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Les villes minires marocaines face au dfi du dveloppement durable

Abdelaziz ADIDI, Institut national damnagement et durbanisme, Rabat, Maroc


LA PRODUCTION MINIRE GRANDE CHELLE donne souvent naissance ex-nihilo une ou
plusieurs concentrations urbaines qui se singularisent par leur morphologie, leurs structures
intra urbaines et leurs fonctions sociales et territoriales. La ville minire peut tre spontane
ou planifie et cre de toutes pices par la compagnie minire. Les agglomrations minires ne
peuvent tre isoles de lactivit et de lespace minier qui les ont scrts. Lextraction des minerais
et des combustibles minraux est donc une activit troitement localise, dont le dveloppement
peut entraner la formation de groupements de populations denses.
Au Maroc, o lexploitation de nombreuses ressources minires a donn naissance des formes
durbanisation originales, la gestion de lenvironnement urbain pose de grands problmes aux
dcideurs locaux. Les agglomrations minires sont, en effet, les premires victimes du processus de
dgradation de lenvironnement cause des rejets solides, liquides et gazeux de la mine. Si on ajoute
les problmes environnementaux ordinaires quon rencontre dans toutes les villes marocaines
(assainissements solide et liquide, habitat insalubre, pollution atmosphrique, pollution des rserves
deau, etc..), ces villes et agglomrations minires sont doublement victimes et fragilises par la
dgradation de lenvironnement, dautant plus que la population ouvrire est plus expos ces
nuisances. Ainsi, donc la sgrgation socio spatiale qui caractrise les villes minires dune manire
gnrale, sajoute lingalit des habitants devant le risque environnemental.
travers lexemple des agglomrations phosphatires marocaines nous montrerons lampleur de
ces dgts et injustices socio spatiales, mais encore, nous nous interrogerons sur lefficience des
stratgies mises en uvre par les acteurs locaux(le Conseil Communal, la Compagnie minire, les
ONG) afin de limiter ces nuisances et dassurer un dveloppement durable aux habitants de
ces concentrations minires urbaines.
LES CARACTRISTIQUES TECHNICO-CONOMIQUES DE LINDUSTRIE MINIRE
Incontestablement, lindustrie minire a t un vecteur de mutations conomiques et de
changements socio-spatiaux dans de nombreux pays producteurs du Tiers Monde, malgr son rle
multiplicateur de dpendance technologique et financire vis vis des pays capitalistes dvelopps. En
effet, en continuant jouer le rle de simple fournisseur de produits primaires aux industries lourdes
des pays conomiquement avancs, lchange ingal qui prvalait entre la mtropole et la colonie
continue aujourdhui de fonctionner en changeant de visage lheure de la mondialisation.
Cette situation trouve, en partie, son explication dans les caractristiques technico-conomiques
de lindustrie minire qui peuvent tre rsumes en quatre points fondamentaux:
-Une intensit capitalistique leve;
-une activit fortement consommatrice dnergie;
-une activit conomiquement et financirement risque;
-une activit polluante et fortement consommatrice despace.

Par industrie minire nous dsignons lextraction de grands gisements exploits par de puissantes compagnies minires
structures et modernes utilisant une main-duvre importante. Les petites exploitations minires artisanales ou faiblement
mcanises ne peuvent avoir sur lespace quun impact rduit et bien localis.
Nous utiliserons indiffremment les vocables Tiers Monde, pays en dveloppement - pays en voie de dveloppement ou encore
pays du sud.

Une forte intensit capitalistique


Le caractre capitalistique de lindustrie minire sapprcie par le rapport investissement initial/
chiffre daffaires annuel dont la moyenne se situe entre trois et quatre, contre un rapport de un
environ pour lindustrie manufacturire.
Pour les mines, cette intensit capitalistique sexplique dune part par lutilisation intensive de
technologies avances et par la mcanisation des procds dextraction et de traitement, et dautre
part par le cot lev des infrastructures daccompagnement: routes, chemins de fer, ports, rseau
dlectricit, conduites deau, agglomrations minires, centrales lectriques Ajoutons cela les
investissements de lutte contre les pollutions et les risques du travail. Mais le niveau dinvestissement
dpend fortement de la taille du projet. Plus ce projet est grand plus les besoins en capitaux
augmentent et plus les gains peuvent tre plus levs. Cela dit, lindustrie minire rapporte ses
oprateurs des rentes trs importantes. En effet, plus le projet minier est grand, plus les profits sont
normes, ce qui explique les enjeux et les conflits qui sous-tendent le secteur.
Nanmoins, et contrairement ce qui est gnralement admis, lindustrie minire moderne est
peu cratrice demploi vu limportance des investissements effectus. Linvestissement par emploi
cr peut atteindre plusieurs centaines de milliers de Dollars.
Une activit fortement consommatrice dnergie
Les quipements lourds, le machinisme sophistiqu et les moyens de transport que ncessite la
mise en valeur des gtes minraux requirent dnormes quantits dnergie, souvent acquises un
prix coteux sur le march mondial. La nature du minerai et le taux de concentration en substances
minrales utiles quil prsente sont les principaux facteurs qui agissent dune manire forte sur la
consommation dnergie. Moins la concentration du minerai est leve, plus la consommation
dnergie est importante pour extraire les quantits requises.
En fait, la question de la consommation dnergie se pose surtout pour les pays non producteurs de
cette ressource vitale comme cest le cas justement pour le Maroc. Par contre lavantage reste entier
pour les pays qui sont dots en mme temps dnergie et de matires premires minrales. Ils disposent
alors du nerf et du muscle obligatoirement ncessaires pour le dveloppement industriel de lconomie.
Une activit conomiquement vulnrable et financirement risque
Le caractre aventurier de lindustrie minire vient du fait que cette activit trs alatoire
comporte beaucoup de risque, en ce sens que linvestissement dans la prospection minire peut tre
totalement perdu: sur quatre Dollars dpenss en prospection et en valuation, un seul le sera en
moyenne sur un projet qui deviendra un gisement exploitable. Le seul moyen pour un oprateur
se livrant la prospection de ne pas risquer la faillite est dengager un volume suffisant de dpense
pour taler les risques.
Par ailleurs, une exploitation minire ncessite une priode minimum de dix vingt ans pour
rcuprer les capitaux investis; cette longue priode remet souvent en cause les prvisions et les
calculs de rentabilit raliss au dbut. Quelle que soit la qualit et la prcision de lvaluation
du gisement et de ltude de faisabilit, on ne connat vraiment les cots rels dexploitation que
lorsque celle-ci a commenc, et la rentabilit globale de lexploitation nest connue avec certitude
quune fois le gisement puis, en raison surtout du caractre conjoncturel et alatoire des cours des
produits miniers.
Lindustrie minire ncessite donc des capitaux normes, une matrise technologique et commerciale
et surtout une patience et un got du risque. Ces lments, quelques exceptions prs, nexistent
Pierre Nol Giraud: Gopolitique des ressources minires, ditions Economica Paris 1983, p. 118.
Ibid. p.93.
P.-G. Giraud, op. cit., p.125.

que chez quelques grands oprateurs miniers dans les pays en dveloppement. Do lappel, le plus
souvent, aux grands groupes europens amricains ou Japonais.
Une activit trs polluante et fortement consommatrice despace
Par ailleurs, lindustrie minire est, par dfinition, une activit extrmement polluante de par
les rejets solides, liquides et gazeux quelle gnre, mais aussi cause des destructions des terres
arables et des cosystmes quelle occasionne. Les crits et les colloques organiss sur ce sujet sont
abondants et les manifestations politiques pour protester contre les dgts environnementaux de
cette activit sont courantes en Europe, au Canada et aux tats-Unis. Pourtant ces tats disposent
darsenaux juridiques rigoureux de protection de lenvironnement.
Dans les pays en dveloppement o le Droit de lenvironnement est faible, voire, inexistant, les
dgts sont encore plus grands. En effet, lextraction ciel ouvert dtruit jamais le paysage le
paysage naturel, car il nexiste pas dobligation de reconstitution ou de rhabilitation des terrains
comme cest le cas en Europe et en Amrique du nord. En effet, lextraction ciel ouvert dtruit
jamais le paysage naturel aprs passage des engins de production, car il nexiste pas dobligation
de reconstitution ou de rhabilitation des terrains comme cest le cas en Europe et en Amrique
du nord.
Ajoutons cela que les oprations de traitement par voie humide, ncessitent des quantits
normes deaux qui, aprs tre charges de matires striles et nocives sont draines dans les cours
deau, les nappes, les lacs, et les mers.
Par ailleurs, les rejets solides amne la constitution dnormes terrils forms partir des diffrentes
substances striles dont leffet est la dfiguration du paysage naturel. titre dexemple, une tonne de
cuivre donne lieu 200 tonnes de striles, et une tonne daluminium le double. Les montagnes de
dblais qui en rsultent sont de nature modifier compltement le paysage naturel.
De surcrot, lindustrie minire est rpute pour son caractre consommateur despace. Le
dveloppement des techniques de lexploitation en dcouverte et lutilisation accrue des grands
engins de production et de transport ncessite de grandes aires gographiques pour le stockage, le
traitement et lvacuation. La zone de production peut stendre sur plusieurs kilomtres carrs,
entranant parfois la destruction de forts, de terres agricoles, voire dagglomrations rurales.
Dune manire gnrale cette activit souffre dune image ngative qui ne tient pas compte de
son poids conomique, de son dynamisme et du rle dentranement quelle peut jouer dans le tissu
conomique local et national. Ce secteur en pleine mutation, apparat, le plus souvent dans les
mdias par la chronique des accidents, la dgradation de lenvironnement, la fermeture des mines
et les licenciements
Ceci dit, la dcouverte et la mise en exploitation dimportants gisements au Maroc ont fait surgir
du sol des agglomrations jusque l inexistantes. Ainsi par exemple, la rgion minire de lOriental
(charbon, plomb, zinc) a vu la naissance de plusieurs centres, aujourdhui de dimensions diffrentes
(selon le Recensement gnral de la population et de lhabitat de 2004): Jrada 43916habitants,
Bouarfa 25947 habitants, Ganfouda 5748 habitants, Touissite 3429 habitants, Boubkere
1942habitants, Oued Al Heimer 1997 habitants.
Lexploitation des gisements de phosphates, quant elle, a fait surgir les agglomrations minires
suivantes (selon le RGPH 2004): Khouribga 166397 habitants, Youssoufia 64518 habitants,
Boujniba 15041 habitants, Hattane 10284 habitants, Boulanouare 10469 habitants, Boucra
2519 habitants.
Sans compter de nombreuses villes qui, sans tre exclusivement phosphatires, se sont dveloppes,
en partie, grce lindustrie extractive comme Ouad Zam (83970 hab.), Bangrir (62872 hab.) et
Layoune (183691 hab.).

Ajoutons tout cela plusieurs petits centres miniers parpills travers le territoire notamment dans le
Rif, le Moyen Atlas, lOriental, lAnti Atlas et le sud comme: TighzaJbel Aouam, Blaida, Zgoundare,
ImitereTinghir, AhouliMibladene, Imini, Zada, Sidi Harazem, Moulay Yacoub, Oulms
La ville minire est souvent le reflet de lorganisation, la stratgie et la politique sociale de
lentreprise qui la conue. Elle nat gnralement dans un milieu contraignant, voir agressif. La
compagnie minire navait pas de choix autre que de stabiliser et fixer la main-duvre sur place
malgr lexcentricit, les contraintes humaines, climatiques et/ou topographiques.
LESPACE MINIER PHOSPHATIER: UN PAYSAGE DICHOTOMIQUE ET DFIGUR
Il sagit ici de procder une lecture analytique de la logique qui a prsid aux choix
damnagement de cet espace quon veut souvent rduire un dterminisme purement gologique.
Limplantation dun site de production ou lamnagement dun espace de peuplement pose
lentreprise minire des problmes dordre minemment gographique. En effet, la prise en compte
simultane de la dimension spatiale stricto sensu, cest dire horizontale, et de la relation verticale
Homme / milieu naturel, intervient rarement de faon vidente. Comme tout espace gographique,
lespace minier est le fruit de cette double intervention sur ltendue et sur le milieu physique. Il
sagira, donc, dvaluer la part de lune et de lautre dans sa gense et dans sa structuration.
La mine ne dtruit pas totalement lespace pr-minier dont certaines caractristiques continuent de
coexister avec lespace minier dans le sens strict du terme, cest--dire lespace produit et appropri
par la compagnie minire. Cette forme dichotomique de lespace minier pris dans sa globalit rvle
une forme doccupation du sol trs complexe.
Il sagit danalyser limpact des amnagements effectus par lOffice chrifien des phosphates (OCP),
puissant organisme public dont les missions sont extraire, traiter, transformer et commercialiser le
phosphate pour produire et sapproprier lespace minier.
Lemprise foncire, facteur de dstructuration socio-spatiale: le cas de la commune rurale
des Oulad Azzouz
Fort des prrogatives de puissance publique dont il dispose, lOffice chrifien des phosphates peut
se permettre de procder lachat de gr gr ou lexpropriation pour utilit publique, mme de
terres collectives, tout moment et dans tout endroit quil juge ncessaire au dveloppement de la
production. Un Dahir du 25 septembre 1920 avait dclar dutilit publique les installations
ncessaires lexploitation des phosphates considres comme des terres sans propritaires, les
terres collectives prdominantes dans la rgion lpoque tant facile exproprier.
Lemprise foncire de lOCP est ingale dans les zones de production. Elle varie mme lintrieur
de chaque zone selon ltendue des couches phosphatires, la mthode dextraction pratique et
lutilisation future des terrains, soit pour lexploitation, soit pour les installations. Nayant pu
obtenir de donnes exactes sur le capital foncier de lOCP, on peut estimer quil est norme dans les
zones de production, sans doute des dizaines de milliers dhectares. Dans la zone de Khouribga, par
exemple, lemprise foncire OCP touche de nombreuses communes rurales comme Oulad Azzouz,
Oulad Abdoune, Mfassis et Bni Smir o cette entreprise est trs forte et celles de Foqra, Bni Ikhlaf
et Lagfaf o elle est moyenne.
Le cas de la commune rurale dOulad Azzouz dans la province de Khouribga est trs particulier.
Le capital foncier de lOCP y est voisin de 9000hectares. La mise en exploitation grande chelle
du gisement de Sidi Channane a ncessit, en effet, la mainmise sur un territoire norme dans cette
commune qui prsente prs du tiers (1/3) de tout lavoir foncier OCP dans la zone de Khouribga.
Dautant plus que la mcanisation et lexploitation ciel ouvert sont fortement consommatrices
despace. cette emprise foncire directe, sajoutent les terrains situs dans un rayon de 800 mtres
 Chiffre obtenu de manire informelle auprs dun responsable OCP.

ceinturant les zones exploites ciel ouvert qui sont eux-mmes affects par les nuisances de lactivit
minire: sautage du sol la dynamite, poussires, bruit, ce qui les rend par la suite impropres
la vie humaine et animale et la pratique de lagriculture.
Les consquences sociales et spatiales de lemprise foncire de lOCP sont extrmement graves sur
lespace rural de la commune des Oulad Azzouz. On peut les rsumer comme suit:
La dpossession des paysans de cette commune de leur terre a accentu les flux dmigration
qui affectent dj cette rgion. La population, aprs avoir augment de 10340 habitants en 1971
11056 en 1982, a chut 10072 habitants en 1994 puis 9434 en 2004. Par ailleurs, il ressort
dune enqute ralise en 1985 par lautorit locale de Hattane (dont dpend cette commune
rurale) que prs de 1456 personnes soit 149 mnages propritaires terriens, ont dfinitivement
quitt le territoire de la commune. Ajoutons cela, des dizaines dhabitations, voire des douars
entiers qui ont t compltement rass. Nous avons constat sur le terrain que le paysage des
constructions en ruines ou abandonnes est frappant.
La rduction des terres collectives et des terrains de parcours a fait que le btail, principal
richesse des semi-nomades de la rgion, soit srieusement diminu. Les fellahs dpossds de
leurs terres ont vendu leur btail et leurs biens mobiliers pour aller se rfugier dans les quartiers
insalubres de Fqih Ben Salah, Hattane, Ouad Zam et Khouribga sachant que les indemnits
verses par lOCP (3000 DH/hectare) permettent peine de survivre pendant quelques mois dans
un centre urbain.
La destruction jamais des terres arables par le systme dexploitation ciel ouvert rend encore
la situation plus dramatique, cest limpossible rhabilitation des terres expropries dans un avenir
proche ou lointain. Par consquent, une masse importante de fellahs est condamne au dracinement
dfinitif; certains deviennent des ouvriers agricoles dans le primtre de Tadla, dautres vont chercher
un emploi dans les chantiers du btiment et le secteur informel dans les villes.
Plus dramatique encore, lexpropriation seffectue sans aucune contrepartie de recrutement
par lOCP. Une tude ralise en 1995 a rvl que la main-duvre issue de cette commune ne
reprsente que 6% de la main-duvre locale et seulement 3,3% de lensemble des agents OCP
dans la zone de Khouribga.
En dfinitive, cette image se reproduit dans toutes les communes rurales touches par lexpropriation
et lexploitation minire. Limpact socio-spatial de la mine prend parfois des dimensions
catastrophiques de par les destructions svres du sol et du couvert vgtal et le dracinement des
populations rurales touches par les expropriations.
La voie ferre: ligne de dmarcation et symbole de diffrenciation spatiale
Le chemin de fer est le moyen de transport idal pour les produits miniers, au point de le
considrer comme un quipement quasi-obligatoire de toute exploitation minire. Dans les
gisements phosphatiers de Gantour et de Khouribga, la voie ferre est plus quun simple quipement
dinfrastructure, cest un lment de structuration et de diffrenciation socio-spatiale.
Certes, le chemin de fer, en traversant dimportants territoires, a permis de dsenclaver voire
dlectrifier de nombreuses localits (douars, communes rurales, petits centres). Le dveloppement
dune activit de transport de voyageurs et de marchandises en milieu rural est certes lune des
consquences positives de lactivit minire. Nanmoins, cette emprise ferroviaire est parfois un
obstacle physique et/ou psychologique la communication et lchange de part et dautre de la
voie ferre. Les accidents ferroviaires sont frquents dans les zones phosphatires; chaque anne
on dplore, en effet, de nombreuses pertes humaines et de btail le long de la voie. De nombreux
passages niveau, notamment en milieu rural, sont, en effet, mal ou non gards.
Enqute ralise par Abdelali Essamti: le rle de lexploitation minire dans les transformations du Plateau Ouardigha, thse
soutenue luniversit de Poitiers en 1996.

En milieu urbain, le chemin de fer est une importante source de nuisances pour les populations
riveraines: bruit, vibration des constructions, utilisation des voies comme dpotoir des ordures,
endroit pour accomplissement des besoins naturels, lieu de rencontre de dlinquants et toutes
catgories de dsuvrs sociaux De surcrot, la voie ferre est prsente dans limaginaire des
populations urbaines comme une ligne de dmarcation sparant deux entits spatiales de la ville
diamtralement opposes du moins avant le dsengagement de lOCP de par leurs niveaux
dquipement, leurs contenus sociaux, leurs formes urbanistiques et architecturales; en somme une
ligne de dmarcation tranche entre la ville minire stricto sensu et la ville libre.
Khouribga, pendant longtemps, la voie ferre a t une vritable barrire physique et
psychosociologique pour la communication entre le nord et le sud de la ville au point que chacune
des deux parties a dvelopp son propre centre; un centre europen abritant des constructions
et des activits modernes au sud de la voie ferre: PTT, banques, magasins modernes etc et un
centre de type mdina au nord avec des qissarias, des piceries traditionnelles Certes, on assiste
aujourdhui une certaine homognisation de la ville, mais dans les annes soixante et soixantedix, avant la construction des deux passages sous voie ferre, le passage dun centre lautre prenait
parfois laspect de la traverse dune frontire politique. Cest dans ce sens que la population
assimilait la ligne ferroviaire au mur de Berlin.
Youssoufia, la voie ferre scinde la ville en deux parties est et ouest ; lest nous retrouvons la cit
minire construite par lOCP et louest les quartiers spontans qui constituent la ville libre.
Cest quasiment la mme image de Khouribga reproduite une chelle plus rduite Youssoufia.
La communication entre les deux parties de la ville est encore plus difficile car il nexiste quun seul
passage souterrain et, de surcrot, troit. En plus de la sgrgation spatiale, la voie ferre Youssoufia
est un puissant facteur de cloisonnement et de fragmentation sociale.
Les installations minires: une source de nuisance pour les riverains
Dans un souci de matrise des cots de production, notamment ceux relatifs au transport du
personnel, lOCP a cherch, au dpart, de ne pas trop loigner les usines de traitement des cits
ouvrires. Contrairement aux sites de production (Recettes et Dcouvertes) dont la localisation peut
obir des considrations purement gologiques (affleurement de la couche, richesse du minerai),
les installations de traitement (schage, calcination et lavage) sont gnralement implantes sur la
base de critres techniques (facilit daccs et de chargement, existence ou proximit dinfrastructures
de base) et socio-conomiques (proximit dun centre daccueil pour les ouvriers).
Comme nous lavons signal plus haut, ce nest quen 1951 que de vritables units industrielles de
traitement seront mises en service par lOCP. Aujourdhui, presque toutes les nouvelles installations
sont implantes en rase campagne. Khouribga, par exemple, les usines de schage, de calcination
et denrichissement de Bni Idir, lusine de lavage de Sidi Daoui, la laverie de Karkour Rih et lusine
de schage dOuad Zam (COZ) sont localises loin, quelques kilomtres des centres urbains les
plus proches. Layoune, la seule unit de lavage et de schage est implante sur le littoral.
Bangrir, lunit de criblage est proximit du site de production.
Mais les anciennes installations ont t implantes lintrieur des agglomrations: Cest le cas
des usines de schage et de calcination de Khouribga et Youssoufia . Si les premires ont t fermes
en 1994 et converties en salles de sport, les secondes sont toujours oprationnelles et causent de
nombreuses nuisances aux populations des quartiers limitrophes.
En effet, pendant plusieurs dcennies Khouribga, et jusqu nos jours Hattane et Youssoufia,
les habitants des cits ouvrires et des quartiers voisins sont victimes de dversements quotidiens de
dizaines de tonnes de poussires sur leurs habitations. Les vapeurs deau dgages par les chemines
des usines sont fortement charges de poussires. Favoriss par la direction des vents, ces rejets
tombent plus facilement au sol en grande quantit et sur un petit rayon de la source dmission;
aussi les zones urbanises limitrophes se trouvent-elles atteintes par ces poussires.

On considre gnralement ces rejets comme ne portant atteinte qu lesthtique des zones
(salissure des faades et des cours des maisons), labsence dlments nuisibles, comme le soufre ou
le fluor, limite les effets de ces rejets sur les tres vivants. Il faut reconnatre, nanmoins, que jamais
une tude na t ralise ni par lOCP, ni par les autorits locales, pour connatre limpact rel de
ces rejets sur la sant humaine.
Toutefois, lOCP tente dattnuer ces nuisances par des oprations de reboisement, mais leffort
demeure insuffisant notamment du ct des quartiers non-OCP touchs.
Ces installations minires intra-urbaines constituent galement un srieux obstacle lextension
des villes de Khouribga (du ct Est) et Youssoufia (du ct Nord-Est et sud -Est). Lemprise foncire
de ces units limite lurbanisation tout en lorientant vers dautres directions.
Terrils et excavation: le paysage dfigur
Les terrils sont ces montagnes de rsidus et dimpurets extraites du minerai brut qui jonchent les
zones de production. Les excavations sont les normes trous causs au sol par lexploitation ciel
ouvert. Ces deux aspects du paysage minier sont de loin les problmes les plus srieux poss la
gestion de lenvironnement minier phosphatier au Maroc.
Les terrils ont un impact particulier sur le paysage des rgions de production. Comme les usines
de traitement, ils sont lorigine des poussires qui sont transportes par les vents qui les dposent
au voisinage, notamment sur les zones dhabitat. Ces terrils posent un vritable problme de gestion
de lenvironnement lOCP qui semble ne pas savoir quoi en faire.
Certes, quelques ingnieurs de lOffice ont eu lide de les amnager comme circuit de sport
automobile, Khouribga notamment, mais lexprience na pas t concluante. Dans les houillres
du Nord-Pas-de-Calais en France, par exemple, certains terrils sont utiliss aujourdhui comme
terrains de jeux, pistes de patinage, curiosit touristique
Ceci dit, la gestion de ces dchets devrait tenir compte de leur utilisation ultrieure (certains terrils
auraient des teneurs en minerais plus riches que certains gisements dj exploits et commercialiss
par dautre pays), de la ncessit de leur boisement afin de les rhabiliter sur le plan paysager et
surtout contribuer la protection des zones urbaines des dversements de poussires.
Sagissant des excavations et des terrains foudroys, ils constituent de vritables plaies dans
le paysage des zones de production. Les carrires et les affaissements sont, en dfinitive, une
consquence invitable des travaux miniers. Les affaissements sont frquents dans la zone de Gantour
o lexploitation souterraine a toujours t importante. Ils peuvent avoir des consquences graves
sur les btiments, les canalisations et les moyens de communication, comme ils peuvent rendre les
terrains striles ou ncessiter des travaux de ramnagement spciaux et coteux. Notons galement
que lopration de sautage qui consiste dynamiter les couches striles superficielles, produit des
fissures, dans les habitations situes dans un rayon de plus de 10km.
Les excavations produites par lexploitation ciel ouvert sont encore plus dramatiques pour
lenvironnement, car elle condamne jamais la partie arable du sol. Cest une vritable destruction de
la topographie naturelle. Alors quil sagissait auparavant de terres agricoles, ces excavations donnent
limpression dun paysage lunaire avec les inconvnients que cela comporte, notamment en matire de
drainage des eaux pluviales. Le problme se pose galement pour les terres de dcouvertes dplaces
lors de lextraction des phosphates et qui forment de petites montagnes sur le lieu dexploitation.
Il convient de noter que la lgislation minire en vigueur (notamment le dahir crant et organisant
lOCP) nimpose aucune contrainte aux activits minires en gnral, alors que dans dautres pays
existe le plus souvent lobligation de rtablir le site aprs extraction, et mme de le reboiser. La
lgislation marocaine semble, en effet, avoir privilgi le rendement au rtablissement de lquilibre
cologique qui imposerait aux entreprises minires dinvestir dans lenvironnement.

Des rejets liquides particulirement polluants


Demble, nous prcisons quil nexiste aucune donne chiffre concernant ces rejets car, en fait, le
thme des dgts environnementaux causs par lindustrie phosphatire en gnrale demeure encore
un sujet tabou chez lOCP. Nanmoins, les formes de dgradation de lenvironnement gnres
par lactivit phosphatire sont connues, notamment par ceux qui les vivent quotidiennement, en
loccurrence les mineurs et les habitants riverains.
Sagissant des rejets liquides, il est admis aujourdhui que lOCP en tant que grand consommateur
deau, notamment pour le lavage du phosphate, rejette des quantits liquides importantes
composes de matriaux solides et de produits chimiques. De nombreuses communes, notamment
celles abritant des usines de lavage, sont victimes de ces rejets en labsence de digues permettant de
contenir ces dversements.
Plus grave encore, ces rejets suivent de petits cours se dversant dans lOum Ar Rbia qui spare
le gisement de Khouribga de celui de Gantour. Ce fleuve reoit en effet, dimportantes quantits
de polluants organiques en plus des boues de lavage des phosphates, ce qui constitue un risque
deutrophisation des retenues existantes ou programmes.
Il convient de signaler, par ailleurs, que la prsence mme du phosphate dans le sol et le sous-sol
se traduit par des teneurs en fluorures des eaux des puits suprieures aux normes admissibles, ce qui
dtriorent les dents des habitants et du btail consommateurs de ces eaux et peuvent provoquer
de graves maladies chez les nourrissons. Ces risques sanitaires sajoutent ceux constitus par la
prsence de nitrates, galement en teneurs excessives dans beaucoup de puits (engrais chimiques),
dont certains sont en plus exposs la pollution organique et microbienne dcoulant des rejets
deaux uses des agglomrations amont (maladies hydriques).
Il ressort donc de ce qui prcde que lespace minier phosphatier prsente un paysage fortement
altr par une activit qui reste malgr ses retombes socio-conomiques positives grande dvoreuse
despace et destructrice de lenvironnement, car pratique essentiellement selon une idologie
uniquement productiviste hrite des temps de la colonisation.
LESPACE MINIER PHOSPHATIER: ESSAI DE LECTURE DES PRINCIPES DAMNAGEMENT
Lorganisation de lespace minier nest nullement fortuite ni neutre. Elle traduit une certaine
rationalit gographique de lentreprise minire dont le souci primordial est de produire plus
et au moindre cot.
Productivisme et taylorisme spatial
Il est incontestable que lorganisation interne de lespace minier ne rpond pas une logique
simplement alatoire ou fortuite, cest--dire entirement condamne par les caractres du gisement
et les hasards de la disposition des couches gologiques. lire certains travaux consacrs lorganisation
spatiale des pays noirs en Europe, on crot comprendre que ces espaces ne prsenteraient aucun
ordre, aucune logique dorganisation; ils seraient mme anarchiques car directement dtermins
par lagencement des couches de charbon comme la affirm P. Marchand propos du Nord-Pasde-Calais: Aucune rgle, aucun plan densemble nont guid la croissance de cette pte urbaine o
() seules les rues interminables () introduisent un semblant dordre.
C. Manzagol, propos des activits industrielles en gnral et minires en particulier, sen tonne:
Est-ce dire que la distribution des activits industrielles est compltement anarchique?10 Comme
nous avons tent de le montrer plus haut, ni le choix des gisements exploiter, ni la localisation des
Affirmation avance par ltude sectorielle site et environnement du SDAU KhouribgaOuad Zam, 1984 p.95.
P. Marchand in J.-P. Wytteman (dir),Le nord, de la prhistoire nos jours cit par Guy Baudelle, Le systme spatial de la
mine. op. cit. Tome II p.434.
10Christian Manzagol, Logique de lespace industriel, Paris, PUF, p. 205.

sites de production, ni limplantation des usines de traitement des cits minires et leur conception
urbanistique et architecturale ne sont un pur hasard. Il y a bien entendu une contrainte gologique
incontournable, mais dautres facteurs interfrent avec elle: rduction des cots de production,
proximit des rservoirs de main-duvre, dcentralisation des activits, clatement de la population
minire, sgrgation et fragmentation spatiale, garantie de la scurit
Une activit aussi stratgique et pratique grande chelle comme lindustrie minire phosphatire
ne pouvait faire lobjet dune improvisation et dune organisation spatiale spontane. Les lments
qui constituent lespace minier phosphatier savoir: les Recettes, les carrires ciel ouvert, le rail, les
convoyeurs, les usines de traitement, les entrepts, les terrils, les cits, les bureaux, les quipements
etc. sont agencs de manire permettre un fonctionnement optimal de lexploitation.
Ceci dit, des erreurs damnagement sont possibles et peuvent tre corriges dans la mesure du
possible, comme la fermeture des usines de traitement situes lintrieur du primtre urbain de
Khouribga; en raison de leurs missions de poussires et labandon de certaines Recettes considres
comme non rentables.
Deux principes fondamentaux commandent la logique de lorganisation de lespace minier en
tant quespace conomique: le productivisme et le taylorisme spatial.
-Le productivisme, car tant une affaire commerciale en premier lieu, tout est organis de
manire permettre une productivit (le rapport entre la production et les facteurs qui ont permis
de lobtenir) et de raliser des conomies dchelle en rduisant le cot de lunit produite grce
laugmentation de lchelle de production: cest lavantage de la grande entreprise.
La tendance vers le productivisme devient de plus en plus affirme lOCP par ladoption de
stratgies capitalistes de dveloppement, imposes par le caractre oligopolistique du march mondial
des phosphates. Ladoption de la mcanisation outrance au dtriment des dimensions sociale et
environnementale et lapplication de mthodes de management propres aux multinationales prives
sont les signes apparents de cette idologie productiviste quaffiche le Groupe OCP, ainsi que de
nombreuses compagnies minires marocaines et du Tiers Monde.
Le productivisme se lit galement travers lorganisation paramilitaire et svre de la production
et des ressources humaines: le respect rigoureux du temps de travail, la hirarchie du personnel, le
travail la tche dans les mines souterraines, les incitations par les primes et les avantages sociaux
lamlioration de la productivit, lorganisation de Cercles de Qualits Bref, ce sont des valeurs
capitalistes - introduites par la colonisation, maintenues et dveloppes depuis lIndpendance -qui
structurent les stratgies de dveloppement du Groupe.
Sur le plan spatial, cette idologie productiviste se lit travers de nombreux symboles: commencer
par le sige social du Groupe OCP implant la priphrie de Casablanca proximit dun changeur
autoroutier considr comme tant la porte dentre principale de la capitale conomique du pays.
Le btiment abritant ce sige, dune architecture futuriste distingue et imposante, est un signe de
gigantisme et de puissance conomique que seules quelques multinationales minires, ptrolires ou
industrielles travers le monde peuvent se permettre.
De nombreux signes spatiaux existent dans les zones de production, comme le sige des bureaux
de lOCP Khouribga dcor par une grande horloge murale rappelant ainsi aux agents et aux
simples passants la valeur sacre du temps.
-Le taylorisme spatial: Le taylorisme est dfini comme tant lensemble des mthodes
dorganisation scientifique du travail mises au point et prconises par Taylor11. Taylor12 fut le promoteur
de lOrganisation scientifique du travail (OST): utilisation optimale de loutillage, parcellisation
des tches, chasse aux gestes inutiles. Il prconisait, cette fin, le recours au chronomtrage et au
11Dfinition tire du dictionnaire Hachette de la langue franaise.
12Taylor (Frdrick Winslow) 1856 1915: ingnieur amricain qui sintressa aux processus du travail industriel.

versement de primes attaches aux gains de productivit. Ces mthodes sont aujourdhui remises en
cause par des sociologues, des psychologues et des mdecins du travail.
Le taylorisme spatial ou encore lespace taylorien (G.-N. fischer, 1980) signifie lespace conomique
rationalis et divis de manire optimiser la production. Pour matriser la complexit de son
organisation, lentreprise spcialise ses fonctions en multipliant ses installations et en les rpartissant
dune manire judicieuse sur lespace. La configuration des ateliers et des sites de productions dun
ct et celle des bureaux de lautre expriment concrtement cette structure.
Lespace spcialis est donc un espace divis et compartiment dans lequel se ralise une activit
morcele. Mais ce morcellement de lespace ne peut tre interprt qu partir du morcellement du
temps introduit par le taylorisme: il y a une logique spatio-temporelle du travail industriel. Dans
lindustrie, le temps est llment le plus important du systme.
Dans le secteur minier, lespace est aussi important que le temps. La gestion rigoureuse du temps
est marie lobsession doccuper rationnellement et judicieusement lespace, sachant que dans
lactivit minire pratique grande chelle, le gisement peut stendre sur plusieurs dizaines de
kilomtres, ce qui ncessite de la compagnie minire la recherche dune localisation optimale des
sites de production, des installations de traitement, des bureaux et des cits minires.
Dans les zones de production phosphatire au Maroc, la mise en place dun monopole dtat na
pas empch ladoption de mthodes de gestion et de production fondamentalement capitalistes,
notamment depuis la mise en uvre dun processus de mcanisation intense. Un systme rationalis
taylorien est donc mis en place par lOCP pour grer la fois les ressources humaines, le temps et
lespace. Les principes constitutifs de ce systme peuvent tre numrs comme suit:
La dcentralisation de la production: lOCP refuse de dpendre dun seul gisement; par
consquent, il exploite en mme temps plusieurs sites de production loigns lun de lautre de
plusieurs dizaines, voire centaines de kilomtres: Khouribga Gantour Boucra. Chaque zone
dispose dune autonomie relative par rapport la Direction Gnrale du Groupe. Celle-ci assure
la coordination et labore les stratgies de dveloppement.
La dconcentration des fonctions: lintrieur de chaque zone de production, lOCP
procde une sparation physique et spatiale nette entre les diffrentes fonctions minires. La
production le traitement le stockage le transport et lvacuation la gestion administrative
lhbergement. Parfois, lOCP procde un vritable clatement de la mme fonction afin
de pouvoir matriser le processus: clatement des cits, clatement des usines de traitement,
clatement des sites de production, clatement des services administratifs
La minimisation des distances: en sparant et clatant les fonctions minires, lOCP tche de
ne pas trop loigner les distances entre les diffrents points afin de respecter la loi du moindre
effort pour le maximum defficacit. Presque toutes les installations minires dpendantes
dune seule zone de production sont situes, le long du rseau routier, une distance maximale
de 30km.
La rentabilit, le respect du temps et la localisation rationnelle des installations minires font
lobjet dun vritable ftichisme de la part des dirigeants du Groupe. Mais ces principes conomiques
(ou conomistes) purs sajoutent des considrations idologiques occultes qui dterminent laction
de lOCP sur lespace: appropriation et contrle social.
Appropriation et contrle social
Dans les espaces miniers, il est vident que la compagnie minire, en possdant un patrimoine
foncier et immobilier important et en exerant un paternalisme quasi total sur la population
minire, sapproprie un territoire au point de lriger presque autonome, voire de le couper de son
environnement immdiat.

Dans les espaces phosphatiers, lOCP, fort de son emprise foncire et immobilire, de ses effectifs,
ses moyens techniques et financiers et son pouvoir, est un acteur puissant dans la gestion et
lamnagement de lespace. Non seulement il a son mot dire sur toutes les questions et les projets
concernant les rgions de production, mais par son poids et son pouvoir, il oriente, voire impose
sa propre vision aux autres acteurs locaux. noter galement que lOCP refuse toute immixtion des
autorits dans ses affaires internes.
LOCP, pour exprimer son appropriation des espaces miniers, procde des marquages par lesquels
il dlimite son territoire: signalisations, fils de fer barbels, grillages, enceintes, murs de clture
Les installations stratgiques comme les convoyeurs, les usines de traitement et les bureaux sont
protgs et gards par des lments des Forces Auxiliaires. Le sige du Groupe Casablanca est
gard comme une vritable forteresse. Laccs lintrieur ncessite le passage par plusieurs barrages
gards par des vigiles ou des appareils lectroniques. Dans tous les sites de production, la visite
des installations est soumise une autorisation pralable crite ou tlphonique de la part dun
responsable administratif hirarchiquement suprieur celui de linstallation visiter.
On est donc tent de parler de territoire minier 13 au lieu de la notion polysmique et
relativement neutre d espace minier pour exprimer la forte emprise territoriale de la compagnie
minire dans les zones de production. Une territorialisation double dune franche volont de
contrle de la vie sociale dans les sites de production et les espaces de peuplement.
Dans cette perspective, lespace, larchitecture et lurbanisme ont t conus comme le lieu
dinscription de lordre social. En amnageant et en sappropriant lespace, lOCP, produit un
territoire minier socialement organis et hirarchis. Cest un quilibre social que la compagnie
minire cherche maintenir en imposant des rgles et en inculquant des valeurs empchant toute
remise en cause de lordre tabli. Des remises en cause pouvant venir des conditions pnibles de
travail des mineurs, de lenvironnement fortement dgrad, de la sgrgation rige comme principe
fondamental dans le monde de la mine, des conditions de logement
Ce systme nest, cependant, pas infaillible. La contestation existe et prend diverses formes, elle est
mme plus forte et mieux organise que dans dautres secteurs. Le syndicalisme minier dans notre
pays comme dans le monde entier est rput parmi les mieux organiss et les plus combatifs.
Nanmoins, il existe une autre forme de contestation du systme OCP plus originale et qui prend
de plus en plus dampleur; il sagit des occupations illgales de logements OCP par des ex-agents ou
mme par des populations trangres la mine. Dans la zone de Khouribga, par exemple, la date
du 30 septembre 2000, nous avons recens 226 logements occups par des squatters.
En dfinitive, nous pouvons soutenir lide que lespace minier nest ni neutre, ni spontan. Il
traduit des rapports de force et des enjeux conomiques et sociaux de taille. Lamnagement de
lespace minier nest pas d uniquement un quelconque hasard gologique. LOCP, par une gestion
optimale de la mine, a toujours cherch concilier entre la capacit productive et la demande, dun
ct, les contraintes technico-physiques et la composante humaine, de lautre. La dialectique du
temps et de lespace est ici extrmement troite. Lamnagement de lespace minier et la conception
urbanistique des cits constituent un acte rflchi et volontariste; la spontanit et le hasard nont
que trs peu de place dans le schma densemble.
UNE GESTION URBAINE BICPHALE DES VILLES PHOSPHATIRES
Dans les villes minires, la gestion urbaine est aussi laffaire des entreprises minires qui, en raison
de leur poids social, conomique, foncier et immobilier, interviennent directement ou indirectement
dans la rgulation des enjeux locaux. Ainsi, la gestion urbaine a la particularit de faire lobjet tantt
dune entente entre les diffrents intervenants, tantt dun affrontement ouvert entre linstance
lue et lautorit locale dun ct, et lentreprise minire de lautre, ce qui nous amne faire le
13Guy Baudelle, Le systme spatial de la mine: lexemple du bassin houiller du Nord-Pas-de-Calais, thse dtat de gographie.

constat de lexistence dune gestion bicphale dans villes minires; bicphalisme, certes en cours
deffacement sur le plan institutionnel dans certaines agglomrations phosphatires, mais encore
trs tangible dans la ralit et la pratique quotidienne de la gestion urb1.1- LOCP: de lhgmonie
au dsengagement ou la d-officialisation de la ville
Lhgmonie de lOCP est perceptible travers son emprise foncire et spatiale, ainsi qu travers
son omniprsence dans la vie sociale, conomique, politique, sportive et culturelle locales, malgr
larrive en puissance de ladministration publique territoriale, principalement Khouribga.
Nanmoins, la promotion administrative des cits minires se traduit, le plus souvent par la mise
en place dune gestion territoriale locale doubles ttes. La compagnie minire se charge de grer
son patrimoine foncier et immobilier comme elle gre son personnel, selon des rgles qui lui sont
propres; tandis que ladministration locale gre les espaces urbaniss situs en dehors du primtre
minier selon les rgles du droit public.
Ainsi, dans les agglomrations phosphatires, la double structure spatiale urbaine correspond
une gestion urbaine bicphale qui a pris sa forme la plus labore dans la ville de Khouribga. Cette
situation peut tre apprcie travers lexamen des modalits de gestion des infrastructures de base:
eau potable, lectricit, assainissement, voirie.
-Pour ce qui est de leau potable, lOCP - ds les premires annes de lexploitation des gisements - sest
proccup de lalimentation en eau des cits minires. Aujourdhui, la totalit des centres miniers
de Khouribga est alimente par les conduites OCP. Dans les secteurs dits libres, notamment dans
certains quartiers irrguliers, de nombreux foyers souffrent encore du problme de lalimentation
en eau potable, notamment en t. Dans le secteur OCP, le rseau de distribution est gr et
entretenu par lOffice lui-mme qui dispose dun personnel comptent, compos dingnieurs,
techniciens et ouvriers qualifis. Dans le secteur non OCP (dit encore libre ou municipal) le
rseau ralis par lONEP - mais aliment par les conduites OCP - tait gr jusquen 1973 par les
services municipaux, gestion qui sest avre dfaillante, raison pour laquelle elle a t confie la
Rgie Autonome de Distribution (RAD). Le caractre dual de la gestion du rseau deau sillustre
au niveau de la tarification : lOCP applique des tarifs spciaux son personnel selon la catgorie
professionnelle allant jusquau quart (1/4) du tarif normal, alors que dans le secteur municipal
les tarifs sont appliqus intgralement.
-Pour ce qui est de llectricit, une fois encore, deux rseaux coexistent: celui de lOffice qui
alimente les secteurs OCP de Khouribga, Boujniba, Boulanouar et Hattane; et celui de la
municipalit, gr par lONE et la Rgie Autonome, qui alimente le secteur extra-OCP.
-Pour ce qui est de lassainissement liquide: le secteur OCP dispose de son propre rseau et de sa
station dpuration; le rseau dassainissement municipal na vu le jour quen 1971, avec une
petite station dpuration ralise au dbut des annes 80.
-En matire dassainissement solide; la municipalit se charge du ramassage dans les secteurs
libres, alors que dans les zones OCP, la collecte des ordures mnagres est assure en soustraitance par une entreprise prive sous le contrle de lOffice. Ceci rentre, en effet, dans le cadre
de sa politique dexternalisation de certaines activits.
-La dualit se manifeste galement au niveau de la voirie qui parat en bon tat dans le secteur OCP,
mais en voie de dgradation, voire compltement dgrade dans certains quartiers hors OCP.
Ce bicphalisme institutionnel tourne parfois lantagonisme, voire laffrontement entre deux
logiques de gestion territoriale diamtralement opposes : celle de lOCP fonde sur des rgles de
rentabilit et defficacit, et celle des pouvoirs publics locaux bases sur des principes de service
public et dintrt gnral.
Dans la pratique, la gestion urbaine dans les villes minires et para minires constitue un champ
conflictuel o saffrontent plusieurs acteurs dfendant chacun ses propres intrts, au point que
le Conseil Municipal est, en quelque sorte, pris en otage par les groupes de pressions locaux

(syndicalistes mineurs, propritaires fonciers, gros commerants, notables, anciens rsistants).


Il est ais dillustrer cela, travers les cas des deux grandes agglomrations phosphatires que sont
Khouribga et Youssoufia.
On peut dduire en dfinitive que les villes phosphatires marocaines sont doublement victimes
des dgradations de lenvironnement; puisqelles subissent les nuisances de lindustrie minire dun
ct, et souffrent de nombreuses dficiences urbaines de lautre (habitat insalubre, assainissement
solide et liquide, alimentation en eau potable). Ces villes sont galement victimes de leur modle
de gestion urbaine o saffrontent deux logiques diamtralement opposes, celle de la compagnie
minire (lOCP) et celle du conseil municipal. Leur dveloppement est tributaire de la solution, du
moins de lattnuation de ces dysfonctionnements.

RFRENCES
ADIDI Abdelaziz, Espace minier et formes de croissance urbaine dans le bassin phosphatier de Khouribga,
thse en gographie soutenue luniversit Jean Moulin, Lyon III, 1986.
BAUDELLE Guy, Le systme spatial de la mine: lexemple du bassin houiller du Nord-Pas-de-Calais,
thse dtat de gographie soutenue luniversit de Lille, 1992.
ESSAMTI Abdelali, Le rle de lexploitation minire dans les transformations du Plateau Ouardigha,
thse soutenue luniversit de Poitiers, 1996.
Giraud Pierre-Nol, Gopolitique des ressources minires, ditions Economica, Paris, 1983, p. 118.
MANZAGOL Christian, Logique de lespace industriel, Paris, PUF, 1985.

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