9 Textes Sur La Citoyenneté Et La Justice (ARISTOTE)

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Auteur : Laurence Hansen-Lve Discipline : Ordre gnral/Questions contemporaines Texte : Aristote Concours dentre aux Instituts dEtudes Politiques

Aristote : neuf textes sur la politique, la citoyennet et la justice


Biographie
Aristote (384322 avant J.-C.). N Stagire, en Macdoine, dans une famille de mdecins, il fut llve de Platon, puis le prcepteur du futur Alexandre le Grand, avant de fonder en 335, Athnes, sa propre cole, le Lyce. Les quarante-sept ouvrages qui nous sont parvenus de son uvre encyclopdique ont servi de rfrence centrale pour lenseignement de la philosophie jusqu la fin du Moyen-ge. Initiateur, dans lOrganon, de la logique formelle, il y analyse les rgles de la dmonstration et les figures du syllogisme. Sopposant la thorie platonicienne des Ides, il prne un ralisme attach la connaissance du sensible, dont les donnes sont organises par les catgories de la raison. Premier philosophe dmontrer lexistence de Dieu ( un premier moteur immobile ), Aristote exercera une influence durable sur la thologie chrtienne (saint Thomas). Mais il dfinit aussi une morale (thique Nicomaque) prescrivant le respect dun juste milieu, aussi loigne de la vie divine comme de la vie animale. Ce juste milieu a galement une porte politique: la vie dans la Cit est harmonieuse lorsque le pouvoir est empch de devenir tyrannique en rpondant aux attentes dune classe moyenne . Il distingue plusieurs formes de gouvernement (la monarchie, laristocratie, la rpublique), mais, contrairement Platon dans la Rpublique, il cherche moins les hirarchiser qu examiner, pour chacune, les conditions optimales de sa ralisation effective.

Texte 1
Lanimal politique
Aristote dfinit ici lhomme en tant qu animal politique . Aristote relve cette spcificit en lassociant troitement au langage, en tant quil est la source des communauts humaines. Il est vident que lhomme est un animal politique plus que nimporte quelle abeille et que nimporte quel animal grgaire. Car, comme nous le disons, la nature ne fait rien en vain ; or seul parmi les animaux lhomme a un langage. Certes la voix est le signe du douloureux et de lagrable, aussi la rencontre-t-on chez les animaux ; leur nature, en effet, est parvenue jusquau point dprouver la sensation du douloureux et de lagrable et de se les signifier mutuellement. Mais le langage existe en vue de manifester lavantageux et le nuisible, et par suite aussi le juste et linjuste. Il ny a en effet quune chose qui soit propre aux hommes par rapport aux autres animaux : le fait que seuls ils aient la perception du bien, du mal, du juste,

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de linjuste et des autres notions de ce genre. Or avoir de telles notions en commun cest ce qui fait une famille et une cit. Aristote, Les Politiques [environ 325-323 av. J.-C.], Livre I, chapitre 2, 1253 a 8 1253 a 19, trad. par P. Pellegrin, GF, 1990, p.91 -92

Texte 2
La cit
Aristote prsente ici une vision holiste de la socit : pour lui la partie (lindividu) ne peut tre dissocie du tout (la cit) dont elle procde et dont elle dpend : Une cit est par nature antrieure une famille et chacun de nous. Le tout, en effet, est ncessairement antrieur la partie, car le corps entier une fois dtruit, il ny a plus ni pied ni main, sinon par homonymie, comme quand on parle dune main de pierre, car cest aprs la mort quune main sera telle, mais toutes les choses se dfinissent par leur fonction et leur vertu, de sorte que quand elles ne les ont plus, il ne faut pas dire quelles sont les mmes, mais quelles nont que le mme nom. Que donc la cit soit la fois par nature et antrieure chacun de ses membres, cest clair. Sil est vrai, en effet, que chacun pris sparment nest pas autosuffisant, il sera dans la mme situation que les autres parties vis--vis du tout, alors que celui qui nest pas capable dappartenir une communaut ou qui nen a pas besoin parce quil se suffit lui-mme nest en rien une partie dune cit, si bien que cest soit une bte soit un dieu. Cest donc par nature quil y a chez tous les hommes la tendance vers une communaut de ce genre, mais le premier qui ltablit nen fut pas moins cause des plus grands biens. De mme, en effet, quun homme accompli est le meilleur des animaux, de mme aussi quand il a rompu avec loi et justice est-il le pire de tous. Car la plus terrible des injustices cest celle qui a des armes. Or lhomme nat pourvu darmes en vue dacqurir prudence et vertu, dont il peut se servir des fins absolument inverses. Cest pourquoi il est le plus impie et le plus froce quand il est sans vertu et il est le pire des animaux dans ses drglements sexuels et gloutons. Or la vertu de justice est politique, car la justice introduit un ordre dans la communaut politique, et la justice dmarque le juste de linjuste. Aristote, Les politiques, Livre I, chapitre 2, trad. P. Pellegrin, Garnier-Flammarion, 1990, pp.92-93.

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Texte 3
Dfinition du citoyen
Pour Aristote, le citoyen est celui qui est alternativement gouvernant et gouvern. Ceux qui ne sont pas susceptibles de prendre part aux affaires publiques ne sont pas citoyens part entire : Laissant de ct ceux qui acquirent le titre de citoyen de quelque faon exceptionnelle1, par exemple les citoyens naturaliss, nous dirons dabord que le citoyen nest pas citoyen par le seul fait dhabiter un certain territoire (puisque mtques et esclaves ont en commun avec les citoyens le droit domicile) ; ne sont pas non plus citoyens ceux qui participent aux seuls droits politiques leur permettant de jouer le rle de dfendeur ou de demandeur dans les procs (car ce droit appartient aussi aux bnficiaires de traits de commerce2, auxquels on le reconnat galement ; bien plus, en beaucoup dendroits, les mtques ne participent mme pas compltement ces avantages, puisquils sont obligs de se choisir un patron, (de sorte quils nont part que dune manire en quelque sorte incomplte cette bauche de communaut), mais ils sont citoyens la faon des enfants qui, en raison de leur ge, nont pas encore t inscrits3, ou des vieillards qui ont t dchargs de leurs devoirs civiques4, et dont on doit dire quils sont des citoyens en un certain sens seulement : ce ne sont pas des citoyens au sens tout fait complet du terme, mais on spcifiera que les premiers sont des citoyens encore imparfaits et les seconds des citoyens ayant pass lge de la maturit, ou quelque autre dsignation analogue (peu importe laquelle, ce que nous disons l tant suffisamment clair). Nous cherchons, en effet, dfinir le citoyen au sens plein, qui ne donne prise aucune disqualification du genre que nous venons de voir, ncessitant laddition dun terme rectificatif : car des difficults de mme ordre peuvent aussi tre souleves et rsolues de la mme faon au sujet des citoyens frapps danimie5 ou de peines dexils. Un citoyen au sens absolu ne se dfinit par aucun autre caractre plus adquat que par la participation aux fonctions judiciaires et aux fonctions publiques en gnral. Or, parmi les fonctions publiques, les unes sont discontinues sous le rapport du temps, de sorte que certaines ne peuvent absolument pas tre remplies deux fois par le mme titulaire, et que dautres ne peuvent ltre quaprs certains intervalles de temps dtermins ; dautres, au contraire, peuvent tre remplies sans limitation de dure : par exemple celles de juge ou de membre de lAssemble. On pourrait peut-tre objecter que juges et membres de lAssemble ne sont nullement des magistrats, et que leurs fonctions ne les font pas participer au gouvernement : cependant il est ridicule de refuser le titre de magistrat ceux qui dtiennent lautorit suprme ! Mais ninsistons pas sur la diffrence allgue, car cest une pure question dappellation, du fait quil nexiste pour un juge et un membre de lAssemble aucun terme commun quon puisse appliquer lun et lautre. Dsignons donc, pour marquer la diffrence, ces deux fonctions du nom global de fonction dure indfinie. Ds lors, nous pouvons poser que sont des

Et non pas sur le mode ordinaire de la naissance Quand deux tats passent un trait destin rgler et faciliter les changes ainsi qu tablir la procdure suivre dans les affaires commerciales. 3 Inscrits sur le registre de la phratrie, et plus tard leur majorit sur le registre du dme. 4 Lassistance lAssemble et le service militaire. 5 Lanimie est la dgradation totale ou partielle pour certains critres ou certaines fautes graves. Elle saccompagne parfois de la confiscation des biens
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citoyens ceux qui participent aux fonctions publiques de la faon que nous venons dindiquer. Telle est donc peu prs la dfinition de citoyen, susceptible de sajuster avec le plus dexactitude tous ceux quon dsigne du nom de citoyens. [...] Le citoyen, de toute ncessit, diffre suivant chaque forme de constitution, et telle est la raison pour laquelle la dfinition du citoyen que nous avons donne est surtout celle de citoyen dans une dmocratie. Au citoyen dautres rgimes elle est susceptible assurment de sappliquer, mais pas forcment. En effet, dans certaines cits, le peuple nest rien. On ny tient pas dAssemble rgulire, mais seulement des Conseils spcialement convoqus, et dautre part, les procs y sont jugs par sections : par exemple, Lacdmone, les phores jugent les procs ns de contrats, lun prenant telle affaire et lautre telle autre, tandis que les grontes connaissent des affaires de meurtre, et quelque autre autorit, sans doute, dautres causes encore. La mme faon doprer est suivie aussi Carthage, o certains magistrats sont juges de tous les procs. - Mais notre dfinition du citoyen peut supporter une rectification. Dans les autres constitutions1, en effet, ce nest pas le magistrat dure indfinie qui est membre de lAssemble et juge, mais bien le magistrat spcialis dans sa fonction ; et cest tous ces magistrats spcialiss, ou seulement certains dentre eux, quest remis le droit de dlibrer et de juger, soit en toutes matires, soit en des matires dtermines. La nature du citoyen rsulte ainsi clairement de ces prcisions. Lhomme, en effet, qui a la possibilit daccder au Conseil ou aux fonctions judiciaires dans un tat, nous disons ds lors quil est un citoyen de cet tat ; et nous appelons tat la collectivit des citoyens ayant la jouissance de ce droit, et en nombre suffisant pour assurer la cit, si lon peut dire, une pleine indpendance. Aristote, Politiques, Livre III, Chapitre 1, traduction Tricot L 111, ch. 1.

Texte 4
A qui donner le pouvoir souverain ?
Toutes les rponses cette question prsentent un ou plusieurs inconvnients. On retiendra de ce texte que la rgle de la majorit repose sur la force (les plus nombreux sont les plus forts) et non sur le droit. Elle nest donc pas satisfaisante : Chapitre X Mais il y a une difficult : quest-ce que doit tre en effet le pouvoir souverain le la cit ? En effet, cest sans doute soit la masse, soit les riches, soit les honntes gens, soit un seul, le meilleur de tous, soit un tyran. Mais toutes ces hypothses semblent comporter un inconvnient. Lequel donc ? Si les pauvres, du fait quils sont majoritaires, se partagent les biens des riches, nest-ce pas injuste ? Non, par Zeus, puisque cela a sembl juste lautorit souveraine. Mais alors que faudra-t-il appeler le comble de linjustice, sinon cela ? Dautre part, si on prend tous les citoyens et que la majorit se partage les biens de la minorit, il est manifeste quils dtruisent la cit. Mais enfin ce nest pas lexcellence qui va dtruire ce qui la possde, et le juste nest tout de mme pas facteur de destruction dune cit ! Il est par
Par exemple, pour le premier cas, Sparte le commandement de la flotte ne pouvait pas tre exerc deux fois par le mme. Pour le second cas, Thurium, il fallait un intervalle de six ans pour le remplir nouveau.
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consquent vident quune telle loi nest pas susceptible dtre juste. Autrement les actions accomplies par le tyran seraient justes elles aussi, car il emploie la violence parce quil est le plus fort, tout comme la masse lgard des riches. Mais alors est-il juste que ce soit la minorit des riches qui gouverne ? Mais si ceux-ci font la mme chose que les autres, cest--dire spolient la masse en la dpouillant de ses biens, estce que cela est juste. Si oui, alors lautre cas le sera aussi. Que donc toutes ces situations soient mauvaises et injustes, cest manifeste. Mais alors faut-il que ce soient les honntes gens qui aient en tout le pouvoir souverain ? Dans ce cas tous les autres seront ncessairement privs dhonneurs publics. Mais vaut-il mieux que ce soit un seul individu, le plus vertueux, qui gouverne ? Mais cest encore plus oligarchique : les gens exclus des honneurs publics seront encore plus nombreux. Il pourrait sembler que, dune manire gnrale, donner la souverainet un homme et non la loi est mauvais, puisque lme de cet homme peut tre sujette aux passions. Mais si on la donne la loi, que celle-ci soit oligarchique ou dmocratique, quelle diffrence cela fera-t-il eu gard aux difficults qui nous occupent ? Il arrivera la mme chose que nous avons dit plus haut. Les politiques, III, 10, 1281-a, Traduction Pellegrin, Coll. G.F. Flammarion , pp.238-239

Texte 5
A qui donner le pouvoir souverain ? (suite) (lanalogie de la flte)
La justice implique le discernement : on ne donne pas une flte aux gens les mieux ns, mais aux meilleurs musiciens. De mme, dans une cit, on doit honorer les hommes qui le mritent : Chapitre XII Peut-tre en effet, pourrait-il sembler quil faudrait partager ingalement les magistratures selon la supriorit des citoyens concernant un bien quelconque ; dans tous les autres domaines ils ne se diffrenciaient en rien et se trouvaient tre gaux. Car des gens diffrents il est juste et mrit quil revienne quelque chose de diffrent. Mais, dautre part, si cela est vrai, il arrivera que la carnation, la taille ou quelque autre bien de ce genre donnera ceux qui les possdent un plus haut degr davantage de droits politiques. Lerreur ne saute-telle pas aux yeux? Elle est manifeste concernant les autres sciences et facults, car parmi les fltistes gaux dans leur art il ne faut pas donner lavantage en matire de fltes aux gens de meilleure naissance, car ils ne jouent pas mieux de la flte, mais cest celui qui est suprieur dans laccomplissement de sa tche quil faut donner la supriorit touchant les instruments. [] Par suite il est raisonnable que les gens bien ns, les hommes libres, les riches fassent valoir leurs droits aux honneurs publics. Car il faut quil y ait dans la cit des gens libres et des gens imposables : une cit ne peut pas plus ntre compose que dindigents quelle ne peut dtre desclaves. Mais si ces qualits-l sont indispensables, il est clair que la justice et la valeur guerrire le sont aussi. Car il est impossible dadministrer une cit sans elles, cela prs que

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sans les premires il est impossible quune cit existe, sans les secondes il est impossible quelle soit bien administre. Aristote, Les politiques, III, 12, 1282-a, Traduction Pellegrin, Coll. G.F. Flammarion , p.247

Texte 6
Six types de rgimes
Il existe, pour Aristote, six types de rgimes. Trois rgimes visent lintrt commun (monarchie, aristocratie, rpublique ou gouvernement constitutionnel) ; trois autres (tyrannie, oligarchie, dmocratie) sont des dviations ou des dgnrescences des premiers : Puisque constitution et gouvernement signifient la mme chose, et quun gouvernement cest ce qui est souverain dans les cits, il est ncessaire que soit souverain soit un seul individu, soit un petit nombre, soit un grand nombre de gens. Quand cet individu, ce petit ou ce grand nombre gouvernent en vue de lavantage commun, ncessairement ces constitutions sont droites, mai quand cest en vue de lavantage propre de cet individu, de ce petit ou de ce grand nombre, ce sont des dviations. Car ou bien il ne faut pas appeler citoyens ceux qui participent la vie de la cit, ou bien il faut quils en partagent les avantages. Nous appelons dordinaire royaut celle des monarchies qui a en vue lavantage commun ; parmi les constitutions donnant le pouvoir un nombre de gens petit mais suprieur un, nous en appelons une laristocratie soit parce que les meilleurs y ont le pouvoir, soit parce quon y gouverne pour le plus grand bien de la cit et de ceux qui en sont membres. Quand cest la multitude qui dtient le gouvernement en vue de lavantage commun, la constitution est appele du nom commun toutes les constitutions, un gouvernement constitutionnel. Et cest rationnel, car il peut arriver quun seul individu ou quun petit nombre se distingue par sa vertu, alors quil est vraiment difficile quun grand nombre de gens possdent une vertu dans tous les domaines, avec comme exception principale la vertu guerrire : elle nat en effet dans la masse. Cest pourquoi dans cette dernire sorte de constitution cest la classe guerrire qui est absolument souveraine et ce sont ceux qui dtiennent les armes qui participent au pouvoir. Les dviations des constitutions quon a indiques sont : la tyrannie pour la royaut, loligarchie pour laristocratie, la dmocratie pour le gouvernement constitutionnel. Car la tyrannie est une monarchie qui vise lavantage du monarque, loligarchie celui des gens aiss, la dmocratie vise lavantage des gens modestes. Aucune de ces formes ne vise lavantage commun. Aristote (325-323 av. J.-C.), Livre III, chap. 7, 1279 a 25, trad. P. Pellerin, coll. GF , d. Flammarion, 1990, pp.229-230

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Texte 7
Droit naturel et droit positif
Aristote distingue la justice naturelle, qui vaut par elle-mme indpendamment des opinions humaines, et la justice selon la loi tablie par les hommes ; il sefforce de montrer que la premire est compatible, jusqu un certain point, avec la variabilit des lois humaines. La justice politique elle-mme est de deux espces, lune naturelle lautre lgale. Est naturelle celle qui a partout la mme force et ne dpend pas de telle ou telle opinion ; lgale, celle qui lorigine peut tre indiffremment ceci ou cela, mais qui une fois tablie, simpose : par exemple, que la ranon dun prisonnier est dune mine, ou quon sacrifie une chvre et non deux moutons, et en outre toutes les dispositions lgislatives portant sur des cas particuliers, comme par exemple le sacrifice en lhonneur de Brasidas1 et les prescriptions prises sous forme de dcrets. Certains sont davis que toutes les prescriptions juridiques appartiennent cette dernire catgorie, parce que, disent-ils, ce qui est naturel est immuable et a partout la mme force (comme cest le cas pour le feu, qui brle galement ici et en Perse), tandis que le droit est visiblement sujet variations. Mais dire que le droit est essentiellement variable nest pas exact dune faon absolue, mais seulement en un sens dtermin. Certes, chez les dieux, pareille assertion nest peut-tre pas vraie du tout ; dans notre monde, du moins, bien quil existe aussi une certaine justice naturelle, tout dans ce domaine est cependant passible de changement ; nanmoins on peut distinguer ce qui est naturel et ce qui nest pas naturel. Et parmi les choses qui ont la possibilit d tre autrement quelles ne sont, il est facile de voir quelles choses sont naturelles et quelles sont celles qui ne le sont pas mais reposent sur la loi et la convention, tout en tant les unes et les autres pareillement sujettes au changement. Et dans les autres domaines, la mme distinction sappliquera : par exemple, bien que par nature la main droite soit suprieure la main gauche, il est cependant toujours possible de se rendre ambidextre. Et parmi les rgles de droit, celles qui dpendent de la convention et de lutilit sont semblables aux units de mesure : en effet, les mesures de capacit pour le vin et le bl ne sont pas partout gales, mais sont plus grandes l o on achte, et plus petites l o lon vend. Pareillement les rgles de droit qui ne sont pas fondes sur la nature, mais sur la volont de lhomme, ne sont pas partout les mmes, puisque la forme du gouvernement elle-mme ne lest pas, alors que cependant il ny a quune seule forme de gouvernement qui soit partout naturellement la meilleure. Aristote, thique Nicomaque (384-322 av. J.-C.), 1134 b 18 1135 a 5, trad. par J. Tricot, Librairie philosophique J. Vrin, 1983, pp.250 -252

Texte 8
Justice distributive et justice corrective
Aprs avoir distingu la justice gnrale, qui consiste dans la conformit la loi et dans lgalit, et la justice particulire, Aristote distingue deux espces de cette dernire, auxquelles

Brasidas tait un gnral spartiate qui joua un rle durant la guerre du Ploponnse

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correspondent deux formes diffrentes dgalit, lgalit arithmtique et lgalit gomtrique ou proportionnelle. De la justice particulire et du juste qui y correspond, une premire espce est celle qui intervient dans la distribution des honneurs, ou des richesses, ou des autres avantages qui se rpartissent entre les membres de la communaut politique (car dans ces avantages il est possible que lun des membres ait une part ou ingale ou gale celle dun autre), et une seconde espce est celle qui ralise la rectitude dans les transactions prives. Cette justice corrective comprend elle-mme deux parties : les transactions prives, en effet, sont les unes volontaires, les autres involontaires ; sont volontaires les actes tels quune vente, un achat, un prt de consommation, une caution, un prt usage, une location (ces actes sont dits volontaires parce que le fait qui est lorigine de ces transactions est volontaire) ; des actes involontaires, leur tour, les uns sont clandestins, tels que vol, adultre, empoisonnement, prostitution, corruption desclave, assassinat par ruse, faux tmoignage ; les autres sont violents, tels que voies de fait, squestration, meurtre, vol main arme, mutilation, diffamation, outrage . Aristote, thique Nicomaque (384-322 av. J.-C.), 1130 b 30 1131 a 9, trad. par J. Tricot, Librairie philosophique J. Vrin 1883, pp.224-226

Texte 9
La juste mesure
La justice implique lapprciation rflchie de ce qui est convenable, tandis que linjustice est toujours un excs ou dfaut : La justice est une disposition daprs laquelle lhomme juste se dfinit celui qui est apte accomplir, par choix dlibr, ce qui est juste, celui qui, dans une rpartition effectuer soit entre lui-mme et un autre, soit entre deux autres personnes, nest pas homme sattribuer lui-mme, dans le bien dsir, une part trop forte et son voisin une part trop faible (ou linverse, sil sagit dun dommage partager), mais donne chacun la part proportionnellement gale qui lui revient, et qui agit de la mme faon quand la rpartition se fait entre des tiers. Linjustice, en sens oppos, a pareillement rapport ce qui est injuste, et qui consiste dans un excs ou un dfaut disproportionn de ce qui est avantageux ou dommageable. Cest pourquoi linjustice est un excs et un dfaut en ce sens quelle est gnratrice dexcs et de dfaut : quand on est soi-mme partie la distribution1, elle aboutit un excs de ce qui est avantageux en soi et un dfaut de ce qui est dommageable ; sagit-il dune distribution entre des tiers, le rsultat dans son ensemble est bien le mme que dans le cas prcdent, mais la proportion peut tre dpasse indiffremment dans un sens ou dans lautre. Et lacte injuste a deux faces : du ct du trop peu, il y a injustice subie, et ct du trop, injustice commise . Aristote, thique Nicomaque (384-322 av. J.-C.), 1134 a 1 1134 a 14, trad. par J. Tricot, Librairie philosophique J. Vrin, 1883, pp.246-247

Quand on fait soi-mme partie de ceux pour lesquels il y a distribution.

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