L'idéologie Du Développement
L'idéologie Du Développement
L'idéologie Du Développement
DÉVELOPPEMENT
Pire : le plus souvent, tout projet dans un pays du Sud* sera qualifié de contribution
au développement. Qualifié, ou justifié ainsi ? Quand l’étendard du développement
est brandi, on est prié de se taire. Par sa force d’évocation positive, ce mot suscite
l’adhésion. Face aux critiques, certains pensent que le développement doit être
amélioré, rendu durable, humain voire éthique. Mais pour la majorité des
occidentaux, il est une incarnation du Bien, une nécessité, la passerelle vers un
monde meilleur, aussi bien pour nous que pour les pays dits sous-développés.
Fructueuse lecture.
PLAN
* Pays du Sud rassemble les expressions pays du Tiers-Monde, pays sous-développés, ou encore pays en voie de
développement. Bien qu'elle simplifie le clivage '' hémisphère Nord industrialisé/hémisphère Sud pauvre '' et gomme la
grande hétérogénéité de tous ces pays, et bien qu'il nous arrivera de désigner aussi les pays de l'Est par cette
expression, nous l’utiliserons par souci de commodité.
** Notre exposé s'inspire des travaux de René Dumont, Ivan Illich, François Partant, Serge Latouche, Gilbert Rist, Eric
Toussaint, Cornélius Castoriadis, Vandana Shiva, François-Xavier Verschave (pour ne citer qu’eux).
2
Préambule : la naissance du développement
Il y a un peu plus de cinquante ans est née [...] une espérance aussi grande pour
les nouveaux ''damnés de la terre'', les peuples du tiers-monde, que le socialisme
l'avait été pour les prolétariats des pays occidentaux. Une espérance peut-être plus
suspecte dans ses origines et ses fondements, puisque les Blancs en avaient
apporté avec eux les graines et qu'ils les avaient semées avant de quitter les pays
qu'ils avaient pourtant durement colonisés. Cette espérance, c'était le
développement. Mais enfin, les responsables, dirigeants, élites des pays
nouvellement indépendants présentaient à leur peuple le développement comme la
solution de tous leurs problèmes.
Serge Latouche
Survivre au développement, éd Mille et une nuits, 2004
Les pays occidentaux sont développés, les autres pays sont sous-développés.
Les causes du sous-développement sont internes aux pays du Sud ; ces derniers
souffrent d'un manque de progrès techniques et économiques.
L'Occident doit diffuser ces progrès pour développer les pays du Sud.
Cette mission se veut humaniste : il s'agit de « supprimer la souffrance des
populations », « éradiquer les maladies », etc.
« Ainsi naquit brusquement ce concept charnière [...] qui engloutit l'infinie diversité
des modes de vie de l'hémisphère Sud dans une seule et même catégorie : sous-
développée. Du même coup et pour la première fois, sur les scènes politiques
importantes, surgissait une nouvelle conception du monde selon laquelle tous les
peuples de la terre doivent suivre la même voie et aspirer à un but unique : le
développement. Aux yeux du Président, le chemin était tout tracé : ''Une plus grosse
production est la clé de la prospérité et de la paix.'' [...] Dans cette perspective, les
nations se classent comme les coureurs : celles qui traînent à l'arrière, et celles qui
mènent la course. Et ''les États-Unis se distinguent parmi les nations par le
développement des techniques industrielles et scientifiques''. »**
* Nous verrons dans la suite de cet exposé combien la réalité de cette « décolonisation » est fortement contestée.
** Wolfgang Sachs, Des ruines du développement (voir bibliographie).
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Les pays industrialisés vont peu à peu créer des institutions visant à appliquer des
projets de développement : ministères spécialisés*, Programme des Nations Unies
pour le Développement, Banque Mondiale, Fonds Européen de Développement,
ONG, etc. Aujourd’hui, l’ensemble des pays de l’OCDE** consacre officiellement près
de 60 milliards de dollars par an au titre de l’aide publique au développement.
Au niveau économique
A partir des années 70, devant l’explosion des chiffres de la pauvreté, les priorités
affichées sont, avant tout, la satisfaction des besoins de base et la lutte contre la
misère. Le postulat de la croissance capitaliste reste toutefois inchangé. Il est de
plus en plus associé à la libéralisation des marchés. Par exemple, l'OCDE affirme
qu'un « élément essentiel pour le développement [est] une libéralisation plus poussée
des échanges multilatéraux, se traduisant à la fois par une baisse des droits de
douane et par des échanges plus faciles » car cela « entraînerait en une année des
gains de bien-être importants à l'échelle mondiale. »****
extrait de la page
d’accueil du site
de la Banque Mondiale,
janvier 2004
* En France, le ministère de la Coopération fut créé en 1959. Il était l' héritier du ministère des Colonies, puis de l'Outre-
mer. Depuis 1998, il est rattaché au ministère des Affaires étrangères.
** L'Organisation de Coopération et de Développement Economique rassemble 29 pays parmi les plus industrialisés de la
planète, tous « attachés à la démocratie et l’économie de marché » (voir site www.oecd.org).
*** expression notamment utilisée par la Banque Mondiale (www.banquemondiale.org).
**** L'Organisation des Nations Unies rejoint ce projet. Ses « Objectifs du Millénaire pour le Développement » (objectifs pour
2015) sont à la fois de « réduire l'extrême pauvreté et la faim », « assurer l'éducation primaire pour tous », « réduire la
mortalité infantile », « assurer un environnement durable » mais également « mettre en place un système commercial et
financier multilatéral ouvert » (traduisez : faciliter l'accès aux marchés par la libéralisation).
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Au niveau social
Au niveau environnemental
Nous pourrions multiplier les exemples de définitions. Retenons que les « idées
mères » qui semblent se dégager de la majorité des définitions officielles sont :
* C'est ainsi qu'en 1990, le PNUD a créé l'Indice de Développement Humain (IDH), indicateur basé sur l'accès à la santé,
l'éducation, l'emploi, etc.
** Commission qui rassemble des chefs d'États de pays du Sud.
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I Un concept flou
Après cinquante ans de politiques menées au nom de ce pari, dans quelle situation
se trouvent les populations des pays du Sud ?
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1. L'accroissement des inégalités mondiales*
La faim dans le monde est en constante augmentation. Par exemple, entre les
périodes 1995-1997 et 1999-2001, le nombre de personnes souffrant de la faim
dans les pays dits en développement aurait augmenté de 18 millions. Au total,
plus de 800 millions de personnes souffriraient de la faim.
Nous pourrions allonger cette liste déjà significative. La plupart des organismes
internationaux font état d'un creusement des inégalités mondiales, non seulement
entre pays du Nord et du Sud, mais également à l'intérieur de chaque pays.
* Ces données sont extraites de rapports du PNUD, de la Banque Mondiale, du FMI ou encore de l’OCDE. Elles sont pour
la plupart disponibles sur le site de L'observatoire des inégalités (www.inegalites.org).
** De nos jours, 2,8 milliards d’humains vivraient avec moins de 2 dollars par jour. Parallèlement, en 1998, la fortune des
225 personnes les plus riches de la planète était estimée comme équivalent le revenu annuel total des 2,5 milliards
d’humains les plus pauvres, soit environ 1000 milliards de dollars.
*** De plus, le virus du sida s'étend : 22 millions d’humains en seraient morts en 2000, plus de 40 millions seraient infectés
par ce virus (dont 75% en Afrique subsaharienne. Au Zimbabwe ; l’espérance de vie passerait ainsi de 53 ans en 2000 à
27 ans en 2005).
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En effet, l'accroissement des inégalités touche également les populations des pays
riches. L'exemple des États-Unis est particulièrement révélateur. En 2003, les 5%
des ménages américains les plus riches disposaient de 21,4% du revenu national
contre 16,6% en 1973. Parallèlement, les 40% les plus pauvres sont passés de 14,7
à 12,1% du revenu national. Dans les pays occidentaux, les inégalités ont
commencé à s’accroître dès le milieu des années 70. Jusque-là, ces pays vivaient
une période de très forte croissance économique (appelée ''les trente glorieuses''). Si
l'on met de côté les dégâts sur l'environnement, la richesse créée se diffusait plus
ou moins parmi toute la population, ce qui renforçait le caractère séduisant des
théories du développement.
Au final, nous constatons que les inégalités se développent au sein de tous les pays
du monde ; la richesse se concentre aux mains d'une classe aisée de plus en plus
restreinte. « Les uns se ''développent'', tandis que les autres sont exclus. Et tandis
que la fracture principale passait jusqu'ici entre le Nord et le Sud, elle s'installe de
plus en plus à l'intérieur de chaque État-nation, ce qui contribue à rendre toujours
moins pertinent l'usage du vocabulaire convenu (pays riches, pays pauvres, Nord,
Sud, sociétés industrielles, Tiers Monde). »* Les objectifs officiels du développement
ne sont pas atteints et semblent produire l'inverse de ce qu'ils promettent.
Le doute est d'autant plus grand si l'on examine l'atmosphère sociale des sociétés
occidentales dites économiquement prospères. Taux de suicide élevé*, forte
consommation d’antidépresseurs, individualisme**, stress, travail aliénant ou
précaire, chômage, racisme, familles éclatées, mendicité, criminalité importante,
corruption, mafia… Nous pourrions multiplier les éléments de réflexion. Pourtant,
notre société est développée : croissance économique, infrastructures modernes,
accès à l'eau et l'énergie généralisé, transports performants, produits manufacturés
en tout genre, nourriture abondante, hôpitaux, écoles, etc.
* En France, on aurait compté 11 000 suicides et plus de 160 000 tentatives en 1997. Ils constitueraient la première cause
de décès des 25-34 ans. La même année, près de 15% des plus de 16 ans seraient dépressifs. Ce taux aurait été
multiplié par 6 depuis 1970 (statistiques INSEE).
** cf. brochure La culture du narcissisme (Les renseignements généreux).
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2. Une aide au développement dérisoire*
* Pour une étude plus approfondie de l'aide au développement, en particulier ses détournements et ses contradictions, lire
la brochure A qui profite l'aide au développement ? (Les renseignements généreux).
** Le Produit Intérieur Brut est un indicateur de l'activité économique.
*** Pendant 10 ans. Alors que l'ONU estime à 10 milliards de dollars par an les sommes nécessaires pour lutter efficacement
contre le SIDA, bien moins de 3 milliards y sont consacrés. De manière générale, les fonds mondiaux contre le sida, la
tuberculose et la malaria peinent à réunir des fonds.
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3. Un commerce international générateur d'inégalités
* 60% du reste de ces exportations étaient le fait de la Corée du Sud, Taïwan, Hong-Kong et Singapour.
** C'est une des causes de l'endettement des pays du Sud. Ajoutons que les exportations de matières premières, bien que
génératrices de devises, constituent un appauvrissement global. Un seul exemple : La dévastation de la forêt équatoriale
n'a apporté quelques rentes qu'aux castes dirigeantes, et ces ressources naturelles ont disparu à jamais.
*** cf. brochure L'agriculture de destruction massive (Les renseignements généreux).
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Pour toutes ces raisons, les relations Nord/Sud se rapprochent davantage d'une
guerre économique que d'un processus de développement bienveillant. Les pays
industrialisés fonctionnent comme des « pompes à capitaux et à matières
premières », non comme des « généreux donateurs ».
Ceci étant dit, nous verrons dans la suite de cet exposé combien le
développement peut également être perçu comme un discours qui sert à
masquer la néo-colonisation et les aspirations hégémoniques du Nord sur le
Sud. Dans tous les cas, ce sont bien les politiques menées par les
gouvernements, les institutions internationales et les multinationales
occidentales que nous mettons en cause.
* A ce propos, nous vous conseillons le livre de Serge Halimi, Le Grand Bond en arrière, éd Fayard, 2004.
** En France, on retrouve dans la plupart des discours politiques ou économiques la rhétorique du développement
(croissance, développement local, progrès, etc.).
*** François Partant, La fin du développement, éd Babel, 1997.
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III Une impasse écologique
Nous n'avons qu'une quantité limitée de forêts, d'eau, de terre. Si vous transformez tout
en climatiseurs, en pommes frites, en voitures, à un moment vous n'aurez plus rien.
Arundathi Roy
Défaire le développement, sauver le climat, revue L'Écologiste n°6.
* L'empreinte par personne des pays à hauts revenus serait en moyenne 6 fois plus élevée que celle des pays à faibles
revenus, et environ 3 fois supérieure à la capacité biologique de la Terre. Source : rapport « Planète vivante » 2002 du
WWF (disponible sur http://www.wwf.fr)
** chiffres approximatifs et basés sur des hypothèses de calcul à examiner, d'où l'emploi du conditionnel. Sources : STOP
de Bartillat et Retallack (2003); Mal de Terre de Reeves (2003); L'avenir climatique de Jancovici (2002), les rapports sur
l'environnement du PNUD (Nations Unies).
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Ce caractère destructeur est largement reconnu et médiatisé : l'inéluctable
épuisement des ressources, les problèmes de santé publique liés à la pollution, le
trou dans la couche d'ozone, le changement climatique, etc. Tous ces constats sont
notamment ceux du sommet de Rio, en 1992, où a émergé le concept de
développement durable. Plus de 10 ans après, les changements sont infimes. A la
proposition de Maurice Strong du 4 avril 1992 : « Notre mode de développement, qui
conduit à la destruction des ressources naturelles, n’est pas viable. Nous devons en
changer. » fait écho la déclaration de Georges Bush Senior en 1997 : « Notre niveau
de vie n’est pas négociable. ». Depuis 1990, les émissions de CO2 ont augmenté de
plus de 20% aux États-Unis... Bien sûr, l'impossibilité de généraliser le mode de vie
occidental ne prend pas en compte d'éventuels progrès techniques fulgurants. Mais
il est permis de douter de ces espoirs.*
* cf. brochures Les illusions du progrès technique et Les argumentocs (Les renseignements généreux)
** Nous vous conseillons à ce sujet la lecture du journal La décroissance et leur site internet www.decroissance.org
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BETISIER DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
Le développement durable est un concept à la mode. Les plus grands industriels de la planète y font
référence : Monsanto, TotalFinaElf, Renault, Areva, Suez, L’Oréal, Carrefour… Morceaux choisis :
« Le développement durable, c'est tout d'abord produire plus d'énergie, plus de pétrole,
plus de gaz, peut-être plus de charbon et de nucléaire, et certainement plus d'énergies
renouvelables. Dans le même temps, il faut s'assurer que cela ne se fait pas au
détriment de l'environnement. »
Michel de Fabiani, président de BP France, rencontres parlementaires sur l'énergie, 2001
". . .Un texte qui stimulera la recherche scientifique et l'innovation technologique pour
inscrire la CROISSANCE ECONOMIQUE dans le cadre du DEVELOPPEMENT
DURABLE… ”
Jacques Chirac, à propos de la Constitution Européenne, allocution du 3 mai 2004
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III De quelle richesse parlons-nous ?
Mais ce n’est pas encore suffisant. Il faut encore que tous se soient accordés sur la
place que l’on donne à la possession matérielle. Dans une société dont la majorité
des membres se contreficherait d’accumuler des biens, celui qui en aurait fait son
but principal ne pourrait être tenu pour riche et passerait seulement pour quelque
excentrique collectionneur. Pour que la chose que je possède en grande quantité me
fasse riche, il faut que la quantité que j’en ai soit désirée par la majorité des autres
qui l’ont en moins ou n’en ont rien. La richesse est la possession d’une quantité de
biens matériels que la majorité n’a pas et qui lui manque [ …]
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Au moindre signe avant-coureur d’une déchéance trop grande du pauvre, le riche
s’inquiète, s’affole et se précipite. Mais on aurait tort d’y voir une quelconque
détermination altruiste, la moindre résolution au partage, un élan humaniste
minimum. Celui qui fait le voyage, celui qui va concrètement vers l’autre, sur le
terrain, celui-là, l’activiste humanitaire, peut-être est sincère. Mais ce n’est pas lui
qui finance son ''transport'' et son geste. C’est la richesse qui l’engage et le paie, la
richesse qui ne paie jamais que pour être riche, pour prolonger son
enrichissement. Ce qui se fera sur le terrain est sans importance. Elle en laisse
volontiers et sans remords la responsabilité à ceux qui s’y rendent et coordonnent
comme ils peuvent leurs initiatives.
Le '’bon’’ pauvre de notre système est celui qui croit à la richesse, à ses valeurs, qui
l’espère et l’admire, et éprouve continuellement le désir de tendre vers elle. S’il
venait à ne plus y croire, il risquerait d’inventer d’autres formes et valeurs,
établissant un autre système absolument différent et qui, peut-être, pourrait
ridiculiser le riche et sa volonté maniaque de possession. Lui, le riche qui connaît
de l’intérieur la vanité des possessions et sait combien est fragile la chimère qui l’a
placé si haut, cette hypothèse le terrorise. Il lui faut donc rester exemplaire :
montrer de l’attention et de la compassion à ceux qui ne parviennent pas à lui
ressembler et faire en sorte qu’ils soient tous bien convaincus que la responsabilité
de l’échec leur revient. Le pauvre doit penser que s’il n’est pas riche, c’est de sa
faute, que son manque d’intelligence, de compétence, de méthode, de capacités en
somme, en est seule cause. [...]
Une lutte contre la pauvreté serait possible. Pas celle que nous avons décrite ici et
dont le cynisme fait vomir, non, une lutte véritable. Elle lutterait contre la pauvreté
d’un mot, richesse, auquel a été retranché l’essentiel de son sens. La vraie richesse
humaine, plutôt que dans l’accumulation individuelle ou collective délirante
d’argent et de biens matériels, n’est-elle pas dans une capacité constante à
acquérir et partager de la connaissance, de la sagesse, des sciences, de
l’intelligence, de l’imaginaire, de la beauté, de la puissance poétique, une haute
conscience de l’autre ? Si tout à coup c’était bien cela la richesse, on verrait qu’elle
est mieux répartie, mieux partagée que ce que l’on croit, comment chacun en a
mais aussi en est un morceau. »
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IV Le masque de la néo-colonisation
Du temps des entreprises coloniales on disait en Europe que les peuples du Tiers-
Monde étaient primitifs, arriérés, barbares, non-civilisés, etc. Ce qui contribuait à
transfigurer le processus brutal d'expropriation colonialiste en mission civilisatrice
et humanitaire. [...] L'ordre établi tend à se justifier au nom d'une définition,
généralement conçue comme universelle et éternelle, une essence métaphysique
du Beau, du Bien, du Juste, du Sacré, du Vrai, du Normal, du Naturel, etc.
Alain Accardo
Introduction à une sociologie critique, éd Mascaret,1997
Nous ne rentrerons pas ici dans les détails. Il existe suffisamment d'ouvrages
décrivant les politiques néo-colonialistes des États-Unis ou de la France*. Celles-ci
visent le développement ou le maintien des intérêts économiques et politiques
occidentaux à tout prix, la lutte contre l'avancée communiste du temps de la guerre
froide, ou, de manière générale, contre tout mouvement à caractère
indépendantiste, le détournement de l'aide au développement, le pillage des
matières premières, la mise en place de dictatures ''sous contrôle'', etc.
« Rappelons la formule cynique d'Henry Kissinger [secrétaire d'état du président
Nixon (États-Unis) de 1973 à 1977] : ''la mondialisation n'est que le nouveau nom de
la politique hégémonique américaine''. Mais alors quel était l'ancien nom ? C'était tout
simplement le développement économique lancé par Harry Truman en 1949 pour
permettre aux États-Unis de s'emparer des marchés des ex-empires coloniaux
européens et éviter aux nouveaux États indépendants de tomber dans l'orbite
soviétique. »**
* Sur la politique néo-colonialiste de la France en Afrique, nous vous conseillons les brochures Que fait la France en Afrique ?
et A qui profite l'aide au développement ? (Les renseignements généreux). Sur la politique néo-colonialiste des États-Unis en
Amérique latine, en Asie et au Moyen-Orient, nous vous conseillons le livre De la guerre comme politique étrangère des
USA, Noam Chomsky, Agone, 2001. Petite anecdote : « desarollito » (développementiste) était une insulte en Amérique du
Sud dans les années 50, car elle désignait l’impérialisme américain (cité par Gustavo Esteva dans L'Ecologiste n°6).
** Serge Latouche, Survivre au développement (voir bibliographie).
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Nous sommes bien loin de l'image angélique d'un Nord aidant le Sud.
Le financement des ONG de développement ou des programmes éducatifs et
sociaux apparaît plutôt comme des actes minoritaires ; ces derniers contribuent à
légitimer et masquer les pratiques réelles, à présenter un visage généreux aux yeux
de l'opinion publique.
De fait, les pays du Sud jouent un rôle vital dans l'économie des pays
industrialisés. Si les pays du Sud choisissaient l’autarcie ou devenaient totalement
insolvables, que deviendraient, au Nord, les industries et le secteur énergétique,
privés de matières premières (pétrole, minerais, denrées alimentaires)* ? Que
deviendraient les compagnies de navigation maritimes et aériennes, les banques,
les compagnies d’assurance, les agences de voyage, les multinationales, les
exportations d’armement ? Inversement, si les pays du Sud devenaient
économiquement compétitifs, la crise des pays industrialisés serait massive. Nous
connaissons déjà les effets de la délocalisation sur l'emploi en France... « La
promotion d’une industrie dans un pays du Sud prive, à terme, les nations
industrielles de plus de travail qu’elle ne leur en donne dans l’immédiat. »**
Bien que la majorité des échanges internationaux se réalise entre les pays
occidentaux, le commerce avec les pays du Sud est indispensable à la bonne
marche de l'industrie. Il s'agit donc de maintenir les pays du Sud en état de
dépendance et d'infériorité économique, tout en s'assurant de leur solvabilité. Par
exemple, la dette peut être considérée comme un mécanisme permettant aux pays
du Sud de maintenir leurs importations (par l'emprunt), d'augmenter leurs
exportations à bas prix (pour rembourser les emprunts), tout en restant incapables
d’occuper une position économiquement dominante.
* En 2003, les produits pétroliers représentaient près de 50% de l'énergie totale consommée en France. Le pétrole est
importée pour 30% de la mer du Nord, 24% du Moyen-Orient et 22% d'Afrique En 2001, 78% de l'électricité consommée
en France était d'origine nucléaire mais plus de 60% de l'uranium est importé d'Afrique (Niger, Gabon...). (source :
Ministère de l'économie et des finances).
** François Partant, La fin du développement, éd Babel, 1997.
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Les armes occidentales de communication massive
Les pays du Sud sont submergés par la communication occidentale (informations, films,
publicités, livres, etc.). Celle-ci est essentiellement motivée par des motifs mercantiles.
Quel est le message central de l’immense majorité de ces productions culturelles ? En
caricaturant : « Chez nous règnent la paix, la liberté, les droits de l’homme, le bonheur, la
richesse, c’est le paradis ! »
Au-delà de ce spectacle, quels contacts humains les populations du Sud ont-elles avec
l’Occident ? Ceux liés au tourisme de masse, aux représentants de grandes entreprises,
aux projets de développement, à l’armée. Par exemple, quand un Africain rencontre un
Occidental en chair et en os, il s'agit, la plupart du temps, soit d'un touriste *, soit d'un
travailleur expatrié (généralement occupant des responsabilités), soit d'un acteur du
développement (souvent bien rémunéré)**, soit d'un militaire.
Comment réagit la plupart des humains des pays dits sous-développés ? Le contraste
avec leur niveau de vie est tel qu'il engendre de violents sentiments de frustration et de
fascination. C'est une des raisons pour lesquelles autant de clandestins cherchent à tout
prix à s’établir dans nos contrées.
De son côté, l’opinion publique occidentale est partagée. Consciente de son opulence par
rapport au Sud, elle a généralement mauvaise conscience. Mais, parallèlement, elle est
fascinée par l’exotisme et y puise une sorte de vitalité culturelle. En témoigne le succès de
la ''World Music'', des décorations et modes exotiques***, du tourisme, des restaurants aux
noms évoquant des destinations lointaines… La culture du Sud se consomme. Mais, ce
n'est pas pour autant que se développent une réelle empathie, un désir de réciprocité, des
actes de solidarité et de résistance.
* Selon l’ONU, 10% des quelques 600 millions de touristes parcourant le monde en 2000 avaient le sexe pour seule
motivation. En Thaïlande, le chiffre d’affaires lié au tourisme sexuel représenterait 12% du PIB. Dans ce pays, un tiers
des femmes engagées dans la prostitution serait constitué de mineures. Le réseau international contre la prostitution et le
trafic d'enfants, (ECPAT www.ecpat.net) explique comment « certains parents vendent leurs enfants pour pouvoir
s’acheter des télévisions, réfrigérateurs ... »
** maison luxueuse, employés de maison, salaire énorme par rapport au pays d'accueil,... Cette description caricaturale ne
s’applique pas à tous les acteurs du développement, loin de là. Mais ces descriptions ''néo-colonialistes'' sont si souvent
entendues et partagées qu’elles semblent esquisser un courant important parmi les acteurs du développement.
*** Combien de Français décorent leur salon avec des tissus ou des masques africains sans s'intéresser le moins du monde
à ce qui se passe là-bas... cf. l'analyse de l'imagerie des pays du Sud véhiculée par la publicité dans la brochure Pub : la
conquête de notre imaginaire (Les renseignements généreux).
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En guise de conclusion
Vaste débat, auquel nous espérons avoir apporté quelques éléments de réflexion.
Malgré tout, nous pensons que ces critiques concernent la plupart des ONG de
développement. En effet :
La majorité des ONG est financée par de grandes institutions (États, Union
Européenne, Banque Mondiale, etc.). Il nous paraît essentiel de s'interroger sur
le rôle éventuel de légitimation des politiques institutionnelles que ces
financements contribuent à jouer.
Nombre de ''petits'' projets de développement partagent, au fond, les mêmes
présupposés que de grandes projets institutionnels (par exemple, l'économie
comme source de bien-être), ou participent à la même
dynamique : désenclavement, augmentation de la production, développement
d'une filière commerciale, transformation de ressources naturelles en biens
marchands, etc. L'échelle varie, mais l'idéologie est identique.
Beaucoup d'ONG nous semblent ne pas questionner réellement les causes de la
misère contre laquelle elles luttent.
Enfin, nombre de projets de développement sont décidés sans la participation
des populations concernées, ou en alors en se limitant aux élites locales.
Nous sommes interpellés par le fait que tous ces petits projets de développement
coexistent avec d'énormes dynamiques internationales qui nagent à contre-sens.
Pour utiliser une image, ce serait comme éponger la fuite d’un barrage avec un
coton-tige sans chercher à arrêter ceux qui sont en train de le casser à grands
coups de bulldozers. Pire encore, ce sont souvent ces derniers qui distribuent les
cotons-tiges.
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Autrement dit, nous avons le désagréable sentiment que, pour un Occidental qui
part plein d’enthousiasme participer à un projet de développement au Sud, dix
occidentaux y sont déjà et font des dégâts qui nécessiteraient des milliers de projets
de développement pour y remédier. Pire, parmi ces Occidentaux qui partent plein
d’enthousiasme et de belles intentions, il nous semble que la majorité fera, par
inexpérience, manque de maturité ou pure bêtise, l’inverse de ce qu’il faudrait faire,
et peut-être plus de dégâts que si elle n’était pas venue. Les ONG peuvent
continuer à faire des projets de développement indéfiniment ; cela restera dérisoire
comparé à la politique économique mondiale.
Bien sûr, un bon projet n'est pas dérisoire pour les gens qui en bénéficient. Mais,
en terme de cohérence, si l'on souhaite vraiment oeuvrer pour le développement des
pays du Sud, ne faut-il pas lutter autant contre les causes que contre les effets de
la misère ? Quand les dépenses publicitaires françaises équivalent le total de l'aide
publique au développement des pays de l'OCDE (45 milliards d'euros en 1999),
quand les fonds mondiaux contre le sida, la tuberculose et la malaria peinent à
réunir des fonds alors que les pharmacies occidentales regorgent de produits
amincissants et de gadgets pour chiens, quand les inégalités s'étendent au Nord
comme au Sud, on est en droit de vouloir une transformation sociale. En ce sens,
nous nous demandons s'il ne serait pas plus efficace de consacrer l'essentiel de nos
énergies à la lutte contre la politique actuelle que d’ériger des projets de
développement.
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Pour aller (beaucoup) plus loin
Notre exposé n'est qu'une modeste introduction vers une réflexion bien plus
approfondie. Citons ces quelques livres particulièrement pédagogiques :
Survivre au développement
Serge Latouche, éd Mille et une nuits, 2004
Le pouvoir mis à nu
Noam Chomsky, éd écosociété, 2002
Mais également le site internet de l'association La ligne d'horizon, sur lequel vous
trouverez de nombreux textes sur le développement et sur l'oeuvre de François
Partant, auteur de nombreux ouvrages critiques sur le développement :
http://www.lalignedhorizon.org
27
Les renseignements généreux
production et diffusion de brochures pédagogiques
TITRES DISPONIBLES
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Retrouvez toutes nos brochures, des textes, des citations et bien d'autres choses.
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