
d'tre
plus
ont reconnu une invitable solidarit n'honore pas leur perspicacit et ne prouve pas que leur got pour le fair play soit si exclusif. Cette lenteur fut un crime, contre eux-mmes, contre nous, contre notre sort dsormais commun.
Chesterton a d le dnoncer en 19 14 dans un livre qui n'empruntait pas qu'aux circonstances son admirable rigueur. Mais cette amende honorable si un Anglais l'a faite, si le peuple l'a renouvele par ses sacrifices, l'Angleterre dirigeante ne l'a accepte que du bout des lvres. L'arrire-pense de pouvoir encore, en dpit du plus tragique avertissement, luder le destin, viter de faire la part du feu, tout ramener soi au moment des de pouvoir se traits, rafler les rsultats drober enfin cette ncessit inluctable pour elle comme pour la France d'aban;
4o
m ES
R E
i)
LA
N C E
partie de sa souverainet en
contre
les
pouvoir eorninun qui salut de nos deux empires formidables prils qui ft'accu-
mulent en Orient. Certes c'est une habitude fort insidieuse pour une grande nation, et que nous avons prise trop facilement, que de ne se plus suffire et de n'tre que partie d'un tout,
alors qu'autrefois par son gnie national
ne songe pas sacrifier ici une doctrine inhumaine. Je sais qu'on ne peut pas rester seul en Europe, ou si l'on se croit assez fort pour y tre seul on n'y fait que des folies. Les aventures de Louis XIV, de Bonaparte, de Guillaume II marquent chaque sicle d'une preuve qui devrait
tre dcisive, et
amener
que jusqu'ici elles n'ont su s'imposer entre elles que par la violence.
cette galit
MESURE DE LA FRANCE
41
L'Angleterre qui par sa situation exceptionnelle s'est trouve toujours au point d'quilibre, n'a jamais pu triompher d'un
ennemi europen qu'en s'amalgamant une nombreuse coalition. Il y a l une loi qui rgit l'organisme europen. Il y a donc quelque chose de fort normal dans cette mise en commun que nous avons faite de notre responsabilit. Mais il se glisse, dans
toute institution collective,
en grande hte. Aucun des membres d'une coalition, ou d'une majorit de peuples ne doit se vanter des rsultats obtenus par la force. D'abord parce qu'il risque de faire un calcul intress qui peut l'induire en erreur sur sa propre valeur, ensuite parce qu'il y a quelque chose de monstrueux et d'inhumain dans la victoire du plus grand nombre. Le plus gros suffrage des nations ne vaut pas plus en son principe que celui des citoyens jets ple-mle dans une urne. Nous sentions cela en 1814 et en 1815.
42
RE DE 1
1 1
'
N'oublions pas t inc fois que si nous avions fait tout notre devoir de grande nation nous n'aurions d qu'a nous-mern le rsultat de novembre 1918 et que dans ce cas seulement la victoire et t la pleine mesure de notre valeur. En no mlant aux autres nous avons t les initiateurs d'une grande confusion. L encore fait foi la plus vieille exprience humaine et nous pourrions relire l'Iliade.
tumulte universel o nous tions engags, par infatuation bien moins que par manque d'attention, nous n'avons pas su valuer l'importance du rle qui nous tait mesur ni en percevoir le sens exact. Nous avons cru que notre
Enfin,
dans
le
vieille querelle
avec
la
Germanie
tait le
Nous avons
confirms dans cette illusion par le ironiquement trompeur, fait trompeur, que notre pays a t le principal champ de bataille. Mais nous aurions d, de bonne heure, pour viter d'autres bvues, nous rendre
MESURE DE LA FRANCE
compte
partie
qu'il n'en tait rien et
43
que
si
la
jouer
restait
jusqu' la fin de premier plan, cela tait d, en dehors de la survivance de nos aptitudes militaires et de nos vertus civiques, quelque chose d'accidentel, notre situation gographique, beaucoup plus qu' la ncessit de notre personnage dans
la
France,
Grande Guerre clate non moins violente, non moins inexpiable, parce que demeure le principal antagonisme,
que
la
celui de l'Allemagne et
de l'Angleterre. La guerre de 1870 tait bien une affaire prive entre la France et l'Allemagne. Mais depuis 1900, il s'agissait d'autre chose. L'Allemagne, cause du dveloppement de sa puissance, regardait pardessus la France. Elle tendait la domination mondiale, non point tant par excs d'ambition que pour cder aux ncessits modernes qui font qu'aujourd'hui une politique est mondiale ou n'est pas. L're des grands empires (ou des grandes al-
44
M ESU
K E
I)
1.
LA
R A
liancvs, et
nous vcrror
tirer
cl
parti
que QO
i
pouvons
ouverte.
ttc
alternative)
venir ce
er
europens.
En premier
lieu
France, cause du voisinage, puis l'Angleterre, qui dtenait encore une va>
autorit.
dans
serait
le
champ
la
d'action
et
ce
alors
conflits
grandioses
avec
l'Amrique, avec
Nous
et
des victimes
comme
premiers en
les
date, mais
plus
grands.
L'Allemagne aspirant un largissement mondial ne portait en elle d'hostilit vritable que contre les puissances qui occupaient la largeur du monde, mais
dsirant
dtruire
des
flottes,
conqurir
lati-
MESURE DE LA FRANCE
45
qui ne devait servir rien, semblait-il, puisque la nation qui la formait de sa moelle ne la nourrissait plus d'assez de sang ni d'assez d'ambition.
formidable.
Arme
qu' cause d'une tradition troite et borne par un seul poteau-frontire, pour reprendre une querelle de mur mitoyen. N'ayant pas une
l
que
l'Al-
sace-Lorraine
et
le
la
Droulde que
extnu enrichir, ct des puissants mobiles de Louis XIV, de la Convention ?), cette arme qui n'tait pas commande par une ide gnrale s'est enrle tout naturellement sous les bannires trangres. Elle a sauv un empire branlant, elle s'est dvoue la police d'un continent et depuis 1914 jusqu' 192... s'est offerte aux plus mauvais coups. Non, sur la Marne il ne s'agissait pas de la reprise de l'Alsace-Lorraine ou de la perte de la Champagne, mais du sort
RE Dl
i<
a \
de Vbgmomt tnginitf L'Angleterre, ncn nace de toutes parts par les puissances nouvelles Ktats-l.'nis, Japon, Russie, cdcrait-elle la premire attaque, a la moins terrible peut-tre, a eelle de l'Ai
:
:
magne,
et
la
seule
nation
europenne qui
prudence, nous d'un coup y jetions tout notre poids, parce que nous nous sentions vous aux gestes extrmes et la merci du premier accrochage. Pour complter le systme de ces considrations qui ont diminu dans l'esprit des hommes la porte de notre intervention, on en vient cette dernire qui est principale. Quelque faibles que dussent tre les consquences lointaines de nos coups, nous aurions pu compter au moins sur leur effet immdiat. Mais il n'en a rien t. Nos coups, avec quelle audace et quelle ardeur qu'ils soient ports, le sont d'une main nerve o
MESURE DE LA FRANCE
arrive
l'influx
47
d'une
volont
qui
n'est
plus,
de
belle jeu-
harmonie avec celle des Dieux. Au premier heurt, emports par un mouvement mal calcul, nous allons terre. Charleroi. Nous nous reprenons, parade, riposte. Mais notre courte force s'chappe dans ce second effort et comme il n'est pas suffisant et n'assomme point l'ennemi, nous roulons ple-mle avec lui, dans la boue de nos campagnes dfonces, dans une confusion durable. Pour renouveler et prolonger notre effort, il nous fallut le renforcer de celui de beaucoup de compagnons, en sorte que ceux qui nous devaient le plus cause de ce premier effort qui les avait sauvs, ne virent plus que le secours qu'ils nous apportaient leur tour et
nesse, en
s'autorisrent l'ingratitude.
que nous avons prise dans cette guerre par la tte et par le poing, nous ne pouvons dire que c'est nous qui avons vaincu l'Allemagne. Ds lors ne pouvant jeter
4-S
MESURE DE
LA
FRANCE
compt dans la balance du jugement du monde, nous retombons une mesure fort mcette affirmation qui seule aurait
diocre.
la
foule
et la vic-
chappe
facile-
ment une emprise aussi maladroite. Dus par cet vnement o nous avions mis tout nous-mme et d'o nous esprions, en le menant bien, tirer des compensations, des rcompenses infinies, en
ouvrant
les
IV
LA FRANCE AU MILIEU DU
MONDE
La
champ
politique
la
mme
m'est
impossible, cause
des faibles
investigation,
en rapprochant les morceaux qui flottent devant mes yeux. Aurais-je une vue du monde plus complte et mieux jointe si je passais ma
par
la raison
vie
cette
?
tude,
si
j'tais
diplomate,
politicien
s'emboteraient
les
unes
dans
les
autres.
50
\i
ES
I.
L A
K A N
Pendant la guerre, moi qui d un ho: qu'un homme de tudes, et qui aie pour connatre la vie d'autres voies que celles de l'action, on m'a jet dans l'anne. On a tait de moi
1<
,
un
fantassin,
la
un
terrassier.
:
besogne emma portait tout, et l o il y a des homm un pote peut toujours vivre. J'en veux tout de mme la dmocratie d'avoir pendant quatre ans flagell ma fantaisie. Et encore j'avais le got de la politique,
rechign
ce qui devait
Je n'ai jeunesse
pas
me
consoler d'plucher
les
pommes
de terre, mais j'ai connu des potes plus purs que moi qui ont manqu mourir d'ennui. On m'a jet dans la confusion. Il faut
que que
moi.
je
je
m'y
dbrouille,
il
J'essaie
de situer
les
la
France au milieu
plantaire,
voici
monde
faut
que
MESURE DE LA FRANCE
l'avenir de ce qui m'est cher
:
51
un
certain
idal
de
la
dans
Je mets la main d'abord sur des nombres bruts, des touffes arraches au tuf
dmler les dlicates ralits qui se dissimulent dans ces arabesques imposantes comme les symboles
Il
humain.
va
falloir
Enormes, crasants,
chiffres
:
les
groupes de neuf
Etats-Unis
10 millions
remarquera plus tard que c'est aux alentours de la premire (j'ai tout de mme envie de rayer ce mot, o il y a une audace macabre et dsespre) guerre mondiale que ces gros corps se sont dtachs sur la
plante et qu'autour d'eux tout s'est rapetiss
On
ou
effac.
52
ME8TJ
Qlielle8
R E
LA
R A \ C R
modestes proportions prend ma patrie, accroche l'extrmit d'un continent, entre ces monstres qui semblent attendre quelque dluge. li elle garde des proportions classiques. Je pense l'Attique qu'un homme parcourait pied en un jour. Je puis monter dans le train Calais le soir et me rveiller le lendemain matin Marseille. Il est vrai que nous nous augmentons de tous ceux-l, noirs et jaunes, qui se groupent autour de nous. Ce second empire colonial du monde, mes garons, o on ne voit pas souvent le bout de notre
!
nez.
Nous
gros,
arrivons
la
.
tte
?
quelques
80 millions
73 millions 63 millions (4 Autriche
?)
40 millions
la
plus fausse
de
MESURE DE LA FRANCE
porains,
si
53
prsomptions qui se forment de ce premier coup d'il. Selon la conception europenne qui l'emporte partout sur la plante humaine, en appliquant le critre de la force, de la puissance effective, on doit liminer de ce premier rang des masses entires qui ne sont que des fictions. La plupart de ces
les
on acceptait
Or
avant
avec l'Europe ils avaient puis le principe de leur propre civilisation. Cette premire faiblesse s'est double d'une seconde faiblesse. Ce n'est pas sans de terribles pertes physiques et morales, sans d'affreux troubles intellectuels, qu'ils s'adaptent par des moyens
leur
contact
force
on doit admettre que pour le moment ne comptent gure les deux tiers des habitants du globe,
54
M E8
R E
DE LA PRA
N C
millions
Il
d'Asiatiqu
tfricai
faut ajouter
une Bagease les activits humaines d'aprs leurs rsultats spirituels, est la mme. Si on peut craindre que le gnie europen ne soit sur le point de se laisser dborder par cette bizarre mystique du ralisme qui est l'exagration de son penchant l'activit concrte, on doit constater que l'Inde ou la Chine semblent bien taries et que les renaissances actuelles sont illusoires et commandes par les ides europennes mmes auxquelles elles s'opposent. Tagore estil plus qu'un habile et heureux crivain rgionaliste
?
que
od
portance tragique de ce rveil de l'Orient qui fascine Allemands et Russes. Mais sera-ce autre chose que la formidable meute d'une humanit qui a perdu le sens de sa destine, qui est dvie irrmdiablement par l'exemple europen, et qui veut se dbarrasser de ses oppresseurs pour ne rien faire d'autre que d'accomplir soi-mme dans les pires conditions
MESURE DE LA FRAN'CE
ce
55
de l'Orient et celui de l'Occident qu'elle reproche l'Europe de manigancer hypocritement ou d'imposer par violence goste ? Un Gandhi lance contre la chimre du lucre europen, contre notre cauchemar mcanique, un anathme que et l sur la terre des hommes rflchis mditent dj Mais sera-t-il depuis quelque temps. cout par les siens qui ne veulent se dbarrasser des Anglais que pour se mieux adonner la vanit de l'imitation ? et luimme ne se relche-t-il pas dj, n'est-il pas forc, par la fatalit d'un engrenage o il faudra bien que passe toute l'humanit, temprer le refus absolu qu'il oppose la tentation europenne ? mouvante revendication de Cette l'Orient contre les excs de la concupiscence occidentale, on en a rv en Allemagne. Je crains bien que cela ne doive dchoir promptement un truc de propagande, que cela ne se rduise un levain lectoral pour fomenter les plus rcentes
l'idal
compromis entre
dmocraties.
M
Mais
je
R E
DE
I.
puis
pousser
plus
loin
observations sur cette figure de l'humanit que j'ai 'race au tableau noir. Elle
est
modernes
et suscitent
imprialismes.
Cette faon de juger les ralits humaines au poids, la tonne, d'valuer la dof
d'nergie monnayable, c'est l'Angleterre
(par la force des choses, et quelle magnifique compensation spirituelle elle donnait
au
crant
la
pennes)
invente
et
rpandue
universellement.
Or je m'aperois qu'ayant soustrait de mes tables de valeur l'Asie, j'ai par l considrablement allg le nombre britannique.
Il
de plus prs.
mieux encore qu'avant cette guerre qui fut leur guerre, on peut dire que les Anglo-Saxons tiennent le monde. Sans ses colonies, ses dominions
l'heure actuelle,
et
l'Irlande,
la
Grande-Bretagne
n'est
MESURE DE LA FRANCE
pas,
57
peu de choses prs, une plus grosse nation que la France. Mais pendant cent ans elle a jet gnreusement des hommes
dans
tous les coins de l'univers, et
ce
qu'elle a
grandes
sur
sem
De
l'ordonnance et la solidit ne sont-elles pas factices ? tout un pan de cette faade qui couvre le monde n'est-il pas prs de s'crouler? Une de ces deux puissances anglosaxonnes, celle qui a donn le jour l'autre, qui apparemment est encore en tte et dpasse son mule par l'immensit des territoires et le nombre des sujets, l'Angleterre, n'est-elle pas sous le coup d'une menace qui dpasse de beaucoup ce que nous, peuple strile et mesquin, pouvons craindre ne risque-t-elle pas de perdre ses colonies par la rvolte, ses dominions par le mouvement naturel de l'ingratitude, son industrie par la disparition de ses privilges et de ses monopoles, sa puissance financire par la mitous les rivages,
;
5S
M E8U RE
f)
LA
FH A \
gration de l'or et
ch, sa solidit
de ses masses sans travail et l'humiliation de ses lites ? Il y a dans notre voisinage, dans notre compagnonnage, une grande destine dont le magnifique balancement sculaire commence de diminuer selon la loi, peine a-t-il atteint son plus haut priode. Il peut y avoir peut-tre des amitis entre les peuples comme entre les individus. Une certaine angoisse anglaise vient doubler
mon
sentiments se fondent dans une grande sollicitude humaine, ou plus strictement europenne. Car enfin si la fatalit de sa carrire a cart la Grande-Bretagne de l'Europe, il serait fou de mettre en doute qu'elle lui appartient par tout ce qu'elle en a reu et tout ce qu'elle lui a rendu spirituellement. Je m'inquite donc de tout ce qui peut branler la grandeur britannique puisque je crois la ncessit de l'Entente sur quoi repose le salut de
l'Occident.
MESURE DE LA FRANCE
Je songe que
si
59
dfense immdiate de Londres est entre Strasbourg et Anvers, le point sensible de Tordre mondial est aux Indes, et que si les Anglais doila
vent abandonner le Gange, eux et nous devrons fournir un effort surhumain pour
(tenir
au cas o l'Angleterre ce que la France doit souparhaiter plus que tout au monde viendrait maintenir sa position providentielle de tutrice des races, elle pourrait tre atteinte dans sa position mtropolitaine. Que deviendra alors son empire, frre an du ntre, pierre de touche de Tordre europen dans le monde ? Est-ce qu'elle pourra dominer la prsente crise ? renouveler les assises de sa prosprit, limiter la part de ses adversaires, surtout renoncer au privilge de nourrir et de gaver la
sur
le
Rhin.
Mme
plus
cratie
somptueuse
et
?
la
bien sera-t-elle dborde et formera-t-elle, dbarrasse de ses possessions exotiques, un nouvel empire angevin avec la France, demiagricole,
du monde
Ou
demi-militaire,
press
sur
le
6o
MESU
R E
DE LA
F R A N C E
reflux asiatique?
main
l'Amripi
que.
Le
l'inciter
temps, entre les mains du nouveau champion les destines difficiles de tout l'ancien Empire Britannique qui n'exigent
rien
moins pour
de
la
tre assures
que
des
cette
alliance
que
la robustesse juvnile
Unis.
Ce
vnements,
veuillent
En
attendant, qu'elles
le
ou
non, la France et l'Angleterre sont lies par leur affaiblissement simultan. Ne pouvant plus esprer une plus grande puissance que celle qu'elle connat, aucune des deux ne peut craindre de porter par son aide un point dangereux la puissance de l'autre. Tandis qu'un rapprochement avec l'Allemagne ne prsenterait pas la mme scurit, bien que ce peuple, comme tous les autres peuples europens, ait perdu beaucoup de sa vigueur.
MESURE DE LA FRANCE
Mais
il
61
reprendre cette enqute sur l'tat dernier des valeurs humaines. La plus grande incertitude qui se dresse au milieu du monde n'est-ce pas les EtatsUnis ? Pour la premire fois on voit un empire qui soit l'abri de cet inconvnient capital qui jusqu'ici a perdu tous les empires. Les Etats-Unis n'ont pas de voisin. Remplissant tout l'espace entre les deux Ocans, confinant au Nord et au Sud avec des peuples peu nombreux perdus dans leurs propres immensits, ils sont mieux isols du monde que l'Egypte anfaut
tique.
Pourtant chaque jour les distances s':ourtent et le rseau conomique enserre dIus troitement tous les hommes. Les Etats-Unis sont l debout avec leur stature gigantesque, incertains. Le jour approche o ils vont s'interroger sur leur
destine.
tt
La Terre semble
les
favoriser
leur jeter
qu'elle
62
M ESC
Une
Ri;
I)
I.
LA
K.\ N
devant le formidable aveni amricain, une question qui enveloppe e rsorbe toutes les autres. Pour le moment je vois seulement ceci l'Amrique s'est leve et toute l'chell des grandeurs politiques est refaire L'intrusion dans l'activit mondiale, qu tait tout abandonne l'Europe et se entreprises mesures, d'un Empire auss formidable par le nombre et l'nergie dont le territoire est l'abri de tout insu'te et comme retranch sur une autr plante, cela en brise le rythme. Il nou faudra du temps pour nous mettre ai
se pose
France
point.
l'Amrique n'est pa une exception. Voil que de l'autre ct du monde s'agite dans la fureur d'un naissance d'Hercule, la Russie nouvelle l'autre puissance de demain. Peuples d'Eu rope rduits et extnus, nous sommes entr ces deux masses Amrique et Russie ces deux moitis immenses d'un hori
n'est pas tout
:
Ce
MESURE DE LA FRANCE
zon
N'est-ce pas
la
63
rponse
sensible
la
prsentement de la destine humaine ? Mais cette question les peuples amricains la posent, si riches de moyens matriels et spirituels, mais si dnus de
principes.
Peut-tre
le
sonnes obscures, ces deux demi-churs qui entament dj, sans que les oreilles humaines le peroivent, un chant interrogateur et anxieux, ne pourra-t-il se dnouer sans que l'Europe qui va se replier dans une pnible et confuse gestation, intervienne,
immuable
protagoniste.
Avant d'couter cette question, retournons-nous donc vers cette Europe resserre.
L'ancien continent se divise en quatre parties, en quatre zones de l'Ouest l'Est L'Entente de l'Occident (France,
:
la
Germanie
;
mutile
la petite
dentaux
et
&j
M ESU
R E
LA FRANC
Le
jours,
se
La
est
un point
runit
d'quilibre.
les
tripte
communauts, mais n'est pas assez puissante pour runir toutes les cits en une cit, combattue qu'elle est
entreprises, les
par la force centrifuge qui dissout empires, fomente les particularismes, suscite les individus et les rebellions non
I
moins saintes aue les obissances. Mais si l're des Patries n'est pas
l're
close,
des Alliances est ouverte. L'Europe, place entre des Empires aux
continentales,
divise
dimensions
souffrir
commence
d'tre
entre
vingt-cinq
Etats, dont
tous les
ment dans
concurrence disproportionne qui s'ouvre entre d'normes morceaux d'Asie et d'Amrique. A peine vient-elle
MESURE DE LA FRANCE
65
Et c'est ainsi qu'on voit s'baucher ces personnes plus vastes, ces Alliances qui demain auront une physionomie propre comme les patries au-dessus desquelles elles s'lveront, et dont elles mleront les traits. Chacune de ces personnes aura sa responsabilit dans le nouveau conseil europen. Peut-tre par la pratique de la fdration, nous parviendrons voquer l'me dfunte de la patrie europenne, et retrouver la filiation de l'Europe chrtienne du xm e sicle, de la
la travaille.
socit
aristocratique
et intellectuelle
du
xvm
Il
sicle.
pas l d'une rverie cosmopolite, d'une imagination de luxe, mais d'une ncessit pressante, d'une misrable question de vie ou de mort. L'Europe se fdrera ou elle se dvorera, ou elle sera dvore. Et les gnrations de la guerre, qui ne semblent pas en prendre le chemin, feront cela ou bien il sera trop tard.
s'agit
5
ne
66
MESURE DE
destine
il
LA
FRANCE
instant but
de
l'Angleterre
dans
l'En-
tente,
me
de ces fraternits d'Europe, et aux difficults que les autres rencontreront p faire leur devoir, avant d'aborder celles qui paraissent prtes nous accabli r
nous-mmes.
Ils
la
Yougo-Slavie,
Noire,
la
Tchco-Slovaquie,
la
la la
Baltique et
part
Mer
Roumanie d'une
construction europenne
plastique aux
comme une
toute
la
matire
proprits incondlier
nues. Elle
peut
lier
ou
maonnerie.
manie, la Russie, l'Islam, et qui sont mls ces peuples vous par leur isolement l'aventure Bulgares et Hongrois, est videmment de faire tte de toutes
:
MESURE DE LA FRANCE
parts,
67
nation
europenne
et
et
cde
la
une mons-
trueuse
nir orientale,
ou tout au moins
de jouer
avec
la redoules
table chimre
forces
de l'Orient sans craindre d'tre dbordes par elles. Mais c'est l une mission de fortune, un pis-aller ce n'est pas dans cette fonction ngative que ces peuples peuvent trouver leur accomplissement. En
;
par
de
l'amiti,
ils
peuvent introduire dans cette Europe centrale o a rgn si longtemps la conception impriale de l'hgmonie par la force, des habitudes de libert qui peuvent peu peu amadouer la mfiance germanique veille par Ina et 1918. La Petite Entente peut propager dans les parties les plus confuses et les plus rudes de l'Europe, des
murs
la
en dpit de
malveillance de l'poque.
68
MESURE DE
Les passionnes de mfiance nie condamnent ils me montrent l'Allemagne bute, raidie, ferme toute autre ide que celle
;
de revanche et de suprmatie. L'Allemagne sort de cette guerre amre et incrdule, indigne et malintentionne comme nous, comme toutes les nations. Ce qui
est
Allemand
qui est
ont t
diminu comme tout ce Europen. Son fort et son faible violemment dcouverts. Son hisest
de grandes choses inacheves, de trous, de malheurs, de maladresses, semble encore une fois tourner court. La fortune d'aucun tat continental ne peut
toire pleine
prsenter
qu'offre
cette
cette
continuit
indiffrente
une Angleterre
:
insulaire.
Mais
dception allemande est par trop forte perdre en mme temps une dynastie et un idal nouveaux auquels on avait sacrifi tant de certitudes prouves. L'Allemagne pourra-t-elle se dominer ? saura-t-elle patienter jusqu'au jour d'apaisement o un examen de condernire
science sera possible et efficace
?
Elle est
la lutte, et
de
la
MESURE DE LA FRANCE
69
grande passion qui s'est empare d'elle il y a cinquante ans. Grce des circonstances matrielles, parce que nous ne possdions pas les grossiers talismans, charbon, fer, ptrole, les maximes antiques ont prolong chez nous plus que chez d'autres leur influence
modratrice.
Nous sommes
rests l'abri
de la fureur moderne. Mais il faut que nous comprenions cette fureur. Du reste la voici qui nous saisit. C'est elle qui dvore l'Allemagne. Aprs l'Amrique et l'Angleterre, l'Allemagne est le peuple le plus engag dans l'aventure industrielle qui affole peu peu toute l'humanit produire, produire n'importe quoi, (et jouir n'importe comment, aux moments perdus). L'Amrique et l'Angleterre sont en pleine mer. Elles ont pu dverser leur
:
frnsie
sur
ou des
peuples faibles. Mais l'Allemagne est en pleine terre, en pleine Europe. Elle a ses voisins. A nous de lui faire comprendre (comme on nous l'a fait comprendre par deux fois en la personne de
7o
M EBU
i:
l) i:
LA FRAN
polon,
la
Louis
l'avons
XIV
fait
et
me
comprendre
la
maison d'Aupar
la
triche),
par
violence
la
d'abord,
n'est
et
douceur
est
et l'habilit ensuite,
vie
que l'Europe
possible
un continent o
de pratiquer
la
Ce devoir incombe
France
depuis les plus obscurs dbuts de l'histoire europenne, depuis Bouvines, depuis Tolbiac, depuis le long dbat entre le
Saint
et le
insoumis au spirituel comme au temporel. Pour se faciliter ce devoir que lui recommandent la prudence, l'intrt, la charit, la France doit beaucoup imputer des carts de l'Allemagne, la force de perversion et de drglement qui prend sa source dans les douleurs de l'enfantement conomique. Nous avons eu Bonaparte, les Allemands ont
Royaume
Stinnes.
Hier au soir elle avait encore Ludendorf, ce matin on peut s'apercevoir que nous nous hallucinons sur notre arme.
MESURE DE LA FRANCE
Nous nous
71
risme qui est la plus sournoise des perversions modernes. Sous une apparence de vieille passion suranne, elle s'attaque aux esprits qui, sduits par le prestige de la fidlit, pensent tre le plus solidement attachs une antique discipline \ Et
peu peu
elle
les aiguillonne
dans une voie o, le plus inconsciemment du monde, mais avec une rage incroyable,
ils
Quel spectacle peut mieux confondre l'esprit, par la malignit de la mtamorphose, que celui que donne un aristocrate comme M. de Castelnau lorsque dans un parlement il rclame toute la jeunesse de son pays pour la rejeter six mois de plus dans ces casernes dmocratiques o il ne
lui est plus naturigoureuses, parce qu'il est la seule mesure radicale qui soit leur porte, le militarisme sduit les enfants ingrats de la dmocratie, les dictateurs dmagogues, (cf. Commune
1.
relle,
de 1871, Bolchvisme).
HJB
LA
FRANC
peut ignorer que le culte de la guerre, mi-paen mi-chrtien dont il a garde la noble tradition, est fauss par l'automatisme.
Mais
obscurment qu'ils sont incapables d'ouvrir les yeux sur leur mal et de le dbrider par une opration qui serait une preuve de lucidit et d'hrosme inconnue de l'Histoire, rsigns aux demi-mesures, ils prfrent ne pas regarder plus loin que le bout de leur nez. Renonant renouveler
la
source de
la
la
force,
ils
s'attachent
et dj
cette figure
:
de
force
phmre
prime une arme, un chiquier de chair dont on pousse les pions selon un plan sans avenir, dans ce temps de transformations incessantes et catastrophiques, o une faune de canons-gants grouille dans le cerveau des ingnieurs, une ornithologie fantastique dgringole de l'Olympe avec les foudres de Jupin, tandis que des marmites des sorciers enchans
MESURE DE LA FRANCE
la
73
gaz pires que toutes les misres humaines. Voil comment nous, Franais, nous cdons aux erreurs de l'poque. Et maintenant, c'est vers les
Allemands
qu'il faut
nous tourner pour leur demander de nous rendre l'indulgence dont nous aurons fait preuve l'gard de leur arrivisme la moderne et de comprendre quelle inquitude gurissable nous attache cette arme, ce bouclier qui, dans le dsordre universel, cause de notre fragilit mme, nous parat le seul gage de paix.
C'est ainsi qu'on voit baucher et
se
correspondre les devoirs complexes et difficiles dans l'exercice desquels il faudra bien que se forment les quatre ou cinq personnes morales o se ramasseront peu peu les reflets d'une Europe unique. Aux uns, ceux qui ne croient plus l'existence de quelque chose de commun entre les hommes et qui se rsignent n'avoir plus de communication avec la voix de l'espce, avec la Raison que par
74
MES1
R E
FRANC
le
le
seul gnie
Ul
'le
une
grande panique s'est abattue sur les peuples et ils se craignent les uns autres, chacun sentant dans son cur qu'il n'y a rien de sr que Tgosme dans le cur de l'autre. Il y a la mme tragdie hve et hallucine dans la politique que dans
I
murs.
Aux
autres, ces
dmarches ttonnantes,
coupes de soubresauts et de frmissements, vers les voies abandonnes de la prudence, paratront trop timides. Peu importe. J'ai voulu me dcharger de mon souci et tracer de mon pays une
figure plus
du monde qui
Je jette alternativement mon regard perplexe sur cette France qui m'est naturelle-
ment chre
et
MESURE DE LA FRANCE
75
Les nations ont une me. Quand je pense la France, je me reprsente une volupt saine qui se dtache peine de l'instinct de reproduction, qui en est le prolongement. Cette volupt est une force en exercice, elle n'est pas encore
dvore par
tant
elle
la strilit
vers
gare l'homme.
corps et l'pure
comme une
me
Germains
appvivre
seule-
encore lourds de cder tard des tits lmentaires. Ses raisons de sont encore spirituelles, c'est d'hier ment qu'elle songe compter les
tages matriels.
avan-
Telles
sont
les
deux
:
faces
de cette
la
valeur franaise.
D'un
ct les chiffres
pons et trompons volontiers les autres. (Depuis Trafalgar, Fashoda, Washington, nous ne sommes plus une puissance mondiale de tout premier plan. D'abord parce que le monde est occup par les Anglo-
76
MESURE DE
et
LA
FRANCE
sommes
phii
le
Europens
que l'Europe
De
l'autre cot
le
un visage humain, ou
les
gardent
mieux
traits
d'une beaut
d'une force vritable. A ceux qui font le procs de la France, on ne peut laisser croire qu'ils font seulement le procs de la faiblesse. Dans sa ngligence suivre ses rivaux, il y a eu autre chose que de la paresse, il y a eu de
ternelle,
la
mfiance,
un
recul instinctif.
Ce long
attentat
contre l'instinct
nous avons fait d'une demi-strilit dans l'ordre de la chair, cela ne se prte pas un jugement sommaire. La raison s'offre nous justifier, elle qui tour tour redresse la nature ou menace la vie. Peut-on sans
France, qui n'a pas fourni il y a si longtemps le formidable effort de la Rvolution et de la Construction Impriale, de n'avoir pas fait autant d'enfants que l'Allemagne, qui a eu tant de peine se remettre de la guerre de
rserves reprocher
la
MESURE DE LA FRANCE
77
Trente Ans. Je dois admettre que les peuples sont conscients puisque je les tiens pour responsables. Je pourrais donc dire que nous nous sommes arrts par sagesse sur la voie d'une folle concurrence on ne peut pas multiplier l'Europen comme l'Oriental. Nous ne sommes pas des coolies. On ne peut pas produire ind:
passer et
l'Amrique, l'Allemagne sont atteintes. Elles doivent traiter avec mnagement une ncessit physique qu'elles connaissent dj. Ne pourrait-on soutenir avec des arguments, que les malthusiens qui ne sont pas tous des tmraires ont eu le mrite de mettre au jour, qu'il fallait marquer une solution de continuit ds la fin du XIX e sicle, empcher le pullulement de l'Europe ? Ce n'est pas sur ce terrain seulement
sont
rests.
78
MESURE DE
la
LA FRANC!
France doit donner l'exemple audacieux et dangereux de la mesure. Il faut en venir la question qui demain va assaillir l'esprit de toutes les patn
que
MODERNE
Les
patries sont
sorties
de
la
guerre
couvertes
sit
impure, par le profit. Mais que leurs faces sont mouvantes, macies par le sacrifice de leurs enfants. Elles sont aimes d'un amour exaspr. En ce temps-ci toutes les tendances sont pousses l'extrme et raffines par la
conscience. Notre sensibilit patriotique
est inoue.
de sentiment religieux qui ne trouve plus sa voie ancienne. Ses racines avares sollicitent toutes les parties de notre esprit.
reste
8o
MESURE DE
LA FRAI
Mais c'est la grande hallucination des temps moderm Quoi de plus pathtique, de plus fantastique que ces peuples autrefois egar
depuis un sicle, se cherchent, rassemblent comme dans des limbes, s'illuminent de la dcouverte de leur gn se perdent encore, se retrouvent, puis s'emplissent de plus en plus du pieux amour d'eux-mmes. Bientt ils ne rsistent plus au sentiment et l'ide. Gonfle d'un murmure de potes, de chanteurs, la foule s'lance et gnuflchit dans l'hcatombe des meutes. Les soldats jurent, frappent, rpriment cette faible indignation. Alors les armes rebelles se forgent comme des mes. Enfin le jour de dlivrance est arriv. Il y a eu dans toute l'Europe une rsurrection de la chair des nations. Et cette bonne nouvelle se propage maintenant en Asie, en Afrique. Mystrieuse reviviscence
qui,
des formes.
Ni
les
MESURE DE LA FRANCE
81
ments d'amour. Il en est de plus vastes encore. Et nous ne les ignorons, non plus,
car tous les penchants de l'amour se suc-
uns aux autres. L'amour des patries a cette premire et vridique sduction, il est charnel. On aime des tres et des choses qu'on connat, qu'on voit avec
cdent
les
ses yeux.
Mais comment l'homme qui peut fournir aux plus hautes exigences de l'esprit, nourrira-t-il une telle passion ? Dans ce
dernier quart de sicle, certains ont assouvi
par elle de puissants et nobles dsirs, d'Annunzio, Kipling, Barrs * sont pour les patries des amants lgendaires. Ils ont bien fait, ils ne pouvaient faire autrement. On adore la merveille humaine en rservant un soin idoltre une de ses multiples figures. Chacune est assez tonnante pour qu'on s'y complaise et qu'on la prfre avec emportement. Mais ceux-l mme qui ont tant aim leui patrie et qui
i. a
choisies,
Et par les voies plus secrtes qu'Andr Gide de dlicates preuves de cette dilection
MESURE
LA
B A
N C B
ont dcouvert dea ressources de cet amour inconnues tics sicles prcdents, QOl
qui, tre bi
Q-
dpasse
l'exemple
qu'on
d'abord vu. En effet, aucun ne s'en e tenu cet amour singulier, ou il ne Ta pouss si loin qu'aprs avoir exerc son cur sur des objets concurrents, et nourri son esprit de leur substance diffrente. C'est ainsi que Goethe, Schopenhauer, Nietzsche, Michelet, Renan, Taine, ont aim complexement la France et l'Alle-
et
d'Annunzio
de plus d'un aspect mditerranen, que Kipling a trouv dans l'immensit de son Empire la possibilit de satisfaire un gnie vorace et de ddier une
tendresse
l'Inde.
ambigu
dit
l'Angleterre
et
Et l'on a
patrie
est
!
Non
son indispensable attachement au concret, ce concret sur quoi il se jette voluptueusement, qu'il aime tant qu'il le sublime, et en tire cette goutte d'essence
MESURE DE LA FRANCE
Thumain qui parfume notre
mais
il
83
petite bulle
Nous sentons
la
aventure terrestre quand nous voyons cette mme ncessit qui rapproche et oppose tour tour les protagonistes. Par leurs dmarches libres, les grands hommes achvent dans les hautes rgions les harmonies qui s'laborent perptuellement entre les matres-peuples. Nous les
imiterons prudemment.
mieux, pour ne pas porter des jugements de valeur. Il y en a toujours de par le monde quelques-uns
trop
le
Nous aimons
le
point sensible, o se
la
responsabilit
A certains
peuple le plus valeureux ne doit pas rclamer la plus lourde charge. Il y a des moments de repliement, non pas de repos. Aujourd'hui, nous, Franais, avons plus faire avec nous-mmes qu'avec les autres.
le
moments
84
MESUR
plus
LA
i<
A N C E
grand ennemi est en nousmmes. Il faut que noua nous tournions vers la mort qui est entre en nous. Mais en nous enfonant ainsi en nousmmes nous atteignons un mal, un pril qui est plus profond que nous-mmes, qui est humain nous mettons la main sur ce
;
Notre
les
hommes
la vita-
Ce
lit
hommes
qu'elle a
mise au jour. Ils sont plus forts que les vnements, et alors qu'elle flchit, leur esprit tincelle encore au front de leur mre. Ils peuvent toujours, dans un acte surhumain, ressaisir ou rsumer tout l'effort de leur race. Les jeunes Franais doivent tre de
tels stoques.
un excs de
la
civili-
chologique,
le
tarissement de
leur
volont
effet
cratrice,
la
de
MESURE DE LA FRANCE
trouveront deux moyens pour sa pleine mesure.
lui
85
redonner
renonce un clat solitaire et s'amalgame aux nouvelles constellations qui se brassent en Europe, qui sont des promesses d'ordre dans le chaos et qui lui prodiguent la force mise en commun. D'autre part elle se recueille dans une mditation svre sur le sens de l'effort humain, dissipe les tentations phmres d'une prdominance par les armes et les outils, maintient sa tradition spirituelle, la renforce de toutes les tendances libratrices qui se font jour en Orient et ailleurs, enfin tourne sa langue dans sa bouche pour y former une parole humaine que les vnements rendent bien-
D'une part
elle
tt ncessaire et dcisive.
jeunes Franais, brls par les fournaises de la guerre, menacs de dprir dans l'troit cercle gographique de la France, peuvent se donner de l'air et largir leurs aspirations
C'est
ainsi
les
que
la limite
du monde.
effort, je
Par un dernier
voudrais aller
86
M E8U
R E
I)
LA
FRANC
jusqu' percevoir les lments de la discipline universelle quoi ils vont dlits de soumettre leur dvouement.
VI
LE CITOYEN DU
MONDE
EST INQUIET
Il
il
n'y
en a plus dans le monde. Il y a eu des partis au XIX e sicle, des personnes morales, qui portaient leur ncessit, leur originalit. Il n'y en a plus au XX e sicle. Il n'y a plus de conservateurs, de libraux, de radicaux, de socialistes. Il n'y a plus de conservateurs, parce
qu'il n'y a plus rien conserver. Religion,
incarnations
n'est
du principe
et
d'autorit,
ce
poudre. Rfugies dans les mots, leur domaine est aussi bien l'avenir que le pass elles ne peuvent chapper l'exil du souvenir que pour
;
que ruine
M E8
U R
!:
LA
F R A
NT
I.
connues jusqu'ici,
et
elles sont
sou-
mises ce froce
n'exister plus
ironiqu
atar
de
que par l'artifice du verl Dans leur dchance elles rejoignent leur ennemie la Rvolution abstraite, qui demeure entire et jamais vue quelque:
part.
Il
il
n'y a plus
de gens qui mnent une vie librale, gratuite. On ne trouve plus qu'une gne
intolrable cette posture qui tait avant-
hier
si
commode,
grce
au
revenu
de
quelques fermes ou d'une petite sincure. Chacun aujourd'hui est attach de force un groupe d'intrts conomiques qui impose son mot d'ordre. Il n'y a plus de radicaux parce qu'ils ont eu vite fait de voir le bout de leur bref
programme.
Il
n'y a jamais eu de chefs socialistes que des bourgeois et que tous les bourgeois
guerre sont en quelque manire socialistes, tandis que les chefs socialistes
depuis
la
MESURE DE LA FRANCE
geoisie.
Il
89
en Occident. Il faut pousser plus loin cette constatation. Il n'y a pas de classes. Il n'y a plus que des catgories conomiques, sans distinctions spirituelles, sans diffrences de murs. Les basses classes sont formes des mmes lments physiques, moraux, intellectuels, que les hautes classes. Les unes et les autres sont de plus en plus
interchangeables.
bnfices
Il
mo-
ou
salaires
qui ne pensent
qu' cela et qui ne discutent que cela. Ils sont tous sans passions, ils sont la proie de vices correspondants (alcool drogues,
union
libre et strile
homosexualit
courses et cinma en commun). Il n'y a pas moyen de prendre parti. Mais dbarrasse d'apparences uses, la vie n'en est que plus visible. Un courant
rapide. Tout^le
le
monde
est entran
dans
mme
sens.
9o
I.S
K E
I)
f.
FK
A N C B
Les capitaines d'industrie qui dirigent les dmocraties plus cm moins mdia ment, par les avocats d'affairt xpertfl
et les journalistes
;
les
dictateurs
commu-
de techniciens bourgeois sont les mmes ttes, sous des bonnets blancs ou rouges. Ils ont des degrs peu
nistes flanqus
distants la
de
la
Ils se satisfont
pseudo-scienti-
participent
du
mme
fait
ordre matriel,
sont soumis en
et
en esprit aux mmes fameuses conditions conomiques. Ils ne pensent qu' trafiquer de la mme denre qui est le travail, soit sous forme d'argent partag dans les Bourses et les Conseils d'Administration, soit sous forme de corves communistes ou militaristes manutentionnes dans les
usines et les casernes.
dans cet enfer incroyable, cette illusion norme, cet univers de camelote qui est le monde
se
satisfaits
Tous
promnent
spiri-
ne pntrera.
MESURE DE LA FRANCE
91
Assez de ce mensonge sur lequel on Lura pu vivre tout au plus pendant les dngt premires annes de ce sicle, assez le ce vieux petit jeu des tiquettes. Nous ous valons tous, nous sommes tous les nmes, tous actionnaires de la Socit noderne industrielle au capital de miliards en papier et de milliers d'heures de
ravail fastidieux et vain.
Que
ce soit
mme
le
chose, n'est-ce
e carton-pte
ou
fer-blanc.
Lnine dans son Kremlin songe-t-il ine autre affaire que celle qui occupe tinnes ou Schwab ? Le meilleur rendement.
machines tournent merveilleusement. Elles sont faites d'une maire authentique, de quel sublime acier. De la plus subtile et la plus harmonieuse :ombinaison dans leur esprit des atomes, es hommes forment leurs reines, ces marines, dont le rgne s'tend dfinitivement sur eux.
effet les
Et en
92
MESU
Au
milieu
R E
I)
LA
F R
des
ruines
morales,
intel-
de notre poque (et vraiment une informe ville moderne d'Allemag d'Amrique ou du Japon, fabrique avec de la ferraille, du ciment et du pltre m< parat une ruine aussi lamentable qu'une bourgade du nord de la France), seule II machine se dresse, seules ces mchoire* sont solides qui dvorent tout le reste Et le capitaliste aussi bien que l'ouviiei en est l'esclave. Alors l'intellectuel, entn
lectuelles
ces
connaissance, au culte de
sagesse.
Il
faut bien
comprendre
cette mutatior
des problmes. Il n'y a plus de partis dans les classes plus de classes dans les nations, et demair il n'y aura plus de nations, plus rien qu'une
immense chose
obscure,
inconsciente, uniforme
ei
MESURE DE LA FRANCE
uelle
les
93
vitaux de l'humanit
Il
/homme
dont l'esprit passe les distinctions qui ne sont plus ivantes, n'aperoit qu'un danger, mais il st immense, fait de tous les maux que eut engendrer la dcadence de toutes les arties de l'tre humain.
qui rflchit
et
Derrire
olitiques
toutes
ces
petites
questions
ou sociales qui tombent en datude, on voit apparatre une grande iterrogation sur les fondements de tout, e nos murs, de notre esprit, enfin de
otre
civilisation.
Ce
eine de mort.
Le temps
presse.
Notre plante, resserre dj par les dis, les ondes ariennes, se contracte
icore par
''est ici
l'effet
'est ici
que les Patries sont confrontes. qu'on doit attendre que leur gnie
<,4
ME8UB
DE LA FRAN
C B
moins Tune d'entre elle se lve et prononce la parole, qui rsoh l'nigme du moderne i et assure le sali
se rveille, qu'au
commun. En 1918, on
tait l'appele.
pu
croire
que
la
Russi
Ne
l'Europe d
un
vangile.
Non
pi
certes la formule de
ne rci'a pas un monde avec la parole d'un sei homme, moins de pouvoir la charge de toute-puissance mystique. Mais quelqu chose d'orignal, de neuf, d'imprvu. La race slave n'tait-elle pas la dernii ressource de jeunesse du monde ? C mythe de jeunesse, beaucoup d'entre nou
Marx.
On
fait
la
critiqu<
mme
la
jeunesse de
proltariats d'Occident
pens un instant que Russie allait s'opposer idalement dans monde l'Amrique, que tout de suite le
Pour moi
j'ai
MESURE DE LA FRANCE
formules
laient
95
scientifique
flot
al-
irrsistible
d'amour, de violence, de barbarie qui noierait l'Europe et dissoudrait le mercantilisme et le machinisme, tandis que ces formes rsisteraient et se fixeraient aux Etats-Unis. Dans ma tte encore abasourdie par les bombardements et influence par le voisinage dans les tranches
avec l'au-del, j'imaginais une opposition cosmogonique entre les deux continents
:
enchevtrement de l'conomie se dchirait et l'on revenait, comme dans une partie de la Russie actuelle, l'poque agricole et pastorale sur l'autre le machinisme se perfectionnait encore et une curieuse civilisation d'ingnieurs achevait de s'panouir. Entre ces deux barbaries, je ne regrettais pas la disparition de notre tradition languissante. Je ne crois pas qu'on doive tre trop ironique l'gard de ces hypothses extrmes. Quoi qu'il en soit, les vnements ont t retards et ont feint de prendre une autre ournure.
;
96
MESURE
On
s'est
LA
IKANCE
i
aperu que Lnine dcidait pas jouer les Mahomets ou appliquer par la force les doctrines de Tagore et de Gandhi. Il s'acharne sacrifier le plus longtemps possible la religion savante et puisante des Europens et de:, Amricains la Production. Il parle de l'organiser, et il a beau jeu dnoncer l'anarchique concurrence o, depuis la guerre, les Etats se sont rejets avec frnsie. Mais lui, le chef des rvolts, est-il profondment rvolt ? porte-t-il en lui la rvolte pertinente, qui atteigne au cur mme du mal et non point qui se leurre Tune des formes o il se dcle partiellement ? Un conducteur d'hommes, un fondateur de cit doit voir plus loin qu'une constitution politique, plus loin encore qu'un tat social, jusqu'aux plus foncires dispositions de l'esprit. Il nous faut aujourd'hui chercher des exemples plus haut que Napolon et les Conventionnels, qui survenus la fin d'un cycle historique, firent s'panouir en lois, mirent scher entre les feuilles de mdiocres, tardifs et
:
MESURE DE LA FRANCE
97
mination d'ides et de vouloirs. Nous devons pousser jusqu' l'autre bout de ce dveloppement, jusqu'aux hommes qui portrent dans leur tte le germe, la miniature parfaite de cette floraison. Rsolus de frapper la source pour la faire rejaillir, nous mditerons sur la Renaissance. Du plan politique hissons-nous sur un plan
spirituel.
Y a-t-il
hommes
d'hier
ce qui est
moribond aujourd'hui pour nous, ce qui sera mort demain matin pour tout le
monde
de
la
l'attente
production matrielle, scientifique. En dpit de mon ignorance de la ralit russe, je risque cette hypothse Lnine est un matrialiste de la mme trempe que
:
un
nophyte.
Mais sans
qu'il le sache,
il
son dernier mot. Alli la Germanie et l'Orient, il peut encore dchaner une guerre inexpiable qui emporte les assises
7
M
de la
Bfl
I B
i)
LA ri
\c
I.
de L'Occident chaque joui plus fragiles puisque le matriel s'y substitue au spirituel. Ainsi donc, depuis deux mille ans, rien ne serait chang. Et les tendues de conde pourriture de l'Empire Romain se dcouvriraient sous les seuls Etats o enracine la civilisation, les seuls Etats o les villes soient des villes et non pas des
civilisation
i
campements. Toujours l'Italie, la Gaule, la Bretagne. Mais le pourtour mditerranen est entam
par ailleurs les colonies protectrices s'tendent plus loin au del du Danube, si les Slaves Occidentaux gagns la latinit se tiennent en plein cur de
par l'Islam,
si
Rhin, sur
le
Danube, demain,
?
la vieille
lutte
reprendrait
est-ce
qu'il
faudrait
mettre tout notre espoir dans une nouvelle victoire des Champs Catalauniques ? Quel espoir ? Et que dfendrions-nous ? A Harvard, la Sorbonne, Oxford, Ina, on radote. Il n'y a plus de vie
MESURE DE LA FRANCE
que dans un
art retir
99
comme Hypathie
dans sa tour d ivoire. Le Vatican est un muse. Nous ne savons plus btir de maisons, faonner un sige o nous y asseoir. A quoi bon dfendre des banques,
des casernes, et les Galeries Lafayette ? Mais non, je ne jetterai pas le manche aprs la cogne. Je sais bien qu'une fois
besoin est, j'irai ternuer aux gaz. Derrire la frontire fragile, j'essaierai de rformer les Galeries Lafayette et la Comdie- Franaise, par un sculaire effort. Je ne suis pas assez romantique pour souhaiter le dluge, quelque plaisir que j'aurais voir flotter sur les eaux dbordes tant de vieilles carcasses, le ventre en l'air. Cette anne je n'attends plus des Russes que des coups de canon et quelques beaux
encore,
si
livres.
Notre
Russie.
salut, hlas!
ne dpend pas
de
la
Et que se passerait-il de l'autre ct du monde ? que ferait l'Amrique ? pourrait-elle touffer les vieilles rages qu'ont apportes dans son sein les migrants quivoques des dernires annes et qui ne
ioo
i:s
r K
1.
DE LA
de se
F R.\
manqueraient
rait-elle
pas
le
rveiller
et
11-
partager
Pacifique
t
l'Extra
Orient avec le Japon, leux prvoyant le retour formidable que feraient sur la
Chine
la
Germano-Ru
[ui,
victorien
de rOccident, au lendemain de sa vietoi aurait renchan en un tour de main rislam complic< Non, je ne me laisserai pas entraner au jeu pervers des analogies historiques. Il y aura beaucoup de confrences comme celle de Gnes o les hommes essaieront de se gurir de leur mal com-
mun
dveloppement pernicieux, satanique, de l'aventure industrielle. Cette aventure qui les rapproche de plus en plus les uns des autres par ses mille pripties rapides, les menace, plutt que de violence, d'une langueur inoue qui suivra la simulation honte de l'effort crateur.
:
le
masse humaine
MESURE DE LA FRANCE
et
101
que l'lite instable et dissimule devra dominer demain. D'abord il n'y a plus d'autorit spirituelle. Les Dieux ne sont plus que des ides, or on ne peut imaginer pire dchance pour ces tres qui taient issus de l'humain aussi vifs, aussi forts que des images sexuelles ou potiques. Ce ne sont plus que des ides, et rticentes et honteuses.
Les ides
perdu de
la
la
La
Libert
pour nous
cette belle
fille
hon-
engag leur foi. Trop de gouvernements l'ont mise dans leurs lits. Elle n'est plus qu'un fantme incroyable ou un leurre
irritant.
Alors,
s'il
pouvoir de
fait
La confusion
n'est pas facile.
est telle
que
la
rponse
En France
de classe dont
il
le
soin de
la
chose publique,
ioz
M EBU
K K
1)1
AN
C I
Eneji par la royaut, la noblesse n'a pas su se dfendre. Plus tard elle a laiss passer
le
gouvernement
soit la fonction.
faux clairage du snobisme comme une monstrueuse anomalie et elle empoisonne de son mauvais exemple la haute bourgeoisie.
La
bourgeoisie
moyenne
(et
la
petite
Mais sa position sculaire mine depuis longtemps par le suffrage universel d'une part qui lui impose des chefs sans tradition
intellectuelle
la
progrs de
la
dpouille,
On
pu
:
du Bloc
lments sains de la bourgeoisie, o se trouvent les dernires ressources morales et spirituelles de la Nation,
National
les
MESURE DE LA FRANCE
qui en est
cratie.
la secrte
103
la
plouto-
bourgeois sont salaris. Comme les ouvriers, mais plus favoriss. Ils sont esclaves de cette faveur, de la plus grosse sportule. Ils sont tenus aussi par le sentiment que de deux ennemis ils choisissent le moindre,
nieurs
artistes,
les
ou
conomique, sociale, politique ne leur est impose encore qu'indirectement et avec une douce lenteur par les trs riches, il leur semble qu'ils souffriraient davantage de la brutalit d'un joug soi-disant ouvrier.
car
si
la
sujtion
l'tat
de
la
France ne vaut-elle pas, dans ses lignes principales, pour le monde entier maintenant
dle
Il
?
tout
retaill
sur
le
mme mo-
io 4
R E
DE LA PP
peut-on
rduii
quoi
d'humain
entit
trange
De
11-
dnomdonner
brement
consciente
est-elle
?
parvenue
se
un organe
crbral
Tout
dans l'ombre. Pourtant on ne peut aller que la o il y a quelque chose. Si Ton veut agir, il faut se saisir de cette force capitaliste pour l'amender, la lgitimer. Il faut marcher fond dans cette ligne, approuver ces empitements, supporter ces ravages, ne point s'inquiter de ces excs, (cette puissance n'est qu' la fin de son premier jet), dduire le systme qui lui est propre, qui le justifiera aux yeux de l'Histoire. On pourrait ds maintenant crire une apologie du capitalisme, qui ne demanderait que ce minimum d'audace, d'imagination et de franchise que ne connaissent pas
ses serviteurs intellectuels.
MESURE DE LA FRANCE
incapacit
105
comprendre
et matriser les
profondes difficults spirituelles qui s'agitent sous les crises conomiques, auxquelles ne peut parer un rapport financier de fin d'anne flanqu d'un programme lectoral, il serait puril de se rejeter vers la seule opposition qui toutefois ne semblerait pas hypocrite un extrmisme insouponn certes de la plupart de nos pseudo-bolchviks, puisque de ce ctl non plus on ne trouverait personne pour percer, travers les formes politiques et sociales qui les amusent tous, jusqu' ce troublant abme du matrialisme moderne o sombre l'me de notre civilisation.
:
Si l'on se retirait
du camp
capitaliste,
quoi se retrancher. Il n'y a plus de peuple . Il n'y a plus cette rserve vierge, vnrable de l'lite, qu'en France on n'a pas invoque en vain jusqu' 1848, jusqu' 1871, cet lment primitif, jeune, rest en arrire et l'abri de la corruption moderne, cet lment
rire
io6
i:s
i;
KM
I)
L A
murs
de cette bourgeoisie qui s'est lance corps perdu dans la spculation et la fabrication en
strilemenc
novatrices
sries.
L'ouvrier est pourri par la monnaie de son salaire comme le bourgeois par
L'existence
naire.
son bnfice.
du
proltariat
est
imagi-
Par la vertu tragique de son essence il ne peut se donner une lite de chefs ou bien ces chefs ont une culture, alors ils deviennent des bourgeois ou bien ils n'en ont pas, et ils sont insuffisants et ne peuvent supplanter effectivement les chefs
:
bourgeois.
D'autre part la classe ouvrire est de plus en plus dserte par ces bourgeois qui au xix e sicle l'ont conue, porte, mise au monde et leve dans la mesure o on peut faire l'ducation d'une Belle au Bois Dormant. Ces Princes charmants la laissaient dans un demi-sommeil. On
les a vus,
dans
le
MESURE DE LA FRANCE
107
aujourd'hui personne ne se prsente plus pour jouer les Lassalle et autres Love-
ou les grosses sirnes comme Jaurs. Le temps des Liaisons Dangereuses est un Caillaux n'a jamais pu dboupass cher dans la grande vie. Le temps n'est pas fcond en ambitions subversives. Cela tient la dcadence de la politique. Les tempraments sont sans doute ports vers la Finance, l'Industrie et le Sport. Les Rastignac s'attaquent aux conseils d'administration et non aux Assembles, ils savent que l est la puissance. Les moyens illicites ne sont plus ceux du temps de Csar ou de Retz, tmoin le ridicule Boulanger dont Barrs reste le Salluste amer et dpit. Un Daudet n'est pas Mirabeau, il est Swift.
laces
;
un
tre plus
qu'un fantme verbal dans la bouche des orateurs, moins inerte que la masse qui est sous nos yeux et qui se vautre sans angoisse sous la domination du jour tout ce qu'on peut imaginer c'est que le
:
capitalisme
devienne
si
tyrannique,
les
si
masses
M ESU
fouettes
les
H E
DE LA
et
A
I
ragissent
se
rejettent
dans
bourgeois qui pal sagesse s'carteraient de leur classe dvoye. Mais ne faut-il pas craindre que tout esprit rpublicain dans le sens antique et
bras
de
certains
aujourd'hui inconnu du mot, tout esprit de libert (je parle de cet esprit qui anime les jeunes aristocraties) ne soit mort dans notre monde moderne comme dans la Romania des Empereurs. Alors quoi
Thrasas ? Notre gnration a horreur (elle n'a du reste pas encore pleine conscience de ce sentiment) des compensations idalistes, des assouvissements imaginaires. C'est pourquoi la plupart d'entre nous prfreront, plutt que de feindre l'opposition chtive des communistes en chambre, se rallier au rgime capitaliste ou plutt n'en pas sortir, avec l'espoir srieux de faire bnficier ce rgime de leur jeunesse, de leur exprience prmature dans l'ordre moral et de la gnrosit d'action qu'a suscit en eux pendant la guerre le contact
les
bon jouer
MESURE DE LA FRANCE
109
avec les grands peuples de la Terre et avec ce qui reste de sain et de rserv chez
ie
paysan
et l'ouvrier.
Mais nous ne pouvons nous contenter de l'immdiat. D'autant plus que comme toujours la vie est menace par la mort. Ne sommes-nous pas de ceux qui savent dfinir la vie et la mort et prfrer l'une l'autre ? Il faudrait remuer les cendres des catgories sociales. Rassemblement des restes indpendants de la bourgeoisie, voire de la
Voil pour l'immdiat.
elasse ouvrire et
l'institution
Deux, qui relverait les intrts spirituels entre la masse dominant par l'argent et la masse domine par l'argent. Il faudrait faire appel tous les isols qui sont beaucoup en dpit du dveloppement rapide de ce caractre moyen-geux que prend notre temps l'importance du groupe quoi ['individu est oblig de se rattacher pour profiter de sa protection crasante. L'exem:
ple
no
i<
R A
Si
Et surtout
il
nombreux. Il ne s'agit pas ici de constituer un parti puisque le temps n'est plus des partis, ni il laurer une cla88e
,
cl
sera
difficile
de
maintenir
les les
minces
dbris de
(catholique,
ou
libre-penseuse,
ou
ju-
Et du
dition
les
s'acharnera maintenir
meilleure tra-
humaine pourrait s'appuyer selon besoins du moment et les rgles clasla politique,
siques de
sur
tel
ou
tel
des
groupes puissants qui grossissent chaque jour derrire la personne de plus en plus fictive de l'Etat moderne, cette Pavsannerie, ou cette Industrie, ou cette Banque,
ou ces Syndicats
qui se divisent en plusieurs familles dont la composition est changeante selon le9
conditions conomiques, mais forme
mentanment des
Il
alliages solides.
faudra engager une lutte patiente, sculaire, discrte contre la folie matria-
MESURE DE LA FRANCE
liste
ni
qui entrane
producruiner
les
unes
les
autres,
que ce
soit
par
grves ou par les guerres, par les trusts ou par les spculations. Car enfin la civilisation semble bien le
c'est--dire
but de
l'activit,
un
bien-tre et l'effort.
les
Or un
dlire aveugle
depuis cinquante ans. Sous prtexte d'un mieux-tre auquel on ne songe mme plus, l'effort conomique s'est exaspr et perverti. On produit pour produire, on fabrique pour fabriquer sans plus tenir compte ni des fins ni des moyens. A quoi veut-on en venir et ne voit-on pas que dans la hte d'arriver on ne sait o, on surmne et on saccage les disciplines selon lesquelles seulement peut le pouvoir crateur de se maintenir l'Homme ? En sorte qu' un moment prochain l'effort sera puis et le bien-tre
dtruit.
hommes
but
et
machine qui
tant
ii2
MESURE DE LA
les
F R
ma-
elle-mme
est
un chef-d'uvre
un schma
vertigineux de
la
geste
humaine
dans l'univers. Son mouvement m'enivre et laisse une trace dsole dans mon
imagination.
La machine est un artisan automate par quoi Thomme, leurr et puis par l'effort
mme
et
faire
remplacer. Mais
est trahi. Il se
chagrine
s'abme dans ses vaines machinations comme dans les substitutions de la vie
sexuelle.
Tout
le
tragique de
l
:
la
vivons est
chine
part
? ?
comment l'homme
dominer
?
ma-
lui faire sa
ne peut tre question de la rpudier, ce serait renier tout l'effort de nos anctres depuis l'invention du feu. Mais il
faut conjurer la dviation, l'inversion.
Car
MESURE DE LA FRANCE
113
Cette reprise sous ce prtexte prsent d'une polmique ternelle qui protge
ne peut se prparer sur le terrain politique, mais sur le plan moral, dans l'ordre des murs, par les intellectuels peut-tre groups en secte comme les grandes philosophies de l'antiquit (notre enthousiasme peut-il tre assez ingnu pour fonder une Eglise ?). Le cadre politique est fix pour longtemps en Occident. Tout ce quoi il faut songer, c'est une
inlassablement
la vie,
rintgration
porelle.
intellectuelle,
morale,
cor-
A
et
l'intrieur
de
la civilisation libertaire
industrielle,
sur
cette
plante
toute
gagne cette mode, toute engage dans ce pari moderne, il faut lutter contre tout
ce
qui
attaque l'esprit
crateur,
contre
La
sont
les
strilit,
l'onanisme,
spirituels.
le
l'inversion
des
maux
sont
L'alcoolisme,
drogues
ii4
M
cette
>-
R E
I)
LA
de
dcadence
L'esprit
impar
Le
de cirquefl entre professionnels pour nourrir le cauchemar de foules inertes le militarisi sont des perversions de l'instinct de lutte, du got antique et sain pour la destruction
l'argent, rduit des simulacres
;
et le sacrifice.
La
fabrication en sries, le
renoncement
au travail des mains qui sont les outils de l'esprit, l'abandon aux machines du pouvoir de l'homme sur la matire manifestent,
comme
l'onanisme,
le
flchissement
de notre pouvoir crateur. Il ne s'agit pas de rvolutions, de restaurations, de superficiels mouvements politiques et sociaux, mais de quelque chose de plus profond, d'une Renaissance. Tandis que le XX e sicle verra s'panouir et s'exagrer le principe prsent de la civilisation, il faut que par un travail souterrain qui renouvelle pierre pierre les
fondements de
MESURE DE LA FRANCE
115
l'amorce d'une poque o l'automatisme menaant sera surmont. Il faut renoncer demain et travailler pour un jour venir. Si Ton croit que la vie mrite d'tre vcue et que son objet est de produire un enfant qui court et qui meurt, une statue qui dure et qui s'effrite, un pome qui s'effeuille. A moins qu'on ne prfre s'carter du centre conventionnel des choses, marcher vers les confins, explorer la mort.
Mai
1922.
Je suis jeune.
camarades et moi. Et notre jeunesse n'est pas une vaine formalit avant d arriver bientt une demi-vieillesse qui, pour certains, peut faire le principal de leur
carrire.
Pouvons-nous croire que tout, autour de nous, ne participe pas de cette jeunesse ?
cette nation qui est la ntre
?
d'une nation se succdent la manire des saisons. Voici que revient la jeunesse de la France. Ici
oui, les ges
Mais
MESURE DE
et l,
LA
tour tour,
souffle
aise-
le
corps de l'Humain!
se
renouvelle.
Le
acre
ma
mditation.
grand vnement s'achve et comment voudriez-vous que dans m quelquenavet je crois autrement ?
Un
autre se prpare. Je sens surtout les ch qui commencent. J'espre que nous som-
mes
De
champ.
Il
'
y a
du nouveau.
vers
la
de 1880. Tout y annonait l'ignorance de cette proposition rudimentaire qu'une nation est forme d'un corps, d'une me et d'un esprit. L'esprit isol, abandonn ses vagabon-
Retournons-nous
France
119
dages internes, n'tait plus reli au monde extrieur par les mouvements des bras et des jambes qui engagent la responsabilit et enrgimentent un homme dans le systme des apparences. Quelques-uns mditaient de le reconstruire, en attendant l'quipe consacre cette entreprise. Mais ils ne pensaient le faire que par un effort mental les premiers athltes en France refirent les muscles de l'esprit. Aprs Taine, Renan et Fustel Maurras, Barrs, Pguy, Sorel. Ceux qui s'avancent maintenant respireront plus librement que ces
:
:
initiateurs
de
volont, est
c'est celui
le
point
le
l'a
le
plus important.
atteint le plus
Mais
que
mal
bien
vu pendant l'Affaire Dreyfus qui donna lieu dans l'Olympe une belle lutte entre les meilleurs au-dessus de la mdiocre Iliade du commun et pendant la dernire guerre.
difficilement.
On
Pourtant
chez l'homme bien fait sous ce vocable cur, se disjoignaient. Jamais appeles par un
les
forces
qui
s'unissent
:
120
il
RE DE
i.
\<
mbler
1
rapi
irmait
se
de mille
soli-
laons tranges
tairement.
en
dveloppant
Enfin non seulement la stature de la France se rtrcissait cause de son impuissance en renouveler la matire, en multiplier les cellules, mais ce corps, dj rduit dans ses proportions, tait encore alangui par une longue inertie. On les laissait gisants dans l'ignorance, ces mouvements qui avrent l'existence humaine dans le monde de la matire, o l'antique discipline nous enjoint d'amorcer et de soutenir toutes nos entreprises spirituelles.
les
annes que nous avons vivre cycle suffisant noncer que ces mouvements sont de deux sortes soit qu'un corps s'exerce et gonflant ses muscles, remplisse dans l'air toute la place laquelle il peut aspirer, soit que deux corps de sexe oppos s'unissent, se fcondent et augmentent
quelques
121
d'un nouveau corps l'vidence nombreuse au milieu du monde d'un peuple et d'une
espce.
Tel
est le
systme complet de
la
cir-
culation
du sang.
Rien de tout cela en France, vers 1880. Le corps tait ignor, ddaign (et on se demande comment, en mme temps, on
osait faire valoir cette misrable chrysalide
comme
instrument de
plaisir,
pa-
rangon de sensations, truchement avec la beaut des femmes). Nul ne le considrait srieusement comme un des lments de
l'tre.
Par
ailleurs,
les
conditions matrielles
de notre
civilisation achevaient
Dans
de muer. anciennes
murs
devenaient vaines. Autrefois, grce l'troit environnement de la vie citadine par la vie rustique, une certaine sant se
perptuait. Maintenant la ville s'tait en-
tirement retranche de la campagne et ravissait ceux qui la hantaient une abstraction inattendue, pril nouveau pour
les
hommes.
i22
l'.sr R E
L A
F K.\
toi q
de
lejeta
Moderne. La
pi
dans
invent.
y a un bon demi-sicle, il y aura bientt un sicle que les peuples anglo-saxons ont, par une initiative puissante, relanc l'instinct. Au premier rang de leurs activits ils mirent l'tude, l'exercice, le jeu
corporels.
Mais la France ne demeure jamais longtemps sans le dsir d'galer la grandeur que vient d'atteindre un peuplevoisin. Le propre d'un tre gnreux est de prendre autant que de donner. Bientt la France est tourne vers l'Angleterre et la Nordamrique comme autrefois v
l'Italie et
l'Espagne. Et
il
tait
bien juste
que ces pays, qui nous avaient communiqu une froce mulation construire les machines dvoratrices de l'humain, nous envoyassent le remde qui contrebattit
les effets
de cette outrance.
123
Donc, vers 1890, nous nous mmes jouer la balle, timidement et ardemment. Timidement, parce que le sport trouvait
dans la bourgeoisie, hostile, mprisante, platement moqueuse Tgard de ceux des siens qui taient son meilleur espoir, inattendu et tonnant. Ardemment, parce que notre fougue ne demandait qu' se relancer aprs les vaines attentes du xix e sicle et ce Sedan, aussi tourdi mais pas plus aprs tout qu'un de nos grands mchefs de la guerre de Cent Ans ou d'une autre poque. Nous pouvons mesurer la brivet du temps l'intensit de l'effort. Aprs avoir fait patiemment nos coles pendant quinze ans, nous osions affronter, en 1906, nos matres qui nous infligeaient ces bonnes leons que peuvent tre, pour une nation bien ne, de cuisantes dfaites. Encore quinze ans, et en ces deux ou
ses premiers adhrents
trois
dernires
annes,
et
aprs
et,
une
srie
monotone d'checs
les
de dceptions, voici
surtout,
ces
les
premires victoires
honorables,
dfaites
voici
combats
i^i
MESURE DE
la
F R
serres d'o do
tenu
Padl
#
Il
dans cet imposant exemple de notre patience, un grand fait humain qu'il
y
a,
faut saluer.
Dans n'importe
quelle
condition,
si
hommes
forts,
ceux en qui persiste ou rejaillit la force, sont investis d'une intgrit qui dfie
toute
atteinte.
La
nation
laquelle
ils
appartiennent dans ses plus mauvais jours, peut essuyer les pires insultes, les pires checs, peut souffrir le plus bas dprissement, eux restent hors de la contagion honteuse. Leur qualit, leur vertu inaltre les retranche du corps contamin. Ils continuent de vivre pleinement, haute-
ment,
comme
125
dbcles et si le Gnie de l'Espce n'a pas encore dit son dernier mot en faveur de la cause qu'ils maindes
tiennent, tout se peut renflammer soudain
autour d'eux la torche que leur poing n'a jamais cess de bien tenir. C'est la suprme posie de l'Antiquit que d'tre comble de ces exemples qui semblent prouver qu'il y a quelque chose d'immortel dans la tradition (que ce mot s'largisse) et dans ceux qui en assurent les enchanements les plus menacs. Cette pense me console des dsespoirs qui ont souill mes vingt ans. Oui, j'ai connu le sentiment de la honte. Il m'a fallu vivre pendant des annes en portant cette pense onreuse je faisais partie d'un corps en qui la vie faiblissait,
:
et j'tais
condamn
dchances qui l'aviliraient fatalement. Et, en effet, les insultes ne nous ont pas t mnages (je sais bien que je parle comme plusieurs, pour beaucoup). Par exemple, le 14 juillet 1914, j'ai d dfiler en pantalon rouge, avec des paulettes
ia6
MESURE DE
LA
RA
i
CE
ans
champ de
baraques du PariMutuel et des gnraux emplums, Et en Orient, un jour, nous avons i relevs, de la garde d'un camp alli, par nous tions beaux, les des Anglais. Ah guerriers franais, sous nos lourds casques blancs inefficaces, engoncs dans nos capotes bleues, en face de nos amis qui n'taient pas qu'un peu ironiques, sous leurs larges heaumes kaki, Taise dans des vestes de toile et des culottes courtes. Ils paradrent devant nous avec toutes sortes de gestes prcis et courtois. Tandis que
!
d'ustensiles et
nullement soucieux de paratre, prsentaient les aimes les uns aprs les autres. Cette arme de paysans ingnus ou de citadins trop dtachs Ces anecdotes ne sont pas futiles. Quand un pareil dbraillement affecte les gestes d'un peuple, il se fait sentir tt ou tard dans son intelligence
!
et sa volont.
Je cherchais,
il
est vrai,
me
consoler
127
de semblables traits qui datent d'poques o la vitalit franaise tait pourtant son plus haut point. C'est ainsi que j'ai lu dans les chroniques qu'au XV e sicle, quand les bandes de pitons gascons entrrent dans Rome avant la chevalerie de Charles VIII et au xix e quand les rgiments de recrues se rpandirent en Espagne avant les vtrans de la Grande-Arme, Italiens et Espagnols pensrent se soulever tant la pitre mine de nos petits bonshommes les tonnait et ne leur semblait pas pouvoir tre celle de leurs vainqueuis.
,
me remmorant
et
prsent, c'est
les
viennent
Ecosse,
au contraire, la Normandie qui, avec l'Alsace, au sicle dernier fournit Napolon les puissants escadrons de cuirassiers et
R B
RANCI.
de carabiniers qui enfoncrent lei arm continentales, ne lait gure parler d'elle encore, sur le terrain cl rugby, ne four1
vers 1840.
Dans
ce temps-l,
la
guerre moderne
la
accomplissait dj contre
race franais
son abominable
tion rebours.
Il est
et
temps de
et
de slec-
La guerre moderne
que
le
(qui n'a de
commun
que
les
nom
avec
la
fonction
ont exerce pendant des cycles de sicles), tait dj au temps de Napolon et mme avant, enfin depuis l'emploi de la poudre, premire grave atteinte porte par les pratiques industrielles aux institutions fondamentales de l'Humanit, une
hommes
simple machine dtruire les corps les plus robustes. En sorte qu'on a vu, plus lentement de 1792 1815, plus rapidement de 1914 1918, un carnage systmatique
129
des gnrations de mles, en commenant par les demi-dieux et en finissant par les
nabots.
si
En comparaison
si
de ces entreprises
si
aveugles,
absurdes, ou
dmonia-
Dieux sont des enfantillages, par exemple de Jhovah qui, en poursuivant les ennemis de son peuple
ques, les vengeances des
coups de cailloux, en tuait dix mille.
en dpit de
gues, onanisme,
il
convaincu de cette vidence sur les terrains de football d'aprs-guerre, beaucoup mieux que sur les champs de
J'ai t
bataille.
Car, entre 1914 et 1918, tandis que les Franais manifestaient leur invincibilit
individuelle, je ne pouvais voir dans leuis
prouesses
d'un acte dernier, les gestes raffins d'un beau dclin. C'est qu'taient prsents mes yeux les dessous terribles de leur victoire ces s
la
que
perfection
130
U R B
LA PRA1
int
it
dfaillances de leur
faisaient
sacrifier
;
qui
un milli de vivants cette multitude de leun ai dont ils allaient partout mendiant le cours et qui, moyennant de justes et crainutil
moment
de
la
la
France,
les
consentaient
la
fantmes que
paresse,
lchet
modestie, l'mouvante retenue dans la tristesse de ces hommes, je me dsesprais en pensant que dsormais toutes ces
qualits, toutes ces vertus s'exeraient
la
En
porter
tarie
effet,
la vie sa
tiels, celui
commande
Lors des permissions, ces Franais s'en allaient, marqus du signe de l'garement, comploter dans leur lit l'assassinat des enfants dont la multiplication pourtant
131
pouvait seule justifier les sacrifices personnels qu'ils prodiguaient pour maintenir le nom de leur race. L'hrosme des Franais pendant cette guerre n'tait-il que le choix du plus beau
suicide
?
meurt.
C'est ce qui merveille les milliers de
pour leur race, qui depuis la guerre ont vu se lever une nouvelle France sur les terrains de sport. Elle est si saine, si souple, si tenace, si cohrente que ce serait blesser la raison que de ne pas croire que tous ces jeunes corps vainqueurs sont une sre promesse de la vie et que le destin
assurera
leur
multiplication.
MESURE DE
#
LA
PRANCE
Le dcor
me
laisse
simple-...
ici
terre
sous
il
une
le
ne veulent pas d'autre pavillon. Ayant peru la menace doucereuse de l'air, de la lumire, capts, domestiqus dans les maisons, ils sont sortis des murs, ils sont revenus se confier la tutelle changeante mais rgulire en ses changements, tour tour indulgente ou svre, de l'habitacle naturel. Cette foule, chaque dimanche, accourt se remettre au conseil des saisons. Autour de la prairie sont debout sur des gradins les hommes, les femmes et les enfants. N'oublions pas les enfants et que leurs mes, plus gnreuses que celles des adultes, s'branlent une telle mulation et s'prennent jamais du rythme de
qui
Ceux
sont
ici
la race.
133
s'accomplit
ici
des actes
ils
raniment
Il
faut scru-
que tracent
y a
la
foi
et
dans l'assistance qui approuve et encourage en eux le meilleur de soi-mme. Ici, on a discern, on cultive, on prolonge un harmonieux sursaut de toutes les facults de l'me et du
l'amour
corps.
comme
y a assez d'individus heureusement dvelopps pour former un groupe, une foule qui ne soit pas une bte sans cervelle et la merci d'une brit.
Ici,
il
Sport ne veut pas dire seulement jeu. Tel qu'il nous apparat comme conqute et institution de la France nouvelle, nous ne pouvons le prendre dans ce sens troit. Ce n'est pas uniquement le dport
Ides anciens Franais,
un
divertissement.
l.
LA
diri<
Ce n'est pus un abandon du COipS I mouvements de sa jeuneson exaltation. Ce n'est pas un ivisscment debesoins charnels. Ce n'est pas plus cela
volupt n'est la satisfaction gr sire qui comble la plupart des humai Le sport est l'tablissement de la Paix
la
que
et
de
la
Justice, car
il
dclare et fortifie
de justes rapports entre le Corps et l'Esprit. Et celui de ces rapports qui est
essentiel n'est pas tant,
comme on
croit,
h communication
de l'exubrance du sang l'esprit qu'au contaire une prise de possession du corps, de toutes ses ressources, de tous ses ressorts par l'esprit, spcialement par cette facult imminente de
l'esprit
qui est
la
volont.
intellectuelles
Les
fondes.
consquences
de
pro-
promptes
et
L'hcmme
le
professe que
135
est l'exprience.
Peu importe
il
il
du monde
Un
absolu idaliste
et les choses.
moi
conception idaliste et la morale idaliste. Bien des gens, selon l'habitude en tout pareille du vulgaire, prennent l'idalisme au pied de la lettre et se confinent dans une vie purement imaginaire, sous prtexte que les choses n'existent pas absolument. Les ravages de cette conception inacheve sont plus grands que ceux de l'opium. Mais on peut faire subsister un solide ralisme l'intrieur d'une conception idaliste. On peut croire la solidit suffisante des rapports qui existent entre les choses mises au monde par le moi. Telle est l'attitude de l'homme cultiv par le sport. Il est habitu raliser,
il
Car
faut
distinguer
la
r R E
I)
LA
COI
F R
I.
de tHU
former de mieux en mieux une rsolution en action par exemple d'atteindre en moins de secondes, par une plllfl parfaite musc! utilisation de son souille et d< un but cent mtres, deux cents mtre
;
Mai
1921.
L'EQUIPE PERD
(SUR
UN HOMME
LA
dulcis amice,
(Perse).
y a eu les hommes de 1660, il y a eu les Romantiques, il y a eu les Symbolistes dans Tordre de la posie. Il y a eu dans Tordre politique les Encyclopdistes, les hommes de 1848, TAction Franaise. Des hommes ont eu vingt ans la mme anne, pour eux le visage d'une mme femme, quelques saisons prs, a donn sa jeunesse. Entre certaines gens les opinions^ n'importent pas.^Le monde a t
Il
y a eu
la
Pliade,
il
138
M
iiK
R E
I)
LA
!.
la
Uc
a
vue.
leurs
patrie
flchi
entre-
bra
dire-,
veux
voil
Oui, tout ce qui nous reste. Ravags par des destructions plus fatales qu'une guerre de notre temps, sans dieux ni matres, ceux-l tant morts, ceux-ci n'tant pas encore ns, nous n'avons que notre jeuA quoi d'autre pouvons -nous nesse.
croire
?
Mais
trange
comme nous
foi j'ai
:
mes camarades
dans un bal,
Il
un ou deux
d'autres
soldats,
un
homme
surpris
dont tout
me
la-
Dj
crit.
Trop
press, j'ai
Raymond Lefebvre
est
L'QUIPE PERD UN
HOMME
139
Je suis las de cette forfanterie qu'ici mme je manifeste encore. Dj j'ai rappris respecter
mes
ans
et,
ce qui est
plus
ceux qui n'ont que dix ans de plus que moi. Il faut travailler, tout est
difficile,
reprendre.
Mais pourtant je ne puis m'empcher d'insister une dernire fois sur ce sentiment qui pendant la guerre nous a treints.
uns dans un boyau, isols du monde, de la bont et de la haine mme, par un rideau de fer. A l'arrire, les- vieux se sont sentis
seuls avec leurs ides.
ne nous reste que cela, cette formil'esprit de corps, d'quipe, dable ralit
Il
:
comment
Age o
l'appellerons-nous
l'individu
?
plus
rien,
le
groupe tout
Et
il
gnration.
faut
citer
des
noms.
En
dpit
des
dissensions,
l'amour,
il
M E8U
louange
toi
R E
I.
E
j
ux qui m'aident
:
vivre*
Jacques Baron, Andr Breton, Biaise Cendrars, Jean Cocfc Paul Eluard, Jean Giraudoux, Philippe Soupault. Louis Aragon, Jean Pour le roman Bernier, Jacques de Lacretelle, Iran Mauriac, Henry de Montherlant, Paul Morand, Jean Paulhan, Raymond Radi-
Pour
ht
posie
guet.
Pour la critique et la liaison des esprits Andr Breton, Jacques Rivire. hlas Pour la politique je voudrais connatre mes compagnons.
:
!
Ce
je
les
porte
dans
ma mon
foi.
gnration,
esprit
c'est
la
et
hirarchie
varie
subtile,
j'ai
mais
en une troupe
mis
ma
#
Raymond Lefebvre
la veille de le
mort.
En
L'QUIPE PERD UN
HOMME
141
la grce quivoque. Je le traduis devant les assises o se tiennent les hommes que
j'aurais
voulu
tre.
Leur verdict
:
est
lchet.
J'tais lche et
pas pouvoir
foule.
me
femme, sans
cir-
Confort moderne,
culerait
comme
l'eau
gaz
de
me
moindre esbrouffeur.
parodie, j'enfonais
qu'il
Me
confiant
la
un couteau dans
l'issue
semblait
au premier appel je
les
entrailles.
mar-
qus par
la
llustres, et
ment
main-basse sur l'avenir. Un avenir dsol, fait d'une suite de rendez/ous quotidiens comme les agendas souils de la fin de l'anne. Je refuse cette
faire
42
ME81
isolation
:
les
meilleurs d
ont t dciiti tr la guerrei pas notre* responsabilit. Et d'ailleurs, cr tous temps, ceux qui s'empar< ni de
1
rieux.
Je n'ai jamais eu d'amis. Est-ce que ceu? avec qui j'changeais des habitudes d(
bavardage se seraient fait tuer pour m Aurais-je pii pour eux ? Peut-tre d un coup de tte, point par un lent transport du cur, une adhsion entire d<
l'esprit.
L.
M. N. Mais au moment o un
et
il
M.
matre de trent<
faut
que
je lui adresse
mol
compte, et aurais-je le temps plus tare d'examiner le sien. Finissons-en. Ce faisant, je ne participe pas au culte des cadavres qui est une fonction social* des mieux fausses de ce temps. Gest( matinal des croque-mort. Aussitt qu'ur tel homme meurt, d'pouvantail il devienl charogne et tous les oiseaux, qui ne sonl de proie que pour de tels rsidus, dvorenl
L'QUIPE PERD UN
la
HOMME
et
143
distance
respectueuse
s'abattent
quotidien
qui va
de
la vie,
de
ressaisir ce
moment
ait
se dissoudre
comme
le
les autres,
sans qu'en-
vulgaire
su en tirer
flamme. Alors que ce tison se refroidit, on le secoue pour lui arracher quelques tincelles. Paresseux, malveillants, ne craignant rien tant que de prendre leur bien o il se trouve, les hommes se sont laisss ignorer pendant toute son existence le pouvoir de cet homme qui, aprs
tout,
tait
peut-tre
le
secret.
la vie
la
Ce
qui
qu'ils
le
n'ont os recevoir de
offrait, ils
leur
la
rclament
mort. Par
les
vocifration, les
dhanchements,
ce
qu'ils
le
pra-
en
obtiennent
deman-
change. De tous les gestes pleins de puissance de celui qui a pass, ils n'ont cherch tirer parti
dent
la
se
14
f-;sr
i<
!;
i)
i;
la
sont dbarrasses d'un tmoin gnant, fis ne craignent plus d'tre- foi ou renverss par
le souille.
grands hommes, ainsi menacs des vers, ne sont-ils pas de vivant plus cruels? Parce qu'ils sont bons ou indiffrents, et qu'ils ont bien assez a faire. Quand ils ne meurent pas vieux, n'ayant pas eu le temps de s'imp^ par la force, par la ruse, on se prcipite pour recevoir avec une facilit lascive, de leur mmoire, d'un mannequin les preuves qu'on avait su soigneusement
Pourquoi
les
ignorer
efficaces.
quand
de d'un
elles
taient
vivantes
et
prsence perptuelle, incurable Csar, en dpit de la vigueur de la gloire qui va fouailler les adolescents au fond d'un sicle endormi, rien ne vaut le regard mme de Napolon et de sentir ses doigts qui pincent votre oreille. Je suis pour la hirarchie des
dpit
la
En
illusions.
L'QUIPE PERD UN
HOMME
145
Il
me
frappa par
premiers
venus.
Son masque
Il
avait fait
de
toute sa personne
un
objet de curiosit,
en dformant son corps selon les inflexions de son visage, en l'offrant aux tics qui se propageaient autour du cercle gnrateur de son rictus. Voici ce qu'il s'agissait de suggrer une lgance native (race, intelligence, mme un peu argent) qui choisissait de |>e parer d'un nglig inattendu, cocasse, mouvant. Il feignait la gaucherie d'un corps surpris dans son premier mouvenent, frapp par la foudre de l'esprit.
d'tonnement,
:
:
s'abandonnait ces gestes drgls, pette dmarche relche o les gnrations ltra-intellectuelles de la veille s'taient complues voir l'hommage humili du
.1
t
10
16
i.sr r E
cjui,
D E LA
par
F R A
corps,
oublie*
lYsprit,
suit
en
tour
Raymond Lefebvre
lectuel, puis plus tard
se persuadait
simultanment. Gentilhomme ne l'taitil pas d'abord par ces faons librales sont naturelles qu'aux gens bien n Sa fantaisie n'tait que de revenir par les chemins droutants mais courts aux gots traditionnels, aux prfrences simp
-
constantes, essentielles
crate.
du
vritable aristo;
montait cheval voyageant mme dans cet quipage surann, il avait parcouru tout le Yorkshire. Il aimait le vin et en buvait pendant les nuits de travail. Il tait chez lui la campagne, il y trouvait une saveur qu'on ne peut connatre, diton, qu'aprs des sicles de proprit terrienne. Il fumait abusivement avec cette violence qu'un hobereau met dans tous ses actes. Enfin il tait grivois, mais de
il
Donc
la
bonne faon.
L'intellectuel
s'tait
install
avec ses
L'QUIPE PERD UN
plaisances.
le
Il
HOMME
les
147
fourrageait pittoresquement
gutres
beiges
passait
usages qui dcelaient plutt le vieil tudiant que le chasseur au fait des ncessits rustiques. Le pantalon, jet en travers de
la
chambre
gilet, le
le soir
Le
trieur.
Leur
par
la
anonyme
avait t
brise
prsence imprieuse d'un esprit original sur quoi se moulaient avec des crispations humilies chair et toffe. Toute cette matire tait magnifiquement saccage par le laisser-aller d'une me qui y faisait son lit. Mais rien ne sera abandonn soi des choses qui dpendent du si ces paules, si rgne d'un tel homme se cou s'inflchissent si bas, ce n'est point Dar une faiblesse qui leur serait accorde nais parce qu'il faut cder la pese de 'esprit qui vers l'avant se fait irrsistible. It voici un col dur et haut, un carcan qui mpose et prolonge les poses de volont. Du reste aucun excs craindre, n'allez
:
148
M E8U
R E
l)
LA
F K A
WCB
pas vous glacer devant cette blancli implacable, cet nnpois, cette ligne qui d'une coupe la gorge comme
fatalit rvolutionnaire.
cravate
les
Car
audaces mais touffes. Et ce came c'est la sagesse de la famille, la tradition de l'lite garde au fond des coffres.
De
ces
toute
ma
faiblesse, j'tais
sensible
je
dtails.
Mais il ne s'en formait pas alors pour moi cette figure au relief net. J'tais sduit par ce penchant la domination vers quoi il se prcipitait avec un entrain que je lui enviais. Je tournais autour de lui, je ne voulais pas prendre les devants par peur de paratre assur de lui plaire et donc inconscient de mon
notais ces signes.
insuffisance. Enfin
je
fis
plus,
!
effort sur
moi-mme
profitant d'un
brouhaha, je crus
lui faire
indigne d'tre admis les cultiver. Il tait entreprenant et inventif en prtextes pour croire que nous faisions quelque chose.
L'QUIPE PERD UN
HOMME
149
Par exemple, dans cette Ecole des Sciences Politiques o parmi des centaines djeunes hommes pitrement satisfaits comme des vieillards de la moindre libralit de la vie, il y avait notre groupe, quelques petits intrigants qui essayaient de remuer. Il y tait le premier former des confrences, imposer des sujets de discussion, se donner la parole et la retirer aux autres. Il tait impertinent, poli avec affectation, coquet comme peuvent l'tre de faon tonnante les hommes les moins effmins mais qui veulent enjler. Parfois rogue mais plutt distant pour mieux attirer.
Les paules
et
les
sourcils
affair,
il
braill et correct,
savamment dans
leurrait les
gens d'un intrt tout pur pour leurs ides. Ainsi il dissimulait son indiffrence leur personne. Tout en lui tait action. Ses lectures, ses conversations, ses loisirs mme, tout tait gouvern par l'urgence de former une unit de caractre, de doctrine. Alors j'admirais ces cruelles oprations que de tels adoles-
150
M
peuvent
}
l)
LA
R A \
Centfl
Dcidment
s'tait
Le grand
ment
que
audace militaire
la
des prjugs de sa caste, l'aristocrate qui par-dessus la bourgeoisie tend la main au peuple et l'aide se dbattre parmi les meneurs douteux ou les subalternes surestims, qui enfin lui donne son seul appui naturel. Il parlait sans cesse de ces lords de la Primerose League qui, dans les annes 90, avaient fond un nouveau parti
de conservateurs jeunes, allgres, dsinvoltes. L-jeu parlementaire anglais, plu9 lgant, plus souple, plus sr, plus sobre que le ntre, l'attirait irrsistiblement. Il en parlait avec une ferveur que n'lu-
L'QUIPE PERD UN
daient
HOMME
narquois.
151
point
ses
sourires
Il
exquisment justes, de traits d'esprit un peu cruels, voire d'un humour qui, de loin en loin, fendt les rires. Voil un trait de caractre qui m'a
peine marqus,
toujours
et
ralli
lui
il
ment sous
Et
si les
jour il fit une confrence moiti humoristique, moiti sermonneuse sur le gnral Booth, de l'Arme du Salut. Certes il tint nous amuser et non seulement en usant avec une industrie
cocasse d'un arsenal de monocles, lunet-
Un
par les plus sinistres plaisanteries l'gard de son 'hros. Et pourtant ce mystique, extraordinairement actif et concret comme la plupart des mystiques, le fascinait. Il m'tonnait par certains avantages qu'il avait song raliser, comme plus tard d'autres par leurs citations il s'tait proccup d'tre licenci, diplm.
tes
d'caill
et
pince-nez, mais
52
RE DE LA
qUC
V U
!.
J'axais dcid
taquable*.
Il
me
signifia
un
et
soir qu'il
jamais
que, par pie, mon Nietzsche ador ne 'excitait p Il me sembla que je perdais la tte. Timilu
l
un philosophe
dement
d'oeil
je
le
suppliais de jeter
vers ces
chez ces parents lointains. Il mle promettait par piti. En vain je m'inquitais de notre ignorance du grec. Dj fort press et partag entre diverses be gnes, il dvorait htivement les manuels
visite
en
d'histoire.
J'tais
fort
les
lent,
j'en
tais
encore feuilleter
revenait
Parnassiens, qu'il
parler
sur
moi pour me
dans
un tumulte
de
mysticisme qui l'inclinait vers l'Eglise par les dtours d'Oxford. La placidit de sa foi en Dieu achevait de
son
m'ahurir.
L' QUIPE
PERD UN HOMME
153
connus, des aventures timides ou faraudes. Par ailleurs, nous tions d'accord aussi sur un nationalisme irrflchi. En 191 1,
Caillaux nous inquitait fort et
le
discours
de
de
M. de Mun
la famille,
sur
la
cession
:
du Congo,
c'tait
par ici. les os de connatre de la vie d'abord ce deuil hypocrite et langoureux que nos pres portaient de leur patrie. C'est donc pour la mme raison que nous n'avons pas dans le tango. Pourtant, ds 1913, il voluait. Lors de la discussion de la loi de trois ans, il se mettait lire avec ferveur les articles de Jaurs (et haute voix, avec un art d'imitation prodigieux, mettant l'accent avec un soin tendre), il manifestait au QuartierLatin. Il confondait, comme beaucoup, pacifisme et socialisme, et il me rit au nez en 191 5 quand je lui lus des notes sur la prochaine et invitable confusion du militarisme et du socialisme. Pourtant je ne pensais alors qu'au timide Jaurs de V Arme Nouvelle et non pas Trotsky.
154
M H SU
R B
I)
LA FR
Quand nous nous sommes revus, le monde avait chang mtamorphose ver:
sicolore
la niait. Il vint
me
voir dans
un grand
htel de Paris o
j'tais
descendu comme bless. Encore j'avais de la cette question de costume peine admettre qu'il portt cet uniforme de la garnison de l'endroit. Tout de lui me
:
blessait
pourtant
il
il
un
joint,
me mon
faisait
le droit d'ironiser
sur ce sport que j'avais choisi. Moi, tout btement, je reprenais notre discussion o
nous l'avions
Ce
j'ai
amour que
guerre,
mais par
curiosit.
Oui,
L'QUIPE PERD UN
accept que ceci
le
HOMME
155
me
ft signifi,
moi qui
une extase que tranquillement je prtends gale celles de sainte Thrse et de n'importe qui s'est lanc la pointe mystique de la vie. Il disait que cette guerre tait mauvaise dans l'esprit de ceux qui l'avaient conue et que l'abominable intention des promoteurs (lucre, soif du triomphe bestial sur
les foules, luxure, sacrifice
des divinits
inhumaines
Empire) souillait les peuples qui acceptaient de la sanctionner de leur martyre. Ne doutant pas que je ne conoive cela, ne pouvant donc me renvoyer parmi les nafs, il rendait en mon honneur un diagnostic de noble dilettantisme. Et moi, j'tais l, dans mon
:
Etat, Patrie,
camarades
les
idiots et attendrissants,
entre
leur
blancheur. Puis je me montai un peu. Il dit que les bourgeois envoyaient !es proltaires au
156
MESi; RE DE LA
V R
ANC
Oubliant
bourgeois
dit
la
que moi
guerre dans
il
j'avais
fond
Il
et
justifi cette
mon
sang.
me
qu'au front
que je
lui casserais la
ma
me
dit
qu'il fallait
ft alle-
mande, que
problme
de la guerre. Alors, devant cette vision d'un continent qui, pendant des sicles,
pourrait tre une Irlande, je
me
rveillai
entirement
tre chose.
et
commenai de
parler d'au-
Nous avons
je n'ai
pas t tu et il est mort. Il avait tenu faire un tour au front en 19 16. Il fut quelque temps Verdun, mais dans la coulisse,
comme
un
il
n'a jamais
responsabilit trange
"
'
' .
157
L'QUIPE PERD UN
qu'on sentait
l'acier
HOMME
du
fusil,
tour tour
m'a dit qu'il aurait prfr le peloton. Qui sait ? Peut-tre auraitil tir et dans la direction que nous cherchions moi et mes hommes. Je lui en ai voulu jusqu' sa mort de n'avoir pas tent
glac, ardent. Il cette
exprience-l. Alors
j'ai
compris.
Par ses voies il a atteint au sacrifice que parfois, dans ma passion, je lui dniai l'orgueil de risquer. Je lui en demande
pardon et j'en veux cette guerre, plus dmocratique encore que le christianisme, de m'avoir suggr de lui demander la preuve que j 'exigeais de n'importe qui. Je me suis acharn pendant quatre ans (j'oublie de compter les trs longs repos Paris) tre courageux comme le capitaine Fonck ou mon tampon qui rigolait sous les marmites ainsi qu'une femme qui on parle des souffrances de Pascal. Il en est rsult des gestes ridicules, ou misrables, ou vains, et quelques extases. Mais lui a fait mieux que moi. Je mange, je bois, je dors alors que la France claque. (La population a diminu dans la plupart
5S
M KS
U R E
I)
LA
i-
R A N
des dpartements, Franais, peuple d\\ sassins.) Lui, pour que son ide ne claque
pas,
il
dresse et
il
mal de mer.
la
a expos
s'est
de jeune tribun, craint par lches de son parti comme par le grand nombre de ses ennemis qui ne sont pas rassurs par leur monstrueuse puissance. Raymond Lefebvre, envoy en Russie par le Parti Communiste Franais (1920), dont il tait dj un des jeunes chefs, aprs une longue enqute Moscou, a pri son retour dans des circonstances que l'loignement au moins a rendu mysardeur
1<
trieuses.
Traqu par
qu'il
ait
les blancs,
il
ne semble pas
trouv auprs des rouges tout l'empressement imaginable. Dans la mauvaise saison, il dut prendre place sur une mchante barque pour longer la cte de
la
fit
Mer
Il
naufrage.
Des
3=S
L'QUIPE PERD UN
HOMME
159
# #
y avait une force authenfront bossu, nez tique dans ce garon coupant, regards meurtriers, lvres minces, dents pointues, mchoire mtallique. Pourtant nous en avons dout mainte d'abord, ses essais littraires reprise htifs, fausss par les soucis du sicle, de la minute, nous durent (avant la guerre il avait bauch de trs belles pages de satire sociale). Ensuite ses articles nous laissrent insatisfaits, o sa pense se roidissait, vite durcie par la polmique quotidienne. Il s'enfonait en soi sans esprit de retour. Il frquentait un milieu impossible il en ptissait. Je ne parle les syndicapas des alliances politiques
Il tait fort. Il
:
listes, qu'il
recherchait plutt
socialistes,
que
les
pro-
fessionnels
biage,
sont plus
solides,
que ces mdiocres intellectuels qu'il hantait dans je ne sais quelle officine. Enfin quand de trs loin en trs loin je le ren-
i6o
MESURE
I)
LA
F R
les
l,
contrais, j'tais
qu'il portait
pouvant par
ravages
de tous cts et par ces jachres qu'il tendait autour de s<>: souci, de sa seule passion. Je ne pouvais
croire
que ces
par
le
Mais quels que fussent ses doutes passagers, j'ai toujours reconnu sa haute
valeur reprsentative.
ainsi
Nous
choisissons
autour de nous, dans le cercle plus ou moins large de nos familiers, des porteparole dont chacun nous transmet une des grandes voix qui retentissent dans le concert humain. Quelquefois nous bnficions d'assez hautes relations pour entendre ces voix mmes. Mieux que ce petit mastroquet rouquin et subversif qui tait dans mon escouade en 191 5, Raymond Lefebvre a personnifi pour moi l'esprit de rvolte qui est la moiti de Dieu.
y a une poigne d'hommes qui incombe le salut de l'espce. Aux haltes, on se soulve, on les regarde, on les compte. Parmi la foule affale, on est effray de les
Il
L'QUIPE PERD UN
voir
si
HOMME
161
Au-dessous, on doute de soi, et soudain on en voit un s'abattre, sa chute nivelle tout un ct de l'horizon... Le recrutement de l'lite est un fiasco permanent. A toutes les poques on a eu l'impression qu'il fallait boucher des trous. N'importe qui. Voil l'ternel cri de dtresse des partis politiques, des coles littraires, des grands sicles, des apoges. Pour tenir l'affiche, pour permettre Racine et Molire de souffler, il faut un Corneille qui s'oublie, Quinault, Pradon. Celui qui ne connat les groupes politiques qu' distance de lorgnette peut garder l'espoir de se tromper. Mais il me semble que le seul garon qui, dans cette Chambre d'aprs-guerre, aurait apport une volont c'et t Raymond Lefebvre. Lui seul aurait song se lever au milieu de tous ces assis. Lui seul aurait brass d'un mouvement acharn et continu cette torpeur qui se propage sans difficult des vieux aux jeunes. Ces combattants
RE D
I.
LA
la
<
I"
mchancet
ailcr
la
guerre,
ils
se
laissent
par
le
les
anciens du
srail, et ce n'tait
pas
long
casernement des tranches qui pouvait leur apprendre L'audace civique. Puis cet ambitieux proccup de saintet qui, par une erreur somme toute charmante, ne se singularisa d'abord des auqui ensuite, tres que comme un dandy lors de la tourmente, se recroquevilla sur lui-mme un peu chtivement, mais aussi
;
par tnacit qui enfin atteignit ce stade de la pense, le seul dcisif, le premier qui compte l'action, le mouvement physique, la confession par le corps oui, ce garon-l se serait dress entre ce bloc informe des partis bourgeois et cette mis;
:
;
poigne de chefs autrefois populaires qu'on appelle le parti socialiste, et qui le disputent leurs adversaires pour la vacuit de l'intellect et l'immobilit du vouloir. (Impossible de tenir compte de
rable
certaines exceptions.)
L'QUIPE PERD UN
torien
forces,
HOMME
l'quilibre
163
qui se rsigne
des
en m'abandonnant aux poses commodes du dilettantisme. Mais j'aime que pour un moment, avant de tout brouiller pour passer un autre moment, tout soit net. Je souhaitais donc que Lefebvre donnt forme humaine cette pense de gauche. En mme temps, je croyais sentir que quelqu'un vers la droite se lverait
qui opposerait ide ide, corps corps.
Il
fut pargne la
Chambre
vritable
partir.
au contraire
Il
fut
promu
une
preuve.
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