Friedrich Nietzsche PDF
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Naissance Dcs Principaux intrts Ides remarquables uvres principales Influenc par
15 octobre 1844 Rcken (Saxe) 25 aot 1900 ( 55 ans) Weimar (Allemagne). Mtaphysique, christianisme, culture, nihilisme, morale, esthtique Volont de puissance, Surhomme, ternel Retour La Naissance de la tragdie, Humain, trop humain, Aurore, Le Gai Savoir, Ainsi parlait Zarathoustra, Par-del bien et mal, Gnalogie de la morale, Ecce homo Hraclite, Dmocrite, Platon, Goethe, Schopenhauer, Stirner, Emerson, Darwin, Wagner, Guyau Adler, Bataille, Blanchot, Camus, Cioran, Derrida, Deleuze, Foucault, Khalil Gibran, Gide, Hesse, Jung, Heidegger, Malraux, Mann, Onfray, Rilke, Rosset, Scheler, Sloterdijk, Strindberg, Valry, Sartre, Baudrillard, Freud nietzschen, nietzschenne
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Friedrich Wilhelm Nietzsche (prononc [nit] ou [ni:t]) est un philologue, philosophe et pote allemand n le 15 octobre 1844 Rcken, en Saxe, et mort le 25 aot 1900 Weimar, en Allemagne. L'uvre de Nietzsche est essentiellement une critique de la culture occidentale moderne et de l'ensemble de ses valeurs dites morales (issues de la dvaluation chrtienne du monde), politiques (la dmocratie, l'galitarisme), philosophiques (le platonisme et toutes les formes de dualisme mtaphysique) et religieuses (le christianisme). Cette critique procde d'un projet d'inverser ou d'invalider les anciennes valeurs (le terme allemand Umwertung qui contient Wert, valeur, suggre plutt invalider ou dvaloriser) et d'en instituer de nouvelles dlaissant la foi, dpassant le ressentiment et la volont de nant qui dominrent l'histoire de l'Europe sous l'influence du christianisme ; ceci notamment par l'affirmation d'un ternel Retour de la vie et par le dpassement de l'humanit et l'avnement du surhomme. L'expos de ses ides prend dans l'ensemble une forme aphoristique ou potique.
Peu reconnu de son vivant, son influence a t et demeure majeure sur la philosophie contemporaine de tendance continentale, notamment l'existentialisme et la philosophie postmoderne ; mais Nietzsche a galement suscit ces dernires annes l'intrt de philosophes analytiques, ou de langue anglaise, qui en soutiennent une lecture naturaliste remettant en cause une appropriation par la philosophie continentale juge problmatique[1].
Sommaire
1 Biographie 2 Prsentation o 2.1 Naturalisme et rvaluation 2.1.1 Un naturalisme mthodologique 2.1.2 La rvaluation des valeurs o 2.2 Problmes gnraux poss par l'uvre 2.2.1 Son volution 2.2.2 Problme des fragments posthumes 2.2.3 Sa forme 2.2.4 Problme pour lexposition 3 Volont de puissance, perspectivisme et interprtation o 3.1 Volont vers la puissance 3.1.1 Traits gnraux 3.1.2 Le mot de l'tre 3.1.3 Pathos et structure 3.1.4 La Volont de puissance comme interprtation 3.1.4.1 Le corps comme fil conducteur 3.1.4.2 Interprtation, apparence et ralit 3.1.5 Deux usages o 3.2 Une notion polmique et programmatique 3.2.1 Conceptions du vivant 3.2.2 En morale 3.2.3 Libration l'gard de la mtaphysique 4 Psychologie et gnalogie o 4.1 Statut de la psychologie 4.1.1 L'observation psychologique 4.1.2 L'existence humaine o 4.2 Gnalogie de la morale 4.2.1 Interprtation gnalogique des jugements moraux 4.2.1.1 Les hirarchies sociales 4.2.1.2 Les deux sources de la morale 4.2.1.3 La morale des faibles et le ressentiment 4.2.1.4 La morale des forts 4.2.2 L'intriorisation 4.2.3 L'interprtation religieuse 4.2.3.1 L'invention de la culpabilit 4.2.3.2 Le problme de la souffrance o 4.3 Nihilisme et dcadence 4.3.1 Les deux formes du nihilisme 4.3.2 Le phnomne de la dcadence 5 Critique de la connaissance et de la mtaphysique o 5.1 Critique de la possibilit de la mtaphysique o 5.2 L'utilit sociale de la vrit o 5.3 La mtaphysique 5.3.1 tre et devenir 5.3.2 La volont de dnigrement
5.3.3 Les critres idalistes de la connaissance 5.3.4 Critique de la raison 5.3.5 Thorie du langage o 5.4 L'erreur originelle 6 Culture et lgislation o 6.1 Critique de la culture moderne 6.1.1 Critique de la philosophie universitaire 6.1.2 Critique des philistins de la culture 6.1.3 Critique de la dmocratie o 6.2 Le processus de la civilisation 6.2.1 La moralit des murs 6.2.2 Le droit 6.2.3 La spiritualisation des instincts 6.2.4 Le conflit des sexes o 6.3 Grande politique et slection o 6.4 Ingalit et hirarchie o 6.5 Le philosophe 6.5.1 Philosophie, science et art 6.5.2 Philosophie et civilisation 6.5.3 Le philosophe lgislateur o 6.6 La slection des valeurs o 6.7 Naturalisation, grande sant et casuistique de l'gosme 7 ternel Retour et Surhomme o 7.1 La pense la plus lourde o 7.2 Transvaluation des valeurs et surhumanit 7.2.1 Le Surhomme 7.2.2 L'Inversion de toutes les valeurs 8 L'art o 8.1 Apollon et Dionysos o 8.2 La tragdie o 8.3 Dcadence de la tragdie o 8.4 Wagner et la musique o 8.5 Physiologie de l'art 8.5.1 Physiologie du beau o 8.6 L'affirmation de la vie par l'art 9 Rception de la pense de Nietzsche o 9.1 Postrit o 9.2 Les falsifications 10 Sources de la pense nietzschenne 11 uvres o 11.1 Liste des uvres principales o 11.2 ditions 12 Correspondance 13 Bibliographie o 13.1 Rfrences utilises o 13.2 Bibliographies gnrale et thmatique 14 Notes et rfrences 15 Voir aussi o 15.1 Articles lis 15.1.1 Personnes 15.1.2 Notions o 15.2 Liens externes 15.2.1 Textes
Biographie
Article dtaill : Friedrich Nietzsche (biographie). Professeur de philologie l'universit de Ble ds l'ge de 24 ans, il obtient un cong en 1879 pour raison de sant. Les dix annes suivantes, il publie un rythme rapide ses uvres majeures. En 1889, il sombre dans la dmence et passe les dix dernires annes de sa vie dans un tat mental quasi vgtatif[2]. Aprs sa mort, l'interprtation de son uvre est dfigure par l'image de la folie et par la propagande nazie.
Prsentation
Naturalisme et rvaluation
La pense de Nietzsche peut tre considre comme une enqute naturaliste (dans un usage strictement philosophique du terme) sur lensemble des valeurs humaines (morales, intellectuelles, religieuses, esthtiques, etc.) que Nietzsche explique en termes d'instincts, d'affects et de pulsions (en allemand: Trieb); c'est galement une critique (l encore au sens philosophique) de ces mmes valeurs et une tentative pour les rvaluer[3],[4]. Un naturalisme mthodologique Dans ses recherches sur le statut, naturel et culturel, des phnomnes humains, qui occupent ses uvres de maturit partir de Humain, trop humain (1878), Nietzsche adopte une forme de naturalisme qualifie de mthodologique par certains commentateurs[5] : par naturalisme, on entend lide que lenqute philosophique doit se dvelopper en continuit avec les sciences naturelles[6]. Cette interprtation sappuie sur l'utilisation que Nietzsche fait d'auteurs tel que Wilhelm Roux, et sur des passages tel que : [] ce que lon comprend aujourdhui de lhomme nexcde pas ce que lon peut comprendre de lui en tant que machine[7]. Mais ce qui caractrise particulirement ce naturalisme, c'est le rejet de toutes les formes de surnaturalisme (moral ou religieux) qui placent lesprit au-dessus de la nature et qui font de lui un principe explicatif des phnomnes humains par une causalit spirituelle (comme lme ou la volont qui serait au principe de nos actions). Or, pour Nietzsche, lesprit nexplique rien, et ce nest qu partir des sciences empiriques que la philosophie peut spculer sur la nature humaine et fournir des explications de tout ce qui est humain : Replonger lhomme dans la nature ; faire justice des nombreuses interprtations vaniteuses aberrantes et sentimentales quon a griffonnes sur cet ternel texte primitif de lhomme naturel [][8]. Partageant avec le matrialisme allemand qui lui est contemporain lide que lhomme est un produit de la nature[9], Nietzsche sefforce de rendre compte du phnomne humain en termes psycho-physiologiques, ce qui se traduit chez lui par une thorie des types. Brian Leiter a ainsi formul et rsum cette thorie : Toute personne a une constitution psycho-physiologique fixe qui la dfinit comme un type particulier de personne. [10] Par exemple, lun des traits typiques les plus clbres est la Volont de puissance qui joue un rle explicatif fondamental, puisque, selon Nietzsche,
Toute bte [] tend instinctivement vers un optimum de conditions favorables au milieu desquelles elle peut dployer sa force et atteindre la plnitude du sentiment de sa puissance ; []. [11] Selon cette mthodologie, toute personne adopte alors ncessairement les valeurs qui forment la philosophie du type de personne qu'elle est[12]. Les traits psychologiques qui caractrisent ces personnes sont donc comme des faits naturels, et ces faits expliquent les ides et les valeurs qui apparaissent. Les explications des ides et des valeurs humaines se prsenteront alors sous la forme suivante : Les croyances intellectuelles dune personne sexpliquent par ses croyances morales ; ses croyances morales sont expliques par des traits naturels caractristiques du type de personne quelle est. [13] Ce naturalisme ne doit cependant pas tre rduit une conception matrialiste, cette dernire tant explicitement rejete par Nietzsche[14]. Les faits psychologiques, soutient Nietzsche, peuvent tre expliqus en termes physiologiques ; mais cela ne conduit pas ncessairement soutenir que les faits psychologiques ne sont rien dautres que des faits physiologiques[15]. Dans l'expression naturalisme mthodologique , ladjectif mthodologique signifie donc que Nietzsche nadopte pas la forme substantielle de naturalisme qu'est le matrialisme, mais qu'il explique nanmoins les phnomnes humains d'aprs les sciences de la nature. Ce rejet du substantialisme laisse ouverte la possibilit de spculer sur la nature humaine en ne la fixant pas dfinitivement dans les termes des sciences de la nature, ce qui laisse galement ouverte la possibilit d'une rvaluation des valeurs, lautre aspect majeur de la pense nietzschenne[16] : [] lhomme est un animal dont les qualits ne sont pas encore fixes[17]. Ce que des commentateurs rcents[18] nomment le naturalisme de Nietzsche est donc son rejet de toutes les formes de transcendances qui ne peuvent que falsifier la comprhension historique et psychologique de l'homme ; Nietzsche les remplace par le projet, qu'il nomme gnalogie, d'une explication de l'homme comme tre entirement corporel et animal dirig par des pulsions et des affects qui expliquent ses croyances. Nietzsche est ainsi en ce sens un philosophe de la nature humaine et a pu de ce fait tre rapproch de David Hume et de Freud[19]. La rvaluation des valeurs Le second aspect principal de la pense de Nietzsche est la rvaluation des valeurs, au premier rang desquelles les valeurs morales et mtaphysiques (le bien et le vrai, par exemple), qu'il soumet la mthode gnalogique . Ce projet se manifeste, de La Naissance de la Tragdie ses dernires uvres, par la recherche des conditions et des moyens de l'ennoblissement et de l'lvation de l'homme[20]. Aussi nombre de commentateurs ont-ils soulign que le thme fondamental et constant de la pense de Nietzsche, travers les nombreuses variations de ses crits, est le problme de la culture ou levage , problme qui comprend la question de la hirarchie et de la dtermination des valeurs propres favoriser cette lvation[21]. Lenqute naturaliste sur lorigine des valeurs est utilise dans ce projet afin de montrer que les valeurs qui rgnent en Occident depuis la naissance du christianisme, et dont on trouve selon Nietzsche les prmisses chez Platon, sont nfastes et ont t des instruments de domination qui ont rendu lhumanit malade. Le projet nietzschen de rvaluation embrasse donc une partie critique, omniprsente dans son uvre, qui doit conduire la destruction des valeurs de l'idalisme platonicien et chrtien qui font obstacle l'panouissement crateur de l'homme et qui, selon Nietzsche, menacent de conduire l'humanit au dernier homme.
Son volution Au cours de sa vie, Nietzsche a exprim cette volont d'une lvation de l'homme de diverses manires. Elle se rencontre soit sous la forme dune mtaphysique d'artiste, soit dune tude historique des sentiments et des reprsentations moraux humains, soit enfin sous la forme dune affirmation de l'existence tragique, au travers des notions de Volont de puissance , d'ternel Retour et de Surhomme . Ces thmes, sans s'exclure, se succdent, parfois en s'approfondissant et s'entremlant les uns aux autres, comme lorsque la philosophie de l'affirmation se prsente sous la forme d'une exaltation de la puissance cratrice humaine. L'uvre de Nietzsche a parfois t divise en trois priodes, en mettant en avant la prminence de l'un ou l'autre de ces thmes[22]. On distingue ainsi une priode comprenant La Naissance de la Tragdie et les Considrations Inactuelles, priode pendant laquelle Nietzsche s'engage, sous l'influence de Schopenhauer et de Wagner, en faveur d'une renaissance culturelle de la civilisation allemande. La deuxime priode est la priode positiviste (de Humain, trop humain au Gai Savoir) ; Nietzsche rompt avec le wagnrisme, et dveloppe une pense historique et psychologique influence par les moralistes franais. La troisime priode va de Ainsi parlait Zarathoustra ses derniers textes ; c'est la priode de maturit teinte d'un mysticisme symbolis par l'ternel Retour. Cette priodisation a t conteste plusieurs reprises[23], ce qui souligne une difficult pour l'interprtation des textes de Nietzsche : que cette priodisation soit ou non exacte, le devenir de la pense de Nietzsche demeure un fait difficile apprhender et restituer pour tous les commentateurs, difficult qui fut accrue par les premires ditions des fragments posthumes[24]. Problme des fragments posthumes Article dtaill : uvres posthumes (Nietzsche). Nietzsche a laiss de nombreux cahiers de notes, reprsentant quelques milliers de pages qui ont maintenant toutes t publies et traduites en franais. Le problme que posent ces textes est de savoir quelle place leur donner dans linterprtation de sa pense. Certains commentateurs en ont fait une expression de sa philosophie, au mme titre que les uvres publies. Dans cette ide, des notions peu prsentes dans ces dernires peuvent se retrouver mises en avant, comme ces notions juges fondamentales que sont la Volont de puissance, lternel Retour et le Surhomme. De nombreux commentateurs ont ainsi crit des tudes reposant trs largement sur ces textes posthumes (par exemple Heidegger, Pierre Montebello, B. Stiegler). Dautres, en revanche, comme Karl Schlechta, tenant compte du fait que les fragments de Nietzsche ne sont souvent que des bauches de ses uvres publies, et quil a en outre manifest le souhait de voir ses carnets dtruits aprs sa mort[25], estiment que ces textes ne peuvent pas tre lgitimement utiliss pour dterminer exactement la pense de Nietzsche. Ces textes qu'il a laisss de ct devraient en effet tre tenus pour obsoltes, et ils ne peuvent tout au plus quclairer la gense des livres de Nietzsche qui, seuls, expriment la pense de ce dernier. Sa forme Ces difficults de lecture des uvres de Nietzsche sont encore accentues par la forme stylistique quil a choisie partir de Humain, trop humain. Il dcide en effet d'exposer sa pense sous la forme d'aphorismes qui se suivent plus ou moins thmatiquement, ou qu'il regroupe par chapitre. Nietzsche a donn plusieurs explications ce choix. Ces explications touchent autant le travail de l'exposition de la pense que celui de la rception de cette pense par un lecteur. Dans le premier cas, il s'agit d'viter d'crire des traits systmatiques, alors que toute pense est, pour Nietzsche, toujours en devenir. La forme rigide du trait dtruit la vie de la pense, tandis que l'aphorisme conserve quelque chose de la spontanit philosophique. Dans le second cas, il s'agit d'interdire l'accs aux textes un lecteur press qui ne voudrait pas se donner la peine de repenser ce qu'il lit[26]. Nietzsche dcrit ainsi ses textes comme un labyrinthe dont on doit trouver le fil qui mnera travers tous les aphorismes. On
peut toutefois remarquer que Nietzsche a au contraire crit ses dernires uvres avec le souci d'tre compris[27]. Problme pour lexposition Suite ces difficults de lecture des uvres de Nietzsche, plusieurs mthodes d'exposition de sa pense sont utilises. Certains, comme Eugen Fink, retracent le dveloppement intellectuel de Nietzsche, en soulignant la relative autonomie de chaque priode ; d'autres, comme Heidegger, privilgient l'tude des notions de la dernire priode de Nietzsche, notions considres comme l'expression de la maturit de son activit philosophique. L'tude du devenir de la pense de Nietzsche tant loin d'tre acheve, cet article exposera les thmes qui ont t constamment considrs comme les plus importants dans l'ensemble de l'histoire de la rception de ses uvres, tout en voquant la gense de certains d'entre eux[28].
Volont vers la puissance Pathos et structure La Volont de puissance comme interprtation Le corps comme fil conducteur Interprtation, apparence et ralit Une notion polmique et programmatique
Le concept de Volont de puissance est, pour de nombreux commentateurs (Heidegger[29], M. Haar[30] par exemple), l'un des concepts centraux de la pense de Nietzsche, dans la mesure o il est pour lui un instrument de description du monde, d'interprtation de phnomnes humains comme la morale et l'art (interprtation connue sous le nom de gnalogie), et d'une rvaluation de l'existence visant un tat futur de l'humanit (le surhomme). C'est pourquoi il est souvent utilis pour exposer l'ensemble de sa
philosophie.
Ce devenir plus, cette manire de devoir toujours aller au-del de soi, n'est cependant pas arbitraire, mais se produit selon une orientation, que Nietzsche nomme structure, et qui est donc une structure de croissance qui dfinit et fait comprendre comment une ralit devient ; c'est cette structure qui est sa ralit agissante, individuelle, qui est sa volont de puissance : Le nom prcis pour cette ralit serait la volont de puissance ainsi dsign d'aprs sa structure interne et non partir de sa nature protiforme, insaisissable, fluide. (Par-del bien et mal, 36) Ce mouvement se conoit en outre pour Nietzsche comme une exigence d'assimilation, de victoires contre des rsistances : cette ide introduit l'ide de force . La volont de puissance est ainsi constitue de forces dont elle est la structure[36]. La Volont de puissance s'accrot ainsi par l'adversit des forces dont elle est constitue, ou dcrot en cherchant cependant toujours d'autres moyens de s'affirmer. Cette ide de structure d'une Volont de puissance, qui en fait une ontologie de la relation[37], possde galement une dimension pathologique associe au sentiment de puissance que Nietzsche avait commenc thmatiser ds Aurore. La vie () tend la sensation d'un maximum de puissance ; elle est essentiellement l'effort vers plus de puissance ; sa ralit la plus profonde, la plus intime, c'est ce vouloir. . Cette dimension affective est prsente en tout vivant, mais Nietzsche ltend galement linorganique, conu comme une forme plus rudimentaire de Volont de puissance. Cette affectivit introduit dans lide de volont de puissance (organique ou inorganique) une dimension affective fondamentale (dsigne par le terme de pathos), qui ne relve pas de l'expression d'un jeu de forces structures, mais dune disposition inhrente toute Volont de puissance se dployer d'une certaine manire : La volont de puissance ne peut se manifester qu'au contact de rsistances ; elle recherche ce qui lui rsiste[38]. Ainsi se trouvent lies en une mme notion les ides d'tre plus (extriorisation ou manifestation de la volont de puissance), de structure (relations entre des forces) et d'affectivit[39]. Le mot de l'tre Devenir plus, structure et pathos sont les principales qualits que Nietzsche attribue une Volont de puissance. Ces qualits permettent de dcrire ce qui est. La Volont de puissance dcrit donc de cette manire toute la ralit[40]. Elle n'est pourtant pas un principe ; structure et tre plus de ce qui devient, elle n'en est pas en effet l'origine radicale. En tant que description du monde, elle reste cependant un concept mtaphysique, puisqu'elle qualifie l'tant en sa totalit (selon Heidegger et Mller-Lauter[41]), ce que Nietzsche formule ainsi : L'essence la plus intime de l'tre est la volont de puissance. [42] Tout tant est donc pour Nietzsche Volont de puissance, et il n'y a d'tre qu'en tant que Volont de puissance. Dans cette perspective, le monde est un ensemble de volonts de puissance, une multitude[43]. Cette description gnrale du devenir pose cependant une difficult juge fondamentale pour la comprhension de la volont de puissance[44] : la volont de puissance est-elle le devenir ou son essence ? La difficult souleve par cette question est que, dans la mesure o Nietzsche parat dcrire une structure interne, la volont de puissance semble devoir tre comprise de manire essentialiste ; or, un tel essentialisme reconduirait la division entre un monde phnomnal et un arrire-monde laquelle Nietzsche s'oppose explicitement[44]. Mais une telle comprhension exclut toute recherche d'un inconditionn derrire le monde, et de cause derrire les tres ( fondement , substance ) : car c'est en tant que nous interprtons que nous concevons le monde comme Volont de puissance. L'nonc sur l'essence doit tre rapport une forme de
perspectivisme pour viter de faire de la Volont de puissance une substance ou un tre. Ceci suppose que d'autres interprtations sont possibles. Mais, tout en refusant un dogmatisme de l'tre, Nietzsche refuse galement le relativisme qui pourrait dcouler de sa thse du perspectivisme de la Volont de puissance : celle-ci est en effet galement un critre de la valeur, de la hirarchie mme des valeurs[45]. Pathos et structure Pour Nietzsche, la volont de puissance possde donc un double aspect : elle est un pathos fondamental et une structure. Aussi une volont de puissance peut-elle s'analyser comme une relation interne d'un conflit, comme structure intime d'un devenir, et non seulement comme le dploiement d'une puissance : Le nom prcis pour cette ralit serait la volont de puissance ainsi dsign d'aprs sa structure interne et non partir de sa nature protiforme, insaisissable, fluide.[46] La volont de puissance est ainsi la relation interne qui structure un jeu de forces (une force ne pouvant tre conue en dehors d'une relation)[47]. De ce fait, elle n'est ni un tre, ni un devenir, mais ce que Nietzsche nomme un pathos fondamental, pathos qui n'est jamais fixe (ce n'est pas une essence), et qui par ce caractre fluide peut tre dfini par une direction de la puissance, soit dans le sens de la croissance soit dans le sens de la dcroissance. Ce pathos, dans le monde organique, s'exprime par une hirarchie d'instincts, de pulsions et d'affects, qui forment une perspective interprtative d'o se dploie la puissance et qui se traduit par exemple par des penses et des jugements de valeur correspondants. La Volont de puissance comme interprtation Pense par Nietzsche comme la qualit fondamentale d'un devenir, la Volont de puissance permet d'en saisir la structure (ou type), et, partant, d'en dcrire la perspective. En ce sens, la Volont de puissance n'est pas un concept mtaphysique mais un instrument interprtatif (selon Jean Granier, contre l'interprtation de Heidegger[48]). Ds lors, pour Nietzsche, il s'agit de dterminer ce qui est interprt, qui interprte et comment.
Le corps comme fil conducteur
Nietzsche prend pour point de dpart de son interprtation le monde qu'il considre comme nous tant donn et le mieux connu, savoir le corps[49]. Il prend ainsi, jusqu' un certain point, le contre-pied de Descartes, pour qui notre esprit (notre ralit pensante) nous est le mieux connu. Toutefois, l'ide de Nietzsche n'est pas totalement oppose la pense cartsienne, puisque selon lui nous ne connaissons rien d'autre que le monde de nos sentiments et de nos reprsentations, ce qui peut se comparer l'intuition de notre subjectivit chez Descartes[50]. Ainsi le corps n'est-il pas pour Nietzsche en premier lieu le corps objet de la connaissance scientifique, mais le corps vcu : notre conception de l'tre est une abstraction de notre rythme physiologique. Toute connaissance, comme Kant l'avait dj tabli avant Nietzsche, doit prendre pour point de dpart la sensibilit. Mais, au contraire de Kant, Nietzsche tient, comme Arthur Schopenhauer, que les formes de notre apprhension de l'existence relvent en premier lieu de notre organisation physiologique (et de ses fonctions : nutrition, reproduction), tandis que les fonctions juges traditionnellement plus leves (la pense) n'en sont que des formes drives[51]. Aussi, pour Nietzsche, nous ne pouvons rien connatre autrement que par analogie avec ce qui nous est donn, i.e. que toute connaissance est une reconnaissance, une classification, qui retrouve dans les choses ce que nous y avons mis, et qui reflte notre vie la plus intime (nos pulsions, la manire dont nous sommes affects par les choses et comment, de l, nous les jugeons). Le monde dans son ensemble, lorsque nous tentons une synthse de nos connaissances pour le caractriser, n'est jamais que le monde de notre perspective, qui est une perspective vivante, affective. C'est pourquoi Nietzsche peut dire du monde qu'il est Volont de puissance, ds lors qu'il a justifi que l'homme, en tant qu'organisme, est Volont de puissance. Pour Nietzsche, nous ne pouvons faire autrement que de projeter cette conception de l'tre qui nous
appartient du fait que nous vivons, et cela entrane galement pour consquence que la connaissance est interprtation[52], puisqu'une connaissance objective signifierait concevoir une connaissance sans un sujet vivant. En consquence, l'tre n'est pas d'abord l'objet d'une qute de vrit, l'tre est, pour l'homme, de la manire la plus intime et immdiate, vie ou existence. partir de ce perspectivisme, Nietzsche estime que toute science (en tant que schmatisation quantitative) est drive ncessairement de notre rapport qualitatif au monde, elle en est une simplification, et rpond des besoins vitaux : nous nous rendons compte de temps en temps, non sans en rire, que c'est prcisment la meilleure des sciences qui prtend nous retenir le mieux dans ce monde simplifi, artificiel de part en part, dans ce monde habilement imagin et falsifi, que nolens volens cette science aime l'erreur, parce qu'elle aussi, la vivante, aime la vie ! [53] Dans un premier temps, l'poque des Considrations Inactuelles, Nietzsche avait dduit de ce point de dpart que nous ne pouvons comprendre la matire autrement que comme doue de qualits spirituelles, essentiellement la mmoire et la sensibilit, ce qui signifie que nous anthropomorphisons spontanment la nature. Il avait ainsi tent de dpasser d'un seul coup le matrialisme et le spiritualisme qui opposent tous deux la matire et la conscience d'une manire qui demeure inexplique. Or, Nietzsche supprimait ici le problme, en posant "l'esprit" comme matire. Avec le dveloppement de la notion de Volont de puissance, Nietzsche ne rompt pas avec cette premire thse de sa jeunesse, puisque les qualits attribues cette puissance sont gnralisables l'ensemble de ce qui existe ; de ce fait, Nietzsche suppose que l'inorganique pourrait possder, comme toute vie, sensibilit et conscience, du moins dans un tat plus primitif. Cette thse peut faire penser la conception antique (aristotlicienne et stocienne) de la nature, qui fait natre un tre plus complexe d'un tat antrieur (par exemple, l'me-psych nat de la physis en en conservant les qualits)[54].
Interprtation, apparence et ralit
Cette mthode interprtative implique une rflexion de fond propos des concepts traditionnels de ralit et d'apparence[55]. En effet, puisque Nietzsche s'en tient un strict sensualisme (qui ncessite toutefois une interprtation), la ralit devient l'apparence, l'apparence est la ralit : Je ne pose donc pas "l'apparence" en opposition la "ralit", au contraire, je considre que l'apparence, c'est la ralit. Mais de ce fait, les concepts mtaphysiques de ralit et d'apparence, et leur opposition, se trouvent abolis : Nous avons aboli le monde vrai : quel monde restait-il ? Peut-tre celui de l'apparence ? Mais non ! En mme temps que le monde vrai, nous avons aussi aboli le monde des apparences ! [56] En quoi consiste alors la ralit ? Pour Nietzsche : La "ralit" rside dans le retour constant de choses gales, connues, apparentes, dans leur caractre logicisable, dans la croyance qu'ici nous calculons et pouvons supputer. Autrement dit, la ralit qui nous est donne est dj un rsultat qui n'apparat que par une perspective, structure de la volont de puissance que nous sommes. La pense de Nietzsche est donc une pense de la ralit comme interprtation, reposant sur une thse sensualiste, tout ceci supposant que toute interprtation n'existe qu'en tant que perspective. partir de cette thse perspectiviste, la question qui se pose Nietzsche (comme elle s'tait pose Protagoras, cf. le dialogue de Platon) est de savoir si toutes les perspectives (ou interprtations) se valent. La gnalogie vient rpondre cette question. Deux usages Si la Volont de puissance est applique par Nietzsche l'ensemble de la ralit, elle n'est pas utilise de manire univoque. Mller-Lauter, qui a tudi l'ensemble des textes qui se rapportent cette notion, a
propos de regrouper l'ensemble de ces usages d'aprs l'article qui prcde l'expression ( une , la , les ). On peut distinguer, en suivant ce commentateur, un usage gnral et un usage particulier. Dans un usage gnral, la Volont de puissance est une expression qui dsigne la qualit gnrale de tout devenir. Elle dcrit une manire d'tre qui se rencontre en tout tant. Dans un usage particulier, une volont de puissance, c'est tel devenir, un tre (tel homme par exemple).
en posant la question de savoir ce qui fait la valeur propre d'une perspective : quelle est par exemple la valeur de la volont de vrit[58]? La question qui dcoule pour Nietzsche de cette mise en question est de savoir si l'on peut tablir, la suite de cette critique, une nouvelle hirarchie des interprtations et sur quelles bases. Nietzsche n'est ainsi pas tant un prophte ou un visionnaire, dont une notion comme la Volont de puissance serait le message, mais il se comprend lui-mme comme le prcurseur de philosophes plus libres, tant l'gard des valeurs morales que des valeurs mtaphysiques. Ma volont survient toujours en libratrice et messagre de joie. Vouloir affranchit : telle est la vraie doctrine de la volont et de la libert []. Volont, c'est ainsi que s'appellent le librateur et le messager de joie [] que le vouloir devienne non-vouloir, pourtant mes frres vous connaissez cette fable de folie ! Je vous ai conduits loin de ces chansons lorsque je vous ai enseign : la volont est cratrice [59]. Au-del de ses aspects critiques, la Volont de puissance, en tant qu'interprtation de la ralit, a donc des aspects positifs et crateurs, qui se traduiront dans la pense de l'ternel retour et dans l'aspiration un tat futur de l'homme, le Surhomme[60].
Psychologie et gnalogie
Sommaire de la section
Statut de la psychologie L'observation L'existence Gnalogie de la morale Les jugements moraux L'intriorisation La religion
La notion de Volont de puissance, qui est la qualit gnrale de tout devenir, doit permettre une interprtation de toutes les ralits en tant que telles. Elle synthtise un ensemble de rgles mthodologiques[61] qui sont le rsultat de rflexions qui s'tendent des annes 1860 la fin de 1888. Mais cette notion ne prtend pas la systmatisation (Nietzsche a d'ailleurs abandonn pour cette raison l'ide d'un expos de sa philosophie de la Volont de puissance ; cf. Volont de puissance), car elle a beaucoup volu, mais on peut nanmoins dgager des lignes directrices permettant d'exposer la pense de Nietzsche dans son ensemble.
Un des aspects les plus connus est son application au problme de l'origine de la morale, sous le nom de gnalogie. Cette application de la mthode la morale permet de comprendre comment Nietzsche analyse les hirarchies pulsionnelles en jeu dans toute perspective morale, ce qui est proprement la mthode gnalogique[62]. Les questions qui se posent sont alors du type : quel type d'hommes a besoin de telles valuations morales ? quelle morale tel philosophe ou mtaphysicien veut-il en venir, et quel besoin cela rpond-il ? Je me suis rendu compte peu peu de ce que fut jusqu' prsent toute grande philosophie : la confession de son auteur, une sorte de mmoires involontaires et insensibles ; et je me suis aperu aussi que les intentions morales ou immorales formaient, dans toute philosophie, le vritable germe vital d'o chaque fois la plante entire est close. On ferait bien en effet (et ce serait mme raisonnable) de se demander, pour l'lucidation de ce problme : comment se sont formes les affirmations mtaphysiques les plus lointaines d'un philosophe ? on ferait bien, dis-je, de se demander quelle morale veut-on en venir ? [63] Ces analyses des structures pulsionnelles et affectives forment ainsi un projet de reformulation, la lumire de la Volont de puissance, de la psychologie traditionnelle[64] qui tait fonde sur le statut privilgi accord la conscience.
Statut de la psychologie
En rfutant le primat de la conscience[65], Nietzsche est amen dvelopper une psychologie des profondeurs (dont tout le premier chapitre de Par-del bien et mal est un exemple) qui met au premier plan la lutte ou l'association des instincts, des pulsions et des affects, la conscience n'tant qu'une perception tardive des effets de ces jeux de forces infra conscients. Ce que Nietzsche nomme gnalogie sera alors la recherche rgressive partant d'une interprtation (par exemple, l'interprtation morale du monde) pour remonter sa source de production, i.e. au pathos fondamental qui la rend ncessaire. Les jugements mtaphysiques, moraux, esthtiques, deviennent ainsi des symptmes de besoins, d'instincts, d'affects le plus souvent refouls par la conscience morale, pour lesquels la morale est un masque, une dformation de l'apprciation de soi et de l'existence. In fine, cela revient faire reposer l'analyse sur la dtermination de la Volont de puissance d'un type. ce titre, l'individu n'est pas examin par Nietzsche pour lui-mme, mais en tant qu'expression d'un systme hirarchis de valeurs. Cette mthode amne donc poser des questions du genre : quelle structure pulsionnelle, incarne par tel ou tel homme, conduit tel type de jugements ? quel besoin cela rpond-il, quelle Volont de puissance ? Veut-on, par la morale, discipliner des instincts, et dans ce cas, dans quel but ? Ou veut-on les anantir, et dans ce cas, est-ce parce qu'ils sont jugs nfastes, dangereux, est-ce parce qu'ils sont, en tant que phnomnes naturels, l'objet de haine et de ressentiment ? Le premier cas peut tre l'expression d'un besoin de croissance, le second d'une logique d'auto-destruction. Dans Par-del bien et mal, Nietzsche expose cette gnalogie, conception approfondie et renouvele par la thse de la Volont de puissance (expos au 36) de la philosophie historique, et il considre la psychologie comme reine des sciences, tout en soulignant ce qui distingue sa conception de la psychologie traditionnelle : Toute la psychologie s'est arrte jusqu' prsent des prjugs et des craintes morales : elle n'a pas os s'aventurer dans les profondeurs. Oser considrer la psychologie comme morphologie et comme doctrine de l'volution dans la volont de puissance, ainsi que je la considre personne n'y a encore song, mme de loin : autant, bien entendu, qu'il est permis de voir dans ce qui a t crit jusqu' prsent un symptme de ce qui a t pass sous silence. La puissance des prjugs moraux a pntr profondment dans le monde le plus intellectuel, le plus froid en apparence, le plus dpourvu d'hypothses et, comme il va de soi, cette influence a eu les effets les plus nuisibles, car elle l'a entrav et dnatur. Une psycho-physiologie relle est force de lutter contre les rsistances inconscientes dans le cur du savant, elle a le cur contre elle. [...] Et le psychologue qui fait de tels sacrifices ce n'est pas le sacrifizio del intelletto, au contraire ! aura, tout au moins, le droit de demander que la psychologie soit de nouveau proclame reine des sciences, les autres sciences n'existant qu' cause d'elle, pour la servir et la prparer. Mais, ds lors, la psychologie est redevenue la voie qui mne aux problmes fondamentaux. [66] Si cette nouvelle psychologie repose, en 1886, sur l'hypothse de la Volont de puissance, l'ide du conflit des instincts n'est pas ne de celle-ci. Ds 1880, des fragments vont dans ce sens, et la Volont de puissance en tant qu'ide apparat bien avant d'tre nomme. L'expression Volont de puissance permet de synthtiser cet ensemble. [modifier] L'observation psychologique Comme cela a t signal, la Volont de puissance est une notion qui n'est pas d'emble prsente dans l'uvre de Nietzsche. Pour rendre compte de l'volution de la pense de Nietzsche, il faut partir des hypothses qu'il pose et des notions qu'il utilise avant la priode dite de maturit. Il en va de mme pour la psychologie, puisque le dveloppement de cette dernire apparat significatif surtout partir de Humain, trop humain, c'est--dire en 1878, quand il rompt de manire consciente avec son milieu culturel[67]. Influenc par Paul Re, Nietzsche lit alors avec intrt les moralistes franais (La Rochefoucauld, Chamfort, etc.) ; il lit galement des ouvrages contemporains de psychologie, quoi il faut ajouter des tudes de sociologie, d'anthropologie, et des travaux sur la thorie de la connaissance, tel que celui de Lange (Histoire du matrialisme), o l'on trouve une discussion du statut scientifique de la psychologie. La pense de
Nietzsche, en ce qui concerne la psychologie, se dveloppe donc d'une part d'aprs l'observation des hommes (les maximes de La Rochefoucauld par exemple, ou ses observations personnelles dont il souligne le caractre particulier, relatif, et souvent provisoire), et dialogue d'autre part avec des rflexions pistmologiques contemporaines. L'existence humaine L'observation psychologique est ainsi particulirement prsente dans Humain, trop humain et Aurore ; Nietzsche souhaite alors jeter les bases d'une philosophie historique, en procdant un genre d'analyse chimique de nos reprsentations et sentiments moraux, prfigurant ce qui deviendra la gnalogie. Il analyse les comportements humains, sous l'influence de La Rochefoucauld ou de Voltaire ( qui Humain, trop humain est ddi) et peut-tre aussi de Hobbes, et ramne souvent les mobiles de l'action et de la pense humaine la vanit et au sentiment de puissance. Si certaines de ses peintures sont de cette manire des tableaux de moraliste de l'existence humaine, certains thmes, comme ce sentiment de puissance, mais aussi les diffrentes sortes de morales, sont des premires formulations des thories majeures qu'il dveloppera plus tard. Cette tape de son uvre peut tre considre comme une srie d'essais plus ou moins aboutis pour dcrire l'homme, ses motivations et la nature de ses relations sociales (aphorismes sur l'amiti, sur l'tat, les femmes, etc.).
Gnalogie de la morale
Article dtaill : Gnalogie de la morale. C'est partir de 1886 que Nietzsche exposera de manire plus ordonne le rsultat de ses recherches, en tant que mthode gnalogique, en particulier dans Par-del bien et mal, et sous forme de dissertations dans la Gnalogie de la morale. Des lments de cette gnalogie sont toutefois dj prsents dans Humain, trop humain (par exemple, les diffrentes origines de la morale, ou le caractre de palliatif, et non de remde vritable, de la religion) et dans Aurore (la moralit des murs comme source de la civilisation, ou encore le sentiment de puissance qui guide l'homme jusque dans la morale). Ces rsultats peuvent tre rsums grce aux expositions schmatiques que Nietzsche lui-mme en a faites. Ainsi, la question sur l'origine de la morale, il rpond que toutes les valeurs morales se ramnent deux systmes d'origine diffrente : la morale des faibles et la morale des forts[68]. Le terme origine ne dsigne pas ici l'apparition historique de ces systmes, mais le type de cration dont ils sont le rsultat, si bien que l'origine, au sens de Nietzsche, est ce partir de quoi l'histoire se dtermine, et non un vnement quelconque de l'histoire universelle. Pour parvenir ce rsultat, Nietzsche a procd une gnalogie comportant plusieurs moments, exposs dans la premire dissertation de la Gnalogie de la morale : il a recherch dans le langage les premires expressions de ce qui a t jug bon ; puis, suivant l'volution du sens des mots bon et mauvais, il a montr le processus d'intriorisation de ces valeurs dont la signification tait tout d'abord principalement matrielle ; enfin, remontant d'une valuation morale donne ses conditions d'expression, il a distingu deux manires fondamentales de crer des valeurs morales. Interprtation gnalogique des jugements moraux Le point de dpart de la mthode gnalogique est linguistique : se posant la question de l'origine de la morale, Nietzsche demande : o trouve-t-on les premires notions de bon et mauvais, et que signifientelles ? cartant l'interprtation utilitariste, Nietzsche met en avant que ce sont les aristocrates de toutes socits qui se sont dsigns en premier lieu eux-mmes comme bons, et que ce terme, d'une manire simple et spontan, dsigne la richesse, la beaut, les plaisirs de l'activit physique, la sant, en un mot, l'excellence. Le mot bon dsigne ainsi les hommes de la caste la plus leve, celle des guerriers. De ce fait, il ne dsigne pas ce que nous entendons par l aujourd'hui, en particulier, un bon n'est pas un homme altruiste, charitable, accessible la piti.
L'analyse historique et linguistique dbouche ainsi sur une recherche d'ordre sociologique : les premires valuations morales dpendent et sont l'expression d'un rang. Nanmoins, Nietzsche ne reprend pas son compte les thories contemporaines, telles que celle de l'influence du milieu de Taine, car s'il faut tenir compte des dterminations sociales, la socit ne peut servir de principe explicatif intgral. Il renomme d'ailleurs cette science d'aprs son interprtation gnalogique (thorie des formes de domination) qu'il juge premire relativement la sociologie et la psychologie de son temps.
Les hirarchies sociales
La question est ainsi pour Nietzsche la suivante : dans quelle mesure les castes d'une socit permettentelles le dveloppement d'une espce particulire de jugements moraux ? Nietzsche distingue typologiquement plusieurs types de jugements moraux en fonction des situations sociales possibles (guerriers, prtres, esclaves, etc.) : Si la transformation du concept politique de la prminence en un concept psychologique est la rgle, ce n'est point par une exception cette rgle (quoique toute rgle donne lieu des exceptions) que la caste la plus haute forme en mme temps la caste sacerdotale et que par consquent elle prfre, pour sa dsignation gnrale, un titre qui rappelle ses fonctions spciales. C'est l que par exemple le contraste entre pur et impur sert pour la premire fois la distinction des castes ; et l encore se dveloppe plus tard une diffrence entre bon et mauvais dans un sens qui n'est plus limit la caste. [69] La situation sociale permet un sentiment de puissance de se distinguer par des formes qui lui sont propres, et qui, primitivement, possdent des expressions spontanes et entires peu intriorises. De cet examen des castes, Nietzsche dgage alors une premire grande opposition : On devine avec combien de facilit la faon d'apprcier propre au prtre se dtachera de celle de l'aristocratie guerrire, pour se dvelopper en une apprciation tout fait contraire ; le terrain sera surtout favorable au conflit lorsque la caste des prtres et celle des guerriers se jalouseront mutuellement et n'arriveront plus s'entendre sur le rang. Les jugements de valeurs de l'aristocratie guerrire sont fonds sur une puissante constitution corporelle, une sant florissante, sans oublier ce qui est ncessaire l'entretien de cette vigueur dbordante : la guerre, l'aventure, la chasse, la danse, les jeux et exercices physiques et en gnral tout ce qui implique une activit robuste, libre et joyeuse. La faon d'apprcier de la haute classe sacerdotale repose sur d'autres conditions premires : tant pis pour elle quand il s'agit de guerre. [70] Nietzsche ramne par la suite toute morale deux types fondamentaux qui correspondent originellement l'opposition dominant/domin. Il faut carter l'ide que les dominants, ceux qui crent en premier lieu les valeurs, seraient uniquement des guerriers : la gense des valeurs dgage par Nietzsche nonce clairement un conflit entre le monde de l'activit physique et celui de l'activit intellectuelle (c'est--dire de la volont de puissance intriorise). Aussi Nietzsche voit-il d'abord une dispute sur la question du rang des valeurs entre les guerriers et les prtres. Du fait que cette comprhension de la morale permet la constitution de types, elle ne doit pas tre rduite la ralit des hirarchies sociales[71] : une hirarchie sociale est une condition premire de la cration d'une valuation, mais, selon Nietzsche, les valuations peuvent devenir indpendantes de leur terrain de naissance. L'origine fait comprendre comment une valeur est ne, elle ne fait pas encore comprendre pourquoi elle s'est perptue. En consquence, un esclave, au sens de Nietzsche (un faible), peut trs bien tre un matre, dans un sens plus prosaque, c'est--dire possder du pouvoir et des richesses. Les hirarchies sociales permettent seulement de comprendre comment des types moraux ont t rendus possibles, et la question reste de savoir quel type d'hommes l'ont ensuite transmise (et par quels nouveaux moyens). Quant aux types , ce sont des interprtations gnalogiques que l'on ne rencontre pas telles quelles dans la ralit (des traits typiques opposs peuvent par exemple se trouver lis).
Il y a donc, selon Nietzsche, une dualit fondamentale en morale, dualit qu'il avait dj formule clairement dans Humain, trop humain et Aurore : la morale des forts et la morale des faibles, cette dernire trouvant son origine dans son opposition la premire.
La morale des faibles et le ressentiment
La morale des faibles se caractrise par son ressentiment ; Nietzsche en dcrit ainsi le mcanisme psychologique : Lorsque les opprims, les crass, les asservis, sous l'empire de la ruse vindicative de l'impuissance, se mettent dire : Soyons le contraire des mchants, c'est--dire bons ! Est bon quiconque ne fait violence personne, quiconque n'offense, ni n'attaque, n'use pas de reprsailles et laisse Dieu le soin de la vengeance, quiconque se tient cach comme nous, vite la rencontre du mal et du reste attend peu de chose de la vie, comme nous, les patients, les humbles et les justes. Tout cela veut dire en somme, l'couter froidement et sans parti pris : Nous, les faibles, nous sommes dcidment faibles ; nous ferons donc bien de ne rien faire de tout ce pour quoi nous ne sommes pas assez forts. - Mais cette constatation amre, cette prudence de qualit trs infrieure que possde mme l'insecte (qui, en cas de grand danger, fait le mort, pour ne rien faire de trop), grce ce faux monnayage, cette impuissante duperie de soi, a pris les dehors pompeux de la vertu qui sait attendre, qui renonce et qui se tait, comme si la faiblesse mme du faible - c'est--dire son essence, son activit, toute sa ralit unique, invitable et indlbile - tait un accomplissement libre, quelque chose de volontairement choisi, un acte de mrite. Cette espce d'homme a un besoin de foi au sujet neutre, dou du libre arbitre, et cela par un instinct de conservation personnelle, d'affirmation de soi, par quoi tout mensonge cherche d'ordinaire se justifier. [72] La morale des faibles est donc l'expression de ce ressentiment : le ressentiment est l'affect d'une volont vaincue qui cherche se venger[73], c'est--dire qu'il est le symptme d'une vie dcroissante, qui ne s'est pas panouie. Cette vengeance s'exprimera par des valeurs cres pour lutter contre les forts, en dvalorisant leur puissance (le fort devient le mchant par opposition au bon). Ainsi, selon Nietzsche, la piti, l'altruisme, toutes les valeurs humanitaires, sont en fait des valeurs par lesquelles on se nie soi-mme pour se donner l'apparence de la bont morale et se persuader de sa supriorit ; mais sous ces valeurs illusoires fermente une haine impuissante qui se cherche un moyen de vengeance et de domination. Le christianisme, l'anarchisme, le socialisme, etc. sont des exemples de morales du ressentiment. La rvolte des esclaves dans la morale commence lorsque le ressentiment lui-mme devient crateur et enfante des valeurs : le ressentiment de ces tres, qui la vraie raction, celle de l'action, est interdite et qui ne trouvent de compensation que dans une vengeance imaginaire. Tandis que toute morale aristocratique nat d'une triomphale affirmation d'elle-mme, la morale des esclaves oppose ds l'abord un non ce qui ne fait pas partie d'elle-mme, ce qui est diffrent d'elle, ce qui est son non-moi : et ce non est son acte crateur. Ce renversement du coup d'il apprciateur - ce point de vue ncessairement inspir du monde extrieur au lieu de reposer sur soimme - appartient en propre au ressentiment : la morale des esclaves a toujours et avant tout besoin, pour prendre naissance, d'un monde oppos et extrieur : il lui faut, pour parler physiologiquement, des stimulants extrieurs pour agir ; son action est foncirement une raction. [74].
La morale des forts
En sens contraire, la morale des forts exalte la puissance, c'est--dire l'gosme, ou plaisir d'tre soi, la fiert, l'activit libre et heureuse. Ces valeurs sont essentiellement le rsultat d'une spiritualisation de l'animalit qui peut alors s'panouir heureusement. Ainsi en Grce la sexualit est-elle exprime dans les cultes de Dionysos et dans l'art ; chez Platon, le dsir de savoir est la consquence d'une spiritualisation de l'instinct
de reproduction. La morale des faibles agit en sens contraire, en cherchant dtruire la racine tous les instincts, par haine de la vie, c'est--dire par suite d'une violence intriorise qui ne peut s'exprimer que sous la forme ngative de la destruction de soi (c'est le mauvais de la morale aristocratique). Par contraste, ce qui caractrisera le mieux une morale de forts, ce sera sa capacit d'lever des hommes cultivs, inventifs, actifs, dous d'une volont forte et constructive. On ne doit pas cependant ignorer que les forts, dans l'histoire, sont tout d'abord (terme soulign par Nietzsche dans le premier aphorisme de la neuvime partie de Par-del bien et mal) des hommes violents, mais cette violence n'est pas d'une mme sorte que la violence du faible, qui lui aussi veut la puissance, mais par d'autres moyens. La violence du fort est spontane et sans arrire-penses, elle n'est pas vindicative, tandis que la violence du faible est calcule, et c'est une violence au service du ressentiment, i.e. de la haine. Bien que la force ne soit pas chez Nietzsche ncessairement exprime par la violence, et, qu'en outre, la spiritualisation des instincts les plus agressifs soit la forme la plus haute de la culture, il reste que la spontanit du fort est en premier lieu particulirement cruelle, quelle que soit la civilisation considre : Cette "audace" des races nobles, audace folle, absurde, spontane ; la nature mme de leurs entreprises, imprvues et invraisemblables - Pricls clbre surtout la des Athniens - ; leur indiffrence et leur mpris pour toutes scurits du corps, pour la vie, le bien-tre ; la gaiet terrible et la joie profonde qu'ils gotent toute destruction, toutes les volupts de la victoire et de la cruaut : - tout cela se rsumait pour ceux qui en taient les victimes, dans l'image du "barbare", de "l'ennemi mchant", de quelque chose comme le "Vandale". [75] Cette violence n'est pas une fin en soi, mais est le socle de l'lvation humaine, sans lequel l'homme se renie et se mutile en tant qu'animal. L'ensemble des instincts qui font voir la proximit de l'homme avec la bte doit tre, pour Nietzsche, spiritualis, car cette spiritualisation est une augmentation de la volont de puissance, par exemple dans la cration artistique. Ainsi, lorsqu'il examine le processus d'lvation du fort, Nietzsche, qui a soulign la barbarie premire de ce fort, ne met pas en avant la force physique, mais bien l'me[76]. Et, dans Ainsi parlait Zarathoustra, il s'adresse ainsi aux hommes violents : Le beau est imprenable pour toute volont violente. [...] Et je n'exige la beaut de personne comme de toi, homme violent : que ta bont soit la dernire de tes victoires sur toi-mme. [...] Car ceci est le secret de l'me : c'est seulement quand le hros l'a quitte que s'approche d'elle en silence le surhros. [77] La violence du faible est en revanche pour Nietzsche problmatique, si elle domine : c'est une violence cruelle, une violence pour la vengeance, et elle ne se laisse pas facilement convertir en activits cratrices, mais se transforme plus aisment en systmes de cruaut, i.e. en religions ou en morales visant abattre l'existence mme de ce qui est diffrent. Il faut alors souligner l'importance de cette opposition des deux morales qui structurent l'histoire de l'Occident : tout ce qui est fort a cr ce qui est bon, la philosophie et l'art grecs, ce qui est faible a cr la religion monothiste et son systme de rpression de la force qui est encore le ntre aujourd'hui. La question qui se pose Nietzsche est donc de savoir comment un tel systme a pu se dvelopper partir du ressentiment et de l'intriorisation de la volont de puissance. L'intriorisation L'impossibilit pour les castes soumises une discipline svre et pour les peuples soumis d'extrioriser librement leurs forces ne fait pas disparatre ces forces. Nous trouvons dans le second cas l'origine du ressentiment des valeurs morales. Nietzsche met ici au jour un phnomne "prmoral" qui consiste en le retournement des forces vers l'intrieur : intriorisation qui va permettre le dveloppement de l'me et l'approfondissement de la psych humaine en une varit de types inconnus jusqu'alors.
Les pulsions naturelles de conqute, opprimes par des facteurs extrieurs (tat, ducation, ...) se retournent contre l'individu opprim, en lui-mme, crant un malaise, dont l'origine lui reste inconnue, qu'il va rationaliser en termes de faute, mauvaise conscience et culpabilit. L'interprtation religieuse Ce phnomne d'intriorisation est diversement interprt. Il reoit en particulier une interprtation religieuse, et, dans le cas du ressentiment des faibles, l'intriorisation, qui est une cause de souffrances morales et physiques, va trouver dans le christianisme une interprtation en tant que pch.
L'invention de la culpabilit
Selon Nietzsche, en effet, l'inversion morale des valeurs par les faibles, ne suffit pas expliquer la puissance avec laquelle elle s'est impose dans l'histoire. Il y faut encore l'intervention du prtre, dont nous avons vu qu'il s'oppose, dans une rivalit de castes, au guerrier (et au politique). L'invention du prtre chrtien est la rinterprtation de la souffrance en tant que culpabilit de celui qui souffre : alors que la faute tait rejete sur le mchant, c'est maintenant pour ses propres fautes que le faible souffre.
Judasme et christianisme.
Le problme de la souffrance
L'interprtation religieuse de l'existence permet Nietzsche de dgager deux attitudes fondamentales face la souffrance, qu'il rsume par la formule : Dionysos contre le Crucifi. La premire attitude consiste percevoir la souffrance comme un stimulant pour la vie ; la tragdie grecque en est un exemple. La seconde attitude consiste se replier sur soi, ragir, en sorte que l'on ne puisse plus agir. De ce fait, l'interprtation de la souffrance est ainsi en mme temps une valuation de la ralit.
Nihilisme et dcadence
L'invit le plus inquitant se tient notre porte. [rf. ncessaire] Selon Nietzsche, le rapport de l'homme au monde, tant en ce qui concerne la volont (dsirs, aspirations, espoirs) que l'entendement et la raison (mtaphysique, connaissance) fut jusqu'ici essentiellement le rsultat de jugements moraux ns du ressentiment d'impuissants qui disent "non" la ralit et la vie, tout en se parant des plus hautes vertus de la morale. C'est cette ide qu'il exprime, dans le Crpuscule des idoles: [...] il y eut des moralistes consquents avec eux-mmes: ils voulaient l'homme diffrent, savoir vertueux, ils le voulaient leur image, savoir cagot; c'est pour cela qu'ils niaient le monde. [rf. incomplte] Et, plus loin : La morale, dans la mesure o elle condamne dans l'absolu, et non au regard de la vie, par gard pour la vie, ou en regard des intentions de la vie, est une erreur intrinsque... [rf. incomplte] La thologie assura la prennit de cette dtermination morale de l'existence, et la philosophie s'en fit l'auxiliaire. Nul philosophe, en effet, ne s'interrogea sur la valeur de la vrit ; cette valeur fut toujours pour ainsi dire donne par dfinition, et il en fut de mme pour le bien. Que peuvent alors signifier de tels jugements ? Dans la mesure o ils se construisent en opposition l'apparence, ils ne peuvent signifier que le nant : Dieu, l'tre, le bien et tout pense de l'en soi, de l'absolu, sont les symptmes d'une mme volont de vaincre le devenir, associ au nant, d'une volont d'en finir qui, paradoxalement en apparence, se met crer des valeurs. Ces valeurs, cependant, expriment la grande lassitude, l'puisement de l'homme face au monde. Cela s'exprime de diverses manires dans le monde moderne : la guerre, l'ennui, le dsuvrement, la recherche d'excitations morbides ou de plus en plus violentes (alcool, rotisme), la recherche d'activits abrutissantes (travail), la vie au jour le jour et inconsistante de la vie publique intellectuelle (journalisme, opportunisme des universitaires rmunrs), les conflits psychiques (nvrose, hystrie), etc.[rf. souhaite]
C'est pourquoi, le nihilisme est selon Nietzsche l'vnement majeur de l'Europe, il en est mme le destin depuis Platon. Mais ce nihilisme clate aujourd'hui[Quand ?][rf. souhaite] : il exprimerait alors un tournant historique dans la hirarchie des valeurs reues jusqu'ici. Cet clatement du nihilisme pourrait tre rsum par la formule clbre : Dieu est mort. , car si Dieu est mort, la morale n'a plus de fondement, bien que l'ombre du dieu mort (son influence axiologique) agisse encore fortement sur des hommes mme athes : La question du nihilisme " quoi bon ? " part de l'usage qui fut courant jusqu'ici, grce auquel le but semblait fix, donn, exig du dehors - c'est--dire par une quelconque autorit supra-humaine. Lorsque l'on eut dsappris de croire en celle-ci, on chercha, selon un ancien usage, une autre autorit qui st parler un langage absolu et commander des fins et des tches. L'autorit de la conscience est maintenant en premire ligne un ddommagement pour l'autorit personnelle (plus la morale est mancipe de la thologie, plus elle devient imprieuse). Ou bien c'est l'autorit de la raison. Ou l'instinct social (le troupeau). Ou encore l'histoire avec son esprit immanent, qui possde son but en elle et qui l'on peut s'abandonner. (La Volont de puissance, I, I, 3). La critique de la mtaphysique, en rfutant l'ide de la pense d'un en soi, d'un tre absolu, contribue prcipiter la crise nihiliste, en l'amenant son point extrme o l'on ne peut esquiver de penser le problme hirarchique des valeurs qui, prives de leur fondement, entrent en contradiction avec le monde dans lequel nous vivons : nos valeurs sont devenues insoutenables, et sources de contradictions psychiques. Le nihilisme signifie alors que les anciennes valeurs sont dprcies. Ainsi, la critique de la mtaphysique rvle-t-elle le nihilisme des valeurs humaines. Mais Nietzsche distingue plusieurs types de nihilisme, selon la force ou la faiblesse qui l'inspire. Les deux formes du nihilisme Tout d'abord, Nietzsche distingue deux types de nihilisme : Le nihilisme, une condition normale. Nihilisme : le but fait dfaut ; la rponse la question "pourquoi ?" - Que signifie le nihilisme ? Que les valeurs suprieures se dprcient. Il peut tre un signe de force, la vigueur de l'esprit peut s'tre accrue au point que les fins que celui-ci voulut atteindre jusqu' prsent ("convictions", "articles de foi") paraissent impropres car une foi exprime gnralement la ncessit de conditions d'existence, une soumission l'autorit d'un ordre de choses qui fait prosprer et crotre un tre, lui fait acqurir de la force) ; d'autre part le signe d'une force insuffisante s'riger un but, une raison d'tre, une foi. Il atteint le maximum de sa force relative comme force violente de destruction : comme nihilisme actif. Son oppos pourrait tre le nihilisme fatigu qui n'attaque plus : sa forme la plus clbre est le bouddhisme, qui est un nihilisme passif, avec des signes de faiblesse ; l'activit de l'esprit peut tre fatigue, puise, en sorte que les fins et les valeurs prconises jusqu' prsent paraissent impropres et ne trouvent plus crance, en sorte que la synthse des valeurs et des fins (sur quoi repose toute culture solide) se dcompose et que les diffrentes valeurs se font la guerre : une dsagrgation ; alors tout ce qui soulage, gurit, tranquillise, engourdit, vient au premier plan, sous des travestissements divers, religieux ou moraux, politiques ou esthtiques, etc. Le nihilisme reprsente un tat pathologique intermdiaire (pathologique est l'norme gnralisation, la conclusion qui n'aboutit aucun sens -) : soit que les forces productrices ne soient pas encore assez solides, - soit que la dcadence hsite encore et qu'elle n'ait pas encore invent ses moyens. [78] Lorsque le nihilisme consiste dvaluer le monde naturel au nom d'un monde suprasensible, Nietzsche parle d'un nihilisme des faibles : le monde ne devrait pas exister pour le faible qui n'est pas capable de matriser les choses, de mettre un sens dans le monde. Le monde est pour lui une souffrance : il se sent suprieur lui, et, partant, tranger au devenir. Ce nihilisme s'exprime par exemple dans le pessimisme, mais, essentiellement, il est d'origine morale, car les valeurs morales entrent en conflit avec le monde que nous vivons. C'est un nihilisme inconsquent, car il devrait logiquement aboutir la suppression de soi : si la morale et le monde se contredisent, il faut en effet soit dtruire la morale ancienne (mais pas toute morale : Nietzsche est immoraliste et non a-moraliste), soit se dtruire soi-mme :
Voici venir la contradiction entre le monde que nous vnrons et le monde que nous vivons, que nous sommes. Il nous reste, soit supprimer notre vnration, soit nous supprimer nous-mmes. Le second cas est le nihilisme. [78] En sens contraire, le nihilisme des forts est une sorte de mue : des valeurs sont abandonnes et d'autres sont adoptes. La volont du fort n'est pas abattue par l'absurde, mais invente de nouvelles valeurs sa mesure. Ainsi, le dpassement du nihilisme, travers la pense de l'ternel retour, est-il nomm transvaluation des valeurs. Ce nihilisme conduit alors au surhomme, qui est celui qui approuve entirement le monde du devenir, son caractre changeant et incertain : on peut dire que le surhomme est ce monde, il le vit. De ce second sens, il est possible d'extraire encore un autre sens, rserv l'lite des esprits libres : le nihilisme de la pense, la ngation absolue de l'tre, ngation qui devient selon Nietzsche la manire la plus divine de penser. Selon cette pense, il n'y a pas du tout de vrit ; nos penses sont alors ncessairement fausses. Le phnomne de la dcadence La dfinition la plus simple de la dcadence donne par Nietzsche est que l'on peut qualifier de dcadent un tre qui choisit ce qui le dtruit en croyant choisir quelque chose qui accrotrait sa puissance[79]. Mais la dcadence est loin d'tre un tat dfinitif ; au contraire, selon Nietzsche, tout tre, fort ou faible, a des priodes de dcadences. La dcadence est ainsi un phnomne naturel et n'est pas utilis comme condamnation morale. L'avnement du nihilisme, et la possible dcadence des socits modernes, mettent en jeu l'avenir de l'Europe (et non des nations, encore moins des "races"), et impliquent de ce fait une rflexion approfondie sur la civilisation moderne, en particulier dans le domaine de la politique et de la lgislation, le but de Nietzsche tant de comprendre les moyens de rendre possible une nouvelle civilisation qui rompe avec les anciennes valeurs de l'Occident, ainsi qu'avec ses valeurs les plus douteuses, telles que les particularismes nationaux de l'poque.
Puisque toute connaissance est une interprtation, tous les concepts qui lui sont relatifs doivent tre eux aussi rinterprts gnalogiquement. La gnalogie montre l'origine des valeurs morales du ressentiment qui se sert de certaines catgories mtaphysiques, telles que la Vrit, le Bien, etc. Ainsi les facults cognitives humaines semblentelles dtermines par une valuation de l'existence ne de la haine, c'est--dire d'affects ractifs dont la motivation principale est la vengeance. Connaissance et mtaphysique, domaines de la spiritualit humaine en apparence d'une grande puret, seraient donc en ralit dpendantes d'une forte affectivit sans laquelle elles n'existeraient pas : Vous appelez "volont de vrit" ce qui vous pousse et vous rend ardents, vous les plus sages parmi les sages. Volont d'imaginer l'tre : c'est ainsi que j'appelle votre volont !
Possibilit de la mtaphysique Utilit de la vrit La mtaphysique tre et devenir La volont de dnigrement Les critres idalistes Critique de la raison Le langage L'erreur originelle
L'examen des valuations morales va permettre Nietzsche de soutenir que ces valeurs sont non seulement des valuations d'ordre thique, mais qu'elles s'tendent aussi la mtaphysique et en explique l'origine. La question fondamentale pose par Nietzsche est ici : que signifie la volont de vrit ? Ou bien : nous voulons la vrit, mais pourquoi pas l'erreur ?
Vous voulez rendre imaginable tout ce qui est : car vous doutez avec une mfiance que ce soit dj imaginable. Mais tout ce qui est, vous voulez le soumettre et le plier votre volont. Le rendre poli et soumis l'esprit, comme le miroir et l'image de l'esprit. C'est l toute votre volont, sages parmi les sages, c'est l votre volont de puissance ; et aussi quand vous parlez du bien et du mal et des valuations de valeurs. [80]
Nietzsche va passer un autre plan, en affirmant non seulement que la preuve de l'existence ou la nonexistence de ce monde nous est parfaitement indiffrente (ce que les sceptiques avaient dj reconnu), mais qu'il faut encore expliquer pourquoi, malgr cette dmonstration rigoureuse connue depuis des millnaires, un autre monde a pu tre pens comme autre chose qu'une simple hypothse hasardeuse et pourquoi on a voulu le voir vrai en tentant de le prouver. Pour Nietzsche, il n'y a donc pas de vrit absolue ; or, ds lors qu'aucune vrit absolue n'est possible, on rejette du mme coup le monolithisme de la mtaphysique (cf. Le Crpuscule des idoles). Mais cette ngation de la vrit ne signifie pas que Nietzsche n'admet aucun sens ce concept ; au contraire, le rejet de l'absolu fait apparatre un grand nombre de significations qui se prte l'analyse et rvle les diffrentes volonts qui s'investissent dans ce concept. Deux textes des annes 1870, La passion de la vrit et Vrit et mensonge au sens extra-moral, montrent quel point ces volonts sont diverses et le concept riche de sens.
au niveau individuel, le mensonge est plus difficile que la vracit : il est plus utile de dire la vrit et de se conformer l'hypocrisie gnrale ; Les hommes fuient moins le mensonge que le prjudice caus par le mensonge. [88] Comme ce sont certaines vrits qui sont retenues ; au bnfice de la communaut.
il est donc plus avantageux de suivre les vrits reues dans certains milieux, par exemple : Chez les philosophes aussi, autre espce de saints, la logique de leur profession veut qu'ils ne laissent affleurer que certaines vrits : savoir celles pour lesquelles leur profession a la sanction de la socit. En termes kantiens, ce sont des vrits de la raison pratique. [89]
Nietzsche suppose que les catgories "ultimes" de notre pense rsultent d'une histoire slective ; de ce fait, nous ne pouvons nous passer des concepts de la mtaphysique : Est vrai ce qui n'a pas fait prir l'humanit.
La rgle gnrale est qu'une institution ou une socit gnrent un champ de croyances qui leur sont spcifiques (cf. Le Crpuscule des idoles). Plus l'autorit est forte, et moins elle tolre les dmonstrations. Les murs, les lois, la police, assurent ainsi la prennit d'une valuation de la ralit. Toute connaissance qui sort de ce cadre est fausse, dangereuse, mauvaise. Mais il ne s'agit pas pour Nietzsche de condamner unilatralement cette obstruction arbitraire de l'autorit et de la coutume la raison car c'est l'arbitraire qui a permis l'humanit de survivre.
La mtaphysique
Ce conformisme grgaire n'explique pas dans l'immdiat l'idalisme mtaphysique (que Nietzsche nomme le dsirable , ce que l'homme veut que le monde soit, en contradiction avec ce qui est) et la croyance en une connaissance en soi. Le problme de la mtaphysique demande donc tout d'abord tre analys en plusieurs lments. Nietzsche propose ici une interprtation de la mtaphysique comme division de la totalit de l'tant en deux sphres distinctes. tre et devenir
Nietzsche part en effet d'une conception de la mtaphysique dans laquelle les opposs ont une valeur fondamentale :
Ces opposs ont un statut ontologique radicalement diffrent et ne peuvent tre expliqus les uns par les autres. Ces oppositions suscitent de graves difficults logiques et morales : Comment une chose pourrait-elle natre de son contraire ? Par exemple, la vrit de l'erreur ? Ou bien la volont du vrai de la volont de l'erreur ? L'acte dsintress de l'acte goste ? Comment la contemplation pure et rayonnante du sage natrait-elle de la convoitise ? De telles origines sont impossibles ; ce serait folie d'y rver, pis encore ! Les choses de la plus haute valeur doivent avoir une autre origine, une origine qui leur est particulire, - elles ne sauraient tre issues de ce monde passager, trompeur, illusoire, de ce labyrinthe d'erreurs et de dsirs ! C'est, tout au contraire, dans le sein de l'tre, dans l'immuable, dans la divinit occulte, dans la "chose en soi", que doit se trouver leur raison d'tre, et nulle part ailleurs ! [90] Selon Nietzsche, l'opposition mtaphysique fondamentale serait alors que ce qui est ne devient pas, ce qui devient nest pas[91]. Pourquoi ce qui est de lordre du devenir doit-il tre rejet ? Il faut rpondre que le devenir nous trompe car nous ne pouvons jamais l'apprhender. Mais, si nous n'avons rigoureusement aucun accs cognitif un monde mtaphysique, il nous faut expliquer pourquoi on en vient penser que le dsir nous trompe. Sans l'existence de l'tre, le monde du devenir ne pourrait avoir toute notre confiance. Les hommes croient toujours des entits dont pratiquement personne n'a jamais eu l'exprience. Les croyances religieuses et les certitudes mtaphysiques doivent donc faire l'objet d'un examen particulier. La volont de dnigrement Pour Nietzsche, la croyance en un monde mtaphysique est le symptme d'une volont de dprcier celui-ci. On retrouve ainsi les valuations des faibles : Dans ce cas, nous nous vengeons de la vie en lui opposant la fantasmagorie d'une vie "autre" et "meilleure" [92]. Les philosophes se vengent donc de la vie en momifiant tout ce qui leurs yeux a de la valeur :
leurs notions sont ternelles, sans aucun devenir, donc sans gnration, sans croissance, sans corruption, donc sans vie, sans pathos. cela suppose la suppression du corps et des passions : les philosophes, quand ils produisent des abstractions, vident les concepts de leurs entrailles, frappant tout ce qui est prissable de nullit. Lexprience nous montre pourtant le contraire mais cela suppose un regard particulier, une perspective sous le rapport de lternit. volont de dnigrement, nihilisme : le monde vrai = nant. De quelque manire que lon envisage le problme, ces prmisses tant donnes, que lon soit en Inde, en Grce, etc. la conclusion est que ce monde, le monde en devenir, est inconsistant, faux, un nant dtre. parce que les sens sont tenus pour immoraux, ils doivent tre condamns du point de vue de la connaissance. La haine des sens conduit imaginer un autre monde.
En conclusion, selon Nietzsche, la connaissance a une origine morale ; elle est une valuation du monde selon des valeurs humaines, selon ce que l'homme dsire trouver dans le monde. Les critres idalistes de la connaissance Le sentiment, le plaisir que cause une croyance serait la preuve de sa vrit. L'idalisme se confond ainsi avec le dsirable : l'homme veut que le monde ou une partie du monde satisfasse ses dsirs. L'interprtation de Nietzsche rduit de cette manire tout idalisme, toute mtaphysique et toute morale une forme d'eudmonisme. Par l, il leur dnie le droit de dire ce qui est vrai. En effet, tout ce qui est prouv dans ce cas, c'est la force du sentiment, la force du dsir en contradiction avec la ralit. Mais une vrit peut tre ennuyeuse, dsesprante, ne pas se conformer avec nos souhaits moraux ; il faut envisager srieusement l'ide que la vrit peut tre horrible, inhumaine, que l'on peut prir de la vrit. De cette manire Nietzsche supprime tout lien ncessaire entre Vrit et Bien, lien qui existe dans la mtaphysique de Platon et d'Aristote mais aussi dans la thologie chrtienne. De ce fait, l'idalisme, c'est--dire le dni de la ralit que nous avons sous nos yeux au profit d'une ralit diffrente et plus agrable, cet idalisme, pouss ses extrmes, est comparable aux sentiments morbides que ressent un malade qui ne supporte pas le contact physique[93]. L'idaliste, le chrtien, le dmocrate, le socialiste, l'anarchiste, la fministe, etc., sont tous plus ou moins dans une situation fausse relativement la ralit : ils adoptent un comportement infantile de refus, d'autisme, qui dcoule invitablement de leurs faiblesses. Les convictions morales (telles que l'galit entre les hommes) qui supposent des catgories mtaphysiques comme l'ide qu'il y aurait une essence une et universelle de l'homme (qui supposent donc un autre monde, le monde vrai, rel, de la morale), ne se distinguent alors pas d'une sorte de mensonge irrpressible dtermin par un profond malaise physiologique et psychologique face notre existence foncirement immorale, face au caractre tragique de la vie. l'oppos de l'eudmonisme de la vrit, la capacit de regarder froidement la ralit, sans y projeter ses dsirs et ses insatisfactions, est pour Nietzsche une vertu philosophique nomme probit. Critique de la raison Ds lors que la mtaphysique est rfute, apparat l'ide que nous puissions faire une histoire de la connaissance, ce qui conduit Nietzsche considrer les catgories de nos facults cognitives comme les rsultats d'habitudes grammaticales devenues instinctives. Mais le langage a une origine lointaine et vhicule des prjugs rudimentaires : Le langage, de par son origine, remonte au temps de la forme la plus rudimentaire de psychologie : prendre conscience des conditions premires d'une mtaphysique du langage, ou, plus clairement, de la raison, c'est pntrer dans une mentalit grossirement ftichiste. [94] Cette mtaphysique du langage exprime essentiellement la croyance en la causalit de la volont, croyance dont dcoulent des principes de la raison :
Je crains que nous ne puissions nous dbarrasser de Dieu, parce que nous croyons encore la grammaire [94] Thorie du langage Le langage a donc une place importante dans le dveloppement des facults cognitives humaines. La thorie du langage dveloppe par Nietzsche voque la philosophie d'picure : le langage est une convention naturelle qui dcoule des affects. Le langage est un systme de signes qui transpose dans un autre domaine les impulsions nerveuses. C'est en cet autre sens que le langage est mtaphorique. Mais l'usage qui est fait du langage occulte ce rapport mtaphorique au monde, et les images quil vhicule s'objectivent en concepts. Nietzsche suggre alors, comme picure, que l'on doit pouvoir retrouver l'exprience originelle du langage. Cependant, contrairement picure, ce qui est retrouv n'est pas un rapport de connaissance, mais un rapport esthtique ; c'est pourquoi, le chant est particulirement propre nous le faire revivre : Dans le chant lhomme naturel radapte ses symboles la plnitude du son, tout en ne maintenant que le symbole des phnomnes : la volont ; lessence est nouveau prsente de faon plus pleine et plus sensible. [95]
L'erreur originelle
Il faut enfin dcouvrir l'origine de la possibilit de toute mtaphysique, au-del ou en de des interprtations que l'on peut en faire : le point de dpart de toutes les erreurs de la mtaphysique est une croyance : l'origine de tout, l'erreur fatale a t de croire que la volont est quelque chose qui agit - que la volont est une facult [96] Cette croyance implique deux choses :
il y a des actions ; ces actions supposent un acteur ; nous croyons trouver en nous un modle de cette cause (l'agent, le sujet, le moi).
Ds lors, nous projetons les catgories de l'action dans le monde des phnomnes, et croyons que tout vnement suppose une substance qui ne se peut rduire aux qualits phnomnales. C'est l l'ide d'une chose en soi. Cette erreur n'est donc pas seulement induite par le langage, comme les autres erreurs, mais elle a un caractre originellement psychologique dont il faut expliquer pourquoi elle a eu un si grand succs. Ce succs s'explique si l'on considre que cette erreur dans la connaissance de soi comme cause a t interprte comme libre arbitre (ce point est analys par Nietzsche dans le chapitre du Crpuscule des idoles intitul Les quatre grandes erreurs). Elle fait rfrence la thse de Nietzsche selon laquelle la libert a t invente pour rendre les hommes responsables de leurs actes. Si nous suivons le raisonnement de Nietzsche, l'ensemble des erreurs de la mtaphysique a ainsi une origine thologique et morale : l'homme est la cause de ses actes ; son moi est sa substance, son tre, d'aprs lequel il va interprter le monde des phnomnes en y projetant cette causalit psychologique qui spare ce qui agit (un sujet, un substrat de ce qui devient) de ses effets. Cette croyance entrane l'invention de l'unit, de l'identit, de la causalit, etc. toutes ces catgories qui prendront une forme systmatique dans la mtaphysique.
Culture et lgislation
Sommaire de la section
La culture moderne Civiliser o Moralit des murs o Droit et justice o Spiritualisation o Hommes et femmes Grande politique Le philosophe Slection Naturalisation de l'homme
La crise nihiliste appelle une rflexion sur les fondements des valeurs qui forment une culture. Cette reflexion embrasse d'une part une critique de la modernit, en tant qu'hritire des valeurs platonicochrtiennes, et, d'autre part, une nouvelle donne grce la possibilit d'tablir de nouvelles hirarchies par le philosophe, en tant que mdecin de la culture et lgislateur. Cette crise des valeurs pose le problme du pourquoi de l'existence humaine ( quoi bon ? ). L'humanit peut-elle se donner elle-mme des buts ? Le philosophe a pour responsabilit de crer une chelle de valeurs permettant de substituer la volont de nant une volont de vie, d'avenir, de dpassement.
D'UNE PROMOTION DE DOCTORAT. - Quelle est la mission de toute instruction suprieure ? - Faire de l'homme une machine. - Quel moyen faut-il employer pour cela ? - Il faut apprendre l'homme s'ennuyer. - Comment y arrive-t-on ? - Par la notion du devoir. - Qui doit-on lui prsenter comme modle ? - Le philologue : il apprend bcher. - Quel est l'homme parfait ? - Le fonctionnaire de l'tat. - Quelle est la philosophie qui donne la formule suprieure pour le fonctionnaire de l'tat ? - Celle de Kant : le fonctionnaire en tant que chose en soi, plac sur le fonctionnaire en tant qu'apparence. - [99] Ainsi, la philosophie universitaire est-elle ennuyeuse, approximative, arbitraire, et est une fumisterie de la culture moderne. ce propos, Nietzsche cite l'anecdote du philosophe qui demandait une personne en deuil la cause de son malheur ; quand on lui eut appris qu'un grand philosophe venait de mourir, il s'tonna : un philosophe ? Mais il n'a jamais afflig personne ! Comme ce philosophe, il faut dire, selon Nietzsche, que la philosophie universitaire n'afflige personne, et que cela mme est affligeant ! La solution pour remdier cette situation serait alors d'expulser les philosophes de l'universit, de leur retirer leur traitement pour faire le tri, voire de les perscuter. On verrait ainsi o sont les vritables penseurs, comme l'tait Schopenhauer[100]. Critique des philistins de la culture Cette critique de la philosophie universitaire est un aspect capital de la critique qu'il adresse ceux qu'il appelle les philistins de la culture et qui rvle l'tat misrable de la civilisation allemande, notamment depuis sa victoire militaire sur la France, victoire qui a marqu, selon lui, la fin lamentable de l'histoire de l'abtissement millnaire de l'Allemagne. - je lai imput aux Allemands, comme philistinisme et got du confort : mais ce laisser-aller est europen et bien daujourdhui , pas seulement en morale et en art. Nietzsche critique particulirement l'illusion qu'avaient les Allemands, aprs leur victoire contre la France en 1870, que cette victoire militaire signifiait galement une victoire culturelle, une supriorit de la culture allemande sur la culture franaise. Au contraire, il affirme que malgr sa dfaite, la France a conserv sa domination culturelle. Critique de la dmocratie Nietzsche[101] dcrit le type d'homme qu'il nomme dmocratique (demokratisch) comme le type reprsentatif des ides modernes ; il dcrit galement la place de la dmocratie dans l'histoire, son mouvement, et l'importance qu'elle peut avoir pour l'avenir (le mouvement dmocratique). Outre cette distinction, il faut remarquer que Nietzsche emploie le mot Democratie dans les annes 1876 - 1879 pour dsigner l'tat dmocratique, tandis que la qualit dmocratique possde, partir des annes 1882 - 84, un sens gnral qui dsigne un type et peut donc s'appliquer des ralits non politiques (comme l'art et la science)[102]. Le type dmocratique est analys par Nietzsche de la mme manire qu'il analyse, selon la mthode gnalogique, tous les autres types : en cherchant la structure des instincts de ce type, et les jugements de valeurs, ou got, qui en dcoulent. Le trait typique du got dmocratique est l'galitarisme, qui peut tre aussi appel ressentiment contre la grandeur, qui lutte contre tout ce qui veut s'lever, et considre que personne n'est mieux qu'un autre. L'galitarisme moderne ne peut ainsi, selon Nietzsche, permettre une haute culture de l'esprit et entretient la solidarit du ressentiment des incultes. La dmocratie, telle que Nietzsche la conoit, est cette idologie du troupeau qui cherche la scurit et le bien-tre, aux dpens de la supriorit intellectuelle, en lui faisant la guerre, en se faisant l'ennemi de tout gnie : d'o la critique de l'ducation dmocratique moderne qui entrave le dveloppement intellectuel et ne produit que des individus demi cultivs, grossiers voire barbares.
L'esprit dmocratique, tel que le peroit Nietzsche, est complaisant, curieux et futile, bariol et sans got, sans grande ambition avec ses petits plaisirs pour le jour et ses petits plaisirs pour la nuit , satisfait de sa mdiocrit tranquille et de son bonheur bovin : Malheur ! Voici le temps o l'homme ne peut plus donner le jour une toile qui danse. Malheur ! Voici le temps du plus mprisable des hommes, qui ne peut mme plus se mpriser lui-mme. Voyez ! Je vous montre le dernier homme. [103] Nietzsche refuse cette conception d'une galit entre les hommes (hrite du christianisme selon lui). Cette critique s'accompagne d'une nuance importante, qui soustrait Nietzsche la qualit dun opposant absolu la dmocratisation de l'Europe ; il souligne lui-mme la duplicit dont on peut faire preuve en simulant une haine froce contre la dmocratie, alors que l'avance de celle-ci sert des vises entirement opposes. En effet, jugeant que le nivellement de l'humanit par l'galitarisme est invitable, Nietzsche conoit l'ide que l'Europe devra ncessairement se fdrer en dtruisant les nationalismes et s'unifier conomiquement, et que l'humanit sera un jour gre au niveau mondial (ce qu'il appelle la domination venir de la Terre) : Le rsultat pratique de cette dmocratisation qui va toujours en augmentant, sera en premier lieu la cration dune union des peuples europens, o chaque pays dlimit selon des opportunits gographiques, occupera la situation dun canton et possdera ses droits particuliers : on tiendra alors trs peu compte des souvenirs historiques des peuples, tels quils ont exist jusqu prsent, parce que le sens de pit qui entoure ces souvenirs sera peu peu dracin de fond en comble, sous le rgne du principe dmocratique, avide dinnovations et dexpriences. [104] Tout cela va dans le sens d'une homognisation des socits humaines, d'une mdiocrisation sociale et culturelle gnralise. Ceci quivaut pour lui la cration d'un citoyen moyen, sans qualit, formant un troupeau suivant des vertus d'obissance l'ordre social, quasi-esclaves, satisfaits toutefois de leur condition (qu'ils ont voulue). Cette socialisation de l'homme (le grgarisme plantaire) revient btir une infrastructure[105] d'o pourront surgir de nouvelles classes dominantes, et ce nivellement recle donc une nouvelle possibilit de hirarchie. Cette pense est une partie importante de sa grande politique.
Le processus de la civilisation
Ces critiques de la culture moderne s'accompagnent d'une tentative de repenser les conditions prcises de toute civilisation. Comment duque-t-on les hommes ? Comment est-il parvenu au gnie artistique et philosophique ? Cela ne nous tonne pas, car nous sommes trop habitus par les valeurs humanistes de l'Occident considrer l'homme comme une nature donne une bonne fois pour toutes. La rflexion sur ce thme de la culture apparat alors comme un questionnement sur l'animalit de l'tre humain et sur l'ducation (discipline, contraintes) qui lui est donne. Cette animalit avait t refoule par la religion, la morale et la philosophie, si bien que la question de l'levage de l'homme est demeure inconsciente, comme dans le cas de la volont morale d'amliorer l'humanit - qui est selon Nietzsche un dressage qui ne se considre pas comme tel, et qui refuse de se considrer comme tel. La moralit des murs Le processus qui conduit l'homme la civilisation commence par la moralit des murs : Nietzsche considre en effet l'homme comme un animal auquel on a d apprendre promettre en le soumettant aux murs et la loi par un dressage violent et arbitraire (d'o la torture, la dette payer en livre de chair). Le rsultat est un animal qui peut tenir sa parole, dont la volont se maintient dans le temps, et qui a conscience que cette facult est une distinction : la capacit de promettre est en effet l'expression de la puissance que l'on possde du fait de la matrise de soi que l'on a acquise. La violence des moyens employes par l'humanit est alors abolie par la cration de l'individu autonome, d'un sur-animal capable de rpondre de lui-mme, de se dterminer et de se crer ses propres valeurs.
Le droit Dans ce processus, le rle de la justice est alors de contenir les dbordements violents du ressentiment et de la vengeance, et d'imprimer en l'homme, si besoin par la force, un point de vue juridique qui le spare de ses ractions immdiates (prjudices contre prjudices, violence contre violence) et l'amne se concevoir comme un tre responsable devant la loi. Le droit dpend de l'quilibre des forces, c'est--dire qu'il n'y a pas de contrat naturel. Nietzsche reprend sur ce point les thses de Spinoza sur l'quivalence du droit et de la puissance. La spiritualisation des instincts La gnalogie montre que les instincts ne sont jamais radiqus. La consquence que Nietzsche en tire est qu'une action bonne n'est qu'une action mauvaise spiritualise, une action mauvaise n'est qu'une action bonne reste l'tat de la grossiret et de la btise de l'instinct. La spiritualisation consiste donc ne pas lutter contre les passions, comme le fait la morale en Occident, mais leur fixer un point d'application diffrent. Le conflit des sexes
Lou Andreas-Salom, Paul Re, et Nietzsche dans une mise en scne imagine par le philosophe (1882). La sexualit est pour Nietzsche un aspect majeur de la culture. Aussi a-t-il considr la relation entre les sexes comme l'un des fondements de la spiritualisation des instincts et de la force d'une civilisation. Il pose comme principe que les hommes doivent avoir pour les femmes un sentiment dtermin de possession : Un homme profond, [] profond d'esprit autant que de dsirs, dou par surcrot de cette bienveillance profonde capable d'une svrit et d'une duret qui se confondent facilement avec elle, un tel homme ne peut penser la femme qu' la manire d'un Oriental : il doit voir dans la femme une proprit, un bien qu'il convient d'enfermer, un tre prdestin la sujtion et qui s'accomplit travers elle. [106] L'homme doit ainsi assujettir la femme pour assumer et possder pleinement son identit sexuelle propre, en sorte qu'une ducation des instincts, et notamment de la sexualit, devienne possible et cratrice d'une haute culture. Car si la femme est dans l'esprit de l'homme qui la dsire un tre ractif (l'homme tant l'animal fcond, actif, crateur), c'est--dire un tre faible et servile qui ne peut s'accomplir que dans la servitude, elle participe indirectement la culture, en suscitant chez l'homme le plaisir de dominer, d'affirmer son dsir : les femmes, remarquent Nietzsche, parviennent tre le centre d'intrt de toute une civilisation quand l'amour devient un motif essentiel des arts, ce qui signifie que l'excitation sexuelle y a pris une forme raffine, esthtique et augmentant le plaisir de la vie. Ainsi, si Nietzsche rappelle que le rle des femmes est
de mettre des enfants au monde et d'tre un divertissement pour les hommes , leur force est prcisment dans la faiblesse de leur nature, dans la sduction qu'elles exercent, et qui leur permet leur tour de dominer et de former la sensibilit morale et instinctive masculine. Non seulement les femmes mettent des hommes au monde, au sens propre, mais le dsir qu'elles suscitent met un homme au monde, au sens figur. Nietzsche ne nie pas que certaines femmes puissent tre exceptionnelles (de mme qu'il y a des hommes exceptionnels, mais rares). L'galit entre hommes et femmes est alors pour Nietzsche une injustice dmocratique, un prjug chrtien, une ide qui a des racines thologico-morales, et qui n'a de ce fait, aucun rapport avec la ralit naturelle. Homme et femme possdent l'un sur l'autre un pouvoir de domination spcifique qui les oppose et les runit tour tour[107], et que l'on ne peut galiser sans affaiblir la fois l'homme et la femme, car on abolirait ainsi la lutte fconde entre les sexes. Ce pouvoir des deux sexes possde sa racine commune dans l'attirance sexuelle, cette forme la plus primitive de la Volont de puissance et, partant, l'expression la plus innocente et la plus dionysiaque de l'affirmation de la vie[108]. C'est pourquoi Nietzsche estime que l'mancipation de la femme s'accompagne de son enlaidissement moral et intellectuel : la femme moderne est sotte et sans intrt, parce qu'elle se dpouille de la force de sa faiblesse, et tente d'acqurir des vertus masculines, ce qui lui fait perdre toute influence bnfique sur l'homme. l'inverse, bien qu'il critique cette volont d'mancipation, il estime que l'homme occidental, en imposant une morale rpressive en matire de sexualit, a produit une situation d'insatisfaction dans les rapports entre sexes, dont la femme, et notamment les femmes d'exceptions, souffre d'autant plus que les conventions ne lui permettent pas d'assouvir ses besoins intellectuels et physiques aussi librement que les hommes[109].
Selon Nietzsche, l'individu lui-mme est un processus de slection : Un homme russi (...) est un principe de slection (...). Bien loin d'aller au-devant d'elle, il examine attentivement l'excitation qui lui vient lui [111] . Le vivant, tout comme chez Spinoza, doit distinguer ce qui lui est bon et ce qui lui est nuisible.
Ingalit et hirarchie
Nietzsche refuse les institutions du type tat[112], mais sa pense politique n'en est pas moins, dans certaines limites, hirarchique et ingalitaire[113]. Selon lui, la prservation des ingalits sociales engendre une mentalit de caste d'o seule peut surgir une culture fconde et litiste, dlivre des besoins et des ncessits de la vie. Il juge en consquence qu'une classe d'hommes vivants par l'esprit et pour l'esprit devrait tre protge de la foule des hommes mdiocres. Dans les annes 1870, le jugement de Nietzsche, influenc notamment par les ides d'une renaissance de l'Allemagne, avait un sens matriel sans quivoque : Pour que l'art puisse se dvelopper sur un terrain fertile, vaste et profond, l'immense majorit doit tre soumise l'esclavage et une vie de contrainte au service de la minorit et bien au-del des besoins limits de sa propre existence. Elle doit ses dpens et par son sur-travail dispenser cette classe privilgie de la lutte pour l'existence afin que cette dernire puisse alors produire et satisfaire un nouveau monde de besoins. [114] L'esclavage fait partie de la civilisation. Toutefois, par la suite, il dfinira l'esclavage en un sens que l'on trouve chez de nombreux moralistes[115] : l'esclave est celui qui ne dispose pas de temps libre pour cultiver ses facults[116]. Le mot esclavage dsigne une intriorisation d'un ancien tat de fait plus brutal et concerne l'immense majorit des hommes, les travailleurs utilisant leurs forces physiques comme les professeurs d'universit soumis leur programme. Or, Nietzsche voque partir de l une nouvelle possibilit quand il dcrit le fonctionnement naturel des socits, et qu'il met en avant la brutalit de leur fonctionnement, la lutte pour la domination et l'exploitation cruelle : S'abstenir rciproquement d'offense, de violence et de rapine, reconnatre la volont d'autrui comme gale la sienne, cela peut donner, grosso modo, une bonne rgle de conduite entre les individus, pourvu que les conditions ncessaires soient ralises (je veux dire l'analogie relle des forces et des critres chez les individus et leur cohsion l'intrieur d'un mme corps social). Mais qu'on essaye d'tendre l'application de ce principe, voire d'en faire le principe fondamental de la socit, et il se rvlera pour ce qu'il est, la ngation de la vie, un principe de dissolution et de dcadence. [117] Il estime en effet possible de spiritualiser ces conflits (en leur donnant une forme plus subtile susceptible d'tre largement accepte), de la mme manire que la moralit des murs avait produit une nouvelle forme d'humanit par des moyens violents, pour se trouver ensuite abolie dans son rsultat intrioris. La dmocratisation de l'Europe assure aux yeux de Nietzsche cette possibilit : Il semble que la dmocratisation de lEurope soit un anneau dans la chane de ces normes mesures prophylactiques qui sont lide des temps nouveaux et nous sparent du moyen ge. Cest maintenant seulement que nous sommes au temps des constructions cyclopennes ! Enfin nous possdons la scurit des fondements qui permettra lavenir de construire sans danger ! [118] La mdiocrit est ainsi invitable et indispensable aux fondements des nouvelles socits. Lutter contre elle (par exemple en voulant craser les faibles au profit des forts, ou en exacerbant les sentiments nationaux[119]) serait une absurdit qui conduirait la destruction des socits : Il serait tout fait indigne dun esprit profond de voir une objection dans la mdiocrit mme. Elle est la premire ncessit pour quil puisse y avoir des exceptions : une haute culture dpend delle. [120]
Sur cette base, la hirarchie que Nietzsche va concevoir sera une hirarchie spirituelle, et elle vise tablir des conditions institutionnelles favorables un type d'hommes que Nietzsche conoit comme bons, aimables et suprmement cultivs : Seuls les hommes les plus intellectuels ont le droit de la beaut, de laspiration au beau, eux seuls sont bont et non point faiblesse. Ils sont la classe dhommes la plus honorable et cela nexclut pas quils soient en mme temps la plus joyeuse et la plus aimable. Les intellectuels qui sont les plus forts [121] Chacun a des droits suivant la puissance qu'il possde, suivant son rang, mais cette ide ne prend sa forme la plus labore que lorsqu'elle atteint un degr de spiritualisation qui porte l'esprit au sommet de la hirarchie des valeurs. La pense nietzschenne de la hirarchie ne s'oppose donc pas une protection juridique des personnes, tant que la prminence intellectuelle n'est pas entrave ou nie. L'galit des droits, principalement dans le domaine de la culture, serait une ngation de tout droit et la source vritable de l'injustice qui conduirait la dprciation de la culture. Nietzsche reprend son compte la vieille opposition entre lotium et le negotium, rendant compte du statut diffrent du travail et du loisir (lcole pour les anciens). Seule le travail de la masse des mdiocres permet le loisir des lites qui peuvent alors se consacrer la direction de la socit. La question tant de savoir si cette distribution des rles est mutuellement consentie ou au contraire, impose Il ressort de sa politique que les plus forts, qui sont ceux qui vivent par l'esprit et qui ont besoin pour cela d'une socit hirarchise, ont intrt trouver des protections contre le ressentiment qu'ils suscitent, mais qu'ils ont aussi intrt protger les plus faibles (qui sont faibles du point de vue de leur esprit), et ceci afin de conserver et de dvelopper les valeurs lies l'esprit et l'art, en cartant les causes possibles de ressentiment et de vengeance contre la culture. Mais la difficult est telle, que Nietzsche a song plus d'une fois fonder une socit savante l'cart du monde ; ainsi la hirarchie dont parle Nietzsche se conoit tout aussi bien comme une diffrence de rang dans le domaine de l'esprit qui n'a pas d'influence directe sur le cours des socits. Il sera galement conduit concevoir le Surhomme comme un homme vivant l'cart, et qui il importe peu de possder un pouvoir politique effectif (voir plus loin, la section Surhomme).
Le philosophe
Cet litisme, dont Nietzsche voit la forme la plus haute dans une classe d'hommes vivant pour l'esprit, le conduit placer le philosophe au rang le plus lev dans le dveloppement de la culture. Cette place fait trs tt l'objet des rflexions de Nietzsche : il avait ainsi eu le projet d'crire un livre sur le philosophe, alors qu'il tait encore professeur, et il nous en reste de nombreux fragments. cela s'ajoutent des uvres non publies (comme Die Philosophie im tragischen Zeitalter der Griechen et Das Verhltnis der Schopenhauerischen Philosophie zu einer deutschen Cultur), et de nombreux passages des Considrations Inactuelles. Pour comprendre la place accorde au philosophe par Nietzsche, il faut tout d'abord penser les rapports de la philosophie, de l'art et de la science. Philosophie, science et art
Socit philologique. Nietzsche est debout au centre. Le philosophe est un type d'homme dont l'instinct dominant est, selon Nietzsche, un instinct de connaissance slectif. Il s'oppose en cela, dans certaines limites, l'intemprance de la science, qui est pour lui une forme de barbarie lie la dmocratie. Sont opposs ainsi, en tant que types, le savant et le philosophe : le premier ne fait pas de distinction dans ce qu'il a connatre, son activit n'a rien de personnelle ; la caricature extrme de la science est l'rudition, forme de "savoir" qui n'instruit pas mais, au contraire, dforme l'esprit et lui est un fardeau. La masse de ce qui est connatre est en effet infinie et conduit au dsespoir de la connaissance. Cette opposition se manifeste d'abord dans l'uvre de Nietzsche par une critique de l'histoire[122] et de la philologie (rappelons qu'il tait lui-mme professeur de philologie) : "Du reste je dteste tout ce qui ne fait que m'instruire, sans augmenter mon activit ou l'animer directement." Ce sont l des paroles de Goethe par lesquelles, comme un Ceterum censeo courageusement exprim, pourra dbuter notre considration sur la valeur et la non-valeur des tudes historiques. On y exposera pourquoi l'enseignement, sans la vivification, pourquoi la science qui paralyse l'activit, pourquoi l'histoire, prcieux superflu de la connaissance et article de luxe, doivent tre srieusement, selon le mot de Goethe, un objet de haine, parce que nous manquons encore actuellement de ce qu'il y a de plus ncessaire, car le superflu est l'ennemi du ncessaire. Certes, nous avons besoin de l'histoire, mais autrement que n'en a besoin l'oisif promeneur dans le jardin de la science, quel que soit le ddain que celui-ci jette, du haut de sa grandeur, sur nos ncessits et nos besoins rudes et sans grce. Cela signifie que nous avons besoin de l'histoire pour vivre et pour agir, et non point pour nous dtourner nonchalamment de la vie et de l'action, ou encore pour enjoliver la vie goste et l'action lche et mauvaise. Nous voulons servir l'histoire seulement en tant qu'elle sert la vie. Mais il y a une faon d'envisager l'histoire et de faire de l'histoire grce laquelle la vie s'tiole et dgnre. C'est l un phnomne qu'il est maintenant ncessaire autant que douloureux de faire connatre, d'aprs les singuliers symptmes de notre temps. [123] De ce fait, le philosophe est plus proche de l'artiste, dans la mesure o il synthtise ce qu'il connat, c'est-dire produit une simplification de la ralit qui a un caractre esthtique au service de la vie et de la culture. Le philosophe lgislateur Le philosophe est selon Nietzsche l'expression de la plus haute volont de puissance humaine. C'est en tant que tel qu'il est galement un lgislateur. Mais Nietzsche n'a pas une conception volontariste de la politique ; il ne s'agit pas d'imposer par la force un ordre auxquels les hommes devraient se conformer. Ce volontarisme relve gnralement du fanatisme moral. Nietzsche soutient tout au contraire que l'influence des ides est telle, qu'elle peut s'tendre et se dvelopper sur des sicles voire sur des millnaires. C'est le cas, par exemple, de la pense de l'ternel Retour : ce n'est pas un programme politique que devrait appliquer un parti ou un rgime ; il ne s'agit pas non plus d'en faire un critre pour se dbarrasser activement des dcadents et tablir un ordre des forts. L'ide de Nietzsche est que l'introduction de nouvelles penses dans le cours de l'histoire est susceptible de le transformer. Ainsi en est-il de la pense de l'ternel Retour.
Nietzsche crit ainsi : Lordre des castes, le rglement des rangs ne formule que les rgles suprieures de la vie mme ; la sparation des trois types est ncessaire pour conserver la socit, pour rendre possible les types suprieurs [...] . Antchrist et fait l'loge d'un suicide activement sugger : Le malade est un parasite de la Socit. Arriv un certain tat il est inconvenant de vivre plus longtemps. Lobstination vgter lchement, esclave des mdecins et des pratiques mdicales, aprs que lon a perdu le sens de la vie, le droit la vie, devrait entraner, de la part de la Socit, un mpris profond. Les mdecins, de leur ct, seraient chargs dtre les intermdiaires de ce mpris, ils ne feraient plus dordonnances, mais apporteraient chaque jour leurs malades une nouvelle dose de dgot... Crer une nouvelle responsabilit, celle du mdecin, pour tous les cas o le plus haut intrt de la vie, de la vie ascendante, exige que lon carte et que lon refoule sans piti la vie dgnrescente par exemple en faveur du droit de vivre... Crpuscule des idoles. Qui sont en effet, pour Nietzsche, ceux qu'il appelle les rats ? Ce sont ceux qui interprtent moralement le monde, et qui ne peuvent en consquence supporter d'y vivre (car, nous l'avons vu, le monde et son interprtation morale se contredisent), bref ce sont ceux que ronge le nihilisme. Il n'est donc nul besoin d'une politique agressive (qui serait une forme de dcadence), mais seulement d'une slection des interprtations. Pour le comprendre, prenons un exemple : un homme, dans l'Antiquit, ayant appris la doctrine de Platon, se suicida car il estima qu'il ne fallait pas attendre la mort naturelle pour connatre ce monde meilleur dcrit par le philosophe. Voil un nihilisme pratique et consquent, qui est aussi une forme d'eugnisme par l'influence des ides. C'est pourquoi on trouvera chez Nietzsche un loge du suicide, et d'une mise en scne consolatrice de la mort librement choisie, qu'il oppose l'horrible mise en scne de la mort et de ses tourments moraux dans le christianisme : il faut se sentir libre de se tuer, car c'est ainsi un service que l'on se rend soi-mme, et que l'on rend galement aux autres quand la vie est devenue insupportable. Ainsi parlait Zarathoustra mentionne qu'il faut savoir mourir au plus haut point de son ascension , lorsqu'il est impossible de se surpasser, et en faisant cela, notre image et notre puissance ne seront pas altres par les annes qu'il nous serait rest vivre (et se dgrader). Ds lors, Nietzsche se pose les questions suivantes :
la crise nihiliste peut-elle tre prcipite ? quel type de valeurs permettrait-il de surmonter cette crise ?
des pulsions : par exemple, l'abstinence absolue, valorise par la morale, devient une abstinence relative qui permet de concentrer et d'augmenter les forces intellectuelles. La haine peut tre transforme en amour de ses ennemis, si l'on comprend la ncessit naturelle de l'adversit. D'une manire gnrale, les anciennes vertus peuvent ainsi tre rinterprtes, tout en supprimant les lments ractifs qu'elles contenaient ou dont elles taient issues. La perspective de cette rvaluation est celle de la grande sant. La slection et l'objectif de la naturalisation de l'homme posent deux problmes : quelles sont les ides qui auront la plus forte valeur slective ? Peut-on poser une fin cette slection des interprtations ? L'ternel Retour vient rpondre la premire question, le Surhomme la seconde.
Voir articles dtaills : ternel Retour et Surhomme Sommaire de la section La politique de Nietzsche contient deux notions parmi les plus importantes de sa pense : l'ternel Retour comme moyen de slection, et le Surhomme comme fin idale.
Nietzsche tablit une hirarchie entre les penses : les penses sont plus ou moins slectives. S'il juge l'ternel Retour la pense la plus lourde, c'est parce qu'elle possde la porte thique discriminante la plus extrme. C'est ce titre qu'elle fait partie de sa philosophie politique et morale. Mais toute pense possde une valeur discriminante des degrs varis, comme par exemple le mcanisme qui est plus slectif que le finalisme car il supprime l'idalisme. Il faut commencer par remarquer que l'ternel Retour se distingue de toutes les anciennes conceptions cycliques (comme expose dans les textes brahmaniques) : si la loi du karma lie l'existence future d'un tre son existence passe (la rincarnation sert rparer les erreurs d'une existence passe), Nietzsche nie toute dette et toute faute, et conoit le devenir cyclique par del bien et mal. Cette hypothse thique et cosmologique que l'on trouve dj chez Hraclite et les Stociens, peut tre dduite du concept de volont de puissance en admettant certains axiomes ; Nietzsche s'est en effet efforc de montrer le caractre plausible de son hypothse :
l'tre n'existe pas, l'univers n'atteignant jamais un tat final, il n'a pas de but (d'o le rejet de tout modle mcanique) ; en consquence, l'univers n'est pas devenu, ce qui signifie qu'il n'a jamais commenc devenir (rejet du crationnisme) ;
l'univers tant fini, l'ide d'une force infinie est absurde et reconduirait la religion ; la volont de puissance tant une quantit de force dont l'univers est compos d'un nombre fini, vu que le temps est un infini, toutes les combinaisons possibles doivent pouvoir revenir un nombre infini de fois.
Pour Nietzsche la validit scientifique de cette hypothse cosmologique n'a aucune importance, toute pense - mtaphysique comme scientifique - est interprtation du monde : il n'existe pas de fait objectif, de vrit ou de sens absolus, indpendamment du sujet. La valeur d'une reprsentation ne se mesure donc pas son adquation au prtendu rel mais sa capacit favoriser le dveloppement de la puissance en tant que vie, sa slectivit, son intrt en tant que ralit thique, interprtation normative, suprieure ou infrieure. Nietzsche sait que sa cosmologie est probablement errone, cela ne va pas en contradiction avec sa pense vantant les mrites de l'erreur [125] ; si la doctrine de l'ternel retour est valorise en tant qu'erreur, cela signifie que sa valeur ne dpend pas de sa scientificit [126]. La valeur de la doctrine de l'ternel Retour vient non de ses fondements mais de ses implications : Si le devenir est un vaste cycle, tout est galement prcieux, ternel, ncessaire. L'aspect scientifique de cette doctrine est une plus-value [127], non une garantie supplmentaire de sa validit, mais une raison supplmentaire pour y croire. Nietzsche la fournit pour favoriser l'adhsion cette doctrine dans une poque qu'il sait positiviste[128]. Le nihilisme, dans cette pense, est un tat normal, et non seulement un symptme de faiblesse face l'absurdit de l'existence. Face L'ternel Retour, pense slective par ce nihilisme extrme, deux attitudes peuvent tre adoptes, comme l'indique le Gai Savoir. Lorsque celui ayant dit non la vie pense l'ternel Retour, sa rsignation est renforce, il est effar la perspective que ce qu'il fuit dans les consolations mtaphysiques et autres arrires mondes l'affligera ternellement ; lorsque l'ternel Retour est pens par celui ayant dit oui la vie, son acceptation de la vie est renforce, sa volont de puissance est alors maximale. Advient ainsi le Surhomme, qui accepte et aime la ralit telle qu'elle est, l o l'idaliste la fuit en l'aimant telle qu'elle devrait ou aurait pu tre. Le poids formidable. Que serait-ce si, de jour ou de nuit, un dmon te suivait une fois dans la plus solitaire de tes solitudes et te disait : Cette vie, telle que tu la vis actuellement, telle que tu l'as vcue, il faudra que tu la revives encore une fois, et une quantit innombrable de fois ; et il n'y aura en elle rien de nouveau, au contraire ! il faut que chaque douleur et chaque joie, chaque pense et chaque soupir, tout l'infiniment grand et l'infiniment petit de ta vie reviennent pour toi, et tout cela dans la mme suite et le mme ordre et aussi cette araigne et ce clair de lune entre les arbres, et aussi cet instant et moi-mme. L'ternel sablier de l'existence sera retourn toujours nouveau et toi avec lui, poussire des poussires ! Ne te jetterais-tu pas contre terre en grinant des dents et ne maudirais-tu pas le dmon qui parlerait ainsi ? Ou bien as-tu dj vcu un instant prodigieux o tu lui rpondrais : Tu es un dieu, et jamais je n'ai entendu chose plus divine ! Si cette pense prenait de la force sur toi, tel que tu es, elle te transformerait peut-tre, mais peut-tre t'anantirait-elle aussi; la question veux-tu cela encore une fois et une quantit innombrable de fois , cette question, en tout et pour tout, pserait sur toutes tes actions d'un poids formidable ! Ou alors combien il te faudrait aimer la vie, que tu t'aimes toi-mme pour ne plus dsirer autre chose que cette suprme et ternelle confirmation ! [129]
Le Surhomme. La notion de Surhomme (qui apparat peu dans les textes part dans Ainsi parlait Zarathoustra) esquisse ce que deviendrait l'homme, en tant dlivr du ressentiment de la morale et en incarnant l'affirmation la plus intense de la vie, l'Eternel Retour. Le prfixe sur- , abondamment utilis par Nietzsche pour dsigner un processus de transfiguration, de modification de la structure des instincts (l'homme est ainsi un sur-animal), signifie cette transformation de l'tre humain ; il s'agit moins d'un accroissement ontologique que d'une manire de percevoir et de juger le monde. Il nest toutefois pas un au-del de lhomme et reste humain, trop humain, ntant pas un nouvel en soi idalis servant de modle.. Contrairement ce que l'on croit souvent, le Surhomme n'est pas un homme surpuissant, physiquement ou intellectuellement : Le mot Surhomme dont j'usais pour dsigner un type d'une perfection absolue, par opposition aux hommes modernes , aux braves gens, aux chrtiens et autres nihilistes, et qui, dans la bouche d'un Zarathoustra, devait donner rflchir, ce mot a presque toujours t employ avec une candeur parfaite au profit des valeurs dont le personnage de Zarathoustra illustre l'oppos, pour dsigner le type idaliste d'une race suprieure d'hommes, moiti saints , moiti gnies son sujet, d'autres nes savants m'ont souponn de darwinisme ; on a mme voulu retrouver l'origine de ma cration le culte des hros de Carlyle, ce faux monnayeur inconscient , alors que j'avais pris un malin plaisir n'en pas tenir compte. [130] C'est une volution possible et souhaite de l'homme : () l'Homme est une chose qui doit tre dpasse. C'est--dire que l'Homme est un pont et non un terme () [131]. L'action de l'homme n'est plus dtourne par une pense et une morale thologique ou mtaphysique () mais par le consentement de son ternel retour. L'Inversion de toutes les valeurs Il faut tout d'abord noter qu'il y a une difficult dans la traduction de l'expression allemande qui a t rendue de plusieurs manires en franais :
Umwertung aller Werte : o Renversement de toutes les valeurs ; o Inversion de toutes les valeurs ; o Transvaluation de toutes les valeurs.
On trouve dans l'expression allemande deux fois le radical Wert- ; le prfixe Um- signifie un retour, un contournement. L'expression pourrait alors tre traduite par rvaluation de toutes les valeurs. En quoi consiste l'inversion des valeurs ? Nietzsche n'en fait aucun expos complet, toujours rest l'tat de projet : Qu'est-ce qui peut seul tre notre doctrine ? - Que personne ne donne l'homme ses qualits, ni Dieu, ni la socit, ni ses parents et ses anctres, ni lui-mme (- le non-sens de l' ide , rfut en dernier lieu, a t enseign, sous le nom de libert intelligible , par Kant et peut-tre dj par Platon). Personne n'est responsable du fait que l'homme existe, qu'il est conform de telle ou telle faon, qu'il se trouve dans telles conditions, dans tel milieu. La fatalit de son tre n'est pas sparer de la fatalit de tout ce qui fut et de tout ce qui sera. L'homme n'est pas la consquence d'une intention propre, d'une volont, d'un but ; avec lui on ne fait pas d'essai pour atteindre un idal d'humanit , un idal de bonheur , ou bien un idal de moralit , - il est absurde de vouloir faire dvier son tre vers un but quelconque. Nous avons invent l'ide de but : dans la ralit le but manque On est ncessaire, on est un morceau de destine, on fait partie du tout, on est dans le tout, - il n'y a rien qui pourrait juger, mesurer, comparer, condamner notre existence, car ce serait l juger, mesurer, comparer et condamner le tout Mais il n'y a rien en dehors du tout ! -
Personne ne peut plus tre rendu responsable, les catgories de l'tre ne peuvent plus tre ramenes une cause premire, le monde n'est plus une unit, ni comme monde sensible, ni comme esprit : cela seul est la grande dlivrance, - par l l'innocence du devenir est rtablie L'ide de Dieu fut jusqu' prsent la plus grande objection contre l'existence Nous nions Dieu, nous nions la responsabilit en Dieu : par l seulement nous sauvons le monde. - [132] Fondamentalement, Nietzsche nonce trois rquisits essentiels qui permettent de dterminer l'expression de rvaluation des valeurs (cf. Le Crpuscule des idoles, "Les quatre grandes erreurs") :
l'abandon de la responsabilit (d'une causalit volontaire) : tout est innocent. l'abandon de toute cause premire (et de l'ide de Dieu) : il n'y a pas d'tre, le monde n'a pas de sens ultime. l'abandon de l'unit interprte du monde (sensible ou spirituelle) : l'univers est en devenir.
L'art
Sommaire de la section
La premire publication de Nietzsche concernant sa pense de l'art est La Naissance de la tragdie. Dans cette uvre, il oppose et associe les figures opposes de l'ivresse : dionysiaque et apollinienne. Dionysos est une figure qui sera reprise par Nietzsche tout au long de son uvre, qu'il n'abandonnera jamais, et mme plus : peu peu l'on voit que Dionysos reprsente l'ensemble des thmes importants chez Nietzsche, comme la fte, le rire, l'ivresse, la volont de puissance, et l'acquiescement, l'affirmation de tout ce qu'est la vie. Il peut se substituer Zarathoustra ou Nietzsche luimme : "l'immense oui, l'amen illimit"..."jusque dans les gouffres, je vais porter mon oui bnisseur..." Mais une fois de plus, c'est l'ide mme de Dionysos. (Dans cet extrait Nietzsche se cite lui-mme en reprenant des paroles de Zarathoustra, dont il dit qu'il est l'ide mme de Dionysos :Ecce Homo, Ainsi parlait Zarathoustra, 6) Dans La naissance de la tragdie Dionysos est du ct de la musique, et Apollon du ct des arts plastiques (mouvement contre rigidit). Dionysos est donc l'ivresse de linstinct, la jouissance primitive de labsence de raison contrlant les actes, linnocence de la libert et de l'motion : Dans la science des mystres la douleur est sanctifie : le "travail d'enfantement" rendant la douleur sacre, - tout ce qui est devenir et croissance, tout ce qui garantit l'avenir ncessite la douleur Pour qu'il y ait la joie ternelle de la cration, pour que la volont de vie s'affirme ternellement par elle-mme il faut aussi qu'il y ait les "douleurs de l'enfantement" Le mot Dionysos signifie tout cela : je ne connais pas de symbolisme plus lev que ce symbolisme grec,
Apollon et Dionysos La tragdie Dcadence de la tragdie Wagner et la musique Physiologie de l'art L'affirmation de la vie par l'art
L'art est la fois premier (interprter, connatre, c'est faire uvre d'artiste) et dernier (le surhomme est un embellissement des pulsions humaines). L'art est l'expression d'une pulsion humaine primitive, celle de crer des formes. Il n'est donc pas surprenant qu'il soit pour Nietzsche le seul facteur justifiant la vie[133].
Apollon et Dionysos
celui des ftes dionysiennes. Par lui le plus profond instinct de la vie, celui de la vie venir, de la vie ternelle est traduit d'une faon religieuse, - la voie mme de la vie, la procration, comme la voie sacre Ce n'est que le christianisme, avec son fond de ressentiment contre la vie, qui a fait de la sexualit quelque chose d'impur : il jette de la boue sur le commencement, sur la condition premire de notre vie [134] La seconde figure luvre de la raison qui tente de masquer la nature par la culture, en inventant des normes, des symtries, afin de clbrer lide du beau par une transformation esthtique des actes et du monde, plaisante la vision. Ces deux premires figures ont des expressions esthtiques qui leur sont propres : Que signifie les oppositions d'ides entre apollinien et dionysien, que j'ai introduites dans l'esthtique, toutes deux considres comme des catgories de l'ivresse ? - L'ivresse apollinienne produit avant tout l'irritation de l'il qui donne l'il la facult de vision. Le peintre, le sculpteur, le pote pique sont des visionnaires par excellence. Dans l'tat dionysien, par contre, tout le systme motif est irrit et amplifi : en sorte qu'il dcharge d'un seul coup tous ses moyens d'expression, en expulsant sa force d'imitation, de reproduction, de transfiguration, de mtamorphose, toute espce de mimique et d'art d'imitation. [135] Mais l'une des premires formes d'art laquelle Nietzsche se soit intress (dans La Naissance de la tragdie) est la tragdie qui runit l'apollinien et le dionysien.
La tragdie
La tragdie grecque est pour Nietzsche l'expression d'un aspect essentiel de la culture grecque : le pessimisme de la force. ce titre, elle tmoigne d'une culture russie jusqu' un certain point, ce dont tmoignent en particulier les philosophes Prsocratiques. La tragdie nat selon Nietzsche de l'orgiasme dionysiaque : extriorisations incomprhensibles des pulsions populaires. Les hommes sont en extase ; ils se sentent ensorcels par le dieu. La tragdie antique est l'accouplement de deux impulsions symbolises par des dieux (Apollon et Dionysos) qui se combattent sans cesse. Ces deux dieux s'expriment primitivement comme des forces de la nature qui se passent du travail de l'artiste. Elles jaillissent au sein du rve et du dlire. L'opposition de ces forces ne doit pas tre exagre : elles produisent des effets bien diffrents, mais possdent quelques points communs. Dans les dernires uvres de Nietzsche, ces forces semblent mme tre absorbes dans le seul lment dionysiaque, au point que certains commentateurs ont pu soutenir que le dionysiaque tait l'lment originel dont l'apollinien est seulement driv. Apollon est le dieu brillant, prophte, qui reprsente les arts plastiques, le rve, la belle apparence, le plaisir des formes. Cette beaut de l'apparence n'exclut pas la reprsentation de sentiments dplaisants. Mais le caractre esthtique qui s'en dgage embellit la vie, et encourage les hommes vivre. C'est l pour Nietzsche son aspect ncessaire : sans Apollon, la vie ne serait pas digne d'tre vcue. L'esthtique d'Apollon est la mesure, le calme de la sagesse, la grce. Au milieu des temptes de l'existence, l'aspect solaire et paisible d'Apollon est sublime. Dionysos est l'ivresse, ivresse des narcotiques, du printemps qui abolit la subjectivit des fous de Dionysos. Dionysos est la volupt de la nature spontanment surabondante. Le principe dionysiaque dissout l'individualit et permet l'homme de renouer avec la nature et l'humanit : c'est le mystre de l'Un originaire qui ensorcelle tous les tres et les font danser tous ensemble. L'homme devient l'uvre d'art d'un dieu.
La psychologie de l'orgiasme comme d'un sentiment de vie et de force dbordante, dans les limites duquel la douleur mme agit comme stimulant, m'a donn la clef pour l'ide du sentiment tragique, qui a t mconnu tant par Aristote que par nos pessimistes. La tragdie est si loigne de dmontrer quelque chose pour le pessimisme des Hellnes au sens de Schopenhauer qu'elle pourrait plutt tre considre comme sa rfutation dfinitive, comme son jugement. L'affirmation de la vie, mme dans ses problmes les plus tranges et les plus ardus ; la volont de vie, se rjouissant dans le sacrifice de ses types les plus levs, son propre caractre inpuisable - c'est ce que j'ai appel dionysien, c'est en cela que j'ai cru reconnatre le fil conducteur vers la psychologie du pote tragique. [136]
Dcadence de la tragdie
La tragdie est morte tragiquement ; son agonie a nom Euripide[137]. Celui-ci a en commun avec les potes de la nouvelle comdie, de faire entrer le spectacle de la vie quotidienne sur la scne. Alors que les anciennes tragdies reprsentaient les hros dont l'idalisation lve l'me du spectateur, la tragdie d'Euripide reprsente le commun, le bas, elle est un miroir rhtorique de la vie des spectateurs qui s'y contemplent. Ainsi Euripide a-t-il popularis la tragdie, en faisant parler le peuple : J'ai introduit sur la scne des choses domestiques, qui sont usuelles et familires [138]. Il croyait ainsi lutter contre la dcadence de la tragdie, qui, selon Nietzsche, tait en ralit dj morte. Fort de cette croyance, il crt que l'effet de l'art n'tait pas adapt au public athnien. Il conut alors une forme d'art, comme la loi d'une esthtique rationaliste : Tout doit tre de l'ordre de l'entendement pour que tout puisse tre entendu. Euripide envisage ainsi de manire critique toutes les parties de l'art : le mythe, la structure dramatique, la musique, la langue, etc. Par exemple, Euripide dvoile toute l'intrigue dans le prologue de ses pices, contrairement Eschyle et Sophocle, qui, dans les premires scnes, font subtilement comprendre aux spectateurs ce qui doit se produire. Ainsi Euripide est-il le premier dramaturge concevoir une esthtique consciente : Tout doit tre conscient pour tre beau , principe qui le fait proche de Socrate. La dcadence de la tragdie s'exprime dans les pices d'Euripide, ami de Socrate, dont on rapporte qu'il aida le dramaturge pour la composition de ses uvres. Or Socrate fut, dans la tragdie, et dans le drame musical en gnral, l'lment de sa dissolution. Socrate est selon Nietzsche un personnage anti-tragique. Nietzsche discerne plusieurs traits de l'volution de la tragdie qui en montrent la dcadence :
l'rudition, le savoir conscient : l'art perd son impulsion dionysiaque. L'quilibre de la lutte tragique est rompu ; le spectacle devient un jeu d'checs, une intrigue bourgeoise, o le raisonnement et l'examen sont introduits : De tels sentiments, c'est pourtant moi qui les inculquai ceux-ci, en introduisant dans l'art le raisonnement et l'examen ; si bien que dsormais on sait concevoir toutes choses, distinguer, et notamment tenir sa maison, ses champs et son btail mieux qu'auparavant en y regardant bien : "Comment va cette affaire ? Pourquoi ? quoi bon ? Qui ? O ? Comment ? Quoi ? Qui m'a pris cela ?" [139]
la rhtorique l'emporte sur le dialogue : les personnages deviennent bavards et artificiels ; la dialectique envahit les hros de la scne : Euripide se fait le porte parole de Socrate, le fait monter sur scne (Socrate c'est la dialectique) ; l'esprit de la musique est perdu ; Euripide introduit le spectateur dans la tragdie, l'homme du quotidien, bas et vulgaire.
Bien sr tous ces traits n'en sont en fait qu'un seul : la tragdie n'est plus dionysiaque car la dialectique monte sur scne sa place, la musique (qui est dionysiaque) n'est donc plus le moteur de la tragdie (qui n'est en fait plus qu'une comdie bourgeoise).
Wagner et la musique
Wagner est tudi par Nietzsche (dans Le cas Wagner en particulier) comme un cas typique de la modernit ; la comprhension du compositeur permet de faire la lumire sur la psychologie de l'homme moderne. Wagner reprsente ainsi, un cas typique de romantisme qui finit dans l'adulation de la croix (Parsifal). Nietzsche s'oppose a Wagner avec son romantisme. Il propose une alternative ce romantisme, que l'on peut nommer classicisme, ce qui ne signifie pas classique dans le temps mais classique dans le mode et la manire. Cette conception nietzschenne, on la trouve dans la naissance de la tragdie o il oppose deux faons : dionysiaque et apollinienne. La premire est rincarnation de la vie et de la force, c'est la guerre et les tragdies dramatiques. La deuxime, c'est l'incarnation des dieux olympiens et un monde de perfection et de paix. La premire est classique et la deuxime romantique. Wagner pour Nietzsche fait partie de la deuxime catgorie qui refuse la vie telle quelle, en cherchant des valeurs inexistantes.
Physiologie de l'art
Nietzsche n'a pas, proprement parler, d'esthtique ; ses thses sur l'origine de l'art sont essentiellement d'ordre physiologique : Pour qu'il y ait de l'art, pour qu'il y ait une action ou une contemplation esthtique quelconque, une condition physiologique prliminaire est indispensable : l'ivresse. Il faut d'abord que l'ivresse ait hauss l'irritabilit de toute la machine : autrement l'art est impossible. Toutes les espces d'ivresses, fussent-elles conditionnes le plus diversement possible, ont puissance d'art : avant tout l'ivresse de l'excitation sexuelle, cette forme de l'ivresse la plus ancienne et la plus primitive. De mme l'ivresse qui accompagne tous les grands dsirs, toutes les grandes motions ; l'ivresse de la fte, de la lutte, de l'acte de bravoure, de la victoire, de tous les mouvements extrmes ; l'ivresse de la cruaut ; l'ivresse de la destruction, l'ivresse sous certaines influences mtorologiques, par exemple l'ivresse du printemps, ou bien sous l'influence des narcotiques ; enfin l'ivresse de la volont, l'ivresse d'une volont accumule et dilate. - L'essentiel dans l'ivresse c'est le sentiment de la force accrue et de la plnitude. Sous l'empire de ce sentiment on s'abandonne aux choses, on les force prendre de nous, on les violente, - on appelle ce processus : idaliser. [140] galement selon Nietzsche, l'art apparat comme " un produit vitale d'illusions ". Physiologie du beau L'art nat d'un sentiment d'ivresse, d'une excitation communicative. Ces tats physiologiques et psychiques n'ont pas de liens ncessaires avec le beau. Cela n'empche pas de faire une physiologie de la beaut et de la laideur : Rien n'est beau, il n'y a que l'homme qui soit beau : sur cette navet repose toute esthtique, c'est sa premire vrit. Ajoutons-y ds l'abord la deuxime : rien n'est laid si ce n'est l'homme qui dgnre, - avec cela l'empire des jugements esthtiques est circonscrit. - Au point de vue physiologique, tout ce qui est laid affaiblit et attriste l'homme. Cela le fait songer la dcomposition, au danger, l'impuissance. Il y perd dcidment de la force. On peut mesurer au dynamomtre l'effet de la laideur. [141]
D'une manire gnrale, Nietzsche prne l'affirmation de la vie, une affirmation totale et joyeuse de la vie (c'est--dire une affirmation du plaisir et de la souffrance), mme dans tout ce qu'elle a de problmatique et d'inquitant, jusque dans ses recoins les plus dangereux. Par art, il ne faut pas entendre seulement les uvres d'art, mais, d'une manire gnrale, ce qui, en l'homme, tend crer des formes, et prfrer la jouissance de la superficie et de l'illusion. En ce sens, l'art s'oppose la science, et, dans une moindre mesure, la philosophie, bien que ces deux dernires activits possdent galement une dimension esthtique. Pour comprendre la force affirmative de l'art, il faut comprendre que notre vie, dans les moindres de ses aspects, tient plus de l'illusion, du rve et du mensonge, que de la "vrit" : O sancta simplicitas ! Quelle singulire simplification, quel faux point de vue l'homme met dans sa vie ! On ne peut pas assez s'en tonner quand une fois on a ouvert les yeux sur cette merveille ! Comme nous avons tout rendu clair, et libre, et lger autour de nous ! Comme nous avons su donner nos sens le libre accs de tout ce qui est superficiel, notre esprit un lan divin vers les espigleries et les paralogismes ! Comme, ds l'abord, nous avons su conserver notre ignorance pour jouir d'une libert peine comprhensible, pour jouir du manque de scrupule, de l'imprvoyance, de la bravoure et de la srnit de la vie, pour jouir de la vie ! Et c'est seulement sur ces bases, ds lors solides et inbranlables de l'ignorance, que la science a pu s'difier jusqu' prsent, la volont de savoir sur la base d'une volont bien plus puissante encore, la volont de l'ignorance, de l'incertitude, du mensonge ! [142]
Les falsifications
Voir La Volont de puissance pour un expos dtaill de la falsification de ce livre. Les textes de Nietzsche ont subi de nombreuses manipulations, et ont t utiliss de manires fort diverses avant d'tre dits de faon plus complte par Giorgio Colli et Mazzino Montinari.
Nietzsche cite peu les auteurs qui l'inspirent ou auxquels il s'oppose, et la recherche des lectures qui ont pu avoir une influence sur sa pense est un domaine part entire des tudes nietzschennes. Pour certains commentateurs (comme Mazzino Montinari[143] ou Barbara Stiegler, dans Nietzsche et la biologie), il est difficile de comprendre toute l'importance des thses de Nietzsche, si l'on ignore de quoi s'est nourri sa philosophie et dans quel contexte intellectuel elle prend place. Nietzsche avait une intense activit de lecture et connaissait, directement ou indirectement, les auteurs, penseurs, scientifiques et artistes majeurs de son temps. Ses lectures sont trs tendues et il faisait lui-mme remarquer dans une lettre Jacob Burckhardt, l'occasion de la parution de Par-del bien et mal, qu'une vaste culture tait ncessaire pour saisir et juger la valeur de cette uvre. La bibliothque de Nietzsche, dont un premier catalogue a t tabli ds 1896 par Rudolf Steiner[144], reflte cet apptit de lectures. On peut citer pour exemples quelques-uns des auteurs quil lut dans sa jeunesse : Goethe, Adalbert Stifter, Ludwig Feuerbach, David Friedrich Strau, Ralph Waldo Emerson (les Essais, dont La Confiance en soi dont on retrouve des influences dans Schopenhauer ducateur), Lord Byron (Manfred), Hlderlin, Schopenhauer (Le monde comme volont et comme reprsentation).
La Naissance de la tragdie (Die Geburt der Tragdie) (1871 - janvier 1872) Vrit et mensonge au sens extra-moral (ber Wahrheit und Lge im auermoralischen Sinn) (1873) Considrations inactuelles (Unzeitgemsse Betrachtungen) (1873 - 1876) o I David Strauss, sectateur et crivain (David Strau, der Bekenner und der Schriftsteller) (1873) o II De l'utilit et de l'inconvnient des tudes historiques pour la vie (Vom Nutzen und Nachteil der Historie fr das Leben) (1874) o III Schopenhauer ducateur (Schopenhauer als Erzieher) (1874) o IV Richard Wagner Bayreuth (Richard Wagner in Bayreuth) (1876) Humain, trop humain (Menschliches, Allzumenschliches) o I. (1878) o II. Opinions et sentences mles (Vermischte Meinungen und Sprche) (1879) ; Le Voyageur et son ombre (Der Wanderer und sein Schatten) (1880) Aurore (Morgenrte) (1881) Le Gai Savoir (Die frhliche Wissenschaft) (1882 et 1887) Ainsi parla (ou parlait) Zarathoustra (Also sprach Zarathustra), (1885) Par-del bien et mal (Jenseits von Gut und Bse) (1886) Gnalogie de la morale (Zur Genealogie der Moral) (1887) Le Cas Wagner (Der Fall Wagner) (1888) Crpuscule des idoles (Gtzen-Dmmerung) (1888, publi en janvier 1889) Nietzsche contre Wagner (Nietzsche contra Wagner) (publi en fvrier 1889) L'Antchrist (Der Antichrist) (1888, publi en novembre 1894) Ecce homo (1888, publi en avril 1908)
Les compilations suivantes de cahiers de Nietzsche ont t tablies par les diteurs :
Fragments posthumes (1854 - 1889) La Volont de puissance (Der Wille zur Macht), recueil tabli et falsifi par la sur du philosophe