Arsene Lupin Contre Herlock Sholmes
Arsene Lupin Contre Herlock Sholmes
Arsene Lupin Contre Herlock Sholmes
Maurice Leblanc
Premier épisode
LA DAME BLONDE...............................................................5
Chapitre 1
Le diamant bleu.......................................................................50
Chapitre 3
Un enlèvement........................................................................157
Chapitre 6
Deuxième épisode
LA LAMPE JUIVE..............................................................237
Chapitre 1...............................................................................238
Chapitre 2...............................................................................285
–3–
Bibliographie sommaire des aventures d’Arsène Lupin...329
–4–
Premier épisode
LA DAME BLONDE
–5–
Chapitre 1
– Combien ?
– Ah !… À Monsieur, peut-être ?
–6–
Mais il n’avait pas fait dix pas dans la rue qu’il fut rejoint
par le jeune homme, qui, le chapeau à la main et d’un ton de
parfaite courtoisie, lui dit :
– Cependant…
–7–
L’inconnu se planta devant lui.
– Non.
– Le triple ?
–8–
souvenirs furtifs qu’elle conservait en l’honneur de son cousin
Philippe.
– Et ton secrétaire ?
– Ainsi tu es contente ?
–9–
À son tour il entra dans la chambre. Le secrétaire n’y était
plus.
– 10 –
Mais M. Gerbois resta persuadé qu’il avait subi un
dommage énorme. Une fortune devait être dissimulée dans le
double-fond d’un tiroir, et c’était la raison pour laquelle le jeune
homme, connaissant la cachette, avait agi avec une telle
décision.
– 11 –
Le journal lui glissa des doigts. Les murs vacillèrent devant
ses yeux, et son cœur cessa de battre. Le numéro 514 – série 23,
c’était son numéro !
– Suzanne ! Suzanne !
– Laquelle ?
– 12 –
– Celle du Louvre… que j’avais rapportée un jeudi… et qui
était au bout de cette table.
– Quand ?
– Où ? … dans le secrétaire.
– Oui.
Il répéta ces mots tout bas, avec une sorte d’épouvante. Puis
il lui saisit la main, et d’un ton plus bas encore :
– 13 –
L’énormité du désastre les écrasait, et longtemps ils
gardèrent un silence qu’ils n’avaient pas le courage de rompre.
– Parbleu !
– Et tu n’en as pas ?
– Alors ?
– Est-ce qu’on sait ! Est-ce qu’on sait ! Cet homme doit être
si fort ! Il dispose de telles ressources ! … Souviens-toi… l’affaire
de ce meuble…
– 14 –
Il se releva dans un sursaut d’énergie, et frappant du pied :
« Gerbois. »
« Arsène Lupin. »
– 15 –
Chaque fois que j’entreprends de raconter quelqu’une des
innombrables aventures dont se compose la vie d’Arsène Lupin,
j’éprouve une véritable confusion, tellement il me semble que la
plus banale de ces aventures est connue de tous ceux qui vont
me lire. De fait, il n’est pas un geste de notre « voleur national »,
comme on l’a si joliment appelé, qui n’ait été signalé de la façon
la plus retentissante, pas un exploit que l’on n’ait étudié sous
toutes ses faces, pas un acte qui n’ait été commenté avec cette
abondance de détails que l’on réserve d’ordinaire au récit des
actions héroïques.
– 16 –
Des recherches opérées aussitôt par le Crédit Foncier, il
résulta que le numéro 514 – série 23 avait été délivré par
l’intermédiaire du Crédit Lyonnais, succursale de Versailles, au
commandant d’artillerie Bessy. Or, le commandant était mort
d’une chute de cheval. On sut par des camarades auxquels il
s’était confié que, quelque temps avant sa mort, il avait dû céder
son billet à un ami.
– Non.
– Quelle lettre ?
– Montrez-la.
– 17 –
– Mais elle se trouvait dans le secrétaire volé !
– Retrouvez-la.
« Mon cher ami », c’est moi, ajoutait Arsène Lupin dans une
note jointe à la lettre du commandant. Et la meilleure preuve
c’est que j’ai la lettre.
– 18 –
La nuée des reporters s’abattit immédiatement chez
M. Gerbois qui ne put que répéter :
Et Lupin riposta :
– Qu’il le prouve !
– 19 –
en tout cas ne pouvait prévoir que ce billet gagnerait le gros lot,
il gémissait :
« Que faire ?
– 20 –
« Je ne vois qu’un moyen, séparons. Un demi-million pour
vous, un demi-million pour moi. N’est-ce pas équitable ? Et ce
jugement de Salomon ne satisfait-il pas à ce besoin de justice
qui est en chacun de nous ?
« Arsène Lupin. »
– 21 –
– Cependant cinq cent mille francs valent mieux que rien.
– N’importe, je poursuis.
– 22 –
Le soir, on apprenait par les journaux l’enlèvement de Mlle
Gerbois.
– 23 –
Ville-d’Avray, un épicier déclara qu’il avait fourni de l’huile à
une automobile fermée qui arrivait de Paris. Sur le siège se
tenait un mécanicien, à l’intérieur une dame blonde –
excessivement blonde, précisa le témoin. Une heure plus tard
l’automobile revenait de Versailles. Un embarras de voiture
l’obligea de ralentir, ce qui permit à l’épicier de constater, à côté
de la dame blonde déjà entrevue, la présence d’une autre dame,
entourée, celle-ci, de châles et de voiles. Nul doute que ce ne fût
Suzanne Gerbois.
– Mais le mécanicien ?
– Il est ici ?
– 24 –
– Ne pouvons-nous retrouver sa trace ?
Ainsi donc, quelque piste que l’on suivît pour sortir des
ténèbres, on aboutissait à d’autres ténèbres, à d’autres énigmes.
– 25 –
– Tout cela n’est que racontars et mensonges.
– Certes.
– La voici.
– 26 –
dans l’engrenage de ses combinaisons, ne touchant pas un
traître sou du million convoité… du coup les rieurs passaient
dans l’autre camp.
– Et Mlle Gerbois ?
– Non.
– Vous l’affirmez ?
– Non.
– 27 –
– Donc c’est oui. Quelles sont ses instructions ?
– 28 –
principal Ganimard, le vieux Ganimard, l’ennemi implacable de
Lupin. Et Ganimard disait au brigadier Folenfant :
– Absolument.
– Combien sommes-nous ?
– Quel autre ?
– Lui.
– 29 –
– Il est assez drôle, observa judicieusement le brigadier
Folenfant, que nous en soyons réduits à protéger ce Monsieur
contre lui-même.
– Attention, fit-il.
– 30 –
Il s’était élancé, et d’autres hommes couraient, en même
temps que lui, autour de la Madeleine.
– 31 –
– Cocher, 25, rue Clapeyron.
– Parfaitement.
– Pas encore.
– Viendra-t-il ?
L’avocat répondit :
– 32 –
– Vous m’interrogez, Monsieur, sur la chose du monde que
je suis le plus curieux de savoir. Jamais je n’ai ressenti pareille
impatience. En tout cas, s’il vient, il risque gros, cette maison
est très surveillée depuis quinze jours… on se méfie de moi.
– Mais alors…
– Je l’espère.
– 33 –
M. Gerbois gémit :
La porte s’ouvrit.
– 34 –
Quelqu’un se tenait sur le seuil, un homme jeune,
élégamment vêtu, en qui M. Gerbois reconnut aussitôt
l’individu qui l’avait abordé près de la boutique de bric-à-brac, à
Versailles. Il bondit vers lui.
– 35 –
– Monsieur Gerbois, je vous félicite de l’habileté avec
laquelle vous avez agi tout à l’heure. Si l’automobile n’avait pas
eu cette panne absurde, on se retrouvait tout simplement à
l’Étoile, et l’on épargnait à Maître Detinan l’ennui de cette
visite… enfin ! c’était écrit…
– Eh bien ?
– Vous croyez ?
– 36 –
– Je crois M. Gerbois incapable de dépister Ganimard… que
vous disais-je ? Le voici, ce brave ami !
– 37 –
– C’est-à-dire, mon cher Maître, que vous ne voulez rien
accepter d’Arsène Lupin. Voilà ce que c’est, soupira-t-il, d’avoir
une mauvaise réputation.
– Qu’en savez-vous ?
– Je sais que les jeunes filles font souvent des rêves sans
l’autorisation de leurs papas. Heureusement qu’il y a de bons
génies qui s’appellent Arsène Lupin, et qui dans le fond des
secrétaires découvrent le secret de ces âmes charmantes.
– 38 –
d’acajou, décoré de chapiteaux à feuilles d’acanthe, fut retrouvé
dans la petite maison discrète qu’habitait à Boulogne Marie
Walewska, et il porte sur l’un des tiroirs l’inscription :
Le professeur gémit :
– Tout cela ?
– Cet enlèvement…
– 39 –
– Nullement. Qui dit enlèvement, dit violence. Or c’est de
son plein gré qu’elle a servi d’otage.
– 40 –
– C’est elle, dit Lupin. Mon cher maître, si vous voulez
bien…
L’avocat se précipita.
– 41 –
Suzanne rougit, perdit contenance, et enfin, comme le
conseillait Lupin, se jeta de nouveau dans les bras de son père.
– 42 –
Et il continua en réfléchissant :
– 43 –
– Monsieur Gerbois, il est trois heures quarante-deux
minutes ; à trois heures quarante-six, je vous autorise à sortir de
ce salon… pas une minute plus tôt que trois heures quarante-
six, n’est-ce pas ?
– 44 –
Après quelques secondes, résolument, il passa dans le
vestibule. Lupin et la dame blonde n’y étaient plus.
Il ouvrit.
Ganimard se rua.
– 45 –
– Et par où donc ? riposta Ganimard… à travers les airs ?
– Personne ?
– Personne.
– Ohé !… Ohé !…
– 46 –
M. Dudouis s’écria en riant :
– Je le cherche, grogna-t-il.
– Qui ?
– La maison voisine ?
– 47 –
– Pas de communication avec elle.
– 48 –
Du moment qu’il n’y a aucune trace de leur fuite, c’est qu’ils
sont là !
– 49 –
Chapitre 2
Le diamant bleu
– Bien, ma sœur.
– 50 –
La religieuse s’en alla. Au bout d’un instant ce fut Charles, le
domestique, qui vint prendre les ordres. Le Baron s’était
réveillé. Il répondit lui-même.
– 51 –
longtemps, sept ou huit secondes peut-être, et de façon posée,
ininterrompue…
– Mademoiselle ?
Aucune réponse.
– 52 –
– Quoi ! … Est-ce possible ?… bégaya-t-il.
– 53 –
Bien plus, il vit sur la table, près du trousseau de clefs et du
portefeuille que le Baron y déposait chaque soir, une poignée de
louis d’or. Charles saisit le portefeuille et en déplia les poches.
L’une d’elles contenait des billets de banque. Il les compta : il y
avait treize billets de cent francs.
– 54 –
enfin raconter au commissaire les détails du crime et lui
remettre entre les mains les treize billets de banque.
– Le cadavre… M. le Baron…
Le domestique balbutia :
– 55 –
– Quelqu’un est venu.
– Par où ?
– Mais qui ?
– L’assassin !
– Qu’est-elle devenue ?
– 56 –
– Selon moi, son lit n’étant même pas défait, elle a dû
profiter de l’absence de la sœur Auguste pour sortir elle aussi.
Cela ne m’étonne qu’à moitié, elle est jolie… jeune…
– Par la porte.
– Naturellement.
– 57 –
Auguste. On ne fit aucune découverte. Tout au plus la sœur
Auguste s’étonnait-elle de la disparition d’Antoinette Bréhat.
Elle avait engagé la jeune fille douze jours auparavant, sur la foi
d’excellents certificats, et se refusait à croire qu’elle eût pu
abandonner le malade qui lui était confié, pour courir, seule, la
nuit.
– 58 –
– Vous prenez donc quelque intérêt à ce qui n’est pas le
billet 514 – série 23, l’affaire de la rue Clapeyron, la Dame
blonde et Arsène Lupin ?
– Exactement.
– 59 –
La remarque frappa les assistants. Ganimard reprit :
– M. le Baron, parbleu.
– 60 –
– Le meurtrier.
– 61 –
– Ce sont bien les cheveux de Mlle Antoinette. Pas moyen
de s’y tromper.
Et il ajouta :
– Aucune.
– Alors ?
– 62 –
mystérieusement qu’Arsène Lupin pénétra chez Maître Detinan
et s’en échappa en compagnie de la Dame blonde.
– Ce qui signifie ?
– Je le crois.
– Encore faut-il qu’il ait des raisons pour être quelque part,
observa M. Dudouis, et, en l’espèce, les raisons me semblent
– 63 –
obscures. Le secrétaire n’a pas été fracturé, ni le portefeuille
volé. Il reste même de l’or sur la table.
– Quel diamant ?
– 64 –
– Et vous renoncez, je l’espère, à suspecter ce malheureux
Lupin ? ricana M. Dudouis.
– 65 –
Diamant magnifique, énorme, d’une pureté incomparable,
et de ce bleu indéfini que l’eau claire prend au ciel qu’il reflète,
de ce bleu que l’on devine dans la blancheur du linge. On
admirait, on s’extasiait… et l’on regardait avec effroi la chambre
de la victime, l’endroit où gisait le cadavre, le parquet démuni
de son tapis ensanglanté, et les murs surtout, les murs
infranchissables au travers desquels avait passé la criminelle.
On s’assurait que le marbre de la cheminée ne basculait pas, que
telle moulure de la glace ne cachait pas un ressort destiné à la
faire pivoter. On imaginait des trous béants, des orifices de
tunnel, des communications avec les égouts, avec les
catacombes…
– 66 –
deux cent quatre-vingt mille pour madame… personne ne dit
mot ?…
– 67 –
– Quatre cent mille, clama Herschmann, sursautant,
comme si le bruit du marteau l’arrachait de sa torpeur.
Il se mit à rire.
– Est-ce possible ?
– Oui.
– De la part de qui ?
– 68 –
– De la part d’une dame.
– Où est-elle ?
– Et qui s’en va ?
– Oui.
– 69 –
Résumons cette curieuse affaire dont les émouvantes et
dramatiques péripéties nous ont tous passionnés et sur laquelle
il m’est enfin permis de jeter quelque lumière.
– 70 –
Jour et nuit des agents entourèrent le château.
– 71 –
Durant quatre jours le vieil inspecteur principal fureta,
potina, se promena dans le parc, eut de longues conférences
avec la bonne, avec le chauffeur, les jardiniers, les employés des
bureaux de poste voisins, visita les appartements qu’occupaient
le ménage Bleichen, les cousins d’Andelle et Mme de Réal. Puis,
un matin, il disparut sans prendre congé de ses hôtes.
– 72 –
– Très sérieux, chef. Avant une heure, les dernières
aventures auxquelles j’ai donné mon concours auront leur
dénouement ici. Il m’a semblé que votre présence était
indispensable.
– Oui, chef.
Et le comte demanda :
– 73 –
cachetée suivant les règlements, et déclarée pour une valeur de
cent francs.
M. de Crozon objecta :
– Oui.
– 74 –
– Vous avait-elle engagée à acheter la bague ?
– Et après ?
– 75 –
– Moi, rien, mais Mme de Réal y répondra.
– 76 –
– Il n’y a pas de temps à perdre. Monsieur et madame de
Crozon, veuillez passer dans la pièce voisine. Vous aussi,
Monsieur d’Hautrec… et vous aussi Monsieur Gerbois… la porte
restera ouverte et, au premier signal, je vous demanderai
d’intervenir. Restez, chef, je vous en prie.
– 77 –
Quelle victoire sur Arsène Lupin ! Et quelle revanche ! Et en
même temps cette victoire lui semblait remportée avec une telle
aisance qu’il se demandait si la Dame blonde n’allait pas lui
glisser entre les mains grâce à quelques-uns de ces miracles
dont Lupin était coutumier.
– Cependant…
– Que voulez-vous ?…
– 78 –
Ganimard était vainqueur. Il tenait la Dame blonde. Maître
de lui, il articula :
– 79 –
Mme Réal l’observait d’un air stupide, et comme si vraiment
elle ne saisissait pas le sens de ses paroles. Il continua :
– Mais vous êtes fou, Monsieur ! Vous êtes fou ! Que signifie
tout cela ?
– 80 –
Il poussa la porte du salon voisin, se rua sur M. Gerbois, le
bouscula par les épaules, et l’attirant devant Mme Réal :
– Non.
M. Dudouis se leva.
– 81 –
– Vous nous excuserez, madame, il y a là une confusion
regrettable que je vous prie d’oublier. Mais ce que je ne saisis
pas bien c’est votre trouble… votre attitude bizarre depuis que
vous êtes ici.
– Non.
– 82 –
– En ce cas, cette lettre doit être pour vous, je l’ai reçue ce
matin, avec l’adresse que vous pouvez lire : « M. Justin
Ganimard, aux bons soins de Mme Réal. » J’ai pensé que c’était
une plaisanterie, puisque je ne vous connaissais pas sous ce
nom, mais sans doute ce correspondant inconnu savait-il notre
rendez-vous.
– 83 –
« Arsène Lupin. »
– 84 –
ne le vole pas. Elle le vole, et c’est pour s’en débarrasser au
profit d’un autre.
Il fut décontenancé.
– 85 –
– Il est peu probable qu’il aboutisse ?
– 86 –
Chapitre 3
Je m’écriai :
– Par hygiène.
– Et jamais d’infraction ?
– 87 –
Nous dînions tous deux près de la gare du Nord, au fond
d’un petit restaurant où Arsène Lupin m’avait convoqué. Il se
plaît ainsi, de temps à autre, à me fixer le matin, par
télégramme, un rendez-vous en quelque coin de Paris. Il s’y
montre toujours d’une verve intarissable, heureux de vivre,
simple et bon enfant, et toujours c’est une anecdote imprévue,
un souvenir, le récit d’une aventure que j’ignorais.
– Trop peut-être.
– 88 –
Était-il sérieux ? Plaisantait-il ? Le ton de sa voix s’était
échauffé, et il continua.
Il sourit.
– Ma foi non.
– Diable ! Et pourquoi ?
– 89 –
– Un petit voyage que lui offrent les Crozon, le neveu
d’Hautrec et le Gerbois. Ils se sont retrouvés à la gare du Nord,
et de là ils ont rejoint Ganimard. En ce moment ils confèrent
tous les six.
Il protesta :
– 90 –
– Mais non, mais non, Ganimard a de la finesse… parfois
même de l’esprit.
– De l’esprit !
– Quoi qu’il en soit, vous voici deux adversaires sur les bras,
et quels adversaires !
– Et l’autre ?
– Il est fort.
– 91 –
avantage sur lui, c’est qu’il attaque et que, moi, je me défends.
Mon rôle est plus facile. En outre…
– Alors… quoi ?
– Le besoin d’air.
– 92 –
– Non, je sors… vite, donnez-moi mon pardessus et mon
chapeau, je file…
– Herlock Sholmès.
– 93 –
voyait, non pas mon apparence toujours modifiable, mais l’être
même que je suis… et puis… et puis… je ne m’y attendais pas,
quoi !… Quelle singulière rencontre … ce petit restaurant…
– Non… non…
– Qu’allez-vous faire ?
– 94 –
– Vous auriez tort… sans compter que le geste ne serait pas
beau… et tellement inutile !
Wilson balbutia :
– 95 –
– Pourquoi ne l’arrêtez-vous pas ?
– Garçon !
– 96 –
menton rasé, ni son aspect un peu lourd – rien, si ce n’est ses
yeux terriblement aigus, vifs et pénétrants.
– Ce soir est un peu tôt, mais j’espère que dans huit ou dix
jours…
– 97 –
– Largement, si vous vous en tenez à la double affaire du
diamant bleu. C’est, du reste, le laps de temps qu’il me faut pour
prendre mes précautions, au cas où la solution de cette double
affaire vous donnerait sur moi certains avantages dangereux
pour ma sécurité.
– Difficile… difficile…
Et il reprit :
– 98 –
– Évidemment, je n’ai pas tous les atouts entre les mains,
puisqu’il s’agit d’affaires déjà vieilles de plusieurs mois. Il me
manque les éléments, les indices sur lesquels j’ai l’habitude
d’appuyer mes enquêtes.
– Quelques vues qui nous ont été suggérées soit par analyse,
soit par hypothèse, ajouta Wilson sentencieusement.
– 99 –
– Beaucoup moins, en effet, fit Wilson, écho fidèle.
– Et alors ?
– 100 –
– Maintenant, parlons du diamant bleu. Aviez-vous essayé
de vous l’approprier depuis que le Baron d’Hautrec le
possédait ? Non. Mais le Baron prend l’hôtel de son frère : six
mois après, intervention d’Antoinette Bréhat et première
tentative. Le diamant vous échappe, et la vente s’organise à
grand fracas à l’hôtel Drouot. Sera-t-elle libre, cette vente ? Le
plus riche amateur est-il sûr d’acquérir le bijou ? Nullement. Au
moment où le banquier Herschmann va l’emporter, une dame
lui fait passer une lettre de menaces, et c’est la comtesse de
Crozon, préparée, influencée par cette même dame, qui achète
le diamant. Va-t-il disparaître aussitôt ? Non : les moyens vous
manquent. Donc, intermède. Mais la comtesse s’installe dans
son château. C’est ce que vous attendiez. La bague disparaît.
– 101 –
Arsène Lupin demeura un instant silencieux, puis, très
simplement, les yeux fixés sur l’Anglais :
– 102 –
– Dans dix jours, oui, toute la vérité vous sera connue.
– Non.
– Non ?
– 103 –
– Presque, Monsieur Wilson, et la preuve, dit Lupin en se
levant, c’est que je vais hâter mes dispositions de retraite… sans
quoi je risquerais d’être pris au gîte. Nous disons donc dix jours,
Monsieur Sholmès ?
– 104 –
– Qu’en dites-vous, mon cher ? Voilà un repas dont les
incidents feront bon effet dans les mémoires que vous préparez
sur moi.
– Vous fumez ?
Il s’éloigna rapidement.
– 105 –
À l’instant même où Lupin me quittait, Herlock Sholmès
tirait sa montre et se levait à son tour.
Ils sortirent.
– Pour manger.
– 106 –
– Ah ! fit Wilson interloqué.
– Vous, mon ami, filez par cette rue, prenez une voiture,
deux, trois voitures. Revenez plus tard chercher les valises que
nous avons laissées à la consigne, et, au galop, jusqu’à l’Élysée
Palace.
– Et à l’Élysée-Palace ?
Wilson, tout fier du rôle important qui lui était assigné, s’en
alla. Herlock Sholmès prit son billet et se rendit à l’express
d’Amiens où le comte et la comtesse de Crozon étaient déjà
installés.
– Oui.
Il la prit et l’examina.
– 107 –
– C’est bien ce que je pensais, c’est du diamant reconstitué.
– Du diamant reconstitué ?
– Et alors, celui-là ?
– Absolument faux.
– 108 –
– Est-ce possible ! Mais pourquoi ne l’a-t-on pas volé tout
simplement ? Et puis comment l’a t’on pris ?
– Au château de Crozon ?
– Cependant…
– Oui.
– 109 –
Un employé protesta vainement. L’Anglais se dirigea vers le
bureau du chef de gare. Cinquante minutes après, il sautait dans
un train qui le ramenait à Paris un peu avant minuit.
– 110 –
– C’est vrai, se dit-il, depuis la mort du Baron, il n’y a pas de
locataires… ah ! si je pouvais entrer et faire une première visite !
– 111 –
Arrivé sur le palier, il pénétra dans une pièce et s’approcha
de la fenêtre que blanchissait un peu la lumière de la nuit. Alors
il avisa dehors l’homme qui, descendu sans doute par un autre
escalier, et sorti par une autre porte, se faufilait à gauche, le
long des arbustes qui bordent le mur de séparation entre les
deux jardins.
– 112 –
couteau. Mais Sholmès, qu’exaspérait l’idée de sa victoire
prochaine, le désir fou de s’emparer, dès la première heure, de
ce complice d’Arsène Lupin, sentait en lui des forces
irrésistibles. Il renversa son adversaire, pesa sur lui de tout son
poids, et l’immobilisant de ses cinq doigts plantés dans la gorge
du malheureux comme les griffes d’une serre, de sa main libre il
chercha sa lanterne électrique, en pressa le bouton et projeta la
lumière sur le visage de son prisonnier.
– 113 –
– Je me suis couché.
– Il fallait dormir !
– J’ai dormi.
– Votre lettre…
– Ma lettre ?…
– Je vous jure.
– 114 –
– C’est de vous emparer de l’ombre… l’idée était excellente…
seulement, voyez-vous, dit Sholmès en aidant son compagnon à
se relever et en l’entraînant, une autre fois, Wilson, lorsque vous
recevrez une lettre de moi, assurez-vous d’abord que mon
écriture n’est pas imitée.
– Hélas ! non.
– De qui ?
– D’Arsène Lupin.
– 115 –
– Cependant…
– 116 –
Ils s’élancèrent tous deux au pas de course, chacun par son
escalier, et se retrouvèrent en même temps à l’entrée de la
chambre éclairée. Au milieu de la pièce brûlait un bout de
bougie. À côté, il y avait un panier, et de ce panier émergeaient
le goulot d’une bouteille, les cuisses d’un poulet et la moitié d’un
pain.
– 117 –
Au matin Wilson s’éveilla, courbaturé et transi de froid. Un
léger bruit attira son attention : Herlock Sholmès, à genoux,
courbé en deux, observait à la loupe des grains de poussière et
relevait des marques de craie blanche, presque effacées, qui
formaient des chiffres, lesquels chiffres il inscrivait sur son
carnet.
– Ah !
– 118 –
– Ah çà ! Mais, mon bon ami, comment savez-vous tout
cela ? Votre clairvoyance me rend presque honteux.
– On l’ouvrira.
– 119 –
– Qui ?
– Mais…
– Mais quoi ?
– Rien.
– 120 –
dont nous n’avons pas l’habitude. Il ne laisse rien derrière lui,
celui-là…
– Moi ! Et comment ?
– Quel ami ?
Wilson les prit. C’était bien une de ses cartes de visite, et,
sur la lettre, c’était bien son écriture.
– 121 –
– Seigneur Dieu, murmura-t-il, voilà encore un vilain tour.
Et il ajouta anxieusement :
– Et les bagages ?
– En effet… en effet…
– Eh bien ?
– 122 –
– Eh bien, voilà un homme qui, en prévision d’une lutte
possible avec nous, s’est procuré des spécimens de votre
écriture et de la mienne, et qui possède, toute prête dans son
portefeuille, une de vos cartes. Songez-vous à ce que cela
représente de précaution, de volonté perspicace, de méthode et
d’organisation ?
– C’est-à-dire ?…
– 123 –
peu trop d’enfantillages… la galerie compte trop pour lui… il y a
du gavroche dans cet homme !
– 124 –
Chapitre 4
– Et moi ?
– 125 –
combattre. Voyez-vous, Wilson, nous nous sommes trompés sur
Lupin. Il faut reprendre les choses à leur début.
– Content ?
– Très content.
– 126 –
Ils marchèrent beaucoup. Ils visitèrent les deux immeubles
qui encadrent l’hôtel de l’avenue Henri-Martin, puis s’en
allèrent jusqu’à la rue Clapeyron, et tandis qu’il examinait la
façade du numéro 25, Sholmès continuait :
– 127 –
Sholmès leva la tête au-dessus d’eux, des ouvriers
travaillaient sur un échafaudage accroché au balcon du
cinquième étage.
– Par où ?
– 128 –
Ils rentrèrent mélancoliquement et cette seconde journée se
termina dans un mutisme morne.
– Non.
– Non.
– Alors ?
– 129 –
le banc où ils étaient assis, en sorte que sa croupe effleura
l’épaule de Sholmès.
– Est-ce croyable ?
– 130 –
– Croyable ou non, il y avait là un moyen d’acquérir une
preuve.
– En tuant ce gentleman ?
– 131 –
– Une douleur au bras ? Sérieuse ?
– 132 –
– Mais oui, c’est cela… tout s’expliquerait… on cherche bien
loin ce qui est à côté de soi… eh parbleu, je le savais qu’il n’y
avait qu’à réfléchir… ah mon bon Wilson, je crois que vous allez
être content !
– 133 –
Sur les immeubles voisins, même inscription : « Destange,
architecte, 1874. »
– J’écoute.
– 134 –
Il repartit en murmurant :
– De quel fil ?
– 135 –
– Oui, pourquoi ?
– Quel bonheur !
– Sur dix.
– Oh ! Désormais…
– 136 –
Et Sholmès reprit :
– 137 –
– Un rôle de confiance et je vous en remercie, répliqua
Wilson, pénétré de gratitude ; je mettrai tous mes soins à le
remplir consciencieusement. Mais, d’après ce que je vois, vous
ne revenez plus ?
– À boire ?
– M. Destange !
– 138 –
– M. Destange est ici, ou n’y est pas. Ça dépend. Monsieur a
sa carte ?
– Oui, Monsieur.
– 139 –
l’illustre détective avait dû faire un plongeon dans l’inconnu,
accumuler les stratagèmes, s’attirer, sous les noms les plus
variés, les bonnes grâces et les confidences d’une foule de
personnages, bref vivre, pendant quarante-huit heures, de la vie
la plus compliquée.
– 140 –
N’importe ! L’Anglais s’acharnait. Avec son flair prodigieux,
avec cet instinct qui lui est particulier, il sentait un mystère qui
rôdait autour de lui. Cela se devinait à de petites choses qu’il
n’eût pu préciser, mais dont il subissait l’impression depuis son
entrée dans l’hôtel.
– 141 –
– Alors décidément tu ne sors pas, père ?… En ce cas,
j’allume… une seconde… ne bouge pas…
– Non… tu vois…
– Toujours… toujours…
– 142 –
L’Anglais frissonna de joie. Ses calculs étaient justes, il avait
pénétré au cœur même de la mystérieuse affaire, et Lupin se
trouvait à l’endroit prévu.
– Hier.
– C’est vrai ?
– 143 –
– Quel compte ?
– 144 –
descendit et traversa le côté de la pièce où il ne risquait pas
d’être vu du salon.
– 145 –
– quand ils repartirent en même temps que lui, mais isolément,
chacun suivant de son côté la Chaussée d’Antin.
– 146 –
Tout à coup, l’un d’eux tira de sa poche une cigarette et
aborda un Monsieur en redingote et en chapeau haut de forme.
Le Monsieur présenta son cigare, et Sholmès eut l’impression
qu’ils causaient, et plus longtemps même que ne l’eût exigé le
fait d’allumer une cigarette. Enfin, le Monsieur monta les
marches du perron et jeta un coup d’œil dans la salle du
restaurant. Avisant Lupin, il s’avança, s’entretint quelques
instants avec lui, puis il choisit une table voisine, et Sholmès
constata que ce Monsieur n’était autre que le cavalier de
l’avenue Henri-Martin.
– 147 –
Il lui remit une pièce de cinq francs. Le gamin disparut.
– Il est là.
– Que dites-vous ?
– Non.
– C’est lui.
– 148 –
– Non, sa voisine c’est lady Cliveden, l’autre, c’est la
duchesse de Cleath, et, vis-à-vis, l’ambassadeur d’Espagne à
Londres.
– Lui aussi.
– 149 –
Et lui-même se glissa derrière un kiosque de journaux, sans
perdre de vue Arsène Lupin qui, là-bas, penché sur sa voisine,
souriait.
– 150 –
– La personne qui était à cette place, crie-t-il aux cinq
convives stupéfaits ?… Oui, vous étiez six… où se trouve la
sixième personne ?
– M. Destro ?
Un garçon s’approche :
– 151 –
faire que de surveiller les alentours du restaurant. Mais, en
vérité, la vie ne manque pas d’intérêt avec ce diable d’homme ! »
– 152 –
Arsène Lupin, appuyé à la cheminée, parlait avec
animation. Debout autour de lui, les autres l’écoutaient
attentivement. Parmi eux, Sholmès reconnut le Monsieur à la
redingote et crut reconnaître le maître d’hôtel du restaurant.
Quant à la Dame blonde, elle lui tournait le dos, assise dans un
fauteuil.
– Je le tiens encore.
– Arsène Lupin ?
– 153 –
– Oui.
– Rien.
– Oui.
– 154 –
– Peut-être bien… je dormais… pourtant, je ne crois pas,
voici la clef… ils ne l’ont pas demandée…
Le commissaire ricana :
– 155 –
Un éclat de rire formidable jaillit. Ganimard pouffait, dans
une crise d’hilarité qui le courbait en deux et lui congestionnait
la face.
– 156 –
Chapitre 5
Un enlèvement
– 157 –
– Deux personnes sont sorties par cette porte pendant mon
absence, n’est-ce pas ?
– Je le partage.
– Oh ! Oh !
– 158 –
– Oui, Monsieur, du même genre.
– Et qui se terminera ?
– Vous croyez ?
– 159 –
Il était courbé en deux comme quelqu’un qui cherche. Du
bout des doigts il remuait la poussière, et plusieurs fois il se
releva et jeta quelque chose dans une boîte en carton qu’il tenait
de la main gauche. Ensuite il effaça la trace de ses pas, de même
que les empreintes laissées par Lupin et la Dame blonde, et il se
rapprocha du casier.
L’Anglais se pencha.
– 160 –
Il résolut tout simplement d’abandonner l’homme. Il
repoussa le casier, ferma la cave, et sortit de la maison. D’un
bureau de poste, il avertit M. Destange, par petit bleu, qu’il ne
pourrait venir que le lendemain. Puis il se rendit chez le
bijoutier, auquel il remit les grenats.
Elle s’en alla presque aussitôt, fit des courses à pied, monta
du côté de Clichy, et tourna par des rues que l’Anglais ne
connaissait pas. À la nuit tombante, il pénétrait derrière elle, et
sans que la concierge l’avisât, dans une maison à cinq étages, à
deux corps de bâtiment, et par conséquent à innombrables
locataires. Au deuxième étage elle s’arrêta et entra. Deux
minutes plus tard, l’Anglais tentait la chance, et, les unes après
les autres, essayait avec précaution les clefs du trousseau dont il
s’était emparé. La quatrième fit jouer la serrure.
– 161 –
salon d’une chambre contiguë, la dame voilée qui ôtait son
vêtement et son chapeau, les déposait sur l’unique siège de cette
chambre et s’enveloppait d’un peignoir de velours.
Alors il regarda.
– 162 –
Clotilde Destange, la meurtrière du Baron d’Hautrec et la
voleuse du diamant bleu ! Clotilde Destange, la mystérieuse
amie d’Arsène Lupin !
– 163 –
– Je suis heureuse.
– Mais pourquoi ?
Maxime s’écria :
– 164 –
– Il faut m’aimer, Maxime, il le faut parce qu’aucune femme
ne vous aimera comme moi. Pour vous plaire, j’ai agi, j’agis
encore, non pas même selon vos ordres, mais selon vos désirs
secrets. J’accomplis des actes contre lesquels tous mes instincts
et toute ma conscience se révoltent, mais je ne peux pas
résister… tout ce que je fais, je le fais machinalement, parce que
cela vous est utile, et que vous le voulez… et je suis prête à
recommencer demain… et toujours.
– 165 –
– En êtes-vous sûr ? dit-elle toute confiante.
– Pourtant ?
– Sholmès ?
– En outre ?
– Le concierge ?
– Oui.
– 166 –
– Mais c’est moi qui l’ai envoyé ce matin, rue Chaigrin, pour
ramasser des grenats qui étaient tombés de ma broche.
– Que décidez-vous ?
– D’ici là ?
– 167 –
– Nous ne devons pas nous voir, et personne ne doit vous
voir, Clotilde. Ne sortez pas. Je ne crains rien pour moi. Je
crains tout dès qu’il s’agit de vous.
– 168 –
« Parfait ! Admirable ! murmura-t-il, je comprends tout. Le
boudoir de Clotilde, c’est-à-dire de la Dame blonde,
communique avec un des appartements de la maison voisine, et
cette maison voisine a sa sortie, non sur la place Malesherbes,
mais sur une rue adjacente, la rue Montchanin, autant que je
m’en souvienne… À merveille ! Et je m’explique comment
Clotilde Destange va rejoindre son bien-aimé tout en gardant la
réputation d’une personne qui ne sort jamais. Et je m’explique
aussi comment Arsène Lupin a surgi près de moi, hier soir, sur
la galerie : il doit y avoir une autre communication entre
l’appartement voisin et cette bibliothèque… »
Et il concluait :
– 169 –
Harmingeat, accompagné du chiffre 63, il se reporta à la page
63 et lut :
– 170 –
« Je passerai sans doute, ce matin, rue Pergolèse et vous
confierai une personne dont la capture est de la plus haute
importance. En tout cas, soyez chez vous cette nuit et demain
mercredi jusqu’à midi, et arrangez-vous pour avoir une
trentaine d’hommes à votre disposition… »
Et il sonna.
– 171 –
entra, dit bonjour à son père, s’assit dans le petit salon et se mit
à écrire.
– 172 –
– Non, Mademoiselle, et je vous supplierai même de ne pas
hausser la voix. Il est préférable que M. Destange ne nous
entende point.
Et elle dit :
– Parlez, Monsieur.
– 173 –
– Soit, j’irai droit au but. Donc il y a cinq ans, Monsieur
votre père a eu l’occasion de rencontrer un M. Maxime
Bermond, lequel s’est présenté à lui comme entrepreneur… ou
architecte, je ne saurais préciser. Toujours est-il que
M. Destange s’est pris d’affection pour ce jeune homme, et,
comme l’état de sa santé ne lui permettait plus de s’occuper de
ses affaires, il confia à M. Bermond l’exécution de quelques
commandes qu’il avait acceptées de la part d’anciens clients, et
qui semblaient en rapport avec les aptitudes de son
collaborateur.
– 174 –
Elle se leva, et, sans émotion, ou du moins avec si peu
d’émotion que Sholmès fut frappé d’une telle maîtrise, elle
déclara :
– Vous !
– Moi ?
– 175 –
– Il est dix heures et demie. Dans cinq minutes nous
partons.
– Sinon ?
– Quoi ?
– De sa complice ?
–Après ?
– 176 –
donne sur le boulevard des Batignolles et non sur la rue
Clapeyron ?
– Après ?
– Après ?
– 177 –
– Vous avez tué le Baron d’Hautrec, Mademoiselle. Vous
étiez entrée à son service sous le nom d’Antoinette Bréhat, dans
le but de lui ravir le diamant bleu, et vous l’avez tué.
Elle les avait croisées sur son front, ses longues mains fines
et pâles, et elle les garda longtemps ainsi, immobiles. Enfin,
déliant ses doigts, elle découvrit son visage douloureux et
prononça :
– 178 –
– Oui, et je lui dirai que j’ai comme témoins Mlle Gerbois,
qui reconnaîtra la Dame blonde, la sœur Auguste qui
reconnaîtra Antoinette Bréhat, la comtesse de Crozon qui
reconnaîtra Mme de Réal. Voilà ce que je lui dirai.
– Un instant, Monsieur.
– Oui.
– C’est tout ?
– 179 –
– C’est tout, je ne fais pas partie de la police de votre pays,
et je ne me sens par conséquent aucun droit… de justicier.
– 180 –
– Il faut que vous donniez à M. Destange une raison qui
explique notre départ, et que cette raison puisse au besoin
expliquer votre absence pendant quelques jours.
– Aveuglément.
– Tout ce qu’il fait est bien, n’est-ce pas ? Tout ce qu’il veut
se réalise. Et vous approuvez tout, et vous êtes prête à tout pour
lui.
Elle haussa les épaules et, s’avançant vers son père, elle le
prévint.
– Tu rentres déjeuner ?
– 181 –
Et elle déclara fermement à Sholmès :
– Sans arrière-pensée ?
– 182 –
« Ganimard est chez lui… je laisse la jeune fille entre ses
mains… lui dirai-je qui est cette jeune fille ? Non, il la mènerait
droit au Dépôt, ce qui dérangerait tout. Une fois seul, je
consulte la liste du dossier M. B., et je me mets en chasse. Et
cette nuit, ou demain matin au plus tard, je vais trouver
Ganimard comme il est convenu, et je lui livre Arsène Lupin et
sa bande… »
– 183 –
– Je vous dis d’aller rue Pergolèse.
– 184 –
Jamais peut-être il ne lui fallut faire sur lui-même un effort
plus terrible que pour articuler ces paroles sans un
frémissement dans la voix, sans rien qui pût indiquer le
déchaînement de tout son être. Mais aussitôt, par une sorte de
réaction formidable, un flot de rage et de haine brisa les digues,
emporta sa volonté, et, d’un geste brusque tirant son revolver, il
le braqua sur Mlle Destange.
Clotilde prononça :
Elle souriait toujours, les yeux fixés aux pavés, dont la route
se hérissait devant la voiture.
Elle murmura :
– 185 –
Sholmès remit l’arme dans sa poche et saisit la poignée de la
portière, prêt à s’élancer, malgré l’absurdité d’un pareil acte.
– 186 –
elle accomplissait bien en réalité l’acte qu’elle semblait
accomplir, elle avait appelé Lupin à son secours, sous le couvert
d’un fournisseur, et en se servant de formules convenues entre
eux.
– 187 –
Les quatre hommes étaient descendus. L’un d’eux
s’approcha, et comme il avait retiré les lunettes qui le
masquaient, Sholmès reconnut le Monsieur en redingote du
restaurant hongrois. Lupin lui dit :
– 188 –
La voiture stoppa. En deux heures, ils avaient parcouru plus
de quarante lieues.
– Je l’aie reçue.
– 189 –
– Tout.
– Tout ? Précisez.
– Oui.
– Oui.
– 190 –
– Et vous avez la liste des onze autres.
– Oui.
– Vous avez pris cette liste chez M. Destange, cette nuit sans
doute.
– Oui.
– Non.
– Ce qui signifie ?
– Non.
– 191 –
Arsène Lupin se rapprocha encore de l’Anglais, et lui posant
très doucement la main sur l’épaule :
– Finissons-en.
– Je sais nager.
– 192 –
– Toutes les mesures. Mais elles sont inutiles.
– 193 –
– Neuf heures, sans nous presser.
– C’est compris.
– À demain.
– 194 –
décret était exécuté le jour même. À une heure du matin,
Sholmès a été débarqué à Southampton. »
– 195 –
Chapitre 6
– 196 –
tenue de petite bourgeoise, lisait son journal, tandis qu’un
enfant jouait à creuser avec sa pelle un tas de sable.
– Ganimard ?
– Où ?
– À la Préfecture de police.
– Seul ?
– Seul.
– Aucune.
– 197 –
Il se leva et se rendit, près de la porte Dauphine, au Pavillon
chinois où il prit un repas frugal, deux œufs, des légumes et des
fruits. Puis il retourna rue Crevaux et dit à la concierge :
– Personne, Dubreuil ?
– Personne.
– Je peux monter ?
– Oui.
– 198 –
surmontait glissa sur d’invisibles rainures, démasquant une
ouverture béante où reposaient les premières marches d’un
escalier construit dans le corps même de la cheminée ; tout cela
bien propre, en fonte soigneusement astiquée et en carreaux de
porcelaine blanche.
– C’est fini.
– Entièrement.
– Le personnel ?
– Allons-y.
– Rien de nouveau ?
– Rien, patron.
– 199 –
– La rue est calme ?
– Absolument.
– 200 –
Dubreuil… et sur un nouveau modèle, évidemment, car il ne
faut jamais se répéter. Peste soit du Sholmès !
– S’il revient !
– Et Mlle Destange ?
– Chez elle ?
– 201 –
Dubreuil se retira. Félix Davey fit un dernier tour, ramassa
deux ou trois lettres déchirées, puis, apercevant un morceau de
craie, il le prit, dessina sur le papier sombre de la salle à manger
un grand cadre, et inscrivit, ainsi que l’on fait sur une plaque
commémorative :
– 202 –
Il fut sur le point de regagner son bureau et de s’enfuir.
Mais d’abord il se dirigea du côté de la fenêtre. Personne dans la
rue. L’ennemi serait-il donc déjà dans la maison ? Il écouta et
crut discerner des rumeurs confuses. Sans plus hésiter, il courut
jusqu’à son cabinet de travail, et, comme il en franchissait le
seuil, il distingua le bruit d’une clef que l’on cherchait à
introduire dans la porte du vestibule.
– 203 –
Lupin se retourna, secoué d’épouvante. Herlock Sholmès
était devant lui !
– 204 –
Après un instant de réflexion, durant lequel l’Anglais se
sentit pénétré, scruté jusqu’au plus profond de son âme, Lupin
déclara :
– Extrêmement sérieux.
– Cette maison ?
– Cernée.
– Cernées.
– De sorte que…
– 205 –
– De sorte que vous êtes pris, Monsieur Lupin,
irrémédiablement pris.
– 206 –
Enfin il s’approcha de l’Anglais.
– Et maintenant, qu’attendez-vous ?
– Ce que j’attends ?
– Et il a consenti ?
– 207 –
– Inutile. Causons.
– J’écoute.
– Qui était ?
– Le diamant bleu !
– Bien entendu.
– Ce diamant-là, il me le faut.
– 208 –
– Impossible. Mille regrets.
– Oui.
– Volontairement ?
– Je vous l’achète.
– Et que m’offrez-vous ?
– 209 –
– Je fournirai à M. Ganimard les indications nécessaires.
Privée de votre protection, elle sera prise, elle aussi.
– Et si je vous proposais…
– Ma liberté ?
– Et me laisser réfléchir ?
– Oui.
– 210 –
C’était le salut, l’évasion possible. En ce cas, à quoi bon se
soumettre aux conditions de Sholmès ?
– Cependant…
– Qui sait !
– Il en reste une.
– Laquelle ?
– 211 –
– Alors ?
– Clotilde !
– En effet.
– 212 –
vanité, je suis parvenu à reconstituer les deux derniers chiffres
de votre numéro de téléphone… 73. De la sorte, possédant la
liste de vos maisons « retouchées », il m’a été facile, dès mon
arrivée à Paris, ce matin, à onze heures, de chercher et de
découvrir dans l’annuaire du téléphone le nom et l’adresse de
M. Félix Davey. Ce nom et cette adresse connus, j’ai demandé
l’aide de M. Ganimard.
– Cependant…
–Alors ?
– C’est sa montre.
– Sa montre ?
– 213 –
– Comment ?
– Moyennant…
– Quel cadeau ?
– Presque rien.
– Mais encore ?
– 214 –
– Le diamant bleu.
– Le diamant bleu !
– 215 –
– Ou le diamant bleu.
Ganimard, posté sans doute plus près que Lupin n’avait cru,
Ganimard était là, le revolver braqué sur lui. Et derrière
Ganimard, dix hommes, vingt hommes se bousculaient, de ces
gaillards solides et sans scrupules, qui l’eussent abattu comme
un chien au moindre signe de résistance.
– 216 –
Il y eut comme une stupeur. Dans la pièce dégarnie de ses
meubles et de ses tentures, les paroles d’Arsène Lupin se
prolongeaient ainsi qu’un écho. « Je me rends ! » Paroles
incroyables ! On s’attendait à ce qu’il s’évanouît soudain par une
trappe, ou qu’un pan de mur s’écroulât devant lui et le dérobât
une fois de plus à ses agresseurs. Et il se rendait !
– Je vous arrête.
– 217 –
– Mon pauvre Lupin, soupira-t-il, que diraient tes amis du
noble faubourg s’ils te voyaient humilié de la sorte ?
– Allons-y, fit-il.
– 218 –
– Eh bien, maître, lui dit Lupin, voilà votre œuvre. Grâce à
vous, Lupin va pourrir sur la paille humide des cachots. Avouez
que votre conscience n’est pas absolument tranquille, et que le
remords vous ronge ?
– 219 –
À ce moment il leva les yeux sur Lupin. Et le regard qu’ils
échangèrent leur prouva que la même pensée les avait frappés
tous deux, et que tous deux ils prévoyaient jusqu’aux dernières
conséquences de cette hypothèse possible, probable, presque
certaine : c’était la Dame blonde qui téléphonait. Elle croyait
téléphoner à Félix Davey, ou plutôt à Maxime Bermond, et c’est
à Sholmès qu’elle allait se confier !
Et l’Anglais scanda :
– Allô ! … allô ! …
Un silence, et Sholmès :
– 220 –
miracle avait pu couper le fil de cet entretien diabolique ! Lupin
l’appelait de toutes ses forces, de tous ses nerfs tendus !
Et Sholmès prononça :
– Oui.
– Oui.
– 221 –
– Bigre ! Jolie capture. Avec Lupin… la journée est
complète. Folenfant, emmenez deux hommes, et accompagnez
Monsieur.
– Monsieur Sholmès !
L’Anglais s’arrêta.
– Monsieur Lupin ?
– Ce qui signifie ?
– 222 –
Sholmès prit à part l’inspecteur et sollicita, d’un ton
d’ailleurs qui n’admettait point de réplique, l’autorisation
d’échanger quelques paroles avec Lupin. Puis il revint vers
celui-ci. Colloque suprême ! Il s’engagea sur un ton sec et
nerveux.
– Que voulez-vous ?
– Oui.
– Et vous acceptez ?
– 223 –
– Prenez ma canne, là, au coin de la cheminée. Serrez d’une
main la pomme, et, de l’autre, tournez la virole de fer qui
termine l’extrémité opposée du bâton.
– Ni de personne.
– 224 –
– Je regrette beaucoup, Monsieur Ganimard, de n’être point
de votre avis. Mais je n’ai pas le temps de vous convaincre. Je
pars pour l’Angleterre dans une heure.
– Trouvez-la.
– 225 –
qu’un Français eût effectuée en de pareilles circonstances, sous
quels raffinements de politesse il eût masqué son triomphe ! …
Mais, Dieu me pardonne, Ganimard, que faites-vous ? Allons
bon, une perquisition ! Mais il n’y a plus rien, mon pauvre ami,
plus un papier. Mes archives sont en lieu sûr.
– Au Dépôt ?
– Non, en ville.
– À deux heures.
– Il en est trois.
– 226 –
– Me donnez-vous cinq minutes ?
– De vieilles factures !
– Oui.
– Du meilleur.
– Son nom ?
– Mme Ganimard.
– 227 –
À ce moment, les hommes envoyés dans les autres pièces
annoncèrent que les perquisitions n’avaient abouti à aucun
résultat. Lupin se mit à rire.
Ganimard obéit.
– Non.
– 228 –
– Eh bien, dit Ganimard, vous refusez de marcher ?
– Pas du tout.
– En ce cas…
– Mais ça dépend.
– De quoi ?
– Au Dépôt, parbleu.
– Lupin !
– 229 –
– Impossible. J’ai un rendez-vous, je serai à ce rendez-vous.
– Im-pos-sible.
– 230 –
– C’est de votre faute, nom d’un chien… avec votre
entêtement répondit Ganimard, désolé… mais vous ne souffrez
pas ?
Il tira la porte. Mais elle n’était pas fermée que des cris
jaillirent. D’un bond, l’ascenseur s’était élevé comme un ballon
dont on a coupé le câble. Un éclat de rire retentit, sardonique.
– 231 –
soudain à l’étage supérieur, celui des domestiques, et s’arrêta.
Trois hommes guettaient qui ouvrirent la porte. Deux d’entre
eux maîtrisèrent Ganimard, lequel, gêné dans ses mouvements,
abasourdi, ne songeait guère à se défendre. Le troisième
emporta Lupin.
– 232 –
Il entra dans la loge de la concierge et montrant sa carte :
– Superbes.
– 233 –
– À peine, çà et là, quelques petits ennuis…
– Bien petits.
– Surtout le mien.
– 234 –
– Ce n’est pas le nerf qui me manque.
– Mais quoi ?
– 235 –
– Alors vous avez supposé que je vous laisserais partir sans
vous dire adieu ? Après les excellents rapports d’amitié que
nous n’avons jamais cessé d’avoir les uns avec les autres ! Mais
ce serait de la dernière incorrection. Pour qui me prenez-vous ?
Le train sifflait.
– 236 –
Deuxième épisode
LA LAMPE JUIVE
– 237 –
Chapitre 1
Sholmès se taisait.
Wilson risqua :
– Les temps sont calmes. Pas une affaire à nous mettre sous
la dent.
– 238 –
autre que Wilson eût observé qu’il en tirait cette profonde
satisfaction que nous donnent ces menus succès d’amour-
propre, aux heures où le cerveau est complètement vide de
pensées.
Wilson lut :
« Monsieur,
– 239 –
« Je viens vous demander le secours de votre expérience.
J’ai été victime d’un vol important, et les recherches effectuées
jusqu’ici ne semblent pas devoir aboutir.
– 240 –
Il ramassa la boule, la déplia et lut avec une stupeur
croissante :
« Arsène Lupin. »
– 241 –
– Vous dites des bêtises ! Arsène Lupin n’a jamais peur, et
la preuve c’est qu’il me provoque.
– Je pensais… je m’imaginais…
– 242 –
– Possible.
– Possible.
– À quoi bon !
– J’expédie un télégramme ?
– 243 –
Sholmès s’offrit trois heures du sommeil le plus profond, tandis
que Wilson faisait bonne garde à la porte du compartiment et
méditait, l’œil vague.
– Quelle foule !
– 244 –
Une femme se tenait à ses côtés, une jeune fille, dont la
mise très simple soulignait la silhouette distinguée, et dont la
jolie figure avait une expression inquiète et douloureuse.
Elle répéta :
– Que dites-vous ?
– 245 –
– Oh je vous en prie, ne vous obstinez pas… ah ! si je savais
comment vous convaincre ! Regardez tout au fond de moi, tout
au fond de mes yeux… ils sont sincères… ils disent la vérité.
– 246 –
Wilson dit à la jeune fille :
– 247 –
Il s’avança vers l’un de ces hommes avec l’intention très
nette de le prendre entre ses mains puissantes et de le réduire
en miettes, lui et son placard. La foule cependant s’attroupait
autour des affiches. On plaisantait et l’on riait.
– Ce matin.
– Il y a une heure.
– 248 –
– Allons-y, Wilson. Cocher, 18, rue Murillo, s’écria-t-il en
un réveil d’énergie.
– 249 –
– C’est trop gentil à vous ! Un pareil dérangement ! Nous
sommes presque heureux de l’ennui qui nous arrive, puisque
cela nous procure le plaisir…
– 250 –
existence, et toutes nos soirées, ou à peu près, s’écoulent ici,
dans cette pièce qui est le boudoir de ma femme et où nous
avons réuni quelques objets d’art. Samedi dernier donc, vers
onze heures, j’éteignis l’électricité, et, ma femme et moi, nous
nous retirâmes comme d’habitude dans notre chambre.
– Qui se trouve ?…
– Un domestique…
– Et cette fenêtre ?…
– 251 –
– Il y a certitude, dites-vous ?
– Et c’est tout ?
– C’est tout.
– 252 –
– Somme toute, des objets sans grande valeur.
– Personne ne la connaissait ?
– Personne.
– 253 –
ont fait la leur. Mais, ainsi que je vous l’ai écrit, il ne semble pas
que le problème ait la moindre chance d’être jamais résolu.
C’était fini.
– De sorte que ?…
– 254 –
– De sorte que le vol de la lampe juive a été commis sous la
direction d’Arsène Lupin…
– 255 –
– Les marques laissées par les montants de l’échelle ?
– Et vous en concluez ?
– 256 –
– Si l’un d’eux ne vous trahissait pas, comment expliquer
que cette lettre ait pu me parvenir le jour même et par le même
courrier que celle que vous m’avez écrite ?
– Personne, dit le Baron, c’est une idée que nous avons eue
l’autre soir à table.
– 257 –
– Non, on la sert à part, dans sa chambre.
– Naturellement.
– 258 –
« Vous envoie mon admiration enthousiaste. Les résultats
obtenus par vous en si peu de temps sont étourdissants. Je suis
confondu.
« Arpin Lusène. »
– 259 –
– Comment, c’est vous, Sholmès ! Vous avez besoin de moi ?
– Dans le parc ?
– Je ne vois rien.
– 260 –
– Écoutez cependant…
– C’est eux sans doute que nous avons entendus, fit Wilson.
Peut-être sont-ils en train de surveiller la grille.
– 261 –
d’eux, une échelle se dressait contre le mur, appuyée au balcon
de la terrasse.
– 262 –
Les portes de l’hôtel s’ouvrirent brusquement. Le premier,
M. d’Imblevalle survint, puis des domestiques, munis de
bougies.
– Pas davantage ?
– 263 –
Pleinement rassuré, Sholmès rejoignit le Baron au boudoir.
Cette fois le mystérieux visiteur n’y avait pas mis la même
discrétion. Sans vergogne, il avait fait main basse sur la
tabatière enrichie de diamants, sur le collier d’opales et, d’une
façon générale, sur tout ce qui pouvait prendre place dans les
poches d’un honnête cambrioleur.
– Il la confirme, Monsieur.
– 264 –
– Je n’explique rien, Monsieur, je constate deux faits qui
n’ont l’un avec l’autre que des rapports d’apparence, je les juge
isolément, et je cherche le lien qui les unit.
– Il n’importe !
– Votre ami ? …
– 265 –
à l’aventure, et d’atteindre, par des chemins que j’ignorais, un
but que je ne connaissais pas. Cette fois, je suis sur le terrain
même de la bataille. L’ennemi n’est plus seulement
l’insaisissable et invisible Lupin, c’est le complice en chair et en
os qui vit et qui se meut dans les bornes de cet hôtel. Le
moindre petit détail, et je suis fixé.
– L’autre soir ?
– 266 –
– Alors, toi aussi, tu colles des bandes sur papier ?
– 267 –
placard, sous de vieux cahiers amoncelés, il avait trouvé un
album pour enfants, un alphabet orné d’images, et, à l’une des
pages de cet album, un vide lui était apparu.
CDEHNOPRZ-237
– 268 –
Sholmès le tenta vainement.
REPOND.Z – CH – 237
– 269 –
Henriette était revenue. Il répondit :
– Mademoiselle ?
– Pourquoi ?
– Tu as absolument raison.
– 270 –
– Quand ?
– Et actuellement ?
– 271 –
– Ah fit Sholmès qui avait complètement négligé de prendre
des nouvelles du vieux camarade.
Il réfléchit et s’informa :
– Le lendemain du vol ?
– Oui.
– Mais, auparavant ?
– 272 –
tourna, Sholmès reconnut la jeune fille qui l’avait abordé devant
la gare du Nord.
– 273 –
– Parbleu ! Faut-il vous y conduire ?
– Il s’agit de Lupin.
– Je ne m’incline pas.
– 274 –
– Ah ! Ça, c’est vrai, dit Ganimard ingénument. Et puisque
vous n’avez pas votre compte de coups de bâtons, allons-y.
– Et depuis dimanche ?
– 275 –
– Comment ! Elle est venue !
– Elle est là !
– Comment vit-il ?
– 276 –
– Et quelle sorte d’homme est-ce ?
– Et voici M. Bresson.
– M. Bresson ? Lequel ?
– 277 –
– Ah ! Ça, je ne les ai jamais vus ensemble.
Et il reprit :
– 278 –
Mais aucun agent ne se montra avant la porte des Ternes,
et, les fortifications franchies, ils ne devaient plus escompter le
moindre secours.
– 279 –
– Vous l’avez vu, n’est-ce pas ?
– Non.
Sholmès objecta :
– Puisque je reste ! …
– 280 –
Sholmès haussa les épaules.
– Oui, allons-y.
– 281 –
Que faire ? La situation était tragique. Malgré leur sang-
froid de vieux routiers de police, une telle émotion les
bouleversait qu’ils s’imaginaient percevoir les battements de
leur cœur.
– 282 –
L’Anglais ricana :
– 283 –
de sa promenade ? Autant de questions aussi complexes les
unes que les autres… autant de mystères…
– 284 –
Chapitre 2
– 285 –
– Enfin ! Ça ne va pas trop mal, et si les chemins que je suis
sont un peu obscurs, je commence à m’y retrouver. Tout d’abord
je vais être fixé sur le sieur Bresson. Ganimard et moi nous
avons rendez-vous au bord de la Seine, à l’endroit où Bresson a
jeté son paquet, et le rôle du Monsieur nous sera connu. Pour le
reste, c’est une partie à jouer entre Alice Demun et moi.
L’adversaire est de mince envergure, hein, Wilson ? Et ne
pensez-vous pas qu’avant peu je saurai la phrase de l’album, et
ce que signifient ces deux lettres isolées, ce C et ce H ? Car tout
est là, Wilson.
– 286 –
Elle répéta, sans avoir l’air de comprendre :
Il insista.
– 287 –
Soudain elle éclata de rire :
Elle sortit.
– 288 –
– Je suis roulé, murmura Sholmès. Non seulement je n’ai
rien tiré d’elle, mais c’est moi qui me suis découvert.
– Sholmès… Sholmès…
– 289 –
reparut, dix minutes plus tard, avec des flacons et une bouteille
enveloppés de papier blanc. Mais, alors qu’elle remontait
l’avenue, elle fut accostée par un homme qui la poursuivit, la
casquette à la main et l’air obséquieux, comme s’il demandait la
charité.
– 290 –
– Ce matin ? Donc elle a été mise à la poste hier, avant que
l’expéditeur ne sache la mort de Bresson.
– Qu’en savez-vous ?
– 291 –
prouve d’abord qu’il se sait suivi, et en second lieu qu’il ne
craint rien.
– Pas assez pour qu’il ne puisse nous glisser entre les doigts
avant une minute. Il est trop sûr de lui.
L’Anglais s’esclaffa.
– 292 –
– Alors quoi, s’écria Ganimard, vexé, que fallait-il faire ?
C’est très commode de rire !
– 293 –
Un pêcheur était assis dans la barque. Sholmès lui
demanda :
L’Anglais insista :
CDEHNOPRZEO-237
– 294 –
Et la vérité l’éclairant :
– C’est lui ! C’est lui ! Lui seul est capable de rester ainsi
sans un frémissement d’inquiétude, sans rien craindre de ce qui
va se passer… et quel autre saurait cette histoire de l’album ?
Alice l’a prévenu par son messager.
– 295 –
l’impuissance, il sera bien avancé ! Vous ne saurez pas quoi faire
de moi, ni moi de vous. On restera là comme deux imbéciles…
Il réussit à se dégager.
– 296 –
Quelqu’un, sur la rive, braquait un revolver. Il baissa la tête,
une détonation retentit, un peu d’eau jaillit auprès d’eux. Lupin
éclata de rire.
– 297 –
Sholmès ne pouvait s’empêcher de sourire et d’admirer.
Quel débordement de vie. Quelle allégresse jeune et spontanée.
Et comme il paraissait se divertir ! On eût dit que la sensation
du péril lui causait une joie physique, et que l’existence n’avait
pas d’autre but pour cet homme extraordinaire que la recherche
de dangers qu’il s’amusait ensuite à conjurer.
– Non.
– Non.
– 298 –
Lupin s’accroupit, déplaça une des planches du fond et,
durant quelques minutes, exécuta un travail dont Sholmès ne
put discerner la nature. Puis il se releva, s’assit auprès de
l’Anglais, et lui tint ce langage :
– 299 –
défaite fût universellement connue, et qu’une autre comtesse de
Crozon ou un autre Baron d’Imblevalle ne fussent pas tentés de
solliciter votre secours contre moi. Ne voyez là d’ailleurs, mon
cher maître…
Lupin poursuivit :
– 300 –
reconnaître que Sholmès est l’unique ennemi que je craigne, et
proclamer mon inquiétude tant que Sholmès ne sera pas écarté
de ma route. Voilà, mon cher maître, ce que je tenais à vous
dire, puisque le destin m’accorde l’honneur d’une conversation
avec vous. Je ne regrette qu’une chose, c’est que cette
conversation ait lieu pendant que nous prenons un bain de
pieds ! … Situation qui manque de gravité, je le confesse… et
que dis-je un bain de pieds ! … Un bain de siège plutôt !
– 301 –
justice ! Ah les braves gens ! Ils font plaisir à voir. Quelle
précision dans le coup de rame ! Tiens, mais c’est vous,
brigadier Folenfant ? Bravo ! L’idée du navire de guerre est
excellente. Je vous recommanderai à vos supérieurs, brigadier
Folenfant… est-ce la médaille que vous souhaitez ? Entendu…
c’est chose faite. Et votre camarade Dieuzy, où est-il donc ? Sur
la rive gauche, n’est-ce pas, au milieu d’une centaine
d’indigènes ?… De sorte que, si j’échappe au naufrage, je suis
recueilli à gauche par Dieuzy et ses indigènes, ou bien à droite
par Ganimard et les populations de Neuilly. Fâcheux dilemme…
– 302 –
– C’est ainsi que, sans le savoir, vous m’avez fourni, il y a un
instant, le renseignement que je cherchais.
– 303 –
À cheval sur la coque dont il venait d’escalader les parois
tout en pérorant, confortablement installé maintenant, Arsène
Lupin poursuivait son discours avec des gestes solennels, et
comme s’il espérait convaincre son interlocuteur.
Folenfant l’ajusta :
– Rendez-vous, Lupin.
– Rendez-vous, Lupin.
– 304 –
Le coup partit.
– 305 –
– Est-ce que, décidément… ?
– Le nom du coupable ?
– Je le connais.
– Les preuves ?
– 306 –
– Il ne suffit pas qu’il soit confondu. Il faut encore qu’il nous
restitue…
– 307 –
– J’accuse la personne qui a découpé les lettres de cet
alphabet, et communiqué au moyen de ces lettres avec Arsène
Lupin.
CDEHNOPRZEO-237.
– 308 –
– Et en quoi donc ?
– Ce qui signifie ?
– 309 –
4° 540. Ecrivez adresse. Ferai enquête.
5° A. L. Murillo.
– 310 –
– En effet, tout s’enchaîne, approuva le Baron, et l’histoire
est complète.
Sholmès reprit :
– 311 –
– En êtes-vous bien sûr ?
– 312 –
– Aussitôt après la disparition de Lupin, j’ai profité du bain
qu’il m’avait forcé de prendre, pour me faire conduire à l’endroit
choisi par Bresson, et j’ai retrouvé, enveloppé de linge et de toile
cirée, ce qui vous fut dérobé. Le voici, sur cette table.
– 313 –
Elle ne parla point.
Il insista :
– 314 –
– Demandez-le-lui.
Elle répondit :
Elle dit :
– 315 –
– Inadmissible ! Et pourquoi ?
Le Baron reprit :
– 316 –
sorte de gêne qu’il éprouvait depuis le premier jour à diriger
contre la jeune fille la terrible accusation. Il voyait clair
maintenant. Il savait. Un geste, et sur le champ la preuve
irréfutable s’offrirait à lui.
– 317 –
créature n’avait plus ses yeux limpides et son grand air de
sincérité. Elle baissa la tête, vaincue.
Enfin il balbutia :
– Parle ! Explique-toi ! …
– Alors… Mademoiselle…
– De cet homme.
– Bresson ?
– Oui, c’est moi qu’il tenait par ses menaces… je l’ai connu
chez une amie… et j’ai eu la folie de l’écouter… oh rien que tu ne
puisses pardonner… cependant j’ai écrit deux lettres… des
lettres que tu verras… Je les ai rachetées… tu sais comment.
Oh ! Aie pitié de moi… j’ai tant pleuré !
– 318 –
– Toi ! Toi ! Suzanne !
– 319 –
Un des passagers, qui déambulait d’un pas régulier le long
des bastingages, s’arrêta près d’une personne étendue sur un
banc, l’examina, et, comme cette personne remuait un peu, il lui
dit :
– Mais non, mais non, dit-il vivement. Son erreur n’est pas
de celles qu’on ne pardonne pas. M. d’Imblevalle oubliera cette
défaillance. Déjà, quand nous sommes partis, il la regardait
moins durement.
– 320 –
– Vous aurez des amis, dit l’Anglais, que ce chagrin
bouleversait, je vous en fais la promesse… j’ai des relations…
beaucoup d’influence… je vous assure que vous ne regretterez
pas votre situation.
– 321 –
– Bravo ! s’exclama Lupin, à qui un tel empire sur soi-même
arracha un cri d’admiration.
– Bravo ?… Et pourquoi ?
– Pourtant, me voici.
– 322 –
Si Sholmès n’avait point réussi dans ses entreprises contre
Arsène Lupin, si Lupin demeurait l’ennemi exceptionnel qu’il
fallait définitivement renoncer à saisir, si au cours des
engagements il conservait toujours la supériorité, l’Anglais n’en
avait pas moins, par sa ténacité formidable, retrouvé la lampe
juive comme il avait retrouvé le diamant bleu. Peut-être cette
fois le résultat était-il moins brillant, surtout au point de vue du
public, puisque Sholmès était obligé de taire les circonstances
dans lesquelles la lampe juive avait été découverte, et de
proclamer qu’il ignorait le nom du coupable. Mais d’homme à
homme, de Lupin à Sholmès, de policier à cambrioleur, il n’y
avait en toute équité ni vainqueur ni vaincu. Chacun d’eux
pouvait prétendre à d’égales victoires.
– Si tant est, dit-il, que l’on puisse appeler cela une évasion.
Ce fut si simple ! Mes amis veillaient, puisqu’on s’était donné
rendez-vous pour repêcher la lampe juive. Aussi, après être
resté une bonne demi-heure sous la coque renversée de la
barque, j’ai profité d’un instant où Folenfant et ses hommes
cherchaient mon cadavre le long des rives, et je suis remonté sur
l’épave. Mes amis n’ont eu qu’à me cueillir au passage dans leur
canot automobile, et à filer sous l’œil ahuri des cinq cents
curieux, de Ganimard et de Folenfant.
– 323 –
– Il sait tout.
– 324 –
Deux hommes passèrent devant eux. Sholmès dit à Lupin,
d’une voix dont le timbre semblait légèrement altéré :
– Et l’autre ?
– J’ignore.
– 325 –
Il se laissait, de fait, entraîner sans la moindre résistance.
Les deux gentlemen s’éloignaient.
– Et pourquoi ?
– 326 –
L’Anglais avait lâché le poignet de son prisonnier. Lupin
libéra Mademoiselle.
– 327 –
Il tira de son portefeuille une carte de visite, la déchira en
deux, en tendit une moitié à la jeune fille, et, d’une même voix
émue et respectueuse :
– 328 –
Bibliographie sommaire des aventures
d’Arsène Lupin
– 329 –
Titre du roman ou du recueil Détail des recueils et Année de
années de parution dans parution du
les journaux recueil ou du
roman
complet
Germaine – Le Film
révélateur – Le Cas de
Jean-Louis – La Dame à la
hache – Des Pas sur la
neige – « Au dieu
Mercure ». (Excelsior 1920
– 1923)
9 « 813 » 1910
10 L’Éclat d’obus (Le Journal 1915) 1916
11 Le Triangle d’or (Le Journal 1917) 1918
12 L’Île aux trente cercueils (Le Journal 1919) 1920
13 Les Dents du tigre (Le Journal 1920) 1921
14 L’Homme à la peau de bique Nouvelle 1927
15 L’Agence Barnett et Cie Les Gouttes qui tombent – 1928
La Lettre d’amour du roi
George – La Partie de
baccara – L’Homme aux
dents d’or – Les Douze
Africaines de Béchoux – Le
Hasard fait des miracles –
Gants blancs... guêtres
blanches... – Béchoux
arrête Jim Barnett.
16 Le Cabochon d’émeraude Nouvelle 1930
17 La Demeure mystérieuse (Le Journal 1928) 1929
18 La Barre-y-va (Le Journal 1930) 1931
19 La Femme aux deux sourires (Le Journal 1932) 1933
20 Victor, de la brigade mondaine 1934
21 La Cagliostro se venge 1935
22 Les Milliards d’Arsène Lupin (L’Auto 1939) 1941
– 330 –
À propos de cette édition électronique
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——
mars 2004
——
- Dispositions :
Les livres que nous mettons à votre disposition, sont des textes
libres de droits, que vous pouvez utiliser librement, à une fin
non commerciale et non professionnelle. Si vous désirez les
faire paraître sur votre site, ils ne doivent pas être altérés en
aucune sorte. Tout lien vers notre site est bienvenu…
- Qualité :
Les textes sont livrés tels quels sans garantie de leur intégrité
parfaite par rapport à l’original. Nous rappelons que c’est un
– 331 –
travail d’amateurs non rétribués et que nous essayons de
promouvoir la culture littéraire avec de maigres moyens.
– 332 –