Phénoménologie Du Dégoût-Claire Margat

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PHNOMNOLOGIE DU DGOT

Inventaire des dfinitions


Claire Margat P.U.F. | Ethnologie franaise
2011/1 - Vol. 41 pages 17 25

ISSN 0046-2616

Article disponible en ligne l'adresse:

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-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Pour citer cet article :

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Margat Claire, Phnomnologie du dgot Inventaire des dfinitions, Ethnologie franaise, 2011/1 Vol. 41, p. 17-25. DOI : 10.3917/ethn.111.0017

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Phnomnologie du dgot
Inventaire des dfinitions
Claire Margat Docteur en philosophie esthtique

RSUM
Le primat du got esthtique a dvaloris et refoul le dgot, mais son tude nest pas nouvelle, passant dune dfinition esthtique du rpugnant une analyse phnomnologique prcise et dtaille qui dfend sa fonction thique. Selon Bataille, le dgot nacquiert de signification quau sein dun groupe social dans lequel il joue un rle discriminant, excluant des formes abjectes comme un organisme vacue ses excrments. Mais la dfinition existentialiste de la nause par Sartre occulte la dimension collective du dgot, laquelle relve de lanthropologie culturelle. La dimension anthropologique gnrale du dgot se dcline de manire diffrente selon les cultures. Mots-cls : Abjection. Got. Nause. Rpugnant. Dgot.
Claire Margat 4 bis, rue de Palestine 75019 Paris cmargat@noos.fr
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Nous pouvons tous prouver du dgot, mais il est difficile de le dfinir justement parce quon le ressent sans rflexion, spontanment. loppos du got, le dgot est une raction corporelle qui semble avoir peu sollicit lattention des penseurs. Traditionnellement, la recherche philosophique nest parvenue traiter du dgot quen sinterrogeant sur la laideur et en lopposant la beaut : cest par exemple le cas lorsque le philosophe Rosenkranz dfinit le rpugnant dans le cadre de son Esthtique du laid [2004]. Mais le dgot est une raction primaire de rvulsion qui ne semble pas susceptible, comme le got, de former un jugement critique au sein dune esthtique. Lanalyse dtaille du dgot nest devenue possible quavec la mise en uvre dune mthode phnomnologique qui met entre parenthses tant sa caractrisation esthtique que son rle thique et sa fonction sociale. Recenser les approches du dgot suivant leur ordre dapparition tout en reprant les domaines o elles ont t mises en uvre permet de dcouvrir que, loin davoir t nglig, le dgot se retrouve dans les annes 1950 au centre de la rflexion anthropologique de Bataille, tandis que Sartre en propose dans Ltre et le Nant une phnomnologie popularise par son roman La Nause.

Une logique de la distinction

Dans la tradition esthtique, le dgot reste compris comme le ngatif du got. Il dsigne ce que le got condamne. Le dgot serait donc ncessairement second par rapport la position dun jugement esthtique que Kant considre comme universel : selon lidal cosmopolitique de la culture propre aux Lumires, le got esthtique tmoignerait de luniversalit de lhumain. Lesthtique kantienne postule en effet luniversalit du beau contre un relativisme qui ferait driver le beau et le laid, le plaisir ou le dplaisir esthtique de limposition de normes culturelles. Mais si on accepte la critique sociale du got qua opre Bourdieu dans La Distinction pour remettre en question la critique du jugement esthtique, on doit constater que le got a une fonction sociale de distinction : le mot de got la fois facult de percevoir les saveurs et capacit de juger les valeurs esthtiques est la ncessit sociale devenue nature, convertie en schmes moteurs et en automatismes corporels [Bourdieu, 1979 : 552]. Cette dfinition convient encore mieux au dgot. Le dgot, en intriorisant mme le corps une
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Le rpugnant esthtique

La philosophie de lart de Rosenkranz sintresse particulirement aux formes artistiques populaires de son temps, aux productions romanesques qui ne mritent pas dtre considres autrement que comme des symptmes du climat politique et psychologique de lpoque, mais pas comme des uvres dart [ibid. : 275]. Le dgot lui apparat comme le summum du mauvais got qui se manifeste par-del le dplaisant et le repoussant dans le rpugnant. Le repoussant peut tre utilis par lart certaines conditions : la monstruosit de formes dsagrables nous bouleverse, elle nous saisit deffroi, mais elle ne dgote pas. Rosenkranz dfinit en effet le dgot comme une raction motionnelle de rpugnance et de rejet vis--vis de certains objets. Le rpugnant se caractrise selon lui par une ngation de la forme, et plus prcisment par labsence de forme qui nat de la dcomposition physique ou morale. [] Tout ce qui blesse le sens esthtique par la dissolution de la forme nous inspire le dgot . Sy ajoute la dcomposition, la dnaturation dune chose dj morte qui donne lillusion de la vie dans une chose morte [] Le rpugnant, quand il est un produit de la nature, sueur, glaire, excrment, ulcre, etc., est une chose morte que lorganisme limine et livre la pourriture [ibid. : 283]. La dcomposition, cest--dire le morcellement dun corps en parties, peut sans doute faire horreur, mais elle est moins rpugnante que sa dissolution, qui le fait passer de ltat solide ltat liquide. Aussi, du Grand Guignol au Gore contemporain, joue-t-on de

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fonction critique, permet de fonder laspiration la culture par le rejet de ce qui est bas, de manire plus efficace que par le modle plus lev du consensus propre au got esthtique au sens kantien. Et si le dgot est un affect plus primaire que le got, la question de luniversel se pose de manire inverse : on peut se demander sil ne serait pas possible de reprer, cette fois ngativement, une autre forme duniversalit en la situant dans un dgot, une rpugnance commune. Mais il faut pour cela dfinir le dgot en dehors du problme esthtique du got, alors que la critique sociale du got opre par Bourdieu traite expressment du got esthtique ou bon got qui, en slevant contre ce qui est bas, dgradant, avilissant, le dsigne comme objet de dgot. Le refus dun plaisir facile serait selon lui lexpression dune horreur de lalination, de la perte du sujet dans lobjet, mais il est surtout lexpression de la hantise dun plaisir des sens qui serait vulgaire, commun , cest--dire, pour un tre humain, commun avec les animaux. Une gense empirique et sociale du got montre quil se manifeste de la manire la plus forte par le dgot, un dgot par lequel on tend rejeter tout ce qui est naturel, ce qui opre une rgression scandaleuse lexistence biologique et donc lanimalit : Le dgot dcouvre dans lhorreur lanimalit commune sur laquelle et contre laquelle se construit la distinction morale [ibid. : 571]. De plus, le dgot nest pas simplement le rejet de ce qui est bas et de ce qui nous rpugne. Lexprience ambivalente de lhorrible sduction du dgotant suscite une jouissance paradoxale qui rsulte de labolition de la distance entre lhumain et lanimal, mais aussi entre la reprsentation et la chose reprsente. Bourdieu note que le dgot est lexprience paradoxale de la jouissance qui fait horreur ; [] lexprience ambivalente de lhorrible sduction du dgotant et de la jouissance opre une sorte de rduction universelle la corporit, lanimalit, au ventre et au sexe [ibid. : 570]. Cette rduction la corporit produit alors comme une aspiration luniversel par le bas, et il faut disqualifier le dgot parce quil est peru comme une menace, en tant que cest une puissance dindistinction. La critique dun got pur soppose une tradition esthtique du got relev allant de Kant Adorno, qui refuse la sensation simple et primaire, le simple plaisir des sens, en introduisant une hirarchie entre les sens qui exclut le got au sens propre, le plaisir de la langue, du palais et du gosier. Depuis Platon (lHippias majeur), les seuls sens susceptibles dapprcier la beaut seraient

la vue et loue, en excluant le toucher, lodorat et le got. Le dgot mobilise dabord les sens qui ne font pas lobjet dun consensus esthtique, tous les sens de proximit, linverse de la vue, laquelle suppose une distance qui nous permettrait dtre lcart de ce qui nous rpugne. En effet, si certaines sensations visuelles peuvent provoquer une impression de dgot, il sagit plutt dune crainte rsultant dune anticipation de la perception. Le rcapitulatif que fait Bourdieu de la tradition esthtique ne mentionne cependant pas une esthtique qui stait dj efforce de comprendre le dgot en tant que tel, celle de Karl Rosenkranz, disciple de Hegel, qui dsirait poursuivre son Esthtique par une Esthtique du laid [Rosenkranz, op. cit.].

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Analyse du dgot

Lanalyse de la dtermination subjective du dgot a mobilis des thories et des mthodes contemporaines complmentaires et concurrentes, la psychanalyse et la phnomnologie. En effet, quels que soient ses objets, le dgot se manifeste par sa ractivit. Cest un sursaut, un rejet viscral quon doit sefforcer de comprendre en tant que tel. Ce nest pas un jugement ni mme un sentiment, cest une raction de rejet, une motion relative des sensations motion qui contient une motion, soit lamorce dun mouvement de recul, de rejet, soit un mouvement interne de hautle-cur. Le dgot est physique, physiologique, il est souvent caractris par la prsence dune raction somatique : lbauche dune raction de vomitus. Dailleurs, la mimique la plus caractristique du dgot consiste se dtourner en se pinant le nez. Le refoulement psychique peut sexpliquer, selon Freud [1897], par analogie avec le dgot sensoriel : de mme que nous dtournons notre organe sensoriel (nez) devant les objets qui puent, de mme le prconscient et notre comprhension consciente se dtournent du souvenir. Cest l ce quon nomme le refoulement . Le sens le
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leffet imparable de la dissolution pour provoquer le dgot. Les djections organiques font dautant plus lobjet du dgot que notre poque en fait lobjet de considrations hyginistes. Mais le corps humain, comme le remarque Mary Douglas, tant toujours matire symbolisme, chaque culture peut semparer des dchets corporels pour en faire des symboles de danger. Et selon elle, il ny a pas de raison de supposer que lexprience corporelle et motionnelle de lindividu lemporte sur son exprience culturelle et sociale [Douglas, 1971 : 137]. Avec lexprience du dgot, lart cherche se servir de lmotion corporelle lie au rpugnant en linscrivant dans le cadre dune culture, ce qui pose le problme de sa rception esthtique. Pour dfinir le rpugnant, Rosenkranz dcrit dabord les choses qui suscitent la rpulsion, faisant observer que la nature inorganique ne peut paratre rpugnante que par analogie avec la nature organique : la boue ou la lave qui scoule dun volcan peut nous dgoter par sa matire, pour ainsi dire une terre en dcomposition , alors quune roche comme un coprolithe, excrment ptrifi danimaux antdiluviens , ne nous dgote pas. Certains tats de la matire qui sont intermdiaires entre le solide et le liquide la boue, les flaques deau croupissante ne sont donc dgotants que par analogie avec les excrments et les fluides corporels. La viscosit, cet tat intermdiaire entre fluide et solide, provoque immanquablement, selon Sartre, une raction de dgot pour le mme motif. Le rpugnant qui est prouv lors de la perception dobjets naturels sapplique ensuite lexploration des bas-fonds du monde humain. Rosenkranz applique sa dfinition du rpugnant aux grandes villes, dont la pense hyginiste dnonce linsalubrit : Leau croupissante des fosss de ville est extrmement rpugnante, o se rassemblent les immondices des caniveaux, o des restes danimaux et de plantes de toutes sortes se mlangent en un amalgame abominable avec de vieux chiffons et autres dchets pourrissants de la civilisation. Si lon pouvait une fois retourner une grande ville comme Paris et la mettre sens dessus dessous pour faire apparatre non seulement le purin des cloaques mais aussi les btes photophobes, souris, rats, crapauds, vers qui vivent de la pourriture, ce serait l une vision affreusement rpugnante [Rosenkranz, op. cit. : 284]. Il se rfre alors aux descriptions des Mystres de Paris dEugne Sue, roman populaire qui donne une vision terrifiante des bas-fonds de la ville en recrant une

topologie imaginaire qui assimile le tissu urbain un organisme. Un usage du rpugnant dans lart est donc possible, note Rosenkranz, comme lorsque la pourriture dun cadavre est peinte dans une Rsurrection de Lazare ou quun Job couvert dulcres associe le dgot un message de rdemption. Les Pestifrs de Jaffa de Gros dlivrent un message politique. Mais le rpugnant peut avoir un fondement immoral et il risque de devenir esthtiquement impossible . Notre temps prouve un intrt morbide et pathologique pour la corruption , dplore-t-il : il y a des priodes o des peuples et des individus blass chatouillent leurs nerfs extnus avec les stimulants les plus violents et donc assez souvent les plus rpugnants [ibid. : 289]. En caractrisant le dgot par les choses rpugnantes qui le suscitent, Rosenkranz remarque donc quil ne caractrise de manire gnrale que le vivant et lorganique, et plus particulirement le corps humain en tant que tel. Mais ce mode de dfinition du dgot se contente den donner des exemples, sans chercher rendre compte de leur mode dapparition. Peut-on vraiment dfinir le dgot sans analyser avec prcision la manire dont il est ressenti par une subjectivit ?

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plus affect par le dgot est en effet lodorat, dans la mesure o, par ses manations, une substance nausabonde et curante peut pntrer en partie dans le corps de manire volatile. Le dgot ragit une effraction de lintimit corporelle, celle qui dfinit le corps propre aux deux sens du terme (propret et proprit). Par la suite, en psychanalyse, le dgot ne se contente plus de donner une image du refoulement. Il faut se demander dans quelle mesure le dgot sensoriel nest pas lui-mme, lorigine, le produit dun refoulement qui a contribu diminuer ou inhiber le sens de lolfaction. Dans Malaise dans la culture, le dgot joue selon Freud un rle anthropologique majeur. La propret est considre comme un indice dcisif de civilisation ou de culture, elle rsulte dune volution qui conduit au dpassement dune phase primitive qui subsiste en tant refoule. Cette fonction du dgot permet de comprendre lambivalence quil suscite : toute rpulsion serait la consquence du refoulement dune attirance. Le dgot est donc un refoulement organique primaire qui ouvre la voie la culture. Il existe un lment indniablement social dans laspiration dordre culturel la propret qui trouve dans des considrations dhygine une justification aprs coup, mais sest manifeste antrieurement cette intuition. [] Lducation pousse de faon particulirement nergique acclrer lvolution imminente qui devra rendre les excrments sans valeur, dgotants, rpugnants et abjects. Un tel bouleversement des valeurs ne serait gure possible si ces substances extraites du corps ntaient pas condamnes par leurs fortes odeurs partager le destin des stimuli olfactifs une fois que lhomme se fut dress droit sur le sol [Freud, 1980]. Strictement contemporain du Malaise dans la culture de Freud, un essai sur le dgot (Der Ekel) a t publi dans les Annales de philosophie et de recherche phnomnologique en 1929. De formation psychanalytique, son auteur, Aurel Kolnai, prend ses distances avec la psychanalyse en refusant de saventurer dans des explications gntiques. Il dfinit le dgot en sexerant la mthode phnomnologique que Heidegger avait utilise en 1927 pour distinguer la peur et langoisse dans Sein und Zeit. Il cherche spcifier lintentionnalit du dgot par rapport la haine, au mpris, lhorreur ou langoisse, dans le but dassigner au dgot une fonction morale et cognitive. Il fait en effet la supposition quen labsence de dgot physique on assisterait une atrophie de lexprience morale. Son analyse

situe le dgot entre le mpris et la nause, alors que lhorreur ou langoisse sont ressenties devant ce qui est menaant : cest ce que montre lexemple de la cage aux fauves [Kolnai, 1929, 1997 : 36] o langoisse est inhibe par leur enfermement. Mais on peut ajouter que, dans ce contexte, le dgot provoqu par leur odeur serait bien diffrent de langoisse provoque par leur vue. Dgot et mpris ont en commun pour Kolnai un rejet moral de leur objet : On a coutume de traiter quelquun quon mprise de ver de terre [ibid. : 91]. Le mpris suppose une assurance normative : il se porterait sur ce qui est bas, impuissant, sur la mdiocrit pitoyable et fragile contenue dans lchec. Le dgot ne peut pas se confondre avec le mpris car son objet nest pas inerte et passif : il possde une intimit agressive , relle ou fantasme, il fait intrusion, et cest ce sentiment dintrusion de lobjet qui dgote, qui suscite son rejet. Le dgot est un tat motionnel ractif, une raction de dfense ou de rejet qui peut se caractriser de plusieurs manires. Dabord, comme le dgot est ractif, il se dfinit par relation des objets qui tous ont un lien avec lorganique (ce que montrait dj Rozenkranz). De plus, selon Kolnai, comme lattitude de rejet est active, le dgot est plus proche de la haine que du mpris. La spontanit de cette raction de dgot, son immdiatet semblent sopposer un conditionnement ducatif qui ferait appel des connaissances ou des convictions acquises. Ainsi, des mouches, par leur bruit, par leur grouillement, nous agacent immdiatement, sans quil soit ncessaire de savoir quelles vhiculent des maladies. Le dgot est une motion si fondamentale quil semble relever de la nature : Il existe deux sortes dobjets dgotants : ceux qui le sont pour ainsi dire par nature et ceux qui ne le deviennent quen des circonstances bien dtermines. Au premier groupe appartiennent les excrments et les matires putrides en gnral [ibid. : 96]. Cette dualit des objets du dgot permet darticuler lanalyse dtaille des objets de dgot en partant de ceux qui sont considrs comme naturels . Cest pourquoi la liste des objets du dgot que dresse Kolnai est beaucoup plus dveloppe que celle que propose Rosenkranz dans lEsthtique du laid. En effet, il distingue le dgot physique et le dgot moral, tout en insistant sur la dimension morale implicite de la rpulsion physique prouve. Sa liste des objets dgotants procde du dgot le plus primaire, le plus fondamental, celui de la pourriture, pour aller vers les dgots

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susceptibles dtre expliqus par des critres culturels ou de relever de circonstances particulires. Le premier objet du dgot est la pourriture : cest lobjet dgotant par excellence, car cest en elle que sunissent la mort et la vie, la morbidit et la vitalit. Un squelette ne dgote pas, mais il effraie. La pourriture peut aussi prendre un sens moral avec lide de corruption. En second lieu, le dgot porte sur les excrments dont lorganisme se dbarrasse : ils sont limins du processus vital et manifestent eux aussi le passage du vivant une substance morte. Il porte ensuite sur les scrtions organiques ( distinguer des excrments) qui se caractrisent par un tat intermdiaire, le gluant, le visqueux, le poisseux. La crasse nest pas une scrtion organique, mais elle sagglutine au corps avec la sueur. Tout corps doit tre considr comme objet de dgot de par son organicit. Mais le corps humain peut tre un objet de dgot par sa proximit, en dehors mme dune hystrie qui sexualise lapproche corporelle. Il existe une tendance normale tre dgot par le corps dautrui, par son odeur, par sa prsence sans que sa caractrisation humaine soit envisage. Ainsi on prouve du dgot de sasseoir sur un sige de mtro qui a t rchauff par le postrieur du prcdent occupant [ibid. : 65]. Parmi les tres vivants, les btes dgotantes, comme la vermine, les vers, sont des btes rampantes qui ont t associes la pourriture : ce sont toutes celles qui furent longtemps considres comme le produit dune gnration spontane. Comme la pourriture, elles donnent une impression dindiffrenciation du mort et du vivant, de mlange. Le rat possde une inquitante tranget : cest un animal qui peut tre assimil la vermine par son mode de vie (grouillement, parasitisme, relation la salet et aux pidmies) [ibid. : 60]. Tous les aliments peuvent potentiellement dgoter. Le problme des dgots alimentaires relve donc dune approche culturelle. Kolnai note de manire ironique quune certaine forme de perversion conduit consommer ce qui dgote, et que ce sont prcisment les civilisations les plus raffines qui proposent de surmonter le dgot (ufs pourris chinois, haut got du gibier faisand, odeurs fortes des fromages franais). Enfin, le foisonnement vital ainsi que son contraire, la maladie et la difformit physique, provoquent le dgot. Sous-jacente au dgot physique ou moral li lexcs, lexubrance, lanalyse de Kolnai rejoint la mtaphysique de Schopenhauer pour qui la surabondance vitale est couple la mort prcoce des individus, comme

dans un essaim de moucherons. Elle se retrouve aussi chez Bataille, qui affirme dans Lrotisme que ce qui est en jeu dans lrotisme est toujours la dissolution des formes . La fusion par laquelle des tres particuliers cessent dexister manifeste une rupture dindividuation qui provoque le dgot. Limage de ce qui dgote est alors celle dun grouillement, dune prolifration, dun ple-mle sagitant frntiquement plutt que celle dune masse amorphe. Cependant, le dgot porte moins sur la nature de lobjet pris en lui-mme que sur sa situation de contigut relativement nous. Le dgotant semble venir se coller nous comme de la boue, ou comme un animal importun. Une proximit corporelle devient alors promiscuit, comme lorsquun individu alcoolique ou psychotique sapproche trop, et quon redoute que son dlire ne dborde sur nous. Le dgot est un malaise li la prsence dun objet dont la manire dtre suscite immdiatement une raction de rejet. Celle-ci peut tre comprise comme la formulation implicite dune exigence morale, mme lorsque le dgot manifeste une raction primaire de rejet, une rpugnance un contact corporel. Cest ce que note Walter Benjamin en 1928 : Tout dgot est originairement dgot du contact. On ne parvient dominer ce sentiment que par un geste radical et excessif : le rpugnant est troitement englouti et consomm, tandis que la zone du contact pidermique le plus dlicat reste taboue. Cest seulement ainsi quon peut satisfaire le paradoxe de lexigence morale qui demande de dpasser et en mme temps de reprendre de manire la plus subtile le sentiment du dgot [Benjamin, 1978 : 157]. Ce texte sintitule Gants : le port de gants se justifie par un dgot du contact, afin de crer une barrire isolante entre la peau et la matire qui rpugne. Mais il ne faut pas seulement comprendre le dgot du contact dans un sens spatial : il sagit aussi dune affinit mtaphysique, et le dgot nat alors du sentiment de ne pas tolrer dtre de la mme essence, de la mme nature que lobjet dgotant. Le dgot concerne effectivement les sens de proximit : lodorat, le toucher et le got, mais Kolnai le situe plus dans le domaine de loralit, de lingestion daliments, que dans celui de la sexualit, car sa manifestation physiologique, nause et vomissements, rejet viscral de ce qui a t ingr, na pas dquivalent dans le domaine sexuel. Kolnai se demande la fin de son tude sil convient de dpasser la raction de dgot quand elle reprsente un obstacle pour une action caritative ou lors dune manipulation technique ; il

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conclut que le dgot ne doit pas tre rejet au nom dun naturalisme qui le traite de prjug. Le dgot serait donc justifi par sa fonction thique. Le sentiment de dgot peut alors passer du physique au moral et sert dsigner tout ce qui doit tre exclu. Limpratif dexclusion est lexigence formule par la notion de tabou, provenant de lanthropologie, qui sert dsigner en psychanalyse linterdit. Un jeu de linterdit et de la transgression caractrise le dgot, comme le dveloppe Bataille.

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De labjection la nause

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Lors de sa parution, ltude de Kolnai sur le dgot avait t remarque par Georges Bataille, mais cette analyse du dgot ne prend tout son sens quen tant intgre une rflexion sociologique. Bataille cite cette fin le travail de Kolnai dans un dossier intitul Essais de sociologie contenant ses crits posthumes antrieurs 1940. Lintitul Abjection runit des notes utilises lors de sa polmique avec Andr Breton qui fut publie sous le titre La Valeur dusage de D. A. F. de Sade. Il reprend Freud le caractre sadique-anal du dgot et se propose dtudier les rites scatologiques. De manire gnrale, le sacr est tudi partir dune srie dentres : Urine / Sperme / Sang / Sang menstruel / Excrment / Cadavre. Un cadavre, crit Bataille, nest pas beaucoup plus rpugnant que la merde , mais la prsence du cadavre a une vertu contagieuse. Le dgot est une forme imprative qui se manifeste par des actes dexclusion. Bataille nonce une thse anthropologique gnrale : lexclusion du pourri est constitutive de lhomme, elle doit tre place la base de la comprhension de lhomme lui-mme [Bataille, 1970 : 439]. Le dgot est la manifestation de limpratif dexclusion qui est fondateur de lhumain. Par pourri , Bataille entend lobjet privilgi du dgot, la suite de lanalyse de Kolnai ; cest un mode dtre en dcomposition qui se propage par contagion, par contact. Kolnai remarque bien que le mot pourri a le mme sens dans le domaine moral et dans la ralit physique, mais il na pas envisag la fonction sociale de son exclusion. Bataille dtermine alors une classe dobjets du dgot quil nomme une classe abjecte et quil oppose une classe noble comprenant tout ce qui provoque langoisse, et une classe spectrale qui renferme tout ce qui provoque horreur et terreur. Par

exemple, un spectre est une reprsentation du mort qui slve dans lhorreur sacre comme une projection fantasmatique oppose au dgot bien rel que suscite le cadavre. Bataille distingue ainsi un domaine bas (qui provoque le dgot) et un domaine noble (celui qui produit la terreur ou lhorreur) [ibid. : 438]. Cette bipolarisation opposant le Bas de labjection un Haut est la structure qui prside ses tableaux htrologiques qui dfinissent le sacr par des oppositions, celle du Haut et du Bas, mais aussi celle du Droit et du Gauche, en reprenant les catgories qui dfinissent la pense magique selon lcole sociologique franaise [Hertz, 1907]. Pour Bataille, le dgot renvoie donc moins lobscne qui est plus spcifiquement rotique qu labjection prise en un sens politique. Son essai de comprhension du fascisme cherchait lpoque analyser un phnomne social contemporain, et dans tous ses essais de sociologie rdigs avant sa participation au Collge de sociologie, Bataille comprend le dgot comme ce qui produit un clivage social en le fondant sur lexclusion des formes misrables . Labjection se communique des choses aux hommes qui les touchent. Elle est dfinie par lincapacit dassumer lacte impratif dexclusion des choses abjectes qui constitue le fondement de lexistence collective : la crasse, la morve, la vermine suffisent rendre abject un enfant en bas ge [Bataille, op. cit. : 219]. Labjection entrane une raction de dgot conduisant exclure ce qui est bas, mprisable, toutes les formes misrables , mais au sens o la misre dgote aussi bien ceux qui la vivent que ceux qui lvitent . Plus tard, dans Lrotisme [1982], Bataille se dtourne de la socit contemporaine et de lhistoire rcente. Il fait du dgot, sentiment li la honte, lhorreur et la nause, le signe le plus gnral du passage de lanimal lhomme. Comme pour Kolnai, ce qui suscite le dgot est laffinit de la reproduction et de la mort prsente dans la pourriture, dans sa menace gluante : Ces matires mouvantes, ftides et tides dont laspect est affreux, o la vie fermente, ces matires o grouillent les ufs, les germes et les vers sont lorigine de ces ractions dcisives que nous nommons nause, curement, dgot. Au-del de lanantissement venir [] la mort annoncera mon retour la purulence de la vie. Ainsi puis-je pressentir et vivre dans lattente cette purulence multiplie qui par anticipation clbre en moi le triomphe de la nause [Bataille, 1982 : 64].

Phnomnologie du dgot

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Ethnologie franaise, XLI, 2011, 1

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Le dbut du chapitre de Lrotisme portant sur la nause et lensemble du domaine de la nause traite essentiellement de lhorreur du cadavre et de celle des djections. La rpugnance, laversion que lon prouve dans ces deux cas provient ncessairement dune culture, elle tmoigne dun processus ducatif : Nous croyons quune djection nous cure en raison de sa puanteur. Mais puerait-elle si dabord elle ntait devenue lobjet de notre dgot ? Nous avons vite fait doublier le mal que nous devons nous donner pour communiquer nos enfants les aversions qui nous constituent, qui firent de nous des tres humains. [] Nous devons leur enseigner par une mimique et, sil le faut, par la violence ltrange aberration quest le dgot, qui nous touche au point mme den dfaillir, et dont la contagion nous parvient depuis les premiers hommes travers dinnombrables gnrations denfants gronds [ibid. : 66]. Mais contrairement Kolnai, Bataille considre le dgot comme une aberration susceptible dtre dpasse. Cest pourquoi il valorise la transgression. Lambivalence du dgot vient de ce quil sagit dun phnomne dynamique de refoulement, au sens freudien, processus instable qui le voue des moments rgressifs et des actes transgressifs. Passer de labjection la nause implique de renoncer comprendre limpratif qui motive un processus dexclusion sociale pour se contenter danalyser une motion. Le triomphe de la nause vient alors de ce quelle semble exister par elle-mme. Elle est naturalise. Cest ainsi que Sartre fait du dgot la manifestation privilgie de la condition humaine prise dans son existence individuelle, dont la nause est la modalit subjective. Dans Esquisse dune thorie des motions [1938], essai contemporain du roman La Nause, puis dans Ltre et le Nant [1943], le dgot est une modalit de la conscience affecte par le corps dont lintentionnalit est dtre une conduite dvitement. Elle est indissociable de sa signification, qui nest pas rductible au phnomne corporel ressenti. Le dgot ne peut donc tre prouv que parce quon confre un sens des ractions physiques : je vomis, je suis cur, jai la nause, donc jprouve du dgot. Pour Sartre, une motion donne sens une conduite (danser, cest tre joyeux, senfuir, cest avoir peur). De mme, avoir la nause, cest tre dgot. Cependant, le dgot nest pas une conduite active, cest un phnomne physiologique, un bouleversement du corps qui saccompagne dun obscurcissement de la conscience. Toute motion est pour Sartre un phnomne de

croyance qui saccompagne dune dgradation du rapport au monde : dans lmotion, il y a une chute brusque de la conscience dans le magique [Sartre, 1965 : 56]. Comme dautres motions, le dgot implique une relation magique au monde, mais, contrairement la peur qui est une conduite magique dvitement devant un objet, le dgotant me rvle dabord moi-mme : cest un sentiment par lequel se rvle ma propre existence, et non pas celle dobjets extrieurs. Pourtant, le magique donne sens ce qui mapparat comme horrible ou rpugnant sur un mode intersubjectif et social : lhomme est toujours un sorcier pour lhomme et le monde social est dabord magique [ibid. : 58]. Ainsi, une dimension collective pourrait sintroduire dans lanalyse que Sartre fait des motions. Mais la dfinition sartrienne du dgot procde selon une dmarche phnomnologique descriptive en sinterdisant dexplorer cette dimension. Elle ne porte que sur la manire dont les motions se prsentent la conscience. Dans lanalyse de Sartre, lhorrible est le caractre dun monde qui se rvle moi comme tant dj l comme horrible. La distinction de la forme et du fond oppose la peur, lhorreur et le dgot. Lhorrible provient dune forme dapparition qui me surprend, qui me fait sursauter en se dtachant sur un fond neutre. Le dgot procde au contraire dune indiffrenciation et mme dune indistinction de lobjet et du sujet. Dans Ltre et le Nant, le dgot, manifestation du corps comme tre pour soi , met entre parenthses son insertion dans un systme de reprsentations acquises, dans un monde social particulier. Laffectivit corporelle existe en sourdine immdiatement, sans distance, indpendamment dun contenu extrieur ; on ne peut pas sen dlivrer, elle nous colle la peau comme une odeur que lon ne peut supprimer, comme le got fade de notre propre salive : une nause discrte rvle perptuellement mon corps la conscience ; quand on recherche le plaisir ou mme la douleur pour sen dlivrer, ils se dvoilent toujours sur un fond de nause, terme dont il convient de redfinir le sens : Loin que le terme de nause soit une mtaphore tire de nos curements physiologiques, cest au contraire sur son fondement que se produisent toutes les nauses concrtes et empiriques (dgot de la viande pourrie, du sang, des excrments qui conduit vomir) [Sartre, 1980 : 387]. Ce renvoi de tous les dgots empiriques, quels quils soient, la modalit existentielle du corps qui en est le fondement est le thme central du roman La

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Claire Margat

Rfrences bibliographiques
BATAILLE Georges, 1982 [1957], Lrotisme, Paris, Minuit. 1970, uvres compltes, t. II : crits posthumes, 1922-1940, Paris, Gallimard. BENJAMIN Walter, 1978, Sens unique, Paris, Maurice Nadeau. BOURDIEU Pierre, 1979, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, coll. Le sens commun . DOUGLAS Mary, 1971 [1966], De la souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou, Paris, Maspero. FREUD Sigmund, 2010 [1929], Malaise dans la culture, Le Seuil, coll. Points .

Lettre Fliess du 14 novembre 1897 in A. Berman, La Naissance de la psychanalyse, Paris, Presses universitaires de France, 1973. HERTZ Robert, 1907, tudes sur la reprsentation collective de la mort. Prminence de la main droite , in R. Hertz (dir.), Mlanges de sociologie religieuse, Paris, Flix Alcan. 1928, La Reprsentation collective de la mort in Mlanges de sociologie religieuse, Paris, Flix Alcan. KOLNAI Aurel, 1997 [1929], Le Dgot, Paris, Agalma. ROSENKRANZ Karl, 2004 [1853], Esthtique du laid, Paris, Circ. SARTRE Jean-Paul, 1965 [1938], Esquisse dune thorie des motions, Paris, Hermann. 1980 [1943], Ltre et le Nant, Paris, Gallimard, coll. Tel .

Ethnologie franaise, XLI, 2011, 1

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Nause. La nause est ce sentiment de lexistence qui se donne antrieurement la sparation du sujet et de lobjet, et qui se manifeste par la possibilit de se projeter dans un objet et, rciproquement, par celle de se sentir ou de se percevoir comme un objet quelconque. Ce va-et-vient produit une esthtique du dgot qui va jusquau manirisme quand le recours au dgotant devient un procd systmatique. La description phnomnologique qui servait analyser le dgot est alors utilise dans La Nause pour produire chez le lecteur cette motion : des vocations lancinantes du dgotant se cristallisent dans la Nause, un dgot fondamental sans objet propre qui est la fois une motion rvlatrice de la contingence de lexistence et une sensation non davoir, mais dtre un corps. La Nause insiste sur lomniprsence dun dgot, elle en fait un phnomne la fois universel et singulier qui sintgre une philosophie pour laquelle labjection cesse dtre comprise comme un phnomne social pour venir sincorporer dans un sujet.

Abjection ou nause, le dgot a donc t dfini soit comme un phnomne psychique, soit comme un processus dexclusion sociale. Il reste comprendre comment les deux peuvent sarticuler. Le dgot est un fait social qui se manifeste dans le psychisme. Il joue un rle dterminant dans la manire dont des normes sociales sont intriorises. Le problme se pose aujourdhui darticuler une anthropologie gnrale o le dgot joue un rle fondateur, comme celle de Bataille, une anthropologie culturelle considrant que les dgots seraient des rpugnances spcifiques chaque culture : par exemple, les gots et les dgots alimentaires sont des marqueurs identitaires dsignant tel ou tel aliment comme rpugnant ou succulent, mais qui semblent aussi tre variables selon les individus. Mme si les dgots sont relatifs, le dgot fonctionne toujours comme un impratif dexclusion qui dans toute culture repose sur des croyances magiques ou des interdits qui peuvent ne pas tre formuls explicitement. s

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Phnomnologie du dgot

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ABSTRACT
Phenomenology of Disgust. Inventory of Definitions
Disgust has been degraded and suppressed because of the primacy of aesthetics taste ; but studying disgust is nothing new, going from an aesthetics definition of the repulsive to an accurate and detailed phenomenological analysis defending its ethical function. According to Bataille, disgust is not significant except in a social group, where exclusion discriminates abject things in the same way as a living organism rejects its faeces. Sartes existential nausea hides the fact that the collective dimension of disgust is a matter of cultural anthropology. The anthropological side of disgust varies according to the differences in culture. Keywords : Abject. Taste. Nausea. Repugnant. Disgust.

ZUSAMMENFASSUNG
Phnomenologie des Ekels. Eine definitorische Bestandsaufnahme
Der Vorrang des sthetischen hat zur Abwertung und Verdrngung des Ekels als Untersuchungsgegenstand beigetragen. Ekel wissenschaftlich zu untersuchen ist also nicht neu, jedoch hat sich die Art und Weise ihn zu betrachten gewandelt von einer sthetischen Definition des Ekelhaften hin zu einer genauen und detaillierten phnomenologischen Analyse seiner ethischen Funktion. Nach Bataille erlangt der Ekel erst in einer sozialen Gruppe, in der eine diskriminierende Rolle bernimmt, an Bedeutung. In der Gruppe fhrt er zum Ausschluss der nicht akzeptierten Formen, vergleichbar mit einem Krper der seine Exkremente ausscheidet. Die existentialistische Definition der belkeit von Sartre hingegen betont die kollektive, aus der Kulturanthropologie stammende, Dimension des Ekels, die in den verschiedenen Kulturen unterschiedlich ausgeprgt ist. Stichwrter : Abweichung. Geschmack. belkeit. Ekelhaft. Ekel.
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