Travail en Arts Plastiques Philip/sigwalt 1
Travail en Arts Plastiques Philip/sigwalt 1
Travail en Arts Plastiques Philip/sigwalt 1
Patricia Sigwalt
Professeur d’arts plastiques à l’INS HEA
Résumé : Ce texte présente le déroulement d’une dizaine de séances d’arts plastiques à domicile,
avec un adolescent présentant un autisme sévère. Le lecteur peut suivre pas à pas ce travail
passionnant qui correspond aussi à une aventure « en pays autiste » (comme dirait J. Constant)
où ce professeur d’arts plastiques tente d’apprivoiser cet élève déroutant pour l’engager
progressivement dans cette activité. Il s’agit donc d’une recherche-action où cette pédagogue, à
tâtons, et par rectifications successives, adapte ses stratégies et ses contenus pour les mettre
à la portée de cet élève. Mais elle ne se contente pas de décrire ce qu’elle a mis en œuvre,
elle nous livre en même temps ses observations. Il s’agit en effet d’analyser de ce qui s’est
passé dans l’après-coup des séances, et de pratiquer ainsi ce qu’on appelle une évaluation
formative. Ce texte correspond donc à une analyse de pratique professionnelle.
Mots-clés : Adaptation pédagogique - Adolescent - Arts plastiques - Autisme - Imitation - Travail à domi-
cile.
R
aphaël est un adolescent de quatorze ans qui n’est plus scolarisé depuis
quatre ans. C’est un garçon qui ne parle pas, ou plutôt qui ne se sert pas de
la parole pour communiquer dans le sens où on l’entend habituellement, car
à vrai dire, il n’est jamais silencieux : il émet des bribes de phrases tirées de dessins
animés, d’émissions télévisuelles, psalmodie des mots français ou anglais, le tout
accompagné d’onomatopées variées.
J’ai travaillé avec Raphaël sur une période de trois mois à raison d’une séance à
durée variable tous les mercredis après-midi. L’adolescent avait été prévenu de ma
visite par sa mère et sur un mur du couloir de l’entrée de la maison, une étiquette
avec mon nom dessus fut ajoutée à la liste des activités prévues pour lui ce jour-là.
La première séance fut avant tout une séance d’observation. Nous nous sommes
installés côte à côte à la table que nous avait préparée sa mère. Celle-ci était
présente pour encourager son fils et pour le rappeler à l’ordre. C’est pourquoi elle
avait jugé bon d’ôter des mains de Raphaël, en le mettant de côté pour plus tard,
le sac qui contient la collection de nains (Atchoum, Prof, Simplet…) dont il répugne
à se séparer.
1. J. Mission A. Berthoz, C. André, B. Rogé, L’autisme, De la recherche à la pratique, Éditions Odile Jacob,
2005.
2. L’autisme, De la recherche à la pratique, Éditions Odile Jacob, 2005.
n° 1 n° 2
Le dessin n° 1 est celui que j’ai proposé à Raphaël. L’exécution au crayon ne lui
a pas posé de problème bien qu’il ne soit pas tout à fait identique (voir n° 2) ; en
revanche impossible de l’amener à colorier les feuilles en orange avec un cerne
vert autour. Les deux feuilles vertes de l’image n° 1 sont dues à l’intervention de
Raphaël que j’ai sollicité pour œuvrer sur mon travail en faisant l’hypothèse qu’il
se plierait plus volontiers à la consigne sur un travail autre que le sien. On voit que
cela n’a pas été le cas !
L’image n° 2 n’est pas achevée. Raphaël a commencé à colorier l’intérieur des feuilles
en vert et lorsque je suis intervenue sur son travail en posant en un endroit un cerne
orange il a commencé à manifester les signes d’une grande contrariété.
La séance suivante je n’avais pas abandonné l’idée d’utiliser le même motif (le
rameau de laurier), décidant de tenter cette fois d’amener Raphaël à le reproduire
en peinture. Cependant n’excluant pas la possibilité que celui-ci soit complètement
réfractaire à ce médium, j’envisageais en cas d’impossibilité avérée, de continuer
la séance avec des feutres à pointe large. Je préparais donc devant lui des mélan-
ges dans des gobelets et lui montrais comment enduire le pinceau de peinture.
Autrement dit, je mis l’outil dans la main de Raphaël et tournais avec lui la matière
dans le récipient. À ce moment, il se passa quelque chose d’inattendu : Raphaël fut
complètement pris par le geste qui consiste à fluidifier la gouache. Il n’y eut plus
moyen de l’arrêter. Je le laissai faire un bon moment. Il poussait des cris et riait aux
éclats. Tous les tubes de couleur allaient y passer si nous ne prenions pas les choses
en main sa mère et moi. Finalement Raphaël consentit à imiter ce que je faisais. Il
le fit avec une relative aisance, sa matière était fluide. Il trempait son pinceau quand
il le fallait dans la peinture. Je peignais par étapes, autrement dit j’attendais qu’il ait
fini de reproduire le motif proposé pour passer au suivant : une branche, une autre
plus fine, une feuille, une autre feuille etc. Mais bientôt voici que l’adolescent se
mit à me devancer. Je constatais qu’il se référait au travail précédent. Il semblait
avoir compris qu’il s’agissait de la même représentation, si bien que c’est lui qui prit
l’initiative de cesser de peindre lorsqu’il estima que le rameau était bien là, reproduit
dans son entier sur le papier, avec toutes ses feuilles, pas une de plus, pas une de
moins. On le voit, bien que très parasité, l’adolescent est capable d’imiter, mais
aussi de se servir de sa mémoire pour anticiper.
Raphaël ayant bien travaillé, je le laissai donc un moment en compagnie des sept
nains. Pendant ce temps, sa mère et moi prenions un café dans la cuisine. Lorsque
je revins auprès de lui pour lui dire au revoir, je le retrouvais torse nu. Il avait vidé
tous les tubes de gouache dans un grand pot et il tournait, tournait frénétiquement
son pinceau dans la peinture.
Mon objectif pour la troisième séance était de partir du connu (le rameau de laurier)
pour y introduire de la nouveauté. Je proposais à Raphaël un motif simplifié : moins
de feuilles mais plus grandes, représentées sans contour, directement par des taches
(vert clair pour quelques unes et vert foncé pour d’autres). Au fur et à mesure que
je peignais, j’ajoutais des points de couleur pour signifier des fleurs. Pour finir, je
coloriais le fond. Pour récapituler les nouveautés étaient les suivantes :
1. Simplifier une représentation connue.
2. Représenter des feuilles sans passer par un contour préalable.
3. Utiliser deux sortes de vert ainsi que du rouge.
Nous continuons la peinture la séance suivante. Sa mère m’ayant dit que dans sa
période dessin qui date de quelques années, il aimait reproduire des locomotives,
des personnages de bandes dessinées ainsi que des figures géométriques et que de
plus, il aimait écrire des mots et des chiffres, je décide d’utiliser ces informations. Je
n° 1 n° 2
Le trait dans l’image n° 1 est bien maîtrisé, l’exécution est fluide ; l’ensemble évoque
une nature morte constituée d’éléments bien délimités.
Le travail n° 2 a été peint très rapidement, il manque des éléments. Une première
ligne continue au centre forme une sorte de tête de grenouille laquelle est circonscrite
par une deuxième ligne bleue tracée d’un seul jet.
n° 1 n° 2
Il me semble que si Raphaël n’a pas écrit le mot ciel sur son image, c’est tout
bonnement qu’il n’avait pas la place de le faire !
Septième séance : Raphaël aime les cibles et les chiffres. Nombreux sont les peintres
qui ont utilisé des objets banals pour en faire le sujet principal de leur peinture. Toute
l’œuvre d’Opalka n’est faite que d’une série de chiffres qui ne cessera qu’à la mort
de l’artiste… Pour travailler avec Raphaël, il me vient immédiatement à l’esprit de
prendre pour référence le peintre américain Jasper Johns.
Mon objectif pour la séance d’aujourd’hui est d’amener Raphaël non pas à reproduire
une image en même temps que moi, ce qui suppose une formalisation progressive
qui ne permet pas à l’adolescent d’anticiper le résultat, mais à lui proposer une
image toute faite ; autrement dit de baser la séance davantage sur l’observation
d’une chose à faire, plutôt que sur l’imitation de quelqu’un en train de faire la chose.
Ne me voyant pas faire avec lui va-t-il obéir à la contrainte ?
Pour les quatre dernières séances nous avons eu recours à diverses techniques
en utilisant exclusivement des chiffres comme motifs, certains travaillés sur des
rectangles de 8 cm x 10 cm, d’autres sur des surfaces plus réduites. Un chiffre par
surface, de 1 à 9.
Le six et le trois ont été peints à la peinture acrylique au moyen d’une spatule
(d’abord le fond et ensuite la forme).
Pour la troisième séance comportant toujours des chiffres comme motifs, j’ai
proposé un nouveau procédé qui consiste à faire ressortir par grattage la couleur
de la première couche (en crayonnant au pastel gras deux couches différentes clair
d’abord, foncée ensuite). À ce stade du travail, on peut constater que l’on a utilisé
plusieurs procédés, plusieurs couleurs, ainsi que différentes dimensions.
Compositions de chiffres : 63,135, et puis 144, 605… 2 489… Raphaël je le rappelle,
parle très peu et rarement pour communiquer avec autrui, j’ai donc été très surprise
de constater qu’il était capable d’énoncer toutes les combinaisons chiffrées que
je lui proposai.
Nous avons travaillé par étapes, par morceaux. L’objectif pour la séance suivante
était de réunir les morceaux pour constituer une composition.
En fin de séance j’ai écrit mon prénom en grattant la peinture préalablement
étalée sur un rectangle de papier Canson en disant à Raphaël : « écris ton nom
maintenant ! ». Ce qu’il fit sans difficulté avec comme on peut le constater une
écriture très harmonieuse.
Pour terminer, j’ai présenté à Raphaël le grand panneau sur lequel seraient collés
tous les chiffres qu’il avait peints. Sous ses yeux, au moyen d’un pinceau plat, j’ai
Le rameau reproduit
directement
à la gouache
sans dessin préalable.
Raphaël : chiffre,
différentes techniques.