Conscience Et Inconscient
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INTRODUCTION : CONNAIS-TOI TOI-MME Connais-toi toi-mme , disait la maxime inscrite au fronton du temple de Delphes. Que signifie se connatre soi-mme, comment y parvenir et quy dcouvre-t-on ? Mais tout dabord pourquoi nous pose-t-on la question ? Navons-nous pas conscience de ce que nous faisons et ne le savons-nous donc pas ? Sans doute nous savons ce que nous faisons, nous mettons consciemment en uvre des moyens pour arriver des fins auxquelles nous avons pens. Mais est-ce vraiment savoir ? Savons-nous rellement ce que nous faisons, ce que sont les choses que nous disons savoir, ce qui nous pousse les dsirer et les faire, et enfin qui nous sommes nous-mmes ? Habituellement investis dans nos actions, nous navons pas coutume de nous poser ces questions. Pourtant elles surgissent lorsque notre russite ou notre responsabilit est mise en question. Si nous chouons, si nous transgressons une loi, morale ou sociale, nous devons aussitt en rendre raison et en appeler notre conscience. Lautomate plus ou moins conscient que nous avons pu tre dans nos activits redevient un sujet conscient appel rpondre de ses actes, rflchir vritablement, c'est--dire se prendre lui-mme pour sujet de rflexion.. Le fait de pouvoir rflchir et rpondre de ses actes est conditionn par plusieurs lments et recouvre plusieurs domaines que nous allons analyser et problmatiser. tre un sujet conscient de ses actes peut se comprendre du point de vue psychologique. Nous examinerons ce niveau en nous demandant ce qui dfinit et constitue la spcificit de la conscience humaine : ce sera ltude du sujet psychique. Nous verrons dans un deuxime temps dans quelle mesure le sujet est dpendant dautrui aussi bien pour se constituer que pour tre reconnu comme tel. La rflexion et la conscience de soi suffisent-elles pour dcouvrir qui (ou ce que) nous sommes au fond ? C'est ce que nous mettrons en question et qui nous amnera dans un troisime temps la dcouverte de l'inconscient. I) LA CONSCIENCE PSYCHIQUE A) DE LA CONSCIENCE ANIMALE LA CONSCIENCE HUMAINE 1) La conscience spontane, principe dunit et de synthse. On peut caractriser la conscience comme un savoir qui accompagne les actes dun individu, et qui fait quil sait ce quil est en train de faire, pourquoi il le fait, comment il le fait. Tout tre vivant se repre dans son milieu, entretient des relations avec lui, distingue lutile du dangereux, acquiert certaines expriences, volue, sadapte ou disparat. La complexit de ces relations peut tre caractrise comme une conscience, plus ou moins dveloppe selon la place dans lchelle des tres. On nomme conscience spontane ce savoir plus ou moins labor qui accompagne tous les actes dun individu. On peut en voir les traces ds quil y a une intention individuelle et un rapport dun individu avec son milieu. Bergson dveloppe lide selon laquelle la conscience est immanente tout ce qui vit, est mmoire, puissance de choix et libert. Cette puissance de choix est inversement proportionnelle lautomatisme mcanique grce auquel les tres vivants les plus rudimentaires ragissent. La matire obit des lois fixes, ncessaires ; la vie, dit Bergson, est imprvisible et libre. Le rle de ltre vivant est de crer. Comme pour crer lavenir il faut prparer le prsent en utilisant ce qui est pass, la conscience apparat comme ce qui tablit le lien entre les expriences passes et le donn prsent, en mme temps quelle anticipe. Dans ce cas, ltre vivant le plus sommaire, comme lamibe qui se projette elle-mme sur une particule nutritive, possde une forme de conscience. Cette conscience constitue le principe dunit de lindividu, qui fait que lindividu sait confusment ce quil doit faire, ce qui est bon pour lui, et qui dirige en quelque sorte toutes ses actions. Chez lanimal cette conscience reste rive au prsent ou tout au moins lavenir immdiat, lexprience directe, ce simple sentiment de soi qui lui permet de persvrer dans son existence, ragir aux diffrents stimuli du monde extrieur. 2) La conscience rflchie Texte 2 Si la conscience en restait au stade animal, nous nen parlerions mme pas. Chez lhomme la conscience acquiert une dimension supplmentaire, elle est conscience de soi, dun soi pris comme objet de rflexion. Chacun de nous se saisit lui-mme, parle de lui-mme, se sait distinct du monde, peut mme se retirer en lui-mme pour se sparer du monde. Ds que lenfant dit Je , il slve au-dessus de tout animal. Il ne http://christiandelmas.fr CONSCIENCE ET INCONSCIENT 1
sait plus seulement confusment quil existe, il peut en parler, extrioriser son existence. Il prend conscience de lui-mme et l il y a un redoublement : lenfant qui parvient dire je se dcouvre sujet, cest lui qui dcide, demande, mais il se dcouvre en mme temps, il se regarde, se reconnat, reconnat lobjet quil est lui-mme pour lui-mme et pour les autres. Lenfant rflchit : il se voit lui-mme, travers les autres dabord, puis en lui-mme. Cest lorsquil satteint lui-mme quil r-flchit . Avant, sil pense, il ne fait que penser unilatralement. Cest ce qui fait que lon nomme cette conscience de soi : conscience rflchie. La conscience manifeste une duplicit : lorsque je me demande quelque chose, je suis celui la fois celui qui questionne et celui qui rpond, le sujet du questionnement et le sujet questionn : jexiste en quelque sorte doublement et nous verrons les consquences que cela aura sur notre vie morale. On peut dj un peu anticiper : je peux vouloir deux choses contraires en mme temps. Je peux aussi ne pas vouloir savoir, et chercher me mentir moi-mme. Ce sera la mauvaise foi. La duplicit de la conscience doit se comprendre en deux sens (encore une autre duplicit) : - un sens objectif positif (cf. la duplicit du langage) et - un sens pjoratif (la langue fourchue , la possibilit du mensonge, de la trahison). Quoiquil en soit, jai toujours conscience dexister comme une seule et mme personne. Mon identit est une et unique, et, mme si je peux ressentir un ddoublement, une partie de moi se rapporte toujours lautre, au sujet. Lorsque je passe du sommeil la veille, de l'inconscience la conscience, cest entirement, dun coup. Avant, je ne suis pas conscient, aprs, dun seul coup je mveille et je suis conscient. La conscience demeure en moi une et indivisible. Cette conscience, qui est principe dunit pour nous-mmes, nous confre du coup une double existence. Comme le dit Hegel Texte 3 lhomme, parce quil est esprit, a une double existence [...] il existe aussi pour soi, il se contemple, se reprsente lui-mme, se pense et nest esprit que par cette activit qui constitue un tre pour soi . Cette existence de la conscience est double, thorique et pratique : - thorique, au sens premier de contemplation, parce quil peut sobserver, se regarder, se voir, parce quil peut se pencher sur lui-mme pour prendre conscience de lui, se reprsenter, se reconnatre dans ce quil tire de son propre fond. - pratique, parce quil se retrouve lui-mme lextrieur, en changeant la ralit. Il enlve au monde son caractre tranger, en profite, y retrouve une forme extrieure de sa propre ralit. Cette double existence permet de distinguer lhomme de lanimal : si lanimal sait se reprer dans son environnement, sil sait choisir ce qui lui convient et fuir ce quil sait dangereux, il naccde pas ce savoir qui se redouble et qui se dit. Nous ne savons pas ce que les animaux pensent en eux-mmes, et ce quils communiquent. Certains animaux dvelopps communiquent manifestement de manire labore. Pourquoi ne possderaient-ils pas la conscience rflchie? 3) La spcificit de la conscience humaine Comme nous le montre Hegel, lanimal ne transforme pas son environnement, ne le marque pas du sceau de son esprit ; il le marque, en dlimitant son territoire par exemple, mais en sy adaptant. Au contraire, lhomme adapte son environnement sa conception, son ide. On oppose souvent les socits dites civilises, techniquement avances, qui transforment et soumettent leur environnement leurs besoins et leurs conceptions (religieuses, thoriques) et les peuplades primitives qui sadaptent leur environnement sans pouvoir vritablement le transformer et sy intgrent. Mais, si larchitecture et lurbanisation portent bien la trace dune organisation gomtrique (thorique et ce titre spirituelle), mme chez les primitifs, lenvironnement est humanis (par une projection anthropomorphique), peupl desprits auxquels on fera appel pour les activits quotidiennes. La diffrence entre lanimal le plus dvelopp et lhomme le moins dvelopp rside dans la dimension notique (thorique, technique puis scientifique) et/ou spirituelle (animiste, religieuse). On na jamais vu un animal tracer un cercle ou une droite laide dinstruments conus dessein pour en vrifier quelques proprits. Mme si certains animaux effectuent naturellement des ronds, et des lignes, ils nen traceront pas de gomtriques. Marx dit que ce qui distingue le plus mauvais architecte de labeille la plus experte, cest quil construit la cellule dans sa tte avant de la construire dans la ruche . Nous voyons ici intervenir la pense, lesprit, au cur de laction. La conscience, tymologiquement, est savoir-avec . Elle se met progressivement en place par le travail et le dveloppement technique. Par son travail l'homme transforme son environnement http://christiandelmas.fr CONSCIENCE ET INCONSCIENT 2
et il le peut dautant mieux quil le matrise par son habilet technique et par la rflexion quelle met en uvre. Le phnomne purement subjectif et intrieur de la conscience humaine renvoie lactivit extrieure et au rapport lenvironnement. La ralit se compliquera avec la prsence dautrui. Pourrions-nous avoir conscience de nous-mmes sans les autres ? Le cas des enfants sauvages qui navaient rien dhumain et qui ont pu shumaniser progressivement, quoique jusqu un certain niveau seulement, est ici rvlateur. Autrui ne joue-t-il pas un rle dans la constitution de lidentit ? Cest ce que nous allons dvelopper ici. B) SUBJECTIVIT ET INTERSUBJECTIVIT 1) Autrui : sujet et objet Autrui est un moi comme je suis moi, c'est--dire une conscience qui pense le monde et se pense ellemme. Se penser et penser le monde, cest ce que lon appelle tre sujet, au sens moderne du terme, c'est-dire le principe de la subjectivit. Le sujet est unique, singulier, irrductible. Le terme sujet a pour tymologie sub-jectum : ce qui est jet sous. Comme le terme sous , il possde deux significations : - le sujet est support de tous les attributs, ce dont tout le reste saffirme et qui nest plus luimme affirm dautre chose (Aristote Mtaphysique Z 3), et cest en cela quon comprend quil soit considr comme au-dessous , comme soutien, base ; - le sujet est aussi lindividu soumis une autorit politique souveraine, et qui est hirarchiquement infrieur. Ce que le sujet peroit, pense, se reprsente est plac hors de lui, en face de lui, et sappelle un objet, littralement jet devant . Pour lautre nous apparaissons comme des objets de connaissance, de mme que lautre se place face nous comme un objet (ft-ce lobjet de notre amour). Lautre peut-il nous connatre comme sujet, nous reconnatre comme tel, pouvons-nous rciproquement le reconnatre comme sujet? 2) Le personnage Je vois autrui partir de mon point de vue. En face lautre me peroit de son point de vue. Sachant quil me voit, je peux jouer un rle, un personnage que je ne suis pas en ralit. En change, lautre peut faire de mme. tymologiquement personnage vient de persona : masque de thtre. Entre ce que chacun de nous montre lautre et ce quil dissimule, il y a la distance du mensonge, de la dissimulation, de lhypocrisie, du jeu, de la sduction. Chacun peut tromper autrui, et rciproquement chacun peut tre tromp par les apparences proposes par lautre. Ceci constitue le premier cueil de toute relation. Pourtant, ny a-t-il pas un moment o lon en vient laisser tomber les masques, o lon se rvle nu face lautre, comme en un acte damour. Mais ici encore, ny a-t-il pas un risque derreur? Chacun ne voit-il pas lautre travers ses propres opinions, ses prjugs, ses habitudes, ses projets mme ? Il semblerait alors que le masque soit pos par le spectateur sur le visage qui se montre et ne soit plus tenu par lacteur. Celui qui peroit interprte ce quil peroit en fonction de ses critres, la mme action pouvant tre interprte diffremment selon les vcus personnels. Ne sommes-nous alors pas toujours enclins adapter et interprter la ralit ? Enfin dans la nudit mme ny a-t-il pas encore un jeu, o montrer sert dissimuler autre chose, masquer quelque chose de plus essentiel, qui doit rester secret (inconscient, refoul, cf. cours sur l'Inconscient) ? Finalement, que savons-nous de lautre rellement ? Lautre ne nous chappe-t-il pas dfinitivement, et toute vrit son propos galement ? Mais alors ne devons-nous pas en dire autant de nous-mmes, aussi bien face lautre qui ignorera toujours qui nous sommes, qu nous-mmes qui nous pouvons peut-tre dissimuler lessentiel ? Sil y a un moyen de sortir de limpasse, ce sera peut-tre en envisageant la relation lautre de manire plus dynamique, en assistant la construction de limage de soi face lautre. 3) Le regard : objectivation et transcendance (Sartre) Texte 4 Sartre va montrer comment je me sens pouss jouer un rle face au regard dautrui, mais aussi pourquoi je ne dois pas midentifier totalement ce rle. Quand jagis, du fait que je vis en socit, mon action apparat au regard des autres. Autrui me juge, et me pousse me juger moi-mme partir de l. Le sentiment de fiert, le sentiment de honte nexistent que par rapport au regard de lautre. Le regard de lautre objective mes actions, et mobjective moi-mme. Il me fige dans lattitude que jai pu avoir et, partir delle, fige celles que je pourrai avoir lavenir : le tratre restera toujours celui qui a trahi, celui qui http://christiandelmas.fr CONSCIENCE ET INCONSCIENT 3
pourra nouveau trahir, le lche est fig dans son rle de lche, et les preuves de son courage neffaceront jamais sa lchet. Inversement le hros bnficiera de son aura et pourra tre excus dune lchet. Le regard dautrui contribue la conscience que jai de moi-mme travers les jugement que je porte sur moi-mme. Mais est-ce que je ne dborderais pas ce cadre dans lequel lautre menferme ? Suis-je jamais rduit ne pouvoir devenir diffrent de ce que jai t ? Le progrs, la comprhension, lexprience, la conversion auraient-elles un sens si jtais par avance condamn tre ce que jtais ? Sartre met laccent sur la libert fondamentale de mon tre, et insiste sur le fait que chacun dentre nous transcende toute objectivation, toute chosification (ou rification) possible de son tre. Je transcende tout rle dans lequel autrui mobjective, de mme que lautre transcende tout rle dans lequel je peux le figer. Cette transcendance (au sens prcis dvelopp ici) constitue un risque, tant pour moi face autrui, que pour autrui face moi. Seulement chacun peut ne pas vouloir reconnatre cette transcendance et chercher se rassurer dans cette objectivation, en change de la promesse tacite que lun corresponde toujours ce que lautre a objectiv de lui. Sartre nomme mauvaise foi ce refus de la reconnaissance : je me mens moi-mme, en midentifiant totalement au rle que je joue pour les autres et cause deux. Dans ltre et le Nant, nous trouvons le clbre exemple du garon de caf, qui joue tre garon de caf comme le soldat se fait chose-soldat (cf. texte plus loin). Autrui est bien ltre pour lequel je suis objet, - en mme temps quil est ltre qui, pour moi, est objet,mais je dois aussi reconnatre que je ne peux tre objet que pour une autre libert, c'est--dire pour un sujet, que je devrai reconnatre comme tel. Ceci ne pourra tre reconnu que si jabandonne ma mauvaise foi et me reconnais comme le sujet qui transcende toute objectivation possible. Il y a alors place pour de vritables rapports de reconnaissance mutuelle, de libert libert, sans mauvaise foi ni chosification. Il y a place pour lengagement, dans lequel l'homme choisit le systme de valeurs auquel il dcide de tmoigner son attachement (cf. cours sur la libert). 4) Le dialogue Dans le dialogue, il y a un tre-ensemble, o lun existe avec lautre, par lautre, travers lautre. Merleau-Ponty nous dvoile la possibilit dun rapport avec lautre qui ne soit pas de simple opposition, ou plutt qui sappuie sur lopposition pour produire un enrichissement. Texte 5 On considre souvent la discussion comme un lieu daffrontement, et cest souvent le cas, o les mots constituent la fois les enjeux et les armes de la dispute. Ils en sont les enjeux parce quils constituent un instrument ou un espace de pouvoir dont lun des adversaires cherche obtenir la suprmatie ; les mots sont des armes parce quils peuvent blesser ou ridiculiser (dans les jugements de valeur quils vhiculent), et que les mots qui mnent la guerre sont bien plus faciles et efficaces que ceux qui conduisent un accord, toujours prcaire. Ici le dialogue, bien que manifestant une diffrence de points de vue, ne mne pas au dsaccord. Chacun comprend lautre, - dans la dispute aussi, chacun comprend trs bien o veut en venir lautre, mais sy refuse -, se met la place de lautre au point de pouvoir devancer les objections quil va formuler. Mais chacun progresse aussi de son ct, dcouvre des ides, des formules, qui, sans les objections, seraient restes inexprimes, inexistantes. Il y a dans la discussion un enrichissement mutuel possible. 5) Lauthenticit Sartre met en lumire linfluence du regard des autres, qui nous fait tre ce que nous sommes, c'est--dire un ob-jet pour autrui, mais il affirme en contrepartie que nous ne sommes pas contraints de correspondre cet objet, que nous sommes plus essentiellement encore pro-jet, et que nous transcendons toute rduction possible ltat dobjet. Dans ce projet, qui contient limage ou lide de ce que nous voulons tre, nous intgrons limage dautrui, comme modle et comme juge la fois, dont lexemple ou le regard conditionnera nos choix. Quoi que je dcide, ce sera toujours quelque part en fonction dun autre, qui me sert de rfrence, et dont je me suis appropri le jugement. Les gots, les prfrences, les opinions, la conscience morale, tout est appris par et avec les autres, et pratiqu avec et pour les autres. Une preuve concrte rside dans le langage, o se manifeste par excellence cet tre-avec-lautre. Ma subjectivit nexiste et na de sens que sur fond dintersubjectivit, laquelle serait comme une trame sur laquelle pourraient se tisser les liens sociaux, qui fondent lidentit personnelle. Mon identit se construit avec, par et pour lautre. Si le simple fait de dire je fait accder luniversalit de la conscience de soi et de son http://christiandelmas.fr CONSCIENCE ET INCONSCIENT 4
expression, cest aussi parce quil ne peut se dire sans un tu qui lcoute, sans le monde existant dans le il . Mais il faut ici faire attention, car chaque subjectivit peut galement se perdre en lautre, non dans la relation authentique, mais dans lanonymat du On , et perdre sa singularit. Si chacun est unique, chacun peut tout aussi bien diluer son individualit dans la dpersonnalisation de lopinion commune. Le On est une entit sans identit, sans corps et sans visage qui pense pour nous, qui est responsable de toutes les injustices du monde. Cest le fameux ils des expressions ils nous feront bien une guerre , ils nous manipulent , ils nous cachent bien des choses ... Cest la fois tout le monde et personne. Lorsque nous sommes perdus dans nos opinions, et que nous ne prenons pas le temps de la rflexion, nous laissons les autres penser en nous pour nous. Nous croyons quil est facile de penser par soi-mme, quavec un peu de bonne volont, chacun y parvient. Pourtant ne jugeons-nous pas en fonction de ce que nous avons appris des autres et avec (ou contre eux) ? Pour avoir une identit, ne recouronsnous pas trop souvent une rapide et facile identification aux images qui nous sont proposs comme modles (ou anti-modles, pouvantails, cf. tous les racismes et sectarismes) ? Dans le terme identit , il y a ltymologie idem : le mme . Dans notre identit ne sommes-nous pas trop facilement le mme que lautre ? Nous avons vu que lautre tait un autre moi-mme, qu ce titre il tait le mme. Mais lidentit, lidentification ne va-t-elle pas plus loin ? Ne sommes-nous pas trop facilement la copie conforme des autres, tout en demeurant persuads de notre individualit, de notre spcificit ? La philosophie veut apprendre chacun penser par soi-mme. Cela est-il possible ? Que signifie penser par soi-mme ? Est-ce un vu pieux, une impossibilit ? A ce propos, Nietzsche critique violemment lillusion de la suprmatie de la conscience (cf. texte). Loin de voir en elle le sommet de la cration, le sommet de la singularit humaine et de lindividualit, il ne retient que le caractre superficiel, imitatif, en somme la perte de la vritable individualit et singularit. La conscience ne produirait-elle pas plus dillusions que de connaissance ? C'est ce que nous allons maintenant tudier. II) DES LIMITES DE LA CONSCIENCE LA DCOUVERTE DE L'INCONSCIENT. A) LA MISE EN QUESTION DE LA SUPRMATIE DE LA CONSCIENCE 1) Introduction Sans doute doit-on s'isoler du monde et, dans sa solitude intrieure, s'interroger pour retrouver sa vritable personnalit derrire tous les masques emprunts dans la vie sociale. Mais cela suffit-il vraiment ? Ne pouvons-nous pas nous tromper nous-mmes ? 2) Les petites perceptions chez Leibniz Leibniz nie labsolue transparence de la conscience elle-mme et voit dans les petites perceptions qui se trouvent en marge de la conscience des impressions susceptibles dinfluencer non seulement nos perceptions, mais galement nos dcisions et nos actions. Texte 6 3) Le dterminisme spinozien Si l'introspection est ncessaire, elle n'est pas suffisante. Nous pouvons en toute bonne foi ignorer qui nous sommes et pourquoi nous sommes ainsi. Spinoza en rsume ainsi la raison : Texte 7 les hommes se croient libres pour la seule raison qu'ils sont conscients de leurs actions, et ignorants des causes par quoi elles sont dtermines . Nous devons reconnatre que nous sommes dtermins par les causes qui nous prcdent et dont nous sommes les effets. Cette approche se veut authentiquement scientifique et veut lutter la fois contre les illusions et les superstitions. Le remde cette ignorance se trouve dans la connaissance rationnelle qui cherchera les causes efficientes des phnomnes. Seule la connaissance mne la vritable libert. Celle-ci nest plus conue comme un pouvoir de dcider, mais comme la ncessit elle-mme, accepte, assume et connue ; elle nest pas non plus un pouvoir de faire ce qui me plat, en ignorant les causes qui me poussent choisir telle chose telle autre, mais plutt la capacit de connatre. Seule la connaissance transforme lignorant subissant passivement ce qui lui arrive en homme sage vivant sous la conduite de la raison. 4) Les hritiers de Spinoza. La postrit attendra deux sicles avant de sengager plus prcisment sur les traces de Spinoza dans sa mise en question du libre-arbitre. Pendant ces deux sicles il sera condamn, vilipend au point que le terme de spinoziste sera considr comme une insulte. Il ne faut cependant pas croire que la postrit http://christiandelmas.fr CONSCIENCE ET INCONSCIENT 5
sera plus aimable avec ses successeurs. Marx, Nietzsche et Freud, les matres du soupon comme on les surnomme, et plus prs de nous Bourdieu, ont suffisamment traumatis lhumanit pour quelle leur en soit reconnaissante. Marx met en lumire le conditionnement idologique des individus qui est le produit de leur classe sociale et de leur situation dans la lutte conomique. Nietzsche critiquera violemment la morale judo-chrtienne dans laquelle il verra la lutte du troupeau des faibles contre la volont de puissance quelle redoute pardessus tout, contre lindividualisme vrai et la singularit. Freud, quant lui, montre dans quelle mesure nous sommes conditionns par notre inconscient, tant dans sa dimension pulsionnelle que dans sa retenue morale. 5) Les premires hypothses mtaphysiques de linconscient Avant Freud, des penseurs avaient suggr lhypothse de lexistence de processus inconscients susceptibles dexpliquer des contradictions dans les comportements, en particulier lopposition entre nos dsirs et notre conscience. Le terme dinconscient apparat pour la premire fois avec Carl Gustav Carus (en 1831) et von Hartmann (dans sa Philosophie de linconscient en 1869) qui dveloppent de vritables thories gnrales, voyant linconscient partout luvre dans la nature. Ils formulent des thses proches de celles de Schopenhauer, pour qui la Volont est absolument premire dans la nature et se manifeste en chaque action de notre corps, que celui-ci en ait ou non conscience, et pour qui la conscience est seconde, et cre les illusions ncessaires la ralisation des desseins de la Volont. Ces thories taient trs intressantes, mais ne sappuyaient sur aucune observation scientifique, et proposaient une explication de type mtaphysique sans distinguer les domaines physiologiques et psychologiques, animaux et humains. B) LA DCOUVERTE DE L'INCONSCIENT 1) Lhypnose et les premires approches de linconscient (a) Hypothses de Charcot et Janet Paralllement ces thories philosophiques, des recherches mdicales taient entreprises au sujet de lhystrie, de lhypnose, et de certaines dissociations de la personnalit. Jusquau milieu du 19me sicle, on croyait que lhystrie tait une maladie purement physiologique et nerveuse. Les expriences ralises sous hypnose rvlent lexistence de comportements totalement inconscients. Lhypermnsie et la suggestion post-hypnotique sont trs intressantes. En obissant sans le savoir des suggestions faites sous hypnoses, on dvoile la possibilit dune activit ayant pour mobiles des ordres inconscients. De tels actes taient frquents chez les hystriques, - par exemple dans lcriture automatique -, et dans lobissance des suggestions faites pendant que le patient est intress autre chose, y compris lcriture de son propre nom. Ces expriences ont incit Janet et Charcot penser quil sagissait de phnomnes psychiques, dans la mesure o ceux-ci pouvaient tre aussi bien provoqus quinterrompus. La premire dfinition de lacte inconscient est propose par Janet : action ayant toutes les caractristiques dun fait psychique, sauf un : tre ignor par la personne qui lexcute au moment mme o elle lexcute . Pour Charcot, ces faits psychiques seront le fait dune autosuggestion de la part du patient. Janet en arrive penser que les hystriques obissent des ides fixes inconscientes qui fonctionnent comme des suggestions auxquelles ils obissent sans sen rendre compte. Le problme de lorigine de ces ides, et surtout de leur intgration inconsciente comme suggestion est incomprhensible. Pour Janet, elles sont lies un tat de faiblesse psychique et de dissociation de la personnalit, dissociation entre la conscience qui rgit normalement tout, et des processus inconscients qui peu peu chappent la conscience. Tout ce que lon peut, cest y avoir accs par lobservation des crises dhystrie, des rves ou des phases de somnambulisme naturelles ou provoques, ou encore en provoquant leur expression par lcriture automatique linsu des patients. Janet russit traiter des patients en substituant une ide autre lide fixe du malade. Il russi soigner un malade en habillant dans limagination dun malade un cadavre terrifiant. La thrapie consiste donc pour le mdecin dans un premier temps trouver les ides fixes inconscientes, et dans un deuxime, les loigner anantir ou dguiser... Le malade nen reste pas moins toujours un malade, qui souffre moins, mais qui est faible et en tat de dissociation psychique. (b) Freud et Breuer : le cas dAnna O. En 1885 Freud travaille la Salpetrire avec Charcot. De retour Vienne en 1886 il sinstalle et pratique llectrothrapie et lhypnose pour soigner les maladies nerveuses. En 1889 il travaille avec Bernheim Nancy et la pratique de lhypnose le met sur la voie dun problme : le malade ne sait pas que la http://christiandelmas.fr CONSCIENCE ET INCONSCIENT 6
suggestion laquelle il obit a t faite sous hypnose. Son acte a une cause connue et explicable pour lobservateur et non pour lui. Il est le fruit dune cause relle, mais non consciente. Il arrive pourtant que, dans certains cas, forc, le malade parvienne se le remmorer. Freud en conclut que les vritables motifs de nos actes peuvent nous tre inconnus, quoiquils puissent tre rvls nous-mmes le cas chant. Cest l quil ressent les plus fortes impressions relatives la possibilit de puissants processus psychiques demeurs cependant cachs la conscience des hommes . En 1881, Breuer, Vienne, avait constat un cas dhystrie o la simple rminiscence sous hypnose de certains souvenirs avait amen une jeune hystrique (souffrant de paralysie, contractures et confusion mentale) la gurison. Les souvenirs remontaient des vnements remontant la priode o, enfant, cette jeune fille avait d soigner son pre malade, ce qui lavait psychiquement bless. Comme le fait de faire reparatre les souvenirs avait un effet curatif, Breuer et Freud appelrent leur traitement mthode cathartique . En 1893 ils crivent Du mcanisme psychique des phnomnes hystriques : les divers symptmes de lhystrie ne sont pas des manifestations spontanes, idiopathiques de la maladie, mais sont en troite connexion avec un trauma provocateur quil est possible de retrouver par hypnose et dont la prise de conscience par les malades provoque rgulirement leur gurison. En tudiant les nvroses obsessionnelles Freud parvient aux mmes conclusions, et remarque que seule lexistence de processus inconscients permet dexpliquer la cause de certains phnomnes. Il y a une relation de remplacement rciproque entre linconscience des causes et lexistence des symptmes. Il met laccent non plus sur les ides fixes elles-mmes mais sur leur inconscience. Ce qui est en jeu, ce nest pas quune ide soit fixe, mais quelle soit inconsciente, et la rminiscence se rvle non plus seulement accidentellement curative, mais ncessaire la gurison. 2) La thrapie psychanalytique et la dcouverte du refoulement Comme le traitement hypnotique tait alatoire, applicable aux uns et non aux autres, efficace ou non, instable dans ses suites, rituellement ennuyeuse, et finalement de plus en plus en contradiction avec ce quil trouvait, Freud dcida de labandonner. Son but tant de ramener la conscience des souvenirs traumatisants, Freud chercha dautres moyens plus courant dvocation. Il trouva lassociation dide : il demande au patient de se laisser aller, dliminer toute direction, tout prjug, toute critique... Il va dcouvrir l le principe du refoulement. Au dbut de la cure tout va bien, le patient raconte librement ses penses, ses rves. Mais peu peu lattitude change, il trie les ides, cherche changer de sujet, se met en colre, discute avec le mdecin. Il prtend navoir aucune ide, ou trop... Il cde telle ou telle objection critique, se trahit et convient vite quil sait des choses quil ne peut avouer, dont il a honte... Peu peu il essaie dviter les sances... Bref Freud se rend compte quil y a des forces de rsistance luvre lorsque lon touche certains points sensibles. Cest une force qui veut maintenir les souvenirs inconscients. Ce mcanisme de dfense, inconscient au patient, sera nomm le refoulement. Le travail du psychanalyste, la psychanalyse, consistera combiner la libre association et la lutte contre les forces de rsistance. Si le souvenir reste inconscient par refoulement, cela signifie quil lest devenu par refoulement. Le refoulement est double : en premier il est lopration originelle doubli du traumatisme, en second il devient lopration de surveillance, qui interdit le souvenir. A lorigine du refoulement il y a une situation traumatisante qui cre chez le sujet un sentiment dangoisse, de peur, associ le plus souvent un sentiment trs fort de culpabilit (justifi ou non, la clef du refoulement rsidant dans le fait que le sujet se sente coupable). Par le refoulement le sujet, dans un premier temps, occulte, oublie le souvenir pnible, puis il oublie quil a oubli, il pense ainsi tre dbarrass du souvenir. Mais celui-ci demeure quelque part, ne cesse dinfluer plus ou moins fortement sur la vie psychique, et la tension quil recle pourra se manifester un moment de perturbation Ainsi tant lorigine quau cours de la vie psychique, il y a conflit entre des tendances inconscientes qui veulent tre satisfaites, et des forces de refoulement elles aussi inconscientes, qui gardent les tendances inconscientes. Le conflit se perptue, et pourra crer une nvrose dans des cas o aucune solution ne se prsentera. La nvrose est une guerre civile de lme dont seuls les symptmes sont conscients, tout le reste tant inconscient.
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III) LA THORIE PSYCHANALYTIQUE DE LINCONSCIENT A) LA STRUCTURE PSYCHIQUE 1) Les deux topiques du psychisme (les trois matres du Moi) Peu peu, en traitant ses patients, Freud explore ce continent de linconscient et va en dresser les cartes mesure de ses dcouvertes. - Dans la premire topique (de topos = lieu) il distingue le conscient, le prconscient et linconscient Le conscient est constitu de tout ce qui est prsent la conscience du sujet. Le prconscient est compos de tout ce qui nest pas actuellement conscient mais peut le devenir volont (les souvenirs courants). Linconscient est compos exclusivement des pulsions de la libido et des souvenirs refouls, en somme de tout ce qui doit pas devenir conscient, et quun mcanisme de censure contraint rester inconscients. Attention : linconscient nest pas accessible la conscience comme le prconscient, il est exclusivement le refoul , ce qui ne doit pas accder la conscience, ce qui doit rester enfoui, le prconscient tant ce qui peut tre conscient, mais que lattention au prsent ne rend pas immdiatement conscient. - La deuxime topique est plus labore : elle met en scne trois instances psychiques : le a, le Surmoi et le Moi. Le a est lensemble des pulsions primaires, inconscientes. Le Surmoi est linstance de surveillance des pulsions, lintriorisation des interdits familiaux, sociaux, sous forme de principes moraux. Textes 8 Le Moi est linstance consciente et prconsciente qui doit grer les conflits entre le a, le Surmoi et la ralit extrieure : il a trois matres exigeants comme le dit Freud. Texte 9 Comme on le voit dune topique lautre la structure se prcise. La censure de la premire topique devient le Surmoi, qui est inconscient. Le prconscient est exclusivement rattach au moi, quoiquil puisse tre pouss par le surmoi produire des justifications ou rationalisations de laction. 2) Lquilibre psychique Les pulsions sopposent la fois au principe de ralit et au Surmoi, qui veille ce quelles napparaissent pas dans leur nudit. Elles sont donc toujours plus ou moins dformes : dguises dans le rve, transfigures dans la sublimation, dvies dans les actes manqus (voir plus loin). Le Moi, dont une grande partie est inconsciente, doit grer les conflits invitables entre les trois matres : a, surmoi et ralit. Lquilibre psychique est tabli lorsque la gestion du moi se fait dans une normalit apparente, cest--dire dune manire socialement acceptable et sans trop de souffrance. Vers la fin de sa vie, Freud distinguera en outre deux sortes de pulsions primaires : - des pulsions qui visent le plaisir, ros, et des pulsions de destruction, de mort, quil appellera Thanatos. La nvrose apparat lorsque la souffrance cre des dsquilibres physiques ou comportementaux. La psychose consiste en une dconnexion entre lindividu et le monde extrieur, avec cration dlirante dun univers dans lequel il senferme. B) LA THORIE DE LA SEXUALIT 1) La libido En coutant ses patients, et en les aidant retrouver leurs souvenirs traumatisants, Freud dcouvre quune grande partie dentre eux taient lis la sexualit, et ce ds la plus tendre enfance. Il avoue avoir abord lexamen des nvross dans un tat dingnuit complte. Aussi vit-il dans linconscient le produit de refoulements dordre sexuels ayant lieu au cours de la petite enfance, et en vint-il dvelopper la thorie de la sexualit infantile. La sexualit a pour Freud une signification bien plus large que la simple considration des moyens qui ont pour fin la reproduction. Freud appelle libido cette force avec laquelle se manifeste linstinct sexuel, qui obit au principe de plaisir. La thse de Freud est que la fonction sexuelle existe ds la naissance et se met progressivement au service de la fonction de reproduction. La pratique psychanalytique a donn penser Freud que la sexualit adulte se compose dun ensemble de tendances partielles le plus souvent agrges, mais dans certains cas dissocies (cruaut, sadisme). Ces tendances partielles se mettent en place progressivement, selon des phases que Freud labore comme suit. 2) La sexualit infantile (a) La prime enfance Dans cette volution, Freud distingue deux phases jusqu la pubert : - jusqu six ans, une priode de premire enfance, que caractrisent les efflorescences varies de la libido; - puis une priode de latence, que caractrise une grande activit des barrires psychiques de rpression, des digues . http://christiandelmas.fr CONSCIENCE ET INCONSCIENT 8
Dans la priode de la prime enfance, la sexualit passe par trois phases mettant en jeu une activit sexuelle dont le but, cest--dire le genre de satisfaction, est diffrent. - La premire phase est la phase orale, plaisir dominant du nourrisson, qui cherche sucer le sein maternel, point de dpart de toute la vie sexuelle, lidal jamais atteint, idal auquel limagination aspire dans ses moments de grand besoin et de grande privation . - La deuxime est la phase sadique-anale, simultane et successive la premire, plaisir ressenti la satisfaction de certains besoins organiques. Il y a sadisme ici parce que lenfant apprend matriser ses dfcations et jouer de cette matrise pour sopposer aux parents. - La troisime est la phase gnitale au cours de laquelle lenfant sintresse ses propres organes gnitaux. Il ne faut pas croire que la phase gnitale subsiste seule lge adulte et que les deux premires disparaissent aprs la petite enfance : la phase orale se retrouve entre autres dans le plaisir li au baiser, la phase sadique-anale dans le vocabulaire scatologique employ en cas de conflit, de colre ou dnervement. (b) Le complexe ddipe Freud dcouvre la fois dans sa propre histoire et dans celle de ses patients le complexe ddipe. Celuici survient lorsque lenfant prouve un amour possessif pour le parent de sexe oppos et une haine pour le parent de mme sexe qui est considr comme un rival. Le fils aime sa mre et est jaloux de son pre, inversement la fille aime son pre et sopposera sa mre. Il ny a l quun tat normal pour Freud, qui dira que la rsolution de ce complexe sera dterminant pour la vie psychique adulte. (c) Le pervers polymorphe Freud crit : lenfant est un pervers polymorphe pour exprimer ce caractre non unifi, amoral, des tendances infantiles, qui ne connaissent pas le tabou de linceste, lequel sera intrioris au cours du dveloppement ultrieur. A partir de lge de six ans, le souvenir des premires tendances sefface, les dsirs infantiles sont refouls, et leur souvenir est dtruit. La pudeur, le dgot, la sympathie permettent de rfrner les tendances exhibitionnistes, sadiques... La sexualit entre dans une phase de latence pour ne ressurgir qu la pubert. Texte 10 3) De la pubert lge adulte (a) Les conditions de la russite A la pubert, la libido reprend son essor au cours dune crise dcisive. Freud crit Texte 11 Le passage la sexualit adulte ne relve donc pas seulement de capacits lies au dveloppement gnital, mais du dpassement du rapport infantile avec les parents, du dtachement et du transfert de laffectivit sur une personne trangre la famille. (b) La nvrose La nvrose est cause par des vnements infantiles, primaires, lis lune des phases de la sexualit enfantine, et sur lesquelles la libido avait opr des fixations et par des vnements rcents souvent douloureux qui viennent ractualiser les premiers. Il y a donc lorigine de la nvrose la conjonction de deux sries dvnements, anciens et actuels. Souvent les vnements actuels qui crent une impasse provoquent un retour de la libido vers des phases et objets infantiles. Cest ce que Freud appelle la rgression. Cette rgression saccroche sur certains points de blocages qui avaient cr des fixations. Entre linconscient de la phase infantile qui possde une force excessive du fait de la rgression, et le conscient de la phase adulte slve un conflit. Dans lhystrie, le sujet vit un retour aux premiers objets de nature incestueuses et lutte contre elles. Dans la nvrose obsessionnelle, le retour vise des phases antrieures, telle la phase sadique, ce qui explique les obsessions sur la mort. Si ce retour saccompagne dune rgression sur lobjet, les impulsions sadiques sont dans ce cas appliques aux personnes les plus proches, ce qui implique des souffrances morales pour le malade qui senferme dans une situation de culpabilit do il ne peut se dgager qu grand-peine. IV) L'EXPANSION DE LA PSYCHANALYSE ET SES APPLICATIONS La psychanalyse slargit pour couvrir trois domaines, que Freud dfinit ainsi : a - une thrapie, technique de traitement des dsordres nvrotiques, fonde sur b - une mthode dinvestigation des processus mentaux peu prs inaccessibles toute autre mthode et qui se dveloppe au point de devenir
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c - un corps de savoir psychologique dont laccumulation tend la formation dune nouvelle discipline scientifique. La psychanalyse est la fois une thrapie, une science, et une hermneutique, cest--dire une mthode dinterprtation des phnomnes humains dans leur gnralit. Cette triple fonction se met en place progressivement, au fur et mesure que Freud explore ce continent de linconscient. A) LA PSYCHANALYSE EST UNE THRAPIE Comme thrapie, la psychanalyse est relativement efficace, et se substitue avec bonheur des traitements plus violents (lectrothrapie etc.). Mais elle prsente linconvnient dtre longue, coteuse, et parfois inoprante dans la mesure o les rsistances sont trop importantes et font abandonner le traitement, o la personnalit du psychanalyste dirige dune manire trop oriente lanalyse (Freud lui-mme est rest aveugle face un cas dhomosexualit fminine quil voulait tout prix comprendre comme un amour inavou pour un homme)... Elle entrane galement de profonds changements dans la vie et lentourage des personnes soignes qui opposent une rsistance la thrapie, qui se sentent culpabiliss, ou ny comprennent rien. De plus elle met exclusivement laccent sur la dimension psychique de toutes les nvroses, alors que certains cas sont purement physiologiques et chimiques. Elle nest donc pas la panace universelle que Freud voyait en elle, et si certains patients, lgrement atteints, y gagnent, tout le monde nest pas galement curable. De plus, on ne sait pas vritablement quand doit sarrter une analyse, quand le malade est parvenu la gurison, et mme sil y a une gurison. Cette dernire renvoie en effet une ide de la sant et de la norme psychique qui sont tout fait discutables. De plus, certains cas de patients artistes gniaux tmoignent du fait que l'art aurait sans doute perdu une partie de ses chefs d'oeuvres si leurs crateurs avaient t guris ; B) ELLE REVENDIQUE LE STATUT DE SCIENCE 1) Le principe du dterminisme psychique Nous avons dit que la psychanalyse aspirait se constituer comme science. En effet, elle a dcouvert et explor le continent inconnu de linconscient et mis en lumire la structure psychique et les mcanismes de son fonctionnement. La psychanalyse est-elle nanmoins pour autant une science ? La psychanalyse prsente une dualit qui met en pril cette scientificit auquel Freud tient tant. En effet, en tant que science, elle sappuie sur le principe du dterminisme psychique pour expliquer les mcanismes inconscients. Ce dterminisme est effectivement purement scientifique : le sujet na pas la libert, il est en quelque sorte le sujet de mcanismes auxquels il ne peut rien. Mais en mme temps la psychanalyse utilise des concepts fort discutables comme le complexe dOedipe, et les phases de la sexualit, qui relvent plus de linterprtation que de lexplication scientifique. Si les mcanismes sont bien reconnus, leur sens ne fait pas lunanimit. La direction purement sexuelle mise en lumire par Freud ne sera pas reprise par tous ses prdcesseurs. Parmi les plus prestigieux, Adler verra dans le complexe dinfriorit le principe de toutes les nvroses et intgrera la dimension sexuelle ce rapport lautorit qui est pour lui essentiel dans la constitution de la personnalit. Ainsi la rvolte contre le pre nest pas sexuelle (cf. dipe) mais relve de la formation dune personnalit qui doit saffirmer et pour cela sopposer et se dtacher de lautorit paternelle. 2) Expliquer et comprendre Le problme qui se pose la psychanalyse est commun toutes les sciences humaines. La distinction entre expliquer et comprendre permet de mieux saisir la diffrence entre cette discipline et les autres sciences. Lorsque lon aborde les phnomnes de la nature, on met en lumire des lois auxquels obissent les phnomnes, on explique des mcanismes physiques, chimiques, biologiques, qui sont aveugles, dnus dintention et de signification. Dans le cas des sciences humaines, lhomme est la fois sujet et objet dtude, et il a affaire des phnomnes dans lesquels il peut comprendre une intention, similaire celle dont il imprgne ses actions. Il peut sidentifier aux ractions dont il fait ltude. Lobjectivit recherche est mle de subjectivit. Les phnomnes tudis, psychiques, sociaux, historiques, contiennent des intentions, explicites, dclares, mais qui souvent cachent dautres intentions non dclares, implicites, caches, et que lanalyse devra mettre en lumire. Dans quelle mesure lexpression des premires correspond-elle avec leur ralit ? Ny a-t-il pas un jeu dintentions tel qu chaque intention dclare on peut subodorer une ou plusieurs intentions caches ? Tout est ici affaire dinterprtation, tout est fonction de lenjeu, de lide directrice travers laquelle on interprtera les http://christiandelmas.fr CONSCIENCE ET INCONSCIENT 10
phnomnes. Il y a ici un subjectivisme et un relativisme contraires lesprit scientifique, et dont les sciences humaines doivent rendre compte. La psychanalyse est donc la fois une science et une hermneutique, cest--dire une discipline qui interprte et soumet linterprtation elle-mme un travail dinvestigation. En tant quhermneutique elle va sintresser tous les domaines de la vie quotidienne et culturelle, et on pourra lui reprocher un certain totalitarisme. C) ELLE PROPOSE UNE GRILLE DINTERPRTATION DE LA QUOTIDIENNET 1) Psychopathologie de la vie quotidienne (a) Les rves Freud avait dcouvert le rle important du rve dans le travail analytique. Il tend son tude de linconscient linterprtation des rves, quil considre comme une voie royale. Il distingue le contenu manifeste du contenu latent. Prenons lexemple du rve du chien blanc trangl : ici le contenu manifeste est ltranglement du chien, le contenu latent la vengeance sur la belle-sur. Freud dcouvre aussi dans le rve un processus de censure, de dguisement pour que le dsir ne parvienne pas la conscience, mais soit nanmoins partiellement satisfait. (b) Les actes manqus Il tend encore son tude aux actes manqus, fausses perceptions, oublis, lapsus... et dresse une psychopathologie de la vie quotidienne. En considrant que loubli a une fonction de dvoiler des aversions qui doivent rester secrtes, la psychanalyse rejoint lopinion commune qui voit dun trs mauvais il les oublis, et leur attribue une signification prcise. La diffrence rside dans la part de conscience et de volont lie ces actes. Loubli, comme le lapsus, est une manire pour linconscient de se rvler contre la volont de la personne, parce quen ralit ce qui se manifeste malgr la volont de la personne doit rester inconsciente, secrte, soit quelle semble injustifiable et que la personne qui dteste se sente coupable de cette haine, soit quelle soit lie une pulsion, un vnement, qui doit, lui rester secret. Ainsi donc, laversion doit rester inavoue, soit sa cause est inavouable. Avec cette psychopathologie de la vie quotidienne, la psychanalyse slargit alors pour dpasser le simple domaine de la thrapie et proposer une mthode privilgie dinterprtation des comportements humains habituels et culturels. Elle devient ce titre une hermneutique, voyant en tout comportement et phnomne culturel des signes de linconscient. 2) Lhermneutique de la culture La psychanalyse va explorer tous les domaines de lexistence humaine. La religion, lart, lhumour, constitueront des centres dintrt de premier ordre. - Dans la religion, quil sagisse du monothisme hbreu ou du totmisme, Freud voit luvre la reviviscence sublime de lenfance o limage du pre imposait sa loi. Texte 12 - Dans lart, Freud voit la sublimation, cest--dire la canalisation, socialement et moralement valorise, de dsirs (dorigine sexuelle videmment) impossibles satisfaire autrement. - Dans les jeux de mots, il y a lexpression de paroles inavouables parce que trop vraies, que lhumour dguise sans des apparences badines. Freud fonde ici des intuitions que chacun ressent sans oser les avouer, publiquement, ou mme dans le priv de sa conscience. Ces intuitions constituent autant de prjugs, pour la plupart fort justes, mais dont on peut refuser de voir la ralit, par peur de la morale. La psychanalyse apprend aux humains quils ne sont pas les tres parfaits quils souhaiteraient, que dans ce dsir mme de perfection il y a la trace dun vieux rve dipien. 3) La troisime blessure symbolique Freud avoue lui-mme avoir inflig lhumanit sa troisime grande blessure symbolique, le troisime grand dmenti aux illusions que lhomme se faisait sur lui-mme et sa place dans lunivers. La premire tait le fait de Galile, - lhomme nest plus au centre monde - et la seconde de Darwin, lhomme nest plus au sommet de la cration, crature suprieure voulue par la nature ou par Dieu -. En disant que le moi nest plus le matre de sa maison, en confirmant que la conscience nest quun piphnomne du psychisme, lequel est en grande partie inconscient, et en laissant comprendre que Dieu lui-mme nest peut-tre que limage infantile du pre, Freud semble avoir rabaiss lhomme une place fort peu enviable. Mais alors, ny aurait-il plus de place pour la morale aprs la psychanalyse ? Le regard dsenchant du monde est-il perdu ? Toutes nos activits ne sont-elles que lexpression ou la ralisation
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de dsirs peu avouables dans leur nudit, et que la vie sociale nous a contraint refouler, dguiser, dtourner, sublimer ? V) LA CONSCIENCE MORALE 1) La dimension intrieure de la morale La morale est par dfinition lensemble des valeurs qui dterminent le bien et le mal. Dune socit lautre, dune poque lautre, les valeurs changent. Elles ont vraisemblablement pour origine des rgles sociales avant de se constituer comme valeurs. Avec la religion la morale dpasse la simple obissance des rgles imposes de lextrieur pour devenir un ensemble de principes intrieurs auxquels que lon admet et que lon considre comme vidents. La morale ne saurait donc exister sans cette dimension intrieure que lon nomme conscience morale. Celle-ci peut prcder laction dans la dlibration intrieure ou, au contraire, lui succder en se manifestant par le remords, la culpabilit. 2) La dlibration Pour illustrer lintervention de la conscience morale avant laction, rappelons-nous le sublime chapitre des Misrables de Victor Hugo, Tempte sous un crne ou le personnage Mr Madeleine, ancien bagnard du vrai nom de Jean Valjean, se demande sil doit se dnoncer pour aller sauver un pauvre innocent et retourner vie au bagne ou sil doit le laisser condamner et pouvoir tenir sa promesse faite une mourante daller sauver sa fille et achever sa vie tranquillement, enfin libr des poursuites policires. On sait ce quil choisira, et quelque temps aprs cet pisode, Sur Simplice, rpute pour sa vie sans mensonge, mentira, sacrifiant ainsi son idal de vrit, pour sauver Mr Madeleine. La conscience voit ici sopposer soit un bien et un mal, soit deux biens opposs. On ne confondra pas la conscience morale avec le calcul pragmatique des intrts o seuls comptent dans la dlibration le profit ou la perte. ce titre dans le cas qui nous intresse le calcul est facile : Mr Madeleine na qu laisser condamner linnocent. Largument plus moral daller tenir sa promesse Fantine psera-t-il face la vie dun innocent ? Cest ce que la morale ne saurait accepter. Dans le cas de Sur Simplice, le choix se fait entre deux biens diffrents : dire la vrit et servir la justice reprsente par Javert ou sauver un homme dont elle a reconnu la vritable bont. Le principe de charit lemporte sur le principe de vrit au nom peut-tre dun principe de justice plus lev que celui des hommes. La conscience morale intervient donc dans ces deux cas, mais comme le dirait finement Sartre, lors de la dlibration les jeux ne sont-ils pas dj faits ? Notre conscience na-t-elle pas dj choisi, auquel cas la dlibration naurait pour fonction que dentriner la dcision et de nous donner les arguments susceptibles de faire taire la partie adverse ? Dune manire plus concrte, ces cas de conscience tourmentent lesprit au point dempcher lhomme de dormir, au sens propre dailleurs comme au figur. La conscience est le signe de lesprit en veil. 3) La prise de conscience rtrospective Si la conscience peut prcder laction, elle peut galement lui succder, quand, par exemple, ltre humain sinterroge sur ce quil vient de faire. Lorsquil y a concidence entre ce quil fait et ce quil vise, il ny a pas de jugement, et pas de jugement moral. Il se pose un problme lorsque lhomme saperoit que ce quil a fait ne concide pas avec ce quil aurait d faire. La conscience est alors mauvaise conscience. Elle est fondamentalement conscience dun manque, dune faute, dune faiblesse. La conscience morale ainsi dtermine est rtrospective, car elle juge a posteriori les actes commis. Elle contient en fait trois lments : - lacte commis, - lide morale ou la loi laquelle cet acte est compar, et le jugement rtrospectif et comparatif port sur lacte. Cest ici que lon peut parler de prise de conscience. En comprenant que ce qui a t commis naurait pas d l'tre, en comprenant quil ne doit plus recommencer, le coupable ressent du remords. Le sens commun parle ce propos de la voix de la conscience, qui nest autre que la propre voix commandant chacun de lintrieur , lincitant se repentir et se rformer. La conscience morale est une sorte de double intrieur qui nous permet de nous reprendre nous-mmes, de nous juger, de nous amender et de nous rectifier. Sil y a vraiment une dimension la fois concrte et leve de la conscience, ce peut tre ici. Le sens commun conoit dailleurs le sage comme conscient, moral, juste, matre de lui-mme. 4) La conscience morale nest-elle que le produit de notre ducation ? Notre conscience morale nous indique notre devoir, nous retient dagir ou nous juge aprs-coup. Elle se distingue de la simple obissance aux lois morales imposes en ce quelle est intriorise. Mais cette http://christiandelmas.fr CONSCIENCE ET INCONSCIENT 12
conscience existerait-elle si je ntais pas duqu ? Est-elle le simple produit dune socialisation ou estelle une caractristique universelle, commune chaque tre humain ? Possdons-nous tous une conscience morale ou bien cela dpend-il de notre ducation ? Pour dfendre la thse de la socialisation on mettra laccent sur les diffrences entre les rgles imposes par les socits. Le terme morale vient de murs c'est--dire des rgles qui rgissent la vie en groupe. Ainsi il est immoral dtre homosexuel dans une socit judo-chrtienne, il ne ltait pas en Grce antique, il est immoral de tromper sa femme dans des socits monogames, lide mme de tromperie na aucun sens dans une socit polygame. L o la faute nexiste pas ou nest pas reconnue comme telle, il ny a ni remords ni conscience morale. Cest ce que dit Saint Paul lorsquil explique quavant davoir connu la loi, il ne connaissait pas le pch. Est-ce dire quil est possible dtre amoral, c'est--dire de nprouver aucune conscience morale, de ne pas savoir si ce que lon fait est bien ou mal ? En fait, dans le processus de socialisation, il y a une intriorisation des valeurs communes (au moins la famille ou la tribu) et une prise de position personnelle, plus ou moins consciente, individuelle face aux valeurs imposes. Celui qui transgresse ces rgles sait quil le fait. Il peut le faire au nom de sa sensibilit et de la revendication dune reconnaissance quune socit lui refuse. Il en souffre mais ne peut agir autrement, comme on le voit dans les cas dhomosexualit, mme si certains prtendre gurir ou sauver les homosexuels. Mais il peut aussi, certains gards, tre immoral en obissant aux ordres ou valeurs de sa socit. Cest ce qui a t manifeste dans le nazisme, qui a t relay et appliqu par des fonctionnaires qui ont eu le sentiment daccomplir leur devoir ou, plus gnralement, dans lutilisation de la torture. Navaient-ils pas en eux le moyen de ragir, de dsobir ? Ne savaient-ils pas que ce quils faisaient tait foncirement mal ? Peut-on tre aveugle et insensible ce point-l ? Cest ici que la thse de la socialisation manifeste ses limites, mme si elle explique la passivit face lautorit (cf. les expriences de Stanley Milgram). Si nous ne sommes que les produits de notre ducation, alors nous ne sommes moraux que par rapport aux valeurs imposes par notre socit et aucune universalit ni aucune implication personnelle ne peut tre revendique pour sopposer ces valeurs, considres, dans leur relativit fondamentale, comme une forme dabsolu, ce qui est pour le moins contradictoire. Cest pour dpasser cette contradiction que lon peut revendiquer une conscience morale minimale universelle, par laquelle chacun sait clairement quil agit mal, ds lors quil fait souffrir volontairement et consciemment une autre personne. En mettant la piti au nombre des qualits naturelles de lhomme, Rousseau place cette conscience morale au sein de lhumanit, comme signe de cette humanit mme. Nier cette universalit de la conscience, nest-ce pas tout autoriser sous couvert de diffrence culturelle, indpendamment de la souffrance ressentie par ceux qui subissent des lois les faisant souffrir et portant atteinte leur intgrit (cf. le problme de lexcision) ? 5) Bonne conscience et mauvaise conscience Si la conscience nous fait sentir nos fautes, peut-elle nous rconforter lorsque nous avons bien agi ? Pouvons-nous affirmer que nous avons bonne conscience sans crainte ni contradiction ? La bonne conscience semble tre la satisfaction dune conscience ayant accompli son devoir. Mais estelle si bonne que cela ? Ne justifie-t-elle pas laction en disant quelle naurait pas pu tre effectue autrement, ce qui lui permet de se dcharger de la responsabilit de lacte commis ? A-t-on vraiment bonne conscience si ce que lon a accompli est indiscutable ? Celui qui fait son devoir a-t-il besoin davoir bonne conscience ? La bonne conscience ne vient-elle pas au secours dune conscience dfaillante, trouble, inquite ? Nest-ce pas parce que nous ne sommes pas certains davoir fait ou de faire ce que nous devons que nous nous donnons bonne conscience ? En effet mme si la terre entire venait confirmer la bonne conscience de celui qui se sent coupable, une gne subsisterait, et il nen serait pas convaincu intimement. La bonne conscience nest-elle pas une forme de mauvaise foi ( tous les sens des termes) ? Peut-on alors prfrer la bonne conscience la mauvaise conscience ? La mauvaise conscience serait plus honnte que la bonne conscience qui se voilerait la face, et cest peut-tre ce que lide chrtienne de pch originel signifie. Mais alors ne pourrait-il pas exister une bonne conscience qui soit vraiment bonne ? En fait, tant quon en reste une conscience rtrospective, le problme dbouche sur une impasse. Si lon juge les choses aprs coup, ce sera toujours trop tard, en dcalage, et on risquera de tomber dans le pige de lautojustification ou de la fausse lgitimation. La seule bonne conscience http://christiandelmas.fr CONSCIENCE ET INCONSCIENT 13
serait la conscience prescriptive, qui intervient avant la dcision ou laction, en laborant les principes auxquels laction devra se plier, en provoquant cette rflexion avant laction, rflexion qui portera autant sur sa finalit que sur les moyens quelle mettra en uvre. Sans doute Socrate fait-il aussi allusion cela lorsquil voque son daimon , sa voix intrieure qui le retenait dagir. Ensuite seulement la conscience pourra tre rtrospective, jugeant les actes en vrifiant leur conformit aux principes dtermins avant laction. Mais cela se fera toujours plus ou moins en prsence de doute, lorsquil faudra sexpliquer face au tribunal de la conscience ou face celui des hommes. Cest ainsi quAlain a pu dire, aprs Rousseau : la conscience ne se trompe jamais, pourvu quon linterroge . VI) LINCONSCIENT ET LA CONSCIENCE MORALE A) Sujet : lhypothse de linconscient contredit-elle lexigence morale ? Enjeu : nous avons vu que Freud tablissait une relation trs troite entre la conscience morale et le Surmoi. Ny a-t-il pas l un danger, une rduction et une relativisation de la morale, et, plus ou moins long terme, la ngation de toute exigence morale ? B) LA REMISE EN CAUSE DE LA MORALE La morale peut tre dfinie comme lensemble de principes moraux et sociaux auxquels on obit consciemment. Cette morale doit tre consentie librement et consciemment pour tre valide. Que vaut moralement lacte du fou, de lintress, du calculateur ? En mettant laccent sur nos dterminismes, et sur le rle du refoulement, Freud met la morale en mauvaise posture. Il est considr comme lun des matres du soupon . La morale est-elle condamne par lhypothse du surmoi, et Freud est-il le pervers que lon croit ? 1) Le dterminisme psychique commande toutes nos actions La psychanalyse nous montre que nous ne sommes pas aussi libres que nous le croyons, que nous sommes plus intresss que nous nosons nous lavouer. Le refoulement nous fait condamner, en nous comme chez les autres, des attitudes que nous qualifions dimmorales, parce quelles pourraient nous rappeler des dsirs inconscients et inavouables. Comment alors pouvons-nous croire possder une morale libre et consciente ? Les plus intransigeants en matire de morale ne sont-ils pas les plus frustrs, sinon refouls, de dsirs quils nosent pas savouer parce que cela leur a t interdit ? Limage du pre ne commande-t-elle pas toujours, sans la forme dinterdits que lon reprend son tour ? Le rglement de compte avec lautorit a-t-il dailleurs jamais t tent ? 2) La conscience morale nest-elle pas dans sa plus grande part inconsciente ? La conscience morale ne serait-elle pas la reproduction plus ou moins consciente des interdictions familiales et sociales ? Le Surmoi, instance de censure, en grande partie inconscient, a intrioris sans le savoir toute une morale, et avec elle une culpabilisation, qui sont lies lhistoire familiale et personnelle. Si lon peut effectivement parler de morale au sens tymologique des murs , si toute morale nest en fait quun produit familial et social quen est-il de lexigence morale ? A-t-on le droit de chercher imposer dautres ce qui est relatif une famille, une histoire personnelle et donc hautement subjectif ? Sil en est ainsi, comment juger de la moralit des actes ? Nest-ce pas dailleurs la consquence de ces thories que de recourir linconscient, au refoulement, au traumatisme infantile, pour excuser, justifier des actes rprhensibles, et finalement nier la responsabilit du coupable ?
La conscience morale, cest la perception interne du rejet de certains dsirs que nous prouvons, tant bien entendu que ce rejet na pas besoin dinvoquer des raisons quelconques, quil est sr de lui-mme. La conscience morale prsente une grande affinit avec langoisse ; on peut, sans hsiter, la dcrire comme une conscience angoissante . Or, langoisse, nous le savons, a sa source dans linconscient ; la psychologie des nvroses nous a montr que lorsque des dsirs ont subi un refoulement, leur libido se transforme en angoisse. Et, ce propos, nous rappellerons que dans la conscience morale il y a aussi quelque chose dinconnu et dinconscient, savoir la raisons du refoulement, du rejet de certains dsirs. Et cest cet inconnu, cet inconscient qui dtermine le caractre angoissant de la conscience morale.
(Totem et tabou) C) LE RETOUR DE LA CONSCIENCE 1) Lanimal redoutable (texte dAlain) Lon pourrait reprocher Freud, et Alain ne sen prive pas, de transformer linconscient en animal redoutable , plein de pulsions pour la plupart inavouables, et de crer en lhomme un autre Moi, une sorte de mauvais ange, de diabolique conseiller , et de nier lunicit de la conscience, du sujet humain. http://christiandelmas.fr CONSCIENCE ET INCONSCIENT 14
Le freudisme, si fameux, est un art dinventer en chaque homme un animal redoutable, daprs des signes tout fait ordinaires; les rves sont de tels signes ; les hommes ont toujours interprt leurs rves, do un symbolisme facile. Freud se plaisait montrer que ce symbolisme facile nous trompe et que nos symboles sont tout ce quil y a dindirect. Les choses du sexe chappent videmment la volont et la prvision; ce sont des crimes de soi, auxquels on assiste. On devine par l que ce genre dinstinct offrait une riche interprtation. Lhomme est obscur lui-mme; cela est savoir. Seulement il faut viter ici plusieurs erreurs que fonde le terme dinconscient. La plus grave de ces erreurs est de croire que linconscient est un autre Moi; un Moi qui a ses prjugs, ses passions et ses ruses; une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller. Contre quoi il faut comprendre quil ny a point de penses en nous sinon par lunique sujet, Je; cette remarque est dordre moral. [ ... ] Linconscient est une mprise sur le Moi, cest une idoltrie du corps. On a peur de son inconscient; l se trouve loge la faute capitale. Un autre Moi me conduit qui me connat et que je connais mal. Lhrdit est un fantme du mme genre. Voil mon pre qui se rveille; voil celui qui me conduit. Je suis par lui possd. [] Rien ne mengage. Rien ne me force. Je pense donc je suis. Cette dmarche est un recommencement. Je veux ce que je pense, et rien de plus. La plus ancienne forme didoltrie, nous la tenons ici; cest le culte de lanctre, mais non purifi par lamour. Ce quil mritait dtre, moi je le serai. Telle est la pit filiale. En somme, il ny a pas dinconvnient employer couramment le terme dinconscient; cest un abrg du mcanisme. Mais, si on le grossit, alors commence lerreur; et, bien pis, cest une faute. (lments de philosophie, Livre II, ch. XVI, note 146) 2) Le problme de la culpabilit Sartre mettra en doute la dimension inconsciente du refoulement. En effet, pour refouler quelque chose, cest--dire occulter son souvenir pour la conscience, il faut savoir que ce souvenir est dangereux. Or cela ne se peut que sil engendre une culpabilit, et cest cette culpabilit quil sagira docculter. Mais la culpabilit ne peut survenir que si jai conscience davoir transgress un interdit. Je ne peux donc refouler que par une sorte de mauvaise foi un acte dont jai reconnu au moins un instant consciemment la culpabilit. Et cest par une mauvaise foi redouble que je nie ma conscience avoir refoul le souvenir. Ici le dbat entre Sartre et Freud mrite un peu dattention. Nous proposons de distinguer ici deux culpabilits : la premire serait engendre par la dsobissance une rgle que lon connat, et que lon est conscient de transgresser : la dcouverte de la faute et la punition seront en quelque sorte justes, et ne creront pas de refoulement, mme sil y a rvolte ou rsistance. La deuxime culpabilit serait plus insidieuse : elle surviendrait lorsque lenfant ne comprend pas vraiment ce quil vit, ne sait pas vraiment sil a le droit de voir ou de subir certaines situations. Il est partag entre des sentiments contraires, celui dtre innocent dun tat de fait subi, et celui dtre coupable davoir vu ou provoqu malgr soi cet tat. Gnralement cette culpabilit tient au fait que lenfant a abord un domaine interdit, tabou, ou tout au moins dcrt comme tel et quon le punit en lui imposant lide de culpabilit. Le domaine sexuel appartient videmment cette catgorie. Dans ce cas peut-on reprocher lenfant une mauvaise foi, dautant que certains adultes nhsitent pas abuser de son innocence. Les nvroses de nombreuses patientes de Freud ont t lies des traumatismes infantiles refouls. La morale devra se garder de recourir largumentation facile de linconscient et au contraire mettre laccent sur la ncessit dune conscience qui saffirme comme libre, mme si elle nest plus aussi certaine quautrefois dchapper certains dterminismes et mcanismes involontaires. Dvalorisation de la morale, dvalorisation de la responsabilit, dvalorisation de la conscience galement, telles semblent tre les consquences de lhypothse de linconscient face lexigence morale. Mais nest-ce pas l dtourner le sens de la mthode psychanalytique ? Et Freud est-il vraiment immoral ou anti-moral, comme lont accus ses premiers dtracteurs, est-il un obsd pervers qui projette ses propres fantasmes insanes? D) LES TROIS FONCTIONS MORALES DE LA PSYCHANALYSE 1) Le soulagement de la souffrance Lhypothse de linconscient a pour premire fonction de permettre laccs aux causes dune souffrance (le traumatisme initial) et den permettre llimination. Il sagit de soigner, de gurir des personnes considres jusque l comme des malades, et enferms ou assommes chimiquement ou lectriquement http://christiandelmas.fr CONSCIENCE ET INCONSCIENT 15
(la fameuse lectrothrapie). La vise de Freud est dabord thrapeutique. Il ny a rien de plus fidle au serment dHippocrate, ni de plus moral. De plus les conceptions quil propose de la normalit psychique et sexuelle reproduisent fidlement les normes sociales et morales de son poque. Quaurait dit un Freud grec de lpoque de Platon sur la sexualit ? Aurait-il considr lhomosexualit comme une maladie (et non plus comme perversion ou satanisme) ? 2) La qute de vrit La deuxime fonction de lhypothse de linconscient est une fonction scientifique, qui vise lexplication de ce qui jusque-l restait incomprhensible et inaccessible. Il sagit de savoir, de comprendre pour faire cesser la souffrance. Que vaut une mdecine sans tiologie, cest--dire sans cette science des causes ? La thrapie devient science pour explorer ce continent inconnu et en extraire les ppites de vrit qui enrichiront lhomme sur la voie de la connaissance de lui-mme. Cest dailleurs avec cette double exigence morale de soulagement de la souffrance et de vrit dans la recherche des causes de cette souffrance que lhypothse de linconscient a t labore. 3) Lexigence de conscience La troisime fonction de lhypothse de linconscient nous rapproche plus encore de la morale. Loin denfermer lindividu dans son pass et son refoulement, il sagit de faire advenir la conscience les souvenirs traumatisants, pour ne plus en subir linfluence souterraine, et pour pouvoir disposer librement de la conscience. Non seulement lhypothse de linconscient ne veut pas servir dexcuse, mais elle a une fonction dynamique de prise de conscience. Elle permet au bout du compte une plus grande conscience, sur laquelle pourra sappuyer une vraie morale, laquelle ne sera plus passivement subie et reproduite, mais pourra tre vritablement pense et vcue. E) CONCLUSION : LES DEUX MORALES Entre la morale inconsciemment reproduite par un sujet souffrant et faisant souffrir, et celle consciemment vcue dun sujet qui connat ses dsirs et comprend ceux des autres, ainsi que leur difficile reconnaissance et expression, il y a toute la distance entre lintolrance intransigeante et la comprhension qui ne rejette pas pour autant les principes moraux. Au contraire, les seuls vrais principes, humains et applicables, sont ceux dune morale dynamique, intrieure, novatrice, comme le dit Bergson, et non dune morale fige, ptrifie, statique, impose de lextrieur ou d en haut par la force, par la peur, la terreur, ft-elle sacre. Ce sera une morale au service de lhomme et non plus lhomme au service dune morale. VII) CONCLUSION : LIMITES ET ILLUSIONS DE LA CONSCIENCE Si, grce la conscience, je sais qui je suis, je peux galement mgarer. Ltre humain nest pas si transparent lui-mme. Sans quoi linjonction connais-toi toi-mme naurait aucun sens. Comme le dit Alain lhomme est obscur lui-mme, cela se sait , nous pouvons le constater autour de nous. Et puis il peut croire agir pour le bien ou pour son bonheur et faire tout le contraire. Il arrive mme quil sache ce qui est bon pour lui et pourtant sy oppose : video meliora proboque deteriora sequor . La conscience ne serait donc pas si fiable. Loin de tout percevoir, non seulement elle se laisse tromper par apparences trompeuses, mais elle peut se tromper elle-mme. Si, un niveau lev, Descartes fait de la conscience le lieu de la certitude, Spinoza en fait le lieu de lillusion : la conscience se porte sur le prsent, est obnubile par lavenir et la satisfaction de dsirs quelle accompagne et dont elle ignore lorigine et les causes. Ne nous arrive-t-il pas parfois dinterroger les autres pour quils nous clairent sur ce que nous sommes ? Le seul problme, outre la confiance que nous plaons en eux est la fiabilit de leur jugement. ce titre les amis peuvent tre soit les meilleurs conseilleurs parce quils nous connaissent bien, soit de les pires parce quils ne veulent pas nous faire souffrir. Se connatre, ce nest pas seulement croire tre ce que lon ressent, qui est susceptible dillusion et de mauvaise foi, ni tre ce que les autres pensent de nous, cest accder son intriorit propre et sa singularit, qui fait de soi la fois un tre unique et le prochain de ceux qui sont ses semblables. Or cela nest pas si simple.
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VIII) TEXTES 1) KANT : dire je et se penser Possder le je dans sa reprsentation : ce pouvoir lve lhomme infiniment au-dessus de tous les autres tres vivants sur la terre. Par l, il est une personne ; et grce lunit de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et mme personne, cest--dire un tre entirement diffrent, par le rang et la dignit, de choses comme le sont les animaux sans raison, dont on peut disposer sa guise ; et ceci, mme lorsquil ne peut pas encore dire le je , car il la cependant dans sa pense ; ainsi toutes les langues, lorsquelles parlent la premire personne, doivent penser ce je , mme si elles ne lexpriment pas par un mot particulier. Car cette facult (de penser) est lentendement. Il faut remarquer que lenfant, qui sait dj parler assez correctement, ne commence quassez tard (peut-tre un an aprs) dire je ; avant, il parle de soi la troisime personne (Charles veut manger, marcher, etc.); et il semble que pour lui une lumire vienne de se lever quand il commence dire je ; partir de ce jour, il ne revient jamais lautre manire de parler. Auparavant il ne faisait que se sentir ; maintenant il se pense. 2) HEGEL : la double existence de la conscience humaine Les choses de la nature nexistent quimmdiatement et dune seule faon, tandis que lhomme, parce quil est esprit, a une double existence ; il existe dune part au mme titre que les choses de la nature, mais dautre part il existe aussi pour soi, il se contemple, se reprsente lui-mme, se pense et nest esprit que par cette activit qui constitue un tre pour soi. Cette conscience de soi, lhomme lacquiert de deux manires - Primo, thoriquement, parce quil doit se pencher sur lui-mme pour prendre conscience de tous les mouvements, replis et penchants du cur humain et dune faon gnrale se contempler, se reprsenter ce que la pense peut lui assigner comme essence, enfin se reconnatre exclusivement aussi bien dans ce quil tire de son propre fond que dans les donnes quil reoit de lextrieur. Deuximement, lhomme se constitue pour soi par son activit pratique, parce quil est pouss se trouver lui-mme, se reconnatre lui-mme dans ce qui lui est donn immdiatement, dans ce qui soffre lui extrieurement. Il y parvient en changeant les choses extrieures, quil marque du sceau de son intriorit et dans lesquelles il ne retrouve que ses propres dterminations. Lhomme agit ainsi, de par sa libert de sujet, pour ter au monde extrieur son caractre farouchement tranger et pour ne jouir des choses que parce quil y retrouve une forme extrieure de sa propre ralit. Ce besoin de modifier les choses extrieures est dj inscrit dans les premiers penchants de lenfant; le petit garon qui jette des pierres dans le torrent et admire les ronds qui se forment dans leau, admire en fait une uvre o il bnficie du spectacle de sa propre activit. 3) NIETZSCHE : la superficialit de la conscience La conscience n'est qu'un rseau de communications entre hommes ; c'est en cette seule qualit qu'elle a t force de se dvelopper : l'homme qui vivait solitaire, en bte de proie, aurait pu s'en passer. Si nos actions, penses, sentiments et mouvements parviennent - du moins en partie - la surface de notre conscience, c'est le rsultat d'une terrible ncessit qui a longtemps domin l'homme, le plus menac des animaux : il avait besoin de secours et de protection, il avait besoin de son semblable, il tait oblig de savoir dire ce besoin, de savoir se rendre intelligible ; et pour tout cela, en premier lieu, il fallait qu'il et une conscience , qu'il st lui-mme ce qui lui manquait, qu'il st ce qu'il sentait, qu'il st ce qu'il pensait. Car comme toute crature vivante, l'homme pense constamment, mais il l'ignore. La pense qui devient consciente ne reprsente que la partie la plus infime, disons la plus superficielle, la plus mauvaise, de tout ce qu'il pense : car il n'y a que cette pense qui s'exprime en paroles, c'est--dire en signes d'changes, ce qui rvle l'origine mme de la conscience.
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4) SARTRE : le garon de caf Considrons ce garon de caf. Il a le geste vif et appuy, un peu trop prcis. un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs dun pas un peu trop vif, il sincline avec un peu trop dempressement, sa voix, ses yeux expriment un intrt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voil qui revient, en essayant dimiter dans sa dmarche la rigueur inflexible don ne sait quel automate, tout en portant son plateau avec une sorte de tmrit de funambule, en le mettant dans un quilibre perptuellement instable et perptuellement rompu, quil rtablit perptuellement dun mouvement lger du bras et de la main. Toute sa conduite nous semble un jeu. Il sapplique enchaner ses mouvements comme sils taient des mcanismes se commandant les uns les autres, sa mimique et sa voix mme semblent des mcanismes ; il se donne la prestesse et la rapidit impitoyable des choses. Il joue, il samuse. Mais quoi donc joue-t-il ? Il ne faut pas lobserver longtemps pour sen rendre compte : il joue tre garon de caf. Il ny a rien l qui puisse nous surprendre : le jeu est une sorte de reprage et dinvestigation. Lenfant joue avec son corps pour lexplorer, pour en dresser linventaire ; le garon de caf joue avec sa condition pour la raliser. Cette obligation ne diffre pas de celle qui simpose tous les commerants : leur condition est toute de crmonie, le public rclame deux quils la ralisent comme une crmonie, il y a la danse de lpicier, du tailleur, du commissaire-priseur, par quoi ils sefforcent de persuader leur clientle quils ne sont rien autre quun picier, quun commissaire-priseur, quun tailleur. Un picier qui rve est offensant pour lacheteur, parce quil nest plus tout fait un picier. La politesse exige quil se contienne dans sa fonction dpicier, comme le soldat au garde--vous se fait chose-soldat avec un regard direct mais qui ne voit point, qui nest plus fait pour voir, puisque cest le rglement et non lintrt du moment qui dtermine le point quil doit fixer (le regard fix dix pas ). Voil bien des prcautions pour emprisonner lhomme dans ce quil est. Comme si nous vivions dans la crainte perptuelle quil ny chappe, quil ne dborde et nlude tout coup sa condition. Mais cest que, paralllement, du dedans le garon de caf ne peut tre immdiatement garon de caf, au sens o cet encrier est encrier, o le verre est verre. Ce nest point quil ne puisse former des jugements rflexifs ou des concepts sur sa condition. Il sait bien ce quelle signifie : lobligation de se lever cinq heures, de balayer le sol du dbit avant louverture des salles, de mettre le percolateur en train, etc. Il connat les droits quelle comporte : le droit au pourboire, les droits syndicaux, etc. Mais tous ces concepts, tous ces jugements renvoient au transcendant. Il sagit de possibilits abstraites, de droits et de devoirs confrs un sujet de droit . Et cest prcisment ce sujet que jai tre et que je ne suis point. Ce nest pas que je ne veuille pas ltre ni quil soit un autre. Mais plutt il ny a pas de commune mesure entre son tre et le mien. Il est une reprsentation pour les autres et pour moi-mme, cela signifie que je ne puis ltre quen reprsentation. [] Je ne suis jamais aucune de mes attitudes, aucune de mes conduites. Le beau parleur est celui qui joue parler, parce quil ne peut tre parlant : llve attentif qui veut tre attentif, lil riv sur le matre, les oreilles grandes ouvertes, spuise ce point jouer lattentif quil finit par ne plus rien couter. 5) MERLEAU-PONTY : le dialogue Dans lexprience du dialogue, il se constitue entre autrui et moi un terrain commun, ma pense et la sienne ne font quun seul tissu, mes propos et ceux de linterlocuteur sont appels par ltat de la discussion, ils sinsrent dans une opration commune dont aucun de nous nest le crateur. Il y a l un tre deux, et autrui nest plus ici un simple comportement dans le champ transcendantal, ni dailleurs moi dans le sien, nous sommes lun pour lautre collaborateurs dans une rciprocit parfaite, nos perspectives glissent lune dans lautre, nous coexistons travers un mme monde. Dans le dialogue prsent, je suis libr de moi-mme, les penses dautrui sont bien des penses siennes, ce nest pas moi qui les forme, bien que je les saisisse aussitt nes ou que je les devance, et mme, lobjection que me fait linterlocuteur marrache des penses que je ne savais pas possder, de sorte que si je lui prte des penses, il me fait penser en retour.
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6) LEIBNIZ - Les petites perceptions Nous avons toujours des objets qui frappent nos yeux ou nos oreilles, et par consquent lme en est touche aussi sans que nous y prenions garde : parce que notre attention est bande dautres objets, jusqu ce que lobjet devienne assez fort pour lattirer soi en redoublant son action ou par quelque autre raison; ctait comme un sommeil particulier lgard de cet objet-l, et ce sommeil devient gnral lorsque notre attention cesse lgard de tous les objets ensemble. [...] Toutes les impressions ont leur effet, mais tous les effets ne sont pas toujours notables ; quand je me tourne dun ct plutt que dun autre, cest bien souvent par un enchanement de petites impressions dont je ne maperois pas, et qui rendent un mouvement un peu plus malais que lautre. Toutes nos actions dlibres sont des rsultats dun concours de petites perceptions, et mme nos coutumes et passions, qui ont tant dinfluence dans nos dlibrations, en viennent ; car ces habitudes naissent peu peu, et par consquent, sans les petites perceptions, on ne viendrait pas ces dispositions notables. [ ... ] En un mot, cest une grande source derreurs de croire quil ny a aucune perception dans lme que celles dont on saperoit. Nouveaux Essais sur lentendement humain 7) SPINOZA L'illusion de la conscience Les choses humaines iraient coup sr bien plus heureusement s'il tait tout autant au pouvoir de l'homme de se taire que de parler. Or l'exprience enseigne plus que suffisamment qu'il n'est rien que les hommes aient moins en leur pouvoir que leur langue, et rien qu'ils puissent moins matriser que leurs apptits ; d'o vint qu'ils croient, pour la plupart, que nous ne faisons librement que ce quoi nous aspirons lgrement, parce que l'apptit pour ces choses peut aisment tre rduit par le souvenir d'autre chose que nous nous rappelons frquemment, et que nous ne faisons pas du tout librement ce quoi nous aspirons avec un grand affect et que le souvenir d'autre chose ne peut apaiser. Mais vrai dire, si d'exprience ils ne savaient que nous faisons plus d'une chose dont nous nous repentons ensuite, et que, souvent, quand nous sommes en proie des affects contraires, nous voyons le meilleur et nous faisons le pire, rien n'empcherait qu'ils croient que nous faisons tout librement. Ainsi le bb croit aspirer librement au lait, et l'enfant en colre vouloir la vengeance, et le peureux la fuite. L'homme ivre, ensuite, croit que c'est par un libre dcret de l'Esprit qu'il dit ce que, redevenu sobre, il voudrait avoir tu : ainsi le dlirant, la bavarde, l'enfant, et bien d'autres de cette farine, croient que c'est par un libre dcret de l'Esprit qu'ils parlent, alors pourtant qu'ils ne peuvent contenir l'impulsion qu'ils ont parler ; si bien que l'exprience elle-mme montre, non moins clairement que la raison, que les hommes se croient libres pour la seule raison qu'ils sont conscients de leurs actions, et ignorants des causes par quoi elles sont dtermines. [] Il y a autre chose que je voudrais ici noter tout particulirement, c'est qu'il n'est rien que nous puissions faire par dcret de l'Esprit moins de nous en souvenir. Par ex., nous ne pouvons pas dire un mot moins de nous en souvenir. Ensuite, il n'est pas au libre pouvoir de l'Esprit de se souvenir d'une chose ou bien de l'oublier. Et donc, ce que l'on croit tre au pouvoir de l'Esprit, c'est seulement de pouvoir par dcret de l'Esprit ou bien dire ou bien taire la chose dont nous nous souvenons. Mais, lorsque nous rvons que nous parlons, nous croyons parler par un libre dcret de l'Esprit alors que pourtant nous ne parlons pas, ou, si nous parlons, cela se fait par un mouvement spontan du Corps. Ensuite, quand il nous arrive de rver que nous cachons des choses aux hommes, c'est par le mme dcret de l'Esprit que celui par lequel, l'tat de veille, nous taisons ce que nous savons. Et enfin il nous arrive de rver que nous faisons, par dcret de l'Esprit, des choses qu'en tat de veille nous n'oserions pas faire. Et par suite je voudrais bien savoir s'il y a dans l'Esprit deux genres de dcrets, les Oniriques, et les Libres ? [...] Ceux donc qui croient qu'ils parlent, ou se taisent, ou font quoi que ce soit, par un libre dcret de l'Esprit, rvent les yeux ouverts. ETHIQUE - Troisime Partie : Proposition II Scolie (extrait)
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8) FREUD Le surmoi aLe Surmoi est une instance dcouverte par nous, la conscience, une fonction que nous lui attribuons parmi dautres, et qui consiste surveiller et juger les actes et intentions du Moi et exercer une activit de censure. Le sentiment de culpabilit (la duret du Surmoi) est donc la mme chose que la svrit de la conscience morale ; il est la perception, impartie au Moi, de la surveillance dont ce dernier est ainsi lobjet [] On ne devrait pas parler de conscience morale avant davoir constat un Surmoi ; en ce qui concerne le sentiment de culpabilit, il faut admettre quil existe avant le Surmoi, donc aussi avant la conscience morale. Il est alors lexpression immdiate de la peur devant lautorit extrieure, la reconnaissance de la tension entre le Moi et cette dernire, le driv immdiat du conflit surgissant entre le besoin de lamour de cette autorit et lurgence des satisfactions des instincts dont linhibition engendre lagressivit []. Lexpression de remords dsigne dans son ensemble la raction du Moi dans un cas donn de sentiment de culpabilit ; il inclut tout le cortge des sensations presque intactes de langoisse, son ressort cach, luvre derrire lui. Il est lui-mme une punition et peut comporter un besoin de punition ; par consquent, il peut tre lui aussi plus ancien que la conscience morale. (Malaise dans la civilisation) bLe Surmoi drive de linfluence exerce par les parents, les ducateurs, etc. En gnral, ces derniers se conforment, pour lducation des enfants, aux prescriptions de leur propre Surmoi []. Le Surmoi de lenfant ne se forme donc pas limage des parents, mais bien limage du Surmoi de ceuxci ; il semplit du mme contenu, devient le reprsentant de la tradition, de tous les jugements de valeur qui subsistent ainsi travers les gnrations. (Nouvelles confrences sur la psychanalyse) 9) FREUD Les trois matres du Moi Un adage nous dconseille de servir deux matres la fois. Pour le pauvre moi la chose est bien pire, il a servir trois matres svres et sefforce de mettre de lharmonie dans leurs exigences. Celles-ci sont toujours contradictoires et il parait souvent impossible de les concilier ; rien dtonnant ds lors ce que souvent le moi choue dans sa mission. Les trois despotes sont le monde extrieur, le surmoi et le a. Quand on observe les efforts que tente le moi pour se montrer quitable envers les trois la fois, ou plutt pour leur obir, on ne regrette plus davoir personnifi le moi, de lui avoir donn une existence propre. Il se sent comprim de trois cts, menac de trois prils diffrents auxquels il ragit, en cas de dtresse, par la production dangoisse. Tirant son origine des expriences de la perception, il est destin reprsenter les exigences du monde extrieur, mais il tient cependant rester le fidle serviteur du a, demeurer avec lui sur le pied dune bonne entente, tre considr par lui comme un objet et sattirer sa libido. En assurant le contact entre le a et la ralit, il se voit souvent contraint de revtir de rationalisations prconscientes les ordres inconscients donns par le a, dapaiser les conflits du a avec la ralit et, faisant preuve de fausset diplomatique, de paratre tenir compte de la ralit, mme quand le a demeure inflexible et intraitable. Dautre part, le surmoi svre ne le perd pas de vue et, indiffrent aux difficults opposes par le a et le monde extrieur, lui impose les rgles dtermines de son comportement. Sil vient dsobir au surmoi, il en est puni par de pnibles sentiments dinfriorit et de culpabilit. Le moi ainsi press par le a, opprim par le surmoi, repouss par la ralit, lutte pour accomplir sa tche conomique, rtablir lharmonie entre les diverses forces et influences qui agissent en et sur lui: nous comprenons ainsi pourquoi nous sommes souvent forcs de nous crier: Ah, la vie nest pas facile! . (Nouvelles confrences sur la psychanalyse)
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10) FREUD : La sexualit infantile Lenfant a, ds le dbut, une vie sexuelle trs riche, qui diffre sous plusieurs rapports de la vie sexuelle ultrieure, considre comme normale. [] Loin de souponner les diffrences sexuelles, il croit au dbut lidentit des organes sexuels; ses premiers dsirs sexuels et sa premire curiosit se portent sur les personnes qui lui sont les plus proches, lui sont les plus chres: parents, frres, surs, personnes charges de lui donner des soins; en dernier lieu se manifeste chez lui un fait quon retrouve au paroxysme des relations amoureuses, savoir. que ce nest pas seulement dans les organes gnitaux quil place la source du plaisir quil attend, mais que dautres parties du corps prtendent chez lui la mme sensibilit, fournissent des sensations de plaisir analogues et peuvent ainsi jouer le rle dorganes gnitaux. Lenfant peut donc prsenter ce que nous appellerons une perversit polymorphe , et si toutes ces tendances ne se manifestent chez lui qu ltat de traces, cela tient, dune part, leur intensit moindre, en comparaison de ce quelle est un ge plus avanc, et dautre part, ce que lducation supprime avec nergie, au fur et mesure de leur manifestation, toutes les tendances sexuelles de lenfant. [] Lenfant est considr comme pur, comme innocent, et quiconque le dcrit autrement est accus de commettre un sacrilge, de se livrer un attentat impie contre les sentiments les plus tendres et les plus sacrs de lhumanit. Les enfants sont les seuls ne pas tre dupes de ces conventions ; ils font valoir en toute navet leurs droits anormaux et montrent chaque instant que, pour eux, le chemin de la puret est encore parcourir tout entier. 11) FREUD La pubert et le dpassement du complexe d'Oedipe A cette poque, lhomme se trouve devant une grande tche qui consiste se dtacher de ses parents, et cest seulement aprs avoir accompli cette tche quil pourra cesser dtre un enfant pour devenir membre de la collectivit sociale. La tche du fils consiste dtacher de sa mre ses dsirs libidineux pour les reporter sur un objet rel tranger, se rconcilier avec son pre, sil lui a gard une certaine hostilit, ou smanciper de sa tyrannie lorsque, par raction contre sa rvolte enfantine, il est devenu son esclave soumis. Ces tches simposent tous et chacun, et leur accomplissement russit rarement dune faon idale, cest--dire avec une correction psychologique et sociale parfaite. Les nvrotiques, eux, chouent totalement ces tches. Cest en sens que le complexe ddipe peut tre considr comme le noyau des nvroses. (Introduction la psychanalyse) 12) FREUD Universalisation de l'investigation psychanalytique Ds que nous avons reconnu pour des illusions les doctrines religieuses, une nouvelle question se pose : dautres biens culturels, que nous estimons trs haut et par lesquels nous laissons dominer notre vie, ne seraient-ils pas de nature semblable ? Les principes qui rglent nos institutions politiques ne devraient-ils pas de mme tre qualifis dillusions ? Les rapports entre les sexes, au sein de notre civilisation, ne sont-ils pas troubls par une illusion rotique ou par une srie dillusions rotiques ? Notre suspicion une fois mise en veil, nous nhsiterons mme pas nous le demander : notre conviction de pouvoir dcouvrir quelque chose de la ralit extrieure en nous servant de lobservation et de la rflexion et des mthodes scientifiques a-t-elle quelque fondement ? Rien ne doit nous retenir dappliquer lobservation notre propre nature ni demployer la pense sa propre critique. Ici une srie dinvestigations soffre nous, dont le rsultat serait dcisif pour difier une conception de lunivers . Nous pressentons de plus que notre peine ne serait pas perdue et quelle nous apporterait une justification au moins partielle de ce que nous souponnons. (Lavenir dune illusion)
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